SEANCE DU 7 FEVRIER 2002
M. le président.
« Art. 3. - Avant le dernier alinéa de l'article 143-1 du code de procédure
pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« La détention provisoire peut être ordonnée ou prolongée à l'égard d'une
personne mise en examen pour un délit puni d'une peine supérieure ou égale à
deux ans d'emprisonnement qui, dans les six mois qui précèdent, a fait l'objet,
pour un délit puni d'une peine supérieure ou égale à deux ans d'emprisonnement,
soit d'une des mesures prévues aux articles 41-1 ou 41-2, soit d'une poursuite
pénale sauf si cette procédure a été terminée par une décision de non-lieu, de
relaxe ou d'acquittement. »
L'amendement n° 10, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, est
ainsi libéllé :
« Rédiger comme suit l'article 3 :
« Le quatrième alinéa de l'article 143-1 du code de procédure pénale est
complété par une phrase ainsi rédigée :
« La détention provisoire peut également être ordonnée ou prolongée à l'égard
d'une personne mise en examen pour un délit prévu par le livre III du code
pénal et puni d'une peine égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement si,
dans les six mois qui précèdent, cette personne a déjà fait l'objet pour un
délit puni d'une peine supérieure ou égale à deux ans d'emprisonnement et dans
une procédure dont la copie est jointe au dossier de l'information, soit d'une
des mesures prévues aux articles 41-1 ou 41-2, soit d'une poursuite pénale qui
n'a pas été clôturée par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement.
»
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Actuellement, en cas de délit contre les biens prévu au livre
III du code pénal, le placement en détention provisoire n'est possible que si
la personne mise en examen encourt une peine supérieure ou égale à cinq ans
d'emprisonnement. Toutefois, si la personne a déjà été condamnée à un an
d'emprisonnement, le seuil est alors de trois ans d'emprisonnement.
L'article 3 tend à permettre le placement en détention provisoire d'une
personne qui encourt deux ans d'emprisonnement si elle a été déjà poursuivie
dans les six mois précédents ou si elle a fait l'objet d'une mesure alternative
aux poursuites.
Cette disposition soulève deux difficultés : une difficulté pratique liée à la
connaissance des antécédents de la personne et une difficulté de principe, car,
comme je l'ai indiqué tout à l'heure, cette disposition revient à être plus
sévère envers un « réitérant » non jugé qu'avec une personne déjà condamnée à
un an ou plus d'emprisonnement.
Je n'insisterai pas davantage : il s'agit de mettre au moins sur un pied
d'égalité ceux qui sont simplement soupçonnés et ceux qui ont déjà été
jugés.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Cet amendement reprend certaines critiques émises à
l'Assemblée nationale. Vous proposez, monsieur le rapporteur, de ne viser que
les délits punis de trois ans d'emprisonnement, ce qui limite en droit les
effets du texte et permet de l'appliquer dans les situations qui le justifient,
notamment le vol simple et la dégradation de biens publics.
Par ailleurs, vous proposez de préciser que la copie de la procédure pénale
dont la personne a déjà fait l'objet doit être versée au dossier de
l'instruction, ce qui renforce les droits de la défense et le caractère
contradictoire de la procédure. Je m'en remets donc à la sagesse du Sénat sur
cet amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 10.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Tout d'abord, le moins que l'on puisse dire est que cet amendement n'a pas la
clarté éblouissante des vérités qui s'imposent d'elles-mêmes. Un professeur de
mauvaise humeur n'aura qu'à poser, à l'oral de procédure pénale, la question
suivante : pouvez-vous, mademoiselle ou monsieur, me préciser immédiatement les
cas dans lesquels cette disposition s'applique ? Je vous garanti le résultat !
(Sourires.)
Les choses étant ce qu'elles sont et la complexité du droit n'étant pas, à mon
avis, recommandée en matière de détention provisoire, je ferai une observation
liminaire : nous avons consacré un long temps à définir très précisément les
seuils de détention provisoire. Lors de nos travaux tant en commission qu'en
séance publique, ces seuils ont été parmi nos préoccupations principales. Et le
résultat auquel nous sommes parvenus a été inscrit dans la loi. Or, voilà que
l'on souhaite procéder aujourd'hui à une modification et introduire dans notre
droit - ce que je ne souhaite pas - le concept flou de réitération.
Nous savons tous ce qu'est l'autorité de la chose jugée : c'est clair et c'est
juridique.
En revanche, il me paraît paradoxal de prendre en considération une poursuite
pénale qui n'a pas été clôturée par une décision de non-lieu, de relaxe ou
d'acquittement, et ce dans un texte dont la finalité est de garantir la
présomption d'innocence. Si vraiment il y a un élément qui doit fortifier la
présomption d'innocence, c'est le refus de prendre en considération les
poursuites en cours ! L'introduction de cette notion dans notre procédure
pénale ne me paraît pas du tout souhaitable.
Je laisse de côté les difficultés manifestes d'un point de vue pratique, telle
la copie de la procédure jointe au dossier de l'information. Ce sera facile,
vous l'imaginez !
Mais tout cela n'est rien ! L'essentiel, c'est qu'on ne peut pas prendre en
compte une poursuite pour motiver une détention provisoire !
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Le propos de M. Badinter me paraît un peu hors sujet dans la
mesure où la critique formulée, que je comprends, porte sur l'article et non
sur l'amendement n° 10 ; or ce dernier vise précisément à ne pas être plus
sévère - il va donc un peu dans votre sens, mon cher collègue - envers les «
réitérants » qu'envers ceux qui ont déjà été condamnés. Il tend donc à adoucir
la situation. Cela n'enlève, bien sûr, rien à votre critique de fond, qui est
ce qu'elle est. Pour ma part je ne la partage pas, car il s'agit d'un vrai
problème de vie quotidienne.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
La réitération est un mauvais concept, qu'elle figure dans l'article ou dans
l'amendement.
Je souhaite donc que cette question soit réexaminée dans le cadre de la
commission mixte paritaire. Elle le mérite en effet.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 10, pour lequel le Gouvernement s'en remet à
la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 3 est ainsi rédigé.
Article additionnel après l'article 3