SEANCE DU 7 FEVRIER 2002


M. le président. L'amendement n° 7, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le deuxième alinéa de l'article 53 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée : "Lorsque des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité ne peuvent être différées, le procureur de la République peut décider la prolongation de l'enquête pour une durée maximale de huit jours". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Il s'agit toujours de la flagrance. Pendant longtemps, la durée de l'enquête de flagrance n'était pas précisée et, dans certains cas, elle pouvait durer jusqu'à trois semaines. Puis, la durée de l'enquête de flagrance a été strictement limitée à huit jours. Mais il est un certain nombre de cas dans lesquels des actes doivent encore être accomplis et où l'ouverture d'une information ou d'une enquête préliminaire peut entraîner une rupture dans l'enquête.
Le présent amendement, d'ailleurs issu de la proposition de loi de M. Hubert Haenel, tend à permettre au procureur de la République, en cas de nécessité, de prolonger cette enquête de flagrance pour une durée maximale de huit jours. Cette mesure, qui améliore l'efficacité de la procédure, introduit, nous semble-t-il, une souplesse utile dans les règles actuelles, et ce, bien sûr, sous le contrôle strict du parquet.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis défavorable.
Cet amendement, qui reprend une disposition de la proposition de loi de M. Hubert Haenel, tend à permettre au procureur de la République de prolonger de huit jours, comme cela vient d'être rappelé, la durée de l'enquête de flagrance, qui est limitée à huit jours depuis la loi du 23 juillet 1999 renforçant l'efficacité de la procédure pénale.
Comme je l'ai indiqué devant l'Assemblée nationale, qui a examiné puis rejeté un amendement analogue, je ne suis pas favorable à une telle proposition, car il est nécessaire de limiter la durée des enquêtes de flagrance. En effet, au cours de ces dernières, les enquêteurs disposent de pouvoirs très importants - on vient d'en parler -, notamment celui de procéder à des perquisitions sans l'accord des personnes chez qui elles ont lieu. J'ajoute toutefois que, à l'issue du délai de huit jours, les enquêteurs peuvent poursuivre leurs recherches dans le cadre d'une enquête préliminaire. Leurs pouvoirs sont alors plus encadrés par la loi et par l'autorité judiciaire, mais ils disposent de moyens d'investigation non négligeables.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 7.
M. Robert Badinter. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Mme la garde des sceaux a fort justement rappelé ce qui est en question. La flagrance, dans son acception d'origine, c'est la clameur publique poursuivant celui que l'on considère comme étant l'auteur de l'infraction qui vient d'être commise. C'est une circonstance très précise.
Il est vrai que, en raison de la nécessité d'avoir immédiatement ou dans les plus brefs délais les moyens d'agir, on a réduit les formalités ou les modalités de protection, notamment en matière de perquisitions.
On a longtemps hésité sur la durée de l'enquête de flagrance. Finalement, comme vous l'avez très justement rappelé, madame la garde des sceaux, une disposition contenue dans la loi du 23 juin 1999 renforçant l'efficacité de la procédure pénale a prévu que l'enquête de flagrance menée à la suite de la constatation d'un crime ou d'un délit flagrant ne peut se poursuivre au-delà de huit jours. Sauf erreur de ma part, je ne me souviens pas que, lors de sa mise en oeuvre, cette disposition ait fait l'objet de critiques. Je ne me souviens pas non plus que, lors de la discussion du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, on ait à cet égard demandé une prorogation du délai de huit jours.
En vérité, et c'est cela qu'il faut prendre en compte, la procédure ne s'arrête pas une fois ce délai dépassé. En effet, les officiers de police judiciaire continueront à intervenir, mais ils ne disposeront plus des pouvoirs extraordinaires dérogatoires du droit commun de la quête des preuves qui caractérisent la flagrance. L'enquête préliminaire se poursuivra sous l'autorité du procureur de la République. Eventuellement, le juge d'instruction sera chargé de l'information. Mais, dans tous les cas, le travail continue. Mais il n'y aura pas de prérogatives exceptionnelles. Nous sommes, je le rappelle, dans le cadre d'une loi qui a pour objet de consolider, d'accroître et de renforcer les garanties de la présomption d'innocence, et donc dans le droit-fil de la volonté du législateur.
M. Hubert Haenel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Je souhaite abonder dans le sens de M. le rapporteur. La prolongation n'est pas automatique. En effet, il faut que le procureur de la République l'autorise, dans certaines conditions, lorsque les investigations sont nécessaires à la manifestation de la vérité et, surtout, si elles ne peuvent être différées. Tout cela se fait sous le contrôle de la chambre de l'instruction.
Toutes les garanties sont donc présentes : le procureur de la République, la chambre de l'instruction, et la réunion de certaines conditions. Rien n'est automatique !
Madame la ministre, je crois que vous pourriez à tout le moins vous en remettre à la sagesse du Sénat, au lieu de vous opposer envers et contre tout.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 7, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 2.
L'amendement n° 8, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, est ainsi libellé :
« Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le premier alinéa de l'article 76-1 du code de procédure pénale, les mots : "à l'une des infractions en matière d'armes et d'explosifs visées par l'article 3 de la loi du 19 juin 1871 qui abroge le décret du 4 septembre 1870 sur la fabrication des armes de guerre et par les articles 20, 31 et 32 du décret du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions ou à l'un des crimes ou délits en matière de stupéfiants visés par les articles 222-34 à 222-38 du code pénal" sont remplacés par les mots : "à un crime ou à un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Cet amendement est dans la suite logique du précédent.
Il s'agit, au cours des enquêtes préliminaires, de constater que les perquisitions ne peuvent qu'être faites avec l'accord de la personne concernée. Des exceptions à la règle ne sont prévues qu'en matière de terrorisme, de trafic de stupéfiants ou de trafic d'armes.
Le présent amendement, qui est également issu de la proposition de loi de M. Hubert Haenel, tend à permettre des perquisitions sans l'accord de la personne pour les crimes et délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement. Toutefois, pour éviter un usage contestable de cette mesure - que l'on peut évidemment imaginer - ces perquisitions ne pourront être décidées ni par les officiers de police judiciaire ni par le procureur de la République : chaque perquisition devra donner lieu à une autorisation écrite du juge des libertés et de la détention, afin que ne soient réalisées que les perquisitions qui sont strictement nécessaires.
Il s'agit donc d'une mesure prudente et solidement encadrée.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Nous ne sommes plus dans la discussion des ajustements de la loi du 15 juin 2000 ; nous sommes là dans le prolongement de la loi du 15 novembre 2001, qui n'a donc que quelques mois.
Je ne suis pas favorable à cet amendement. On se souvient qu'il s'agit de permettre des perquisitions d'enquête préliminaire sans l'accord de l'intéressé, mais sur autorisation du juge des libertés et de la détention, pour tous les délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement, à la demande M. Haenel, alors que ce point avait été très encadré dans la loi du 15 novembre 2001.
M. Hubert Haenel. Ça l'est encore !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. De telles perquisitions sont possibles pour les infractions en matière de trafic d'armes ou de stupéfiants, ce qui est assez logique, car il est bien évident qu'il faut aller chercher les armes ou les stupéfiants, et c'est bien le but. Nous ne sommes pas là après un crime ou après des délits constatés, nous sommes bien dans la recherche de trafiquants d'armes ou de stupéfiants ; de telles perquisitions se justifient dans ce cas.
Il me paraît hasardeux d'aller au-delà, d'étendre tout de suite le champ d'application de cette disposition du 15 novembre 2001, alors que nous n'en avons aucun bilan. D'autant que - comme cela vient d'être rappelé -, la perquisition sans autorisation est une disposition très forte. Déjà, après huit jours de flagrance, on passe à un peu plus. Etendre l'application de cette disposition à tout ce qui pourrait justifier ce type d'acte serait dangereux par rapport à l'équilibre recherché. La justification de cette disposition adoptée en novembre 2001, c'était bien la lutte contre les trafics. Pour les autres crimes et délits, je ne vois vraiment pas comment la justifier.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 8.
M. Robert Badinter. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Cet amendement vise, si je comprends bien, à généraliser la disposition que nous avons votée en novembre 2001.
Lors de la discussion à propos de cette dernière, il nous avait été indiqué - je pense en particulier aux propos très précis tenus par le ministre de l'intérieur, M. Vaillant - qu'il s'agissait bel et bien de lutter contre le terrorisme, que cette dérogation à des principes généraux qui sont, je le rappelle, très encadrés constitutionnellement ne se concevait que parce qu'il convenait de lutter contre le terrorisme et que, par conséquent, il fallait, sans délai, dans les meilleures circonstances, avec l'autorisation du juge, pouvoir perquisitionner pour trouver des armes.
Cette disposition a été étendue à la recherche de stupéfiants. Cette extension a été justement critiquée. En effet, autant, compte tenu des menaces de terrorisme, on pouvait concevoir que, légitimement, on accroisse le champ possible des perquisitions, autant, dès l'instant où l'on dérivait vers le droit commun, on était fondé à se poser des questions ; mais l'existence de la menace terroriste était telle que nous avons accepté cette disposition.
Voilà que maintenant, presque sans coup férir, on passe cette fois-ci à tous les crimes et délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement ! Je n'ai pas besoin de vous dire à quel point la liste est longue !
Par conséquent, on bouleverse complètement à cet égard le régime des perquisitions, si encadré par notre législation depuis tant de décennies, pour ne pas dire de siècles.
Je pense que cela n'a aucune raison d'être. C'est déjà beaucoup de l'avoir accepté dans les domaines très limités que l'on a considérés. Rien ne justifie cette dérogation. L'extension a été choisie en connaissance de cause par nous, au mois de novembre dernier. Nous n'avons pas de raison, trois mois plus tard, de dire que l'exception est devenue droit commun ! On reconnaîtra quand même que, s'agissant de la garantie des libertés individuelles et d'un texte sur la garantie de la présomption d'innocence, c'est tout de même un paradoxe ! Nous voterons donc contre !
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. J'irai dans le même sens que M. Badinter. Je rappelle que, en novembre 2001, je m'étais prononcée contre la disposition proposée ; en effet, même s'il s'agissait de répondre à une situation d'urgence particulière, le délai inscrit dans le texte me paraissait beaucoup trop long.
Je m'aperçois que, très rapidement, on nous demande de généraliser l'exception ! Je me félicite donc de ne pas avoir été favorable dès le départ à cette disposition ; je le suis encore moins maintenant !
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu, garde des sceaux. Je voudrais avancer une raison supplémentaire, pour M. le rapporteur, de retirer l'amendement : les dispositions de la loi du 16 novembre 2001 ont été votées pour deux ans. Je ne vois donc pas comment nous allons parvenir à une extension de ces mesures alors que ce texte, avec toutes les conséquences de son application, doit être revu dans les deux ans !
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck, rapporteur. Je pourrais vous livrer la litanie des crimes et surtout des délits visés par cette disposition. Cela me paraît néanmoins inutile, car nous sommes en présence de positions figées.
La commission n'a pas proposé cette mesure à la légère, et je ne doute pas que Mme le ministre procède de la même rigueur. Mais, compte tenu des points de vue des uns et des autres, il nous faut, je crois, passer au vote.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 2.
(M. Serge Vinçon remplace M. Bernard Angels au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON
vice-président

Division additionnelle avant l'article 3