SEANCE DU 5 FEVRIER 2002
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 1244, adressée à Mme le
secrétaire d'Etat au logement.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Nous ne doutons pas, madame la secrétaire d'Etat, de votre volonté d'agir en
faveur du logement social. Et pourtant, la situation créée par la décision qui
a été prise par la Caisse des dépôts et consignations et sa filiale la Société
centrale immobilière de la caisse des dépôts - SCIC - de procéder au
déconventionnement d'environ 60 000 logements sociaux ne correspond nullement à
une politique favorable au logement social.
Pour mémoire, je rappelle qu'une décision prise en 1985 par le ministre de
l'économie et des finances de l'époque, M. Laurent Fabius, en faveur du
conventionnement du patrimoine social de la SCIC avait permis, puisque c'était
le but du conventionnement, la réalisation de travaux de réhabilitation et de
modernisation. Il faut rappeler que cette décision de conventionnement s'était
accompagnée, pour les locataires, d'augmentations de loyer très importantes,
atténuées il est vrai, pour les plus démunis, par le bénéfice de l'aide
personnalisée au logement.
Aujourd'hui, la SCIC aurait donc l'intention de déconventionner plusieurs
dizaines de milliers de logements. Or cette décision s'accompagnerait, d'une
part, de la perte de l'APL, qui permet le maintien dans leur logement de
milliers de familles dont les revenus déclinent, d'autre part, de la sortie, du
patrimoine social des communes, de logements qui représentent parfois de 10 à
40 % de ce patrimoine locatif. En disant cela, je pense évidemment, vous le
savez, à l'application de la loi SRU.
Pourquoi une telle décision ? D'autres décisions sont-elles aujourd'hui
prévues ?
Les logements seront mis en vente, mais qui pourra les acheter ? Ce ne seront,
en règle générale, ni les organismes d'HLM ni les bailleurs sociaux, dont les
difficultés sont connues de tous. En revanche, des sociétés privées, des
banques, des gestionnaires de fonds de pension semblent intéressés.
J'ai relevé, dans le rapport du comité de surveillance de la Caisse des dépôts
et consignations de 1999, cette affirmation : « La SCIC a reçu une proposition
d'achat concernant 4 110 logements situés en Ile-de-France, représentant 2,2 %
de l'ensemble du patrimoine, dont 40 % sont conventionnés. La SCIC estime le
rapport financier à 1 milliard de francs. L'acheteur pourrait être une société
constituée par la Deutsche Bank, la Lone Star, qui est un fonds de pension
américain.
M. Balligand avait précisé à l'époque : « L'opération envisagée permettra
d'investir dans un patrimoine mieux situé et plus rentable. » Je voudrais que
vous confirmiez ou que vous infirmiez cette réorientation, madame la secrétaire
d'Etat.
Pour faire preuve d'objectivité, il me faut ajouter que M. le président du
comité de surveillance se montre, dit encore le rapport, extrêmement réservé
sur cette opération et exprime son désaccord avec le processus mis en
oeuvre.
Depuis le dépôt de ce rapport, le déconventionnement s'est poursuivi, de même
que les tentatives de vente de logements.
Nous aimerions savoir combien de logements ont été concernés en 2000 et 2001
et combien le seront en 2002 même si, dans la crainte des prochaines élections,
des reports de conventionnement sont envisagés dans certaines
circonscriptions.
Confirmez-vous, madame la secrétaire d'Etat, l'intention de vendre 60 000
logements, dont 12 000 dans le seul Val-d'Oise ?
J'ai également sous les yeux un courrier que vous avez adressé aux maires en
date du 12 octobre 2001, dans lequel vous écrivez que l'estimation des prix
devra être faite par les services des domaines. Cette affirmation est
d'ailleurs contestée par M. le directeur de la Caisse des dépôts et
consignations, qui estime, lui, dans un autre courrier, que « d'éventuelles
transactions ne pourraient se concrétiser qu'à des valeurs économiques de
marché, prenant en compte les critères de valorisation usuels entre un
acquéreur et un vendeur ».
Vous voyez que la Caisse des dépôts et consignations est loin de défendre
l'intérêt du logement social ! Elle cherche de l'argent, des liquidités, et ne
s'en cache pas. Ne s'agirait-il pas, en fait, de constituer une partie du
capital de la banque Alliance créée par la fusion de la Caisse des dépôts et
consignations et de la Caisse d'épargne ? Un pôle financier nouvellement
constitué ne cherche-t-il à se renforcer pour s'engager dans des activités
spéculatives privées, comme la construction de bureaux ou de logements de
standing ?
Une autre utilisation de l'argent provenant des loyers des locataires ne
serait-elle pas préférable ?
Je vous demande donc de me faire savoir, madame la secrétaire d'Etat, si le
Gouvernement est prêt à arrêter le déconventionnement et la vente des logements
de la SCIC, en procédant naturellement au reconventionnement des logements déjà
dégagés, mais aussi à mener, avec les fonds disponibles, une campagne de
réhabilitation des cités de la SCIC, des immeubles, des logements, des abords,
de tous les équipements, pour renforcer la sécurité des locataires et accomplir
un effort de restructuration et de résidentialisation.
Madame la secrétaire d'Etat, êtes-vous prête à conduire une telle politique
qui serait, elle, une véritable politique en faveur du logement social ?
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marie-Noëlle Lienemann,
secrétaire d'Etat au logement.
Madame la sénatrice, je suis moi-même très
préoccupée par l'attitude de la Caisse des dépôts et consignations et de la
SCIC concernant le déconventionnement de ces 60 000 logements.
Vous le savez, de nombreuses discussions avaient eu lieu entre le Gouvernement
et la SCIC pour veiller au maintien d'un certain nombre de logements dans le
parc social, sauf là où les collectivités sociales elles-mêmes souhaitaient
favoriser la diversification. Mais il s'agissait tout de même de faire en sorte
que l'essentiel des logements concernés soient maintenus dans le parc
social.
A l'époque, mon prédécesseur avait déjà pu constater que tel n'était
manifestement pas l'état d'esprit de la Caisse des dépôts et consignations.
Le législateur a introduit, lors du débat sur le projet de loi relatif à la
solidarité et au renouvellement urbain, le principe de la pérennisation du
conventionnement. Cependant, le Conseil constitutionnel, le 7 décembre 2000, a
censuré cette disposition, de sorte qu'aucun outil législatif n'existe
aujourd'hui pour imposer à la SCIC le maintien des logements en question dans
le parc social.
Compte tenu de cet obstacle juridique, je me suis attachée à essayer de
convaincre la Caisse des dépôts et consignations et la SCIC. J'ai ainsi obtenu,
dans un premier temps, de la part de M. Lebègue, une sorte d'accord moral sur
l'idée suivante : s'il se trouvait un bailleur social prêt à racheter le
patrimoine au prix normal, à savoir celui des domaines, la SCIC pouvait de
dessaisir de son bien sans être spoliée et le patrimoine visé demeurait dans le
parc social.
Malheureusement, force est de constater que la logique qui prévaut aujourd'hui
à la SCIC relève plutôt de l'économie de marché. En l'occurrence, la Caisse des
dépôts et consignations et la SCIC oublient que ce patrimoine a été largement
constitué avec des fonds publics et que ce sont les fonds du livret A, gérés
par la Caisse des dépôts, qui financent le logement social.
J'entends encore M. Lebègue clamer, avec beaucoup de vibrato dans la voix,
l'importance de la décentralisation et du lien avec les élus locaux, le rôle
éminent du logement social. Mais je constate qu'il se fiche éperdument de
l'avis des élus locaux et que le logement social, à l'évidence, ne l'intéresse
que quand il rapporte ! La Caisse des dépôts et consignations se conduit en
fait comme un Etat dans l'Etat et je suis personnellement scandalisée par cette
attitude.
Néanmoins, madame la sénatrice, je n'ai qu'une stratégie possible, celle du
dialogue et de la conviction. Nous nous sommes efforcés, commune par commune -
nous avons commencé avec Sarcelles - d'appuyer les maires en faisant peser le
plus possible l'autorité de l'Etat pour convaincre la Caisse des dépôts
d'adopter une pratique beaucoup plus conforme à la volonté de maintien du
logement social et aux besoins exprimés par les élus locaux, souvent ratifiés
par les plans locaux de l'habitat.
Hélas ! en dépit de pressions importantes, la Caisse des dépôts n'a rien
changé à ses habitudes. C'est pourquoi je ne vois plus qu'une tactique : les
crédits publics à la SCIC seront bloqués tant que nous n'aurons pas obtenu de
sa part une attitude responsable, conforme à l'attente des élus locaux et
correspondant à la volonté de maintenir le parc social.
Je crois, madame la sénatrice, que je vous devais ce discours de vérité.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Madame la secrétaire d'Etat, je connais votre position pour avoir assisté à
plusieurs réunions organisées avant l'été 2001 et pour avoir entendu les maires
qui se sont entretenus de cette question avec vous. Vous me permettez néanmoins
de m'étonner : la Caisse des dépôts et consignations n'est-elle pas placée sous
l'autorité du Gouvernement ?
Vous me confirmez que l'on ne peut pas revenir sur les déconventionnements.
Quelle stratégie reste-t-il alors ? A Sarcelles, celle pour laquelle ont opté
les locataires, qui sont extrêmement mécontents, c'est l'action. Pour
commencer, ils vont refuser tout nouveau bail qui pourrait leur être
proposé.
Voilà quelques jours, à Sarcelles, au cours d'une réunion qui rassemblait
environ 250 locataires, quelqu'un a fait remarquer que les obstacles juridiques
pouvaient aussi être levés grâce à l'action. Les gens y sont prêts !
Cela étant, le Gouvernement a, lui aussi, son rôle à jouer. Vous nous avez
fait part de votre intention de bloquer les crédits de la SCIC tant qu'un
changement d'attitude n'aura pas été observé. Il reste que des
déconventionnements ont déjà eu lieu. La SCIC doit aujourd'hui assurer
l'entretien des bâtiments dont elle a la charge. A Sarcelles, ces bâtiments ont
maintenant quarante-cinq ans. Les locataires estiment même que, compte tenu de
tout l'argent qu'ils ont versé et du peu de travaux qui a été effectué dans des
logements qui sont très inconfortables, et ne répondent absolument plus aux
normes, la SCIC devrait leur rendre de l'argent !
Madame la secrétaire d'Etat, connaissant votre souci de savoir ce qui se passe
sur le terrain, je vous invite à assister à une des réunions qui ont lieu dans
le Val-d'Oise pour voir comment, avec les locataires, nous allons faire plier
la SCIC. Vous avez aujourd'hui besoin de l'action des locataires pour faire
pression sur la SCIC, mais les locataires ont besoin de vous et du soutien du
Gouvernement.
Mme Marie-Noëlle Lienemann,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marie-Noëlle Lienemann,
secrétaire d'Etat.
A Sarcelles, une négociation a été engagée entre la
municipalité et la SCIC. Nous avons ainsi réussi à faire reculer la volonté de
déconventionnement. Cette stratégie très progressive peut être utilisée dans
les autres collectivités locales. C'est pourquoi nous engageons ce même
dialogue pour les autres communes.
L'action des locataires doit converger le plus possible avec celle des élus
locaux de Sarcelles, qui se sont beaucoup mobilisés dans cette affaire et qui
ont joué pleinement leur rôle pour défendre les intérêts des habitants. Il ne
faudrait pas que les énergies se dispersent si nous voulons être en situation
de peser sur le cours des événements.
J'ajoute que la SCIC est l'un des rares organismes d'HLM à ne pas avoir suivi
les recommandations en matière de hausse de loyers puisqu'elle a augmenté les
siens, en moyenne, de 3,5 % à 4 %, contre environ 2 % pour l'ensemble des
organismes. Nous avons donc toutes les raisons d'être alertés par le
comportement actuel de la SCIC.
CONTRIBUTIONS DES COMMUNES AU FINANCEMENT
DU LOGEMENT SOCIAL