SEANCE DU 18 DECEMBRE 2001
RESSOURCES PROPRES
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 132, 2001-2002),
adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la décision du
Conseil de l'Union européenne du 29 novembre 2000 relative au système des
ressources propres des communautés européennes. [Rapport n° 146
(2001-2002).]
Madame le secrétaire d'Etat, avant de vous donner la parole, je tiens à vous
remercier d'avoir bien voulu représenter le Gouvernement pour l'examen de ce
texte, évitant ainsi au Sénat une nouvelle séance de nuit.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée est
aujourd'hui appelée à autoriser l'approbation de la décision du Conseil de
l'Union européenne relative au système des ressources propres des Communautés
européennes, adoptée à Bruxelles le 29 septembre 2000.
Le texte est désormais soumis à l'approbation des quinze parlements nationaux
des Etats membres afin qu'il puisse entrer en vigueur dès l'exercice 2002 du
budget communautaire.
Il s'agit, vous le savez, de l'aboutissement d'un long processus, puisque la
décision qui vous est soumise est la dernière étape de la mise en forme
juridique des décisions arrêtées par les chefs d'Etat et de gouvernement, lors
du sommet de Berlin de mars 1999, au terme de très longues négociations qui ont
permis l'adoption de ce que l'on appelle les « perspectives financières » de
l'Union européenne pour la période 2000-2006.
Les finances européennes sont encadrées pour sept ans par des plafonds de
dépenses et par le plafond global des ressources. La décision « ressources
propres » est une pièce majeure du dispositif d'encadrement du budget
communautaire pour cette durée, puisqu'elle fixe à la fois le plafond des
ressources mobilisables en pourcentage du PIB et les modalités de financement
du budget communautaire. Elle constitue donc le volet « recettes » du cadre
financier de l'Union, les plafonds de dépenses, appelés « perspectives
financières », ayant été arrêtés dans le cadre de l'accord interinstitutionnel
entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission.
Ce système de financement apporte des garanties contre tout dérapage global du
budget européen. En assurant une maîtrise pluriannuelle du plafond des
ressources propres, il permet un contrôle effectif sur le niveau des recettes
comme sur celui des dépenses, puisque le budget européen ne peut être voté ni
exécuté en déficit.
Le texte qui vous est soumis pour approbation est le résultat de négociations
difficiles, conclues au Conseil européen de Berlin.
Comme vous le savez, la première ligne de partage a opposé les partisans d'une
plus grande équité dans la répartition du fardeau budgétaire - les pays qui
affichent des soldes nets importants, comme l'Allemagne, les Pays-Bas,
l'Autriche et la Suède - aux pays riches de l'Union affichant des soldes nets
moins élevés, à l'image de la France, de l'Italie, du Danemark, de la Finlande,
du Luxembourg et de la Belgique. L'enjeu de la discussion entre ces Etats
membres portait sur la généralisation d'un mécanisme d'écrêtement des soldes
nets s'inspirant de la compensation britannique.
Une deuxième ligne de partage a divisé partisans et adversaires de la
stabilisation des dépenses financées par le budget communautaire.
Enfin, certaines oppositions se sont cristallisées sur l'ampleur des réformes
internes qu'il est nécessaire d'entreprendre dans la perspective de
l'élargissement de l'Union européenne et des négociations commerciales à
l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC.
Finalement, le Conseil européen de Berlin a rendu possible l'adoption d'un
paquet financier pour 2000-2006 permettant le financement de l'élargissement et
des réformes internes, en particulier de la réforme de la politique agricole
commune, la PAC.
Il a également appelé à une réforme à la marge du système des ressources
propres afin de le rendre plus équitable, plus transparent, plus simple aussi.
Les conclusions du Conseil européen précisent que le système doit être fondé
sur des critères qui traduisent au mieux la capacité contributive de chaque
Etat membre.
Sur ces bases, les chefs d'Etat ou de gouvernement ont demandé que la décision
relative aux ressources propres soit modifiée de telle manière que le processus
de ratification puisse être achevé et que la décision entre en vigueur au début
de 2002.
La nouvelle décision « ressources propres » a été adoptée par le Conseil
européen le 29 septembre 2000, sous présidence française, et s'inscrit dans la
continuité du paquet précédent, notamment en ce qu'elle ne crée pas de
nouvelles ressources.
Ainsi, le plafond des ressources propres communautaires est maintenu à 1,27 %
du PNB communautaire, comme c'était le cas, pour la période 1995-2000, du
paquet « Delors II ». Ce montant, nécessaire pour financer les grandes
priorités du budget communautaire, reste donc modéré.
Le premier changement apporté par la décision soumise à votre approbation
concerne les règles relatives à la ressource TVA, qui représente actuellement
42 % des recettes du budget communautaire : son taux d'appel baissera
progressivement, de 1 % aujourd'hui à 0,75 % en 2002 et à 0,5 % à partir de
2004. Cette ressource ne devrait plus financer que 20 % du budget communautaire
à partir de 2004, alors qu'elle en constituait 65 % en 1992.
Les frais de perception sur les ressources propres traditionnelles, qui sont
restitués aux Etats membres, passeront en 2001 de 10 % à 25 %, ce qui
entraînera la diminution du montant des ressources propres traditionnelles
inscrites en partie « recettes » du budget communautaire et se traduira par un
appel supplémentaire à la ressource PNB.
Cette mesure profitera essentiellement aux « petits » Etats, dont la
contribution au budget communautaire est constituée en grande partie par les
ressources propres traditionnelles ; il en va ainsi de la Belgique et des
Pays-Bas, dotés d'installations portuaires très importantes. Les gains retirés
de l'augmentation des frais de perception étant compensés par l'augmentation de
la contribution au titre du PNB, ce sont principalement les grands Etats, dont
la part dans le PNB communautaire est la plus élevée, qui financeront
l'augmentation des frais de perception.
De ce fait, le nouvel équilibre entre les différents types de ressources fait
de la ressource PNB la principale recette du budget communautaire : son poids
devrait passer de 48 % actuellement à près de 70 % à l'horizon de 2004. Le
recours croissant à la ressource PNB contribue à simplifier et à rendre plus
équitable le système des ressources propres, car la définition de son assiette
et de son taux d'appel est nettement plus simple que la détermination de
l'assiette TVA ; en outre, le PNB reflète plus fidèlement la capacité
contributive des Etats membres que ne le faisaient la TVA ou les ressources
propres traditionnelles.
Enfin, la décision qui vous est soumise modifie la répartition du financement
de la contribution britannique.
Je rappelle que la correction britannique, instaurée par le Conseil européen
de Fontainebleau en 1984, consiste en un financement des deux tiers du solde
net négatif du Royaume-Uni par les autres Etats membres. La nouvelle décision «
ressources propres » institue, conformément aux conclusions de Berlin, des
dérogations dans le financement de la contribution britannique : l'Allemagne,
la Suède, l'Autriche et les Pays-Bas ne paieront qu'un quart de la contribution
normalement due. Cet allégement portera mécaniquement le taux de financement de
la correction britannique par la France de 23,5 % dans le système actuel à
environ 31 % à partir de 2002.
Les conclusions du Conseil européen de Berlin prévoient également de
neutraliser l'impact sur la correction britannique des modifications affectant
le montant des contributions nationales : le montant de la correction doit
rester inchangé par rapport à celui qui résulterait de l'application des règles
de calcul définies initialement, lors de la création de la correction
britannique. Le Conseil européen de Berlin a ainsi prévu de compenser l'effet
sur la contribution britannique de l'augmentation des frais de perception sur
les ressources propres traditionnelles ; il prévoit également qu'à chaque
élargissement le montant des dépenses de pré-adhésion des pays candidats
devenus Etats membres soit déduit de la base de calcul de la correction
britannique.
Enfin, l'article 16 du texte prévoit que la Commission remettra, avant le 1er
janvier 2006, un rapport sur le fonctionnement du système des ressources
propres, compte tenu en particulier des effets de l'élargissement sur le
financement du budget de l'Union européenne, y compris un réexamen de la
compensation britannique.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, les principales remarques que je souhaitais faire au
sujet du projet de loi aujourd'hui soumis à votre approbation.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Denis Badré,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nos débats sur le budget européen se
déroulent habituellement en présence du ministre chargé des affaires
européennes, ce qui montre bien que ce budget est européen avant que d'être
budget.
Je le déplore chaque année, insistant sur le fait qu'un budget dont les
dépenses sont votées par le Parlement européen avant que les recettes
nécessaires pour les couvrir soient elles-mêmes adoptées par d'autres
instances, en l'occurrence les parlements nationaux, ne peut avoir de budget
que le nom.
Aujourd'hui, nous débattons avec Mme le secrétaire d'Etat chargé du budget.
Nous y voyons d'abord un geste de courtoisie de sa part, et je veux la
remercier d'avoir accepté de remplacer « au pied levé » son collègue M. Pierre
Moscovici.
J'aimerais aussi pouvoir y déceler le signe qu'enfin nous allons être en
mesure d'aborder les vraies questions, au moment où l'Europe a manifestement
besoin d'un véritable budget.
Dans l'examen auquel je procéderai du projet de loi qui nous est soumis,
j'essaierai de mettre en évidence un certain nombre de vraies questions pour
que les enseignements que nous en tirerons puissent, un jour, permettre à
l'Europe de disposer d'un véritable budget.
M. Jacques Blanc.
Très bien !
M. Denis Badré,
rapporteur.
L'accord de Berlin du 29 septembre 2000, comme tout
compromis, était global, et donc fait de pièces et de morceaux.
J'évoquerai tout d'abord une pièce de choix : la politique agricole commune,
qu'il convenait de sauvegarder dans l'intérêt même de la France. C'est pourquoi
l'accord a rejeté le cofinancement de la PAC, ce début de renationalisation de
la politique agricole commune, et c'est une bonne chose.
Je rappelle que, si la PAC était renationalisée, nous ferions, certes, une
économie de l'ordre de 40 milliards de francs dans le prélèvement opéré sur
notre budget en faveur du budget européen, mais que, la politique agricole
commune rapportant à la France environ 60 milliards de francs, notre solde net
- dont je dénoncerai le principe tout à l'heure, mais que je cite, une fois
n'est pas coutume, pour marquer l'importance de cette politique pour notre pays
- est de 20 milliards de francs.
M. Jacques Blanc.
Méfiez-vous de tels calculs ! Ils sont dangereux !
M. Denis Badré,
rapporteur.
Nous avons donc sauvegardé une « pièce » de choix, la PAC ;
mais nous la payons assez cher, puisque, en contrepartie, nous avons dû
accepter des « morceaux » budgétaires qui coûtent cher à la France et
représentent une régression pour le budget européen, dont je rappelais à
l'instant qu'il ne mérite que de très loin cette dénomination.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui concerne le seul volet
budgétaire. Puisqu'il représente la monnaie d'échange de ce que nous avons
obtenu à propos de la PAC, il est mauvais en soi. En outre, nous l'examinons
isolé du reste de l'accord de Berlin, ce qui est quelque peu gênant. Enfin, il
est compliqué. Nous essaierons néanmoins d'en faire une analyse aussi simple
que possible, mais cependant attentive, afin d'en tirer tous les
enseignements.
Cet accord est coûteux pour la France : notre contribution au budget des
Communautés européennes, je le rappelais le 28 novembre dernier en présentant
l'article 26 du projet de loi de finances pour 2002, augmentera l'année
prochaine de 11,2 %, sachant que 1 milliard d'euros est lié à la seule mise en
oeuvre de l'accord de Berlin, et 300 ou 400 millions d'euros au caractère
inflationniste du budget européen lui-même - mais nous n'évoquerons pas cet
aspect aujourd'hui, car ce n'est pas le sujet.
Le 28 novembre, nous avons voté l'article 26 du projet de loi de finances pour
2002 avant qu'ait été ratifié l'accord de Berlin. Nous marchions sur la tête,
et nous avons travaillé dans le désordre.
M. Hubert Haenel.
Ce n'est pas nouveau !
M. Denis Badré,
rapporteur.
L'article 26 a donc été adopté bien trop tôt, d'abord pour
une raison de logique, puisque nous ne nous étions pas prononcés sur l'accord
de Berlin, ensuite parce que les autorités communautaires, constatant qu'un
certain nombre d'Etats n'avaient pas procédé à la ratification de cet accord,
ont décidé d'en différer la mise en oeuvre, qui aurait dû intervenir le 1er
janvier.
Mes chers collègues, nous avons voté avant de ratifier et, maintenant, on nous
dit que nous avons eu tort de voter ! Nous sommes, là aussi, dans le désordre
total. Toutefois, à quelque chose malheur est bon : si la ratification est
différée d'un an, par exemple, nous dégagerons une « cagnotte » ou, en tout
cas, une marge de manoeuvre de 7 milliards de francs, ce qui n'est pas
négligeable, dans le budget de 2002, avant même qu'il ait commencé à être
exécuté.
L'accord coûte néanmoins cher à la France. Par ailleurs, je le disais en
préambule, il est antieuropéen. Il est en effet question de « ressources
propres » des Communautés européennes. Or je considère que cette dénomination
est impropre, car, de ressources propres, il n'en demeure que très peu dans le
budget européen ! Les seules ressources propres qui restent - et, si elles
étaient essentielles au départ, elles se sont depuis réduites comme peau de
chagrin - ce sont les droits de douane, les cotisations « sucre » et les
prélèvements agricoles.
Ainsi, les droits de douane, démantèlement des frontières oblige, se sont
réduits d'année en année jusqu'à ne représenter plus aujourd'hui que 15 % des
ressources de l'Union européenne.
Les ressources dites « propres » de l'Union ne représentent donc plus que 15 %
de son budget, les 85 % restants étant en fait assurés par les cotisations des
Etats membres de l'Union.
Le fait que le poids des cotisations des Etats membres dans le budget augmente
sans cesse fait rebondir - sans cesse également - le débat pervers sur les
soldes nets. Je suis moi-même « tombé dans le panneau » tout à l'heure, mais
c'est pour mieux souligner maintenant à quel point ce débat est détestable.
Il est également absurde.En effet, d'une part les ressources du budget ne sont
pas affectées en totalité aux Etats puisqu'une partie finance la politique
extérieure et qu'une autre sert à couvrir les frais administratifs. D'autre
part, les crédits affectés dans un Etat ne servent pas que cet Etat. Des
crédits de cohésion destinés, par exemple, au Portugal peuvent être mis en
oeuvre par des entreprises françaises.
Pour toute une série de raisons que je ne développerai pas plus avant ici, ce
débat est donc absurde. Il est par ailleurs antieuropéen ; le «
I want my
money back
» de Mme Thatcher suffit à le rappeler.
J'en viens au contenu de l'accord.
Premier point, les droits de douane, seule véritable ressource propre qui
reste à l'Union, sont mis en cause par l'accord de Berlin.
Les Néerlandais et les Britanniques se plaignaient que leur contribution
pesait trop lourd dans leur budget ; on a voulu leur donner satisfaction, et,
pour ce faire, ayant constaté que le commerce européen transitait par Rotterdam
pour la plus grande part et par la Grande-Bretagne pour les produits venant du
Commonwealth - effet Rotterdam, effet Commonwealth - on n'a rien trouvé de
mieux que de se servir au passage sur les droits de douanes !
On a ainsi décidé de faire passer à 25 % les frais de perception des droits de
douane à Rotterdam ou à l'entrée en Grande-Bretagne. Nous apportons donc une
compensation aux Pays-Bas et à la Grande-Bretagne en réduisant encore les
droits de douane, c'est-à-dire en portant atteinte aux seules ressources
propres qui donnaient une réalité au budget européen.
C'est détestable, et cela ne sert pas l'Europe. C'est un accord de
circonstance destiné à apaiser les revendications de certains Etats membres.
Deuxième point, vous l'avez souligné et je suis d'accord avec vous :
s'agissant du rééquilibrage des cotisations qui, jusqu'à présent, étaient, pour
le principal, assises sur la TVA et dont l'assiette, progressivement, devient
le PNB, il faut savoir si l'on entend faire payer les Etats dans lesquels on
consomme beaucoup ou les Etats qui produisent beaucoup.
Pour la France, le prélèvement sur la TVA vaut un peu mieux, mais pas
beaucoup, car nous consommons beaucoup et nous produisons beaucoup. Mais, au
moins, personne ne peut dire que l'accroissement de la ressource PNB est
inéquitable ! Cela va dans le bon sens. Dès lors que l'on accepte que le budget
européen soit financé par les cotisations des Etats membres, personne ne peut
s'opposer à ce que ces cotisations soient réparties équitablement en fonction
de la richesse de ces derniers. Je n'y vois donc pas d'inconvénient.
Le troisième point, en revanche, est, comme le premier, détestable. Je veux
parler du « chèque » britannique. Non seulement celui-ci est pérennisé, mais,
de plus, comme il faut bien couvrir les dépenses, dès lors que le Royaume-Uni
est exonéré d'une partie de sa contribution, il faut répercuter le manque à
gagner sur les autres Etats membres. Et comme certains protestent parce qu'ils
considèrent aussi qu'ils paient trop, on charge encore plus la barque de ceux
qui ne se sont pas plaints !
On retrouve ainsi le clivage entre les Etats qui souhaitaient voir leur
contribution réduite - le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l'Allemagne, ainsi que
la Suède et l'Autriche, dans une moindre mesure - et les autres, à savoir la
France, l'Italie et, dans une moindre mesure, l'Espagne.
Il est d'ailleurs assez naturel de retrouver, parmi les Etats qui ont ratifié
rapidement cet accord, essentiellement ceux qui en bénéficient et, parmi ceux
qui traînent un peu les pieds, ceux qui n'en bénéficient pas ! Cela me paraît
assez naturel, mais c'est tout de même fâcheux pour l'esprit communautaire, les
retards pour ratifier un tel accord n'étant pas la marque d'un grand
empressement à accorder la priorité, dans chacun de nos Etats, aux sujets
européens. Cela me paraît inquiétant.
Dans ce contexte, je considère, qu'à l'heure où l'euro fiduciaire fait son
apparition dans les poches de tous les ressortissants des onze Etats qui ont
accepté d'entrer dans l'Union économique et monétaire, et où, treize pays
candidats frappent à la porte de l'Union européenne, cette dernière mérite
mieux que cet accord résultant d'un marchandage et d'un rafistolage : l'Europe
a besoin qu'on lui redonne espoir.
Je souhaite donc que la France demande à la convention que présidera M. Valéry
Giscard d'Estaing de se saisir des questions budgétaires, en vue de donner à
l'Europe un budget lisible, démocratiquement construit, démocratiquement
contrôlé, bref, qui soit digne d'elle.
C'est important, et si le débat d'aujourd'hui sert au moins à tirer
solennellement, pour la dernière fois, le signal d'alarme et nous encourage à
aller en ce sens, nous aurons fait oeuvre utile.
La cuisine à quinze est indigeste, la cuisine à vingt-cinq serait immangeable
! Cet accord, c'est de la cuisine : nous n'en voulons plus ! Nous voulons
écarter tout ce qui n'est pas communautaire, et tous les « tripatouillages »,
car nous voulons que l'Europe progresse dans la transparence et dans la dignité
vers des objectifs clairs.
La vigueur avec laquelle je le demande est l'expression du sentiment très
européen qui m'anime : c'est parce que j'aime l'Europe que je me bats pour
qu'elle dispose d'un vrai budget ; c'est parce que j'aime l'Europe que je
m'oppose aux eurosceptiques, à ceux qui, parce que l'Europe ne « marche » pas,
en concluent qu'il faut y mettre un terme. Moi, je dis que, si l'Europe ne
marche pas, eh bien, il faut la faire marcher !
L'enjeu est tellement important qu'il faut tout faire pour y parvenir. C'est
pourquoi je mets tant de passion à dire tout le mal que je pense de cet accord
!
Néanmoins, pour ne pas ouvrir une crise européenne, nous sommes obligés de le
ratifier, d'autant que nous l'avons déjà mis en oeuvre en votant l'article 26
du projet de loi de finances pour 2002.
J'espère cependant que c'est la dernière fois que j'aurai à dire tout le mal
que je pense de l'ensemble de notre système budgétaire. Organisons, enfin, un
vrai débat budgétaire européen donnant à l'Europe un budget lisible et
compréhensible par tous nos concitoyens de l'Union européenne.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et des Républicains
et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Le
Gouvernement nous demande aujourd'hui de ratifier la décision relative au
système des ressources propres des Communautés européennes, qui a été adoptée
le 29 septembre 2000. Cette décision met en oeuvre l'un des points de l'accord
financier issu du Conseil européen qui s'est tenu à Berlin, les 24 et 25 mars
1999.
La ratification d'un accord intergouvernemental européen est une figure de
style : la marge de manoeuvre du Parlement national est des plus réduites,
puisque nous ne pouvons qu'accepter ou refuser en bloc l'accord.
Je ne vais pas laisser planer le suspens plus longtemps et, d'emblée, je vous
confie que je me prononcerai en faveur de la ratification, mais cela ne
m'empêche pas d'être critique sur la manière dont celle-ci nous est
demandée.
Sur le fond, cette décision me paraît être une solution de compromis
acceptable, bien qu'elle ait pour conséquence d'alourdir la contribution de la
France au budget de l'Union européenne.
Elle n'entraîne pas de bouleversement de la structure des ressources propres.
Comme vient de nous l'exposer avec fougue M. Badré, les modifications proposées
consistent dans une hausse des frais de perception des ressources propres
traditionnelles, une baisse de la ressource TVA et une hausse concomitante de
la ressource PNB, enfin, dans un rééquilibrage du financement de la
compensation britannique au profit des principaux contributeurs nets.
La question d'une refonte plus ambitieuse du système des ressources propres
est renvoyée à l'issue de la période des perspectives financières en cours,
c'est-à-dire à 2006.
A Berlin, il s'agissait d'abord de faire face dans l'urgence à une remise en
cause radicale des bases mêmes du financement de l'Union européenne. Emmenés
par l'Allemagne, les principaux pays contributeurs nets exigeaient un
écrêtement généralisé de leurs contributions.
Le compromis finalement retenu consiste à limiter l'écrêtement au financement
de la compensation britannique, qui n'est plus pris en compte qu'à hauteur de
25 % pour l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas et la Suède. La différence est
prise en charge par les autres Etats membres, au premier rang desquels l'Italie
et la France.
Cette solution de fortune a permis de « boucler » les difficiles négociations
du Conseil de Berlin, mais elle présente l'inconvénient de consolider la
compensation britannique, qui est un ver dans le fruit de la solidarité
européenne. De proche en proche, chaque Etat membre risque d'être tenté de
revendiquer un strict retour de sa contribution aux dépenses communes. C'est là
un bien mauvais exemple d'égoïsme insulaire, à un moment où l'Union européenne
s'apprête à faire preuve de générosité en accueillant de nouveaux Etats membres
aux capacités contributives limitées.
M. Denis Badré,
rapporteur.
Ce n'est pas de la générosité !
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Je crois,
madame le secrétaire d'Etat, qu'il ne faut pas hésiter à poser la question du
devenir de la compensation britannique. Elle m'apparaît comme l'héritage d'une
époque révolue de la construction européenne et ne pas avoir vocation à être
pérennisée.
Sur la forme, ce projet de loi de ratification arrive bien tard. Il nous est
présenté, comme l'a souligné M. le rapporteur, après le vote en loi de finances
du montant de la contribution de la France au budget des Communautés
européennes. Le montant de cette contribution inclut les effets de la décision
relative au système des ressources propres, qui a été appliqué par anticipation
au budget pour 2002. Si nous ne voulons pas nous déjuger, nous n'avons pas
d'autre choix que d'en voter aujourd'hui la ratification.
Cette méthode me semble peu respectueuse des droits du Parlement. La décision
ayant été adoptée dès le 29 septembre 2000, il aurait pourtant été facile de
nous demander de nous prononcer dans un ordre plus logique, d'abord sur la
décision, ensuite sur la contribution française au budget communautaire.
Que l'on n'invoque pas les contraintes d'un ordre du jour parlementaire
encombré ! Une fois encore, je constate à regret que le Gouvernement a négligé
la transposition en droit interne ou, en l'occurrence, la ratification d'une
norme communautaire.
La solution que je propose, madame le secrétaire d'Etat, est celle de la
proposition de loi constitutionnelle que le Sénat a adoptée le 14 juin dernier
sur l'initiative de M. Aymeri de Montesquiou. Il s'agirait de réserver une
séance par mois à la transposition des directives communautaires et à
l'autorisation de ratification ou d'approbation des conventions
internationales. Cette règle de procédure simple nous permettrait d'éviter
d'accumuler les retards.
Dans le cas présent, elle aurait évité à la France de se sentir visée par le
paragraphe des conclusions du Conseil européen de Laeken, dans lequel on peut
lire que « le Conseil européen a pris connaissance avec préoccupation du fait
que dans quelques Etats membres la nouvelle décision sur les ressources propres
n'a pas encore été ratifiée ».
Pourtant, même en ratifiant seulement
in extremis
la décision relative
aux ressources propres, la France fait mieux que certains de ses partenaires
européens. D'autres Etats membres s'y sont pris encore plus tardivement et ne
seront pas en mesure de ratifier le texte avant la fin de cette année. C'est le
cas de l'Italie, de l'Espagne, de la Belgique et du Luxembourg.
De ce fait, la décision ne pourra pas entrer en vigueur au 1er janvier 2002
comme prévu. La Commission européenne a dû présenter en urgence, le 6 décembre
dernier, une lettre rectificative au projet de budget communautaire qui
rétablit provisoirement les bases de financement antérieures.
Evidemment, les Etats membres qui devaient réaliser des économies grâce à la
nouvelle décision relative aux ressources propres sont extrêmement mécontents.
C'est en particulier le cas de l'Allemagne, qui, en année pleine, devra verser
717 millions d'euros de plus que si la décision était entrée normalement en
vigueur. Dans les faits, ce dépassement ne devrait porter que sur les premiers
mois de l'année, jusqu'à l'achèvement du processus de ratification, et le
trop-versé devrait être ensuite rétrocédé. Ces mouvements de fonds confus n'en
dénotent pas moins un manque de sérieux étonnant de la part des Etats membres «
fautifs ».
Telles sont, monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, les trois observations que je souhaitais faire sur ce texte.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et des Républicains
et Indépendants. - Jacques Blanc et Philippe Nogrix applaudissent.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique.
- Est autorisée l'approbation de la décision du Conseil de l'Union européenne
relative au système des ressources propres des Communautés européennes, adoptée
à Bruxelles le 29 septembre 2000, et dont le texte est annexé à la présente
loi. »
Je vais mettre aux voix l'article unique du projet de loi.
M. Gérard Miquel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Miquel.
M. Gérard Miquel.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
Conseil européen de Laeken s'est inquiété, il y a trois jours, du retard pris
dans la transposition de la nouvelle décision sur les ressources propres des
Communautés européennes.
Le Sénat examine aujourd'hui le projet de loi de ratification de la décision
visant à réformer le système des ressources propres, prise lors du Conseil
européen de Berlin en mars 1999 et approuvée par le Conseil le 29 septembre
2000.
Les contributions des Etats membres pour le budget communautaire 2002 ont été
ajustées en fonction de la nouvelle répartition qu'implique ce système, mais il
semble qu'en raison du retard pris dans la transposition de cette décision par
les différents parlements nationaux ce système n'entrera pas en vigueur au 1er
janvier 2002.
Le principe de substitution de la ressource PNB à la ressource TVA nous paraît
plus équitable, puisqu'il permet, en particulier, d'améliorer le pourcentage de
restitution des frais de perception aux Etats membres.
Ce nouveau système est toujours fondé sur l'engagement des Etats membres à
maintenir la correction britannique, ristourne obtenue en 1984 par Mme Thatcher
et dont le financement est modifié et réparti différemment entre les Etats
membres. Ainsi, la France contribue désormais à hauteur de 31 % à ce
financement et voit, par conséquent, sa contribution au budget communautaire
augmenter de 11,7 %, cette évolution étant relativisée par la restitution des
frais de perception.
Comme l'a rappelé mon collègue Bernard Angels lors de l'examen de l'article 26
du projet de loi de finances pour 2002, nous ne devons pas oublier que
l'augmentation de la contribution française est le fruit d'un compromis arraché
au Conseil de l'Union européenne, dans le cadre de l'accord global sur les
perspectives financières pour la période 2000-2006. Ce compromis a permis de
préserver la structure de financement de la politique agricole commune, dont
bénéficie très largement la France : c'était pour nous essentiel.
Si nous ne pouvons que nous féliciter du résultat d'un compromis politique
visant à assurer le financement des actions de l'Union européenne, nous nous
interrogeons néanmoins sur la prise en compte de l'élargissement de l'Union et
sur les conséquences de celui-ci pour ce système de ressources propres, somme
toute complexe.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Ça, c'est
sûr !
M. Gérard Miquel.
Il est prévu que ce système sera réexaminé avant le 1er janvier 2006, mais
nous estimons qu'il sera rapidement indispensable d'entamer une réflexion
globale sur le financement futur d'une Union élargie, qui s'annonce difficile.
Il est illusoire de penser que l'élargissement pourra s'effectuer dans de
bonnes conditions sans que soit modifié le plafond des ressources propres,
maintenu à 1,27 % du PNB. Le problème est de concilier le financement des
politiques de l'Union, l'aide aux nouveaux et aux futurs pays candidats et le
respect du principe de solidarité qui fonde l'Union.
La période de réflexion collective qui s'engage aujourd'hui sur l'avenir de
l'Union devra, sur le plan politique, permettre d'envisager des solutions, y
compris, à mon avis, la mise en place progressive d'un budget européen.
Dans cette perspective, le rôle des parlements nationaux doit être considéré
comme essentiel.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Gérard Miquel.
Comment ne pas déplorer, à cet égard, le manque d'association des parlements
nationaux à l'élaboration du budget communautaire ? Ceux-ci, en raison du
calendrier budgétaire européen, n'examinent que les dépenses, et ce en fin de
parcours.
Nous souhaitons vivement que la convention chargée de la réforme des
institutions européennes puis la future conférence intergouvernementale
s'interrogent à propos d'une meilleure participation des parlements nationaux
au choix des options budgétaires, plus particulièrement en amont.
Nous attendons beaucoup de ce nouveau chapitre qui s'ouvre ; il devrait être
riche en débats et permettre de redonner corps et force au projet européen. En
attendant, le groupe socialiste votera ce projet de loi.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jacques Blanc.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc.
Le groupe des Républicains et Indépendants votera lui aussi l'article unique
de ce projet de loi, en regrettant toutefois, au lendemain du sommet de Laeken,
d'être amené à le faire sans véritable enthousiasme.
En effet, nous devrions pouvoir exprimer, à l'instar de M. le rapporteur, une
grande espérance : l'analyse de la situation faite par M. Haenel le
permettrait.
Réjouissons-nous tout d'abord que M. Valéry Giscard d'Estaing ait été nommé
président de la convention sur l'avenir de l'Europe à l'occasion du sommet de
Laeken. C'est là incontestablement un bon choix pour l'Europe, car il s'agit
d'un homme d'expérience, ayant marqué de son empreinte la construction
européenne. Je rappellerai à cet égard qu'il a créé le serpent monétaire
européen, premier système du genre, et su, dans des situations parfois
difficiles, garder foi en l'Europe. Son action au service exclusif de l'avenir
nous permettra de nous dégager d'
a priori
et de problèmes internes, et
de donner un souffle et un élan nouveaux à l'Europe.
Dans cette marche en avant, méfions-nous des mots, auxquels on donne souvent
des définitions différentes. Ainsi, ne parlons pas à la légère de constitution,
de structure fédérale, car nous risquons de nous opposer inutilement.
Quoi qu'il en soit, espérons que le problème budgétaire sera traité autrement
qu'au détour de l'examen d'une autre question, et que le Parlement français,
comme les autres parlements nationaux et le Parlement européen, pourra donner à
ce débat une dimension positive, sans se fermer sur lui-même.
A ce propos, que l'on me permette de rêver, par exemple, à une meilleure
association du comité des régions de l'Union européenne au processus. En effet,
il existe un manque très net en matière de communication européenne.
Peut-être contribuons-nous d'ailleurs nous aussi, ce soir, à jeter davantage
encore le doute sur la construction européenne par nos réticences à voter ce
projet de loi. Nous adopterons celui-ci pour éviter une rupture, en espérant
néanmoins que, demain, dans ce monde qui nous effraie, mais qui s'impose à nous
- on peut ouvrir tous les débats que l'on veut sur la mondialisation, mais elle
est une réalité - l'Europe sera capable, même à vingt-cinq Etats membres, de
créer une dynamique très forte autour de nos valeurs fondamentales. Il s'agit
d'un débat de fond : notre société a besoin d'un supplément d'âme, et l'Europe
peut le lui apporter. La jeunesse de ce pays doit avoir conscience des
perspectives qui s'offrent à elle.
Bien entendu, mon propos peut paraître décalé au regard de la modicité des
crédits prévus, qui atteignent quelque 10 milliards de francs.
M. Denis Badré,
rapporteur.
Ce n'est déjà pas mal !
M. Jacques Blanc.
Certes, mais cessons de compter et considérons la réalité des chances de
l'Europe.
M. le rapporteur a évoqué une éventuelle renationalisation de la politique
agricole commune. J'espère que cela ne se produira pas : l'Europe - il nous
appartiendra d'insister sur ce point - aura besoin de ressources
supplémentaires pour réussir l'élargissement, et il ne s'agit pas de remettre
en cause des politiques auxquelles nous tenons. Si la PAC doit certes évoluer,
il conviendra de sauvegarder les atouts de notre agriculture, sauf à pouvoir
instaurer - ce que je souhaite - des prix permettant de rémunérer vraiment le
travail des agriculteurs.
L'Europe devra, en outre, continuer à promouvoir les zones rurales par le
biais de l'objectif 2, l'objectif 5 b ayant été, hélas ! supprimé.
Dégager des ressources sera nécessaire pour poursuivre l'application des
politiques déjà mises en oeuvres et répondre aux attentes des futurs Etats
membres de l'Union européenne.
Les enjeux sont très élevés. Espérons que la Convention sera à leur hauteur :
à cet égard, je remercie M. le Président de la République française de s'être
battu pour que M. Valéry Giscard d'Estaing préside cette dernière.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
M. le président.
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.