SEANCE DU 10 DECEMBRE 2001
M. le président.
« Art. 53
bis
. - L'article 986 du code général des impôts est ainsi
rétabli :
«
Art. 986
. - I. - Les transactions sur devises, au comptant ou à
terme, sont soumises à une taxe assise sur leur montant brut.
« Sont exonérées de cette taxe les opérations afférentes :
« - aux acquisitions ou livraisons intracommunautaires ;
« - aux exportations ou importations effectives de biens et de services ;
« - aux investissements directs au sens du décret n° 89 938 du 29 décembre
1989 réglementant les relations financières avec l'étranger, qu'ils soient
étrangers en France ou français à l'étranger ;
« - aux opérations de change réalisées pour leur propre compte par les
personnes physiques dont le montant est inférieur à 75 000 EUR.
« La taxe est due par les établissements de crédit, les institutions et les
services mentionnés à l'article L. 518-1 du code monétaire et financier, les
entreprises d'investissement visées à l'article L. 531-4 du même code et par
les personnes physiques ou morales visées à l'article L. 520-1 du même code.
Elle n'est pas due par la Banque de France et par le Trésor public.
« II. - La taxe est établie, liquidée et recouvrée sous les mêmes garanties et
sanctions que le prélèvement mentionné à l'article 125 A.
« III. - Le taux de la taxe est fixé par décret en Conseil d'Etat, dans la
limite maximum de 0,1 % du montant des transactions visé au I.
« IV. - Le décret mentionné ci dessus prend effet à la date à laquelle les
Etats membres de la Communauté européenne auront dû achever l'intégration dans
leur droit interne des mesures arrêtées par le Conseil prévoyant
l'instauration, dans l'ensemble des Etats membres, d'une taxe sur les
transactions sur devises, et au plus tôt le 1er janvier 2003. »
L'amendement n° II-98, présenté par M. Marini, au nom de la commission des
finances, est ainsi libellé :
« Supprimer l'article 53
bis
. »
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
On ne sera pas surpris que la commission souhaite la
suppression de l'article 53
bis
nouveau.
Issu d'un amendement de l'Assemblée nationale, cet article prévoit la mise en
oeuvre d'une taxe virtuelle sur les transactions en devises, qui n'entrerait en
vigueur qu'après que les autres pays de l'Union européenne auront fait de même.
C'est la première fois, à ma connaissance, que dans notre législation, on ose
insérer un dispositif de cette nature.
A de nombreuses reprises, nous avons débattu au sein du Sénat de ce qu'il est
convenu d'appeler « la taxe Tobin », bien que le professeur Tobin soit
aujourd'hui très choqué qu'on utilise son nom pour une cause aussi douteuse.
A la vérité, vouloir prélever une ressource fiscale sur les mouvements de
capitaux internationaux ne permet pas d'atteindre les objectifs que l'on
prétend viser. Un tel dispositif est assurément inapplicable, comme beaucoup en
ont fait la démonstration. A supposer même qu'il prenne place à l'échelle de
l'Union européenne, celle-ci se trouverait dans une position fausse par rapport
à bien d'autres places financières qui existent de par le monde et qui ne se
donneraient pas une telle discipline illusoire.
Madame le secrétaire d'Etat, la commission s'étonne vraiment qu'au détour d'un
débat parlementaire, on aboutisse à un tel texte. Certes, il y a des
contradictions politiques qui relèvent de la politique politicienne, de la
gesticulation dominicale, mais véritablement, en arriver à abandonner à ce
point le sens des responsabilités est étonnant ! Certains, manifestement,
préfèrent en rester à une utopie qu'ils estiment populaire, tout en sachant
très bien que leurs préconisations sont, dès l'instant où ils les prononcent,
vouées à l'échec.
Madame le sécrétaire d'Etat, la commission propose de supprimer cet article
inapplicable. Ce faisant, elle a le sentiment d'aller dans le sens que tous les
gens raisonnables - dont vous êtes -, ont emprunté sur pareil sujet.
Il me suffit, au demeurant, de me reporter à vos déclarations publiées au
Journal officiel, Débats de l'Assemblée nationale -
du 19 novembre 2001,
pour y lire des jugements qui paraissent frappés au coin du bon sens.
Vous avez dit très aimablement aux concepteurs de cette taxe virtuelle : « Cet
amendement n'évite pas certains écueils qui, qu'on le veuille ou non, jalonnent
cette route (...). Néanmoins, vous savez que des entreprises peuvent
parfaitement se livrer entre elles, notamment au sein d'un groupe, à des
opérations financières spéculatives et, cela, sans passer par le truchement
d'une banque. Faute d'y pourvoir, les transactions visées déplaceront donc vers
ces canaux ». Vous évoquiez là la difficulté de définir une assiette pour une
telle taxe concernant les transactions en devises. « En bref, ajoutiez-vous
plus loin, le jugement sur la faisabilité de la taxe sur les transactions en
devises reste à porter et un pays ne peut guère le porter tout seul. » De ce
point de vue, déclariez-vous en conclusion, il aurait peut-être été préférable
que votre assemblée, comme elle l'a déjà fait sur des questions fiscales de
portée européenne, débatte d'une résolution. Cela serait le vecteur le mieux
adapté. D'autres parlements d'ailleurs ont procédé de la sorte. »
Madame le secrétaire d'Etat, il est clair que le Sénat ne peut souscrire au
dispositif voté par la majorité de l'Assemblée nationale. Il est, à notre sens,
toujours grave de manier l'illusion, de faire de fausses promesses, même et
surtout à ses amis ! En effet, un jour viendra où lesdits amis vous le feront
payer parce que vous les aurez déçus.
Pour vous aider,...
M. Jean Chérioux.
En toute amitié !
(Sourires.)
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Pour vous protéger !
(Nouveaux sourires.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
... compte tenu du bon climat de nos relations, et
pour vous protéger, en effet, contre certaines amitiés parfois envahissantes,
la commission des finances propose la suppression de l'article 53
bis.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je ne sais si je dois me prononcer sur l'amendement n°
II-98 ou sur le commentaire que vient d'en faire M. le rapporteur général.
Peut-être me livrerai-je à ces deux exercices, monsieur le président, si vous
m'y autorisez.
(Sourires.)
Le Gouvernement n'est pas favorable à l'amendement n° II-98. L'introduction
d'une taxe sur les transactions en devises a donné lieu, depuis plusieurs
années, à des débats approfondis qui ont, cette année, abouti à l'adoption de
son principe par l'Assemblée nationale. Tel est l'objet de l'article 53
bis
que vous souhaitez supprimer, monsieur le rapporteur général.
Je constate que les objectifs de la mesure prévue à l'article 53
bis
sont bien ceux que s'est fixés le Gouvernement par le biais de la négociation
internationale. Il s'agit de contribuer à la régulation et à la transparence
des mouvements de capitaux ainsi qu'à l'encadrement des effets de la
globalisation. Ce sont des sujets majeurs qui imposent à chaque pays d'arrêter
une position claire, sans ambiguïté.
Certes, le jugement sur la faisabilité d'une telle taxe reste à « porter »,
dirais-je, pour reprendre une citation de citation, et, comme j'ai eu
l'occasion de le dire à l'Assemblée nationale, un pays ne peut guère le «
porter » seul. C'est pourquoi l'Assemblée nationale a subordonné son entrée en
vigueur en France à son adoption par l'ensemble des pays membres de l'Union
européenne.
Monsieur le rapporteur général, vous m'avez fait l'honneur de citer mes
propos, notamment sur les questions liées aux difficultés techniques et
économiques que présenterait la mise en oeuvre de cette taxe. Je ne renie
nullement ces citations car elles sont fidèles. Mais elles sont incomplètes. En
effet, dans ce même débat, j'ai dit que ce gouvernement choisissait son camp,
qui est celui de la régulation et de la transparence de la mondialisation.
Le fait que l'adoption d'une taxe sur les transactions en devises n'apporte
pas la contribution la plus utile et la plus immédiate à ces buts est
indiscutable. Je discute en revanche la diatribe que je lis dans votre rapport
et vos remarques à l'instant sur l'attitude ambiguë du Gouvernement qui se
fonderait uniquement sur des calculspartisans.
En fait, monsieur le rapporteur général, je ne sais pas s'il vaut mieux se
prémunir de vos leçons ou d'une taxe, quelle qu'elle soit. Habituellement, vos
critiques sont légitimes, en l'occurrence elles travestissent les efforts et
les actions concrètes qui ont été menées pendant toute une législature.
Ces dispositions seraient plus compréhensibles si elles étaient accompagnées
de propositions à la hauteur de l'enjeu international auquel nous devons faire
face ensemble. En définitive, je crois que la mesure qui est retenue à
l'article 53
bis
est intéressante.
Le Gouvernement n'avait pas caché sa préférence pour l'adoption d'une
résolution plutôt que d'un texte. Mais je crois que l'article 53
bis
,
tel qu'il est rédigé, permet de bien formuler la position de la France.
Dans ces conditions, mesdames, messieurs les sénateurs, vous comprendrez que
je ne puis être favorable à cet amendement de suppression de l'article 53
bis,
dont je souhaiterais le retrait.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° II-98.
M. Jean Chérioux.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Monsieur le président, je voterai cet amendement si bien défendu par notre
rapporteur général qui a bien montré qu'il n'était pas en contradiction totale
avec le Gouvernement.
Votre propos m'a quelque peu étonné, madame le secrétaire d'Etat : vous avez
semblé choquée que, dans son rapport, notre rapporteur général ait dit que vous
aviez pris cette position dans un esprit partisan. Cela me choque parce que
vous avez vous-même déclaré que vous aviez pris cette décision parce que vous
aviez choisi votre camp. Quand on choisit son camp, on choisit son parti et
donc on est partisan !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Je crois, madame la secrétaire
d'Etat, que nous n'avons pas à nous accuser mutuellement de bassesses
partisanes. La richesse de notre démocratie tient au fait que nous ne soyons
pas tous d'accord. Rien ne serait pire pour nos compatriotes.
En la circonstance - je reprends votre expression - vous « choisissez votre
camp ». Il est bon que les Français sachent le camp dans lequel vous êtes
aujourd'hui vous et vos alliés. Il est bon qu'ils sachent ce que vous souhaitez
pour la France, ce que vous leur proposerez dans quelques mois.
Il faut qu'ils sachent que vous voulez maintenir l'orientation législative que
vous défendez ce soir, à laquelle vous n'êtes pas contrainte, comme en témoigne
le sentiment de fierté que vous avez paru éprouver il y a un instant.
Or, madame la secrétaire d'Etat, le texte est inopportun. Comme le rapporteur
général l'a dit admirablement, il faudrait, pour avancer sur un tel sujet, que
le Gouvernement prenne ses responsabilités, dialogue avec ses homologues et
qu'une disposition générale puisse être adoptée.
A cela s'ajoute le fait, madame la secrétaire d'Etat, que, une fois encore, le
Gouvernement s'en est rapporté à sa majorité pour avancer sur un sujet grave.
Je m'en inquiète.
Le rôle d'un Gouvernement sur des sujets importants, c'est d'assumer
pleinement ses responsabilités, ce n'est pas de laisser adopter par l'Assemblée
nationale un dispositif plus ou moins bien organisé et dont on se dit qu'il ne
survivra sans doute pas ou qu'il n'est pas nocif parce qu'il est inapplicable.
Légiférer de cette manière n'est pas à l'honneur de la France.
Mais la représentation nationale a-t-elle le droit de bavarder ainsi en
élaborant des normes d'un si pitoyable niveau ?
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Que nous voulions critiquer la
taxe d'un point de vue politique, c'est notre affaire, et je sais que vous
acceptez de l'entendre ! Mais nous sommes fondés à discuter la manière dont
cette norme s'élabore.
Madame la secrétaire d'Etat, pour être franc, sur nombre de sujets, nous
pouvons sinon vous soutenir, du moins faire en sorte de ne pas entraver votre
marche. Sur ce sujet en revanche, nous avons le sentiment de faire tout pour
vous éviter une grande erreur.
(Très bien ! Et applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° II-98, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 53
bis
est supprimé.
Article additionnel après l'article 53 bis