SEANCE DU 10 DECEMBRE 2001
M. le président.
Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant
les budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération.
Je suis heureux de saluer, au nom du Sénat, la présence, au côté de Mme
Marylise Lebranchu, garde des sceaux, ministre de la justice, du général Douin,
grand chancelier de l'ordre national de la Légion d'honneur, et du général
Simon, chancelier de l'ordre de la Libération.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Pierre Demerliat,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame la
garde des sceaux, monsieur le grand chancelier, monsieur le chancelier, mes
chers collègues, le budget annexe de la Légion d'honneur retrace les moyens
affectés à la grande chancellerie et aux maisons d'éducation recevant les
filles, les petites-filles et les arrière-petites-filles des membres de l'ordre
de la Légion d'honneur et de l'ordre national du Mérite.
En 2002, le montant des recettes et des dépenses de ce budget annexe, en
diminution de 3,15 %, s'établira à 17,91 millions d'euros, soit 117,47 millions
de francs. Cette baisse des crédits résulte principalement de la diminution de
60 % des crédits de paiement afférents aux opérations en capital des maisons
d'éducation, dotés de 648 000 euros. Elle reflète l'aboutissement de gros
travaux entrepris depuis déjà plusieurs années, notamment la restauration du
cloître de la maison de Saint-Denis.
Je me limiterai à cette courte présentation chiffrée, en vous renvoyant, pour
plus de détails, à mon rapport écrit, pour mieux insister sur mes principales
observations.
Certes, les crédits du budget annexe de la Légion d'honneur sont en légère
diminution, mais je me satisfais que cela n'affecte ni ses moyens de
fonctionnement ni le bon aboutissement des travaux de restauration et
d'entretien des bâtiments, relevant de sa responsabilité.
Dans cet ordre d'idée, j'approuve l'intégration par décret, au sein du budget
annexe, du musée national de la Légion d'honneur ; elle permettra l'utilisation
de sa trésorerie « dormante » pour réaliser les travaux nécessités par son état
de vétusté. Si je me félicite de cette initiative, je regrette que ces travaux
n'aient pu être entrepris à temps pour être achevés avant les cérémonies du
bicentenaire.
Ce même décret a également élargi le recrutement des élèves des maisons
d'éducation aux arrière-petites-filles des membres de l'ordre de la Légion
d'honneur ainsi qu'aux petites-filles et arrière-petites-filles des membres de
l'ordre national du Mérite. J'apprécie tout particulièrement la qualité de
l'enseignement dispensé dans ces établissements, qui est attestée par
l'excellence des résultats obtenus au baccalauréat, avec un taux de réussite de
96 %.
Je relève avec satisfaction que la proportion de femmes dans les derniers
contingents de nomination est maintenue aux alentours de 25 % pour la Légion
d'honneur et de 30 % pour le Mérite. Je me félicite également que, à l'occasion
de l'hommage rendu, le 25 septembre dernier, aux Harkis, cent vingt d'entre eux
aient été nommés ou promus et que cinq femmes aient été distinguées à cette
occasion.
L'ordre de la Légion d'honneur, institué par Bonaparte le 19 mai 1802,
célébrera l'an prochain son bicentenaire ; de nombreuses manifestations sont
prévues. J'espère que l'ensemble des travaux lancés pour restaurer le palais de
Salm seront terminés à temps.
J'en viens à présent à l'examen des crédits relatifs au budget annexe de
l'ordre de la Libération. La chancellerie est chargée d'en assurer la gestion
et d'apporter, éventuellement, des secours aux Compagnons et à leurs
familles.
Au 3 octobre 2001, l'Ordre comptait cent trente-six compagnons de la
Libération, ainsi que cinq mille sept cents médaillés de la Résistance.
La subvention du budget général, seule ressource de ce budget annexe,
s'établit, en 2002, à 773 185 euros, soit 5,07 millions de francs, en baisse de
8 %, ce qui représente 66 749 euros. Cette diminution marque la fin du
financement, sur trois exercices, des travaux de mise en conformité de
l'installation électrique de la chancellerie. En 2002, il sera toutefois
attribué, au titre de l'investissement, 137 000 euros pour la réfection du
réseau de communication.
Je me limiterai, là encore, à cette présentation sommaire pour conclure sur
deux observations.
D'abord, j'apprécie que la réfection totale de la distribution électrique,
indispensable à la sécurité du bâtiment abritant la chancellerie, voie son
aboutissement en 2002.
Ensuite, je vous rappelle que l'adoption, en 1999, de la loi créant le Conseil
national des communes « Compagnons de la Libération » permettra de pérenniser
l'ordre de la Libération par l'institution d'un établissement public à
caractère administratif, lorsque l'Ordre ne comptera plus le nombre de
Compagnons de la Libération nécessaire à son fonctionnement. Ce choix repose
sur le souci de fonder l'avenir de l'Ordre sur les seuls compagnons permanents
: les cinq communes de Grenoble, Nantes, Paris, l'île-de-Sein et
Vassieux-en-Vercors.
Bien évidemment, je me réjouis avec vous que la mémoire et les traditions de
l'Ordre soient ainsi sauvegardées.
Ces observations étant faites, la commission des finances, suivant la
proposition de son rapporteur spécial, vous invite à adopter les crédits
concernant ces deux budgets annexes.
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le grand
chancelier, monsieur le chancelier, mes chers collègues, les crédits des
budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération sont en
baisse. Or, dans tous ceux qui nous ont été soumis jusqu'à présent, peu
subissent une telle diminution. La Légion d'honneur serait-elle dévalorisée, ou
méprisée, ou tout simplement devenue une espèce d'institution vieillissante,
archaïque au point de tomber en désuétude ? On peut d'autant plus s'interroger
que ce budget annexe avait déjà vu ses crédits diminuer de 2,12 % en 2001.
Je voudrais rassurer ceux de mes collègues, et ils sont nombreux, qui se font
un devoir de faire accéder à l'Ordre nos compatriotes pour « mérites éminents »
ou « services rendus au pays ». Non, la Légion d'honneur n'est pas morte. Oui,
elle n'a jamais été aussi jeune, si j'en juge à l'attrait, à la fascination
qu'elle exerce sur tant de nos concitoyens, grands ou petits de ce monde. Et
pourtant, la Légion d'honneur aura deux cents ans l'an prochain. Pour son
bicentenaire, on aurait pu, madame la ministre, se montrer moins chiche !
Comme l'a rappelé notre rapporteur spécial, M. Jean-Pierre Demerliat, elle est
née de la loi du 29 floréal an X - ou 19 mai 1802 - portant création de la
Légion d'honneur.
Je vous rappelle les termes de l'article 1er de cette loi : « En exécution de
l'article 87 de la Constitution concernant les récompenses militaires et pour
récompenser aussi les services et les vertus civils, il sera formé une Légion
d'honneur. » Je pense que c'est le seul article d'une loi votée il y a cent
quatre-vingt-dix-neuf ans qui soit toujours appliqué !
Pour Maurice Druon, grand officier de la Légion d'honneur, la Légion d'honneur
est « la France parce que, depuis près de deux siècles, à travers tous les
régimes, elle rassemble ceux qui ont contribué à sa grandeur, que ce soit sur
les champs de bataille ou dans la diversité des lettres, des arts, de la
découverte, ou par le service de l'Etat, ou par une contribution remarquable à
la prospérité du pays, ou par le dévouement aux grandes causes humaines. »
La Légion d'honneur est la France. Elle ne vieillit donc pas et, bien entendu,
pour reprendre le mot fameux du général de Gaulle, à qui l'on présentait une
proposition de Légion d'honneur : « On ne décore pas la France. » Reste à
s'entendre sur la nature même de la France.
La France est riche de « mérites reconnus », qui sont d'ailleurs en baisse
régulière, puisque en 1962, « la France », donc, comptait 300 000 membres,
contre 125 000 à 130 000 membres aujourd'hui, effectif fixé par le code de la
Légion d'honneur.
Dans de telles conditions, on peut expliquer qu'il y ait une certaine
stabilité des crédits pour le fonctionnement de l'administration centrale de la
grande chancellerie, d'autant plus que le montant des traitements de la Légion
d'honneur, comme celui de la médaille militaire, ne sera pas augmenté, soit
respectivement 375 101 euros pour la Légion d'honneur et 868 121 euros pour la
médaille militaire.
Les secours accordés par la grande chancellerie ne varient guère, la dotation
restant stable depuis des années pour s'établir à 52 730 euros, soit un peu
plus de 600 euros en moyenne par dossier pour 2000.
On peut s'interroger sur l'opportunité de la dissolution de l'établissement
public administratif gérant le musée national de la Légion d'honneur. Cela
étant, les crédits immobiliers serviront à réaliser les travaux tant attendus
pour remédier à la vétusté du musée. On peut donc l'admettre, comme le fait
notre rapporteur spécial.
Notons également que le poste des pensions et trousseaux des élèves des
maisons d'éducation - frais acquittés par les familles, donc inscrits en
recettes - suit et même dépasse très largement le coût de la vie, avec 1 051
222 euros, en augmentation de 11,6 %. Les dépenses d'alimentation, inscrites en
dépenses, sont en augmentation de 6,7 % pour les 1 029 élèves enregistrés pour
l'année en cours.
Napoléon Ier, en décrétant l'instauration des maisons impériales pour les
filles des légionnaires, dont la première fut ouverte en 1807 dans le château
d'Ecouen, n'avait pas prévu qu'elles pourraient accueillir aussi les
arrière-petites-filles de légionnaires ! C'est chose faite cette année.
Aujourd'hui, il s'agit des maisons des Loges et de Saint-Denis, la maison
d'Ecouen ayant fait place au musée de la Renaissance.
Je voudrais me féliciter, comme l'a fait le rapporteur, que la proportion de
femmes dans les promotions atteigne 25 %. Cela change des 0,20 % de 1851 ou des
huit femmes promues en 1912 - chiffres qui permettent de juger de l'évolution !
Mais je rappellerai, madame la garde des sceaux, que nous représentons, nous
les femmes, 50 % de la population, et que nous avons autant de mérites à faire
reconnaître que les hommes. A quand 50 % de femmes dans les promotions, madame
la garde des sceaux ?
Ce point ne fera pas obstacle au principe du vote positif du groupe communiste
républicain et citoyen, qui, sans vouer un culte suprême à la médaille, sait
reconnaître les mérites des meilleurs - même si ce sont encore, en majorité,
des hommes.
De même, nous voterons en faveur du budget annexe de l'ordre de la Libération,
dont les dépenses sont en hausse de 1,55 % du fait de la revalorisation des
rémunérations publiques, et les recettes en investissement, c'est-à-dire la
subvention du budget général, en baisse de 8 %, les principaux travaux ayant
été réalisés.
Je rappelle que cet ordre n'est plus décerné depuis 1946 et que les Compagnons
en vie sont aujourd'hui moins de 150. Les grands mérites liés à la Libération
de la France continuant d'être reconnus le groupe communiste républicain et
citoyen pourra émettre un vote positif.
Pour conclure, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues,
nous voudrions accorder une pensée à un Compagnon qui vient de disparaître, le
général de Bénouville, dont se souviennent nombre de nos collègues. Le Sénat
unanime s'associera à cette pensée émue et reconnaissante, je n'en doute pas,
monsieur le président.
(M. Othily applaudit.)
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président, monsieur
le grand chancelier de l'ordre de la Légion d'honneur, monsieur le chancelier
de l'ordre de la Libération, mesdames, messieurs les sénateurs, après l'exposé
très complet de M. Demerliat, je souhaite seulement insister sur quelques
évolutions significatives des deux budgets annexes pour 2002.
Concernant tout d'abord l'ordre de la Légion d'honneur, les ressources du
budget annexe sont en hausse, s'établissant à 17,9 millions d'euros, soit 117
millions de francs. En effet, la subvention versée par l'intermédiaire du
budget du ministère de la justice s'élève à 16,5 millions d'euros, soit 108
millions de francs, ce qui représente une progression de 0,45 %, et les
diverses ressources propres de l'Ordre augmentent de 8,2 %, à 1,4 million
d'euros, soit 9 millions de francs. En revanche, les dépenses du budget annexe
sont en baisse de 3,2 %.
Cette évolution, en apparence contradictoire avec celle des recettes, madame
la sénatrice s'explique par le fait qu'en 2001 certaines dépenses d'équipement
à caractère exceptionnel avaient été autofinancées par une reprise de provision
: il s'agissait notamment de la rénovation du cloître de la maison d'éducation
de la Légion d'honneur de Saint-Denis.
Les crédits de fonctionnement sont en hausse de 2,3 %. Ils permettront de
financer, outre le fonctionnement courant de la grande chancellerie et des
maisons d'éducation, d'une part, les secours accordés aux membres des ordres
nationaux et à leurs familles et, d'autre part, les traitements, d'un montant
symbolique, des membres de l'ordre de la Légion d'honneur et des médaillés
militaires. La dotation budgétaire réservée à cet effet suit bien évidemment
l'évolution des nominations et des promotions, qui ont concerné près de 14 000
personnes en 2000, dont un nombre croissant de femmes - même si, je vous
l'accorde, madame la sénatrice, il n'y en a pas encore assez ; mais j'espère
que tout un chacun fera l'effort de faire progresser leur part !
Par ailleurs, 350 000 francs, soit 53 000 euros, sont prévus pour faire face
aux dépenses liées à la célébration en 2002 du bicentenaire de l'ordre de la
Légion d'honneur. Le budget annexe ne supportera heureusement qu'une faible
part du coût des différentes manifestations.
Il conviendra néanmoins de surveiller attentivement le niveau réel des
dépenses, afin qu'un abondement puisse, si nécessaire, être accordé au budget
annexe en cours d'exercice : vous voyez que nous sommes vigilants à cette
évolution possible, sinon probable !
Concernant maintenant l'ordre de la Libération, la subvention budgétaire, qui
est la seule ressource du budget annexe, sera de 773 000 euros en 2002, soit
5,1 millions de francs. Elle est en baisse par rapport à 2001, mais, comme pour
l'ordre de la Légion d'honneur, cette évolution résulte uniquement de
l'achèvement d'un cycle de travaux d'équipement.
Les crédits ouverts seront utilisés, pour 3 millions de francs, à la
rémunération des personnels de la chancellerie - treize personnes -, pour 409
000 francs, aux secours accordés aux Compagnons de la Libération et aux
médaillés de la Résistance, le reste allant à des dépenses de fonctionnement et
travaux divers.
Ce budget permettra d'assurer la gestion de l'Ordre, qui compte aujourd'hui
136 Compagnons de la Libération et 5 700 médaillés de la Résistance. Je vous
rappelle que la loi du 26 mai 1999 a garanti la pérennité de l'ordre de la
Libération en prévoyant la création, à terme, d'un établissement public
administratif, le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération »,
placé sous la tutelle du garde des sceaux.
Au total, les projets de budgets annexes pour 2002 dont le vote est proposé à
votre assemblée permettront à l'ordre de la Libération et à l'ordre de la
Légion d'honneur de remplir leurs missions institutionnelles respectives dans
les meilleures conditions.
Je vous remercie de la qualité des propos qui ont été prononcés à cette
tribune.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant les budgets
annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération et figurant aux
articles 33 et 34.
LÉGION D'HONNEUR