SEANCE DU 1ER DECEMBRE 2001
M. le président.
Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant
la culture.
J'indique au Sénat que, pour cette discussion, sur proposition de la
commission des finances, la conférence des présidents a opté pour la formule
expérimentée l'an dernier et fondée sur le principe d'une réponse immédiate du
Gouvernement aux différents intervenants, rapporteurs ou orateurs des
groupes.
Ainsi, Mme le ministre répondra immédiatement et successivement au rapporteur
spécial, puis aux deux rapporteurs pour avis et, enfin, à chaque orateur des
groupes.
Ces réponses successives se substitueront à la réponse unique en fin de
discussion.
Chacune des questions des orateurs des groupes ne devant pas dépasser cinq
minutes, le Gouvernement répondra en trois minutes à chaque orateur, ce dernier
disposant d'un droit de réplique de deux minutes maximum.
Pour assurer la réussite de cette formule, et donner un caractère vivant à
notre séance, je compte sur chacun des intervenants pour respecter à la fois
l'esprit de la procédure et les temps de parole.
M. Jack Ralite.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite.
Monsieur le président, je considère qu'un budget n'est pas un exercice
comptable où accrocher sa revendication.
Un budget est la traduction d'un sens, d'une pensée, et le débat sur le budget
un dialogue sur ce sens à partir d'un point de vue.
Or, à se limiter au questionnement, on abîme la pensée de l'autre - la vôtre,
madame la ministre - que l'on morcelle, on abîme sa propre pensée, que l'on
bloque dans son élaboration personnelle, on réduit sa démarche à une question
qui empêche toute élaboration intérieure.
Ce procédé aboutit à une économie de pensée - alors qu'on a tant besoin de
pensée ! - et ne va donc pas, me semble-t-il, avec la procédure délibérative :
on a alors seulement droit à une pensée réactive. C'est en vérité du
management
. Ce n'est pas de la politique. Le Parlement délibère, et par
le seul recours au questionnement, nous doublons, voire triplons les questions
d'actualité, les questions orales. Mais nous n'allons pas au fond des
choses.
On s'y efforcera tout de même, mais je regrette profondément cette
initiative.
M. le président.
Mon cher collègue, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
Je dois rappeler que le choix de cette procédure innovante pour la discussion
du budget de la culture a été présenté à la conférence des présidents, qui l'a
adopté à l'unanimité.
Mme Nelly Olin.
Voilà !
M. le président.
Par ailleurs, vous le savez, les inscriptions des orateurs sur les titres sont
toujours possibles, ainsi que, bien entendu, les explications de vote sur les
crédits.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
Je souhaite donner rendez-vous à
notre collègue, l'ancien ministre Jack Ralite, à la fin de nos débats, car
vraisemblablement il partagera alors la proposition faite à la conférence des
présidents et approuvée à l'unanimité.
En effet, il s'agit de dialoguer. Dialoguer, cela veut dire s'écouter, cela
veut dire se poser des questions, cela veut dire y répondre.
Depuis des décennies, nous regrettions que la deuxième partie de la loi de
finances finisse par n'être qu'une succession de discours du ministre, des
rapporteurs, des collègues, sans que jamais il y ait d'échange, et je remercie
Mme la ministre d'avoir accepté cette formule.
Nous abordons le premier fascicule budgétaire expérimental de cette année.
Deux expériences ont été menées l'année dernière, et M. Jacques Valade,
aujourd'hui président de la commission des affaires culturelles, pourra en
porter témoignage, car il était à votre place, monsieur le président. Comme
vous le ferez dans un instant, il a contribué au bon déroulement de ces
travaux.
Monsieur Ralite, le souhait que la commission des finances a émis vise
précisément à atteindre l'objectif que vous avez indiqué tout à l'heure.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Yann Gaillard,
rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
J'essaierai de jouer le jeu, et
j'annonce tout de suite à Mme la ministre que mes questions porteront sur les
instruments de mesure comptable au sein du ministère et dans les établissements
culturels, sur les 35 heures, sur la résorption des emplois précaires et,
enfin, sur la sous-consommation des crédits d'investissement et le recyclage
des crédits de paiement non consommés, question qui pose des problèmes de
principe budgétaire et qui a inspiré le vote négatif de la commission des
finances sur le budget de la culture pour la première fois depuis des
années.
On ne peut pourtant nier que ce budget soit d'apparence flatteuse. Bien que
non prioritaire aux yeux du Gouvernement, il n'en croît pas moins de 2 %, à
périmètre constant ; le fameux 1 % du budget de l'Etat consacré à la culture
serait enfin atteint cette année.
On sait que la progression réelle vers cet objectif a été difficile à mesurer,
tant le ministère, au cours des dernières années, a varié dans son périmètre et
ses attributions. On verra ce qu'il en est au moment de la loi de règlement,
sachant que, d'après les calculs auxquels se sont livrés les services de la
commission des finances, en liaison avec la direction du budget, on n'en était
qu'au niveau de 0,96 % pour l'exercice 2000 !
N'attachant pour ma part aucune valeur magique au 1 %, je ne peux qu'espérer
qu'on ne se fixera pas d'autres fléchages à l'avenir !
Notons tout de même dès à présent - j'y reviendrai à l'occasion de ma dernière
question - que les dépenses ordinaires augmentent de 4 %, tandis que les
dépenses en capital diminuent de 4,6 % en crédits de paiement et de 5,77 % en
autorisations de programme.
Ce budget, bien évidemment, privilégie le court terme. Peut-être est-il
difficile d'être à la fois le ministre du titre IV, qui concerne la création,
les spectacles vivants et l'enseignement artistique, et celui des titres V et
VI, consacrés au patrimoine ?
Vous allouez 44,6 millions d'euros, soit 292,56 millions de francs - en
progression de 5,7 % par rapport à 2001 - aux dépenses d'intervention en faveur
du spectacle vivant, des centres dramatiques, de l'opéra comique, des
orchestres permanents, des scènes nationales et conventionnées, du cirque, des
arts de la rue, des musiques actuelles, etc. Vous soutenez ce que vous aimez et
connaissez bien, madame la ministre, et je ne saurais vous en faire grief.
J'approuve aussi votre politique pour les arts à l'école. Je déplore seulement
que les pierres soient un peu moins bien servies.
Vous aurez, en outre, marqué votre passage - je tiens à le dire, par honnêteté
intellectuelle - par certains progrès, et le Parlement, y compris, bien sûr, le
Sénat, y a contribué, en matière d'archéologie, de musées, de mécénat et de
protection des trésors nationaux. La question sensible du prêt de livres et du
droit d'auteur a progressé. Tout cela, je le reconnais et le rappelle
volontiers.
Le cinéma français ne se porte pas mal : le directeur du Centre national de la
cinématographie, le CNC, s'inquiète même, pour l'alimentation du compte de
soutien, de voir baisser la productivité du film américain sur notre marché.
C'est un comble !
En tout cas, le cinéma se porte mieux que l'art contemporain français, pour
lequel, hélas ! la reconnaissance internationale reste limitée, à en juger par
les analyses du rapport que le ministre des affaires étrangères a commandé à M.
Alain Quemin et par les chiffres qu'il représente dans les ventes d'art
contemporain aux enchères, chiffres figurant dans mon rapport écrit.
Mais, aujourd'hui, mon rôle est plus ingrat. J'en viens donc aux questions.
La première peut paraître ancillaire par rapport aux grands enjeux de la
politique culturelle. Elle est pourtant essentielle. Où en est le ministère de
la culture dans la mise en place des instruments de connaissance des coûts ?
Cette question est d'autant plus intéressante pour le Parlement que la nouvelle
loi organique sur les lois de finances impose, d'ici à 2006, une définition des
missions associée à des indicateurs de résultats.
Il semble, en dépit de la bonne volonté affichée par les services, que nous
soyons loin de disposer des outils indispensables. Cela est d'autant plus
gênant que l'action du ministère est éparpillée entre de nombreux
établissements, qu'elle repose sur une très large pratique des subventions et,
surtout, que la déconcentration est très avancée au niveau des directions
régionales des affaires culturelles, les DRAC, ce qu'on ne saurait en principe
regretter. Encore faut-il que l'information remonte. Or après plusieurs
exercices passés à poser les mêmes questions, j'ai le sentiment de toujours
recevoir les mêmes réponses : « On se prépare activement à ... » ; « Tel
logiciel sera opérationnel dès l'année
x
... ».
En ce qui concerne les grands établissements culturels, il semble que seule la
Comédie française dispose d'une véritable comptabilité analytique. Rien de tel
au Louvre ou à la Bibliothèque nationale de France, dans le budget desquels on
s'apprête enfin - c'est, il est vrai, un préalable - à intégrer les
fonctionnaires affectés par le ministère de la culture.
La Réunion des musées nationaux devrait disposer d'un nouveau logiciel
comptable en 2002 pour remplacer Jade. Mais, pour le moment, ce n'est pas sans
difficulté que votre rapporteur spécial a obtenu de cet organisme un tableau
des résultats des diverses expositions dans les galeries nationales du Grand
Palais pour le dernier exercice connu, sans que ce dernier ait cru bon, compte
tenu des difficultés que cela semble soulever, de s'intéresser aux années
antérieures. Or, on sait que, si la Réunion des musées nationaux ne peut guère
dégager de crédits d'acquisition substantiels - 51,3 millions de francs, soit
7,82 millons d'euros - c'est à la difficulté croissante d'équilibrer ses
dépenses dans le secteur des expositions qu'elle le doit, par suite de
l'abondance de l'offre culturelle - faut-il s'en plaindre ? - et de la
politique de plus en plus indépendante, en la matière, des grands
établissements. Faut-il s'en étonner ?
On parle d'un « observatoire du spectacle vivant » qui permettrait de répondre
aux questions de la Cour des comptes, laquelle relève que « l'administration ne
dispose pas d'une synthèse des comptes des compagnies, ni des données
nécessaires pour suivre régulièrement la programmation et la préparation ».
Quel est, par exemple, le nombre de spectateurs payants par représentation ?
Cet observatoire sera-t-il mis en place ?
Plus important encore : quand le logiciel informatique Quadrille, destiné à
suivre l'usage des crédits déconcentrés dans les DRAC, fonctionnera-t-il enfin
sur l'ensemble du territoire ?
Les deux questions suivantes portent sur les emplois. Elles sont connexes et
semblent recouvrir un même et inquiétant phénomène : l'impossibilité pour
l'administration de la culture de régler le problème des effectifs, problème
qui entretient une insatisfaction perpétuelle, avec des grèves à répétition.
Les abonnés à l'Opéra de Paris trouvent ainsi rideau baissé, et les visiteurs
de nos musées, souvent venus de fort loin, porte close.
Aux grèves de 1998 et 1999, qui ont justifié le plan de résorption de l'emploi
précaire, ont succédé celles de 2000 et surtout de 2001, provoquées par les
négociations sur l'aménagement et la réduction du temps de travail. On a même
vu, phénomène inédit, la pyramide du Louvre cadenassée par des « agents en
colère », suivant l'expression consacrée. Le centre Pompidou a été bloqué
pendant trois bonnes semaines ; il entre tout juste en convalescence.
Or, quand on regarde les chiffres communiqués par votre administration, on ne
peut manquer d'être surpris par deux faits.
Pour l'emploi précaire, tout se passe comme si, chaque année, il fallait
stabiliser de nouveaux agents. Le nombre d'agents « stabilisables » était de 1
104 à la fin de l'année 1996, ainsi qu'en atteste le « bilan des plans de
résorption engagés depuis 1995 par le ministère de la culture, établi au 31
décembre 2000 ». Mais les « perspectives de stabilisation dans le cadre du
dispositif Sapin » évaluent encore à 1 270 le nombre d'agents non titulaires
éligibles à cette même date. Chaque année, 250 à 300 emplois sont créés à ce
titre ; 235 sont demandés pour 2002. De nombreuses circulaires interdisent
pourtant la satisfaction des besoins permanents par les vacations.
Seraient-elles sans effet ?
L'affaire des 35 heures incite à des réflexions tout aussi moroses. Les
orientations fixées par le Gouvernement pour l'application des 35 heures dans
la fonction publique tablent sur une durée annuelle de travail effectif de 1
600 heures. La moyenne, pour l'ensemble du ministère, est de 1 724 heures.
D'ores et déjà, les temps de travail sont inférieurs, au ministère de la
culture, pour les emplois postés ; pour les agents de sécurité, cette durée va
de 1 302 heures pour le Louvre à 1 539 heures au centre Pompidou ; les
personnels de surveillance et d'accueil font 1 510 heures au centre Pompidou, 1
530 heures à Orsay, 1 560 heures à Versailles, 1 558 heures dans les monuments
nationaux. Belle diversité !
Les personnels administratifs ou de service, dans les établissements
d'enseignement, assurent tous moins de 1 600 heures, à l'exception de ceux de
l'Ecole du Louvre, qui accomplissent 1 643 heures. Ces chiffres, en principe,
ne devraient rien laisser à négocier, sinon la consolidation d'avantages
différentiels. La semaine Malraux, la journée du ministre, seraient-elles
éternelles ? Faut-il continuer à diminuer le nombre d'heures de travail sous
prétexte que les avantages d'autres agents de la fonction publique risquent de
combler l'avance prise naguère ?
J'en viens à ma question sur les crédits du patrimoine. Je ne reviendrai pas
sur le fond de tableau : 40 000 monuments sont, en principe, protégés en
France, dont 35 % sont classés et 65 % inscrits. La moitié de ces monuments est
privée, l'autre publique, dont 45 % appartenant aux collectivités locales ; en
outre, 500 monuments en péril risquent de disparaître, et 4 000 sont en état
défectueux. Les crédits d'entretien des monuments appartenant à l'Etat sont
globalement de 10,5 millions d'euros, en augmentation, certes, depuis cinq ans,
mais ne représentant pour 2 000 qu'une moyenne de 250 000 francs - c'est une
image - pour les quatre-vingt-sept cathédrales.
Tout cela est bien connu, mais, ce qui apparaît de plus en plus, c'est la
constance et l'importance de ces reports de crédits et, sans vouloir enfler la
voix, un certain cynisme du Gouvernement et de l'administration devant cette
situation.
Tout se passe comme si votre département ministériel - comme d'autres, mais
peut-être plus que d'autres - suivait une stratégie en trois temps. Premier
temps : l'annonce d'autorisations de programme permet d'affirmer que des
projets importants sont financés. Deuxième temps : l'utilisation des crédits de
paiement est reportée d'un an, deux ans, trois ans. Troisième temps : ces
crédits sont recyclés à d'autres fins.
Le processus est aisément repérable pour les grands projets, tels que le Grand
Palais ou le regroupement de vos services dans l'immeuble dit des «
Bons-Enfants ». On en parle depuis 1988, mais les premiers appels d'offres
viennent seulement d'être dépouillés. Les crédits de paiement afférents à
l'enveloppe de 56,1 millions d'euros, soit 367,9 millions de francs
d'autorisations de paiement, sont mis en réserve.
Le report a des raisons techniques, ne serait-ce que l'existence d'un goulot
d'étranglement dû au petit nombre d'entreprises spécialisées. A supposer qu'il
convienne de garder les autorisations de programme à leur niveau, en tant que
signal politique, on peut cependant se demander pourquoi le ministère ne
procède pas à une révision de l'échelonnement des crédits de paiement. La clé
25/30/30/15 est manifestement inadaptée. Avez-vous l'intention de la revoir,
madame la ministre.
A moins que votre département ne se satisfasse de cette situation ! Dans le
dossier de presse qu'il a distribué pour 2002, ne lit-on pas, concernant votre
cher titre IV : « Au-delà des mesures nouvelles obtenues - 58,69 millions
d'euros, soit 385,68 millions de francs - affectées principalement au titre IV
et aux subventions aux établissements publics, le ministère de la culture a
obtenu la possibilité de redéployer près de 350 millions de francs de crédits
de paiement non mobilisés » qui permettent de financer la progression des
dépenses de personnel, le fonctionnement et les dépenses d'investissement - on
se demande bien lesquelles ! Parmi ces crédits de paiement inutilisés figurent
ceux qui sont consacrés aux conséquences de la tempête dans la loi de finances
rectificative pour 2000.
Ainsi auraient été « mobilisés » au profit du présent immédiat des crédits
immobilisés du chapitre 52-20 « patrimoine monumental », pour 238,8 millions de
francs, soit 36,40 millions d'euros, et du chapitre 66-91 « autres équipements
».
Tout est ratifié par le secrétaire d'Etat au budget, dans le cadre d'un
contrat de gestion, conclu au printemps 1999, reconduit et amplifié en 2000,
puis en 2001. L'année démarre en effet sur 259 millions d'euros, soit 1 700
millions de francs, de reports possibles, et les crédits qui seront mis en
réserve s'élèvent à 610 millions de francs, la différence étant promise à
l'annulation.
Les crédits de paiement ainsi réaffectés ne devront-ils pas cependant être un
jour rendus à leur destination initiale après avoir été dépensés ailleurs ? Je
ne voudrais pas être désagréable, mais cela s'apparente à de la cavalerie
budgétaire et fait bon marché de l'autorisation parlementaire comme de la loi
organique relative aux lois de finances que nous avons votée en grande pompe
l'été dernier. Je ne veux pas croire qu'il s'agit là d'une volonté politique
délibérée, mais peut-être avez-vous cédé aux tentations du démon de Bercy en «
détournant » - veuillez m'excuser, le mot est trop fort - 380 millions de
francs, soit 57,93 millions d'euros, du patrimoine vers les spectacles vivants
? Pouvez-vous, madame la ministre, prendre l'engagement de renoncer à l'avenir
à de tels jeux d'écritures ?
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le débat s'organise aujourd'hui suivant la
nouvelle procédure, construite autour de questions précises, afin d'éviter,
selon les termes de M. le président de la commission des finances, les «
grandes fresques ».
En conséquence, je ne répondrai pas aux questions qui ne me sont pas posées
(sourires)
et plusieurs volets du budget de la culture ne seront pas
abordés ici, ce qui, bien sûr, ne doit pas être interprété comme de
l'indifférence de la part du Gouvernement à leur égard, d'autant que nous les
avons souvent évoqués en commission, qu'il s'agisse de la langue française, des
archives - domaine dans lequel le Gouvernement vient d'annoncer des
initiatives importantes - ou de l'architecture.
Nous nous sommes efforcés par ailleurs, M. Duffour et moi-même, de nous
partager les sujets. Ainsi, si vous le voulez bien, monsieur le rapporteur
spécial, c'est M. Duffour qui répondra ultérieurement à vos questions relatives
au patrimoine.
A propos de la modernisation du ministère, vous avez, monsieur le rapporteur
spécial, posé trois questions.
S'agissant, premièrement, des instruments de mesure comptable, je crois
sincèrement que la mise en service du système informatique Quadrille au 1er
janvier 2002 constitue un progrès pour notre administration centrale et ses
services déconcentrés. C'est même un progrès considérable, en particulier pour
le suivi de la consommation des crédits par les directions régionales des
affaires culturelles, les DRAC.
S'agissant, deuxièmement, de l'emploi précaire dans le ministère, le projet de
budget pour 2002 permet de « stabiliser » 200 postes. C'est le prolongement du
plan sur quatre ans qui a été engagé par Mme Trautmann pour mettre en oeuvre la
loi Sapin. Dans le même esprit, des circulaires prescrivant de ne recourir
qu'aux emplois précaires strictement nécessaires ont été publiées.
S'agissant, troisièmement, de l'aménagement et la réduction du temps de
travail, le conflit social est terminé. Je viens de signer la circulaire
appliquant la réduction du temps de travail au ministère. Les négociations sont
en cours sur le plan local et elles devront être achevées le 20 décembre. Nous
compensons, et c'est légitime, les pénibilités réelles, comme le travail un
week-end sur deux, sujétion qui est une réalité dans nos établissements
culturels et qui nous a paru mériter d'être reconnue comme telle.
Même si le fameux « 1 % » n'a pas fait l'objet d'une question de votre part,
monsieur le rapporteur spécial, vous l'avez mentionné, en relevant que le
projet de budget atteignait un objectif ancien.
Vous avez ajouté qu'il faudrait surtout apprécier les résultats tirés de
l'exécution budgétaire, qui, dans le passé, ont souvent été en retrait du fait
de la difficulté rencontrée pour consommer les crédits d'investissement.
Je suis tentée de vous demander, monsieur Gaillard, s'il serait possible que
nous défendions le « 1 % » non plus comme une frontière mythique mais comme la
concrétisation bienvenue d'un objectif. Ce serait une étape supplémentaire sur
un chemin qu'il faudra poursuivre, car les besoins de la culture demeureront
très importants, et l'Etat a, dans ce domaine, un rôle spécifique
incontournable.
Pour ma part, je me réjouis que le projet de budget pour 2002 acte ait franchi
cette étape.
Vous critiquez les redéploiements de crédits de paiement inutilisés. C'est un
procédé dans lequel vous lisez tantôt une nouvelle forme de régulation
budgétaire déguisée, tantôt une « entorse aux principes fondateurs de notre
constitution financière ». Rien de moins !
Je considère au contraire plus respectueux de la procédure budgétaire
d'inscrire dans le projet de budget des crédits pouvant réellement être
dépensés plutôt que des crédits destinés à être reportés. Aurions-nous dû
modifier les clés techniques de calcul des crédits de paiement ? Vous le savez,
monsieur le rapporteur, car vous connaissez parfaitement ce sujet, l'ensemble
du système doit être revu dans la perspective ouverte par la nouvelle loi
organique qui vient d'être votée par les deux assemblées.
L'essentiel réside en réalité dans la capacité d'investissement, que ce projet
de budget maintient intacte.
Certes, les crédits sont en léger retrait par rapport à 2001, mais ils sont,
je le souligne, en très forte progression par rapport à 1997 : plus 25 % par
rapport à la loi de finances initiale pour 1997, et même plus 60 % par rapport
à la loi de finances rectifiée pour cet exercice.
Nous avons restauré la capacité du ministère de la culture à investir, et à
mener de grandes opérations, souvent en partenariat avec les collectivités
locales, comme le montre la progression régulière de la part des crédits
destinés aux régions dans l'ensemble des crédits du ministère. C'est aussi un
élément de l'évolution de la gestion de notre maison.
Le projet de budget pour 2002 situe les crédits d'investissement au niveau de
la moyenne des trois dernières années, en autorisations de programme ou en
crédits de paiement. Cela signifie en réalité une consolidation à un niveau
élevé, compatible avec la poursuite de plusieurs projets d'ampleur. Je pense à
l'aménagement des Bons-Enfants pour reloger le ministère, au musée du quai
Branly, au Grand Palais, au centre de Bercy pour le cinéma, ou encore au musée
des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, qui sera installé à
Marseille.
Ainsi, on ne saurait prétendre que l'investissement est sacrifié au profit de
priorités que vous qualifiez de priorités à court terme. Comment soutenir
d'ailleurs que la création vivante ne vise que le court terme ? Là où d'aucuns
semblent voir des crédits distribués à des « cigales » qui chantent et dansent,
cigales pour lesquelles, c'est vrai, j'affiche ma sympathie, moi, je vois une
vraie responsabilité de l'Etat et les moyens indispensables pour renouveler les
formes esthétiques, pour la recherche de nouveaux publics, pour la quête
d'émotions partagées qui font vivre nos cités.
Toutes les études réalisées sur l'efficacité économique de la dépense
culturelle prouvent à quel point celle-ci est efficace en termes de
développement de notre territoire, même si, pour ma part, je ne considère pas,
loin s'en faut, que ce type d'évaluation puisse fonder une politique
culturelle. Mais au moins devrait-elle mettre un terme à certaines
interrogations sur l'utilité de la dépense culturelle.
Point de court terme donc dans l'aide à la création vivante, au contraire : à
mon sens, c'est un investissement d'avenir pour notre pays, comme l'est
l'effort - longtemps attendu - consenti en faveur des enseignements et de
l'éducation artistique à l'école. Toutes les dépenses éducatives - qui relèvent
du fonctionnement - ont, à l'évidence, une visée à long terme et constituent un
investissement pour la culture.
Je suis heureuse qu'avec le ministre de l'éducation nationale nous ayons pu
enclencher un plan ambitieux d'éducation artistique à l'école - encore une
dépense de fonctionnement. La forte progression des crédits prévus à ce titre
dans le projet de budget pour 2002 n'est qu'une étape. Je crois que le
mouvement est lancé et recueille l'assentiment de nos concitoyens.
D'une manière générale, je ne souhaiterais pas que nous examinions ce projet
de budget en confrontant la pierre et le vivant, le long terme et le court
terme.
Les grands équipements, une fois construits, ont besoin de crédits de
fonctionnement pour remplir leurs missions.
C'est ce que j'ai à nouveau ressenti dimanche dernier, à Bourges, dans la
maison de la culture imaginée par André Malraux en 1964. Depuis lors, son
rayonnement dépend des équipes de permanents, artistes ou techniciens, qui ont
su, là comme ailleurs, se renouveler, mais qui, là comme ailleurs, ont besoin
d'un soutien public suffisant et durable.
(Applaudissements sur les travées
socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Nachbar, rapporteur pour avis.
M. Philippe Nachbar,
rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles.
Madame la
ministre, j'analyserai d'abord le budget du ministère de la culture sous une
approche globale avant d'en examiner les priorités. J'émaillerai les remarques
que je ferai des différentes questions que je souhaite, au nom de la commission
des affaires culturelles, vous poser.
En 2002, le projet de budget de votre ministère progressera à un rythme
incontestablement supérieur à celui des dépenses de l'Etat puisqu'il sera de
2,08 %, ce qui lui permet d'atteindre 1 % du budget de l'Etat, pourcentage à la
hauteur duquel il se situe régulièrement.
Pas plus que M. le rapporteur spécial, je n'attache d'importance particulière
à ce « 1 % », car - et ce sera ma première remarque - la pratique des contrats
de gestion mis en place avec le ministère des finances atténue singulièrement
sa portée. Ainsi, en 2001, c'est 13,8 % des crédits de votre ministère qui ont
fait l'objet de mesures de mise en réserve. C'est dire à quel point - j'y
reviendrai dans un instant - la portée du contrôle qu'exerce le Parlement sur
l'emploi des crédits de votre ministère est ainsi remise en cause.
Si l'on procède à l'analyse globale de votre projet de budget, nous constatons
- c'est le point sur lequel j'insisterai - que, à la différence de l'exercice
2001, au cours duquel l'accroissement des moyens du ministère avait été
équitablement réparti entre dépenses ordinaires et dépenses d'investissement,
l'effort dégagé en 2002 profitera essentiellement aux dépenses ordinaires, qui
progressent de 3,9 %, et, notamment, aux dépenses d'interventions - ce qui en
soit n'est pas critiquable - alors que les dépenses d'investissement reculeront
de 4,6 %.
L'augmentation des dépenses ordinaires permet tout d'abord - et je m'en
félicite - de renforcer les moyens en personnels du ministère. En matière de
dépenses publiques, il ne faut pas avoir de positions de principe mais être
d'un pragmatisme à toute épreuve. Pour que votre ministère puisse faire face
aux missions culturelles que l'Etat lui a confiées, il est essentiel que les
services, directement, et les institutions, indirectement, puissent fonctionner
dans des conditions satisfaisantes.
A cet égard, je ne peux que me féliciter des mesures de résorption de la
précarité qui, cette année comme les années précédentes, permettront de
restaurer un dialogue social indispensable dans votre ministère si l'on veut
éviter à ses institutions les aléas qu'elles ont traversés ces derniers
mois.
Je m'apprêtais à ce propos à vous interroger sur l'aménagement de la réduction
du temps de travail et les difficiles négociations auxquelles elle a donné
lieu, mais vous avez par avance répondu à mes questions.
Je veux également souligner l'insuffisance des postes dont disposent les DRAC.
Chaque budget renforce la déconcentration des crédits qui leur sont affectés
et, pourtant, ils restent insuffisants pour permettre aux DRAC d'établir un
partenariat efficace avec les collectivités locales.
Je remarque également l'importance du poids des établissements publics dans
votre projet de budget. Les subventions de fonctionnement progressant de 2,4 %,
ces établissements représentent désormais 33 % de celui-ci.
Ce chiffre n'est pas en lui-même critiquable. Nous nous étions d'ailleurs
félicités l'an dernier de la création du musée du quai Branly et du Centre
national de la danse. Je me réjouis cette année de voir apparaître deux
nouveaux établissements publics, l'Institut national de l'histoire de l'art -
que le Sénat, d'ailleurs, dans le cadre de la mission d'enquête sur la
Bibliothèque nationale de France, avait pu examiner de près - et d'un
établissement national de recherche et d'archéologie préventive, qui est la
conséquence du vote de la loi relative à l'archéologie préventive.
Il n'en reste pas moins que la nécessaire réflexion sur les coûts
qu'entraînera le fonctionnement de chacun de ces établissements publics
nouveaux n'a pas été engagée. C'est ainsi que, d'emplois précaires en
évaluation sommaire, on en arrive à des situations telles que celles que j'ai
déplorées voilà un instant.
Ne croyez-vous pas, madame la ministre, qu'il est indispensable que soient
estimés les coûts de fonctionnement, en « vitesse de croisière », des nouveaux
établissements ?
J'observe par ailleurs une progression des crédits du titre IV, avec une
augmentation de 5 % des dépenses d'intervention. Là encore, le chiffre n'est
pas en lui-même critiquable. Ce qui l'est, en revanche, et M. le rapporteur
spécial l'a indiqué tout à l'heure, c'est l'impossibilité d'exercer un
véritable contrôle sur la ventilation de ces crédits, compte tenu de la
nomenclature adoptée.
En outre, la déconcentration, dont le Sénat s'est félicité, limite elle aussi,
cependant, la portée du contrôle parlementaire, puisque nous n'avons pas les
moyens de vérifier dans quelle mesure le budget voté par le Parlement est
exécuté. Pour le seul titre IV, 69 % des crédits seront ainsi déconcentrés en
2002.
En ce qui concerne les dépenses d'investissement, celles-ci seront réduites à
la portion congrue en 2002 ; par rapport à 2001, les autorisations de programme
diminuent de 5,5 % et les crédits de paiement de 4,6 %. J'y reviendrai dans le
détail tout à l'heure, lors de l'examen de la politique des musées et du
patrimoine, mais il n'en reste pas moins que, de façon très globale, les masses
ne sont pas satisfaisantes, puisque le déséquilibre s'accentue entre, d'une
part, l'investissement et, d'autre part, le fonctionnement.
Après cette analyse d'ensemble des grandes masses de votre projet de budget,
madame la ministre, j'en viens maintenant à l'examen de deux priorités
manifestes qu'il traduit : le spectacle vivant et l'éducation artistique. Les
deux me paraissent indissociablement liées, car l'on n'imaginerait pas un
accroissement des crédits consacrés à la création sans un effort de
démocratisation.
En ce qui concerne la démocratisation culturelle, puisque nous avons pu
constater l'échec, que je ne peux que déplorer, des mesures tarifaires qui
auraient pu être un moyen privilégié de satisfaire à cette ardente obligation,
je dois souligner l'importance des dispositions tendant à assurer l'égal accès
de tous, notamment des jeunes, à la culture, tout particulièrement à la
création.
J'évoquerai à cet égard un point positif et un point négatif.
Le point positif concerne le renforcement du partenariat avec le ministère de
l'éducation nationale, au travers d'outils tels que le jumelage, les ateliers
artistiques et les classes culturelles.
Le point négatif réside dans l'insuffisance du soutien apporté par l'Etat aux
établissements relevant des collectivités territoriales, tels que les
conservatoires nationaux de région ou les écoles nationales de musique et de
danse.
Au regard de ce constat, que comptez-vous faire, madame la ministre, pour
renforcer le soutien que vos services peuvent apporter aux collectivités
territoriales dans ce domaine ?
Je voudrais d'ailleurs souligner, devant le Sénat, l'importance de l'apport
des collectivités territoriales à la politique culturelle de la France. Sur ce
point, le dernier chiffre dont nous disposons date de 1996 : cette année-là, 51
milliards de francs avaient été consacrés par les collectivités territoriales à
la politique culturelle, alors que 14 milliards de francs sont inscrits à ce
titre au projet de budget pour 2002. La commission des affaires culturelles du
Sénat demande instamment, madame la ministre, qu'il soit procédé à une
évaluation de l'effort consenti par les collectivités territoriales dans le
domaine de la culture pour les années postérieures à 1996. Les résultats d'une
telle étude seraient fort intéressants.
En contrepoint des deux priorités que j'ai évoquées, ce projet de budget, qui
mêle motifs de satisfaction et sujets d'inquiétude, comporte deux zones
d'ombre.
Une première zone d'ombre a trait à l'évolution des crédits consacrés au
patrimoine monumental.
Les crédits d'investissement sont très inégalement répartis. Ainsi, les
autorisations de programme destinées aux monuments appartenant à l'Etat
progressent de 5,7 %, en raison notamment de l'importance des opérations
parisiennes, tandis que les crédits affectés au financement de travaux sur des
monuments n'appartenant pas à l'Etat sont reconduits en francs courants, ce qui
équivaut à une diminution. Celle-ci est d'autant plus regrettable que, d'une
part, les intempéries du printemps dernier ont eu des conséquences
catastrophiques dans certaines régions, en particulier les Pays de la Loire et
le Centre, et que, d'autre part, les crédits de paiement font l'objet d'une
sous-consommation, que nous avons constatée tout à l'heure.
Je voudrais également vous interroger, madame la ministre, sur la suppression
de la ligne de crédits consacrée à ce que l'on appelle le patrimoine rural non
protégé. J'avais déploré, l'an dernier, le montant très insuffisant de ces
crédits, qui s'élevait à 35 millions de francs. Or cette ligne ne figure plus
dans le projet de budget pour 2002. Faut-il croire que le petit patrimoine
rural, entretenu dans une très large mesure par les communes et les
départements, ne fera plus l'objet d'un soutien du ministère ? Ce serait
d'autant plus regrettable que la Fondation du patrimoine, qui a été créée à
cette fin, ne me paraît pas être financée comme elle devrait l'être par le
ministère de la culture. J'aimerais d'ailleurs savoir, à ce propos, dans
quelles conditions sera relogée cette fondation, qui a été invitée à quitter le
Palais de Chaillot dès l'année prochaine, en raison de travaux programmés. Je
rappelle, madame la ministre, que le texte fondateur de cette institution
énonce que l'Etat a l'obligation de la reloger.
Une seconde zone d'ombre concerne les musées, qui font à l'évidence figure de
parents pauvres dans ce projet de budget. Les moyens de fonctionnement
progressent, c'est incontestable, puisque les dotations augmentent de 2,35 %
pour les établissements publics et de 3 % pour les autres, mais les subventions
d'équipement sont reconduites en francs courants et les investissements
diminuent de 30,53 %, ce qui est évidemment alarmant.
La modestie de ces crédits est très préoccupante, puisqu'ils ne permettront
pas de faire face aux besoins tant des grands musées, pour renouveler et
entretenir des équipements coûteux, que des musées plus modestes, dont les
conditions de fonctionnement mettent en péril, dans bien des cas, l'intégrité
des collections.
S'agissant des moyens d'acquisition, ils ne traduisent pas, madame la
ministre, la volonté que vous avez exprimée lors de l'examen par le Parlement
du projet de loi relatif aux musées de France. Ainsi, l'enveloppe du Fonds du
patrimoine augmente très peu, et la Réunion des musées nationaux, que je
n'évoquerai ici que pour mémoire, aura du mal à assumer ses missions, compte
tenu des difficultés qu'elle rencontre. Quant au mécénat, il ne saurait
constituer la seule possibilité de renforcer notre patrimoine. Je m'étonne,
enfin, de la modeste progression des dotations consacrées aux musées classés et
contrôlés, les futurs « musées de France ».
Ma dernière question sera la suivante : dans ces conditions, comment l'Etat
pourra-t-il exercer le contrôle scientifique et technique prévu par la loi et
comment les contraintes imposées aux musées seront-elles compensées ?
En conclusion, votre projet de budget, madame la ministre, comporte des
éléments positifs, que j'ai soulignés, mais aussi des éléments négatifs. C'est
la raison pour laquelle la commission des affaires culturelles du Sénat a
décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat sur le vote de ses crédits.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, en
remplacement de M. Vidal, rapporteur pour avis.
M. Jacques Valade,
président de la commission des affaires culturelles, en remplacement de M.
Vidal, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles pour le
cinéma et le théâtre dramatique.
Monsieur le président, madame la
ministre, mes chers collègues, M. Vidal se trouvant dans l'incapacité, pour
raisons de santé, d'intervenir devant vous, je me substituerai à lui pour
présenter les conclusions de son rapport pour avis, rédigé au nom de la
commission des affaires culturelles.
Le cinéma et le théâtre dramatique concourent également à promouvoir la
création, qui constitue l'une des priorités du projet de budget de la culture
pour 2002.
J'évoquerai tout d'abord les crédits du cinéma. Avant de me livrer à une
analyse financière, je dresserai un rapide bilan de la situation de ce secteur,
qui connaît une incontestable embellie.
Si certains signes avant-coureurs nous permettaient d'espérer la poursuite du
redressement, l'année 2000 et les premiers résultats connus pour 2001 nous ont
aussi réservé de bonnes surprises. Après le léger fléchissement enregistré en
1999, les entrées ont progressé en 2000 de 8,1 %, pour représenter 166 millions
de spectateurs. Cette tendance, qui devrait se confirmer en 2001 et sans doute
en 2002, s'explique par la qualité de l'offre, ainsi que par le dynamisme du
secteur de l'exploitation : les multiplexes, mais aussi le succès des cartes
d'abonnement, ont eu un effet très positif.
La production nationale continue à faire preuve de dynamisme : le nombre de
films produits se maintient à un niveau élevé. Par ailleurs, elle a encore
démontré ses capacités de renouvellement, comme en témoigne la part importante
des premiers et deuxièmes films.
En outre, et c'est un phénomène récent, elle renoue avec le succès et trouve
un nouveau public. En dépit d'une diminution de leur audience en 2000, les
productions françaises, au premier semestre de cette année, ont connu un
redressement spectaculaire de leurs parts de marché. Il s'agit là d'un signe
encourageant ; j'espère, madame la ministre, que vous pourrez nous indiquer
s'il s'est confirmé au cours des derniers mois.
Je me réjouirais que cette embellie concerne également l'exportation,
traditionnel point faible de notre cinéma, qui peine encore à franchir les
frontières, au-delà du succès que peuvent remporter quelques oeuvres. A cet
égard, je souhaiterais savoir si vous envisagez d'améliorer notre système
d'aide à l'exportation, qui reste encore disparate et relativement peu
efficace. En ce domaine, les dispositifs de soutien mis en place dans le cadre
européen constituent sans doute une solution qu'il convient d'approfondir.
Le budget du cinéma s'établit pour 2002 à 281,54 millions d'euros, en
augmentation de 3,06 % par rapport à 2001. Cette progression est
essentiellement imputable à la croissance du produit de la taxe sur les places
de cinéma, sous l'effet des bons résultats obtenus en termes de fréquentation.
Cette situation n'est pas sans conséquence sur les dispositifs de soutien,
puisque, par l'effet mécanique des barèmes, la part du soutien automatique
progresse au détriment du soutien sélectif. Si des ajustements ont été trouvés
afin d'équilibrer la gestion des aides, de quelles marges de manoeuvre
disposera le Centre national de la cinématographie pour mener à bien les
réformes entreprises au bénéfice du court métrage et du cinéma d'art et d'essai
et pour mettre en oeuvre les nouveaux dispositifs d'aide à l'écriture ?
La progression des crédits du ministère consacrés au cinéma, qui atteindront
46,79 millions d'euros en 2002, demeure modeste, puisqu'elle se limite à 1,4 %.
Ce chiffre global recouvre des évolutions contrastées, puisque, si les dépenses
d'intervention affectées au Centre national de la cinématographie augmentent de
manière significative, à hauteur de 6,9 %, les dépenses d'investissement
diminuent de 17,5 %.
Je me félicite des progrès réalisés dans la mise en oeuvre du projet de «
maison du cinéma », désormais dénommé « 51, rue de Bercy ». Après bien des
péripéties, il semble que ce projet verra le jour en 2003.
La création de cette nouvelle institution correspond à une préoccupation
légitime : la valorisation de notre patrimoine cinématographique, dont la
richesse demeure encore peu exploitée. Alors qu'elle a nécessité d'importants
investissements, il serait regrettable que le fonctionnement ne puisse être
assuré dans de bonnes conditions. Le statut de groupement d'intérêt public
est-il adapté à la conduite d'un programme culturel ambitieux ? De quels moyens
disposeront les différents partenaires - bibliothèque du film, Cinémathèque ou
service des archives du film - pour y contribuer, alors qu'ils se trouvent
aujourd'hui dans une situation financière précaire ?
Je vous ferai également part d'un regret, madame la ministre. Alors que le
projet de loi sur la démocratie de proximité prévoit d'assouplir les conditions
dans lesquelles les départements et les communes peuvent soutenir les salles,
pourquoi l'Etat ne consent-il pas un effort en faveur du développement régional
du cinéma ? Le partenariat Etat-collectivités territoriales constitue pourtant
un instrument indispensable pour préserver non seulement la diversité du
secteur de l'exploitation, mais aussi la répartition harmonieuse des salles sur
l'ensemble du territoire. A cet égard, la commission des affaires culturelles a
d'ailleurs décidé de créer une mission d'information sur le sujet.
J'évoquerai rapidement la question de l'adaptation des mécanismes de
régulation du cinéma, dont l'urgence est atténuée par le contexte favorable que
connaît le cinéma. Voilà un an, les cartes d'abonnement illimité suscitaient un
débat très vif, qui semble aujourd'hui apaisé, même si l'information en cette
matière, madame la ministre, n'est pas totalement accessible, puisque les
résultats de l'étude sur les possesseurs de carte ne sont pas encore publics.
Pourrez-vous nous apporter quelques éclaircissements à ce sujet ?
Pour autant, le dispositif d'encadrement inséré sur votre initiative, madame
la ministre, dans la loi sur les nouvelles régulations économiques n'est
toujours pas entré en vigueur, et les contentieux introduits devant le Conseil
de la concurrence ne sont pas encore tranchés.
La loi contraint les opérateurs qui mettent en place de telles formules à
offrir aux petits exploitants la possibilité de s'y associer en leur
garantissant une recette forfaitaire. Cette condition a l'avantage de limiter
les éventuelles conséquences négatives des abonnements sur l'exploitation
indépendante. Elle introduit, en revanche, une grande rigidité dans le calcul
économique sur lequel repose la rentabilité de la carte, et l'on peut
s'interroger sur les conséquences qu'elle pourrait avoir, à terme, sur
l'existence de ces formules, qui ont rencontré un grand succès auprès du public
et ont sans doute contribué à la croissance de la fréquentation. Disposez-vous,
madame la ministre, d'informations concernant l'influence de ces formules sur
le comportement des spectateurs et sur les choix économiques des exploitants
?
A l'avenir, il conviendra de se garder de légiférer dans la précipitation et
d'éviter de recourir, comme cela avait été le cas pour les multiplexes, à des
cavaliers budgétaires. Cela nous empêche de mesurer les conséquences des
décisions prises pour un secteur fragile.
J'en viens maintenant aux crédits du théâtre.
Le soutien au spectacle vivant constitue, de nouveau, une priorité du projet
de budget, priorité dont devraient profiter les institutions théâtrales. Nous
nous en réjouissons.
En 2002, les crédits de la direction chargée du spectacle vivant progressent
de 3,25 % à structure constante, pour atteindre 663,33 millions d'euros. Cette
progression profite principalement aux dépenses d'intervention, qui augmentent
de 7,07 %, tandis que les subventions aux établissements publics ne croissent
que modérément, à hauteur de 1,13 %, et que les investissements reculent de
15,29 %.
Au sein de ces différents types de dépenses, le théâtre dramatique apparaît
moins bien servi que d'autres disciplines plus contemporaines.
Les subventions de fonctionnement des théâtres nationaux ne progressent que
faiblement : 0,85 %. Seule la mesure d'économie résultant de la suppression du
tarif à cinquante francs le jeudi permettra d'accroître les moyens de ces
structures.
Pour les dépenses d'intervention, la progression de 2,8 % des crédits destinés
aux centres dramatiques nationaux permettra d'accompagner la réforme des
contrats de décentralisation. Les scènes nationales bénéficieront d'un effort
spécifique, avec 7 millions de francs de mesures nouvelles. Les compagnies
dramatiques, dont les modalités de soutien ont été actualisées, bénéficieront
d'environ 1,98 million d'euros de mesures nouvelles ; leurs subventions
s'élevaient en 2001 à 28,57 millions d'euros. Je relèverai également le
maintien à un niveau élevé du soutien apporté par le ministère de la culture au
théâtre privé.
Ces moyens nouveaux permettent de poursuivre la politique entreprise au cours
des exercices précédents pour restaurer l'équilibre financier des institutions
de la décentralisation théâtrale, menacé par des charges de personnel qui vont
en s'alourdissant.
Ces mesures ne peuvent toutefois se justifier que si elles s'accompagnent d'un
effort de démocratisation. Les mesures tarifaires ont montré leurs limites.
Vous avez, à juste titre, fait de l'éducation artistique une priorité de votre
action en 2002. Quelles seront les mesures prises en faveur de l'enseignement
du théâtre, qui reste le parent pauvre des dispositifs mis en place en ce
domaine ?
Les dépenses d'investissement, sous l'effet de la diminution des autorisations
de programme destinées à financer les travaux du théâtre de l'Odéon, reculent.
Cependant, l'enveloppe des opérations portant sur des structures ne relevant
pas de l'Etat demeure fixée au même niveau qu'en 2001. Au-delà de cette donnée
d'ensemble, il nous serait utile de disposer d'informations sur l'utilisation
de ces crédits indispensables à la vitalité de la création dramatique en
régions.
Telles sont quelques-unes des observations formulées par M. le rapporteur pour
avis.
Compte tenu de la volonté d'encourager la diversité de la création tout en
assurant l'égal accès de tous à la culture, la commission des affaires
culturelles a fait sienne la proposition de son rapporteur pour avis, M. Marcel
Vidal, d'émettre un avis favorable sur l'adoption des crédits du cinéma et du
théâtre dramatique pour 2002.
(Applaudissements sur les travées du
RPR.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Avec la permission de M.
Philippe Nachbar, je répondrai d'abord au rapport de M. Vidal, présenté par le
président Vallade, pour faciliter le relais avec M. le secrétaire d'Etat.
Le cinéma a été longuement traité dans le rapport de M. Vidal. Il est
évidemment agréable d'évoquer ce sujet dans une conjoncture particulièrement «
porteuse », comme l'on dit, éminemment positive pour la cinématographie
française. Je souhaite évidemment un prompt rétablissement à M. Vidal. Je sais
tout l'intérêt qu'il porte à ce dossier.
La part du marché du film français a en effet atteint un nouveau record de
42,5 % sur les neuf premiers mois de cette année, à comparer avec les 30 %
atteints en l'an 2000 sur la même période. En outre, 90 % des spectateurs se
déclarent satisfaits après avoir vu un film français. Ces 42,5 %, et même la
moyenne des 30 %, traduisent la nette supériorité de la situation de la
cinématographie dans notre pays par rapport aux pays voisins et amis. On peut y
voir l'efficacité de la politique publique d'aide au cinéma et la qualité de
nos créateurs dans cette discipline.
Vous vous êtes préoccupé du système d'aide à l'exportation. L'aide à la
prospection va être modernisée dès la fin de ce mois. Un deuxième progrès est
accompli avec l'éligibilité, depuis le début de cette année, de la production
cinématographique à la procédure d'assurance-prospection de la COFACE.
Certaines entreprises ont déjà commencé d'en bénéficier. Il est clair que notre
ambition aujourd'hui est d'assurer une plus forte présence des films français
hors de nos frontières. De même, le Centre national de la cinématographie
s'emploie à mettre en oeuvre les réformes que nous avons décidé de mener à bien
cette année concernant le court-métrage, le cinéma d'art et d'essai, l'aide à
l'écriture, l'aide au scénario. Les crédits nécessaires sont prévus au compte
spécial dès ce projet de budget pour 2002.
Enfin, le projet de décret relatif à la régulation des cartes d'abonnement
illimité sera prochainement transmis pour avis au conseil de la concurrence. Je
ne possède pas, monsieur le rapporteur pour avis, d'étude complète sur l'effet
de ces cartes sur le comportement du public. Les seules informations que nous
détenons émanent des sociétés exploitantes qui ont elles-mêmes créé ces cartes.
Nous devons donc aller plus loin dans l'analyse. Il n'est pas très facile, dans
les résultats actuels de ces cartes, de faire le départ entre ce qui tient à la
conjoncture forte des films français et ce qui dépend de la mécanique
particulière de l'abonnement illimité. Nous manquons encore d'un peu de recul
et les analyses de la concurrence sur le bien-fondé de ces dispositifs nous
font encore défaut.
J'aborde le théâtre. Le rapport a souligné la forte progression des crédits du
titre IV, qui illustre évidemment la volonté du Gouvernement de faire de la
création vivante une véritable priorité, sans d'ailleurs nous limiter au
théâtre mais en embrassant l'ensemble des disciplines du spectacle vivant, au
premier rang desquelles la danse, sans oublier les arts de la rue, le cirque et
toutes les nouvelles formes d'expression.
Nos crédits d'intervention traduisent, je crois, le dynamisme et la diversité
de la création artistique ainsi que notre volonté de rééquilibrer l'effort
entre Paris et les régions, le titre IV étant très majoritairement déjà
déconcentré.
Les 160 millions de francs - 25 millions d'euros - de mesures nouvelles
représentent un effort sans précédent et le théâtre en bénéficie largement,
avec plus de 25 millions de francs. Nous aurons également accru le budget des
théâtres nationaux de 14,03 % depuis 1997 et l'ensemble des enseignements
artistiques dans le domaine du spectacle vivant fera l'objet de plus de 40
millions de francs de mesures nouvelles. Vous avez noté, à juste titre, que
c'est un axe fort de la politique du Gouvernement et du ministère de la culture
et de la communication.
J'en viens au rapport présenté par M. Nachbar. Comme il l'a dit lui-même, je
me suis exprimée sur plusieurs des points qu'il a évoqués lorsque j'ai répondu
à M. Gaillard, notamment en matière d'emploi, en ce qui concerne la mise en
oeuvre de l'ARTT et s'agissant de la résorption de l'emploi précaire.
Vous avez souligné une préoccupation, qui est aussi la mienne, en ce qui
concerne le renforcement des moyens en personnel du ministère. Pour 2002, j'ai
obtenu 350 emplois budgétaires nouveaux et près de 1 500 pour les
établissements publics, notamment pour le futur établissement de l'INRAP,
l'Institut national de recherche et d'archéologie préventive, qui va succéder à
l'AFAN, l'Association pour les fouilles archéologiques nationales. En outre,
sur ce point de la création d'emplois, nous avons ouvert des discussions avec
les syndicats de manière à mieux prévoir dans le temps les besoins en emplois.
C'est un travail que nous avons engagé dès la semaine dernière, à l'issue des
négociations sur l'ARTT. J'ai, en particulier, pour préoccupation de renforcer
les effectifs dans les DRAC, les directions régionales des affaires
culturelles, outil important de la mise en oeuvre concrète de notre politique
au contact des collectivités territoriales.
J'ai bien pris note de votre suggestion d'une enquête plus régulière sur les
dépenses dans les collectivités territoriales. Quant au suivi des dépenses en
DRAC, l'année 2002 marquera un progrès décisif, comme j'ai eu l'occasion de le
souligner. Je partage votre souci de mieux évaluer dans les établissements
publics nouveaux les besoins et la répartition des moyens. Cela fait aussi
partie de la concertation engagée avec les syndicats.
J'en viens aux musées. Les musées nationaux ne sont vraiment pas les parents
pauvres. Ils voient au contraire leurs moyens progresser, hors incidence du
projet de musée des Arts premiers.
En ce qui concerne le récolement, je viens de confier une mission à un
inspecteur général de mon ministère.
Enfin, pour la RMN, la Réunion des musées nationaux, le travail de
l'inspection générale des finances nous éclairera prochainement sur un problème
qui vous préoccupe, en particulier sur les moyens consacrés aux acquisitions.
J'ai demandé à la RMN, lorsque nous serons éclairés par le travail de
l'inspection, de consacrer une part plus grande de ses moyens aux acquisitions.
Je rappelle que, parallèlement, les mesures prises concernant les trésors
nationaux et les incitations fiscales aux entreprises contribueront à accroître
les moyens publics consacrés aux acquisitions.
Pour l'éducation artistique, je suis bien consciente que nous devons mieux
concevoir la répartition des tâches et la convergence des efforts entre l'Etat
et les collectivités territoriales. C'est pourquoi il s'agit de l'un des thèmes
retenus pour les nouveaux protocoles expérimentaux de décentralisation. Mon
collègue M. Duffour va maintenant évoquer cet aspect et répondre aux questions
concernant le patrimoine.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le temps qui
m'est imparti, je tenterai très brièvement d'apporter quelques précisions pour
rassurer MM. Gaillard et Nachbar, qui nous ont fait part de leurs inquiétudes
au sujet du patrimoine.
Notre politique ne sacrifie pas la pierre au bénéfice du spectacle vivant. Le
patrimoine, qui fait partie des priorités de notre projet de budget, bénéficie
d'une augmentation globale de 4,3 %.
D'une part, les autorisations de programme augmentent de 2,27 % pour
atteindre 178,96 millions d'euros. Nous poursuivons, bien sûr, les opérations
sur les grands monuments. Je pense aux cathédrales et pas uniquement aux
monuments parisiens. Nous pourrons en apporter la preuve si nous sommes
interrogés sur ce point au cours du débat.
A l'opposé d'un désengagement de l'Etat, le mouvement marqué de
déconcentration des crédits permettra aux directions régionales des affaires
culturelles, les DRAC, qui recevront une enveloppe globalisée, de prendre des
arbitrages adaptés aux nécessités locales et de développer la
contractualisation avec les collectivités territoriales. C'est dire que nous
souhaitons que l'Etat s'ajuste au plus près de nos collectivités.
Ainsi, 54,4 % des crédits d'investissement sont déconcentrés. M. Nachbar a
marqué son adhésion à cette politique. Cette adhésion ne devrait pas être
tempérée car ces crédits sont utilisés en toute transparence. Certes, une plus
grande précision dans l'approche est nécessaire, mais on ne peut pas nous
reprocher cette souplesse. Je le répète : 54,4 % des crédits d'investissement
sont déconcentrés. Sur cette somme, le pourcentage appliqué aux monuments dont
l'Etat n'est pas propriétaire est de 100 %.
Les crédits consacrés au patrimoine rural non protégé ne sont en rien
diminués, mais ils sont regroupés, selon la nouvelle nomenclature du projet de
loi de finances pour 2002, avec les crédits consacrés à l'archéologie et aux
monuments historiques, apportant ainsi plus de souplesse aux opérations
déconcentrées. La procédure budgétaire en reste lisible, car le contrôle
parlementaire peut s'exercer sur les crédits alloués région par région.
En ce qui concerne les monuments historiques n'appartenant pas à l'Etat, notre
politique, notamment vis-à-vis des propriétaires privés, dont nous connaissons
les difficultés, se traduit par une augmentation de 5 % de l'enveloppe. Nous
favorisons l'entretien régulier des monuments, condition indispensable de
sauvegarde à long terme, comme vous l'avez très justement dit, monsieur le
rapporteur pour avis. C'est un mouvement que nous développons de manière
générale dans notre budget patrimoine.
Cette politique d'augmentation est constante : je rappellerai que, de 1997 à
2001, les crédits consacrés à ces édifices ont augmenté de 20,7 %.
Enfin, une nouvelle mesure de déduction des primes d'assurance constitue une
grande avancée en matière d'aide à la préservation des monuments historiques
appartenant à des propriétaires privés.
Nous travaillons étroitement avec la Fondation du patrimoine, dont le siège
sera à Chaillot, au sein de la Cité de l'architecture et du patrimoine, où elle
bénéficiera de ses équipements et de ses compétences.
Comme pour l'ensemble des organismes architecturaux situés sur ces lieux
actuellement, un autre hébergement provisoire est nécessaire pendant la durée
des travaux. Il a été convenu, avec la fondation, que seraient d'abord
recherchés des locaux publics et gratuits et que, en cas d'insuccès, le
ministère de la culture et de la communication prendrait à sa charge les locaux
privés que louerait la fondation. Les travaux seront engagés à la mi-2002, et
nous serons prêts d'ici là. Les déductions fiscales attachées au label attribué
par la fondation peuvent atteindre 50 % des travaux relatifs aux toitures,
façades et infrastructures. L'évaluation de ces mesures, annoncées en 2001 par
Catherine Tasca, va pouvoir s'engager.
Quant à l'Institut national de recherche en archéologie préventive, les
décrets d'application de la loi du 17 janvier 2001 étant prêts, il sera créé au
début de 2002. Il permettra de concilier au sein de la mission d'Etat les
contraintes scientifiques et les impératifs liés à l'aménagement. La dotation à
l'archéologie préventive diminuera puisque la loi a mis en place une redevance
payée par les aménageurs. Une subvention de 5,03 millions d'euros est néanmoins
maintenue, et 35 emplois sont créés pour la carte archéologique. Les crédits
d'investissement pour les fouilles programmées et dépôts de fouilles
augmentent, quant à eux, de 12 %, en passant à 3,58 millions d'euros.
Ces éléments, brossés à grands traits dans les quelques minutes qui me sont
imparties, démontrent la marche dynamique de notre politique patrimoniale que
traduit notre projet de budget et répond à l'intérêt croissant de nos citoyens
pour tout le patrimoine national.
En ce qui concerne la décentralisation, les protocoles de décentralisation
culturelle se construisent sur la base d'un contrat entre l'Etat et une
collectivité volontaire. Ils expérimentent, dans le cadre de la législation
actuelle, de nouvelles formes du partage de la responsabilité.
Il s'agit donc non pas de procéder à un transfert de compétences au sens
juridique du terme, mais bien de tester une nouvelle répartition des
responsabilités permises par les lois en vigueur. L'Etat a choisi d'accompagner
ce programme de 15 millions de francs de mesures nouvelles en 2001 pour sept
protocoles. Il engagera une dernière étape de cette expérimentation en 2002,
pour laquelle nous avons inscrit 8 millions de francs de mesures nouvelles.
La culture doit rester une compétence partagée, car elle est l'affaire de
tous.
Nous pensons avoir engagé une démarche correspondant aux attentes des élus et,
pour avoir signé des protocoles dans des régions qui vous sont chères,
messieurs Valade et Nachbar, je sais que l'écho a été très positif.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
Nous passons aux questions.
Je rappelle que chaque intervenant dispose de cinq minutes maximum pour poser
sa question, que le ministre dispose de trois minutes pour répondre et que
l'orateur dispose d'un droit de réplique de deux minutes maximum.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, l'organisation de notre discussion budgétaire m'incite à ne
pas revenir sur les propos de nos excellents rapporteurs, qui viennent de nous
commenter les crédits du ministère de la culture. Aussi ai-je choisi de centrer
mon intervention sur les difficultés du développement culturel dans un
département rural.
La culture est au coeur de l'identité nationale et régionale. Certes, Paris
est l'une des capitales culturelles du monde ; mais ce qui gravite brillamment
autour de ce pôle contribue également à notre rayonnement culturel.
En effet, nos départements, souvent ruraux, possèdent un potentiel et des
atouts touristiques et culturels indéniables : leur patrimoine archéologique,
historique et rural particulièrement abondant doit être sauvegardé, promu et
transmis dans des conditions satisfaisantes. C'est bien là l'objectif premier
de notre société, le geste essentiel que nous devons à nos enfants.
S'agissant des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement, les
CAUE, le cadre législatif les implique de plus en plus. Je pense notamment aux
lois relatives à la décentralisation, à l'intercommunalité, au renouvellement
urbain, à l'aménagement durable. Je ne peux que me féliciter de cette
reconnaissance progressive, comme en témoignent la sollicitation croissante des
acteurs de terrain ainsi que la diversification de la demande.
Malgré le travail remarquable qu'ils réalisent, spécialement en milieu rural,
les CAUE connaissent de graves difficultés financières. En effet, les
ressources de ces instances, provenant essentiellement de la taxe
départementale des CAUE, assise sur la construction neuve, ne cessent de
diminuer.
Créés par la loi sur l'architecture de 1977, ces conseils constituent pourtant
un outil très précieux : conseils aux particuliers, accompagnement de la
maîtrise d'ouvrage publique, sensibilisation des artisans et des plus jeunes en
milieu scolaire.
Ces missions d'une grande amplitude sont malheureusement disproportionnées par
rapport au potentiel réel d'intervention des CAUE. Le budget moyen nécessaire
au bon fonctionnement d'un CAUE devrait être de l'ordre de 10 francs par
habitant. Or, en 1999, 83 CAUE se partageaient 183 millions de francs.
Le mode de financement des CAUE est injuste, insuffisant et inadapté.
Il est injuste, parce que la pression fiscale est concentrée sur un nombre
limité de ménages et que la taxe départementale des CAUE est aisément
détournée, notamment par les sociétés civiles immobilières, les SCI.
Il est insuffisant, car le produit de cette taxe stagne en francs
constants.
Il est enfin inadapté, de par les difficultés de recouvrement.
Les perspectives sont alarmantes : la baisse structurelle de la construction
neuve annonce une régression financière ; le montant des prélèvements fiscaux,
avec la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, pourrait
diminuer de 18 % à 30 %.
Depuis plusieurs années, j'interviens régulièrement pour souligner les
difficultés rencontrées par ces instances, dont l'action est pourtant
irremplaçable. En vain !
La situation précaire dans laquelle se trouvent les CAUE devrait conduire, si
aucune amélioration n'est apportée, à une fragilisation, voire à la disparition
de ces structures.
La valorisation du patrimoine culturel rural relève aussi d'initiatives
locales. A la haine révolutionnaire, aux lubies despotiques, n'associons plus,
madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, l'Etat vandale. Ne nous
offrons plus le luxe de toutes les formes de destruction. La France, dont les
innombrables beautés devraient être impérissables, semble depuis des décennies
débordée par la charge qui lui incombe. La situation des monuments affectés
trop souvent aux caprices de nos régimes, désaffectés, abandonnés, démembrés
aussi, sauvés parfois par des admirateurs étrangers, restaurés, mais souvent
trop tard, doit appeler votre attention. Je la sais réelle et passionnée.
Le patrimoine est menacé, nos régions en souffrent déjà. Vos services, votre
budget ne peuvent pas tout. Les initiatives locales méritent votre appui. Je
pense notamment à l'association des Petites cités comtoises de caractère, dont
j'ai été le président-fondateur en 1989. Cette association, qui fédère
vingt-trois communes rurales franc-comtoises, valorise le patrimoine et les
savoir-faire d'hier et d'aujourd'hui, affirme l'identité locale enracinée dans
un passé commun régional et met en réseau les potentiels culturels et
touristiques des cités membres.
L'Etat s'appuie sur les associations pour faire vivre des projets, mais
celles-ci pâtissent d'une reconnaissance insuffisante que je déplore.
Tout d'abord, la multiplicité des interlocuteurs engendre de nombreuses
difficultés. L'absence de convention pluriannuelle thématique oblige
l'association à renégocier ponctuellement chaque programme. Compte tenu de la
dimension régionale de l'association, il serait judicieux de définir un contrat
d'objectifs pluriannuel.
Ensuite, les difficultés résultent également de l'insuffisance du financement.
Excepté quelques subventions pour favoriser des opérations ponctuelles de
sensibilisation du public, l'unique soutien de l'Etat concerne actuellement le
recrutement d'un emploi-jeune. Je pense que l'Etat devrait davantage apporter
son soutien financier à une association qui favorise la prise en compte de
l'aspect culturel dans les projets de développement local.
J'aurais aimé parler des métiers d'art, qui mériteraient une aide financière
de votre part, madame le ministre ; mais, faute de temps, je m'abstiendrai, en
vous informant toutefois du projet de la société d'encouragement aux métiers
d'art, la SEMA, de lancer en 2002 les classes à projet artistique et culturel
sur le thème des métiers d'art.
Madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que comptez-vous faire en
faveur du développement culturel des départements ruraux qui, je le répète,
participent incontestablement au rayonnement culturel de la France ? Ils sont
les détenteurs principaux de la richesse de notre pays. Ils demeurent
aujourd'hui les parents les plus pauvres de notre patrimoine.
M. Louis de Broissia.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le sénateur, la politique du ministère en
direction du milieu rural passe par un partenariat durable avec les
collectivités territoriales. Le Gouvernement y tient beaucoup puisque, comme
vous, il souligne la richesse des réalisations en milieu rural.
Dans ce but, les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC,
disposent de moyens pour soutenir les volets culturels des contrats de pays et
des intercommunalités. Lors de ma visite dans votre région, j'ai beaucoup
insisté auprès de la DRAC pour qu'il en soit ainsi.
Vous avez évoqué le conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement
de la Haute-Saône. Nous connaissons son action positive et militante, ainsi que
ses performances en matière de pédagogie et de culture architecturale, urbaine
et paysagère. C'est un bon CAUE, qui mène dans les communes une action
remarquable d'assistance architecturale aux permis de construire.
Il est vrai - j'abonde dans votre sens, monsieur le sénateur - que le
financement actuel des CAUE par une taxe départementale sur la construction est
par nature non seulement aléatoire, mais aussi inégalitaire et inadapté à la
demande sociale de plus en plus forte tant des particuliers que des
collectivités.
C'est pourquoi nous engageons un projet de réforme et nous sommes en
concertation à ce sujet avec le ministère de l'équipement, des transports et du
logement et le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Ce projet, prenant en compte la nécessaire évolution des missions des CAUE,
doit prévoir un nouveau mode de financement permettant la stabilisation des
ressources et la continuité du service public, plus de justice fiscale, mais
surtout une meilleure péréquation entre les CAUE, ce qui, monsieur le sénateur,
répondrait à votre souci. Il sera intégré au projet de loi sur
l'architecture.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Bernard Joly.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Je tiens à remercier M. le secrétaire d'Etat de ces bonnes nouvelles, qui
permettront de récompenser les CAUE dynamiques. Une solution pourrait
d'ailleurs, à mon avis, être trouvée dans la formule : « Aide-toi, le ciel
t'aidera » ; il faudrait en effet un apport du conseil général du département
de même nature que celui de l'Etat.
Je conclurai ce propos en insistant pour que les métiers d'art ne soient pas
oubliés.
M. le président.
La parole est à M. de Broissia.
M. Louis de Broissia.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, dans la note de présentation que nous a adressée notre
distingué rapporteur spécial, M. Yann Gaillard - mais M. Philippe Nachbar,
rapporteur pour avis, l'a également rappelé - il est indiqué qu'il existe «
pour les dépenses en capital un décalage de plus en plus net entre les crédits
inscrits et ceux effectivement décalés, décalage dont le ministère semble
prendre son parti, quand il ne s'efforce pas d'en tirer parti ».
Je mets cette phrase en exergue, madame le ministre, monsieur le secrétaire
d'Etat, parce qu'elle semble écrite pour résumer l'attitude de l'Etat sur un
projet qui me tient à coeur, l'aménagement du parc archéologique d'Alésia, en
Côte-d'Or, et qui est exemplaire de l'engagement de l'Etat dans de nombreux
dossiers départementaux ou régionaux en matière culturelle.
Vous le savez, mes chers collègues, depuis 1999, l'assemblée départementale a
décidé de remettre en valeur le site, en particulier le site paysager, de ce
haut lieu historique où Vercingétorix plia devant Jules César, inutile de vous
le rappeler ! Le conseil général a donc accepté le principe de l'aménagement
d'un parc archéologique pour remettre en valeur de façon visuelle cette
bataille fondatrice de l'histoire de notre nation et de l'Europe. Nous
souhaitons que les Français se réapproprient ainsi leur patrimoine et leur
histoire. Ces ambitions sont partagées, nous le savons.
Deux ans après son lancement, ce projet avance pas à pas, mois après mois :
études de faisabilité, préprogrammation, engagements des démarches nécessaires,
mise en route des travaux préalables à la restauration des vestiges du théâtre
gallo-romain - cela me donne l'occasion d'inviter mes collègues à venir voir,
mois après mois, que les opérations avancent puisque je leur en avais parlé
l'an dernier - mise en place des comités de pilotage scientifiques réunissant
de grands archéologues français et européens, mise en oeuvre des marchés
d'études de définition. Nous travaillons jour après jour, madame le ministre,
monsieur le secrétaire d'Etat. Cette opération prend tournure et nous en sommes
fiers. Nous sommes maintenant engagés de façon irréversible.
J'ai cru comprendre, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que ce
projet ne vous laissait pas indifférents, ce dont je me réjouis. J'ai lu avec
intérêt, dans les documents de présentation de vos crédits budgétaires pour
2002, au chapitre consacré à la poursuite de la politique de l'Etat en faveur
des monuments historiques, que « la priorité reste le traitement des urgences
sanitaires mais », et c'est cela qui m'intéresse, qu'« une place importante
sera réservée aux divers programmes d'envergure tels que la restauration de
l'abbaye de Lavoûte-Chilhac, l'aménagement du site d'Alésia, le programme de
restauration des grands monuments de la ville de Paris et de Lille. »
Madame le ministre, je suis très heureux de cette bonne nouvelle, mais, étant
un peu comme saint Thomas, j'aimerais être sûr que les engagements budgétaires
pourront être retenus. Nous attendons toujours que l'Etat nous précise
clairement quels seront ses engagements financiers pour 2002 et pour les années
suivantes. J'ai posé la question à M. Duffour lorsqu'il est venu à Dijon. Je la
lui poserai de nouveau chaque fois qu'il viendra.
Madame le ministre, il en va donc de la crédibilité de cette opération, qui a
été présentée devant les instances européennes et qui pourrait obtenir en 2004
une reconnaissance sous la forme d'un label européen. Et ce qui pourrait être
accordé à cette grande bataille pourrait être envisagé pour d'autres grandes
batailles de l'histoire de l'Europe...
J'aimerais, madame la ministre, que vous nous affirmiez que les engagements de
l'Etat seront confirmés et que 2054 ans après la première bataille de
l'histoire de France, Alésia pourra revivre.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat.
Monsieur de Broissia, nous connaissons votre
attachement à ce projet. Lors de mon déplacement à Dijon, vous avez su, avec
passion, m'en montrer tout l'intérêt.
Ce projet est né avec l'appui de la direction régionale des affaires
culturelles, qui a toujours été très intéressée et s'est impliquée dans son
élaboration. Un certain temps s'est écoulé depuis mon déplacement, monsieur le
sénateur, mais le projet appelle la contribution de trois de nos directions
puisqu'il s'agit de l'aménagement du site archéologique, de la rénovation du
musée et de l'aménagement culturel du territoire ; cela implique une certaine
harmonisation.
Un projet de cette importance devait se donner les moyens et les garanties de
son ambition. Dès lors que le conseil général a pris la responsabilité d'en
être le chef de file, et notamment de recruter un conservateur et un chef de
projet, le ministère de la culture accompagnera la démarche et confirmera son
engagement sur l'ensemble du programme dans les semaines qui viennent.
M. Louis de Broissia.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. de Brossia.
M. Louis de Broissia.
J'espère que La Poste fonctionnera bien, monsieur le secrétaire d'Etat.
(Sourires.)
A la limite, j'irai chercher la lettre de confirmation chez
vous, cela fera gagner du temps, la rue de Valois n'est pas si loin !
Je voudrais surtout vous sensibiliser, madame la ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, à l'importance de la reconstitution des sites des grandes
batailles.
Permettez-moi de vous citer un fait qui va peut-être vous amuser ; en tout
cas, moi, j'en ai conçu un peu de honte.
M'étant rendu à Bruxelles pour défendre mon projet devant la direction
générale compétente, j'ai appris que la première reconstitution de site qui
avait été retenu était celle de Waterloo !
(Sourires.)
Une fois de plus,
les Français ont raté une occasion !
M. le président.
Je rappelle que nous sommes à la veille de la date anniversaire de la bataille
d'Austerlitz !
(Nouveaux sourires.)
La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix.
Les Archives nationales remplissent une mission primordiale.
Aujourd'hui, faute de place, de moyens, et surtout de personnel, les Archives
nationales ne peuvent plus remplir correctement cette mission. Elles sont
victimes de leur succès. Comme l'a récemment rappelé le Président de la
République, « les Français se passionnent pour l'histoire de leur pays ».
Dans le rapport qu'il avait déposé en 1996, Guy Braibant, conseiller d'Etat,
avait formulé des recommandation pour remédier à ces difficultés. Depuis, et en
dépit des promesses réitérées de la part du Gouvernement, aucune mesure n'a vu
le jour.
Malheureusement, les Archives demeurent le parent pauvre du ministère de la
culture. Récemment, lors du colloque sur le thème « Les Français et leurs
archives », le Premier ministre a réaffirmé sa volonté, sa promesse de créer un
nouveau centre et un comité interministériel des archives de France. Espérons
que ces déclarations ne resteront pas au stade des intentions !
Madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, quand allez-vous donner des
moyens supplémentaires aux Archives nationales ? Comment comptez-vous financer
la nouvelle cité des archives ? Quand sera-t-elle opérationnelle ? Enfin,
avez-vous l'intention de réformer la loi sur les archives ?
Les crédits consacrés au patrimoine rural sont dérisoires. En 2002, la ligne
budgétaire a été purement et simplement supprimée pour être globalisée au sein
du chapitre des opérations déconcentrées.
L'engagement de l'Etat en faveur de ce patrimoine n'apparaît donc pas
clairement et, encore une fois, les collectivités territoriales vont être
obligées de pallier le manque d'engagement de l'Etat.
La Fondation du patrimoine a d'indéniables difficultés pour s'affirmer,
s'identifier, faute, notamment, d'un franc soutien de l'Etat. Madame le
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, pourquoi l'avantage fiscal attaché à
la délivrance, par la fondation, - de son label n'est-il pas systématique ?
Quand la fondation sera-t-elle associée à la conduite de la politique du
patrimoine ?
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le sénateur, vous
avez raison de souligner l'importance des Archives de France. Pour ma part, je
ferai également mention du travail qui est accompli par les archives
départementales, lesquelles forment un réseau tout à fait remarquable sur notre
territoire.
Cette grande fonction régalienne de l'Etat est devenue très importante aux
yeux de nos concitoyens, qui sont de plus en plus nombreux à vouloir accéder
aux sources de leur mémoire, à toutes les traces de notre histoire, traces
écrites, bien sûr, mais aussi archives orales et visuelles. Un colloque
consacré aux archives orales a d'ailleurs eu lieu au Conseil économique et
social, voilà quelques mois, sur un rapport de Mme Georgette Elgey.
Un très grand nombre de Français sont également pris de passion pour la
généalogie : ils sont à la recherche de leurs origines familiales.
Tout ce mouvement peut s'expliquer par la richesse de la recherche historique
dans notre pays, mais aussi par le sentiment du temps qui passe de plus en plus
vite et qui risque d'effacer les traces de la mémoire individuelle ou
collective. La fonction des archives est donc, aux yeux du Gouvernement, une
fonction tout à fait fondamentale.
Il est vrai qu'aujourd'hui notre administration n'est pas encore dotée de tous
les moyens pour faire face à cette grande mission et à l'attente de nos
concitoyens.
Le 5 novembre, encore au Conseil économique et social, le Premier ministre
s'est engagé personnellement dans l'accomplissement de cette mission. Il a
annoncé la création d'un nouveau centre pour les Archives nationales et il a
confié une mission à Mme la directrice des Archives nationales, qui doit nous
remettre très prochainement un rapport.
Un premier conseil supérieur des archives se réunira d'ici à la fin du mois de
janvier 2002. Il devra, notamment, proposer au Gouvernement le choix du terrain
sur lequel sera implantée cette cité des archives. Le Premier ministre estime
qu'elle devrait être située celle-ci devait être implantée en Ile-de-France, à
proximité des moyens de transports en commun et qu'elle devrait être dotée de
tous les moyens modernes susceptibles d'en faire une tête de réseau très
précieuse pour la recherche.
A la fin du mois de janvier, le Premier ministre pourra arbitrer entre les
différentes candidatures qui se proposent pour l'accueillir.
Dans le présent projet de budget sont déjà prévus des crédits d'études pour
l'établissement du programme de réalisation de cette opération, à laquelle nous
sommes, tous, très attachés. Nous espérons que sa mise en oeuvre pourra être
engagée le plus rapidement possible.
M. Philippe Nogrix.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix.
Je vous remercie, madame, des propos que vous venez de tenir. Votre analyse
sur ce que les Français attendent des archives est bonne.
Toutefois, si les intentions sont louables, les moyens font défaut. Il est
vrai que M. le Premier ministre a classé ce projet parmi les priorités. Mais,
comme chaque fois qu'il prend la parole, c'est pour définir une priorité, au
milieu de toutes ces priorités on ne sait plus lesquelles en sont
véritablement.
Par ailleurs, vous annoncez que cette cité doit être implantée en
Ile-de-France. Merci pour la décentralisation ! Merci pour nos provinces et nos
départements ! Je pensais qu'avec les moyens de communication qui existent
aujourd'hui on aurait pu donner un signal en installant les archives dans une
province qui les aime bien. Et pourquoi pas en Bretagne !
(Sourires.)
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat.
Dans mon court exposé à la tribune, j'ai indiqué qu'il
y avait eu regroupement sur une même ligne des crédits affectés aux patrimoines
ruraux non protégés et des crédits destinés aux monuments historiques et à
l'archéologie. Nous attachons néanmoins beaucoup d'importance à ces patrimoines
ruraux puisqu'ils tiennent dans les protocoles de décentralisation culturelle
une très grande place. Le protocole signé en Lozère, par exemple, portait
essentiellement sur ce sujet.
S'agissant de la Fondation du patrimoine, je peux dire que nous travaillons au
mieux avec elle.
A propos des archives, je ferai tout de même remarquer que la progression des
archives départementales constitue un très bel exemple de décentralisation au
cours de ces vingt dernières années !
M. le président.
La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite.
Je tiens à dire tout d'abord à Mme la ministre et à M. le secrétaire d'Etat
que je voterai, avec mon groupe, leur budget pour les niveaux qu'il atteint,
pour l'augmentation des crédits de création, pour la diversité culturelle, que,
personnellement, je préfère appeler « exception » et qu'ils défendent avec
énergie, pour les postes créés dans l'administration, pour la lettre écrite aux
artistes récemment, et pour le projet de loi sur les intermittents, adopté à
l'Assemblée nationale et dont j'espère que le Sénat va se saisir rapidement.
Cela étant dit, je souhaite revenir sur une question que j'ai évoquée tout à
l'heure lors du débat sur l'audiovisuel. Vous m'avez alors répondu, madame la
ministre, que rien n'était réglé, et je suis d'autant plus préoccupé que,
l'année dernière, nous avons déjà eu cette discussion sur les cartes
d'abonnement cinématographique.
Sans doute ne disposons-nous pas de tous les résultats mais nous savons que le
marché a augmenté de 7 %, que 80 établissements cinématographiques de la région
parisienne ont augmenté leur diffusion de 30 % et que cette progression n'a
concerné que de grands circuits, plus deux opérateurs indépendants.
Et pendant ce temps, la majorité des opérateurs indépendants ont vu leur
activité reculer de 4 % à 5 %, certains de 40 %. Seul UGC est sorti gagnant de
l'opération : cela soulève quand même un problème quant au pluralisme de
l'offre.
Les questions qui sont soulevées à propos de l'émission
PopStars
sont
des questions de fond au regard de la notion d'oeuvre. Mais il y a aussi la
diffusion du film
Titanic
en deux épisodes, la revendication des
fabricants de jeux sur la copie privée, les décisions de l'IFPI - fédération
internationale de l'industrie phonographique - visant à mettre en concurrence
au niveau européen les sociétés de gestion collective, la diminution des
obligations de M 6, ou encore les demandes des chaînes thématiques de voir
réduire leurs propres obligations. C'est là tout un ensemble d'accrocs à la
législation qui font leur chemin et qui ont malheureusement trouvé un appui
auprès du CNC, lequel a fait une nouvelle fois, à mes yeux, preuve
d'irresponsabilité en reconnaissant à
PopStars
le statut d'« oeuvre
».
Et le CSA a suivi !
D'ailleurs, le CSA aime bien les querelles de vocabulaire : dans le dernier
numéro de sa revue, la rubrique intitulée « Langue française » est consacrée à
la confusion entre les préfixes « aéro » et « aréo »... Eh bien, que le CSA,
lui, ne fasse pas de confusion entre ce qui est oeuvre et ce qui ne l'est pas
!
Il est vrai que les textes de 1990 ne donnent de la notion d'oeuvre qu'une
définition négative en excluant tout ce qui est journal télévisé, émission
sportive, émission de variétés, émission de plateau. Sans doute faut-il
travailler à une nouvelle définition. Sans doute faut-il prendre en compte les
expressions culturelles ou artistiques qui naissent ici ou là.
Mais le principal danger, si l'on élargit la définition, c'est d'ouvrir à de
prétendues nouvelles « oeuvres » l'accès au fonds de soutien, de faire qu'elles
soient prises en compte dans les quotas, et c'est alors la si délicate question
de la présence des émissions françaises et européennes qui se trouvera, d'une
certaine manière, mise en cause.
Toutes ces tensions apparaissent bien dans les débats qui ont lieu
actuellement.
Par exemple, au Salon du livre, au cours d'un colloque sur la littérature,
voici ce qu'on a pu entendre : « Les auteurs, musiciens et cinéastes doivent
être à l'écoute de leurs clients... Il faut produire des oeuvres qui soient
adaptées à tout le monde... L'imprimeur devient un fabricant de livres... La
création doit devenir créativité... Les lecteurs sont des consommateurs de
livres... Les prix doivent être fonction de la demande. » Certains intervenants
ont mis l'accent sur la « fugacité et la mobilité des contenus ».
C'est la même démarche que celle qui tend à faire entrer, comme certains le
proposent,
Fort Boyard
dans le champ des « oeuvres » ! Et après,
jusqu'où ira-t-on ?
J'ai eu la curiosité de visionner
PopStars
pendant une heure et demie.
Si on veut les aider, qu'on le fasse, mais pas en tant que créateurs d'une
oeuvre ! Ne confondons pas !
Cette question de la définition de l'oeuvre est actuellement vraiment
cruciale.
Le
Nouvel Observateur
de la semaine dernière a consacré un dossier à de
jeunes auteurs anglais baptisés les « nouveaux puritains ». Eh bien, je suis
fier qu'une dizaine de jeunes auteurs français expliquent en quoi cette voie
n'est pas la leur, l'un d'eux s'appuyant sur Kafka, pour qui un écrivain, c'est
quelqu'un qui fait « un bond hors du rang ».
Franchement, l'émission que le CNC a cru bon de distinguer fait peut-être un
bond en audience, elle fait sans doute faire des bonds dans un coffre-fort,
mais elle ne fait certainement pas un « bond hors du rang » !
Reprenant une image utilisée par une poétesse russe, je vous soumets cette
petite fable sur la chaussure et l'art. Le matériau d'une chaussure peut être
estimé : il est fini. Le matériau d'une oeuvre d'art, l'esprit, ne peut être
estimé : il est infini. Il n'existe pas de chaussure pour toujours. Chaque vers
de Sapho est donné une fois pour toutes. Des chaussures incomprises, cela
n'existe pas, tandis que des vers incompris, ô combien !
C'est vraiment une question forte.
M. Michel Caldaguès.
Mais ce n'est pas très clair !
M. Jack Ralite.
Bien sûr, les nouvelles technologies induisent des modifications.
Aux états généraux de la culture qui tenaient hier soir leur session annuelle
à Aubervilliers, ont été évoqués des travaux faits en 1988 à l'Ecole
polytechnique sur les
novellas,
ces feuilletons brésiliens si
discrédités. Ces émissions avaient fait l'objet d'un vrai débat et on voyait
bien que cette affaire de définition soulevait d'innombrables problèmes.
Mais soyons rigoureux sur la notion d'oeuvre. Sinon, nous aurons des
lendemains...
M. Ivan Renar.
Qui déchantent !
(Sourires.)
M. Jack Ralite.
... préoccupants.
Il serait vraiment important qu'une initiative gouvernementale soit rapidement
prise pour qu'un colloque travaille sur cette notion.
M. Michel Caldaguès.
Un colloque ! Cela va tout arranger !
M. Jack Ralite.
Quoi qu'il en soit, tout mitage sera préjudiciable.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le sénateur, je
pense que toutes les interrogations que vous formulez sont fondées et appellent
en effet des clarifications, lesquelles ne peuvent d'ailleurs venir du seul
Gouvernement. Je pense qu'il est souhaitable qu'y participent l'ensemble des
professionnels et, au-delà, l'ensemble de l'opinion.
S'agissant des cartes d'abonnement lancées par les grands circuits de salles
de cinéma, je rappelle que les lois du 15 mai et du 17 juillet 2001, qui sont
destinées à encadrer cette formule commerciale, visent à assurer une
rémunération équitable à l'égard des ayants droit de la filière
cinématographique et à permettre que les petits exploitants situés dans la zone
de chalandise où une carte d'abonnement est lancée ne soient pas pénalisés par
cette initiative.
On peut penser que, grâce à cet encadrement législatif, il sera possible de
concilier la très grande vague de ces cartes d'abonnement, en particulier
auprès du public jeune, et la préservation de ce que nous avons toujours
défendu, à savoir la diversité du parc de salles et la diversité de
l'exploitation.
Mme Danièle Pourtaud.
Absolument !
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
L'ensemble du dispositif
d'intervention publique dans ce secteur, vous le savez bien, monsieur Ralite,
doit constamment prendre en compte deux objectifs.
L'un est d'ordre économique. Notre intérêt à tous est de favoriser le
développement des entreprises de l'audiovisuel, du secteur cinématographique,
de tous les secteurs de la création culturelle, en vérité, parce que cela
contribue à la création d'emplois dans notre pays, à la vigueur de notre
économie.
L'autre objectif, auquel je suis attachée autant que vous, est la défense de
la diversité de la création et sa liberté. On parle beaucoup de diversité, mais
on oublie parfois d'évoquer aussi la nécessaire liberté. Celle-ci suppose
l'indépendance, le pluralisme de ce que nous pouvons appeler les « guichets »
en matière de création. Et c'est à cela que nous devons veiller à travers notre
réglementation et à travers le fonctionnement du CNC.
En ce qui concerne
PopStars,
je veux d'abord souligner qu'il s'agit
d'un soutien automatique, et non pas du soutien collectif ; c'est donc
prioritairement le soutien économique qui est en cause. En outre, la décision
prise par le CNC est provisoire. L'octroi définitif du soutien ne sera décidé
qu'après visionnage de l'ensemble de la série. Cela étant, comme vous, je
m'interroge sur la qualification « documentaire » appliquée à cette émission,
étant entendu qu'un documentaire, au sens fort du terme, est une oeuvre de
création.
Quoi qu'il en soit, je le répète, ce sujet devra être clarifié lorsque nous
aurons eu une vision d'ensemble sur l'émission.
Sachez que je suis moi-même très attentive à toutes les tentations
d'élargissement non contrôlé ou non contrôlable de l'acception du mot « oeuvre
» et des conséquences que l'on en tire sur le plan de l'attribution des aides
publiques.
Mme Danièle Pourtaud.
Très bien !
M. Jack Ralite.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite.
Madame la ministre, votre réponse ne m'étonne pas et je souhaite contribuer,
pour la part qui peut me revenir, à vous donner les moyens d'intervenir.
Tous deux, nous nous trouvions la semaine dernière à Bourges pour célébrer la
mémoire de celui qui fut le premier ministre de la culture de notre histoire,
André Malraux, ce même André Malraux qui n'avait pas hésité à opposer « le
puissant effort des usines du rêve producteur d'argent » et « celui, à
construire, des usines du rêve producteur d'esprit ». Nous sommes à ce
rendez-vous, et il me plaît de vous entendre aller dans le même sens avec toute
l'énergie que vous avez mise dans votre réponse.
Quant à l'initiative qui pourrait être prise, je tiens à évoquer le Conseil
supérieur de la propriété littéraire et artistique, que vous avez créé par
arrêté du 10 juillet 2000. Ne pourrait-il animer la démarche d'étude sur la
notion d'oeuvre ?
Je parle là, en réalité, de ce que vous appeliez, lors d'un débat auquel
j'assistais, le « socle de la vie », c'est-à-dire le statut de l'esprit. Bien
évidemment, c'est un point très fort, qui engage toute une démarche
philosophique et humaine très profonde.
En ce qui concerne le CNC, je suis blessé qu'une administration de cette
importance, qui a tant contribué à créer le cinéma français et à garantir son
existence, nous fasse chaque année un petit cadeau empoisonné. Il faut, je
crois, rappeler le CNC à l'ordre.
Il me fait penser à ce que disait Robert Musil à un ami zoologiste alors
qu'ils polémiquaient sur les quadrupèdes : « Quand tu parles de quadrupèdes, tu
nous donnes comme exemple une chaise, un chien, une table et une équation du
quatrième degré. » Eh bien, l'oeuvre n'est rien de tout cela ! C'est
l'autonomie humaine.
Dans un pays comme le nôtre, l'attachement à la création authentique, à l'idée
d'oeuvre, est une tradition nationale et peut-être l'une des raisons pour
lesquelles on nous aime dans le monde.
J'ajouterai un dernier mot. J'ai assisté, la semaine dernière, à la projection
du film de Bertrand Tavernier sur la double peine. Je me suis aperçu que le
service public de l'audiovisuel n'en avait point voulu, non plus que les salles
de cinéma privées de la région parisienne, qu'elles soient indépendantes ou
qu'elles appartiennent à des groupes. Seul le Saint-Michel a accepté de le
programmer. Or je vous assure, mes chers collègues, que c'est une oeuvre
cinématographique - pas de la télé-réalité, mais du cinéma-humanité - qui fait
beaucoup réfléchir.
Puisque le ciné-club du Sénat a récemment présenté une oeuvre sur l'ex-Union
soviétique - une initiative que j'applaudis - je me permets de vous demander,
monsieur le président, d'intercéder auprès du président Poncelet pour que ce
film de Bertrand Tavernier y soit projeté un jour. Le Sénat pourrait ainsi
prendre - avec sagesse ! - toute la mesure de ce problème social qu'est la
double peine.
M. le président.
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est René
Char que, pour ma part, je citerai : « Ne t'attarde pas à l'ornière du résultat
», écrivait-il. N'en déplaise au poète, il me semble que le résultat peut avoir
son importance.
Le fameux seuil du 1 %, tant convoité par tous les ministres de la culture
depuis mai 68, sera atteint en 2002, après l'avoir été une première fois en
1993, grâce au volontarisme de Jack Lang.
Pour autant, cette revendication n'a jamais été une finalité, et encore moins
une frontière, vous l'avez rappelé à l'instant, madame la ministre. Elle était
bel et bien un cap, la partie émergée d'une exigence de refondation de la
politique culturelle.
A cet égard, votre budget, madame la ministre, peut d'emblée être qualifié
d'excellent.
Je citerai quatre motifs de satisfaction particulièrement emblématiques, avant
d'en venir à ma question.
Tout d'abord, la culture n'est plus considérée comme la « danseuse » de
l'économie. Enfin !
En l'espace d'une mandature, son budget augmente de plus de 16 %, alors qu'il
avait subi une coupe de 11 % entre 1993 et 1997. Souvenez-vous, mes chers
collègues : par un tour de passe-passe destiné à masquer cette chute brutale
des crédits, Philippe Douste-Blazy avait transféré des charges et des
compétences, ce qui, en éparpillant les crédits, n'a fait qu'affaiblir le coeur
des missions et des métiers du ministère.
Par ailleurs, un pont est enfin lancé entre la culture et l'éducation, pour
former le regard et l'esprit, éveiller la sensibilité artistique des jeunes, et
même des enfants.
C'est un constat unanime, les politiques tarifaires ne suffisent pas pour
élargir les publics : la fréquentation des oeuvres d'art nécessite une
formation et une pratique dès le plus jeune âge.
Encore fallait-il se donner les moyens d'un rapprochement entre les deux
ministères, sceller un partenariat. Vous l'avez fait, madame la ministre.
Cette année, ce sont plus de 1,7 milliard de francs qui seront consacrés à
l'enseignement et à l'éducation artistique, soit une progression de 35 % sur la
mandature.
Voilà qui redonne du souffle à l'idéal de « démocratisation de la culture ».
Un spectacle, une exposition, un événement culturel sont la rencontre d'une
création et de spectateurs, d'une oeuvre et d'un public. Toute politique
culturelle n'a de sens que dans sa capacité à toucher le plus grand nombre.
Enfin, troisième satisfaction, l'Etat prend acte de ce qu'il n'a plus le
monopole de la défense des arts et de la culture. Votre ministère joue
pleinement son rôle en impulsant de nouveaux partenariats avec les
collectivités locales. Je veux ainsi rendre hommage au volontarisme du
secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, Michel
Duffour.
Je pense, en particulier, aux protocoles de décentralisation culturelle,
initiés pour trois ans. Nous devrons à l'avenir multiplier les opportunités de
convention entre les porteurs de projets, les collectivités et les directions
régionales des affaires culturelles, les DRAC.
Il est nécessaire d'avoir l'ambition d'initier des aventures d'envergure,
proches de tous les citoyens, en concertation avec tous les partenaires
publics.
C'est également cette démarche que vont permettre de conforter les
établissements publics à caractère culturel, les EPCC, qui, je l'espère,
verront bientôt le jour.
Quatrième motif de satisfaction - et c'est le fait le plus marquant de ce
budget -, la création est plus que jamais à l'honneur en 2002 pour favoriser
l'émergence de nouveaux talents et les nouvelles esthétiques, comme les arts de
la rue, le cirque nouveau ou la création numérique.
La première de vos missions est bien d'assurer le renouveau des générations
artistiques, sans négliger aucune discipline.
Vous avez ainsi réussi à débrider la capacité d'initiative du ministère,
c'est-à-dire à élargir les marges artistiques au regard de ses missions
incompressibles, avec 750 millions de francs de mesures nouvelles pour 2002.
Certains regrettent que cette manne profite en priorité aux arts vivants, ces
cigales que vous évoquiez tendrement tout à l'heure. Avec 160 millions de
francs supplémentaires en 2002, soit le double de cette année, ces crédits ont
augmenté de 30,8 % depuis le début de la législature.
Il fallait renforcer les moyens de ces arts si populaires, avec l'émergence
des scènes de musiques actuelles dans toute la France ou l'appel des auteurs du
théâtre en faveur des textes contemporains. Il fallait aussi promouvoir la
danse, trop longtemps oubliée.
J'ajouterai que la génération montante des créateurs, faute d'avoir accès aux
grandes institutions, a su investir des lieux insolites. Ces créateurs ont
d'ailleurs trouvé auprès de vous le soutien nécessaire à leurs innovations.
Nous voyons ainsi émerger un peu partout de nouvelles spontanéités
artistiques, qui transforment les repères, plus proches du tissu urbain et des
quartiers dans les friches industrielles ou les immeubles désaffectés.
Les frontières entre les disciplines s'estompent, et c'est une très belle
chose. On voit des expositions alliant la sculpture et la photographie, des
comédiens dans la rue qui mettent en scène les arts plastiques. Le festival
d'automne à Paris, qui fête cette année ses trente ans d'existence, traduit à
merveille cette tendance à l'interpénétration des arts, avec une campagne de
communication au slogan très évocateur : « Je lis ta peau ».
Il va de soi que le rôle de votre ministère est d'accompagner ces
transformations dans l'art, reflet des désirs latents de notre société.
Ma question ne vous surprendra pas, madame la ministre. A travers ce budget,
vous montrez clairement votre volonté d'impulser une création d'aujourd'hui
pour un public d'aujourd'hui.
Je souhaiterais donc avoir des précisions sur la manière dont votre ministère
va accompagner cette émergence de l'interdisciplinarité dans l'art, et en
particulier les arts de la rue, le cirque, la danse ou la création numérique.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Madame le sénateur, je
vous remercie d'avoir donné cette vision globale de la politique que nous
développons. En cet instant, je répondrai à votre question sur l'accompagnement
de l'interdisciplinarité. Je saisis cette occasion pour dire qu'elle a
d'ailleurs toujours été historiquement présente dans la vie artistique de notre
pays, mais tous les trains, il est vrai, ne cheminent pas à la même vitesse.
Depuis quelques années, les nouvelles générations d'artistes et de public
manifestent un véritable appétit pour ces croisements, ces échanges, voire ces
métissages, entre des expressions d'un type nouveau, qui sont parfois vécues
dans des lieux séparés et avec des équipes distinctes. C'est vrai, vous l'avez
souligné, nous avons choisi d'augmenter considérablement, à travers toutes ces
disciplines, les moyens de la création vivante.
J'ai demandé à la direction de la musique, de la danse, du théâtre et des
spectacles ainsi qu'aux directions régionales des affaires culturelles de
consacrer 50 % des mesures nouvelles dégagées en 2002 à ces disciplines moins
reconnues ou moins installéees que ne l'étaient, par exemple, le théâtre ou
d'autres expressions dans les institutions établies.
J'ai demandé, en particulier, que nous renforcions en 2002 notre soutien aux
compagnies indépendantes et aux nouveaux espaces et lieux de création.
Dans le même esprit de soutien à la novation, nous avons décidé d'encourager
la création numérique, notamment au travers du DICREAM, le dispositif pour la
création artistique multimédia, auquel nous consacrerons dix millions de francs
en 2002.
Notre constant soutien aux institutions culturelles pour reconstituer leurs
marges artistiques et renouveler leurs équipes permettra aussi d'appuyer cette
interdisciplinarité, si porteuse d'avenir. Nous demandons en effet aux
responsables des scènes nationales des différentes institutions de faire place
à de nouvelles équipes de création dans leurs murs, dans leurs programmations
et dans leurs projets de production.
C'est à travers tous ces maillons du réseau culturel - nouveaux lieux comme
lieux installés - que je compte accompagner avec beaucoup d'attention, de
curiosité et de constance les nouvelles formes de l'expression artistique.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Mme Danièle Pourtaud.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud.
Je vous remercie, madame la ministre, pour ces précisions. En tant que
responsable de la culture dans le 14e arrondissement de Paris, je suis d'autant
plus sensible à cette réponse.
Je rencontre en effet tous les jours de jeunes compagnies, de jeunes
créateurs, des comédiens, des danseurs, des plasticiens qui souhaitent obtenir
le soutien despouvoirs publics pour monter des projets très en prise sur les
quartiers, dans des lieux insolites et en associant des artistes de toutes les
disciplines.
C'est en soutenant de telles expériences que nous pourrons conquérir de
nouveaux publics.
Je sais aussi combien les collectivités locales ont besoin en la matière de
l'impulsion de votre ministère, qui définit les grands objectifs et joue un
rôle moteur considérable.
Je le redis, j'espère qu'à l'avenir, les collectivités pourront continuer à
s'appuyer sur le soutien financier de l'Etat pour favoriser des projets
innovants, le cirque, la création en temps réel dans la rue, la création
numérique, etc.
Je crois comme vous qu'un vent nouveau souffle dans notre société, avec des
attentes et des espoirs que nous devons accompagner.
C'est avec plaisir que le groupe socialiste votera ce budget ; il vous
encourage, d'ailleurs, mes chers collègues, à faire de même. J'espère que les
missions du ministère de la culture, que vous avez contribué à restaurer,
madame la ministre, pourront s'épanouir pleinement dans les prochaines années.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Marest.
M. Max Marest.
Votre projet de budget pour 2002 est en augmentation de 2,08 %, pour atteindre
1 % du budget de l'Etat et nous nous en réjouissons, madame la ministre.
Comme vous pouvez l'imaginer, ce n'est pas tant le montant du budget que les
objectifs que vous lui fixez qui nous intéressent.
Or, nous constatons que vos choix traduisent - ou risquent de traduire - un
manque d'équilibre. En effet, si le budget privilégie de façon extraordinaire
le spectacle du vivant, avec une dotation de 80 millions de francs
supplémentaires par rapport à 2001, soit un doublement, il laisse de côté
d'autres secteurs pourtant indispensables, comme les archives, les musées, les
arts plastiques, les monuments historiques et l'architecture. Vous nous avez
déjà apporté quelques réponses à cet égard au cours de ce débat.
Je m'attacherai à évoquer deux préoccupations que mon groupe partage avec les
intéressés : la situation des arts plastiques et les écoles d'architecture.
Vous avez, semble-t-il, tout simplement oublié les arts plastiques. En tout
cas, vous leur avez donné la place de dernier de la classe. Pourquoi ? Selon
votre projet de budget, la délégation aux arts plastiques, la DAP, est l'une
des victimes de votre politique culturelle. En effet, elle s'est vu ponctionner
sur ses crédits centraux d'intervention la somme de 11,5 millions de francs,
destinée à financer l'ouverture du centre de la jeune création du Palais de
Tokyo, à Paris.
Cette nouvelle institution parisienne se voit « habillée » avec la grande
partie du budget d'une autre institution. C'est la méthode que nous connaissons
tous en vertu de laquelle « on déshabille Pierre pour habiller Paul ». En
termes de politique culturelle, c'est gênant.
Pourquoi ne pas avoir respecté ce qu'avait annoncé à ce sujet votre
prédécesseur, Mme Trautmann ? En effet, elle avait prévu un rééquilibrage entre
Paris et la province.
Les moyens dégagés pour les acquisitions, c'est-à-dire les achats et les
commandes du Fonds national d'art contemporain et des fonds régionaux d'art
contemporain, ainsi que les commandes publiques et les commandes des
manufactures et du mobilier national ne sont pas plus favorisés puisqu'ils
subiront une réelle stagnation en 2002. Depuis 1999, ces crédits auront donc
baissé de 1,6 %, soit de 1,1 million de francs.
Pourtant, malgré cette baisse budgétaire, donc une baisse des moyens, aussi
minimale soit-elle, le ministère de la culture continue de fixer à la DAP, la
délégation des arts plastiques, des objectifs ambitieux en matière
d'acquisition, puisque le dossier de présentation du budget pour 2002 prévoit
que « outre l'objectif d'enrichissement des collections publiques, ces moyens
permettront de poursuivre l'action de soutien au marché de l'art et de répondre
à la demande des collectivités locales en matière d'insertion de l'art
contemporain dans les espaces publics ».
Bien qu'ayant subi une ponction de 11,5 millions de francs sur ses crédits
centraux d'intervention, la DAP doit pouvoir mener les mêmes missions
qu'auparavant !
J'aimerais beaucoup, madame le ministre, que vous nous donniez quelques
explications sur les répercussions d'une telle disposition. Quelles missions
précises vont souffrir de cette perte budgétaire ?
Je comprends bien que, compte tenu du budget qui vous est imparti sur la
totalité du budget de l'Etat et qui représente 1 %, vous ayez dû opérer des
choix ; c'est un constat facile à faire ! Je souhaiterais simplement que vous
nous indiquiez comment ces choix ont été décidés.
Mener une véritable politique culturelle, cela veut dire parvenir à modifier
les inégalités culturelles, notamment par la décentralisation.
A mon tour, je cite André Malraux, qui s'exprimait ainsi en 1966 : « Faire
pour la culture ce que la IIIe République a fait pour l'enseignement : chaque
enfant de France a droit aux tableaux, au théâtre, au cinéma comme à
l'alphabet. »
Mme Danièle Pourtaud.
Oui, mais il ne l'a pas fait !
M. Max Marest.
Je n'ai pas l'habitude d'interrompre les orateurs, madame Pourtaud,...
Mme Nelly Olin.
Il ne vous a d'ailleurs pas interrompue vous-même !
M. Max Marest.
... d'autant plus que j'essaye d'être courtois avec les dames !
M. Alain Lambert.
Malraux sert à charge et à décharge !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Marest.
M. Max Marest.
Cette ambition n'a rien perdu de son actualité et de son urgence, tant la
politique des grands travaux a souvent donné l'impression aux Français que la
France, pour le Gouvernement, se réduisait à sa capitale.
Symboliquement, l'ouverture du centre de la jeune création du Palais de Tokyo
s'inscrit, à moins que vous me donniez une autre explication, dans cette
logique d'un élitisme géographique, et ce au détriment de nos régions, qui se
font une idée plus juste, madame le ministre, de la démocratisation de la
culture.
Je voudrais maintenant évoquer la situation des écoles d'architectes, qui
sont, elles aussi, des laissées-pour-compte.
Même si - en 2002 - sept postes de maîtres assistants seront créés pour les
écoles, qui bénéficieront aussi d'une mesure de 11 millions de francs pour
leurs moyens de fonctionnement, les crédits prévus ne sont pas à la hauteur des
besoins.
En effet, la comparaison avec les moyens déployés dans les pays de l'Union
européenne fait apparaître que la formation des architectes français est
aujourd'hui une formation supérieure au rabais, bien moins coûteuse pour la
collectivité que celle de nos futurs ingénieurs dispensée par le secrétariat
d'Etat à l'industrie, et qui est un exemple à suivre.
Pourtant, leurs besoins grandissent d'année en année, en raison de la
faiblesse des crédits qui leur sont alloués par votre ministère.
Ces écoles manquent de personnels enseignants et les conditions de travail y
sont déplorables également du fait de la vétusté des locaux, locaux qui,
parfois, ne respectent pas les normes de sécurité.
Comme beaucoup de mes collègues, j'estime qu'il est impératif de prendre
conscience du fait que la situation se dégrade au fil des ans. J'estime
également qu'il faut faire de la formation des architectes une priorité du
budget de la culture.
Pour conclure, je dirai que le 1 % culturel ne peut plus constituer un
objectif en matière de culture. En effet, cet objectif est trop faible par
rapport à l'ensemble des fonds publics qui devraient être consacrés à la
culture. C'est un objectif insuffisant.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
En ce qui concerne les
arts plastiques, monsieur le sénateur, je suis sûre que vos propos seront très
appréciés par l'ADAP, qui aura pu constater l'attention que vous lui portez et
combien vous prenez sa défense. Je peux néanmoins vous rassurer en ce qui
concerne la situation de ce service auquel je suis très attentive.
Le budget des arts plastiques a connu, entre 2001 et 2002, une réelle
progression. A structure constante, il enregistre en effet une hausse globale
de 1,7 %. Cette évolution s'appuie d'abord sur l'existence d'un réseau, qui
nous est envié à l'étranger, de lieux publics consacrés à l'art
contemporain.
On ne peut pas traiter de parent pauvre un secteur qui jouit actuellement d'un
certain nombre de musées spécialisés en art contemporain tout à fait
remarquables. Je pense, par exemple, aux collections de Grenoble, de Nantes.
Nous avons également tous les fonds régionaux consacrés à l'art contemporain,
qui font, sur l'ensemble du territoire, un travail admirable de constitution de
collections d'art contemporain et qui savent, de plus en plus, proposer des
expositions à travers une politique d'échanges que j'encourage.
Je rappelle aussi la place occupée par le centre Georges-Pompidou, qui a
rouvert ses portes au début de l'année et qui est évidemment un outil
extrêmement intéressant de diffusion de l'art contemporain en direction de nos
concitoyens.
Je signale également qu'un prochain décret élargira à l'ensemble des
investissements publics portés par nos ministères le principe du 1 %. Pour tous
les artistes, c'est un espoir formidable de voir leurs créations trouver place
dans l'espace public.
Enfin, l'ouverture, dès le mois de janvier, du centre de la jeune création au
Palais de Tokyo n'est pas le signe d'un centralisme renaissant. Au contraire,
notre capitale était privée jusqu'à présent d'un lieu qui soit véritablement
consacré à la création en train de se faire. Jusqu'à présent, nous avions
d'admirables expositions d'art contemporain, mais peu de place pour la nouvelle
création.
Tout cela prouve assez l'intérêt qui est porté par moi-même et par le
Gouvernement à la création en ce domaine.
Quant aux écoles d'architecture, je rappelle que ce dossier souffre
effectivement d'un certain handicap compte tenu des conditions dans lesquelles
le secteur de l'architecture a été transféré du ministère de l'équipement au
ministère de la culture sans que les moyens aient pleinement suivi.
Nous travaillons à redresser ces moyens, qui seront accrus de 1,68 million
d'euros dans le budget pour 2002. Des emplois sont créés et nous inaugurerons
très prochainement les grands ateliers de L'Isle-d'Abeau.
J'ai pris également soin, s'agissant des créations d'emplois dans les DRAC, de
poursuivre l'effort, que j'avais engagé l'an dernier, de créations d'emplois
spécifiques consacrés à l'architecture.
Enfin, la construction de l'école installée sur le site de Tolbiac apportera
une réponse tout à fait légitime à l'attente de nos enseignants et de nos
étudiants en architecture. Nous sommes bien engagés sur ce chemin, monsieur le
sénateur, et j'espère pouvoir, lors de la présentation du prochain budget, vous
démontrer que c'est un engagement constant.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Max Marest.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Marest.
M. Max Marest.
Je voudrais simplement remercier Mme la ministre de ses réponses et, surtout,
la féliciter pour son acte d'espérance.
M. le président.
La parole est à M. Weber.
M. Henri Weber.
Je vais moi aussi revenir sur la question des arts plastiques, ce qui ne
signifie pas que la réponse de Mme la ministre ne me satisfait pas, au
contraire. Le budget des arts plastiques a en effet augmenté au moins autant
que le budget de la culture dans son ensemble et nous disposons de réseaux de
diffusion et d'exposition que le monde nous envie : les nombreux fonds
régionaux d'art contemporain, les FRAC, les écoles d'arts.
J'ajoute, puisque Mme la ministre n'y a pas fait allusion, qu'elle a fait
preuve d'une grande pugnacité dans la bataille récente sur un point particulier
de la loi sur les musées, à propos d'un amendement qui a été déposé à
l'Assemblée nationale en première lecture par vos amis de l'opposition, mes
chers collègues.
Cet amendement déniait le caractère d'inaliénabilité des oeuvres d'art
contemporain récemment acquises, et ce pendant trente ans, ce qui jetait la
suspiscion sur leur valeur artistique.
Vous avez fortement combattu cet amendement et il a été repoussé. Cet exemple
ne fait qu'ajouter encore au sérieux de vos préoccupations !
M. Alain Lambert,
président de la commission des finances.
On a le droit de préférer la
ministre au Gouvernement !
M. Henri Weber.
Vous avez tous les droits, cher ami, mais je souhaitrais mettre en exergue une
certaine solidarité et, surtout, une certaine cohérence.
J'étais avec Mme la ministre à Nantes, à la mi-novembre, à un salon
interprofessionnel de l'art contemporain. A cette occasion, j'ai pu mesurer à
quel point les artistes plasticiens éprouvaient le sentiment, si je puis dire,
d'être les « Cendrillon » de la politique culturelle.
Nombre d'entre eux soupçonnent l'Etat de privilégier d'autres secteurs
culturels, le spectacle vivant, le cinéma, le patrimoine, les bibliothèques, et
de ne réserver aux beaux-arts qu'une attention distraite et des prestations
minimales. Leur soupçon est injuste, je viens de le montrer, mais le sentiment
persiste. Nos performances dans le domaine des arts visuels semblent
aujourd'hui moins brillantes que nos performances dans d'autres domaines
culturels : le cinéma, la danse, la musique et, évidemment, les spectacles
vivants.
Ces performances brillantes et remarquables sont autant d'hommages rendus à la
politique de ce ministère et de ce Gouvernement depuis cinq ans. Mais il est
vrai que, pour les arts plastiques, il y a une interrogation.
Il y a eu des études et des enquêtes. Elles ont été contestées et elles sont
contestables. Elles ont cependant donné lieu à des campagnes selon lesquelles
la France, qui avait été pendant un siècle et davantage à la pointe du marché
de l'art et de la création esthétique, qui était l'épicentre de la création
artistique et esthétique, était en train de « décrocher » au profit des
artistes, des plasticiens non seulement des Etats-Unis, mais aussi de
Grande-Bretagne et d'Allemagne.
En fait, si la France importe pour un milliard ou 2 milliards de francs
d'oeuvres d'art par an, elle en exporte pour 6 milliards ou 7 milliards de
francs, ce qui soulève quelques interrogations.
Madame la ministre, quelle est votre appréciation sur la situation des arts
plastiques dans notre pays, par rapport à ces campagnes de presse, par rapport
à ces suspicions ? Comment entendez-vous conforter leur situation dans notre
pays ?
En attendant, j'indique d'ores et déjà que la loi relative aux musées de
France en cours d'examen prévoit un dispositif fiscal fortement incitatif
destiné à encourager les entreprises privées à concourir à la protection des
trésors nationaux, et que d'autres mesures d'incitation fiscale à l'acquisition
d'oeuvres d'art sont en débat ou à l'étude.
Par ailleurs, madame la ministre, quel rôle de complément peuvent jouer, selon
vous, le mécénat et l'aide aux collectionneurs privés dans le soutien aux arts
plastiques et, plus particulièrement, à l'art contemporain ?
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le sénateur,
comme vous, j'ai senti la préoccupation des artistes plasticiens au salon
international du patrimoine culturel, le SIPAC, à Nantes. Comme vous, je pense
que le soupçon d'une préférence de notre action publique pour d'autres
expressions n'est pas légitime. Je dois toutefois prendre ce sentiment en
considération.
Une ministre n'a pas à préférer tel ou tel secteur. Il lui faut néanmoins,
parfois, établir des priorités. A cet égard, il me semble que vous étiez
convenu vous-même qu'il était nécessaire de donner cette année la priorité
auxspectacles vivants et à de nouvelles formes d'expression. Il n'en demeure
pas moins que des efforts ont également été consentis en faveur de la création
contemporaine.
A cet égard, j'ai d'ailleurs noté avec plaisir, à Nantes, que les artistes
eux-mêmes commençaient à s'organiser pour mieux participer au débat public sur
la politique culturelle. Je m'en réjouis et je suis certaine que cela
facilitera le dialogue entre les pouvoirs publics, les artistes et le
public.
Je ne partage pas toutes les inquiétudes qui sont souvent nées d'un rapport
très particulier sur la place de la France sur la scène artistique mondiale.
Certes, ce n'est plus le début du siècle, ce ne sont plus les années cinquante,
ni même les années récentes, qui furent très prospères pour le marché de l'art.
Je suis néanmoins confiante dans l'évolution de l'art contemporain français sur
la scène internationale, ne serait-ce que parce que je vois quelle est notre
participation dans les grandes manifestations internationales.
Mon ministère accompagne, soutient la présence artistique française dans les
grands salons, dans les capitales internationales. J'ai d'ailleurs eu le
plaisir, comme beaucoup d'autres, de voir un artiste français, Pierre Huyghe,
remporter le succès que l'on sait pour l'oeuvre qu'il présentait au pavillon
français de la Biennale de Venise.
Mais il est bien d'autres talents et, tout récemment, en Allemagne, la
créativité de la scène française a également été saluée.
Le rôle de l'Etat, c'est d'accompagner ce mouvement. J'ai envie de dire
également qu'au-delà de la grande confiance que j'ai, pour ma part, dans la
création française - je m'empresse de dire que j'y intègre les oeuvres des
artistes étrangers qui ont choisi de vivre sur notre terre et d'y exprimer leur
démarche artistique - doit se joindre le soutien de celles et de ceux dont le
métier est de repérer, d'encourager, de susciter ce qu'on appelle d'un mot
barbare la « monstration » de la création contemporaine.
J'ai parfois le sentiment que certains de nos professionnels et que certains
spécialistes portent un regard d'une sévérité extrême sur nos propres créateurs
ou, en tout cas, qu'ils font preuve de moins d'attention à leur égard qu'à la
création qui nous vient d'au-delà des frontières. C'est ce chemin-là que je
compte encourager. C'est en ce sens que va travailler la nouvelle structure du
Palais de Tokyo.
L'équipe qui l'anime a le souci constant de faire une place importante à la
création contemporaine qui vit sur notre territoire tout en étant ouverte vers
l'extérieur. C'est le travail que font aussi, pour la plupart, les centres
d'art contemporain dans les régions et les fonds régionaux d'art
contemporain.
Il y a, vous le voyez, de nombreuses raisons d'espérer.
M. Henri Weber.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Weber.
M. Henri Weber.
Je souhaite remercier Mme la ministre de ces précisions et l'encourager à
faire en sorte que le regard sévère posé par ceux qui organisent ces «
monstrations » - puisqu'il faut employer ce terme - s'adoucisse.
Je veux également insister sur la nécessité d'inciter, juridiquement et
fiscalement, au développement des collections privées et des fondations.
Si nous refusons, depuis une vingtaine d'années - période au cours de laquelle
nous sommes revenus durablement au pouvoir, à l'exception de quelques «
incursions » de l'opposition de droite qui sont autant de parenthèses
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants) -
si nous refusons, disais-je, malgré toutes les offensives récurrentes, de
ne pas intégrer les oeuvres d'art, comme on nous y invitait constamment, dans
la fiscalisation de l'impôt sur la grande fortune, ce n'est pas pour conforter
ou préserver un privilège ! C'est tout simplement parce que, nous le savons, le
marché de l'art joue, dans ce domaine, un rôle très important et qu'il est de
plus en plus international. Il ne faut donc pas décourager les collectionneurs,
bien au contraire !
Si l'action publique et les institutions sont tout à fait essentielles, les
actions privées, les amateurs privés, les collections et les fondations ont
également de l'importance. Nous avons d'ailleurs pris une série de mesures pour
les encourager. Le projet de loi relatif aux musées de France y contribue
grandement. Nous devons persister dans cette direction.
(Applaudissements
sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Olin.
Mme Nelly Olin.
Madame le ministre, mon intervention portera essentiellement sur les problèmes
auxquels vous avez été confrontée avec les personnels de votre ministère
concernant le passage au 35 heures ; mais je crois avoir entendu que tout était
réglé ou en voie de l'être.
Si tel est le cas, nous nous en réjouissons, car ce conflit, qui, on s'en
souvient, est à l'origine de plusieurs semaines de grève des personnels des
musées et des châteaux nationaux, a donné une image déplorable de notre pays à
tous les touristes étrangers, puisque ceux-ci se sont vu interdire l'accès à
des sites culturels tels que le musée du Louvre.
Nous souhaiterions vivement connaître les dispositions que vous avez prises
pour qu'une telle situation ne se reproduise plus. J'espère que vous
comprendrez ma démarche. En effet, loin de vouloir donner des leçons, je
cherche seulement à comprendre quelle est votre politique en matière d'emploi.
Etes-vous en mesure de nous dire quels accords ont été signés et quel a été
l'objet et le résultat des négociations ?
La réduction du temps de travail était annoncée comme un grand projet de
société, « le » grand projet de société, devrais-je dire, visant, d'une part, à
améliorer les conditions de vie et de travail et, d'autre part, à créer des
emplois pour lutter contre le chômage. Or, au travers du conflit que je viens
d'évoquer, il semble que, s'agissant de l'application des 35 heures, l'Etat
soit le plus mauvais élève de la République ! De plus, sur les 350 créations de
postes pour 2002, 200 ne sont en fait que des consolidations, comme vous venez
de le signaler, madame le ministre. Il était, certes, nécessaire de résorber
l'emploi précaire, mais cela ne laisse que 150 créations nouvelles. Si tel est
le cas, c'est bien peu !
Un autre point mérite d'être souligné. De nombreux acquis sociaux, comme la
semaine Malraux, seraient remis en cause. C'est un nouveau mode de
commémoration de la naissance de l'auteur qui n'est pas du tout du goût du
personnel !
Je souhaite également vous interroger sur le musée de l'Homme, dont les
personnels sont, ou étaient, en grève depuis le 19 novembre dernier. Ou en est
la situation ? Ce conflit est-il réglé et, dans l'affirmative, comment l'a-t-il
été ?
Je crois savoir qu'il est question de délocaliser les collections de ce musée
dans le nouveau musée des Arts premiers du quai Branly pour 2004. Les
personnels du musée de l'Homme sont très inquiets quant à leur devenir et
s'insurgent contre la suppression d'une institution qui est un peu la leur et
qu'ils considèrent, à juste titre, comme l'une des plus prestigieuses de
l'histoire de la muséographie. En outre, toujours selon les personnels de ce
musée, la nouvelle institution ne remplacerait en aucun cas la mission
culturelle qui est aujourd'hui celle du musée de l'Homme.
Madame la ministre, avez-vous, d'ores et déjà, envisagé la réintégration du
personnel du musée de l'Homme au sein du nouveau musée des Arts premiers et
avez-vous prévu la création de nouveaux emplois à cette occasion ?
Je conclurai mon propos en rappelant que votre budget est décevant, que la
politique culturelle de votre gouvernement manque de souffle, de clarté et
d'imagination. Ce n'est pas en oubliant la nécessité du rayonnement culturel de
la France que l'Europe se fera mieux.
Pour ces raisons, mon groupe et moi-même ne voterons pas votre budget.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Michel Duffour,
secrétaire d'Etat.
Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser Mme
Tasca, qui a été obligée de s'absenter.
Le conflit relatif aux 35 heures est terminé. Par ailleurs, si, à la suite de
quelques perturbations sérieuses, certains musées ont effectivement fermé leurs
portes, cela n'a pas duré deux mois. La plupart ont été fort heureusement
ouverts ces derniers temps et ont été en mesure d'accueillir les visiteurs.
Nous n'avons pas abouti à la signature d'un accord. Nous sommes parvenus à un
non-accord non conflictuel, cela au niveau national, ce qui est important. En
effet, les négociations continuent au sein de nos services, des directions
régionales et des établissements publics, et les discussions positives que nous
avons nous permettent de penser que nous parviendrons, dans les prochaines
semaines, à un accord.
Nous devons cette modification du climat social, d'une part, au rappel du
nombre non négligeable d'emplois qui ont été créés au sein de notre ministère -
cela a été dit tout à l'heure - et, d'autre part, comme dans toute négociation,
à la prise en compte des aspirations des personnels. Nous avons également
rappelé les grands principes. Cela a permis d'aboutir à une situation qui,
comme je l'ai déjà dit, sera beaucoup plus apaisée, nos personnels étant mieux
à même de remplir leur tâche.
Madame le sénateur, s'agissant du musée de l'Homme, que vous avez évoqué, je
vous rappelle qu'il est sous la tutelle non pas du ministère de la culture,
mais du ministère de l'éducation nationale.
Nous attachons une grande importance au musée des Arts premiers.
Vous êtes bien placée pour savoir que ce musée est également cher au coeur du
Président de la République. A l'heure actuelle, des discussions ont lieu au
sujet des collections du musée de l'Homme et elles devraient aboutir à une
solution positive pour le patrimoine français et pour nos collections.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Jean-Philippe Lachenaud.
C'est très flou !
Mme Nelly Olin.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Olin.
Mme Nelly Olin.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat. Nous attendons donc la suite
des accords qui devraient être signés et j'espère que nous serons tenus au
courant. Souhaitons que des grèves ne perturbent pas à nouveau le
fonctionnement des musées, afin que l'image qui a été donnée aux touristes
étrangers ne perdure pas !
M. le président.
Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant la culture
et figurant aux états B et C.
ETAT B
M. le président. « Titre III : 33 179 144 euros. »