SEANCE DU 28 NOVEMBRE 2001


M. le président. « Art. 26. - Le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l'Etat au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes est évalué pour l'exercice 2002 à 16,87 milliards d'euros. »
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Denis Badré, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 26 du projet de loi de finances évalue le prélèvement sur recettes effectué au profit du budget européen à 16,87 milliards d'euros, ce qui représente 6,2 % de nos recettes fiscales nettes. J'insisterai surtout sur le fait que ce prélèvement augmente de 11,2 % par rapport à l'année dernière, en hausse de 1,7 milliard d'euros, soit plus de 11 milliards de francs.
Pourquoi une telle augmentation ? Elle est due, pour un tiers environ, à la forte croissance du budget communautaire lui-même, croissance qu'aucun Etat membre ne peut plus se permettre. Elle s'explique aussi, pour les deux tiers, par l'entrée en vigueur de la nouvelle décision « ressources propres » - adoptée par le Conseil européen voilà quinze mois, le 29 septembre 2000, conformément aux accords de Berlin -, que nous n'avons pas encore ratifiée : nous devons le faire d'ici à la fin de cette année, et j'ai déjà cru comprendre qu'elle nous serait soumise, in extremis , dans quelques jours.
Il ne s'agit pourtant pas d'une question anodine : c'est même une question à 1,142 milliard d'euros, soit 7,5 milliards de francs !
Mes chers collègues, je vous renvoie à nos débats de ces trois derniers jours, au cours desquels notre sagesse nous a régulièrement amenés à rejeter des mesures sociales ou des mesures d'équité, pourtant parfaitement justifiées, au motif qu'elles coûtaient trop cher - cent millions, voire quelques centaines de millions de francs. Nous en sommes là à 7,5 milliards de francs !
Examiné en catastrophe la semaine dernière par le Conseil d'Etat, ce projet de loi de ratification, lourd de conséquences pour notre pays, vous sera donc soumis, mais après le vote de l'article 26 du projet de loi de finances, lequel le met déjà en oeuvre ! Ce n'est pas très logique, mais, surtout, ce n'est pas très politique.
A la limite, que ces questions soient traitées dans l'ordre ou dans le désordre, y attachez-vous vraiment une grande importance, monsieur le ministre ? J'espère que cela ne signifie pas que, sur l'une comme sur l'autre question, vous n'attendez rien de nos débats sinon notre vote !
Année après année, je dis tout le mal que je pense d'un budget dont les ressources sont votées par les parlements nationaux et les dépenses par le Parlement européen. En vain !
Pourtant, derrière mes critiques, point un fort doute : un tel budget ne peut exprimer des choix démocratiques. Alors, ne parlons pas de l'Europe des citoyens ! Il faut ouvrir une véritable réflexion sur ce sujet, qui est au moins aussi important que celui de la répartition des postes de commissaire ou de la pondération des droits de vote ; je l'ai dit et je le répète, mais je me lasse !
A procéder ainsi que vous le faites actuellement, monsieur le ministre, comme s'il ne pouvait en être autrement, vous donnez le sentiment que vous n'avez de considération ni pour le Parlement ni pour l'Europe. (Murmures sur plusieurs travées.) Et, ce faisant, vous demeurez très serein, car vous savez que nous ne pourrons pas ne pas approuver la décision « ressources propres », comme vous savez que nous ne pourrons pas ne pas approuver l'article 26 du projet de loi de finances, sauf à provoquer une crise européenne grave.
Mais n'en profitez pas, monsieur le ministre ! Ne laissez pas la corde se tendre excessivement en imaginant qu'elle ne cassera jamais ! Vous nourririez tous les discours anti-européens. Là n'est pas, me semble-t-il, votre mission ; ce n'est en tout cas pas notre désir.
La contribution de la France au budget européen augmente donc très fortement, trop fortement, alors que, du fait même de notre engagement européen, nous nous sommes dotés d'un programme de stabilité et que la conjoncture économique malmène nos équilibres budgétaires. Plus que jamais s'impose donc la nécessité d'un contrôle approfondi des dépenses engagées à l'échelon européen et d'une vérification de leur efficacité.
Le projet de budget européen lui-même voit ses crédits de paiement augmenter de 2,5 %, pour atteindre 95,6 milliards d'euros ; et, même s'il reste avant tout agricole, il finance de plus en plus d'interventions extraordinairement diverses dont la pertinence et la cohérence s'estompent. La question qui se pose est donc de savoir s'il vaut mieux attribuer un euro de plus au budget européen pour financer une action supplémentaire, ou un euro de plus au budget national pour le même objet : c'est tout le débat sur les nationalisations, dénationalisations et renationalisations ; c'est surtout tout le débat sur la subsidiarité que nous ouvrons ainsi, très prosaïquement.
Je ne m'arrêterai ni sur les dépenses ni sur les recettes du budget européen, que le rapport décrit en détail. Je me limiterai à trois observations visant respectivement l'insuffisante maîtrise des dépenses, la déraisonnable progression de certains crédits et l'éparpillement des politiques internes ; je conclurai par une réflexion sur l'idée d'impôt européen, qui commence à resurgir.
Ma première observation porte sur l'insuffisante maîtrise des dépenses.
L'encadrement du budget européen, fixé par l'accord du 6 mai 1999, s'avère moins porteur de discipline que créateur de facilités européennes : en matière budgétaire, fixer un plafond, c'est très vite s'y rendre sans barguigner.
Ma deuxième observation est liée à la précédente : la programmation de certains crédits paraît déraisonnable. Ainsi, le Conseil d'Edimbourg de décembre 1993 avait alloué à la politique de cohésion près de 177 milliards d'euros, ce qui représente un tiers du budget communautaire. Le bilan d'exécution de la programmation de ces fonds structurels n'est pas enthousiasmant, loin s'en faut ! Certes, la quasi-totalité des crédits initialement prévus a pu être engagée - heureusement ! -, mais ils sont loin d'avoir été consommés. Les Etats ne peuvent pas suivre ! Le montant de l'écart entre les engagements contractés et les paiements effectifs - les fameux « restes à liquider » - a triplé en cinq ans, pour atteindre désormais plus de l'équivalent des fonds structurels d'une année.
Monsieur le ministre, un moratoire s'impose ! Remettons les pendules à l'heure et supprimons une année de crédits, ou réduisons systématiquement et drastiquement les crédits des années à venir ! Allez-vous en faire la demande, monsieur le ministre ? La crédibilité de l'Union européenne est en jeu !
Soyons objectifs : je reconnais un très léger progrès. En effet, les règles de la programmation pour 2000-2006 devraient permettre, même modestement, un meilleur respect des engagements pluriannuels décidés à Berlin, puisque ceux qui n'auront pas fait l'objet d'une demande de paiement à l'issue de la deuxième année suivant celle de l'engagement seront dégagés d'office : se met ainsi en place une sorte de règle de caducité.
La rigueur point tout doucement, mais bien timidement ! Car il est de nouveau à déplorer que, dans cette situation, le Conseil de Berlin ait fixé le montant des fonds structurels à 213 milliards d'euros pour sept ans, ce qui représente une augmentation de 20 % par rapport à la période précédente. Non seulement on n'efface pas, mais, qui plus est, on recommence !
Ma troisième observation concerne l'éparpillement des crédits finançant les politiques internes.
Dans le projet de budget pour 2002, près de 30 % des crédits des politiques internes - ce qui représente près de 7 milliards d'euros, soit 50 milliards de francs - sont consacrés au financement d'une multitude de petites mesures dans une vingtaine de domaines distincts, dont l'éducation et la formation, le marché de l'emploi, le marché intérieur, l'environnement, l'industrie, la protection des consommateurs, la culture et l'audiovisuel, l'énergie, ou encore la justice. Tout cela est très bien, mais ce « saupoudrage » - car c'est bien de cela qu'il s'agit - ôte une grande partie de son efficacité et de sa signification à l'intervention de l'Union européenne, que nous souhaiterions toujours forte. Ne conviendrait-il pas de la recentrer sur des projets à « plus-value communautaire » avérée ? Subsidiarité, ai-je dit de nouveau !
Les crédits de la recherche illustrent très bien cette question. Dans ce domaine, la manne européenne est désormais beaucoup moins un élément fédérateur qu'elle ne fournit un prétexte à l'exacerbation des concurrences financières entre laboratoires. Ces crédits devraient pourtant avoir pour première vocation de regrouper et de rationaliser l'effort de recherche européen ; ils devraient contribuer à produire des synergies. Le rapport sénatorial sur l'expatriation des compétences, des capitaux et des entreprises, que je cite régulièrement avec plaisir, l'a de nouveau fortement souligné, et le ministre de la recherche, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, auditionné par la commission des finances il y a quelques jours, en est parfaitement convenu.
Sur un tel sujet, ne venez pas nous dire, monsieur le ministre, que c'est Bruxelles qui décide. A partir du moment où nous savons ce qu'il faut faire, Bruxelles, je le rappelle, c'est nous ! C'est même, c'est surtout vous, monsieur le ministre, lorsque vous participez aux Conseils européens. La France, par votre voix, doit parler avec vigueur et clarté et, si le Parlement s'exprime sur les sujets que j'évoque, c'est précisément pour que vous traduisiez à Bruxelles la volonté du peuple de France.
Si je plaide la rigueur en matière européenne, c'est précisément - je l'ai souvent dit - parce que je crois passionnément en l'Europe. Et, si l'on y croit passionnément, la construction européenne appelle une vigilance de tous les instants, sur tous les dossiers, car elle est difficile, elle est complexe, elle est délicate.
J'aborderai enfin la question de l'impôt européen.
La présidence belge vient de relancer le débat sur la création d'un impôt européen. J'estime pour ma part qu'un tel débat n'est pas pertinent tant qu'il n'est pas envisagé de transférer des compétences à l'Union européenne. Un impôt européen se justifierait dès lors qu'il permettrait de financer une compétence européenne : celle-ci n'étant plus nationale, les budgets des Etats pourraient alors être soulagés d'autant. En revanche, tant qu'il s'agit de politiques communes chaque Etat conserve la charge de leur mise en oeuvre et la responsabilité de leur financement ; c'est pourquoi je condamnais tout à l'heure le saupoudrage de certains crédits européens destinés à soutenir de telles politiques nationales.
Toute analyse qui avancerait aujourd'hui l'idée d'un impôt européen se superposant aux impôts nationaux dresserait immanquablement tous les citoyens des Etats membres contre l'Europe. A l'évidence, ce n'est pas ce que vous voulons !
Ces remarques étant faites, comme nous n'avons pas d'autre choix, mes chers collègues, je vous propose - à mon corps défendant, vous avez dû le remarquer - d'adopter l'article 26 du projet de loi de finances.
Cependant, monsieur le ministre, vous aurez compris que j'appelle aussi de tous mes voeux, car l'urgence est là, un discours, des procédures et des choix nouveaux qui préparent réellement l'avenir de l'Union européenne et de la France. Il reste de nombreuses marges de progrès, notamment, je viens d'essayer de le démontrer, dans le domaine budgétaire.
J'espère, je suis certain, monsieur le ministre, que l'Europe continuera de nous faire rêver et que, appliquant la méthode de Schuman, de décision en décision, jour après jour, nous saurons incarner, selon la belle formule de Geremek, notre utopie européenne, nous saurons transformer notre rêve européen en réalité. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec un montant de 16,87 milliards d'euros, la contribution de la France au budget communautaire pour 2002 accuse une hausse considérable de 11,7 % par rapport à 2001.
Ce mouvement s'explique tout d'abord, comme les années précédentes, par une augmentation du budget communautaire plus rapide que celle du budget national. Le résultat de la réunion de concertation budgétaire entre le Conseil et le Parlement, qui s'est tenue le 22 novembre dernier, prévoit des montants de 98,4 milliards d'euros en crédits d'engagement et de 94,8 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de 2 % en crédits de paiement par rapport à 2001.
Mais la hausse de la contribution française s'explique surtout par l'entrée en vigueur de la décision modifiant le système des ressources propres de la Communauté. Il ne s'agit là que de la stricte application, avec un décalage dans le temps, de l'une des clauses de l'accord issu du Conseil européen qui s'est tenu à Berlin en 1999. La décision sur les ressources propres comporte certaines dispositions mineures relatives au taux de ressource TVA maximal et aux frais de perception des ressources propres traditionnelles. Mais elle consiste essentiellement dans un abattement de 25 % sur la contribution versée par l'Allemagne, la Suède, les Pays-Bas et l'Autriche afin de financer la compensation en faveur du Royaume-Uni. Mécaniquement, la contribution de la France au « chèque britannique » se trouve majorée à due proportion.
Il n'est jamais agréable de devoir soudain payer davantage, mais je voudrais rappeler que la décision sur les ressources propres constitue déjà une solution de compromis, qui a permis d'éviter un écrêtement généralisé des contributions nettes. Cet écrêtement généralisé se serait fait aux dépens de la France, dont le solde à l'égard du budget communautaire est quasiment à l'équilibre.
C'est pourquoi certains ont vu dans le sommet de Berlin une « défaite » budgétaire de l'Allemagne, qui aurait pris sa « revanche », sur le plan institutionnel, au sommet de Nice. Pour ma part, je ne pense pas qu'il soit très constructif de raisonner en ces termes guerriers. Le récent sommet franco-allemand de Nantes montre que l'accord entre nos deux pays est réel dans de nombreux domaines, notamment - c'est un sujet qui m'est cher - sur l'opportunité d'une constitution européenne. Toutefois, cet accord ne peut jamais être considéré comme acquis et nécessite beaucoup de dialogue et d'égards mutuels.
Avec la conférence intergouvernementale qui s'annonce, précédée par la formule novatrice de la convention, les questions institutionnelles vont être à l'ordre du jour de l'Union européenne au cours des prochaines années. Mais l'intendance devant suivre, les problèmes budgétaires deviendront également importants. Le débat sur les « retours » du budget communautaire doit être clair. Brisant un tabou, la Commission présente depuis trois ans un rapport sur la répartition des dépenses opérationnelles par Etat membre. Pour 2000, elle a identifié un montant de 73,1 milliards d'euros en faveur de bénéficiaires repérables dans les Etats membres, soit 87,8 % du total des dépenses communautaires.
En valeur absolue, les cinq grands Etats membres sont les principaux bénéficiaires et se partagent 71 % des dépenses opérationnelles. La France prend la première place, devant l'Espagne. Je crois que c'est un fait qui mérite d'être connu et reconnu. Ces deux pays « lauréats de la dépense communautaire » sont suivis par l'Italie, l'Allemagne et le Royaume-Uni. Certes, en pourcentage du produit national brut, les principaux bénéficiaires restent les pays dits « de la cohésion » : la Grèce, le Portugal, l'Irlande et l'Espagne. Bref, chacun peut trouver son compte dans le budget communautaire, du moins pour l'instant.
Ces chiffres sont intéressants, et il serait vain de chercher à les cacher aux citoyens européens. Mais, pour les commenter avec pertinence, on ne répétera jamais assez que les bénéfices de la construction européenne sont avant tout non financiers, collectifs et indivisibles.
Quant à la procédure - et je répète là ce que j'ai déjà eu l'occasion de dire l'année dernière -, elle n'est pas totalement satisfaisante, comme vient de le rappeler M. le rapporteur spécial. On a coutume de le souligner : le parlement européen a compétence pour voter les dépenses du budget européen, tandis que les parlements nationaux ont compétence pour en voter les recettes.
Pourquoi ne pas profiter de la période de réflexion institutionnelle qui s'ouvre, monsieur le ministre, pour trouver le moyen de mieux associer les Parlements nationaux au processus européen de décision budgétaire ? C'est un point qui pourrait être abordé lors des travaux de la convention. Une autre solution serait de confier des compétences en la matière à la seconde chambre européenne, que le Sénat - ou, en tout cas, la majorité de ses membres - appelle de ses voeux.
Le contexte général du budget communautaire pour 2002 est grave. Alors que les Etats membres s'apprêtent à basculer dans l'euro, ils doivent faire face à un ralentissement marqué de la croissance économique. La Banque centrale européenne essaie de contrer les risques de récession par un abaissement de ses taux directeurs. Cette période d'incertitude constituera la première mise à l'épreuve sérieuse du pacte de stabilité budgétaire et monétaire conclu lors du traité de Maastricht.
Le paradoxe est que cet environnement économique défavorable n'a pas de réelle conséquence sur le budget communautaire. C'est une contrainte pour chacun des Etats membres, qui vont être tentés de faire jouer les stabilisateurs automatiques et de laisser filer leurs déficits. Mais ce n'est pas un problème pour le budget communautaire où, par construction, les ressources égalent les dépenses. C'est une situation confortable, qui devrait avoir pour contrepartie un grand sens des responsabilités de la part des deux branches de l'autorité budgétaire communautaire, le Conseil et le Parlement européen.
Sur le fond, quels sont les principaux thèmes qui focalisent le débat budgétaire européen cette année ?
A la différence des exercices antérieurs, l'année 2002 devrait être calme sur le front de la politique agricole commune. Les dépenses de lutte contre l'encéphalopathie spongiforme bovine et la fièvre aphteuse sont stabilisées au niveau, certes élevé, de 1,415 milliard d'euros, mais le Conseil et le Parlement européen ont été unanimes pour refuser la création de la réserve de un milliard d'euros demandée à ce titre par la Commission.
On enregistre par ailleurs les premiers effets d'économie liés à la modification des dépenses d'intervention sur les marchés décidée au sommet de Berlin. Au total, une lettre rectificative au projet de budget pour 2002, présentée par la Commission à la fin du mois d'octobre, a révisé à la baisse les dépenses agricoles pour un montant de 1,9 milliard d'euros.
En revanche, la pérennisation de la mobilisation de « l'instrument de flexibilité » me paraît un sujet de préoccupation. Cette réserve annuelle de 200 millions d'euros avait vocation, je le rappelle, à n'être sollicitée qu'à titre exceptionnel. Force est de constater que l'habitude est prise d'y recourir systématiquement, afin de mettre de l'huile dans les rouages de la négociation, toujours délicate, entre le Parlement européen et le Conseil.
Pour 2002, un montant de 170 millions d'euros sera affecté à la restructuration des flottes de pêche portugaise et espagnole. Cette restructuration est devenue nécessaire à la suite de la non-reconduction de l'accord de pêche avec le Maroc. Mais il ne s'agit pas à strictement parler d'une dépense imprévue, et il aurait été possible de la financer sur les crédits des politiques intérieures ou des politiques structurelles. Le solde de l'instrument de flexibilité, soit 30 millions d'euros, est affecté au soutien des régions frontalières avec les pays candidats, qui doivent compléter leurs réseaux d'infrastructure en prévision de l'élargissement. Là non plus, il ne s'agit pas d'une dépense imprévue.
L'importance de la politique extérieure de l'Union européenne se confirme et nécessite, cette année encore, une intervention d'urgence. En 2000, il s'agissait de dégager des crédits en faveur de la reconstruction des Balkans, notamment du Kosovo. Pour 2001, c'est la démocratisation inattendue de la Serbie qui a motivé une demande de crédits supplémentaires.
Pour 2002, c'est l'intervention américaine en Af-ghanistan, qui s'est accompagnée d'une promesse d'aide économique de la Communauté européenne. Une enveloppe de 170 millions d'euros a été dégagée.
Les grandes masses des crédits de politique extérieure restent cependant concentrées sur les marges de l'Union européenne : 495 millions d'euros pour les pays méditerranéens, 465 millions d'euros pour l'Europe orientale et 750 millions d'euros pour les Balkans. Cet engagement de l'Union européenne en faveur de ses voisins immédiats ne me semble pas asez connu. Il faut en parler davantage, monsieur le ministre.
Les dépenses d'administration de la rubrique 5 apparaissent soumises à des tensions inquiétantes. Dès 2003, le plafond des perspectives financières risque d'être dépassé. La réforme administrative de la Commission, actuellement en cours, ne semble pas en passe de produire les économies attendues sur les traitements. Pour cette raison, le protocole d'accord récemment conclu entre M. Kinnock et les syndicats de fonctionnaires européens est contesté par l'Allemagne, l'Autriche et les Pays-Bas.
La politique immobilière conduite par l'ensemble des institutions communautaires est également un facteur d'inflation des dépenses.
Autre décision qui devrait avoir des conséquences importantes sur le niveau de la rubrique 5, le nouveau statut des membres du Parlement européen correspond à un transfert de charge des budgets nationaux vers le budget de l'Union.
Quant au coût des embauches de fonctionnaires liées à l'élargissement, il pourrait atteindre 475 millions d'euros en 2004.
Le débat sur l'impact budgétaire du prochain élargissement a progressé depuis l'an dernier.
La Commission elle-même apparaît divisée sur ce sujet. Dans une communication récente, Mme Schreyer a voulu démontrer que l'adhésion de dix nouveaux Etats membres en 2004 ne compromettrait pas le respect des perspectives financières pour la période 2000-2006. Celles-ci avaient été bâties sur l'hypothèse d'un élargissement à six, mais intervenant dès 2002.
Toutefois, cette projection montre que, si l'on versait après l'élargissement l'intégralité des aides directes agricoles, le plafond de 1,27 % du produit national brut communautaire se trouverait dépassé. Elle suppose donc une réforme de la politique agricole commune, laquelle n'est même pas encore engagée.
Cette démonstration repose également sur l'hypothèse d'une limitation des versements au titre des fonds structurels à 4 % maximum de la richesse nationale des futurs Etats membres. Il s'agirait alors de dotations très modérées, compte tenu du faible niveau de vie des pays candidats. Ce seuil de 4 % du produit national brut risque d'être remis en cause lors des négociations d'adhésion afin d'accélérer la modernisation des infrastructures de transport et d'énergie dans les pays concernés.
Ces considérations ont amené le président de la Commission, M. Prodi, à se démarquer de Mme Schreyer - preuve que des désaccords existent au sein de la Commission - puisqu'il a estimé que l'élargissement exigera une augmentation du plafond des dépenses au-delà des 1,27 % du produit national brut communautaire fixés par l'Agenda 2000.
Il n'est pas trop tôt pour discuter franchement des implications budgétaires de l'élargissement, tout comme des télescopages de calendrier qui risquent de mettre celui-ci à mal.
Les équilibres actuels, qui sont déjà contestés, vont se trouver bouleversés dans une Union européenne aux écarts de richesse accrus. Même si l'on veille au maintien des retours de dépenses opérationnelles pour tous les Etats membres, l'effet redistributeur du budget communautaire s'en trouvera accentué.
C'est pourquoi il faut tenir un langage de vérité : l'élargissement de l'Union européenne représentera un coût net pour les Etats membres actuels et, ce pendant de nombreuses années. Ses bénéfices attendus sont extrabudgétaires et s'expriment en termes de prospérité économique partagée et de stabilité politique. Il s'agit là d'arguments que peuvent comprendre les citoyens européens, mais rien ne serait plus dangereux que de leur faire accroire que l'élargissement s'effectuera sans coûts supplémentaires.
Enfin, ne nous voilons pas la face, la France doit se préparer à une réforme d'ampleur de la politique agricole commune. Il est préférable de prendre les devants et d'utiliser notre expertise pour formuler des propositions constructives, sans attendre que la Commission européenne mène la danse ! Quoi qu'il en soit, il serait vain - je le dis à ceux de mes collègues qui sont, comme moi, très attachés à la PAC - de s'y opposer frontalement, au risque de se voir finalement imposer cette réforme par les autres Etats membres. A nous de faire en sorte, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu'elle ne se fasse pas contre nous. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, 20 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 10 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 5 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 5 minutes.
Je rappelle que, en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Par ailleurs, le temps programmé pour le Gouvernement est de trente-cinq minutes au maximum.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la nouvelle donne internationale résultant des événements de septembre et à quelques semaines de l'arrivée de l'euro, l'avenir de l'Europe constitue une interrogation majeure.
Nous sommes, à l'instar de nombreux Européens, favorables à l'élargissement de l'Union et à la construction d'une Europe rassemblant, dans leur diversité, les peuples qui la composent. C'est un projet ambitieux que nous voulons mener à bien, mais une question essentielle demeure : que voulons-nous faire ensemble ? Les réponses sont divergentes.
Pour certains, l'Europe doit s'inscrire pleinement dans le système libéral qui régit, aujourd'hui, les rapports internationaux. Elle devrait avoir pour objectif de s'affirmer comme un pôle puissant, reposant sur un grand marché ouvert aux multinationales, dans un contexte de guerre économique justifiant les déréglementations, le pacte de stabilité, la toute-puissance d'une Banque centrale européenne échappant à tout contrôle démocratique.
Cette Europe-là ne ferait que renforcer les inégalités de développement et la domination des plus riches sur les moins développés : une telle construction est rejetée par un nombre croissant de citoyens.
Pour répondre aux espérances de ces derniers, sera-t-on capable d'ouvrir une autre perspective permettant l'affirmation claire d'une Europe sociale, démocratique et solidaire ? C'est le choix que nous faisons, et nous voulons contribuer, avec d'autres, à promouvoir cette option.
Grâce à sa culture, à son histoire et à ses atouts politiques, sociaux et économiques, l'Europe est en mesure de favoriser l'émergence d'un ensemble fort, plus équitable, plus équilibré, point de référence pour un monde multipolaire que beaucoup appellent de leurs voeux. Pour exister réellement, l'Europe doit se dégager des modèles préétablis et trouver la voie lui permettant de défendre son originalité et ses valeurs.
L'idée de mettre en place une convention chargée de préparer les travaux de la conférence intergouvernementale de 2004, à laquelle les pays candidats et la société civile seraient associés, paraît intéressante. Elle pourrait faire l'objet d'un véritable débat de fond quant à la consultation des parlementaires nationaux sur les grandes questions, telles que celles qui sont relatives à l'utilisation, à l'efficacité et aux choix qui sous-tendent le budget européen. Ce pourrait être l'amorce d'une Europe qui respecte et valorise les citoyens.
On a souvent fait référence à un « modèle social » européen, avec des objectifs de croissance et de plein emploi. A contrario , les populations subissent les suppressions d'emplois, comme chez Danone, Ericsson, Marks & Spencer, Moulinex... Malheureusement, cette liste n'est pas exhaustive. Elles constatent que les directions décident seules du destin des entreprises.
Pourtant, les salariés font connaître de plus en plus fortement leur volonté de contrecarrer les plans de restructuration et les licenciements. Ils réclament le droit d'être informés, consultés et de pouvoir élaborer des contre-propositions.
Enfin, la question de la politique agricole commune, comme celle des retraites, mériterait de faire l'objet d'un débat.
Les Européens souhaitent aussi s'unir autour de projets communs tels que l'emploi et la formation, la recherche, la sécurité alimentaire, industrielle et maritime, le financement de grandes infrastructures et la lutte contre l'exclusion.
Un autre problème suscite débat : celui de l'existence et de l'amélioration des services publics. Il s'agit là d'un véritable enjeu, pour la France comme pour l'Europe. On assiste, en effet, au développement systématique d'une mise en concurrence aux dépens de la mission d'intérêt général et de la satisfaction des besoins. Il serait d'ailleurs judicieux d'établir un réel bilan des déréglementations, afin d'en connaître toutes les conséquences.
Les prémices d'une récession nous incitent à rediscuter les choix budgétaires et le pacte de stabilité, en vue d'engager une nouvelle politique budgétaire susceptible de favoriser la croissance. Un budget européen plus ambitieux, permettant de répondre à toutes les questions que j'ai soulevées, passe par la recherche d'autres financements.
Dans cette optique, nous apprécions l'adoption par l'Assemblée nationale d'un amendement visant à instaurer le principe d'une taxation des marchés des devises, dite « taxe Tobin ». Le soutien de l'opinion à cette démarche a amené le Gouvernement à appuyer la proposition de procéder à une étude de faisabilité sur la taxation des flux spéculatifs en Europe, qui devra être conduite par la Commission européenne. Si nous mesurons le chemin qu'il reste à parcourir, nous mesurons aussi le chemin déjà parcouru.
Enfin, comment ne pas souligner l'existence d'un déficit démocratique, reconnu par tous et qu'il faudra bien résorber ? Certes, des débats ont été organisés depuis le mois de juin 2001, mais les Français se sentent encore mal informés et souvent mis devant le fait accompli par les décisions technocratiques élaborées à Bruxelles. Comment ne pas tenir compte de l'abstention de 70 % des Irlandais et du fait que les gouvernements des autres pays européens n'aient pas jugé utile de consulter, par référendum, la population ?
Dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune, il est légitime de s'interroger sur les moyens à mettre en place pour faire face aux menaces et aux risques divers. Toutefois, nous devrons poursuivre la réflexion engagée sur les conditions de la sécurité européenne, envisager une plus grande autonomie vis-à-vis des décisions de l'OTAN ou des Etats-Unis, ainsi que la promotion de moyens d'action autres que les interventions militaires.
Nous nous félicitons de ce que la France ait été à l'origine d'une convention internationale sur la répression du financement du terrorisme et d'une proposition pour une reconstruction économique et démocratique de l'Afghanistan.
Pour autant, la réduction du financement des actions extérieures ne permettra pas de contribuer à promouvoir une coopération fondée sur les intérêts mutuels, l'Europe continuant de privilégier systématiquement les accords de libre-échange.
Enfin, le faible engagement de l'Union européenne dans le règlement politique du problème israélo-palestinien est très préoccupant. Principal contributeur financier, l'Union européenne sera-t-elle capable de faire respecter les droits de l'homme, notamment les conventions de Genève relatives à la protection des personnes civiles en temps de guerre ?
Ce budget, sans ambition, ne permet pas de répondre à ces grands défis. Le groupe communiste républicain et citoyen ne le votera donc pas en l'état.
M. le président. La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen de la contribution française au budget communautaire intervient, rappelons-le, au cours de la procédure budgétaire européenne. Les derniers arbitrages, et donc les derniers chiffres, ont ainsi été arrêtés après que ce texte eut été soumis à la commission des finances, ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes de cohérence si l'on considère les engagements que nous avons pris à l'occasion de la réforme de l'ordonnance de 1959.
Je ne peux que souhaiter qu'une telle discussion intervienne au moment de la présentation de l'avant-projet de budget de la Commission européenne ou qu'un bilan soit dressé après les ultimes conciliations entre le Conseil de l'Union européenne et le Parlement européen.
Cependant, toutes les occasions de débattre de l'Europe étant les bienvenues, c'est avec le plus grand plaisir que je saisis celle qui m'est offerte aujourd'hui.
L'augmentation substantielle, à hauteur de 11,2 %, du montant de la contribution française porte la marque d'un engagement européen fort. Pourtant, force est de constater que la prochaine mise en circulation de l'euro et la proximité des élections présidentielle et législatives réactivent, comme par enchantement, les formules des Cassandre qui prophétisent, avec la fin du franc, celle de la France et, pourquoi pas ? dans un raccourci saisissant, celle des Français : autant de formules que je n'avais pas entendu prononcer avec la même intensité depuis le référendum portant sur le traité de Maastricht. C'est à croire que le temps s'est arrêté net pour certains !
La tragédie du 11 septembre et le ralentissement de la croissance qui en résulte pour notre continent devraient, au contraire, nous amener à réaffirmer les valeurs que l'Europe se doit de promouvoir et de défendre.
Mes chers collègues, j'ai bon espoir que la discussion qui nous réunit ce matin nous permettra d'aller au-delà d'une énième déclinaison conjoncturelle de nos sentiments europhiles ou europessimistes respectifs, pour nous placer dans la perspective de la conférence intergouvernementale de 2004.
Je reviendrai tout d'abord sur le montant de la contribution française.
La substitution accélérée de la « ressource PNB » à la « ressource TVA », entérinée par le Conseil du 29 septembre 2000, est, pour une très grande part, responsable de la forte augmentation du prélèvement sur recettes prévu pour 2002. Ce système a pour objet, il faut le rappeler, de corriger les modalités de financement de l'Union européenne, rendant ainsi ce dernier beaucoup plus équitable.
Notons par ailleurs que l'augmentation de cette contribution est partiellement compensée par la croissance de la part retenue par les Etats membres pour couvrir leurs frais de perception des ressources propres traditionnelles.
Faut-il pour autant, comme je l'entends parfois demander, traduire en français la célèbre injonction de Margaret Thatcher et réclamer que notre argent nous soit rendu ? Je ne le crois pas, et j'essaierai de démontrer pourquoi cette voie est sans issue.
En effet, cette augmentation est le fruit d'un compromis arraché à Berlin en 1999. Elle est la contrepartie grâce à laquelle la France a pu préserver la structure du financement de la PAC. Devons-nous le regretter aujourd'hui ? Je ne le crois pas non plus, et je suis sûr que les agriculteurs et, plus largement, le monde rural dans son ensemble, déjà durement touché par les graves crises que nous avons tous encore à l'esprit, partageront cet avis.
Par ailleurs, si la France contribue notablement au budget communautaire, à hauteur de 16,8 milliards d'euros, soit 1 % de son budget national, elle en bénéficie aussi très largement. Je le souligne à la suite de M. Haenel, car il faut que les Français qui défendent la cause européenne le répètent inlassablement.
Ainsi, la France se situe au septième rang des contributeurs nets de l'Union européenne, très loin derrière l'Allemagne, mais aussi le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l'Italie, la Belgique et la Suède. Elle est, en retour, la première bénéficiaire des dépenses de l'Union européenne, recevant 16,7 % du montant total des dépenses communautaires.
Au-delà de ces chiffres, il est d'ailleurs utile de souligner combien l'Union européenne concourt très concrètement au développement de nos régions et de notre pays. On a trop souvent tendance à oublier, mes chers collègues, que l'Europe est un outil de solidarité qui profite à un grand nombre de nos concitoyens.
En tant qu'élu francilien, j'en veux pour exemple la mise en oeuvre des pactes territoriaux pour l'emploi, qui permettent de soutenir des actions multipartenariales locales de lutte contre le chômage. Je suis également très attentif aux premières actions qui sont financées depuis 2000 au titre de l'objectif 2, lequel ne concernait pas, jusqu'à présent, les communes d'Ile-de-France.
Loin des actions spectaculaires, l'Europe fait donc bien partie du quotidien des Français et le projet de budget européen pour 2002 recèle à cet égard des motifs de satisfaction.
Si l'on peut, certes, trouver timides les orientations proposées, elles ont le mérite de réaffirmer des priorités, de maintenir le cap dans la direction de l'Europe de la croissance, de l'emploi et du développement durable.
Car en Europe comme en France, mes chers collègues, il est nécessaire de travailler dans la continuité, de définir les lignes l'action, de s'y tenir quand celles-ci portent leurs fruits et de préférer les mesures efficaces et structurantes à la gesticulation démagogique et médiatique.
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Très bien !
M. Bernard Angels. Je ne reviendrai pas sur le détail des dotations qui composent ce projet de budget largement exposé par les orateurs qui m'ont précédé, préférant m'attarder sur quelques secteurs.
Je retiendrai d'abord la progression des crédits de la politique agricole commune de 2,3 %. Je note en particulier avec satisfaction que le budget prévoit une enveloppe de 1 215 millions d'euros pour venir à bout des conséquences dramatiques de l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB, et 200 millions d'euros pour lutter contre la fièvre aphteuse. Même si ces sommes peuvent paraître insuffisantes aux victimes de ces crises, elles traduisent bien l'engagement de l'Europe, d'autant que la mise en oeuvre de l'agence de sécurité alimentaire interviendra cette année.
Concernant les actions extérieures, l'Europe a pu dégager des crédits d'urgence destinés à l'Afghanistan, comme elle l'avait fait pour le Kosovo. Ainsi, le Conseil et le Parlement européen se sont entendus sur une enveloppe de 165 millions d'euros.
La progression des dépenses liées à la pré-adhésion, qui s'élève à 20,9 % en crédits de paiement, est aussi nécessaire que légitime. Elle constitue un signe fort en direction non seulement des pays candidats mais aussi des Etats membres. Elle renvoie, pour ceux qui en douteraient encore, à une réalité : le processus d'élargissement est bien en marche.
Ce budget traduit surtout un effort sans précédent consacré à la concrétisation de l'Europe de la justice et de la sécurité, point sur lequel j'interviens souvent en commission. Le budget de la justice et des affaires intérieures progresse ainsi de 8,7 % en crédits d'engagements et de 15,7 % en crédits de paiement, ce qui correspond notamment à la communautarisation d'une partie du troisième pilier prévue par le traité d'Amsterdam mais aussi au financement d'Eurojust, atout essentiel aujourd'hui dans notre lutte contre le terrorisme.
Les récents événements internationaux ont sans doute accéléré les intentions premières de nos dirigeants européens. En matière de lutte contre le blanchiment d'argent et la délinquance financière, j'ai pu mesurer personnellement les progrès considérables qui ont été réalisés au cours de ces derniers mois. Des obstacles importants subsistent, certes, mais des changements d'ordre culturel sont intervenus.
Je suis persuadé qu'il faut profiter de la plus grande réceptivité de nos partenaires pour progresser dans le sens d'une meilleure coordination.
Outil de solidarité, instrument au service d'une plus grande sécurité, l'Europe est également un facteur de stabilité économique, qui nous permet, n'en doutons pas, de résister mieux que d'autres aux aléas de la conjoncture internationale.
Pour autant, je souhaite que l'Europe s'engage plus encore dans la lutte pour le plein-emploi, en menant à bien une politique volontaire d'investissement. L'Europe doit se donner en effet les moyens de soutenir plus vigoureusement la consommation et contribuer à restaurer un climat de confiance mis à mal récemment.
Cette année, le budget européen se situe très en deçà du plafond de 1,27 % prévu par les perspectives financières. Dès lors, des marges de manoeuvre existent. Je rappellerai simplement que l'Union européenne a dégagé en 2000 un excédent qu'il est question de reverser aux Etats membres. D'aucuns, ce n'est pas votre cas, monsieur le rapporteur, l'appelleront « cagnotte », mais apparemment le procédé est moins sujet à scandale en Europe qu'en France.
Pourquoi ne pas utiliser dès à présent cet argent et le mobiliser pour préparer l'avenir des générations futures ? Les actions à mener ne manquent pas : le renforcement des réseaux transeuropéens, un soutien actif à la recherche, un engagement constructif pour la formation continue des jeunes, comme des moins jeunes. Par ailleurs, le Livre blanc de Jacques Delors, préconisant de grands travaux communautaires qui pourraient être financés par un emprunt européen, me semble plus que jamais d'actualité.
En outre, je ne peux qu'encourager l'effort récent de la Commission et du Conseil visant à mieux contrôler les dépenses européennes et à les rendre ainsi plus efficaces, plus lisibles et plus légitimes aux yeux de nos concitoyens. La forte diminution des crédits d'engagements au profit des crédits de paiement constitue ainsi une évolution à laquelle je suis sensible.
Au-delà de ces propositions d'actions, des réformes structurelles d'envergure s'imposent pour trouver les moyens de financer durablement ces priorités. Laurent Fabius a évoqué dernièrement des pistes intéressantes pour soutenir l'investissement européen. Le renforcement du rôle de la Banque européenne d'investissement me paraît effectivement une nécessité.
Enfin, nous ne pourrons faire l'économie d'une réflexion sur un impôt européen, dont je souhaite, pour ma part, qu'il ne s'ajoute pas à une contribution nationale.
La convention destinée à préparer la prochaine conférence intergouvernementale de 2004 devrait permettre d'examiner la répartition des compétences entre l'Union européenne et les Etats membres. Je souhaite vivement que cette réflexion soit également l'occasion d'aborder la question d'une réforme du financement européen et, à travers elle - pourquoi pas ? -, celle du passage d'un budget communautaire à un véritable budget européen. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur plusieurs travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la contribution française au budget communautaire, inscrite à l'article 26 du projet de loi de finances pour 2002, est un chapitre important du budget de l'Etat, non seulement par son montant évalué à quelque 110 milliards de francs, mais aussi par son implication qui confère à la France un pouvoir d'appréciation sur les dépenses européennes bénéficiant à quinze pays et 350 millions d'habitants. Notre pays exerce donc une part de souveraineté sur le budget communautaire représentant un tiers de son propre budget. A cet égard, l'Europe correspond bien à un élargissement des compétences budgétaires de la France.
L'augmentation de 11 % de la participation française pourrait paraître excessive, si elle ne résultait du compromis de Berlin, visant à rééquilibrer la répartition des ressources propres de l'Union européenne, en accélérant la substitution de la ressource PNB à la ressource TVA. Deuxième contributeur en volume après l'Allemagne, la France financera 17,3 % du budget communautaire, contre 23,7 % pour son partenaire d'outre-Rhin. L'Hexagone ne participe aux dépenses communes que pour 0,10 % de son PNB, soit, avec la Belgique, le plus faible pourcentage de sa richesse nationale. En tenant compte des retours de subsides européens, la France était au septième rang des contributeurs nets et au deuxième rang des bénéficiaires en 1999. En 2000, elle a même été le premier bénéficiaire de la politique agricole commune. Cette position, très favorable, risque logiquement d'être remise en cause en 2005 avec l'élargissement.
Aussi, pour évaluer l'intérêt de la participation française à l'Europe, il convient d'analyser les orientations budgétaires définies par les Quinze le 20 juillet dernier. Je ferai quelques observations.
L'excédent budgétaire élevé de l'année 2000, au lieu d'être réattribué aux Etats membres, aurait pu appuyer, dans la période actuelle de baisse de la croissance, une politique de relance à l'échelon européen. De même, la lutte contre le terrorisme et les interventions extérieures auraient justifié l'utilisation du surplus de crédits.
En effet, ce budget pour 2002, qui se situe en dessous du taux plafond de 1,27 % du PNB communautaire défini dans le programme - cadre 2000-2006, est un budget de rigueur empreint d'une certaine rigidité et de conservatisme : 80 % des dépenses communautaires sont destinées aux deux secteurs traditionnels de l'agriculture et des actions structurelles, laissant peu de place à la recherche-développement, à la culture, à l'environnement, tout aussi importants pour l'avenir du vieux continent, sans oublier la politique sociale et de l'emploi, qui s'est révélée être la préoccupation majeure dans les forums des citoyens sur l'avenir de l'Union.
Deux grands domaines ont pris un caractère d'urgence après les attentats du 11 septembre.
La politique extérieure et de sécurité commune, la PESC, bénéficiera, l'année prochaine, de crédits modestes s'établissant à 35 millions d'euros. Si l'on a beaucoup progressé dans la défense commune, on peut regretter que la diplomatie européenne demeure timide, le représentant PESC, M. Javier Solana, n'étant toujours pas en mesure de faire valoir l'unité européenne sur la scène internationale. Au Moyen-Orient, où l'Union est le premier donateur pour la paix, avec 800 millions d'euros, son influence politique reste dramatiquement faible. S'agissant, par ailleurs, de la mise en oeuvre de la Force d'action rapide, il semble que certains de nos partenaires revoient à la baisse leurs promesses d'engagement dans la perspective de 2003. Qu'en est-il, monsieur le ministre, de cette inquiétude ?
Les dossiers « justice-affaires intérieures » revêtent également un caractère d'urgence, avec la définition du terrorisme et la mise en oeuvre du « mandat d'arrêt européen ». Un haut magistrat français exprimait récemment, dans une libre tribune, son scepticisme quant aux avancées rapides de l'Europe, indiquant qu'une coopération directe entre les magistrats des Etats membres aboutirait plus vite à des résultats tangibles, tant il reste entre les différents partenaires des divergences d'appréciation en matière de justice. Quel est votre sentiment à ce sujet, monsieur le ministre, à quelques semaines du sommet de Laeken ?
Par ailleurs, les crédits les plus dynamiques en 2002 concernent la préparation à l'élargissement, les aides aux pré-adhésions s'accroissant de 21 %. L'Union a, en effet, le plus grand intérêt à ce que les candidats soient le mieux armés pour affronter la concurrence européenne. On peut regretter que deux PECO - pays d'Europe centrale et orientale - la Bulgarie et la Roumanie, n'aient pu mettre en oeuvre les réformes nécessaires à leur entrée prochaine. Peut-être faudrait-il faire un effort supplémentaire pour les soutenir ?
En conclusion, le budget communautaire pour 2002, sans être mirobolant, devrait permettre à l'Union d'assumer ses priorités : l'euro, l'élargissement, la poursuite de l'intégration dans les domaines cruciaux. La réforme des institutions en 2004 dépend, quant à elle, d'une volonté politique et des perspectives que les Etats membres voudront donner à la future Europe élargie. Le président Chirac et le chancelier Schroeder ont rapproché leur point de vue le week-end dernier à Nantes, déclarant qu'ils étaient favorables à l'instauration d'une Constitution européenne.
Je voterai ce budget, monsieur le ministre, persuadé que le processus européen est la meilleure voie pour la France. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Emin.
M. Jean-Paul Emin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2002 enregistre les effets de l'accord conclu en 1999 à Berlin sur les perspectives financières de l'Union européenne. La contribution française progresse ainsi de 11,2 % et atteint 16,87 milliards d'euros.
Au vu des sommes en jeu, on ne peut que déplorer que les parlements nationaux soient si peu associés à l'élaboration du budget européen. C'est un point que notre groupe a souvent eu l'occasion de souligner et nous espérons que la prochaine réforme des institutions communautaires permettra de trouver une solution.
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Très bien !
M. Jean-Paul Emin. Les enjeux sont en effet considérables. Nous voyons bien que notre avenir se décide désormais largement au plan européen !
C'est, par exemple, le cas de la lutte contre le terrorisme.
Les Quinze ont réagi de manière globale, rapide et unanime au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Plusieurs initiatives communes ont été annoncées en matière de coopération policière, judiciaire et financière. Notre groupe estime cependant indispensable que les bonnes volontés affichées se traduisent concrètement.
Les progrès sont réels en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, de sécurité aérienne ou de coopération entre les services de renseignement.
Toutefois, de sérieux blocages semblent persister concernant la création d'un mandat d'arrêt européen, mesure clé du futur dispositif antiterroriste.
Notre groupe considère que l'Europe a une obligation de résultat. Elle doit tout mettre en oeuvre pour construire une véritable justice commune.
Si un compromis est inévitable, voire souhaitable dans une Europe à Quinze, nous devons prendre garde à ce que ce compromis ne signifie pas inefficacité. Les réseaux terroristes ont, jusqu'à présent, bénéficié de la complexité des procédures nationales. Nous ne pourrons les combattre efficacement qu'en apportant une réponse simple au plan communautaire.
Les enjeux européens sont également importants en matière de commerce international et d'agriculture.
L'OMC a décidé, à Doha, de lancer un nouveau cycle de négociations multilatérales qui peut avoir de lourdes conséquences. Certes, l'Union européenne semble parvenue à éviter que ce nouveau cycle ne se traduise par des contraintes supplémentaires pour la politique agricole commune. Nous devons cependant faire preuve de vigilance et, en particulier, veiller à ce que la cohésion affichée par les Quinze à Doha soit maintenue à l'avenir.
La sécurité alimentaire est un autre enjeu européen majeur.
La France et l'Europe ont été secouées par plusieurs crises sanitaires comme celle de la vache folle, les alertes à la listériose, le poulet à la dioxine, la peste porcine ou encore la fièvre aphteuse. De leur côté, les organismes génétiquement modifiés continuent de susciter des inquiétudes.
En tant que membre du groupe de travail spécifique créé par la délégation du Sénat pour l'Union européenne, je serai particulièrement attentif à cette question.
Nos concitoyens sont loin d'être rassurés, surtout à l'ère du marché unique et de la mondialisation. L'Europe a un rôle moteur à jouer en ce domaine. Elle a, là encore, une obligation de résultat, tout comme en matière économique.
Les Quinze doivent relever le défi de la croissance dans un environnement international dégradé. Ils n'échapperont pas à la crise, mais ils pourront mieux s'en protéger grâce à une meilleure coordination de leurs politiques monétaires et budgétaires.
Il faut souligner l'exceptionnelle coopération des principales banques centrales de la planète au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre : elles ont organisé une réaction concertée sans précédent afin de rassurer les consommateurs et les marchés financiers, notamment en baissant quasi simultanément leurs taux directeurs dès le 17 septembre.
Ce rapprochement spectaculaire d'autorités monétaires aux approches hier bien différentes pourrait, s'il était poursuivi, constituer l'amorce d'un nouvel ordre monétaire international. Il aura, en tout cas, permis d'absorber une grande partie du choc monétaire.
La monnaie unique européenne continue cependant à souffrir d'une faiblesse persistante vis-à-vis du dollar.
Début 1999, on pensait qu'elle deviendrait rapidement une seconde monnaie internationale aux côtés du billet vert, mais la suprématie de ce dernier n'a pas été remise en cause, bien au contraire.
Il est vrai que l'euro continue de souffrir de nombreux handicaps, qu'ils soient psychologiques, commerciaux, financiers ou politiques.
Les marchés financiers restent plus favorables au dollar, par culture, par habitude ou par « suivisme » : plus de 60 % du commerce mondial est libellé et financé en dollars, contre moins de 15 % en euros. Par ailleurs, au cours de ces dernières années, l'Europe a subi un transfert massif de ses capitaux européens vers les Etats-Unis. Enfin, la Banque centrale européenne doit gérer une monnaie commune à des pays qui coordonnent peu leurs politiques économiques, engagent peu de réformes structurelles mais multiplient les déclarations contradictoires.
Le Gouvernement français porte, certes, sa part de responsabilité, comme l'illustre le projet de loi de finances pour 2002 : le poids de la dette augmente, les dépenses ne sont pas maîtrisés et les prélèvements obligatoires restent à un niveau trop élevé.
Dans ces conditions, la France ne devrait pas être en mesure de respecter les engagements pris dans le cadre du programme de stabilité et la perspective d'un retour à l'équilibre de nos finances publiques ne cesse de s'éloigner.
Nous ne pouvons que déplorer de telles dérives à un moment où l'Europe doit affronter de nouveaux défis.
Le groupe des Républicains et Indépendants votera néanmoins l'article 26 de ce projet de loi, comme il est de tradition.
Il faut espérer que la majorité parlementaire issue des prochaines élections législatives aura le courage d'engager les réformes structurelles que l'actuelle majorité n'a pas voulu mener.
Il en va de l'avenir de notre pays et de sa place dans le concert européen. La France ne peut pas exiger des réformes de la part des pays candidats à l'adhésion sans donner l'exemple et se réformer elle-même. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le sentiment d'insécurité qu'éprouvent nos concitoyens et l'irruption du terrorisme international à une échelle insoupçonnée dans leurs préoccupations quotidiennes m'amènent à aborder la part consacrée à la justice dans le budget de l'Union et son incidence sur le sentiment européen.
En effet, la justice est devenue un sujet central pour l'avenir de l'Union.
Dans la rubrique budgétaire « politiques internes », les crédits européens consacrés à la justice s'élèvent à 123 millions d'euros. Ils financent quelques programmes, dont le nouveau programme de coopération judiciaire civile pour 3 millions d'euros et les frais de fonctionnement d'Eurojust. Ces crédits sont bien insuffisants au regard des attentes de simple bon sens des citoyens européens en la matière.
On leur dit que la justice fait partie du troisième pilier de l'Union. Mais ils constatent de telles anomalies qu'ils doutent qu'elle puisse être un élément majeur de l'architecture institutionnelle européenne. Ainsi, ils trouvent inadmissible qu'un criminel ne puisse encore être automatiquement extradé vers le pays dans lequel il a commis son méfait.
Une justice européenne dotée de moyens suffisants pourrait être un moyen subsidiaire pour renforcer le sentiment pro-européen de nos compatriotes, qui en a bien besoin. Elle complèterait le 1,7 % de notre faible budget national consacré à la justice, et répondrait ainsi à la soif d'équité de nos concitoyens.
La volonté politique palliera-t-elle l'insuffisance de crédits ?
Le conseil des ministres a examiné la semaine dernière deux projets de loi permettant une amélioration de la coopération judiciaire.
L'un autorise la ratification de la convention signée à Bruxelles le 10 mars 1995 prévoyant une procédure simplifiée d'extradition : c'est un progrès.
L'autre, très attendu, particulièrement par les victimes d'attentats, autorise la ratification de la convention européenne de Dublin modifiant les conditions générales de l'extradition du 27 septembre 1996 : c'est presque une révolution.
Je me réjouis de cette initiative gouvernementale, mais il n'est déjà plus temps d'améliorer les procédures d'extradition.
Il s'agit de créer dans les meilleurs délais un mandat d'arrêt européen et de trouver un accord sur une liste d'infractions dont les auteurs présumés seraient immédiatement jugés dans le pays où ils ont sévi.
Une liste de trente infractions pour lesquelles la double incrimination pourrait être supprimée a été publiée.
Cependant, en raison de la position des délégations irlandaise et italienne, il n'y a pas encore d'accord sur le champ d'application du mandat d'arrêt européen. Souhaitons qu'une réduction du nombre de ces infractions permette au moins de parvenir à un accord final !
Monsieur le ministre, quelles actions comptez-vous mener pour que le Conseil « justice et affaires intérieures » des 6 et 7 décembre débouche sur des conclusions satisfaisantes ? Quels sont vos objectifs ?
Aujourd'hui, la réalisation du mandat d'arrêt européen doit être considérée comme une priorité.
Les attentats du 11 septembre ont créé un choc dans nos consciences et déclenché une réaction ferme de la part de tous les pays de l'Union, mais aussi de notre assemblée, le 25 octobre, lors du débat organisé sur une question orale relative aux « instruments de l'Union européenne nécessaires à une lutte efficace contre le terrorisme ».
Monsieur le ministre, à l'heure où les marchandises, les services, les capitaux et les personnes circulent librement - et donc malheureusement aussi les terroristes et leurs moyens financiers -, que peut faire concrètement l'Union ?
Elle peut, en tout cas, mettre en place rapidement un mandat d'arrêt européen. Ce sera un premier pas essentiel pour commencer à lutter contre l'impunité de criminels instrumentalisant, dénaturant, salissant même la liberté fondamentale de circuler.
Cette volonté sera, selon toute vraisemblance, relayée par l'Espagne dès le 1er janvier 2002.
Monsieur le ministre, je partage avec vous un objectif : que l'Union soit « une puissance dans la mondialisation », pour reprendre le titre de votre dernier ouvrage.
Sur un plan économique, l'Union l'a prouvé à Doha en s'exprimant d'une seule voix, celle du commissaire Lamy. Qu'elle le prouve également en ne relâchant pas ses efforts pour devenir véritablement « un espace de liberté, de sécurité et de justice » et qu'elle s'en donne les moyens budgétaires, puisqu'il existe une marge. Confirmez-vous ces objectifs, monsieur le ministre ?
Européens convaincus, les membres du groupe du Rassemblement démocratique social et européen voteront la contribution française au budget communautaire. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs. Comme chaque année, le Gouvernement, représenté par le ministre délégué chargé des affaires européennes, se tient à la disposition du Sénat pour rendre compte du projet de budget de l'Union européenne pour l'année à venir et de ses conséquences sur le budget de l'Etat à travers le prélèvement européen. Pour ma part, c'est la cinquième fois que je me livre à cet exercice devant vous au terme de cette législature.
Le projet de budget communautaire pour 2002 s'inscrit pleinement dans le cadre des perspectives financières de la période 2000-2006, arrêtées par le Conseil européen de Berlin en mars 1999.
Au sein des plafonds de dépenses fixés à Berlin, des enveloppes de crédit ont été arrêtées pour 2002 afin de financer l'ensemble des missions de l'Union européenne.
Le budget de la politique agricole commune progresse de 2,3 %, ce qui est nécessaire pour assurer la poursuite de la mise en oeuvre de la réforme décidée à Berlin, notamment la montée en puissance des aides directes au revenu.
Les crédits des actions structurelles augmentent de 2,8 % et les crédits des actions extérieures diminuent de 3,2 %.
Je reviendrai, bien entendu, sur le contenu des politiques financées par ces différentes rubriques budgétaires, mais ces premiers éléments permettent de définir les principales bases politiques sur lesquelles le budget communautaire pour 2002 a été construit.
Toutefois, je répondrai auparavant aux questions de M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, de M. le rapporteur spécial et de M. Angels sur la procédure budgétaire.
Je considère, comme eux, que cette procédure est peu satisfaisante. Je m'en étais d'ailleurs ouvert à M. Sautter - j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises devant le Sénat - à l'automne 1999.
J'avais suggéré, dans le courrier que je lui avais adressé, d'organiser un échange avec les assemblées lors du débat d'orientation budgétaire du printemps, alors que la Commission a présenté son avant-projet et que les Etats membres préparent leur proposition pour le Conseil budget, qui approuve le projet de budget. Je maintiens, pour ma part, cette suggestion, et je vous invite à vous en ouvrir à Mme Parly que je saisirai à nouveau.
Certes, il est possible d'envisager des réformes plus profondes. Nous y réfléchirons dans le cadre de la discussion qui devra aboutir en 2004 à une constitution européenne, que, comme plusieurs d'entre vous, j'appelle de mes voeux.
J'en viens au budget, qui reste maîtrisé, avec une croissance limitée à 2,5 % en valeur, soit une augmentation de 0,5 % en volume, compte tenu d'un taux d'inflation communautaire estimé à 2 % pour 2002.
La contribution française, qui est soumise à votre approbation, évolue à un rythme plus élevé de 11,2 % en valeur par rapport à la loi de finances initiale pour 2001. M. le président Haenel a justement démontré que cette hausse exceptionnelle s'explique par l'entrée en vigueur de la nouvelle décision sur les ressources propres.
M. le rapporteur spécial et M. le président de la délégation européenne ont évoqué l'accord signé à Berlin. Dans ce projet de budget, nous assumons le coût de cet accord qui a permis d'aboutir à l'Agenda 2000. C'est un bon accord. C'est en tout cas le meilleur possible. Il n'est ni une défaite allemande - je partage à ce sujet l'opinion de M. Haenel - ni une victoire espagnole - et, sur ce point, je serai plus nuancé que M. Badré. Il s'agit simplement d'un bon compromis communautaire.
Plusieurs d'entre vous ont évoqué les bénéfices que pourrait en tirer l'agriculture française grâce au maintien d'une politique agricole qui soit réellement commune. En réalité, je crois que ce compromis additionne des satisfactions pour les Espagnols en matière structurelle, des satisfactions pour la France en matière de politique agricole commune, mais aussi, il faut bien le reconnaître, des satisfactions pour la Grande-Bretagne en matière de contributions directes et indirectes. De toute façon, nous devons assumer cet accord qui, je le rappelle, a été adopté par le Président de la République et le Gouvernement qui se trouvaient côte à côte à Berlin.
Avant d'entrer plus avant dans la présentation des principales dotations budgétaires, puis de procéder très rapidement à une mise en perspective de l'action de l'Union en réponse aux orateurs, je voudrais remercier tout particulièrement M. Denis Badré, rapporteur spécial de la commission des finances, ainsi que M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, qui exercent en permanence, en application de l'article 88-4 de notre Constitution, le contrôle du Sénat sur les actes de l'Union européenne et leur traduction en droit interne.
J'en viens au projet de budget pour 2002.
Les crédits de la politique agricole commune s'établissent à 45 milliards d'euros, soit une augmentation de 2,3 % par rapport à 2001.
Sur ce montant, une enveloppe de 1,4 milliard d'euros sera consacrée au financement des conséquences des crises du secteur animal. Hors cette enveloppe exceptionnelle, indispensable, comme le soulignaient MM. Haenel et Angels, les dépenses affectées aux organisations communes de marché augmentent de 1,3 % de manière à financer l'augmentation des aides directes compensatoires pour cette deuxième année de mise en oeuvre de la baisse des prix garantis décidée à Berlin.
Les dépenses de développement durable, ce que nous appelons le deuxième pilier de la PAC, poursuivent leur montée en puissance progressive. Avec un taux d'augmentation de 2,2 %, elles représentent désormais plus de 10 % du montant total de la rubrique agricole, ce qui constitue une étape supplémentaire dans le renforcement de la prise en compte des multifonctionnalités de l'agriculture européenne.
Je souhaitais sur ce point rassurer M. Emin : la réforme décidée à Berlin se poursuit à son rythme, dans le sens d'une montée en puissance des instruments de développement rural, dans le sens d'une baisse des prix limitée par les grandes organisations de marché.
J'ai beaucoup entendu parler de réforme à cette tribune et je m'en réjouis, mais il ne saurait y avoir - ce n'est d'ailleurs pas notre intérêt - de réforme avant 2006, c'est-à-dire avant l'échéance agréée à Berlin, même si ce que l'on appelle la mid-term review , l'examen à mi-parcours, de 2002-2003 peut permettre certains ajustements pour tenir compte de l'évolution des cours mondiaux.
J'ajoute - c'est très important, monsieur le sénateur -, que la réforme de 2006 sera opérée par les Quinze en dehors de toute immixtion de l'OMC, ainsi que nous avons pu en obtenir la garantie à Dora, grâce à la pugnacité du commissaire Lamy, qui s'exprimait au nom de l'Union européenne.
La rubrique 2 du budget communautaire, consacrée aux aides régionales et à la politique structurelle, s'établit à 33,6 milliards d'euros en engagements et à 32,1 milliards d'euros en paiements, soit respectivement une hausse de 2,8 % et de 1,6 %.
M. Denis Badré, rapporteur spécial. C'est trop s'ils ne sont pas consommés !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Cette hausse significative est imputable en grande partie à la rebudgétisation automatique des crédits non engagés en 2000, particulièrement élevés compte tenu du retard pris au démarrage de la nouvelle programmation de Berlin.
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Ce n'est pas bon !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Certes, mais je ne partage pas pour autant votre critique radicale, monsieur le rapporteur spécial, sur ces crédits qui sont utiles. Les élus savent en faire un usage modéré, mais néanmoins habile, utile à nos territoires. Nos régions y sont attachées car ils viennent compléter les ressources des contrats de plan, comme le souligne fort justement Bernard Angels. Il y a peut-être des réformes à faire, mais « ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain ! ».
Les autres politiques internes regroupées traditionnellement dans la rubrique 3 du budget communautaire sont dotées de 6,4 milliards d'euros en engagements et de 6 milliards d'euros en paiements ; il y a non pas éparpillement, mais concentration sur des actions à forte valeur ajoutée.
J'en viens maintenant aux actions extérieures de l'Union européenne, financées au sein de la rubrique 4 dotée de 4,8 milliards d'euros en engagements et de 4,2 milliards d'euros en paiements.
La dotation diminue de 3,2 % en engagements, mais elle augmente de 6,3 % en paiements.
Cette évolution, contradictoire en apparence, est en réalité budgétairement opportune puisqu'elle vise à mieux rapprocher les engagements des décaissements réels.
J'en termine avec cette présentation des différentes rubriques du budget communautaire pour 2002 en indiquant que la nouvelle rubrique 7, qui permet de regrouper les aides à la pré-adhésion, prévoit une forte augmentation de 20,9 % des crédits de paiement, qui s'établiront à 2,5 milliards d'euros.
Cette augmentation tient compte de la montée en puissance de deux nouveaux instruments juridiques destinés à accompagner les réformes dans les pays candidats à l'Union européenne : le règlement d'aide structurelle ISPA - instrument structurel de pré-adhésion - et le règlement d'aide agricole SAPARD - soutien agricole de pré-adhésion au développement rural.
M. le rapporteur spécial et M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne ont évoqué tous deux l'idée d'un impôt européen. J'y suis personnellement favorable et je crois que nos concitoyens y sont prêts ; c'est ce que montrent en tout cas des études d'opinion. Mais l'institution de cet impôt suppose deux conditions.
La première, c'est qu'il se substitue à des impôts existants pour maintenir la pression fiscale constante ; cela va dans le sens d'une responsabilisation accrue des institutions européennes.
La seconde condition, c'est qu'il faut que cet impôt corresponde à un échelon européen qui soit plus efficace que les échelons nationaux, sans quoi on superposerait une bureaucratie à d'aures, ce qui ne serait pas une bonne chose.
Après ce bref tour d'horizon des dotations budgétaires de l'Union européenne, je ferai encore plus rapidement le point sur les activités de l'Union européenne au cours des mois qui viennent de s'écouler.
L'année dernière, j'avais concentré mon propos sur les objectifs de la présidence française, qui a, je crois, rempli son contrat sur deux enjeux majeurs.
Il s'agit d'abord de la préparation de l'élargissement de l'Union européenne, puisque le traité de Nice, critiqué parfois excessivement, a ouvert la voie à de nouvelles adhésions en levant ce que nous avons appelé « le préalable institutionnel ». Bien sûr, le traité de Nice n'épuise pas le processus de réforme, mais c'est un traité nécessaire, je dirai même un traité indispensable. Avec l'adoption d'une feuille de route pour la conduite des négociations, le Conseil européen de Nice a précisé le calendrier de l'élargissement et rendu possible la participation de nouveaux Etats membres aux élections européennes de 2004.
Il s'agit ensuite de la progression de l'Europe citoyenne, avec l'adoption de la charte des droits fondamentaux de l'Union, qui consacre l'ensemble des valeurs et des principes sur lesquels notre Union est fondée. Je pourrais aussi parler de l'adoption de l'Agenda social européen, qui marque le lien étroit, auquel tient tant la France, entre la prospérité économique et le progrès social. Je pourrais encore évoquer, bien sûr, le renforcement de la sécurité des citoyens, ou plus exactement des sécurités, puisque je pense aussi à la sécurité sanitaire.
La nécessité d'une Europe présente, à l'écoute des préoccupations des gens, sur laquelle la présidence française avait voulu mettre l'accent, ne peut qu'apparaître encore plus grande dans le contexte actuel, marqué par les événements dramatiques intervenus le 11 septembre aux Etats-Unis, contexte qui donne par ailleurs tout leur sens et toute leur force aux concepts d'« Europe puissance ». Je suis reconnaissant à M. de Montesquiou d'avoir donné l'écho qu'il méritait à ce concept.
Il est nécessaire, tout d'abord, et je vais dans le sens des propos de M. de Montesquiou, de faire progresser l'Europe policière et judiciaire ; c'est sans doute notre première priorité. La création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice est, vous le savez, un objectif inscrit dans les traités depuis Amsterdam. Mais, il faut bien le reconnaître, depuis deux ans, malgré l'impulsion donnée par le Conseil européen de Tampere, spécialement consacré à la justice et aux affaires intérieures, les réformes ont, sinon marqué le pas, du moins n'ont pas été assez rapides.
Il semble bien que les événements du 11 septembre aient provoqué la prise de conscience nécessaire et attendue sur l'urgence qu'il y a à renforcer la coopération et l'intégration européenne dans ce domaine.
Lors du Conseil européen extraordinaire de Bruxelles, qui a eu lieu dix jours après les attentats, les chefs d'Etat et de gouvernement ont pris des décisions très importantes dans le cadre de la lutte antiterroriste. J'en mentionnerai deux, dont l'impact sera décisif : la définition commune des actes terroristes, avec une harmonisation des sanctions, et le projet de création d'un mandat d'arrêt européen sur lequel, monsieur le sénateur, vous avez attiré mon attention à juste titre. En l'occurrence - cela a été rappelé à la réunion de Gand, qui s'est tenue un mois après le Conseil européen extraordinaire de Bruxelles -, nous sommes soumis à une obligation de résultat. Nous devrons aboutir à un accord politique lors du conseil justice et affaires intérieures qui se déroulera au mois de décembre prochain. Je dois dire que, personnellement, en ma qualité d'Européen, je considérerais comme un grave échec que nous n'y parvenions pas.
La France est fermement déterminée à aboutir, malgré les difficultés juridiques qui sont considérables ; je pense notamment à la suppression de la procédure d'extradition entre Etats membres, qui constituerait une amélioration qualitative au sein de l'espace judiciaire européen.
Vous avez évoqué, monsieur de Montesquiou, les problèmes posés par la définition du champ d'application du futur mandat d'arrêt. Il s'agit en effet d'un point essentiel de la discussion. Vous n'ignorez pas sans doute que la liste positive des infractions pour lesquelles la procédure de remise directe de juge à juge s'appliquerait a pour origine une proposition française. Soyez sûr que nous rappellerons cette ambition à l'ensemble de nos partenaires. Nous l'avons déjà fait hier, lors du sommet franco-italien. Nous espérons que tous nos partenaires sauront passer outre les difficultés, parce que les enjeux sont très importants et même décisifs. Il y va - je partage votre sentiment sur ce point - de la construction d'un véritable espace judiciaire européen, et donc de la crédibilité de l'Union européenne.
Les attentats du 11 septembre ont également mis en lumière la nécessité de renforcer la lutte contre les circuits de financement du terrorisme. L'Union européenne a décidé de s'y attaquer avec plus de détermination et de rigueur que par le passé, ce qui implique à la fois des mesures d'ordre interne, telles que la directive anti-blanchiment ou la décision-cadre sur le gel des avoirs criminels, mais aussi des initiatives dans les enceintes internationales : à l'ONU, bien sûr - je rappelle que c'est la France qui est à l'origine de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme ; je l'ai présentée ici même et vous l'avez approuvée à l'unanimité -, mais aussi dans d'autres enceintes plus spécialisées ; je pense notamment au groupe d'action financière internationale, le GAFI, dont les travaux devront prendre en compte les problèmes particuliers que pose le financement du terrorisme, comme le soulignaient très justement, voilà un instant, Mme Bidard-Reydet et M. Angels.
Je disais que les événements du 11 septembre redonnaient toute sa force au concept d'« Europe puissance ». Il est clair en effet que, face à des menaces d'une telle ampleur et qui font sans doute apparaître une « nouvelle donne » sur le plan international, l'Union européenne doit avoir davantage les moyens de s'affirmer. Cela implique, plus que jamais, le renforcement de la politique étrangère et de sécurité commune.
A ce propos, je dirai à M. Durand-Chastel que les choses suivent leur cours et que la France et l'Allemagne se sont déclarées favorables, la semaine dernière à Nantes dans leur déclaration commune sur l'avenir de l'Union, à ce que, d'ici à 2003, la mission de la politique de sécurité et de défense soit élargie à la lutte contre le terrorisme international. Je crois que nous aurons rempli nos engagements à ce sujet.
Vous avez pu constater, depuis deux mois, la cohésion des Quinze, que ce soit dans l'expression de leur solidarité politique à l'égard des Etats-Unis, dans leur refus de tout amalgame entre le terrorisme et le monde arabo-musulman, dans leur volonté de relancer le processus de paix au Proche-Orient ou dans leur souci de favoriser l'émergence d'une solution politique en Afghanistan. C'est là, bien sûr , une préoccupation très forte, notamment pour la France. C'est aussi tout l'enjeu de la conférence interafghane convoquée à Bonn et placée sous le parrainage de l'ONU.
L'Europe de demain, l'Europe « définitive », se trouve donc confrontée à un nouveau défi : celui d'une Union élargie, dans un monde devenu plus instable.
Dans ce contexte, le grand débat sur l'avenir de l'Union que nous avons décidé d'engager au Conseil européen de Nice prend tout son sens et toute sa valeur, l'objectif étant, d'ici à 2004, de réfléchir à une constitution.
Il y a, à cet égard, une étape nationale, puis une étape européenne.
Pour la première étape - le débat national -, qui vient de s'achever, le Président de la République et le Premier ministre ont tenu à lancer de larges échanges citoyens, associant toutes les composantes de la nation : élus, partenaires sociaux, milieux économiques, universitaires et associatifs. Ces échanges ont eu un caractère décentralisé, au plus près des citoyens : des forums ont été organisés dans chacune de nos régions. J'ai reçu pour mission d'animer ce grand débat, en liaison avec un groupe de personnalités indépendantes, présidé par M. Braibant, qui vient de remettre aux autorités françaises la synthèse de l'ensemble des discussions.
Dans le même temps, des discussions ont débuté à Bruxelles pour préparer la déclaration du Conseil européen de Laeken.
L'idée de mettre en place une convention qui serait chargée de préparer les travaux de la future conférence intergouvernementale a fait son chemin, jusqu'à être maintenant totalement admise. Je rappelle que la France y a été favorable dès l'origine.
La future convention, dont le format sera d'ailleurs calqué sur celui de son modèle, la Charte des droits fondamentaux, devrait commencer ses travaux au début de l'année prochaine, sous présidence espagnole.
Il va de soi, pour la France, que la mission de la convention, qui est une étape intermédiaire entre les débats nationaux et la conférence intergouvernementale, sera de proposer des orientations - elles prendront la forme d'options - puisque la convention n'est pas une assemblée constituante et qu'elle ne saurait se substituer à la conférence intergouvernementale.
J'ajoute, et c'est très important, que les pays candidats, indépendamment du stade atteint dans les négociations d'adhésion, seront étroitement associés aux travaux de la convention, avec une représentation alignée sur celle des Etats membres.
Cette convention signifie pratiquement - Hubert Védrine le disait hier lors du sommet franco-italien, avec l'acquiescement de l'ensemble des participants - que l'Europe élargie est là, presque dès maintenant.
En ce qui concerne les questions sur lesquelles devra travailler la convention, il nous semble nécessaire de partir, en les développant bien sûr, des quatre thèmes indiqués dans la déclaration de Nice, qui renvoie clairement à une réflexion plus large sur le processus de constitutionnalisation de l'Union, que, conjointement avec l'Allemagne, nous soutenons fortement et publiquement.
Vous l'aurez compris, si nous souhaitons, pour des raisons de clarté et de méthode, partir de la trame de Nice, nous veillerons néanmoins à ce que la réflexion colle de près à la réalité de l'Union européenne et à ce qu'attendent les citoyens.
Si nous faisons nôtre l'idée de Jacques Delors de fédération d'Etats nations, c'est justement parce que ce concept est, en fait, en intelligence parfaite avec la nature même de l'Union européenne. L'Europe est une construction sui generis , évolutive, qui conjugue depuis l'origine des logiques d'intégration fédérale indéniables et la permanence de vieux Etats nations. Elle a sans doute vocation à demeurer ce précipité original.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en conclusion, laissez-moi vous dire combien cette discussion du budget communautaire est essentielle à mes yeux, dans les différentes enceintes communautaires, comme devant les parlements nationaux, car elle permet de reposer chaque année la question centrale du « vouloir vivre ensemble » européen.
En effet, l'analyse un peu matérielle, parfois triste, des dotations budgétaires de l'Union nous amène immanquablement à nous poser les questions de fond : qu'avons-nous décidé de faire ensemble ? Pourquoi le fait-on mieux et de manière plus efficace à quinze que seul ? Pourquoi d'autres politiques communes essentielles au devenir de l'Union s'appuient-elles assez largement - je pense notamment au troisième pilier - sur une forme de subsidiarité budgétaire ? Pourquoi enfin, dans d'autres domaines d'actions - politiques sociales et politiques de l'emploi, en particulier -, la coordination souple paraît-elle préférable à la communautarisation des politiques ?
Ces questions, qui peuvent aussi concerner les mécanismes de relance européenne et l'impôt européen, seront d'ailleurs au coeur de la prochaine réflexion sur la réforme des institutions de l'Union, une réforme qui doit être aussi et surtout une réforme des modes d'action de l'Union. En effet, si nous réformons, c'est non par plaisir, mais pour conférer davantage de légitimité à l'Union européenne en faisant en sorte que son fonctionnement soit plus efficace.
Nous avons souvent dit que la réflexion sur le contenu, c'est-à-dire les politiques communes, devait précéder la réflexion sur le contenant, c'est-à-dire le cadre institutionnel. C'est en tout cas dans cet état d'esprit que nous aborderons la semaine prochaine le rendez-vous de Laeken. Je ne doute pas, et je fais là écho aux nombreuses professions de foi européennes que j'ai entendues ici même, que ce sommet ouvrira la voie aux institutions nécessaires à un bon fonctionnement de la grande Europe à vingt-sept que nous appelons tous de nos voeux. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur quelques travées du RDSE, de l'Union centriste et du RPR. - M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne applaudit également.)
M. le président. L'amendement n° I-195, présenté par M. Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« A la fin de l'article 26, remplacer la somme : "16,87 milliards d'euros" par la somme : "15,87 milliards d'euros". »
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Nous proposons, par cet amendement, de réduire de un milliard d'euros la contribution de la France au budget de l'Union européenne.
Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, la construction européenne est aujourd'hui marquée par plusieurs caractères pour le moins discutables : qu'il s'agisse de la remise en cause de la conception française du service public ou encore du sens donné à la politique régionale ou à la politique agricole commune, nombreux sont les signes attestant que c'est une vision étroitement libérale qui prévaut actuellement dans cette construction.
Dans le même ordre d'idées, force est de constater que le débat sur l'harmonisation des législations fiscales est aussi profondément marqué par cette orientation. Nous en voulons pour preuve le fait qu'aucun accord digne de ce nom ne puisse aujourd'hui être passé sur la question des opérations financières et bancaires.
Au coeur même de l'Union européenne, il existe en effet de véritables paradis fiscaux qui contribuent à créer de profonds déséquilibres : c'est le maintien du secret bancaire dans des pays comme le Luxembourg, les Pays-Bas ou l'Autriche, ce qui signifie que la transparence n'est pas totalement de mise en matière d'origine des fonds déposés sur les comptes ; c'est aussi la persistance, sur le territoire même de l'Union, de véritables niches pour argent sale, comme les îles Anglo-Normandes, dont les établissements financiers abritent des opérations parfois peu avouables.
Nous croyons donc nécessaire une remise en question de nombre des choix opérés par la Commission de Bruxelles et proposés aux différents gouvernements de l'Union.
C'est le sens de cet amendement, de portée certes quelque peu symbolique, que je vous invite néanmoins, mes chers collègues, à adopter.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Denis Badré, rapporteur spécial. « Ne tendez pas trop la corde de peur qu'elle ne casse », vous disais-je tout à l'heure, monsieur le ministre. Vous voyez qu'il existe déjà une ligne de fracture au sein de notre assemblée : un groupe au moins n'a pas peur de formuler une proposition qui aboutirait, s'il était suivi, à l'ouverture d'une crise européenne grave, alors que les autres refusent cette perspective.
Si nous voulons éviter cela, il nous faut mettre en oeuvre, dans l'élaboration et l'exécution du budget européen, la rigueur que nous nous efforçons d'imprimer à l'élaboration et à l'exécution de notre budget national. Comme ce n'est pas complètement le cas pour l'instant, nous devons, nous Français, veiller à ce que cela le devienne de plus en plus à Bruxelles.
Nous devons aussi, au-delà du contenu du budget lui-même, faire en sorte que la procédure s'améliore et devienne plus démocratique. Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir indiqué dans votre réponse que vous aviez cette volonté : je pense que nous devons cheminer ensemble dans ce domaine, comme dans d'autres où des réformes institutionnelles sont envisagées.
Je veux également dire combien il est fâcheux que nous n'ayons pas encore ratifié la décision de Berlin : toute la difficulté vient de là, et je pense que c'est la motivation principale qui a conduit nos collègues à déposer cet amendement.
Vous nous auriez soumis la ratification de la décision de Berlin avant l'examen de cet article du projet de loi de finances, nous aurions sans doute été convaincus, fût-ce après un débat animé, de l'opportunité de cette décision. Certes, il y a quelques instants, vous avez entamé le débat sur cette ratification, mais le véritable débat, nous ne pourrons le tenir que dans quelques jours.
Je rappelle que la décision de Berlin date de septembre 1999 ; elle remonte donc à plus de deux ans !
Il y a un an, alors que le Gouvernement nous soumettait un projet de loi l'habilitant à transposer par ordonnances des directives sur lesquelles nous avions pris beaucoup de retard, vous nous disiez, à propos de la décision de Berlin : « Ne vous inquiétez pas, nous serons toujours dans les temps. ». Or je constate que la ratification n'est toujours pas intervenue. Le Gouvernement continue à proposer au Parlement un certain nombre de textes en urgence, tout en différant l'examen des textes européens. Il ne faut pas remettre à plus tard ce qui est européen. Ce qui est européen est aussi important que ce qui est national !
Tous les orateurs qui sont intervenus ce matin ont souligné ce mépris avec lequel sont traitées les affaires européennes et qu'attestent traves ces reports incessants. Certes, nous allons pouvoir nous prononcer sur cette ratification au mois de décembre, mais il était temps ! Le portillon allait se fermer !
Ne nous mettez plus dans cette situation, monsieur le ministre, faute de quoi la corde cassera. Or, moi, je ne veux pas qu'elle casse. Je ne suis pas de ceux qui sont prêts à provoquer une crise européenne majeure. Je suis de ceux qui demandent ardemment à notre Gouvernement de tout faire pour que l'Europe avance, et avance dans la rigueur. C'est pourquoi je demande le rejet de l'amendement proposé par le groupe communiste républicain et citoyen.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Monsieur Badré, si je partage certains de vos propos, je dois vous dire que je n'ai pas du tout compris l'amendement du groupe communiste républicain et citoyen comme étant un appel à une crise européenne majeure.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Vous avez bien compris, monsieur le ministre !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Mais, s'il était voté, il n'y aurait plus de budget européen !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. J'y ai simplement vu la volonté de souligner un certain nombre de contradictions et d'insuffisances dans la construction européenne, et je suis prêt à y faire écho.
Cela étant, je ne suis pas certain que cela doive se traduire par une réduction du budget communautaire. Il me semble plutôt que de nouvelles politiques pourraient ultérieurement exiger - si elles sont efficaces, si elles répondent aux préoccupations de nos concitoyens - que nous allions vers le plafond des ressources propres de 1,27 %.
En attendant, je répondrai de façon plus technique en rappelant que la contribution française au budget communautaire présente un caractère obligatoire, que son montant résulte de l'application des décisions relatives aux ressources propres, prises en application de l'article 269 du traité sur l'Union européenne, et que ce montant est donc exigible de plein droit. Madame la sénatrice, vous avez vous-même qualifié votre proposition de symbolique, et il est bien vrai que modifier le montant de l'évaluation proposée par le Gouvernement serait sans effet pratique.
L'estimation qui vous est proposée a été établie sur la base de la nouvelle décision du Conseil du 29 septembre 2000, relative aux ressources propres,...
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Non encore ratifiée !
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. ... décision conforme à l'accord trouvé par les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne réunis à Berlin.
M. Badré le sait bien, le ministre délégué chargé des affaires européennes aurait aimé que cette ratification intervienne plus tôt. Mais elle va intervenir à temps puisque le projet de loi autorisant la ratification de cette décision vous sera soumis dans le courant du mois de décembre. Celle-ci entrera en vigueur après ratification par l'ensemble des parlementaires nationaux des Quinze - car nous ne sommes pas les derniers -, mais prendra effet en tout état de cause, au 1er janvier 2002, le cas échéant de manière rétroactive si le processus de ratification dans d'autres Etats membres n'était pas achevé à cette date.
Ces observations étant faites, j'appelle le groupe communiste républicain et citoyen à retirer son amendement.
M. le président. Mme Danielle Bidard-Reydet, l'amendement est-il maintenu ?
Mme Danielle Bidard-Reydet. Non, monsieur le président, je réponds favorablement à la sollicitation de M. le ministre.
M. le président. L'amendement n° I-195 est retiré.
Je mets aux voix l'article n° 26.

(L'article 26 est adopté.)
M. le président. Nous avons achevé l'examen de l'article 26 relatif à la participation de la France au budget des communautés européennes.

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