SEANCE DU 21 NOVEMBRE 2001
AUTORITÉ PARENTALE
Discussion d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 387,
2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'autorité parentale.
(Rapport n° 71 [2001-2002] et rapport d'information n° 66 [2001-2002].)
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse que
viennent en discussion devant vous, ce 21 novembre 2001, des textes qui vont
parachever la mise en oeuvre dans notre droit interne des engagements qu'a pris
la France en ratifiant la Convention des droits de l'enfant le 20 novembre
1990.
Cette période si symbolique pour les promoteurs des droits de l'enfant aura
été particulièrement féconde : l'Europe de l'enfance est en marche, la
présidence belge, reprenant notre initiative de l'an passé, vient de réunir les
ministres de l'enfance de l'Union autour de projets communs.
Le 8 novembre, le Conseil national de la médiation familiale a été installé,
comme je m'y étais engagée devant l'Assemblée nationale.
Le 15 novembre se sont tenus les états généraux de la protection de l'enfance
: devant les professionnels qui combattent la maltraitance sous toutes ses
formes, le Premier ministre a annoncé les mesures fortes que le Gouvernement
souhaite prendre pour protéger les enfants soumis aux situations les plus
dramatiques qui soient, à savoir les mineurs étrangers isolés et les mineurs
livrés à la prostitution. Ces mesures vous sont aujourd'hui soumises.
Dans quelques jours, sera célébrée la première reconnaissance solennelle d'un
enfant par ses deux parents, nouvel acte fondateur de la famille.
Aujourd'hui, vous avez également été saisis d'un texte qui établit l'égalité
des droits successoraux de tous les enfants et mis un terme à des
discriminations qui frappaient des enfants à raison de leur naissance.
Les deux textes que j'ai l'honneur de porter devant vous dans ce contexte
consacrent le droit de tout enfant à être éduqué par ses deux parents,
consolident l'autorité et la responsabilité parentale et consacrent le droit de
tout enfant au respect et à la connaissance de son histoire et de ses
origines.
Je voudrais, ici, rappeler les principes directeurs qui guident notre action
et donnent toute sa cohérence à la réforme d'ensemble du droit de la famille
dont vous êtes saisis aujourd'hui.
Pour nous, il est essentiel de le souligner, l'enfant demeure une personne en
devenir et, comme telle, un sujet de protection. Je saisis d'ailleurs cette
occasion pour souligner le travail remarquable des sénateurs, qui permettra
d'améliorer considérablement le texte adopté par l'Assemblée nationale. Il
importe avant tout de permettre à l'enfant de bénéficier de l'éducation, des
repères et des sécurités nécessaires à son développement et à la conquête
progressive de son autonomie.
A travers la pluralité de ses formes, la famille demeure aujourd'hui le
premier lieu d'exercice de la solidarité dans notre société, les liens
familiaux ne sont plus perçus comme contradictoires à l'affirmation des
individualités. Il s'agit non plus d'opposer droits de l'enfant, droits des
adultes, droits du couple et droits de la famille comme des droits absolus
nécessairement antagonistes, mais de trouver de nouveaux équilibres référés aux
droits et aux devoirs des parents à l'égard de leur enfant.
Il appartient au droit de la famille non pas de faire de la vie privée un
espace où chacun n'a de compte à rendre qu'à lui-même, mais d'établir les
justes distances qui permettent la vie commune entre des individus certes plus
autonomes mais qui, toujours, trouveront à s'accomplir dans leurs relations
avec autrui et dans la responsabilité à l'égard de la génération à venir.
Le droit de la famille est la clef de voûte de la politique familiale, il fait
sens, il donne une référence collective, il fait sanction aussi, quand c'est
nécessaire, mais, avant tout, il institue les liens qui, dans le réel, tissent
la trame familiale, la consolide et en sécurise la nécessaire continuité.
dbs Il est devenu un droit du principe et non plus un droit du modèle, comme
l'était celui du code Napoléon, qui enserrait la famille patriarcale dans le
carcan uniforme de la puissance maritale et de la puissance maternelle.
Le droit civil, qui définit les statuts et les places des personnes, est un
droit référentiel, mais le droit social, le droit fiscal et bien d'autres
branches du droit y contribuent, car ils dessinent également les contours de ce
qui fait la famille aujourd'hui.
Je partage votre volonté de voir mieux prise en compte la diversité des
situations familiales par ces différents droits. C'est pourquoi le texte qui
vous est proposé comporte également des mesures sociales et des mesures
fiscales.
Les droits et les devoirs auxquels nous donnons force de loi ne vont jamais
sans les moyens de les exercer. Faire de l'égalité formelle entre le père et la
mère une égalité plus réelle, assurer pour les hommes et les femmes une
meilleure conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, soutenir
l'exercice concret de la parentalité, veiller à ce que le père prenne toute sa
place par des mesures concernant l'école, le logement, la sécurité sociale, les
pensions alimentaires, les transports et les loisirs, et bientôt, à compter du
1er janvier prochain, l'accès au congé de paternité, telle est l'inspiration de
la politique familiale que je conduis.
Mais exercer ses droits et ses devoirs suppose, au préalable, de bien en
connaître la nature et l'étendue, ainsi que les obligations qui s'y
réfèrent.
C'est pourquoi je pense que l'acte de reconnaissance d'un enfant est un acte
fondateur, qui crée le lien de filiation, fait entrer l'enfant dans la famille
de ses auteurs et crée des droits et des devoirs inextinguibles.
Cet acte doit marquer l'importance que la société attache à la fonction de
parents et être l'occasion d'une information de ceux-ci sur leurs
responsabilités. Grâce au travail engagé avec les maires, la reconnaissance
sera désormais solennisée par la lecture des articles relatifs à l'autorité
parentale, assurée par un officier de l'état civil ou par un agent communal
spécialement formé à cet effet. Les parents se verront remettre un livret
d'information. De même, la reconnaissance conjointe de l'enfant avant sa
naissance est une pratique qui sera encouragée. De la même façon, à l'occasion
du mariage seront lus aux futurs parents les droits et devoirs prévus dans le
cadre de l'autorité parentale.
Informer les pères sur les effets d'une reconnaissance permettra également
d'éviter les contestations de reconnaissances non conformes à la vérité
biologique, lors de la rupture du couple. Les propositions de la délégation du
Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les
femmes sont bienvenues ; elles mettront un terme à ces « violences sans
violence » qui dépossèdent un enfant d'un père et de son nom. J'approuve
totalement votre initiative d'inscrire, dans notre droit, l'irrecevabilité de
toute contestation de la filiation d'un enfant lorsque celui-ci possède une
possession d'état de cinq ans conforme à son titre de naissance.
(Mme
Derycke applaudit.)
En clair, quatre principes fondent cette réforme de l'autorité parentale :
réaffirmer le bien-fondé de l'autorité parentale ; définir un droit commun à
tous les enfants et à tous les parents, dont le principe premier est l'exercice
conjoint de l'autorité parentale ; assurer la sécurité du double lien de
l'enfant à ses père et mère ; enfin, donner aux familles fragilisées par des
situations de précarité les moyens matériels d'assurer ce double lien.
D'abord, il faut affirmer le bien-fondé de l'autorité parentale, lui donner
toute sa force et son sens.
Le terme légal d'« autorité » heurte parfois celles et ceux qui y voient le
creuset des tyrannies domestiques, devenues, on le sait, intolérables.
Pourtant, le mot est juste. Etymologiquement et juridiquement, l'autorité est
ce par quoi les parents sont reconnus, dans la société, et se reconnaissent
eux-mêmes comme « auteurs » de leurs enfants, non pas le fabricant mais
l'inspirateur, le véritable fondateur, celui qui institue, celui qui, ayant
hérité des valeurs de la génération précédente, les transmet à son tour.
Le texte qui vous est soumis conserve, à juste titre, l'article inaugural
énonçant que « l'enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses parents »,
termes qui pouvaient paraître surannés. Loin d'orchestrer la soumission
enfantine à la toute-puissance abusive de ses père et mère, ce texte rappelle,
au contraire, la nécessaire distance entre parents et enfants, la hiérarchie
des places, conformes à l'obligation de protection des uns par les autres et à
défaut desquelles nulle autorité juste ne peut advenir ni faire sens aux yeux
de l'enfant et des siens.
Le droit de tout enfant d'être éduqué et protégé par ses parents, dans le
respect de sa personne, doit avoir force de loi, de même que le fait, pour ses
parents, de l'associer aux décisions qui le concernent, de manière adaptée à
son âge et à son degré de maturité : il s'agit ici de marquer la conquête
progressive de l'autonomie et de souligner la temporalité éducative nécessaire
à l'accompagnement progressif de cette autonomie.
La proposition de loi n'ajoute pas au dispositif existant, qui prévoit
l'audition de l'enfant par le juge : ce dispositif permet, en effet, que soit
prise en compte la parole de l'enfant, avec prudence afin de le tenir à l'écart
d'une quelconque responsabilité dans les décisions qui trancheront un litige
conjugal qui oppose ses parents.
Ensuite, il faut instituer un droit commun de l'autorité parentale fondé sur
le principe de l'exercice partagé par le père et par la mère.
Le droit de l'autorité parentale, qui, en 1970, a remplacé la puissance
paternelle par le principe, pour les couples mariés, de l'égale responsabilité
du père et de la mère puis a été étendu, en 1987 et en 1993, sous certaines
conditions, aux couples divorcés et aux couples non mariés, doit être
aujourd'hui affermi : nous devons parachever ces réformes qui ont posé des
principes forts dont nous tirons maintenant toutes les conséquences, et d'abord
par la création d'un chapitre unique du code civil pour consacrer un droit
commun de l'autorité parentale.
L'exigence d'une communauté de vie comme condition à l'exercice en commun de
l'autorité parentale est supprimée. Faire procéder l'exercice de l'autorité
parentale du seul lien de filiation dès lors qu'il est établi dans la première
année de la vie de l'enfant renforce l'égale responsabilité des parents,
confère une plus grande sécurité juridique à l'exercice de l'autorité parentale
et incite les pères à reconnaître le plus tôt possible leur enfant.
Désormais, toutes les dispositions relatives à l'autorité parentale sont
rassemblées dans un chapitre unique. En effet, il est essentiel de leur donner
toute leur force, d'en faire un socle commun, quel que soit le statut juridique
de la famille ou le devenir du couple.
Les parents séparés sont des parents comme les autres. Est-ce faire preuve
d'irréalisme que d'affirmer qu'en droit leur statut demeure identique après la
séparation ? Je ne le pense pas : cette pétition de principe est importante,
notamment à l'égard des tiers qui doivent accorder pleine valeur aux accords et
aux décisions que ces parents seront amenés à prendre concernant leurs
enfants.
Ce qui justifie l'intervention d'un juge dans les relations familiales, ce
n'est pas la séparation en tant que telle, mais le conflit. Lorsque ce conflit
est pacifié, le dialogue repris et que les enfants sont mis à l'abri
volontairement par les parents de leurs dissensions, avec ou sans l'aide d'un
tiers médiateur, la plénitude de l'autorité parentale doit être reconnue et
respectée. Les accords parentaux doivent être reçus par tous, même s'ils
contredisent une décision judiciaire antérieure, dès lors qu'ils sont faits
dans l'intérêt de l'enfant.
La séparation des parents est toujours une souffrance, un bouleversement dans
la vie des enfants, qui voient là éclater l'unicité symbolique de leur famille
et de leur ancrage affectif.
Présumer qu'une décision prise de leur commun accord est la solution qui
répond le mieux aux besoins de leur enfant, c'est non pas faire preuve
d'angélisme, mais donner son espace à la coparentalité et aider à la faire
advenir.
Je salue sur ce point le travail de restructuration du texte effectué par la
commission des lois du Sénat, qui met en exergue la responsabilité première des
parents dans l'organisation des conséquences de la séparation pour les
enfants.
En outre, il faut garantir le double lien de l'enfant à ses deux parents, et
d'abord mieux traiter les conflits.
Les conflits existent. Plutôt que de les nier, ce qui serait une erreur, car,
à force de les nier, on les gère mal, il faut les réguler de telle sorte que
les enfants en fassent le moins possible les frais et que le plus vulnérable
des parents ne soit pas livré sans défense au plus fort.
Une médiation familiale de qualité doit être développée et doit devenir
accessible à tous sur l'ensemble du territoire. A la suite du rapport que m'a
remis Mme Monique Sassier, directrice de l'Union nationale des associations
familiales, l'UNAF, nous avons mis en place avec la ministre de la justice le
Conseil national de la médiation familiale. Ce conseil prépare les textes
nécessaires à la création d'un diplôme de formation continue de médiateur
familial, réfléchit aux contenus des formations, aux conditions d'accréditation
des services de médiation et à leur composition, nécessairement
pluridisciplinaire.
La médiation doit être développée le plus en amont des conflits, dans une
perspective de prévention. Une campagne d'information sera menée auprès du
public et des professionnels, car il s'agit d'impulser un changement culturel
qui donne toute sa valeur à la recherche d'accords par les intéressés
eux-mêmes.
Mais la médiation ne saurait se substituer à la scène judiciaire, en
particulier dans les contextes de violences familiales, où dire le droit et
sanctionner l'atteinte à la dignité de l'autre restent nécessaires.
Les procédures judiciaires et le rôle de conciliateur du juge doivent tenir
pleinement leur place. Dans toutes les situations, même les plus difficiles, le
juge conserve sa mission de conciliateur.
Je tiens aussi à rappeler le rôle que peut jouer le ministère public dans les
conflits familiaux : quiconque, parent ou non, est témoin de difficultés graves
d'un enfant, du fait de la gestion parentale de la séparation, peut lui en
référer aux fins d'une saisine du juge aux affaires familiales d'une demande de
modification des mesures prises pour cet enfant.
Le respect de la place de chacun, dans le cadre de la résidence alternée, est
également l'un des principes fondateurs de cette réforme. Les attentes d'un
enfant vis-à-vis de ses parents ne sont pas tributaires du lien du couple.
Cette proposition de loi consolide l'autorité durablement protectrice de
parents unis ou désunis et conforte l'exercice d'une responsabilité adulte qui
est, pour moi, le pendant naturel de libertés acquises et pleinement
reconnues.
Faire entrer le principe de la résidence alternée dans le code civil, c'est
favoriser un partage moins inégalitaire du temps, en finir avec des formules
standard qui, pour n'avoir jamais figuré dans la loi, figeaient pourtant de
manière sûre l'inégalité des rôles, réservant aux pères le fameux « week-end
sur deux » et laissant à la mère la lourde charge de toute la semaine, charge
particulièrement difficile lorsqu'il s'agit d'éduquer des adolescents, lesquels
ont tant besoin d'un père et d'une mère.
Nous ne voulons pas remplacer un standard par un autre. La résidence alternée,
ce n'est pas la garde de l'enfant une semaine sur deux. Mais nous devons nous
garder d'affirmations trop dogmatiques sur ce qu'exige l'intérêt de l'enfant
face à la séparation de ses parents.
Il existe cependant une certitude : la continuité du lien de l'enfant avec le
père est d'abord un droit de l'enfant avant d'être un droit et un devoir du
père. Mais c'est aussi un droit de la mère à se voir déchargée de l'assignation
à des tâches réputées maternelles, par un partage enfin égalitaire de
l'éducation quotidienne de l'enfant.
Droits et devoirs du père et de la mère, indissolublement liés, telle est la
dialectique d'une parentalité assumée, chacun exerçant sa tâche en fonction de
ce qu'il est. Il s'agit non pas de substituer un père à une mère de façon
égalitaire, mais de parvenir à un équilibre des droits et des devoirs.
Aussi faut-il bannir de notre vocabulaire cette notion aussi absurde
qu'obsolète de « droit de visite et d'hébergement ». Que peut signifier
aujourd'hui pour un père le droit de « visiter » son enfant ? Comment expliquer
à tel autre père qu'il ne s'agit pas d'une prérogative discrétionnaire, que son
enfant l'attend le troisième samedi du mois et qu'une désertion sera vécue par
celui-ci comme un abandon ?
Valoriser la résidence alternée n'est ni en faire une panacée ou une
obligation, ni signifier socialement la pertinence absolue d'un modèle
d'organisation de l'après-séparation, ni culpabiliser les couples qui n'y
auront pas recours. C'est reconnaître tout simplement comme légitimes les
aspirations croissantes à un meilleur équilibre des temps partagés et dédiés à
l'enfant, c'est maintenir la relation triangulaire de la référence familiale,
c'est inciter fortement les parents à s'organiser de façon responsable, en
adultes, à s'interdire tant d'utiliser l'enfant comme un
punchingball
entre eux que de le blesser dans son amour de l'autre parent.
Il n'est pas nécessaire de demeurer un couple pour demeurer père et mère à
part entière.
La sécurité du double lien parental nécessite également que soient donnés aux
parents les moyens matériels de l'assumer : nombre de familles monoparentales,
composées pour l'essentiel de mères, sont parmi les plus exposées à l'isolement
et à la précarité. Des pères séparés sont également socialement précarisés et
considérés comme sans charge de famille.
C'est pourquoi j'ai tenu à ce que des mesures concrètes soient prises en
accompagnement de ce texte : l'accès au logement social pour les deux parents,
y compris au père séparé, l'extension de l'action sociale des caisses
d'allocations familiales au parent non allocataire, le rattachement de l'enfant
à la sécurité sociale de chacun des deux parents.
Cette réforme dont nous allons débattre à l'instant est un message fort, me
semble-t-il, à l'égard des adultes pour leur demander de surmonter les
conflits, d'épargner ces derniers à l'enfant et à l'adolescent pour que
ceux-ci, conservant leur estime à l'égard de chacun de leurs parents, aient à
leur tour le désir de poursuivre cette aventure humaine, donnée en héritage, de
transmettre le respect de soi et de constituer, le moment venu, une famille
durable.
Tel est le sens du devoir fondamental des adultes : assurer l'enchaînement
paisible des générations.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicains et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Mme Rozier
applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Laurent Béteille,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui
saisis d'une proposition de loi relative à l'autorité parentale qui a été
adoptée par l'Assemblée nationale le 14 juin dernier.
On l'a suffisamment dit pour que je n'y revienne pas longuement, le principe
d'une réforme d'ensemble du droit de la famille, annoncé en 1997, a fait long
feu. Je comprends d'ailleurs que l'immensité de la tâche ait pu décourager les
plus téméraires et que, pour avancer, il ait été proposé de procéder par des
lois parcellaires au risque de porter atteinte à la cohérence du code civil.
Nous verrons, lors de la discussion des articles, qu'un certain nombre de
coordinations avec les autres textes qui ont été adoptés ou qui seront discutés
prochainement sont nécessaires.
Le Sénat est également saisi d'une proposition de loi portant réforme de
diverses dispositions relatives à l'autorité parentale, déposée par Mme Nelly
Olin et certains de ses collègues. Sur divers points, les deux propositions de
loi vont dans la même direction.
L'autorité parentale a été introduite dans le code civil par la loi du 4 juin
1970 en remplacement de la puissance paternelle ; elle a été réformée par les
lois du 22 juillet 1987 et du 8 janvier 1993 dans le sens d'une plus grande
égalité entre les enfants, quel que soit le statut des parents, et dans celui
d'une meilleure coparentalité.
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale prolonge ce mouvement.
Elle traduit les aspirations nouvelles de reconnaissance et d'affirmation des
droits de l'enfant issues de la Convention internationale des droits de
l'enfant du 26 janvier 1990, ainsi que le souhait d'une plus libre organisation
de la vie des familles par les intéressés eux-mêmes.
Les chiffres montrent que le contexte a évolué : alors que, en 1967, on ne
dénombrait que 6 % d'enfants nés hors mariage, le taux s'élève, à l'heure
actuelle, à 40 %, soit environ 300 000 enfants. Plus de 85 % de ces enfants
sont reconnus par leurs deux parents avant l'âge d'un an.
Parallèlement, on compte actuellement près de 120 000 divorces pour 300 000
mariages, deux tiers de ces procédures impliquant des enfants.
D'après les données de l'INED, l'Institut national des études démographiques,
en 1994, deux millions d'enfants ne vivaient pas avec leurs deux parents, et
950 000 d'entre eux vivaient dans une famille recomposée.
L'évolution qui s'est traduite par les différents textes adoptés depuis 1970
n'est pas totalement achevée. Force est de constater que certaines dispositions
sont difficiles à mettre en oeuvre.
L'exigence de vie commune au moment de la reconnaissance de l'enfant exclut un
certain nombre de parents de l'exercice commun de l'autorité parentale, et son
mode de preuve est d'ailleurs critiqué.
Par ailleurs, la mention dans la loi de l'obligation pour le juge de fixer une
résidence habituelle pour les enfants, introduite par la loi de 1987, a été
considérée comme un frein, d'une part, à la libre organisation par les parents
du mode de vie familial et, d'autre part, au développement de la résidence
alternée.
La résidence de l'enfant est fixée chez sa mère dans 86 % des cas, ce qui
correspond très majoritairement - il faut le reconnaître - à la demande des
deux parents. Le père, quant à lui, réside avec au moins un enfant dans 13 %
des décisions. Quant à la résidence alternée, elle ne concerne à l'heure
actuelle que 1 % des décisions judiciaires.
Un quart des enfants de couples divorcés ne voient jamais leur père.
Au-delà de ces décisions judiciaires et des difficultés posées par les textes
existants, on note aussi des obstacles administratifs concrets à lever,
notamment dans les rapports des parents avec les administrations. Le père est
souvent ignoré par l'institution scolaire, malgré l'autorité parentale
conjointe, et donc en toute illégalité. Par ailleurs, le père ne peut prétendre
à un certain nombre de prestations sociales liées à l'enfant, et les enfants ne
sont pas pris en compte dans les critères d'attribution des logements sociaux.
Quant à l'avantage fiscal résultant du quotient familial, il ne profite qu'à un
seul parent.
C'est dire que nous avons été satisfaits de vous entendre sur ces différents
points, madame la ministre, car il nous faut pouvoir aller au-delà et faire en
sorte que la coparentalité s'applique non pas seulement dans les lois sur
l'autorité parentale, mais aussi au travers de mesures concrètes prises dans
ces différents domaines.
Ces dernières années ont connu l'émergence d'une revendication des parents,
principalement des pères, à une plus grande égalité entre les pères et les
mères dans l'exercice de leurs droits parentaux. Beaucoup de pères veulent être
des parents à part entière et souhaitent que les relations avec leurs enfants
ne soient pas cantonnées aux droits minimaux accordés le plus habituellement
par le juge. Certaines décisions ne font-elle pas référence au droit de visite
et d'hébergement classique, sans précision, sachant que c'est un moule dans
lequel s'installent la plupart des décisions rendues en la matière ?
De même, un certain nombre de mères plus engagées dans la vie professionnelle
souhaitent elles-mêmes un partage mieux équilibré de la charge quotidienne de
l'enfant.
La proposition de loi qui nous est soumise harmonise les règles relatives à la
coparentalité, définit l'autorité parentale en mettant l'accent sur l'intérêt
de l'enfant et privilégie la recherche d'un exercice consensuel de l'autorité
parentale.
Elle harmonise les règles de dévolution de l'exercice de l'autorité parentale
en mettant en place un véritable droit commun de l'autorité parentale.
Toutes les dispositions relatives à cette autorité sont désormais regroupées
dans un même chapitre du code civil, au lieu de figurer pour l'essentiel dans
la section relative aux conséquences du divorce pour les enfants.
Ce regroupement permet de renforcer également l'autorité parentale. L'exercice
en commun de l'autorité parentale ne sera plus subordonné à une condition de
résidence commune lors d'une reconnaissance conjointe, et l'exercice unilatéral
de l'autorité parentale lorsqu'un seul des deux parents aura reconnu l'enfant
sera assuré par celui qui aura reconnu l'enfant et non plus systématiquement
par la mère, comme c'était le cas auparavant.
La recherche d'un exercice consensuel d'une autorité parentale partagée se
traduit au travers de la promotion des conventions. L'homologation des
conventions devient la règle principale.
La proposition de loi contient également une incitation à recourir à la
médiation familiale, possibilité qui existe déjà et qui est d'ailleurs utilisée
; mais le présent texte prévoit que le juge peut enjoindre aux parents de
recontrer un médiateur pour une séance d'information sur la médiation.
La notion de résidence alternée, qui n'existait pas jusqu'à présent dans le
code civil, fait son apparition, et la référence à la résidence habituelle de
l'enfant introduite en 1987 est supprimée.
La préservation des relations de l'enfant avec ses deux parents et l'aptitude
de chacun des parents à assumer ses devoirs et à respecter les droits de
l'autre sont prises en compte par le juge pour fixer les modalités d'exercice
de l'autorité parentale.
Tout changement de résidence d'un des parents qui modifie l'exercice de
l'autorité parentale doit faire l'objet d'une information préalable.
Sur le plan pratique, le texte prévoit que l'enfant pourra être ayant droit
pour la sécurité sociale de ses deux parents.
Dans un autre domaine, les relations de l'enfant avec les tiers, qu'il
s'agisse des beaux-parents ou d'autres personnes, parentes ou non avec
l'enfant, sont facilitées.
La délégation volontaire de l'autorité parentale est également favorisée. Elle
peut aboutir à un partage des responsabilités pour les besoins de l'éducation
de l'enfant.
La commission des lois considère qu'il s'agit d'une réforme bienvenue, mais
qui repose parfois sur des préjugés ou des présupposés quelque peu
irréalistes.
Même si elle approuve cette nouvelle étape législative vers l'exercice
généralisé de l'autorité parentale commune et si elle accepte les grandes
lignes de cette réforme, elle proposera quelques aménagements.
La commission considère que la mise en place d'un droit commun de l'autorité
parentale, quelle que soit la situation des parents et la filiation, est une
bonne chose. Les statistiques que j'ai données aux début de ce rapport montrent
qu'il était indispensable de ne plus organiser les règles de l'autorité
parentale sur le modèle unique de la famille parentale légitime et unie. Même
si l'on peut estimer que ce type d'organisation familiale est préférable à tout
autre, on ne peut faire abstraction des évolutions sociales.
En pratique, les juges avaient transposé aux familles naturelle les règles
applicables au mariage et à la séparation les règles applicables en matière de
divorce. Mais des incertitudes demeuraient et il était hautement préférable que
des règles applicables à tous soient posées clairement, dans un chapitre
spécifique et unique.
Cependant, cette mise en place d'un droit commun de l'autorité parentale ne
doit pas supprimer tout lien entre le prononcé du divorce et la définition des
conditions d'exercice de l'autorité parentale. La commission propose donc de
réintroduire pour le juge l'obligation, supprimée par l'Assemblée nationale, de
se prononcer sur le sort des enfants lors du prononcé du divorce ou à
l'occasion de la détermination des mesures provisoires.
Il nous a semblé en outre qu'une certaine prudence s'imposait en cas de
désaccord des parents sur une mesure de résidence alternée.
Certes, nous approuvons totalement la plus grande liberté donnée aux parents
pour organiser les conditions de leur existence à travers des conventions
homologuées. La possibilité pour les parents qui le souhaitent de pratiquer une
résidence alternée si leur organisation rend possible cette mesure doit être
également accueillie très favorablement.
Cependant, compte tenu des contraintes pratiques importantes de ce mode
d'organisation pour les parents - il ne faut pas nier la réalité des choses -
de la collaboration constante qu'il implique, ainsi que des avis partagés émis
par les spécialistes de l'enfance quant à ses conséquences sur l'équilibre de
l'enfant, la commission émet des réserves sur le prononcé d'une mesure de
résidence alternée sans l'accord des deux parents.
Elle proposera que, dans ce cas, cette mesure soit prononcée à titre
provisoire, sa confirmation à titre définitif ne pouvant intervenir qu'après
une évaluation des conséquences de la mesure sur le développement de
l'enfant.
Il nous est apparu inutile de prévoir, comme l'a fait l'Assemblée nationale,
la possibilité pour le juge de faire procéder à une évaluation après le
prononcé d'une décision définitive, sous peine de porter atteinte à la liberté
individuelle des parents et dans la mesure où cette dispositon nous paraît
contraire au principe de dessaisissement du juge.
Le développement de la médiation nous paraît devoir être encouragé, même s'il
ne faut pas oublier que les parents doivent être capables d'assumer eux-mêmes
les problèmes qu'ils rencontrent. Il faut éviter de les déresponsabiliser en
leur proposant de manière trop systématique de s'en remettre à un tiers.
Quoi qu'il en soit, la médiation peut incontestablement aider certains
couples. Au demeurant, il ne serait pas raisonnable de l'imposer à ceux qui
n'en veulent pas. L'injonction d'assister à une séance de présentation semble
une mesure acceptable.
Il conviendra, en tout état de cause, de développer les services de la
médiation, de garantir la formation et la qualité des médiateurs et d'assurer
le financement.
A la suite du rapport qu'a remis l'été dernier Mme Monique Sassier, le comité
consultatif de la médiation familiale, mis en place ces jours derniers sous sa
présidence, a été chargé de proposer toutes les mesures utiles de nature à
promouvoir le développement de la médiation familiale.
S'agissant du prononcé de la mesure de médiation, la commission a estimé qu'il
ne fallait pas à tout prix l'exclure en cas de violences familiales.
D'une part, nous pouvons être certains que le juge ne la proposera pas s'il
estime qu'elle est inappropriée. D'autre part, c'est peut-être dans des cas
particulièrement difficiles qu'une médiation bien conduite et bien faite
peut-être la plus fructueuse. Nous vous proposons donc, mes chers collègues, de
ne pas l'interdire et de laisser au juge le soin de décider si elle est ou non
appropriée.
La commission est également d'accord pour favoriser le droit des tiers à
entretenir des relations avec les enfants à travers la délégation de l'autorité
parentale. Toutefois, cette procédure lui a paru un peu lourde s'agissant
notamment de certains actes usuels, tels que l'accompagnement de l'enfant à
l'école. Elle a donc estimé nécessaire de proposer un système de mandat limité
aux actes usuels.
La commission proposera un certain nombre de modifications relatives à la
contribution des parents à l'entretien et l'éducation des enfants. Nous voulons
en effet réaffirmer que le versement de cette contribution est non pas lié à
l'exercice de l'autorité parentale, mais au simple fait d'être parent et que le
versement d'une contribution à un enfant majeur doit être subordonné à la
continuation effective des études de celui-ci.
Nous proposerons également d'introduire la possibilité pour un parent séparé
de verser directement la contribution à l'enfant majeur.
Par ailleurs, il ne nous a pas semblé possible d'établir un parallélisme
étroit et systématique entre la pension alimentaire et la prestation
compensatoire, qui n'ont pas la même finalité ni le même objet : la prestation
compensatoire a un caractère forfaitaire affirmé, alors que la pension
alimentaire ou la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants
peuvent évoluer au cours de la minorité, voire au cours des premières années de
la majorité de l'enfant.
Sur la forme, la commission des lois vous proposera une véritable
restructuration du texte pour trois raisons : pour rendre la proposition de loi
plus lisible ; pour éviter de changer la numérotation d'articles du code civil
qui existent déjà et qui gardent la même place et le même contenu - d'une
manière générale, la commission est très défavorable à de telles
renumérotations ; enfin, pour réorganiser le chapitre sur l'autorité parentale
qui résulte du texte adopté par l'Assemblée nationale, afin d'isoler dans un
paragraphe spécifique les dispositions relatives à l'intervention du juge aux
affaires familiales.
Par ailleurs, la commission a considéré que la proposition de loi allait un
peu loin en gommant les effets de la séparation, en laissant croire qu'il était
possible que tout soit « comme avant ». Il est en effet d'emblée affirmé que le
divorce n'emporte aucun effet sur les droits et les devoirs des parents.
Nous proposerons une rédaction plus neutre, se rapprochant du texte actuel du
code civil.
La proposition de loi a centré la définition de l'autorité parentale sur
l'intérêt de l'enfant en faisant de celui-ci à la fois le fondement et la
finalité de cette autorité. Cette définition nous semble aller un peu loin en
niant le rôle fondateur des parents : l'autorité parentale a pour fondement la
filiation et non pas l'intérêt de l'enfant, qui n'en est que la finalité.
Telles sont, exposées de manière un peu rapide, les observations qu'a
souhaité présenter au Sénat la commission des lois.
Sous réserve de l'adoption des modifications qu'elle vous soumettra, mes chers
collègues, elle vous proposera d'adopter la proposition de loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Rozier.
Mme Janine Rozier,
au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre
les femmes et les hommes.
Monsieur le président, madame la ministre, mes
chers collègues, permettez-moi tout d'abord de vous faire part de mon émotion
en montant pour la première fois à cette tribune, au nom de la délégation aux
droits des femmes, pour évoquer devant vous un sujet qui me tient tout
particulièrement à coeur : la famille.
Cette proposition de loi relative à l'autorité parentale, adoptée par
l'Assemblée nationale le 14 juin dernier, marque une nouvelle étape dans la
réforme du droit de la famille, dont les grandes orientations ont été dessinées
par les rapports Théry et Dekeuwer-Défossez, puisque les propositions qu'ils
contenaient ont été en partie reprises dans des textes d'initiative
parlementaire.
Saisie par la commission des lois, la délégation aux droits des femmes et à
l'égalité des chances entre les hommes et les femmes a procédé à l'examen des
dispositions de ce texte qui entrent dans son domaine de compétence.
L'autorité parentale appartient aux parents pour protéger l'enfant, l'éduquer
et subvenir à son entretien ; il s'agit donc d'un droit subordonné à une
finalité.
La proposition de loi relative à l'autorité parentale s'articule autour de
deux thèmes principaux : le rapprochement des modalités d'exercice de
l'autorité parentale dans la famille légitime et dans la famille naturelle ; le
maintien de la coparentalité après la séparation des parents, selon
l'expression désormais consacrée, avec, comme fil directeur, la mise en place,
autant que possible, d'un nouveau droit commun pour toutes les familles.
La délégation aux droits des femmes souscrit pleinement à ces deux objectifs
et se félicite de cette réforme, qui s'inscrit dans le prolongement des textes
votés par le Parlement en 1987 et 1993 sur l'autorité parentale et qui
correspond aux caractéristiques comme aux attentes de la famille actuelle.
Depuis les années soixante-dix, décennie des grandes réformes, la famille a
considérablement changé. Elle a connu des mutations si profondes que le besoin
s'est fait parfois sentir de la mettre au pluriel, pour parler « des »
familles.
Déclin de la nuptialité, hausse du nombre de divorces, familles monoparentales
ou recomposées : je ne reprendrai pas ici les chiffres illustrant ces
différents phénomènes puisqu'ils ont déjà été évoqués tout à l'heure. Qu'il me
suffise de rappeler ici deux ordres de grandeur : un premier enfant sur deux
naît aujourd'hui hors du mariage et les parents, mariés ou non, font appel au
juge dans les mêmes proportions pour régler, lors de la séparation, les
questions relatives aux enfants.
Par-delà la diversité des modèles familiaux, les études sociologiques mettent
en évidence le caractère homogène des comportements, en particulier sur un
point : la demande de droit.
A cet égard, le droit de l'autorité parentale ne paraît plus adapté : le
modèle de la famille hors mariage n'est plus celui d'une femme seule avec son
enfant qu'envisage le code civil, mais bien celui d'un couple avec enfant qui
n'a pas choisi de passer devant M. ou Mme le maire.
En liant la dévolution de l'autorité parentale au seul établissement de la
filiation, avant le premier anniversaire de l'enfant, la proposition de loi
prend acte de ce que les pères non mariés ne sont pas forcément absents ou
démissionnaires, mais que, au contraire, ils sont le plus souvent bien présents
et soucieux d'assurer leur fonction éducative.
Le second volet de la proposition de loi aborde une question autrement plus
douloureuse, celle des relations parents-enfants après une séparation.
Là encore, dans nos pratiques et dans notre droit, les enfants sont une
affaire de femmes et, dans 85 % des cas - le rapporteur de la commission des
lois a fait mention d'une proportion de 86 %, à laquelle je me soumets bien
volontiers
(Sourires)
- la résidence des enfants est fixée chez la mère.
Ce qui pose véritablement un problème, c'est que, dans ces conditions, le père
peine à trouver sa place et que, très souvent, il la perd totalement auprès de
ses enfants. Une telle situation n'est évidemment pas une victoire pour les
femmes.
Au vu des inquiétudes compréhensibles que peut susciter ce texte, et dont j'ai
pu trouver l'écho dans mon courrier, je tiens à rappeler combien l'absence de
père est dramatique pour l'enfant, pour la collectivité et même pour la mère,
qui doit assurer seule une responsabilité parfois écrasante.
La convention de New York relative aux droits de l'enfant, dont c'était hier
le douzième anniversaire, affirme le droit de l'enfant à être, autant que
possible, élevé par ses deux parents. A cette occasion, Mme Claire Brisset,
défenseur des enfants, a déposé son rapport annuel. Les chiffres que celui-ci
fait apparaître en ce qui concerne les motifs de la saisine sont éloquents, et
en particulier celui-ci : 30 % des demandes concernent le sort des enfants
après une séparation des parents. Sont ainsi illustrées les difficultés
rencontrées actuellement lors d'un divorce pour trouver des solutions
satisfaisantes pour les enfants.
De ce point de vue, les dispositions du texte adopté par l'Assemblée nationale
visent à redonner l'initiative aux parents qui se séparent pour définir les
modalités de l'exercice de l'autorité parentale.
Ainsi, il reviendra aux parents de soumettre au juge la convention par
laquelle ils définissent les modalités de leurs relations vis-à-vis des
enfants.
Cette convention pourra, le cas échéant, prévoir la résidence alternée de
l'enfant, résidence alternée qui suscite encore aujourd'hui des réactions très
vives. Alors même qu'elle est actuellement possible en droit, les juges
hésitent à la prononcer et les pédopsychiatres sont partagés quant à ses
effets. Rappelons ici que ce choix est toujours subordonné à la préservation
indispensable de l'intérêt de l'enfant placé sous le contrôle du juge.
La parentalité se construit au quotidien. Dès lors, une solution qui permet à
l'enfant de fréquenter une seule école, de poursuivre l'ensemble de ses
activités tout en ayant des relations équilibrées avec ses deux parents paraît
préférable. Du reste, de nombreux parents n'ont pas attendu la loi pour mettre
en oeuvre cette solution.
Le texte introduit également la médiation familiale dans le code civil. Si
l'on ne peut qu'adhérer aux objectifs de la médiation familiale, qui vise à
favoriser des choix responsables dans un contexte apaisé, ses modalités restent
à définir. Il reviendra au Conseil de la médiation familiale d'en préciser les
contours, et surtout, la délégation aux droits des femmes tient à le souligner,
le financement.
Au travers de ces différentes modalités, la proposition de loi cherche à
favoriser le maintien du couple parental. A cette fin, elle offre une nouvelle
définition de l'autorité parentale ; cette définition met l'accent sur le lien
qui unit l'enfant à chacun de ses parents, en plaçant en quelque sorte le
couple au second plan.
Afin de ne pas perdre de vue le lien de couple, notre délégation a souhaité
que soit favorisée une démarche qui permet à un couple non marié d'affirmer un
projet parental commun avant la naissance de l'enfant : il s'agit de la
reconnaissance conjointe anténatale. Notre délégation a également souhaité que
cette démarche soit l'occasion d'une meilleure information des parents sur
leurs droits et devoirs.
Le nouveau régime de l'autorité parentale mis en place par la proposition de
loi permettra à une reconnaissance anténatale - elle est pratiquée par 40 % des
couples aujourd'hui - d'emporter, en termes de filiation et d'autorité
parentale, des conséquences identiques à celles du mariage.
Pourtant, au nom de la délégation aux droits des femmes, je regrette que
n'aient pas été traitées à l'occasion de ce texte les questions relatives à la
filiation, en particulier les cas d'ouverture - les possibilités sont
extrêmement larges - de contestation de la filiation paternelle hors du
mariage. Les dispositions concernées continuent de faire peser un doute sur la
filiation paternelle hors mariage, doute dont on a vu qu'il n'était plus
justifié aujourd'hui.
En conclusion, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues,
je qualifierai ce texte d'incitatif dans la mesure où il donne les moyens
juridiques d'une séparation apaisée. Les moyens matériels, sociaux et fiscaux,
qui ne trouvent pas leur place ici, ne devront pas être négligés tant leur
importance est grande au moment de la séparation, et vous avez, madame la
ministre, bien voulu en convenir lors de votre audition par notre
délégation.
Nous sommes peut-être en train d'inventer de nouveaux mythes, sous la forme
d'un nouveau modèle familial qui préserverait les conditions nécessaires au bon
développement de l'enfant, en organisant des relations pacifiques et des
solutions raisonnées pour les enfants des couples qui se séparent.
Quant bien même nous serions taxés d'angélisme, l'expérience mérite d'être
tentée, et l'objectif d'une plus grande place pour le père serait bien, en
dernier ressort, une nouvelle étape dans le progrès du droit des femmes.
(Applaudissements.)
M. le président.
Ces applaudissements unanimes montrent bien que votre premier rapport a été
apprécié, ma chère collègue. Soyez-en félicitée.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons
aujourd'hui une réforme législative qui répond à une évolution profonde de la
société, tout en soulevant - il faut bien le reconnaître - des craintes
légitimes de la part de certains, craintes qui devraient être atténuées par les
mesures nuancées que nous proposera notre commission des lois.
Chacun d'entre nous a bien conscience qu'aucune solution pleinement
satisfaisante n'existe, la réforme s'adressant à des situations d'échec
personnel qui entraînent
de facto
la souffrance, contre laquelle les
enfants ne peuvent être totalement protégés.
Le Parlement, par l'examen de ce texte, tente de réduire les conséquences,
lourdes pour un enfant, d'une décision prise par des adultes, décision qui ne
devrait affecter en aucun cas le lien personnel qui unit cet enfant à chacun de
ses parents. Ce principe doit sous-tendre l'ensemble des débats.
Comme cela a déjà été rappelé, les familles séparées, recomposées, les
familles hors mariage ou monoparentales sont aujourd'hui en nombre. On compte
plus d'un million de familles monoparentales, 660 000 familles recomposées ; un
million et demi d'enfants sont issus de telles familles.
Dans la très grande majorité des cas, les enfants vivent avec leur mère. Le
travail des femmes, la maîtrise de leur fécondité, la législation sur
l'interruption de grossesse ont entraîné une évolution de la place des pères.
Ceux-ci s'impliquent désormais davantage dans la vie quotidienne de la famille
; leur image de référence est moins lointaine ; ils partagent certaines tâches,
ce qui instaure une sorte de mixité, d'interchangeabilité dans les
responsa-bilités.
Alors que, avant 1970, le père exerçait seul la puissance parentale, les
juges, avec l'évolution de la législation et des pratiques, ont donné depuis
dans la grande majorité des cas - huit fois sur dix - l'attribution de la garde
de l'enfant à la mère.
La loi du 4 juin 1970 instituera l'autorité parentale. Dans les couples
mariés, elle sera exercée par les deux parents. En cas de divorce, elle sera
dévolue à l'époux non responsable, fautif devrait-on dire. En 1975, le droit de
garde, attribué à l'un des parents, sera dissocié du droit de surveillance et
de visite confié à l'autre. L'apparition du consentement mutuel motivant une
séparation a permis d'aborder de manière moins conflictuelle la gestion de
l'avenir de la famille.
Douze ans plus tard, de nouvelles dispositions législatives rendront possible
l'exercice en commun de l'autorité parentale, pour les couples divorcés sur
décision du juge, pour les couples non mariés sur déclaration conjointe devant
le juge des tutelles. La résidence habituelle de l'enfant sera fixée par le
magistrat.
Dernière étape : en 1993, apparition du juge aux affaires familiales et
instauration d'une autorité parentale commune de plein droit, sous certaines
réserves.
L'application de ces mesures a suscité quelque déception, car les attentes
étaient grandes.
Tout d'abord, cette loi n'a pas d'effet rétroactif. Du moins, son article 46
précise que le parent qui exerçait seul l'autorité parentale avant l'entrée en
vigueur du texte continuera à le faire, même si les nouvelles conditions fixées
pour un exercice commun de l'autorité sont remplies, dès lors que l'enfant
réside avec lui seul à ce moment. Seule la possibilité d'une déclaration
conjointe ou d'une décision du juge aux affaires familiales est ouverte pour
permettre un exercice commun de l'autorité parentale. Ainsi, en cas de
désaccord, c'est la mère qui détient cette autorité et elle peut la refuser,
pour toujours, au père. Nombre d'enfants ont ainsi été tenus à l'écart d'une
plus grande équité.
Ensuite, l'exigence de vie commune au moment de la reconnaissance de l'enfant
exclut un certain nombre de couples du champ d'application de la loi.
Il en résulte que, pour les enfants nés avant 1993 comme pour ceux qui sont
issus de parents ne vivant pas ensemble au moment de leur reconnaissance,
l'autorité parentale n'est dévolue au père qu'en cas d'accord entre le père et
la mère ; elle lui est refusée dans le cas contraire.
Certains pères, malgré leur désir d'élever leur enfant - qu'ils ont d'ailleurs
parfois reconnu en premier - et en dépit de la séparation de fait, sont
entièrement soumis aux souhaits des mères. En cas de famille recomposée, une
femme peut rejeter le père biologique de l'enfant, arguant de la discorde.
Il convient de souligner que, dans de nombreux cas, l'enfant est un élément de
chantage entre deux adultes bien qu'il y ait des ententes spontanées ou
décidées dans l'intérêt de celui-ci. La tentation de l'appropriation est
grande, et il n'est pas rare d'enregistrer le non-respect par la mère des
obligations en matière de jours de garde, de droit de visite, ce qui renforce
un climat d'affontement et de violence dont pâtit, d'abord, l'enfant.
Bien que l'article 227-5 du code pénal dispose que le « fait de refuser
indûment de représenter un enfant mineur à la personne qui a le droit de le
réclamer est puni d'un an d'emprisonnement et de 100 000 francs d'amende »,
nombre de tribunaux ne l'appliquent pas. Quels recours ont alors ces pères qui,
légalement, ont le droit de vivre avec leur enfant un week-end sur deux et la
moitié des vacances, soit 90 jours sur 365, et qui ne le peuvent pas ?
Si 87 % des couples divorcés exercent conjointement l'autorité parentale,
c'est chez la mère qu'est fixée la résidence dans 86 % des affaires. En cas de
désaccord, le juge fait droit à la demande de cette dernière dans la proportion
de 61 %. La situation des enfants de parents non mariés est encore plus
affirmée dans ce sens.
La proposition de loi que nous examinons apporte de nouveaux outils, ouvrant
la voie à une organisation plus harmonieuse des conséquences d'une
séparation.
L'exercice conjoint de l'autorité parentale est consacré, quel que soit le
statut des parents, et est établie une égalité de traitement entre les enfants,
qu'ils soient légitimes ou naturels. C'est un apport majeur. L'intérêt de
l'enfant est davantage au centre du dispositif. L'assouplissement du choix de
l'hébergement est conçu comme un moyen de renforcer la coparentalité, solution
équilibrée.
Notre commission des lois a fait le choix judicieux de la prudence en ce qui
concerne la garde alternée : l'accord des deux parents est exigé, sauf à y
recourir à titreprovisoire.
Toujours dans cette recherche de préservation des liens, les relations avec la
famille élargie sont favorisées.
L'enseignement tiré du cheminement antérieur a porté ses fruits : les
dispositions de ce texte seront rétroactives ; elles seront applicables aux
enfants dès lors qu'ils ont été reconnus par leur père et mère dans l'année de
leurnaissance.
Si l'avancée est indéniable, un souci persiste, concernant certains pères qui
pourraient ne pas savoir qu'ils le sont ou vont l'être. Tenus dans l'ignorance
de leur paternité juste advenue ou toute proche, comment pourraient-ils se
manifester dans les délais fixés ? Mais comment et à quel moment imposer à une
femme l'obligation de déclarer à un tiers le lien qui existe avec un nouveau-né
ou va exister avec une vie à venir ? La liberté individuelle s'oppose à ce qui
est considéré comme une forme de dépossession. Quelle contrainte peut jouer
contre la volonté d'occulter, l'ignorance ou le simple choix ?
Pourtant, ces cas marginaux pourraient prendre de l'importance. En effet, cela
a été dit, près de 40 % des enfants naissent hors mariage. Et les temps de vie
en commun sont parfois courts.
L'insertion des femmes dans la vie économique rend nécessaires à la fois une
assistance plus grande pour l'éducation de leurs enfants et une indépendance
permettant des choix. Le rôle des hommes a subi également une mutation qui leur
permet de revendiquer une place différente au sein de la famille.
Face à une évolution de la société qui casse les stéréotypes, il convient de
légiférer dans le sens d'un accompagnement des nouvelles conduites. Ce texte y
contribue, et l'ensemble des membres du groupe du RDSE le votera, en appelant
de ses voeux une réforme d'ensemble du droit de la famille qui prenne en compte
toute la diversité de celle-ci.
(Applaudissements sur les travées du RDSE,
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je
n'insisterai pas, comme je l'ai fait à propos de plusieurs textes relatifs au
droit de la famille, et ainsi que l'a rappelé avec force M. le rapporteur, sur
le regret de voir le droit de la famille atomisé, réformé par touches
successives.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Tout ou rien !
M. Jean-Jacques Hyest.
Je vous en prie, mon cher collègue, laissez-moi aller au bout du raisonnement
!
Touches successives, en effet : demain, le divorce, aujourd'hui, l'autorité
parentale, sujet tout de même lié au divorce, et, hier, la prestation
compensatoire.
En 1998, lorsque nous avions voté la proposition de loi sur la révision de la
prestation compensatoire, le Gouvernement nous avait dit ne pas pouvoir
l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale dans la mesure où l'on
attendait une réforme d'ensemble du droit de la famille.
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Je n'étais pas au Gouvernement !
M. Jean-Jacques Hyest.
Pas de personnalisation ! Le Gouvernement, nous le savons, est solidairement
responsable.
Mme Dinah Derycke.
Justement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Sans compter que la proposition de loi a tout de même été inscrite à l'ordre
du jour !
M. Jean-Jacques Hyest.
En effet, on agit maintenant par le biais d'une proposition de loi, qui
manifeste l'intérêt des parlementaires pour le droit de la famille - et on ne
peut que s'en réjouir.
D'un autre côté, n'est-ce pas quelque peu ennuyeux ? Car le Gouvernement nous
avait bien promis, à plusieurs reprises, une réforme d'ensemble du droit de la
famille.
Nous avons reçu des rapports extrêmement importants de Mme Théry et du groupe
de travail présidé par Mme Dekeuwer-Défossez. Néanmoins nous aimerions être
enfin saisis d'une réforme d'ensemble, car, à force de voter des textes
limités, des contradictions peuvent apparaître entre les dispositions
prises.
Nous constatons souvent en cours d'examen des incidences sur d'autres sujets :
elles nous obligent à adopter des dispositions étrangères au texte de la
proposition de loi d'origine. La remarque vaut encore pour la proposition de
loi que nous examinons.
En contrepoint à l'enthousiasme que manifestent certains à propos de la
qualité des textes qui nous sont proposés, je vais exposer quelques réflexions.
Peut-être est-ce un réflexe de juriste que certains qualifieront de passéiste,
mais j'ai tout de même l'impression d'une imprécision juridique grandissante
des textes.
Je vois bien, en l'occurrence, le poids des présupposés prétendument
sociologiques, je perçois bien leur tendance à n'envisager les problèmes des
familles qu'à partir du constat que la pérennité de celles-ci ne serait pas
assurée. En ce domaine, l'échec serait en quelque sorte une fatalité. Or, à mon
avis, telle n'est pas l'image que l'on doit donner de la famille, encore moins
aujourd'hui qu'hier.
Madame la ministre, le nombre de divorces augmente plus - beaucoup plus - en
Ile-de-France qu'ailleurs. Qu'est-ce à dire ?
La région la plus prospère de notre pays serait-elle en avance ? Ne
souffrirait-elle pas, au contraire, plus que d'autres d'un mal-vivre, notamment
de conditions économiques - les transports, par exemple - qui ne favorisent
certainement pas la vie de famille ?
La multiplication du nombre de décisions de justice relatives à l'exercice de
l'autorité parentale, jointe aux divergences de la jurisprudence, nécessitent,
il est vrai, une harmonisation des règles, indépendamment du statut des
parents. Il n'en demeure pas moins que les difficultés se posent
essentiellement pour les couples séparés.
On a déjà noté cet après-midi que le législateur, depuis la réforme du 4 juin
1970, s'était déjà penché à trois reprises sur le problème, la loi du 8 janvier
1993 ayant consacré le principe de la coparentalité dans la famille naturelle
comme en cas de divorce.
Quand on est parlementaire depuis un certain nombre d'années, on prend bien
conscience des évolutions. Des textes supposés fondateurs doivent être repris à
raison d'une fois tous les cinq ans ou sept ans ! Cette constatation fournit
matière à réflexion sur la précarité du droit.
Quoi qu'il en soit, il y a lieu, en l'occurrence, de tirer toutes les
conséquences de la loi de 1993 compte tenu de l'expérience et de l'évolution de
la pratique judiciaire qui, souvent, ne tient pas assez compte de la nécessaire
implication des pères dans l'éducation de leurs enfants. Il y a là une demande
qui s'exprime très souvent, notamment auprès de la représentation nationale.
Les principes de la proposition de loi sont tout à fait recevables en ce
qu'elle tend à permettre mieux que par le passé l'existence de la «
coparentalité » - je n'aime guère ce néologisme, mais nous n'avons pas trouvé
mieux - en n'établissant pas de différence selon le statut des parents.
Comme le déclare la convention de New York sur les droits de l'enfant, autre
document fondateur, l'intérêt de l'enfant doit être le fil conducteur de toute
démarche : il est générateur pour les parents de droits et de devoirs.
L'élaboration d'un droit commun de l'autorité parentale ne peut donc qu'être
approuvée. Toutefois, elle ne doit pas conduire à passer sous silence les
effets du divorce ou de la séparation des couples non mariés. Sans oublier,
bien évidemment, que la séparation est l'aboutissement d'une mésentente, d'un
conflit, souvent grave, dont les enfants sont parfois l'enjeu.
Dès lors, comment ne pas soutenir toutes les mesures - homologation des
conventions lorsque les choses se passent bien, médiation ou résidence alternée
permettant aux parents « d'organiser librement les conséquences de leur
séparation et de pacifier les conflits », selon les termes du rapporteur ?
De là à croire qu'il est facile de mettre en oeuvre la résidence alternée, non
! Et ce, pour la bonne et simple raison que, pour les enfants d'âge scolaire,
s'impose pratiquement l'unité de résidence des parents séparés dans la même
ville, voire dans le même quartier. M. Jean-Jacques Hyest. Pour organiser la
vie scolaire, et parfois sportive, de ces enfants, les parents doivent
s'efforcer de vivre dans la même ville - ou dans le même canton, s'il s'agit
d'une zone rurale.
L'environnement de l'enfant, ce sont ses relations familiales, madame le
ministre, vous le savez bien. L'alternance n'est donc pas forcément un gage de
sécurité pour l'enfant.
Certains spécialistes - je n'en suis pas un - se sont interrogés sur la
nécessité pour l'enfant d'avoir un foyer. Un foyer, ce sont des parents. S'il y
en a deux, l'un et l'autre doivent se préoccuper de l'éducation de l'enfant,
exercer ensemble l'autorité parentale. Mais l'enfant doit avoir aussi un foyer
matériel. C'est une des données que l'on ne peut pas non plus négliger.
Au cours de la discussion des articles, nous aurons à préciser plusieurs
points, qu'il s'agisse des pensions alimentaires, du problème des enfants
majeurs, des conditions de mise en oeuvre de la résidence alternée ou des
garanties en matière de médiation.
L'on ne peut que se réjouir qu'ait été conservée, à la suite du rapport de Mme
Théry, l'expression d'« autorité parentale ». Comme M. le rapporteur, je me
suis interrogé sur l'opportunité de faire de l'intérêt de l'enfant le «
fondement » de l'autorité parentale, et pas seulement sa finalité.
Etait-ce nécessaire, puisque l'autorité, quelle qu'elle soit, doit s'exercer
pour le bien de ceux auxquels elle s'applique, société politique, famille ou
enfants ?
L'intérêt de l'enfant exige qu'il soit permis aux parents d'exercer
effectivement leur autorité pour son bien, pour le « protéger dans sa sécurité,
sa santé ou sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son
développement, dans le respect dû à sa personne ». Tels sont les termes mêmes
du texte de la proposition de loi. C'est sans doute ce que nos prédécesseurs
entendaient par le devoir de garde, de surveillance et d'éducation des
parents.
C'est dire, madame le ministre, que la démarche paraît nécessaire et positive.
Sous réserve de quelques précisions relevant d'une perspective un peu
différente de celle de certains, le groupe de l'Union centriste approuvera les
propositions de la commission des lois.
Par ailleurs, je dois dire qu'il nous est arrivé ce matin un amendement
extrêmement important. Il ne concerne en rien l'autorité parentale, puisqu'il
s'agit de la prostitution des mineurs de quinze à dix-huit ans.
Il s'agit d'une disposition importante en soi. Je sais, madame la ministre,
combien il est difficile de trouver dans le calendrier parlementaire un moment
libre. Il existe des urgences, nous l'avons vu il y a peu de temps à propos du
terrorisme. Il n'y a là rien de très glorieux !
Quoi qu'il en soit, la démarche proposée nous paraît intéressante. Mais il
s'agit d'un texte très important, qui prévoit de lourdes condamnations. C'est
pourquoi il y aurait lieu de procéder à une expertise sur le plan pénal, sous
l'angle de l'échelle des peines.
Nous sommes d'accord sur le principe, sous réserve de quelques aménagements.
De toute façon, la navette permettra d'améliorer le texte, voire de le
compléter par d'autres dispositions.
En fait, cette mesure isolée devrait s'inscrire dans une démarche générale de
lutte contre le trafic des êtres humains, de lutte contre tous ceux qui sont
susceptibles de profiter de ces jeunes, et ce ne sont pas seulement les
clients. A défaut, nous manquerions l'objectif que les sénateurs ont à l'esprit
et que vous visez vous-même, madame le ministre.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le droit de la
famille deviendrait-il aussi fragile que la famille elle-même ? A peine
réformé, faut-il déjà le modifier ?
Notre volonté d'adaptation du droit aux faits, sans référence ou presque à des
valeurs communes préalables, exigerait, semble-t-il, plus de recul pour ne pas
renforcer l'instabilité qu'on ne se propose pourtant pas d'encourager.
Reconnaissons d'abord que la complexité juridique qui résulte de la prétention
de construire la famille en dehors du mariage n'a certainement pas fini de nous
embarrasser, ni d'ailleurs - et c'est là un autre problème - de contribuer à la
prospérité des professions juridiques.
(M. Hyest fait un signe
d'approbation.)
Le positivisme engendre spontanément le productivisme juridique. Nous savons
bien avec Montaigne que « moins il y a de moeurs, plus il y a de lois ».
Nous sommes d'ailleurs confrontés à une difficulté similaire, lorsque nous
nous efforçons de promouvoir la vitalité de la société civile en effaçant
l'Etat. Il y a un parallélisme significatif entre l'évolution juridique de
notre société et celle de la famille, résultant l'une et l'autre de la même
conception pluraliste du droit.
Mais le scepticisme commence à se profiler à l'horizon de notre tentative
insensée d'édifier des sociétés sur le seul pluralisme et des familles à
géométrie variable sans principe d'unité.
Le fait que l'espace juridique ne paraît opposer désormais aucune frontière à
l'imagination, et l'apparition simultanée d'une certaine frénésie pour
l'innovation font que la cohérence de nos constructions juridiques n'est plus
garantie.
Dès lors, l'avenir pourrait bien nous réserver des surprises en nous incitant
fortement, par exemple, à réintroduire l'hypothèse philosophique de la nature
humaine, qui sembla si utile à Platon et à Aristote, mais que d'aucuns avaient
cru définitivement abandonnée.
L'Etat de droit pourrait bien se révéler condamné en l'absence d'une
philosophie pour le fonder en raison. Il a en effet besoin d'un appui «
méta-juridique » où puiser son universalité, car le formalisme ne suffit
pas.
Il est impressionnant - au moins pour moi - de voir l'intensification des
efforts législatifs pour colmater les incohérences qui apparaissent déjà dans
nos communautés familiales, liées à la volonté de maintenir la famille comme
institution de droit - c'est-à-dire le refus de l'anarchie - tout en favorisant
l'anomie, à savoir le refus de tout modèle.
Ce grand écart acrobatique serait-il devenu possible en ne fondant plus la
famille sur l'accord de la volonté des époux mais sur la seule filiation ? Ce
ne serait plus l'union des volontés traditionnellement formalisée par le
mariage qui serait à la base de la famille, mais la filiation.
On connaît bien la genèse de cette démarche. Elle provient d'un
affaiblissement de l'anthropologie de l'union conjugale. Partie de la puissante
conjonction des volontés dans un projet de vie, pour glisser vers la
constatation d'un accord sensible provisoire au niveau psychique, elle se
réduit enfin au simple et éphémère attrait sexuel. On voudrait faire apparaître
un couple parental là où il n'y aurait jamais eu de couple conjugal
délibéré.
On prétend que Sartre, à la fin de sa vie, aurait avoué en privé l'échec de sa
tentative de constituer une morale sur le fondement de la seule liberté. Ne
devra-t-on pas demain faire le même constat à propos du droit de la famille si
nous continuons à vouloir le reconstruire comme nous le faisons depuis quelque
temps ? Faute de quoi la structuration même des personnes, et donc la cohésion
sociale et la survie de la société, seront minées.
Nous en sommes pour l'instant à la tentative de construire le droit de la
famille à partir de l'enfant déjà là. L'intention est louable et respectable,
mais je doute qu'elle soit viable, car c'est en amont de la conception de
l'enfant que doit se fonder le droit de la famille.
Comment peut-on prétendre définir ce droit et le construire
a
posteriori
. On aura beau faire preuve d'ingéniosité sémantique et juridique
autour de la coparentalité et de l'autorité parentale partagée, c'est la
dimension conjugale du couple dans le temps qu'il faut prendre plus au sérieux
qu'on ne le fait trop souvent. Il faut oser l'encourager.
N'y a t-il pas une forme d'hypocrisie à procéder comme nous le faisons en
négligeant les causes pour n'agir qu'à partir des conséquences ?
J'insiste régulièrement sur la nécessaire préparation des adolescents à
l'exercice futur de la responsabilité parentale. Il faudra bien se décider un
jour à y penser sérieusement quand nous serons las de constater les désarrois
et les souffrances des enfants et que nous aurons perdu toute illusion sur
l'efficacité de textes tels que celui que nous examinons.
Cela ne veut pas dire que ce texte soit inutile. Je crois cependant qu'il faut
savoir le considérer comme un simple palliatif.
En tout état de cause, je voudrais, en conclusion, réclamer plus de confiance
à l'égard des magistrats, pour leur permettre d'inventer, d'imaginer au cas par
cas les solutions juridiques les plus appropriées à l'exercice de l'autorité
parentale dans un contexte pathologique, sans pour autant les surcharger de
nouveaux textes élaborés par le législateur au gré de circonstances par
définition toujours évolutives. Evitons de donner raison au vieil adage de
Cicéron si souvent répété : «
Summum jus summa injuria
», et que je
traduirai ainsi : l'inflation du droit est cause d'injustice.
dbs0 Cela dit, je veux rendre hommage au travail de grande qualité effectué par
la commission des lois, sous l'impulsion de son président et de son rapporteur,
M. Laurent Béteille. Je veux également saluer la qualité et la lucidité du
rapport présenté par Mme Janine Rozier, au nom de la délégation aux droits des
femmes et à l'égalité des chances entre les femmes et les hommes.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Olin.
Mme Nelly Olin.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je tiens tout
d'abord à dire que ce dont nous discutons présentement revêt un caractère de
gravité particulière, s'agissant, comme tout le monde en est conscient, de
problèmes familiaux douloureux.
Toutefois, les médias ayant largement relayé les annonces faites par le
Gouvernement quant à la rénovation de la politique familiale qu'il entendait
mettre en oeuvre et s'étant fait l'écho des annonces que vous avez faites,
madame le ministre, nous avions pensé obtenir plus et, surtout, plus
cohérent.
Nombre de mes collègues l'ont dit : l'accès aux origines des personnes
adoptées, c'est pour tout à l'heure ; les droits du conjoint survivant, ce sera
une autre étape ; le nom patronymique, ce sera une autre fois ; la réforme du
divorce, ce sera plus tard. Par contre, l'autorité parentale, c'est pour
aujourd'hui.
M. Alain Gournac.
Vive la famille !
Mme Nelly Olin.
Il n'y a ni cohérence ni cohésion !
M. Alain Gournac.
Pauvre famille !
Mme Nelly Olin.
Deux remarques s'imposent pourtant.
Les déclarations du Gouvernement s'agissant de la politique familiale veulent
nous faire croire à un complet engagement de sa part. Dès lors, madame le
ministre, pourquoi une proposition de loi ? Pourquoi ne pas avoir vous-même
présenté un projet de loi ?
Par ailleurs, comment pouvons-nous décemment parler de l'autorité parentale,
c'est-à-dire des enfants de parents séparés, sans parler du divorce ?
Il est bien dommage que vous n'ayez pas cru bon d'associer les deux textes. La
réforme du divorce semble en effet directement liée à la question de l'autorité
parentale !
Pour en revenir au texte dont nous discutons, sachez, madame le ministre, que
je me réjouis que nous l'examinions aujourd'hui, quelles qu'en soient les
lacunes et les incohérences.
J'avais moi-même, comme l'a rappelé M. le rapporteur, déposé une proposition
de loi à ce sujet au mois de décembre dernier. Je dois avouer que j'ai été
quelque peu surprise de découvrir que, lors de la conférence de la famille, ma
proposition de loi avait été partiellement reprise. Malheureusement, ce texte
semble aujourd'hui être tombé dans l'oubli. Il allait pourtant beaucoup plus
loin dans la mise en oeuvre de l'autorité parentale.
Mes collègues l'ont souligné, l'évolution de notre société nous contraint à
harmoniser les conditions d'exercice de l'autorité parentale. Les chiffres sont
en effet alarmants : chaque année, il y a 120 000 divorces pour 280 000
mariages.
Derrière ces chiffres se cache la souffrance de milliers d'enfants qui devront
subir la séparation d'avec un de leurs parents.
N'oublions jamais, de plus, qu'aux divorces s'ajoutent les nombreuses
séparations de couples non mariés.
Pour ces enfants, il fallait faire en sorte que l'éducation ne soit pas le
monopole d'un des deux parents.
Par ailleurs, comme nous venons de ratifier la convention internationale des
droits de l'enfant, nous devons aujourd'hui, avec dix ans de retard,
l'appliquer.
L'article 3 de cette convention énonce que « dans toutes les décisions qui
concernent les enfants... l'intérêt de l'enfant doit être une considération
primordiale ». Quant à son article 7, il précise que « l'enfant a le droit de
connaître ses parents et d'être élevé par eux ». Enfin, son article 18 prévoit
que « les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d'élever
l'enfant ».
Ces articles sont à la base de la présente proposition de loi. Si les parents
ont des devoirs envers leurs enfants, ils ont également des droits, et le
parent a droit à son enfant. Il était plus que temps de légiférer sur la
question et d'admettre que l'autorité parentale devait être exercée en
commun.
Je déposerai des amendements pour que la notion de parité, tellement à la mode
en ce moment, soit introduite dans la conception de l'exercice de l'autorité
parentale. Toutefois, si j'utilise les mots « parité » et « paritaire », ce
n'est guère pour suivre la mode, surtout dans ce contexte délicat, c'est avant
tout pour insister sur le partage égalitaire des parents quant à
l'éducation.
Il est indispensable que l'autorité parentale soit exercée paritairement par
les deux parents. Désormais, lorsque la filiation de l'enfant est établie,
l'autorité parentale se devra d'être exercée par chacun des deux parents, c'est
une bonne chose !
Toutefois, nous devons prendre en compte le cas des pères ignorant la
naissance d'un enfant. Si la naissance d'un enfant a été cachée à un parent et
qu'ayant été informé de cette naissance il se manifeste, ce parent devrait
pouvoir bénéficier de l'exercice de l'autorité parentale.
M. Alain Gournac.
Très bien !
Mme Nelly Olin.
Je déposerai d'ailleurs un amendement à ce sujet.
Il s'agit d'appliquer concrètement le principe de la coparentalité.
M. Alain Gournac.
Très bien !
Mme Nelly Olin.
Chaque parent doit pouvoir voir grandir son enfant, participer à son
développement et à son épanouissement, à condition, bien sûr, qu'il ait été un
parent méritant, peut être devrais-je dire un parent tout court, un parent tout
simplement !
Dans le cas d'un enfant en très bas âge, il est indispensable que le parent
qui n'exerce pas la garde puisse voir assez régulièrement son enfant pour que
celui-ci fixe son image mentalement et puisse le reconnaître en tant que parent
et non en tant que simple personne faisant partie de l'entourage.
La résidence alternée figurera désormais dans le code civil ; c'est une
avancée significative. Toutes les enquêtes sociologiques montrent en effet les
bienfaits de ce mode de garde pour l'épanouissement des enfants. La résidence
alternée mise en oeuvre d'une façon égalitaire et intelligente pourrait devenir
une solution alternative dans les cas de divorce.
Les témoignages que nous avons reçus de parents divorcés sont positifs
s'agissant de ce mode de garde. Il est aujourd'hui grand temps de privilégier
l'unité familiale avant l'unité géographique.
Face à l'échec du couple parental, il était nécessaire de prévoir des mesures
favorisant les accords entre les parents. La médiation est à cet égard une
mesure positive puisqu'elle permet qu'un conflit entre les parents ne
rejaillisse pas sur l'enfant.
Dans 80 % des cas, c'est à la mère qu'est confiée la garde de l'enfant. La
mise en place de la résidence alternée pourra permettre aux parents d'exercer
véritablement leur autorité parentale, même si l'on conçoit que son application
sera difficile.
En effet, je ne vois pas comment on peut exercer pleinement son autorité
parentale lorsque l'on ne voit son enfant qu'un week-end tous les quinze jours.
Etre titulaire de cette autorité ne suffit pas.
La décision de mettre en place la résidence alternée devra être prise au cas
par cas, ce mode de garde restant la condition essentielle d'une réelle
coparentalité.
S'agissant des changements de résidence, l'obligation d'informer l'autre
parent répond à une logique. Il est en effet primordial d'instaurer le respect
de l'autre parent et de ses choix éducatifs. Quoi qu'il se soit passé en sein
du couple, le respect de l'autre est une condition essentielle à l'équilibre de
l'enfant.
Au-delà de ces considérations, madame le ministre, il est urgent de mettre en
place une politique familiale cohérente. Comme je l'ai dit, l'évolution de
notre société rendait ce texte indispensable.
Toutefois, cette proposition de loi ainsi que les autres textes que nous avons
étudiés ou que nous étudierons résultent souvent du triste constat d'échec de
la famille. La rupture ne doit pas être banalisée : elle reste malheureusement
le résultat d'un échec affectif.
Le nombre des divorces ou des séparations est en augmentation constante. Il
s'explique souvent par la difficulté qu'ont les couples de conciler leur vie
professionnelle stressante avec leur vie familiale et affective. Le désir
d'accomplissement individuel prend le pas sur la volonté de réussir sa vie de
famille.
Aujourd'hui, le rôle de tout gouvernant est d'aider les parents ou simplement
les couples à concilier tous les impératifs de la vie.
Une bonne politique familiale est une politique qui, loin de banaliser les
séparations, promeut la cellulefamiliale.
L'année dernière, j'ai profondément regretté le plafonnement de l'AGED et la
diminution du quotient familial, qui sont deux mesures allant véritablement à
l'encontre d'une bonne politique familiale.
Cette année, l'excédent de la branche famille sera reversé à la branche
vieillesse. C'est bien dommage. Vous auriez pu, par exemple, revenir sur la
baisse du quotient familial.
M. Alain Gournac.
Absolument !
Mme Nelly Olin.
Il est plus que nécessaire d'organiser un vrai débat sur la famille, un débat
qui puisse aboutir à la mise en valeur de cette dernière et, plus
particulièrement, de l'institution du mariage.
Madame le ministre, je voterai la proposition de loi telle qu'elle va être
modifiée par la commission des lois. Je tiens, à ce sujet, à féliciter notre
rapporteur pour son excellent travail. Je déposerai toutefois de nombreux
amendements qui sont nécessaires pour mieux protéger les enfants.
Je le répète, notre rôle aujourd'hui est surtout et avant tout d'éviter aux
enfants de trop souffrir de voir leurs parents se séparer, se déchirer. Notre
rôle, aujourd'hui, c'est de tout faire pour que les enfants puissent jouir de
leurs deux parents dans une seule et même cellule familiale. C'est pour cela
que le renforcement du lien familial doit être au centre de toutes nos
préoccupations.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Michaux-Chevry.
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, notre société
connaît actuellement de profondes mutations. Celles-ci touchent d'abord
l'institution qu'est la famille et, plus particulièrement, les relations au
sein de la famille.
Que la famille soit légitime ou naturelle, les liens qui unissent les parents,
tout comme ceux qui unissent parents et enfants, ont considérablement évolué.
Autrefois, les rapports parents-enfants étaient fondés sur la volonté exclusive
des parents, De nos jours, la responsabilité et le dialogue dominent. En effet,
les principes d'égalité et de responsabilité sont désormais à la base des
relations familiales.
La famille a évolué dans les faits et cette évolution s'est traduite au fur et
mesure dans notre droit. Que constatons-nous aujourd'hui ?
Ce sont les enfants qui exigent de pratiquer leurs activités et les parents
doivent en tenir compte. Les enfants peuvent circuler librement à neuf heures
du soir, et les maires qui décident de prendre des mesures contre la présence
dangereuse des enfants dans les rues sont critiqués. On entend parler de la
pilule du lendemain, même dans les collèges. Chez nous, cela a été considéré
comme une catastrophe. Oser parler de la pilule du lendemain !
Ces changements de mentalité et de conception dans l'éducation de la famille
ont été jetés en pâture dans la presse et dans les médias. La femme, élément
fondamental du foyer autrefois, est devenue un objet de publicité pour les
voitures, pour le chocolat, pour tout. Il faut montrer les seins de la femme et
le reste pour consolider les ventes !
Tout cela a perturbé profondément la vision d'un certain respect de
l'enfant.
Il est admis que la famille traditionnelle n'est plus fondée sur le modèle du
mariage. Cela a été le cas dans nos sociétés antillaises, où la notion de
mariage n'était pas fondamentale, mais, grâce au respect de la famille et des
traditions, ainsi qu'au culte de la mère, il n'a jamais été porté atteinte à
l'éducation des enfants dans les départements d'outre-mer.
Aujourd'hui, on évolue dans un cadre différent : les relations sont parfois
futiles ou elles sont imposées, la finalité de la famille n'est pas retenue.
L'analyse de ce texte me conduit à faire un certain nombre de remarques.
En préliminaire, comme l'a souligné à juste titre la commission, je regrette
cette démarche législative qui consiste à procéder par voie de réformes
ponctuelles, parcellaires, souvent circonstanciées, sans traiter au fond le
problème global de la famille dans son ensemble.
De plus, je note - c'est extrêmement pénible - une véritable juxtaposition de
nouvelles dispositions sur des articles du code civil existant déjà. Cette
méthode rend les textes de plus en plus confus. Renvoyer des dispositions à un
texte qui existe déjà complique la lecture de la loi et rend plus difficile son
application.
Parler de la famille et de l'autorité parentale implique de la clarté. Au
moment où, de plus en plus, nous sentons naître chez les jeunes un besoin
profond d'être pris en compte, préservés, un besoin de tendresse, d'affection,
nous nous contentons de faire une série de textes accolés les uns aux autres
pour répondre à l'un des fondements essentiels dont notre société a besoin pour
retrouver ses repères : la famille.
La légitime réforme annoncée depuis de nombreuses années se devait donc d'être
une réforme d'envergure, une réforme globale, élaborée à partir d'un ensemble
de dispositifs prenant en compte tous les éléments constitutifs de la
famille.
Modifier les règles de l'autorité parentale sans les intégrer dans une réforme
d'ensemble du droit de la famille risque d'être source de confusion, de
lisibilité réduite et d'une périlleuse mise en oeuvre du code civil.
Je voudrais maintenant faire quelques observations sur le texte soumis à notre
assemblée.
Cette proposition de loi sur l'autorité parentale présente certes des éléments
intéressants, mais réaffirme aussi des principes établis et appliqués. Il en
est ainsi de l'exercice conjoint de l'autorité parentale, formule qui a
toujours existé lorsque le cas est réglé par le biais de la conciliation.
Le texte renforce donc ce système en mettant en place un droit commun de
l'autorité parentale.
Mettre sur un pied d'égalité les situations parentales aussi diverses
soient-elles me paraît répondre à un souci évident.
Par ailleurs, la réaffirmation du principe d'autorité parentale conjointe
répond aux aspirations d'un bon nombre de personnes, notamment des pères. Comme
l'a très justement souligné le Président de la République : « la séparation ou
le divorce ne doivent pas conduire à fragiliser les relations parents-enfants.
L'enfant a droit à ses deux parents, car on ne divorce jamais de ses enfants.
»
Aujourd'hui, le changement des mentalités, le travail plus fréquent des femmes
sans que soit organisée la vie du foyer, les enfants qui déambulent dans la rue
parce que l'école a fermé et que les mères ne sont pas rentrées de leur
travail, les enfants qui n'ont souvent pour interlocuteur que la télévision,
les enfants qui circulent dès neuf ans ou dix ans avec les clefs de
l'appartement de leurs parents, sont autant de faits nouveaux dont il faut
tenir compte.
La mise en oeuvre du travail des femmes ne s'est pas accompagnée de mesures
permettant de préserver l'enfant et de l'intégrer dans la société.
Puis est née - peut-être à cause du chômage, je n'en sais rien - la volonté
réelle des pères d'être de plus en plus présents dans la vie de leurs enfants.
Mais cette présence du père ne doit pas être associée aux tâches ménagères
accomplies par la femme. C'est une nouvelle donne qui permet, au contraire, de
considérer l'autorité parentale comme un élément partagé par le couple.
De même, notre droit se devait d'évoluer en permettant un exercice plus large
et plus facile de l'autorité parentale au sein des familles naturelles.
L'article 4 de la proposition de loi, en supprimant la condition de vie commune
des parents au moment de la reconnaissance de l'enfant naturel, est un élément
intéressant.
La possibilité offerte aux parents d'organiser, par la voie d'une convention,
les modalités d'exercice de l'autorité parentale, notamment les modalités de
résidence de l'enfant, est une mesure intéressante, mais il me paraît important
que les parents puissent s'organiser en préservant l'intérêt de l'enfant. La
résidence alternée peut paraître une bonne mesure, mais elle ne résoud pas les
problèmes de la séparation naturelle. Je pense à un couple dont l'un des
conjoints vit à Bordeaux et l'autre aux Antilles. Permettez-moi de dire qu'en
ce domaine je suis très réservé.
Je veux également souligner les dispositions de l'article 8 de la présente
proposition de loi, qui parachèvent l'évolution nécessaire en matière de
filiation en posant le principe d'égalité de toutes les filiations légalement
établies.
Malheureusement, la proposition de loi me laisse quelque peu perplexe. Un
certain nombre de dispositions, loin de renforcer l'autorité parentale, me
paraissent, au contraire, la mettre en péril. Ainsi, l'article 2 énonce que
l'autorité parentale a pour fondement l'intérêt de l'enfant, alors qu'il existe
une contradiction avec la finalité.
De même, l'article 3 me laisse perplexe. Il peut paraître naturel de donner à
l'enfant le droit, et non la possibilité, d'entretenir des relations
personnelles avec les membres de sa lignée. Mais lorsqu'on permet à un juge de
fixer les modalités de relation de l'enfant avec un tiers, parent ou non, je
suis en droit de me demander si l'on n'est pas en train de porter atteinte à
l'autorité parentale. Si le juge autorise un enfant à voir M. X ou Mme Y,
malgré le désaccord des parents, c'en est fini de la possibilité pour eux
d'exercer pleinement leur autorité parentale.
En finalisant un certain nombre de mesures de ce type, on va créer un climat
conflictuel, des affrontements au sein de la famille.
De même, l'article 4 permet à un membre de la famille de saisir le juge pour
statuer sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale. C'est la porte
ouverte aux divisions et aux querelles au sein des familles, et l'on sait à
quel point celles-ci peuvent être tenaces !
La famille évolue sans cesse, et le droit doit s'adapter à cette évolution,
même si l'on sait que la famille ne se laisse pas facilement appréhender par le
droit. Mais la famille se vit ; elle est le lieu de toutes les passions, de
toutes les joies, de toutes les peines. L'affirmation des plus beaux principes
légaux ne peut rien y changer : c'est notre société qui a besoin d'être remise
sur les rails !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de
l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cela a été dit
: on observe de moins en moins de mariages, de plus en plus de divorces et de
naissances hors mariage.
Devant cette situation, il était urgent d'intervenir pour mettre le droit en
conformité avec ce qui - qu'on le veuille ou non - existe ! Il fallait, d'une
part, unifier les règles de l'unité parentale, que les enfants soient légitimes
ou naturels, et, d'autre part, favoriser l'autorité parentale alternée malgré
les résistances de certains juges aux affaires familiales.
Nous avons entendu - c'est tout de même amusant ! - le même refrain de la part
de M. Gélard en commission, de M. Hyest, Mme Olin, puis Mme Michaux-Chevry cet
après-midi. Pas de réformes partielles, nous disent-ils - c'est tout ou rien !
En vérité, vous savez bien, les uns et les autres, en tant que parlementaires,
que le mieux est l'ennemi du bien.
Chaque fois que vous déposez un amendement pour essayer d'améliorer une
situation, sans attendre un projet ou une proposition de loi, vous faites votre
métier de parlementaire ! Pourquoi demandez-vous une réforme globale de la
famille tellement ambitieuse qu'elle ne viendrait jamais en discussion ?
M. Alain Gournac.
C'est ce qui a été annoncé !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous avons demandé et obtenu que le Gouvernement n'ait plus priorité pour
fixer l'ordre du jour des assemblées, ce qui lui donnait l'exclusivité et
empêchait la discussion de textes présentés par les parlementaires.
Aujourd'hui, il y a des « niches » réservées aux propositions de loi. Et ce
sont des parlementaires, de toutes tendances, qui ont pris l'initiative des
textes qui font, jour après jour, la réforme de la famille.
Ainsi, le texte sur la prestation compensatoire était signé non seulement de
notre ancien collègue M. Pagès, mais également de notre collègue M. About. Je
pourrais citer aussi le texte sur les droits du conjoint survivant, que nous
venons d'adopter à l'unanimité, le texte sur le droit d'accès aux origines et,
demain, le texte sur la réforme du divorce, ainsi que le texte que nous
examinons sur l'autorité parentale.
Madame Nelly Olin, vous demandez une réforme consistante et cohérente. Mais
quand on connaît votre proposition de loi, non sur l'autorité parentale mais
portant réforme de diverses dispositions relatives à l'autorité parentale, qui
comporte trois articles tenant sur une page de petit format, on a le droit de
penser, permettez-moi de vous le dire, que vous êtes mal placée...
Mme Nelly Olin.
Tout de même !
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Il s'agit de l'autorité parentale !
M. Alain Joyandet.
Mme Olin n'est pas ministre déléguée à la famille, elle fait son travail de
parlementaire !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... pour regretter l'absence d'une réforme globale « consistante et cohérente
».
Mme Nelly Olin.
Mais non !
M. Alain Gournac.
Elle n'est pas ministre, et on n'est pas au tribunal !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est tellement vrai, d'ailleurs, que M. le rapporteur cite, à trois reprises
dans son rapport, la proposition de loi de Mme Nelly Olin et de quarante-six
autres collègues appartenant à la majorité sénatoriale !
Mme Nelly Olin.
Quel est le problème ?
M. Alain Gournac.
Et alors !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Quand on dépose une proposition de loi, c'est avec l'espoir qu'elle vienne en
discussion.
Mme Lucette Michaux-Chevry.
La qualité n'implique pas la quantité !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous avez vous-même donné l'exemple de réformes importantes portant sur un
sujet particulier !
M. Alain Gournac.
La politique familiale, c'est qui ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela étant dit, le texte dont nous sommes saisis est de grande qualité !
Mme Lucette Michaux-Chevry.
C'est normal !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il n'y a pas beaucoup de différences, en l'état actuel des choses, entre la
position de la commission des lois du Sénat, et ce soir du Sénat, avec celle de
l'Assemblée nationale, il faut le constater.
Je ferai une réflexion de forme : ceux qui ont voulu travailler de près sur ce
texte se sont heurtés à une difficulté, à savoir le changement de numérotation
auquel s'est livré le rapporteur de la commission des lois du Sénat. Il est
infiniment difficile de s'y retrouver, notamment dans le tableau comparatif.
M. Alain Joyandet.
Cela, c'est très important, voire capital, pour l'avenir de la famille en
France !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous permettez que je conduise mon intervention comme je l'entends, mon cher
collègue ? Voulez-vous qu'une autre fois je vous demande ce que je dois dire ou
non ?
M. Alain Joyandet.
Il ne faut pas mettre ainsi en cause nos collègues !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On voit bien que vous ne vous êtes pas donné la peine de rédiger des
amendements !
(M. Gautier applaudit.)
Je veux faire quelques réflexions sur certains points qui nous paraissent
importants et qui nous ont amenés à déposer des amendements.
Selon la majorité de la commission des lois, la pension alimentaire
continuerait d'être versée au-delà de la majorité uniquement si l'enfant
poursuit des études. Et s'il ne trouve pas de travail, que fera-t-il ? Il ne
percevra plus de pension ! Faudra-t-il qu'il attaque son auteur, non pas devant
le juge aux affaires familiales mais devant le tribunal d'instance, pour
réclamer une pension alimentaire ? Notre objectif commun est-il d'inciter les
enfants à attaquer en justice leur auteur ? Je ne le crois pas ! C'est la
raison pour laquelle nous proposons que, lorsqu'il est justifié que l'enfant
majeur reste dans le besoin, la pension alimentaire continue d'être versée.
Aujourd'hui, elle reste due dans tous les cas et jusqu'à suppression par le
juge, ce qui n'est certes pas une bonne formule.
Nous avons déposé un autre amendement relatif au moment où des tiers
pourraient être titulaires de l'autorité parentale, à la demande des parents ou
du juge, dans l'intérêt de l'enfant. Il y a souvent, dans les tiers, des
parrains et des marraines. La séparation de l'église et de l'Etat empêche que
l'on vise le baptême religieux dans le code civil. Mais il est des gens qui
veulent, selon le terme qu'ils utilisent, « baptiser » leur enfant ; je dirai
plutôt « parrainer » leur enfant, de manière républicaine. C'est ce qu'on
appelle le parrainage républicain.
Beaucoup de maires acceptent de procéder à une telle cérémonie, mais d'autres
refusent. La situation n'est donc pas la même pour les uns et pour les
autres.
Pour notre part, nous proposons d'introduire dans le code civil le parrainage
républicain. J'avais appelé cela « baptême républicain » pour reprendre
l'expression qui est en vigueur depuis l'origine, c'est-à-dire depuis la
Révolution française. Mais comme cette dénomination a provoqué en commission
une discussion sémantique, car le baptême n'existerait qu'en matière
religieuse, j'ai renoncé au terme « baptême » et retenu l'expression «
parrainage républicain ».
Autre amendement : plutôt que de lire à l'auteur de la reconnaissance d'un
enfant un certain nombre de textes relatifs aux droits et aux devoirs que la
loi prévoit en la matière, nous proposons que soit remis à l'intéressé un
document écrit avec l'indication des articles concernés, quitte à ce que cette
remise soit accompagnée d'un commentaire oral.
Il m'a été répondu en commission que cela serait d'ordre réglementaire. Je ne
vois pas pourquoi il serait légal d'ordonner la lecture d'articles du code
civil à quelqu'un et pourquoi cela ne le serait pas de préconiser la remise du
même document écrit comportant les mêmes articles.
Un autre point nous paraît important, qui ne figure ni dans le texte de
l'Assemblée nationale ni dans celui de la commission des lois du Sénat, en
matière d'autorité parentale alternée. Elle n'est pas forcément paritaire, et,
à l'évidence, mes chers collègues, cela suppose qu'elle soit possible,
c'est-à-dire que l'enfant puisse continuer à fréquenter la même école et que
les parents habitent l'un près de l'autre. Vous avez, madame Michaux-Chevry,
pris l'exemple de parents dont l'un habiterait en Martinique et l'autre en
métropole. Bien sûr, ce n'est pas aisé, dans ce cas, sauf à envisager une
autorité parentale alternée.
Quoi qu'il en soit, aucune disposition n'est prévue quant au devenir des
avantages fiscaux, familiaux et sociaux. Il faudrait que ces avantages fiscaux,
familiaux et sociaux fassent l'objet d'un partage, sur lequel les parents se
mettraient d'accord ou qui serait arrêté par le juge lui-même.
Si, par hypothèse, les deux parents disposent des mêmes ressources, qu'ils
habitent l'un près de l'autre et qu'ils exercent une autorité parentale
alternée, qui touchera éventuellement les allocations familiales ? Qui percevra
l'indemnité de rentrée scolaire ? Le texte est muet sur ce point !
C'est pourquoi nous proposons un amendement qui prévoit que le partage sera
ordonné ou mentionné dans la convention proportionnellement à ce que sera
éventuellement l'autorité parentale alternée.
Par ailleurs, deux amendements « lourds » du Gouvernement ont été déposés
tardivement. Le Gouvernement ne m'en voudra pas de trouver un peu « cavalier »,
dans un texte comme celui-là, et sans rapport avec lui, la présentation de
mesures qui méritent réflexion, discussion, étude.
Certes, vous n'êtes pas le premier Gouvernement à procéder ainsi : tous les
gouvernements l'ont fait, je n'en disconviens pas. Cependant, en tant que
parlementaire, je le regrette, car je suis de ceux qui pensent que le
Gouvernement propose et que le Parlement dispose.
Aussi vaudrait-il mieux pour les parlementaires de prendre connaissance des
amendements non pas au tout dernier moment, mais suffisamment à l'avance pour
permettre aux commissions compétentes de procéder éventuellement à des
auditions.
Vous m'objecterez que, même quand elles le pourraient, ce n'est pas ce que
font les commissions. Ainsi le présent texte, comme le projet de loi relatif à
l'accès aux origines que nous examinerons tout à l'heure, ont été votés aux
mois de mai et juin derniers par l'Assemblée nationale. J'aurais préféré que la
commission des lois les étudie beaucoup plus tôt et que chacun puisse prendre
possession de l'excellent rapport de notre rapporteur avant vendredi, car la
plupart de nos collègues l'ont trouvé à la distribution hier sans avoir même le
temps de le lire !
Cela étant dit, je n'entrerai pas dans le détail s'agissant des amendements du
Gouvernement ; nous aurons l'occasion d'en reparler. En ce qui concerne
l'ensemble du texte, le groupe socialiste ne votera en tous les cas pas contre.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Mathon, que je salue à l'occasion de sa première
intervention à la tribune du Sénat.
(Applaudissements.)
Mme Josiane Mathon.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, tout comme
Janine Rozier, j'éprouve une certaine émotion, car il s'agit effectivement de
ma première intervention dans cet hémicycle. Je n'aurai peut-être pas l'aisance
oratoire de certains, mais j'espère qu'avec le temps je m'améliorerai.
Petit à petit, les contours de la réforme de la famille se dessinent au
travers de l'addition de textes successifs : nous avons déjà traité, hier, de
la prestation compensatoire en matière de divorce, de l'adoption internationale
et des droits du conjoint survivant, nous traitons aujourd'hui de l'autorité
parentale et de l'accès aux origines, nous traiterons, demain, de la réforme du
divorce et du nom patronymique.
C'est un droit aux contours encore flous et incertains qui prend forme, où le
législateur oscille entre rattraper ou devancer une réalité sociale qui a
changé radicalement depuis une vingtaine d'années.
C'est pourquoi on doit regretter que le Gouvernement n'ait pas consolidé dans
un texte global sa vision d'ensemble de la réforme, qui en pose les principes
fondateurs, même si la conférence sur la famille est venue, tardivement,
synthétiser les propositions.
Ce préalable étant posé, j'en viens au texte qui nous occupe maintenant sur
l'autorité parentale.
Le groupe communiste républicain et citoyen porte un regard très favorable sur
la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale. Les questions,
remarques ou réserves que je ferai ici et là n'emportent pas, je tiens à le
préciser, une quelconque réticence à son adoption.
On nous propose, dans ce texte, une relecture du droit de l'autorité
parentale, qui parachève l'évolution amorcée en 1987 et poursuivie en 1993 : en
construisant, avec l'intérêt de l'enfant comme fondement et la coparentalité
comme objectif, la redéfinition de l'autorité parentale, le législateur tente
de répondre à des évolutions sociologiques majeures.
En effet, la famille est aujourd'hui éminemment protéiforme. Mariées,
concubines, pacsées, séparées, recomposées, monoparentales, homosexuelles
aussi, il n'est plus possible au législateur d'appréhender les familles à
partir d'un « modèle » de référence à l'aune duquel devrait se construire le
droit, et en particulier le droit de la filiation.
Je vous épargne les statistiques ; elle ont été évoquées tout à l'heure. Mais,
face à la précarité des situations familiales, on comprend la nécessité de
réintroduire un peu de stabilité.
Comme le constate la délégation aux droits des femmes, c'est en effet
désormais « l'enfant qui fait la famille » ; c'est autour de lui qu'on cherche
à créer le pôle de stabilité de la famille, au-delà des vicissitudes du couple,
dans un impératif de protection de l'enfant.
Cette relecture du droit de la famille au travers du prisme de l'intérêt de
l'enfant nous paraît très heureuse ; elle va dans le sens des conventions
signées par la France, en particulier de la Convention de New York du 20
novembre 1989 sur les droits de l'enfant. Elle nous prémunit, en particulier,
contre le glissement insidieux vers la reconnaissance d'un droit « à » l'enfant
: il doit bien, selon nous, être entendu que le principe de coparentalité
constitue un droit « de » l'enfant à être élevé par ses deux parents, au sens
où l'entend la Convention de New York.
Certes, la coparentalité a à voir avec l'égalité des sexes, dans le sens, une
fois n'est pas coutume, d'une plus grande place faite au père dans la relation
parentale. Elle s'inscrit également dans la logique de la parité par la
redistribution des rôles, le rééquilibrage des responsabilités entre les hommes
et les femmes, et ce au bénéfice de toute la structure familiale.
On évoque souvent, à juste titre, la douleur des pères réduits à quelques
week-ends. On oublie parfois de dire que cette situation n'est pas tout
bénéfice pour les mères qui supportent parfois seules la responsabilité
éducative. Aujourd'hui, on sait que la fragilisation de la relation père-enfant
est également préjudiciable à la mère.
Néanmoins, cette autorité parentale, il faut le préciser, représente une «
fonction-obligation » constitutive de droits et d'obligations vis-à-vis de
l'enfant, au premier chef l'entretien et l'éducation de l'enfant.
Il est donc logique que cette fonction ne s'arrête pas à la majorité de
l'enfant : l'amendement de la commission des lois limitant le devoir
d'entretien au-delà de la majorité en cas de poursuite des études ne peut nous
satisfaire. C'est une position dangereuse et discriminatoire pour les jeunes
qui entrent dans la vie active.
Elle aboutit à exclure les enfants qui suivent des stages non rémunérés ou
faiblement rémunérés et ceux qui ne bénéficient pas encore du RMI. La question
des enfants handicapés est également passée sous silence.
Recentré autour de l'intérêt de l'enfant, le concept de coparentalité doit
être revu également au regard des évolutions sociales au sein de la famille.
Alors que ce concept est apparu au moment d'une certaine fragilisation de la
fonction paternelle consécutive à l'émancipation des femmes, il reste encore
beaucoup à faire pour conforter les hommes dans leur rôle de père. Car la
coparentalité ne se décrète pas ; elle est la conséquence d'un vécu et doit
être mise en oeuvre bien avant la séparation si l'on veut qu'elle ait quelque
chance de réussir.
Le congé de paternité de quinze jours que le projet de loi de financement de
la sécurité sociale pour 2002 prévoit est une avancée significative, réclamée
depuis longtemps par les communistes. Il est souhaitable que cette mesure
contribue à l'évolution globale, particulièrement au sein des entreprises,
parfois réfractaires au changement, car les contraintes professionnelles
additionnées constituent d'importants obstacles à la coparentalité.
Mais c'est en cas de séparation que la coparentalité s'exerce le plus
difficilement à défaut de domicile familial commun.
Les auteurs de la proposition de loi voient dans la promotion de la résidence
alternée le principal facteur de réalisation de cette coparentalité en cas de
séparation. Pourtant, là encore, il faudra composer avec le poids des
représentations sociales, qui, comme le souligne la délégation, intériorisent
fortement le principe de la garde de l'enfant donnée à la mère.
Cette possibilité doit pourtant être fortement encouragée, à la fois parce
qu'elle permet le maintien effectif des liens de l'enfant avec ses deux parents
et parce qu'elle correspond à une demande de plus en plus fréquemment exprimée
par les parents eux-mêmes.
Or nous pensons qu'il faut faire confiance aux parents pour régler
l'aménagement des relations parentales après la séparation. C'est pourquoi nous
sommes particulièrement favorables à la promotion des accords parentaux,
désormais présentés comme le mode de règlement principal de la séparation ;
cette solution incite à une responsabilisation des parents tout en valorisant
leur rôle parental, au lieu de concentrer l'attention sur l'échec du couple. En
ce sens, c'est un gage pour l'avenir de la famille.
Dans le même sens, nous considérons de façon positive l'encouragement à la
médiation, même si nous avons quelques réserves. En particulier, nous sommes
inquiets de voir se développer cette médiation, alors qu'aucun texte relatif au
statut de la médiation n'a encore été annoncé.
Par ailleurs, et dans le prolongement de ces réserves, « l'injonction » à la
médiation suscite de notre part certaines réticences. La médiation, pour avoir
un sens et se distinguer d'une procédure judiciaire, nous semble, en effet,
devoir être volontaire, et nous ne saurions glisser vers un système où l'on
forcerait les personnes à l'entente, sauf à instaurer, en guise de médiateur,
le « moralisateur ».
Nous sommes également réservés sur la possibilité d'imposer la médiation, y
compris en cas de violences familiales graves.
Ce présupposé moralisateur en faveur du dialogue ne nous semble effectivement
pas toujours réaliste, comme l'a effectivement souligné la commission des
lois.
Nous ne voulons pas d'un droit qui stigmatise les comportements de ceux qui
n'arrivent pas à s'entendre, considérés comme « asociaux ». De la même manière
que pour le divorce, on a parfois l'impression, avec le présent texte, qu'il y
aurait, d'un côté, un comportement parental « socialement correct », fondé sur
une entente raisonnable et conciliante des acteurs et, de l'autre côté, des
gens pauvres ou inaptes, pour lesquels la séparation se passera mal soit parce
qu'elle induira une précarisation extrême, soit parce que les rancoeurs
accumulées n'arriveront pas à se dissiper facilement.
M. Jean-Jacques Hyest.
Bon argument !
Mme Josiane Mathon.
A cette crainte correspond plus précisément le souci des sénateurs de mon
groupe de ne pas mettre en place un droit de la famille pour les plus aisés.
Certes, on arrive progressivement à une égalité juridique fort heureuse des
familles et des individus dans la famille, ce qui est évidemment appréciable ;
je pense ici à la fin des discriminations vis-à-vis des enfants adultérins et à
l'apport symbolique, permis par la présente proposition de loi, que constitue
la mise sous un chapitre commun du droit de l'autorité parentale, quelle que
soit la nature de la filiation.
Mais cette égalité juridique de principe laisse perdurer une inégalité
économique des familles qui constitue aujourd'hui une ligne de fracture réelle
et rend l'accès à ces nouvaux droits parfois largement théorique.
On sait, en effet, avec la sociologue Irène Théry, le poids de l'appartenance
sociale dans l'aptitude à maintenir le lien avec l'enfant après une rupture du
couple : la proportion des enfants qui ne voient plus leur père un an après la
séparation est particulièrement importante dans les familles à faibles
revenus.
Pour ces familles fragilisées, « que le travail ne met pas à l'abri de la
pauvreté, et qui sont à la merci d'un dérapage, d'un crédit qui étrangle, d'une
séparation qui précarise », il faut être particulièrement attentif à « rendre
effectif l'accès au droit commun », sans les stigmatiser ni « les enfermer dans
un arsenal de mesures spécifiques ».
Telles sont les conclusions du groupe de travail Famille et pauvreté que vous
avez mis en place l'année dernière et qui a rendu un rapport au mois de mars
dernier. Ses conclusions, nous voulons les faire nôtres.
Ainsi en est-il de la résidence alternée, qui a un coût financier certain : il
faut deux logements suffisants et les objets quotidiens en double ! Dans les
familles en situation de précarité, il est donc nécessaire d'accorder une
attention particulière aux conditions matérielles et sociales qui permettront
l'exercice effectif de ces droits.
Je rends particulièremnet hommage, madame la ministre, à l'action
particulièrement volontaire de votre ministère pour développer l'aide aux
familles les plus démunies ; je souscris entièrement aux mesures concernant
l'accès au logement social, à la couverture sociale ou aux réductions
tarifaires en matière de transport. Pouvez-vous nous donner un calendrier
indicatif de leur entrée en vigueur ?
Etayer, soutenir toutes les familles, notamment celles qui sont fragilisées,
de façon à les restaurer dans leur autorité et à leur permettre d'exercer leurs
responsabilités, voilà ce qui, pour nous, doit être l'axe majeur de toute
politique de la famille. C'est d'autant plus essentiel qu'il existe des thèses
quelque peu éhontées dont les tenants préfèrent occulter la réalité sociale
pour se focaliser sur le mythe des « mauvais parents », dont il conviendrait de
supprimer les allocations familiales pour les sanctionner de leur supposée
incurie éducative.
En conclusion, ce texte va dans le sens d'une réelle coparentalité que nous
appelons de nos voeux. Il encourage l'exercice réel par les deux parents de
leurs droits et devoirs vis-à-vis de l'enfant. Nous souscrivons donc
entièrement aux objectifs affichés, et je pense que nous trouverons un certain
consensus à l'issue de la discussion, malgré les quelques désaccords qui
pourront subsister.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Alain Joyandet.
C'est un très bon début !
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
dbs02
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je voudrais d'abord remercier l'ensemble des intervenants de la
qualité de cette discussion générale, qualité qui reflète le travail de la
commission des lois.
A cet égard, monsieur le rapporteur, puisque vous avez évoqué l'ensemble des
améliorations qui seront apportées à ce texte, je précise que le Gouvernement
les aborde avec un esprit très ouvert et soutiendra nombre d'entre elles,
estimant en effet que le travail a été tout à fait constructif et permettra
d'améliorer le dispositif initial.
Vous avez été nombreux à souligner, parfois pour le dénoncer, le caractère
atomisé de la réforme du droit de la famille. Je voudrais que vous portiez à
mon crédit le fait que je veille à la cohérence de ces différents textes. Que
le Gouvernement ait adopté la démarche consistant à laisser de l'espace à
l'initiative parlementaire sur un sujet de société majeur augure d'une méthode
de travail et de coopération intelligente entre l'exécutif et le législatif.
Je remercie tout particulièrement M. Dreyfus-Schmidt d'avoir souligné la
cohérence de ces textes.
La proposition de loi sur l'autorité parentale s'organise autour de quelques
idées simples mais fortes : le droit fondamental de tout enfant d'être élevé
par ses deux parents ; le principe de l'égalité entre tous les enfants, qui a
été consacré dans le cadre de la réforme des successions ; le renforcement des
liens de filiation de chaque enfant avec son père et sa mère ; le principe de
l'égalité parentale - posé dans ce texte mais également dans d'autres - ainsi
que le souci de concrétiser ce principe d'égalité parentale, en particulier
dans les dispositions sociales et fiscales, notamment en ce qui concerne
l'accès au logement.
Madame la sénatrice, je réponds tout de suite à la question que vous m'avez
posée. J'ai déjà signé l'arrêté qui permettra aux pères séparés ou divorcés
d'accéder à un logement social dont la taille tiendra compte du nombre de leurs
enfants. On sait dans quel dilemme se trouvent ces pères qui, contraints à
vivre dans une pièce, se voient précisément refuser la garde ou la résidence
alternée au motif que leur logement est trop petit. Ces situations ne se
rencontreront plus. Autrement dit, nous avons veillé à ce que les principes qui
seront consacrés dans ce texte puissent être concrètement déclinés au profit
des familles et des parents.
Je me tourne maintenant vers Mmes Olin et Michaux-Chevry. Contrairement à ce
que vous avez dit, il n'y a pas du tout d'incohérence à situer ce texte en
dehors de la réforme du divorce. Je pense même que procéder autrement aurait
été une erreur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous légiférons aujourd'hui pour toutes les
familles, y compris pour les familles qui ne sont pas divorcées. Je rejoins
tout à fait M. Hyest, lorsqu'il disait que le couple divorcé n'est pas la norme
de la famille. La norme, c'est tout de même le couple uni, que l'on aide à
rester uni pour élever ses enfants.
Donc, cette réforme de l'autorité parentale concerne tous les parents,
puisqu'elle refonde l'autorité parentale, lui redonne un contenu et affirme
l'égalité des pères et mères. Bien évidemment, dans le cas où les couples se
séparent ou divorcent, le principe de l'autorité parentale conjointe continue
de s'appliquer.
J'assume donc pleinement le fait qu'il existe un texte autonome sur l'autorité
et sur la responsabilité parentale qui intéresse toutes les familles et qui est
distinct de la réforme du divorce.
Enfin, je voudrais relever le terme de « cavalier » qui a été utilisé à propos
de l'amendement gouvernemental concernant la prostitution des mineurs. N'est-ce
pas, d'une certaine façon, rendre hommage à l'efficacité du travail du Sénat,
dont chacun connaît les qualités législatives ?
Mme Nelly Olin.
Le compliment est exceptionnel !
Mme Ségolène Royal,
ministre déléguée.
Jamais le Gouvernement, malgré la brièveté du temps
imparti, n'a douté pouvoir disposer de suggestions intéressantes émanant des
sénateurs.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Exclamations amusées sur
les travées du RPR.)
M. Alain Joyandet.
C'est une première !
Mme Nelly Olin.
Une grande première !
M. le président.
Le Sénat se réjouit de ce compliment, madame le ministre.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Chapitre Ier
L'autorité parentale
Article 1er