SEANCE DU 3 AVRIL 2001
PRIME POUR L'EMPLOI
Adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 217, 2000-2001),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant création
d'une prime pour l'emploi [Rapport n° 237 (2000-2001) et avis de la commission
des affaires sociales.]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, Mme Florence Parly et moi-même
retrouvons avec plaisir votre assemblée, après l'interruption des travaux
parlementaires pour cause d'élections.
Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter est un élément important
et novateur de la politique économique de l'emploi mise en oeuvre par le
gouvernement de Lionel Jospin.
Vous connaissez notre stratégie, qui cherche à concilier l'efficacité
économique et la solidarité durable. Elle a déjà permis, il faut le
reconnaître, de réduire de un peu plus de un million le nombre des chômeurs,
grâce à la création de 1,5 million d'emplois depuis 1997. Elle a permis
également d'augmenter le revenu des ménages - même si cela est moins vrai pour
2000, mais le redeviendra fortement en 2001 et en 2002 - de soutenir la
consommation, de consolider l'investissement des entreprises, de maîtriser
l'inflation - la France est heureusement, et il faut en remercier les Français,
celui des grands pays d'Europe où l'inflation est la moins forte - et
d'afficher des comptes publics en amélioration, même si Mme Parly et moi-même
estimons que ce n'est pas encore suffisant.
Cela ne signifie pas pour autant, on vient de le dire, que tout soit parfait,
loin de là. Il reste encore beaucoup d'injustices à réparer et beaucoup de
progrès à réaliser. L'écoute, la modestie, la réforme, sont plus que jamais
nécessaires.
Nous devons maintenir le cap pour une croissance robuste, durable et riche en
emplois. Ce faisant, il s'agit non pas de se plier à je ne sais quel dogme
économique, mais de privilégier la constance et la vigilance. La constance,
parce que les résultats obtenus sur le front du chômage montrent le bien-fondé
des choix de la majorité plurielle ; la vigilance, parce que, s'il ne faut pas
être prisonnier du court terme ni « sur-réagir », le ralentissement de
l'économie américaine, la crise boursière des valeurs technologiques, la
dégradation générale de l'environnement international, nous rappellent, s'il en
était besoin, que la croissance n'est jamais définitivement acquise. La
conjoncture a ses aléas : il ne faut pas les occulter, car ils peuvent, même à
la marge, faire varier les prévisions.
Le scénario désormais retenu pour 2001, vous le savez, se situe entre 2,7 % et
3,1 % de croissance. Mais, que l'on retienne l'hypothèse haute ou l'hypothèse
basse, quelle que soit la décimale, la croissance française reste solide.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'économie développe l'emploi et l'emploi
renforce l'économie. Ce cercle positif de la croissance repose en réalité sur
trois fondements. Comme en février 2001, où il est passé sous la barre des 9 %,
le chômage va poursuivre sa décrue, et je peux dire devant cette assemblée que
le mur des 2 millions de chômeurs pourra être brisé avant le printemps 2002.
Par ailleurs, le revenu des ménages, qui a marqué une pause, l'année dernière,
sous l'effet de la hausse des prix du pétrole, devrait augmenter d'environ 3 %
en 2001 et en 2002. Enfin, les baisses d'impôts que nous avons engagées, pour
un montant de 120 milliards de francs d'ici à 2003, donnent de l'oxygène aux
consommateurs et aux entreprises.
Instrument de lutte pour le travail, facteur d'accroissement du pouvoir
d'achat, innovation dans notre système fiscal, le projet de loi portant
création d'une prime pour l'emploi sera donc positif pour les Français.
Le débat que nous allons avoir a une histoire.
On pourrait en fixer le commencement aux années 70 ; car, depuis environ
trente ans, la lutte contre le chômage est un défi pour notre nation.
Reportons-nous simplement au débat d'orientation budgétaire qui s'est déroulé,
ici même, en mai dernier et durant lequel, je le crois, nous nous étions
largement retrouvés sur un constat : le gain net, pour un foyer allocataire du
RMI, est de seulement 4 francs par heure lorsque l'un des deux conjoints
reprend un emploi à plein temps. Ce n'est pas ainsi, assurément, que l'on
encourage un retour à l'activité, même s'il ne faut pas oublier - ce serait
leur faire injure - que les personnes qui, malheureusement, n'ont pas de
travail font le maximum pour en trouver un.
La situation qui a fait l'objet du constat partagé que je viens d'évoquer a
entraîné, les récents travaux de l'INSEE l'ont rappelé avec force, la
constitution de ce que l'on appelle les « pièges à chômage », les « pièges à
pauvreté ». Nous savons qu'il y a là un système à contre-emploi qui est
socialement injuste, économiquement inefficace et politiquement choquant.
Le projet de prime pour l'emploi a donc une origine : la volonté du
Gouvernement et de la majorité plurielle - volonté partagée sans doute plus
largement - de réduire ce que les économistes appellent le « coin fiscal »
entre la richesse produite et la rémunération du travail, de consolider
l'activité et de réinstaller le travail au fondement du lien collectif, non
seulement pour le revenu qu'il procure, mais parce qu'il offre dignité humaine
et identité sociale. La mise en place d'une ristourne dégressive de CSG,
contribution sociale généralisée, et de CRDS, contribution pour le
remboursement de la dette sociale, contenue dans l'article 3 du projet de loi
de financement de la sécurité sociale pour 2001, visait précisément à amplifier
notre arsenal social et fiscal en faveur de l'emploi. Elle se combinait avec la
possibilité offerte par la loi de lutte contre les exclusions de conserver le
RMI et les droits qui l'accompagnent en même temps qu'un certain revenu
d'activité. Elle s'ajoutait à la réforme des dégrèvements de taxe d'habitation
votée dans le collectif budgétaire du printemps dernier, à celle des
allocations logement engagée à l'issue de la conférence de la famille qui s'est
tenue en juin 2000 et à celle de l'impôt sur le revenu approuvée par le
Parlement dans la loi de finances pour 2001, qui conjugue l'exonération de deux
millions de foyers supplémentaires et la réduction sensible des effets de seuil
grâce à l'amélioration de la décote.
Chacun sait ce qu'il advint. Saisi par des parlementaires de l'opposition, le
Conseil constitutionnel a annulé, le 19 décembre dernier, cette mesure
applicable dès le mois suivant et attendue par plusieurs millions de Français.
Soucieux du bon fonctionnement de notre démocratie et respectueux des décisions
de la haute juridiction, le Gouvernement a pris acte de cette décision, qui l'a
surpris. Critère déterminant, l'égalité devant l'impôt ne lui semblait, en
effet, pas remise en cause en cette affaire puisque le Conseil constitutionnel,
lui-même, avait, par une jurisprudence établie, toujours admis auparavant que
ce principe n'empêchait pas l'octroi d'avantages fiscaux à certaines catégories
de contribuables dès lors que ce choix répondait aux objectifs assignés par le
législateur, en l'espèce le retour à l'emploi.
Quoi qu'il en soit, le Gouvernement s'est remis très rapidement au travail
afin, à l'intérieur de la même enveloppe financière, de ne pas décevoir
l'attente des bénéficiaires dont beaucoup avaient déjà anticipé la mesure
censurée. Plusieurs solutions de remplacement ont été examinées, y compris, je
dois le reconnaître, de la part des annulateurs eux-mêmes. Je pense notamment à
la proposition de crédit d'impôt d'activité votée par la majorité sénatoriale
lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2001, puis revotée - mais je
ne vois là qu'un hasard du calendrier - lors de la nouvelle lecture du projet
de loi de finances rectificative quarante-huit heures après la décision des
juges constitutionnels.
En moins d'un mois, le Premier ministre s'est déterminé pour la prime pour
l'emploi, le texte a été préparé, la mesure annoncée et le Conseil d'Etat
consulté. Le projet de loi a été adopté par le conseil des ministres le 31
janvier, débattu et voté par l'Assemblée nationale le 6 février et présenté à
votre commission des finances mardi dernier.
Votre assemblée n'examinant le texte qu'aujourd'hui et le Gouvernement ne
pouvant présager le vote de la représentation nationale, nous avons dû agir
très vite. Les services de l'administration fiscale se sont mobilisés pour
informer au maximum les contribuables, pour les aider à remplir leur
déclaration de revenus, notamment les deux cases nécessaires à l'octroi de la
prime, et, dans les semaines à venir, ils relanceront d'une façon amiable et
volontariste toutes celles et tous ceux qui auraient omis de le faire avant
hier soir. Déjà, selon les chiffres qui ont été communiqués à Mme Parly et à
moi-même, 60 % à 70 % des ayants droit ont souscrit leurs déclarations. Nous
prenons les dispositions nécessaires pour aller vers 100 %, afin que - car là
est l'essentiel - chacune et chacun des bénéficiaires reçoive effectivement sa
prime pour l'emploi au 15 septembre. Que les millions de personnes éligibles à
cette prime se rassurent : en dépit des difficultés, elles bénéficieront de ce
droit.
M. Michel Moreigne.
Très bien !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Mesdames,
messieurs les sénateurs, la prime pour l'emploi, que l'article unique du projet
de loi énonce, est d'abord une mesure destinée à ceux qui travaillent ou
retournent vers le travail. Elle devrait les aider à faire face aux coûts
supplémentaires et aux contraintes nouvelles que peut causer paradoxalement
l'emploi retrouvé, notamment pour les femmes, et elle donnera un plus à ceux
qui travaillent et ont des ressources très modestes.
La prime pour l'emploi cible plus particulièrement le travail à temps plein,
et je crois que le contraire n'aurait pas été admis facilement. Elle concerne
les salariés comme les non-salariés, agriculteurs, artisans, commerçants,
professionnels libéraux, qui ne recueillent pas toujours assez les fruits de
leurs initiatives et de leurs efforts. Pour répondre aux critiques que votre
majorité sénatoriale avait articulées devant le Conseil constitutionnel, cette
prime n'est accordée, d'une part, que si les revenus tirés du travail sont
faibles et, d'autre part, que si le montant des autres revenus du foyer n'est
pas non plus élevé.
Elle prend en compte la situation familiale de trois points de vue au moins :
le niveau maximal de revenu augmente s'il y a des enfants à charge ; la prime
sera majorée à raison de ces mêmes enfants à charge, et elle le sera davantage
s'ils sont à la charge de parents isolés dont la situation est plus difficile ;
enfin, elle augmentera pour les ménages où un seul des deux conjoints
travaille. Il faut, en effet, tenir compte de cette situation, qui est moins
favorable, mais en veillant à un nécessaire équilibre, la prime pour l'emploi
devant dans tous les cas offrir de meilleures perspectives à ceux qui font le
choix du retour à l'activité.
La prime pour l'emploi est une mesure fiscale, qui réduit l'impôt dû ou se
traduit par une restitution aux contribuables.
M. Philippe Marini,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
C'est un crédit d'impôt !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Cette innovation
pour notre architecture fiscale emporte deux conséquences : d'abord, elle
implique l'administration des impôts et, ce faisant, elle a pour point de
départ la déclaration de revenus ; ensuite, et cela est important, elle est
traitée en dehors du champ même de l'employeur qui, dans notre conception, n'a
pas à savoir si son salarié en bénéficie ou non, ce qui est une garantie pour
l'employé.
Le dispositif sera évolutif, et je réponds là à une question qui m'a été posée
récemment. Le projet de loi dont vous êtes saisi prévoit de créer la prime pour
l'emploi et de l'appliquer dès cette année. Le projet de loi de finances pour
2002 comportera la tranche suivante et, comme l'a indiqué le Gouvernement, la
prime pour l'emploi devrait monter en puissance sur trois ans. A terme, elle
devrait atteindre 4 500 francs par personne au niveau du SMIC à temps plein,
soit, par exemple, 9 400 francs par an pour un foyer avec deux enfants où les
deux conjoints travaillent et sont rémunérés au SMIC.
Ainsi conçue, la prise pour l'emploi se distingue d'autres mesures, notamment
celles qui ont pu être suggérées par la majorité sénatoriale, même si je me
réjouis que, sur certains points, cette dernière ait rejoint l'analyse du
Gouvernement...
M. Philippe Marini,
rapporteur.
C'est le contraire !
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... dans sa
détermination à remédier aux insuffisances de la rémunération du travail.
(Sourires au banc des commissions.)
Comme je l'ai précisé devant la commission des finances du Sénat qui nous
auditionnait, Mme Parly et moi-même, la semaine dernière, le crédit d'impôt
d'activité que vous aviez voté n'aurait, si l'on est logique, lui non plus, pas
échappé à la censure du Conseil constitutionnel et, de surcroît - j'insiste sur
ce point - il n'aurait pas touché un public aussi large, la prime pour l'emploi
concernant normalement environ 8 millions de foyers et 10 millions de
personnes.
Par ailleurs, la proposition du revenu minimum d'activité qui a été adoptée
par la majorité sénatoriale présente des différences assez nettes qui ne
peuvent emporter l'adhésion du Gouvernement : il nous semble, en effet, qu'on
ne peut pas accepter de « disqualifier », comme le laisse entendre ce texte, la
valeur d'un travailleur qui ne serait pas suffisante pour que l'employeur la
rémunère justement, ce qui nécessiterait que l'Etat le subventionne en versant
de l'argent à l'entreprise. Ce serait aussi - chacun doit y réfléchi - une
menace pour le SMIC.
La prime pour l'emploi offre, au contraire, des garanties complémentaires pour
les salariés. En effet, le SMIC a progressé de près de 11 % entre 1996 et 2000.
De 1970 à 1997, son pouvoir d'achat réel a plus que doublé. Il protège et, à
notre avis, doit continuer de protéger les travailleurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je me résume : ceux qui voteront la prime
pour l'emploi, participeront donc à une évolution significative de notre droit
fiscal, mais, surtout, ils apporteront leur contribution à la politique
économique de l'emploi. C'est pourquoi je vous demande de voter la prime pour
l'emploi.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes presque
au terme d'un calendrier déjà bien long. En effet, cette mesure que l'on nous
appelle à voter en urgence et qui a déjà été appliquée par nos concitoyens
lorsqu'ils ont rempli leur déclaration de revenus trouve son origine dans les
annonces faites l'été dernier - le 30 août exactement - par vous-même, monsieur
le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Dans le cadre de ce que vous aviez à l'époque qualifié de « plan de baisses
fiscales » le plus ample depuis - combien de temps aviez-vous dit ? - trente
ans ou cinquante ans, figurait une mesure phare, qui était l'essentiel
vis-à-vis des catégories moyennes ou défavorisées, je veux parler de la
ristourne dégressive de contribution sociale généralisée. Dans le paramétrage
de votre programme de baisse d'impôts et de prélèvements obligatoires, compte
tenu des tensions internes à votre majorité dite plurielle, cette mesure était
absolument essentielle puisqu'elle vous permettait de faire agréer par ailleurs
des baisses, même symboliques, du taux marginal de l'impôt sur le revenu ou,
dans certaines conditions, du taux de l'impôt sur les sociétés. Nous étions
donc à la fin de l'été 2000 et vous annonciez ce programme global.
Depuis, les choses ont cheminé d'une façon assez curieuse. Je ne résisterai
pas, dans cette brève introduction, au plaisir de dire que le Gouvernement
auquel vous appartenez, monsieur le ministre, a réalisé une véritable
performance : alors qu'il a annoncé sa volonté de « rendre » en quelque sorte,
en quelques années, 120 milliards de francs de fiscalité et de prélèvements
obligatoires, apparemment, si j'en crois les résultats des élections cantonales
et municipales qui ont eu lieu les 11 et 18 mars dernier, il n'en a tiré aucun
avantage significatif. Cela semble montrer que vos mesures, monsieur le
ministre, ont été très peu perçues par l'opinion publique, sans doute parce
qu'elles ne sont pas suffisamment claires et lisibles. La commission des
finances du Sénat l'a dit à plusieurs reprises : votre plan coûte cher et vous
n'en tirez qu'un faible bénéfice sur le plan politique et au regard de
l'évolution de l'activité car il est beaucoup trop dilué à travers une
multitude de dispositifs qui se juxtaposent, voire se contredisent.
Je reviens à la baisse de la contribution sociale généralisée que vous aviez
envisagée. Je rappellerai que, dès le 14 novembre 2000, lors de l'examen du
projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, nos rapporteurs
ont formulé une série d'objections que vous auriez été bien inspiré d'écouter
plus attentivement. Quand je parle de nos rapporteurs, j'évoque le rapporteur
au fond de la commission des affaires sociales sur le projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 2001, M. Descours, et le rapporteur
pour avis de la commission des finances sur ce même projet de loi, plus
spécialement chargé des comptes sociaux, M. Oudin.
Nous vous avions dit que vous faisiez une erreur de parcours et que la
contribution sociale généralisée ne pouvait pas être le support de votre
dispositif car celui-ci, supposant une individualisation et une «
familialisation », était peu comptable avec la nature même de la CSG, qui est
un prélèvement forfaitaire s'appliquant à toutes les catégories de revenus.
Nous avions ajouté, dès ce moment-là, que, à nos yeux et selon nos analyses,
trois motifs d'inconstitutionnalité pouvaient surgir : en premier lieu,
l'inégalité de traitement entre les couples monoactifs et biactifs ; en
deuxième lieu, l'inégalité de traitement entre les couples avec ou sans enfant
; en troisième lieu, l'inégalité de traitement entre les actifs et les
pluriactifs.
Tout cela figure dans nos différents rapports. J'ai encore présente à l'esprit
la conférence de presse commune qu'ont tenue la commission des affaires
sociales et la commission des finances, au cours de laquelle nous avons exposé
notre contre-proposition par rapport à l'ensemble des objections dirimantes qui
nous semblaient pouvoir être faites à l'égard du projet du Gouvernement.
Nous avions voulu être constructifs et imaginatifs et nous avons donc esquissé
les grandes lignes d'un mécanisme alternatif, à savoir un mécanisme de crédit
d'impôt. Dès la discussion en séance publique du projet de loi de financement
de la sécurité sociale, en novembre dernier, cette question avait été débattue
avec votre collègue Mme Elisabeth Guigou, qui avait réfuté notre approche,
considérant cette dernière comme trop complexe. Détaillant son argumentation,
elle avait indiqué que, selon elle, il faudrait au crédit d'impôt quinze mois
pour entrer en vigueur, et que tout cela nécessiterait un grand luxe de
déclarations que l'administration fiscale aurait la plus grande peine du monde
à traiter. Mieux valait donc - mais c'est moi qui l'ajoute - que le système
soit géré par les employeurs plutôt que par les fonctionnaires de l'Etat.
Un peu plus tard, le 24 novembre très exactement, nous avons procédé à
l'examen du projet de loi de finances pour 2001. Considérant que notre approche
était la bonne, le rapporteur général que je suis a présenté au Sénat
l'amendement visant à créer le crédit d'impôt. Nos collègues se souviendront
sans doute du débat qui a opposé les membres de la commission des finances et
Mme le secrétaire d'Etat au budget.
Vous m'avez en effet répondu, madame le secrétaire d'Etat, qu'il y avait entre
nos deux approches - celle de la ristourne de CSG, défendue par le
Gouvernement, et celle du crédit d'impôt, défendue par la commission des
finances - un différend d'ordre politique et non pas d'ordre technique.
Vous avez également refusé le crédit d'impôt en reprenant certains des
arguments qui, logiquement, avaient déjà été avancés par Mme Elisabeth Guigou,
mais en y ajoutant un autre, que l'on peut retrouver au
Journal officiel
: vous nous avez en effet déclaré qu'il n'était pas opportun que ce
mécanisme favorise les familles, et que ce n'était pas sa vocation.
Le 19 décembre - M. le ministre y a fait allusion - le Conseil
constitutionnel, saisi par nos soins, annulait la ristourne dégressive de CSG.
Vous nous dites, monsieur le ministre, en avoir été étonné ; pas nous, bien au
contraire, car nous avons estimé logique de retrouver, dans l'analyse du
Conseil constitutionnel, les trois raisons que nous avions nous-mêmes
subodorées : les inégalités entre couples monoactifs et biactifs, les
inégalités entre couples avec enfants et les couples sans enfants, et les
inégalités entre actifs et pluriactifs. Cela nous semblait absolument
incontournable.
Si la décision du Conseil constitutionnel ne nous a pas étonnés, il n'en a pas
été de même, je l'avoue, de la manière dont celle-ci a été accueillie par
vous-même et par l'ensemble du Gouvernement. En effet, nous avons entendu
évoquer sur les médias pendant un certain nombre de jours le comportement
vraiment irresponsable des parlementaires de l'opposition qui décidaient de
déférer au Conseil constitutionnel un dispositif aussi avantageux pour vos
clientèles électorales. C'est en tout cas ainsi que j'ai compris les
déclarations dont vous-même, monsieur le ministre, et vos collègues du
Gouvernement ou camarades de parti n'avez pas été avares sur les différentes
ondes.
Pour ce qui nous concerne, et comme vous le savez bien, nous utilisons les
moyens constitutionnels qui sont à notre portée ; et c'est l'Etat de droit qui
autorise soixante parlementaires, quels qu'ils soient, à saisir le Conseil
constitutionnel. Il ne nous semble pas convenable, monsieur le ministre, de
mettre en cause, pour des raisons d'opportunité, l'exercice de ce droit
constitutionnel qui est partie intégrante de l'Etat de droit tel que nous le
pratiquons sous la Ve République.
Enfin, deux jours après la décision du Conseil constitutionnel, soit le 21
décembre 2000, nous avons offert au Gouvernement, en quelque sorte, une «
session de rattrapage »
(M. le ministre rit),
à l'occasion de l'examen du collectif budgétaire ;
nous avons alors dit à Mme le secrétaire d'Etat que nous avions la solution
pour lui permettre de résoudre la difficulté grave devant laquelle le
Gouvernement s'était lui-même placé : il s'agissait de voter le dispositif
proposé par la commission des finances et la commission des affaires sociales
du Sénat, afin de permettre une mise en oeuvre rapide et logique, avant la fin
de l'exercice 2000, au bénéfice des Françaises et des Français et de toutes les
personnes qui peuvent escompter en profiter, de ce que vous appelez « la prime
pour l'emploi » et que nous persistons, pour notre part, à appeler « le crédit
d'impôt ».
Malheureusement, madame le secrétaire d'Etat, vous avez tout simplement refusé
d'examiner notre proposition en invoquant, cette fois-ci, non plus une
opposition politique, non plus des motifs de fond, mais des raisons de
procédure. Vous avez en effet argué de la jurisprudence constitutionnelle - et
là, c'est vous qui évoquiez la casuistique constitutionnelle - pour considérer
que nous excédions les limites du droit d'amendement. De notre point de vue, ce
n'était absolument pas fondé, car il ne s'agissait pas d'une mesure
complètement nouvelle. En outre, notre proposition était finalement une simple
mesure de coordination justifiée par la décision que venait de rendre le
Conseil constitutionnel.
Il s'est écoulé trois semaines, monsieur le ministre, avant que vous
présentiez à la presse votre solution, laquelle n'est autre que notre
proposition, assortie d'un nom de baptême différent et d'un coût sensiblement
plus élevé. Ce dispositif a été adopté par le conseil des ministres, examiné
par la commission des finances de l'Assemblée nationale, qui a disposé, si je
ne me trompe, d'une nuit pour étudier le texte, puis adopté fidèlement par
l'Assemblée nationale le 6 février dernier.
Après l'examen du dispositif par l'Assemblée nationale, deux séries
d'événements sont intervenues : d'une part, et selon le calendrier électoral
démocratique, les élections locales nous ont conduits les uns et les autres à
reprendre le chemin de nos communes et de nos départements, et le Parlement a
alors suspendu ses travaux ; d'autre part, votre administration, monsieur le
ministre, a été confrontée à la nécessité de mettre en place les procédures
permettant d'établir l'assiette de l'impôt sur le revenu. Par conséquent, la
machine administrative, qui se décline sous forme de déclarations de revenus,
de logiciels de traitement informatique et de notices d'information, sans cesse
plus complexes bien sûr, destinées au contribuable, s'est mise en route sans
texte législatif.
Cette réalité administrative et quotidienne a permis de découvrir qu'une
majorité des bénéficiaires potentiels ne rempliraient pas les cases prévues
dans les documents, cases au demeurant sibyllines...
M. Laurent Fabius,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est faux !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
... et dont la présentation se révèle quelque peu complexe
aux yeux des contribuables.
Dès lors que de graves difficultés se présentaient devant les réactions
syndicales des agents concernés au sein même de votre administration, des
agents qui ne voulaient pas « payer les pots cassés » en quelque sorte de toute
cette impréparation, le Gouvernement a fait ce qu'il lui restait à faire : il a
lancé une grande campagne de communication, et ce sur un dispositif qui n'a pas
encore force de loi, puisque nous l'examinons aujourd'hui, même si vous allez
nous prier tout à l'heure, monsieur le ministre, de n'adopter aucun amendement,
puisqu'il est sans doute difficile de modifier un dispositif qui figure déjà
dans les déclarations de revenus et dans les traitements informatiques, et qui
a déjà créé des droits, de par vos promesses, auprès d'un très grand nombre de
contribuables.
A la vérité, monsieur le ministre, vous auriez pu beaucoup mieux faire. Si les
amours-propres administratifs n'avaient pas joué, si nous nous étions placés
dans la position de pouvoirs publics constitutionnels coopérant dans le même
objectif, vous auriez pu tout simplement, le cas échéant avec quelques
adaptations, en rester à ce que nous proposions dès le mois de novembre et que
nous avions voté à plusieurs reprises, qui aurait permis d'éviter cette
situation étrange de déclarations que l'on remplit sans y être obligé, mais qui
n'ont pas été conçues dans le cadre de l'état du droit positif adopté par le
Parlement.
Je voudrais maintenant rappeler, mes chers collègues, ce que comporte la
mesure en elle-même. Cette mesure est ouverte à tous les foyers fiscaux sous
une double condition : d'une part, ne pas dépasser un plafond global de revenus
fixé, selon les cas, entre 1,5 et 3 SMIC ; d'autre part, ne pas dépasser, par
personne active, un plafond de revenus tirés des activités professionnelles
compris, selon les cas, entre 1,4 et 2,1 SMIC.
La prime se compose de deux volets : en premier lieu, la prime de base, qui
dépend des revenus d'activité et du temps de travail dans l'année, ces éléments
devant faire l'objet de déclarations et, en second lieu, la majoration de la
prime par personne à charge de façon forfaitaire - 200 ou 400 francs par
personne selon le cas. Quant au jeu financier de ce mécanisme, c'est
l'imputation sur l'impôt à acquitter et, le cas échéant, la restitution au
contribuable le 15 septembre par chèque du Trésor public du trop-perçu
éventuel.
Monsieur le ministre, ce dispositif, par son mécanisme, est bien un crédit
d'impôt - nous y reviendrons tout à l'heure. D'ailleurs, le projet de loi que
vous nous soumettez comporte un élément qui nous permet, sans aucune
incertitude, de qualifier ainsi ce dispositif.
Ce dispositif et la mesure adoptée par le Sénat présentent, c'est vrai, un
certain nombre de différences, non pas dans la technique - crédit d'impôt de
chaque côté et variation selon les revenus d'activité et le temps de travail -
mais dans le champ d'application. Cela se comprend, car la disposition
gouvernementale représente, la première année, un coût de 8,5 milliards de
francs, alors que la mesure du Sénat se limitait à 5 milliards de francs. Il
est facile d'apparaître plus généreux quand on dépense 70 % de plus, c'est tout
à fait clair ! Aujourd'hui, les arguments financiers ne sont peut-être pas au
premier plan, mais lorsque l'on sait, monsieur le ministre, que le coût de
cette mesure à plein régime, en 2003, atteindra plus de 25 milliards de francs,
on ne peut quand même pas manquer de s'interroger sur la conjoncture que nous
connaîtrons à ce moment-là, sur l'état des finances publiques et sur la réalité
des marges de manoeuvre. Quand seront additionnés la prime pour l'emploi, le
dénouement des emplois-jeunes, le financement des 35 heures, les mesures de
revalorisation salariale de la fonction publique ou le financement des régimes
de retraite des fonctionnaires, votre successeur aura bien des soucis à se
faire si la croissance n'est plus au rendez-vous et si le monde international
est plus contrasté qu'aujourd'hui !
Faire ainsi des chèques sur le compte des successeurs, peut-être est-ce
agréable en période préélectorale dans l'esprit de ceux qui recevront ces
chèques, mais ce n'est sans doute pas une attitude qui dénote un sens aigu des
responsabilités.
S'agissant toujours des différences par rapport à nos préconisations, il
convient de rappeler, monsieur le ministre, que, dans la version proposée par
le Sénat, le crédit d'impôt ne réformait pas l'impôt sur le revenu. Il
favorisait, c'est vrai, les concubins, qui auraient bénéficié de deux crédits
d'impôt par rapport aux couples mariés, qui, eux, n'en auraient eu qu'un seul ;
vous nous l'avez dit en commission des finances et vous y avez fait de nouveau
allusion dans votre propos tout à l'heure.
Mais je conteste l'affirmation selon laquelle cet état de chose eût été
anticonstitutionnel. En effet, si tel était le cas, monsieur le ministre, c'est
toute mesure touchant l'impôt sur le revenu qui serait inconstitutionnelle
puisque nous avons utilisé, en quelque sorte, la matrice de l'impôt sur le
revenu sans la modifier en quoi que ce soit pour imputer notre crédit d'impôt.
Nous n'avions procédé, en novembre et en décembre, à aucune modification
portant sur le régime légal de l'impôt sur le revenu.
Dans le dispositif que vous nous présentez aujourd'hui, vous introduisez, il
est vrai, une innovation en matière d'impôt sur le revenu en distinguant les
revenus de chaque actif du ménage, ce qui permet d'éviter de favoriser les
concubins par rapport aux couples mariés. Je vous en donne bien volontiers
acte. Mais l'argument de constitutionnalité que vous avez évoqué pour le
plaisir d'en débattre, monsieur le ministre, n'aurait pas pu prospérer.
Cette disposition - je terminerai par cet aspect des choses, mes chers
collègues - est inspirée de soucis que nous partageons : favoriser l'emploi et
le retour à l'activité, abaisser les prélèvements et majorer le pouvoir
d'achat. Qui pourrait, au demeurant, contester de tels objectifs ? Mais,
monsieur le ministre, nous ne nous y prendrions pas tout à fait de la même
manière que vous si nous avions véritablement à assumer aujourd'hui des
responsabilités autres que celles qui sont liées à nos charges de
parlementaires.
Dans l'esprit de la commission des finances et de la majorité sénatoriale,
deux mesures sont directement liées : d'une part, le revenu minimum d'activité
visant à inciter un nombre aussi important que possible de personnes qui se
trouvent en situation d'assistance à revenir dans le circuit de la vie active
et des responsabilités ; d'autre part, le crédit d'impôt tendant à assurer la
promotion par le travail et par de meilleures rémunérations des personnes qui
se trouvent dans la vie active.
Les deux dispositifs ne doivent pas être opposés l'un à l'autre, comme vous
l'avez fait tout à l'heure, monsieur le ministre, lorsque vous nous avez
affirmé que la prime pour l'emploi était préférable au revenu minimum
d'activité, le RMA, que nous proposions. Vous n'avez pas présenté les choses
selon la logique qui inspire les travaux de la commission, c'est le moins que
je puisse dire, car, pour cette dernière, la proposition de loi relative au
revenu minimum d'activité, que le Sénat a adoptée le 8 février dernier, sur la
suggestion tant d'Alain Lambert, président de la commission des finances, que
de moi-même, est complémentaire du dispositif relatif au crédit d'impôt. Le RMA
est le socle sur lequel il nous semble utile de faire reposer le retour à
l'activité et la promotion de l'activité professionnelle.
Il sera utile, mes chers collègues, demain et après-demain, pour les combats
futurs qui animeront la vie politique, de revenir sur ces sujets et de dire à
nos concitoyennes et concitoyens que le taux de chômage très élevé dans notre
pays, on ne peut pas s'en satisfaire, que la situation d'assistanat durable
dans laquelle se trouvent des catégories beaucoup trop importantes de notre
population, on ne peut pas s'en satisfaire, et qu'il est indispensable de
trouver dans l'entreprise, par la création de vrais emplois, les moyens de
rendre équilibre et espoir à de très nombreuses familles. Tel est l'objet du
revenu minimum d'activité.
Bien entendu, il est tout aussi nécessaire, mais complémentaire, de lutter
contre les trappes à pauvreté, c'est-à-dire les trop faibles rémunérations.
C'est le dispositif du crédit d'impôt qui peut, au-delà du socle auquel je
faisais allusion, jouer ce rôle. Mais si l'on ne pose pas le socle avant de
construire l'étage supérieur, on crée une situation où la logique est pour le
moins très incomplète.
Enfin, monsieur le ministre, j'évoquerai les deux amendements que la
commission des finances s'apprête à proposer à nos collègues de la Haute
Assemblée.
Tout d'abord, nous pensons, c'est un vieux précepte, qu'il vaut mieux appeler
un chat un chat, et accessoirement Rolet un fripon, comme disait Boileau. En
l'occurrence, ce qui est un crédit d'impôt doit s'appeler « crédit d'impôt » et
non pas « prime pour l'emploi », même si la formulation « prime à l'emploi »
vous semble être politiquement plus correcte vis-à-vis de telle ou telle des
sensibilités qui vous soutiennent. Les autres crédits d'impôt ne s'appellent
pas « primes », et nous ne voyons pas pourquoi il faudrait ici faire une
exception. Ce mot est ambigu, et il convient de lever l'ambiguïté.
Par ailleurs, un problème pratique, qui préoccupe, à juste titre, nos
concitoyens contribuables, nous semble devoir être traité.
Monsieur le ministre, vous le savez, tant que la loi n'est pas publiée, les
contribuables ne sont pas obligés de remplir les cadres relatifs à cette mesure
dans leur déclaration et, au demeurant, des personnes jusqu'ici non imposables
à l'impôt sur le revenu peuvent être très peu motivées pour remettre des
déclarations. A l'inverse, lorsque la loi sera publiée, ces contribuables
seront obligés de remplir les cadres prévus dans les déclarations pour
bénéficier de la mesure, mais ils risquent de ne plus le pouvoir. A la vérité,
selon une interprétation stricte des pratiques administratives ou des textes,
ils ne le pourraient plus depuis hier, puisque le délai limite pour remettre
les déclarations est déjà dépassé.
Pour éviter de tomber dans cette contradiction véritablement kafkaïenne, la
commission des finances propose un amendement « pragmatique », selon le terme
que vous avez bien voulu utiliser vous-même, monsieur le ministre, lors de la
réunion de la commission, le 27 mai dernier.
Sous réserve de l'adoption de ces deux amendements, mes chers collègues, la
commission vous propose d'émettre un vote favorable sur le projet de loi qui
nous est soumis, et qui est en très grande partie issu de nos idées, de nos
propositions et de nos travaux.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de
l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
(M. Jacques Valade remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Charles Descours,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, lors de sa réunion du 8 février dernier, la commission des affaires
sociales a souhaité se saisir pour avis du projet de loi portant création d'une
prime pour l'emploi et elle a bien voulu me confier le soin de vous présenter
cet avis oral.
Tout d'abord, pourquoi la commission des affaires sociales a-t-elle souhaité
émettre un avis sur ce projet de loi ? Comme vient de le rappeler notre
excellent rapporteur Philippe Marini, cet avis trouve son origine dans le
dispositif de ristourne dégressive de CSG et de CRDS, que le Gouvernement avait
souhaité introduire dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale
pour 2001.
Je voudrais donner à ce débat un aspect un peu plus social - que la commission
des finances me le pardonne - en insistant notamment sur ce que nous pensons de
la nature de la CSG, laissant les discussions relatives à l'impôt sur le revenu
à la commission des finances. Monsieur le ministre, madame le secrétaire
d'Etat, j'espère que vous voudrez bien vous intéresser à ce côté plus social
des débats que nous menons habituellement avec certains de vos collègues.
La commission des affaires sociales s'était opposée au dispositif de ristourne
dégressive de CSG et de CRDS proposé par le Gouvernement pour deux raisons.
La première raison avait trait à la cohérence des finances sociales.
Nous avions constaté que, au travers de cette mesure, la loi de financement de
la sécurité sociale avait acquis « le statut peu enviable d'instrument d'une
politique fiscale improvisée ».
Nous avions souligné - et cela est très important, au-delà des majorités et
des gouvernements - que, si nous voulions maintenir le système de sécurité
sociale tel que nous le connaissons depuis cinquante ans, à moins d'engager une
réforme de fond, la ristourne de CSG bouleversait les fondements mêmes du
financement de la protection sociale, que le Gouvernement portait atteinte au
principe d'universalité de la CSG et qu'il entamait le démantèlement de cette
contribution. Depuis sa création sous le gouvernement Rocard, les gouvernements
qui se sont succédé ont tous participé à améliorer abondamment, comme l'on dit,
cette contribution, qui avait été qualifiée par Nicole Notat « d'impôt simple
et citoyen ».
Le fait que l'assiette de ce dispositif porte sur l'ensemble des revenus -
d'ailleurs, cela était demandé surtout par la gauche de votre majorité
plurielle, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat - nous paraissait
tout à fait judicieux puisque les revenus du travail représentent une fraction
de plus en plus étroite de la richesse nationale.
Enfin, cette mesure accentuait la dépendance de la sécurité sociale à l'égard
des compensations d'exonération, dont nous savons aujourd'hui à la lumière de
notre expérience qu'elles doivent être suivies avec une vigilance tout à fait
particulière.
En effet, dans le dispositif présenté par le Gouvernement, un pourcentage de
la taxe sur les conventions d'assurance devait compenser la perte de recettes
pour la sécurité sociale qu'entraînait la ristourne dégressive de CSG. Or nous
n'avions aucune garantie quant à l'exactitude de cette compensation pour 2001
et,
a fortiori,
pour les années suivantes, qui voyaient la montée en
puissance du dispositif. Vous avez indiqué, monsieur le ministre, quel serait
le coût de cette mesure en 2003, et M. le rapporteur l'a rappelé.
Sans doute le Gouvernement aurait-il très rapidement développé une nouvelle
théorie des « retours » financiers pour la sécurité sociale des exonérations de
CSG, puisque la mesure était censée favoriser le retour à l'emploi. Pour m'être
penché sur le fonctionnement du FOREC, je crains d'autant plus une telle mesure
des « retours » financiers qui devrait aujourd'hui permettre de financer les 35
heures par la sécurité sociale, mesure qui a été abondamment invoquée par le
Gouvernement - par celui-ci et les autres, d'ailleurs.
La deuxième raison qui fondait notre opposition était le caractère inéquitable
de la mesure qui, ne pouvant s'appuyer sur la notion de foyer fiscal, ne
prenait en compte ni la structure familiale ni le cas des pluriactifs. M.
Marini vient de le rappeler longuement : il ne faut pas faire jouer à la
contribution sociale généralisée le rôle de deuxième impôt sur le revenu, pour
la simple raison que, précisément, il ne s'agit pas d'un impôt sur le revenu.
C'est un débat d'ordre constitutionnel, sur lequel le Conseil constitutionnel
s'est penché, et qui est aujourd'hui porté devant la Cour de justice des
Communautés européennes. Bref, il ne faut pas confondre l'impôt sur le revenu
et la CSG !
J'aurai l'immodestie de rappeler ce que je disais à la fin de l'exposé sur cet
article litigieux : « Enfin, son inconstitutionnalité apparaît désormais
quasiment reconnue par le Gouvernement lui-même, comme le montrent à
l'Assemblée nationale les explications "laborieuses" - pardonnez-moi de les
avoir ainsi qualifiées - « de la ministre de l'emploi et de la solidarité. »
Ce débat sur la conformité du dispositif à la Constitution a donc été ouvert
dès l'annonce de la mesure.
Dès l'examen en commission du projet de loi de financement, c'est-à-dire au
début du mois de novembre, puis en séance publique, nous avons attiré
l'attention du Gouvernement sur les risques qu'il prenait. Nous lui avons même
proposé un dispositif alternatif.
Dès que nous avons pensé que cette ristourne dégressive de la CSG était
mauvaise constitutionnellement et néfaste pour la sécurité sociale, avec M. le
rapporteur général de la commission des finances nous avons essayé d'introduire
un mécanisme de crédit d'impôt dans la loi de finances. Et la commission des
affaires sociales et la commission des finances ont tenu une conférence de
presse commune le 8 novembre, avant même que le Sénat n'aborde la discussion de
la loi de finances.
Le rejet de la ristourne dégressive et la proposition d'un mécanisme de crédit
d'impôt allaient de pair. Il n'était pas question, pour nous, de porter le
chapeau, sous prétexte que nous ne serions pas sensibles à la situation des
détenteurs de faibles revenus, que la ristourne de CSG allait favoriser,
puisqu'elle permettrait d'augmenter leur pouvoir d'achat.
Nous partageons ce souci, nous aussi, nous l'avons montré en créant le crédit
d'impôt. Mais le Gouvernement a persisté dans son erreur -
perseverare
diabolicum !
Nous avons dès lors compris que l'avantage principal qu'il
voyait à la ristourne dégressive de CSG, c'était d'être d'effet immédiat,
d'être applicable dès janvier 2001.
Je ne veux pas croire que le choix de cette date avait un quelconque rapport
avec les échéances de mars !
(Sourires.)
L'idée, c'était d'appliquer le
nouveau dispositif le plus rapidement possible.
Cet argument de la rapidité était, certes, respectable, mais il ne pouvait pas
balayer toutes les raisons qui commandaient la prudence.
Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec attention et j'ai apprécié vos
propos mesurés. Mais, très sincèrement, je crois que le Gouvernement ne pouvait
pas ignorer que cette mesure était inconstitutionnelle. En effet, le Conseil
constitutionnel a conclu à la rupture « caractérisée » de l'égalité entre les
contribuables, parce que le dispositif ne tenait compte « ni des revenus des
contribuables autres que ceux tirés d'une activité... » - je ne comprends
d'ailleurs pas comment une partie de votre majorité aurait accepté que l'on ne
tienne pas compte des revenus tirés notamment des produits financiers - ni,
plus grave encore, « des revenus des autres membres du foyer fiscal, ni des
personnes à charge au sein de celui-ci ». Tout cela m'avait semblé vraiment, à
moi qui ne suis pas un spécialiste de la Constitution, nous donner raison.
Je ne reviendrai pas sur les réactions à chaud qui ont accueilli la décision
du Conseil constitutionnel. Nous avons même entendu dire, et vous l'avez
presque répété tout à l'heure, monsieur le ministre, que c'était en quelque
sorte la faute des requérants, que l'on désignait ainsi à la vindicte des
bénéficiaires déçus, que la ristourne avait été annulée. Non, monsieur le
ministre, comme M. Philippe Marini l'a rappelé, nous sommes dans un Etat de
droit et toute inconstitutionnalité et, surtout, toute inégalité entre les
contribuables français se doit d'être corrigée.
Vous avez d'ailleurs déclaré en séance publique, à l'Assemblée nationale, le 6
février dernier, que, « le contrôle de constitutionnalité est un fondement de
notre démocratie ». Je vous en donne acte.
Mais, au-delà, nous voudrions insister, nous, commission des affaires
sociales, sur le fait que cette décision du Conseil constitutionnel porte un
coup d'arrêt au bricolage des finances sociales auquel nous assistons depuis
quatre ans.
Certes, le Conseil constitutionnel n'a pas retenu le grief que nous avions
formulé et que j'ai souvent rappelé à cette tribune : la violation de
l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi. Je l'ai dis
et le redis : aujourd'hui, le financement de la sécurité sociale ne découle
plus d'un processus démocratique, parce que nous ne sommes pas capables, ni le
ministre ni les parlementaires, de l'expliquer au sein de nos assemblées et
a fortiori
à l'opinion publique.
Il s'agit dorénavant d'une usine à gaz trop compliquée à laquelle nous sommes
une vingtaine à essayer de comprendre quelque chose, année après année. Nous ne
pouvons cependant pas, s'agissant de quelque 2 000 milliards de francs, nous
contenter de ce bricolage. Il faut nous orienter vers des opérations de
clarification du financement de la sécurité sociale.
Ces pratiques ne sont peut-être pas de votre fait, monsieur le ministre,
madame la secrétaire d'Etat, qui êtes directement en charge de cette affaire,
mais un vrai débat démocratique doit être instauré.
Le Conseil contitutionnel a considéré que « le surcroît de complexité
introduit par la loi déférée n'est pas à lui seul de nature à le rendre
contraire à la Constitution ». Je veux insister sur cette formule qui
constitue, à tout le moins, me semble-t-il, un avertissement pour l'avenir
auquel le Gouvernement, les gouvernements, feraient bien désormais d'être
attentifs.
Tel est, mes chers collègues, le premier objet de l'avis présenté par la
commission des affaires sociales.
Mais je veux rappeler, comme l'a fait M. Philippe Marini, que le « feuilleton
» n'est peut-être pas totalement terminé.
En effet, en demandant au Parlement de substituer dans l'urgence un mécanisme
à un autre, au moment même où les formulaires de déclaration de revenus de 2000
devaient être adressés aux Français, le Gouvernement se heurte à des
difficultés réelles, comme vous l'avez évoqué, ainsi que le rapporteur de la
commission des finances. La loi n'étant pas votée, les formulaires de
déclaration des revenus ne peuvent faire état de cette prime qui n'est encore
qu'un projet.
Je n'insiste pas sur ce point, qui a été traité par M. le rapporteur.
Je tiens, en conclusion, à rappeler pourquoi nous avons utilisé la procédure
peu usitée de l'avis. Nous pensons qu'après le changement de pied du
Gouvernement, à la suite de l'avis du Conseil constitutionnel, les choses
semblent rentrer dans l'ordre, même si des différences subsistent entre nos
propositions et le texte du Gouvernement.
Je souhaite une fois encore citer la CFDT, qui n'est tout de même pas notre
porte-parole. Réagissant à la décision du Conseil constitutionnel, elle avait
constaté que le « bidouillage » - le terme n'est pas de moi - « de la CSG n'est
pas la solution pour conjuguer fiscalité et emploi ».
De fait, nous sommes désormais saisis d'un dispositif qualifié par le projet
de loi de « droit à récupération fiscale », qui relève du code général des
impôts et dont on annonce d'ores et déjà, si j'ai bien compris, qu'il sera
repris dans les projets de loi de finances pour 2002 et pour 2003.
Nous sommes saisis d'un article unique adopté sans modification par
l'Assemblée nationale à l'unanimité - en fait, beaucoup de nos collègues se
sont abstenus !
La commission des affaires sociales du Sénat, qui n'a été saisie que pour
avis, s'en remet à la compétence de la commission des finances pour examiner le
détail de ce dispositif fiscal. Mais, de grâce, que l'on cesse de confondre le
financement de la sécurité sociale et les lois de finances. Je vous assure que
notre débat démocratique y gagnera beaucoup !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 46 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 28 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, comme nous avons à discuter, après l'Assemblée nationale,
d'une mesure fiscale nouvelle et novatrice par rapport à la tradition fiscale
française, il n'est pas inutile de rappeler que nous devons cette novation à la
censure, par le Conseil constitutionnel, d'une mesure de réduction de la CSG et
de la CRDS qui s'inscrivait dans le vaste programme de réduction d'impôts
appliqué par le Gouvernement avec constance, détermination et, je dirais même,
opiniâtreté.
Afin de préserver l'équilibre du plan triennal de baisse des prélèvements
obligatoires en faveur des ménages tout en favorisant la lutte contre les «
trappes à inactivité », qui, selon de nombreux observateurs, freinent la
reprise d'une activité professionnelle par certains travailleurs sans emploi,
le Gouvernement a voulu, malgré tout, alléger la charge fiscale pesant sur les
travailleurs à bas revenus pour accroître leur pouvoir d'achat tout en
encourageant leur emploi. Le dispositif qui résulte de cette volonté politique
et qui respecte l'enveloppe financière qui était prévue initialement, c'est
l'institution de la prime pour l'emploi, qui est l'objet du projet de loi que
nous examinons aujourd'hui. Cette prime qui préserve la progression des revenus
d'activité, et donc la progression du pouvoir d'achat des foyers modestes,
soutient, par là même, la consommation des ménages et, par conséquent, la
progression de l'emploi.
Dans le même temps, cette prime ne crée pas un climat inflationniste,
puisqu'elle ne remet pas en cause l'échelle des salaires. Par conséquent, en
soutenant la consommation des ménages, elle renforce la confiance de ceux-ci et
conforte la croissance de l'économie française, dans un temps où les
incertitudes de l'environnement international rendent plus nécessaires et
attendues que jamais les mesures volontaristes que seul est capable de prendre
un gouvernement convaincu de l'efficacité des politiques publiques en faveur du
pouvoir d'achat des citoyens et, d'une façon générale, en faveur de la
progression de la justice sociale.
La prime pour l'emploi est une mesure fiscale qui crée un droit à récupération
fiscale imputable sur l'impôt sur le revenu. Elle entraînera une réduction de
cet impôt pour certains foyers et, ce qui est beaucoup plus nouveau, un
versement par l'administration fiscale en faveur des personnes non imposables
ou des foyers dont la contribution à l'impôt sur le revenu sera inférieure au
montant de la prime.
M. Gérard Braun.
C'est ce que l'on appelle un crédit d'impôt !
M. Michel Sergent.
Autrement dit, la prime pour l'emploi constitue, eu égard à la tradition
française, une petite révolution fiscale : non seulement, sur un plan formel,
parce que des millions de contribuables modestes vont recevoir des chèques de
l'administration fiscale, mais aussi, et surtout, parce que c'est la première
fois, en France, qu'une baisse de l'impôt sur le revenu va profiter à des
contribuables qui n'en paient pas.
La prime pour l'emploi, dont la mise en oeuvre doit s'étaler sur trois ans,
vise, pour compenser l'impossibilité devant laquelle s'est trouvé le
Gouvernement de réduire la CSG et la CRDS, les personnes percevant un revenu
d'activité inférieur à 1,4 fois le SMIC. Encore faut-il préciser que la prime
pour l'emploi est conditionnée par les seuls revenus d'activité professionnelle
et non par les sommes versées aux travailleurs sans emploi ou par les
retraités.
Mais ce qui est particulièrement intéressant dans la prime pour l'emploi,
c'est qu'elle tient compte de l'ensemble des revenus du foyer ainsi que des
charges de famille des bénéficiaires.
Comme elle est attribuée sous conditions de ressources, le revenu fiscal de
référence devra être inférieur à 1,54 fois le SMIC pour un célibataire, à 3.08
fois le SMIC pour un couple et à 2,8 fois le SMIC, pour un couple dont les deux
membres travaillent.
Les contribuables dont les revenus d'activité sont modestes bénéficieront de
la prime, même s'ils ont des revenus complémentaires, alors qu'un foyer plus
aisé, dont l'un des membres a un faible revenu d'activité, ne la touchera pas.
Par ailleurs, les couples dont un seul membre travaille verront la prime
majorée forfaitairement pour que leur situation se rapproche de celle des
couples dont les deux membres travaillent.
Si, pour les célibataires et les foyers sans enfant, la prime est moins
avantageuse que la réduction de CSG et de CRDS initialement prévue, la prime
pour l'emploi est plus favorable aux parents isolés et aux couples dont un seul
membre travaille, s'ils ont au moins un enfant à charge.
Je n'entrerai pas plus avant dans les détails techniques du dispositif que M.
le ministre a largement évoqué dans son propos introductif. Ils ont, certes,
leur importance. Mais je voudrais surtout souligner que la prime pour l'emploi,
qui sera versée aux travailleurs les plus modestes pour compléter leur revenu
devrait concerner 10 millions de personnes et coûter, à terme, 25 milliards de
francs, c'est-à-dire le même montant que la mesure initialement prévue. Si l'on
compare avec les résultats attendus de la réduction de la CSG et de la CRDS qui
a été refusée par le Conseil contitutionnel, la prime pour l'emploi accroît le
nombre des bénéficiaires de la mesure initiale et majore l'aide prévue pour les
personnes à leur charge : 8 millions de foyers fiscaux, dont 5 millions
recevront plus de 1 000 francs dès 2001, et 600 000 plus de 2 000 francs ; 30 %
des foyers concernés bénéficieront d'une réduction d'impôts, tandis que 70 %
des foyers bénéficiaires, non imposables, recevront un chèque de la part des
services fiscaux.
La moitié des sommes sera distribuée à des couples, l'autre moitié à des
personnes seules, ce qui représente 60 % des foyers fiscaux.
Comme la prime pour l'emploi accompagnera souvent l'entrée ou la rentrée en
activité professionnelle, il est prévu qu'elle bénéficie, dans la moitié des
cas, à des personnes de moins de trente-cinq ans.
La prime pour l'emploi, monsieur le président, monsieur le ministre, madame le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, a donc toutes les chances d'atteindre
le but visé par les auteurs du texte : mieux rémunérer le travail, sans
stigmatiser les chômeurs, et redistribuer les fruits de la croissance au profit
de ceux qui en ont le plus besoin. Comment ? En encourageant l'exercice ou la
reprise d'une activité professionnelle par les travailleurs à bas revenus,
qu'ils soient salariés, commerçants, artisans, agriculteurs ou travailleurs
indépendants.
En effet, la prime pour l'emploi sera d'autant plus élevée que la durée de
l'activité approchera un plein temps, ce qui ne favorise pas le travail à temps
partiel. Elle ne pourra pas aider les employeurs à contenir les salaires,
puisque le montant de la prime dont bénéficieront éventuellement les salariés
de leur entreprise ne leur sera pas connu. Dispositif de justice sociale, elle
vise à faire bénéficier d'allègements fiscaux des personnes insérées dans la
vie professionnelle, mais qui ne profitent pas, ou peu, de la baisse de l'impôt
sur le revenu. Enfin, stimulant la demande intérieure, cette prime pour
l'emploi sera un facteur de croissance et de création d'emplois.
Pour toutes ces raisons, monsieur le président, monsieur le ministre, madame
le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le groupe socialiste soutiendra ce
projet de loi portant création d'une prime pour l'emploi.
(Applaudissements
sur les travées socialistes. - M. Hamel applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Braun.
M. Gérard Braun.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le premier sentiment qui vient à l'esprit, au moment où nous
abordons l'examen de ce projet de loi, est le regret : le regret du temps perdu
par la faute de l'entêtement du Gouvernement, à la fin de l'année dernière,
quand il voulait avoir raison contre tous ; le regret que le prix de cette
attitude soit payé par les plus modestes de nos compatriotes.
Chacun de nous garde en mémoire nos débats approfondis, lors de la discussion
du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 2001, sur ce que le Gouvernement appelait alors la « ristourne
dégressive de CSG ». Le rapporteur général, M. Philippe Marini, que nous tenons
à féliciter pour la qualité de son rapport et la pertinence de ses
propositions, et notre collègue Charles Descours, rapporteur du projet de loi
de financement de la sécurité sociale, n'avaient pas manqué, alors, de mettre
en garde le Gouvernement contre les nombreuses incohérences de son projet de
ristourne dégressive de CSG.
Tout d'abord, un tel mécanisme remettait en cause l'universalité du
financement de la protection sociale. Ensuite, il était inéquitable en raison
de la nature même de la CSG, qui n'est pas un impôt sur le revenu. Le
dispositif proposé par le Gourvernement était par ailleurs compensé, vis-à-vis
de la sécurité sociale, de manière incertaine, au travers d'une taxe sur les
conventions d'assurance. La complexité et la difficulté de la mise en oeuvre de
la ristourne par les entreprises et par l'ACOSS avaient également été évoquées.
Nous avions regretté, de plus, que le cas des « pluriactifs » n'ait pas été
pris en compte de façon satisfaisante. De surcroît, le Gouvernement
introduisait dans le financement de la sécurité sociale une progressivité
limitée aux seuls revenus d'activité.
Enfin, les problèmes de constitutionnalité posés par le mécanisme avaient été
soulevés et parfaitement cernés par nos rapporteurs.
Il est à ce propos intéressant de noter les réactions du Gouvernement et de sa
majorité à la décision du Conseil constitutionnel déclarant contraire à la
Constitution la ristourne dégressive de CSG. N'était-ce pas le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie qui rendait les parlementaires de
l'opposition auteurs de la saisine du Conseil constitutionnel responsables de
cette censure ? Nous ne pouvons croire qu'en s'exprimant ainsi le Gouvernement
cautionnait l'application d'une loi contraire à la Constitution !
Nous pensons qu'il s'agissait plutôt, pour lui, de rendre l'opposition
responsable de ses turpitudes. Nous estimons, comme Mme Marie-Noëlle Lienemann,
qui n'était alors pas encore secrétaire d'Etat au logement, « qu'il est
étonnant que Bercy n'ait pas mieux préparé la ristourne dégressive de CSG ».
Nous regrettons que les tergiversations et les atermoiements du Gouvernement
aient porté préjudice à ceux de nos concitoyens dont les besoins étaient les
plus grands. Si le Sénat avait été écouté, le dispositif du crédit d'impôt
aurait profité aux personnes concernées dès le premier acompte de l'impôt sur
le revenu, au mois de février 2001. Que de temps perdu pour de mesquines
querelles idéologiques !
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Absolument !
M. Gérard Braun.
Je ferai une dernière remarque sur le thème constitutionnel : nous ne saurions
recevoir l'argument, avancé la semaine dernière par le ministre de l'économie,
des finances et de l'industrie devant la commission des finances du Sénat,
selon lequel la proposition sénatoriale aurait à coup sûr subi la censure du
Conseil constitutionnel. En effet, outre qu'il s'agit là d'une pure
spéculation, nous faisons remarquer au Gouvernement que l'adoption du
dispositif du crédit d'impôt dès le mois de novembre 2000 aurait permis une
amélioration du mécanisme proposé à l'occasion de la navette.
En dépit de toutes ces remarques fondées, le Gouvernement avait non seulement
persisté dans son refus de suivre le Sénat et la proposition de celui-ci
d'instaurer un crédit d'impôt venant se substituer à la ristourne dégressive de
CSG, mais également émis des commentaires qu'il doit regretter aujourd'hui, au
moment où il nous soumet un dispositif s'inspirant largement du texte que nous
avions voté à trois reprises à la fin de l'année dernière, contre son avis et
celui de sa majorité.
Nous nous félicitons à nouveau du changement d'attitude du Gouvernement à
l'égard du crédit d'impôt, mais il a peur des mots et cache la zizanie régnant
au sein de la majorité plurielle par des pirouettes de vocabulaire. Ainsi,
l'expression : « prime pour l'emploi » apparaît à la place de : « crédit
d'impôt ». Nous ne pouvons, à ce sujet, qu'approuver l'heureuse initiative de
M. le rapporteur, qui propose de revenir sur ce qui doit être une malheureuse
erreur d'appellation...
Cela étant, les principales difficultés soulevées par le dispositif proposé
sont connues : sa mise en oeuvre pourrait entraîner une certaine stagnation des
plus bas salaires, la recherche d'un second salaire ne serait pas véritablement
encouragée et la différence de traitement opérée entre les personnes seules et
les couples ne semble pas être suffisante.
Par ailleurs, afin que ne soient pas pris en compte de petits travaux réalisés
de manière occasionnelle, le projet de loi fixe le minimum de revenus à
déclarer, pour bénéficier de la prime pour l'emploi, à 0,3 fois le montant du
SMIC, soit 20 575 francs. Ce seuil pose un problème, puisqu'il exclut les
personnes exerçant une activité non salariée à temps plein et rémunérées à
hauteur de moins de 0,3 fois le SMIC. Ainsi, dans le secteur agricole, ce sont
quelque cent mille exploitants à faibles revenus exerçant une activité à temps
plein qui ne pourront bénéficier de la prime pour l'emploi. Nous demandons donc
au Gouvernement de nous faire savoir ce qu'il compte proposer en vue d'apporter
des solutions à ces situations particulièrement difficiles.
Sur le plan pratique, chacun a noté la présence, sur la feuille de déclaration
des revenus pour 2000, de cases supplémentaires désignées par les lettres AU,
AX et AV. Ainsi, l'administration fiscale demande aux contribuables de
distinguer entre leurs revenus d'activité et leurs autres revenus, qu'il
s'agisse de retraites, de pensions ou de revenus d'épargne et du patrimoine. Le
calcul de la prime pour l'emploi implique par ailleurs, pour les personnes
travaillant à temps partiel, d'indiquer le nombre d'heures travaillées au cours
de l'année dernière. Nous ne pouvons que regretter la complexification
importante qui résulte de l'ajout de ces cases, alors que chacun appelle de ses
voeux une simplification des obligations déclaratives des contribuables en
matière d'impôt sur le revenu.
A cet égard, la complexité du dispositif ne saurait être mieux illustrée que
par le rappel des chiffres cités par la principale organisation professionnelle
de l'administration des impôts, qui indiquait que huit déclarations sur dix
envoyées par les contribuables l'avaient été sans que soient remplies les
fameuses cases supplémentaires. J'ai bien noté, monsieur le ministre, que vous
avez souligné, dans votre intervention, que nous en étions aujourd'hui à
environ six déclarations incomplètes sur dix, mais nous sommes encore loin du
compte, et beaucoup de rectifications devront certainement être apportées. Il
faut relever ici que l'absence de mention explicite indiquant que les
renseignements collectés dans cette zone de la déclaration seraient utilisés en
vue du versement d'un supplément de rémunération n'a pas vraiment incité les
contribuables à remplir les cases concernées. Sans utiliser l'expression «
prime à l'emploi », qui n'est pas définitive puisque la navette se poursuit, on
ne peut que regretter que le Gouvernement n'ait pas fait un effort de
communication et d'explication à propos de la notice jointe à la
déclaration.
Pourtant, cela aurait sans doute été suffisant pour épargner au Gouvernement
l'édition à cinq millions d'exemplaires d'un dépliant et le lancement d'une
campagne d'information dans la presse, pour un montant d'environ neuf millions
de francs. Il convient d'ajouter à ce triste tableau les inévitables relances
auxquelles devra procéder l'administration, après examen des revenus, en
direction des contribuables éligibles à la prime pour l'emploi, mais qui
n'auront pas rempli les fameuses cases AU, AX et AV.
C'est dans cette perspective que nous soutiendrons la proposition légitime de
la commission des finances du Sénat qui vise, par l'ouverture d'un délai
supplémentaire, à permettre aux contribuables d'envoyer à l'administration
fiscale les justificatifs et les documents nécessaires. Il serait d'ailleurs
intéressant que le Parlement soit informé par le Gouvernement du nombre de
relances que l'administration aura dû effectuer en direction des
contribuables.
Enfin, nous regrettons que le Gouvernement fasse si peu de cas du déroulement
de la procédure parlementaire et agisse comme si ce projet de loi était d'ores
et déjà voté. Que dirait-on d'un maire qui appliquerait une délibération non
votée par son conseil municipal ? Il se retrouverait immédiatement mis en
examen et condamné ! Nous partageons le souhait de la commission des finances
que les moyens de limiter le recours à ce type d'acrobaties juridiques soient
examinés à l'occasion de la prochaine discussion du texte portant réforme de
l'ordonnance organique de 1959 relative aux lois de finances.
Notre groupe apportera donc son soutien aux propositions légitimes et
pertinentes de la commission des finances et votera ce projet de loi dans le
texte modifié par ces propositions.
(Applaudissements sur les travées du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, je reviendrai très brièvement, en préambule, sur les
circonstances qui ont conduit à la présentation, un peu improvisée il faut le
dire, de ce projet de loi, puis, dans un second temps, j'insisterai sur les
mérites de ce texte, tout en soulignant ses lacunes, notamment l'absence d'un
dispositif destiné aux bénéficiaires de minima sociaux.
Nous avons eu, à la fin de l'année dernière, un large débat sur les modalités
d'une baisse des charges salariales pesant sur les revenus d'activité les plus
modestes, le Gouvernement proposant, de son côté, la mise en place d'une
ristourne de CSG et de CRDS dans le cadre de la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2001.
La commission des affaires sociales du Sénat, par la voix de son rapporteur
Charles Descours, avait alors démontré que cette mesure était profondément
injuste et que, par ailleurs, elle allait à l'encontre du principe
d'universalité de perception de la CSG. Le dispositif élaboré par le
Gouvernement était en effet particulièrement inéquitable à l'égard des ménages
dont l'un des conjoints ne travaille pas et disposant d'un revenu compris entre
1,4 et 2 fois le montant du SMIC. Nous avions donc proposé un mécanisme de
crédit d'impôt plus neutre, plus juste et plus favorable aux familles, et, en
outre, conforme à la Constitution !
Le Gouvernement s'était malgré tout obstiné dans une voie erronée, celle d'une
ristourne de CSG et de CRDS ne tenant pas compte de l'ensemble des revenus du
foyer. Dans ces conditions, la censure par le Conseil constitutionnel était
prévisible, et je crois que personne ici ne peut sérieusement en contester le
bien-fondé.
Il n'y avait donc pas lieu de faire un procès d'intention à une opposition
parlementaire qui est d'accord sur l'objectif visé, à savoir accroître les
revenus des personnes les plus modestes et inciter à la reprise d'activité.
Jouant pleinement notre rôle d'opposants « constructifs », nous contestions
seulement les modalités de votre ancien projet, monsieur le ministre, cela pour
en proposer d'autres, plus opportunes.
Qu'en est-il à présent du nouveau projet de loi ? Largement inspiré par les
propositions du Sénat, il a deux grands mérites.
Son premier mérite est de rompre avec les
a priori
idéologiques d'une
certaine gauche française réticente vis-à-vis des mécanismes de réduction
d'impôt, et ce à l'issue d'arbitrages particulièrement laborieux au sein de la
majorité plurielle.
Son second mérite est d'inciter au retour au travail.
J'aurais, bien entendu, préféré une augmentation du salaire directe, ce
dernier étant insuffisant dans notre pays par rapport à ce qu'il est chez nos
principaux partenaires européens, mais il n'en demeure pas moins justifié et
opportun de réduire les charges sociales personnelles pesant sur les revenus
d'activité les plus modestes. La différence entre les revenus procurés par les
prestations sociales et ceux du travail reste insuffisante et toute mesure qui
contribue à corriger ce phénomène est positive.
Cependant, comme l'a très justement noté notre collègue Jean Arthuis dès
l'adoption du projet de loi en conseil des ministres, le caractère improvisé de
la prime pour l'emploi rend sa mise en oeuvre très délicate.
Les difficultés intervenues dans le cadre de la déclaration des revenus pour
2000 le démontrent. Sous peine de susciter la légitime colère d'un grand nombre
de bénéficiaires potentiels de la prime, il convient de mettre en place une
procédure déclarative exceptionnelle. C'est le sens des propositions de la
commission des finances, propositions que mon groupe juge particulièrement
opportunes.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire lors de l'examen de la proposition de loi
portant création du revenu minimum d'activité ou RMA, le 8 février dernier, le
dispositif que vous proposez, monsieur le ministre, reste cependant incomplet.
S'il répond à une logique de redistribution que nous partageons, il lui manque
néanmoins un volet visant à l'insertion de populations en difficulté sur le
marché du travail. Je pense évidemment à une grande partie des bénéficiaires de
minima sociaux.
Il est nécessaire à cet égard de rappeler quelques chiffres : à la fin de
1999, cinq minima sociaux, dont le RMI, étaient versés à 1,7 million de
personnes susceptibles d'exercer une activité professionnelle classique. Avec
les ayants droit, cela représentait un total de 3 millions de personnes.
Il faut constater que la reprise de la croissance économique mondiale et
européenne et la baisse du chômage n'ont eu qu'un impact limité sur l'évolution
des effectifs des allocataires. Tout au plus peut-on dire que leur augmentation
s'est ralentie.
Entre 1994 et 1999, le nombre des bénéficiaires s'est accru de moins de 3 %
alors que le taux de progression était proche de 9 % entre 1990 et 1994.
S'agissant du RMI, la situation est également décevante : son taux de
croissance, qui était de 7,5 % en 1996 et de 6 % en 1997, a encore atteint 4 %
en 1998 et 2,5 % en 1999. L'année 2000 doit être marquée par une certaine
stabilité et en 2001, pour la première fois, nous devrions connaître une baisse
du nombre des allocataires.
La baisse du chômage produit ses effets avec retard et dans une plus faible
proportion. L'incidence de la reprise économique est concentrée sur les
personnes les plus proches de l'emploi, tandis que les allocataires plus âgés
ou dotés d'une faible aptitude professionnelle restent hélas dans le dispositif
du RMI.
Ce phénomène s'explique, comme je l'indiquais tout à l'heure, par la faiblesse
de l'écart entre le niveau de revenu procuré par les minima sociaux et les bas
salaires, ce qui est de nature à créer ce que l'on appelle une « trappe à
inactivité » : le bénéficiaire du minimum social préfère continuer à percevoir
celui-ci plutôt que de rechercher un travail.
Tel est le constat effectué par des personnalités dont l'objectivité ne peut
être mise en doute : je pense en particulier à M. Bertrand Fragonard, que nous
avons auditionné devant la commmission des affaires sociales, ou encore à MM.
Pisani-Ferry et Belorgey.
Cet état de fait a motivé la mise en place de crédits d'impôt en faveur
d'actifs aux ressources modestes dans plusieurs pays européens, dont certains
sont dirigés par la gauche - hier la Grande-Bretagne, aujourd'hui la France.
Mais il importe à présent d'inventer des mécanismes nouveaux afin de mettre en
relation le besoin de main-d'oeuvre des entreprises et la ressource humaine
considérable que représentent les titulaires de minima sociaux.
Cela est d'autant plus crucial et urgent que, dans notre pays, le nombre de
pauvres reste malheureusement stable - près de 4,2 millions de personnes selon
l'INSEE - et que la baisse du chômage est fragile. Les dernières statistiques
de l'emploi plutôt favorables doivent, en effet, être relativisées compte tenu
du nombre grandissant des plans sociaux et de la forte augmentation des entrées
en stage.
Pour l'ensemble de ces raisons, mes collègues Alain Lambert et Philippe Marini
ont pris l'excellente initiative de déposer une proposition de loi tendant à
créer un revenu minimum d'activité, ou RMA. Cette expression de « RMA » avait
déjà été utilisée en 1996 par Jean-Paul Virapoullé, alors député UDF de la
Réunion.
Elle s'appliquait à un mécanisme centré sur les départements d'outre-mer et
destiné à permettre aux entreprises de compléter un minimum social par un
salaire.
La proposition de loi de nos collègues Alain Lambert et Philippe Marini a été
déposée il y a près d'un an, puis adoptée par le Sénat le 8 février dernier. Je
rappellerai en quelques mots les grandes lignes d'un dispositif dont j'ai été
le rapporteur, au nom de la commission des affaires sociales.
Le revenu minimum d'activité prend la forme d'une convention conclue entre le
bénéficiaire du minimum social, l'employeur et l'Etat. Il comporte deux
parts.
La première est constituée d'une aide dégressive versée à l'entreprise pendant
trois ans, correspondant, au départ, à l'allocation de minimum social que
recevait le bénéficiaire.
La seconde part est le salaire négocié, qui correspond à la différence entre
le montant du RMA et celui de l'aide dégressive.
La grande originalité de ce dispositif relativement simple est qu'il est
résolument orienté vers l'insertion des personnes en difficulté dans le secteur
marchand. Rappellons, à ce propos, que 80 % des RMIstes qui retrouvent
actuellement un emploi aidé le font dans le secteur non marchand.
Il s'agit d'un véritable système d'activation des dépenses passives
d'indemnisation ou d'assistance, système à l'égard duquel malheureusement, le
Gouvernement a exprimé son désaccord le 8 février dernier. Le Gouvernement
sous-estime véritablement l'importance du chômage structurel !
Au cours des derniers mois, on a vu ce même gouvernement évoluer à plusieurs
reprises dans sa politique : d'une ristourne de CSG et de CRDS à l'automne, il
est passé, en janvier dernier, à un mécanisme de crédit d'impôt habillé en
prime pour l'emploi. Monsieur le ministre, encore un petit effort et, d'ici
peu, vous vous rallierez peut-être à notre proposition de revenu minimum
d'activité !
Ce RMA permettrait en effet à des personnes durablement éloignées aujourd'hui
du monde du travail de retrouver une véritable dignité, retrouvant chaque mois
les bienfaits d'une fiche de paye plutôt qu'une fois par an les conséquences
d'une déclaration de revenus. L'enjeu n'est pas seulement d'ordre financier et
économique. Il s'agit de revaloriser l'engagement individuel et la
responsabilité, autant de valeurs auxquelles mon groupe et une majorité de
cette assemblée sont très profondément attachés.
Il me reste à féliciter notre rapporteur, Philippe Marini, ainsi que les
commissions des finances et des affaires sociales pour leur excellent
travail.
Sous réserve des observations que je viens de formuler, le groupe de l'Union
centriste votera le projet de loi portant création d'une prime pour l'emploi,
tel qu'il sera amendé par la Haute Assemblée.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, la date d'examen du projet de loi portant création d'une prime
pour l'emploi est, pour le moins, surprenante puisqu'elle se situe au lendemain
de la date limite d'envoi des déclarations d'impôt sur le revenu.
Comment ne pas y voir le symbole - un de plus ! - du peu de considération que
le Gouvernement porte au débat parlementaire ?
Comment ne pas s'interroger sur l'intérêt qui subsiste d'étudier un dispositif
fiscal qui est déjà entré en application et dont le Gouvernement ne peut
accepter la moindre modification ?
Comment, au-delà de cette conjoncture, ne pas s'inquiéter pour cette évolution
des pratiques budgétaires que nous espérons tous mais qui semble plutôt mal
partie ?
Mes chers collègues, il n'y aura pas de véritable réforme de l'ordonnance
organique de 1959 sans évolution des esprits.
Il n'y aura pas davantage de nouvelle constitution financière sans nouveau
comportement gouvernemental.
Il n'y aura pas non plus, même si on le souhaite, un rééquilibrage des
pouvoirs si l'exécutif continue à prendre le Parlement pour une simple chambre
d'enregistrement.
Le Sénat et l'Assemblée nationale doivent sérieusement réfléchir à la manière
de remédier à cette situation, qui entretient une confusion des pouvoirs,
peut-être, et la confusion dans les esprits, sûrement.
Monsieur le ministre, nous souhaitons, bien entendu, que les nouvelles règles
du jeu budgétaires soient fondées sur une relation de confiance plus
évidente.
Mais l'affaire de la « cagnotte », même si le mot est mal choisi et irritant,
l'opacité du financement des 35 heures, le déséquilibre annoncé du fonds de
retraite et cette gestion du dossier de la prime pour l'emploi nous incitent à
la prudence.
Dans ce dossier, le Gouvernement a tenté de rendre le Parlement responsable
des erreurs de l'exécutif.
C'est pourtant lui qui a tenté d'imposer une réduction dégressive de CSG et de
CRDS dont nous avons été nombreux, ici et ailleurs, à dénoncer le caractère
inégalitaire.
C'est lui aussi qui a voulu passer en force, contre notre avis, contre la
Constitution, avec le résultat que nous connaissons.
C'est lui encore qui a balayé la solution alternative du crédit d'impôt
proposée par le Sénat avant de s'y rallier près de deux mois plus tard,... deux
mois trop tard !
C'est lui, enfin, qui est responsable du cafouillage administratif de ces
dernières semaines, cafouillage qui l'a obligé à lancer des campagnes
d'information en catastrophe et à repousser la date limite pour l'envoi des
déclarations.
Tout cela à un coût, financier bien sûr, mais pas uniquement.
La principale victime de ce cafouillage est l'espoir d'une modernisation
rapide et profonde de notre administration fiscale.
Où est passée la simplification administrative qui nous a été promise par le
Gouvernement à grands renforts de communiqués et de déclarations volontaristes
?
Notre collègue James Bordas vous a posé cette question lors de la séance des
questions d'actualité de jeudi dernier, madame la secrétaire d'Etat. Il n'a pas
été très satisfait de la réponse que vous lui avez apportée.
Il est vrai que le bilan n'est guère flatteur. Monsieur le ministre a bien été
obligé de le reconnaître lors de son audition devant la commission des
finances, le 27 mars dernier.
Avec le talent de débatteur que nous lui reconnaissons, il a bien dû confirmer
le report
sine die
de la généralisation des feuilles de déclaration de
revenus préremplies qui étaient censées simplifier les procédures pour les
contribuables.
La décision est sans doute empreinte de sagesse car il est vrai, et vous
l'avez confirmé, que l'expérimentation que vous avez menée sur un échantillon
de quelques départements a débouché sur un taux d'erreurs de 60 %, ce qui est
évidemment considérable et, surtout, inadmissible.
Mais Bercy va devoir corriger, et corriger encore. Les fonctionnaires du
ministère des finances sont maintenant appelés à réparer les pots cassés de la
prime pour l'emploi. Il va leur falloir réexaminer des millions de déclarations
de revenus et, probablement, relancer des millions de courriers, des millions
de réponses et des millions d'opérations supplémentaires. Que de moyens humains
et financiers dépensés !
Vraiment, et je vous livre ici une réflexion personnelle, les fonctionnaires
de l'Etat en charge de la fiscalité de nos concitoyens se révèlent bien plus
dynamiques et sûrs d'eux-mêmes quand ils entendent saboter une réforme de fond
de leur ministère et « se payer » un ministre - il n'y a pas d'autre expression
-, comme ils l'ont fait.
S'agissant de la prime pour l'emploi, face à une telle situation, que peut
faire le Sénat, sinon tenter de remettre sur les rails un train qui est déjà
lancé ? C'est ce que propose la commission des finances, avec pragmatisme.
Elle ne souhaite pas retarder la mise en place d'une mesure attendue par les
familles et dont elle est grandement à l'origine.
Elle suggère simplement la mise en place d'une procédure exceptionnelle afin
de faire face aux difficultés d'application du nouveau dispositif fiscal et
d'éviter des contentieux dommageables.
Après la confusion qui s'est instaurée ces dernières semaines, nous devons
envoyer un message clair aux contribuables susceptibles de bénéficier du crédit
d'impôt en faveur de l'activité. Nous devons leur garantir qu'aucun d'entre eux
ne sera laissé sur le bord de la route. Nous devons leur laisser le temps de
fournir toutes les informations requises.
Le groupe des Républicains et Indépendants approuve cette démarche qu'il juge
constructive et responsable.
Au demeurant, madame le secrétaire d'Etat, permettez-moi de regretter, une
fois encore, que le Gouvernement nous prive d'un débat de fond en nous plaçant
devant le fait accompli et nous empêche d'examiner un certain nombre de points
qui auraient mérité d'être éclaircis. Je pense, par exemple, à la situation des
nombreux exploitants agricoles qui ont des revenus d'activité inférieurs à 0,3
SMIC et qui craignent ainsi d'être exclus du nouveau dispositif fiscal. Peut-on
espérer que le Gouvernement nous donnera des précisions à ce sujet ?
Pour le reste, nous n'avons plus qu'à souhaiter que le nouveau crédit d'impôt
soit un succès sur le terrain et contribue à la réduction des prélèvements
obligatoires. En effet, sur ce point, là encore, malgré toutes les promesses,
le compte n'y est toujours pas. En 2000, la pression fiscale a très peu diminué
par rapport à son record historique de 1999. Avec 45,5 % de taux de
prélèvement, la France ne reste-t-elle pas le plus mauvais élève du G 7 ?
Le crédit d'impôt en faveur de l'activité est un pas dans la bonne direction,
mais il doit être suivi de beaucoup d'autres afin de garantir la compétitivité
de nos entreprises et de permettre aux Français de bénéficier davantage des
fruits de la croissance.
Sous réserve de l'adoption des amendements défendus par la commission des
finances, le groupe des Républicains et Indépendants votera ce projet de loi.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
présent projet de loi a pour objet d'éteindre la controverse née de la décision
du Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution la
disposition de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 relative
à la ristourne dégressive de contribution sociale généralisée.
En saisissant le Conseil constitutionnel, nos collègues de l'opposition à
l'Assemblée nationale et de la majorité sénatoriale ont remis en question une
mesure qui paraissait, malgré ses défauts, susceptible de rendre immédiatement
un peu de pouvoir d'achat aux salariés, singulièrement aux plus modestes.
Lors des débats sur la loi de financement de la sécurité sociale et sur la loi
de finances elle-même, les membres de la majorité sénatoriale s'étaient
attachés à défendre un dispositif de crédit d'impôt qui était assez proche - et
c'est un euphémisme ! - de celui que le présent projet de loi prévoit, M.
Marini parlant d'ailleurs aujourd'hui de ralliement et revendiquant un droit de
paternité.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Absolument !
M. Roland Muzeau.
Toutefois, une ultime question, liée à l'organisation même de nos travaux, se
pose.
En effet, en recevant récemment, comme tout un chacun, le formulaire de
déclaration des revenus de l'année 2000, j'ai pu constater la présence d'une
rubrique intitulée : « Renseignements complémentaires relatifs aux revenus
d'activité », qui n'est ni plus ni moins que la traduction « technique » de la
prime pour l'emploi.
Ce débat, intervenant après une longue interruption de nos travaux, qui a
elle-même suivi un bouleversement du calendrier parlementaire, est donc un
exercice quelque peu vain : les choses sont déjà engagées.
M. Philippe Marini,
rapporteur.
Très juste !
M. Roland Muzeau.
Voter pour ou contre la prime pour l'emploi n'a guère de sens au moment où les
contribuables ont déjà rempli leur déclaration de revenus de 2000 puisqu'ils
avaient jusqu'à hier minuit pour la déposer auprès de leur centre des
impôts.
Cependant, il est une question autrement plus importante qui mérite d'être
posée à l'occasion de ce débat.
Revenons d'abord à la véritable source des mesures qui nous sont proposées. Le
concept d'impôt négatif ou de crédit d'impôt trouve son origine, il convient de
le rappeler, dans les travaux d'économistes américains comme Milton Friedman ou
James Tobin - celui-ci est surtout connu pour une autre proposition - qui ont,
dans une société assez profondément inégalitaire, préconisé un dispositif
d'incitation fiscale en direction des salariés les plus modestes, ceux que l'on
appelle désormais les
working poor
.
Ceux-ci tirent très peu parti de la croissance économique et sont directement
confrontés aux ajustements conjoncturels qui interviennent, en termes d'emploi,
quand le cycle économique s'inverse. Les
working poor
, c'est l'autre
Amérique, celle que l'on ne nous montre que rarement au milieu de l'exposition
rutilante de la réussite économique.
Aux Etats-Unis, le dispositif, connu sous le nom de
Earned Income Tax
Credit
, touche 20 % des foyers américains.
Sur le même modèle, en Grande-Bretagne, le gouvernement de Tony Blair a mis en
place, à la fin de 1999, un dispositif d'incitation fiscale nommé
Working
Families Tax Credit
, qui touche un million et demi de foyers
britanniques.
Notre pays est-il donc confronté, lui aussi, au développement de cette
catégorie de salariés ? Si l'on en croit les intentions affichées de ce projet
de loi, il semble bien que ce soit le cas.
Un profond accroissement de la précarité de l'emploi, liée à la remise en
question de l'ensemble des garanties sociales du monde du travail, se produit
depuis vingt-cinq ans.
Ici même, à l'automne 1993, lors de la discussion du projet de loi
quinquennale sur l'emploi, la majorité sénatoriale s'était particulièrement
distinguée dans cet exercice de remise en cause des « fondamentaux » du code du
travail. Depuis, elle maintient cette position, se contentant de « prendre la
roue » du MEDEF.
Même en phase de croissance, la réalité de la précarisation du travail est
incontournable.
Selon certaines études récentes, 20 % à 25 % des salariés du secteur privé ont
connu, dans la dernière année écoulée, une période de chômage.
Au-delà du débat que nous pouvons avoir également sur la qualité du marché du
travail, notamment sur le nombre très important de contrats à durée déterminée
qui sont proposés aux demandeurs d'emploi en lieu et place d'embauches fermes
et définitives sous contrat à durée indéterminée, un autre phénomène apparaît
aujourd'hui : l'explosion du travail intérimaire et du travail à temps partiel,
particulièrement pratiqués dans le secteur du commerce et des services.
La parcellisation, l'émiettement du marché du travail, rendus possibles par le
cadre législatif issu de 1993, se doublent d'un autre processus, celui de la
négation, tant à l'embauche qu'en termes de rémunération, de la formation et de
la qualification des salariés.
Dans une tribune libre récemment publiée par le journal
Les Echos
,
l'économiste André Gauron souligne que la part des emplois non qualifiés dans
les secteurs industriels a été pratiquement divisée par deux entre 1984 et
2000, avec une baisse de 860 000 postes de travail et de 21 % du total des
emplois industriels, tandis que les secteurs des services ont vu, dans le même
temps, le nombre des salariés non qualifiés progresser de 830 000 et leur part
dans l'emploi global de ces secteurs passer de 18 % à 37 %.
Pour oser une formule, disons que le secteur tertiaire s'est en quelque sorte
« prolétarisé ».
Ce mouvement est contradictoire avec la progression du niveau de qualification
des salariés.
En 1983, selon les éléments fournis par l'INSEE et que le conseil d'analyse
économique a pris en compte dans son vingt-deuxième rapport, 44,9 % des actifs
n'avaient aucun diplôme. En 1999, ils ne représentaient plus que 25,9 % des
actifs, et leur nombre était inférieur à celui des actifs titulaires du
baccalauréat ou d'un diplôme d'enseignement supérieur.
Le mouvement de déqualification des salariés du secteur tertiaire est donc la
négation de la qualification et de la formation initiale qu'ils ont
acquises.
Or c'est évidemment l'ensemble de ces emplois qui est au centre de notre débat
d'aujourd'hui.
Le dispositif de la prime pour l'emploi tend, par nature, à pérenniser des
réalités économiques et sociales qui ne peuvent pourtant être tenues pour
acceptables. C'est là, de notre point de vue, l'une des limites théoriques
fondamentales du projet de loi.
En donnant un « coup de pouce » fiscal aux revenus les plus faibles, dans la
limite de 1,4 SMIC, on ferme, certes, ce que l'on appelle la « trappe à
pauvreté », mais on ouvre assez largement la « trappe à bas salaires » où ils
se retrouvent confinés aujourd'hui.
In fine,
l'effort a été réorienté vers l'impôt progressif sur le
revenu, aujourd'hui deuxième étage d'une imposition des revenus dont le socle
est précisément constitué par la CSG et son appendice, la CRDS.
Si l'on s'en réfère aux promoteurs de cette proposition, la prime pour
l'emploi viendrait donc corriger quelque peu l'application d'un impôt sur le
revenu qui, faute d'une réforme plus globale, est encore aujourd'hui empli de
primes à la rente.
Elle accompagnerait aussi le développement de l'emploi et favoriserait la
sortie plus volontaire des dispositifs d'aide sociale, mais on suppose ainsi
implicitement qu'une partie de nos compatriotes, dont le revenu dépend
aujourd'hui de l'aide sociale, aurait fait le choix conscient de cette
situation.
Cette mesure préfigure-t-elle une remise à plat plus complète encore de
l'équilibre de nos revenus de transfert ? C'est à craindre.
Par ailleurs, la création d'un revenu minimum jeune étudiant va-t-elle aller
de pair avec l'extinction progressive des formes actuelles de redistribution en
leur direction telles que les bourses d'enseignement ou l'allocation logement
étudiante ?
Enfin, la montée en puissance de la prime pour l'emploi se produit au moment
où se réduit la dépense publique pour l'emploi.
Depuis de longues années se sont multipliées les formules de traitement du
chômage des publics les plus en difficulté avec les rigueurs implacables du
marché du travail. Des centaines de milliers de jeunes, de femmes reprenant une
activité professionnelle, de chômeurs de longue durée ont ainsi goûté aux TUC,
aux CES, aux contrats d'insertion, aux contrats initiative-emploi ou encore,
plus récemment, aux emplois-jeunes.
Nous avons toujours, dans le passé, mis en question la qualité de ces mesures,
les critiquant au besoin, les approuvant pour certaines.
Leur coût budgétaire a représenté, bien souvent, la source principale de
progression des dépenses d'intervention dans les dix ou quinze derniers
exercices budgétaires.
L'amélioration de la situation économique conduit les personnes concernées à
moins recourir à ces démarches d'alternative provisoire au chômage et favorise
mécaniquement une réduction de l'engagement de l'Etat. Le dernier collectif
budgétaire en portait d'ailleurs la trace avec, par exemple, l'annulation de
3,5 milliards de francs de crédits pour les emplois-jeunes.
Allons-nous donc, dans ce débat, procéder une fois encore à l'abandon d'une
dépense budgétaire directe au profit d'une réponse de nature fiscale qui peut,
sans évolution des paramètres de la situation réelle de l'emploi, constituer
dans les années à venir un obstacle à toute réforme durable et pertinente des
finances publiques ?
En dernière instance, en effet, c'est bien au travers du maintien d'un certain
volume de prélèvements obligatoires - concernant par exemple, les taxes
frappant la consommation - que l'on va financer ce dispositif d'incitation
fiscale.
Deux questions sont donc directement soulevées par la mise en place de la
prime pour l'emploi.
La première est de savoir si la dépense publique pour l'emploi doit suppléer
les carences du dialogue social en ce qui concerne les salaires et la
rémunération, la reconnaissance des qualifications ?
Mettre en place la prime pour l'emploi, c'est, que vous le vouliez ou non,
accepter au fond les désordres de la situation salariale, la non-reconnaissance
des qualifications acquises par l'étude ou par l'expérience professionnelle,
c'est admettre la réduction de la part des salaires dans la valeur ajoutée que
nous observons depuis que nous sommes entrés dans un cycle de croissance,
réduction qui est susceptible, à terme, de remettre en cause la durée même de
cette phase de croissance.
Les entreprises peuvent-elles répondre à l'exigence de revalorisation
salariale, exigence largement partagée par les salariés de notre pays ainsi
qu'en témoignent les mouvements sociaux qui se déroulent actuellement ? A
l'évidence, oui.
Ainsi,
Le Monde
daté du 1er mars dernier titrait : « Les entreprises
affichent des profits historiques pour 2000. » Les douze plus grands groupes
français ont en effet cumulé, au cours du dernier exercice du siècle, 126,7
milliards de francs de bénéfices, dont environ 50 milliards pour le seul groupe
Total-Fina-Elf, et ce malgré l'
Erika
. Dans le même temps, la COB annonce
que les dividendes versés au titre de 2000 par les sociétés cotés au CAC 40
vont franchir les 100 milliards de francs.
Ces profits exceptionnels, dégagés tant par nos groupes industriels que par
les grands établissements bancaires, ont une origine bien connue.
Nos entreprises, depuis désormais une vingtaine d'années, enregistrent
continûment des gains de productivité, réalisés souvent bien plus grâce à
l'augmentation de l'intensité du travail des salariés qu'au développement réel
de l'investissement productif, ainsi que l'attestent la baisse régulière de la
part des salaires dans la valeur ajoutée et l'augmentation corollaire de la
part des dividendes. Après l'affaire Michelin, les actuelles affaires Danone et
Marks & Spencer illustrent encore cette situation.
Pouvons-nous oublier cet élément dans le débat, quand le produit
exceptionnellement élevé de l'impôt sur les sociétés en 2000 nous apporte un
témoignage encore plus clair de cet état de fait ? En 2000, le produit de
l'impôt sur les sociétés est deux fois plus important qu'il ne l'était en 1993,
atteignant 247 milliards de francs !
Nous persistons donc à penser que, dans ce contexte, augmenter le SMIC et
faire un effort sur les minima sociaux n'auraient pas été de trop !
Seconde question : devons-nous nécessairement admettre que la dépense publique
pour l'emploi quitte les rivages du traitement social et des emplois « aidés »
pour ceux de la dépense fiscale, ou poser l'alternative d'une réallocation des
ressources en direction d'autres priorités et d'autres objectifs ?
Le choix, constamment opéré, de réduction des cotisations sociales des
employeurs est discutable, et un effort en direction de l'allégement d'autres
contraintes vécues par les entreprises, notamment celles du coût du crédit,
doit être accompli.
Cette mise en question s'impose, surtout quand la ristourne dégressive des
cotisations calculées sur les salaires les plus faibles est aujourd'hui
complétée, comme par symétrie, par le dispositif dont nous débattons.
L'argent public mobilisé dans le soutien à l'activité et à l'emploi ne peut
définitivement être utilisé que sur le « coût du travail », encourageant, par
un effet pervers, que nous avons maintes fois constaté, la permanence de la
précarisation des conditions de travail et de celle des conditions salariales
ou facilitant l'utilisation massive de la richesse créée au seul profit des
actionnaires, voire du montage d'opérations spéculatives ruineuses.
Une démarche nouvelle de financement de l'emploi et de la formation passe par
la mobilisation de l'argent public en faveur de l'allégement du coût du crédit,
dont on sait qu'il est le plus souvent le principal obstacle à l'investissement
et,
a fortiori
, à la création d'emplois. En outre, une profonde
inégalité d'accès au crédit impose que l'argent public puisse être utilisé
comme levier.
Ainsi, les crédits de bonification d'intérêts sur prêts doivent être
sensiblement réévalués.
Cette politique s'accompagnerait évidemment de la détermination de critères
nouveaux d'attribution de l'aide publique, plus directement ciblée sur les
projets d'investissement les plus porteurs en termes d'emploi et de formation
des salariés.
L'argent public ne peut durablement être utilisé uniquement pour compenser les
travers et les défauts inacceptables des modes de rémunération et du marché du
travail.
De par sa nature même, la prime pour l'emploi est vouée à disparaître à terme
du paysage fiscal de notre pays. En voter aujourd'hui la création n'a qu'une
portée relative, d'autant que nous en débattons alors même que les
contribuables ont d'ores et déjà envoyé leur formulaire de déclaration de
revenus.
Nous nous abstiendrons donc sur ce texte, marquant qu'il n'apporte, selon
nous, que des réponses insuffisantes au problème posé et que, sur le fond, nous
sommes opposés au dispositif qu'il tend à mettre en place.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, permettez-moi de vous dire que ce débat me remplit d'espoir. En
effet, de tous les propos que j'ai entendus, je conclus que nous partageons un
même objectif : l'emploi. Cela mérite d'être salué, car c'est assez nouveau
dans le débat politique et économique français.
Il y a d'abord consensus sur un diagnostic : parmi ceux qui ont une activité,
il est des personnes dont l'activité est faiblement rémunérée, et il faut
répondre à cette situation.
Monsieur le rapporteur, vous avez tiré une satisfaction politique de ce que le
Gouvernement en soit arrivé au choix de la prime pour l'emploi. Eh bien, cette
satisfaction, je vous l'accorde de bonne grâce, car je ne renie rien des propos
que j'ai pu tenir devant vous lorsque nous débattions du projet de loi de
finances pour 2001 ou encore du projet de loi de finances rectificative pour
2000. Je ne renie rien de ce que j'ai pu dire des mérites comparés de la
ristourne de CSG et du crédit d'impôt.
La ristourne de CSG aura toujours deux avantages : d'une part, celui d'être
contemporaine de l'activité, qu'elle soit conservée ou reprise, et donc d'être
plus lisible, plus aisément incitative ; d'autre part, celui d'être plus
directe et plus simple pour les bénéficiaires.
Mais ne perdons pas de temps sur le passé. Cette disposition a été censurée,
c'est ainsi ; j'ai dit que nous en avions pris acte et je ne ferai pas d'autre
commentaire.
Quant au crédit d'impôt tel qu'il avait été préconisé par le Sénat, je dois
reconnaître que la Haute Assemblée était plutôt sur une bonne piste ; je l'ai
dit, je le redis.
M. Gérard Braun.
Très bien !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Pouvait-on pour autant suivre cette piste telle
qu'elle avait été définie ?
En novembre, non, car, comme je viens de le rappeler, la ristourne de CSG
conservait tous ses mérites.
En décembre, pas plus, parce que la procédure législative, quoi que vous en
disiez, monsieur le rapporteur, ne l'autorisait absolument pas, et vous me
permettrez de préciser que je n'aurais pris aucun risque vis-à-vis du Conseil
constitutionnel pour vérifier si, oui ou non, une telle démarche eût été
praticable ou pas. En outre, la proposition, qui ne manquait pas de mérites,
était insuffisamment calibrée. Elle était porteuse de distorsions entre des
situations comparables, elle ne modulait pas le revenu pris en compte pour
ouvrir droit à ce qui était l'équivalent de la prime pour l'emploi en fonction
des charges de famille et, par construction, elle n'était pas du tout
incitative à la prise d'activité du conjoint.
Ayant rappelé tout ce qui différenciait la ristourne de CSG du crédit d'impôt
tel que le Sénat l'avait proposé, vous comprendrez que je persiste à qualifier
ce débat de politique, et que je persiste à le qualifier d'honorable.
Vous avez sans doute vous-même passé beaucoup de temps, monsieur le
rapporteur, à élaborer cette proposition. Vous savez bien que de telles
questions ne s'improvisent pas et qu'elles méritent d'être travaillées en
profondeur. Par conséquent, les reproches qui ont pu être faits ici ou là sur
les thèmes conjugués de la lenteur et de la précipitation ne peuvent que
relever la polémique et n'ont pas leur place dans la réponse que je vous
adresse.
Le Gouvernement a donc choisi dès le mois de décembre, et sans hésitation, de
trouver une réponse à la censure du Conseil constitutionnel. Bien sûr, il
aurait été sans doute plus confortable de ne rien faire du tout : nous nous
serions épargné bien des complications. Mais, vous l'avez compris, ce n'était
pas la politique de ce gouvernement, qui souhaitait absolument que, dès 2001,
les bénéficiaires potentiels de la ristourne de CSG dans un premier temps, du
crédit d'impôt - qui ne s'appelait pas encore prime pour l'emploi - dans un
second temps, puissent profiter de cette mesure au plus vite.
Comment tenir compte des orientations indiquées par le Conseil constitutionnel
sur la prise en considération des charges de famille ? Comment éviter des cas
qui, même s'ils sont marginaux, ont sans doute pesé lourd dans sa décision,
parce qu'ils auraient correspondu au voisinage d'une rémunération modeste avec
d'autres revenus plus confortables ? Comment calibrer la prime pour l'emploi de
façon qu'elle tienne dans l'enveloppe votée par le Parlement ? Voilà des
questions qui ne sont ni légères ni vaines et qui, je dois le dire, ont rempli
notre emploi du temps entre le 20 décembre et le 16 janvier, date à laquelle
Laurent Fabius, Elisabeth Guigou et moi-même avons proposé le dispositif de la
prime pour l'emploi.
Enfin, se posait la question du nom.
Pour commencer, monsieur le rapporteur, je soulignerai un point d'accord : la
prime pour l'emploi est tout sauf un impôt négatif. D'ailleurs, un impôt
négatif, personne ne comprend ce que cela veut dire !
Sur le fond, comme vous le soulignez dans votre rapport, le choix idéologique
qui fonde le crédit d'impôt que vous avez préconisé est tout à fait différent
de celui qui fonde la prime pour l'emploi que nous avons proposée.
Pourquoi une prime pour l'emploi ?
Le mot fort, vous l'avez compris, c'est « l'emploi ». Il désigne à lui seul la
cible et l'ambition de cette mesure. Prime « pour », parce qu'il faut décider
d'aller vers l'emploi, puis décider d'y rester ; il est nécessaire d'être
soutenu pour cela. « Prime », enfin, parce que l'on doit être clair sur ce que
l'on veut faire : il ne s'agit pas là simplement d'une aide au changement de
moquette, pour renvoyer à un certain nombre de crédits d'impôt qui existent
déjà !
Il nous a donc paru utile de qualifier ce crédit d'impôt, et de le qualifier
très nettement par rapport à son objet : l'emploi.
Enfin, monsieur le rapporteur, vous avez beaucoup plaint par avance nos
successeurs, qui auront à assumer un dispositif dont vous avez estimé le coût à
plus de 25 milliards de francs en 2003. Permettez-moi de vous rappeler que
Laurent Fabius et moi-même avons toujours refusé de légiférer au-delà de 2002,
parce que nous avons passé un contrat de législature avec les Français. Au-delà
de ce contrat de cinq ans, ce sont les Français qui auront la parole et qui
désigneront nos successeurs. Nous refusons donc de tirer des chèques que nous
leur laisserions l'obligation de régler à notre place.
Bien que M. Descours, rapporteur pour avis de la commission des affaires
sociales, soit absent, je lui répondrai rapidement, sans revenir sur la
controverse qui concernait la ristourne de CSG.
M. Descours a naturellement rappelé les caractéristiques et les défauts que
présentait à ses yeux cette ristourne. Je ne suis pas sûre d'avoir bien compris
les arguments qu'il a mis en avant sur le thème de sa compensation par l'Etat :
a-t-il voulu dire qu'il eût mieux valu qu'il n'y ait pas de compensation ? J'en
doute !
Quoi qu'il en soit, je me félicite que la commission des affaires sociales ait
examiné ce projet de loi, qui est tout autant social que fiscal, et qu'elle en
partage, comme la commission des finances, les diagnostics et les objectifs.
Je remercie donc M. Descours du soutien qu'il a apporté à la mesure.
Je vous remercie également, monsieur Sergent, d'avoir, en quelques phrases
très claires, rappelé les principes, les caractéristiques et les effets de la
prime pour l'emploi, et de lui avoir apporté le soutien de votre groupe.
Vous avez indiqué, monsieur le sénateur, qu'il fallait mieux rémunérer le
travail sans stigmatiser les chômeurs. C'est bien l'objet de cette prime, et je
ne saurais mieux l'exprimer que vous ne l'avez fait voilà quelques instants.
Je crois comme vous que cette prime est juste parce qu'elle améliore les
conditions matérielles des travailleurs, notamment de ceux qui, pour dire les
choses simplement, éprouvent des difficultés à joindre les deux bouts à la fin
de chaque mois et qui, paradoxalement, peuvent trouver en quelque sorte un «
désavantage » financier à travailler.
Vous avez rappelé à juste titre le profil de ceux que nous souhaitons voir
bénéficier du dispositif d'ici au mois de septembre. Ce sont pour 70 % des
foyers non imposables ; plus de 60 % sont des personnes seules, et près de la
moitié auront moins de trente-cinq ans. On peut donc considérer que la prime
pour l'emploi accompagnera aussi le premier emploi et qu'elle constituera une
manière de débuter dans la vie active.
Avec le temps, ce dispositif connaîtra une montée en puissance, puisque nous y
reviendrons lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2002. Il est
donc conçu pour durer et sera, je l'espère, un soutien puissant pour aider un
certain nombre de nos concitoyens à « mettre le pied à l'étrier ».
Monsieur Braun, vous avez fait état de vos regrets, vous avez rappelé ce que
nous avons fait et ce que nous n'avons pas fait, vous nous avez reproché
d'avoir mené une action de communication tout en la trouvant insuffisante, vous
avez estimé que nous avions agi trop vite ou que nous avions trop tardé !... Il
est difficile, c'est vrai, de regretter que la campagne que nous avons lancée
ait été insuffisante et de souligner qu'il aurait fallu faire plus et mieux que
de diffuser... cinq millions de dépliants, de dire qu'il aurait fallu faire
plus et mieux qu'une campagne de communication et, dans le même temps, de nous
en reprocher le coût trop élevé !
Le crédit d'impôt tel que le Sénat le proposait n'avait pas, à ma
connaissance, vocation à être payé dès le mois de janvier, contrairement à ce
qui aurait été le cas de la ristourne de CSG. Ce que nous vous proposons
aujourd'hui, dans le cadre de ce projet de loi, c'est que la prime pour
l'emploi soit versée en septembre. Tout à l'heure, Laurent Fabius, lors de la
discussion générale, a rappelé les mesures que nous avons déjà mises en oeuvre
et celles que nous préparons pour rendre ce droit effectif à l'automne.
Pardonnez-moi, monsieur le sénateur, mais je ne vois pas où est le retard !
Je ne peux pas laisser dire non plus que le crédit d'impôt tel que le Sénat
l'avait conçu cet automne eût pu être versé dès le mois de février, en même
temps que le premier acompte de l'impôt sur le revenu. Tel n'était pas le
contenu du texte qu'a adopté votre Haute Assemblée, et ce délai était
techniquement impossible à respecter.
M. Nogrix - je le comprends - n'aurait pas été hostile à une augmentation du
salaire direct. Je précise, pour éclairer les débats, qu'il s'agit du salaire
versé après cotisations sociales.
Quelles sont les cotisations qui pèsent sur le SMIC ? Ce sont essentiellement
les cotisations vieillesse, c'est-à-dire les cotisations pour la retraite.
Faut-il, après avoir entendu M. le rapporteur pour avis, suivre M. Nogrix et
affaiblir le financement des retraites par répartition ? Je ne le crois pas.
Qu'aurait-on entendu si le Gouvernement avait formulé une telle proposition
!
M. Nogrix a ajouté qu'il nous avait prévenus. Sans vouloir entrer dans une
nouvelle polémique, je rappellerai qu'en matière constitutionnelle son analyse
est une analyse tout simplement rétrospective ! Je n'en dirai pas plus.
Monsieur Trucy, vos propos ont été bien sévères !
M. François Trucy.
Qui aime bien châtie bien !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Seul le Parlement vote la loi,...
M. Gérard Braun.
En retard !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
... et cela ne souffre aucune discussion.
Auriez-vous jugé préférable qu'il ne se passe rien en 2001 pour ceux de nos
concitoyens dont vous dites, comme moi, qu'il faut les aider ? Proposiez-vous
que le Parlement siège pendant la campagne des élections municipales ? Je ne le
crois pas.
Par conséquent, je ne peux pas accepter ces critiques, ni surtout celles que
vous avez adressées aux fonctionnaires de l'administration des finances. Vous
savez qu'ils font un travail difficile, qu'ils l'accomplissent avec beaucoup de
disponibilité, de dévouement et, s'agissant de la prime pour l'emploi,
d'engagement. Ils le font comme tous les ans, en cette période de campagne de
déclaration d'impôt sur le revenu ; ils le font avec encore plus de foi, j'ai
pu le constater moi-même, à cause de la prime pour l'emploi.
Ce sont des fonctionnaires loyaux ; ils servent l'Etat, mais ils ont aussi
conscience de servir leurs concitoyens. Vous leur avez prêté des intentions et
les avez suspecté de manoeuvres de façon inacceptable, et j'espère que vos
propos ne reflétaient pas votre pensée.
Monsieur Muzeau, vous avez fait un diagnostic extrêmement juste que je partage
tout à fait : en effet, pendant vingt ou trente ans, nous avons assisté à une
montée du chômage et de la pauvreté. Mais je nuancerai tout de même ce constat,
car la croissance a eu malgré tout des effets positifs sur la précarité, que
vous avez à juste titre évoquée. Je ne citerai que très peu de chiffres ; je me
bornerai à rappeler que le temps partiel « subi » recule depuis trois ans :
aujourd'hui, les deux tiers des emplois créés font l'objet d'un contrat à durée
indéterminée.
Bien sûr, beaucoup reste à faire, mais, incontestablement, la baisse du
chômage améliore le rapport de forces au profit des salariés.
Vous vous êtes également interrogé sur les conséquences que pourrait avoir la
prime proposée sur le budget de l'emploi. C'est effectivement un débat de fond
nécessaire.
Le choix du Gouvernement n'est évidemment pas de supprimer les dépenses du
budget de l'emploi. Sa priorité économique, c'est l'emploi et le retour à
l'emploi de tous ceux qui, aujourd'hui, en sont privés. C'est un choix
politique essentiel, car la mesure de redistribution sociale la plus importante
et la plus efficace, c'est bien la création d'emplois.
Je conclurai en rappelant que, comme vous l'avez d'ores et déjà compris, notre
objectif est l'emploi, l'emploi et toujours l'emploi. Un million de chômeurs en
moins, c'est bien ; 1,5 million de créations d'emplois depuis 1997, c'est bien,
mais ce n'est pas suffisant. La prime pour l'emploi est donc un instrument
supplémentaire au service de cette politique. C'est une mesure de justice,
parce qu'elle améliore le pouvoir d'achat des travailleurs qui sont faiblement
payés, et c'est une mesure d'incitation à la reprise d'activité.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
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