SEANCE DU 29 MARS 2001
DOUBLEMENT DU FRET FERROVIAIRE
POLITIQUE DE L'UNION EUROPÉENNE
EN MATIÈRE DE TRANSPORTS
Discussion de deux questions orales
européennes avec débat
(ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale européenne avec
débat n° QE-12 de M. Pierre Lefebvre à M. le ministre de l'équipement, des
transports et du logement sur le doublement du fret ferroviaire d'ici à 2010 et
de la question orale européenne avec débat n° QE-10 de M. Jacques Oudin à M. le
ministre de l'équipement, des transports et du logement sur les objectifs et
moyens de la politique de l'Union européenne en matière de transports.
M. Pierre Lefebvre interroge M. le ministre de l'équipement, des transports et
du logement sur l'important objectif que ce dernier a fixé de doubler le fret
ferroviaire d'ici à 2010.
Cet objectif constitue un enjeu crucial de société pour les décennies à
venir.
M. Pierre Lefebvre demande à M. le ministre, pour permettre une évolution
significative des parts de marché entre les différents modes de transport et
pour favoriser ainsi le rééquilibrage entre le rail et la route, si le
Gouvernement envisage un engagement plus fort encore dans le domaine financier
en particulier.
Cet engagement permettrait de soutenir plus efficacement encore les
entreprises publiques, la SNCF et RFF, qui s'inscrivent dans cet objectif.
Enfin, M. Pierre Lefebvre interroge M. le ministre sur le bilan de sa
présidence européenne du Conseil des ministres des transports et sur les
résultats des négociations dites du « paquet ferroviaire ».
M. Jacques Oudin interroge M. le ministre de l'équipement, des transports et
du logement sur les objectifs et les moyens de la politique de l'Union
européenne en matière de transports, à partir du triple constat d'une
croissance rapide des besoins, d'une saturation des infrastructures et d'un
retard dans la réalisation des réseaux transeuropéens.
Il lui demande quelles sont les perspectives d'une relance de la
libéralisation et de l'harmonisation dans le secteur des transports, quels sont
les progrès à espérer en matière de sécurité routière et maritime, quel est
l'état de la réflexion communautaire sur la tarification des infrastructures de
transport et sur l'intermodalité, et quelles sont les modalités de financement
prévues pour les réseaux transeuropéens de transport.
Il lui demande quels projets français de grandes liaisons routières et
ferroviaires sont inscrits au titre des réseaux transeuropéens de transport, et
quelle aide l'Union européenne peut apporter à la France pour les
réaliser...
Je rappelle au Sénat que cette discussion intervient dans le cadre de l'ordre
du jour réservé.
La parole est à M. Lefebvre, auteur de la question n° QE-12.
M. Pierre Lefebvre.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux
commencer cette intervention sans réaffirmer le soutien que notre groupe
apporte au mouvement social fort que mènent aujourd'hui les cheminots dans
l'unanimité de leurs organisations syndicales et, pour une part, en relation
avec le contenu de notre question.
Avec la ferme volonté de rééquilibrer le rail et la route, vous avez annoncé,
monsieur le ministre, le doublement du fret ferroviaire à l'horizon 2010. Pour
plusieurs raisons, nous soutenons pleinement cet objectif ambitieux.
Il devenait en effet urgent de mettre un terme à des années de régression du
rail, notamment en matière de transport des marchandises, domaine dans lequel
la route a connu un essor spectaculaire.
En 1960, le fret ferroviaire représentait 57 % du trafic de marchandises, la
route 33 % et les voies d'eau 10 %. A la fin de la décennie 1990, les parts
s'élèvent à près de 75 % pour la route et à moins de 20 % pour le rail. Entre
1970 et 1996, plus de 4 000 kilomètres de lignes ont été abandonnés et le
nombre de wagons de marchandises a été divisé par trois. Pendant la même
période, 5 000 kilomètres d'autoroutes ont été mis en service.
La faiblesse des investissements consacrés aux chemins de fer - 300 milliards
de francs en vingt ans, contre 1 000 milliards de francs investis dans le
développement des infrastructures routières - a provoqué le vieillissement du
parc des locomotives, l'obsolescence et l'insuffisance du matériel, qui
contribuent aux goulets d'étranglement du réseau ferroviaire, à la congestion
d'ensemble du trafic et à la suppression d'emplois de cheminots.
Il était nécessaire d'« inverser la vapeur » pour combler le lourd déficit
d'investissement qui nous conduit aujourd'hui à voir le rail continuer de
perdre des parts de marché au profit de la route.
Dans certaines régions, la SNCF ne parvient pas à répondre aux besoins des
industriels. Ainsi, en Lorraine, pour les 8 000 tonnes de produits finis que le
sidérurgiste Sollac expédie chaque jour, les camions continuent de l'emporter
sur le rail. Ce dernier ne peut, faute de matériels et de wagons disponibles,
assurer l'acheminement des marchandises.
Dans d'autres domaines également, qu'il s'agisse par exemple des desserrements
des noeuds ferroviaires lyonnais, bordelais ou lillois, ou du contournement des
grandes villes comme Lyon ou Toulouse, les besoins sont énormes, à la mesure
des années de vaches maigres qu'a connues le transport ferroviaire.
Cette dérive vers le « tout routier » n'est pas propre à la France : à
l'échelle de l'Union européenne, le fret ferroviaire a perdu plus de la moitié
de ses parts de marché et ne représente plus aujourd'hui que 14 % du trafic,
contre plus de 30 % au début des années soixante-dix.
Il devenait donc urgent, à l'occasion de la présidence française de l'Union
européenne, de procéder à un rééquilibrage en faveur du transport ferroviaire,
d'autant que tous les pays membres s'accordent aujourd'hui pour reconnaître les
nuisances induites sur les plans tant de l'environnement - émission de gaz à
effet de serre, pollution sonore - que de la sécurité routière.
L'urgence se faisait d'autant plus ressentir que l'accroissement des échanges
lié à la réalisation du marché intérieur a participé à l'engorgement des axes
autoroutiers autour des grandes métropoles nationales, tandis que le retard de
développement du rail contribuait à la saturation des principaux noeuds
ferroviaires.
De ce point de vue, la France, située au carrefour de l'Europe, constitue une
zone de transit, un lieu de passage des marchandises. Elle est de ce fait
particulièrement exposée aux dégâts occasionnés par l'hégémonie du transport
routier, en l'occurrence par la prépondérance du trafic assuré par les poids
lourds, tant sur le plan humain - la tragédie du tunnel du Mont-Blanc, hélas,
est là pour nous le rappeler - que sur celui de l'environnement.
Donner la priorité, comme vous l'avez fait, monsieur le ministre, à
l'intermodalité en favorisant la croissance du ferroutage, du transport combiné
et de la « route roulante » constitue l'un des axes forts d'une politique
désormais plus soucieuse de l'environnement et de la sécurité.
Si quelques-uns - mais ils sont de plus en plus rares - continuent de prôner
sans discernement aucun le développement du réseau autoroutier, nous ne
pouvons, quant à nous, que nous féliciter des efforts que vous avez accomplis
jusqu'à maintenant en faveur du nécessaire rééquilibrage, à l'échelon national
comme à l'échelon européen.
A contrario
, ce type de rééquilibrage n'oppose pas à la route une
concurrence déloyale, puisqu'il s'appuie, lorsque cela est possible, sur
l'intermodalité, autrement dit sur la complémentarité du rail et de la
route.
La tâche est cependant ardue.
A l'échelon national, il vous aura fallu, monsieur le ministre, beaucoup
d'énergie pour réussir à débloquer, dans un contexte d'orthodoxie budgétaire,
des lignes de crédits nouvelles, et beaucoup d'ingéniosité pour élaborer en
complément des schémas de financement originaux, bien que précaires et parfois
critiquables.
Le contrat de plan Etat-régions 2000-2006 permettra certes de dégager des
financements pour l'entretien et la modernisation des lignes dédiées et des
lignes identifiées, conditions de la reconquête de parts de marchés. Dans ce
cadre, certaines lignes seront rouvertes, d'autres électrifiées.
Globalement, le montant des investissements consacrés à ce type d'effort sera
multiplié par huit dans le cadre du nouveau contrat de plan Etat-régions.
Par ailleurs, et toujours dans la perspective de développer le fret et
d'améliorer la qualité des services offerts aux chargeurs, la SNCF a été
autorisée à programmer à l'horizon de 2010 l'achat de 600 nouvelles locomotives
diesel et électriques.
Pour autant, ces efforts financiers seront-ils suffisants pour atteindre
l'objectif du doublement du fret ferroviaire à l'horizon de 2010 ?
Permettez-moi, avec mon groupe, monsieur le ministre, d'en douter.
Ce n'est certes pas la volonté politique qui fait défaut. Mais comment
traduire dans les faits ce volontarisme politique lorsque les moyens financiers
demeurent faibles au regard des actions envisagées ? C'est tout le sens de
notre question.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Secouez
Bercy !
M. Pierre Lefebvre.
Nous voulons, monsieur le ministre, attirer l'attention sur la situation
financière particulièrement dégradée de l'établissement public sur lequel
repose majoritairement la charge des énormes investissements d'infrastructure
qui doivent être réalisés. Bien que moins préoccupante aujourd'hui, la
situation de la SNCF n'est pas rassurante pour ce qui concerne sa capacité à
répondre aux nouveaux besoins d'investissement.
La dette de RFF atteint aujourd'hui 170 milliards de francs, alors qu'elle
s'élevait à 134 milliards de francs au début de 1997. En trois ans, elle a donc
augmenté de 27 %, malgré les contributions publiques de 37 milliards de francs
alimentées par les cessions d'actifs.
Cette situation des plus douloureuses du point de vue financier contraint RFF
à accorder la priorité au désendettement, au détriment des engagements
d'entretien et de rénovation du réseau et le met dans l'obligation de relever
le montant de la redevance de la SNCF : 11 milliards de francs actuellement,
contre 6 milliards de francs en 1997.
Non seulement RFF n'a pas les moyens financiers pour répondre aux énormes
besoins d'entretien des voies et de développement des capacités
d'infrastructure, mais il ne dispose pas non plus du personnel qualifié pour en
assurer la maintenance, services qu'il loue donc à la SNCF.
Comme nous pouvons le constater, la situation est donc des plus
contradictoires et elle génère de multiples tensions entre les deux
établissements publics.
D'un côté, la SNCF, qui souhaite accroître sa capacité d'autofinancement à 1,5
milliard de francs d'ici à deux ans, conteste l'augmentation de la redevance ;
de l'autre, RFF remet en cause le coût que lui facture la SNCF au titre des
services de maintenance qu'elle effectue sur les réseaux.
A l'Etat de jouer le rôle d'arbitre, à moins qu'il ne se décide à prendre des
responsabilités en la matière !
En l'état actuel, les 2,3 milliards de francs résultant de la contribution des
autoroutes sont largement insuffisantes, tandis que le financement issu de la
vente des licences UMTS semble bien être compromis.
Nous ne pouvons donc que soutenir le Conseil supérieur du service public
ferroviaire, qui réclame, à l'unanimité, un plan d'aide exceptionnel et
pluriannuel aux programmes d'investissement de la SNCF et de RFF afin,
notamment, d'assurer la croissance du fret ferroviaire.
Il est du ressort et de la responsabilité de l'Etat de redonner une visibilité
à long terme aux deux établissements publics en les dégageant des contraintes
financières actuelles, préjudiciables aux investissements à horizon long.
L'objectif de doublement du fret ferroviaire s'inscrit bien évidemment dans le
cadre européen. Là aussi, les besoins d'investissement sont considérables. Pour
autant, la Commission européenne ne semble pas être décidée à débloquer des
financements correspondant aux besoins.
La faiblesse des investissements sur le plan national aurait-elle son
corollaire à l'échelon européen, le contexte de restriction budgétaire
l'imposant ?
Dans l'un et l'autre cas, il s'agit pourtant d'opérations du type des
opérations des « grands travaux », susceptibles de consolider la croissance et
de relancer la dynamique de l'emploi.
Au cours de la présidence française de l'Union européenne, faisant front à
l'idéologie libérale dominante, vous avez réussi, monsieur le ministre, à
éviter la mise en concurrence des différents modes de transport en freinant le
processus de libéralisation à tout crin. Vous avez opté pour la coopération
entre pays européens, plutôt que, en l'absence d'un véritable projet politique
européen, pour une intégration pure et simple au marché concurrentiel européen
risquant de laminer les acquis sociaux et de remettre en cause les missions de
service public.
Les difficiles négociations que vous avez menées ont permis de privilégier une
véritable coopération européenne avec des avancées positives et concrètes que
sont les corridors de fret européens. Ces derniers permettent un réel essor du
trafic ferroviaire de marchandises trans-européen, en favorisant ainsi un mode
de transport non polluant. Le Belifret, ce corridor reliant Anvers, Lyon et
Marseille et qui se prolonge vers l'Italie, a atteint une capacité d'une
trentaine de sillons par jour. Autre exemple : le corridor Est-Ouest reliant
Glasgow à Sopron à la frontière austro-hongroise tout en desservant Le Havre,
Dunkerque et Strasbourg. C'est une belle réussite en matière de coopération
européenne.
En 2002, afin de désengorger les traversées alpines, une « route roulante »
reliera la vallée de la Maurienne à Bussolino, en Italie, par l'intermédiaire
de deux navettes quotidiennes.
Le projet concernant la réalisation d'une liaison transalpine entre Lyon et
Turin constituera également un bel exemple d'une coopération bilatérale réussie
entre la France et l'Italie.
Nous ne pouvons, monsieur le ministre, que soutenir cette politique dont les
deux principaux axes sont, à l'échelon européen, la coopération et, au niveau
du rééquilibrage rail-route, l'intermodalité. Ces deux axes appartiennent à une
conception globale qui s'oppose à une vision strictement libérale d'une
régulation que seul assurerait le marché.
On sait combien l'avantage concurrentiel de la route réside dans la faiblesse
de ses coûts, résultat pour partie de la non-prise en compte des externalités
négatives, demeurant à la charge de la collectivité, mais aussi de la
multiplication des pratiques de dumping social qui contribuent à la
détérioration des conditions de travail et à la pression à la baisse sur les
salaires.
Contre les tenants du libéralisme, vous avez essayé de vous opposer à de
telles pratiques, à oeuvrer pour une « ré-réglementation » sociale, qu'il
s'agisse des temps de conduite ou du recours à la main-d'oeuvre des pays de
l'Est, en particulier, exploitable et exploitée à souhait et qui, véritable
aiguillon de la loi d'airain des salaires, tire les coûts vers le bas.
En ce sens, le rééquilibrage entre le rail et la route ne doit pas passer par
la libéralisation du secteur public, par la mise en concurrence des modes de
transport qui aboutirait à un alignement vers le bas des prix du fret
ferroviaire, préjudiciable au développement des investissements de
modernisation et de capacités en infrastructures nouvelles.
Il doit être, au contraire, le résultat de la réintégration dans le coût du
transport routier des externalités, des clauses et garanties sociales.
Nous savons que vous partagez cette conception.
Aujourd'hui, et pour les raisons que vous connaissez, il est nécessaire de
continuer dans cette voie, d'oeuvrer pour une harmonisation sociale européenne
vers le haut.
Nous ne pouvons donc qu'être très inquiets face à la volonté de libéralisation
des chemins de fer en ce qui concerne tant le transport de voyageurs que le
transport de marchandises. En cela, nous partageons les craintes des cheminots,
qu'ils expriment d'ailleurs très fortement aujourd'hui.
Face à la situation précaire de la SNCF, l'ouverture à la concurrence risque
de compromettre la planification nécessaire des investissements, en particulier
de ceux qui assureraient au rail la reconquête de ses parts de marché.
Monsieur le ministre, nous serons donc très attentifs à vos réponses sur cette
question préoccupante.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.
- M. Bellanger applaudit également.)
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. le président.
La parole est à M. Oudin, auteur de la question n° QE-10.
M. Jacques Oudin.
Mes chers collègues, je voudrais tout d'abord dire combien j'ai apprécié le
rappel au règlement très appuyé de notre collègue M. Michel Charasse. J'espère
que le bureau de notre assemblée en fera bon usage. La séparation des pouvoirs
est l'un des principes essentiels de notre République. De surcroît, en
l'occurrence, c'est l'autorité du Parlement qui est en partie en cause.
M. Michel Charasse.
Absolument !
M. Jacques Oudin.
J'en viens à ma question.
Au cours des derniers mois, j'ai beaucoup sollicité vos services, monsieur le
ministre. Afin d'avoir une vision aussi globale que possible des questions de
transports, je mène de front trois rapports : d'abord, dans le cadre de la
commission des finances, un rapport sur le financement des infrastructures
nationales de transport, rapport qui a été publié ; ensuite, dans le cadre de
la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, un
rapport sur les schémas de service ; enfin, dans le cadre de la délégation pour
l'Union européenne, un rapport sur la politique communautaire des transports.
Ce dernier rapport est à l'origine de la question orale européenne que j'ai
déposée et qui vient en discussion aujourd'hui.
Ma question est très complémentaire de celle qu'a posée notre collègue M.
Pierre Lefebvre, même si sa tonalité générale est plutôt alarmiste. Mais il
faut savoir que cet alarmisme est en partie largement partagé par la Commission
européenne. Dans le cadre de mon rapport, j'ai eu l'occasion de me rendre deux
fois à Bruxelles. Mme de Palacio doit bientôt rendre public un livre blanc sur
la politique européenne des transports à un horizon de dix ans. Les
fonctionnaires chargés de l'élaboration de ce document m'ont paru plutôt
soucieux, mais pas découragés pour autant. De quoi s'agit-il ?
Je suis tout d'abord parti des mêmes constats que la Commission.
Premier constat : l'approfondissement continu du marché unique, le retour à la
croissance dans tous les Etats membres et l'élargissement prochain de l'Union
sont autant de facteurs structurels et durables du dynamisme de la demande de
transports en Europe.
Je rappellerai qu'entre 1990 et 1997 le PIB européen a augmenté annuellement
de 1,8 % en moyenne, tandis que le trafic de passagers croissait de 2 % par an
et le trafic de marchandises de 2,4 % par an. L'élasticité de la demande de
transport par rapport à la croissance économique générale est donc nettement
supérieure à un.
Deuxième constat : l'accroissement des trafics concerne tous les modes de
transport, mais pas aux mêmes rythmes. Il en résulte une évolution nettement
défavorable à certains modes et favorables à d'autres. Les chiffres ont été
cités s'agissant de la période qui va de 1960 à la fin des années
quatre-vingt-dix. J'en rappellerai quelques-uns. En 1970, le trafic intérieur
de marchandises se répartissait ainsi : 31 % par la route, 21 % par le chemin
de fer, 8 % par la voie d'eau, 5 % par pipe-line et 35 % par la mer.
En 1997 - vingt-sept années plus tard - la répartition était devenue la
suivante : 43 % par la route, 9 % par le chemin de fer, 4 % par la voie d'eau,
3 % par pipe-line et 41 % par la mer. D'un côté, la route et la mer accroissent
de concert leurs parts relatives ; de l'autre, les parts de la voie d'eau et du
chemin de fer diminuent de moitié.
Troisième constat : l'espace européen des transports apparaît encore très
fragmenté, tandis qu'une part croissante des infrastructures arrive à
saturation.
Cette fragmentation et cette saturation concernent tous les modes :
encombrement du ciel européen, concentration - excessive ! - du trafic maritime
dans les ports du Benelux, difficultés du franchissement des Alpes et des
Pyrénées, lenteur du fret ferroviaire. Je pourrais en citer d'autres, notamment
la voie d'eau.
Quatrième constat : les politiques nationales des Etats membres en matière de
transports restent peu coordonnées.
Dans ce domaine, en dépit des efforts qui, nous devons le reconnaître, ont été
faits, les égoïsmes nationaux restent très forts. En fait, la politique
européenne des transports n'avance que par à-coups, sous la pression de crises
successives. Pour le transport ferroviaire, cela a été la situation de
quasi-faillite simultanée de toutes les grandes entreprises ferroviaires
européennes, au début des années quatre-vingt-dix. D'ailleurs, nous en savons
quelque chose avec la situation décrite par notre collègue à l'occasion de la
précédente question. Pour le transport aérien, c'est l'encombrement actuel du
ciel européen. Pour le transport routier, cela a été la fermeture du tunnel
sous le mont Blanc, en 1999, ou la flambée du prix des carburants en Europe,
l'année passée.
Les réseaux transeuropéens de transport, arrêtés en 1996 sont révélateurs de
ce défaut de coordination. Dans leur conception, ils résultent plus de la
juxtaposition des schémas de transports nationaux que d'une véritable vision
communautaire.
Cinquième constat : l'intervention de l'Union européenne dans ce secteur est
restée jusqu'à présent « timide », cet adjectif est d'ailleurs un peu faible.
J'en veux pour preuve son caractère tardif. Bien qu'elle ait été prévue dès le
début par le traité de Rome, la politique communautaire des transports est
restée longtemps en sommeil. Il a fallu qu'en 1985 le Parlement européen
obtienne de la Cour européenne de justice la condamnation - fait rare ! - du
Conseil pour défaut d'action dans le domaine des transports pour faire avancer
la situation. Il était nécessaire de le rappeler.
J'en veux également pour preuve l'absence de moyens budgétaires propres. Le
financement des RTE, les réseaux transurbains de transport, reste très
difficile : il repose quasi exclusivement sur les ressources budgétaires des
Etats membres dès lors que l'Union européenne n'a pas retenu l'idée avancée par
Jacques Delors de recourir à l'emprunt.
M. Jean-Claude Gayssot,
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Eh oui !
M. Jacques Oudin.
De ce fait, la contribution communautaire au financement des infrastructures
de transports est modique. Outre les fonds structurels et de cohésion, qui
peuvent apporter une contribution substantielle mais localisée, un apport de 10
% maximum est possible pour les grands projets relevant des réseaux
transeuropéens.
Le coût total des quatorze projets d'Essen est estimé à 103 milliards d'euros.
A ce jour, le financement n'est assuré qu'à hauteur de 47,5 milliards d'euros,
soit 46 % des besoins. Quant au taux d'exécution effectif, il n'est encore que
de 25 %.
A partir de ces constats, j'ai ensuite identifié dans la politique européenne
des transports quatre orientations qui me paraissent devoir être
encouragées.
Première orientation : la libéralisation, à laquelle on fait de nombreux
reproches mais qui nous a pourtant apporté beaucoup.
Jusqu'à présent, la politique des transports de la Communauté européenne a été
essentiellement réglementaire, avec une priorité donnée à la libéralisation.
Organisée et désormais complète dans le transport routier et fluvial, la
libéralisation a été largement subie dans le transport aérien, sous la pression
des Etats-Unis, qui ont commencé par multiplier les accords bilatéraux séparés
dits « de ciel ouvert » - traduction de
open sky
- avec les pays
européens. Néanmoins, chacun se félicite aujourd'hui de la baisse des prix qui
est résultée de cette libéralisation du ciel européen.
En revanche, la libéralisation reste difficile dans le transport ferroviaire.
La directive de 1991 prévoit un accès aux réseaux nationaux limité aux
regroupements internationaux d'opérateurs ou à des « corridors de fret » bien
définis. En pratique, le chemin de fer reste l'apanage de compagnies
nationales, en situation de monopole de fait, qui coopèrent avec plus ou moins
de bonne volonté, bien que d'énormes progrès aient été accomplis récemment, je
vous le concède, monsieur le ministre.
La deuxième orientation concerne l'harmonisation.
La libéralisation réglementaire s'est accompagnée d'une politique
d'harmonisation, mais celle-ci est encore inégale. Elle a pu être assez poussée
dans le domaine technique, relativement consensuel. Elle demeure timide dans
les domaines fiscaux et sociaux et, en résulte, c'est vrai, des distorsions de
concurrence.
La troisième orientation a trait à la sécurité. Je serai bref sur ce point
parce que je sais, monsieur le ministre, que vous y attachez beaucoup
d'importance et que vous nous répondrez de façon détaillée. Les résultats dans
ce domaine sont inégaux. Un danger nouveau apparaît, je tenais à le souligner :
le ciel européen est engorgé, à tel point que cette saturation peut entraîner
des catastrophes. Il ne faut pas se le cacher.
En matière de sécurité routière, les résultats sont insuffisants et, dans le
domaine maritime, c'est une situation d'échec que nous rappellent les naufrages
de l'
Erika
et de l'
Ievoli Sun
.
La quatrième orientation a trait à la définition des grands axes européens.
Je vous ai dit que les réseaux transeuropéens arrêtés en 1996 apparaissent
plutôt décevants. Mais il ne faut pas abandonner cette voie pour autant. La
coordination des infrastructures de transport décidées par les Etats membres
reste plus que jamais une nécessité.
La Commission est en train de travailler à une version actualisée des RTE.
J'espère que, cette fois-ci, elle pourra s'affranchir des visions trop
étroitement nationales pour raisonner directement à l'échelle du continent, en
prenant en compte la réalité des besoins.
Par ailleurs, j'ai identifié un certain nombre de priorités qui me paraissent
devoir être clarifiées. Ces priorités sont au nombre de quatre.
La première priorité concerne la connaissance statistique et financière.
La réflexion de la Commission européenne sur la politique des transports me
paraît souffrir d'une lacune statistique évidente. Elle ne dispose pas d'unités
de mesure cohérentes ni de données pertinentes pour le calcul de la
tarification ou de la rentabilité des infrastructures de transport. Faute de
ces chiffres, les propositions de la Commission reposent trop souvent sur des
postulats non démontrés.
Je parlerai également de la connaissance financière : celle de la SNCF dans
notre pays est très réduite, monsieur le ministre. A cet égard, je me permets
de vous rappeler que, depuis plusieurs mois, je vous ai posé des questions
écrites qui sont restées sans réponse, ce que je regrette.
La deuxième priorité est relative à la tarification.
Dans son prochain Livre blanc sur les transports, la Commission européenne
devrait préconiser de solliciter l'utilisateur plutôt que le contribuable, par
une tarification au « coût marginal social », qui intégrerait notamment dans
les prix des transports les préoccupations environnementales, de même que les
coûts externes évoqués par notre collègue.
Mais cette tarification reste pour l'instant davantage au stade des études et
des voeux pieux que de la réalité.
La troisième priorité a trait à l'intermodalité.
L'Union européenne affiche un souci de rééquilibrage entre les modes de
transport. Cette orientation s'est exprimée dans deux directions : un
encouragement à l'intermodalité en général, c'est-à-dire principalement entre
le chemin de fer et la route, d'une part, une incitation au transport maritime
à courte distance, afin de décongestionner les axes terrestres, d'autre
part.
Ces orientations de la Commission me paraissent justifiées, mais sont-elles
réalistes, faute d'un financement suffisant ? L'intermodalité est
indispensable, notamment en milieu urbain, aux points de congestion, et pour le
fret à longue distance. Mais elle manque encore trop souvent de souplesse et de
fiabilité, et surtout elle entraîne des surcoûts. En effet, vous le savez,
monsieur le ministre, l'intermodalité coûte cher. Ses progrès seront forcément
lents, car ils ne peuvent se fonder sur une réglementation coercitive, mais
uniquement sur une offre adaptée aux besoins des acteurs économiques.
Une chaîne intermodale vaut ce que vaut son maillon le plus faible.
Actuellement, et croyez bien que je le regrette, monsieur le ministre, le
problème majeur est celui de la fiabilité et de la crédibilité du maillon
ferroviaire, qui se trouve fragilisé par le cloisonnement des réseaux nationaux
de chemin de fer ainsi que par certains mouvements de grève. D'ailleurs,
aujourd'hui, notre débat coïncide curieusement avec un jour de grève. Vous
aurez à nous répondre, monsieur le ministre, sur la question de savoir si les
grèves à répétition que connaît notre système ferroviaire sont un bien ou un
mal pour la progression de notre politique des transports.
La quatrième priorité concerne les financements.
La Commission européenne exerce un contrôle, dans le cadre de la politique de
la concurrence et des aides d'Etat, sur les interventions financières des Etats
membres dans le secteur des transports.
Je suis favorable à une stricte application du principe de subsidiarité dans
ce domaine. Chaque Etat membre doit pouvoir faire ce qu'il veut, y compris
corriger les imperfections du marché - vous constatez que je vois loin - pourvu
que ce soit de manière transparente, non discriminatoire, et supportable pour
ses propres finances publiques. Je pense notamment aux 150 milliards de francs
de dette de RFF dont on vient de parler. A cet égard, monsieur le ministre, je
crois qu'il est nécessaire d'informer le Parlement.
S'agissant de l'Europe, il me paraît impératif qu'elle se mobilise davantage
pour le financement des réseaux transeuropéens de transport.
Enfin, monsieur de ministre, je crois utile de formuler trois recommandations
sur la position de la France.
Première recommandation, la France doit prendre conscience qu'elle constitue,
de par sa position géographique, la plaque tournante des transports en
Europe.
Cette donnée géographique fondamentale confère à la France une responsabilité
particulière. Nous ne devrions pas prendre une seule décision en matière
d'infrastructures de transport sans raisonner à l'echelle européenne. Cette
prise de conscience est particulièrement nécessaire au moment où nous élaborons
des schémas de services qui nous engageront pour des années. Or je suis au
regret de constater, monsieur le ministre, que l'élaboration des schémas de
services, notamment pour les transports, dont je suis le rapporteur, semble,
jusqu'à présent, ignorer toute dimension européenne.
Cette situation est absurde. Absurde pour le fret ferroviaire, car une
fraction substantielle de celui-ci a un caractère transeuropéen. Absurde pour
nos liaisons autoroutières transeuropéennes, où l'on a atteint des niveaux de
saturation inconcevables, comme dans le sillon rhodanien. Absurde pour nos
liaisons fluviales, qui sont désormais déconnectées du réseau paneuropéen.
Absurde pour nos choix aéroportuaires, car je ne vois pas comment on peut
concevoir le troisième aéroport de la région parisienne sans vision d'ensemble
européenne.
La deuxième recommandation vise à bâtir les axes autoroutiers
transeuropéens.
Les efforts de l'Union européenne pour rééquilibrer la répartition du trafic
entre les modes de transport et pour mieux prendre en compte les aspects
environnementaux sont nécessaires. Mais il n'est pas pour autant possible de
réduire l'effort d'investissement dans le secteur routier. D'ailleurs, cela ne
servirait à rien.
Le dynamisme de la demande de transports est tel que, même si le transport
ferroviaire réussit à doubler son trafic et si le ferroutage s'impose sur
certaines liaisons, le trafic routier continuera de croître, et vous le savez,
monsieur le ministre. C'est un fait dont il faut bien tenir compte.
Or le réseau autoroutier français apparaît encore peu dense par rapport à
celui des Etats membres voisins. Il est également incomplet d'un point de vue
européen. L'Espagne, par exemple, a construit des kilomètres d'autoroutes au
cours des dernières années avec l'aide des fonds structurels européens. Elle
nous a d'ailleurs dépassés. Mais elle demeure mal reliée au réseau autoroutier
européen, en raison des lacunes du côté français des Pyrénées.
Enfin, troisième recommandation, la relance du fret ferroviaire. Nous
approuvons cette orientation, monsieur le ministre.
Je vous accorde volontiers que, de tous les Etats membres, la France est celui
qui a su le mieux enrayer le déclin relatif du chemin de fer. Le programme TGV
est un grand succès technologique et commercial, qui fait école dans toute
l'Europe.
Le grand défi qui nous reste à relever est donc celui du fret ferroviaire.
Théoriquement, celui-ci devrait être compétitif sur les distances supérieures à
sept cents kilomètres, comme nous le montre l'exemple des Etats-Unis. Dans les
faits, malheureusement, c'est encore la route qui prédomine.
La France a donc encore beaucoup d'efforts à consentir pour revitaliser le
transport de marchandises par chemin de fer. Si elle ne le fait pas, elle
d'abord, rien ne pourra progresser dans ce domaine en Europe.
Pour conclure, monsieur le ministre, permettez-moi d'exprimer deux
souhaits.
Tout d'abord, je voudrais que vous participiez activement à l'élaboration,
puis à l'application, du futur Livre blanc de la Commission sur la politique
européenne des transports. Cette politique constitue un défi que nous devons
relever sans tarder si nous ne voulons pas subir, demain, les conséquences des
choix que nous faisons - ou que nous ne faisons pas - aujourd'hui.
Ensuite, je souhaite que les schémas de services en cours d'élaboration soient
adaptés en conséquence. En effet, comment la France pourra-t-elle être crédible
à Bruxelles si ses schémas de services ignorent l'Europe ?
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole qui est imparti à
chaque orateur est de dix minutes.
La parole est à M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d'abord à
remercier Jacques Oudin et Pierre Lefebvre d'avoir, par leurs questions, permis
que ce débat ait lieu.
Il est vrai que la qualité des déplacements de personnes, la circulation des
marchandises, donc l'Europe des transports, sont au coeur des préoccupations de
nos concitoyens.
L'état des lieux dressé par notre collègue Jacques Oudin apparaît plutôt
décourageant. A un titre ou à un autre, la situation des transports en Europe
est critique, dans chacun des modes concernés.
Pour l'avenir proche, la prolongation des tendances actuelles ne laisse pas
augurer d'amélioration, bien au contraire.
Par ailleurs, je partage les soucis exprimés par notre collègue Pierre
Lefebvre qui, en sa qualité d'ancien cheminot, connaît bien toutes ces
questions. Cependant, pour ma part, je suis convaincu que nous ne pourrons pas
nous contenter de « pleurer sur le lait versé », comme l'on dit dans nos
campagnes, et qu'il faudra adopter une approche offensive, que je n'hésiterai
pas à qualifier de visionnaire.
Le pire n'est jamais sûr, à condition que nous montrions suffisamment de
discernement et de volonté. Mais il est temps, voire grand temps, de prendre
l'exacte mesure des dangers qui nous guettent si rien ne devait changer.
Tout d'abord, il faut admettre que le développement de la demande de transport
est un phénomène de civilisation : on circule de plus en plus vite, de plus en
plus souvent et sur des distances de plus en plus longues. L'économie
européenne fonctionne désormais en « flux tendu », avec aucun stock.
Il faut nous attendre, dans les trente années à venir, à une accentuation de
ce phénomène et à de nouveaux bouleversements dans l'organisation de la
production et des flux de transport. N'oublions pas que, depuis la nuit des
temps, l'activité économique naît et se développe le long des voies de
communication, et qu'il ne faut surtout pas raisonner comme si rien n'allait
changer au cours des prochaines années. L'échelon européen doit donc être
pleinement intégré.
Il ne pourrait pas y avoir de marché unique ni d'Europe des citoyens sans
facilités de circulation. Cette mobilité est de plus en plus souhaitée,
notamment par la jeunesse européenne. S'il est un sujet qui anime le débat
public européen aujourd'hui, c'est bien celui des transports.
Nos concitoyens ne comprennent pas que l'on n'aille pas plus vite et plus loin
dans ce domaine : l'Europe n'en fait pas assez, même si elle en fait parfois un
peu trop dans d'autres domaines, tels que la chasse.
Les gens s'interrogent : à quoi sert l'Europe ? L'Europe est à la traîne,
l'Europe est timorée, l'Europe est brouillonne, l'Europe est illisible. Les
contacts que je peux avoir sur le terrain me montrent qu'il s'agit là d'une
préoccupation qui concerne directement tous les citoyens, quel que soit
l'endroit où ils vivent, où ils travaillent. Alors, que faire ?
Dans une approche dite ultra-libérale, il suffirait, paraît-il, de confier la
responsabilité des transports au marché, au secteur privé, et tout se
remettrait instantanément dans l'ordre. Je le dis très clairement, telle n'est
pas notre option.
Ce n'est pas par des mesures ultra-libérales que l'on réglera la question des
transports. L'Union européenne a son mot à dire, et ses propositions seront
tout à fait déterminantes. Mon approche a toujours été, s'agissant du transport
de marchandises et de personnes, qu'il fallait d'abord dresser un état des
lieux, puis fixer des objectifs et, enfin, se donner les moyens de les
atteindre.
Surtout, avant de laisser les forces du marché s'exprimer, il faut d'abord
bien cadrer le marché. En effet, nous ne devons jamais oublier qu'une
concurrence mal conçue comporte toujours le risque de mettre à mal les aspects
sociaux et la sécurité du transport en Europe, tous transports confondus. On
l'a d'ailleurs vu récemment chez nos amis du Royaume-Uni.
La question des transports rejoint ainsi le coeur du débat européen sur les
rapports entre les services publics et le secteur privé.
Force est de reconnaître, dans le secteur des transports, les effets positifs
de la libéralisation de secteurs anciennement monopolistiques. L'exemple du
transport aérien est parlant.
Mais on peut également trouver de nombreux exemples d'échecs liés à un excès
de concurrence. Il en est ainsi de la quasi-disparition des pavillons
communautaires et des problèmes de sécurité maritime qui en résultent, de
l'excessive concentration du trafic portuaire européen sur les ports du
Benelux, de la concurrence déloyale qui règne dans le transport routier, avec
pour conséquence la violation des normes sociales ou de sécurité.
C'est pourquoi je crois que le secteur public, dans le domaine du transport, a
une double responsabilité. Premièrement, il lui faut d'abord réussir sa mue, en
interne, lorsqu'il part d'une situation excessivement bureaucratique ou
monopolistique de nature administrative. Deuxièmement, il lui faut s'adapter en
permanence à la réalité des besoins, tout en se montrant économe des deniers
publics.
C'est possible, l'exemple de la régionalisation des transports ferroviaires a
en effet bien démontré que, en changeant le dispositif et en restant dans le
secteur public, on peut nettement améliorer l'offre de transport.
Ainsi, les services publics de la navigation aérienne doivent aujourd'hui
apprendre à mieux coopérer entre eux pour désengorger le ciel européen.
De même, le service public ferroviaire doit démontrer qu'il peut obtenir, par
la coopération entre les entreprises publiques nationales, des améliorations
suffisantes du service rendu aux chargeurs pour qu'une libéralisation plus
hardie ne soit pas nécessaire.
Dans tous les cas, la meilleure défense du service public, c'est sa capacité
d'adaptation, et non pas une « crispation » sur des modèles hérités du passé.
Je vous renvoie, sur ce sujet au rapport n° 82 que j'ai récemment fait au nom
de la délégation et intitulé :
Vers des services publics « à l'européenne
».
J'ai bien conscience que le thème du service public pose, pour l'instant, plus
de questions qu'il n'apporte de réponses, mais je crois qu'il s'agit d'un enjeu
essentiel pour le succès futur de la politique européenne des transports.
La question des transports en Europe a aussi une dimension technique et
financière.
Pour les pondéreux et les transports à longue distance, il faut que les pays
de l'Union européenne, comme la Suisse, incitent les chargeurs et les
transporteurs à investir dans l'intermodalité. Evidemment, il s'agit d'une
évolution qui ne pourra se faire que de manière progressive, par un système de
quotas, avant de déboucher éventuellement sur des mesures plus directives.
Il ne faut pas oublier non plus le transport fluvial, qui n'est pas condamné,
loin de là, même si la France a « loupé le coche » - pardonnez-moi l'expression
! - avec l'abandon, aujourd'hui encore incompréhensible, du canal Rhin-Rhône.
Cependant, cette liaison se fera tôt ou tard, peut-être par une liaison
Saône-Moselle, même si ce n'est pas celle que nous, Alsaciens, voulons.
L'interconnexion du Bassin parisien avec le réseau nord européen et, au-delà,
danubien, reste une perspective prometteuse.
La seule certitude, c'est que l'on ne peut pas rester sans rien faire. Si
l'Union européenne n'est pas capable de traiter la question des transports dans
un délai raisonnable - disons une dizaine d'années - elle sera considérée comme
ayant échoué aux yeux de nos concitoyens.
Face à un défi d'une telle ampleur, je crois que nous avons besoin d'un
véritable « plan Marshall » des transports, d'une vision et d'une stratégie
pour mener à bien ce « bon combat ».
Par exemple, l'objectif français affiché en matière de fret ferroviaire à
l'horizon 2010 de conserver la même part de marché en doublant le fret ne me
paraît pas suffisamment ambitieux. D'abord, l'horizon de dix ans est trop
court. De plus, cela manque de vision car nous allons, à mon avis, assister à
un bouleversement institutionnel, culturel et technique tel que, par la force
des choses, l'ambition affichée, qui est déjà, je vous le concède, monsieur le
ministre, une rupture avec le passé, apparaîtra vite dépassée.
Pour m'en tenir à un sujet que je connais bien, celui de l'interopérabilité
ferroviaire, je ne doute certes pas de votre bonne volonté, monsieur le
ministre, mais je crains qu'elle ne soit pas suffisante et, surtout, qu'elle ne
soit pas partagée au sein du Gouvernement et par vos collègues des pays de
l'Union.
Soyons concrets : pourquoi ne pas traiter les transports avec la
détermination, la rapidité et l'ampleur de moyens que nous avons consacrés à
d'autres sujets, par exemple les 35 heures ? Il ne s'agit pas de condamner les
35 heures, il s'agit de dire, comme nos grands-parents : « Quand on veut, on
peut ».
Il ne me paraît pas concevable de parler d'intégration, d'élargissement,
d'Europe des citoyens en ignorant les transports. Ce serait non pas une erreur,
mais une faute très grave.
En ce qui concerne la méthode, il me semble que l'Union européenne doit
prendre exemple sur la Suisse. Certes, le pays n'est pas un Etat membre de
l'Union européenne mais il constitue, de par sa position géographique, l'un des
coeurs du réseau européen de transport.
Lorsque les Suisses ont lancé leur projet très ambitieux de ferroutage à
travers les Alpes, ils ont considéré la question des transports comme un sujet
politique majeur. J'aimerais que, en France, l'on considère les transports
comme un enjeu digne d'être arbitré par les citoyens. Certes, si cela ne tenait
qu'à vous, ce serait fait.
Les Suisses se sont fixé des objectifs fondés sur une vision à long terme et
ils ont su dégager les financements nécessaires pour réaliser des
investissements lourds et significatifs.
Si nous voulons que la politique européenne réussisse, il nous faut adopter
une approche comparable. Il ne conviendrait peut-être pas de recourir au
référendum car les Etats membres de l'Union n'ont pas les mêmes traditions
politiques que la Suisse, encore que le résultat serait certainement positif et
pousserait Bercy à faire un effort beaucoup plus important que jusqu'à présent.
Il faudrait plutôt mettre en place une forme de dialogue avec les citoyens
européens et de concertation avec les professionnels.
Les décisions en matière de transport sont trop lourdes de conséquences et
engagent nos sociétés à trop long terme pour pouvoir être imposées d'en haut et
à courte vue de manière parfois quelque peu technocratique.
Enfin, la politique européenne des transports devra être l'un des champs
d'application de ce que l'on appelle le principe de subsidiarité, c'est-à-dire
du recentrage de l'Union sur ses vraies missions.
Jusqu'à présent, dans ce domaine, l'Europe s'est trop souvent heurtée aux
égoïsmes nationaux, aux nationalismes ferroviaires et elle s'est réfugiée dans
une harmonisation technique pointilleuse. Il lui faut apprendre à prévoir et à
penser grand, en termes de schémas de liaisons transeuropéennes, de schémas de
services européens, d'aménagement du territoire de l'Union, de cohésion entre
les Etats membres.
N'oublions pas que
in fine
la réussite des transports sera l'une des
conditions du succès de l'élargissement à l'Est. Pour l'instant, nous
raisonnons encore au sein de l'espace des Quinze mais, quand l'Europe s'ouvrira
vers l'Est, les transports seront encore plus importants qu'ils ne le sont
aujourd'hui.
Cette vision implique que nous acceptions l'intervention de l'Union européenne
là où elle est la plus efficace. En échange, les instances communautaires
doivent admettre la part d'autonomie des Etats membres, qui déterminent chacun,
par déclinaison des options européennes, leur propre politique des
transports.
La responsabilité des Etats sera alors d'intégrer la dimension européenne dans
leurs choix nationaux et de dépasser leurs égoïsmes. Chaque région, ensuite,
dans le cadre du Plan décidera en partenariat l'irrigation intermodale du
territoire régional. L'évolution récente du dossier de la sécurité du transport
maritime montre que cela est possible, quand la volonté d'agir ensemble est
là.
Finalement, la prise de conscience de l'urgence et de la gravité de la
situation des transports en Europe est la condition première pour son
déblocage, grâce aux compromis nécessaires.
Je peux ici prendre l'exemple des accords auxquels vous êtes parvenu monsieur
le ministre, sur le temps de travail dans le transport routier ou sur le «
paquet ferroviaire ». Je peux également citer l'accueil plutôt favorable
réservé par les Etats membres sur l'initiative de la Commission pour un « ciel
unique européen ».
C'est pourquoi, tout en mesurant bien les difficultés et la longueur du chemin
qui reste à parcourir, je veux être optimiste sur l'avenir de la politique
européenne des transports. Optimiste, tout simplement parce que nous sommes
condamnés à réussir tant les conséquences du transport sauvage deviennent de
plus en plus intolérables.
Pour progresser, c'est-à-dire pour prendre conscience de l'état des lieux,
dégager des moyens et fixer une méthode adaptée, je ne pense pas qu'il faille
attendre les catastrophes - peut-être inévitables - sur les autoroutes ou dans
les tunnels, je ne pense pas qu'il faille attendre une pollution devenue
intolérable et menaçant la vie sous toutes ses formes. Il s'agit d'une oeuvre
de longue haleine qui appellera le discernement et l'effort de tous.
« Quand on veut, on peut », disait-on autrefois dans nos campagnes.
Aujourd'hui, on dit d'une manière plus intellectuelle : « Quand il y a une
volonté, il y a un chemin. »
Le Gouvernement doit donc, monsieur le ministre, non seulement afficher sa
volonté, mais prouver, chaque jour, sa détermination. Nous serons, les uns et
les autres, jugés sur nos actes. Comptez sur le Sénat pour rappeler sans cesse
au Gouvernement son devoir d'Etat.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Europe a
beaucoup peiné pour définir les objectifs d'une politique de transports commune
aux Etats de l'Union et les moyens à mettre en oeuvre pour les réaliser. Il est
vrai que les particularismes des Etats étaient importants dans les domaines
techniques des transports ferrés, dans les méthodes de financement - je pense à
la pratique française de l'adossement - dans les normes de sécurité ou encore
dans les notions de services publics. Chacun mettait en avant les règles de
subsidiarité pour préserver sa spécificité, qui cachait parfois de véritables
archaïsmes.
Petit à petit, les projets se mettent en cohérence et ce n'est donc pas un
hasard si la question de notre collègue M. Oudin est posée au moment où la
commission consulte sur la rédaction d'un Livre blanc définissant la politique
de transport qui pourrait maintenant être publié au mois de juin prochain.
La présidence française, sous votre direction, monsieur le ministre, a
d'ailleurs contribué à des avancées importantes. Je pense, en particulier, au «
paquet ferroviaire », aux licences de droit d'accès au réseau européen de fret
ferroviaire, au service d'intérêt général reconnu pour les transports publics
de passagers, à des avancées importantes, mais encore insuffisantes, sur
l'harmonisation sociale dans les transports routiers, en particulier sur le
temps de travail des conducteurs, à un accord unanime sur la mise en place de
l'Autorité européenne pour la sécurité de l'aviation civile et, enfin, à une
avancée dans le domaine de la sécurité maritime.
Tout est donc en place pour la rédaction de ce Livre blanc, et nous savons
déjà autour de quels grands principes il pourra s'articuler.
Les transports sont considérés comme fondamentaux pour le développement de
l'Europe, en particulier pour la croissance économique, le développement
régional, la santé et l'environnement. Ils ne sont donc plus considérés comme
une simple activité économique...
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénar pour l'Union européenne.
Tout à fait
!
M. Jacques Bellanger.
... mais s'inscrivent dans une perspective globale de développement durable où
l'environnement et la situation sanitaire doivent être pris en compte dans
l'élaboration des règlements communautaires.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Jacques Bellanger.
Je cite ici un communiqué de la présidence suédoise : « Le Gouvernement que
vous représentez, monsieur le ministre, a fait le choix du développement
durable et d'un aménagement harmonieux de notre territoire dans le cadre
européen. »
Les schémas multimodaux de services collectifs de transports de voyageurs et
de marchandises, en cours d'examen par la délégation du Sénat à l'aménagement
et au développement durable du territoire, proposent donc une priorité pour le
fret ferroviaire - ainsi d'ailleurs qu'aux transports alternatifs à la route -
et se fixent un objectif : le doublement du fret ferroviaire dans les dix
ans.
Nous approuvons totalement les propos que vient de tenir notre collègue Pierre
Lefebvre sur ce sujet.
Ces choix s'inscrivent parfaitement dans le cadre de l'Union européenne défini
par Mme de Palacio le 14 février dernier à Strasbourg : « Il s'agira de
rééquilibrer les flux de trafic vers des modes de transport avec des réserves
de capacité et qui sont plus respectueux de l'environnement comme les chemins
de fer et la voie d'eau. Le développement du réseau transeuropéen de transport
doit contribuer à cet objectif. »
Les conséquences seront très concrètes.
Nous devrons prendre en compte les coûts externes environnementaux et
sanitaires, c'est-à-dire les effets sur l'environnement, la sécurité et la
santé publique dans tous les modes de transport. Les principes de précaution et
d'action préventive, de correction par priorité à la source, de pollueur-payeur
- figurant à l'article 174 du traité sur l'Union européenne - participent à la
mise en oeuvre d'une tarification au coût marginal social simultanément dans
tous les modes de transports. Ce coût marginal social est la somme de deux
termes : un coût marginal d'exploitation et d'entretien des infrastructures et
un coût marginal pour la collectivité. C'est bien le calcul de ce deuxième
facteur qui soulèvera quelques difficultés. La taxation des poids lourds à la
distance parcourue nous semble toutefois une proposition cohérente et
inévitable pour la tarification au coût marginal social.
Je ne suis pas sûr que ces principes soient favorablement accueillis par mon
collègue Jacques Oudin, mais cette idée fait son chemin même chez lui puisqu'il
reconnaît, à la page 18 de son rapport : « C'est bien sur le terrain de la
rentabilité socio-économique que peuvent apparaître les débats sur le
financement prioritaire du secteur routier ou ferroviaire, non sur le terrain
strictement financier où le bilan pour la route est clairement positif et le
bilan pour le rail clairement négatif. » Je lui laisse bien sûr la
responsabilité de ces deux dernières affirmations.
La priorité pour les transports ferrés et par eau, voies navigables et
cabotage, est donc retenue.
En ce qui concerne le fret, nous nous félicitons de l'adoption par le
Parlement européen, le 13 février dernier, de la directive harmonisant les
normes techniques et de sécurité sur les trains essentiellement de fret ;
c'était fait depuis 1977 pour les trains de voyageurs à grande vitesse. Cet
accord va d'ailleurs un peu plus loin que la simple technique, puisqu'il fixe
quelques normes sociales - condition de travail, d'hygiène, de sécurité - pour
les agents assurant le fret ferroviaire transeuropéen.
Nous nous interrogeons en revanche sur les financements des grandes
infrastructures ferroviaires. Mme de Palacio mise, sur ce point, autant sur
l'intelligence et les innovations technologiques que sur l'investissement «
béton et matériel ». C'est un bel acte de foi dans nos capacités d'innovation
scientifique, mais je ne suis pas sûr que les répercussions budgétaires des
choix nécessaires ne figurent pas en arrière-plan de cette affirmation. Il y a
sans doute du grain à moudre dans cette voie, et le programme Galiléo mettant
en place un système de navigation et de guidage utilisant les signaux
satellites en est un bon exemple, en même temps que l'amorce d'un guichet
unique pour les clients.
Cependant, l'investissement classique est aujourd'hui incontournable et ses
coûts sont considérables.
En 1993, pour l'Union européenne en son état actuel, ils étaient estimés à 400
milliards d'écus par le Livre blanc de M. Delors. Le rapport du groupe TINA -
Transport Infrastructure Needs Assesment - avance, pour les seuls pays
nouveaux candidats, une somme de 980 milliards d'euros uniquement pour les
infrastructures de transport longue distance, tous modes confondus il est
vrai.
Monsieur le ministre, non seulement les investissements ferroviaires sont très
lourds, mais ils ne peuvent être amortis que sur des durées très longues. Je
crains que nous ne disposions aujourd'hui ni des fonds ni des outils
nécessaires.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Surtout des
outils !
M. Jacques Bellanger.
Comment expliquer autrement la dégradation de l'autofinancement, qui pose un
véritable problème structurel à moyen terme dans le système ferroviaire et,
dans une moindre mesure, à la RATP ? Si le taux d'endettement rapporté à la
capacité d'autofinancement de la SNCF est stabilisé à un niveau élevé et
acceptable, celui de RFF est incompatible avec une capacité d'autofinancement
semblant structurellement négative à long terme. Au total, le système
ferroviaire est doublement contraint par un niveau de dette incompatible avec
sa faible rentabilité financière et par la difficulté à en augmenter les
ressources.
La mise en oeuvre d'objectifs ambitieux en ce domaine va donc poser de
redoutables problèmes de financement, laissant craindre une explosion de la
dette ferroviaire estimée, en 2000, à plus de 250 milliards de francs pour
notre pays.
Je ne fais que citer ici, monsieur le ministre, un rapport du Conseil national
des transports.
Cette situation n'est d'ailleurs pas du tout spécifique à la France.
Nous savons que le financement privé sera fortement limité par la volonté
commune de fixer un coût raisonnable aux péages. Nous sommes certains que nul
ne veut - ni ne pourra, d'ailleurs - recommencer l'opération « Tunnel sous la
Manche ». Nous sommes sans illusion sur les capacités des collectivités
régionales, nationales, à dégager les apports nécessaires. La Banque européenne
d'investissement fixe par ailleurs son aide à 10 % maximum du coût.
Si le recours à l'emprunt peut se justifier en matière d'investissement, tout
endettement doit cependant être rapporté à la capacité de remboursement et nous
savons que cette capacité sera, pour la voie ferrée, limitée.
Il faudra donc bien en venir à comptabiliser les coûts externes et je ne peux
citer qu'un modèle possible, celui de la Suisse. Son fonds de financement pour
le percement de tunnels ferroviaires sous les Alpes est composé à titre
accessoire d'une partie de TVA, de taxes sur les produits pétroliers et sur les
marchés financiers, et principalement d'une redevance sur les poids lourds en
fonction du principe « pollueur-payeur », et donc de la distance parcourue et
de la pollution provoquée.
La Commission demandera sans doute la poursuite du processus en cours de
libéralisation progressive des modes de transport, ce qui satisfera
certainement mon collègue M. Jacques Oudin, qui vous demande, monsieur le
ministre, « quelles sont les perspectives d'une relance de la libéralisation et
de l'harmonisation dans le secteur des transports ».
Outre la clarté de la résolution adoptée au Parlement européen sur ce point,
les déclarations du président de la Commission européenne M. Romano Prodi dans
Le Figaro
du 7 février dernier sont nettes : « Ma commission soumettra
des propositions visant à libéraliser les marchés des transports ferroviaires
des marchandises et des passagers et à rendre le transport aérien plus
efficace. » Vous le savez, monsieur le ministre, nous ne partageons pas du tout
ce point de vue. Nous sommes quelque peu goguenards, après la libéralisation
annoncée et effectuée du transport aérien, sur sa situation en France, et la
nécessité de le rendre plus efficace montre bien les contradictions de cette
libéralisation. Les auditions actuellement réalisées par la commission des
affaires économiques et du plan sur le transport aérien sont très révélatrices
à cet égard.
Nous ne sommes d'ailleurs pas isolés en cette affaire. Je rappelle les
déclarations que M. Haenel a faites lors de la réunion de la délégation du
Sénat pour l'Union européenne du 11 octobre 2000 et qu'il vient de renouveler :
« Je souhaite que l'on s'entende bien sur le terme de libéralisation au niveau
européen. On ne peut pas livrer le secteur des transports aux seules lois du
marché, mais il faut y intégrer tous les enjeux du développement durable.
J'estime essentiel que figure en bonne place, dans un rapport d'information
officiel du Sénat, les notions de service public et d'intérêt général. » Nous
sommes d'accord ! Que signifierait d'ailleurs la libéralisation dans un secteur
ou les acteurs économiques sont incapables de financer les investissements
nécessaires à leurs activités marchandes ?
Nous voyons bien qu'à partir de cette affirmation, plus dogmatique que
réaliste, se profile toute une série de réglementations qui peut même parfois
nous inquiéter par le nombre et le détail. Le voilà, le vrai pendant des
libéralisations impossibles !
Heureusement, le Premier ministre de la France, Lionel Jospin, à Stockholm a
fait ce rappel : « Face à la globalisation, l'Europe doit continuer à affirmer
sa volonté, sa capacité d'introduire une certaine régulation économique.
L'Europe ne peut se réduire à un espace marchand. La libéralisation n'est pas
une fin en soi. Elle est un instrument qui doit permettre de viser des services
plus efficaces, tenant mieux compte des attentes des usagers en matière de
sécurité, de continuité du service public, d'égal accès à ce service public.
»
Cette préoccupation a été partagée à Stockholm par d'autres Etats et prise en
compte dans les conclusions qui, telles qu'elles ont été adoptées sur ce point,
nous conviennent. Je suis donc certain, monsieur le ministre, que le Parlement
français dans son ensemble - et je suis rassuré par la discussion que nous
avons aujourd'hui - vous demandera, comme nous, de veiller à ce que ces
dispositions et ces conclusions figurent bien dans le Livre blanc de la
Commission européenne.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen. - M. le président de la délégation pour
l'Union européenne applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Gerbaud.
M. François Gerbaud.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant
d'entamer le sujet qui nous préoccupe ce matin, je voudrais m'associer et
rendre hommage à la déclaration de notre collègue Michel Charasse, car le sujet
qu'il a évoqué a effectivement un rapport avec la dignité du Parlement.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
C'est vrai
!
M. François Gerbaud.
Monsieur le ministre, puisque, aujourd'hui les cheminots nous laissent un
instant sur le quai des gares de nos impatiences, de nos attentes et de nos
interrogations, profitons-en pour parler du rail, du renouveau ferroviaire qui
s'impose dans le monde, en Europe et en France, même si ce n'est pas en ces
jours d'une flagrante opportunité, encore que les mouvements d'aujourd'hui ne
soient pas sans rapport avec le problème grave de l'organisation des transports
en Europe occidentale !
Au-delà de cette manière de travaux pratiques qui nous font entrer dans le vif
du sujet, je veux simplement retenir deux chiffres : trente-huit et dix-neuf.
Ils donnent la mesure de l'hypertension qui menace les transports nationaux
communautaires.
Trente-huit, c'est le pourcentage annoncé dans les dix prochaines années, très
modestement sans doute, de l'accroissement des machandises.
Dix-neuf, c'est celui du nombre des voyageurs.
L'hypertension est grave. Chacun l'a dit et tout le monde le sait, elle menace
l'Europe des transports de congestion, les routes et autoroutes d'asphyxie et
le rail d'essoufflement. La France en donne déjà quotidiennement la preuve. En
effet, de par sa position géographique, elle doit, sur ses réseaux routiers,
non seulement assurer les transits nationaux, mais aussi absorber en même temps
les trafics internationaux, notamment ceux des relations Nord-Sud. La France
est en effet, dans le domaine de la route et du fer, le passage obligé entre
l'Europe du Nord et l'Europe du Sud, notamment l'Espagne et le Portugal.
Si le rail ne reprend pas une partie de ce trafic, l'asphyxie du réseau
routier est proche. Une prévision en témoigne. En 2010, à titre d'exemple,
c'est plus de 10 000 camions par jour qui transiteront aux postes frontières
franco-espagnols.
La congestion est annoncée, que l'économie impose et imposera.
L'approfondissement continu du marché unique, le retour à la croissance dans
tous les Etats de l'Union, comme l'a souligné notre ami Jacques Oudin, sans
parler des perspectives d'élargissement de l'Europe, constituent des éléments
structurels et durables qui dynamisent la demande des transports, étant entendu
que l'accroissement des trafics concerne tous les modes de transport.
Ce problème, qui est aujourd'hui posé de manière urgente, ne peut se concevoir
et cela a été très bien dit, que dans un espace européen et dans une vision
intermodale. Ce sont, en effet, tous les modes de transport qui sont ensemble
et complémentairement concernés. C'est dire qu'il est aujourd'hui totalement
irréaliste de tenter d'opposer le rail et la route, même si un constat
accablant affiche que, pour une tonne de marchandises transportées par le rail,
cinq transitent par la route.
Un indispensable rééquilibrage s'impose donc. C'est un bon objectif que de
vouloir doubler le fret ferroviaire en dix ans. C'est un élément volontariste
qui répond en même temps à une évidente exigence d'aménagement du territoire.
Mais vouloir est une chose, pouvoir en est une autre.
Nombreux sont les handicaps sur le chemin de cet objectif.
La libéralisation, qui a posé les problèmes de saturation que l'on connaît
dans le domaine aérien, en pose davantage encore dans le domaine ferroviaire,
car l'espace ferroviaire est très morcelé.
De statuts différents, les entreprises ferroviaires éprouvent de graves
difficultés. Les réflexes nationaux y résistent, souvent légitimement, et cela
dans un monde qui associe des acteurs différents en taille et en nature, un
monde où, semble-t-il, les seuls mécanismes du marché ne suffisent pas à
assurer un bon fonctionnement, étant entendu que parfois, et même souvent, une
logique de concurrence s'oppose à une politique d'aménagement du territoire.
Par ailleurs, force est de constater qu'aujourd'hui les réseaux transeuropéens
ne sont que la juxtaposition de schémas de transports nationaux. Au-delà de
l'interopérabilité, qui est le premier obstacle technique à franchir, les
réseaux nationaux ne se sont modernisés, adaptés, que par les moyens financiers
propres de chacun des Etats. Il est grand temps, et c'est le moment de le dire,
que l'engagement de l'Europe s'impose financièrement - vous avez raison,
monsieur Haenel - si l'on veut mettre en place l'ossature du futur réseau
ferroviaire transeuropéen.
Vaste affaire si l'on additionne les obstacles concrets qu'il faudra franchir
pour donner au transport ferroviaire sur ses grands axes la fluidité qu'impose
désormais le transport du fret.
Il est urgent de faire l'inventaire de ces obstacles au niveau européen comme
au niveau national.
Voici quelques-unes des étapes qu'il faudra franchir : réservation des sillons
fret sur certaines lignes ; définition du rôle de l'Etat dans la politique des
sillons ; affectation des lignes au fret - il ne faudra pas se contenter des
sillons construits à partir de capacités résiduelles, l'optimisation n'étant
pas la seule réponse, même si elle est indispensable ; mise en place d'une
véritable politique de tarification qui réponde aux réalités diverses
d'occupation du réseau, problème qui est au coeur des relations entre le
gestionnaire du réseau et son exploitant ; réponse aux demandes des clients par
des produits compétitifs en favorisant le transport combiné, en mettant en
place une politique de ferroutage, en supprimant les noeuds et étranglements
qui sont causes de saturation et qui nuisent à la compétitivité des
entreprises.
Ce sont autant de formidables défis financiers qui, au-delà d'une coordination
des politiques d'investissements nationaux, impliquent un engagement plus
important de la Communauté européenne sur le plan financier.
La création d'un vaste réseau transeuropéen de fret auquel auront accès
l'ensemble des entreprises ferroviaires communautaires est la réponse la plus
adaptée à l'accroissement du trafic international, qui connaît le plus fort
taux de croissance.
Dans cette perspective, des avancées sont à noter monsieur le ministre,
avancées auxquelles la présidence française a heureusement contribué dans bien
des domaines, notamment dans le secteur routier. Il est nécessaire qu'il en
aille de même dans le domaine ferroviaire, et c'est sur ce sujet que nous
souhaitons connaître votre vision des choses, en vous remerciant de la part que
vous avez prise à tous les succès à l'échelon européen.
De nombreuses questions sont, en effet, aujourd'hui sans réponse : comment
l'Europe entend-elle donner à la France, passage obligé des transports
internationaux, une priorité dans les investissements ? Quel rôle jouera-t-elle
dans les futures négociations ?
Le vote unanime au Conseil, à la suite de la procédure de conciliation
relative aux nouvelles directives européennes, est un résultat positif qui est
à mettre aux actifs de la présidence française.
En fret - je me répète - c'est sur le trafic international que les entreprises
ferroviaires vont connaître les plus forts taux de croissance.
Il est donc certain que la création d'un vaste réseau transeuropéen de fret,
auquel auront accès les entreprises ferroviaires communautaires, offre de
nouvelles opportunités de développement qui concourront à atteindre l'objectif
que vous avez fixé de doublement du fret ferroviaire.
La réforme ferroviaire menée en 1997, dont j'ai eu l'honneur d'être, avec
Hubert Haenel, le rapporteur au Sénat, a bien préparé notre pays à cette
situation nouvelle. Les résultats sont probants : la SNCF, qui était accablée
par la dette et par un déficit annuel de plus de 16 milliards de francs, est
aujourd'hui revenue à l'équilibre, et la dette du système ferroviaire, qui
repose aujourd'hui pour l'essentiel sur RFF, semble stabilisée.
C'est un résultat important, mais il faut, monsieur le ministre, permettre à
Réseau ferré de France, garant de l'unité du réseau, du caractère public de sa
gestion et de son entretien, d'exercer pleinement les missions qui lui ont été
confiées par la nation. A cet effet, un allégement de sa dette est nécessaire,
et vous le savez mieux que personne.
C'est aussi RFF qui sera en mesure de garantir l'accès des entreprises
ferroviaires européennes au réseau ferré national sans discrimination, mais
aussi dans le respect intégral des principes du service public. Cela impose que
le cadre d'activités de cet établissement public, tout en respectant pleinement
les principes prévus par la loi qui l'a créé en 1997, soit dûment aménagé pour
pouvoir, à partir des résultats très positifs de ses actions, accomplir plus
totalement ses missions et remplir ses objectifs. C'est l'une des conditions
qui nous permettra d'atteindre le renouveau tant attendu du ferroviaire.
La France ne peut pas et ne doit pas être absente de ce renouveau du train
qui, dans le monde et en Europe, s'annonce comme un élément de modernité des
transports. Le train va jouer dans ce siècle qui commence le même rôle qu'il a
joué dans l'économie du xixe qui l'a vu naître et prospérer. En effet, c'est un
acte de foi partagé par beaucoup : le rail a d'incomparables atouts.
Avec l'aérien, il est le transport le plus sûr. Il est économe en énergie, il
est peu polluant et nous permet ainsi de répondre mieux aux objectifs de la
conférence de Kyoto. Il n'est pas dévoreur d'espace.
L'emprise d'une voie ferrée est, en effet, très inférieure à celle d'une
autoroute. C'est à relever à un moment où se pose le grave problème d'une
maîtrise rationnelle de l'espace, notamment dans les zones urbaines. Le rail
pénètre au coeur des agglomérations. Il est une des meilleurs liaisons
inter-cités dans le domaine du fret ; il permet le transport de
porte-à-porte.
Il est bien la meilleure réponse au défi que notre monde nous impose. Il est
donc temps de monter dans le train et de faire attention à la fermeture
automatique des portières sur l'avenir
(Sourires),
avenir qui pourrait être mieux esquissé par un nouveau
Maastricht de la mobilité !
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Quel bel
éloge du rail !
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quel est le
bilan de la présidence française du Conseil européen en matière de transports ?
Telle est bien la question dont nous débattons aujourd'hui.
L'actualité imposait des priorités fortes : harmonisation sociale dans le
domaine routier, développement du ferroviaire avec l'interopérabilité, sécurité
dans les transports maritimes et aériens. S'y ajoutait le projet Galiléo, lancé
en 1999 par le Conseil comme réponse de l'Europe aux besoins croissants de
fiabilité et de sécurité des transports.
Sur certains de ces sujets, la présidence française a réussi à avancer. Nous
ne pouvons que nous en réjouir. Indéniablement, des résultats importants ont
été obtenus. Pour autant peut-on dire que l'Europe des transports a progressé
?
Quelques sujets méritent une attention particulière.
J'évoquerai tout d'abord l'avenir du fret ferroviaire.
Vous prônez, monsieur le ministre, le ferroutage et souhaitez le doublement du
fret ferroviaire en dix ans. C'est un objectif à la fois ambitieux et
insuffisant.
Pour faire progresser la part du marché du rail, je crois que seule une
stratégie de rupture avec la politique des transports suivie jusqu'à
aujourd'hui peut préserver l'avenir. Il s'agit d'abord d'apurer les dettes de
la SNCF et de Réseau ferré de France, d'harmoniser la concurrence rail-route et
de procéder à des investissements ferroviaires massifs.
Depuis vingt ans, la régression du rail dans tous les pays de l'Union
européenne est une tendance lourde. Le rail n'assure plus que 6 % du transport
de voyageurs et 15 % du transport de marchandises.
Pour relancer le transport de fret ferroviaire, je crois que le transport
combiné répond mieux à l'urgence de la situation et à l'utilisation des
infrastructures existantes que le ferroutage.
Des études montrent que le trafic marchandises transalpin augmentera de façon
considérable dans les dix prochaines années. Il est, par conséquent, urgent de
se placer dans cette perspective en cherchant dès aujourd'hui les meilleures
solutions.
La catastrophe du tunnel sous le Mont-Blanc nous pousse, en conscience, à
faire des propositions pertinentes et cohérentes.
Il en est une qui consiste justement à développer le transport combiné. Il
faut, en effet, inciter les grands transporteurs routiers à diversifier leurs
moyens en transportant des marchandises par le site propre que représente la
voie ferrée. Avant de penser à mettre les camions sur les trains, il est
indispensable d'y remettre les marchandises.
La raison essentielle réside dans le fait que le gabarit de nos tunnels est
trop réduit et que la hauteur des camions rendra techniquement complexe et
coûteux le ferroutage.
Sur un plan économique, le transport du fret par voie ferrée doit évidemment
être compétitif en prix et en temps et se rapprocher du coût du transport par
la route. C'est aussi pour la SNCF la possibilité d'une ouverture vers ce
trafic fret. Il faudra pour cela la volonté politique de moderniser le matériel
de transport ferroviaire de marchandises, améliorer les temps de trajet ainsi
que les temps d'attente, augmenter sensiblement la capacité des chantiers de
transbordement et, bien sûr, réduire les temps de rupture de charge.
La réalisation de la ligne Lyon-Turin - j'y reviendrai dans un instant - ne
réglera pas la totalité du problème. Les trains de marchandises doivent pouvoir
parcourir entre dix-huit heures et six heures le lendemain matin tout trajet
d'un point à un autre du territoire européen.
Je crois que les choix politiques doivent aller dans le sens d'une
libéralisation raisonnée et raisonnable et de l'ouverture à la concurrence du
fret ferroviaire. A cet égard, je rappelle qu'un accord signé à la mi-décembre
1999 par les ministres européens des transports garantit aux entreprises
ferroviaires l'accès du réseau transeuropéen de fret. Il s'agissait d'aller
plus loin dans l'ouverture à la concurrence afin de stopper le déclin du
transport de marchandises par rail.
Cette libéralisation est aujourd'hui acceptée par tous les Etats de l'Union
européenne. C'est un processus irréversible en cours de mise en oeuvre via le
réseau transeuropéen de fret ferroviaire. L'exemple de BASF en Allemagne est
significatif. Le groupe vient, en effet, de créer sa propre compagnie
ferroviaire de fret.
En Italie, depuis peu, il est légalement possible de voir sur les voies
ferrées des sociétés de transports privées. Qu'en est-il en France ? Quels sont
les projets ? Il semble que nous prenions du retard par rapport à nos
partenaires européens.
Je rappelle, monsieur le ministre, qu'il s'agit seulement du fret. Je suis
personnellement défavorable à l'ouverture à la concurrence du transport public
de voyageurs, qui reste liée à l'organisation de l'aménagement du territoire et
à l'accessibilité de tous à la voie ferrée.
Une question se pose : cette libéralisation entraînerat-elle une progression
du fret ferroviaire ? Selon Bruxelles, la concurrence intramodale, c'est-à-dire
la concurrence entre opérateurs ferroviaires, permettra au rail de reprendre
des parts de marché. Cette affirmation doit être nuancée.
La concurrence entre opérateurs ferroviaires n'a d'intérêt que si elle joue
dans un secteur des transports préalablement harmonisé, de même qu'entre des
réseaux revitalisés et responsabilisés, et si l'on ne l'oppose pas à la
nécessaire coopération entre réseaux.
La concurrence n'apporte pas aux réseaux les capacités nécessaires pour
absorber un surplus de trafic.
En résumé, la concurrence n'est pas la panacée. La gravité de la situation
actuelle implique des interventions d'une autre ampleur. Le marché, même
assaini, jouera en faveur de la route. La disproportion entre les places
respectives de la route et du rail est actuellement trop importante. Entre 1970
et 1998, on a construit en moyenne chaque année 1 180 kilomètres d'autoroutes
en Europe occidentale, tandis qu'on supprimait en moyenne 572 kilomètres de
voies ferrées.
Ce développement des infrastructures routières est encore une réalité en
France. Mais le mode routier, menacé par la congestion, cherche à exploiter les
possibilités du rail pour survivre. Les investissements ferroviaires accusent
un retard considérable : les performances de nombreuses lignes se sont
dégradées ; des points de saturation sont apparus ; le parc de matériel roulant
a vieilli et est devenu insuffisant en capacité et en quantité.
Contrairement à la route, qui une faculté de réaction rapide, le mode
ferroviaire ne peut s'adapter que lentement et progressivement : le matériel
roulant et les moyens humains s'amortissent sur plus de trente ans.
Il est temps qu'une volonté politique forte se manifeste et impose une
stratégie de rupture avec la politique actuelle.
Pourquoi ne pas s'inspirer de la démarche de la Suisse, même si elle n'a,
compte tenu de la taille de ce pays, que valeur d'expérience ? La Suisse
libéralise son transport ferroviaire tout en rééquilibrant la concurrence avec
la route à l'avantage du rail et en investissant massivement dans
l'infrastructure ferroviaire. Comme l'a dit tout à l'heure M. Haenel, il s'agit
là d'une priorité politique, d'un acte politique majeur.
Le premier objectif est d'harmoniser la concurrence intermodale en France et
en Europe. Tant que cette concurrence ne sera pas effective, les Etats devront
donner des compensations financières aux modes les moins polluants.
Par ailleurs, l'« euro-vignette » devrait être transformée en instrument
efficace, afin, notamment, d'inciter au report sur le rail des transports à
longue distance.
L'Union européenne devrait subventionner une politique européenne de recherche
et développement associant les industries ferroviaires, les gestionnaires
d'infrastructures et les exploitants.
Mais assainir les conditions de concurrence et investir ne suffira pas. Il
faut aussi que les exploitants accomplissent un effort notable d'adaptation.
Pour la SNCF, cet effort doit concerner la fiabilité et la rapidité des
acheminements, la qualité de la logistique et la productivité.
A ce stade de mon intervention, je dirai quelques mots des liaisons
transalpines, vous n'en serez pas surpris, monsieur le ministre.
Nous sommes tous d'accord pour soutenir le projet de liaison Lyon-Turin.
Cependant, il est utile de rappeler que la réalisation de ce tunnel coûtera
plus cher que celle du tunnel sous la Manche, que sa longueur dépassera 50
kilomètres et que les risques de catastrophe y existeront comme ailleurs.
Il convient d'adopter une combinaison intelligente, fondée sur les
complémentarités entre modes de transports, chacun d'eux pris isolément ne
pouvant résoudre les problèmes du fret et du transport de voyageurs.
S'il est souhaitable que le projet Lyon-Turin ne prenne aucun retard, le
respect des normes de sécurité est une exigence impérieuse.
Lors du sommet de Turin de janvier dernier, la France et l'Italie se sont
engagées officiellement sur la construction de la Transalpine et sur sa mise en
service effective en 2015. Le lancement de ce projet était ardemment réclamé
par la région Rhône-Alpes, qui oeuvre depuis plus de dix ans à la
concrétisation de cette nouvelle liaison.
L'horizon 2015 étant donc décidé, le projet entre désormais véritablement dans
sa place active et opérationnelle. Je rappelle qu'il nécessitera la
construction de 300 kilomètres de voies et le percement de plusieurs tunnels,
dont le tunnel international de 52 kilomètres, pour un coût de 11 milliards
d'euros. C'est un chantier ambitieux qui permettra de diviser par deux le temps
de voyage entre Lyon et Turin - une heure trente contre trois heures trente
aujourd'hui - tout en multipliant par cinq le volume de marchandises
transportées.
Indéniablement, cette liaison aura des impacts considérables pour la région et
pour notre pays. Elle s'inscrit dans une logique d'aménagement du territoire et
de développement durable. Elle apportera une solution pérenne aux problèmes
économiques et environnementaux des échanges à travers les Alpes.
C'est un pari d'avenir, stratégique pour la région, qui fera du massif alpin
un véritable carrefour européen reliant les citoyens européens du nord au sud
et d'est en ouest.
Mais, monsieur le ministre, que ferons-nous pendant les quatorze années qui
nous séparent de 2015 ? Ne craignez-vous pas que l'augmentation constante du
trafic et du fret ne soit telle entre-temps que le tunnel permettrait seulement
d'absorber le supplément ?
Enfin, près de deux ans après le dramatique accident du tunnel sous le
Mont-Blanc, une décision claire et réaliste s'impose. Donner au transport
ferroviaire les moyens de son avenir, en renforçant sa complémentarité avec la
route, n'est pas une priorité, c'est une urgence.
Il s'agit, au-delà de la nécessaire volonté politique, d'un acte politique
majeur, que le peuple de France attend de vous, monsieur le ministre.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
Monsieur le ministre, il m'aurait été agréable de vous donner la parole pour
répondre aux différents orateurs, mais les contraintes horaires que vous
connaissez m'obligent à reporter votre intervention à cet après-midi après les
questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quinze
heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)