SEANCE DU 29 MARS 2001
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
Avant de donner la parole à M. Charasse, je souhaiterais vous demander, madame
le garde des sceaux, de bien vouloir rester parmi nous pour écouter notre
collègue.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, mes chers collègues, mon rappel au règlement est fondé
sur les articles 10 et 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, sur l'article 68 de
la Constitution, sur la décision du Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999
et sur une réponse du garde des sceaux à une question écrite n° 12746 que je
lui avais posée, réponse publiée au
Journal officiel
du Sénat du 7 mars
1996.
La presse nous apprend qu'un juge d'instruction aurait envoyé au Président de
la République une convocation en qualité de témoin, en assortissant cette
convocation de la menace des sanctions prévues par la loi en cas de refus de
témoigner.
Si la question de savoir si un juge de base a le droit de convoquer le
Président de la République comme simple témoin - à mon avis, oui, car rien ne
l'interdit formellement nulle part - ne concerne pas le Parlement et relève
d'un autre débat, il n'en va pas de même, monsieur le président, des menaces
dont le juge a assorti sa convocation.
En effet, selon l'article 68 de la Constitution, éclairé par la décision du
Conseil constitutionnel du 22 janvier 1999, aucune peine de quelque nature que
ce soit ne peut être infligée au Président de la République si elle n'émane pas
de la Haute Cour de justice. Or la menace d'arrestation du Président de la
République, mesure privative de liberté, et la menace d'amende sont des
sanctions pénales qui ne peuvent relever et émaner que de la Haute Cour de
justice.
Or, mes chers collègues, je rappelle que la Haute Cour de justice ne peut être
mise en marche, c'est-à-dire la procédure pénale visant le Président de la
République, que par un vote conjoint des deux assemblées, et par personne
d'autre.
Le fait qu'un juge de base menace, pour poursuivre le Président de la
République, de substituer sa propre appréciation à celle qui relève des seuls
représentants du peuple et de se substituer aux députés et sénateurs membres de
la Haute Cour de justice pour sanctionner le Président de la République
constitue à l'évidence une violation de la Constitution et plus
particulièrement du principe de la séparation des pouvoirs inscrit dans la
Déclaration de 1789, qualifiée de forfaiture par les articles de la loi des 16
et 24 août 1790 que je viens de citer.
M. Jacques Bellanger.
Très bien !
M. Michel Charasse.
Mes chers collègues, l'équilibre des pouvoirs, le respect des règles et du
principe selon lequel une simple autorité, l'autorité judiciaire en l'espèce,
ne saurait se substituer aux pouvoirs élus, qui sont en France les seuls
légitimes et les seuls détenteurs de la souveraineté, les devoirs qui sont les
nôtres pour défendre la Constitution et les prérogatives du Parlement ne
permettent pas de fermer les yeux sur l'acte accompli par un agent public, qui
constitue une agression sans précédent contre les pouvoirs élus, Président de
la République et Parlement.
M. Jacques Oudin.
Bravo !
M. Michel Charasse.
Je demande donc à M. le président du Sénat de bien vouloir réunir le bureau
pour examiner la situation ainsi créée. Que certains juges cherchent à
ridiculiser leur fonction et la justice, c'est leur affaire, même si c'est
grave pour la République. Mais qu'ils cherchent à empiéter sur les pouvoirs
élus, alors, c'est inacceptable, et le Parlement ne peut pas l'accepter !
Notre bureau devrait donc demander au garde des sceaux ce qu'il compte faire -
c'est un hasard qu'il soit là, car il n'est pas concerné, en principe, par un
rappel au règlement, mais il prend la parole quand il le demande ! - pour que
cette grave affaire ne reste pas sans suite disciplinaire, conformément à la
réponse du 7 mars 1996 qui m'a été adressée par le prédécesseur de l'actuel
garde des sceaux, et que je vous lis - elle est brève :
« Le garde des sceaux a l'honneur de faire connaître à l'honorable
parlementaire que les dispositions de l'ancien code pénal réprimant les
empiètements de l'autorité judiciaire sur les pouvoirs législatif et exécutif
et ceux de l'administration sur le pouvoir législatif et l'autorité judiciaire,
et qui étaient qualifiés de crime de forfaiture, n'ont effectivement pas été
reprises dans le livre IV du nouveau code pénal consacré aux crimes et délits
contre la nation, l'Etat et la paix publique. Ces dispositions, destinées à
protéger le principe de la séparation des pouvoirs établi par la Révolution,
n'avaient jamais donné lieu à condamnation depuis leur promulgation et sont
apparues totalement archaïques. Comme l'indiquait en particulier le rapport de
la commission des lois du Sénat lors des travaux préparatoires du nouveau code
pénal, si de telles dispositions paraissaient se justifier à l'origine pour
affermir un des principes fondateurs du nouveau régime, leur maintien n'était
plus nécessaire. Toutefois, le non-respect de ces règles de la séparation des
pouvoirs par des juges ferait l'objet de poursuites disciplinaires, fondées
notamment sur les articles 10 et 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 sur
l'organisation judiciaire. »
Je souhaite donc que le bureau du Sénat réagisse pour que l'on comprenne dans
les tribunaux que notre assemblée n'est pas prête à remettre la République
entre les mains de personnages illégitimes qui feraient mieux d'analyser avec
soin les votes des Français ces dernières semaines en ce qui concerne les élus
poursuivis ou condamnés. Car tous, sauf un, ont trouvé dans les procédures et
arrêts de justice les concernant une nouvelle jeunesse électorale !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Monsieur Charasse, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
Je me suis permis de demander à Mme le garde des sceaux de rester en séance
pour écouter votre rappel au règlement, bien qu'elle ne soit pas directement
concernée...
M. Jacques Oudin.
Tout de même un peu !
M. Robert Del Picchia.
C'est « Franco-just » !
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