SEANCE DU 28 MARS 2001
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M.
Machet, pour explication de vote.
M. Jacques Machet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, madame la
secrétaire d'Etat, au terme de cette première lecture, notre Haute Assemblée
peut s'honorer d'avoir adopté des modifications qui conservent l'équilibre et
la logique de la loi Veil de 1975.
Pourtant, il nous faut résoudre un véritable cas de conscience : d'une part,
on ne peut tolérer que l'avortement soit « banalisé » ; d'autre part, il est
impensable de laisser des jeunes filles, qui plus est mineures, en situation de
détresse.
C'est pourquoi, compte tenu de l'enjeu éthique majeur de ce texte, il nous
semble regrettable de devoir l'examiner au lendemain d'une déclaration
d'urgence, quand il eût nécessité une réflexion approfondie.
Par ailleurs, l'expression « IVG et contraception » devrait être inversée
afin de présenter l'IVG comme un échec de la contraception et non comme un
simple moyen d'interrompre sa grossesse.
Aujourd'hui, faute d'une politique d'information efficace et de structures
d'accueil suffisantes, nous sommes au regret de constater que les lois Veil et
Neuwirth n'empêchent pas l'existence de 200 000 avortements par an, dont une
bonne partie, il faut bien l'avouer, ne se fait pas dans une situation de
détresse extrême.
J'ai été, pendant de nombreuses années, personnellement chargé de rapporter
les projets et propositions de loi liés à la famille, cellule de base de notre
société et valeur qui a motivé tout mon parcours politique. C'est dans la
volonté suprême de préserver le statut de la famille que, avec les membres de
l'Union centriste et la commission des affaires sociales, nous avons rectifié
un certain nombre de points.
Premièrement, il est préférable d'améliorer de façon significative les
conditions d'accueil dans les centres d'orthogénie actuels plutôt que de
prolonger le délai d'avortement, car cela ne règle pas le problème des 3 000
femmes qui avortent à l'étranger et qui sont enceintes de plus de douze
semaines.
Deuxièmement, si nous avons accepté l'aménagement de l'autorisation parentale,
c'est uniquement pour remédier aux cas les plus graves, notamment celui des
victimes de viol et d'inceste. Le recours à un adulte référent est inutile pour
les jeunes filles qui peuvent se confier à leur famille, dialoguer avec elle,
sans autre risque que celui d'être aidées ou, au pire, réprimandées. Dans la
majorité de ces cas, le recours à un tiers « court-circuite » le lien de
famille.
Troisièmement, l'entretien préalable doit être maintenu. S'entretenir avec un
médecin, une assistante sociale ou une psychologue est une façon de devenir
responsable de ses actes. Soyons honnêtes : ce n'est pas parler qui est
traumatisant, c'est être enceinte contre son gré.
Quatrièmement, la possibilité d'avorter ne doit pas occulter celle de garder
l'enfant. Ce droit à la vie est menacé lorsqu'on supprime du dossier guide, la
possibilité de poursuivre sa grossesse. Les femmes doivent impérativement
savoir que l'Etat les soutient dans leur démarche, quelle que soit la forme que
celle-ci revêt.
Cinquièmement, enfin, le suivi médical de la contraception semble
indispensable pour la protection de la santé des femmes et pour la prévention
de l'IVG.
A la lumière de ces différentes réflexions, mes collègues du groupe de l'Union
centriste et moi-même allons donc voter le texte amendé par la majorité
sénatoriale.
Je tiens à rendre un hommage tout particulier à notre excellent rapporteur,
Francis Girard, qui a su, avec beaucoup de lucidité, empreinte par moment de
l'espérance si nécessaire à ce débat, proposer à notre Haute Assemblée un texte
susceptible à la fois de préserver les valeurs auxquelles nous sommes attachés
et d'assurer la protection des femmes en détresse.
(Vifs applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Campion.
Mme Claire-Lise Campion.
A nos yeux, le projet de loi tel qu'il nous a été transmis par l'Assemblée
nationale constitue un texte majeur pour notre société, respectant l'esprit de
la loi Veil et prévoyant une extension du droit des femmes à l'IVG.
C'est un texte très attendu par les femmes et par les associations qui les
représentent, bien sûr, mais aussi par le milieu médical lui-même. D'où notre
regret de constater que la majorité sénatoriale n'a pas entendu ces attentes
fortes et qu'elle a profondément modifié ce texte dans un sens restrictif.
Le seul point d'accord que nous puissions relever concerne l'importance à
accorder à l'éducation à la sexualité.
Nous comptons maintenant sur nos collègues de l'Assemblée nationale pour
rétablir ce texte dans son intégralité.
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, parvenus au terme de nos débats, nous ne pouvons que
constater, avec regret, que l'esprit constructif et novateur du texte issu des
travaux de l'Assemblée nationale a été très largement dénaturé par la majorité
sénatoriale lors de l'examen du projet de loi par la Haute Assemblée.
Nos collègues ont réagi comme si aucun constat social n'avait été dressé,
comme si aucune évolution des mentalités ni aucun progrès médical n'était
intervenu depuis le vote de la loi Veil en 1975. Un quart de siècle plus tard,
les pesanteurs idéologiques sévissent encore.
Nous ne pouvons pas non plus accepter que l'on insinue que l'existence de plus
de 200 000 IVG par an soit l'expression d'un échec de la loi, car celle-ci, il
faut s'en souvenir, a constitué un immense progrès pour la santé publique et
pour les libertés individuelles. Bien entendu, ce n'est pas vraiment une
surprise, puisque, sur tous les points essentiels du texte, la presse avait
relaté avant même la tenue de nos débat le refus de la majorité sénatoriale de
toute amélioration des textes en vigueur.
Ce refus a porté plus particulièrement sur l'allongement du délai légal pour
une IVG, qui avait été porté de dix à douze semaines de grossesse, mais aussi
sur l'aménagement de l'obligation de l'autorisation parentale pour les mineures
demandant une IVG, sur la suppression de l'autorisation parentale pour la
délivrance de la contraception aux mineures, enfin sur la suppression pour les
femmes majeures, du caractère obligatoire, de l'entretien social préalable à
une IVG.
Ainsi, toutes ces avancées ont été combattues par la majorité de la commission
des affaires sociales et par notre assemblée.
Celle-ci, en effet, a préféré élaborer un contre-projet certes cohérent, mais
qui témoigne d'une vision négative de l'évolution du droit des femmes à la
maîtrise de leur fécondité, vision que nous ne partageons pas.
Chaque fois que le projet de loi donnait une plus grande liberté aux femmes et
permettait un plus grand respect de leur choix, la majorité sénatoriale a
répondu par des mesures visant à augmenter les contraintes, voire à dissuader
les femmes de recourir à l'IVG, ou, pis encore, à les culpabiliser.
Les positions de la majorité sénatoriale ne visent qu'à restreindre le libre
arbitre des femmes au profit d'un plus grand pouvoir de décision du milieu
médical et d'une série de contraintes pesant sur leur liberté de décision.
Nos collègues ont eu bien du mal à cacher leurs réticences d'ordre moral à ce
projet de loi, en essayant notamment de s'abriter derrière une prétendue
augmentation des risques médicaux qui découlerait de l'allongement du délai
légal pour l'IVG.
Ce sont deux logiques, deux conceptions radicalement différentes de la
reconnaissance du droit des femmes à maîtriser leur fécondité qui
s'opposent.
Pour notre part, nous avons apporté notre contribution au débat en essayant
d'améliorer le texte sur des points importants tels que le renforcement de
l'éducation et de l'information relatives à la sexualité ou l'exigence d'une
meilleure prise en charge de la contraception par la protection sociale.
Nos amendements allaient dans le sens d'une reconnaissance plus large du droit
des femmes à disposer de leur coprs et à choisir librement le moment de leur
maternité. Ils n'ont malheureusement pas été retenus.
Je ne reviendrai pas sur les divergences qui nous séparent de la majorité
sénatoriale à propos de la nécessaire évolution des lois Neuwirth et Veil.
Il me semble que le Sénat a perdu une bonne occasion de prendre la mesure de
la détresse de trop nombreuses femmes confrontées à une IVG.
Le projet de loi issu des travaux de l'Assemblée nationale présentait de
nombreuses avancées dans la reconnaissance du droit à la contraception et à
l'IVG.
L'avancée sociale introduite par l'allongement de délai légal de deux semaines
représente une prise en compte des difficultés rencontrées par des milliers de
femmes ; M. Kouchner l'a rappelé lors de nos débats quand il a explicité le
sens du mot « progrès ». Cette mesure est nécessaire et permet de répondre
humainement à la détresse de la majorité des 5 000 femmes qui sont, chaque
année, rappelons-le, obligées de se rendre à l'étranger pour une IVG parce que,
pour toute une série de raisons, elles ont dépassé le délai légal en vigueur
dans notre pays.
Le Sénat a refusé de s'inscrire dans cette démarche, préférant, plutôt que
d'opposer des arguments, suspecter le Gouvernement de céder aux pressions
féministes. C'est regrettable.
Je pense en effet qu'il est des moments où, dans l'intérêt des femmes et, plus
largement, dans l'intérêt de la société, il est nécessaire de passer outre les
positions idéologiques qui ont trop largement sous-tendu nombre de propos
entendus sur certaines travées de notre assemblée.
Nous ne pouvons donc pas voter ce texte en l'état, et nous comptons sur nos
collègues députés pour rétablir dans leur intégralité les avancées proposées
par le projet de loi initial, en incorporant les quelques progrès qui ont pu
être obtenus au cours du débat au Sénat. En effet, la commission mixte
paritaire, prévue le 4 avril prochain, ne nous semble pas pouvoir se conclure
par un texte consensuel.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui soulève des
questions délicates et prétend trouver des solutions à des situations humaines
douloureuses.
On ne peut donc que s'insurger contre la déclaration d'urgence faite par le
Gouvernement sur un sujet de société qui aurait nécessité un dialogue riche et
une réflexion nourrie entre les deux assemblées. Cette urgence dont on se sert
beaucoup trop est bien fâcheuse pour l'évolution des débats et leur
approfondissement, surtout sur un tel sujet.
Cette observation faite, je souhaite apporter mon entier soutien au travail
réalisé par notre rapporteur pour amender le texte qui nous est proposé. Il l'a
mené avec l'humanité du médecin et le pragmatisme du sage. Cela a évité
l'impasse dans laquelle nous conduisait le texte adopté par l'Assemblée
nationale.
Pour s'en tenir aux points essentiels, il a parfaitement démontré que
l'allongement du délai légal de l'IVG était une fuite en avant qui ne faisait
que déplacer les frontières de l'échec, échec qui est de plus en plus
douloureux et de plus en plus difficile à assumer au fur et à mesure que le
temps passe et qui, de ce fait, laisse de plus en plus de traces.
Malheureusement, les femmes qui tardent à prendre cette décision douloureuse
risquent d'attendre davantage encore pour le faire, puisque, justement, pour
différentes raisons, elles n'y arrivent pas.
Certes, il est beaucoup plus facile de faire voter un texte par une majorité
toujours soucieuse d'être à l'avant-garde d'une idéologie libertaire
déconnectée des réalités et des contraintes contradictoires de la vie que de
mettre en place concrètement les moyens nécessaires au bon fonctionnement du
service public de l'IVG et d'assurer la politique d'éducation sexuelle et
d'information sur la contraception que nous avons tous réclamée ce soir.
Tous les témoignages concordent pour constater l'insuffisance du nombre de
centres de planification familiale et leur inaccessibilité, pour constater
également la pénurie de médecins, notamment de spécialistes en gynécologie
médicale depuis la disparition de cette formation.
Rien ne sert de voter un nouveau texte si, une fois de plus, les moyens de sa
mise en oeuvre font défaut. C'est bien sûr ce qui nous inquiète.
Le rapporteur observe à juste titre que, au-delà de dix semaines, toute
situation de détresse peut être prise en charge dans le cadre de l'interruption
médicale de grossesse, dont il faudrait sans doute ouvrir davantage les
portes.
Le deuxième point capital réside dans le maintien du caractère obligatoire de
l'entretien social préalable. La relation humaine, non médicale, entre des
conseillers ou des conseillères spécialement formés, un moment d'écoute et de
réflexion, ne peuvent constituer une atteinte à la liberté. La véritable
liberté suppose l'information, alors que la détresse a le plus souvent pour
causes la solitude et l'ignorance.
La solitude n'est pas assez évoquée, alors qu'elle pèse très lourdement dans
les drames, dont elle accentue la douleur. Même si nous disposons d'un moyen
mécanique pour régler le problème, moyen qu'il faut sans doute utiliser dans un
certain nombre de cas, n'oublions pas que, au moins pour certaines personnes,
une telle démarche ne supprime pas la profonde détresse dans laquelle elles se
trouvent.
Ce n'est pas parce que, en quelques endroits, l'entretien a lieu dans de
mauvaises conditions qu'il faut le supprimer. Il vaut mieux accepter le refus
de s'exprimer que manifestent certaines femmes et ne pas laisser s'échapper une
seule chance d'aider à faire un choix et à passer un cap difficile celles qui
en ont le plus besoin ; or, ce sont celles qui le demandent le moins, parce
que, précisément, elles ne savent pas comment faire.
Le troisième point posant un grave problème est celui des conditions dans
lesquelles les mineures peuvent avoir accès à l'IVG.
La dispense d'autorisation parentale est une dérogation lourde de
conséquences. Cependant, la commission en a accepté le principe, puisqu'il
s'avère que cette autorisation est parfois impossible à obtenir.
Dans l'intérêt même des jeunes filles, il est évident que de sérieuses
garanties doivent entourer cette dérogation, notamment le choix et la
responsabilité du « référent ». Comme le rapporteur, j'aurais préféré que ce
soit non pas n'importe qui, mais une personne qualifiée.
Enfin, comme le rapporteur, je déplore que l'Assemblée nationale ait introduit
dans ce texte, par voie d'amendement, un article relatif à la stérilisation à
visée contraceptive. Cet acte, extrêmement grave parce qu'il est irréversible,
méritait un véritable débat, nous en sommes convenus. Il est fâcheux que
celui-ci n'ait pas eu lieu avant. Le cadre légal donné par la commission
constitue un moindre mal. Il permettra de protéger la santé des personnes et
d'éviter que des excès ne puissent être commis.
Aussi, sous le bénéfice de ces quelques observations, après avoir voté les
amendements de la commission, je voterai le texte issu des travaux du Sénat.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste
républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Nombre de votants | 318 |
Nombre de suffrages exprimés | 317 |
Majorité absolue des suffrages | 159 |
Pour l'adoption | 215 |
Contre | 102 |
6