SEANCE DU 28 MARS 2001
M. le président.
« Art. 20. - Après l'article L. 2123-1 du même code, il est inséré un article
L. 2123-2 ainsi rédigé :
«
Art. L. 2123-2
. - La ligature des trompes ou des canaux déférents à
visée contraceptive ne peut être pratiquée sur une personne mineure. Elle ne
peut être pratiquée sur une personne handicapée mentale, majeure sous tutelle,
que lorsqu'il existe une contre-indication médicale absolue aux méthodes de
contraception ou une impossibilité avérée de les mettre en oeuvre
efficacement.
« Si la personne concernée est apte à exprimer sa volonté et à participer à la
décision, son consentement doit être systématiquement recherché et pris en
compte après que lui a été donnée une information adaptée à son degré de
compréhension.
« L'intervention est subordonnée à une décision du juge des tutelles qui se
prononce après avoir entendu les parents ou le représentant légal de la
personne concernée ainsi que toute personne dont l'audition lui paraît utile et
après avoir recueilli l'avis d'un comité d'experts.
« Ce comité, composé notamment de personnes qualifiées sur le plan médical et
de représentants d'associations de handicapés, apprécie la justification
médicale de l'intervention, ses risques ainsi que les conséquences normalement
prévisibles sur les plans physique et psychologique.
« Un décret en Conseil d'Etat définit les conditions d'application du présent
article. »
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 74 est présenté par Mmes Campion, Dieulangard et les membres
du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 79 est déposé par M. Seillier.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
Par amendement n° 22, M. Francis Giraud, au nom de la commission, propose de
rédiger comme suit le texte présenté par cet article pour l'article L. 2123-2
du code de la santé publique :
«
Art. L. 2123-2.
- La ligature des trompes ou des canaux déférents à
visée contraceptive ne peut être pratiquée sur une personne majeure sous
tutelle que lorsqu'il existe une contre-indication médicale absolue aux
méthodes de contraception ou une impossibilité avérée de les mettre en oeuvre
efficacement.
« Elle ne peut être pratiquée qu'à la demande des parents ou du représentant
légal de la personne concernée.
« Si la personne concernée est apte à exprimer sa volonté, son consentement
doit être systématiquement recherché. Il ne peut être passé outre à son refus
ou à la révocation de son consentement.
« L'intervention est subordonnée à une décision du juge des tutelles, qui se
prononce après avoir entendu les parents ou le représentant légal de la
personne concernée ainsi que toute personne dont l'audition lui paraît utile,
et après avoir recueilli l'avis d'un comité d'experts.
« Ce comité, composé notamment de personnes qualifiées sur le plan médical et
de représentants d'associations de personnes handicapées, apprécie la
justification médicale de l'intervention, ses risques ainsi que ses
conséquences normalement prévisibles sur les plans physique et
psychologique.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent
article. »
La parole est à Mme Dieulangard, pour présenter l'amendement n° 74.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
L'article 20, qui traite d'un sujet particulièrement délicat, a été introduit
dans le texte par l'Assemblée nationale. Il soulève un vrai problème, mais
apporte-t-il de bonnes réponses ? Je le crois, au moins particulièrement, car
il tend à laisser la personne handicapée mentale dans le droit commun et il
légifère sur l'entourage de celle-ci. Il faut en effet veiller aux intérêts de
la personne handicapée mentale. Des améliorations peuvent toujours être
apportées.
En tout cas, ce texte soulève beaucoup d'inquiétudes. Il est primordial de
permettre à toutes celles et à tous ceux qu'il interpelle de se saisir des
termes du débat qu'il pose. Ce débat doit être public et le plus large
possible.
L'immense mérite de l'article 20 est d'ouvrir ce débat, mais il serait dommage
qu'il le referme aussitôt. C'est pourquoi nous souhaitons surseoir à son
examen, notamment parce que d'autres questions apparaissent en filigrane, comme
celle des moyens matériels et juridiques que la société est capable de fournir
à l'entourage de la personne, au sens le plus large du terme, afin que soit
accompagnée la sexualité des personnes handicapées mentales et la potientialité
de la parentalité.
M. le président.
La parole est à M. Seillier, pour présenter l'amendement n° 79.
M. Bernard Seillier.
L'article 20, que je propose de supprimer, encadre la pratique de la
stérilisation à visée contraceptive des personnes incapables majeures.
Il s'agit d'un article additionnel, qui résulte d'un amendement présenté par
le Gouvernement.
Le motif invoqué à l'Assemblée nationale repose sur le fait que des
stérilisations à visée contraceptive sur des personnes handicapées sont déjà
pratiquées aujourd'hui en France sans aucun encadrement ni aucune garantie
éthique. Il a donc été estimé nécessaire de mettre en place un encadrement
permettant de respecter les droits fondamentaux de la personne handicapée.
La commission des affaires sociales du Sénat, compte tenu du fait que cette
pratique existe et se déroule hors de tout cadre légal et réglementaire, a jugé
nécessaire d'élaborer un cadre législatif adapté, qui permette de protéger
efficacement les droits des personnes handicapées concernées. Elle propose,
tout en reprenant la procédure prévue par l'Assemblée nationale, de renforcer
la protection et les garanties dont bénéficient les personnes majeures
incapables.
Cette question demeure toutefois trop grave pour être traitée par la voie d'un
amendement introduit dans un projet de loi de manière précitée et sans qu'elle
ait fait l'objet d'un débat avec les associations représentatives des personnes
handicapées.
La personne handicapée étant un sujet de droit à part entière, elle doit
pouvoir s'exprimer préalablement, soit directement, soit par l'intermédiaire
des associations qui la représentent, sur une question qui met en jeu des
aspects essentiels de son existence. Il est donc indispensable que soit
organisé un débat public préalable à la mise en oeuvre de toute disposition
législative à ce sujet, qui permette de réunir les conditions d'une
confrontation sérieuse autour des enjeux et des risques de dérive qu'elle
engendre.
En effet, la stérilisation à visée contraceptive des personnes incapables
majeures risque de déboucher sur un processus dont on n'a pas exploré la
dynamique propre. Elle peut en effet engendrer dans la société un mouvement
incontrôlé, qui soit à l'opposé de l'objectif recherché. Ce dernier vise à
encadrer des pratiques qui sont rares, mais risque d'aboutir sans le vouloir
expressément à une organisation systématique de la non-fécondité des personnes
handicapées, impossible
a posteriori
à distinguer d'une politique
systématiquement et délibérément eugéniste.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 22.
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Dans ce sujet aussi délicat, il nous a semblé que le débat
public avait été insuffisant et qu'il était difficile de prendre une décision
en l'état.
La commission a fait un travail d'amélioration du texte de l'Assemblée
nationale. Mais, si le Gouvernement acceptait les amendements présentés par Mme
Dieulangard, d'une part, et par M. Seillier, d'autre part, qui visent tous deux
à supprimer l'article, elle retirerait le sien.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 74 et 79 ?
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
En effet, cet article a soulevé l'émotion, et une
discussion s'est instaurée. Je comprends très bien que les avis sur un sujet
aussi délicat soient partagés, et il convient de les présenter avec mesure,
comme c'est le cas ce soir.
Je regrette de ne pouvoir être favorable à l'amendement n° 74, présenté par
Mmes Campion et Dieulangard. Je suis très sensible à leurs préoccupations,
mais, même si le problème de la stérilisation des personnes handicapées
mentales pose des problèmes tant éthiques que juridiques, le Gouvernement pense
que l'article 20 encadre véritablement les conditions dans lesquelles ces
personnes sous tutelle peuvent accéder à la stérilisation à visée contraceptive
; d'ailleurs, la commission a proposé un amendement pour renforcer ces
garanties.
De plus, l'intervention du juge des tutelles qui, seul, peut autoriser cet
acte permet de s'assurer du consentement de la personne ou au contraire de son
refus et de la réalité des conditions d'impossibilité éventuelles.
Cet article, qui reconnaît aux personnes handicapées mentales sous tutelle un
droit à la sexualité, doit s'apprécier au regard de l'amendement déposé par
vous-mêmes, mesdames, auquel le Gouvernement a souscrit et qui traitait de
l'éducation à la sexualité des personnes atteintes de troubles mentaux.
Je sais que le sujet est difficile. Mais, je le répète, j'ai le sentiment - je
ne crois pas me tromper - que l'encadrement envisagé est vraiement très
solide.
M. le président.
Monsieur le rapporteur, vous avez entendu M. le ministre : que décidez-vous
?
M. Francis Giraud,
rapporteur.
Monsieur le président, je vais défendre l'amendement n°
22.
L'article 20 traite du douloureux problème de la stérilisation des personnes
handicapées mentales.
A l'évidence, et ce serait une hypocrisie de le nier, cette pratique existe et
se déroule hors de tout cadre légal et réglementaire. C'est la raison pour
laquelle la commission juge nécessaire d'élaborer un cadre législatif adapté
qui permette de protéger efficacement les droits des personnes handicapées
concernées.
Elle vous propose de reprendre la procédure prévue par l'Assemblée nationale
en renforçant cependant la protection et les garanties dont bénéficient les
majeures incapable.
Elle vous propose donc d'adopter un amendement visant : premièrement, à
supprimer la référence à la personne « handicapée mentale », qui ne fait
l'objet d'aucune définition juridique ; deuxièmement, à prévoir que la
stérilisation ne peut être pratiquée qu'à la demande des parents ou du
représentant légal de la personne concernée, le texte adopté par l'Assemblée
nationale ne mentionnant paradoxalement pas qui est à l'origine de la demande
de stérilisation ; troisièmement, à préciser que, si la personne concernée est
apte à exprimer sa volonté, son consentement doit être systématiquement
recherché et qu'il ne peut être passé outre à son refus ou à la révocation de
son consentement.
Cette rédaction vise à offrir aux majeurs sous protection des garanties afin
de s'assurer que leur volonté, s'ils peuvent l'exprimer, soit respectée et que,
à défaut, la décision soit prise en connaissance de cause. Elle est en cela
conforme au principe 22-2 de la recommandation du Conseil de l'Europe du 23
février 1999, qui exige que, lorsque des textes autorisent une intervention
médicale sur un majeur protégé sans bénéfice direct pour celui-ci, une
protection accrue soit prévue pour limiter les risques d'abus et
d'irrégularités.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 22 ?
M. Bernard Kouchner,
ministre délégué.
Je partage avec la commission le souci de renforcer la
protection et les garanties dont doivent bénéficier les majeurs incapables -
pardon pour le mot : « incapable ».
Je me souviens d'avoir pris connaissance avec effroi, dans le rapport que
j'avais demandé moi-même à Mme Strohl, des conditions dans lesquelles les
pratiques de stérilisation se déroulent. Ces conditions ne sont pas acceptables
et je rends hommage aux associations avec lesquelles j'ai beaucoup travaillé
sur ce point.
En tout cas, il me paraît nécessaire de préciser qui peut saisir le juge qui
aura à statuer sur la stérilisation. La limitation aux parents et au
représentant légal de la personne concernée me paraît devoir être retenue.
De même, préciser qu'il ne peut être passé outre au refus ou à la révocation
du consentement exprimé par la personne protégée me semble constituer une
garantie supplémentaire nécessaire.
Ces deux ajouts répondent d'ailleurs également aux préoccupations des
magistrats. L'association des juges d'instance s'est exprimée en ce sens après
le vote du texte par l'Assemblée nationale. Elle a souhaité, au demeurant, que
l'audition de la personne protégée soit explicitement prévue par le texte.
Le Gouvernement est toutefois très réservé quant à la suppression de la notion
de handicap mental. Certes, il ne s'agit pas d'une notion juridique, mais il en
est fait mention dans certains textes de loi, à propos de l'organisation de la
prise en charge des personnes concernées - je pense à la loi de 1975 sur les
institutions médico-sociales - ou lorsqu'il s'agit de définir une incapacité
ouvrant droit aux prestations sociales.
Le Gouvernement attire toutefois votre attention sur le fait que toutes les
personnes majeures placées sous tutelle ne sont pas handicapées mentales et que
toutes les personnes handicapées mentales ne sont pas sous tutelle.
En conséquence, le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président.
Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 74 et 79.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Il doit être bien clair que notre proposition de suppression de l'article 20
ne vise qu'à surseoir à l'examen de cette disposition : elle ne signifie
aucunement que nous ne souhaitons pas voir intervenir une législation sur la
stérilisation des personnes handicapées majeures sous tutelle. Nous pensons
même que cet article 20 prévoit un encadrement intéressant, mais qu'il n'est
pas suffisant.
Il nous semble préférable d'attendre qu'un débat public ait été organisé sur
cette question avant que nous puissions légiférer à son sujet, étant entendu
que vont nous être prochainement proposés des textes qui pourraient tout à fait
accueillir cette législation sur la stérilisation des personnes handicapées
majeures.
M. Bernard Seillier.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier.
Ma position est tout à fait parallèle à celle qui vient d'être exposée.
Le sujet est suffisamment grave pour mériter qu'on y réfléchisse de manière
plus approfondie. C'est aussi une question de considération à l'égard des
associations de handicapés et de parents de handicapés. Il est vrai qu'elles ne
sont pas toutes d'accord entre elles. Il reste que nombre d'entre elles n'ont
pas été consultées.
Travaillant actuellement sur d'autres textes à caractère social, notamment le
projet de loi de modernisation sociale, je suis amené à rencontrer des
associations de handicapés ou de parents de handicapés. Plusieurs d'entre elles
m'ont fait part de leur émoi sur cette affaire. C'est pourquoi je pense qu'il
convient de différer l'examen de ce sujet, ce qui nous permettra de procéder à
des consultations complémentaires avant de légiférer.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 74 et 79, repoussés par la
commission et par le Gouvernement.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 22.
M. Bernard Seillier.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier.
Le souci d'entendre les parents relève indiscutablement des meilleures
intentions, mais je crains que nous ne soyons une fois de plus amenés à
constater que le mieux est l'ennemi du bien.
D'après ce que l'on peut observer dans les établissements, les parents sont
sans aucun doute ceux qui redoutent le plus la grossesse de leur fille et ils
risquent fort d'être les premiers à demander la stérilisation systématique. La
réalité est ainsi !
C'est pourquoi je pense qu'il faut vraiment réfléchir plus avant, et je ne
peux pas voter cet amendement dans sa forme actuelle.
Mme Odette Terrade.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
Nous avons, nous aussi, reçu de nombreux courriers demandant un débat plus
large sur cette question éminemment sensible de la stérilisation à visée
contraceptive des personnes handicapées mentales majeures.
Cela étant, ce texte a le mérite de poser dès aujourd'hui un cadre juridique,
fût-il incomplet et susceptible d'être amélioré. En tout cas, il permet de
combler un vide qui laisse actuellement trop souvent le médecin seul face à
cette lourde responsabilité. Comme nous l'ont dit certains professionnels que
nous avons entendus, ils travaillent en quelque sorte « sans filet ».
C'est pourquoi nous partageons l'avis du Gouvernement.
Nous sommes d'accord sur le fait que cette stérilisation ne puisse être
pratiquée qu'à la demande des parents ou du représentant légal de la personne
concernée et sur le fait que l'on ne puisse passer outre le refus ou la
révocation du consentement de cette dernière.
En revanche, nous sommes réservés quant à l'application de cette mesure aux
personnes majeures sous tutelle. Comme je l'ai déjà dit, l'expression «
handicapé mental » recouvre une très grande diversité d'états. Il nous faudra
veiller à définir de façon plus précise cette notion, afin de rester dans
l'esprit du texte et de ne pas ouvrir la voie à une stérilisation concernant
tous les handicapés.
Nous voterons néanmoins cet amendement, en souhaitant que la rédaction soit
retravaillée, mais en ayant à l'esprit que ce texte a le mérite de poser les
premières bases d'un cadrage juridique.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 22, pour lequel le Gouvernement s'en remet à
la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 20, ainsi modifié.
(L'article 20 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 20