SEANCE DU 1ER FEVRIER 2001
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
- Suite de la discussion d'une proposition de loi organique déclarée
d'urgence (p.
1
).
Discussion générale
(suite)
: MM. Ambroise Dupont, Jean Chérioux,
Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens
combattants ; Jean-Pierre Schosteck, Christian Bonnet, rapporteur de la
commission des lois ; Jean Delaneau, François Trucy, Alain Hethener.
Suspension et reprise de la séance (p. 2 )
3.
Questions d'actualité au Gouvernement
(p.
3
).
M. le président.
politique du gouvernement
en matière de sécurité (p.
4
)
MM. Pierre Mauroy, Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement.
bagarres entre bandes
dans le quartier de la défense (p.
5
)
MM. Charles Ceccaldi-Raynaud, Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
attribution des licences umts (p. 6 )
MM. Pierre Laffitte, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.
grève à la société française
de production (sfp) (p.
7
)
M. Ivan Renar, Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication.
attribution des licences umts (p. 8 )
MM. Pierre Hérisson, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.
problèmes liés à la sécurité (p. 9 )
MM. James Bordas, Christian Paul, secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
éducation affective et sexuelle
en milieu scolaire (p.
10
)
MM. Bernard Seillier, Jack Lang, ministre de l'éducation nationale.
prestation dépendance (p. 11 )
Mme Dinah Derycke, M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville.
avenir des retraites (p. 12 )
MM. Alain Vasselle, Claude Bartolone, ministre délégué à la ville.
régime des aides aux associations (p. 13 )
MM. Rémi Herment, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.
Suspension et reprise de la séance (p. 14 )
4.
Modification de l'ordre du jour
(p.
15
).
5.
Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
- Suite de la discussion d'une proposition de loi organique déclarée
d'urgence (p.
16
).
Discussion générale
(suite)
: M. Laurent Béteille, Mme Paulette
Brisepierre, MM. Max Marest, Christian Bonnet, rapporteur de la commission des
lois ; Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement.
Clôture de la discussion générale.
Renvoi de la suite de la discussion.
6.
Décision du Conseil constitutionnel
(p.
17
).
7.
Dépôt d'un rapport d'information
(p.
18
).
8.
Ordre du jour
(p.
19
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à dix heures.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi
organique (n° 166, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, après
déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de
l'Assemblée nationale. [Rapport n° 186 (2000-2001).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Ambroise
Dupont.
M. Ambroise Dupont.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
voudrais tout d'abord rendre un hommage particulier au travail exceptionnel de
notre commission des lois et au remarquable rapport de notre collègue Christian
Bonnet, qui a fait une analyse très complète de cette proposition de loi,
soulignant en outre la volte-face du Gouvernement et la mauvaise manière faite
au Parlement.
Avec sa permission, j'en citerai un passage particulièrement éclairant :
« La conséquence du changement brutal et peu explicité d'orientation du
Gouvernement est l'obligation, pour les assemblées, de discuter dans la
précipitation d'un texte important.
« Certes, le Gouvernement s'abrite derrière une initiative parlementaire, mais
celle-ci lui permet surtout d'accélérer la procédure en évitant le passage du
texte devant le Conseil d'Etat et en conseil des ministres, ainsi que l'a
souligné M. Louis Favoreu, professeur de l'université d'Aix-Marseille III,
entendu par notre commission. »
Ne pensez-vous pas, monsieur le secrétaire d'Etat, que, compte tenu de
l'importance et des incidences de ce texte sur notre Constitution et touchant à
l'élection présidentielle, un projet de loi aurait été préférable à cette
proposition de loi organique dont l'objet est de modifier l'ordre des échéances
électorales de 2002 et qui a été adoptée par l'Assemblée nationale après
déclaration d'urgence ?
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'eût été plus convenable, en effet !
M. Ambroise Dupont.
De quelle urgence, mes chers collègues, de quelle préoccupation nationale peut
se prévaloir le Gouvenement pour nous faire examiner ce texte ?
M. Alain Gournac.
Aucune !
M. Ambroise Dupont.
C'est un mystère sur lequel personne, jusqu'à présent, n'a apporté le moindre
éclaircissement convaincant.
Quel décalage entre les préoccupations de nos concitoyens et le texte qui nous
occupe aujourd'hui !
Un sondage réalisé pour un grand quotidien du soir en vue des prochaines
élections municipales a cherché à mettre en lumière les principales
préoccupations de nos concitoyens. Il ressort de cette enquête que leur
première préoccupation concerne incontestablement la sécurité des personnes et
des biens, 56 % des sondés la plaçant en tête. Encore faut-il rappeler que ce
sondage a été effectué avant les agressions visant les convoyeurs de fonds,
avant celles qui se sont produites la semaine dernière dans les transports en
commun,...
M. Alain Gournac.
Des « incivilités », sans doute !
M. Ambroise Dupont.
... avant les affrontements entre deux cents à trois cents jeunes dans le
centre commercial de la Défense, samedi dernier, et aussi avant la publication
des chiffres officiels de la délinquance puisque cette publication ne doit
intervenir que demain ; mais nous savons déjà que ces chiffres ne sont pas bons
et que les statistiques font désormais apparaître une quatrième catégorie : les
« incivilités ».
Pour autant, il ne semble pas que le Gouvernement ait pris un plan d'extrême
urgence en la matière. Or le droit à la sécurité est bien la principale attente
de nos concitoyens et mériterait toute l'attention du Gouvernement,
Toujours selon le même sondage, l'intérêt des Français porte ensuite sur les
impôts locaux - pour 36 % -, les écoles - pour 33 % -, la circulation et le
stationnement - pour 31 % -, l'animation de la ville - pour 30 % -,
l'implantation de nouvelles entreprises - pour 30 % -, la pollution de l'air -
pour 27 % -, le logement - pour 17 % -, le espaces verts et les jardins - pour
16 % -, le commerce - pour 14 % -, etc.
Comme vous pouvez le constater, 70 % des Français s'intéressent avant tout à
ce qui les touche au quotidien. Votre gouvernement semble bien loin de leurs
préoccupations : les écoles, la ville, l'implantation des entreprises, la
pollution de l'air, le commerce... Répond-on bien à leurs attentes ?
Quant à la fiscalité, je me contenterai de rappeler un simple chiffre : la
pression fiscale a atteint en 1999 le record historique de 45,7 %.
Pendant ce temps-là, le Gouvernement se précipite pour faire voter un texte
qui préoccupe bien peu les Français mais l'intéresse au plus haut point
puisqu'il estime que son propre avenir est en jeu. Les Français ne sont pas
dupes, monsieur le secrétaire d'Etat, et ils jugent comme il convient la
politique du Gouvernement.
Ainsi, concernant le présent texte, plus de la moitié d'entre eux qualifient
de manoeuvre politique la proposition d'inversion du calendrier soutenue par le
Premier ministre.
A plusieurs reprises, le Président de la République a clairement pris position
sur cette question : « Les Français n'aiment pas que l'on modifie les règles du
jeu avant de jouer. Ils soupçonnent immédiatement les acteurs de vouloir
tricher, d'avoir des arrière-pensées politiques personnelles. »
M. Alain Gournac.
Et ils ont raison !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Ils sont intelligents, les Français !
M. Ambroise Dupont.
En tout cas, les faits donnent raison au Président de la République.
Mais ce qui me préoccupe, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est que, au-delà du
sentiment qu'ont nos concitoyens d'assister à des manipulations électorales -
et je pèse mes mots -, ils en viennent à considérer de façon beaucoup plus
large que la gestion de la France et la politique en général relèvent d'une
alchimie qu'ils ne comprennent pas : une dose d'intérêts personnels et de
savants calculs pour séduire l'électorat afin d'accéder aux fonctions et de
conserver la place.
Les affaires politico-financières ont jeté, ces vingt-cinq dernières années,
un lourd discrédit sur l'ensemble de la classe politique. Les électeurs ont
alors sérieusement commencé à se demander si l'intérêt personnel de l'élu ne
primait pas sur l'intérêt public et général. La participation de plus en plus
faible lors des derniers scrutins en est l'illustration la plus flagrante, et
c'est, me semble-t-il, très inquiétant.
Il est de notre devoir d'élu de redonner confiance aux électeurs, mais cette
confiance se mérite. Il s'agit non de mots ou de promesses, mais d'actes
concrets et de politique au sens noble du terme. Or, à mes yeux, avec l'actuel
débat sur l'inversion du calendrier électoral de 2002, le Gouvernement donne
très exactement l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire.
Nombre de nos collègues ont démontré de façon remarquable que ce débat était
biaisé non parce que le sujet n'est pas important - j'aurais même pu apporter
mon accord - mais parce qu'il est mal abordé. Nos concitoyens ne se sentent pas
concernés, et ils s'interrogent donc à juste titre sur les intérêts non avoués
de certains hommes politiques dans cette opération. Pourtant, vous n'en
persistez pas moins à vouloir faire passer ce texte en force.
Bien entendu, j'ai noté qu'il n'y a pas si longtemps le Premier ministre, le
ministre de l'intérieur et Mme Guigou tentaient de prendre en considération
cette appréciation des électeurs : les élections municipales et cantonales ne
sont pas loin ! Vos inquiétudes apparaissent de plus en plus. Vos
contradictions, elles, en tout cas, sont manifestes.
Ainsi, le Premier ministre n'a-t-il pas déclaré, lors de son intervention
télévisée du 19 octobre : « Toute initiative de ma part serait interprétée de
façon étroitement politique, voire politicienne. Mois, j'en resterai là, et il
faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent
être prises » ?
M. le ministre de l'intérieur, lors de la première lecture du projet de loi
organique modifiant la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du
Président de la République au suffrage universel, a tenu des propos
similaires.
Nous étions alors au mois d'octobre 2000, et c'est pour tenir compte de l'avis
défavorable de la commission des lois et du Gouvernement que l'amendement
tendant à proroger les pouvoirs de l'Assemblée nationale en 2002 afin de
modifier le calendrier électoral a été retiré par un des partenaires de la
majorité plurielle.
Rétrospectivement, on peut penser qu'engager à cette époque un débat sur le
calendrier électoral de 2002 eût permis de ne pas imposer au Parlement
l'actuelle marche forcée pour examiner une proposition de loi organique sur le
même sujet.
Qui n'a relevé, en outre, les propos de Mme Guigou estimant qu'il ne fallait
pas changer les règles du jeu juste avant l'élection car, chaque fois que cela
se produit, on peut être accusé de vouloir trafiquer...
M. Alain Gournac.
Ah ! Quelles belles paroles !
M. Ambroise Dupont.
... et qu'en conséquence il ne serait pas opportun de changer le calendrier
?
M. Jean-Pierre Schosteck.
Quelle lucidité !
M. Ambroise Dupont.
Comment ne pas évoquer, enfin, la dysharmonie régnant au sein de la majorité
gouvernementale, avec les vives oppositions exprimées par les autres acteurs de
la gauche plurielle, dont certains représentants demeurent toutefois au sein du
Gouvernement ?
Les membres du parti communiste sont farouchement contre un changement du
calendrier électoral de 2002, comme l'a affirmé avec force à cette tribune
notre collègue Robert Bret au nom des sénateurs communistes, en qualifiant le
débat de « mesure de circonstance ».
Les Verts, pour leur part, se sont d'abord indignés, puis ont marchandé leur
soutien contre une modification du mode de scrutin aux élections législatives,
dans le but d'instaurer un mode de scrutin mixte, moitié majoritaire, moitié
proportionnel. Les socialistes ayant jugé qu'une telle réforme n'était pas
réalisable avant les prochaines élections législatives, les Verts ont donc
également rejeté la réforme du calendrier.
A juste titre, ils se sont interrogés sur le fait que le Gouvernement trouve
le temps d'une modification de l'ordre des échéances électorales de 2002 mais
refuse la réforme du mode scrutin des élections législatives au motif que la
pratique veut que l'on n'entreprenne pas une telle réforme moins d'un an avant
l'échéance !
Chacun a sa façon de respecter les traditions... Le parti socialiste, lui, les
respecte d'autant mieux que cela l'arrange ! Dernier exemple en date : la
lettre adressée au Premier ministre ainsi qu'aux présidents du Sénat et de
l'Assemblée nationale, et communiquée à la presse le 20 janvier, par laquelle
quatorze euro-députés socialistes - et non des moindres - ont demandé au
Gouvernement de reporter les dispositions de la loi interdisant aux
parlementaires européens de cumuler leur mandat avec une fonction exécutive
locale.
Parmi les parlementaires cosignataires figurent ainsi les noms de M. Rocard,
ancien Premier ministre, de Mme Lienemann, ancienne ministre, et de Mme Berès,
présidente de la délégation socialiste française. Ces députés européens
réclament le report à « la prochaine élection européenne » en faisant valoir
que la « tradition » voudrait que de tels changements interviennent « à compter
du prochain renouvellement et non en cours de mandat ». Cela ouvre, me
semble-t-il, de nouveaux horizons !
Mais je reviens au fond du débat qui nous occupe. La question de savoir si
l'élection du Président de la République doit se dérouler avant les élections
législatives peut en effet être posées car c'est cette élection qui prime dans
l'organisation de nos institutions. En conséquence, les autres élections,
notamment les élections législatives, sont affectées, voire déterminées, par
son résultat.
Cependant, l'intérêt réel de la question a été détourné pour des raisons
politiciennes et occulté par la procédure suivie. Il émane de tout le processus
que je viens de décrire un sentiment de malaise : les contradictions sont trop
fortes entre ce que l'on nous dit et ce que l'on fait pour ne pas être
visibles.
Un seul accord semble réellement se faire jour : qualifier l'opération «
inversion du calendrier électoral » du Premier ministre de « mesure de
circonstance en vue de la prochaine élection présidentielle ». Et c'est bien là
le fond du problème !
L'unique explication du revirement brutal du Premier ministre, à cinq semaines
d'intervalle, sur la question du report des législatives après la
présidentielle doit en efffet être recherchée dans des calculs politiciens,
personnels et dans l'ambition du Premier ministre, qui n'a pas hésité à mettre
ses amis politiques eux-mêmes devant le fait accompli.
On a beau avancer aujourd'hui des arguments prétendument objectifs en faveur
de l'inversion du calendrier, l'attitude du Premier ministre ne s'explique donc
certainement pas uniquement par des motivations de droit, de clarté ou par l'«
esprit » de nos institutions.
Je suis d'autant plus circonspect que le scénario se répète : derrière le
discours officiel et les leçons de bonne conduite politique données par le
Premier ministre se cachent chaque fois des arrière-pensées électorales que
nous nous devons de dénoncer.
J'entends déjà certains dire : Mais pourquoi vous inquiétez-vous ? Le Conseil
constitutionnel sera obligatoirement saisi du texte - s'il est définitivement
adopté, bien sûr -...
M. Alain Gournac.
Pas tout de suite !
M. Ambroise Dupont.
... et, si vous avez raison et que les arguments juridiques en faveur de la
réforme font défaut, il ne le validera pas.
Plusieurs constitutionnalistes analysent en effet la situation ainsi. Parmi
ces derniers, Louis Favoreu, professeur d'université, que je citais au début de
mon propos, et également codirecteur de la
Revue française de droit
constitutionnel
, estime que le Conseil constitutionnel devrait, pour le
moins, « émettre de sérieuses réserves » sur le présent texte : lors de son
audition devant la commission des lois, il a fort bien montré que la réforme
allait à l'encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Evoquant les décisions du Conseil constitutionnel sur des reports de dates
d'élections rendues en 1990, en 1994 pour deux d'entre elles et en 1996, M.
Favoreu a souligné qu'elles concernaient la prorogation du mandat de membres
d'assemblées locales - à savoir les conseils municipaux et les conseils
généraux pour les trois premières décisions et, pour la dernière, une assemblée
territoriale d'outre-mer -, mais que les enseignements que l'on pouvait en
tirer s'appliquaient
a fortiori
à la prorogation du mandat de
l'Assemblée nationale.
C'est à juste titre, me semble-t-il, que le professeur Favoreu a observé que
le Conseil constitutionnel avait à chaque fois validé la démarche, tout en la
subordonnant au respect de conditions strictes, à savoir le caractère
exceptionnel et transitoire de la prorogation et l'existence d'une réelle
justification.
Parmi les motifs valables retenus par le Conseil, on peut citer les suivants :
favoriser la participation des électeurs, assurer la continuité de
l'administration départementale, éviter la concomitance des élections avec une
réforme sur le statut des élus ou permettre aux électeurs d'être mieux informés
des conséquences de leur choix. Cette jurisprudence est évidemment transposable
au cas d'une élection nationale.
Or le professeur Favoreu en est arrivé à la même conclusion que bon nombre de
personnalités politiques : la proposition de loi organique modifiant la date
d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale n'a pas de justification
technique. Sa seule motivation est d'ordre politique.
Oui, comme vous, je suis inquiet, mes chers collègues. Je ne crains pas la
décision du Conseil constitutionnel, ni les conséquences de la réforme - si
elle devient la loi de la République - pour les échéances électorales
concernées. Le vote des électeurs mettra un point final à toute cette
polémique. Mais je suis inquiet pour nos institutions et pour notre
démocratie.
Le changement de mode de scrutin juste avant les échéances électorales est
d'ailleurs devenu une habitude pour certains.
Ce fut le cas en juillet 1985 lorsque la gauche a « instillé » une dose de
proportionnelle pour les élections législatives de 1986.
Ce fut le cas en 1990 lorsque le gouvernement de M. Rocard a allongé d'un an
le mandat des conseillers généraux afin de tenter de regrouper les élections
cantonales.
Ce fut encore le cas avec la réforme du mode de scrutin avant les élections
régionales de mars 1998.
C'est encore le cas aujourd'hui, et je regrette qu'une fois encore le
Gouvernement réduise une véritable question à un arrangement politicien.
Le contexte dans lequel se déroule la réforme du calendrier électoral
m'amènera donc à ne pas voter la proposition de loi que nous examinons.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Ambroise Dupont.
Pour conclure, je m'appuierai une fois de plus sur les travaux de notre
rapporteur, qui a déclaré : « La précipitation dans laquelle le Parlement est
conduit à examiner la proposition de loi organique risque de ne pas permettre
un examen approfondi de toutes les conséquences de celle-ci. Les auditions
organisées par votre commission des lois ont permis de mesurer que la question
était plus complexe qu'il n'y paraissait au premier abord et que toutes les
conséquences du texte en discussion n'avaient pas été mesurées. »
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Alain Gournac.
Bravo ! Voilà un bon propos !
M. le président.
La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
sujet dont nous débattons aujourd'hui est, me semble-t-il - et je ne suis pas
le seul à faire ce diagnostic - en complet décalage avec les préoccupations et
les attentes des Français.
Il me suffit, quant à moi, de me promener dans les rues de mon xve
arrondissement pour constater que ces problèmes passent bien au-dessus de la
tête de nos concitoyens, non qu'ils ne s'y intéressent pas mais parce qu'ils
sont préoccupés par de nombreuses autres questions, et je les comprends fort
bien. En effet, ils portent aux questions institutionnelles un intérêt tout au
plus secondaire, et ce en dépit de quelques thuriféraires du pouvoir qui
veulent nous faire croire que l'inversion du calendrier les intéressent au
premier chef !
Le débat sur les institutions ne préoccupe malheureusement, le plus souvent,
que ceux qui veulent changer les règles du jeu à leur avantage. On comprend dès
lors l'attitude des Français devant une telle conduite. J'en veux pour preuve
l'abstention record au dernier référendum : les questions institutionnelles du
fait de la manière dont elles sont abordées n'intéressent plus que les
praticiens.
L'abstention est, d'ailleurs, devenue la grande question en matière
institutionnelle.
M. Alain Gournac.
Grande question en effet !
M. Jean Chérioux.
Voilà une réalité autrement plus importante et plus préoccupante pour la
démocratie ! Nous devons la combattre. Je doute, hélas ! que les manoeuvres
auxquelles nous assistons incitent nos concitoyens à accorder un plus grand
crédit à la classe politique au pouvoir, qui, nous le constatons s'intéresse
plutôt à quelques petits arrangements entre amis qu'aux questions de fond
auxquelles les Français attendent des réponses urgentes.
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Tout à fait !
M. Jean Chérioux.
La proposition de loi organique bouleverse de surcroît le calendrier
parlementaire au détriment de tous les autres textes que nous devions examiner.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le gouvernement auquel vous appartenez a ainsi
refusé que le Sénat étudie le projet de loi d'orientation sur la forêt tant que
le débat qui nous réunit ne sera pas terminé. Une telle attitude sera très mal
jugée en France. Au regard des problèmes que pose la forêt, notamment après les
tempêtes de décembre 1999, à des centaines de milliers de nos concitoyens, le
recul des élections législatives présente un caractère bien dérisoire !
M. Alain Gournac.
C'est sûr !
M. Jean Chérioux.
Les arguments du Gouvernement ne sont pas convaincants, et le ministre des
relations avec le Parlement, en indiquant mardi soir que l'ordre du jour ne
pouvait pas être modifié, ne trompe absolument personne - il ne croit
d'ailleurs pas beaucoup lui-même à ses arguments.
(M. Alain Gournac approuve.)
Ainsi, il faudrait maintenant étudier un texte d'une seule traite pour être
efficace ! Cet argument est d'autant moins crédible que l'on a souvent ici
déploré - notamment au mois de décembre dernier - le découpage en fragments de
certains projets, par exemple pour pouvoir en examiner d'autres dans le cadre
des navettes. Je pense au projet de loi habilitant le Gouvernement à transposer
par voie d'ordonnances des directives européennes, aux textes concernant
l'outre-mer ou la résorption de l'emploi précaire... Ce ne sont peut-être pas
des textes importants, mais il n'en demeure pas moins que la procédure utilisée
alors est en contradiction totale avec les principes invoqués aujourd'hui !
Le rappel de ces quelques vérités le démontre, M. Queyranne ne trompe personne
! Si le Gouvernement ne veut pas faire examiner le projet de loi sur la forêt -
ce qui est son droit ; c'est une prérogative que lui reconnaît la Constitution
- c'est parce que sa seule préoccupation est bien sûr l'inversion de ce fameux
calendrier électoral. On ne gère pas les intérêts d'un pays en servant ses
propres intérêts politiques au détriment de ceux de la nation.
Par ailleurs, on dit souvent qu'on ne change pas les règles du jeu juste
avant le début de la partie. C'est, à mon avis, la moindre des choses, et c'est
encore plus vrai s'agissant du fonctionnement de la démocratie, mais hélas ! ce
n'est pas votre préoccupation majeure.
L'un de nos éminents collègues, M. Claude Estier, président du groupe
socialiste du Sénat, l'a rappelé, excellemment d'ailleurs, dans un bloc-notes
de
L'Hebdo des socialistes
daté du 8 décembre dernier, à propos de
l'inversion du calendrier : « Ce n'est pas un débat institutionnel. Il ne
s'agit pas de changer notre Constitution ou de rééquilibrer les pouvoirs, même
si nous pouvons le souhaiter. Il serait difficile d'engager maintenant un débat
institutionnel de fond, en période de cohabitation et à quatorze mois
d'échéances décisives. » On ne saurait mieux dire, je l'avoue franchement.
Comme lui - et je le rejoins au moins sur ce point - nous ne pouvons que
regretter qu'un vrai débat institutionnel n'ait pas été engagé avant d'ouvrir
la question de l'inversion du calendrier.
Personne - j'aurai l'occasion d'y revenir - ne peut mesurer les conséquences
de cette inversion sur notre avenir institutionnel. Personne n'imagine les
transformations de nos pratiques politiques qui peuvent en découler. Personne,
je dis bien « personne », car si les uns nous assurent que rien ne changera,
les autres agitent l'épouvantail du déclin de notre Ve République. Entre les
partisans du « pas de vague » et les Cassandre, il y a, à juste titre, parmi
nos collègues, et c'est mon cas, une inquiétude devant le risque pris.
Les éminents constitutionnalistes qui ont été auditionnés par la commission
des lois étaient pour le moins « divisés » - et, d'après ce qui m'a été
rapporté, le mot est faible - quant aux conséquences éventuelles de cette
inversion du calendrier sur nos pratiques constitutionnelles. Certains pensent
que la fonction présidentielle en sortirait renforcée. D'autres considèrent que
le risque serait d'affaiblir plus encore la fonction du Président de la
République, en cas de cohabitation bien sûr. Dans tous les cas, les
conséquences seront certaines et le rôle du Président de la République évoluera
dans un sens ou dans un autre, c'est-à-dire dans un bon sens ou dans un mauvais
sens selon que l'on est favorable à un régime présidentiel ou à un régime
parlementaire.
C'est la raison pour laquelle un débat sur nos institutions aurait dû être le
préalable à ce texte ou à toute réforme institutionnelle. En aucun cas, nous
n'aurions pas dû faire l'économie de cette discussion. D'ailleurs, le bref
débat - mais peut-on vraiment parler de débat ? - organisé à l'Assemblée
nationale n'a servi qu'à endormir ceux qui l'avaient demandé. En effet, ce
n'est pas en deux heures que l'on règle le sort de nos institutions.
Il est donc important d'en revenir à l'essentiel.
Quelle est donc, en réalité, la seule question concrète à laquelle vous nous
demandez de répondre ? Elle est simple : faut-il inverser les dates des
élections législatives et de l'élection présidentielle ? Dans sa simplicité,
cette question apparaît bien pour ce qu'elle est : une manoeuvre, une simple
manoeuvre,...
M. Alain Gournac.
Ah oui !
M. Jean Chérioux.
... une manoeuvre dérisoire.
M. Alain Gournac.
Dérisoire, en effet !
M. Jean Chérioux.
Je ne manquerai pas d'y revenir.
Cette inversion du calendrier, aux yeux du Premier ministre - et en cela je le
rejoins sans état d'âme -, risquait d'apparaître à l'opinion comme un
stratagème au service de ses propres intérêts.
Dois-je rappeler que le Premier ministre avait en effet déclaré, sans honte de
se renier quelques semaines plus tard, et ce devant des millions de
téléspectateurs - c'était le 20 octobre dernier au journal télévisé de vingt
heures : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement
politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là et il faudrait vraiment
qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises » ?
Tout est dit. Oui, c'est bien une initiative étroitement politicienne. Il
fallait donc, comme cela a été souvent rappelé à cette tribune, habiller des
plus belles, des plus légitimes et des plus honnêtes parures cette réforme de
simple convenance, qui n'a d'autre ambition que de servir les intérêts du
candidat à l'élection présidentielle qu'est le Premier ministre Lionel
Jospin.
Donc, pour tenter de donner quelque noblesse à la chose, on veut la parer du
voile d'une réflexion de fond et l'on déplace ainsi le problème : l'esprit des
institutions commanderait de commencer par l'élection présidentielle...
M. Alain Gournac.
Oh ! là là !
M. Jean Chérioux.
... pour continuer par les élections législatives. Pour notre part, nous ne le
croyons pas...
M. Alain Gournac.
Pas du tout !
M. Jean Chérioux.
... et nous contestons avec énergie ce changement qui, en fait, est une
réforme constitutionnelle qui ne dit pas son nom. Comment celui qui, voilà
quelques mois encore, déclarait que la Constitution de la Ve République n'était
pas sa référence ose-t-il donner aujourd'hui aux héritiers du gaullisme des
leçons de constitutionnalisme ? C'est absolument extravagant !
M. Alain Gournac.
Incroyable !
M. Jean Chérioux.
Aux leçons de gaullisme du Gouvernement, voici ce que nous, gaullistes, nous
répondons :
Depuis 1962, nos institutions ont, en effet, un caractère mixte. Elles sont de
nature présidentielle, compte tenu du poids qu'a donné au Président de la
République son élection au suffrage universel direct et des pouvoirs étendus
qu'il détient de la loi fondamentale de 1958, mais elles sont aussi de nature
parlementaire : le Premier ministre est le chef de la majorité parlementaire,
et l'a toujours été ; l'Assemblée nationale détient le pouvoir de renverser le
Gouvernement. C'est la spécificité des institutions de notre Ve République et,
compte tenu de la réalité française, c'est sans doute aussi leur force, comme
elles l'ont prouvé au cours des quarante-trois dernières années. Ce fut
d'ailleurs longtemps l'avis de la plupart des constitutionnaliste.
Permettez-moi de préciser mon propos. Certains affinent cette analyse en
prétendant qu'il s'agit soit d'un régime présidentiel, soit d'un régime
parlementaire, suivant les périodes traversées.
Ainsi, lorsque nous sommes en temps de coïncidence de la majorité
présidentielle et de la majorité parlementaire, le régime tend naturellement
vers le présidentialisme, puisque la nature même de l'élection du Président de
la République au suffrage universel sur une seule circonscription, la
circonscription nationale, c'est-à-dire toute la France, lui donne une
légitimité politique et démocratique très forte et que son pouvoir de
nomination du Premier ministre lui permet, en fin de compte, de contrôler
l'action gouvernementale.
A contrario,
en temps de cohabitation, le régime devient tout aussi
naturellement parlementaire parce que, aux termes de la Constitution, c'est le
Gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la Nation » et parce
qu'il est politiquement responsable devant le Parlement, ainsi que l'indique
clairement l'article 20 de la Constitution.
Tantôt présidentiel, tantôt parlementaire, notre régime est donc mixte.
M. Christian Bonnet,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, de
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Bien sûr
!
M. Jean Chérioux.
Pour d'autres encore, le problème de nos institutions serait non pas le
changement de mode de régime au gré du présidentialisme majoritaire ou de la
cohabitation, mais l'impossibilité de prévoir le temps d'action qui est imparti
à notre politique. Dans les autres régimes européens, le calendrier est
immuable, car même si le gouvernement anglais dissout la Chambre des communes
avant la date normale, il le fait toujours, et toujours, à peu de chose près, à
la même époque par rapport au terme normal du mandat de la Chambre des
communes. Sous réserve de l'observation que je viens de faire, le calendrier
est donc immuable dans les autres régimes européens et permet de maîtriser le
temps de l'action politique. Dans notre système, le temps du Gouvernement
serait en revanche trop variable.
Le temps d'action des différents premiers ministres qui se sont succédé depuis
1973 permet de montrer que, effectivement, le problème est non pas la
cohabitation ou l'absence de cohabitation, mais bel et bien la durée variable
des légitimités politiques. En effet, chaque nouvelle élection législative ou
chaque élection présidentielle peut annuler et remplacer la légitimité de la
précédente, quelle que soit la durée de l'exercice des mandats.
Partons du principe que votre réforme d'aujourd'hui - je suis gentil, je
l'appelle réforme,...
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants.
Position
!
M. Jean Chérioux.
... même si ce n'est pas une réforme ; on sait bien ce que c'est ! - sera
adoptée par le Parlement,...
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
C'est probable !
M. Jean Chérioux.
... qu'elle sera validée par le Conseil constitutionnel...
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
C'est probable aussi !
M. Jean Chérioux.
... - c'est une autre affaire - et que, d'ici là, rien ne viendra modifier ce
calendrier. Le Président de la République sera élu sur un programme et
obtiendra une légitimité. Rien n'indique que la nouvelle Assemblée nationale,
élue quelques semaines après, soit de la même famille politique. De ce fait, la
nouvelle légitimité serait parlementaire et une nouvelle cohabitation
deviendrait la règle.
Où serait alors la primauté de l'élection présidentielle que souhaitent les
auteurs de la présente proposition de loi ? Le nouveau Président de la
République serait plus affaibli que jamais et les élections législatives
prendraient tout naturellement un ascendant sans précédent sur l'élection
présidentielle.
De ce fait, l'élection majeure serait non plus l'élection présidentielle mais
bel et bien les élections législatives. Et puisque ces dernières primeraient,
rien ne justifierait qu'elles soient postérieures, et ce de façon définitive, à
l'élection présidentielle. Cet exemple, sans doute un peu long,...
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Non, non !
M. Jean Chérioux.
... et je vous prie de m'en excuser, monsieur le secrétaire d'Etat, est
explicite : en ce sens encore, la réforme que vous proposez ne se justifie
pas.
Certains vont même plus loin, notamment mon excellent collègue Serge Vinçon,
qui l'a déclaré avec beaucoup de talent dans son intervention. Pour lui, le
régime est essentiellement parlementaire, et non mixte, allant ainsi à
l'encontre de beaucoup d'idées reçues.
En effet, qui dispose en France de la responsabilité politique ? Le
Gouvernement et l'Assemblée nationale. Par ailleurs, c'est le Gouvernement,
même s'il met en place un programme politique qui a été consacré par une
élection présidentielle, qui conduit la politique de la nation. Pour toutes ces
raisons, le débat sur le renforcement de la présidentialisation du régime est,
à mon avis et aux yeux d'un certain nombre d'autres, un faux débat, car, de
toutes les façons, cohabitation ou non, le régime est parlementaire.
En tous les cas, la pratique de la Ve République va dans le sens de l'analyse
institutionnelle. Comme le rappelait M. Edouard Balladur, il y a eu, depuis
1962, six élections présidentielles au suffrage universel direct ; l'élection
présidentielle n'a immédiatement précédé les élections législatives que dans
deux cas sur six, et encore, monsieur le secrétaire d'Etat, ce fut à
l'initiative du Président François Mitterrand. Je ne suis pas sûr qu'il ait été
le meilleur exégète de la Consitution qui avait été voulue par le général de
Gaulle ; il l'a d'ailleurs assez combattue !
M. Jean Delaneau.
Effectivement !
M. Jean Chérioux.
On ne peut donc pas dire que cela ait un caractère vraiment exemplaire. Loin
de là ! En réalité, c'est à mon avis un faux problème.
Certes, les données ont changé, à la suite de l'adoption du quinquennat, qui
devait tout régler, tout arranger, éviter la cohabitation
(M. le secrétaire
d'Etat fait un signe de dénégation),
permettre une coïncidence entre les
majorités.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Non !
M. Jean Chérioux.
Ce n'est pas tout à fait exact, et vous le savez bien !
M. Alain Gournac.
Pas tout à fait exact, effectivement !
M. Jean Chérioux.
Personnellement, je suis même de l'avis contraire, et je prie mes collègues
qui ne partagent pas mon opinion de m'excuser de dire devant eux que, à mon
avis, ce quinquennat est allé à l'encontre de l'esprit de la Ve République.
M. Philippe de Gaulle.
Tout à fait !
M. Jean Chérioux.
En effet, ce régime repose sur la présence à sa tête d'une personne prenant en
compte l'intérêt général, et cette personne est le Président de la République,
élu par l'ensemble du peuple.
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Très bien !
M. Jean Chérioux.
Par conséquent, à mon avis - mais je n'ai point été consulté personnellement
et, au Congrès, je n'avais pas la possibilité de présenter un amendement -, il
aurait fallu instaurer le système du septennat unique, ce qui nous aurait
permis d'éviter de nous retrouver dans la situation dans laquelle nous sommes
aujourd'hui.
Ce qui est grave, avec le système du quinquennat, c'est que nous risquons de
voir se reproduire ce qui se passe dans d'autres pays, aux Etats-Unis notamment
: les élections successives étant toujours très proches, celui qui a en charge
le destin de la nation est, pendant une grande partie de son mandat, beaucoup
plus préoccupé de sa propre réélection que du sort de la nation qui lui est
confié.
S'agissant du texte qui est actuellement soumis à notre examen, c'est
l'attitude du Premier ministre que l'on peut regretter. Nous constatons bien,
et l'ordre du jour le prouve, que la préoccupation essentielle du Premier
ministre est maintenant moins le gouvernement de la France que son élection
éventuelle à la présidence de la République.
(M. le secrétaire d'Etat fait
un signe de dénégation.)
Tout le montre : ainsi, les problèmes très
importants qui existent ne sont pas réglés. Pourquoi ne les règle-t-on pas ?
(M. Gournac s'exclame.)
Parce que cela gêne de prendre certaines
initiatives et de régler certains problèmes qui sont difficiles à traiter.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Monsieur Chérioux, me permettez-vous de vous
interrompre ?
M. Jean Chérioux.
Tout à fait, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le sénateur, je ne peux pas laisser dire que
le Premier ministre ne gouverne pas ce pays aujourd'hui et qu'il aurait
seulement la préoccupation d'une élection présidentielle au terme incertain.
Je peux vous affirmer, en tant que membre du Gouvernement, que le Premier
ministre gouverne ce pays, prend en considération les dossiers qui lui sont
présentés et tient compte de l'opinion publique pour trouver les meilleures
réponses, compte tenu de la situation dans laquelle nous sommes, qu'il s'agisse
de la mise en oeuvre des 35 heures dans la fonction publique, de la question
des retraites,...
M. Alain Gournac.
Ah non ! Pas les retraites !
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
... du développement économique, de la création
d'emplois, de la réduction du chômage, de la création d'entreprises, de la mise
en oeuvre de la professionnalisation de la défense, du rayonnement de notre
pays dans les diverses instances internationales aux côtés de M. le Président
de la République.
Dans la dernière partie de votre intervention, monsieur Chérioux, vous avez
indiqué que, finalement, l'élection centrale dans ce pays est l'élection
présidentielle. Il me semble que c'est le sens de la proposition de loi
organique qui est soumise au Sénat.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'admets volontiers que le Premier ministre
gouverne. Cela va de soi, puisque c'est son rôle ! Mais la façon dont il
gouverne est à mon avis influencée par ce qui va se passer après, c'est-à-dire
par la future élection présidentielle.
(M. Gournac s'exclame.)
C'est cela qui est grave ! En effet, les choix
qui sont faits, les initiatives qui sont prises le sont en fonction de cette
échéance. Il y a des problèmes qu'on ne règle pas. Par exemple, pourquoi ne
règle-t-on pas la question des retraites ?
M. Alain Gournac.
Ah ! les retraites !
M. Jean Chérioux.
C'est pourtant un problème fondamental qui, s'il n'est pas réglé, amènera
certains Français à constater, dans vingt ans, que le Gouvernement a failli
aujourd'hui. Or, on ne s'attaque pas à cette question parce que c'est un
problème difficile à régler. On dit à la fois qu'on va le régler et que l'on va
maintenir la retraite à soixante ans ! Alors, de qui se moque-t-on, monsieur le
secrétaire d'Etat ?
Vous dites que d'autres mesures sont prises par le Gouvernement. C'est
évident.
M. Alain Gournac.
Et la sécurité ?
M. Jean Chérioux.
Mais les priorités retenues par le Gouvernement sont très influencées par le
rôle que le Premier ministre veut jouer dans la République au cours des années
qui viennent.
M. Hilaire Flandre.
On ne veut pas s'occuper des problèmes qui fâchent !
M. Alain Gournac.
Il faut être populaire !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Chérioux ?
M. Jean Chérioux.
Volontiers ! Je suis très bienveillant !
(Sourires.)
M. le président.
Entre amis, vous pouvez le faire !
M. Jean Chérioux.
Mais pas seulement entre amis, monsieur le président. J'ai le sens du
fair
play
et de la démocratie !
M. le président.
Je vous le reconnais, monsieur Chérioux.
La parole est à M. Schosteck, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Pierre Schosteck.
J'ai été un peu étonné par les propos de M. le secrétaire d'Etat, voilà
quelques instants, même si je comprends qu'il les ait tenus. Jean Chérioux
avait en effet parfaitement raison de souligner que le Gouvernement et son
Premier ministre ont l'air surtout préoccupés de l'élection présidentielle. «
Election présidentielle au terme incertain », a dit M. le secrétaire d'Etat.
Effectivement, mais il y a quand même une relative certitude !
Le Gouvernement donne l'impression d'être souvent absent, et cela me rappelle
une citation entendue au temps de mes études : « La République gouverne mal,
mais elle a une excuse : elle gouverne peu. » Je trouve qu'aujourd'hui nous
sommes parfaitement dans l'illustration de cette situation !
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Merci, monsieur le président.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Monsieur Chérioux, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Jean Chérioux.
Je vous en prie !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Le Gouvernement, en l'occurrence, tire seulement les
conséquences d'un propos de Michel Rocard, alors Premier ministre, aux termes
duquel cette affaire des retraites avait de quoi faire sauter dix
gouvernements. Indéniablement, M. Jospin est parfaitement conscient qu'il en va
ainsi. C'est la raison pour laquelle il ne cherche pas à régler cette
question.
M. Alain Gournac.
Tout à fait ! M. Jospin manque de courage !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Monsieur le rapporteur, vous avez tout à fait raison. Et pour vous montrer à
quel point je suis objectif, je reconnais que le même Michel Rocard, Premier
ministre, avait eu le courage, à l'époque, de publier un Livre blanc mais qui
n'avait pas été suivi d'actes.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'état.
Monsieur le sénateur, me permettez-vous de vous
interrompre à nouveau ?
M. Jean Chérioux.
Je vous en prie !
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
J'observe que je mets un peu d'animation dans vos
débats...
M. Alain Gournac.
C'est bien !
M. Nicolas About.
Enfin un membre du Gouvernement qui nous écoute !
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est normal, c'est l'un des nôtres !
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat ...
et que je trouble un peu la monotonie de vos propos
! Mais je ne peux pas, une fois de plus, laisser dire une chose qui ne me
paraît pas, à moi, membre du Gouvernement, être la vérité, à savoir que ce
gouvernement n'est pas préoccupé par les problèmes des Français. Les
statistiques de l'emploi et la réduction du chômage démontrent quand même que,
sur cette question cruciale, des succès évidents ont été remportés : notre pays
compte un million de chômeurs de moins aujourd'hui,...
M. Alain Gournac.
Les autres ont fait mieux que nous !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Les autres pays européens, c'est moins !
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
... et ce n'est pas dû - permettez-moi cette
expression ! - à l'opération du Saint-Esprit ! Lorsque l'on compare les
résultats obtenus par les différents gouvernements européens, ceux du
gouvernement français apparaissent plus performants.
(M. Gournac s'exclame.)
M. Jean-Pierre Schosteck.
Non !
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Certes, la conjoncture internationale est en partie
responsable de cette amélioration, mais le Gouvernement a également pris une
série de mesures qui ont donné d'excellents résultats.
M. Alain Gournac.
Mais non, c'est la reprise !
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Il reste naturellement des problèmes à traiter. Les
gouvernements que vous souteniez en ont connu, et nous en avons aussi. Mais il
faut traiter ces évolutions nécessaires à un rythme que l'opinion publique
puisse accepter. L'objectif n'est pas, en effet, de mettre cinq ou six millions
de personnes dans la rue, comme l'ont fait parfois certains premiers ministres
de droite, et, finalement, de bloquer la situation ! Des évolutions sont
nécessaires, mais elles doivent faire l'objet de concertations avec les
Françaises et les Français. C'est ainsi que nous finirons par faire bouger
cette société dans l'intérêt général, ce qui est précisément ce que nous
recherchons les uns et les autres. Il me semble - je puis en témoigner - que ce
gouvernement a cette préoccupation.
Je vous promets, monsieur Chérioux, de ne plus intervenir, même si le
Gouvernement est accusé !
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac.
C'est dommage !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Chérioux.
M. Jean Chérioux.
Mais c'est une grande joie de pouvoir dialoguer avec vous, monsieur le
secrétaire d'Etat !
Je ne veux toutefois pas que le débat dérape vers les problèmes économiques et
financiers.
Je constate simplement que, si le Gouvernement a obtenu certains résultats,
notamment en matière de chômage, c'est qu'il y avait beaucoup à faire. Je vous
rappelle qu'en 1981, date importante, en particulier pour le socialiste que
vous êtes, notre pays comptait juste deux millions de chômeurs,...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Non !
M. Hilaire Flandre.
Mais non ! Il n'y en avait pas un million !
M. Jean Chérioux.
... et qu'il n'est pas redescendu en deçà.
Quand vous faites des comparaisons avec les autres pays, vous devez resituer
les choses dans leur cadre normal.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Comparaison n'est pas raison !
M. Hilaire Flandre.
François Mitterrand avait dit qu'il se battrait sur la crête du million de
chômeurs !
M. Jean Chérioux.
Peu importe, nous n'allons pas commencer à discuter entre nous !
Je pense avoir suffisamment indiqué que le quinquennat ne constitue pas une
garantie absolue contre la cohabitation. Certains pensent qu'il en sera un
garde-fou. Comme je vous l'ai dit, je n'en suis personnellement pas sûr.
Si l'on veut réellement disposer d'une garantie contre la cohabitation, il
faudrait plutôt changer de constitution, ce qui, bien sûr, peut se concevoir :
on pourrait en effet soit ramener le rôle du Président à celui qui était le
sien sous la IVe République,...
M. Alain Gournac.
Ah, non !
M. Jean Chérioux.
... en revenant à un régime purement parlementaire, avec le risque que l'on
connaît bien, chez nous - cela s'est passé sous la IIIe et la IVe République -
de dérive vers le régime d'assemblée, soit instituer un véritable régime
présidentiel, en supprimant le poste de Premier ministre, le droit de
dissolution et la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée
nationale.
Et il y a là un vrai débat de fond qui pourrait avoir lieu. J'ai cru
d'ailleurs comprendre que votre majorité plurielle était singulièrement divisée
sur ce point, et c'est peut-être la raison pour laquelle vous souhaitez
procéder à des opérations de ce genre plutôt que d'aborder le problème au fond
: il y a, d'un côté, les tenants du régime présidentiel, avec Jean-Pierre
Chevènement et ses amis du Mouvement des citoyens, et, de l'autre, le parti
communiste français, favorable depuis toujours au régime d'assemblée, dont on
sait pourtant dans quels errements il a entraîné notre pays par deux fois, sous
la IIIe et la IVe République.
Les tenants du saut vers la présidentialisation sont apparemment de plus en
plus nombreux, parfois même dans nos rangs, mais je n'en suis pas. Beaucoup
d'entre nous continuent cependant à s'interroger, comme ils l'ont fait au
moment du référendum sur le quinquennat. Nous pensons que ce basculement vers
un régime à l'américaine pourrait être dangereux, surtout quand on connaît
certains errements qui se sont déroulés au xixe siècle.
De nombreuses questions demeureraient en effet en suspens. Que se passerait-il
en cas de blocage entre le Président et l'Assemblée nationale dans un régime
présidentiel en France ? Une crise de régime serait bien à craindre, et c'est
tout au moins ce que l'on a pu connaître jadis. Avons-nous, dans notre
tradition républicaine, les soupapes de sécurité nécessaires pour faire face à
de telles situations ? Je suis loin d'en être sûr.
Dans tous les cas, une telle réforme serait si profonde qu'on ne peut pas la
faire aussi rapidement sans en mesurer avec attention les conséquences pour nos
institutions et leur fonctionnement. Il faudrait alors un débat large et
prolongé. Je n'en veux pour preuve que la méthode suivie pour réformer un autre
texte fondamental de nos institutions, l'ordonnance de 1959 sur les lois de
finances : on y travaille depuis des mois, pour ne pas dire des années, au
Sénat comme à l'Assemblée nationale.
Et s'agissant du régime présidentiel, un tel travail devrait, à l'évidence,
déboucher sur une consultation populaire !
Ce n'est donc pas de cela qu'il s'agit dans le temps consacré à ce débat, loin
de là. C'est pourtant ce que certains voudraient laisser croire.
Permettez-moi de dire quelques mots sur l'urgence qui a été déclarée sur ce
texte, urgence sur la nécessité de laquelle je m'interroge - et je ne suis
d'ailleurs pas le seul à le faire - dans la mesure où je ne vois pas quelle
priorité nationale peut apparaître alors que nous attendons et appelons de nos
voeux bon nombre d'autres réformes autrement plus urgentes pour nos concitoyens
; mais, ainsi que je le disais tout à l'heure, les préoccupations de ces
derniers ne semblent pas être les vôtres !
Je pense, par exemple, au problème de la sécurité - certes, un conseil
restreint s'est réuni sur ce point, mais votre préoccupation à cet égard est
tout de même très récente, autant que je puisse en juger -, à la famille, à la
crise agricole et alimentaire qui secoue notre pays, à une réforme de la
justice en profondeur et à toutes les autres réformes que le Gouvernement, en
campagne, n'inscrit pas à l'ordre du jour de nos assemblées.
J'aimerais aussi évoquer le tout aussi scandaleux déni de procédure, qui
consiste à faire l'économie de la consultation du Conseil d'Etat et,
finalement, du Président de la République sur ces questions, puisque le texte
n'a pas été présenté en conseil des ministres.
M. Alain Gournac.
Effectivement !
M. Jean Chérioux.
On pourra, certes, me rétorquer qu'il s'agit d'une proposition de loi, et non
d'un projet, mais il semble bien que celle-ci ait été fortement inspirée, pour
ne pas dire écrite ailleurs qu'à l'Assemblée elle-même.
(Sourires sur les
travées du RPR.)
La formule, que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer, consiste précisément à
passer par le biais d'un texte d'origine parlementaire. En agissant de la
sorte, monsieur le secrétaire d'Etat, votre majorité a pu se dispenser d'un
certain nombre de contrôles, notamment celui du Conseil d'Etat, qui n'aurait
sans doute pas été très favorable au procédé. Mais peut-être des études de bons
conseillers d'Etat paraîtront-elles par la suite, qu'il sera très intéressant
de lire !
Si personne ne peut se prévaloir d'être garant de l'esprit de nos institutions
- et surtout pas les héritiers spirituels de celui qui a écrit
Le Coup
d'Etat permanent,
qui les ont combattues jusqu'à très récemment -, une
seule chose reste vraiment certaine : les réformes institutionnelles relèvent
de la compétence du Président de la République, et de lui seul.
Monsieur le secrétaire d'Etat, n'en doutons pas, les Français sauront si l'on
a répondu aux vraies questions qu'ils se posent et résolu les problèmes qu'ils
rencontrent.
Ne vous trompez pas de combat. Ceux qui changent les règles pour ne pas perdre
une élection perdent toujours aux yeux avertis de nos concitoyens, qui ne
manqueront pas de les sanctionner.
Quant à moi, ma sanction sera peut-être faible, mais elle consistera à
émettre, sur ce texte, un vote négatif.
(Applaudissements sur les travées du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Delaneau.
M. Jean Delaneau.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je suis désolé de devoir faire appel à votre
patience ; mais je sais qu'un marathonien a de l'endurance !
(Sourires.)
Vous avez d'ailleurs montré tout à l'heure que vous n'hésitiez pas à prolonger
vous-même le débat par vos interventions.
M. Jean-Pierre Masseret,
secrétaire d'Etat.
Absolument ! J'ai eu tort !
(Nouveaux
sourires).
M. Jean Delaneau.
Je veux d'abord préciser dans quelles conditions je suis amené à m'exprimer à
cette tribune.
Au départ, je n'avais pas prévu d'intervenir dans cette discussion. Puis j'ai
estimé que je pouvais tout de même avoir des choses à dire, d'ailleurs quelque
peu différentes de tout ce qui a pu être dit jusqu'à maintenant.
A l'origine, en effet, je n'étais pas formellement contre ce texte, qui
correspond pour moi à quelque chose d'ancien, l'inversion me paraissant relever
d'une construction institutionnelle beaucoup plus large.
Quand, étudiant, j'ai commencé à m'intéresser à la politique, j'ai été un
admirateur de Pierre Mendès-France, que je considérais comme un homme
courageux. Je me disais qu'il était vraiment navrant qu'il aille se faire
battre à Evreux, après des meetings organisés, comme le voulait l'époque, sous
les préaux d'école, qu'il valait beaucoup mieux que cela.
J'ai longtemps suivi son parcours. Au début des années soixante, j'ai donc
acheté l'ouvrage intéressant qu'il a écrit alors et qui s'appelait
la
République moderne.
Dans ce livre, il avait le courage de faire, d'abord,
une analyse du passé plus ou moins récent de notre pays, puis un certain nombre
de propositions qui me séduisaient. Je dois dire qu'à ce moment-là il n'était
pas encore allé à Charléty, et que, quand il y est allé, mon admiration pour
lui a baissé légèrement.
(Marques d'approbation sur les travées du
RPR.)
Il abordait bien des problèmes que rencontrait notre pays et il avançait
notamment l'idée d'« un gouvernement de législature », qui tendait à donner à
la France une plus grande stabilité au travers d'un vrai contrat entre une
majorité et le gouvernement qu'elle soutenait. Après les épisodes antérieurs à
l'arrivée du général de Gaulle que, comme beaucoup d'autres ici, j'avais
connus, cette voie me paraissait possible.
Pierre Mendès-France se fondait sur un certain nombre de principes simples,
notamment l'indépendance de l'exécutif et le contrôle du pouvoir représentatif.
Qui n'y souscrirait ? Déjà, Montesquieu avait dit que la puissance législative
avait le droit et la faculté d'examiner de quelle manière les lois qu'elle
avait faites étaient exécutées.
Bien sûr, le dispositif qu'il préconisait impliquait que les élections
législatives précèdent la désignation du Premier ministre, qui était l'apanage
du Président de la République.
Il abordait peu le rôle du Président de la République, qui, pour lui, devait
être essentiellement celui qui garantissait l'équilibre des pouvoirs et la
bonne application de la Constitution.
En fait, c'est la démarche qui était intéressante. Il cherchait une solution
qui associe étroitement « l'action, la tâche et la durée de l'Assemblée à
l'action, la tâche et la durée du Gouvernement ».
J'ajoute - pour la petite histoire, mais aussi pour l'histoire tout court -
qu'il envisageait une réforme du Sénat qui ressemblait beaucoup à celle qui
devait être proposée au pays par référendum quelques années plus tard. Il
souhaitait, en effet, qu'il y ait une chambre qui soit à la fois politique,
professionnelle, représentative du monde économique.
M. Alain Gournac.
Il a pourtant voté contre cette réforme !
M. Jean Delaneau.
Sans doute cette proposition n'aurait-elle pas été la bienvenue dans cette
assemblée, mais c'est dire qu'il était allé assez loin dans son analyse.
Il avait même abordé le problème de la dictature, bien sûr pour la réfuter, en
citant notamment un texte que beaucoup connaissent, que tout le monde devrait
connaître, à savoir le discours de Bayeux du général de Gaulle en 1946 : « Sans
doute, ses débuts semblent avantageux. Au milieu de l'enthousiame des uns et de
la résignation des autres, dans la rigueur de l'ordre qu'elle impose, à la
faveur d'un décor éclatant et d'une propagande à sens unique, elle prend
d'abord un tour de dynamisme qui fait contraste avec l'anarchie qui l'avait
précédée. Mais c'est le destin de la dictature d'exagérer ses entreprises... A
chaque pas se dressent, au-dehors et au-dedans, des obstacles multipliés. A la
fin, le ressort se brise. L'édifice grandiose s'écroule dans le malheur et dans
le sang. La nation se retrouve rompue, plus bas qu'elle n'était avant que
l'aventure commençât. »
A ce sujet, je rappelle que les Athéniens se dotaient d'un tyran et que, une
fois qu'ils l'avaient quelque peu usé ou que celui-ci leur paraissait devenir
dangereux, ils le bannissaient, quitte à en prendre éventuellement un autre.
Je rappelle aussi que, dans un passé plus récent, nous avons connu de
terribles dictateurs que ceux qui les avaient soutenus ont finalement réussi à
éliminer - je pense à Ceaucescu -, ce qui leur a permis d'avoir bonne
conscience.
A ce stade de mon propos, je veux réaffirmer un principe fondamental de notre
République : la France est un Etat de droit. Cela signifie que toutes les
composantes de l'Etat sont soumises au droit, sont encadrées par lui, et la vie
politique n'échappe pas à cette règle. Par conséquent, la réforme de nos
institutions ne doit pas répondre à des motifs de convenance personnelle.
A ce propos, monsieur le président Allouche, vous avez dit, le 23 janvier
dernier, que vous aviez « mal au Sénat de la République ». Eh bien, moi, j'ai
mal à la République !
J'ai un âge qui m'a permis de la voir humiliée pendant l'occupation allemande,
de la voir se fourvoyer, peut-être, dans une guerre à laquelle j'ai été amené à
participer, de la voir se fourvoyer sous des gouvernements où l'on trouvait
François Mitterrand, à l'intérieur ou à la Chancellerie, Guy Mollet et d'autres
- je ne vais pas les citer tous ; on voit bien de quel côté ils se trouvent -
de la voir ébranlée en 1968 - j'ai parlé tout à l'heure de Charléty - quand il
y avait tout de même du coup d'Etat dans l'air.
Aujourd'hui, nous assistons à une manoeuvre qui consiste à utiliser nos
institutions et la République pour atteindre d'autres objectifs que ceux
qu'elles doivent normalement avoir.
Jaurès a dit : « La République, c'est l'outil. » L'outil de qui ? L'outil pour
quoi faire ? L'outil qu'on peut utiliser jusqu'où ?
Or, après un certain nombre d'événements politiques distillés depuis une
dizaine d'années, on est sur une ligne qui consiste à récupérer la République
et ses institutions au profit d'un mouvement politique.
(Marques
d'approbation sur les travées du RPR.)
Vous me direz que tous les mouvements politiques ont peut-être essayé de faire
cela. J'insiste cependant sur la persévérance du parti socialiste, en
particulier, qui a animé l'opposition et qui a été au pouvoir pendant les deux
tiers du temps qui s'est écoulé depuis 1981...
M. Henri de Raincourt.
Plus que cela !
M. Jean Delaneau.
Effectivement !
Il y a eu aussi les années de cohabitation avec les gouvernements de Jacques
Chirac, d'Edouard Balladur ou d'Alain Juppé et un Président de la République
dont je ne sais plus qui disait qu'il s'était servi de la Constitution. Pour ma
part, je dirai que c'est sans doute l'un de ceux qui l'ont le mieux utilisée
pour atteindre ses buts.
On constate, particulièrement ces dernières années, que certains font jouer
les bons sentiments. Le Premier ministre notamment, la main sur le coeur, nous
a dit : « La mise en oeuvre de la parité entre hommes et femmes ne sera jamais
utilisée pour modifier les lois électorales. » On a vu ce qu'il en est advenu
!
Peut-être a-t-on joué sur le côté « fleur bleue » des sénateurs qui se sont
dit : pourquoi ne pas donner la garantie à nos compagnes, nos amies, qui ne
nous logent pas dans de beaux appartements mais auxquelles on tient, au-delà de
ce que leur permet déjà la loi, puisqu'elles sont libres de se présenter
n'importe où, qu'elles seront éligibles dans les élections à venir ? Mais, à ce
moment-là, il n'était pas question de quotas.
Puis les quotas sont venus, l'alternance sur les listes électorales est
intervenue. Par ailleurs, la proportionnelle à partir de trois sièges dans les
élections sénatoriales a été introduite, ce qui, bien sûr, rejoignait une autre
volonté de ce Gouvernement, à savoir affaiblir le pouvoir du Sénat.
On s'étonne qu'après toutes ces péripéties, toutes ces attaques, directes ou
indirectes, le Sénat réagisse comme il le fait. Le Sénat utilise le pouvoir que
lui donnent la Constitution et le règlement des assemblées,...
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Jean Delaneau.
... et il n'y a pas à le critiquer pour cela : il ne fait qu'exercer son
droit.
On essaie de déconsidérer le Sénat. Ce n'est pas le Sénat qui est en train de
se déconsidérer, cher Guy Allouche ; pour certains, toutes les occasions sont
bonnes pour le déconsidérer ! Avec des relais médiatiques, on a essayé de dire
que, à la limite, nous étions une assemblée d'anormaux, d'inutiles et, au bout
du compte, on a essayé d'éliminer une partie de sa majorité pour la faire
tomber dans ce fossé que nous serions, dites-vous, monsieur le président, en
train de creuser.
Le Sénat est marqué par un péché mortel : il peut, étant donné les majorités
actuelles dans cette assemblée et à l'Assemblée nationale, bloquer les réformes
constitutionnelles. On va donc procéder par morceaux, on va essayer d'avancer.
Au bout du compte, il s'agit de réduire la possibilité pour le Sénat de gêner
le Gouvernement.
En ce qui concerne le texte dont nous discutons aujourd'hui, le problème est
un peu différent : autre chose est venu se mêler aux intentions avouées ou
inavouées.
Je pourrais pasticher un texte de Paul Géraldy, tiré de l'anthologie de la
poésie française de Georges Pompidou : « Dieu, quelle étrange chose ! Je sens
deux hommes en lui ! »
M. Alain Gournac.
Cela arrive !
M. Jean Delaneau.
Bien sûr, comme M. Masseret nous l'a dit tout à l'heure : le Gouvernement, le
Premier ministre gouvernent. Certes ! Ce n'est pas moi qui le contesterai. Le
Premier ministre propose des textes, les fait voter, fait avancer un certain
nombre de choses. A cet égard, il ferait d'ailleurs bien de faire attention à
ce que lui dit le Sénat.
M. Nicolas About.
Vous avez raison, docteur !
M. Jean Delaneau.
Nous parlons des urgences, cher confrère !...
M. Nicolas About.
Appelons le SAMU !
M. Jean Delaneau.
Bien qu'il s'en défende, l'abus des déclarations d'urgence devient
dangereux.
D'autres gouvernements ont eux aussi eu recours à la procédure d'urgence. Mais
celle-ci le fait avec pour objectif principal de faire échouer les commissions
mixtes paritaires.
Le Gouvernement veut que cette procédure soit utilisée pour tous les textes, y
compris pour ceux qui traitent des problèmes de société, comme celui sur
l'interruption volontaire de grossesse qui sera peut-être débattu la semaine
prochaine.
Aujourd'hui, il nous est reproché de faire traîner les débats. J'indique que
l'urgence avait été déclarée bien avant que cette proposition de loi ne soit
examinée par le Sénat. Il y avait donc une volonté délibérée d'éviter de
parvenir, au cours des navettes, à un début d'accord, au moins sur certains
points, entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Comme si nous allions «
polluer » l'état d'esprit, la position de nos collègues en leur expliquant, en
arrivant à les convaincre qu'un certain nombre de mesures ne sont pas
bonnes.
La tentative consistant à détourner des députés de l'actuelle majorité de ce
qu'on leur a demandé de voter mérite d'être sanctionnée !
(Marques
d'approbation sur les travées du RPR.)
Nous sommes donc dans le cadre de la procédure d'urgence pour cette
proposition de loi aussi.
C'est un petit texte, nous dit-on. De quoi se mêlent les sénateurs ? Il s'agit
simplement de modifier la date d'expiration des pouvoirs de l'actuelle
Assemblée nationale. Cela ne concerne pas les sénateurs !
On s'offusque donc, car il est habituellement admis que chaque assemblée
détermine les règles qui concernent son élection. Mais l'Assemblée nationale ne
s'est pas gênée pour modifier profondément l'élection des sénateurs, contre
l'avis de la majorité de notre assemblée.
M. Alain Gournac.
Tout à fait. Il faut le rappeler.
M. Jean Delaneau.
On soutient que c'est un tout petit texte. Ce n'est pas un projet de loi,
c'est une proposition de loi émanant de quelques parlementaires ! Pourtant, le
Gouvernement demande l'urgence, ce qui est totalement contradictoire si c'est
un texte anodin.
Le Gouvernement déclare l'urgence, mais il l'assortit d'un discours qui se
veut très consensuel. On donne dans le
fair play
, on se veut
gentleman
en disant : on ne modifie pas les règles électorales moins
d'un an avant l'échéance, donc il faut aller vite.
Il s'agit là encore d'hypocrisie. D'abord, voilà environ un an, on a modifié
des règles concernant les élections municipales qui ont lieu dans un mois. Pour
ce qui concernait l'élection des grands électeurs, on n'a pas réussi jusqu'au
bout.
Aujourd'hui, il s'agirait d'instituer une sorte de règle de savoir-vivre entre
les deux assemblées. Mais l'amendement Pandraud, qui visait à inscrire dans la
loi qu'on ne peut pas modifier les modalités d'élection d'une assemblée moins
d'un an avant l'échéance, n'a jamais été voté par la majorité socialiste.
Nous sommes des gens bien, nous dit-on, et nous voulons laisser la possibilité
de préparer les échéances à venir. La ficelle est un peu grosse, même si on
l'habille de quelques fioritures roses !
Que de paradoxes ! On aurait pu, comme je le disais tout à l'heure à propos de
la démarche de Pierre Mendès-France au début des années soixante, avoir un beau
débat.
Il n'aurait pas été injurieux d'engager un grand débat sur la Constitution de
1958. On aurait pu se poser, au début de ce siècle, la question de savoir si
l'on souhaitait rester dans le dispositif constitutionnel institué il y un peu
plus de quarante ans ou si l'on souhaitait le modifier.
La Constitution a d'ailleurs été modifiée à de nombreuses reprises. Depuis
1974, j'ai dû aller une dizaine de fois à Versailles.
(Hélas ! sur les
travées du RPR.)
La Constitution actuelle ressemble-t-elle à celle de 1958 ? Ce n'est pas
évident. On peut se poser la question.
(Murmures sur les travées du
RPR.)
Le problème ce n'est pas seulement celui de la durée du mandat présidentiel. A
cet égard, je crois, à titre personnel, que le pivot de nos institutions est
bien le Président de la République. Sans aller vers un régime présidentiel, tel
que celui des Etats-Unis ou d'autres pays, je pencherai plutôt dans ce
sens-là.
Le problème, ce n'est pas seulement celui de la durée du mandat, disais-je. Il
faut aussi répondre à d'autres questions. Le mandat est-il renouvelable
plusieurs fois ? Faut-il un vice-président ? Qu'en est-il du droit de
dissolution ?
Vous voyez bien qu'il y a derrière tout cela beaucoup d'éléments qu'il
faudrait prendre en considération plutôt que de nous présenter des réformes qui
sont saucissonnées - mais, je le disais tout à l'heure, qui suivent un certain
fil rouge - et qui pourraient apparaître un jour comme étant à l'origine d'une
véritable modification de notre régime institutionnel réalisée à l'insu des
citoyens.
Il nous revient à nous, parlementaires, qui sommes leurs légitimes
représentants, de leur dire combien on nous abuse, combien on les abuse. C'est
ainsi qu'il faut comprendre, monsieur le ministre des relations avec le
Parlement, cette « action » de résistance face à ce qui est actuellement
entrepris.
Bien sûr, on ne peut pas bloquer complètement le dispositif. Aussi,
l'Assemblée nationale finira-t-elle probablement par avoir le dernier mot,
peut-être grâce au concours d'un certain nombre de nos collègues ne faisant
effectivement pas partie de la majorité plurielle, laquelle est amputée d'un
élément relativement important, le parti communiste, qui ne veut pas non plus
de cette mesure.
J'en reviens, monsieur le président Allouche, à la déclaration que vous avez
faite : « A nos yeux, il n'y a pas, comme certains le prétendent, qui veulent
la dénoncer, une opération politique. Si c'en était une, pourquoi certains qui,
à l'Assemblée nationale, ne sont pas des nôtres l'auraient-ils votée ? » Je
répondrai que c'est la démonstration qu'il s'agit bien d'une manoeuvre
politique ! En effet, à partir du moment où le Premier ministre ne disposait
plus de la majorité pour faire passer son texte - je parle non pas de majorité
de séance, mais de la majorité absolue, c'est-à-dire la moitié du nombre des
députés plus un -, il fallait bien trouver des appuis extérieurs, dont certains
peuvent être de bonne foi. En l'occurrence, ce qui intéressait le Premier
ministre, c'était d'attirer quelques-uns de nos collègues de l'Assemblée
nationale pour les amener, en première lecture, à adopter ce texte.
Seront-ils aussi présents en nouvelle lecture, aussi ardents ? J'en doute.
Cela dit, on sent bien que la précaution que veulent prendre le Gouvernement et
le Premier ministre, c'est toujours d'aller vite afin que tout soit bouclé
avant jeudi prochain au plus tard, car les députés, comme les sénateurs, seront
ensuite en campagne. Ce droit qui leur est reconnu d'avoir le temps de mener
leur campagne électorale est légitime et je pense qu'ils souhaiteront le faire
valoir.
Enfin, je crois que le Gouvernement n'a pas apprécié l'action du Sénat. Il a
tort, je le disais tout à l'heure, de ne pas se préoccuper de ce qui se dit
ici. Je prendrai un exemple récent : on ne peut pas dire que le crédit d'impôt
n'ait pas été annoncé comme étant la seule voie raisonnable et
constitutionnelle.
Nous l'avons dit lors de l'examen de la loi de financement de la sécurité
sociale au mois d'octobre, lors de la discussion de la loi de finances pour
2001 au mois de novembre. Nous l'avons encore dit, écrit et détaillé à
l'occasion de la loi de finances rectificative. M. Fabius, dont le dernier
reproche qu'on pourrait lui faire serait qu'il est sot, a bien vu que la voie
dans laquelle s'était engagée le Gouvernement était mauvaise et qu'il fallait
effectivement tenir compte de ce que proposait le Sénat.
Les hésitations, les valses à l'endroit et les valses à l'envers qui ont eu
lieu à ce moment-là, quand le Conseil constitutionnel a donné raison au Sénat
et à ceux de nos collègues de l'Assemblée nationale qui l'avaient saisi, toutes
ces gesticulations n'avaient pas d'autre objet que de trouver un mot différent
de celui qu'avait adopté le Sénat. Le tour était joué et quel tour de
passe-passe ! En changeant le mot, le magicien avait changé les choses !
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Jean Delaneau.
Aujourd'hui encore, le Gouvernement ferait bien, comme pour d'autres domaines,
d'écouter le Sénat.
On va sans doute nous répondre que nous avons fait traîner les choses, mais
qu'il faudra bien, d'ici au 30 juin, que l'ordre du jour soit traité tant par
notre assemblée que par l'Assemblée nationale ! En tant que président de la
commission des affaires sociales, je constate effectivement que des textes
importants sont en panne, mais je tiens à dire qu'ils l'étaient déjà avant l'«
incident », si je puis dire, relatif à la proposition de loi dont nous
discutons aujourd'hui. J'ai même, tout au long de l'année dernière, demandé au
ministre chargé des relations avec le Parlement de l'époque, aujourd'hui
ministre de l'intérieur, quand ils allaient venir en discussion ! Je pense,
entre autres, au texte sur la bioéthique, qui est prêt depuis fin 1999.
Il va donc y avoir un « bourrage » - c'est le mot que j'ai utilisé en
conférence des présidents - en fin de session, mais il n'aura rien à voir avec
ce qui se passe ces deux dernières semaines au Sénat et qui était prévisible.
Vos collaborateurs, qui étaient alors auprès du ministre concerné, savaient ce
qu'on annonçait et ce qui arriverait !
En vérité, le Gouvernement s'est trompé. Il a cru qu'il pourrait guider les
sénateurs vers la sortie, comme des moutons, et que, même s'ils montraient
quelques réticences, car les moutons manifestent parfois un peu d'indépendance,
ils finiraient par se ranger à l'avis général ; Panurge l'avait compris ! Eh
bien non !
Je terminerai en citant Friedrich Nietzsche : « Il n'y a rien de plus vexant
que de se faire mordre par un mouton ! »
(Applaudissements sur les travées
des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président.
Je constate que M. Delaneau, après M. Gérard Larcher, s'est beaucoup inspiré
des déclarations du sénateur Allouche. Si ce dernier ne s'exprimait pas, ses
collègues seraient en mal d'inspiration !
(Sourires.)
M. Jean Delaneau.
C'était gentiment !
M. le président.
La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy.
Monsieur le ministre, je salue votre présence. Vous nous faites la courtoisie
de participer à ce que je ne qualifierai pas de « débat », car, finalement, il
s'agit de moins en moins d'un débat. Nous en sommes réduits à une succession de
monologues qui a, peut-être, moins de valeur qu'un dialogue, même si c'est un
dialogue de sourds, si fréquent en politique parlementaire ! Mais telle est la
situation actuelle !
Monsieur Queyranne, bien que vous ne soyez pas ministre des sports, je
commencerai mon propos par une référence sportive.
Le Tournoi des six nations de rugby commence samedi. Le match France-Ecosse se
déroulera en France. Tout le monde pense qu'en définitive - peut-être
prématurément - la finale du Tournoi opposera l'Angleterre à la France. Il se
trouve que ce sera le dernier match. La France jouera à Londres.
Monsieur le ministre, je voudrais vous demander de participer à une petite
fiction. Imaginez que le match a lieu. La France, qui joue bien, a une avance
confortable à la mi-temps. Surprise ! A la reprise, les Anglais sont seize et
non plus quinze, car ils ont décrété, dans le silence de leur vestiaire, de
changer les règles du jeu.
Seize contre quinze ! Avec le rugby moderne, la fin du match risque d'être un
peu difficile !
Je voudrais que vous gardiez à l'esprit cette fiction tout au long de mon
propos et que vous fassiez l'effort intellectuel de la transposer dans la vie
politique française de ces dernières semaines et des semaines à venir.
Mes chers collègues, j'arrive avec humilité dans ce débat qui a été très dense
et dans lequel il y a eu peu de redites. Je vais tâcher d'y apporter ma modeste
contribution. Je commencerai par une parole, j'allais dire sans prétention, de
morale publique.
La politique a, certes, bien des défauts, mais peut-être pas plus que les
autres activités humaines !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Cela, c'est vrai !
M. François Trucy.
Elle a au moins un mérite : celui de se fonder sur un certain nombre de
principes qui, à nos yeux, lui confèrent noblesse et valeur. L'un de ceux-ci
peut se résumer ainsi : être investi d'une responsabilité publique, avoir le
souci de l'intérêt général - ce qui, jusqu'à preuve du contraire, est l'objet
de l'action politique - implique d'assumer des convictions fortes, étayées par
des arguments solides. Ce principe fait, je crois, partie de notre vie
quotidienne.
S'il faut parfois, en politique comme ailleurs, savoir négocier - uniquement
quand l'intérêt général le réclame -, la règle de base doit rester, et reste
toujours, de s'en tenir à ses convictions et de ne pas transiger. Le respect de
cette règle ne s'impose-t-il pas aujourd'hui, avec cette proposition de loi ?
Chacun des orateurs qui m'ont précédé à cette tribune s'est interrogé dans cet
esprit.
Pour ma part, je répondrai à la question en réclamant le respect des règles
démocratiques, car qui déroge à ces grands principes de la démocratie prend le
risque de la réprobation et du rejet, à tout le moins le risque de perdre sa
crédibilité personnelle et d'affecter son image publique.
Aujourd'hui, la question est simple et, pour nous, s'énonce très clairement :
faut-il souscrire à l'inversion de ce calendrier, telle qu'elle nous est
proposée ? En d'autres termes, faut-il déplacer la date de l'élection
présidentielle de manière à la placer avant les élections législatives ?
A votre grande surprise, je le dis d'emblée, je m'y oppose. Accepter
l'inversion du calendrier, pour nous, c'est céder à l'accessoire, tandis que la
refuser, c'est prouver que l'on se préoccupe de l'essentiel et que l'on veut
défendre l'essentiel.
Accepter l'inversion du calendrier serait accepter une réforme de
circonstance, de convenance, mise sur pied à la hâte et pour des raisons plus
que discutables, comme l'ont dit pratiquement tous les collègues qui m'ont
précédé. A la hâte si l'on considère les propos totalement inverses que tenait
encore sur le sujet le Premier ministre quelques courtes semaines auparavant
!
Refuser cette inversion, c'est au contraire obliger tous les acteurs du débat
public à engager une réforme de réflexion, de conviction, une réforme qui se
préoccupe véritablement de l'avenir de nos institutions ; et c'est bien là que
réside l'essentiel.
Pour nous, l'essentiel c'est la démocratie, c'est la défense permanente et
quotidienne de tous les éléments qui la constituent.
Nous avons donc le choix : nous soumettre au jeu des apparences, du court
terme ou, au contraire, nous préoccuper des réalités, du long terme,
c'est-à-dire de la réforme de nos institutions, et ce dans une perspective
d'avenir.
Pour cela, examinons d'abord la réforme qui nous est proposée avant
d'envisager des perspectives plus vastes et surtout plus pertinentes.
Il convient de rappeler pour commencer le contexte dans lequel s'est engagé le
débat parlementaire sur l'inversion du calendrier électoral.
L'initiative de ce débat précipité, c'est à l'hôtel Matignon qu'il faut aller
la chercher. En effet, au mois d'octobre dernier, le Premier ministre avait
déclaré vouloir s'en tenir au calendrier prévu et occuper ses fonctions
jusqu'au terme normal de la législature, pour ne parler de l'élection
présidentielle qu'après les élections législatives.
Or, quelques semaines plus tard, coup de théâtre, le même Premier ministre se
rallie à l'idée d'une inversion du calendrier électoral et engage immédiatement
le projet de réforme.
Il l'engage par le biais de plusieurs propositions de loi convergentes,
spontanées et concoctées dans les offices et les antichambres de l'Assemblée
nationale, et ce grâce à des renforts étrangers à la majorité plurielle.
Dans l'inspiration de ces trois textes, il y a eu coïncidence, convergence
d'ambitions électorales, mais rien qui puisse intéresser les Français. Monsieur
le ministre, comprenez notre irritation !
Cette volte-face viendrait-elle d'un simple caprice ? Ce serait totalement
inacceptable, et nous ne croyons pas à cette hypothèse.
Quelles sont donc les raisons de ce revirement sinon tardif, du moins brutal
?
Il s'agit, là encore, de distinguer entre les apparences et la réalité.
Officiellement, cette réforme nous est présentée comme s'imposant pour des
motifs de clarté, qui correspondraient de surcroît à l'esprit de la
Constitution, laquelle voudrait que l'élection présidentielle précédât les
élections législatives afin, nous dit-on, de ne pas porter atteinte à la
prééminence du Président de la République, clé de voûte de nos institutions.
Cependant, si l'on se réfère à l'histoire politique de la France depuis 1958,
on constate que, à plusieurs reprises, les législatives ont précédé la
présidentielle sans que l'équilibre des institutions ou les pouvoirs du
Président de la République se soient trouvés remis en cause.
De plus, aucune disposition dans le texte constitutionnel ne vient accréditer
cette conception de l'antériorité du scrutin présidentiel.
La vraie raison est donc ailleurs ; elle relève, à l'évidence, de la manoeuvre
politicienne. Naturellement, cela n'est pas avouable en ces termes. Nul
n'imagine en effet le Gouvernement allant afficher que cette proposition de loi
n'a d'autre objet que de créer une condition plus favorable à l'élection du
Premier ministre. Quoi qu'il en soit, l'évidence s'impose avec une telle force
qu'il serait vain de la nier.
On notera au passage que c'est un grand honneur pour une proposition de loi
que d'être déclarée d'urgence. Je n'ai pas une ancienneté suffisante dans cette
maison pour pouvoir en parler véritablement en connaissance de cause, mais je
ne crois pas qu'il y ait eu énormément de propositions de loi qui aient
bénéficié d'un traitement si honorable.
Imaginons un instant que le calendrier actuel soit maintenu et que les
élections législatives se présentent donc en premier. Il existerait alors bel
et bien un risque pour la majorité actuelle - du même coup, pour son chef - de
les perdre. Cela s'est déjà produit, et ce quels que soient les majorités
sortantes, les forces politiques en présence, voire les sondages.
Leur victoire n'est en effet nullement assurée, et ce pour deux raisons.
La première est l'incertitude éternelle liée à l'avenir, que nul ne peut, par
définition, maîtriser. Nul n'est capable de prédire ce qu'il adviendra dans un
an quelles que soient les analyses auxquelles il se livre lui-même et
auxquelles les exégètes participent. Rien n'est jamais acquis. Même la cote de
popularité la plus élevée, la plus solide en apparence peut très bien
s'affaiblir, voire s'effondrer en quelques semaines pour peu que la conjoncture
soit mauvaise et les rues encombrées par les manifestants.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. François Trucy.
Et il n'est nul besoin de revenir sur l'usure du pouvoir, phénomène quasi
physiologique que peut connaître tout gouvernement resté cinq ans au pouvoir,
ce qui est un score honorable, surtout à un moment où les corporatismes,
l'immobilisme et les mécontentements s'accroissent. C'est un phénomène français
quasi récurrent.
La seconde raison est politique ; elle est notamment liée à l'affaiblissement
du Front national, et là, je vais enfoncer quelques portes ouvertes.
Il ne faut pas oublier que la victoire de la gauche aux législatives de 1997
n'a été possible que grâce au maintien au second tour d'un nombre considérable
de candidats issus du Front national. Certains ont parlé de quarante, d'autres
de cinquante circonscriptions. Peu importe. Le phénomène a été suffisamment
clair pour que l'on puisse y faire référence. Dans les conditions de cette
époque, heureusement révolue à tous égards, les élections triangulaires avaient
permis aux candidats de la gauche de l'emporter.
Mais rien n'est plus aléatoire que de parier sur la répétition des précédents
: une fois n'est pas coutume.
Depuis 1997, le Front national a implosé ; il s'est divisé et il ne semble
guère en mesure de pouvoir jouer en 2002 les alliés objectifs de la majorité
actuelle, sauf dans quelques cas particuliers.
Revenons-en à notre scénario initial, celui de l'antériorité des élections
législatives, dans lequel le risque d'une défaite de la majorité actuelle ne
relève pas simplement de l'artifice théorique. Ce risque est envisageable, et
même très sérieusement envisagé, en particulier par l'équipe de Matignon, dont
l'une des fonctions est de prévoir. Dans quelle mesure, alors, le Premier
ministre, qui viendrait d'essuyer une défaite aux élections législatives,
pourrait-il se présenter dans de bonnes conditions à l'élection présidentielle
prévue dans la foulée ? De là à dénoncer l'inégalité des chances entre les
candidats, il n'y a qu'un pas dans le climat que nous connaissons. Le Premier
ministre l'a franchi rapidement. C'est tout à l'honneur de sa réactivité et de
son sens du calcul.
Il faut, dit-il, que chacun puisse faire campagne dans les mêmes conditions,
c'est-à-dire que chacun puisse élaborer sa stratégie sans la rendre dépendante
du résultat des élections législatives. On trouve toujours de bonnes raisons
pour justifier un coup politique !
L'idéal pour y parvenir, c'est de renvoyer les élections législatives à une
date ultérieure à l'élection présidentielle. Le moyen est simple : il suffit -
si l'on peut dire - de faire entériner cette décision par le Parlement, plutôt
d'ailleurs par l'Assemblée nationale, d'où la voie choisie par le Premier
ministre.
Cette situation est-elle pour autant acceptable ? Bien entendu, pour nous,
elle ne l'est pas. D'abord, parce que le caractère politicien de cette
manoeuvre nous déplaît. Ensuite et surtout, parce que cette réforme ne
résoudrait rien ; la plupart des arguments pour la justifier tombent un à un au
fil de la discussion. Ou plutôt, la réforme ne résoudrait qu'une situation
momentanée, en laissant de côté l'essentiel. Et l'essentiel aujourd'hui, ainsi
que je le disais, c'est l'avenir de nos institutions : faut-il les faire
évoluer ?
Cela ne semble guère faire de doute. Mais dans quel sens ? Faut-il les
modifier en partie ou les changer complètement, pour passer à ce que certains
appellent déjà la VIe République ?
Telles sont les vraies questions, voilà les véritables enjeux auxquels nous
devons nous efforcer de répondre. Pour cela, arrêtons-nous un instant pour
évoquer quelques perspectives envisageables.
Réformer nos institutions en profondeur, voilà bien une grande ambition pour
la France, une grande tâche pour le Parlement et pour l'exécutif. L'évolution
de la Ve République depuis 1958 au gré des alternances politiques et, par trois
fois, l'instauration d'une situation de cohabitation nous ont montré que notre
régime pouvait prendre une orientation tantôt présidentielle, notamment au
début de son histoire, tantôt parlementaire, à partir du milieu des années
1980.
D'aucuns prétendent que ce mouvement de balancier, qui reste théoriquement
possible à chaque grande consultation électorale, n'est pas sain, car il
entraîne un déséquilibre des pouvoirs nuisible à notre démocratie.
Ils proposent de clarifier cette situation en changeant de République, se
gardant bien de nous dire quelle serait alors cette République nouvelle.
S'il semble que personne ne souhaite vraiment le retour à un régime
parlementaire - ou du moins si personne n'ose le dire - tel qu'il existait
avant 1958, plusieurs s'interrogent, en revanche, sur la possiblité de mettre
en place un régime présidentiel tel qu'il existe actuellement aux
Etats-Unis.
Quels en seraient les principaux critères ?
Le régime présidentiel implique une séparation stricte des trois pouvoirs :
législatif, exécutif et judiciaire. Je note au passage que c'est sur ces mêmes
bases que nous vivons en France. En outre, ce régime, comme son nom l'indique,
est organisé autour de la prééminence du Président de la République.
Appliquer ce régime politique à la France entraînerait donc trois
modifications notables : il y aurait d'abord la suppression du poste de Premier
ministre, ce qui impliquerait que le Président choisirait et nommerait
directement les membres du Gouvernement, c'est ce qui se fait d'ailleurs dans
de nombreux pays, et pas seulement européens. Pour respecter l'indépendance des
pouvoirs, il faudrait ensuite retirer au chef de l'Etat le droit de dissoudre
l'Assemblée nationale et, corollaire de ce critère, retirer à l'Assemblée
nationale le pouvoir de voter une motion de censure à l'encontre du
Gouvernement.
Un tel régime n'est en théorie pas impossible à instaurer en France, mais il
comporte, à nos yeux, un très grand risque : celui du blocage des institutions,
auquel la souplesse de la Ve République ne nous a absolument pas préparés.
En effet, on peut dire beaucoup de choses sur le statut de la Ve République
mais il a, vaille que vaille, bien servi la France.
C'est pourquoi il faut sans doute rechercher une solution qui serait moins
radicale, une solution qui consisterait à rechercher un meilleur équilibre des
trois pouvoirs - exécutif, législatif et judiciaire - pour permettre à chacun
d'eux de jouer pleinement son rôle.
Cette solution emprunterait certaines caractéristiques du régime présidentiel,
qu'elle combinerait avec notre système actuel.
Ainsi, le droit de dissolution et le droit de censure pourraient être
supprimés, tandis que la fonction de Premier ministre serait maintenue. Dans
cette perspective, le Premier ministre et les autres membres du Gouvernement ne
seraient l'émanation que du seul chef de l'Etat, qui, quant à lui, jouerait un
rôle d'arbitrage, d'impulsion, sans interférer ensuite dans la politique du
Gouvernement.
Mais cela ne suffit pas. Il faut qu'à cet équilibre du pouvoir au sommet de
l'Etat corresponde un équilibre du pourvoir sur le plan local. Autrement dit,
il faut que la décentralisation, vaste chantier sans cesse interrompu et non
complété, soit pleinement acceptée dans son essence et renforcée dans ses
mécanismes. Cela signifie que les collectivités locales doivent être en mesure
de s'administrer plus librement et bénéficier d'une autonomie réelle, notamment
sur le plan fiscal.
Il ne suffit pas de proclamer tout cela. Encore faut-il aussi le mettre
réellement en pratique. Cela suppose que l'Etat cesse de venir constamment
porter atteinte, de manière insidieuse, aux acquis correspondant à la volonté
réelle des élus locaux et des citoyens eux-mêmes, qui ont bien pris goût à la
décentralisation si imparfaite soit-elle.
En effet, les citoyens, avant tout attachés à leurs libertés, ne veulent pas -
et ils le disent ! - d'un Etat omniprésent, d'une administration trop lourde,
en un mot, d'un système qui, par sa trop grande concentration, découragerait
l'initiative personnelle, l'envie d'entreprendre et d'agir et freinerait à
terme le développement économique.
Notez d'ailleurs, à ce propos, que, depuis environ une vingtaine d'années, les
mentalités de nos concitoyens ont très largement évolué et que la physionomie,
le visage de l'Etat n'est plus celui qu'ils exigeaient il y a trente ans : il
faut en tenir compte !
Ici, au Sénat, nous nous employons d'ailleurs à résister avec vigueur aux
tentations recentralisatrices auxquelles votre gouvernement semble, lui, céder
constamment. Nous l'avons toujours fait et nous continuerons à le faire, en
partenaires actifs et défenseurs des collectivités locales.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques
idées que je me suis permis d'exposer devant vous visent à poser quelques
jalons dans la perspective de l'élaboration d'un véritable projet d'avenir pour
nos institutions et, au-delà, pour notre société, parce que la question qui
nous est posée aujourd'hui, et à laquelle nous apportons la réponse que vous
savez, mérite un vrai débat, dépassant la simple réfutation des arguments du
Gouvernement. Ce projet, nous pourrons le construire ensemble. Chacun, s'il le
désire, pourra y apporter sa pierre, sa contribution efficace.
Je ne souhaite pas revenir sur la question initiale de l'inversion du
calendrier électoral de 2002, si ce n'est pour rappeler une dernière fois que,
avec mes amis du groupe Républicains et Indépendants, j'y suis totalement
opposé.
Nous devons nous souvenir que cette question est secondaire, que le véritable
débat se situe ailleurs et qu'il est de notre devoir de parlementaires de nous
préoccuper avant tout de l'intérêt des Français. En définitive, aux prochaines
élections, c'est bien cela qui doit avant tout compter.
Au moment de conclure, monsieur le ministre, monsieur le président, mes chers
collègues, je vous dois une confidence. Quand, voilà quelques mois, certains
ont commencé à se poser et à poser des questions sur le calendrier électoral
majeur - majeur en ce qu'il concerne les deux élections phares dans notre pays
-, ouvrant ainsi le premier débat sur le sujet, nous, au Sénat, en avons
beaucoup discuté et, personnellement, j'ai pensé qu'il y avait peut-être là
matière à réfléchir, que le Parlement pouvait examiner les différentes
hypothèses, mais au seul regard des intérêts de la République, avec le souci de
respecter la loi fondamentale et de servir l'intérêt général. C'est dire que je
n'étais pas du tout opposé par principe à une inversion du calendrier. Ce que
je ne peux accepter, c'est la manière insidieuse dont le Gouvernement nous la
propose aujourd'hui.
A partir du moment où les intentions du Premier ministre sont précises,
claires, je dirai même aveuglantes, qu'elles procèdent d'un calcul purement
politicien et opportuniste, que la proposition de loi ne vise qu'à procurer au
candidat socialiste à l'Elysée un joker électoral qui est présumé nuire à son
principal concurrent, à partir du moment où la manoeuvre de l'Assemblée
nationale pour la faire voter est absolument ahurissante, car elle a consisté
en un racolage immoral des députés centristes, alors, tous ceux qui voulaient
un vrai débat, sain et approfondi, des échanges clairs et sincères, ne peuvent
que se cabrer et rejeter le texte qui nous est soumis. Nul n'aime se faire
rouler, fût-ce dans la farine !
(Sourires sur les travées des Républicains
et Indépendants ainsi que sur celles du RPR.)
Monsieur le ministre, on ne joue pas impunément avec la vérité et la morale
politique, et la manoeuvre à laquelle le Gouvernement se livre est immorale ;
elle est méprisante pour le Parlement, ce qui est déjà assez grave, mais
surtout pour nos concitoyens, ce qui est impardonnable !
(Applaudissements
sur les mêmes travées.)
M. le président.
La parole est à M. Hethener.
M. Alain Hethener.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le
début de l'examen de cette proposition de loi organique, nous avons entendu un
grand nombre d'arguments et de justifications, mais il s'agit d'un débat qui,
s'il mobilise beaucoup le monde politique - encore que, à regarder les travées
de cet hémicycle, on peut penser que tous ne se mobilisent pas en même temps !
-, ne passionne malheureusement guère les Français.
Aussi limiterai-je mon propos à quelques réflexions.
Que l'on nous épargne tout d'abord l'argument de l'« esprit » des
institutions. Pour un gaulliste, cette course à une prétendue pureté originelle
qui serait la justification première de l'inversion du calendrier électoral est
plutôt consternante. On me permettra d'y répliquer en rappelant ce qui
constitue pour moi deux évidences.
Première évidence : les institutions de la Ve République ont une inspiration
présidentialiste, issue du discours de Bayeux, mais sont aussi la
concrétisation du parlementarisme rationalisé cher à Michel Debré. La seule
question, comme le soulignait M. Hervé Gaymard à l'Assemblée nationale, est de
savoir si ces deux conceptions de nos institutions peuvent alterner ou non.
Jusqu'en 1978, c'est l'inspiration présidentialiste qui a prévalu, comme l'a
illustré avec éclat la démission du général de Gaulle après le référendum de
1969.
Valéry Giscard d'Estaing, par son discours de février 1978 à
Verdun-sur-le-Doubs, Edouard Balladur, par son article de doctrine de l'automne
1985, et François Mitterrand, par sa décision de ne pas démissionner après la
défaite de son camp en mars 1986, ont montré en revanche que l'inspiration
parlementariste pouvait, avec la cohabitation, trouver toute sa place dans
notre pratique constitutionnelle.
Nous devons donc nous garder, mes chers collègues, de caractériser trop
rapidement les institutions de la Ve République. Elles ont duré parce que les
concepteurs ont su réconcilier les diverses inspirations constitutionnelles que
la France a connues au cours des siècles précédents.
Seconde évidence : la question de l'ordre du calendrier électoral n'a jamais
été considérée par quiconque, et surtout pas par le général de Gaulle, comme un
sujet majeur. La preuve en est que, en 1958, les élections législatives ont
précédé de deux mois l'élection présidentielle et que personne, et surtout pas
le général, n'a trouvé à y redire.
Aucun autre argument ne peut être trouvé dans toute l'histoire de la Ve
République.
Certes, il est souvent arrivé que des mandats électifs soient prolongés par le
législateur.
Ainsi, la loi du 21 décembre 1966 a reporté de mars à octobre 1967 le
renouvellement d'une série de conseillers généraux afin d'éviter que celui-ci
ne coïncide avec les élections législatives.
De même, la loi du 4 décembre 1972 a reporté le renouvellement d'une série de
conseillers généraux de mars à octobre 1973 afin d'éviter que celui-ci ne
coïncide, là encore, avec les élections législatives.
La loi du 8 janvier 1988 a reporté de mars à septembre le renouvellement d'une
série de conseillers généraux, afin d'éviter des difficultés d'organisation de
l'élection présidentielle.
La loi du 11 décembre 1990 a, pour sa part, prolongé le mandat d'une série de
conseillers généraux et écourté le mandat d'une autre série, afin d'assurer la
concomitance des élections régionales et des élections cantonnales.
La loi du 19 juillet 1994 a reporté de mars à juin 1995 les élections
municipales afin d'éviter des difficultés d'organisation de l'élection
présidentielle de 1995.
Quant à la loi du 6 février 1996, elle a reporté de mars à mai 1996 le
renouvellement des membres de l'assemblée territoriale de la Polynésie
française pour éviter que ces élections ne coïncident avec l'examen par le
Parlement d'une réforme du statut de ce territoire d'outre-mer.
Aucun de ces précédents ne peut être invoqué à propos du texte qui nous est
soumis, et je partage totalement le sentiment de notre rapporteur, car toutes
ces lois concernaient des assemblées locales.
En outre, ces assemblées n'ont pas elles-mêmes décidé de prolonger la durée de
leur mandat quelques mois avant le terme de celui-ci, comme l'Assemblée
nationale pourrait le faire dans le cas présent.
Je rappelle par ailleurs que, au cours du siècle écoulé, la prorogation du
mandat des députés n'est intervenue qu'à deux reprises : en 1918 et en 1940. De
pareils précédents, concernant des périodes particulièrement dramatiques de
notre histoire, justifient que l'on s'interroge sur le caractère impérieux des
motifs qui sous-tendent le présent texte.
Ainsi, non seulement ce texte est une modification sans précédent dans
l'histoire de la Ve République, mais, comme l'a excellemment montré notre
rapporteur, il ne correspond à aucun motif d'intérêt général.
La modification de la date d'une consultation électorale, accompagnée de la
prorogation de la durée d'un mandat, est une décision particulièrement grave.
Elle doit donc reposer sur un motif d'intérêt général, qu'il est difficile
d'appréhender dans la démarche qui nous est proposée aujourd'hui.
Je voudrais souligner, après notre éminent rapporteur, que le Conseil
constitutionnel a quelques exigences en matière de prorogation des mandats
électifs.
Souvenons-nous que le Conseil constitutionnel a été conduit à se prononcer à
quatre reprises sur des textes législatifs reportant la date de consultations
électorales. Dans les quatre cas, il s'agissait d'élections locales et non des
élections législatives.
S'agissant des décisions relatives au renouvellement des conseillers généraux,
il a, dans sa décision de 1990, estimé que le législateur pouvait déterminer la
durée des mandats des assemblées locales sous certaines conditions.
Il a observé que le législateur devait se conformer aux principes d'ordre
constitutionnel.
Il a souligné que la volonté du législateur de favoriser une plus forte
participation du corps électoral lors des consultations locales n'était
contraire à aucun principe ni à aucune règle de valeur constitutionnelle.
Il a enfin noté que les modalités de la réforme revêtaient un caractère
exceptionnel et transitoire, de telle sorte qu'elles n'étaient contraires ni au
droit de suffrage ni au principe de libre administration des collectivités
territoriales.
En 1994, le Conseil constitutionnel, saisi de la loi rétablissant le
renouvellement triennal par moitié des conseils généraux, a considéré que cette
réforme, que le législateur justifiait par la volonté de favoriser la
continuité de l'administration du département, n'était pas contraire à la
Constitution.
De plus, à propos de la loi sur le renouvellement des conseillers municipaux
de 1994, le Conseil constitutionnel a été conduit à se prononcer sur le report,
de mars à juin 1995, de l'organisation des élections municipales.
Dans sa décision, le Conseil a déclaré la loi conforme à la Constitution en
formulant les observations suivantes :
« Le législateur peut librement modifier les règles concernant le régime
électoral des assemblées locales dans le respect des dispositions et principes
de valeur constitutionnelle.
« La Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général
d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement ; il ne lui
appartient donc pas de rechercher si les objectifs que s'est assigné le
législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les
modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à ces
objectifs.
« Les travaux préparatoires de la loi précitée ont montré que la prorogation
du mandat des conseillers municipaux était nécessaire afin d'éviter des
difficultés de mise en oeuvre de l'organisation de l'élection présidentielle
prévue en 1995. »
Le ministre de l'intérieur ayant estimé devant l'Assemblée nationale que la
situation présente était comparable à celle de 1995, il convient de rappeler
que le législateur avait décidé de reporter au mois de juin les élections
municipales parce que, si ces élections avaient eu lieu au mois de mars, les
maires n'auraient eu qu'une journée pour décider éventuellement de se présenter
ou de présenter un candidat à l'élection présidentielle, comme la loi les y
autorise.
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Alain Hethener.
Enfin, l'existence de motifs d'intérêt général a également été prise en compte
dans la décision de 1996 relative au renouvellement des membres de l'assemblée
territoriale de la Polynésie française.
Ainsi, mes chers collègues, le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la
loi organique reportant du mois de mars au mois de mai 1996 le renouvellement
des membres de l'assemblée territoriale de la Polynésie française. Dans sa
décision, il a déclaré la loi organique conforme à la Constitution, en estimant
que la prorogation n'était pas manifestement inappropriée aux objectifs que se
fixait le législateur, à savoir la volonté d'éviter la concomitance du
renouvellement des membres de l'Assemblée territoriale et de l'examen, par le
Parlement, d'une réforme du statut du territoire concerné.
Si le report d'élections locales a donc été jusqu'à présent admis par le
Conseil constitutionnel, celui-ci a cependant vérifié que le choix du
législateur n'était pas manifestement inapproprié aux objectifs fixés. Il a
également été attentif à ce que les dispositifs proposés revêtent un caractère
exceptionnel et transitoire.
Il a enfin admis que le législateur pouvait déroger à l'égalité pour des
motifs d'intérêt général à condition que la différence de traitement qui en
résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit.
Les motifs d'intérêt général accueillis favorablement par le Conseil
constitutionnel étaient - vous me permettrez de vous citer, monsieur le
rapporteur - les suivants : la volonté d'éviter des difficultés matérielles
d'organisation des élections présidentielles ; la volonté d'assurer la
continuité de l'administration d'une collectivité ; la volonté de favoriser une
participation accrue des citoyens aux consultations électorales ; la volonté
d'éviter que l'élection d'une assemblée territoriale ne se déroule au moment
même de l'examen par le Parlement d'un texte modifiant le statut du territoire
concerné, notamment en ce qui concerne les pouvoirs de l'Assemblée
territoriale.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Très bien !
M. Alain Hethener.
Aucun motif comparable à ceux qui sont invoqués par les défenseurs de cette
proposition de loi ne paraît donc justifier le texte soumis à notre Haute
Assemblée, même si le Gouvernement a cru bon, à l'Assemblée nationale, de
s'appuyer sur des recommandations du Conseil constitutionnel qu'il n'avait
jusqu'alors pas prises en compte pour justifier la modification de l'ordre des
échéances électorales.
Qu'en est-il, en réalité, des observations du Conseil constitutionnel ?
Le 23 juillet 2000, le Conseil constitutionnel a formulé des observations dans
la perspective de l'élection présidentielle. Ces observations concernaient les
mesures d'organisation des opérations électorales, la présentation des
candidats, le déroulement de la campagne électorale et les comptes de
campagne.
La première des observations du Conseil constitutionnel concernait cependant
la date des scrutins prévus en 2002. Je la cite : « Pour des raisons de
principe autant que pour des motifs pratiques, il importe que les citoyens
habilités à présenter les candidats en application de l'article 3 de la loi n°
62-1292 du 6 novembre 1962 puissent le faire après avoir pris connaissance des
résultats de l'élection à l'Assemblée nationale. Le deuxième tour de cette
élection devrait donc avoir eu lieu lorsque s'ouvrira la période de recueil des
présentations par le Conseil constitutionnel. »
Compte tenu de l'ensemble de ces règles, les élections législatives pourraient
être organisées en 2002 entre le 3 février et le 31 mars. L'élection
présidentielle pourrait être organisée les 14 et 28 avril ou les 21 avril et 5
mai.
Si le premier tour de l'élection présidentielle est organisé le 14 avril, les
présentations des candidats devront être adressées au Conseil constitutionnel
au plus tard le 26 mars à minuit. Si le premier tour est organisé le 21 avril,
les présentations devront être adressées au plus tard le 2 avril à minuit.
Il apparaît que la recommandation du Conseil constitutionnel est aisée à
mettre en oeuvre et ne nécessite pas les actuelles contorsions du Gouvernement
soutenu par une majorité pour le moins hétéroclite.
Pourtant, les défenseurs de ce texte estiment que cette exigence justifie le
report des élections législatives après l'élection présidentielle.
Observons tout d'abord qu'il est singulier que pareil argument soit avancé à
l'occasion de la discussion de la présente proposition de loi organique.
En effet, pour tenir compte des observations du Conseil constitutionnel
formulées en juillet dernier, le Gouvernement a déposé un projet de loi
organique relatif à l'élection du Président de la République, projet de loi qui
est actuellement en cours de discussion. Il n'a pas souhaité, dans ce texte
pourtant spécifiquement destiné à mettre en oeuvre les recommandations du
Conseil constitutionnel, formuler une proposition quelconque à propos des dates
des scrutins. Il a même demandé le retrait d'un amendement tendant à modifier
l'ordre des consultations électorales lors de l'examen du texte en première
lecture par l'Assemblée nationale.
En outre, il est difficile de percevoir où se situe la difficulté évoquée par
les auteurs de la présente proposition de loi organique. Comme le précisait M.
le rapporteur, une difficulté dans l'organisation des parrainages des candidats
à l'élection présidentielle ne pourrait surgir que si le Gouvernement,
compétent pour fixer les dates des élections, retenait parmi les dates
possibles la plus tardive pour l'organisation des élections législatives et la
plus précoce pour l'organisation de l'élection présidentielle. Mais pourquoi le
Gouvernement choisirait-il ces dates extrêmes ?
Ainsi, il n'existe aucune difficulté pratique, aucun motif d'intérêt général
susceptible de justifier une modification de la date d'expiration des pouvoirs
de l'Assemblée nationale et donc une prorogation de la durée du mandat des
députés. Il s'agit en l'espèce non pas de savoir si le Gouvernement peut régler
une difficulté pratique par d'autres moyens que la modification du calendrier
électoral, mais de constater, après vous, monsieur le rapporteur, qu'il
n'existe pas en fait de difficulté pratique.
Le texte que vous soutenez aujourd'hui, monsieur le ministre, est bien une
réforme de convenance qui, derrière un habillage institutionnel, n'est inspirée
que par des considérations politiciennes.
M. Alain Gournac.
C'est sûr !
M. Alain Hethener.
Pour ces raisons, je ne pourrai le voter ; je ne me prêterai pas à une
opération que même vos amis du journal
L'Humanité
qualifient de
manipulation.
Autre raison qui m'interdit de le voter, ce n'est pas la question de la
réforme de nos institutions politiques qui doit nous mobiliser : c'est aux
grandes réformes qui sont en suspens parce que le Gouvernement n'a pas la
volonté politique de les engager que nous devons nous consacrer.
Je pense à l'épineux problème du financement des retraites, ou encore à
l'indispensable sursaut républicain en matière de sécurité des personnes et des
biens.
M. Alain Gournac.
Oh oui !
M. Alain Hethener.
Le Premier ministre doit avoir bien peur de perdre les élections législatives
pour se prêter à une telle manoeuvre ! Tout ce que l'on peut dire, c'est que
les Français jugeront sur pièces, mais je suis vraiment peiné d'avoir
aujourd'hui encore lu dans la presse que le Premier ministre « veut "punir" »
le Sénat.
M. Alain Gournac.
« Punir » !
M. Jean-Pierre Raffarin.
C'est inacceptable !
M. Alain Hethener.
Au lieu de le « punir », il ferait mieux de l'écouter !
(Applaudissements
sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Raffarin.
Punir le législateur c'est punir le peuple !
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quinze
heures.)
M. le président.
La séance est reprise.
Mes chers collègues, M. le président du Sénat m'a chargé de vous transmettre
ses excuses. Invité d'honneur de l'Association des maires du Nord, il préside
aujourd'hui leur assemblée générale et il ne peut donc être présent parmi
nous.
3
questions d'actualité
au gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Conformément à la règle établie par la conférence des présidents, je rappelle
que l'auteur de chaque question et le ministre qui lui répond disposent de deux
minutes trente, pas davantage.
Chaque intervenant aura à coeur de respecter le temps ainsi imparti afin que
toutes les questions et toutes les réponses puissent bénéficier de la
retransmission télévisée.
politique du gouvernement
en matière de sécurité
M. le président.
La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy.
Monsieur le ministre, dès son arrivée à la tête du Gouvernement, le Premier
ministre a décidé d'inscrire l'emploi et la sécurité comme priorités de son
action.
Dès l'automne 1997 - il n'a donc pas tardé -, lors du colloque de Villepinte,
il a rappelé que la sécurité était une liberté première et que le respect de la
loi et de l'ordre est l'un des principes de notre République, sans oublier que
l'homme, et le respect qui s'attache à sa personne, doit toujours demeurer au
coeur de l'action. C'est pourquoi la tâche est difficile. Aussi, je veux rendre
hommage à tous ceux - policiers, magistrats - qui ont la tâche de défendre
cette liberté qu'est la sécurité.
Lors de la première réunion du conseil de sécurité intérieure, il a donné la
priorité à la police de proximité et il a annoncé la mise en place des contrats
locaux de sécurité.
Aujourd'hui, monsieur le ministre, la pertinence de cette approche est
confirmée, vous le savez, par la stabilisation, voire par la baisse, de la
délinquance de voie publique dans les villes où la police de proximité est mise
en oeuvre...
M. Michel Caldaguès.
C'est faux !
M. Pierre Mauroy.
C'est faux, dites-vous ? Non, soyez correct, c'est vrai ! J'ai bien précisé :
« dans les villes où la police de proximité est mise en oeuvre », et où les
élus ont su donner un véritable contenu aux contrats locaux de sécurité.
Personne ne peut le démentir !
En dépit de cette tendance positive et alors que le sentiment d'insécurité des
Français reste, il est vrai, fort et que les statistiques sont en
demi-teinte,...
M. Roger Karoutchi.
En effet !
M. Pierre Mauroy.
... des élus de droite tentent de faire de la sécurité un enjeu politicien.
(Exclamations sur plusieurs travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean Delaneau.
Et vous, vous ne l'avez jamais fait ?
M. Pierre Mauroy.
Le Gouvernement, qui fait son devoir, n'a de leçon à recevoir de personne - le
Premier ministre l'a dit et nous le disons avec lui !
(Applaudissements sur
les travées socialistes) -...
M. Jean Delaneau.
Alors, retirez toutes les leçons que vous nous avez données !
M. Pierre Mauroy.
... et surtout pas venant d'anciens ministres qui tentent, par une surenchère
démagogique et dangereuse, de faire oublier leurs propres insuffisances et
leurs erreurs des années 1996 et 1997.
(Applaudissements sur les travées
socialistes et exclamations sur plusieurs travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Veuillez poser votre question, monsieur Mauroy.
M. Pierre Mauroy.
Monsieur le ministre, pouvez-vous confirmer devant le Sénat l'étendue et le
calendrier des moyens que le Gouvernement entend mettre à la disposition de la
police et de la justice ?
M. Henri de Raincourt.
C'est deux minutes et demie !
M. Pierre Mauroy.
La prévention est le volet inséparable de la répression et de la sanction.
M. le président.
Posez votre question, monsieur Mauroy !
M. Pierre Mauroy.
La meilleure prévention, c'est encore le retour à l'emploi, le recul du
chômage, le sentiment pour les Français que l'avenir sera meilleur.
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Mauroy.
M. Pierre Mauroy.
Je vais conclure, monsieur le président, mais vous devez décompter le temps
des interruptions.
Dans ce domaine, le Gouvernement réussit là où la droite a échoué.
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean-Jacques Hyest.
Et ça, ce n'est pas politicien ?
M. Pierre Mauroy.
Ma question est très simple. En son temps, le Gouvernement avait déclaré que
le chômage n'était pas une fatalité. Il le prouve aujourd'hui.
(Exclamations sur les mêmes travées.)
Monsieur le ministre, compte tenu
de votre détermination à mettre en oeuvre les mesures annoncées, pouvez-vous
dire aujourd'hui avec nous que la sécurité n'est pas non plus une fatalité, et
que le Gouvernement prend les mesures qu'il faut pour assurer la sécurité des
Français ?
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Pierre Raffarin.
Vous cachez mal votre inquiétude !
M. le président.
Mes chers collègues, écoutons-nous les uns les autres.
M. Gérard Larcher.
Oui, mon père !
(Sourires.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le Premier ministre,
vous avez rappelé, à juste raison, que la sécurité figure au titre des
priorités du gouvernement, comme l'avait annoncé le Premier ministre en juin
1997. La sécurité est un des fondements de la vie en société, c'est un élément
du contrat social.
M. Alain Gournac.
Amen !
(Sourires.)
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Et, vous le savez, toute
atteinte à ce droit est une injustice ; c'est aussi, souvent, une injustice
sociale car elle touche les plus démunis.
Monsieur Mauroy, vous avez souhaité connaître les moyens que le Gouvernement a
mis en oeuvre sur le terrain pour lutter contre l'insécurité.
M. Serge Vinçon.
Ce n'est pas ce qu'il a demandé !
M. Alain Gournac.
Il n'a rien demandé !
M. Gérard Larcher.
Il a dit que tout était bien !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Je veux rappeler les deux
piliers de la politique en la matière. Il s'agit, d'abord, de la police de
proximité. En effet, les fonctionnaires sont affectés sur un territoire, ils en
sont responsables, ils exercent la plénitude du métier de policier, et je veux
leur rendre hommage pour le travail qu'ils accomplissent.
MM. Alain Gournac et Serge Vinçon.
Nous aussi !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
D'ailleurs, quand la police de
proximité se déploie sur le terrain, comme c'est le cas dans les départements
prioritaires - elle sera généralisée en 2002 - les résultats sont là, en
particulier pour la délinquance de voie publique.
Mme Dinah Derycke.
C'est vrai !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Il s'agit, ensuite, du
partenariat, avec la volonté d'associer à cette démarche de sécurité bien sûr
la police et la justice mais aussi les éducateurs, les élus locaux, les
associations, les bailleurs, les transporteurs, pour faire que cette politique
de sécurité soit portée par l'ensemble de la société. De ce point de vue, les
contrats locaux de sécurité, qui sont au nombre de quatre cent soixante-dix,
permettent de conjuguer, comme vous le souhaitez, prévention et sanction.
M. Alain Gournac.
Conjuguons !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Tout va bien !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Je crois que l'on ne peut pas
opposer la prévention et la sanction, c'est trop schématique. Il faut agir dans
ces deux domaines. La crédibilité de la prévention passe aussi par l'existence
d'une sanction et d'un rappel à la loi.
M. Serge Vinçon.
Il faut aussi des résultats !
M. Alain Gournac.
Exactement !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
En ce qui concerne les moyens,
je voudrais rappeler que nous devons faire face, pendant ces cinq années
1998-2003, au départ de très nombreux policiers. A cause de la pyramide des
âges dans la police, vingt-cinq mille policiers partent en retraite. Rien
n'avait été prévu pour faire face à cette situation.
M. Alain Gournac.
Rien !
(Sourires sur les travées du RPR.)
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
C'est pourquoi nous avons
recruté trois mille emplois en surnombre pour faire face à cette baisse
démographique.
(M. Michel Caldaguès s'exclame.)
Et M. le Premier ministre vient
d'annoncer mille emplois supplémentaires de gardien de la paix
(Ah ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants)...
M. Alain Gournac.
Bravo !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
... qui permettront de faire
face à ces difficultés. Je dis bien qu'il s'agit d'emplois supplémentaires,
pour compléter les effectifs au-delà des vingt-cinq mille dont nous venons de
parler.
M. Michel Caldaguès.
C'est dérisoire !
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Sans oublier la mise en place
des adjoints de sécurité, qui sont vingt mille aujourd'hui, c'est-à-dire deux
fois plus nombreux que les policiers auxiliaires, et qui accomplissent un
travail exemplaire sur le terrain.
M. le président.
Je vous prie de conclure, monsieur le ministre !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Je veux aussi souligner que, en
ce qui concerne les moyens financiers, 450 millions de francs permettront de
financer cette police de proximité, qu'il s'agisse des commissariats, des
véhicules ou des téléphones, et que nous prévoyons par ailleurs d'étendre la
qualification d'officier de police judiciaire aux différents gradés et
gardiens, pour leur donner un moyen plus fort, sur le plan juridique, d'exercer
leur mission.
M. le président.
Il faut conclure, monsieur le ministre.
M. Alain Gournac.
C'est un peu long !
M. Pierre Hérisson.
M. le ministre parle depuis dix minutes !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
J'en termine, monsieur le
président.
Comme vient de l'exprimer M. Mauroy, je ne crois pas que la solution soit de
municipaliser la police nationale.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Serge Vinçon.
Personne ne l'a demandé !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
On connaît les dangers de ce
type d'action. En réalité, ce qui permet d'avancer sur ce terrain de la
sécurité, c'est une politique globale, déterminée, avec des moyens et en
coopération avec les élus locaux...
MM. Serge Vinçon et Alain Gournac.
Ah !
M. Jean-Pierre Raffarin.
C'est bon, ça vient !
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
... pour que nous fassions
vivre concrètement, sur le terrain, ce qui est un élément du pacte
républicain.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur plusieurs travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Pierre Raffarin.
Tout va bien !
M. Pierre Mauroy.
Vous, vous êtes en plein Far West !
M. Hilaire Flandre.
Ce serait peut-être mieux !
BAGARRES ENTRE BANDES
DANS LE QUARTIER DE LA DÉFENSE
M. le président.
La parole est à M. Ceccaldi-Raynaud.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Monsieur le président, je vous prie de me laisser un temps de parole identique
à celui de M. le ministre !
M. Emmanuel Hamel.
Mais vous n'êtes pas encore ministre !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Pour ma part, je ne l'espère pas !
Mes chers collègues, après les congratulations mutuelles que nous venons
d'entendre, venons-en aux réalités : les hordes sauvages - de « sauvageons »,
pour employer un mot de la gauche - qui se sont disputé le contrôle d'un grand
centre commercial à La Défense sur la commune de Puteaux.
Ces sauvageons étaient armés de haches et de poignards pour un après-midi des
« longs couteaux ». Certains étaient cagoulés comme de vulgaires insulaires.
(Rires.)
M. Emmanuel Hamel.
C'est un Corse qui parle !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Il a fallu près de deux heures pour rétablir l'ordre public.
Je sais les difficultés que peut poser la sécurité. Il s'agit parfois de
problèmes d'une extrême complexité, ce qui doit inciter chacun à la
modestie.
M. Raymond Courrière.
C'est vrai ! C'est bien de le reconnaître !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Toutefois, étant donné l'exceptionnelle gravité des incidents, quelques
questions se posent. M. le ministre de l'intérieur a reconnu à l'Assemblée
nationale avoir été prévenu des brutalités en préparation. Monsieur le
secrétaire d'Etat, pourquoi, selon un principe de base de la bataille de rue,
n'a-t-on pas essayé de bloquer ces cohortes brutales à la gare du RER ?
M. le président.
Posez votre question, monsieur Ceccaldi-Raynaud.
Plusieurs sénateurs du RPR.
La voilà la question !
M. le président.
Alors, concluez, monsieur Ceccaldi-Raynaud !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Conclure ? J'ai trois questions à poser. Je ne pourrais en poser qu'une, alors
que le ministre aura tout le temps de répondre ? Est-ce là votre justice,
monsieur le président ?
M. le président.
Monsieur Ceccaldi-Raynaud, la règle est fixée et, comme chacun de nous, vous
la connaissez.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Je la connais ! J'en viens donc directement à ma dernière question, en
renonçant à poser la deuxième.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la durée des affrontements et l'échec d'une
police pourtant courageuse ne signifient-ils pas que toutes les mesures que
vous envisagez ne sont que des effets d'annonce ? Elles ne produiront aucun
effet...
M. le président.
Posez votre question, monsieur Ceccaldi-Raynaud !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
... car, selon la presse, vous vous interrogez encore sur la notion de
sanction,...
M. le président.
Votre question, monsieur Ceccaldi-Raynaud !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
... parce que le concept de sécurité a été trop longtemps étranger à vos
rêveries collectives
(M. Roger Karoutchi applaudit),
inspirées de la rêverie d'un promeneur
solitaire.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Avant de vous donner la parole, monsieur le secrétaire d'Etat,...
M. Hilaire Flandre.
On aurait mieux aimé M. Vaillant !
M. le président.
... je rappelle que d'autres questions portent sur la sécurité. Aussi, je vous
demande d'être concis afin que nous puissions respecter le temps qui nous est
imparti. Je vous remercie par avance.
Vous avez la parole, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le sénateur, après les
incidents graves de samedi dernier, vous posez la question de l'efficacité des
forces de police.
Oui, en effet, les forces de police ont été informées que trois sites, dont
celui de la Défense, pouvaient être le théâtre d'affrontements entre des bandes
rivales.
Il nous faut, monsieur le sénateur, nous féliciter de la qualité de
l'information de la police et l'en féliciter, car c'est bien elle qui a permis
samedi dernier, dans votre département, de mettre en place un dispositif
particulier de surveillance, même si, à la Défense - et vous connaissez mieux
que moi la dimension de ce site -, plusieurs lieux pouvaient être concernés.
C'est donc bien ce dispositif qui a permis, le 27 janvier, une intervention
rapide des forces de l'ordre, intervention qui a rassemblé plus de cent trente
policiers et a permis l'interpellation de vingt-huit personnes, dont vingt et
une ont été mises à la disposition de l'autorité judiciaire.
(Protestations
sur les travées du RPR.)
M. Gérard Larcher.
Qui les a libérés assez rapidement !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Cette intervention a eu pour effet - je tiens à
insister sur ce point - d'éviter que des tiers ne soient agressés et d'empêcher
que des exactions ne soient commises dans le centre commercial des Quatre
Temps.
Le dispositif de coordination que j'évoquais a également permis, au retour,
l'interpellation à Poissy de sept individus.
Je tiens à souligner, après Jean-Jack Queyranne, que cet événement illustre
parfaitement la nécessité de l'unité de la police nationale qui, seule, permet
la coordination indispensable à son efficacité.
La proposition faite par l'opposition, tout au moins par quelques membres de
celle-ci, de conférer au maire l'autorité sur la police nationale
(Vives
protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants)
...
M. Gérard Larcher.
Vous n'avez rien compris !
M. Henri de Raincourt.
Cela n'est pas vrai ! C'est faux !
MM. Alain Gournac et Serge Vinçon.
Mensonges !
Un sénateur du RPR.
Vous n'avez pas écouté !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
... irait bien évidemment à l'encontre de cette
nécessité en morcelant le pouvoir de décision. L'exemple que vous avez donné,
monsieur le sénateur, de l'intervention de la police sur le site de la Défense,
site réparti entre trois communes, devrait à lui seul suffire à vous faire
réfléchir sur la nécessité de l'unité de commandement de la police nationale.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - Vives protestations sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Gournac.
Ce n'est pas brillant ! Il ne faut pas lire tout le papier !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Quand on n'a pas d'idées, on caricature celles des autres !
ATTRIBUTION DES LICENCES UMTS
M. le président.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie, mais elle
concerne aussi en partie Mme Tasca, puisqu'elle a trait aux problèmes
d'attribution de fréquences, et plus particulièrement des fréquences UMTS.
Cette attribution est en effet d'une brûlante actualité, et le « concours de
beauté » - c'est le terme consacré - qui a été préparé présente un caractère
quelque peu anormal dans la mesure où il n'y a que deux candidatures pour
quatre réussites possibles. Pourquoi ? Cela était-il prévisible ?
Il est certain qu'en matière de télécommunications mobiles à grand débit les
coûts de déploiement des infrastructures sont très élevés. Les terminaux
n'existent pas encore, non plus que les services ni, par conséquent, la moindre
connaissance du futur marché. Les usages suivront-ils ? Il s'agit donc de
procédures très risquées. Certes, il faut savoir risquer, mais à bon
escient.
J'ajouterai que toute ponction financière élevée sur les industriels augmente
forcément ces risques et peut affecter durablement l'avenir et la dynamique de
ce secteur, qui a un impact considérable sur l'emploi. Monsieur le secrétaire
d'Etat, vous avez préfacé, en juin 2000, une étude de votre ministère, réalisée
par le BIPE, le bureau d'information et de prévision économique, montrant
l'importance capitale de ce secteur. Bien qu'il ne représente qu'un vingtième
du produit intérieur brut, il intervient pour près de la moitié de la
croissance française. Par conséquent, pénaliser ce secteur peut nous coûter un
point de croissance, avec les pertes d'emploi correspondantes.
En Grande-Bretagne et en Allemagne, les enchères ont été l'objet d'un vent de
folie. En France, l'excès a certes été un peu moindre, mais nous n'avons
cependant pas faire preuve de la même prudence que nos amis scandinaves qui, en
la matière, sont parfaitement conscients et ne ponctionnent pas leurs
industriels.
Par conséquent, ils peuvent développer leur industrie...
M. le président.
Posez votre question, monsieur Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Le problème des fréquences, qui est d'une importance considérable dans tous
les secteurs d'activité et pas seulement pour les fréquences UMTS, mérite un
débat démocratique, une mise à plat de l'ensemble des fréquences avec, en
particulier, l'intervention du Parlement.
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Laffitte !
M. Pierre Laffitte.
M. le secrétaire d'Etat acceptera-t-il de tenir compte de notre légitime
inquiétude et de faire une réponse claire, logique et conforme aux droits du
Parlement en ce qui concerne la façon future de développer les actions
concernant ces fréquences ?
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie.
Où en sommes-nous, en effet, monsieur le
sénateur ? Le marché et la situation du secteur des télécommunications ont
profondément évolué au cours des six derniers mois ; c'est un fait. Par
exemple, un abonné mobile, qui était valorisé à 10 000 euros voilà six mois, ne
l'est plus aujourd'hui qu'au tiers environ de cette valeur.
La procédure en cours s'est déroulée de manière transparente et non
discriminatoire, en accord avec l'ART, l'Autorité de régulation des
télécommunications. Elle doit se poursuivre ; le Parlement sera évidemment tenu
informé de cette démarche et y sera associé.
La procédure en cours doit se poursuivre et être menée à son terme, en accord
avec l'ART, qui procède à l'instruction des dossiers déposés, et ce - nous
l'espérons du moins - le plus vite possible, pour que, au début du printemps,
l'instruction actuelle ait abouti.
Afin de renforcer la concurrence, le Gouvernement lancera, sur proposition de
l'ART, un appel à candidatures complémentaire pour les licences non attribuées,
dont les modalités restent à définir.
M. Hilaire Flandre.
On brade !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Elles s'appliqueront à l'ensemble des opérateurs qui
se verront attribuer une licence UMTS afin de garantir le principe d'égalité et
celui de non-discrimination, garantis par la loi française et par les
directives communautaires. Elles devront permettre
in fine
l'existence
de quatre opérateurs et de quatre candidatures. Nous pourrons jouer sur
plusieurs paramètres de l'appel à candidatures : la durée des licences, le
montant des redevances, le calendrier de leur paiement.
Dans une question que vous m'aviez posée récemment, vous évoquiez, monsieur le
sénateur, l'idée d'un paiement proportionnel aux recettes d'exploitation des
opérateurs. Tel est le choix du gouvernement espagnol, qui mérite d'être
examiné. Le moment venu, nous aviserons et nous nous adapterons à la situation
afin - je tiens à vous rassurer, monsieur le sénateur - que l'attribution des
licences UMTS ne se fasse pas au détriment du secteur des télécommunications, à
sa croissance en France - il contribue, en effet, pour beaucoup à la croissance
globale de l'économie - ni au détriment de la promotion d'une nouvelle
technologie à laquelle le Gouvernement, comme l'ensemble des sénateurs, est
vraiment, vous le savez, très fermement attaché et qui permettra aux
industriels européens, en particulier français, d'assurer leur
leadership
sur le plan mondial.
M. Emmanuel Hamel.
Pas
leadership
! Parlez français !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Rassurez-vous, les choses vont bien pour les
opérateurs UMTS et les producteurs de contenu. Mme Tasca pourrait l'affirmer
comme moi. Cette procédure est donc bien engagée. Il s'agit maintenant
d'assurer le succès français.
(Applaudissements sur les travées socialistes
ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen. -
M. Pelletier applaudit également.)
GRÈVE À LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DE PRODUCTION (SFP)
M. le président.
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis
plusieurs semaines maintenant, les personnels de la Société française de
production, la SFP, majoritairement en grève, attendent du Gouvernement une
réponse sur le sort de leur entreprise et, à travers elle, sur la sauvegarde de
leur emploi.
De menaces de privatisation en plans de restructuration, la SFP affiche
aujourd'hui des pertes d'exploitation qui appellent des décisions rapides.
Nous avons proposé, lors du débat relatif à la liberté de communication,
l'intégration de la SFP au sein de la
holding
France Télévision.
En effet, avec la SFP, c'est tout l'avenir de la production et de
l'audiovisuel public qui est posé dans notre pays à un moment où la
multiplication des canaux de diffusion télévisuelle nécessite et nécessitera la
création de millions d'heures d'émissions audiovisuelles.
Dans ce contexte, nous le pensons, la SFP peut et doit trouver une place. Cela
permettrait de sauvegarder un ensemble de savoir-faire et des qualifications
qui ont fait sa réputation et qui pourraient être au service de la création et
de l'originalité audiovisuelles française et européenne, dans le cadre d'un
ambitieuse industrie de programmes.
Il n'est plus temps aujourd'hui de laisser cette question sans réponse. Je
viens d'apprendre, par l'AFP, la nomination d'un médiateur. Bien ! Mais il n'en
demeure pas moins que l'Etat, c'est-à-dire nous tous, a une responsabilité
particulière à l'égard des 430 hommes et femmes qui constituent le personnel de
l'entreprise et qui attendent non sans inquiétude, non sans exaspération, de
connaître ce que sera leur futur proche et l'avenir d'un outil auquel ils
restent très attachés. Les collectivités locales, comme vous le savez, sont
mobilisées. Mme Luc peut en témoigner pour ce qui concerne le conseil général
du Val-de-Marne.
Un climat de confiance doit s'instaurer à nouveau et le dialogue doit
déboucher sur des perspectives viables non seulement pour l'entreprise mais
aussi pour la production au sein même de France Télévision et, dans un contexte
très concurrentiel, dans l'ensemble du système de production audiovisuelle.
Vous le savez bien, madame la ministre, tous attendent beaucoup de la réponse
que vous allez nous donner.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées
du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le sénateur, le
Gouvernement a parfaitement conscience que la SFP est confrontée depuis des
années à des difficultés aiguës. Les causes de cette situation sont connues :
c'est la surcapacité sur le marché de production, c'est aussi la concurrence de
certaines entreprises qui recourent à des pratiques sociales très
contestables.
La démarche du Gouvernement n'a pas changé : il a donné dans les récentes
années des aides financières très importantes en espérant permettre à
l'entreprise de s'adapter et d'affirmer sa compétitivité.
Aujourd'hui, l'existence de pertes d'exploitation répétées, comme vous le
signalez justement, monsieur le sénateur, exige à nouveau une réponse rapide
apportant une solution réaliste et durable. Je sais que certains salariés de la
SFP souhaitent être intégrés au sein des autres entreprises de l'audiovisuel
public,...
Mme Hélène Luc.
La grande majorité !
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
... notamment au sein de
France Télévision. Cette solution ne nous semble pas globalement appropriée.
Nous recherchons une solution économique viable, de préférence en partenariat
avec d'autres entreprises du secteur de la production audiovisuelle, publiques
ou privées.
En effet, la SFP a un savoir-faire reconnu et des atouts que vous avez raison
de souligner, monsieur le sénateur.
Dans un esprit de dialogue, j'ai reçu, le 18 janvier dernier, les syndicats,
les membres du comité d'entreprise, qui m'ont fait part de leur inquiétude
quant à l'avenir de la société, notamment quant à leur emploi.
Evidemment, il ne saurait être question de laisser les choses en l'état
jusqu'en 2002, comme on a pu le dire dans divers lieux. Le Gouvernement a
conscience des enjeux et de la nécessité d'agir sans tarder.
C'est la raison pour laquelle, ainsi que vous l'avez dit, monsieur le
sénateur, Laurent Fabius et moi-même avons tout récemment confié une mission
sur les perspectives d'avenir de la SFP à une personnalité, M. Roland Peylet,
ancien ingénieur en chef des Ponts et Chaussées et conseiller d'Etat, qui devra
rendre ses conclusions au Gouvernement dans un délai rapproché, en étroite
concertation avec la direction de l'entreprise et les représentants du
personnel.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
ATTRIBUTION DES LICENCES UMTS
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Ma question s'adresse à M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à
l'industrie.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la bulle télécoms a fini par exploser. C'est un
nouveau revers pour le Gouvernement,
l'Humanité
allant même jusqu'à
évoquer un « fiasco ».
Une fois de plus, le Gouvernement s'est trompé, ou, pire - mais je n'ose le
croire -, peut-être le Gouvernement nous a-t-il trompés.
Pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, cette obstination à refuser
d'entendre le Sénat sur des sujets aussi importants que les télécommunications,
l'énergie ou La Poste ?
La Haute Assemblée avait proposé une transparence complète pour l'attribution
des licences UMTS en se référant aux procédures d'appel d'offres
traditionnelles. Le président du Sénat, lui-même, l'a affirmé haut et fort.
Vous avez préféré la méthode « élection de Miss France »
(Sourires.)
et
ainsi privilégié le principe de sélection comparative, toujours subjectif.
A cet instant de mon propos, je voudrais citer Abraham Lincoln : « Vous pouvez
tromper quelques personnes tout le temps, vous pouvez tromper tout le monde un
certain temps, mais vous ne pouvez tromper tout le monde tout le temps. »
Est-il normal et dans les compétences du Gouvernement d'intervenir dans le
système économique à ce point et, de plus, sans l'accord du Parlement, comme
l'a dit tout à l'heure notre collègue Pierre Laffitte ? Curieusement, dans la
même période, à grand renfort de communication, le Gouvernement annonce des
baisses d'impôts, souvent d'ailleurs au détriment des collectivités
territoriales. Ce mécanisme que vous avez choisi revient à créer de toutes
pièces une assiette fiscale et un prélèvement obligatoire de fait sur les
utilisateurs de nouvelles technologies, qui, au bout du compte, sont ceux qui
vont payer la facture. Question de bon sens.
Deux des candidats ayant déclaré forfait, vous proposez que soit engagé un
appel complémentaire à candidatures pour tenir votre objectif de 120 milliards
de francs de recettes. Voilà bien de quoi il s'agit, car vous les avez déjà
engagés quelque part.
J'ignore les mécanismes de cette procédure, mais je ne doute pas, monsieur le
sécrétaire d'Etat, que les responsables des collectivités territoriales, à qui
on impose des règles drastiques de mise en concurrence pour les attribution de
marchés publics, soient aussi étonnés que moi aujourd'hui.
Monsieur le sécrétaire d'Etat, je doute de votre attachement aux principes de
concurrence, de loyauté et de transparence dans l'attribution de ces licences.
Je doute aussi de vos déclarations optimistes, la main sur le coeur, sur
l'accès du plus grand nombre au meilleur prix et sur la couverture suffisante
du territoire.
Aussi, au bout du compte, qu'allez-vous faire ? Abaisser le prix des licences
? Vous avez prétendu hier soir, sur une chaîne de télévision, vouloir le
maintenir. Il vous reste alors la possibilité d'en allonger la durée. Mais
quelle sera cette durée dans un système où les nouvelles technologies sont
passées de mode dans les quatre ans ?
Quelle est votre position, monsieur le secrétaire d'Etat, sur ces points
fondamentaux pour l'avenir du téléphone mobile de troisième génération, avant
que n'arrive la quatrième ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centristes, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie.
J'espère, monsieur Hérisson, que
certains de vos propos ou certaines de vos assertions à caractère personnel ont
dépassé quelque peu votre pensée. Je vais, pour ma part, vous répondre de
manière très posée et, si vous le voulez bien, très cordiale.
Nous nous sommes ralliés à la sélection comparative parce que les enchères ne
sont pas traditionnelles dans notre droit - c'est une méthode plus
anglo-saxonne que française - parce que nous avons vu les difficultés qu'elles
ont engendrées à l'étranger, et notamment l'assèchement financier qu'elles ont
provoqué en Allemagne et en Grande-Bretagne, parce que, enfin, en accord avec
l'ART, avec laquelle, conformément à la loi sur les télécommunications, nous
nourrissons un dialogue permanent, nous avons pensé que la sélection
comparative était la meilleure des solutions.
Je tiens à vous rassurer, monsieur le sénateur : nous voulons garantir dans la
totalité du processus, que ce soit l'instruction actuelle du dossier ou la
sélection qui a eu lieu hier, l'égalité entre l'ensemble des opérateurs, la
non-discrimination, la transparence totale du processus - en particulier au
travers de l'information régulière du Parlement - et la concurrence.
Dans la deuxième série que nous lancerons dans quelques mois, nous pourrons,
en effet, jouer sur plusieurs paramètres, comme je l'ai dit tout à l'heure à M.
Laffitte : la durée, le montant, le calendrier.
Cela étant, les objectifs du Gouvernement - il faut bien le répéter après
votre question quelque peu polémique - restent les mêmes : mettre l'UMTS à la
disposition du plus grand nombre - particuliers, entreprises, collectivités ;
assurer l'équilibre des territoires, l'aménagement du territoire n'étant pas la
moindre donnée de cette sélection ; assurer une juste rémunération du spectre
hertzien proportionnée à la valeur qu'en retirent les opérateurs, sans mettre
en cause leur viabilité économique ; enfin, favoriser le développement des
industries de télécommunication et des technologies de l'information présentes
en France, et donc favoriser le développement de l'emploi.
Voilà, monsieur le sénateur : les choses sont simples, claires et
transparentes. Elles sont décidées. Elles expriment une politique, et c'est la
politique du Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. Pierre Hérisson.
Ce n'est pas la bonne !
M. Gérard Larcher.
C'est une politique variable !
PROBLÈMES LIÉS À LA SÉCURITÉ
M. le président.
La parole est à M. Bordas.
M. James Bordas.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues,
je dispose donc de deux minutes et demie à peine pour demander à M. le Premier
ministre, dont je regrette l'absence, quelles mesures le Gouvernement compte
prendre, non pas à long terme, mais immédiatement, pour enrayer la délinquance
juvénile, rassurer les populations et donner à nos forces de police et de
gendarmerie les moyens appropriés pour exercer les missions qui sont les
leurs.
Peut-on supporter que se renouvelle ce qui s'est passé samedi dernier dans le
quartier de la Défense entre deux bandes rivales armées de couteaux, de
hachettes, de battes de base-ball, à un moment de forte affluence dans le
centre commercial ?
Peut-on se contenter des déclarations du ministre de l'intérieur, mettant sur
le compte de la justice le fait que les vingt-huit jeunes interpellés aient été
mis en liberté le jour même pour cause de grève d'avocats ?
N'est-il pas temps de rappeler que vivre en société signifie que l'on n'a pas
seulement des droits, que l'on a aussi des devoirs ?
Va-t-on pouvoir continuer longtemps à déplorer et à compter les morts en
service - et, hélas ! par répercussion, les veuves et les orphelins - au sein
des forces de police et de gendarmerie, auxquelles il convient de rendre un
hommage particulier ?
Une grande partie du Gouvernement est concernée par cette atteinte de plus en
plus grave à nos libertés, à nos biens, à nos personnes. L'éducation,
l'intérieur, la défense, la justice ont de lourdes responsabilités, et nous ne
voudrions pas être accusés de culpabilité en n'alertant pas M. le Premier
ministre.
Il y a urgence si l'on ne veut pas que se développe chez nos concitoyens une
volonté de se défendre et de se faire justice eux-mêmes.
Allez-vous vous attaquer aux causes profondes de la délinquance ? Les
sanctions vont-elles être effectives ? Nous attendons des mesures fermes :
êtes-vous prêts à vous y engager et quand ?
(Très bien ! et applaudissements
sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le sénateur, sur cette question
grave de la sécurité, le Gouvernement ne fait pas de théorie ; il agit
concrètement et immédiatement !
M. Jacques Larché.
Ça se voit !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
J'ajoute que personne n'a le monopole de cette
préoccupation et que personne ne doit se laisser aller à son exploitation.
M. Gérard Larcher.
Oh !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Depuis 1997, en effet, la sécurité est bien la
priorité de ce gouvernement. Il l'a démontré en mettant en place la police de
proximité, en instaurant les contrats locaux de sécurité, en comblant le
déficit de trois mille policiers causé par l'absence de gestion prévisionnelle
des effectifs du gouvernement précédent, que vous avez soutenu.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Et puisque vous appelez de vos voeux des résultats, sachez que, là où ces
mesures ont été mises en place, la délinquance de voie publique régresse et le
taux d'élucidation des crimes et des délits progresse !
C'est pourquoi le Gouvernement a décidé, lors du conseil de sécurité
intérieure qui s'est tenu hier, la généralisation de la police de proximité,
avec mille gardiens de la paix supplémentaires et cinq mille nouveaux adjoints
de sécurité bénéficiant de contrats de cinq ans,...
M. Alain Gournac.
Et rien dans les Yvelines !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
... l'extension des pouvoirs de police judiciaire des
adjoints de sécurité et des gardiens de la paix pour leur permettre d'assurer
leur mission de proximité, notamment la répression, l'approfondissement des
contrats locaux de sécurité, avec le doublement des moyens financiers apportés
par M. Claude Bartolone, ministre de la ville, la mise à disposition de 5 000
adultes relais pour renforcer les actions de soutien à la responsabilité
parentale et à la médiation et, enfin, la modification des règles concernant le
commerce des armes, en instaurant un régime d'autorisation préalable.
M. Hilaire Flandre.
C'est nouveau, ça vient de sortir !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
S'agissant plus particulièrement de la délinquance des
mineurs, monsieur le sénateur, tous les acteurs locaux doivent être mobilisés.
Le Gouvernement entend lancer une concertation nationale...
M. Gérard Larcher.
Ça, c'est utile !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
... pour que la conférence de la famille - parce que
c'est aussi dans ce cadre que la question doit être posée - puisse formuler des
propositions appelant chacun à exercer ses responsabilités.
(Exclamations
sur les travées du RPR.)
Sur les compétences des adjoints de sécurité et des gardiens de la paix, sur
le commerce des armes et sur la délinquance financière, des modifications
législatives doivent intervenir et un projet de loi sur le renforcement de la
sécurité quotidienne sera prochainement déposé au Parlement. Je ne doute pas,
monsieur le sénateur, que vous contribuerez à le faire adopter.
Comme vous le voyez, ce gouvernement ne se paie pas de mots. Il a une
stratégie globale et il agit utilement dans l'intérêt général en oeuvrant pour
la sécurité de nos concitoyens.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées socialistes. - Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean-Pierre Raffarin.
Il n'est pas à la hauteur du sujet !
ÉDUCATION AFFECTIVE ET SEXUELLE
EN MILIEU SCOLAIRE
M. le président.
La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues,
ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale.
A l'occasion des débats relatifs à la contraception ou à l'interruption
volontaire de grossesse, l'éducation de la sexualité se trouve ou se trouvera
affirmée comme une priorité.
D'autres réalités conduisent à la même affirmation, comme les violences
physiques dans le domaine de la sexualité, qui se multiplient chez les jeunes,
frappent et scandalisent à juste titre. Ne convient-il pas, pour y porter
vraiment remède, de s'interroger sur les causes et la signification de ces
violences ? A la source de toute violence physique, n'y a-t-il pas l'amputation
de la dimension affective dans la relation ?
C'est pourquoi toute présentation de la relation sexuelle coupée de la
dimension affective et d'un projet de vie à deux risque d'engendrer un mal-être
source de violence, comme l'analysent beaucoup de ceux qui se penchent sur la
détresse des adolescents.
L'instinct sexuel, comme tous les autres instincts, a besoin d'éducation pour
échapper à la violence. Or non seulement on semble aujourd'hui renoncer à cette
éducation, mais on laisse diffuser des images et des modèles de comportements
sexuels instinctifs et primaires très loin des vrais besoins et des aspirations
profondes des jeunes. Comment ne pas évoquer ici le scandale de l'affaire
d'Abbeville ?
Je ne suis pas le seul parlementaire à avoir été interrogé par des concitoyens
sur la question de fond que pose le thème de la sexualité abordé à l'école. Par
tout ce qu'elle met en jeu, l'éducation de la sexualité nécessite un véritable
débat national.
L'Etat ne saurait en définir seul et
a priori
le contenu, ni prétendre
la réduire à un ensemble de connaissances physiologiques ou médicales sous
couvert de sa compétence en santé publique.
Dans un domaine aussi sensible, la République se doit, pour éviter une dérive
totalitaire, d'assurer les conditions de la liberté de conscience.
Il y a déjà lieu de s'alarmer aujourd'hui quand sont organisées par l'Etat des
campagnes d'information présentant la vie sexuelle précoce comme une norme ne
se discutant pas, alors même que la maturité affective n'est pas acquise et que
la formation de la conscience et de la liberté n'est pas assurée. Une véritable
dérive oppressive sur les consciences existe quand une adolescente ou un
adolescent est conduit par l'information reçue officiellement à penser qu'une
absence de relations sexuelles est anormale.
(Murmures sur les travées
socialistes.)
De même, l'atteinte à la liberté existe quand, en matière de formation à la
contraception, toutes les méthodes de maîtrise de la fécondité ne sont pas
présentées.
Au total, monsieur le ministre, au moment où l'éducation affective et sexuelle
des jeunes va devoir être sérieusement pensée et organisée au niveau national
dans le respect des principes de la liberté de conscience et de la
responsabilité parentale originelle, n'y aurait-il pas lieu d'instituer une
autorité indépendante, pluraliste et pluridisciplinaire,...
M. Raymond Courrière.
Avec des curés !
M. Bernard Seillier.
... ne faisant pas seulement appel à des médecins, mais aussi à des
philosophes, des psychologues, des psychanalystes, des conseillères conjugales
et des représentants d'associations familiales et parentales, pour concevoir,
organiser et valider l'éducation affective et sexuelle des jeunes en milieu
scolaire ?
M. Paul Raoult.
L'ordre moral !
M. Bernard Seillier.
Les perspectives esquissées dans mes propos démontrent que le conseil
supérieur de l'information sexuelle ne peut pas répondre au problème posé,
quels qu'aient été ses mérites par ailleurs.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Raymond Courrière.
C'est de l'obscurantisme !
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jack Lang,
ministre de l'éducation nationale.
Monsieur le sénateur, à quelques mots
près, je pourrais partager un certain nombre de vos observations, d'autant que
certains de vos voeux sont déjà entendus par les pouvoirs publics nationaux ou
locaux.
A aucun moment, il n'a été question, en tout cas pas dans la période présente,
de dissocier ce que peut être la connaissance du corps de l'éducation au
respect de la dignité, de l'égalité entre les sexes, de la sentimentalité,...
tout simplement des sentiments.
Il est même une phrase que vous avez prononcée que je pourrais faire mienne,
quand vous avez dit que, trop souvent, des violences s'exerçaient à l'encontre
notamment des femmes, des jeunes femmes et des jeunes filles.
Le ministère de l'éducation nationale s'apprête à lancer une campagne sur ce
sujet auprès des jeunes. Il n'est pas tolérable que, dans un pays de mixité, de
parité entre les femmes et les hommes, dans un pays d'égalité des sexes, de
jeunes garçons puissent agresser, par des mots ou par des gestes, des jeunes
filles au collège, au lycée ou à l'extérieur des établissements scolaires. A
cet égard, je serai un gardien vigilant.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Jack Lang,
ministre de l'éducation nationale.
Quant au conseil supérieur, dont vous
avez parlé, sa composition peut éventuellement être encore améliorée. Ce
conseil est guidé par les principes que vous avez énoncés, et notamment celui
du pluralisme. Y sont représentés toutes les familles de pensée, les éducateurs
et divers mouvements. Le conseil veille à ce que les informations fournies
soient précises et respectueuses de la sensibilité des uns et des autres. Nous
veillerons à ce qu'il en soit toujours ainsi.
M. Emmanuel Hamel.
Bonne réponse !
PRESTATION DÉPENDANCE
M. le président.
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke.
Monsieur le ministre délégué à la ville, notre pays compte actuellement un
million de personnes dépendantes âgées de soixante ans et plus, et ce nombre
augmentera fortement dans les prochaines années. Apporter une réponse
satisfaisante aux besoins exprimés par les personnes âgées dépendantes et par
leur famille constitue donc un défi majeur lancé à notre société tout entière,
au Gouvernement comme aux collectivités territoriales.
Aujourd'hui, seules cent trente mille personnes bénéficient de la prestation
spécifique dépendance. C'est trop peu. Dans nos départements, et conjointement
avec les associations, nous avons tiré les enseignements de la mise en place de
cette prestation.
Issue d'une proposition de loi émanant de la majorité sénatoriale, que nous
n'avions pas soutenue, la prestation spécifique dépendance, mauvaise au départ,
est mauvaise à l'arrivée.
Les inégalités que les parlementaires de gauche craignaient alors et n'ont
cessé de dénoncer depuis sont maintenant flagrantes. Les différences de
montants constatées entre les départements sont importantes, puisqu'elles vont
de un à quatre en établissement et du simple au double pour les personnes
vivant à domicile.
M. Hilaire Flandre.
Avec vous, c'était rien !
Mme Dinah Derycke.
Par ailleurs, cette prestation n'est pas suffisamment étendue et ne prend pas
en compte certaines dépendances, comme la cécité ou la malvoyance.
Un certain nombre de dysfonctionnements existent également. Ainsi, lorsqu'une
personne âgée vivant à son domicile est hospitalisée, la prestation est
suspendue. La personne âgée n'a donc d'autre solution que de procéder au
licenciement de son aide-ménagère et d'en acquitter personnellement et
financièrement les charges. Pourtant, à la sortie de l'hôpital, elle devra
réembaucher du personnel. Convenez que la situation n'est satisfaisante ni pour
les personnes âgées, ni pour les salariés qui les accompagnent.
En outre, le montant de la prestation est généralement très insuffisant au
regard des besoins. Certes, la solidarité familiale pallie souvent les carences
du système, mais de nombreuses familles aux revenus modestes sont en
difficulté.
Bref, le système est dissuasif, discriminatoire et insuffisant.
Une réforme est nécessaire. Elle soit s'inscrire dans la cadre de la
décentralisation voulue par le Premier ministre.
M. le président.
Veuillez conclure, madame le sénateur.
Mme Dinah Derycke.
J'en viens à ma question. Le Gouvernement a réagi en demandant deux rapports,
l'un à Mme Paulette Guinchard-Kunstler, l'autre à M. Jean-Pierre Sueur. Mme la
ministre de l'emploi et de la solidarité a annoncé le dépôt d'un projet de loi
qui reposerait sur trois principes : la création d'un droit reconnu aux
personnes en fonction de leurs revenus et de leur niveau de dépendance, une
égalité de droit sur tout le territoire et l'ouverture d'une aide à toutes les
personnes âgées qui en ont besoin.
Qu'en est-il exactement aujourd'hui, monsieur le ministre ? Dans quels délais
cette réforme, qui répond à une préoccupation très forte de nos concitoyens,
sera-t-elle concrétisée ?
(Applaudissements sur les travées socialistes,
ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Bartolone,
ministre délégué à la ville.
Madame, vous l'avez rappelé, la dépendance
des personnes âgées est devenue un enjeu de société de première importance.
Toutes les familles françaises sont ou seront confrontées à la nécessité de
trouver une prise en charge adaptée pour ceux des leurs qui, atteints par
l'âge, ont besoin d'être aidés à des degrés divers dans les actes de la vie
quotidienne.
Conscient de cette attente de nos concitoyens, le Gouvernement a décidé
d'apporter aux problèmes que rencontrent actuellement les personnes âgées et
leur famille toutes les réponses nécessaires. Cette réponse, le gouvernement
précédent avait prétendu la donner en créant la prestation spécifique
dépendance par la loi du 24 janvier 1997, que vous avez rappelée. Mais, comme
vous l'avez dit, la PSD est aujourd'hui un échec, même si elle comporte
quelques points positifs, comme l'idée d'un plan d'aide globale et d'une grille
d'évaluation de la dépendance.
Perçue par un nombre insuffisant de personnes âgées, inégalitaire, puisque
très variable d'un département à l'autre, elle doit être aujourd'hui
complètement modifiée. C'est donc une vraie rupture que nous entendons
réaliser. Un droit objectif sera reconnu aux personnes âgées en fonction de
leur degré de dépendance et de leur revenu. Ce droit sera identique sur tout le
territoire à situation comparable. Il sera étendu à toutes les personnes âgées
qui ont besoin d'être aidées.
M. Henri de Raincourt.
Qui va payer ?
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
Enfin, ce droit sera mis en oeuvre dans le cadre d'une
gestion de proximité afin de personnaliser les modalités de l'aide apportée à
la personne âgée en fonction de ses besoins particuliers. Il nous faut offrir
une prestation sur mesure.
Au-delà de ces questions de principe, il faudra aussi aborder des problèmes
plus ponctuels tels que ceux que vous évoquez : le traitement de la prestation
autonomie durant les périodes d'hospitalisation ou les aides fiscales,
notamment.
Le débat parlementaire permettra d'avancer sur ces questions, le Gouvernement
a en effet pour objectif de rendre effective cette nouvelle prestation
autonomie dès le 1er janvier 2002. Dès que le calendrier du Sénat le permettra
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants)
, nous aurons l'occasion d'examiner ensemble ce texte de loi.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles
du groupe communiste républicain et citoyen.)
AVENIR DES RETRAITES
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
(Applaudissements sur les travées du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, mes
chers collègues, j'avais l'intention de poser ma question à M. le Premier
ministre, mais il est absent. Je pensais qu'à défaut je pourrais la poser à Mme
Guigou, mais elle est absente elle aussi. Je me contenterai donc de la réponse
que me fera M. Bartelone au nom du Gouvernement.
Mme Dinah Derycke.
Votre ton est extrêmement déplaisant !
M. Alain Vasselle.
Ma question est simple, je demande au Gouvernement ce qu'il fait pour préparer
l'avenir des retraites.
Mes chers collègues, vous connaissez la réponse d'avance : rien ou presque
rien !
(Protestations sur les travées socialistes.)
Il faut se rendre compte qu'en définitive ce qui caractérise ce Gouvernement
c'est à la fois le surendettement, la combine électorale, l'inaction et la
démagogie.
(Protestations sur les travées socialistes et sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
MM. Raymond Courrière et Paul Raoult.
Et Tibéri !
M. Alain Vasselle.
Mais oui, mes chers collègues ! Vous hurlez, mais quand la France accuse 5 000
milliards de francs de dettes, on ne peut pas dire que le Gouvernement ait bien
géré le budget de la France. C'est une situation de surendetté !
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Que la France soit obligée d'emprunter pour rembourser sa dette n'est guère
brillant !
Quant à la combine électorale, nous en avons la démonstration en ce moment.
(Protestations sur les mêmes travées.)
M. Raymond Courrière.
Provocateur !
M. Paul Raoult.
Arrêtez de nous insulter !
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, puis-je parler ?
M. le président.
Monsieur Vasselle, ce n'est pas un dialogue avec vos collègues ! C'est une
question que vous posez au Gouvernement.
M. Raymond Courrière.
Monsieur Vasselle, posez votre question !
M. le président.
Mes chers collègues du groupe socialiste, laissez M. Vasselle s'exprimer !
M. Alain Vasselle.
J'en viens à mon sujet. Quelle réponse avez-vous apportée au problème des
retraites ?
M. Raymond Courrière.
Et vous, qu'avez-vous fait ?
M. Alain Vasselle.
Vous avez commandé le rapport Charpin.
Nous en connaissons les résultats. Et le Premier ministre, en guise de réponse
à ce rapport,...
Un sénateur du RPR.
Au tiroir !
M. Alain Vasselle.
... a créé le Conseil d'orientation des retraites, qui n'a toujours pas rendu
ses conclusions.
Une autre initiative a été prise : la constitution du fonds de réserve.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Comme notre collègue M. Hérisson l'a rappelé tout à l'heure, ce fonds devait
être alimenté essentiellement par des reliquats. Ces reliquats devaient
provenir des excédents de la branche vieillesse dus à une démographie positive
- mais cela ne va pas durer - des excédents de la contribution sociale de
solidarité des sociétés, la C3S, et de ceux du fonds de solidarité vieillesse.
Ce fonds devait également être alimenté par le produit des licences UMTS.
M. Alain Gournac.
Il n'y en a plus !
M. Pierre Hérisson.
Soit 120 milliards !
M. Claude Estier.
Attendez un peu !
M. Alain Vasselle.
Or nous venons d'apprendre que nous perdions 64 milliards de francs de
recettes...
M. Raymond Courrière.
Il n'y a pas urgence !
M. Alain Vasselle.
... et que les 18 milliards de francs qui étaient destinés à l'alimentation du
fonds de réserve risquaient de ne pas pouvoir y être affectés.
Le dispositif imaginé par le Gouvernement reposait sur le produit des licences
UMTS.
M. Raymond Courrière.
Cela viendra !
M. Alain Vasselle.
Or nous savons bien que, du fait du désengagement d'un certain nombre de
partenaires, le produit des licences ne sera pas au rendez-vous.
Ma question est la suivante
(Exclamations sur les travées socialistes)
: monsieur le ministre, le Gouvernement compte-t-il modifier la loi de finances
pour rétablir l'équilibre initial entre l'amortissement de la dette publique et
l'abondement du fonds de réserve ?
M. Raymond Courrière.
Parlez-nous des grèves de 1995 !
M. Alain Vasselle.
J'espère que la réponse qui sera apportée permettra enfin aux partenaires
sociaux d'y voir un peu plus clair et de s'engager dans un dialogue constructif
sur les retraites complémentaires et la réforme du régime de base.
M. Paul Raoult.
Démagogue !
M. Raymond Courrière.
C'est révoltant !
M. Claude Estier.
Les partenaires sociaux ne vous ont pas attendu !
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Bartolone,
ministre délégué à la ville.
Monsieur le sénateur, vous interrogez le
Gouvernement sur les régimes de retraite. Puisqu'il s'agit de questions
d'actualité, je vais essayer de répondre à l'actualité.
La première priorité du Gouvernement est de préserver l'avenir des régimes de
retraite par répartition. Nos concitoyens y sont attachés et ces régimes ont
assuré, depuis cinquante ans, la sécurité des retraites après une vie de
travail.
Les résultats obtenus par le Gouvernement ont permis d'améliorer la situation
et de nous donner du temps pour négocier avec les partenaires sociaux afin
d'éviter les problèmes que vous avez pu connaître en soutenant le gouvernement
Juppé qui, en mettant des millions de salariés dans la rue, a retardé toute
évolution de ce dossier.
M. Alain Vasselle.
Et vous, que faites-vous ?
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
Mais nous nous préoccupons aujourd'hui exclusivement,
puisque nous parlons d'actualité, des retraites complémentaires et non bien
entendu des régimes de base. Il faut être bien clair sur ce point.
Il n'y a pas non plus d'inquiétude à avoir sur la pérennité de la liquidation
des retraites complémentaires de ceux qui sont déjà à la retraite...
M. Alain Gournac.
Elles sont liquidées !
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
... ou qui y parviendront d'ici au 31 mars 2001. Ces
pensions ne subiront aucune modification, elles continueront d'être versées
comme elles le sont aujourd'hui.
En revanche, puisque vous me posez cette question, ce qui est en cause, c'est
le niveau des retraites complémentaires de ceux qui partiront après le 31 mars
prochain avant soixante-cinq ans, et le maintien ou non des prestations que
prélève actuellement l'UNEDIC pour le compte de ce qu'on appelle l'association
pour la structure financière, l'ASF.
Sur ces deux questions, je ne peux que constater la compétence première des
partenaires sociaux, qui disposent d'une large autonomie conventionnelle dans
ce domaine. Je note que les négociations n'ont pas abouti à ce jour et que le
MEDEF semble en porter la responsabilité. Je pense que c'était à lui, dans un
premier temps, compte tenu de l'urgence, que vous auriez dû poser votre
question !
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Alain Vasselle.
Et Nicole Notat !
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
Il ne m'appartient pas, évidemment, de dire aux uns ou
aux autres ce qu'ils ont à faire.
(M. Alain Gournac s'exclame.)
Je crois
cependant que l'impératif de négociation et de concertation que ce Gouvernement
a placé au coeur de ses démarches s'impose finalement à tous.
M. Alain Vasselle.
Ne rien faire avant les présidentielles !
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
On ne peut pas prétendre faire de la refondation
sociale et adopter la méthode du diktat.
(Exclamations sur les travées du
RPR.)
Je relève également que les dernières prévisions sur l'évolution financière
des régimes de retraite complémentaire s'améliorent.
M. Alain Gournac.
Tout va bien !
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
Cela peut permettre d'engranger des réserves
supplémentaires pour l'avenir, de prendre le temps de la négociation...
M. Alain Gournac.
Oui, prendre le temps !
M. Claude Bartolone,
ministre délégué.
... et de ne pas imposer brutalement une réduction des
droits des salariés et des assurés.
Les régimes de retraite complémentaire ne sont pas en crise. Pour l'heure, le
Gouvernement fait confiance aux partenaires sociaux pour trouver des solutions
acceptables par tous et qui permettent de garantir les droits des assurés.
Les partenaires sociaux sont convenus de se revoir dans les prochains jours.
Nous verrons quel sera le résultat de cette rencontre. Mais, en cas d'échec,
bien évidemment, le Gouvernement prendra ses responsabilités, en concertation
avec les partenaires sociaux, pour garantir les retraites à soixante ans.
Monsieur le sénateur, je tiens à vous remercier de votre question parce que,
au travers de celle-ci, que vous voulez polémique pour essayer peut-être de
cacher la vacuité de vos réflexions
(Vives protestations sur les travées du
RPR)
et des propositions de l'opposition, cela m'a permis de parler de
l'actualité, notamment de la position du MEDEF.
(Applaudissements sur les
travées socialistes, ainsi que celles du groupe communiste républicain et
citoyen. - Vives protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Jean-Pierre Raffarin.
C'est la réponse du mistigri !
RÉGIME DES AIDES AUX ASSOCIATIONS
M. le président.
La parole est à M. Herment.
M. Rémi Herment.
Monsieur le secrétaire d'Etat, depuis fort longtemps, collectivités
territoriales et associations diverses conduisent un travail de mémoire
important dans la Meuse, notamment sur les champs de bataille de la guerre
1914-1918 qui jouxtent Verdun. A la tête du conseil général de 1982 à 1998,
j'ai initié une politique de mémoire coordonnée, avec ces principaux acteurs,
et fait voter par l'assemblée départementale des crédits importants, pour
tenter de mener à bien une véritable politique de mémoire et de conservation
des principaux sites.
L'Etat, en décidant enfin de confier la rédaction d'un rapport à M. le préfet
Mingasson, reconnaît à la fois nos efforts et s'engage résolument à les
accompagner, ce dont chacun ici se réjouit.
La commission mise en place, présidée par M. le préfet de la Meuse, vient de
se réunir pour retenir un certain nombre de projets lancés par les
collectivités territoriales, l'Office national des forêt et le monde associatif
le plus concerné. Notre ambition commume, avalisée par le secrétaire d'Etat aux
anciens combattants, consiste à préserver les sites les plus marquants et à
conduire une animation réfléchie des lieux de mémoire.
La plupart de ces sites - fort de Vaux, Douaumont, Kaiser tunnel, etc. - sont
propriétés de l'Etat.
S'agissant des associations maîtres d'oeuvre des différentes opérations
prévues, elles devront apporter 20 % de participation en application du décret
n° 99-1060 du 16 décembre 1999. Or, elles ne disposent que de moyens très
modestes. De plus, force est de reconnaître qu'une telle situation apparaît
inconséquente, puisque l'Etat, propriétaire, va taxer ces associations à
hauteur de 20 %, alors que la démarche courageuse de celles-ci rend déjà,
depuis de longues années, service à un propriétaire peu empressé, jusqu'ici, à
entretenir son patrimoine.
Je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, dans quelle mesure vous
pourriez décider de supprimer, ou de modifier, ce décret pour les besoins
spécifiques de cette noble cause, afin que le monde associatif ne soit pas
pénalisé par cette exigence de l'actuel décret et puisse poursuivre un travail
dont l'excellence est reconnue de tous.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie.
Monsieur Herment, les associations
d'anciens combattants que vous avez citées et dont vous avez évoqué la
situation participent très activement à la mise en valeur du patrimoine public
et privé lié à la mémoire combattante, et leur participation doit être
soulignée.
En fait, vous demandez que les aides publiques avoisinent 100 %. Mais le droit
en la matière - vous l'avez vous-mêmes souligné - fixé par le décret du 16
décembre 1999, plafonne ces aides à « 80 % du montant prévisionnel de la
dépense subventionnable engagée par le demandeur ».
Ce décret prévoit aussi - c'est très important pour vous donner satisfaction -
que des dispositions particulières peuvent être fixées par décret pris sur le
rapport du ministre chargé du budget et du ministre intéressé, en l'occurrence
mon collègue ici présent, le secrétaire d'Etat aux anciens combattants.
Des dispositifs spécifiques ont déjà été mis en place à la demande de certains
ministères, comme le décret du 17 octobre 2000 pour les monuments historiques.
Ma collègue Catherine Tasca pourrait vous donner des précisions sur ce texte
très novateur. Il est sans doute applicable en l'espèce, mais seulement en
partie, car tous les forts de la Première Guerre mondiale auxquels vous vous
référiez tout à l'heure, monsieur le sénateur, ne sont pas classés monuments
historiques.
Notre politique de valorisation de la mémoire combattante des sites est en
cours de réorganisation. Comme vous l'avez dit, le préfet de la Meuse travaille
actuellement à la création d'un groupement d'intérêt public chargé des
opérations d'investissement sur la base du rapport de Jean Mingasson.
Mes collègues chargés des anciens combattants et du budget sont prêts à
examiner la publication d'un décret qui permettrait, sous certaines conditions,
une dérogation à la règle de plafonnement des aides publiques destinées aux
projets portés par les associations dont il serait vérifié que les ressources
sont insuffisantes.
Il conviendrait, dans le même temps, d'envisager que les associations les plus
importantes consentent à apporter leur concours. C'est d'ailleurs ce qu'elles
sont décidées à faire et le Gouvernement s'en félicite. Je pense qu'ainsi nous
pourrons trouver les voies et moyens d'une bonne politique active, associant
l'ensemble des partenaires à la mémoire combattante et à la mémoire de ceux
qui, en Lorraine notamment, se sont sacrifiés pour la liberté et la vie de
notre nation.
(Applaudissements.)
M. le président.
Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures
vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
4
MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR
M. le président.
J'informe le Sénat que les questions orales n° 968 de M. Jean Boyer et n° 999
de M. Aymeri de Montesquiou sont retirées de l'ordre du jour de la séance du
mardi 6 février 2001 à la demande de leurs auteurs.
Par ailleurs, la question orale n° 1002 de M. Georges Mouly pourrait être
inscrite à l'ordre du jour du mardi 6 février 2001.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
5
DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Suite de la discussion
d'une proposition de loi organique déclarée d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion de la proposition de loi organique, adoptée par
l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date
d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Béteille, que je
salue car c'est sa première intervention à la tribune du Sénat.
(Applaudissements.)
M. Laurent Béteille.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat au logement, mes chers
collègues, nous voici face à un de ces débats qui ne font pas véritablement
honneur à notre République. Je sais bien que certains s'en délecteront mais,
hélas !, c'est encore une fois la légitimité de la classe politique qui en
pâtira.
Ce texte ne requérait aucune urgence, mais ses conséquences institutionnelles
sont graves et mal évaluées. Par ailleurs, il est bien loin, bien trop loin des
préoccupations de nos concitoyens.
Que nous disent ceux-ci quand nous les rencontrons chaque jour sur le terrain,
dans nos communes, dans nos départements, dans nos régions ? Ils nous disent
qu'ils ne comprennent pas que le Parlement consacre tant de temps à des débats
institutionnels, alors que tant de textes importants sont attendus ; ils nous
disent qu'ils ne comprennent pas l'obstination du Gouvernement : pourquoi
retirer de l'ordre du jour le projet de loi d'orientation sur la forêt,
pourquoi en retirer le texte sur les sectes ou celui qui est relatif à
l'interruption volontaire de grossesse ?
Que pouvons-nous leur répondre ? Que le Gouvernement a voulu punir le Sénat en
supprimant ces textes de l'ordre du jour ?
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est la France qu'il punit !
M. Laurent Béteille.
Exactement !
Ce sont nos concitoyens eux-mêmes qui sont punis, dès lors que ces textes
importants pour leur quotidien ne peuvent être discutés.
Ils nous disent aussi qu'ils trouvent nos débats trop éloignés de leur
réalité, et ils ont raison. La réalité, c'est la violence quotidienne, qui a
encore frappé ce week-end en proche banlieue et dans la plus totale impunité ;
la réalité, c'est l'inquiétude légitime qu'éprouvent nos concitoyens pour leur
retraite. Le Gouvernement avait d'ailleurs annoncé un projet de loi sur les
retraites en 1997, dans son programme électoral. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Rien n'a été fait, et le Premier ministre préfère demander aux cabinets
ministériels de travailler sur ce texte, qu'il considère comme majeur, plutôt
que sur tous ceux qu'attendent vainement nos compatriotes. Cela ne les amusera
plus longtemps, et bientôt, je n'en doute pas, vous serez sanctionnés par les
électeurs pour ces petites manoeuvres !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
On verra ça !
M. Laurent Béteille.
Pourtant, nombreux étaient ceux qui, ici, il n'y a pas encore si longtemps,
vous mettaient en garde contre les risques que couraient notre vie politique,
notre République et nos institutions dans l'ensemble ; nombreux étaient mes
collègues qui vous mettaient en garde contre le danger que représentait
l'ouverture de la boîte de Pandore - ainsi que l'avait nommée notre éminent
collègue Jean-Pierre Schosteck, sénateur des Hauts-de-Seine - au prétexte
fallacieux de vouloir paraître moderne.
En effet, voter le quinquennat, même si l'on pouvait y trouver de bonnes
raisons, était le premier pas d'une course effrénée dans laquelle vous vous
êtes lancés. Nous n'en sommes aujourd'hui qu'à la deuxième étape. Combien en
restera-t-il après celle-ci ? Nous voici invités à traiter cette nouvelle étape
qui viserait, c'est le Gouvernement qui le dit, à rétablir une logique - en
réalité logique des plus contestables - dans l'ordre des élections.
Quelles seront les étapes suivantes ? Personne ne semble pouvoir sérieusement
le dire, puisqu'il est évident que toutes ces réformes ne sont proposées qu'au
gré des circonstances, au coup par coup, au gré des prévisions sur les
avantages électoraux que tel ou tel croit pouvoir en espérer.
C'est bel et bien une petite manoeuvre politicienne que nous nous efforçons de
dénoncer depuis trois semaines maintenant, une toute petite manoeuvre. J'en
veux pour preuve cette formule malheureuse du Premier ministre, qui jurait la
main sur le coeur qu'aucune initiative en ce sens ne serait prise.
En effet, jusqu'à son intervention du 19 décembre dernier à l'Assemblée
nationale, M. le Premier ministre, dont personne ne doute qu'il était trop
occupé par les devoirs imposants de sa charge, ne s'était pas aperçu du
caractère « fortuit », pour reprendre son propre terme, d'un calendrier
électoral qui nous conduirait en effet à élire les députés, puis, ensuite
seulement, le Président de la République.
Ce calendrier, qu'il considère aujourd'hui comme aberrant, alors qu'il n'a pas
semblé s'en préoccuper pendant près de quatre ans, résulte, avoue-t-il, de deux
aléas dont on comprend mal qu'il ne se soit pas aperçu plus tôt.
M. Lionel Jospin se souvient en effet soudain que le Président Pompidou est
mort en 1974 et que la dernière dissolution est intervenue voilà trois ans et
demi.
Je ne peux m'empêcher, avec vous, mes chers collègues, de me poser une
question bien innocente, je l'avoue, mais que je vous livre néanmoins :
pourquoi n'en a-t-il rien dit au printemps dernier, lors du débat sur le
quinquennat ?
M. Jean-Pierre Schosteck.
Eh oui !
M. Laurent Béteille.
Je m'interroge : soit il ne s'en était pas aperçu, et cela prouverait le
manque de vue à long terme du Premier ministre ; je ne lui ferai pas l'offense
de l'imaginer, même si, comme vous sans doute, le doute m'effleure parfois sur
des sujets tels que les retraites ou la sécurité ; soit il ne pensait pas à
cette époque avoir besoin d'un stratagème visant à changer la règle du jeu
parce que sûr alors de son destin présidentiel ; soit, mais ce serait bien pis
encore, il y avait pensé mais il maintenait cachée cette réforme, se réservant
d'attendre un moment plus propice pour sortir du bois, craignant que le
subterfuge ne paraisse trop gros aux yeux de l'opinion ou des partenaires de la
majorité plurielle.
Quelle que soit l'hypothèse retenue, c'est bien d'une réforme de circonstance
qu'il s'agit et, comme toujours, c'est notre vie politique qui en fera les
frais. Je ne suis pas le seul à penser de la sorte.
L'un de mes collègues de la commission des lois m'a d'ailleurs rapporté qu'un
jour, en commission, nos collègues communistes et socialistes n'ont pas
souhaité débattre d'un texte qui nous était soumis au motif que, selon eux, il
s'agissait d'un texte de circonstance, ce qui était toujours mauvais. Je ne
peux bien évidemment que leur donner tout à fait raison ; mais je les invite à
être logique avec eux-mêmes et, en retour, à nous rejoindre pour rejeter avec
nous cette proposition de loi, qui n'aura d'autre effet que de décrédibiliser
la classe politique dans son ensemble.
Tout en effet conduit à penser que ce débat est inspiré par une hypocrisie
sans limite.
Le débat est improvisé, puisqu'il a été ajouté bien tardivement à l'ordre du
jour, et il est évidemment précipité, puisque le Gouvernement a, une fois de
plus, décrété l'urgence ; il semble d'ailleurs que cela devienne une habitude
sur les sujets importants. Je ne peux que regretter un tel choix, après nombre
de mes collègues, s'agissant d'un texte qui exige aussi peu l'urgence. S'il y
avait eu urgence, il aurait fallu s'y prendre voilà quatre ans car, dès juin
1997, nous savions ce que devait être l'ordre des élections en 2002.
Le débat sur les institutions a eu lieu à l'Assemblée nationale dans un
pseudo-préalable à la discussion du calendrier électoral, lui-même fictif. M.
Patrick Devedjian, s'exprimant au nom du RPR, avait d'ailleurs relevé dans
L'Hebdo des socialistes
du 8 décembre dernier l'analyse suivante : « Ce
n'est pas un débat institutionnel. Il serait difficile d'engager un débat
institutionnel de fond en période de cohabitation et à quinze mois des
échéances nationales. »
Le prétendu débat institutionnel accordé à l'Assemblée nationale n'était en
fait qu'une tentative grossière, et du reste avortée, de mieux faire passer
cette manoeuvre électorale.
Quelle n'est d'ailleurs pas ma stupéfaction d'entendre les traditionnels
opposants à la logique des institutions de la Ve République se faire
aujourd'hui les plus ardents défenseurs de cette logique ! Nous avons donc
entendu des déclarations aussi vertueuses que soudaines sur la logique de la
Constitution et sur le respect des principes établis par le général de Gaulle.
Quel dommage qu'à l'affirmation de ces principes correspondent étroitement les
intérêts électoraux de ceux qui prétendent s'en inspirer ! Ces affirmations
sont d'autant plus surprenantes qu'elles émanent de ceux qui se déclarent
héritiers de François Mitterrand, l'auteur du
Coup d'Etat permanent.
Lionel Jospin lui-même ne déclarait-il pas que la Constitution de la Ve
République n'était pas sa référence ?
Le Premier ministre comme le ministre de l'intérieur ont affirmé que nul ne
pouvait prévoir, à seize mois de distance, le résultat des élections. Ils
affichent la meilleure bonne foi et, selon eux, le présent texte peut être voté
en l'état puisqu'il n'est susceptible de profiter à aucune des parties en
présence.
Néanmoins, je me permets de douter de cette bonne foi lorsque je lis, dans
l'excellente
Revue socialiste,
la non moins excellente analyse d'Eric
Perraudeau.
En effet, les socialistes, quoi qu'ils en disent, ne font pas l'économie de
prévisions électorales. De telles prévisions, détaillées département par
département et circonscription par circonscription, occupent plus de trente
pages de la revue déjà citée !
Voici donc ce qu'on peut lire sous la plume d'Eric Perraudeau dans le numéro
de novembre dernier :
« Une lecture attentive des trois précédents scrutins depuis 1997 met en
évidence un rétrécissement de la base électorale de la gauche plurielle et un
recul sensible de ses résultats électoraux.
« En remportant les élections de 1997, les socialistes et la gauche sont
revenus de loin. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, chaque scrutin a
constitué autant de marches d'une longue descente aux enfers où la gauche
perdait irrésistiblement du terrain : régionales de 1992, législatives de 1993,
européennes de 1994 ; trois échecs cuisants qui laissèrent des blessures
profondes à la gauche.
« Au contraire, les trois derniers scrutins électoraux en France -
législatives, régionales et cantonales, européennes - ont permis à la gauche de
renouer durablement avec le succès électoral, y compris lors des élections
intermédiaires, traditionnellement défavorables au pouvoir en place.
« En nombre de sièges, la progression de la gauche plurielle est
incontestable. Pourtant, à y regarder de plus près, cette progression ne
traduit pas une consolidation électorale de la gauche.
« Avec 310 députés contre 244 à la droite parlementaire, la gauche dispose
d'une avance confortable de 66 sièges. Sa progression fut spectaculaire, à
l'image des 112 circonscriptions où Jacques Chirac avait été majoritaire en
1995, et que le parti socialiste est parvenu à reprendre en 1997.
« Signe de ce dynamisme politique, dans les 369 circonscriptions où se sont
affrontés au second tour un candidat socialiste - ou divers gauche - et un
candidat de la droite parlementaire, le candidat socialiste l'a emporté dans
210 duels contre 159 à la droite.
« Pourtant, on oublie trop souvent que la défaite de la droite en juin 1997 ne
s'est jouée qu'à un très petit nombre de voix. Dans 34 circonscriptions où
s'opposaient en duel un candidat socialiste et un candidat de l'opposition, la
victoire socialiste n'a été acquise que par un score compris entre 50 et 51,5 %
des voix.
« Si ces 34 circonscriptions avaient basculé à droite en 1997, le résultat
final en aurait été inversé, et la gauche serait actuellement dans
l'opposition. Il aurait suffi pour cela qu'à l'échelle nationale moins de 1 %
des électeurs modifient leur comportement.
« A cet égard, les résultats du département de la Drôme sont particulièrement
instructifs. En juin 1997, les quatre circonscriptions sont revenues à la
gauche. Mais trois sièges ont été remportés avec un score inférieur à 51 % et
le dernier l'a été à l'occasion d'une triangulaire avec le Front national.
Ainsi, Michèle Rivasi gagne avec 33 voix d'avance sur le candidat de droite,
Michel Grégoire avec 57 voix, Eric Besson avec 110, tandis qu'Henri Bertholet
l'emporte avec 2 267 voix d'avance, mais dans une triangulaire où le Front
national recueille 9 597 voix au second tour. Combien parviendront à conserver
leur siège en 2002 ?
« Ce serait donc une erreur de croire que le parti socialiste, malgré le
travail réalisé par Lionel Jospin entre 1995 et 1997, a regagné la totalité du
terrain perdu entre 1988 et 1993. Dans les circonscriptions où il dépassait 40
% des voix en 1988, le parti socialiste a pu perdre plus de 30 % de ses scores
initiaux, et recule de 14 points en moyenne dans les 490 circonscriptions où il
a été constamment présent entre 1988 et 1997.
« Cette baisse s'explique en partie par la perte d'influence du parti
socialiste en milieu populaire. Il recule massivement en milieu ouvrier - moins
16 points - et dans les classes moyennes salariées - moins 13 points chez les
professions intermédiaires et moins 11 points chez les employés. Aujourd'hui,
le parti socialiste recueille davantage de voix parmi les cadres supérieurs que
parmi les ouvriers.
« Au sein de la gauche, le poids du PS évolue également dans un sens qui ne
lui est pas favorable. Alors qu'il représentait 74 % du total des voix de
gauche en 1988, 61 % en 1993, il n'en représente plus que 58 % désormais.
« L'analyse comparative des différents scrutins, notamment des législatives
depuis 1981, nécessite cependant d'avoir à l'esprit certaines constantes. Les
législatives qui suivent des présidentielles ont toujours tiré à la hausse la
gauche plurielle, et notamment le parti socialiste. »
Nous y voilà !
« Ce fut le cas en 1981 et en 1988. La mise en perspective avec les scrutins
de 1995 et 1997 suggère de maintenir une certaine prudence. Il est surtout
difficile aujourd'hui d'anticiper l'effet qu'aura sur le comportement électoral
des Français l'inversion des calendriers en 2002.
« On ne sait non plus comment les formations politiques et les candidats à
l'élection présidentielle articuleront la campagne des élections législatives
avec celle de la présidentielle. Cependant, ce resserrement de la base
électorale du parti socialiste ne se constate pas uniquement à l'occasion des
législatives. Il s'est vérifié lors des autres scrutins, ce qui traduit bien
une tendance plus large.
« Un an après sa victoire de 1997, les élections régionales de 1998 sont
venues confirmer cette double tendance : une dynamique politique à gauche, qui
lui permet de progresser en sièges au point de rééquilibrer le nombre de
régions présidées par la gauche et la droite, mais aussi le resserrement de sa
base électorale.
« En effet, malgré son succès, la gauche plurielle a reculé lors des élections
régionales de 1998. Son score global diminue dans la majorité des départements
par rapport à 1992, qui fut pourtant un échec électoral important, annonçant le
revers de 1993.
« Devant le sentiment d'impuissance des politiques, le balancier électoral se
retournait particulièrement vite ces dernières années. De plus en plus vite
même. Depuis 1981, pas un gouvernement sortant n'aura été reconduit. Tous
auront été sanctionnés par les électeurs. Lionel Jospin en a bien conscience.
»
On ne fera donc croire à personne que le parti socialiste n'a pas réfléchi à
l'intérêt éventuel d'une inversion du calendrier électoral, d'autant que, lors
des prochaines législatives, vous pourrez difficilement compter, cette fois-ci,
sur le maintien de l'extrême droite au second tour.
D'ailleurs, votre inquiétude est d'autant plus grande que, depuis 1978, aucune
Assemblée sortante n'a été reconduite ; la gauche craint, bien sûr, que ce ne
soit son tour d'être battue.
Ainsi, M. Jospin aurait les plus grandes difficultés, après avoir perdu les
élections législatives, à se poser dès le lendemain en candidat susceptible de
l'emporter à l'élection présidentielle qui suivrait.
M. Emmanuelli a d'ailleurs déclaré le 27 novembre, et je salue sa franchise :
« Tout le monde sait que ce calendrier tel qu'il existe aujourd'hui n'est pas
vraiment favorable au candidat de la gauche. »
M. Cambadélis, grand théoricien électoral du parti socialiste depuis plus de
quinze ans, s'empresse d'ajouter : « On lève aussi l'hypothèque du centre.
C'est un élément secondaire, peut-être un peu politicien, mais qu'il faut avoir
toujours en tête : soit l'UDF vote le changement de calendrier, et je crains
que cela n'induise une crise assez forte au sein de la droite au vu de la
réaction du RPR, soit elle ne le vote pas, et l'hypothèse d'une candidature du
centre aux élections présidentielles se réduit à néant. »
Je n'invente rien ! Vous pourrez trouver ces paroles inscrites dans
L'Hebdo
des socialistes
du 8 décembre. J'imagine qu'il ne s'agit pas là des
lectures quotidiennes de la majorité sénatoriale, mais il est toujours
intéressant de se référer aux pensées fortes de ses adversaires.
Il est évident, au regard de tous ces éléments, que les socialistes ne font
pas de politique politicienne... n'est-ce pas ?
Le 19 octobre, voilà donc trois mois seulement, le Premier ministre en
personne condamnait fermement l'inversion du calendrier électoral : « Toute
initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire
politicienne. Moi, j'en resterai là. » Eh bien, il n'en est pas resté là !
Dès lors, pourquoi reprocher à l'opposition d'analyser les choses comme le
Premier ministre l'a fait lui-même, voilà fort peu de temps ? S'il a compris
que son attitude ne pouvait qu'être perçue comme politicienne, nous le
comprenons aussi bien que lui !
La vraie question est de savoir pourquoi le Premier ministre, qui affirme
toujours qu'il « fait ce qu'il dit », rompt aujourd'hui avec cette règle et
fait le contraire de ce qu'il avait dit !
La gauche, en effet, s'est toujours plainte d'une prise de décision sans
débat. Craignant l'excès de pouvoir présidentiel, elle pense que des élections
législatives préalables renforcent les pouvoirs du Parlement. La gauche a
toujours tenu ce discours. Ainsi, M. Jospin rappelait : « Je n'ai pas voté les
institutions de la Ve République, ni en 1958 ni en 1962. Je ne suis pas
présidentialiste aujourd'hui. »
Or il n'en considère pas moins désormais que l'élection présidentielle doit
structurer la vie politique française. Là, c'est non plus d'inversion mais de
conversion qu'il s'agit ! Il nous offre le joli paradoxe de vouloir renforcer
le pouvoir du Président de la République contre son avis !
L'inversion du calendrier présenterait un second paradoxe. Alors que la
gauche, qui aura gouverné pendant cinq ans, s'affirme fière de son bilan,
l'examen de celui-ci serait occulté par le débat présidentiel. Car, s'il
succède aux élections présidentielles, le débat sur le bilan de cinq ans de
socialisme n'aura plus guère de sens. Voilà qui est singulier...
Ainsi les socialistes, mais d'autres aussi, qui ont toujours combattu l'esprit
de la Ve République, prétendent-ils lui rendre hommage en « rétablissant la
clarté institutionnelle et démocratique » parce que l'élection présidentielle
serait « l'élection directrice ».
Cette affirmation doit être pour le moins nuancée, surtout en période de
cohabitation. Or celle-ci n'est pas un accident : elle aura occupé neuf années
sur vingt et une, et aura eu lieu trois fois en trois mandats présidentiels
!
Si les élections législatives se déroulent avant la présidentielle, les
candidats demanderont son soutien, dans chaque camp, au candidat présidentiel
le plus crédible. Le candidat à la présidentielle continuera donc de diriger
son camp et à influencer ses choix politiques.
Il est faux de prétendre que l'ordre des deux élections obéit à une tradition
constitutionnelle. Les élections législatives ont précédé l'élection
présidentielle à trois reprises. En 1958, les élections législatives se sont
déroulées les 23 et 30 novembre, l'élection présidentielle intervenant le 21
décembre 1958, soit moins d'un mois plus tard, et cela à la naissance de la Ve
République. Les élections législatives des 23 et 30 juin 1968 ont précédé
l'élection présidentielle des 1er et 15 juin 1969, soit un écart de moins d'un
an. En 1974, enfin, l'élection présidentielle, qui est intervenue quatorze mois
après les élections législatives, n'était évidemment pas prévue, mais on
observera que le président Giscard d'Estaing n'avait pas cru devoir dissoudre
l'Assemblée nationale pour assurer la prééminence de son programme sur celui
des partis qui composaient sa majorité préalablement élue.
Certains objecteront que, dans le premier de ces trois précédents, l'élection
présidentielle n'a pas eu lieu au suffrage universel. Cet argument est, à mon
sens, sans valeur, car, en 1958, l'influence des partis était encore beaucoup
plus forte qu'aujourd'hui.
S'agissant du deuxième précédent, comment peut-on valablement soutenir que
onze mois de délai sont convenables, mais que six semaines ne le sont pas ? Il
faudrait alors définir le délai admissible !
Le Président tient sa prééminence de la Constitution. Or cette dernière ne
fixe aucun ordre dans les élections.
Les socialistes veulent en réalité ajouter à la Constitution, sans même la
modifier, des dispositions qui n'ont jamais fait débat depuis 1958.
Les prochaines élections arrivent chacune à leur échéance naturelle. Les
législatives interviennent ainsi à l'échéance fixée par l'article L.O. 121 du
code électoral, soit dans les deux mois qui précèdent le premier mardi d'avril
de la cinquième année qui suit l'élection. Il en est ainsi depuis 1958, et il
n'y a donc strictement rien à « rétablir ». Quant à la date de l'élection
présidentielle, elle est fixée, depuis la mort du président Pompidou, soit
depuis vingt-six ans.
Les deux élections viennent donc, M. le rapporteur l'a rappelé, à un moment
parfaitement habituel et prévu depuis toujours. Il se trouve qu'elles ont lieu
la même année, mais il n'y a aucun hasard à cela, contrairement à ce qu'affirme
le Gouvernement. S'il pense ainsi, c'est la date de l'élection présidentielle
qu'il lui faut modifier, mais s'il ne le fait pas, c'est parce qu'il n'a pas la
majorité constitutionnelle nécessaire. Ainsi, monsieur le secrétaire d'Etat,
vous auriez pu le faire à l'occasion de la réforme du quinquennat, mais vous ne
l'avez pas demandé !
En définitive, le Gouvernement ne conteste la date légitime et traditionnelle
des élections législatives que parce qu'il n'a pas une majorité suffisante pour
modifier la date de la présidentielle, qu'il prétend donc illégitime. Il s'agit
donc bien d'une loi de convenance.
Le Gouvernement critique le fait que les deux élections aient lieu la même
année ; or, cette concomitance résulte de la dissolution de 1997, qui
impliquait un renouvellement de l'Assemblée nationale en 2002. Sa proposition
revient en réalité à contester le droit de dissolution.
Implicitement, le Gouvernement et sa majorité contestent les conséquences de
la dissolution de 1997, comme si le terme normal de la législature ne pouvait
pas être envisagé dès ce moment-là. Or, l'effet le plus évident de cette
dissolution est bien le renouvellement de l'Assemblée nationale en 2002 !
Le droit de dissolution, inscrit à l'article 12 de la Constitution, est absolu
et n'est pas soumis à la condition que l'élection présidentielle ait lieu avant
les élections législatives. Rien dans la Constitution ne limite le droit de
dissolution.
Il n'y a donc aucun hasard à corriger dans l'ordre du calendrier électoral,
qui dépend de trois facteurs constitutionnels, hors d'atteinte d'une loi
organique : la dissolution, la démission du Président ou sa mort. Si le
Président démissionne - se « démet », aurait-on dit sous la IIIe République -
ou meurt dans les six mois suivant les élections législatives, le calendrier
est à nouveau renversé.
Vouloir qu'en cas de dissolution les élections législatives soient renvoyées
après la présidentielle conduit à modifier la Constitution, ce qu'une loi
organique ne peut pas faire.
En outre, quand bien même la présente proposition serait votée, les élections
législatives pourraient avoir lieu avant la présidentielle. Il suffirait, par
exemple, monsieur le secrétaire d'Etat, que votre majorité n'en soit plus une
et que le Président soit conduit à dissoudre à nouveau. C'est donc la
dissolution qui est la matrice du calendrier.
Faute de pouvoir vous en prendre directement au droit de dissolution, vous
entendez en corriger les effets accidentels quand ils vous dérangent. Mais
d'autres dissolutions ne manqueront pas de survenir. Le président Mitterrand
lui-même a usé de ce droit à deux reprises.
L'article 12 de la Constitution dispose qu'en cas de dissolution les élections
générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus tard après la
dissolution. La Constitution est claire : on ne peut pas changer la date de ces
élections par une simple loi organique.
Le Gouvernement soutient que quand les deux élections ont lieu la même année
la présidentielle doit précéder les législatives. Le seul moyen de pérenniser
ce principe serait de l'intégrer à la Constitution : il deviendrait alors
incompatible avec le droit de dissolution.
Il faudrait donc supprimer ce dernier, interdire la démission du Président de
la République - voire sa mort ! - quand elle suit des élections législatives.
Ou alors il faudrait instituer un vice-président, ce qui reviendrait tout de
même à changer fondamentalement la Constitution !
Une troisième voie aurait pu être proposée : on aurait pu envisager que des
élections législatives soient obligatoirement organisées dans les deux mois qui
suivent une élection présidentielle. Dans ce cas, ni la mort ni la démission du
Président de la République, ni même la dissolution, n'auraient pour effet de
modifier l'ordre du calendrier, qui resterait immuable. Cette réforme se serait
en outre indéfiniment appliquée.
Au lieu de cela, le texte qui nous est proposé n'est valable que pour 2002, et
encore sous réserve que les événements que j'ai mentionnés ne se produisent pas
d'ici à cette date ! Nul doute qu'un jour ils finiront par se produire et ce
qui aura été prévu pour 2002, et pour 2002 seulement, deviendra parfaitement
inopérant.
L'inversion du calendrier électoral ne peut donc que conduire à un
bouleversement profond de la Constitution. Compte tenu du contexte dans lequel
elle nous est présentée, c'est donc bien une loi de circonstance qu'on nous
demande de voter.
J'ajoute qu'un tel report des élections législatives est sans précédent sous
la Ve République. Il a pour effet de proroger au-delà de cinq ans le mandat des
députés sortants. Le Conseil constitutionnel a, certes, déjà accepté des
prolongations de mandat, mais uniquement pour des élus locaux, la décision
étant prise par le Parlement. Tel n'est pas le cas en l'occurrence, puisque des
élus prorogeraient leur propre mandat, ce qui constituerait tout de même un
précédent important fâcheux pour une démocratie !
Certes, l'article 25 de la Constitution renvoie à la loi organique pour fixer
« la durée des pouvoirs de chaque assemblée », mais il ne permet pas de faire
varier la durée de chaque législature au gré de ceux qui la composent.
Le plus choquant moralement est la prorogation par les députés eux-mêmes de
leur propre mandat, prorogation d'autant plus discutable qu'aucun événement
imprévu n'est survenu : on savait très bien en 1997 que les législatives
auraient lieu en 2002.
Encadrée par la Constitution, la loi organique doit assurer une durée
juridiquement stable à la législature. Le Conseil constitutionnel a également
estimé, dans sa décision du 6 juillet 1994, que la mesure de prorogation devait
demeurer exceptionnelle. Or, si les mots ont un sens, le rapprochement de la
présidentielle et des législatives n'a, en principe, rien d'exceptionnel.
C'est donc bien, je le répète, d'une loi de circonstance qu'il s'agit, mais,
lorsque l'on évoque les problèmes constitutionnels, il n'est jamais inutile de
les situer dans une perspective historique.
La IVe République a mis en évidence l'inefficacité spectaculaire du régime
parlementaire ; seule la haute administration maintenait le pays, la durée de
vie moyenne des gouvernements n'étant que de sept ou huit mois. Il fallait donc
à la France un régime qui puisse, au travers de la personnalisation du
Président de la République, imposer une politique propre à redresser le
pays.
J'indiquais tout à l'heure que nous en étions à la deuxième étape d'une
réforme en profondeur - mais qui ne dit pas son nom - de nos institutions.
Combien y en aura-t-il d'autres ?
Il s'agit bien de savoir, après l'instauration du quinquennat et maintenant
l'inversion du calendrier, quel est l'avenir de la Ve République, surtout après
plusieurs cohabitations.
Les socialistes et leurs alliés nous proposent aujourd'hui d'inverser le
calendrier électoral en prétendant le rétablir ! Nous sommes en plein dans
l'univers du
1984
de George Orwell. C'est bien de Novlangue qu'il s'agit
ici : on donne une définition contraire à un mot et on fait croire qu'une chose
est très exactement son contraire ! Mais personne n'est dupe.
Nous ne sommes pourtant pas dans le sinistre monde de Big Brother. Les choses
ont leur nom : une inversion est une inversion, en aucun cas un rétablissement
!
Si vous parlez de « rétablir » le calendrier, c'est que vous souhaitez revenir
à la pratique de la Ve République première version, monsieur le secrétaire
d'Etat. Dites-le clairement !
C'est, en réalité, un coup politique, et vous acceptez là l'héritage dont M.
le Premier ministre avait pourtant prétendu vouloir faire l'inventaire ! Si un
inventaire permet de choisir, en l'espèce le choix est celui des manoeuvres
florentines !
C'est pour toutes ces raisons que mes collègues du groupe du RPR et moi-même
nous ne voterons pas ce texte.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées
du RPR.)
M. le président.
La parole est à Mme Brisepierre.
Mme Paulette Brisepierre.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous allons arriver au terme d'un long débat, passionnant et passionné, débat
provoqué par le brusque souhait du Gouvernement de changer les dates des deux
échéances électorales les plus importantes qui se profilent : le renouvellement
de l'Assemblée nationale et la présidentielle.
Vous me permettrez de déplorer d'abord le vide systématique d'une partie de
l'hémicycle tout au long de notre discussion : nos collègues et amis qui ne
partagent pas, et c'est leur droit le plus strict, notre point de vue nous
auraient certainement apporté des arguments valables - il doit bien y en avoir
- qui auraient peut-être modifié la position de certains d'entre nous.
Vous me permettrez ensuite de faire une confidence, monsieur le secrétaire
d'Etat. Ce qui m'a incité aujourd'hui à prendre part au débat, c'est un article
du
Figaro
disant que les sénateurs avaient - enfin ! - montré qu'ils
pouvaient avoir de l'humour, être de « joyeux drilles » et que la longueur des
débats permettait - enfin ! - à des sénateurs obscurs mais néanmoins méritants
de s'exprimer en séance.
M. Serge Vinçon.
Bravo !
Mme Paulette Brisepierre.
Alors le sénateur obscur mais, je l'espère, méritant que je suis a décidé
d'intervenir à son tour
(Applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
, et ce - quel délice ! - sans avoir la
hantise d'entendre la voix du président lui dire : vous avez deux minutes et
demi, ma chère collègue !
M. le président.
Vous avez tout votre temps, madame Brisepierre. Prenez-le ! Ne vous en privez
pas !
(Rires sur les travées du RPR.)
Mme Paulette Brisepierre.
Je l'apprécie !
Nous avons eu la chance, mes chers collègues, contrairement à nos amis
députés, d'avoir la possibilité de débattre longuement de l'inversion du
calendrier électoral. Cette réforme ne peut en aucun cas être considérée comme
étant sans incidence sur la vie de nos institutions et de notre démocratie,
comme l'ont prouvé tout au long de la discussion générale l'ensemble des
orateurs.
Nous avons pu auditionner bon nombre d'éminents spécialistes dans le cadre des
excellents travaux menés par notre commission des lois. Le choix des orateurs a
été honnête puisque constitutionnalistes favorables ou hostiles à cette réforme
se sont succédé.
Je me permets de revenir sur leurs propos dans la mesure où il m'a semblé que,
même dans les interventions des spécialistes les plus favorables à l'inversion
du calendrier, on pouvait relever des éléments très intéressants nous
autorisant aujourd'hui à douter, d'une part, de la prétendue faiblesse de
l'influence de la réforme sur nos institutions et, d'autre part, de
l'inspiration constitutionnelle ou institutionnelle à l'origine de la présente
proposition de loi organique.
M. René Rémond, membre de l'Académie française et président de la Fondation
nationale des sciences politiques, après s'être félicité de l'étendue de la
consultation organisée par le Sénat, a d'abord rappelé, pour comme nous le
regretter, le manque de débat avant la réduction de la durée du mandat
présidentiel. Il a expliqué, ensuite, qu'il souhaitait inscrire sa réflexion
dans le long terme, indiquant par là même que l'opportunité d'une réforme du
calendrier à tout juste un peu plus d'un an des échéances électorales pouvait
susciter des soupçons de manipulation.
M. Rémond a rappelé que le postulat d'intangibilité des règles électorales peu
avant une échéance électorale était récent et que des précédents contraires,
s'agissant de délais beaucoup plus courts, existaient. Il a cité les réformes
des modes de scrutin intervenues en 1927, ainsi que l'adoption de la loi sur
les apparentements, en 1951.
Je me demande s'il ne s'agissait pas là d'une façon très pudique, convenable,
de laisser entendre qu'il n'est en effet pas illégitime d'avoir des soupçons.
C'est ce que mon collègue et ami Jean-Pierre Schosteck appelait, la semaine
dernière, la « lecture en filigrane ».
M. Rémond a, en outre, estimé opportun le choix du mois de juin comme date des
élections législatives, précisant que les facteurs habituels d'abstention, tels
que les ponts et les départs en vacances, lui paraissaient moins fréquents à
cette période. Là, en revanche, il ne me semble pas que le mois de juin soit la
meilleures période pour obtenir une participation massive des électeurs. C'est
le mois, par exemple, des voyages organisés pour les clubs du troisième âge et
les étudiants qui viennent de finir leurs examens souhaitent partir avant les
juillettistes afin de pouvoir, un travail d'étudiant en poche, gagner un peu
d'argent pendant l'été.
M. Emmanuel Hamel.
C'est normal !
Mme Paulette Brisepierre.
M. René Rémond a relevé que qualifier la modification du calendrier électoral
d' « inversion » ou de « rétablissement » était révélateur d'un certain
jugement de valeur. Les mots ont un sens, ainsi que le soulignait à l'instant
mon excellent collègue Laurent Béteille.
M. Rémond a aussi noté l'impossibilité d'un quelconque pronostic concernant
les effets d'une telle réforme sur les résultats du scrutin. Il a dès lors
souhaité que les supputations diverses n'occultent pas l'objet de la
proposition de loi.
Il a, ensuite, abordé ce qui lui semblait l'essentiel, à savoir les
conséquences d'une telle réforme sur l'évolution des rapports entre fonction
présidentielle et fonction législative.
M. Rémond m'a pour le moins surprise lorsqu'il a regretté la dissolution de
1997, la qualifiant de « dissolution de convenance ». Le droit de dissolution
est plein et entier. En la matière, le Président de la République n'a aucun
compte à rendre, si ce n'est devant une éventuelle sanction des électeurs. Il
n'y a aucun illogisme avec l'esprit des institutions en la matière. En faire le
reproche, c'est remettre en cause le principe même de la dissolution. Pourquoi
alors ne pas le dire clairement ?
M. Rémond a encore précisé que le calendrier actuel accentuait
l'affaiblissement de la fonction présidentielle et qu'il importait, pour la
renforcer, d'élire le Président de la République avant l'Assemblée nationale,
ainsi qu'il en avait été décidé en 1958, cela ayant été largement avalisé par
la suite par les citoyens.
J'observerai qu'on ne voit pas vraiment en quoi on renforcerait ainsi la
fonction présidentielle, car les citoyens peuvent parfaitement élire par la
suite une assemblée non conforme au voeu du Président nouvellement élu afin, en
quelque sorte, de ne pas mettre, comme on le dit vulgairement, « tous leurs
oeufs dans le même panier ».
M. Serge Vinçon.
Bon courage alors !
Mme Paulette Brisepierre.
M. Rémond, paradoxalement, a d'ailleurs reconnu que l'adoption du quinquennat
lui semblait avoir eu pour effet d'augmenter les risques de cohabitation.
C'est M. Guy Carcassonne, professeur à l'université de Paris-X, qui a ensuite
pris la parole, ainsi qu'il l'a souvent fait dans la presse, et ce en faveur de
l'inversion.
Il a indiqué, tout d'abord, qu'il était convaincu depuis 1997 de l'utilité de
l'inversion du calendrier électoral de 2002 et que, à l'inverse du Premier
ministre, il l'avait donc prévue.
Il a affirmé que, de son point de vue, le rétablissement du calendrier était à
la fois constitutionnellement possible et institutionnellement
indispensable.
Il a indiqué qu'à plusieurs reprises des mandats électifs avaient pu être
prorogés avec l'assentiment du Conseil constitutionnel, celui-ci exerçant un
contrôle sur les objectifs justifiant une telle opération. Il a toutefois
observé que le mandat des députés n'avait jamais été modifié sous la Ve
République.
Il a néanmoins reconnu que le rétablissement envisagé du calendrier électoral
pour 2002 ne pouvait constituer une garantie de pérennité de l'ordre ultérieur
des échéances électorales ; il a estimé cette opération indispensable, le
calendrier actuel constituant, selon lui, une incongruité politique au regard
du fonctionnement institutionnel de la Ve République, caractérisé par le fait
majoritaire.
Mais il a observé que l'élection présidentielle intervenue en 1958, après les
législatives, ne pouvait être citée comme un contre-exemple dans la mesure où
il ne s'agissait pas d'une élection au sufrage universel et où l'autorité du
président élu, le général de Gaulle, était incontestable. De ce point de vue, à
l'instar de bon nombre de mes collègues qui siègent à la commission des lois,
je me suis étonnée d'un argument
intuitu personae
dans le débat
constitutionnel.
Il a évoqué les périodes de 1974 à 1995 au cours desquelles le Président de la
République n'a pas sollicité le renouvellement de l'Assemblée nationale par le
biais d'une dissolution. C'est ainsi que les gouvernements de MM. Raymond Barre
et Alain Juppé s'étaient, selon lui, heurtés à une sorte de dislocation de leur
majorité.
M. Carcassonne a estimé que le seul moyen d'assurer la solidité du pacte
majoritaire était de faire suivre l'élection présidentielle par les élections
législatives. Certes, mais à condition que le résultat des élections
législatives soit conforme au voeu du Président nouvellement élu ; s'il ne
l'est pas, toute l'argumentation s'écoule comme un château de cartes.
M. Carcassonne a d'ailleurs conclu son propos en estimant que le calendrier
électoral n'était pas de nature à infléchir la nature du régime vers un modèle
de type plutôt présidentiel ou plutôt parlementaire, et qu'il était également
sans effet sur l'importance du rôle joué par le Parlement dans le schéma
institutionnel. Il a observé que les périodes ayant suivi les élections
législatives de 1973 et de 1993, lesquelles avaient précédé l'élection
présidentielle, ne s'étaient pas caractérisées par une revalorisation du rôle
du Parlement.
Dans ces conditions, à quoi sert-il d'inverser le calendrier électoral ?
En réponse à une question de notre collègue Henri de Richemont, qui lui
demandait si l'inversion du calendrier électoral n'avait pas pour seul objet
d'éviter les dissensions au sein de la majorité gouvernementale, le professeur
Carcassonne a estimé que pareils objectifs suffisaient à justifier la
mesure.
M. Serge Vinçon.
Voilà !
Mme Paulette Brisepierre.
Mais alors, mes chers collègues, ne se trouve-t-on pas, dans ces conditions,
devant la dissolution de convenance que critiquait le professeur Rémond ?
M. Jean-Pierre Schosteck.
Exactement !
Mme Paulette Brisepierre.
M. Didier Maus, professeur à l'université Paris-I et codirecteur de la
Revue française de droit constitutionnel
, a indiqué, pour sa part, que «
si on veut que l'élection présidentielle demeure l'acte essentiel de la vie
politique, il faut qu'elle ait lieu en premier ».
Bien qu'il ait signalé qu'aucun précédent significatif depuis quarante ans ne
pouvait servir d'exemple, qu'il s'agisse des élections de 1969, de 1974, de
1981 ou de 1988, il a estimé que, contrairement au cas présent, où le
télescopage des calendriers était annoncé depuis la dissolution de 1997, aucun
des enchaînements précédents n'avait été prévu ou annoncé par avance.
On peut, de même, s'interroger sur la pertinence absolue de l'argument qui
consiste à indiquer - ce qui est évidemment juste - que le Président de la
République est l'élément pilote de la vie politique et qu'il faut assurer sa
prééminence. Il convient donc d'éviter ce que M. Maus appelle une « incohérence
constitutionnelle », et donc de permettre que la majorité parlementaire soit un
fidèle soutien du Président de la République.
Il a, ensuite, relevé plusieurs expressions employées pour qualifier cette
modification de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale,
évoquant, tour à tour, l'inversion, le rétablissement, la modification, la
remise en cause et l'aménagement. Il a constaté que chaque mot était une arme,
que l'inversion révélait une connotation péjorative tandis que le
rétablissement relevait d'un vocabulaire erroné puisqu'il s'agissait non pas de
revenir à une situation antérieure mais d'appréhender une situation à venir.
M. Maus a fait, enfin, valoir que le calendrier pour 2002 issu du texte adopté
par l'Assemblée nationale n'était pas rationnel. Il a observé que le premier
tour de l'élection présidentielle aurait lieu le 21 avril et le deuxième tour
le 5 mai, le mandat du Président de la République, Jacques Chirac, expirant le
vendredi 17 mai.
Il a estimé que, dans ce cas, les élections législatives ne pourraient avoir
lieu que les 2 et 9 juin. Il a souligné que l'ouverture du dépôt de
candidatures serait en conséquence fixée le 6 mai, le lendemain de l'élection
présidentielle, et que la campagne législative débuterait le 13 mai, donc avant
la prise de fonctions du nouveau Président de la République. Il en a déduit que
ce délai serait beaucoup trop court pour que le Président de la République
puise façonner une majorité et faire en sorte que les différents camps se
positionnent face à lui. Il a rappelé que cette logique avait prévalu en 1981
et en 1988, le Président de la République prenant l'initiative de dissoudre
l'Assemblée nationale.
Il a également évoqué la possibilité de modifier en profondeur le code
électoral et de faire en sorte que les élections législatives se déroulent les
9 et 16 juin, ce choix s'accompagnant d'une réduction de la durée de la
campagne électorale de trois semaines à quinze jours. Il a estimé que cette
solution permettrait de faire débuter la campagne après l'installation du
Président de la République.
Evoquer tous ces calculs, mes chers collègues, est terriblement destructeur
pour nos institutions. Que pourront penser nos concitoyens de nous-mêmes, de
nos institutions et de notre Constitution, lorsqu'elle semble à ce point
utilisée au service d'intérêts politiques ?
En conclusion, M. Maus a affirmé que la modification du calendrier électoral
était souhaitable, constitutionnellement possible, politiquement logique, mais
techniquement difficile. Il a insisté sur la nécessité d'attendre que le
Président de la République occupe ses fonctions pour entamer les opérations
d'organisation des élections législatives. Lorsqu'il dit «
constitutionnellement possible », tout est dit. Il s'agit de tordre la
Constitution pour essayer d'en obtenir à l'arraché les avantages possibles. Une
seule chose est sûre, cette modification est, pour les socialistes,
électoralement souhaitable.
M. Pierre Pactet, professeur émérite de l'université Paris-XI, a estimé, pour
sa part, que la réforme du calendrier électoral, sans bouleverser le régime de
la Ve République, appelait néanmoins de sérieuses réserves tenant à la
cohérence institutionnelle.
Regrettant que la révision constitutionnelle relative au quinquennat n'ait pas
fait l'objet d'un débat approfondi portant notamment sur ses incidences sur le
régime, il a affirmé que celle-ci constituait l'une des plus grandes révisions
de la Ve République, comparable à celle de 1962 relative à l'élection au
suffrage universel direct du Président de la République et à celle de 1974
ouvrant la saisine du Conseil constitutionnel à l'opposition parlementaire.
Il a rappelé que la révision constitutionnelle relative au quinquennat,
décidée afin de rendre la cohabitation moins fréquente, ne pouvait avoir cet
effet, dans la mesure où le droit de dissolution était maintenu et où le décès
du Président de la République - ou sa démission, ce qui serait une circonstance
tout de même moins malheureuse - provoquait une nouvelle élection
présidentielle du fait de l'absence de vice-président de la République.
Ajoutant que les électeurs, dans le souci d'éviter une trop grande
concentration des pouvoirs, pouvaient très bien émettre des votes différents
lors des élections législatives et de l'élection présidentielle, il s'est
demandé si la motivation du quinquennat ne résidait pas dans une conception
nostalgique des périodes de convergence observées au début de la Ve
République.
Concernant la logique des institutions de la Ve République, il a noté que le
régime, à l'origine conçu en réaction contre le régime des partis, avait
beaucoup évolué et était redevenu un régime de partis, semblable en cela aux
autres démocraties occidentales. Il a ajouté que le Président de la République
ne demeurait la clé de voûte du régime que dans l'hypothèse où il était soutenu
par la majorité parlementaire, celle-ci constituant le véritable moteur du
régime depuis la cohabitation.
Il a regretté que le quinquennat, premier pas vers un régime présidentiel,
puisse être suivi d'un second pas plus accentué, celui de l'inversion du
calendrier électoral.
Il a, de plus, regretté le « pointillisme constitutionnel » consistant à
réviser la Constitution par réformes successives, au détriment d'une vision
d'ensemble des institutions, aboutissant à insérer des dispositions
contradictoires dans le texte constitutionnel.
En conclusion, il a noté qu'il n'était pas cohérent de modifier le calendrier
électoral sans agir sur le droit de dissolution ni, bien sûr, tenir compte du
décès éventuel ou de la démission éventuelle du Président de la République. Il
s'est ensuite prononcé contre l'inversion du calendrier électoral, jugeant
choquant de chercher à influencer le résultat des urnes en agissant sur la date
des élections.
Enfin, la commission a entendu M. Louis Favoreu, professeur à l'université
Aix-Marseille-III et autre codirecteur de la
Revue française de droit
constitutionnel.
M. Favoreu a regretté le penchant français pour les réformes
institutionnelles. Il a, en effet, jugé préférable de toucher le moins possible
aux institutions, estimant que les conséquences de telles réformes étaient
difficiles à prévoir.
Il a indiqué qu'il considérait depuis longtemps que le droit devait encadrer
la vie politique et que la réforme des institutions ne devait pas être utilisée
pour réaliser des « coups politiques ».
Il a rappelé que le Conseil constitutionnel serait saisi obligatoirement de la
présente loi organique et pourrait être sensible à certaines observations
effectuées au cours des débats parlementaires.
Il a mis en doute l'existence soudaine d'une conception gaullienne des
institutions, imposant une inversion du calendrier, et dénié, en toute
hypothèse, toute valeur normative à une telle conception.
M. Favoreu a souligné que l'édifice conçu pourrait être ruiné par une
dissolution - cela ne lui a pas échappé non plus, bien sûr -, la Constitution,
rappelons-le, prévoyant en pareil cas la tenue d'élections entre vingt et
quarante jours après celle-ci. Il a donc observé que le Gouvernement n'avait
pas pris la responsabilité de déposer un projet de loi, préférant soutenir une
proposition de loi, ce qui lui permettait ainsi d'éviter l'examen du texte par
le Conseil d'Etat et son adoption en conseil des ministres sous la présidence
du Président de la République.
Il s'est ensuite attaché à montrer que la réforme entreprise allait à
l'encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Ce point est particulièrement intéressant, mes chers collègues, dans la mesure
où le Conseil constitutionnel sera notre dernier rempart, car, nous le savons,
l'Assemblée nationale aura finalement le dernier mot sur ce texte.
M. Emmanuel Hamel.
Un grand rempart !
Mme Paulette Brisepierre.
Un grand rempart, heureusement ! D'ailleurs, il est là pour cela !
Les quatre décisions du Conseil constitutionnel sur des reports de dates
d'élections sont intervenues en 1990, en 1994 pour deux d'entre elles, et en
1996. Elles concernaient la prorogation du mandat des membres d'assemblées
locales, à savoir les conseils municipaux et les conseils généraux pour les
trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer pour la dernière,
mais les enseignements que l'on peut en tirer s'appliquent
a fortiori
à
la prorogation du mandat de l'Assemblée nationale.
M. Favoreu a ainsi observé que le Conseil constitutionnel avait à chaque fois
validé la démarche tout en la subordonnant au respect de conditions strictes, à
savoir le caractère exceptionnel et transitoire de la prorogation et
l'existence d'une réelle justification, ce que l'on n'observe pas
actuellement.
Il a noté que les motifs retenus par le Conseil constitutionnel avaient été,
par exemple, de favoriser la participation des électeurs, d'assurer la
continuité de l'administration départementale, d'éviter la concomitance des
élections avec une réforme sur le statut des élus, de permettre aux électeurs
d'être mieux informés des conséquences de leur choix.
Observant que cette jurisprudence était évidemment transposable au cas d'une
élection nationale, il a indiqué que le Conseil constitutionnel serait donc
amené à exercer un véritable contrôle des motifs de la modification proposée,
alors que, en doctrine, il avait été relevé que le début d'un tel contrôle
avait été observé justement à propos des décisions précitées de 1990 et de
1994.
M. Favoreu a ensuite récusé l'idée selon laquelle le Conseil constitutionnel
aurait donné, par avance, une justification à l'inversion du calendrier dans
ses recommandations du 23 juillet 2000, et il a estimé que la seule
préoccupation exprimée par le Conseil constitutionnel, à savoir le respect de
la date limite de présentation des candidats, pouvait être parfaitement
satisfaite par une fixation de la date des élections législatives aux 3 et 10
mars et par une clôture des présentations pour l'élection présidentielle au 2
avril à minuit, pour une élection présidentielle fixée aux 21 avril et 5 mai.
Il a remarqué que le 19 décembre 2000, à l'Assemblée nationale, le ministre de
l'intérieur l'avait reconnu explicitement.
Soulignant qu'il n'y avait donc pas de justification technique et, en
conséquence, pas de motif à l'inversion des élections, il a fait valoir que la
seule motivation était d'ordre politique et qu'elle était de surcroît plutôt
floue, le contenu de « l'esprit des institutions » variant selon les
interlocuteurs. Il en a conclu qu'il flottait comme un parfum de « détournement
de pouvoir ».
Il a rappelé que certains avaient estimé que la proposition de loi pouvait
apparaître soit comme un coup de semonce en réponse à l'intervention du
Président de la République lors de la crise de la « vache folle », soit comme
un instrument ayant pour objet réel de favoriser l'élection de certains.
Il a toutefois, lui aussi, souligné que les résultats de l'inversion du
calendrier étaient difficilement prévisibles selon les spécialistes.
Il a fait ressortir qu'un projet de loi, à l'instar des quatre projets de loi
précédents, aurait comporté un exposé des motifs clair permettant au Conseil
constitutionnel d'exercer un contrôle, ce qui n'est évidemment pas le cas de la
proposition de loi organique, dont les motifs avancés restent diffus, qu'il
s'agisse du respect d'une logique institutionnelle de la Ve République ou de la
mise en cohérence avec la réforme du quinquennat.
En conclusion, le professeur Favoreu a considéré - et c'est important - que,
dans un Etat de droit, ce qui, espérons-le, est notre cas, les choix politiques
devaient reposer sur des bases juridiques claires, ce qui n'est pas le cas en
l'occurrence.
Ces derniers points étaient particulièrement importants, et c'est
essentiellement ce que je souhaite retenir de notre débat.
Tordre la Constitution dans tous les sens pour en obtenir le meilleur parti
est une chose. La retourner, en inverser le sens, pour rétablir ses intérêts
personnels est une toute autre chose, bien plus grave.
Ce texte est inconstitutionnel ; aussi, à l'instar de bon nombre de mes
collègues, j'ai souhaité le démontrer à nouveau. Et c'est la raison pour
laquelle, monsieur le secrétaire d'Etat, mes collègues et moi-même ne le
voterons pas.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe du RPR.)
M. Emmanuel Hamel.
Une grande intervention !
M. le président.
Madame Brisepierre, en parlant vingt-trois minutes, alors que, en début
d'après-midi, les interventions étaient limitées à deux minutes trente, vous
avez pris votre temps. Mais, c'est vrai, ce n'est plus le même point de l'ordre
du jour !
M. Emmanuel Hamel.
Il faut toujours multiplier par dix lorsqu'on parle de Mme Brisepierre,
monsieur le président !
(Sourires.)
M. le président.
Pourquoi seulement par dix, monsieur Hamel ? C'est infinitésimal !
M. Emmanuel Hamel.
Par son intelligence, son assiduité et son éloquence, elle nous est à tous
très supérieure !
M. le président.
C'est tout, monsieur Hamel ?
M. Emmanuel Hamel.
Cela suffit pour le moment, monsieur le président !
(Nouveaux
sourires.)
M. le président.
La parole est à M. Marest.
M. Max Marest.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le rapporteur,
mes chers collègues, comme le soulignait dans un grand quotidien du matin
Paul-Henri de Liambert, la volonté du Premier ministre de passer en force pour
inverser le calendrier électoral apparaît aux yeux de l'opinion chaque jour un
peu plus comme une manoeuvre uniquement destinée à mettre dans l'embarras le
Président Jacques Chirac, son adversaire de 2002.
Lionel Jospin aura beau jeu, écrivait-il, de brandir la logique des
institutions de la Ve République, lui dont les conseillers jusqu'au mois de
novembre juraient la main sur le coeur que jamais, au grand jamais, une
quelconque initiative en la matière ne viendrait de Matignon. Il a donc surpris
ses proches amis, dont François Hollande, en annonçant à Grenoble que, somme
toute, il était urgent d'organiser les élections législatives après l'élection
présidentielle.
M. Serge Vinçon.
Vertige des cimes !
M. Max Marest.
Il ne peut plus se rétracter, ajoute l'auteur de cet article, et devra donc
attendre le bon vouloir des sénateurs. L'opération de longue réflexion de la
Haute Assemblée a au moins un mérite : mettre au grand jour l'impatience
présidentielle de celui qui assure ne jamais y penser.
Elle aurait également permis aux différents orateurs qui se sont succédé à
cette tribune, en particulier à notre excellent rapporteur, M. Christian
Bonnet, qui siège au banc de la commission depuis maintenant trois semaines
(Applaudissements sur les travées du RPR),
de montrer à nos concitoyens
que la procédure suivie dans cette affaire est peu acceptable : le calendrier
électoral de 2002 est connu depuis 1997 et le Gouvernement avait tout le temps
de se pencher sur cette question.
Après avoir affirmé qu'un « consensus » était nécessaire, le Premier ministre
a brutalement changé de position et a imposé un examen précipité du texte par
les assemblées, alors même qu'un projet de loi organique était en navette entre
l'Assemblée nationale et le Sénat pour tenir compte d'observations du Conseil
constitutionnel relatives à l'organisation de l'élection présidentielle ; il a
même choisi de ne pas déposer un projet de loi afin d'éviter le passage devant
le Conseil d'Etat et le conseil des ministres.
Ce débat a également permis de souligner qu'il était faux d'affirmer que le
calendrier électoral de 2002 n'aurait pas été possible sans le « hasard »,
comme le fait le Gouvernement.
En effet, si tous les présidents de la République avaient achevé leur mandat
et si aucun d'entre eux n'avait dissous l'Assemblée nationale, une élection
présidentielle aurait été organisée en décembre 1958, en décembre 1965, en
décembre 1972, en décembre 1979, en décembre 1986 et en décembre 1993, et des
élections législatives auraient été organisées en mars 1963, en mars 1968, en
mars 1973, en mars 1978, en mars 1983 et en mars 1993.
Cette longue énumération montre que le respect des échéances prévues par la
Constitution aurait abouti, dès 1993, à l'organisation, la même année, des
élections législatives et de l'élection présidentielle, les premières précédant
la seconde.
En tout état de cause, le texte qui nous est soumis n'empêchera pas le
renouvellement d'une telle situation : pour arrêter un calendrier intangible,
il faudrait supprimer le droit de dissolution et créer un vice-président
susceptible d'achever le mandat du Président en cas de décès ou de démission de
celui-ci. Il convient de rappeler que douze des dix-neufs présidents de la
République qui ont été élus depuis le début de la IIIe République n'ont pas
achevé leur mandat.
Ce long débat aura également permis de montrer que, si les mandats locaux ont
été prorogés sous la Ve République, le mandat des députés n'a été prorogé qu'à
deux reprises au cours du xxe siècle - d'autres intervenants l'ont souligné
avant moi - en 1918 et en 1940. Les circonstances dramatiques de ces
prorogations contrastent avec la légèreté et, souvent, le manque de sérieux des
arguments invoqués pour justifier ce texte.
En effet, rien ne permet d'affirmer qu'un changement de calendrier électoral
mettra fin à la cohabitation souhaitée, par ailleurs, par plus du tiers des
Français. L'exemple des Etats-Unis le démontre avec éclat, puisque les
Américains, appelés à désigner le même jour le Président et les membres du
Congrès, choisissent souvent un Président démocrate et un congrès républicain,
ou l'inverse.
Par ailleurs, M. le rapporteur nous a montré, et je l'en remercie, que
personne ne semble avoir réfléchi aux conséquences du choix du troisième mardi
de juin comme date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Est-il vraiment souhaitable pour le fonctionnement des pouvoirs publics que
l'Assemblée nationale se réunisse à la fin du mois de juin pour interrompre
aussitôt ses travaux ? Ou bien verra-t-on renaître ces sessions extraordinaires
que la session unique du Parlement devait limiter ?
En juin, la procédure d'élaboration du projet de budget est déjà fort avancée,
puisque les lettres de cadrage ont été envoyées aux ministres. Est-il vraiment
souhaitable que la procédure soit reprise après des élections législatives
impliquant un changement de gouvernement ? Autant de questions restées jusqu'à
aujourd'hui sans réponse.
Ce long mais nécessaire débat a enfin montré que ce texte était dépourvu de
tout motif d'intérêt général. En effet, soit il a un objet constitutionnel qui
dépasse son dispositif technique, et une réflexion globale est nécessaire ;
soit il répond à une situation conjoncturelle mise en lumière par le Conseil
constitutionnel. Or ce n'est pas le cas.
Si le Conseil constitutionnel, dans ses observations du 23 juillet 2000, a
souhaité que les citoyens habilités à présenter un candidat à l'élection
présidentielle puissent le faire en ayant pris connaissance des résultats des
élections législatives, cette recommandation peut être aisément mise en oeuvre
sans rien changer au droit existant.
Il suffisait alors que le Gouvernement ne retienne pas, parmi les dates
possibles, les plus tardives pour les élections législatives, les 24 et 31
mars, et les plus précoces pour l'élection présidentielle, les 14 et 21
avril.
Il est raisonnable de penser qu'un gouvernement soucieux de favoriser la
participation des citoyens aux consultations électorales n'organisera pas le
second tour des élections législatives le dimanche de Pâques !
Afin de faciliter le choix par le Gouvernement de dates d'élections permettant
d'assurer dans les meilleures conditions le parrainage des candidats à
l'élection présidentielle, la commission des lois propose, sans modifier en
rien l'ordre des consultations, de prévoir un délai minimal de trente jours
entre des élections législatives et une élection présidentielle.
Je soutiendrai bien entendu cette solution, qui allie sagesse et bon sens.
Vous me permettrez, après ce rapide rappel des principaux arguments développés
contre ce texte, de revenir sur un point qui mérite de s'y attarder plus
longuement.
En effet, ce que les Français reprochent souvent aux politiques, c'est de
mentir. Or, dans cette affaire, M. Lionel Jospin a menti. Le 19 octobre
dernier, il déclarait ceci : « Toute initiative de ma part serait interprétée
de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là »,
c'est-à-dire au calendrier prévu, « et il faudrait vraiment qu'un consensus
s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises ».
Où a-t-on vu, depuis cette déclaration, une esquisse de consensus ?
M. Jean-Pierre Schosteck.
Pas du côté des communistes !
M. Max Marest.
L'opposition à l'Assemblée nationale est très majoritairement hostile à cette
inversion du calendrier. Votre propre majorité, monsieur le secrétaire d'Etat,
est fortement divisée, et la majorité sénatoriale - ces trois dernières
semaines de discussion générale le montrent - y est farouchement opposée.
Quelle est donc la motivation de cette volte-face du Premier ministre ?
Pour la comprendre, il suffit de lire l'article d'Eric Perraudeau dans
la
Revue Socialiste
de novembre 2000 : « On oublie trop souvent que la défaite
de la droite en juin 1997 ne s'est jouée qu'à un très petit nombre de voix. »
Notre collègue Laurent Béteille l'a souligné tout à l'heure. « Il aurait suffi
pour que le résultat final soit inversé et que la gauche soit actuellement dans
l'opposition, qu'à l'échelle nationale moins de 1 % des électeurs modifient
leur comportement. »
Quant à l'évolution du rapport de forces politiques depuis 1997,
la Revue
Socialiste
la résume en une formule implacable : « Une progression
électorale de la gauche en trompe-l'oeil ! »
Cette argumentation, comme le rappelait dernièrement Alain Juppé, a dû frapper
l'esprit des stratèges du parti socialiste. Et l'on comprend, dès lors, les
raisons de leur volte-face : devant un risque élevé de défaite aux élections
législatives, on a sans doute craint la mise sur la touche du Premier ministre
comme champion de la gauche à l'élection présidentielle, ce qui apporte de
l'eau au moulin de ceux qui pensent que les deux séries d'élections n'en feront
qu'une. D'où la parade : changeons de calendrier !
Vous me permettrez, en cet instant, de paraphraser notre excellent collègue
député Pierre Lellouche, qui expliquait avec beaucoup de clarté ce point de vue
récemment dans un hebdomadaire bien connu.
En effet, le débat sur l'inversion du calendrier électoral avait été
totalement occulté à l'occasion du référendum de septembre dernier sur la
réforme du quinquennat. Et voilà qu'il ressurgit aujourd'hui !
Si, comme nous le pensons, cela trottait déjà dans les esprits éclairés de
Matignon, il aurait sans doute été plus honnête d'en parler à l'époque pour que
nos concitoyens sachent de quoi il retournerait précisément quelques mois plus
tard.
Le débat qu'on nous impose aujourd'hui consiste à savoir laquelle des deux
élections précédera l'autre. Législatives d'abord, comme l'impose aujourd'hui
le hasard né de la dissolution de 1997, ou renversement de l'ordre des
élections - présidentielle puis législatives - au nom d'une logique
présidentielle des institutions de la Ve République, logique qu'aucun orateur
n'aura réussi à nous démontrer dans cette discussion générale.
Ce qui est amusant, c'est qu'en apparence le débat semble se dérouler à fronts
renversés : socialistes et certains centristes, hier principaux pourfendeurs du
général de Gaulle, se drapent aujourd'hui dans l'étendard de l'esprit de nos
institutions, prétendant imposer une version du calendrier, tandis que les
héritiers du gaullisme dénoncent les « tripatouillages » de la gauche, pour
reprendre l'expression utilisée par certains de mes collègues.
De leur côté, les communistes se retrouvent sur la même ligne que nous,
sachant par avance qu'un mauvais score à l'élection présidentielle risquerait
d'obérer un peu plus leurs chances aux élections législatives suivantes.
Les Verts sont plus politiques encore et n'ont pas à apprendre grand-chose de
leurs aînés. Ils seraient prêts à rallier le Premier ministre, à la condition
que celui-ci accepte « d'instiller une dose de proportionnelle ». On connaît la
chanson ! De l'art et la manière de raviver la flamme, qui s'éteint enfin,
d'une formation politique qui a fait jusqu'aux dernières législatives le jeu de
la gauche à toutes les élections depuis qu'en 1986, déjà, le maître en
politique de l'actuel Premier ministre avait pris la même initiative «
d'instiller une dose de proportionnelle » !
Faute de pensées profondes sur l'avenir de nos institutions, chacun fourmille
d'arrière-pensées électoralistes. Chacun prend toutes les assurances possibles
pour l'emporter l'année prochaine.
Eh bien, je vais vous le dire, en paraphrasant le nouveau président du Conseil
supérieur de l'audiovisuel, la majorité hétéroclite qui s'est assemblée sur ce
texte, c'est l'UAP, l'union des arrière-pensées.
Je ne peux, vous le comprendrez aisément, m'associer à cette manoeuvre
destinée à conforter la position du candidat socialiste à l'élection
présidentielle.
Je ne peux également, avant de conclure, que regretter - et je me réfère,
cette fois-ci, à un grand quotidien du soir - sur l'air de « mange tes
épinards, sinon tu n'auras pas de dessert », la volonté du Gouvernement de
priver la Haute Assemblée, et par là même les Français, de plusieurs réformes
tant que la majorité sénatoriale n'aura pas avalé la version du calendrier.
Le Gouvernement doit vraiment craindre les prochaines échéances électorales
pour se livrer à une telle manoeuvre !
Vous comprendrez, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette manoeuvre soit
méprisable aux yeux des Français et que nous ne puissions y souscrire par
respect du corps électoral.
Les Français seront-ils dupes ? Celui qui sera puni, si j'en crois un article
de presse paru ce matin, ne sera peut-être pas celui qu'on croit - je parle du
Premier ministre et non pas du Sénat !
En tout cas, je crois traduire le voeu des collègues de mon groupe, et
d'autres, en refusant de voter ce texte.
(Applaudissements sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Mes chers collègues, je constate qu'il n'y a plus d'orateur inscrit dans la
discussion générale.
M. Christian Bonnet,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, au terme d'un long débat au cours duquel soixante orateurs se
sont exprimés, dont cinq favorables à la proposition de loi organique qui nous
est venue de l'Assemblée nationale et cinquante-cinq qui ont marqué leur
hostilité à son égard - disparité significative, n'est-il pas vrai, du peu
d'enthousiasme des partisans d'une inversion bien à tort qualifiée de
consensuelle ! - il est apparu souhaitable au rapporteur de tenter d'en
esquisser une synthèse, ne serait-ce que pour faciliter la tâche de M. le
ministre de l'intérieur, qui a bien voulu porter à notre connaissance qu'il
souhaitait, mardi prochain, répondre aux intervenants.
Aussi bien m'attacherai-je successivement à souligner les questions demeurées
en suspens, à regrouper les arguments avancés dans la discussion, à dénoncer,
enfin, une méthode difficilement acceptable.
En tout premier lieu, comment ne pas faire état de ma préoccupation face à
l'absence de réponse satisfaisante, au plein sens du terme, aux deux objections
majeures que j'avais cru pouvoir formuler lors de la présentation de mon
rapport ?
La première a trait au choix, évoqué à l'instant par M. Marest, du troisième
mardi de juin comme dated'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
A cette date, en effet, la procédure budgétaire est déjà très avancée, les
lettres de cadrage adressées aux ministres, et tout devrait donc être repris en
cas de changement de majorité.
Si cette date devait être retenue, ces inconvénients ne manqueraient pas
d'apparaître en plein jour, mais nous ne pourrions pas revenir en arrière. Il
faudrait alors, en effet, soit réduire la durée du mandat des députés, soit
l'augmenter de neuf ou dix mois, deux éventualités également inconcevables.
Ainsi ne pourrait-on qu'avancer encore un peu plus dans l'année la date
d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
A cet égard, si la date du 1er octobre apparaît séduisante, car elle est celle
du début de la session parlementaire, elle soulèverait également des
difficultés importantes. Si la majorité changeait à l'occasion d'élections
tenues en septembre, la procédure budgétaire devrait être reprise
ab
initio
, alors même que l'Assemblée nationale doit examiner tout projet de
budget dès la mi-octobre, et la commission des finances de l'Assemblée
nationale, qui travaille tout au long du mois de septembre - un certain nombre
d'entre nous le savent, mes chers collègues - pour examiner le projet de loi de
finances en octobre, ne pourrait alors le faire.
Je le dis et le redis : le premier mardi d'avril est une excellente date pour
l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. Puisse-t-on ne pas le
découvrir trop tard !
En réalité, monsieur le secrétaire d'Etat, à supposer qu'il soit, en règle
générale, profitable que l'Assemblée nationale soit élue après le Président de
la République, nous devrions bien plutôt réfléchir, comme l'a écrit le
professeur Carcassonne, à la date de l'élection du Président de la République
et, comme l'a suggéré notre collègue M. About, à l'inscription d'une date fixe
dans la Constitution pour l'expiration du mandat du Président de la
République.
Ainsi pourrions-nous régler de manière définitive la question du calendrier
électoral. En effet, le calendrier pourrait être modifié une fois par une
dissolution où le décès d'un Président de la République, mais tout rentrerait
dans l'ordre lors des élections suivantes, dès lors que le mandat du Président
de la République, comme celui des députés, expirerait à date fixe.
Evidemment, cette réforme impliquerait une révision constitutionnelle
soigneusement préparée. Elle ne pourrait donc être appliquée aux prochaines
élections. Mais, enfin, le Parlement de la République doit-il rechercher des
solutions pour le long terme ou bien adopter une mesure quasiment improvisée au
risque de devoir réexaminer cette question plus tôt que ne l'imaginent certains
?
Quant à la seconde objection, relative à la situation que nous devrions
affronter dès 2007, il n'y a pas été davantage répondu. Cette année-là, en
effet, fortuitement, par le hasard du calendrier, et sauf événement imprévu,
sont programmées des élections municipales, des élections cantonales, une
élection présidentielle, des élections législatives et des élections
sénatoriales.
En 1995, les élections municipales, prévues en mars, ont été reportées en juin
pour permettre aux maires de parrainer un candidat à l'élection présidentielle.
En 2007, il ne sera pas possible de faire de même si les élections législatives
sont prévues en juin.
Ainsi - j'attire votre attention sur cet aspect des choses, monsieur le
secrétaire d'Etat - dès 2007, et 2007, c'est déjà demain, la machinerie qui a
été imaginée par le Gouvernement se trouvera fâcheusement grippée, condamnant
le Gouvernement alors en place à de nouvelles contorsions.
Mais venons-en maintenant aux arguments développés tout au long de la
discussion et que, pour la commodité de l'exposé, je regrouperai en quatre
rubriques sous forme d'interrogations. Tout d'abord, de quoi s'agit-il ? Les
institutions mêmes de la République sont-elles mises en cause ? Existe-t-il une
ou deux lectures de la Constitution ? Enfin, où est la vision d'ensemble ?
Première question : de quoi s'agit-il ? On ne saurait mieux faire, pour
répondre à cette interrogation, que de reprendre un court passage de
l'intervention de M. Philippe Marini : « Je m'interroge aussi sur la finalité
de ce débat et, par voie de conséquence, sur son objet même. S'agit-il d'un
débat sur la nature même de nos institutions, sur la manière de les comprendre
ou bien de la préparation d'une échéance électorale ? Il y a là une ambiguïté,
un flou, qu'il faudrait dissiper. »
Deuxième question : tel qu'il est présenté, le texte de la proposition de loi
organique porte-t-il atteinte aux institutions ? Oui, vient de laisser à penser
Mme Brisepierre.
Tel n'est pas l'avis de notre éminent collègue M. Badinter, qui s'est
longuement attaché, avec l'autorité et le talent que chacun se prête à lui
reconnaître, à souligner la parfaite conformité de ce texte à la Constitution
de la Ve République. Pour lui, « la proposition de loi organique est claire,
raisonnable et correspond à la logique de nos institutions ». M. Autexier, de
son côté, estime que « le rétablissement du calendrier est une bonne chose pour
la démocratie ».
Mais de très nombreux orateurs ne partagent pas ce sentiment.
Ainsi, M. Cabanel de déclarer : « Ce débat est important, car il touche à la
conception même de nos institutions. »
Ainsi, notre excellent collègue M. Courtois avance-t-il : « La loi organique
qui nous est soumise aujourd'hui porte une atteinte flagrante à la
Constitution, qui ne définit nullement l'ordre des scrutins. Il n'est écrit
nulle part dans la Constitution que l'élection présidentielle doive avoir lieu
avant les élections législatives. Chaque élection doit avoir lieu lorsque son
échéance naturelle survient. »
Ainsi, M. Pelchat de déclarer : « C'est un problème pour nos institutions
comme pour la démocratie. »
Et M. Gerbaud d'affirmer : « L'inversion du calendrier ouvre un très grave
débat institutionnel. »
M. Marini, pour sa part, se veut très offensif : « L'on veut nous faire croire
que l'inversion du calendrier électoral est un tout petit sujet, une évidence
technique, un misérable petit ajustement qui ne mérite pas de retenir longtemps
l'attention du Parlement. »
Quant à MM. Serge Vinçon et Jean Boyer, ils ont mis l'accent, l'un et l'autre,
sur l'incongruité que constituait le fait de modifier l'élection du Président
de la République en l'écartant, par le biais d'une proposition de loi, d'un
débat institutionnel le concernant au premier chef.
M. Emmanuel Hamel.
Juste hommage à M. Vinçon !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Nombreux sont ceux de nos collègues qui ont, eux aussi,
évoqué cette tentative de dissimuler une réforme constitutionnelle sous
l'apparence anodine d'une proposition de loi de deux articles. Le président de
Rohan, le doyen Gélard, MM. Schosteck, Leclerc et bien d'autres encore ont
stigmatisé cette manière de faire.
Mais une troisième question se pose : existe-t-il une ou deux lectures de la
Constitution ? Votre rapporteur avait été amené à souligner qu'il existait bien
deux lectures de notre Constitution.
MM. Courtois et Chérioux ont parlé quant à eux d'un système mixte. Et notre
collègue M. Carle a parlé d'un régime semi-présidentiel, semi-parlementaire,
cependant que M. Karoutchi s'exprimait ainsi : « Vous avez beau lire la
Constitution dans tous les sens, vous ne trouverez nulle indication selon
laquelle l'élection présidentielle devrait avoir la primauté. »
En s'adressant à tel ou tel de nos collègues, MM. Arthuis et Chérioux ont
avancé que c'est « sur le projet, la vision du Président de la République que
se déterminent les Français ».
Enfin, M. Vinçon n'a pas manqué, à l'inverse, de faire remarquer très
justement que « le général de Gaulle ne s'est jamais fait élire Président de la
République avec un programme d'action gouvernementale ».
Pour ma part, j'ai eu l'occasion, au cours du débat, de mettre l'accent sur le
fait que, si le Président de la République, gardien de la Constitution, garant
du maintien de la République, chef des armées, détient, indépendamment même de
l'article 16 de la Constitution, des pouvoirs majeurs tels le droit de
dissolution, le référendum, la saisine du Conseil constitutionnel, la
convocation de toute session extraordinaire, il n'en reste pas moins qu'en
période de cohabitation c'est bien, pour reprendre les termes mêmes de
l'article 20 de la Constitution, le Gouvernement qui « détermine et conduit la
politique de la nation ».
Ainsi le Président Mitterrand n'a-t-il pas pu faire obstacle aux
privatisations qu'il réprouvait. De même le Président Chirac, bien que
favorable au principe d'une réduction du temps de travail, n'a pas pu s'opposer
à son application rigide et uniforme.
Il s'agit là de deux exemples parmi tant d'autres qui illustrent le caractère
relatif d'une conception aux termes de laquelle le chef de l'Etat demeure
toujours l'élément moteur de la République.
Quatrième et dernière question : où est la vision d'ensemble ? Nombre
d'orateurs se sont attachés à déplorer le manque de vision d'ensemble dont
témoigne la proposition de loi organique.
Ainsi, le président Jean Arthuis, pourtant favorable à la proposition de loi
organique, a-t-il été particulièrement sévère. Il a notamment déclaré : «
D'aucuns reprocheront en effet la perpétuation, en ce début de siècle et de
millénaire, de pratiques surannées et pernicieuses de notre vie politique,
surtout lorsqu'il s'agit de s'attaquer au marbre de la loi fondamentale, la
Constitution. Ces pratiques consistent à tergiverser, à brouiller le débat par
des arrière-pensées politiciennes et des diatribes publiques, avant finalement
de procéder à quelques retouches successives qui ne permettent certainement pas
à nos concitoyens de dégager un tableau d'ensemble de l'évolution de nos
institutions. »
M. Robert Bret, quant à lui, évoquant « une réformette sans vie d'ensemble »,
a été tout aussi sévère : « La question des institutions est une question
globale. Elle recouvre l'ensemble des secteurs de la société et, de toute
évidence, cette question des institutions mérite bien mieux qu'un référendum
raté ou une belle manoeuvre réalisée dans la précipitation coutumière de la fin
du mois de décembre. »
M. Gérard Larcher a parlé pour sa part de « bricolage ».
M. About a souligné que l'on ne peut toucher à un élément de notre système
institutionnel sans que cela ait des conséquences sur l'ensemble de
l'édifice.
Par ailleurs, de très nombreux orateurs ont souligné le caractère inopportun
et irréaliste du débat quand tant de sujets majeurs occupent l'esprit des
Français.
C'est ainsi que le président de Raincourt a évoqué la peine qu'il ressent à la
pensée que notre Parlement aura célébré l'entrée dans le troisième millénaire
en manipulant des calendriers de sortants.
M. le président de Rohan, faussement dubitatif, a posé la question : « De quoi
devons-nous discuter ? De l'insécurité, de l'adaptation de notre régime des
retraites, des réformes qu'appelle notre système éducatif ? »
M. Gruillot a vu là « un aveu de faiblesse du pouvoir politique, une excuse,
pour ne pas affronter les vrais problèmes de notre société ».
M. Raffarin, maniant l'ironie, a souligné qu'« on ne peut arguer d'une
pression de l'opinion en faveur de l'inversion du calendrier ».
M. Braye a affirmé que les Français « attendent du Gouvernement qu'il ne fasse
pas l'impasse sur leurs inquiétudes en jetant de la poudre aux yeux ».
M. Lanier, après avoir fait un sort au supposé rétablissement de la dynamique
de la cohérence, en soulignant que, les événéments disposant, l'inversion du
calendrier ne saurait être pérenne, a dénoncé un « décalage évident » avec les
soucis de nos compatriotes.
M. Hérisson, quant à lui, s'est interrogé : « Pourquoi tout ce remue-ménage si
mal compris de nos concitoyens ? Ses fondements sont inconsistants. »
Et M. de Broissia de confier : « Nul ne m'en a jamais parlé dans mes
permanences. »
M. Serge Vinçon.
C'est vrai !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Hier soir, M. Vasselle insistait sur une proposition qui ne
répond en rien aux attentes des Français, tout comme ce matin l'ont fait M.
Ambroise Dupont, M. Jean Chérioux et, cet après-midi, notre nouveau et
excellent collègue M. Laurent Béteille.
M. Emmanuel Hamel.
Quelle admirable synthèse !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
N'inversons par les rôles, monsieur le secrétaire d'Etat -
n'inversons d'ailleurs rien du tout : ce n'est pas le Sénat qui refuse les
réformes, c'est le Gouvernement qui a décidé qu'un seul texte méritait d'être
examiné par le Sénat : la proposition de loi organique dont nous débattons.
Car nous sommes prêts, M. About l'a d'ailleurs dit. Sur la forêt, la
commission des affaires économiques est prête et, hier matin, la commission des
affaires sociales a examiné le projet de loi sur l'interruption volontaire de
grossesse alors même que ce texte n'est plus inscrit à notre ordre du jour.
Reste alors à évoquer les conditions dans lesquelles, à la suite du revirement
grenoblois soudain de M. le Premier ministre, cette affaire a été portée devant
le Parlement.
Pourquoi tant de précipitation ? Pourquoi tenter de faire passer ce texte « à
la hussarde » pour reprendre l'expression du président Paul Girod ? Pourquoi
cette hâte ? Une hâte telle qu'ainsi que le soulignait notre collègue M.
Jean-Claude Carle, même le parti socialiste s'est trouvé pris de court
plusieurs jours après son congrès, son site Internet continuant d'afficher la
position officielle de ses dirigeants contre l'inversion du calendrier
électoral ?
Pourquoi, sur une affaire en apparence ponctuelle mais si lourde de
conséquences, cette « absence d'une étude d'impact » dénoncée par notre éminent
collègue, le doyen Gélard ? Pourquoi cette absence « de débat en amont »
déplorée, hier matin, sur les ondes d'Europe I, par le président du Sénat
lui-même, M. Poncelet, en réponse à une question de Jean-Pierre Elkabbach ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, l'urgence a été déclarée sur ce texte, une
urgence qui éveille d'autant plus la suspicion que, comme l'indiquait hier
l'amiral de Gaulle, « jamais en République, l'Assemblée nationale n'a
d'elle-même prorogé son mandat »
M. Emmanuel Hamel.
Jamais !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Au cours de chacune des deux guerres mondiales, seuls
exemples que nous fournisse l'histoire, la Chambre des députés - tel était
alors son nom - n'a prorogé son mandat qu'après y avoir été invité par le
Président de la République et le Sénat.
Où est l'urgence ? Notre collègue M. René Garrec a rappelé avec son humour
coutumier cette phrase du maréchal Lyautey ; « Il n'y a pas de problème urgent,
il n'y a que des gens pressés. »
Je note au passage que les déclarations d'urgence se multiplient sur les
sujets les plus divers : l'intercommunalité, l'aménagement du territoire, la
solidarité et le renouvellement urbains, la chasse, les activités physiques et
sportives, les nouvelles régulations économiques, même si ce dernier texte
mettra près de deux ans à voir le jour.
Comme le souligne notre collègue M. Jean-Pierre Raffarin, « l'urgence est
devenue une méthode de Gouvernement qui fait bon marché des droits du Parlement
».
M. Jean-Pierre Schosteck.
Tout à fait !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Et le président Jean Delaneau de souligner la contradiction
existant entre un texte présenté comme anodin et une déclaration d'urgence
décidée pour sa discussion, cependant que notre collègue François Trucy
insistait sur la rareté de la faveur ainsi faite à une « simple » proposition
de loi. Simple ! Je lui laisse la responsabilité de cet adjectif.
Il n'y a guère que sur la réforme des retraites que l'urgence ne soit pas
déclarée, et pour cause : il n'y a aucun projet déposé, aucun en préparation,
et l'on constate la gêne qui est celle du Gouvernement, privé qu'il s'est vu
depuis quelques jours des 64 milliards de francs grâce auxquels il espérait
pouvoir abonder le plus que maigrelet fonds de réserve des retraites, à
plusieurs reprises évoqué dans cette enceinte.
Monsieur le secrétaire d'Etat, parvenu à ce stade de mon exposé, je
souhaiterais vous faire une confidence fondée sur une expérience déjà ancienne,
mais toujours présente à mon esprit, de l'action gouvernementale.
Le Sénat est une institution qui n'apprécie pas d'être bousculée.
(M.
Estier rit.)
A maintes reprises, il m'est arrivé de l'éprouver à mon corps défendant,
singulièrement lors de l'examen, pendant trois sessions, du premier des projets
de décentralisation que j'avais à défendre au cours des années 1979 et 1980,
celui-là même que l'on omet toujours de citer, exception faite de M. le
président Poncelet qui ne manque pas une occasion de le rappeler, et je lui en
exprime ma gratitude.
Le Sénat est sensible aux égards. Comme l'a récemment exprimé M. Garrec : « Il
y a de la considération à apporter au Sénat. » Pour le séduire, il y faut des
manières et, en l'occurrence, elles ont cruellement fait défaut !...
Pourquoi ces propos blessants sur - je cite - « la petite troupe » ou - je
cite derechef ! - « la simple faction » qui freinerait le cours de nos débats
?
Voudrait-on donner raison à Benjamin Constant que l'on ne s'y prendrait pas
autrement, Benjamin Constant qui écrivait : « Les dépositaires du pouvoir ont
une disposition fâcheuse à considérer tout ce qui n'est pas eux comme une
faction. Ils rangent quelquefois la nation même dans cette catégorie. »
M. Emmanuel Hamel.
Quelle citation !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Notre excellent collègue M. Yann Gaillard a montré, à la
faveur de divers exemples saisissants, et en s'appuyant sur le texte d'un
auteur particulièrement autorisé, aujourd'hui collaborateur immédiat de M. le
ministre de l'intérieur, la légitimité, pour une assemblée, d'user des
ressources du règlement, légitimité dont la minorité d'alors à l'Assemblée
nationale n'avait pas manqué, en déposant plus de 4 000 amendements, d'user en
1994.
L'un de nos collègues parmi les plus respectés de cette assemblée, celui
auquel responsables d'établissements, dirigeants d'entreprises et élus doivent
l'heureuse clarification de la distinction entre délits intentionnels et délits
non intentionnels - j'ai nommé le président Pierre Fauchon - a porté le fer
dans la plaie, et ce qu'il a énoncé à cette tribune mérite d'autant plus
considération qu'il s'est prononcé en faveur de la proposition de loi
organique.
Après avoir évoqué ce qu'il a qualifié de « procédé », il a affirmé : « Nous
sommes, par conséquent, devant une vraie réforme constitutionnelle et on ne
saurait accepter de faire passer ce texte pour un simple aménagement de
calendrier pour des raisons pratiques. »
Et d'ajouter : « Je n'insisterai pas sur le pitoyable délai concédé à la
commission des lois pour examiner le texte. »
Et d'insister : « Mais il y a plus grave » - c'est toujours Pierre Fauchon qui
parle - « et cela touche au fond du problème. Est-il correct juridiquement,
est-il politiquement convenable de déguiser en une simple proposition de loi,
votée à la hâte, un dispositif porteur de telles conséquences pour notre vie
politique et qui constitue de ce fait une véritable réforme constitutionnelle,
une réforme constitutionnelle sur laquelle on fait l'impasse de l'avis du
Conseil d'Etat, de l'examen en conseil des ministres, donc de l'avis du
Président de la République, et de l'adoption par référendum ? Pourquoi ? »
M. Fauchon est un homme trop fin pour n'avoir pas répondu
in petto
à la
question qu'il feignait de poser ainsi.
Peut-être, homme de grande culture qu'il est, pensait-il à
Antigone,
cette pièce dans laquelle Jean Anouilh fait dire à Créon : « Il n'y a rien
de vrai que ce qu'on ne dit pas. »
Monsieur le secrétaire d'Etat, tout au long de cette discussion, j'étais tenté
de demander à ceux qui se sont succédé à ce banc où je suis heureux de vous
trouver ce soir, tel cet animal qui, comme nous, allait son train de sénateur :
« De quoi vous sert votre vitesse. ? »
Puisse le répit que lui donne le débat qui se déroule depuis quelque temps
dans cette enceinte inciter le Gouvernement à peser avec soin - et tout autant
nos collègues députés - avantages et inconvénients, pour l'avenir de nos
institutions, d'une proposition de loi organique dont, avec toute l'autorité
qui s'attache à sa personne et à son nom, notre éminent collègue, l'amiral de
Gaulle, disait, ici même, hier après-midi : « qu'elle vole bas par rapport à
l'histoire, à la nature et à la mission de la Ve République ».
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. Emmanuel Hamel.
Sommet de l'éloquence !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole et à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, je souhaite simplement
confirmer au Sénat que le Gouvernement a écouté avec beaucoup d'attention tout
ce qui vient d'être dit, notamment la synthèse de M. le rapporteur.
J'ai cru comprendre que la commission des lois se réunira le mardi 6 février
pour examiner les amendements.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
C'est exact.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
A seize heures, M. Daniel Vaillant répondra aux
différents intervenants, réponse qui s'inscrira dans la suite logique des
travaux du Sénat consacrés à cette proposition de loi organique.
M. le président.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, la suite de la discussion est renvoyée à la prochaine
séance.
6
DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
M. le président.
M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel,
par lettre en date du 1er février 2001, le texte de la décision rendue par le
Conseil constitutionnel sur la loi organique modifiant la loi n° 62-1292 du 6
novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage
universel.
Acte est donné de cette communication.
Cette décision du Conseil constitutionnel sera publiée au
Journal
officiel
, édition des Lois et Décrets.
7
DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION
M. le président.
J'ai reçu de M. Maurice Blin un rapport d'information fait au nom de la
délégation du Sénat pour l'Union européenne sur l'Europe et la culture.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 213 et distribué.
8
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mardi 6 février 2001 :
A neuf heures trente :
1. Questions orales suivantes :
I. - M. André Maman appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation
nationale sur les moyens d'action du Comité national de lutte contre la
violence à l'école, récemment créé.
Il lui rappelle, en effet, que le Comité national de lutte contre la violence
à l'école, qui a été officiellement installé le 24 octobre dernier, a pour
objectif d'identifier et d'analyser les phénomènes de violence à l'école et de
proposer des réponses visant à lutter contre les diverses manifestations de ces
phénomènes. Parallèlement, une mission a été mise sur pied afin d'organiser
prochainement une campagne de mobilisation contre la violence, mission qui doit
être menée en étroite collaboration avec le Comité national de lutte contre la
violence à l'école. S'il se félicite de la création d'une telle instance, il se
demande quels sont les moyens qui ont été prévus afin de garantir l'efficacité
de la lutte menée contre la violence à l'école.
En conséquence, il lui demande de bien vouloir lui indiquer quelles sont les
mesures que son ministère entend initier afin que les déclarations d'intention
soient suivies d'effet et que cette initiative ne reste pas lettre morte. (N°
947.)
II. - Mme Nicole Borvo attire l'attention de M. le ministre de l'éducation
nationale sur le chantier de désamiantage du campus de Jussieu.
Alors qu'il y a quatre ans, le 4 décembre 1996, un contrat était signé par le
ministre de l'éducation nationale de l'époque prévoyant de désamianter et de
mettre en sécurité le campus de Jussieu en trois ans, les travaux ne sont
terminés que pour une seule « barre », soit 2,5 % de la surface à traiter.
Quelque 7,5 % sont en travaux et il est projeté de mettre en chantier 10 % du
campus au cours de l'année prochaine.
Restent 80 % du campus pour lesquels rien n'est programmé. On ne peut qu'être
inquiet quant à cette situation qui oblige 50 000 personnes à fréquenter un
campus sans signal d'alarme et avec des bâtiments dont la tenue au feu est de
dix minutes au lieu de la durée réglementaire fixée à une heure trente.
Pourtant l'établissement public en charge du chantier, après avoir fixé
lui-même un calendrier de travaux de cinq ans à l'automne 1997, n'a jamais
respecté ces délais.
Elle lui demande quelles mesures il envisage de prendre pour accélérer les
travaux de manière significative. (N° 978.)
III. - M. Guy Vissac attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et
de la pêche sur le grave problème de l'épandage des boues d'épuration.
Il lui rappelle que la plupart des boues urbaines issues des stations
d'épuration en France sont épandues sur des terres agricoles (60 %), le reste
étant soit incinéré, soit mis en décharge. S'agissant de l'incinération, dont
le coût est nettement plus élevé que l'épandage agricole, celle-ci restera la
seule alternative envisageable, compte tenu des dispositions législatives
limitant la mise en décharge aux seuls déchets ultimes à partir de 2002.
Il lui rappelle également que, dès 1997, les organisations professionnelles ou
syndicales agricoles commencèrent à demander aux agriculteurs de suspendre tout
épandage de boues. En février 1998, un comité national de l'épandage a été mis
en place. Les agriculteurs ont également sollicité la création d'un fonds de
garantie pour permettre l'indemnisation de dommages éventuels et pour garantir
le risque environnemental à long terme.
Face à une situation bloquée, les élus locaux ayant les pires difficultés pour
réaliser l'épandage des boues, il souhaiterait savoir quelles solutions sont
envisagées pour que ce problème des boues ne devienne pas un fardeau financier
pour les communes, notamment en Haute-Loire. (N° 971.)
IV. - M. Georges Mouly attire l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de
la solidarité sur le double problème de discrimination que connaissent les
personnes handicapées du point de vue de leur situation financière.
La première est celui de l'application de la notion de « retour à meilleure
fortune » qui entraîne une possibilité de récupération des sommes versées au
titre de l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP) dès lors que
l'héritage, au décès de leurs parents, modifie leur situation fiscale, ce qui
n'est pas le cas des bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (RMI) en
situation comparable. La seconde est celle de la prise en compte de
l'allocation adulte handicapé dans l'appréciation des ressources pour
l'attribution de l'allocation veuvage.
Il lui demande quelles mesures elle envisage de prendre pour supprimer ces
deux dispositions dont souffre la population handicapée et, plus généralement,
toutes autres mesures pour offrir une véritable compensation du handicap à
cette partie de la population. (N° 1002.)
V. - M. Jean-Louis Lorrain appelle l'attention de Mme le ministre de l'emploi
et de la solidarité sur les difficultés actuelles de la fonction publique
hospitalière.
L'augmentation significative de l'emploi précaire, signalée dans le rapport
Roche, ne prend pas en compte l'importance des effectifs non médicaux.
Le temps de travail du personnel de nuit a été fixé en 1994 sur la base de 35
heures hebdomadaires, soit 220 jours de présence ou 1 540 heures ouvrées. Or,
le décret relatif à l'aménagement du temps de travail dans la fonction publique
d'Etat prévoit un décompte du temps de travail sur une base annuelle de 1 600
heures ouvrées.
Il est compréhensible qu'un décret particulier soit le souhait des syndicats,
incluant un cadre réglementaire national, défini sur la base existante
(ordonnance de mars 1982, décret d'octobre 1982).
Les personnels hospitaliers s'opposeront donc à la flexibilité comme mode de
gestion des effectifs. Ils estiment que la nouvelle réduction du temps de
travail ne doit pas systématiquement générer l'annualisation des salaires.
Par ailleurs, les cadres hospitaliers constatent la dégradation de leurs
conditions de travail : la surcharge de travail qui pèse sur eux, liée à la
multiplicité et à la complexité des dossiers à gérer, entraîne régulièrement le
dépassement du temps réglementaire. Elle a un impact négatif sur la vie privée
et la santé des intéressés.
De plus, les statuts des différentes filières professionnelles sont maintenant
obsolètes. L'activité professionnelle requiert des compétences techniques de
plus en plus pointues. L'absence de promotion bouche l'horizon de l'encadrement
hospitalier et les grilles indiciaires connaissent un phénomène d'écrasement.
L'inadéquation des rémunérations aux responsabilités assumées, les
insuffisances de la formation initiale face aux enjeux actuels, nécessitent des
mesures urgentes.
Quelle politique compte mener à court et à moyen terme le ministère de
l'emploi et de la solidarité pour remédier aux difficultés précitées ? (N°
996.)
VI. - M. Charles Descours attire l'attention de Mme le ministre de l'emploi et
de la solidarité sur le malaise des infirmiers et infirmières des blocs
opératoires et anesthésistes.
Au printemps dernier, ces professionnels avaient engagé un mouvement
revendicatif de grève pour demander à la fois une amélioration salariale en
modifiant la grille indiciaire et une reconnaissance statutaire de leur
profession.
Ils ont suspendu ce mouvement sous la promesse du ministre de l'emploi et de
la solidarité que les négociations sur un avenant débuteraient au 1er décembre
2000 et que le décret de compétences dont les travaux touchent à leur fin
serait publié l'été dernier.
En effet, dans une lettre datée du 18 mai 2000 et adressée aux organisations
syndicales, votre prédécesseur proposait cette date pour la sortie du décret et
déclarait que : « les négociations seront conduites en parallèle, pour chacune
des professions concernées. Ainsi, la négociation sur le statut des infirmières
s'ouvrira-t-elle dès le 1er décembre prochain sur la base d'une grille
indiciaire spécifique. »
Or le décret de compétences n'est toujours pas sorti le 25 janvier 2001 et les
propositions du Gouvernement du 1er décembre ont été telles que le 24 janvier
les infirmiers et infirmières ont déclenché une journée « blocs opératoires
morts ».
En conséquence, il lui demande quelles mesures elle compte prendre pour mettre
fin à cette situation préjudiciable à la santé de nos concitoyens. (N°
1008.)
VII. - M. Lucien Neuwirth attire l'attention de Mme le secrétaire d'Etat à la
santé et aux handicapés sur l'important déficit d'équipements de radiothérapie
et d'imagerie médicale dont souffre le département de la Loire, plus
spécialement dans le cadre de la lutte contre le cancer.
La vétusté du parc des appareils en hôpitaux publics ou participant au service
hospitalier public est reconnue par tous les professionnels de santé concernés
: par exemple, quatre accélérateurs sur cinq sont âgés de plus de quinze ans,
leur taux de panne est très fréquent, la fiabilité des appareils très
aléatoire, à la merci d'une panne définitive. L'institut de cancérologie de la
Loire est en attente de sa mise en service depuis plusieurs années, et les deux
nouveaux accélérateurs linéaires promis pour fin 2000, pour remplacer les
appareils de radiothérapie déficients et actuellement totalement saturés, ne
sont pas au rendez-vous ; un troisième IRM s'avérerait d'ailleurs
indispensable. Les deux seules autorisations de chambre de curiethérapie du
département de la Loire ne semblent pas être reconduites. Aucun pet-scan n'est
encore installé, ni d'appareil de radiothérapie équipé d'un système d'imagerie
portable pour répondre aux besoins nouveaux et faciliter les diagnostics
précoces.
Une telle situation fait perdre aux patients cancéreux de la Loire des chances
de guérison et ce malgré les efforts et le dévouement du personnel médical et
soignant.
Il lui demande quand elle compte mettre un terme à cette situation. (N°
1000.)
VIII. - M. Gérard Cornu appelle l'attention de Mme le secrétaire d'Etat à la
santé et aux handicapés sur la situation des masseurs-kinésithérapeutes
rééducateurs libéraux.
Au mois d'août 2000, le conseil d'administration de la Caisse nationale
d'assurance maladie (CNAM) a décidé arbitrairement la baisse de leurs
honoraires de 3 %, ramenant la valeur de leur lettre clé AMK à celle qu'elle
était en avril 1997. Cette baisse a été décidée consécutivement à
l'augmentation en volume des soins remboursés aux assurés sociaux au cours du
premier quadrimestre 2000, à laquelle il a été ajouté les sanctions collectives
en cas de dépassement des enveloppes. Or, cette augmentation est
essentiellement due aux retards pris par les caisses dans le remboursement aux
assurés en 1999 et à l'instauration de la couverture maladie universelle (CMU).
La kinésithérapie libérale, qui ne représente que 0,9 % du budget total de la
sécurité sociale, contre 58 % de dépenses hospitalières, voit dans cette
décision une maîtrise purement comptable de la gestion du système de soins qui
refuse de prendre en compte le réel besoin de nos concitoyens en matière de
santé.
En conséquence, il lui demande de bien vouloir mettre tout en oeuvre afin de
redonner aux masseurs-kinésithérapeutes libéraux la considération qu'ils sont
en droit d'attendre en réajustant à son niveau 2000 la valeur de leur lettre
clé et afin d'empêcher à l'avenir que la CNAM ne prenne de telles décisions
sans aucune concertation préalable avec les professionnels concernés. (N°
961.)
IX. - M. Jean-Pierre Demerliat attire l'attention de M. le ministre de
l'équipement, des transports et du logement sur la situation financière
délicate dans laquelle se trouvent un certain nombre de conseils
d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE).
Ces organismes ont, aux termes de l'article 7 de la loi n° 77-2 du 3 janvier
1977 sur l'architecture, « pour mission de développer l'information, la
sensibilité et l'esprit de participation du public dans le domaine de
l'architecture, de l'urbanisme et de l'environnement ». Ils sont « à la
disposition des collectivités qui peuvent les consulter sur tout projet
d'urbanisme, d'architecture ou d'environnement ».
Ces prestations, gratuites, sont particulièrement appréciées des maires des
petites communes, qui trouvent là une aide précieuse pour leurs choix
d'urbanisme, d'aménagement et de développement. Pour leur financement, les CAUE
bénéficient de la taxe départementale pour les CAUE, qui est instituée par
délibération du conseil général. Cette taxe est calculée sur la même base que
la taxe locale d'équipement. L'assiette de cette taxe n'est donc pas stable, du
fait notamment de l'irrégularité du rythme des constructions. Cette évolution
pourrait ouvrir la voie à des difficultés budgétaires pour les CAUE.
Il souhaite donc savoir quelles solutions le Gouvernement compte proposer pour
garantir des ressources stables aux CAUE, afin de les rassurer sur leur avenir
et leur pérennité. (N° 958.)
X. - M. Roger Karoutchi attire l'attention de M. le ministre de l'équipement,
des transports et du logement sur la dégradation de la qualité du service dans
les transports publics d'Ile-de-France.
Il constate que, depuis plusieurs années, du fait du désengagement progressif
de l'Etat, les transports publics coûtent de plus en plus cher aux usagers et
aux collectivités locales franciliennes. Ainsi, il observe que pour la seule
année 2000 le prix du carnet de dix tickets de métro a augmenté de 5,45 %, ce
qui correspond à une progression très sensiblement supérieure à celle des prix.
La contribution des voyageurs à l'exploitation de la RATP est ainsi passée de
40,5 % en 1996 à près de 45 % aujourd'hui. Il lui fait remarquer que, dans le
même temps, la région d'Ile-de-France n'a cessé d'accroître sa contribution au
financement des infrastructures, des opérations d'accessibilité des réseaux, de
la sécurisation des transports collectifs, de radio-localisation des bus, de
restructuration et de rénovation des gares et stations, de réorganisation des
pôles d'échanges, de rénovation et réfection du matériel roulant.
Or, il constate que malgré l'accroissement sensible de ces sources de
financement la qualité du service ne cesse de se dégrader : détérioration du
matériel roulant (graffitis, tags, lacération des sièges...), perturbations et
nombreux retards dans le trafic ferroviaire et métropolitain, fraude massive
sur l'ensemble des réseaux et atteintes à la sécurité des voyageurs sur le
réseau en très nette augmentation (10 % pour le premier semestre 2000).
Il lui rappelle que la réforme du Syndicat des transports parisiens, très
insuffisante par rapport à la décentralisation attendue, laisse à l'Etat la
véritable tutelle : ainsi celle des deux entreprises de transport (SNCF et
RATP).
En conséquence, il lui demande quelles mesures il entend prendre, en liaison
avec les entreprises, pour remédier à ces dysfonctionnements, rétablir le droit
sur les réseaux ferrés d'Ile-de-France et assurer la sécurité des personnes et
des biens. (N° 977.)
XI. - M. Martial Taugourdeau appelle l'attention de M. le ministre de
l'équipement, des transports et du logement sur les dysfonctionnements des
lignes SNCF Chartres-Paris et Dreux-Paris : retards incessants, suppressions de
trains, manque d'information des voyageurs, stationnement des trains hors des
quais en gare, suppression des wagons, confort médiocre proposé sur des lignes
et dans des gares particulièrement bien fréquentées.
Tout en regrettant qu'aucun crédit n'ait été inscrit au contrat de plan
Etat-Région pour l'amélioration de ces liaisons, il lui demande quelles mesures
il compte prendre pour remédier aux difficultés quotidiennes et persistantes
rencontrées par les usagers de ces liaisons ferroviaires au regard du service
attendu et des conditions de sécurité.
Par ailleurs, il serait bon que la SNCF puisse dédommager les usagers pour les
conditions particulièrement déplorables de transport des mois d'octobre et de
novembre 2000. (N° 980.)
XII. - M. Bernard Fournier appelle l'attention de M. le ministre de
l'équipement, des transports et du logement sur le devenir de l'ingénierie
publique.
Les ingénieurs intervenant dans ce cadre remplissent des missions
fondamentales de conseil auprès des collectivités locales, assurant ainsi une
assistance particulière au nom de l'Etat, lequel est alors un partenaire aidant
les communes et les établissements de coopération intercommunale à respecter
les contraintes de la réglementation. L'ingénierie publique exerce donc des
missions de solidarité de l'Etat et d'impulseur des politiques publiques.
Depuis début 2000, des interrogations se font jour, notamment dans la
perspective de l'entrée de l'ingénierie publique dans le champ concurrentiel au
regard de l'applicabilité de la directive européenne « services » et de la
réforme du code des marchés publics.
Les missions de l'ingénierie publique sont remises en cause de sorte que les
personnels et les élus locaux s'interrogent sur la pérennité de la conception
de l'action de l'Etat auprès des collectivités, d'une part, mais aussi, d'autre
part, quant à l'implantation de la présence de l'Etat sur le territoire,
notamment par le biais des subdivisions de l'équipement.
Aussi, il le remercie de lui indiquer si l'Etat entend se désengager de ces
missions d'ingénierie publique, si la voie législative sera préférée à la
réforme réglementaire afin de permettre à la représentation nationale, et plus
particulièrement au Sénat, de se prononcer et de lui préciser enfin l'état de
la réflexion et des orientations du Gouvernement dans ce domaine. (N° 985.)
XIII. - M. René-Pierre Signé souhaite attirer l'attention de M. le secrétaire
d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat et à la
consommation sur les difficultés que rencontrent les artisans
bouchers-charcutiers en raison de la psychose créée par les récentes
informations diffusées à propos de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme
bovine.
Les professionnels de la boucherie-charcuterie exercent, de façon générale,
leur métier de façon irréprochable. Ils sont, au contact de leurs clients, les
derniers maillons d'une véritable chaîne de qualité.
Après avoir subi une baisse de consommation particulièrement importante, les
bouchers-charcutiers sont inquiets des nombreuses incertitudes qui subsistent
quant à l'information véritable des consommateurs. Le plan présenté par le
Premier ministre, le 14 novembre 2000, contenait certes une disposition visant
à restaurer la confiance, au travers d'un numéro vert et d'un guide qui a été
depuis diffusé par l'OFIVAL (Office national interprofessionnel des viandes, de
l'élevage et de l'aviculture).
Mais si la consommation doit reprendre peu à peu, ce que les analystes du
marché appellent « l'indice de confiance » des Français envers la viande bovine
demeure très faible, inférieur à 30 % pour être précis.
Une information est nécessaire ; une information précise et complète, sous
peine d'entretenir la psychose et de commettre des erreurs.
Par ailleurs, des décisions prises par certains élus, et relatives au retrait
de la viande des cantines scolaires, laissent à penser que le muscle de bovin
peut être un produit à risque. C'est pourtant scientifiquement faux. Est-il
normal de laisser à des non-spécialistes l'appréciation d'un tel risque, quand
les pouvoirs publics eux-mêmes s'en remettent à des spécialistes ?
Il lui demande donc si de nouvelles mesures de protection de la profession
d'artisan boucher-charcutier sont envisagées. Ces mesures sont assurément
nécessaires et indispensables. (N° 970.)
XIV. - Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie sur la composition, la vocation, les
missions du Haut Conseil du secteur financier public et semi-public installé le
4 octobre 2000.
Elle lui demande s'il s'agit de la reconnaissance du pôle financier public
créé en application de la loi n° 99-532 du 25 juin 1999, structuré autour de la
Caisse des dépôts et consignations, et comprenant la Caisse nationale de
prévoyance, La Poste, la Banque de développement des petites et moyennes
entreprises, les Caisses d'épargne et le Crédit foncier.
Elle lui demande de lui préciser si ce « pôle » aura bien pour vocation
d'animer une forme importante du service public, de l'épargne, du crédit au
service du financement de l'emploi et de la formation, ainsi que les premières
actions instruites par le Haut Conseil. Elle lui demande, après la première
réunion de ce Haut Conseil, si les mesures définies n'ont pas pour objectif de
valoriser un système essentiellement fondé sur des résultats et non sur la
notion première d'intérêt public.
Elle lui demande également de lui faire connaître les raisons pour lesquelles
ne figurent plus dans la composition de ce « pôle » public la Banque de France,
l'Agence française de développement et certains organismes de soutien au
commerce extérieur, à la recherche et celles justifiant l'absence dans le Haut
Conseil de représentant de la Caisse des dépôts et consignations aux côtés de
ceux de la Caisse d'épargne. (N° 983.)
XV. - M. Michel Doublet attire l'attention de Mme le secrétaire d'Etat au
budget sur la situation des centres de formation pour apprentis (CFA)
assujettis au paiement de la redevance audiovisuelle pour les appareils
utilisés à des fins pédagogiques.
Il lui demande dans quelles conditions les CFA peuvent bénéficier de la mise
hors champ de la redevance et s'ils sont considérés comme des Etablissements
publics de l'Etat. (N° 992.)
XVI. - M. Daniel Goulet interroge Mme le ministre de l'aménagement du
territoire et de l'environnement au sujet de l'enfouissement des déchets
radioactifs.
En effet, l'application de la loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991 donne lieu à
des difficultés d'interprétation.
Ainsi, le projet d'ouverture d'un second site d'enfouissement des déchets
radioactifs est programmé dans le secteur d'Athis, dans l'Orne.
La suspension de la « mission granite » n'a rassuré ni les riverains, ni les
associations de défense de l'environnement, ni les élus.
Il lui demande de donner au Sénat quelques assurances, notamment sur la prise
en charge par la future Agence française de sécurité sanitaire environnementale
des questions touchant au nucléaire, comme le Sénat l'a demandé par
amendement.
Il lui demande de lui donner l'assurance qu'aucun nouveau projet de site
d'enfouissement n'est à l'étude dans le secteur d'Athis, dans l'Orne. (N°
965.)
XVII. - M. Philippe Arnaud attire l'attention de Mme le garde des sceaux,
ministre de la justice, sur l'inquiétude grandissante en ce début d'année de
bon nombre de magistrats et d'auxiliaires de justice. En refusant de se rendre
aux audiences de rentrée, certains ont clairement manifesté leur légitime
mécontentement.
Les récentes dispositions adoptées par le Parlement, qui constituent pour le
justiciable de réelles et appréciables avancées sur le plan des libertés
fondamentales, ont des répercussions majeures sur l'organisation et le travail
de la justice. Or, il apparaît que celles-ci ont été insuffisamment envisagées
lors des débats relatifs au vote du budget de la justice que la majorité
sénatoriale a décidé de rejeter pour ces raisons.
En augmentant de façon significative le nombre de missions incombant au
personnel judiciaire, sans les accompagner du financement nécessaire à leur
bonne exécution, le Gouvernement est venu aggraver une situation déjà fort
préoccupante.
Chacun, en effet, depuis de nombreuses années déjà, s'accorde à souligner
l'impuissance d'une justice, régulièrement condamnée par la Cour européenne des
droits de l'homme pour dépassement des « délais raisonnables d'instance », qui
s'épuise à remplir toutes ses tâches, accablée par leur poids et perdue dans
leur complexité.
En conséquence, il lui demande de bien vouloir lui indiquer les mesures que le
Gouvernement entend prendre pour pallier les insuffisances de moyens afin que
la justice redevienne ce qu'elle a vocation à être _ une priorité de l'Etat _,
et si elle entend accéder à la demande d'une indispensable création de poste de
substitut du procureur au tribunal de grande instance d'Angoulême. (N° 995.)
A seize heures :
2. Suite de la discussion de la proposition de loi organique (n° 166,
2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence,
modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Rapport (n° 186, 2000-2001) de M. Christian Bonnet, fait au nom de la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble de la proposition de loi
organique.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures cinq.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON