SEANCE DU 31 JANVIER 2001
DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion de la proposition de loi organique modifiant la
date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous
disposons au Sénat d'une belle et riche bibliothèque, dont les administrateurs
et les agents sont aussi compétents que serviables ; c'est à ses trésors que
j'ai recouru pour étayer les quelques propos que je m'apprête à tenir.
On peut lire, dans un ouvrage ingénieux, paru aux éditions de L'Harmattan, le
Dictionnaire de la vie politique et du droit constitutionnel américain,
la définition suivante : «
Filibuster
(obstruction) : tactique dilatoire
qui consiste à prononcer délibérément d'interminables discours pour faire
obstruction à un débat. Occasionnellement, il arrive qu'elle soit employée au
Sénat des Etats-Unis par un sénateur désireux d'empêcher l'adoption d'une loi
en bloquant tous les travaux de l'assemblée. » L'un des
recordmen
en ce
domaine semble être M. Storm Thurmond, qui, en 1957, occupa la tribune du Sénat
sans la quitter durant vingt-quatre heures et dix-huit minutes.
(Bravo ! et
rires sur les travées du RPR),
en lisant la Bible et l'annuaire du
téléphone pour retarder l'adoption du
Civil Rights Act
du 20 août 1957
garantissant aux noirs le droit de vote.
M. René Garrec.
Ce n'est pas convenable !
M. Yann Gaillard.
« Une scène de ce type a été représentée au cinéma dans un film de Franck
Capra de 1939,
Mr Smith au Sénat. »
M. le président.
Un excellent film !
M. Hilaire Flandre.
Quelle culture !
M. Yann Gaillard.
Le sénateur Thurmond, dont on peut sans doute contester la motivation, mais
non l'énergie, ne semble pas s'être ressenti de sa performance puisque,
quarante-quatre ans après, il siège toujours au Sénat des Etats-Unis dont, à 99
ans, il est l'indiscutable et toujours actif doyen,
president pro
tempore,
pour parler anglais...
M. Jean Chérioux.
C'est plutôt du latin !
M. Yann Gaillard.
Disons que c'est du latin anglicisé !
(Sourires.)
Il ne faut pas croire que cette tactique parlementaire soit le privilège des
sénateurs républicains du Sud. Un sénateur libéral de l'Oregon, Wayne Morse, en
1954, garda la parole pendant vingt-deux heures pour protester contre une loi
pétrolière. En 1970, d'autres sénateurs, favorables, eux, aux écologistes, ont
recouru à cette technique pour bloquer la construction de l'avion de transport
américain supersonique, qui ne s'en est d'ailleurs jamais remis.
On trouve donc, dans l'histoire parlementaire, bien des « flibustes », plus,
il est vrai, dans les pays anglo-saxons que dans les pays latins.
Historiquement, l'exemple le plus célèbre est celui des parlementaires
irlandais qui, à la fin du xixe siècle, en 1881, bloquèrent pendant quarante
heures le fonctionnement de la chambre des Communes. Le règlement de cette
dernière était alors fort libéral, au point que le Premier ministre Gladstone,
qui était pourtant favorable au
Home Rule
dans son for intérieur, dut
inspirer au
speaker
de l'époque la réforme qui permet de prononcer la
clôture des débats à la majorité des deux tiers.
Autre exemple : le Parlement canadien, dans sa chambre des Communes, connut, à
l'époque de M. Trudeau, une « flibuste » innovante : celle de la sonnette à
laquelle on ne répond pas pour venir voter la motion que l'on a soi-même
déposée. Cette sonnerie retentit en vain pendant quinze jours à cause d'un
différend sur des problèmes énergétiques. Les règles de quorum sont en effet
particulièrement strictes dans cette assemblée. Il ne fallut pas moins d'un
accord politique entre la majorité libérale et l'opposition conservatrice pour
s'en sortir ! Voilà un exemple de fin heureuse d'une obstruction. Qui sait si
?...
Mes chers collègues, nous sommes restés jusqu'à présent bien au-delà de ces
happenings.
L'« opération escargot » à laquelle la majorité sénatoriale
se livre depuis le 16 janvier, à l'heure où je parle, n'a pas mobilisé moins de
quarante-sept des nôtres. Mais nous serons certainement plus de cinquante en
arrivant au port !
(Rires.)
Certains, il est vrai, se sont exprimés de façon nuancée, non sans concourir,
du fait même de leur prise de parole, au but recherché. Cela étant, je ne ferai
pas l'injure de ranger au nombre des acteurs involontaires de ce combat les
quatre orateurs de l'opposition sénatoriale, dont les interventions n'en ont
pas moins été utiles, telle celle de M. Badinter, qui fut une magistrale leçon
d'agrégation de cinquante minutes, plus longue, sinon plus convaincante, que
celle du doyen Gélard lui-même.
M. Jean-Paul Emorine.
Beaucoup moins convaincante !
M. Yann Gaillard.
Je n'ai pas dit qu'elle était plus convaincante !
L'expression d'« opération escargot », qu'il faut bien accepter puisqu'elle
est déjà entrée dans la chronique, voire dans l'histoire, est empruntée aux
chauffeurs routiers et aux chauffeurs de taxi. Dois-je dire que je ne m'en
offusque nullement ?
Si notre majorité, d'habitude fort respectueuse des usages, a dû se résoudre à
bousculer quelque peu le parlementarisme rationalisé, n'est-ce pas parce
qu'elle s'est sentie confrontée à l'inacceptable ?
On parle beaucoup, dans la vie sociale, de « prise de parole ». Quand telle
profession se sent incomprise - et Dieu sait si notre Sénat peut se sentir
incompris du Premier ministre et du président de l'Assemblée nationale !
-...
M. Jean Chérioux.
C'est vrai !
M. Yann Gaillard.
... ou quand telle catégorie opprimée franchit les bornes du consensus muet
sur lequel repose en général la vie collective, elle manifeste alors, cette
classe, cette profession, cette minorité, en sortant de l'habituel, que quelque
chose est en train de se produire à quoi elle se doit de s'opposer de toutes
ses forces. Elle est conduite ainsi à l'innovation, à l'inventivité, et elle
fait soudain preuve d'une audace qui peut l'étonner elle-même, mais dont la
légitimité supérieure lui paraît de plus en plus évidente au fur et à mesure
que se développe son expérience et que s'approfondit sa pratique nouvelle.
C'est bien là ce que nous vivons ensemble, mes chers collègues.
Comme mon ami Hilaire Flandre, qui nous a avoué hier qu'il s'était décidé «
sur le tard » à prendre la parole dans ce débat, je m'étais, je le confesse,
d'abord contenté d'écouter et d'applaudir. Mais plus ce débat durait, plus les
arguments s'ajoutaient aux arguments, et plus je ressentais cette séduction qui
s'attache à l'inattendu, au point de vouloir finalement y apporter, moi aussi,
mon « grain de sel ».
(Sourires.)
Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il n'y avait aucun doublon, aucune redondance
dans les discours que nous avons entendus. Mais notre éminent rapporteur, M.
Christian Bonnet, n'avait-il pas déjà tout dit ?
M. René Garrec.
Excellent rapporteur !
M. Yann Gaillard.
Et pourtant la mayonnaise prenait. Il m'a même semblé que le malheureux
ministre du moment, otage de nos débats, finissait par éprouver ce charme,
ainsi qu'en témoigna M. Queyranne dans son dialogue avec Patrice Gélard.
Même notre estimé collègue M. Allouche qui, en tant qu'observateur du groupe
socialiste, accusa naguère le Sénat de se déconsidérer, le lendemain, en tant
que président de séance, multipliait compliments et sourires à l'adresse des
orateurs.
(Sourires.)
Il est vrai que, à la longue, notre opération, au demeurant fort civilisée et
tout à fait respectueuse du règlement, finissait par ressembler à un tournoi de
bon goût et, oserai-je le dire, à une société savante.
(Nouveaux
sourires.)
Respectueuse du règlement, ai-je dit : on l'a bien vu quand, dans sa lettre
rectificative du 23 janvier, M. Queyranne tenta de contraindre notre assemblée
à siéger le mercredi 24 janvier dans la matinée, alors que celle-ci est
réservée aux séances des commissions. Le vote de l'assemblée sollicité par le
président Jean-Claude Gaudin, sur la base de l'article 32 de notre règlement,
réduisit à néant cette prétention du Gouvernement.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Yann Gaillard.
Les spécialistes du droit parlementaire, les Eugène Pierre du xxie siècle,
pourront scruter à la loupe les termes du dialogue. Il est vrai que le
Gouvernement aurait pu s'éviter ce qu'on peut bien appeler une tentative
d'intimidation, puisqu'elle était vouée à l'échec.
Je me réfère, mes chers collègues, à un très intéressant article de la revue
Pouvoirs
de l'année 1985, sous la signature de M. Yves Colmou, qui est,
je crois, conseiller auprès de M. Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Il est d'ailleurs très souvent dans cet hémicycle !
M. Yann Gaillard.
Cet article, qui a pour titre : «
Vade-mecum
du député obstructeur »,
je ne résiste pas à l'envie de vous en lire quelques extraits, et d'abord cette
ouverture brillante : « "Le Gouvernement est maître de l'ordre du jour", c'est
ainsi que se résument souvent les dispositions de l'article 48 de la
Constitution... La réalité du travail parlementaire est bien différente de
cette lecture rapide. Si le Gouvernement est maître de l'ordre du jour, il
n'est pas maître du jour. » Ô Combien M. Colmou a raison !
Celui-ci précise : « En effet, si la Constitution et le règlement de
l'Assemblée nationale... » - le raisonnement est évidemment transposable au
Sénat - « ... organisent les débats et en précisent la procédure, ils ne sont
que des outils pour mieux utiliser le temps du débat, mais sans en fixer la
limite de durée. L'incertitude sur la durée du débat s'oppose à la certitude de
son résultat dès lors que la majorité se prononce en faveur du projet de loi
qui lui est soumis par le Gouvernement. » En est-il de même, mes chers
collègues, si un projet est insidieusement déguisé en proposition de loi ?
L'avenir le dira, mais j'y reviendrai à la fin de mon propos.
Je poursuis la citation de l'excellent M. Colmou : « Alors, un nouvel enjeu,
celui du temps, apparaît dans la bataille parlementaire. Si l'exécutif et sa
majorité possèdent la maîtrise de la décision,... » - encore faut-il qu'il y
ait toujours une majorité - « ... ils ne maîtrisent pas le temps nécessaire
pour l'obtenir. »
La conduite de notre majorité sénatoriale a donc été conforme en tous points à
la doctrine Colmou
(Sourires),
lequel justifiait ce qu'il appelle la «
stratégie d'obstruction », stratégie utilisée tantôt par la gauche - loi
sécurité et liberté, en 1980 - tantôt par la droite - loi de nationalisation,
en 1981.
Ce remarquable article comporte en outre d'excellents conseils techniques. Eh
oui, mes chers collègues, vous avez tout naturellement, au cours de ces belles
journées, suivi les préceptes du conseiller du ministre de l'intérieur. « Le
succès d'une belle bataille, prêchait-il dès 1985, suppose une organisation
collective, une utilisation de tous les moyens constitutionnels et
réglementaires, une parfaite maîtrise des débats de séance. L'organisation de
l'obstruction doit reposer sur des parlementaires compétents,... » - ce que
nous sommes ! - « ... aidés de collaborateurs productifs,... » - nous n'en
manquons pas ! - « ... tous se sentant portés par une partie au moins de
l'opinion publique. » Et M. Colmou de s'écrier : « N'obstrue pas qui veut. Si
l'obstruction consiste notamment à multiplier les prises de parole, encore
faut-il savoir de quoi l'on parle. » Hélas ! nous ne le savons que trop...
N'en déplaise à M. le président de l'Assemblée nationale, qui multiplie à
plaisir les déclarations dédaigneuses, pour ne pas dire offensantes, à l'égard
de l'autre chambre du Parlement,...
M. Patrice Gélard.
Exactement !
M. Yann Gaillard.
... vous avez fait ces jours-ci, mes chers collègues, votre devoir. Vous êtes
allés jusqu'à l'extrême limite des possibilités constitutionnelles et
réglementaires, mais sans jamais les dépasser, pour manifester aux yeux du
Gouvernement et de l'opinion votre opposition déterminée, j'allais dire
passionnée, à une manoeuvre de l'adversaire. Quelle manoeuvre ? Celle de
l'inversion du calendrier. Une manoeuvre qui vient troubler l'intervention
prévisible du suffrage universel et embarrasser la parole du peuple souverain
en 2002.
Et pourquoi cette manoeuvre vous paraît-elle à ce point détestable ? Qu'est-ce
qui, en elle, par-delà les arguments constitutionnels ou les considérations
pratiques, nous a fait sortir de notre modération naturelle ? Pourquoi
n'avons-nous pas hésité à briser le miroir, pour ne pas parler de fendre
l'armure ? N'est-ce pas tout simplement parce que nous avons éprouvé un
sentiment très profond, ancré dans l'âme humaine, que les enfants éprouvent
avec force, dès leur plus jeune âge, le refus de la tromperie ?
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
La tromperie ou, si vous
préférez, l'imposture, car c'est bien de cela qu'il s'agit, en fin de
compte.
Chers collègues, nous sommes arrivés à l'heure où notre combat, entrepris dans
l'indifférence, le scepticisme et l'ironie, commence à rencontrer l'intérêt des
uns et des autres, ce qui est bien normal puisque nous sommes sur le point de
gagner !
Oui, quelque chose est en train de basculer. Certes, nombre de personnes
connaissent d'expérience la « dangerosité » du Sénat, institution qui a de la
mémoire, sinon de la rancune, et qui digère les affronts avec l'apparente
tranquillité de la mule du pape. Mais le seul esprit de corps n'aurait pas
suffi à soutenir notre courage, non plus que le seul intérêt politique de notre
camp.
Quant aux arguments juridico-constitutionnels, après tant d'orateurs
compétents, je ne saurais, à ce stade de nos débats, les reprendre. Entre nous,
d'ailleurs, qui peut croire qu'une querelle juridique puisse jamais être vidée
?
(Sourires.)
Il y avait un enjeu plus profond, un plus secret et plus puissant ressort pour
expliquer votre constance, c'était bien le sentiment de l'imposture et
l'indignation qu'il suscite dans les âmes bien nées.
Triple imposture, en effet. D'abord, le Premier ministre et les siens ont joué
aux gaullistes d'occasion en se faisant soudain les interprètes inspirés d'une
doctrine qu'ils ont toujours combattue.
M. Jean Chérioux.
C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Yann Gaillard.
Ils me rappellent ce doctrinaire de la Restauration qui s'adressait à un
républicain en ces termes : « Je vous réclame au nom de vos principes la
liberté que je vous refuse au nom des miens. »
(Rires sur les travées du
RPR.)
Ils se sont ainsi arrogé le droit de vous faire la morale au nom d'une
primauté présidentielle dont ils découvraient les vertus alors qu'ils l'avaient
toujours combattue, n'hésitant pas même à jouer sur du double sens du mot «
premier », qui dénote, d'abord, l'ordre d'importance et connote, ensuite,
l'ordre chronologique. Mais à quoi bon reprendre cette réfutation qui a été
présentée quarante fois au moins dans cet hémicycle ?
On ne le dira jamais assez : la Constitution de la Ve République suppose une
double lecture, présidentielle et parlementaire, parce que la vision de son
fondateur n'était pas celle d'un doctrinaire mais celle d'un pragmatique
inspiré par un intérêt supérieur.
(Applaudissements sur les travées du
RPR.)
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Yann Gaillard.
Deuxième imposture : s'être avancé masqué,
larvatus prodeo
, sous le
couvert d'une proposition de loi ou plutôt de la réunion providentielle de
plusieurs propositions de loi dont certaines étaient inspirées, on le sait
bien, par le désir de revanche ou l'ambition. De cette dernière, seul l'avenir
pourra dire éventuellement si elle aura été justifiée par les talents.
Ce faisant, le Premier ministre, qui s'était jusque-là présenté comme un homme
de conviction et de rigueur, se prêtait au jeu des majorités tournantes. Ce
converti aux institutions de la Ve République recourait, néophyte si vite
infidèle pour affirmer sa conviction nouvelle, aux pires procédés de la IVe
République, trompant ses alliés de la majorité plurielle - mais cela, c'est
leur affaire ! - et les remplaçant par quelques alouettes venues du centre !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Elles viennent de chez le meilleur faiseur !
(Sourires sur
les travées du RPR.)
M. Yann Gaillard.
Même mon ancien maître Edgar Faure n'eût osé parler à ce propos d'une majorité
d'idée, car, d'idée, ici on n'en voit guère, sinon celle, ancienne comme le
monde, que résume la formule bien connue : « Ôte-toi de là que je m'y mette !
».
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
Mais la troisième tromperie, la plus regrettable de toutes et qui ne peut se
pardonner, même en politique, c'est le manquement à la parole donnée.
Du 19 octobre au 26 novembre 2000, il n'aura guère fallu plus d'un mois pour
que des intentions hautement proclamées devant le pays soient abandonnées avec
cynisme devant le parti.
Je relis la déclaration vertueuse et apparemment raisonnable du 19 octobre
2000 sur ce qu'il est convenu d'appeler l'inversion du calendrier, déclaration
faite avant la décision : « Toute initiative de ma part serait interprétée de
façon étroitement politique, voire politicienne. Moi j'en resterai là, et il
faudrait vraiment qu'un consensus s'exprime pour que des initiatives puissent
être prises. »
Mes chers collègues, avec le recul, comme ces mots sonnent bizarrement ! «
Consensus », « esquisse », « des initiatives »... Que recouvre d'ailleurs cet
article indéfini ?
Qui ne voit qu'en réalité tout cela était préparé de longue main, et de
surcroît à la faveur de l'obscurité, comme en se cachant ? Après tout, en
effet, qu'est-ce qui empêchait le Premier ministre de se déclarer en temps
utile pour l'inversion des calendriers électoraux ?
C'était son droit, et il ne manque pas d'arguments à l'appui d'une telle
position, à commencer par celui, tout puissant en politique, de l'intérêt
électoral bien compris, et plus ou moins bien calculé, car c'est un calcul
toujours aléatoire.
Certes, mais il eût fallu renoncer à duper quelque temps encore les
communistes et les Verts - dupes d'ailleurs fort complaisantes - faire tomber
plus tôt que prévu le masque du gestionnaire cohabitationniste, peut-être même
en période de présidence française de l'Union européenne, et faire apparaître
celui du candidat. Encore que l'on ne sache plus très bien, dans ce méli-mélo
de la cohabitation, ce qui est masque et ce qui est visage !
(M. Hilaire Flandre rit.)
Chers « collègues escargots », puisse notre obstination dans cet hémicycle
contribuer devant le pays à faire tomber les masques, tous les masques !
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Emorine.
M. Jean-Paul Emorine.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous
sommes réunis pour nous prononcer sur une proposition de loi organique visant à
inverser le calendrier électoral de 2002 en prolongeant les pouvoirs de
l'Assemblée nationale jusqu'au troisième mardi de juin 2002 au lieu du premier
mardi d'avril, afin que la prochaine élection présidentielle ait lieu avant des
élections législatives.
Toute velléité de prolonger un mandat électoral présente inévitablement un
caractère douteux et très politicien.
Afin de tenter de donner quelque noblesse à ce qui n'est rien d'autre qu'une
manoeuvre électorale, les partisans de cette proposition de loi organique se
réfèrent à l'esprit des institutions qui commanderait de commencer par
l'élection présidentielle avant de passer aux élections législatives.
Ne nous y trompons pas : dans la catégorie des manoeuvres politiciennes et
partisanes, la présente proposition de loi organique est un modèle du genre
!
Ce texte est d'abord, et avant tout, le produit d'arrière-pensées politiques,
le fruit de longues tractations et de complexes marchandages. Force est de
constater que c'est avec talent que vous tentez de maquiller une manoeuvre
politique sous un habillage juridique méticuleux !
Pourtant, les valeurs définies par la Constitution se placent à la tête des
valeurs juridiques normatives. Tous les organes législatifs et exécutifs de
notre pays doivent donc les respecter. Rappeler à certains que la loi
fondamentale est intangible et qu'il est impératif de la protéger est donc
essentiel, car la proposition de loi organique qui nous est aujourd'hui soumise
ne dispose d'aucun fondement constitutionnel !
Il n'est en effet nulle part écrit dans la Constitution que l'élection
présidentielle doit avoir lieu avant les élections législatives : chaque
élection doit intervenir lorsque son échéance naturelle survient.
Les élections législatives doivent ainsi avoir lieu aux dates définies à
l'article L.O. 121 du code électoral, c'est-à-dire dans les deux mois qui
précèdent le premier mardi d'avril de la cinquième année qui suit l'élection,
comme c'est le cas depuis 1958.
Qu'il me soit permis de rappeler à nouveau que les élections législatives ont
déjà précédé l'élection présidentielle à trois reprises, et ce de manière tout
à fait normale : les 23 et 30 novembre 1958, pour une élection présidentielle
le 21 décembre 1958, soit un mois après la naissance de la Ve République ; les
23 et 30 juin 1968, pour une élection présidentielle les 1er et 15 juin 1969 ;
les 4 et 11 mars 1973, pour une élection présidentielle les 5 et 19 mai
1974.
Que les élections législatives interviennent avant l'élection présidentielle
s'est donc déjà produit durant la Ve République. Cette situation est tout à
fait normale, d'autant qu'aucun événement n'est intervenu dans la vie politique
de notre pays. Il n'y a en la circonstance aucun caractère exceptionnel qui
nécessiterait, contrairement à ce que le Premier ministre affirmait dans son
discours devant l'Assemblée nationale le 19 décembre dernier, de « rétablir le
calendrier normal quand il est encore temps ».
L'attitude de votre gouvernement, madame le secrétaire d'Etat, est totalement
inadmissible. Elle est aussi fondamentalement indéfendable. Il n'y aurait pas
d'autre politique possible, il n'y aurait pas d'autre solution envisageable.
Dans ce cas, pourquoi avez-vous laissé s'engager des négociations et des
tractations au sein de votre majorité ? A la vérité, les choses n'étaient
peut-être pas si évidentes.
Une fois encore nous constatons que lorsque la gauche est au pouvoir et le
parti socialiste aux commandes, ils se servent des institutions bien plus
qu'ils ne les servent ! Avec vous, les lois sont faites sur mesure, non dans
l'intérêt supérieur du pays mais pour servir des ambitionspersonnelles. Vous
n'hésitez pas à « triturer » les rendez-vous des Français avec la démocratie,
et ce au nom de la tradition républicaine.
Prenez garde, les Français ne sont ni dupes ni incultes, ils savent
pertinemment que la tradition républicaine impose au contraire le respect des
échéances électorales et politiques.
Or, nous l'affirmons avec force, la proposition de loi organique qui nous est
soumise aujourd'hui porte une atteinte flagrante à la Constitution qui ne
définit, ni en pratique ni en théorie, l'ordre des élections.
La présente proposition de loi organique affecte donc le coeur même de nos
principes constitutionnels. Elle est en outre inutile.
Il est, en effet, parfaitement inutile de modifier le calendrier électoral,
puisque celui-ci est en réalité commandé par des éléments d'ordre
constitutionnel que la loi organique ne peut en aucun cas modifier : droit de
dissolution, démission ou décès du Président de la République.
Si cette proposition de loi organique est adoptée et que le Président de la
République dissout l'Assemblée nationale, démissionne, ou décède quelque temps
après son élection, que se passera-t-il ? Le calendrier électoral sera de
nouveau modifié !
Si le Gouvernement veut, dans le cas où l'élection présidentielle et les
législatives auraient lieu la même année, que l'élection présidentielle précède
les élections législatives, cela est possible, mais seulement à condition
d'intégrer ce principe dans notre Constitution.
Or, si nous le faisons, se posera un autre problème : celui de
l'incompatibilité de ce principe avec le droit de dissolution. En vertu de
l'article 12 de la Constitution, les élections législatives doivent en effet
intervenir dans un délai de vingt jours au moins et de quarante jours au plus à
compter de la date de la dissolution. Le droit de dissolution est donc
susceptible de changer le calendrier électoral à tout instant.
L'intégration de ce principe dans notre Constitution serait également
incompatible avec le droit de démissionner du Président de la République et
elle n'aurait pas de sens dans l'éventualité de son décès. Ce serait même
complètement surréaliste, puisqu'il faudrait, en plus d'ôter au Président de la
République le droit de démissionner ou de dissoudre l'Assemblée nationale, lui
interdire de mourir !
La proposition de loi organique qui nous est soumise ne peut en aucun cas
constituer une garantie de pérennité de l'ordre ultérieur des échéances
électorales. Personne ne peut programmer à sa guise le calendrier électoral.
Soutenir le contraire est absurde. En fait, cette proposition de loi organique
ne vise qu'à satisfaire l'appétit de pouvoir et les ambitions d'un homme, M.
Lionel Jospin.
Dans une démocratie vivante, la vie politique est rythmée par le calendrier
électoral. Or, dans notre système institutionnel, la durée inégale des mandats
électifs entraîne immanquablement ce type de coïncidence et de télescopage. Il
n'y a là rien d'anormal.
Ce qui est éminemment choquant, c'est d'inverser l'ordre des éléctions dans un
contexte qui ne l'exigeait pas.
Admettons en effet un instant la théorie selon laquelle l'élection
présidentielle doit intervenir avant les élections législatives. Pour que cette
théorie soit applicable, deux mesures devraient être mises en oeuvre.
Il faudrait, d'abord, supprimer l'article 12 de la Constitution, qui prévoit
le droit de dissolution.
M. Patrice Gélard.
Non !
M. René Garrec.
Si, sinon cela ne fonctionne plus !
M. Patrice Gélard.
Il faudra en débattre !
M. Jean-Paul Emorine.
En effet, le maintien de ce droit permettant au Président de la République de
dissoudre l'Assemblée nationale, les élections législatives balaieraient alors
l'inversion. Or cet article est très clair. Il fait du droit de dissolution une
prérogative personnelle du Président de la République.
M. Serge Vinçon.
Absolument !
M. Jean-Paul Emorine.
Il revient donc à ce dernier de décider de manière discrétionnaire s'il doit
ou non faire usage de ce droit dont l'exercice n'est subordonné à aucune
condition de fond.
Il est subordonné seulement à des conditions de forme, mais elles sont
pratiquement négligeables : le Président de la République doit, avant de
prononcer la dissolution, consulter le Premier ministre, le président du Sénat
et le président de l'Assemblée nationale. Mais il n'est nullement tenu de
suivre leur avis. En tant que pouvoir propre du Président, le décret de
dissolution n'a pas à être contresigné par le Premier ministre. Ce qui
caractérise le droit de dissolution prévu par l'article 12, c'est qu'il
constitue, pour le Président de la République, un pouvoir propre et effectif,
une prérogative personnelle. Or la présente proposition de loi organique
occulte totalement cette prérogative présidentielle.
Il faudrait, ensuite, élire, en même temps que le Président de la République,
un vice-président, comme cela se fait dans d'autres pays, de façon à assurer la
présidence jusqu'au terme du mandat électoral du Président en cas de démission
ou de décès de celui-ci. Mais cela ne correspond en aucun cas à la Constitution
de 1958.
M. Serge Vinçon.
Ce n'est pas non plus la tradition en France !
M. Jean-Paul Emorine.
En réalité, le Président de la République dispose du droit de fixer le
calendrier électoral. Ce droit découle purement et simplement de son droit de
dissolution. En conséquence, cette proposition de loi organique remet en
question une prérogative personnelle du Président de la République, ce qui est
fondamentalement inconstitutionnel.
M. Hilaire Flandre.
... et incorrect !
M. Jean-Paul Emorine.
La succession à des dates rapprochées de deux consultations de nature très
différente peut-elle être nuisible à la clarté de l'expression du suffrage
universel par les effets d'influences réciproques ainsi induits ?
L'élection présidentielle a-t-elle des effets d'influence sur les élections
législatives ? Il semblerait que vous ayez répondu par l'affirmative à cette
question.
Vous pensez qu'en reportant les élections législatives l'onde de choc de
l'élection présidentielle sera telle que la gauche touchera le gros lot à ces
élections législatives.
Si, avec un tel pari, nous ne connaissons pas encore le vainqueur, nous savons
déjà qui sera la grande perdante : la démocratie.
En 2002, les élections législatives doivent précéder l'élection
présidentielle, en raison de la dissolution survenue en 1997. La proposition de
loi organique visant à inverser cet ordre constitue un report sans précédent
dans l'histoire de la Ve République, qui aura pour conséquence la prolongation
du mandat des députés sortants.
Est-il logique que les députés prennent eux-mêmes la décision de proroger leur
mandat ? Un événement particulier est-il survenu pour justifier que soit prise
une telle mesure ? N'y a-t-il pas, ici, une atteinte flagrante à la démocratie
? N'en déplaise à certains, admettre ce principe ouvre la porte à de multiples
abus.
L'article 25 de la Constitution renvoie à une loi organique pour fixer « la
durée des pouvoirs de chaque assemblée ». Il n'autorise en aucun cas à faire
varier les différentes législatures en fonction des
desiderata
de ses
membres. La loi organique fixe une durée invariable du mandat législatif, et
non une durée variable comme le dispose l'objet de la proposition de loi que
nous étudions aujourd'hui.
Par ailleurs, comme l'a brillamment démontré M. Louis Favoreu lors de son
audition devant la commission des lois mardi 9 janvier dernier
(M. Gérard
César opine),
la réforme entreprise va à l'encontre de la jurisprudence du
Conseil constitutionnel.
Si le Conseil constitutionnel a accordé des reports de dates d'élections, par
des décisions intervenues en 1990, en 1994 - pour deux d'entre elles - et en
1996, celles-ci concernaient la prorogation du mandat des membres d'assemblées
locales, à savoir, les conseils municipaux et les conseils généraux pour les
trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer pour la dernière. En
conséquence, les enseignements que l'on peut tirer de ces décisions
s'appliquent
a fortiori
à la prorogation du mandat de l'Assemblée
nationale.
Or, le Conseil constitutionnel a, chaque fois, validé la démarche, en la
subordonnant au respect de conditions strictes, à savoir le caractère
exceptionnel et transitoire de la prorogation et l'existence d'une réelle
justification.
Les motifs retenus par le Conseil constitutionnel ont été, par exemple, de
favoriser la participation des électeurs, d'assurer la continuité de
l'administration départementale, d'éviter la concomitance des élections avec
une réforme du statut des élus, de permettre aux électeurs d'être mieux
informés des conséquences de leur choix.
Cette jurisprudence étant bien entendu transposable au cas d'une élection
nationale, le Conseil constitutionnel serait donc amené à exercer un véritable
contrôle des motifs de la modification proposée.
En outre, l'idée selon laquelle le Conseil constitutionnel, dans ses
recommandations du 23 juillet 2000, aurait donné par avance une justification à
l'inversion du calendrier est récusée par M. Louis Favoreu, qui estime que la
seule préoccupation du Conseil constitutionnel, à savoir le respect de la date
limite de présentation des candidats, peut être parfaitement satisfaite. Il
suffit de fixer la date des élections législatives aux 3 et 10 mars et de clore
les présentations pour l'élection présidentielle au 2 avril à minuit, pour une
élection présidentielle fixée aux 21 avril et 5 mai.
Cette proposition de loi organique ne repose sur aucun fondement
constitutionnel, contrairement à ce que ses partisans veulent essayer de nous
faire croire. Elle n'est fondée que sur des arguments inconstitutionnels :
suppression du droit de dissolution et de démission du Président de la
République, sans oublier l'interdiction de son décès, ou encore l'atteinte aux
pouvoirs propres du Président de la République et la prorogation sans aucune
justification du mandat des députés sortants.
Sur le plan purement politique aussi, cette proposition de loi est
indéfendable.
Vous faites disparaître un grand moment civique, les élections législatives,
derrière l'autre grand moment civique, l'élection présidentielle.
Après l'euphorie de la campagne pour l'élection présidentielle, on peut en
effet légitimement penser que les Français n'auront ni le temps ni la
possibilité, et encore moins l'envie, de s'intéresser aux élections
législatives, alors que chacun sait qu'ils leur accordent une place
privilégiée.
Madame le secrétaire d'Etat, vous auriez pu trouver un autre argument que
celui sur lequel vous avez bâti votre démonstration. La faiblesse de votre
argumentation est évidente. Etonnez-vous, après cela, que votre projet
n'emporte pas notre conviction.
S'il avait voulu respecter le calendrier électoral, le Gouvernement aurait pu
proposer la tenue des élections législatives à la mi-mars 2001. Réduire de deux
ou trois semaines le mandat législatif aurait effectivement été plus
judicieux.
J'ajouterai que cette solution, acceptable par tous, n'aurait fait l'objet
d'aucun recours devant le Conseil constitutionnel. Voilà, monsieur le
rapporteur, mes chers collègues, une autre solution possible, réalisable,
conforme à l'esprit et à la lettre de la Constitution, et préservant l'intérêt
général. D'ailleurs, pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas voulu la retenir ou
tout au moins l'explorer, sinon parce qu'il est animé d'arrière-pensées
politiques ?
S'il est un sujet qui se prête à une concertation élargie, c'est bien
celui-là. Or vous ne l'avez pas voulue. Et pour cause ! Vous portez ainsi un
coup préjudiciable au bon déroulement de notre vie démocratique.
Vous savez également que votre proposition de loi engendrera des difficultés
insurmontables au moment où il faudra faire la part entre ce qui relève de la
campagne pour l'élection présidentielle et ce qui a trait aux élections
législatives.
Mes chers collègues, je veux réaffirmer que ce ne sont que des préoccupations
politiciennes et des considérations purement tactiques qui motivent le texte
qui nous est présenté. Le Gouvernement espère tirer profit aux élections
législatives de la dynamique de la victoire de l'un des siens à l'élection
présidentielle.
Mais, après tout, cela importe peu. S'il est une manipulation que vous ne
pourrez pas accomplir, c'est bien celle qui consiste à contrarier la volonté
d'une majorité de Français qui s'opposent et s'opposeront davantage à votre
politique.
Plus nombreux sont, chaque jour, celles et ceux qui mesurent les conséquences
et les méfaits de la gestion du Gouvernement.
Avec d'autres, nous saurons tirer tous les avantages de ces mesures néfastes
que représentent aussi bien cette modification du calendrier électoral que
l'ensemble de la politique du Gouvernement.
Outre les arguments inconstitutionnels sur lesquels cette proposition de loi
organique est fondée, au-delà des calculs politiques qui l'animent, elle
soulève, enfin, un problème plus grave, qui touche à la nature même de notre
régime.
Comme l'ont souligné bon nombre de mes collègues, le régime de la Ve
République présente un caractère mixte, à la fois parlementaire et présidentiel
: les emprunts au régime parlementaire sont d'autant plus nombreux que c'est un
tel régime que les constituants ont voulu établir. Ils ont donc inscrit dans
l'article 49 de la Constitution, ainsi qu'ils y étaient tenus par la loi
constitutionnelle du 3 juin 1958, la règle fondamentale du régime parlementaire
en prévoyant que le Gouvernement était responsable devant l'Assemblée
nationale. Ils ont fait du Gouvernement un organe collégial et solidaire. Ils
ont organisé sa collaboration constante avec les assemblées sur le plan
législatif. Ils ont soumis le Président de la République à l'obligation du
contreseing pour certaines de ses décisions. Ils lui ont attribué un pouvoir
propre, le droit de dissolution, qui est tout à fait significatif puisqu'on ne
le trouve dans aucun pouvoir présidentiel. Ainsi, il existe des éléments
incontestables de rattachement de la Ve République au régime parlementaire.
Mais la Ve République a également fait des emprunts au régime présidentiel.
La Constitution a nettement séparé mandat parlementaire et fonctions
ministérielles, et la révision de 1962, en faisant du Président l'élu direct
des électeurs, lui a assuré une autorité peu compatible avec le rôle qui est
celui du chef de l'Etat dans les régimes parlementaires contemporains. Mais
l'essentiel réside dans le fait que le Président de la République s'est saisi
de la plénitude du pouvoir, qu'il fixe les objectifs que le Premier ministre
est chargé de réaliser et, enfin, qu'il contrôle les moyens que ce dernier
emploie. S'il y a convergence d'orientation politique entre la majorité et
lui-même, le Président de la République peut choisir le Premier ministre
librement. Il participe au choix des ministres, il convoque le conseil des
ministres, il s'adresse à la nation et, enfin, au moins dans certains domaines,
notamment dans celui de la politique étrangère, il engage l'Etat indépendamment
du Gouvernement.
On est là très loin du régime parlementaire. Alors que ce dernier associe
constamment autorité et responsabilité, sous la Ve République, le Gouvernement
responsable ne dispose pas du pouvoir ultime et le Président qui en dispose est
irresponsable.
La Ve République participe donc à la fois d'un régime parlementaire et d'un
régime présidentiel. Elle possède un caractère mixte.
La question que pose cette proposition de loi organique est donc la suivante :
souhaite-t-on mettre fin à la Ve République pour créer une nouvelle république
? Pour ma part, je pense que nous disposons de bonnes institutions qui ont
démontré leur valeur depuis 1958.
(Applaudissements sur les travées du
RPR.)
Or, quelles seraient les conséquences de cette proposition de loi organique si
ce n'est une modification de la nature du régime de la Ve République ?
Dans son audition par la commission des lois, le mardi 9 janvier dernier, M.
Pierre Pactet a montré que cette proposition de loi organique conduirait à la
présidentialisation de notre régime.
En effet, se prononçant contre un changement de régime, il a regretté que le
quinquennat, premier pas vers un régime présidentiel, puisse être suivi d'un
deuxième pas plus accentué, celui de l'inversion du calendrier électoral,
rappelant ensuite que le régime présidentiel ne fonctionnait que dans un seul
pays, les Etats-Unis.
La conséquence serait une présidentialisation du régime de la Ve
République.
Les opposants au vote de cette proposition de loi organique affirment en effet
que vouloir volontairement modifier le calendrier électoral en faisant passer
l'élection présidentielle avant les élections législatives conduirait à
conférer un caractère mineur aux élections législatives au profit de l'élection
présidentielle. La démocratie s'en trouverait alors gravement compromise.
En effet, l'élection présidentielle pousse à la bipolarisation de la vie
politique. Chacun s'organise autour de personnalités dites « présidentiables ».
Faire passer l'élection présidentielle avant les élections législatives
conduirait à la bipolarisation de l'élection des députés jusqu'alors épargnée
par ce jeu politique. Les députés, choisis en fonction de leur proximité avec
le Président, se verraient relégués à un rôle d'auxiliaires du pouvoir
exécutif...
M. Louis de Broissia.
Ce qu'ils sont déjà !
M. Jean-Paul Emorine.
... disposant de l'essentiel des pouvoirs, ce qui serait inquiétant pour la
démocratie.
M. Louis de Broissia.
Très bien !
M. Hilaire Flandre.
On appelle cela des godillots !
M. Jean-Paul Emorine.
Ceux qui sont favorables à la présidentialisation du régime souhaitent le vote
de cette proposition de loi, dans la mesure où cela permettrait de préserver ce
temps fort que constitue l'élection présidentielle.
Ils redoutent en effet que le maintien des élections législatives avant
l'élection présidentielle n'entraîne un second tour qui opposerait deux
candidats dont l'un serait, s'il était élu, soutenu par une majorité au sein de
l'Assemblée nationale, tandis que l'autre serait, dans le même cas,
a
priori
« empêché » par une majorité hostile. Cela conduirait à diminuer le
prestige de l'élection présidentielle et à accepter par avance que les députés
prennent le pas sur le Président de la République.
Cette proposition de loi organique touche donc à la nature même de notre
régime, lequel a jusqu'à présent bien fonctionné, en permettant la stabilité
des institutions et de l'exercice des pouvoirs.
Je ne puis affirmer fermement que son adoption mènerait à une
présidentialisation du régime ; ce que je puis affirmer, en revanche, c'est que
les institutions de la Ve République seront affectées d'une manière ou d'une
autre.
Comme l'a parfaitement souligné M. Louis Favoreu lors de son audition par la
commission des lois, il est préférable de toucher le moins possible aux
institutions, car les conséquences de telles réformes sont difficiles à
prévoir. Gardons-nous donc de prendre ce risque : les institutions de la Ve
République sont bonnes et précieuses.
L'unique défaut du régime de la Ve République est le risque de cohabitation.
Les partisans de la proposition de loi organique que nous étudions aujourd'hui
nous affirment que celle-ci permettrait d'éviter à l'avenir ce risque. Je n'en
crois rien : si l'on veut établir une garantie absolue contre la cohabitation,
il est nécessaire de changer de constitution.
Deux options s'ouvrent alors à nous : bâtir une constitution calquée sur le
modèle de la IIIe République, confinant le Président de la République dans un
rôle secondaire et revenant à un régime purement parlementaire, ou bien bâtir
une constitution selon le modèle américain, en instituant un régime
présidentiel, ce qui implique la suppression du poste de Premier ministre, du
droit de dissolution et de la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée
nationale.
Cependant, nous connaissons tous les dérives qu'a connues le régime
parlementaire de la IIIe République. Quant au régime présidentiel, je
m'interroge sur la façon dont serait résolu, dans ce cadre, un conflit qui
pourrait survenir entre le Président de la République et l'Assemblée
nationale.
Ne nous y laissons pas prendre : cette proposition de loi organique, outre le
fait qu'elle méprise la Constitution et porte atteinte à la nature même de nos
institutions, n'est qu'une pure manoeuvre politicienne.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
Derrière un argument institutionnel se cache la véritable raison d'être de
cette proposition de loi organique : une pure mesure de convenance au service
de l'ambition électorale du Premier ministre et du parti socialiste !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Lanier.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Lucien Lanier.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
sujet dont nous débattons paraît, comme l'indiquait récemment notre excellent
collègue Josselin de Rohan, en décalage évident avec les préoccupations et les
attentes de nos concitoyens, qu'il s'agisse de la sécurité, de plus en plus
mise à mal, à l'heure actuelle, qu'il s'agisse de l'avenir des retraites dont
le nombre va s'accroissant, qu'il s'agisse de l'approfondissement de la
décentralisation ou du rôle de l'Etat et de ses agents, de l'adaptation de la
fiscalité, des moyens de fonctionnement de la justice, de la place et du rôle
de la France dans une Europe entrant dans certaines phases décisives de sa
constitution. Bref, tous ces sujets suscitent l'intérêt de nos concitoyens, car
ces derniers se sentent directement intéressés par eux et surtout parce qu'il
ressentent, au fur et à mesure que le temps passe, l'urgence - oui, l'urgence -
de solutions solides et stables, en tout cas de solutions capables d'épouser
leur temps et de s'adapter à l'avenir.
J'en déduis qu'il existe une hiérarchie des urgences face à tant de sujets
évoqués, et que l'urgence qui nous est aujourd'hui proposée suscite ou peut
susciter certains doutes. Non pas que le sujet soit dénué d'importance, au
contraire, si l'on veut bien le considérer comme inclus dans le cadre des
institutions et comme susceptible d'apporter amélioration et rigueur à ces
dernières. Mais est-ce bien le cas, monsieur le secrétaire d'Etat ?
M. Louis de Broissia.
Il faut laisser répondre M. le secrétaire d'Etat !
(Sourires.)
M. Lucien Lanier.
En effet, il s'agit, à première vue, de reporter du premier mardi d'avril au
troisième mardi de juin la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée
nationale, modification conduisant, en 2002, à l'organisation d'une élection
présidentielle juste avant les élections législatives.
La question, on le voit, prend toute son ampleur si l'on observe, d'une part,
qu'elle s'inscrit dans une réflexion à long terme sur l'important sujet du
rapport temps en politique et sur la régulation d'un calendrier se situant dans
la logique d'un Etat de droit et, d'autre part, que les conséquences de la
réforme proposée induisent l'évolution des rapports entre la fonction
présidentielle et la fonction législative.
Consciente de ces données, la commission des lois, suivie par une majorité du
Sénat, avait estimé que la réforme proposée méritait une réflexion générale
approfondie sur ses conséquences quant à l'avenir des institutions de la
République.
Elle avait donc entrepris cette réflexion le 9 janvier dernier par une
audition publique de très éminents constitutionnalistes et historiens, audition
au demeurant dénuée de toutes réactions passionnelles ou partisanes, mais non
de compétence, et dont la synthèse démontre le grand contraste dans
l'appréciation du sujet de la part d'esprits éminents par la hauteur de leurs
vues mais qui tous, en revanche, concluaient à la nécessité d'une réflexion
approfondie, telle que la souhaitait la commission des lois.
Dès lors, pourquoi cette réflexion, bien naturelle, n'a-t-elle pu avoir lieu ?
Tout simplement parce que le Gouvernement, changeant du tout au tout d'idées et
d'opinions sur le sujet, ne l'a pas voulu puisque, lors du congrès du parti
socialiste réuni à Grenoble, l'annonce fut faite
ex abrupto
, comme
l'indique notre excellent rapporteur Christian Bonnet, d'un « rétablissement »
et non plus d'une « inversion » du calendrier électoral ; ce qui fut voté par
l'Assemblée nationale sous forme d'une proposition de loi.
En effet, le Gouvernement n'a pas voulu prendre la responsabilité du dépôt
d'un projet de loi...
M. Yann Gaillard.
Tout à fait !
M. Lucien Lanier.
... probablement afin d'éviter l'examen du texte par le Conseil d'Etat ainsi
que son adoption en conseil des ministres sous la présidence du Président de la
République.
Enfin, la procédure d'urgence a été retenue pour l'examen de cette proposition
de loi, d'où un débat à marche forcée, aucun temps n'étant ménagé pour une
réflexion approfondie telle qu'elle était souhaitable et souhaitée par la
majorité du Sénat. Cette dernière pourrait donc, dès lors, et assez
logiquement, avouons-le, ressentir les fâcheux symptômes qui avaient marqué la
procédure employée dans la précipitation lors de l'examen du texte relatif au
quinquennat,...
M. Louis de Broissia.
Absolument !
M. Lucien Lanier.
... qui, à l'évidence, avait démontré le manque réel de globalisation des
réformes concernant la vie politique en général et les institutions en
particulier.
Avouons que la procédure ainsi déclenchée et suivie peut, aujourd'hui,
susciter des soupçons de manipulation. De telles procédures réitérées ne
cachent-elles pas en effet une certaine volonté du Gouvernement d'aboutir, à
petit bruit et à petits pas, à une réforme profonde des institutions,
subreptice, benoîte, mais conforme à des intérêts propres dont la somme n'a
jamais servi l'intérêt général, c'est-à-dire le seul intérêt qui doit être
reconnu lorsqu'il s'agit des normes concernant la Constitution du pays.
Celle-ci ne saurait être modifiée, comme le dit notre excellent rapporteur, par
petites touches intentionnelles et successives, dans une précipitation
occultant la véritable compréhension du sujet en cause.
Ce texte a été déclaré d'urgence, et ce non sans arrière-pensée. Pourquoi dès
lors nous reprocher notre méfiance et notre goût pour les idées claires, les
réflexions saines et les projets bien conçus. En un mot, pourquoi reprocher au
Sénat de faire son devoir et de remplir sa mission ?
M. Hilaire Flandre.
C'est vrai !
M. Lucien Lanier.
Pourquoi nous accuser d'organiser une course de lenteur interprétée comme de
l'obstruction aux débats parlementaires, sans parler d'épithètes aussi
obligeantes que celles de « mascarade » ou d'« indignes procédure » ?
M. Jean-Pierre Schosteck.
Et de « petite troupe » !
M. Lucien Lanier.
Je ne saurais d'ailleurs vous mettre en cause personnellement, monsieur le
secrétaire d'Etat, non plus que le ministre de l'intérieur, car vous faites
certainement preuve, par votre présence, d'une courtoisie mesurée et d'une
patience dominée.
(Applaudissemens sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Gérard César.
Très juste !
M. Louis de Broissia.
Et il écoute avec beaucoup d'attention !
M. Lucien Lanier.
Et vous avez raison, parce que la proposition de loi qui nous est soumise est
à prendre ou à laisser et que nous ne voulons pas de la procédure déplorable
qui fut retenue pour le quinquennat, ni voir passer en force et par la force
une proposition de loi qui, qu'on le veuille ou non, engage l'avenir sans
qu'elle ait pu être réfléchie et débattue comme elle le méritait.
M. Louis de Broissia.
Très bien !
M. Lucien Lanier.
Nous n'avons aucune illusion sur le sort qui sera réservé à l'amendement -
pourtant de bon sens ! - que recommandent la commission des lois et son
excellent rapporteur. Dès lors, nous n'avons que le choix de dire, et chacun
des sénateurs en est maître, notre propre pensée, celle que nous aurions pu
exprimer si avaient pu se produire, en étroite corrélation avec l'Assemblée
nationale, la réflexion indispensable et le vrai débat souhaité, dont je ne
désespère pas qu'ils puissent avoir lieu et qu'ils puissent, autant que
nous-mêmes, éclairer les Français sur les choix qu'ils seront amenés à
prendre.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Louis de Broissia.
En deuxième lecture !
(Sourires sur les mêmes travées.)
M. Lucien Lanier.
Nous aurions en effet gagné beaucoup de temps si le Gouvernement, au lieu de
brusquer les choses et d'attaquer par surprise, avait accepté ce grand débat où
auraient pu être examinées et pensées les normes de nos institutions, en
corrélation avec le monde qui se fait et dont nous sommes partie intégrante.
Croyez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il nous soit agréable que M. le
ministre de l'intérieur nous donne l'impression qu'on lui fait perdre son
temps, ce temps que requiert, particulièrement en ce moment, la gestion des
affaires, alors que l'échange des idées, dans un débat global, peut faire
naître les réformes qu'appelle la modification du monde ?
Il y a, dit Shakespeare « dans le ventre du temps, bien des événements à
naître ». Autant les prévoir que les subir !
Ce n'est pas par une petite politique au coup par coup que nous y parviendrons
; sans compter que le coup par coup échappe à nos concitoyens, peu au fait des
arcanes et des subtilités des dits et des non-dits, des franchises et des
sous-entendus, des bonnes procédures face aux mauvaises manoeuvres.
Ne nous étonnons pas si l'abstention devient pratique courante, plus
qu'indifférence : ne serait-elle pas mépris pour certaines formes de la vie
politique et incompréhension des sujets qui nous animent parce qu'ils sont mal
présentés et trop souvent incompréhensibles ?
C'est pourquoi nous récusons ce que j'ai appelé « la petite politique au coup
par coup ». Car de deux choses l'une : ou bien « l'inversion » du calendrier,
que le Gouvernement dénomme « rétablissement », est un acte qui se veut
institutionnel, ou bien, si je me réfère à notre excellent collègue Claude
Estier : « il ne s'agit pas de changer notre Constitution ou de rééquilibrer
les pouvoirs, même si nous pouvons le souhaiter. Il serait difficile d'engager
maintenant un débat institutionnel de fond en période de cohabitation et à
quatorze mois d'extrêmes décisions ».
Je suis un citoyen bien simple, peut-être même simplet
(Exclamations sur les travées du RPR)...
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Mais non !
(Sourires.)
M. Lucien Lanier.
... mais qui comprend ce qui s'exprime clairement.
Qui faut-il croire : notre éminent collègue, excellent président du groupe
socialiste, dont les propos tendent à rassurer sur l'ampleur d'un simple
rétablissement du calendrier qui n'a rien de révolutionnaire, ou bien le
Gouvernement, qui, dans sa déclaration d'urgence, excipe de la fidélité à «
l'esprit des institutions » qu'aurait déformée la conséquence fortuite de la
dissolution d'avril 1997, devenue, bien sûr, au fil du temps, responsable
universelle, le Gouvernement, qui excipe aussi de l'instauration du quinquennat
« pour rendre plus rare l'exercice de la dissolution », élément important des
institutions, le Gouvernement, qui justifie, enfin, l'actuelle proposition de
loi, traitée de texte de très bonne qualité technique, dont l'ambition est de
rétablir « une cohésion institutionnelle », pour reprendre les propos tenus par
M. le ministre de l'intérieur ?
La cause me paraît entendue ! Après le quinquennat, la réforme du calendrier
est bien un texte porteur, au coup par coup, d'une réforme profonde des
institutions, assurant ainsi, par d'autres réformes, et par la même méthode du
fait accompli, une Constitution sur mesure.
Qu'on ne s'y trompe pas : ce n'est pas l'évolution que je conteste, c'est la
méthode pour y parvenir, consistant, comme le dit fort bien notre excellent
rapporteur, « à modifier périodiquement et partiellement, par petites touches
successives, les règles de nos institutions ».
Jusqu'où peut aller cette méthode ? Alors que M. le ministre de l'intérieur
appelle le Sénat « à rejoindre, dans sa sagesse, l'Assemblée nationale sur la
voie du bon sens pour assurer un fonctionnement normal de nos institutions »,
le président de l'Assemblée nationale lui-même, homme mesuré, parlementaire
compétent, esprit certainement cultivé, dénie au Sénat - il est vrai lors d'une
interview - le droit de « retenir un texte qui ne le concerne pas directement,
puisqu'il s'agit des réélections à l'Assemblée nationale ».
Ces propos, malheureux, furent corroborés sans aucun ambage mais non sans
surprise pour nous, par M. le ministre des relations avec le Parlement,
déclarant « qu'une chambre ne devait pas se mêler, de manière intempestive, des
pouvoirs concernant l'autre assemblée ». Propos surprenants de la part d'un
ministre auquel nous portons notre estime pour sa courtoise et efficace
amabilité habituelle !
La méthode que nous réprouvons - je pose la question très solennellement,
monsieur le secrétaire d'Etat - programmerait-elle déjà, par un prochain coup
par coup, la réforme de l'anomalie du bicaméralisme ?
Et pourtant, dans sa déclaration liminaire, M. le ministre de l'intérieur
excipait de la logique de nos institutions, en citant l'excellent propos de
Michel Debré : « Un chef de l'Etat et un Parlement séparés, encadrant un
Gouvernement issu du premier et responsable devant le second ». Le laconisme de
ce propos lui offre toute sa clarté et résume en une phrase toute l'âme de
notre Constitution, mais aussi sa sagesse, qu'avait voulue, avec Michel Debré,
le général de Gaulle, à savoir un régime présidentiel et aussi
parlementaire.
Cette conception, si souvent critiquée, offre toute sa souplesse aux rapports
des hommes et des idées dans le cadre constitutionnel. Elle ouvre la porte à
une certaine alternance et tend à éviter la formation pérenne de puissances
politiques écrasantes à pensée comme à sens uniques.
Le régime présidentiel prévaut, évidemment, lorsqu'il y a, pour le Président,
concordance de majorité avec l'Assemblée nationale, l'un et l'autre émanant du
suffrage universel. Le régime parlementaire prévaut en cas contraire.
Telle est bien la spécificité de la Constitution française, qu'il convient de
manipuler avec précaution avant de l'attaquer par des réformes ponctuelles.
Votre souci de rétablir le calendrier électoral débouche en effet, que vous le
vouliez ou non, sur la confirmation du régime présidentiel, en lui offrant,
dans la foulée, une majorité dont la puissance ne garantit pas forcément le
maintien de la cohésion. Plusieurs exemples récents sont là pour le prouver.
Nonobstant ce fait, vous pensez rendre plus rare et - pourquoi pas ? -
supprimer le droit de dissolution. Ne pensez-vous pas qu'au nom de ce que vous
dénommez « la dynamique de la cohérence » vous fragilisez le système ?
Car, dans leur sagesse, les auteurs de la Constitution ont prévu, pour les cas
de conflit aigu entre régime présidentiel et régime parlementaire, deux
soupapes de sécurité : la dissolution et la cohabitation, deux pis-aller à
n'employer qu'avec précaution et seulement en cas de crise aiguë, prélude à une
crise constitutionnelle.
Or, la logique de votre proposition de loi vous incite, non sans bon sens, à
rendre la dissolution rarissime et la cohabitation provisoire.
Etes-vous sûr de parvenir à cette fin, en soi louable ?
Tout d'abord, vous souhaitez, par son rétablissement, corriger un calendrier
qui fut inversé par ce que vous qualifiez d'incidents de parcours.
Vous souhaitez que, par sa pérennité, l'ordre rétabli du calendrier récrée la
dynamique de la cohérence. N'y-a-t-il pas un peu trop d'assurance dans votre
pensée, car bien des incidents de parcours, fort divers au demeurant, pourront
se produire et se produiront sûrement.
Voyez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, la loi propose, mais les événements
disposent, et ils commandent. Ils chambouleront à leur tour le bel ordre du
calendrier électoral que vous souhaitez, et peut-être beaucoup plus souvent
qu'on ne le croit. L'histoire nous rappelle, en effet, nombre d'événements
inopinés. Devrez-vous alors rétablir chaque fois le calendrier inopinément
bousculé sans éviter pour autant les risques de dissolution et moins encore de
cohabitation ?
Déjà, l'adoption du quinquennat, première adaptation ponctuelle et subreptice
de la Constitution, a eu pour effet d'augmenter les risques de cohabitation. Le
très estimé historien René Rémond le dénonçait récemment en déplorant l'absence
de toute réflexion quelque peu fondamentale sur la durée optimale de chacun des
pouvoirs.
Le peuple, vrai et seul souverain en démocratie, lui a fait écho en prouvant,
par son abstention, non son indifférence mais ses doutes sur la vérité d'une
réforme ponctuelle et partielle.
Etes-vous sûr que votre proposition de loi ne produira pas le même effet, en
concrétisant la pérennité d'une cohabitation qui a déjà persisté pendant plus
de trois ans ?
Car, qui peut prétendre que, pour deux élections, mêmes rapprochées mais fort
différentes, l'une reposant sur des candidatures relativement restreintes et
faisant appel au suffrage universel sur le plan national et l'autre conduisant
à choisir entre des candidats fort nombreux et faisant appel au même suffrage
universel - mais dans 577 circonscriptions électorales - le peuple votera dans
le même sens ?
Il se réfugiera alors dans la cohabitation, qui semble même lui convenir comme
un pis-aller, comme un partage à peu près égal des sensibilités dans la France
actuelle, solution dont tout le monde reconnaît qu'il s'agit d'une soupape de
sécurité, d'un système excellent dans le provisoire, déplorable dans la
durée.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Lucien Lanier.
Dans la foulée de vos deux réformes, le quinquennat et celle-ci, parce
qu'elles sont ponctuelles et partielles, restera un grand triomphateur : le
système de cohabitation cahin-caha, source de dissolution.
Est-ce cela que vous souhaitez ? Je ne le crois pas. Mais c'est bien ce que
vous risquez.
En conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat, nous sommes parfaitement
conscients qu'une Constitution est un texte vivant qui permet à la société de
s'adapter, particulièrement dans un Etat de droit. Elle doit donc épouser son
temps, mais pas par des rapiéçages successifs, hâtifs et mal instruits.
C'est la faiblesse de la proposition de loi organique que soutient le
Gouvernement : nous avions le devoir de vous le dire.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. César.
M. Gérard César.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au
choix d'une proposition de loi plutôt que d'un projet de loi, à la déclaration
d'urgence faite par le Gouvernement, aux délais très brefs concédés aux
assemblées pour conduire leurs travaux, se sont ajoutés, comme l'ont rappelé
les orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, les propos de M. le président
de l'Assemblée nationale pour qui le Sénat aurait quelque audace à « retenir »
un texte qui ne le concerne pas directement, puisqu'il traite des élections à
l'Assemblée nationale.
M. Forni a même dit : « Je ne vois pas une chambre se mêler de manière
intempestive des pouvoirs qui concernent l'autre assemblée. » Je ne crois pas
avoir entendu de telles déclarations lorsque l'Assemblée nationale, il y a
quelques mois, votait, contre l'avis du Sénat, la modification du mode de
scrutin sénatorial.
Vous me permettrez également de rappeler que le calendrier électoral de 2002
est connu depuis 1997. Si le Gouvernement estimait nécessaire de le modifier,
il eût été possible de le faire dès 1999 afin que nous puissions débattre de
manière sereine et approfondie.
A l'inverse, si le texte proposé s'inscrit dans une perspective à long terme,
prenant en considération la réduction de la durée du mandat présidentiel,
est-il réellement souhaitable qu'une telle discussion soit conduite dans
l'improvisation, quelques mois avant les élections ?
Je partage totalement le sentiment de notre excellent rapporteur, M. Christian
Bonnet : « Quoi qu'on en pense sur le fond, le texte que vous nous soumettez
est présenté soit trop tard, soit trop tôt. » En outre, un certain nombre de
déclarations de M. le Premier ministre montrent que le dépôt de ce texte est
manifestement une opération purement politicienne et de pure convenance
personnelle que je peux qualifier de tentative quasi présidentielle.
En effet, qui a dit, le 19 octobre 2000 : « Toute initiative de ma part serait
interprétée de façon étroitement politique voire politicienne. Moi, j'en
resterai là. Il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des
initiatives puissent être prises » ? Il s'agissait de M. Jospin, Premier
ministre, qui s'exprimait sur le changement de calendrier des élections de 2002
devant plusieurs millions de téléspectateurs lors d'une intervention
télévisée.
Qui a dit, le 26 novembre 2000 : « le calendrier électoral n'est pas cohérent
» et affirmé que « le printemps 2002 ne devait pas être un printemps de la
confusion et des choix de convenance, mais un printemps de la clarté » ? C'est
M. Jospin, candidat à l'élection présidentielle, profitant du congrès des
socialistes pour décider de la politique de la France et du changement de
l'ordre des élections en 2002.
Trois jours après ce revirement, le Gouvernement a annoncé l'inscription à
l'ordre du jour de l'Assemblée nationale d'une proposition de loi émanant du
groupe socialiste et tendant à prolonger le mandat des députés, afin que
l'élection présidentielle se déroule avant les élections législatives.
D'ailleurs, cette proposition de loi n'est pas très courageuse, car le
Gouvernement aurait pu déposer un projet de loi. En plus, l'urgence a été
déclarée sur ce texte. Pour quelqu'un qui ne voulait pas changer les règles du
jeu avant les élections, il s'agit bien d'un revirement !
En effet, comme l'a dit Mme Voynet : « Pour justifier le refus d'introduire
une dose de proportionnelle, on m'explique que l'on ne change pas la règle du
jeu à un an des élections. Pourquoi la changer pour ce qui est du calendrier
électoral ? » Ce changement d'attitude relève de la tricherie, M. Jospin
manipulant le calendrier pour satisfaire ses propres intérêts. Les Français
l'ont d'ailleurs bien compris, puisqu'une majorité d'entre eux qualifient de
manoeuvre politique cette inversion.
Ce changement d'attitude trouve également son origine dans le doute. En effet,
M. Jospin a certainement peur des élections législatives et des dissensions qui
pourraient apparaître au sein de la gauche plurielle. N'oublions pas, mes chers
collègues - beaucoup d'entre nous l'ont rappelé - que plus de quarante
triangulaires impliquant des candidats du Front national ont permis à la gauche
d'être majoritaire aux dernières élections législatives.
Si ce simple rappel montre le caractère politicien de ce texte, sa principale
justification, la logique d'institution, ne répond pas à l'objectif affiché par
ses auteurs, elle ressemble plutôt à un prétexte. En effet, pour faire en sorte
que la situation prévue en 2002 ne puisse plus se reproduire, il serait
nécessaire que tous les présidents de la République achèvent désormais leur
mandat et que le droit de dissolution ne soit plus utilisé !
Vous avez eu raison, monsieur le rapporteur, de souligner qu'à vouloir
modifier dans l'urgence la date d'une consultation électorale, le législateur
risque de créer de nouvelles et futures difficultés.
En effet, si le calendrier proposé doit être retenu et perdurer, il convient
d'ores et déjà de noter que, en 2007, comme en 1995, les élections municipales
précéderont l'élection présidentielle. De plus, elles seront couplées avec des
élections cantonales. Or ces consultations devront vraisemblablement être
déplacées, comme en 1995, pour éviter de rendre impossible la procédure de
parrainage des candidats à l'élection présidentielle.
En 1995, les élections municipales ont été reportées au mois de juin. Un tel
choix pourrait s'avérer difficile, sinon impossible, si les élections
législatives étaient organisées au cours du même mois. Un report en septembre
ne poserait pas moins de difficultés compte tenu, nous connaissons bien le
problème dans cette maison, de l'organisation d'élections sénatoriales.
Il semble donc que la méthode consistant à modifier par petites touches, par
petits bonds les règles de fonctionnement de l'institution atteint largement
ses limites. Mais il est vrai, mes chers collègues, que ce n'est pas le souci
principal de M. Jospin !
A cet argument de bon sens, largement développé par le rapporteur du Sénat,
vous me permettrez de rappeler que l'affirmation selon laquelle il y aurait une
tradition constitutionnelle sur l'ordre des deux élections est tout autant
erronée.
Les élections législatives ont en effet précédé les élections présidentielles
à trois reprises : premièrement, les 23 et 30 novembre 1958, pour une élection
présidentielle le 21 décembre 1958, soit moins d'un mois d'écart pour la
naissance de la Ve République ; deuxièmement, les 23 et 30 juin 1968, pour une
élection présidentielle qui s'est tenue les 1er et 15 juin 1969 au suffrage
universel, soit moins d'un an d'écart ; troisièmement, les 4 et 11 mars 1973,
pour une élection présidentielle les 5 et 19 mai 1974, soit quatorze mois
d'écart. Le Président Giscard d'Estaing, qui s'élève aujourd'hui en donneur de
leçons de droit constitutionnel, n'a pas cru devoir à l'époque dissoudre
l'Assemblée nationale, pour assurer la prééminence de son programme sur celui
des partis qui constituaient alors la majorité parlementaire.
Les auteurs de cette proposition de loi veulent en effet ajouter à la
Constitution, sans même la modifier, des dispositions qui n'ont jamais été
débattues depuis 1958. En effet, chacune des élections à venir interviendra en
fait à son échéance naturelle.
Les élections législatives auront lieu aux dates normales prévues par
l'article LO 121-1 du code électoral, c'est-à-dire dans les deux mois qui
précèdent le premier mardi d'avril de la cinquième année qui suit l'élection.
Il en est ainsi depuis 1958. C'est donc la norme depuis presque cinquante ans.
Il n'y a rien d'exceptionnel à la situation de cette année ! Il n'y a donc rien
à rétablir.
Quant aux dates de l'élection présidentielle, elles sont fixées ainsi depuis
la disparition du Président Georges Pompidou, soit depuis plus de vingt-six
ans.
Les deux élections interviendront par conséquent à des moments pratiquement
habituels et prévus depuis toujours dès lors qu'elles ont lieu la même
année.
De plus, par ce stratagème qu'il convient de condamner, les auteurs de ce
texte remette en cause le droit de dissolution.
Or ce droit, prévu par l'article 12 de la Constitution, est absolu et il n'est
pas soumis à la condition que l'élection présidentielle ait lieu avant les
élections législatives. Rien dans la Constitution ne soumet le droit de
dissolution à des questions de calendrier ; rien dans la Constitution ne vient
limiter ce droit.
Cela est si vrai que, même si cette proposition de loi est adoptée, il
pourrait arriver que des élections législatives aient lieu avant l'élection
présidentielle. Il suffirait, par exemple, monsieur le secrétaire d'Etat, que
votre majorité n'en soit plus une, ce qui est probable dans nos institutions et
dans notre vie parlementaire et que le Président de la République soit conduit
à utiliser à nouveau son droit de dissolution.
En contestant ce droit, ceux qui soutiennent ce texte s'opposent en réalité à
l'un des principes de notre Constitution : le droit de dissoudre.
Par ailleurs, aucune disposition de la Constitution ne peut empêcher la
démission, voire le décès du président. Même M. Jospin, qui a écouté ses
laudateurs, ne peut rien à cela. Fort heureusement, me direz-vous !
Dans ces conditions, vous me permettrez d'être sceptique lorsque le Premier
ministre invoque l'esprit d'une Constitution - qui, pourtant, selon ses propres
termes, n'est pas sa référence - et lorsque, comme le soulignait à cette
tribune M. Josselin de Rohan, éternel défenseur de nos institutions, le parti
socialiste s'érige en professeur de gaullisme et ne cesse de nous en remontrer
dans ce domaine.
Mais, comme le remarque judicieusement notre excellent rapporteur
(Très
bien ! sur les travées du RPR),...
M. Emmanuel Hamel.
Le qualificatif « excellent » n'est pas suffisant !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
N'en jetez plus !
M. Gérard César.
Comme vous l'avez fait judicieusement remarquer, « les références à l'esprit
des institutions n'ont été accompagnées d'aucune définition de celui-ci ».
Monsieur le rapporteur, vous avez fait des citations extraites des ouvrages de
Michel Debré, que chacun s'accordera à reconnaître comme l'un des pères de la
Constitution.
Ces citations démontrent éloquemment qu'à tout le moins ni lui ni le général
de Gaulle n'étaient favorables à la coïncidence des mandats respectifs des
députés et du Président de la République. Michel Debré admettait même qu'il y
eût deux lectures de la Constitution. Aussi les exégètes qui en ont une vision
unique peuvent-ils être légitimement récusés.
Quant à nous, nous estimons que ceux qui ont toujours combattu la Constitution
de la Ve République et qui ne rêvent que de l'abolir ne peuvent s'en prévaloir
sans hypocrisie et sans un certain cynisme.
Ne nous laissons donc pas abuser. Cette proposition de loi organique n'est
qu'une réforme de convenance et, derrière son habillage institutionnel, elle
n'a pas d'autres inspirations que politiciennes.
Par ailleurs, sur le plan constitutionnel, lors des auditions menées par notre
commission des lois, le professeur Pactet a estimé que la réforme du
calendrier, sans bouleverser le régime de la Ve République, appelait néanmoins
de sérieuses réserves quant à la cohérence institutionnelle.
Regrettant que la révision constitutionnelle relative au quinquennat n'ait pas
fait l'objet d'un débat approndi sur les incidences de celui-ci, il a affirmé
qu'elle constituait l'une des plus grandes révisions de la Ve République,
comparable à celle de 1962, qui fut relative à l'élection au suffrage universel
direct du Président de la République, et à celle de 1974, qui ouvrit la saisine
du Conseil constitutionnel à l'opposition parlementaire.
Le professeur Pactet a rappelé que le quinquennat, décidé pour rendre la
cohabitation moins fréquente, ne pouvait avoir cet effet dans la mesure où le
droit de dissolution était maintenu et où le décès du Président provoquait une
nouvelle élection présidentielle en raison de l'absence, dans notre
Constitution, d'une disposition relative à un vice-président de la
République.
M. Jean Chérioux.
Me permettez-vous de vous interrompre, mon cher collègue ?
M. Gérard César.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. Chérioux, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean Chérioux.
Dans le cas que vous évoquez, mon cher collègue, c'est-à-dire si le droit de
dissolution était supprimé, il s'agirait non plus de la Ve République, mais
purement et simplement d'un régime présidentiel analogue à celui des Etats-Unis
! Ne parlons plus, dans ce cas, de révision, parlons plutôt de modification de
la Constitution. Nous abandonnerions alors cette dernière, qui a fait ses
preuves et qui a fonctionné avec beaucoup de souplesse, comme vous l'avez noté,
depuis 1958.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur César.
M. Gérard César.
Je vous remercie, mon cher collègue. Etant donné que vous avez posé les
questions et apporté les réponses, il n'est pas utile que j'approfondisse le
sujet !
(Sourires.)
Une fois de plus, monsieur Chérioux, votre observation est
tout à fait pertinente et elle correspond, je pense, à l'analyse que font non
seulement la majorité du Sénat, mais aussi la commission des lois et son
excellent rapporteur que j'ai cité voilà quelques instants.
M. le président.
Monsieur César, puis-je ajouter mes remerciements aux vôtres ? En effet, vous
organisez tous les deux les débats d'une façon tout à fait satisfaisante : l'un
parle, l'autre pose une question et donne la réponse !
(Nouveaux sourires.)
Monsieur César, veuillez poursuivre.
M. Gérard César.
Je vous remercie cher président et collègue girondin, de votre gentillesse et
de votre autorité tout à fait naturelle.
Le professeur Pactet a ajouté que les électeurs, dans un souci d'éviter une
trop grande concentration des pouvoirs, pouvaient émettre des votes différents
lors des élections législatives et présidentielles. C'est un cas qui peut se
produire. Il s'est demandé si la motivation du quinquennat ne résidait pas dans
une conception nostalgique des périodes de convergence observées au début de la
Ve République.
Quant à la logique des institutions, à l'origine conçue en réaction contre le
régime des partis, il a observé qu'elle avait beaucoup évolué et était
redevenue celle d'un régime de partis, semblable à celui des autres démocraties
occidentales. Il a ajouté que le Président de la République ne demeurait la clé
de voûte du système que dans l'hypothèse où il était soutenu par la majorité
parlementaire, celle-ci constituant le véritable moteur du régime depuis la
cohabitation.
Il a regretté que le quinquennat, premier pas vers un régime présidentiel,
puisse être suivi d'un second pas plus accentué, avec l'inversion du calendrier
électoral.
M. Hilaire Flandre.
Ce n'était rien d'autre !
M. Gérard César.
Par ailleurs, l'éminent constitutionnaliste Louis Favoreu, qui a été largement
cité, d'ailleurs, sur tous les bancs de notre assemblée,...
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
C'est vrai !
M. Gérard César.
... constatant, quant à lui, que, dans les pays étrangers, les réformes
constitutionnelles touchant aux institutions se révélaient rares, a regretté,
monsieur le rapporteur, le penchant français pour les
réformesinstitutionnelles. Il a en effet jugé préférable de toucher le moins
possible aux institutions, estimant que les conséquences de telles réformes
étaient difficiles à prévoir.
Il a indiqué qu'il considérait depuis longtemps que le droit devait encadrer
la vie politique et que la réforme des institutions ne devait pas être utilisée
pour réaliser des « coups politiques ».
Il a salué, à cet égard, le rôle essentiel joué par le Conseil constitutionnel
dans l'encadrement juridique de la vie politique, estimant qu'au-delà de la
protection des droits et des libertés fondamentales le rôle du Conseil
constitutionnel était de clarifier les données du débat politique et de faire
en sorte que les décisions soient prises en toute connaissance de cause, comme
l'ont montré récemment les décisions relatives à la contribution sociale
généralisée et à l'écotaxe.
Il a rappelé que le Conseil constitutionnel serait saisi obligatoirement de la
présente loi organique et pourrait être sensible à certaines observations
effectuées au cours des débats parlementaires.
Il a mis en doute l'existence soudaine d'une conception gaullienne des
institutions, imposant une inversion du calendrier, et dénié, en toute
hypothèse, toute valeur normative à une telle conception.
Louis Favoreu a également souligné que l'édifice conçu pourrait être ruiné par
une dissolution, la Constitution prévoyant en pareil cas la tenue d'élections
entre vingt et quarante jours après celle-ci. Il a observé que le Gouvernement
n'avait pas pris la responsabilité de déposer un projet de loi, je l'ai déjà
souligné, évitant ainsi l'examen du texte par le Conseil d'Etat et son adoption
en conseil des ministres, sous la présidence du Président de la République.
Il a déclaré qu'il allait essentiellement s'attacher à montrer que la réforme
entreprise allait à l'encontre de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel.
Evoquant les quatre décisions de cette instance sur des reports de dates
d'élections, intervenues en 1990, en 1994 pour deux d'entre elles et en 1996,
il a souligné qu'elles concernaient la prorogation du mandat des membres
d'assemblées locales, à savoir les conseils municipaux et les conseils généraux
pour les trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer,
a
fortiori
la prorogation du mandat des membres de l'Assemblée nationale.
M. Louis Favoreu - ses compétences justifient que je le cite encore - a
observé que le Conseil constitutionnel avait à chaque fois validé la démarche
tout en la subordonnant au respect de conditions strictes, à savoir le
caractère exceptionnel et transitoire de la prorogation et l'existence d'une
réelle justification. Il a noté que les motifs retenus par le Conseil avaient
été, par exemple, de favoriser la participation des électeurs, d'assurer la
continuité de l'administration départementale, d'éviter la concomitance des
élections avec une réforme sur le statut des élus, de permettre aux électeurs
d'être mieux informés des conséquences de leur choix.
Observant que cette jurisprudence était évidemment transposable au cas d'une
élection nationale, il a indiqué que le Conseil constitutionnel serait donc
amené à exercer un véritable contrôle des motifs de la modification proposée
alors qu'en doctrine il avait été relevé que le début d'un tel contrôle avait
été observé justement à propos des décisions précitées de 1990 et 1994.
M. Louis Favoreu a ensuite récusé l'idée selon laquelle le Conseil
constitutionnel aurait donné, par avance, une justification à l'inversion du
calendrier dans ses recommandations du 23 juillet 2000. Il a estimé que la
seule préoccupation exprimée par le Conseil constitutionnel, à savoir le
respect de la date limite de présentation des candidats, pouvait être
parfaitement satisfaite par une fixation de la date des élections législatives
aux 3 et 10 mars et par une clôture des présentations pour l'élection
présidentielle au 2 avril à minuit pour une élection présidentielle fixée aux
21 avril et 5 mai. Il a remarqué que le 19 décembre 2000, à l'Assemblée
nationale, le ministre de l'intérieur l'avait reconnu explicitement.
Soulignant qu'il n'y avait donc pas de justification technique et, en
conséquence, par de motif à l'inversion des élections, il a fait valoir que la
seule motivation était d'ordre politique et qu'elle était plutôt floue, le
contenu de « l'esprit des institutions » variant selon les interlocuteurs. Il
en a conclu qu'il flottait un parfum de « détournement de pouvoir ».
M. Louis Favoreu a rappelé que certains avaient estimé que la proposition
pouvait apparaître soit comme un coup de semonce en réponse à l'intervention du
Président de la République lors de la crise de la vache folle, soit comme un
instrument ayant pour objectif réel de favoriser l'élection de certains. Il a
toutefois souligné que les résultats de l'inversion du calendrier étaient
difficilement prévisibles selon nombre de spécialistes.
Il a fait ressortir qu'un projet de loi, tel que les quatre projets de loi
précédents, aurait comporté un exposé des motifs clair permettant au Conseil
constitutionnel d'exercer un contrôle, ce qui n'est pas le cas de la
proposition de loi organique, dont les motifs avancés sont restés diffus, que
ce soit le respect d'une logique institutionnelle de la Ve République ou la
mise en cohérence avec la réforme du quinquennat.
Considérant qu'on ne pouvait pas modifier une loi organique sans justification
précise ne reposant pas uniquement sur des supputations politiques, M. Favoreu,
sans préjuger une éventuelle annulation, a estimé que le Conseil
constitutionnel pourrait être conduit à émettre de sérieuses réserves sur le
texte après avoir exercé un contrôle des motifs, comme il l'avait fait
s'agissant de l'écotaxe.
En conclusion, M. Louis Favoreu a considéré que, dans un état de droit, les
choix politiques devaient reposer sur des bases juridiques claires, ce qui
n'était pas le cas en l'occurrence.
Ces interventions d'éminents constitutionnalistes montrent que l'urgence et la
précipitation avec laquelle le Gouvernement nous demande l'examen de ce texte
sont dommageables.
Ne pourrait-on pas prendre le temps nécessaire - cela a été souligné par
plusieurs orateurs - pour lancer un véritable débat constitutionnel qui
impliquerait, non seulement le Parlement, mais aussi et surtout tous nos
concitoyens ? Ainsi mettrait-on fin, comme l'a rappelé notre collègue
rapporteur général du budget, M. Philippe Marini, dans son excellente
intervention, à l'idée selon laquelle nous autres parlementaire, vivons dans
une bulle et que les politiques ne se préoccupent pas de l'essentiel.
On ne débat pas des institutions à la sauvette ; on ne révise pas la
Constitution à tout propos pour en saper les fondements ou en altérer
l'esprit.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au-delà de l'inversion du
calendrier électoral, qui n'intéresse que l'ensemble des socialistes, voire les
Verts - à condition qu'elle soit recouverte d'une dose de peinture verte par
l'adoption de la proportionnelle - le parti communiste y étant opposé, je ne
vois pas l'intérêt - mis à part un intérêt électoraliste - de cette «
courageuse »proposition de loi. L'expression « Courage, fuyons » - fuyons un
projet de loi devant être soumis au Conseil d'Etat - s'applique bien en la
circonstance !
En définitive, seule l'Assemblée nationale voterait la prolongation de son
mandat jusqu'en juin 2002. Cela signifie qu'elle s'octroierait une prolongation
que nous pourrions considérer comme anti-constitutionnelle.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les Françaises et les Français sont plus
préoccupés par l'insécurité que vous ne semblez le croire. J'en veux pour
preuve la réponse de M. le ministre de l'intérieur à notre collègue Denis Badré
au sujet des affrontements qui ont eu lieu à la Défense, samedi dernier.
Si l'on ne peut pas faire de reproches à la police, qui ne s'attendait
certainement pas à une violence d'une telle ampleur ni se déployant sur une
telle durée, ces faits, monsieur le secrétaire d'Etat, sont très graves car les
forces de police, vous le savez, sont placées sous l'autorité du ministre de
l'intérieur.
Les deux crises majeures que connaît notre pays en matière de sécurité sont le
fait de la grande délinquance et de la délinquance des jeunes, ces jeunes qui
n'ont jamais connu un minimum d'autorité dans leur famille ni dans
l'enseignement. La timide approche de Jean-Pierre Chevènement, avec
l'enfermement temporaire pour les jeunes mineurs, n'a pas vu le jour et a été
enterrée par Mme Guigou et par M. Jospin.
Les violences urbaines sont le fait de délinquants de plus en plus jeunes et
de plus en plus lourdement armés - de couteaux, de haches, de battes de
base-ball - qui s'affrontent comme des sauvages - et non pas, ainsi que cela a
été dit par un ministre de l'intérieur, comme des « sauvageons » - je répète,
comme des sauvages au risque de blesser gravement des passants et des enfants
innocents.
Ces mêmes violences se produisent dans les collèges et les lycées avec des
agressions contre les enseignants et le racket des élèves, lié à la drogue.
M. Hilaire Flandre.
C'est vrai !
M. Gérard César.
Ce qui est grave, c'est le sentiment d'impunité totale qui est le leur.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Exactement !
M. Jean Chérioux.
C'est tout le fond du problème !
M. Gérard César.
Voilà où nous en sommes arrivés par laxisme électoral, avec la fameuse
générosité de la gauche socialiste, alors que la fermeté de la police, de la
gendarmerie et, surtout, de la justice sont indispensables. On peut vraiment
parler de fiasco de la majorité plurielle !
M. Jean Chérioux.
Oui !
M. Gérard César.
Il en est de même en matière de retraites : il n'y a qu'à voir le rapport
Teulade ; de justice : le seul jeune arrêté à la Défense sur les 200, 300, 400
- personne n'a compté - a été aussitôt relâché. Et je ne parle pas de la santé
publique, des hôpitaux sous-équipés, des médecins, des infirmiers, des
personnels hospitaliers et libéraux désorientés, des fonctionnaires en grève
pour protester contre le manque de moyens, des 35 heures qui handicapent nos
entreprises, des emplois-jeunes sans avenir.
Le colloque qui nous a réunis au Sénat ce matin, autour des Ateliers de
l'alternance, a confirmé que nous sommes bien malheureusement à la veille d'une
explosion de la violence. Les émeutes de samedi dernier l'ont confirmé.
La sécurité est un droit naturel et imprescriptible de l'homme, inscrit dans
la Déclarations des droits de l'homme de 1789.
La sécurité est aussi une impérieuse exigence de justice sociale car la
délinquance et la violence frappent d'abord les plus démunis de nos concitoyens
et, en priorité, ceux qui vivent dans les quartiers difficiles.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous êtes en charge du logement et je sais avec
quelle compétence vous travaillez, mais, lorsque vous voulez construire des
logements sociaux, il faut au préalable pouvoir y assurer la sécurité de
tous.
Il faut donc rétablir la sécurité dans ces cités, dans les halls des
immeubles, mais aussi rétablir les services de proximité, sans lesquels il n'y
a plus de vie possible dans ces quartiers, qui sont aujourd'hui défavorisés
mais que vous voulez - il faut vous en rendre justice - rénover.
Il est nécessaire d'avoir une véritable vision et une vraie politique
ambitieuse de lutte contre l'insécurité, qui devient un phénomène minoré,
banalisé et délétère.
Plutôt que d'inverser le calendrier électoral, il est nécessaire de susciter
une mobilisation générale de l'ensemble des acteurs qui concourent à la
sécurité publique. L'urgence consiste à s'attaquer aux racines du véritable
fléau qu'est la délinquance au quotidien.
Le Gouvernement est responsable de la sécurité, mais le ministre de
l'intérieur, en particulier, est responsable du commandement des forces de
police et de gendarmerie avec le ministre de la défense, et des services de la
justice avec le garde des sceaux.
Je rappelle qu'il y a peu, le présent Gouvernement avait envisagé de fermer
des commissariats et des gendarmeries, qui sont, comme chacun le sait, des
services de proximité. Les élus et la population se sont fort heureusement
manifestés pour éviter ces fermetures.
Il y a une énorme différence entre les faits et les informations incantatoires
des socialistes, qui découvrent que la sécurité constitue l'une des toutes
premières préoccupations de nos concitoyens. Depuis quatre ans qu'ils sont au
pouvoir, ils n'ont jamais mis en oeuvre les moyens nécessaires à un véritable
retour à la sécurité dans notre pays.
Pour assurer ce véritable retour à la sécurité, nous proposons que la
politique de sécurité soit définie, mise en oeuvre et contrôlée en concertation
étroite avec les maires ou les présidents d'établissements de coopération
intercommunale, les préfets, les magistrats, la police, la gendarmerie.
Mais il faut aussi des moyens juridiques, financiers et techniques. L'Etat vit
au crédit de sa police : les heures supplémentaires ne sont pas payées, ce qui
représente environ 200 millions de francs, ou ne sont pas compensées dans le
cadre des effets dévastateurs des 35 heures.
Une politique nouvelle et ambitieuse ne peut se faire à effectifs constants :
nous proposons de lancer une campagne de recrutement massif sur cinq ans de 30
000 policiers et 10 000 gendarmes afin de compenser les départs à la retraite
et l'application des 35 heures.
Nous sommes loin du compte avec l'annonce faite hier par le ministre de
l'intérieur du recrutement supplémentaire de 1 000 gardiens de la paix et de 5
000 adjoints de sécurité. Encore faudrait-il que ces nouveaux recrutés
bénéficient d'une formation allongée pour être vraiment efficaces.
Ce que nous voulons, c'est mettre en oeuvre les moyens nécessaires à un
véritable retour à la sécurité dans notre pays. Un sursaut républicain s'impose
car la délinquance n'est pas une fatalité.
Face aux mutations de la violence, la riposte républicaine doit allier
prévention et répression et s'appuyer sur les polices municipales, la police
nationale, la gendarmerie et la justice. Chaque Français a, en effet, le droit
de vivre en paix et en sécurité.
Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les priorités que
les Français souhaitent voir retenir. Il vaudrait mieux pratiquer l'inversion
du calendrier de la violence plutôt que celle du calendrier électoral.
M. Jean Chérioux.
Que oui !
M. François Trucy.
Très bien !
M. Gérard César.
L'inversion du calendrier électoral n'est pas une priorité pour les Français ;
ce n'est qu'une manoeuvre politicienne, qui se retournera contre ses auteurs.
Malheureusement, pendant ce temps, l'insécurité progresse, et c'est pourquoi,
comme vous vous en doutez, je ne pourrai pas voter le texte tel qu'il nous a
été transmis par l'Assemblée nationale.
(Applaudissements sur les travées du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bordas.
M. James Bordas.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je comprends la lassitude que vous avez pu
éprouver en constatant que de nouvelles inscriptions sont venues allonger la
liste des intervenants dans ce débat sur une question qui nous interpelle,
certes, mais qui n'intéresse pas ceux qui sont confrontés aux difficultés de la
vie de tous les jours : chômage, inquiétude pour l'avenir des retraites - je
pense aux fonctionnaires qui sont descendus un jour dans la rue pour leurs
retraites puis, deux ou trois jours après, pour leurs salaires - problèmes
relatifs à l'éducation, insécurité, etc.
A vrai dire, monsieur le secrétaire d'Etat, je devais intervenir la semaine
dernière et, si vous consultez la première liste des orateurs, vous verrez que
j'y figurais en vingt-cinquième position.
Je ne voudrais pas que l'on pense que je m'étais retiré de ce débat pour
gagner du temps.
Ah, gagner du temps ! Qui ne le souhaite, dans cette période où les 35 heures,
quoi qu'en disent certains, nous les faisons bien souvent en deux jours quand,
dans nos collectivités locales, nous devons faire face à bien d'autres
préoccupations !
Non ! J'ai demandé à ce que mon propos soit reporté à plus tard tout
simplement pour pouvoir siéger au Conseil de l'Europe la semaine passée.
Je peux vous assurer, monsieur le secrétaire d'Etat, que, remplissant, je le
crois tout au moins, scrupuleusement mon rôle de représentant de la France,
j'ai dû répondre à de nombreuses questions, généralement ironiques, émanant de
représentants de plusieurs des quarante-trois pays qui composent dorénavant
cette assemblée parlementaire.
Je précise au passage, en effet, que l'Azerbaïdjan et l'Arménie ont fait leur
entrée dans cette assemblée, portant ainsi de quarante et un à quarante-trois
le nombre des nations représentées.
A ces représentants d'une très grande Europe s'étaient ajoutés en outre des
observateurs canadiens, mexicains et d'autres pays qui s'intéressent à cette
instance internationale. Et tous ces pays, dont certains aspirent à nous
rejoindre au sein de l'Union européenne, puisque nous passerons bientôt de
quinze à vingt-cinq ou à vingt-sept, découvrant les vertus de la démocratie,
s'interrogent et nous interrogent, nous, Français, qui aimons bien donner des
leçons : Que se passe-t-il en France ? Comment faites-vous pour modifier quand
cela vous chante le calendrier électoral ? Pourrons-nous faire pareil ?
Allons-nous, au gré des événements et parce que cela arrangerait nos
dirigeants, notamment quand ils s'accrochent au pouvoir, voir avancer, reculer
les échéances électorales et, pourquoi pas, les voir annuler en faisant des
élus des parlementaires à vie ?
Je vous assure, mes chers collègues, que l'on surprend nos partenaires ; et
nous sommes un peu gênés pour leur répondre. J'ai eu beau essayer de leur
expliquer que nous agissions dans l'intérêt du pays ; ils n'ont pas compris,
pas plus du reste que nos compatriotes, auprès desquels, dans nos communes,
nous devons justifier notre activité.
N'y a-t-il donc pas autre chose de plus important ? Si, bien sûr, et nous en
sommes tous convaincus. Je suis persuadé, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'en
votre for intérieur vous partagez cette conviction.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Non !
M. James Bordas.
Mais, direz-vous sans doute, à chaque jour suffit sa peine : prenons les
problèmes les uns après les autres. C'est d'ailleurs pourquoi nous sommes
là.
Lorsqu'une décision d'importance doit être prise, il est nécessaire de se
donner le temps de la réflexion pour s'interroger sur la justesse, en termes de
cohérence et de pertinence, de ce que l'on doit décider. Ce n'est pas notre
excellent et éminent collègue, Christian Bonnet, dont le rapport a constitué un
moment particulièrement important pour notre assemblée, qui soutiendra le
contraire.
La proposition de loi organique relative à l'inversion du calendrier électoral
de 2002 ne doit pas échapper à cette double règle de cohérence et de
pertinence. Or, si l'on se donne la peine de l'examiner sur le fond, on
constate qu'elle n'est ni cohérente ni pertinente.
Elle n'est pas cohérente eu égard à la volte-face brutale du Premier ministre
à ce sujet. « J'ai dit ce que je ferai et je ferai ce que j'ai dit », nous
annonçait-il en arrivant. Seulement, au fur et à mesure que l'on se rapproche
de l'élection présidentielle, l'artifice dialectique ne suffit plus.
En veut-on un exemple ? Il suffit de se reporter aux propos que Lionel Jospin
tenait le 19 octobre dernier. Ce jour-là, le Premier ministre s'était fermement
opposé à l'inversion du calendrier électoral. Il avait alors affirmé que «
toute initiative de sa part serait interprétée de façon étroitement politique,
voire politicienne ». Et il avait ajouté : « Moi, j'en resterai là, et il
faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent
être prises. »
Or que constate-t-on ? Deux mois plus tard, Lionel Jospin a changé d'avis et
le Parlement est prié d'examiner dans les plus brefs délais une proposition de
loi visant à inverser le calendrier électoral de l'année 2002. Mais où est donc
la cohérence entre les actes et les paroles ? A l'évidence, elle a totalement
disparu !
Plus on se rapproche de l'élection présidentielle, moins le Premier ministre
s'embarrasse de détails. Son objectif majeur, c'est désormais de remporter
l'élection présidentielle, et l'inversion de calendrier électoral doit l'y
aider. Il lui est, cependant, évidemment impossible de le reconnaître
explicitement. Il est encore trop tôt pour se déclarer officiellement candidat.
C'est là le dilemme actuel du Premier ministre : faire en sorte de révéler
toutes ses intentions, mais sans les préciser.
Toutefois, les Français ne sont pas dupes. Ils ont bien compris que
l'intéressé était déjà en train de brûler les étapes.
Il s'agit donc, pour le candidat Jospin, de mener sa campagne dans les
meilleures conditions, ce qui implique notamment pour lui d'élaborer sa
stratégie de façon à la rendre indépendante du résultat des élections
législatives, quitte à décréter l'urgence pour l'examen de la présente
proposition de loi organique. Il est vrai que nous sommes habitués à cette
procédure !
Rien n'indique cependant que la majorité actuelle, la « majorité plurielle »,
gagnera les prochaines élections législatives. N'oublions pas qu'en 1997, cela
a été rappelé cet après-midi encore par notre collègue M. Althapé, ce sont les
candidats du Front national qui, dans bon nombre de circonscriptions, ont
permis aux candidats de la gauche de l'emporter. L'implosion de l'extrême
droite depuis lors laisse supposer qu'une telle situation a peu de chances de
se reproduire en 2002. Dans l'hypothèse d'une telle défaite de la majorité aux
élections législatives, il serait malaisé pour le Premier ministre d'envisager
sérieusement de se présenter à l'élection présidentielle prévue quelques
semaines plus tard.
Pour parer à ce risque, il faut empêcher la tenue des élections législatives
avant l'élection présidentielle, et le moyen le plus simple d'y parvenir est,
je le dis sans ironie, de faire entériner par le Parlement la modification du
calendrier électoral. Nous avons vu la manoeuvre se dérouler sous nos yeux dès
le mois de décembre, et c'est la même manoeuvre qui nous amène aujourd'hui à
débattre de ce texte.
La présente proposition de loi n'est motivée par aucune autre raison que celle
de la circonstance et de la convenance.
Par ailleurs, cette proposition n'est pas pertinente parce qu'elle ne
s'applique qu'à une situation ponctuelle, sans garantie pour l'avenir et sans
tenir compte des interrogations beaucoup plus vastes qu'elle suscite, et qu'il
conviendrait d'examiner dans le cadre d'un grand débat de fond.
Elle n'est pas pertinente parce qu'elle délaisse l'intérêt général au profit
de l'intérêt particulier du Premier ministre. Cela n'est pas acceptable. C'est
pourquoi, pour ma part, je suis opposé à cette inversion du calendrier
électoral de l'année 2002 et voterai donc contre ce texte.
Je souhaiterais, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, expliciter ma conviction à la lumière de deux idées
principales.
D'abord, si notre Constitution reconnaît effectivement la primauté de la
fonction présidentielle, elle ne prévoit nullement que l'élection du Président
de la République doit impérativement avoir lieu avant celle des députés. C'est
pourtant ce qu'on essaie de nous faire croire ! C'est en ce sens que le débat
est faussé, et c'est ainsi que se dévoile la manoeuvre politicienne.
Ensuite, la proposition de loi qui nous est soumise implique une réforme
d'envergure, celle de notre Etat lui-même. Cette proposition ne saurait donc
être examinée dans la précipitation et de manière superficielle.
J'aborderai, en premier lieu, le problème institutionnel.
D'aucuns, arguant du respect de la primauté de la fonction présidentielle,
estiment que l'inversion du calendrier électoral de 2002 et indispensable eu
égard à l'esprit des institutions.
Autrement dit, la question est la suivante : est-il nécessaire, dans les
institutions de la Ve République, que l'élection du Président de la République
ait lieu avant les élections législatives ? Il convient, pour y répondre, de se
reporter au texte de la Constitution.
Effectivement, notre Constitution affirme la primauté de la fonction
présidentielle. Plus précisément, c'est son titre II, composé des articles 5 à
19, qui précise les attributions du Président de la République. Parcourons
brièvement ces dispositions.
L'article 5 fait tout d'abord du Président de la République le garant du
respect de la Constitution et de l'indépendance nationale.
A l'article 10, il est précisé que, lorsqu'un vote du Parlement lui paraît
contraire aux intérêts nationaux, il peut demander une nouvelle
délibération.
L'article 11 lui confère le pouvoir de donner la parole directement au peuple
en soumettant à celui-ci tout projet de loi au moyen du référendum.
En vertu de l'article 13, c'est le Président de la République qui nomme aux
emplois civils et militaires de l'Etat.
L'article 15 dispose que le Chef de l'Etat est également le chef des
armées.
Ce sont ces dernières dispositions qui, au fil de la pratique des institutions
par les différents présidents qui se sont succédé depuis 1958, ont permis la
mise en place de ce que l'on a appelé les « domaines réservés », en ce qui
concerne la défense et les affaires étrangères.
Enfin, l'article 16 confère au Président de la République des pouvoirs
exceptionnels en cas de crise et l'article 17 lui permet d'exercer le droit de
grâce.
Si l'on s'en tient donc à un strict examen de la Constitution, en dehors de
toute interprétation, force est de constater qu'est réellement affirmée la
primauté de la fonction présidentielle.
Cette primauté a d'ailleurs été renforcée par le référendum de 1962, qui a
instauré l'élection du Président de la République au suffrage universel
direct.
Ainsi, depuis 1958, le Président de la République dispose de prérogatives
réelles et sa fonction est radicalement différente de ce qu'elle pouvait être
sous les IIIe et IVe Républiques, par exemple. Il est bon de le rappeler, car
nier la primauté de la fonction présidentielle n'aurait pas véritablement de
sens.
Cela implique-t-il que le Président de la République doive nécessairement être
élu avant les députés ? En d'autres termes, la primauté de la fonction
présidentielle justifie-t-elle réellement que soit inversé le calendrier
électoral de l'année 2002 ?
Avant de poursuivre, je dois formuler une remarque liminaire : le fait que la
primauté présidentielle soit consacrée par la Constitution ne signifie
nullement que notre loi fondamentale soit d'inspiration exclusivement
présidentialiste.
En fait, la Constitution porte en elle une double inspiration : d'une part,
certes, une inspiration présidentialiste, issue du discours de Bayeux de 1946,
mais aussi, d'autre part, une inspiration plus parlementariste, concrétisée par
le « parlementarisme rationalisé » cher à Michel Debré, que j'ai bien connu
dans ma région, cette Touraine à laquelle il était tant attaché.
La pratique constitutionnelle a montré que l'inspiration parlementariste
pouvait trouver toute sa place dans notre vie politique en période de
cohabitation. C'est ce quipermet de reconnaître à la fois la souplesse et la
grande stabilité des institutions de la Ve République, notamment par rapport
aux régimes précédents.
Nos institutions actuelles ont duré précisément parce qu'elles ont su
concilier les diverses inspirations que la France a connues depuis deux
siècles, mais aussi parce qu'elles ont permis d'éviter que ne s'instaure une
situation de crise politique comme ce fut régulièrement le cas au cours des
IIIe et IVe Républiques.
Cette remarque avait pour objet de montrer que la primauté de la fonction
présidentielle n'était qu'une des caractéristiques de la Constitution de 1958.
Il convient maintenant de poursuivre la réflexion en se demandant si cette
primauté présidentielle implique que l'élection du Président de la République
ait impérativement lieu avant celle des députés.
On en saurait nier que l'ordre des élections n'a absolument rien à voir avec
la prééminence du Président de la République. Cette prééminence, nous venons de
le voir, est garantie par la Constitution et par l'élection présidentielle au
suffrage universel direct. Le fait que la Constitution, en revanche, ne prévoie
aucune disposition sur l'ordre des élections prouve bien que la prééminence
présidentielle et le calendrier électoral sont deux éléments totalement
indépendants, et qu'il n'y a donc pas lieu de les subordonner de manière
artificielle.
Les constituants de 1958 n'ont pas jugé nécessaire de protéger le Président de
la République en imposant l'antériorité de son élection par rapport aux
élections législatives. Le problème ne s'est jamais posé. Les prérogatives du
Président sont inscrites dans le texte constitutionnel et cela ne souffre
aucune discussion.
Il n'y a pas à se servir de la Constitution pour essayer de trouver un motif
valable à une manipulation qui ne trompe personne.
Il convient maintenant d'aller encore plus loin en se demandant si la
proposition de loi pourrait avoir au moins un effet réel. En particulier, il
faut se poser la question de savoir si ce texte vise bien à inverser les
élections, c'est-à-dire s'il permet de garantir, pour l'avenir, que l'élection
présidentielle aura bien lieu avant les élections législatives.
Rien n'est moins certain, et cela pour deux raisons.
Les dispositions de la présente proposition de loi vaudraient pour 2002.
Certes, mais elles ne suppriment pas l'article 12 de la Constitution, qui
prévoit le droit de dissolution. Le maintien de ce droit autorise, à tout
moment, le futur chef de l'Etat à dissoudre l'Assemblée nationale.
Or, en cas de dissolution, les élections législatives doivent intervenir dans
un délai de vingt à quarante jours, ce qui nous ramène au point de départ
puisque l'ordre du calendrier électoral sera, alors, à nouveau modifié.
Le deuxième événement qui pourrait de nouveau compromettre l'ordre des
élections, c'est le décès du Président de la République. S'il n'est nullement
souhaitable, il n'est pas non plus impossible. Il convient de remarquer que le
Président de la République peut aussi, tout simplement, souhaiter démissionner
: on se retrouve alors dans une situation similaire.
Une solution consisterait à élire, en même temps que le Président de la
République, un vice-président, comme c'est déjà le cas dans d'autre pays, mais
il faudrait, dans le même temps, retirer au chef de l'Etat le droit de
dissolution, pour que l'idée d'inverser le calendrier de 2002 trouve -
peut-être - un peu de cohérence et de sens.
Seulement, envisager la suppression du droit de dissolution et l'élection d'un
vice-président, c'est déjà se situer dans la perspective plus large d'une
réforme de nos institutions. Mais, de cela, il n'est point question
aujourd'hui, et c'est une preuve supplémentaire du fait qu'il s'agit d'une
proposition de loi de circonstance et de convenance personnelle, d'une
manoeuvre politicienne qu'aucun argument ne peut valablement motiver.
Si l'on délaisse un moment les réflexions théoriques pour considérer les
faits, on remarque que même ceux-ci ne plaident pas en faveur de l'inversion du
calendrier.
En effet, si l'on considère l'histoire politique de notre pays depuis 1958, on
constate d'abord que, en 1958 justement, les élections législatives avaient
précédé de deux mois l'élection du Président de la République sans que
quiconque n'y trouve à redire.
Que l'on se souvienne également des élections présidentielles de 1969 et de
1974 : elles avaient l'une et l'autre été précédées d'élections législatives
qui avaient eu lieu respectivement en juin 1968 et mars 1973. Dans les deux
cas, il ne semble pas possible de dire que la primauté de la fonction
présidentielle a été remise en cause.
Supposons malgré tout, l'espace d'un instant, que l'inversion du calendrier
soit justifiée par la nécessité d'assurer la primauté de la fonction
présidentielle. Même si l'on se range à cet argument, compte tenu du calendrier
électoral et de la proximité des dates, la campagne pour l'élection
présidentielle aura de toute façon largement commencé avant les élections
législatives.
Que l'on se place d'un point de vue théorique ou d'un point de vue pratique,
force est de constater qu'il n'est décidément pas possible de trouver un motif
sérieux à ce texte qui nous est si brutalement soumis.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
j'en viens maintenant à la seconde idée principale qui justifie mon opposition
à l'inversion du calendrier électoral. Je veux parler de la réforme beaucoup
plus large qu'implique la proposition de loi organique, réforme qui est
pourtant totalement occultée de ce débat. Cette réforme, ce n'est pas tant
celle de nos institutions politiques que celle de notre Etat dans son
ensemble.
On peut longuement réfléchir à la réforme de nos institutions politiques et
envisager ce que pourrait être la Constitution d'une VIe République. Cependant,
cela revient dans tous les cas à considérer trois hypothèses.
Première hypothèse, on veut un retour au régime d'assemblée, mais personne ne
semble le vouloir.
Deuxième hypothèse, on envisage un régime parlementaire sur le modèle, par
exemple, du Royaume-Uni, mais ce n'est pas non plus souhaitable : nos
présidents de la République quels qu'ils soient sont élus au suffrage
universel, et cet acquis ne semble pas devoir être remis en cause. Le suffrage
universel confère au Président de la République une légitimité propre, qui
interdit qu'on lui confie un rôle purement représentatif : il doit disposer de
prérogatives personnelles.
Reste donc la troisième hypothèse, qui est celle du régime présidentiel. Ce
régime se caractérise par une séparation stricte des trois pouvoirs, exécutif,
législatif et judiciaire. Comme son nom l'indique, il est organisé autour de la
prééminence du Président de la République.
Pour instaurer un tel régime dans notre pays, il faudrait que les membres du
Gouvernement dépendent directement du Président de la République, ce qui
implique la suppression de la fonction de Premier ministre.
Pour assurer l'indépendance des trois pouvoirs, il faudrait en outre que le
Président de la République soit privé du droit de dissoudre l'Assemblée
nationale et que celle-ci ne puisse plus - c'est le corollaire - renverser le
Gouvernement par le vote d'une motion de censure.
Cependant, le régime présidentiel ne semble pas pouvoir être appliqué
directement à la France, du fait du caractère non fédéral de notre pays ainsi
que de sa culture propre. Transposer en France un régime présidentiel à
l'américaine comporterait ainsi un risque de blocage des institutions, auquel
la souplesse de la Ve République ne nous a absolument pas préparés.
Il faut donc soit rechercher des aménagements au régime présidentiel, soit
envisager une autre solution, laquelle ne saurait être imaginée en quelques
heures !
En fait, la vraie réforme institutionnelle dont notre pays a besoin, est non
pas seulement une réforme de nos seules institutions politiques, mais une
réforme profonde de l'Etat dans son ensemble.
Cette réforme implique notamment une relance réelle, audacieuse et efficace de
la décentralisation et des libertés locales.
Depuis bientôt vingt ans, la décentralisation dans notre pays est un acquis.
Elle ne saurait être remise en cause. Cela signifie que la libre administration
et l'autonomie - notamment fiscale - des collectivités locales ne doivent pas
être un concept théorique, mais une réalité. Cela signifie aussi que l'Etat ne
doit pas sans cesse, et de manière dissimulée, essayer de réinstaurer sa
tutelle sur les collectivités locales.
Ici, au Sénat, nous assumons pleinement notre rôle de représentants des
collectivités territoriales. Nous collaborons avec elles de manière active, je
le rappelais il y a un instant en évoquant la mission fondamentale qui est la
nôtre auprès des élus que nous sommes. Comme nous l'avons toujours fait, et
comme nous continuerons de le faire, nous nous employons à préserver et à
défendre les droits et les intérêts des collectivités locales. Cela signifie
que nous nous opposerons de manière vigoureuse à toutes les velléités
recentralisatrices que l'Etat serait tenté de mettre en pratique.
La réforme de notre Etat implique ensuite de mettre en place une véritable
démocratie de délibération, de participation et de concertation, dans laquelle
toutes les composantes de notre société doivent pouvoir trouver leur place. Là
encore, cela ne se fera pas en quelques heures. Il faut d'abord en avoir la
volonté, ensuite s'en donner les moyens.
C'est en recherchant cette réforme profonde de l'Etat et en construisant une
démocratie renouvelée que nous nous préoccuperons vraiment de l'avenir de la
France.
C'est en nous préoccupant de l'avenir de la France et de notre société que
nous assumerons pleinement nos responsabilités publiques au service de tous.
Mais, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, pour revenir au texte que nous débattons, je veux réaffirmer une
fois encore mon opposition à l'inversion du calendrier électoral, proposition
qui n'est pas tout à fait fortuite, contrairement à ce que laissait entendre le
Premier ministre.
Le hasard - et je reprends là, monsieur le rapporteur, certains de vos propos
- a incontestablement été le principal sujet du débat à l'Assemblée nationale
sur la présente proposition de loi organique. De nombreux orateurs ont ainsi
observé que l'ordre actuel des élections était le fruit d'un hasard auquel il
convenait de ne pas se soumettre.
Dans sa réponse aux questions orales avec débat sur l'avenir des institutions
qui ont précédé l'examen des propositions de loi, M. le Premier ministre s'est
ainsi exprimé : « Ce calendrier, on le sait, est tout à fait fortuit. Il est
l'effet conjugué de l'aléa d'une vie - la mort du Président Georges Pompidou en
1974 - et d'une décision politique inattendue, la dissolution de l'Assemblée
nationale en 1997, un an avant le terme de son mandat. »
De manière plus précise encore, M. Bernard Roman, président et rapporteur de
la commission des lois de l'Assemblée nationale, a entamé ainsi la présentation
de son rapport : « Deux événements fortuits - la mort du Président Georges
Pompidou en avril 1974 et la dissolution de l'Assemblée nationale en 1997 par
l'actuel Président de la République - sont à l'origine du calendrier inédit de
2002. Ainsi, par le seul fait du hasard, non seulement les élections
législatives et présidentielles se dérouleront la même année mais, de surcroît,
le scrutin désignant les députés précédera l'élection présidentielle. »
Les auteurs des propositions de loi organique déposées à l'Assemblée nationale
ont repris en séance cette argumentation pour plaider en faveur de la
modification de l'ordre des consultations.
Un tel raisonnement - je tiens à le rappeler à mon tour, monsieur le
rapporteur - ne laisse pas d'étonner à plusieurs égards.
Il faut rappeler en effet qu'en 1958, après l'approbation par le peuple de la
Constitution de la Ve République, le Président de la République a été élu en
décembre après des élections législatives organisées en novembre. Assurément,
la situation n'était pas entièrement comparable dans la mesure où le Président
était alors élu par un collège de grands électeurs. Il serait cependant
audacieux d'affirmer que l'élection des députés avant celles du Président a
amoindri la capacité de ce dernier à diriger le pays.
Par ailleurs, en 1969, l'élection présidentielle est intervenue moins d'un an
après les élections législatives de 1968 ; en 1974, l'élection présidentielle
est intervenue quatorze mois après les élections législatives. Je reconnais que
ces calendriers n'étaient pas prévisibles et que les délais étaient plus
étendus que le délai actuellement prévu pour 2002, mais il conviendrait à tout
le moins de définir pour l'avenir quel délai entre des élections législatives
et une élection présidentielle pourra être considéré comme conforme à l'esprit
de nos institutions.
D'une manière générale, le Gouvernement comme les auteurs des propositions de
loi organique semblent considérer qu'en l'absence de hasard jamais une telle
situation n'aurait dû se produire sous la Ve République. Je n'hésite pas ici à
reprendre le constat de M. le rapporteur. Si tous les présidents de la
République avaient achevé leur mandat et si aucun n'avait dissout l'Assemblée
nationale, une élection présidentielle aurait été organisée en décembre 1958,
en décembre 1965, en décembre 1972, en décembre 1979, en décembre 1986 et en
décembre 1993 ; des élections législatives auraient été organisées en mars
1963, en mars 1968, en mars 1973, en mars 1978, en mars 1983, en mars 1988 et
en mars 1993.
Si le hasard - encore lui ! - n'avait pas fait son oeuvre, des élections
législatives et une élection présidentielle aurait été organisée la même année,
en 1993, les premières précédant la seconde... Un coup de dé jamais n'abolira
le hasard, comme l'a souligné notre rapporteur ! En tout état de cause, n'y
aurait-il pas quelque orgueil, de la part du législateur, fût-il organique, à
vouloir abolir le hasard ?
Le texte soumis à la délibération du Sénat n'est pas susceptible de permettre
d'atteindre les objectifs affichés par le Gouvernement et les auteurs de la
proposition de loi organique. En effet, pour faire en sorte que la situation
prévue en 2002 ne puisse plus se reproduire, il serait nécessaire que tous les
présidents de la République achèvent désormais leur mandat et que le droit de
dissolution ne soit plus utilisé.
Je regrette, enfin, que, devant l'Assemblée nationale, M. le Premier ministre
ait déclaré : « Nombreux sont ceux qui pensent qu'une telle séquence sans
précédent fait peu de cas de la logique de nos institutions et qu'elle est
contraire au bon sens, qu'elle constitue une anomalie. » Tiens, tiens, mes
chers collègues, on y revient ! La logique des institutions veut-elle que le
Président de la République soit élu avant les députés ? Implique-t-elle qu'il
n'y ait pas discordance entre la majorité issue de l'élection présidentielle et
la majorité issue des élections législatives ?
Consiste-t-elle à faire en sorte que le Président de la République puisse
exercer une influence déterminante sur le déroulement des élections
législatives ?
Avant de terminer, je voudrais faire état de propos qu'a tenus M. Didier Maus,
professeur associé à l'université de Paris-I...
M. Michel Pelchat.
Très, très compétent !
M. Jean Chérioux.
Un grand constitutionnaliste !
M. James Bordas.
... et codirecteur de la
Revue française de droit constitutionnel.
Signalant qu'il était indispensable de réexaminer l'ensemble du calendrier
électoral, il a rappelé qu'au début de la Ve République le premier trimestre
était réservé aux campagnes électorales, cette situation ayant été notablement
modifiée par la session unique. Il a fait part de son souhait de voir adopter,
pour 2002, des dispositions dérogatoires et a jugé indispensable que soit
ensuite reposée la question de l'ensemble des opérations électorales de manière
générale.
M. Didier Maus s'est déclaré favorable à une autre modification du calendrier
et a proposé que les élections législatives soient organisées les 16 et 23
juin, comme en 1988. Néanmoins, il a mis en lumière que l'assemblée
nouvellement élue aurait à surmonter une difficulté dans la mesure où elle ne
pourrait se réunir qu'à l'extrême fin de la session ordinaire et qu'il serait
donc nécessaire de convoquer une session extraordinaire pour constituer ses
organes.
Il a proposé plusieurs pistes de réflexion sur la modification du calendrier.
Il a signalé l'opportunité de reporter l'organisation des élections
législatives à la fin du mois de septembre, afin de permettre au Président de
la République nouvellement élu de préparer les élections législatives comme en
cas de dissolution. Il a également évoqué la possibilité de modifier en
profondeur le code électoral et de faire en sorte que les élections
législatives se déroulent les 9 et 16 juin, ce choix s'accompagnant d'une
réduction de la durée de la campagne électorale de trois semaines à quinze
jours. Il a estimé que cette solution permettrait de faire débuter la campagne
après l'installation du Président de la République.
En conclusion, il a estimé que la modification du calendrier électoral était
souhaitable, constitutionnellement possible, politiquement logique, mais
techniquement difficile. Il a insisté sur la nécessité d'attendre que le
Président occupe ses fonctions pour entamer les opérations d'organisation des
élections législatives. Répondant à l'un de nos collègues, M. Maus a dit que la
difficulté majeure résidait dans le parrainage des candidats à l'élection
présidentielle par les députés. Il a indiqué que, même si on avançait les
élections législatives au mois de février, ce problème ne serait pas réglé, le
mandat des députés actuels devant expirer le 2 avril.
Voilà peu de temps, notre collègue M. Lucien Lanier a fait remarquer à M.
Didier Maus que le calendrier ne pouvait être figé par un texte et que les
événements pouvaient le modifier. Il a estimé que la cohabitation pouvait
finalement triompher de cette inversion du calendrier, la majorité
présidentielle ne correspondant pas forcément à la majorité parlementaire. Il
lui a demandé s'il pensait que placer l'élection présidentielle avant les
élections législatives pouvait suffire à forcer la main du peuple pour éviter
la cohabitation.
M. Didier Maus a répondu qu'il n'avait aucune idée de la traduction politique
d'un maintien ou d'un changement du calendrier. Estimant que le peuple était
souverain, il a rappelé des propos tenus par Lamartine en 1848 : « Si le peuple
se trompe, tant pis pour le peuple. » Il a ajouté qu'il était nécessaire de
songer à la remise en ordre globale du calendrier. Il a fait remarquer que,
depuis 1958, le calendrier électoral s'était enrichi de trois nouvelles
consultations : l'élection présidentielle, les élections européennes et les
élections régionales.
Mes chers collègues, vous comprendrez qu'après cette intervention je réaffirme
avec force que je ne prendrai pas part à une manoeuvre de circonstance, à une
manoeuvre de convenance personnelle qui laisse de côté ces enjeux essentiels
que sont l'intérêt général et l'avenir de notre démocratie.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
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