SEANCE DU 30 JANVIER 2001
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Décès d'un sénateur et d'un ancien sénateur
(p.
1
).
3.
Vacance d'un siège de sénateur
(p.
2
).
4.
Questions orales
(p.
3
).
M. le président.
AIDES À L'ACQUISITION DE VÉHICULES PROPRES (p. 4 )
Question de Mme Danièle Pourtaud. - Mmes Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle ; Danièle Pourtaud.
REMBOURSEMENT DES FRAIS
DE PHOTOTHÉRAPIE DYNAMIQUE (p.
5
)
Question de Mme Hélène Luc. - Mmes Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle ; Hélène Luc.
REPOS DE SÉCURITÉ DES MÉDECINS (p. 6 )
Question de M. Dominique Leclerc. - Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle ; M. Dominique Leclerc.
PRISE EN CHARGE DES DIALYSÉS (p. 7 )
Question de M. René Marquès. - Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle ; M. René Marquès.
CAMPAGNE DE DÉPISTAGE GRATUIT
DU CANCER DU SEIN (p.
8
)
Question de M. Philippe Nogrix. - Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle ; M. Philippe Nogrix.
DIFFICULTÉS DE L'HOSPITALISATION PRIVÉE (p. 9 )
Question de M. Xavier Darcos. - Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle ; M. Xavier Darcos.
AIDE DE L'ÉTAT AUX ENTREPRISES D'INSERTION (p. 10 )
Question de M. Thierry Foucaud. - Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle ; M. Thierry Foucaud.
POLITIQUE FAMILIALE (p. 11 )
Question de M. Bernard Murat. - Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle ; M. Bernard Murat.
NORMES D'HYGIÈNE ALIMENTAIRE (p. 12 )
Question de M. Christian Demuynck. - MM. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur ; Christian Demuynck.
« POOL DES RISQUES AGGRAVÉS » EN CORSE (p. 13 )
Question de M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra. - MM. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur ; Louis-Ferdinand de Rocca Serra.
FERMETURE DU CENTRE DE RECHERCHE D'ATOFINA
À LEVALLOIS (p.
14
)
Question de M. Roland Muzeau. - MM. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur ; Roland Muzeau.
CONSÉQUENCE DE L'IMPLANTATION
D'UN CENTRE DE FORMATION
DE PILOTES SUR LA BASE D'ORANGE-CARITAT (p.
15
)
Question de M. Claude Haut. - Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication ; M. Claude Haut.
CRITÈRES D'ÉLIGIBILITÉ AUX SUBVENTIONS
POUR LA CRÉATION DE BIBLIOTHÈQUES (p.
16
)
Question de M. Patrick Lassourd. - Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication ; M. Patrick Lassourd.
SITUATION DU LYCÉE HORTICOLE
DE RAISMES-VALENCIENNES (p.
17
)
Question de M. Pierre Lefebvre. - MM. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel ; Pierre Lefebvre.
SITUATION DES PERSONNELS
DES LYCÉES ET COLLÈGES DU PAS-DE-CALAIS (p.
18
)
Question de M. Léon Fatous. - MM. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel ; Léon Fatous.
AUGMENTATION DES EFFECTIFS DE POLICE
POUR LA VILLE DE MÂCON (p.
19
)
Question de M. Jean-Patrick Courtois. - MM. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel ; Jean-Patrick Courtois.
Suspension et reprise de la séance (p. 20 )
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
5.
Message de solidarité au peuple indien
(p.
21
).
6.
Rappels au règlement
(p.
22
).
MM. Yves Fréville, le président.
MM. Denis Badré, Daniel Vaillant, ministre de l'intérieur.
MM. Philippe Marini, le président.
7.
Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
- Suite de la discussion d'une proposition de loi organique déclarée
d'urgence (p.
23
).
Discussion générale
(suite)
: MM. Nicolas About, Dominique Leclerc,
Jacques-Richard Delong, Hilaire Flandre, Bernard Plasait.
8.
Rappel au règlement
(p.
24
).
MM. Patrice Gélard, le président.
Suspension et reprise de la séance (p. 25 )
9.
Date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
- Suite de la discussion d'une proposition de loi organique déclarée
d'urgence (p.
26
).
Discussion générale
(suite)
: MM. le président, Louis Althapé.
Renvoi de la suite de la discussion.
10.
Transmission d'un projet de loi
(p.
27
).
11.
Dépôt d'une proposition de loi organique
(p.
28
).
12.
Dépôt d'une proposition de loi
(p.
29
).
13.
Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
(p.
30
).
14.
Dépôt d'un rapport
(p.
31
).
15.
Dépôt de rapports d'information
(p.
32
).
16.
Ordre du jour
(p.
33
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à dix heures cinq.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
DÉCÈS D'UN SÉNATEUR
ET D'UN ANCIEN SÉNATEUR
M. le président.
J'ai le profond regret de vous faire part du décès de notre collègue René
Ballayer, sénateur de la Mayenne, survenu le 26 janvier.
M. Ballayer nous manquera : il occupait une place importante au Sénat, et nous
avions pour lui beaucoup d'estime, d'amitié et de considération.
M. le président du Sénat prononcera prochainement son éloge funèbre.
J'ai également le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue
Roland Ruet, qui fut sénateur de l'Ain de 1971 à 1989.
3
VACANCE D'UN SIÈGE DE SÉNATEUR
M. le président. Conformément aux articles L.O. 325 et L.O. 179 du code électoral, M. le ministre de l'intérieur a fait connaître à M. le président du Sénat que, en application de l'article L.O. 322 du code électoral, à la suite du décès de René Ballayer, un siège de sénateur de la Mayenne est devenu vacant et sera pourvu par une élection qui aura lieu lors du prochain renouvellement partiel du Sénat.
4
QUESTIONS ORALES
M. le président.
L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
J'informe le Sénat que la question orale n° 885 de M. Philippe Richert est
retirée, à la demande de son auteur, de l'ordre du jour de la séance du mardi
30 janvier 2001.
AIDES À L'ACQUISITION DE VÉHICULES PROPRES
M. le président.
La parole est à Mme Pourtaud, auteur de la question n° 981, adressée à Mme le
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Cette dernière est représentée par Mme Péry, qui, comme cela ne m'a pas
échappé, revient de Marseille !
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Un tour de France sur la parité, monsieur le président !
Mme Danièle Pourtaud.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'aspiration de nos concitoyens à une meilleure qualité de vie est une
préoccupation centrale de la gauche plurielle.
La pollution atmosphérique crée de graves lésions respiratoires, notamment
chez les jeunes enfants. Les conséquences néfastes de l'effet de serre sur les
dérèglements climatiques ne sont par ailleurs plus à démontrer.
Je pense néanmoins que quelques données chiffrées permettront de bien prendre
conscience de l'enjeu.
A Paris, 15 % des enfants sont victimes d'asthme ; le décès de près de 1 000
Parisiens atteints de lésions cardio-vasculaires ou respiratoires est
directement lié à la pollution atmosphérique chaque année. Les pics de
pollution entraînent un accroissement de 25 % en moyenne des hospitalisations
d'enfants victimes de crises d'asthme.
A l'échelle planétaire, les conséquences n'en sont pas moins dramatiques. Les
scientifiques les plus optimistes prévoient une augmentation moyenne de la
température de 1,4 °C au cours de ce siècle, les plus pessimistes l'évaluant à
5 °C. Selon eux, l'activité humaine, notamment les forts rejets de carbone dans
l'atmosphère, est à l'origine de ce phénomène. Augmentation des températures,
hausse du niveau des océans, multiplication des tempêtes, migration des zones
tropicales vers les zones tempérées au cours de ce siècle ne sont que
quelques-uns des symptômes des mutations que notre pollution engendrera sur
l'environnement.
Compte tenu de l'irresponsabilité dont font preuve aujourd'hui certains pays,
notamment les Etats-Unis, et de l'échec de la conférence de La Haye, en
novembre 2000, il appartient, me semble-t-il, à la France, de montrer
l'exemple.
A notre échelle, certains signaux forts doivent être lancés.
Ainsi, dans les grandes villes, et à Paris en particulier, la pollution
atmosphérique est essentiellement le produit de la circulation automobile.
La promotion des véhicules propres doit donc demeurer une priorité du
Gouvernement. Le groupe socialiste du Sénat qui, depuis quatre ans, proposait
dans la loi de finances qu'un crédit d'impôt soit accordé aux acheteurs de
véhicules propres se félicite que le Gouvernement ait accepté de rendre cette
mesure opérationnelle au 1er janvier 2001 à hauteur de 10 000 francs par
véhicule. Cette mesure permettra de compenser le surcoût de ces véhicules.
Concernant les propriétaires de taxis, Mme la secrétaire d'Etat au budget a
indiqué, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2001, qu'une aide
de 20 000 francs leur était d'ores et déjà accordée pour s'équiper en véhicules
propres. Je souhaiterais, madame la secrétaire d'Etat, que vous nous exposiez
les modalités d'attribution de cette aide. Outre l'effet direct d'une telle
mesure sur la pollution, ces professionnels de la route constituent un
véritable relais d'opinion susceptible de concourir au développement de
l'utilisation des carburants alternatifs par les particuliers.
Par ailleurs, un grand nombre de véhicules appartiennent, notamment à Paris,
aux administrations, à la Ville de Paris ou à d'autres personnes publiques
comme la RATP.
Or, le paragraphe III de l'article 24 de la loi sur l'air et l'utilisation
rationnelle de l'énergie introduit dans le code de la route une obligation pour
l'Etat et pour certaines personnes publiques, lorsqu'ils gèrent une flotte de
plus de vingt véhicules, d'acquérir, lors du renouvellement de leur flotte et
dans une proportion de 20 %, des véhicules fonctionnant à l'électricité, au gaz
de pétrole liquéfié, GPL, ou au gaz naturel véhicule, GNV. Le décret
d'application est entré en vigueur au début de l'année 1999. En ce début 2001,
pouvez-vous nous dire, madame la secrétaire d'Etat, où nous en sommes de la
mise en application de cette mesure ?
Je vous remercie de bien vouloir nous apporter ces précisions.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout
d'abord d'excuser l'absence de Mmes Dominique Voynet, Dominique Gillot,
Elisabeth Guigou et Ségolène Royal, retenues ensemble par une réunion de
travail très importante et qui m'ont chargée de vous apporter des réponses à un
certain nombre de questions.
Madame la sénatrice, le Gouvernement partage votre inquiétude sur la pollution
d'origine automobile.
Des mesures importantes ont été prises pour réduire les émissions de véhicules
traditionnels. Les nouvelles normes en vigueur depuis le 1er janvier 2000 sur
les véhicules et les carburants ont ainsi permis de réduire d'un tiers les
émissions polluantes des véhicules neufs.
Au-delà de ces mesures sur les véhicules traditionnels, deux types d'actions
sont nécessaires : tout d'abord, éviter le recours au « tout automobile »,
ensuite, développer des véhicules alternatifs polluant moins que les véhicules
traditionnels.
Le Gouvernement a pris, depuis trois ans, des mesures importantes, notamment
fiscales, pour favoriser les véhicules alternatifs, mesures qu'il convient de
consolider.
La stratégie concernant la filière GPL consiste à conforter le développement
des véhicules légers équipés d'origine, à renforcer les garanties demandées aux
autres véhicules et à stabiliser sur plusieurs années les incitations
existantes, notamment afin d'encourager les constructeurs à investir dans cette
filière.
Mme Dominique Voynet a annoncé, le 21 juin dernier, des mesures
complémentaires, notamment la mise en oeuvre d'une prime de 20 000 francs pour
l'achat de taxis roulant au GPL. Un travail de concertation s'est engagé avec
les représentants des syndicats des taxis sur les modalités de ce dispositif.
Une charte pour le développement du GPL dans les flottes de taxis sera signée
le 5 février prochain et devrait être ratifée par les six organisations
professionnelles.
L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, en
assurera l'instruction, la gestion et le suivi, dans le cadre d'un comité de
suivi qui réunira, outre l'agence et le ministère, des représentants du comité
interministériel pour les véhicules propres et des représentants des
organisations professionnelles signataires de la charte.
L'aide, d'un montant de 20 000 francs pour les véhicules facturés entre le 4
octobre 2000 et le 31 décembre 2002, ou de 13 000 francs pour les véhicules
facturés entre le 1er janvier et le 31 décembre 2003, sera versée en deux fois
: la première moitié à l'entrée en vigueur de la décision d'octroi de l'aide,
la seconde, dix-huit mois après la date de première mise en circulation du
véhicule.
Cette mesure est essentielle pour les agglomérations, notamment Paris, où
circulent 15 000 taxis, dont les trois quarts sont aujourd'hui équipés de
moteurs diesels.
La loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie du 30 décembre 1996
prévoit un renouvellement des flottes publiques de plus de vingt véhicules par
des véhicules « propres » à hauteur de 20 %.
Après deux ans d'application, Dominique Voynet a demandé à l'ADEME d'évaluer
la mise en place de cette disposition et son impact. L'ADEME a ainsi confié à
un institut de sondage spécialisé la réalisation d'une enquête auprès des
organismes publics concernés. Ce travail est en cours, mais déjà des premiers
résultats qualitatifs sont disponibles.
Cette première phase de l'étude est en train d'être complétée par une phase
quantitative, au cours de laquelle plus de 400 gestionnaires de flottes
publiques vont être interrogés. Dès les résultats connus, le Gouvernement ne
manquera pas de vous en tenir informée, madame la sénatrice.
Mme Danièle Pourtaud.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud.
Je veux d'abord vous remercier, madame la secrétaire d'Etat, des précisions
que vous avez bien voulu me donner et saluer l'effort du Gouvernement dans sa
lutte contre la pollution automobile en milieu urbain au travers des
différentes mesures qu'il a prises tant pour limiter les émissions des
véhicules traditionnels que pour développer l'équipement en véhicules
alternatifs.
Il est essentiel que ces mesures soient pérennisées, afin, si je puis dire,
d'« amorcer la pompe » chez les constructeurs, car le principal obstacle, pour
l'instant, à l'achat des véhicules alternatifs par les particuliers, c'est leur
surcoût. Il est donc primordial que l'on puisse commencer à avoir une
production de masse.
Pour ce qui concerne les taxis, je crois savoir, sous réserve de
vérifications, que l'aide qui sera accordée par le Gouvernement, et dont vous
avez précisé les modalités de mise en oeuvre, ne concernera que les trois mille
premiers taxis qui en feront la demande, soit de 7 % à 8 % de l'ensemble des
taxis français.
Aussi me permettrai-je simplement de souhaiter que, lorsque l'on examinera les
dossiers, on retienne en priorité les demandes émanant des zones urbaines, en
particulier de l'agglomération parisienne, puisque c'est sans doute là que
cette mesure aura le plus d'effet.
S'agissant de l'enquête en cours, je serai, bien sûr, très intéressée par les
résultats non seulement qualitatifs mais aussi quantitatifs qui seront
obtenus.
On le sait, l'agglomération parisienne est sans doute la zone où se
concentrent le plus de véhicules des collectivités publiques et des
administrations. C'est bien le moins que ces dernières respectent l'obligation
faite par la loi sur l'air et qu'elles donnent ainsi l'exemple, de manière à
inciter nos concitoyens à acheter des véhicules propres.
REMBOURSEMENT DES FRAIS
DE PHOTOTHÉRAPIE DYNAMIQUE
M. le président.
La parole est à Mme Luc, auteur de la question n° 974, adressée à Mme le
secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.
Mme Hélène Luc.
Madame la secrétaire d'Etat, je regrette que Mme la secrétaire d'Etat à la
santé et aux handicapés ne puisse pas répondre elle-même à ma question, mais je
sais qu'elle a, ce matin, une réunion interministérielle très importante avec
M. le Premier ministre.
Depuis plus de quatre mois, un nouveau médicament très efficace contre
certaines formes de cécité a reçu une autorisation de mise en circulation sur
le marché français. Il s'agit de la Visudyne, commercialisée par Novartis. Or,
ce médicament, très important pour les personnes concernées, n'est toujours pas
remboursé par la sécurité sociale.
Je veux aujourd'hui attirer votre attention, madame la secrétaire d'Etat, sur
ce problème des personnes menacées de cécité et qui ne peuvent accéder au
traitement médical faute de moyens financiers.
Je signale, au passage, que ce problème a fait l'objet dernièrement d'une très
bonne émission sur France Inter, « Le téléphone sonne », au cours de laquelle
de nombreux malades se sont exprimés pour faire part de leurs exigences.
La Visudyne n'est pas un médicament de confort. C'est, au contraire, un
médicament de première nécessité pour les personnes souffrant de formes
particulières de dégénérescence maculaire liée à l'âge, ou DMLA.
Cette pathologie dégénérescente du centre de la rétine, ou macula, menace la
vision. Elle est très invalidante puisque, petit à petit, le patient ne peut
plus lire, reconnaître les visages ou regarder la télévision. Elle pèse donc
lourdement sur les actes de la vie quotidienne. Cette maladie peut aboutir à la
cécité.
Actuellement, en France, 1 300 000 personnes âgées de plus de soixante-cinq
ans sont touchées par cette pathologie, toutes formes confondues. Cinq à six
mille malades pourraient bénéficier du nouveau traitement chaque année.
L'efficacité de ce traitement, qui se fait par voie intraveineuse, qui agit
sur les vaisseaux anormaux par photothérapie, technique très récente, et qui
nécessite l'application d'un faisceau laser pour cicatriser, est d'ores et déjà
avérée.
Comme en témoigne le professeur Coscas - que j'ai d'ailleurs eu l'occasion de
rencontrer -, dans le journal de l'association Retina France,
Le Rétino
du mois de juin 2000 : « Les résultats de cette technique semblent actuellement
positifs, démontrés statistiquement avec des chiffres extrêmement
significatifs, même si, certes, il ne s'agit pas de guérir les patients, mais
d'essayer de stabiliser l'affection et peut-être, dans un certain nombre de
cas, d'obtenir une amélioration. »
Enfin, la Visudyne, ce nouveau médicament qui permet de stopper l'évolution de
la maladie, coûte très cher. Plus de vingt-huit personnes ont en effet
travaillé sur cette molécule pendant quinze ans. Les prix varient de 9 000
francs à plus de 12 000 francs pour une seule ampoule, et le traitement
nécessite deux ou trois ampoules pendant les dix-huit premiers mois. Le
non-remboursement constitue donc un obstacle infranchissable pour de nombreux
patients.
Il n'est pas normal que le traitement par la Visudyne soit réservé aux seules
personnes qui ont les moyens de l'acheter, d'autant que le comité économique et
social vient de rendre un avis favorable à son remboursement. Quant au comité
de la transparence, qui s'est réuni dernièrement, il semble mettre une
condition d'acuité visuelle - entre un et cinq dixièmes - à ce
remboursement.
Mais peut-on vraiment attendre que la dégénérescence visuelle soit déjà bien
avancée pour commencer le traitement ? Il me paraît, au contraire, très
important de commencer ce traitement le plus tôt possible, dès que les premiers
signes de dégénérescence se font sentir.
La bonne vue des femmes et des hommes de notre pays, quel que soit leur âge,
est en effet une condition de leur bien-être sur laquelle il n'est pas question
de marchander.
Le gouvernement de la gauche plurielle doit bannir une médecine à deux
vitesses. Nous militons pour une médecine équitable, accessible à tous, et nous
pensons que la rupture avec la logique comptable héritée du plan Juppé doit
être radicale.
C'est pourquoi je vous demande, madame la secrétaire d'Etat, quelles mesures
le Gouvernement compte prendre pour que le remboursement de ce médicament soit
immédiatement pris en compte, comme le demande depuis plusieurs mois
l'association Retina France, dont je salue l'activité.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Madame la sénatrice, de nombreuses pathologies graves entraînant une perte de
l'acuité visuelle et pouvant conduire à la cécité demeurent pour le moment
incurables. Ces pathologies regroupent un certain nombre d'affections, parmi
lesquelles il convient d'individualiser, d'une part, les rétinites
pigmentaires, d'autre part - vous l'avez vous-même rappelé - la dégénérescence
maculaire liée à l'âge, dite DMLA. Celle-ci est, dans notre pays, la première
cause de malvoyance : plus d'un million de personnes sont concernées par ce
trouble, qui concerne les populations âgées, et dont l'incidence, par
conséquent, augmente régulièrement.
Vous avez donc raison de souligner qu'il s'agit là d'un véritable enjeu de
santé publique.
Nous avons développé, depuis quelques années, un programme hospitalier de
recherche clinique pour inciter les équipes soignantes, notamment
hospitalo-universitaires, à s'investir dans des essais cliniques, en relation
et en partenariat avec les structures de l'Institut national de la santé et de
la recherche médicale, l'INSERM, et du Centre national de la recherche
scientifique, le CNRS, sous tutelle du ministère de la recherche. C'est dans ce
cadre que doivent se développer les outils nouveaux de génétique moléculaire,
ouvrant la voie à des modalités originales de thérapie cellulaire et génétique,
et se mettre en place les indispensables collections d'ADN.
Grâce à un travail en partenariat avec d'autres équipes internationales qui se
sont également investies dans cette recherche, des résultats encourageants ont
été obtenus, notamment dans le domaine de la thérapie photodynamique, qui se
présente comme une alternative thérapeutique au classique traitement par
photocoagulation au laser, qui ne peut s'appliquer que dans un nombre limité de
cas.
Nous sommes d'ores et déjà en mesure d'anticiper sur une nécessaire
intégration de ces thérapeutiques innovantes et nécessairement très coûteuses
dans les budgets des établissements spécialisés pour la prise en charge de ces
affections.
Il s'agit là d'un problème qui dépasse d'ailleurs le seul cas des maladies
dégénératives de la rétine, qui, de façon générale, concerne tous les grands
champs de la pathologie. C'est pourquoi nous avons décidé, depuis 1999, de
consacrer des enveloppes budgétaires aux innovations thérapeutiques validées
par la recherche clinique en les affectant aux équipes performantes dans les
domaines considérés. Ce dispositif va s'étendre, dès 2001, à de nombreux champs
disciplinaires, telle la DMLA.
Ainsi, des dotations financières « fléchées » sur la photothérapie dynamique
sont prévues pour les centres hospitaliers publics ayant compétence dans ce
domaine.
Parallèlement, nous étudions actuellement les conditions dans lesquelles les
structures de soins privées pourraient participer, dès l'année 2001, à la prise
charge des nombreux patients relevant de cette thérapeutique nouvelle.
Pour ce qui est de la Visudyne, je ne manquerai pas, madame la sénatrice, de
transmettre à Mme Gillot vos questions très précises, qui nécessitent sans
doute un complément de réponse.
Mme Hélène Luc.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Evidemment, madame la secrétaire d'Etat, je suis satisfaite que des crédits
supplémentaires soient attribués aux équipes de recherche, en particulier à
celle du professeur Coscas, puisque c'est à l'hôpital intercommunal de Créteil,
dans le Val-de-Marne, que ce médicament a été mis au point. Mais vos précisions
ne répondent pas directement à la question que j'avais posée : à quel moment et
dans quelle proportion ce médicament sera-t-il remboursé par la sécurité
sociale ?
Une seule injection de Visudyne coûte de 9 000 à 12 000 francs. Ce traitement
est donc réservé à des personnes qui ont les moyens de le payer.
Votre réponse, madame la secrétaire d'Etat, ne me satisfait pas et je vais
demander à rencontrer Mme Gillot afin de discuter plus à fond de ce problème.
On ne peut pas en rester là.
REPOS DE SÉCURITÉ DES MÉDECINS
M. le président.
La parole est à M. Leclerc, auteur de la question n° 979, adressée à Mme la
secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.
M. Dominique Leclerc.
Madame la secrétaire d'Etat, ce matin, j'attire votre attention sur le repos
de sécurité auquel tous les médecins hospitaliers, y compris les internes,
aspirent.
Récemment, vous avez accepté d'en inscrire le principe dans le statut des
médecins hospitaliers, mais pas dans celui des internes.
Une telle mesure implique une augmentation des effectifs ; or il me semble que
l'on ne s'engage pas dans cette voie.
De ce fait, le découragement qu'on observe depuis des années parmi les
internes, qui ont le sentiment d'être oubliés, s'accentue et les conséquences
en sont lourdes pour le bon fonctionnement des hôpitaux.
Je le rappelle, les internes sont des spécialistes en devenir : les études de
médecine durent six ans, l'internat quatre ans et le cliniquat quatre ans
également.
Les internes sont des personnes d'un certain âge qui assument des
responsabilités d'ordre humain et médical essentielles au bon fonctionnement de
l'hôpital.
Pour assurer la sécurité des patients, il faut des connaissances médicales,
mais aussi des effectifs. Or, comme j'ai personnellement pu le constater en me
rendant de façon anonyme dans un service de garde d'un centre hospitalier
universitaire un dimanche, les personnels sont débordés.
Madame la secrétaire d'Etat, depuis des mois, j'allais dire des années, la
presse fait part des cris d'alarme que lancent les médecins hospitaliers en
pleine détresse.
Il est grand temps de remédier à cette situation. La médecine à deux vitesses,
madame Luc, elle existe déjà. Lorsque vous ou moi arrivons dans un service,
nous bénéficions d'une prise en charge immédiate, mais ce n'est pas le cas pour
tout le monde !
Avec des gardes de nuit aux urgences qui enchaînent sur une journée de travail
ordinaire deux fois par semaine et des gardes deux week-ends par mois, comment
voulez-vous qu'il n'y ait pas de découragement chez les personnels et une
sécurité douteuse pour les patients ?
Surtout - j'attire votre attention sur ce point - comment ces professions
peuvent-elles être encore attractives pour des jeunes ? J'en témoigne,
aujourd'hui des jeunes de trente ans abandonnent ces filières qu'ils adorent
parce qu'il leur est impossible de mener de front une belle activité et une vie
personnelle : leur compagne, ou leur compagnon, n'accepte plus de telles
absences et de telles préoccupations.
Pour la chirurgie d'urgence et l'anesthésie notamment, les discours et les
bonnes intentions ne suffisent pas, et ces spécialités sont désertées. Les
jeunes ne peuvent plus humainement assumer et ont des doutes en matière de
sécurité.
Pour illustrer mon propos, je rapporterai que, la semaine dernière, dans un
grand CHU, il y a eu quinze décès dans un service. Assumer quinze décès,
rencontrer les familles quand on est âgé de moins de trente ans, croyez-moi,
cela demande des qualités dont, personnellement, je serais incapable de faire
preuve !
Madame la secrétaire d'Etat, vous êtes en charge de la santé, qui est notre
préoccupation majeure. La santé repose sur des jeunes et sur leurs compétences.
Il faut donc que nous mettions tous nos moyens pour que ces filières qui
s'adressent à des jeunes très enthousiastes, qui les choisissent par vocation,
puissent être pérennisées.
La situation est grave, et je vous le demande encore, madame la secrétaire
d'Etat : que comptez-vous faire en la matière ?
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Monsieur le sénateur, les modalités de la mise en place du repos de sécurité
dans les établissements de soins ont été négociées avec les organisations
représentatives de praticiens hospitaliers, en application du protocole
d'accord signé le 13 mars 2000. Le texte en préparation a fait l'objet de cinq
réunions de concertation avec les signataires de ce protocole et de nombreux
échanges avec eux.
Ce texte implique des modifications importantes dans l'organisation
hospitalière et des créations d'emplois médicaux, dans un contexte
démographique peu favorable. Ces modifications et la nécessité de pourvoir les
emplois créés conduisent nécessairement à laisser aux établissements un délai
de trois ans, délai raisonnable pour la mise en oeuvre du repos de sécurité.
Par ailleurs, l'arrêté modifiant celui de 1973 portant organisation des gardes
et astreintes médicales demeure un texte de transition au vu des confirmations
récemment apportées par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés
européennes concernant la définition des temps de travail des médecins.
Parallèlement à la négociation ouverte le 17 janvier dernier par Mme Elisabeth
Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, concernant la réduction du
temps de travail dans la fonction publique hospitalière, une négociation
spécifique sera prochainement ouverte avec les intersyndicales de praticiens
hospitaliers et les autres acteurs hospitaliers concernés. Cette négociation
définira les nouvelles organisations applicables au temps médical à l'hôpital
et permettra de procéder, après concertation, aux nécessaires évolutions des
textes statutaires spécifiques aux différentes catégories de praticiens
exerçant dans les établissements publics de santé.
Dans un premier temps donc, l'arrêté relatif au repos de sécurité fait
actuellement l'objet d'ultimes discussions interministérielles avant d'être
présenté au contreseing des ministres concernés.
M. Dominique Leclerc.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc.
Madame la secrétaire d'Etat, j'ai écouté avec attention votre réponse et
toutes les bonnes intentions qu'elle révèle.
Vous l'avez compris, mon propos n'est pas de faire du corporatisme, comme l'on
dit dans la presse, mais il s'agit de répondre aux cris d'alarme que lancent
les internes. Il y a une réalité derrière tout cela !
A terme, l'application de la loi sur les 35 heures pourra apporter des
améliorations. Mais elle sera difficile à mettre en oeuvre et elle exigera des
moyens énormes en personnels soignants. Je le sais d'autant mieux que je
connais bien le système hospitalier et que j'occupe des fonctions dans le
conseil d'administration d'un établissement.
Aujourd'hui, l'aspect administratif est en train de prendre le pas sur
l'aspect soins. Il faut bien évidemment une bonne administration, mais une
telle évolution marque un recul car c'est la préoccupation de santé qui doit
primer.
Tout à l'heure, je disais qu'il fallait restaurer toute l'attractivité de
cette filière. Dans cet ordre d'idée, je m'insurge contre la manière dont sont
logés les jeunes internes dans certaines ville du sud.
Aucun directeur d'hôpital n'accepterait de loger des membres de sa famille
dans des locaux qui n'ont pas été refaits depuis quarante ans ! Or, ils n'ont
pas de crédits pour réaliser les rénovations nécessaires, mais les internes
sont bien obligés, après une dure journée de travail, de s'en satisfaire !
Madame la secrétaire d'Etat, de grâce, prenez en compte ces faits, dégagez les
moyens nécessaires. Il faut redonner une attractivité à ces filières afin que
la santé des Français soit assurée dans les meilleures conditions possible.
Je vous prie d'excuser la passion dont j'ai fait preuve, mais c'est un sujet
qui me tient à coeur.
PRISE EN CHARGE DES DIALYSÉS
M. le président.
La parole est à M. Marquès, auteur de la question n° 986, adressée à Mme la
secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.
M. René Marquès.
Madame la secrétaire d'Etat, nous savons tous que la France a été un pays
pionnier en matière d'hémodialyse et d'épuration extra-rénale, à telle enseigne
que, à l'heure actuelle, un tiers des patients - dont, nous le savons tous, la
vie est menacée - sont traités hors hospitalisation, souvent à domicile, ou
dans des centres d'hémodialyse.
Chaque année, le nombre de ces patients augmente en raison de l'allongement de
leur durée de vie et du fait des performances des techniques médicales. Et
aujourd'hui, il est nécessaire d'augmenter le nombre des postes de dialyse en
centres.
La carte sanitaire devrait prendre en compte cette nécessité. Mais la Caisse
nationale d'assurance maladie, dans une décision récente, a proposé des mesures
pour diminuer le coût dans ces centres, qui est pourtant moins élevé qu'à
l'hôpital.
En fait, la baisse des honoraires qui a été proposée par la Caisse nationale
d'assurance maladie représente, au total, 12,5 % depuis trois ans, et les
néphrologues sont très inquiets.
Cette décision de la CNAM découle de l'augmentation continue du nombre des
malades. De 4,5 % à 6 % tous les ans, sur une à deux décennies, cela représente
des sommes importantes, qui alarment la CNAM.
Que va-t-il se passer, dans la mesure où il n'est pas possible de maintenir la
situation en l'état et où l'on craint même une baisse de l'activité des
néphrologues ? Pourquoi connaissons-nous actuellement une situation de pénurie
alors que l'hémodialyse est indispensable à la vie de malades fragilisés,
souvent en attente d'une greffe rénale, que les besoins sont flagrants et que
l'on ne constate pas, comme dans certains autres secteurs médicaux, une course
à la multiplication des actes de la part des professionnels, qui seraient alors
répréhensibles aux yeux de la loi ?
Si l'on établit une comparaison avec ce qui se pratique aux Etats-Unis, on
voit que la mortalité et la morbidité des patients soumis à une hémodialyse y
sont pratiquement doubles de ce que nous constatons en France, parce que le
ratio patients par médecin est très largement supérieur à ce qu'il est chez
nous.
Madame la secrétaire d'Etat, il s'agit de défendre la qualité des soins et,
par ailleurs, d'apporter une réponse à un besoin réel en termes de santé
publique. Ni les professionnels concernés ni les patients ne sauraient être les
victimes de cette situation.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Monsieur le sénateur, les dépenses déléguées dont la CNAM a la responsabilité
de la gestion ont connu une évolution importante au cours de l'année 2000.
Dans ce contexte, la CNAM n'a pour autant proposé la baisse que de quatre
cotations concernant les spécialités ayant enregistré les plus fortes tendances
à la hausse dans le cadre du troisième rapport d'équilibre du 15 novembre, qui
a été transmis au Parlement ainsi qu'aux ministres concernés. Ces mesures ont
été approuvées par les ministres compétents et ont fait l'objet d'une
publication au
Journal officiel
du 2 décembre 2000.
Parmi ces mesures figure la baisse relative à la cotation de l'acte de
surveillance des séances d'hémodialyse. Il n'est pas acceptable de laisser
affirmer que cette baisse remettrait en cause le dispositif de prise en charge
des dialysés en France ou les actes médicaux effectués par les néphrologues
concernant ces patients.
Je rappelle que l'accord conclu en 1996 entre la CNAM et les syndicats de
néphrologues posait déjà le principe d'une nouvelle baisse de cotation. Au
demeurant, la baisse proposée en novembre 2000, comme celle qui avait été
opérée en janvier 1997, est apparue justifiée par le niveau élevé de la
cotation. En effet, compte tenu de l'évaluation des conditions de réalisation
de certains actes et, notamment, de l'amélioration du matériel et des
techniques d'hémodialyse, la charge de surveillance pour les malades les moins
lourds s'est vue relativement réduite au fil des ans.
Enfin, il importe de noter que cette mesure représentait une baisse de 0,95 %
des honoraires perçus par les néphrologues en 1998 et que l'augmentation de
leurs honoraires estimée par la CNAM serait, pour 2000, de l'ordre de 4,6 %,
avant application de cette baisse.
Par ailleurs, la mesure a une contrepartie positive, puisqu'il est envisagé
d'affecter les économies ainsi obtenues à un fonds de restructuration qui
serait géré en partenariat avec les professionnels des disciplines intéressées.
Les modalités de création de ce fonds sont en cours d'étude avec la CNAM.
Tels sont, monsieur le sénateur, les éléments de réponse que je suis en mesure
de vous apporter aujourd'hui.
M. René Marquès.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Marquès.
M. René Marquès.
Je ne vous réponds que d'un mot, madame le secrétaire d'Etat, pour attirer
rapidement votre attention sur deux problèmes : d'une part, le manque de postes
d'hémodialyse et, d'autre part, le traitement des malades hors hospitalisation,
pour lesquels l'intervention financière de la CNAM n'est pas ce qu'elle serait
si ces malades étaient tous traités en milieu hospitalier.
Par ailleurs se pose un problème économique.
Madame le secrétaire d'Etat, le Languedoc-Roussillon, que je représente dans
cette assemblée, enregistre, dans le domaine du tourisme, beaucoup de « pertes
» de patients susceptibles de passer des vacances dans le sud de la France. En
effet, avant de venir, ces derniers se renseignent sur les possibilités
d'hémodialyse et ils estiment que les moyens sont insuffisants pour assurer
leurs besoins. N'oublions pas que l'hémodialyse nécessite que le patient soit,
pratiquement deux ou trois fois par semaine, relié à une machine qui fonctionne
toute seule. Un contrôle médical est assuré, contre lequel la CNAM s'est
élevée, vous l'avez évoqué, et je vous remercie des précisions que vous m'avez
données. Par conséquent, si des mesures étaient prises pour remédier à ce
manque de moyens sur les plans numérique et volumétrique, elles offriraient
probablement des possibilités différentes aux régions pour lesquelles le
facteur économique est en jeu.
La légitime revendication des néphrologues doit être prise en compte par la
CNAM. Il n'y a ni course au rendement, ni multiplication des actes. Les
légitimes contestations des néphrologues méritent donc l'attention de la
CNAM.
CAMPAGNE DE DÉPISTAGE GRATUIT
DU CANCER DU SEIN
M. le président.
La parole est à M. Nogrix, auteur de la question n° 987, adressée à Mme le
secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.
M. Philippe Nogrix.
Madame la secrétaire d'Etat, une campagne de dépistage du cancer du sein est
effectuée dans trente-deux départements français. Dans mon département,
l'Ille-et-Vilaine, je constate qu'elle est efficace en termes de santé publique
et appréciée de la population féminine.
Vous avez annoncé une prochaine extension à l'ensemble du pays de ce dépistage
de masse gratuit et de qualité, ce dont chacun dans cette enceinte peut se
féliciter. Toutefois, j'estime que sa généralisation tarde à entrer en
application. Ce retard non seulement est dommageable pour les femmes des
soixante-cinq départements qui ne peuvent en bénéficier, mais risque surtout de
gravement perturber les campagnes en cours dans les trente-deux départements
pionniers ; c'est du moins ce que je constate dans mon propre département.
Pourtant, entre 1995 et 1997, deux cent quatre-vingt-dix cancers ont pu être
détectés en phase initiale et donc soignés et guéris dans le seul département
de l'Ille-et-Vilaine. On estime donc que chaque année d'interruption du
dépistage crée un risque de développement de cancer du sein chez près de cent
jeunes femmes !
La direction générale de la santé, pour se conformer aux recommandations
scientifiques, a préconisé aux radiologues qui participent à ce dépistage de
réaliser, pour chaque femme, non plus une mais deux incidences par sein, ce qui
revient à doubler l'examen en clichés, en temps, en consommables et en usure de
matériel. La CNAMTS a décidé de fixer la rémunération des radiologues à 280
francs pour ces deux radiographies, alors que le tarif était précédemment de
250 francs pour une radiographie.
Cette évolution tarifaire, qui est extrêmement faible alors que les exigences
techniques ont pratiquement doublé, est ressentie par les professionnels comme
une véritable provocation, d'autant qu'elle a été fixée sans la moindre
concertation avec les intéressés.
Il faut signaler que, dans les trente-deux départements concernés, les
radiologues s'étaient réellement investis dans cette opération de santé
publique qui, financièrement, n'était pourtant pas très intéressante pour eux
puisque, dans le même temps, une mammographie complète est tarifée environ 434
francs. Ces départements connaissent donc une situation de crise et de blocage
qui risque de ruiner les campagnes en cours.
La solution serait, bien entendu, la généralisation du dépistage du cancer du
sein à la France entière, avec la fixation d'un tarif raisonnable. Pouvez-vous,
madame la secrétaire d'Etat, nous indiquer à quelle date interviendra une telle
généralisation ? Vous est-il possible de hâter les choses afin que toutes les
femmes de France puissent en bénéficier et que la situation ne se détériore pas
trop dans les départements où ce dépistage est déjà pratiqué ?
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Monsieur le sénateur, le dépistage de masse organisé du cancer du sein a été
mis en oeuvre expérimentalement, vous l'avez rappelé, dans trente-deux
départements, sur la base d'un cahier des charges datant de 1994 et prévoyant
la réalisation d'une seule incidence mammographique.
L'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, a
publié, en mars 1999, une étude d'évaluation technologique portant sur le
dépistage du cancer du sein par mammographie dans la population générale. Ce
document indique qu'un dépistage systématique de qualité nécessite - vous
l'avez également rappelé - la réalisation de deux incidences mammographiques.
Cette recommandation a fait l'objet d'une circulaire d'application du
secrétariat d'Etat à la santé pour le dépistage organisé dans les trente-deux
départements précités en juillet 2000.
Lorsque le dépistage est réalisé conformément aux recommandations de l'ANAES,
la Caisse nationale d'assurance maladie a fixé la rémunération de l'acte de
mammographie à 280 francs au lieu de 250 francs. Cela aussi, monsieur le
sénateur, vous l'avez noté.
S'agissant de la généralisation du dépistage organisé du cancer du sein à
l'ensemble des départements, un arrêté va être publié, fixant la convention
type entre les organismes d'assurance maladie et les professionnels de santé. A
la convention type seront annexés les cahiers des charges de l'organisation des
structures de gestion et des professionnels chargés de mettre en oeuvre le
dépistage. Les discussions sur la convention type engagées entre l'assurance
maladie et la Fédération nationale des médecins radiologues sont en voie
d'aboutir, et les cahiers des charges sont en cours de validation. Grâce à la
négociation tarifaire en cours, une solution satisfaisant l'ensemble des
acteurs devrait être trouvée très rapidement.
Vous me permettrez, monsieur le sénateur, en tant que secrétaire d'Etat aux
droits des femmes, d'ajouter un mot un peu plus personnel : vous avez parlé de
provocation par rapport au coût actuel. Certes, 280 francs, ce n'est pas le
double de 250 francs. J'espère donc que cette négociation tarifaire aboutira
dans de bonnes conditions pour l'ensemble des parties, étant donné que le
dépistage des cancers du sein reste une préoccupation de santé publique
majeure. Je sais bien que l'ensemble du milieu médical s'inquiète du nombre de
ces cancers.
M. Philippe Nogrix.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix.
Est-il besoin d'insister, madame la secrétaire d'Etat ? C'est un véritable cri
d'alarme que je me permets de lancer, car nous ne savons pas faire de
prévention !
Alors que le coût d'une mammographie est de 434 francs, le radiologue ne
percevra, pour deux mammographies faites à l'occasion d'un dépistage
systématique, que 280 francs ! Les discussions font prendre du retard et,
pendant ce temps, des femmes sont atteintes de cancers qui pourraient être
guéris s'ils étaient décelés à temps, alors qu'il sera trop tard par la
suite.
De plus, tous les rapports publiés montrent que 20 % des cancers apparaissent
avant l'âge de quarante-cinq ans. Or les campagnes de dépistage ne concernent
que les femmes de cinquante à soixante-neuf ans. Pourquoi ne pas en tenir
compte ? L'étude de cette réforme et de ses conditions techniques ne
serait-elle pas l'occasion de décider que le dépistage s'opérera dès l'âge de
quarante ans ? Compte tenu du traumatisme que provoque un tel cancer chez les
femmes qui en sont atteintes, il est grand temps de prendre des mesures
nécessaires sur l'ensemble du territoire.
DIFFICULTÉS DE L'HOSPITALISATION PRIVÉE
M. le président.
La parole est à M. Darcos, auteur de la question n° 922, adressée à Mme le
ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Xavier Darcos.
Madame le secrétaire d'Etat, comme beaucoup de mes collègues, je souhaite vous
poser une question sur les préoccupations du secteur de l'hospitalisation
privée, même si je n'oublie pas pour autant les problèmes que connaît l'hôpital
public, étant moi-même président du conseil d'administration d'un centre
hospitalier.
Je regrette qu'en raison de l'encombrement des questions orales mises à
l'ordre du jour du mardi matin ma question n'ait pu être examinée plus tôt car,
depuis sa publication au
Journal officiel
, le 19 octobre dernier, nous
avons perdu beaucoup de temps.
Au demeurant, le sujet est plus que jamais au coeur de l'actualité. Chaque
jour, les professionnels de santé publics ou privés expriment un mécontentement
croissant, dont la presse écrite ou orale se fait l'écho.
Ainsi, le 25 janvier dernier, dans ma province, un quotidien rapportait les
propos d'un médecin de campagne qui affirmait : « Je n'aurai plus de
successeur. » ; il faisait état du problème de recrutement des infirmières et
évoquait un kinésithérapeute qui renonçait à ses projets, ou encore les
patients qui n'acceptent plus le moindre aléa thérapeutique.
Tandis que les professionnels s'épuisent, l'exigence du risque zéro venue des
Etats-Unis gagne rapidement du terrain.
En cet instant, je voudrais vous parler plus particulièrement de la
polyclinique Francheville de Périgueux, qui m'a alerté voilà plusieurs mois à
propos des doléances du personnel, doléances qui ne sont guère différentes de
celles des professionnels de santé de l'ensemble des établissements
d'hospitalisation privée en France.
Elles portent sur quatre points : la dégradation orchestrée des relations
conventionnelles, autrement dit plus de contraintes sans contrepartie ;
l'impasse dans laquelle semble s'enfoncer le système de santé français, avec
plus de soins obligatoires et moins de crédits - nous venons d'en avoir un
exemple à propos du cancer du sein ; l'absence d'une politique concertée qui
conduit au rationnement des soins et à la perte du libre choix pour les
patients ; enfin, le plafonnement arbitraire des ressources des cliniques.
Le 26 octobre dernier, Périgueux a connu une journée « santé morte » et, du 23
décembre au 2 janvier, l'ensemble des médecins libéraux ont fait grève. Cent
médecins du département persévérant dans leur mécontentement ont été
réquisitionnés ; certains ont dû travailler 220 heures consécutives, au point
qu'une coordination des médecins de la Dordogne s'est constituée. Elle ne se
calme pas et nous la voyons souvent devant nos permanences. Elle dénonce les
conditions « d'esclavagisme », la mise en danger de la santé publique et
conteste l'ensemble des dispositions prises par le Gouvernement, sur lesquelles
d'ailleurs je poserai une autre question ultérieurement.
Limitant mon propos à la situation des établissements privés
d'hospitalisation, je rappellerai que ceux-ci sont à la limite de l'équilibre
financier et que, partout, des lits sont supprimés : deux cents lits à
Bordeaux, quatre-vingts lits à Agen ; à Bergerac, il n'y a plus de
maternité.
L'évolution des tarifs, surtout en 1999, a été trop faible pour contrebalancer
l'augmentation des charges principalement due au surcoût engendré par
l'application de la loi sur les trente-cinq heures.
A ce jour, ces établissements ne peuvent répondre aux revendications
salariales de leurs personnels, qui aspirent légitimement à des rémunérations
équivalentes - elles en sont bien éloignées - à celles de leurs homologues du
secteur public.
C'est pourquoi je vous demande, madame la secrétaire d'Etat, de bien vouloir
me faire connaître si vous entendez mettre en oeuvre une politique tarifaire
traduisant une volonté de traitement équitable à l'égard des établissements de
santé des deux secteurs hospitaliers, notamment des personnes qui y exercent
alors même qu'en mars 2000 le Gouvernement avait dégagé d'importants moyens en
faveur de la seule hospitalisation publique et que cette même hospitalisation
publique considère que les moyens dégagés sont encore très insuffisants.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Monsieur le sénateur, l'hospitalisation privée joue un rôle trés important
dans la réponse aux besoins de la population. La diversité croissante des
missions - les urgences en sont un exemple - qui sont confiées aux
établissements par les agences régionales de l'hospitalisation, en application
des schémas régionaux, témoigne de leur implication dans la prise en charge
sanitaire quotidienne de nos citoyens.
Nous sommes sensibles, comme vous, aux difficultés que rencontrent certaines
cliniques pour le recrutement de personnel soignant en raison de l'insuffisance
du nombre d'infirmiers.
Depuis 1997, le Gouvernement a pris des mesures pour faire face à cette
situation. Les établissements de santé privés bénéficieront ainsi de la
décision d'augmenter les quotas d'entrées dans les écoles d'infirmiers lors de
la rentrée 2000. Ce sont ainsi 8 000 infirmiers de plus qui se présenteront
dans trois ans sur le marché du travail, je le rappelle.
Pour répondre aux difficultés de recrutement d'infirmiers, mais aussi à la
demande légitime de promotion professionnelle des aides-soignantes, Mme la
ministre de l'emploi et de la solidarité a pris un arrêté le 21 août 2000
relatif à la voie qualifiante pour les aides-soignantes leur donnant un accès
aménagé aux écoles d'infirmiers.
En complément, une instruction ministérielle du 17 juillet 2000 a étendu à
l'ensemble des établissements de santé privés la possibilité pour le directeur
départemental des affaires sanitaires et sociales d'autoriser temporairement
les étudiants en médecine à exercer en qualité d'aide-soignant ou d'infirmier.
Cette mesure n'était jusqu'alors applicable qu'aux seuls établissements publics
de santé et aux établissements privés de santé participant au service public
hospitalier.
De plus, le Gouvernement a répondu favorablement à la demande des fédérations
de l'hospitalisation privée de réformer les modalités de calcul des normes de
personnels fixées par le décret de 1956. Un texte sera très prochainement
soumis à la concertation auprès des fédérations.
Un travail est en cours pour analyser la possibilité de mener des actions de
formation et de communication vis-à-vis des infirmiers n'exerçant plus et qui
sont prêts à reprendre une activité.
Plus généralement, le Gouvernement a pris en compte la situation des
établissements privés.
Pour 2001, le taux d'augmentation des dépenses des cliniques a été fixé à un
niveau équivalent à celui des établissements sous dotation globale, soit une
progression de 3,3 %.
La dotation du fonds pour la modernisation des cliniques privées, créée par
l'article 33 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, a été
portée à 150 millions de francs par la loi de financement pour 2001. Ce fonds
permettra d'aider à financer vingt à trente opérations d'investissements
structurants.
Dans le cadre des discussions menées avec l'ensemble des acteurs de
l'hospitalisation, Mme Elisabeth Guigou a reçu, le 20 décembre dernier, les
représentants des fédérations de l'hospitalisation privée. Cette rencontre a
permis d'établir un premier bilan de la situation de ce secteur et de réfléchir
ensemble aux dispositions complémentaires souhaitables. Un travail d'expertise
technique est en cours sur cette base.
Enfin, soyez assuré, monsieur le sénateur, que le Gouvernement est
effectivement attaché à un traitement équilibré entre les hôpitaux privés et
publics, dans le respect des spécificités de chacune de ces deux catégories
d'établissements.
M. Xavier Darcos.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Darcos.
M. Xavier Darcos.
Je vous remercie, madame le secrétaire d'Etat, de votre réponse circonstanciée
qui confirme en tout cas le taux d'augmentation de 3,3 % pour 2001, ce qui
répond au souhait des cliniques d'obtenir la parité avec l'hospitalisation
publique.
Il reste que des cliniques ferment, que des services ferment. Or, dans des
villes moyennes - c'est ainsi dans mon département - lorsque l'hospitalisation
privée disparaît, elle n'est pas relayée par l'hospitalisation publique. A
Bergerac, les services de maternité, les urgences pédiatriques, en particulier,
ne sont plus assurées depuis que la clinique privée y a renoncé.
J'ajoute enfin, en ce qui concerne les recrutements, que, s'il est bon
d'ouvrir plus largement le concours des infirmiers, d'organiser des concours
internes, encore faut-il trouver des candidats intéressés. C'est ainsi que
l'école d'infirmière de Périgueux, malgré une augmentation des postes mis au
concours, ne parvient pas à attirer de postulants. La raison en est simple :
les rémunérations sont trop faibles et les conditions de travail restent
extrêmement pénibles.
AIDE DE L'ÉTAT
AUX ENTREPRISES D'INSERTION
M. le président.
La parole est à M. Foucaud, auteur de la question n° 967, adressée à Mme le
ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Thierry Foucaud.
Madame la secrétaire d'Etat, je voudrais attirer votre attention sur la mise
en oeuvre de la réforme de l'insertion par l'activité économique, plus
particulièrement sur les modifications qu'elle a apportées en matière d'aide de
l'Etat aux entreprises d'insertion.
Ces entreprises bénéficiaient auparavant d'une aide forfaitaire - « aide au
poste » - attribuée par la direction départementale du travail, de l'emploi et
de la formation professionnelle, ainsi que d'une aide globale de la direction
des affaires sociales.
A titre d'illustration, une entreprise d'insertion de la Seine-Maritime, Aspic
Abbey, recevait environ 38 000 francs de la direction départementale de
l'action sanitaire et sociale et 38 000 francs de la direction départementale
du travail par poste d'insertion.
La nécessité de renforcer l'accompagnement des salariés en insertion a été
reconnue par la loi relative à la lutte contre les exclusions, ce qui est bien,
mais il reste quelques problèmes à résoudre.
Les associations intermédiaires, les entreprises de travail temporaire et les
entreprises d'insertion sont soumises à une procédure de conventionnement,
lequel ouvre droit à l'aide de l'Etat. Elles doivent préciser dans ce cadre
leur projet social et les mesures d'accompagnement qu'il comporte.
Or la loi relative à la lutte contre les exclusions, qui prévoyait le
doublement de l'offre en matière d'insertion par l'activité économique, a
modifié les modalités du soutien financier de l'Etat. Ainsi, depuis 1999, les
entreprises d'insertion se voient attribuer, en principe, une seule aide au
poste, forfaitaire, de surcroît non indexée, ce qui génère des difficultés
supplémentaires en cas d'augmentation du salaire minimum interprofessionnel de
croissance, le SMIC. Son montant était de 50 000 francs en 1999 et 2000.
Cette aide finance à la fois l'accompagnement social, l'encadrement et la
moindre productivité des salariés en insertion.
Les directions départementales de l'action sanitaire et sociale, qui disposent
de crédits en faveur de l'insertion par l'activité économique, peuvent, quant à
elles, fournir, exceptionnellement, un soutien financier dans la mesure où
l'entreprise d'insertion intervient auprès de publics spécifiques tels que les
personnes en état de dépendance alcoolique ou toxicologique.
Par ailleurs, il ressort d'une récente étude menée par les services du
ministère du travail que, parmi les acteurs de l'insertion par l'activité
économique, les entreprises d'insertion rassemblent les personnes qui
connaissent le plus de difficultés et dont l'accès à la qualification et à
l'emploi impose un encadrement fort. C'est d'autant plus vrai avec la reprise
économique !
En outre, ces entreprises interviennent dans des secteurs variés : le bâtiment
et les travaux publics, l'environnement et les services rendus aux entreprises.
Les besoins d'encadrement sont, bien entendu, différents d'un secteur à
l'autre. Mais ils le sont aussi à l'intérieur d'un même secteur selon les corps
de métiers. C'est là que réside le problème dans la mesure où l'attribution
d'une aide au poste forfaitaire non indexée ne prend pas en compte ces
réalités.
Il en va de même pour les entreprises de travail temporaire d'insertion, qui,
en tant que dernière étape d'insertion, ont, elles aussi, à assurer le
changement de nature des difficultés sociales et professionnelles des salariés
en insertion.
Cette nouvelle donne sociale, ainsi que le nouveau contexte économique lié à
la réduction du temps de travail dans les entreprises où sont envoyés les
salariés en insertion impliquent une revalorisation de l'aide à
l'accompagnement social et son indexation sur l'évolution du salaire minimum
interprofessionnel de croissance.
C'est pourquoi je vous demande, madame la secrétaire d'Etat, quelles mesures
vous envisagez de prendre pour que l'accompagnement des salariés en insertion
dans les entreprises d'insertion et de travail temporaire soit assuré dans les
meilleures conditions.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Monsieur le sénateur, vous attirez mon attention sur l'aide aux postes
d'insertion dont bénéficient les entreprises ainsi que sur l'accompagnement des
salariés en insertion.
Les ressources des entreprises d'insertion qui se situent dans l'économie
marchande proviennent essentiellement de la vente sur le marché des biens ou
services qu'elles produisent. Toutefois, les aides de l'Etat viennent compenser
l'effort spécifique que ces entreprises consentent pour l'embauche de personnes
en difficulté, embauche qui nécessite un investissement particulier en matière
d'encadrement et d'accompagnement.
La loi d'orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les
exclusions a réformé le système de financement des entreprises d'insertion afin
de le simplifier et de le rendre plus lisible.
Ainsi, l'aide aux postes des entreprises d'insertion, désormais prélevée sur
le budget du ministère de l'emploi, a été portée à 50 000 francs par an et par
équivalent temps plein en 1999, en contrepartie de la suppression du
financement de la direction de l'action sociale.
Parallèlement, l'exonération de charges patronales de sécurité sociale sur les
rémunérations des salariés en insertion est passée de 50 % à 100 %, dans la
limite du SMIC.
L'Etat a donc fourni, depuis 1999, un effort important en direction des
entreprises d'insertion et des entreprises de travail temporaire d'insertion.
Le budget consacré aux aides directes à ces entreprises est ainsi passé de 363
millions de francs en 1999 à 527 millions de francs en 2001, auxquels il faut
ajouter 170 millions de francs provenant du Fonds social européen, ce qui a
permis un développement important de l'offre d'insertion pour les personnes en
grande difficulté d'emploi.
Par ailleurs, pour les entreprises d'insertion qui appliquent, conformément à
la loi du 19 janvier 2000, un accord négocié de réduction du temps de travail,
l'aide au poste a été portée à 58 500 francs. Grâce à la reprise économique et
à la décrue du chômage, des personnes que certains qualifiaient encore tout
récemment d'« inemployables » retrouvent du travail dans le secteur dit «
classique » ; ce sont donc maintenant des personnes en très grande difficulté
que nous trouvons dans les structures d'insertion. C'est pourquoi l'encadrement
technique doit y être renforcé et l'accompagnement social systématisé et
approfondi.
Je vous rappelle que Martine Aubry a, le 13 septembre dernier, dressé un bilan
des deux années de lutte contre les exclusions à l'occasion d'une communication
en conseil des ministres. Elisabeth Guigou a souhaité poursuivre ce programme
de lutte, et elle le fera en cohérence avec la nouvelle stratégie européenne de
lutte contre les exclusions adoptée à Nice, sous la présidence française, qui
invite l'ensemble des Etats membres à présenter un plan national avant le 1er
juin prochain.
A cet égard, la situation des personnes en difficulté d'insertion sociale et
professionnelle doit être placée au centre de l'action publique afin que le
nouveau contexte économique et la reprise puissent profiter à tous, notamment
aux personnes qui sont le plus en difficulté. C'est pourquoi Elisabeth Guigou
souhaite que l'accompagnement des personnes les plus éloignées de l'emploi soit
renforcé. La déclinaison de cet objectif pour les entreprises d'insertion sera
réalisée en collaboration avec les réseaux et le centre national d'insertion
par l'activité économique.
M. Thierry Foucaud.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud.
Madame la secrétaire d'Etat, je constate, certes, qu'il y a, en la matière,
une volonté gouvernementale et j'ai bien enregistré que l'aide par poste avait
été portée à 50 000 francs. Cependant, j'ai donné tout à l'heure l'exemple
d'une entreprise d'insertion qui, auparavant, percevait 38 000 francs de la
direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation
professionnelle, d'une part, et 38 000 francs de la direction des affaires
sociales, d'autre part. Il y a donc eu une baisse qui est tout de même de 26
000 francs !
Aujourd'hui, les entreprises d'insertion souhaitent recevoir au moins un
montant équivalent à celui qu'elle recevait auparavant et sortir du forfait, de
manière que soient pris en compte les différents métiers.
Désormais, les DDASS n'apportent plus qu'une aide logistique. Or il est
essentiel que soit conservé le double ancrage : par le travail et par le
social.
J'ajoute qu'en France il y avait 800 entreprises d'insertion à la fin de 1998
et qu'il n'y en avait plus que 753 à la fin de 1999.
Actuellement, malgré la reprise économique, nombreux sont ceux qui demeurent
en situation de précarité, qui sont laissés sur le bord de la route. Cela
mérite qu'on y réfléchisse, qu'on en discute, en associant à la discussion les
intéressés et les entreprises d'insertion.
Pour que la politique que, vous et moi, madame la secrétaire d'Etat, nous
appelons de nos voeux soit effectivement mise en oeuvre, il convient que les
moyens dégagés soient au moins égaux à ceux qui l'étaient antérieurement.
Sinon, les entreprises d'insertion disparaîtront, ce qui sera très
dommageable.
Enfin, le poste afférent à l'encadrement de la personne en insertion n'est
plus financé aujourd'hui, alors qu'il l'était hier. Là encore, c'est une menace
qui pèse sur le maintien des entreprises d'insertion existantes et sur le
développement de cette action, alors que, dans notre pays, les besoins en la
matière restent élevés.
POLITIQUE FAMILIALE
M. le président.
La parole est à M. Murat, auteur de la question n° 976, adressée à Mme le
ministre déléguée à la famille et à l'enfance.
M. Bernard Murat.
Madame le secrétaire d'Etat, la croissance économique a généré des moyens
considérables, qui ont fait naître dans toutes les familles l'espoir d'être
davantage écoutées et soutenues.
Or la confiscation des excédents de la branche famille du régime général de
sécurité sociale et le plan de réforme fiscale annoncé en août dernier ne
permettront pas l'élaboration d'une politique familiale à la hauteur des
besoins.
La famille contribue aujourd'hui plus qu'hier à l'équilibre et à l'harmonie
sociale. Elle est un moteur de la croissance économique. En retour, elle attend
des pouvoirs publics qu'ils conduisent une politique familiale ambitieuse, de
nature à renforcer leur pouvoir d'achat et à faciliter la conciliation entre
vie familiale et vie professionnelle.
En ce qui concerne le pouvoir d'achat des familles, je souhaiterais connaître
votre position sur trois propositions.
La première concerne le versement des allocations familiales dès le premier
enfant. Généralement, un couple attend son premier enfant peu de temps après
son mariage. On peut considérer qu'un couple qui vient d'entrer dans la vie
active ne dispose pas de ressources importantes. Or l'arrivée du premier enfant
suppose des achats substantiels, qui serviront peut-être aux futurs frères ou
soeurs. C'est d'ailleurs pour toutes ces raisons que, dans ma ville,
Brive-la-Gaillarde, nous mettons en place une aide pour les trois premiers
enfants nés dans tous les foyers de la commune. Il me semble donc cohérent
d'ouvrir la perception d'allocations familiales dès le premier enfant. Cela
permettrait notamment d'alléger les charges pesant sur ces jeunes couples.
Les deux autres propositions portent, d'une part, sur la suppression de la
condition de ressources relative au versement de l'allocation pour jeune
enfant, et, d'autre part, sur la fixation à vingt-deux ans de l'âge limite de
versement des prestations logement et du complément familial.
En ce qui concerne la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale,
il me semble nécessaire de renforcer la possibilité, pour chaque famille, de
recourir au mode de garde de son choix. Or les mesures annoncées en faveur de
la garde des enfants demeurent insuffisantes parce que uniquement tournées vers
l'accueil collectif.
Là encore, je souhaiterais connaître votre position sur deux propositions.
La première vise à la suppression de la condition de ressources pour
l'attribution de l'allocation de garde d'enfant à domicile l'AGED. En effet, en
1997, votre gouvernement, madame le secrétaire d'Etat, a mis cette allocation
sous condition de ressources. Cette mesure constitue une régression pour les
femmes qui travaillent et fait peser un risque certain sur le développement de
la garde à domicile. Or ce mode de garde offre une grande souplesse horaire,
une aide précieuse en cas de naissances multiples et constitue une solution
lorsque les structures d'accueil collectif sont insuffisantes.
Face aux objections du Sénat, le Gouvernement avait, à l'époque, présenté la
réduction de l'AGED comme une mesure provisoire. Trois ans plus tard, le
dossier n'a guère progressé !
Quant à la seconde proposition, elle vise à étendre le temps partiel choisi
jusqu'au sixième anniversaire de l'enfant. En effet, actuellement, cette
possibilité est limitée au troisième anniversaire de l'enfant.
Madame la secrétaire d'Etat, les familles attendent un soutien tout
particulier de l'Etat. Ces quelques propositions permettraient d'amorcer le
renforcement de la politique familiale. Aussi, j'espère que vous pourrez y
répondre favorablement.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.
Monsieur le sénateur, dans la mesure où vous avez posé votre question en
dehors de tout esprit polémique, je n'aurai garde d'y céder et me dispenserai
donc d'évoquer un certain nombre de décisions qui ont été prises en 1995 et en
1996.
Vous me permettrez de dire simplement que, à mes yeux, le gouvernement auquel
j'appartiens poursuit une politique familiale réellement ambitieuse, dont je
rappellerai quelques-uns des éléments essentiels.
Le Gouvernement a décidé de garantir le pouvoir d'achat des allocations
familiales, puisque celles-ci sont désormais légalement indexées sur les prix,
de porter, puis de maintenir le montant de l'allocation de rentrée scolaire à 1
600 francs et d'affecter aux familles les excédents de la branche famille,
comme l'a montré la dernière conférence de la famille, avec une enveloppe
totale de 10,5 milliards de francs de mesures nouvelles.
Outre l'importante réforme des allocations logement, dont vont bénéficier plus
de 4 millions d'allocataires, pour un coût de 6,5 milliards de francs, la
conférence de la famille qui s'est tenue au mois de juin a permis de lancer un
plan sans précédent pour l'accueil de la petite enfance. Ce plan prévoit la
modernisation des lieux d'accueil collectif mais aussi une forte croissance des
aides accordées à la garde individuelle avec une revalorisation de l'aide
versée pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée.
Il me plaît d'ajouter, en tant que secrétaire d'Etat aux droits des femmes,
que j'ai veillé personnellement à ce que les femmes éloignées du marché du
travail puissent être soutenues lors de la reprise d'un emploi ou lors de
l'entrée en formation. Je pense à l'aide à la recherche d'emploi versée par
l'ANPE.
La politique familiale de ce gouvernement est donc bien ambitieuse.
S'agissant plus particulièrement de l'AGED, il est vrai que cette forme de
soutien est dorénavant soumise à condition de ressources. Cette décision a
donné lieu à un grand débat, mais c'est une approche sociale qui a été
privilégiée afin d'augmenter d'une façon massive le nombre de bénéficiaires.
Ainsi, au-delà de l'aide renforcée à l'emploi des assistantes maternelles,
mesure destinée aux familles qui font le choix de la garde individuelle, un
fonds d'investissement de 1,5 milliard de francs destiné à créer 40 000 places
de crèche supplémentaires va permettre de répondre à la demande massive des
parents qui souhaitent privilégier l'accueil en structure collective.
L'importance de cette somme montre l'ambition du Gouvernement et son
attachement à une juste politique familiale. La bonne articulation entre vie
personnelle, vie familiale et vie professionnelle impose la mise en place de
plans massifs et diversifiés d'accueil pour la petite enfance permettant de
respecter les choix des familles.
M. Bernard Murat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat.
Au sein de la Haute Assemblée, chacun exprime son point de vue en son âme et
conscience. Si être polémique, c'est faire des propositions au Gouvernement,
oui, je suis polémique, comme tout parlementaire libre, du moins au Sénat.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le
sénateur ?
M. Bernard Murat.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à Mme la secrétaire d'Etat, avec l'autorisation de l'orateur.
Mme Nicole Péry,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le sénateur, j'ai dit que votre intervention,
qui visait à obtenir des précisions de fond, n'était pas polémique et que je
m'interdisais donc de polémiquer, raison pour laquelle je n'ai pas souhaité
rappeler certaines mesures prises précédemment, dans les années 1995-1996,
alors que j'avais prévu de le faire.
C'est donc tout le contraire !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Murat.
M. Bernard Murat.
Madame la secrétaire d'Etat, je vous présente toutes mes excuses. J'avais mal
interprété vos propos et tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes
!
Cependant, lorsque le lien familial s'affaiblit, c'est l'exclusion et la
délinquance qui progressent. En estimant que les propositions que j'ai évoquées
sont inadaptées, vous refusez aux parents le renforcement des moyens d'éduquer
leurs enfants.
Une telle situation est regrettable, car une politique de la famille
ambitieuse, je l'ai rappelé hier devant l'assemblée générale des
puéricultrices, constitue le meilleur investissement, tant pour l'avenir de
notre pays et sa démographie, que pour remédier à la délinquance des mineurs,
que votre gouvernement semble découvrir aujourd'hui, alors que les maires
tirent les signaux d'alarme depuis bien longtemps.
Par ailleurs, au moment où tant de Français s'interrogent sur l'avenir de leur
retraite, mise en péril par une démographie défavorable, il serait opportun de
favoriser la natalité : elle constitue une réponse pour assurer la pérennité de
notre système de retraite par répartition, système auquel je suis très
attaché.
NORMES D'HYGIÈNE ALIMENTAIRE
M. le président.
La parole est à M. Demuynck, auteur de la question n° 870, adressée à M. le
secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à
l'artisanat et à la consommation.
M. Christian Demuynck.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le droit communautaire est à l'origine de
l'instauration d'une réglementation française particulièrement coercitive et
surtout néfaste à l'économie locale. Depuis près de neuf mois, les marchés de
plein vent, comme les petits producteurs et fermiers, doivent respecter des
règles d'hygiène par trop contraignantes et donc, par bien des aspects,
irréalistes.
Habitués à un circuit de distribution court, les marchés traditionnels ne
peuvent voir dans cet arsenal juridique qu'un système bien souvent inadapté à
leur fonctionnement. Ces animations sont pourtant vitales pour les petites
communes rurales et incontournables dans les plus grandes villes. Il est en
tout état de cause déplorable de voir des petits artisans déposer leur bilan et
stopper leur exploitation, faute de pouvoir acquérir un matériel trop
coûteux.
Quant au contenu de l'arrêté lui-même, il semble receler des aberrations comme
la conservation du fromage à basse température. Sous couvert de sécurité
alimentaire n'en vient-on pas à nier la spécificité de produits qui font la
réputation gastronomique de notre pays ? Ne confond-on pas ici principe de
précaution et aseptisation alimentaire ?
Au-delà des différents cas particuliers, c'est la logique du commerce de
proximité qui est remise en cause, comme l'illustre la fermeture depuis le mois
de mai de petits marchés faute de moyens financiers pour leur mise aux
normes.
Face à cette atteinte au principe de la liberté d'entreprendre, ne serait-il
pas souhaitable de trouver des aménagements afin d'atténuer la sévérité du
texte français, ou tout au moins de demander à vos services de faire montre de
plus de souplesse dans l'application d'une réglementation excessive ?
Cette indulgence dictée par le bon sens serait des plus fondées et en tout
état de cause légitime au regard du laxisme dont peuvent à l'occasion faire
preuve les instances européennes, qui trouvent parfois à ces problèmes des
issues étonnament permissives. Ainsi, pour le chocolat, on tolère bien l'emploi
de matières grasses végétales en remplacement du beurre de cacao. Or, monsieur
le secrétaire d'Etat, pourquoi y aurait-il deux poids, deux mesures ?
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Huwart,
secrétaire d'Etat au commerce extérieur.
Monsieur le sénateur, l'arrêté
du 9 mai 1995 sur l'hygiène des aliments remis directement aux consommateurs,
transposant la directive 93/43 sur l'hygiène des aliments, remplace des
dispositions équivalentes existant depuis des années dans les règlements
sanitaires départementaux.
Les risques étant du même ordre entre les différents circuits de distribution,
le texte soumet ceux-ci à des dispositions similaires. Chaque maillons des
filières alimentaires, quelles que soient ses spécificités par ailleurs, doit
mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour maîtriser l'hygiène des produits.
Il en est ainsi des marchés. Certes, le respect de ces dispositions peut
nécessiter une mise à niveau des équipements des commerçants, notamment pour la
conservation des denrées à des températures réfrigérées si leurs
caractéristiques le nécessitent. C'est d'ailleurs pourquoi le texte avait prévu
une période dérogatoire transitoire de cinq ans qui s'est achevée le 16 mai
2000.
Ces dispositions soulignent surtout les objectifs que les professionnels
doivent atteindre ; le choix des moyens à utiliser est généralement laissé aux
professionnels eux-mêmes, aidés par des guides de bonnes pratiques d'hygiène
élaborés par leurs organisations. Elles ont cependant soulevé des inquiétudes
quant à la nécessité de soumettre les marchés à ces contraintes. En réponse à
ces inquiétudes, la présidente du Parlement européen a fait connaître sa
volonté de profiter de la révision du droit communautaire des aliments pour que
cette réglementation soit aménagée pour les marchés.
La récente proposition de réglementation de la Commission des Communautés
européennes et les travaux au Conseil réalisés sous présidence française ont
conduit à envisager une possibilité de disposition spécifique qui pourrait
induire une évolution du texte français. Mais les dispositions applicables aux
marchés précisent toujours que des installations appropriées doivent être
prévues pour assurer un niveau d'hygiène personnelle adéquat et pour maintenir
les denrées alimentaires dans des conditions de température adéquates.
Les Etats membres devant maintenir les dispositions assurant le respect des
objectifs d'hygiène alimentaire, les obligations générales que je viens
d'énoncer devraient donc rester en vigueur, y compris sur les marchés, pour les
denrées les plus sensibles au développement bactérien.
En tout état de cause, il est laissé un très large choix au professionnel, qui
peut donc s'adapter à l'environnement des marchés qu'il fréquente. Le maintien
au froid des denrées qui le nécessitent pour éviter le développement des
micro-organismes dangereux pour la santé des consommateurs peut ainsi se faire
dans une voiture boutique produisant son propre froid, dans un meuble alimenté
par l'électricité, dans des dispositifs refroidis grâce à des matériels
eutectiques d'accumulation du froid, etc.
La multiplicité des solutions envisageables doit donc permettre à tous les
professionnels d'atteindre les objectifs de sécurité sans remettre en cause
l'existence des marchés, notamment de plein vent, qui constituent effectivement
un des élements importants de la vie et de l'animation des communes
françaises.
Tels sont, monsieur le sénateur, les éléments de réponse que M. Patriat,
retenu par ailleurs, m'a chargé de vous transmettre.
M. Christian Demuynck.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous me répondez que les instances européennes
« envisagent » d'aménager les dispositions existantes. Je tiens à vous dire,
monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il ne sufit pas d'« envisager », il faut
prendre, et rapidement, des dispositions !
Ainsi, dans le département de la Seine-Saint-Denis dont je suis originaire,
deux des 90 marchés ont déjà été obligés de fermer et 62 ne sont pas aux
normes. Que se passera-t-il dans les semaines qui viennent ? Vous dites que
vous laissez le choix aux professionnels. Certes ! Mais une vitrine réfrigérée
représente 150 000 francs, un camion comme celui que vous avez évoqué 500 000
francs. Il est évident que la plupart des commerçants ne peuvent dépenser de
telles sommes sans mettre en péril l'équilibre budgétaire de leur entreprise
!
Il est donc urgent, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Parlement européen
et la Commission européenne se penchent sur ce problème, faute de quoi un grand
nombre de commerces disparaîtront dans les semaines qui viennent.
« POOL DES RISQUES AGGRAVÉS » EN CORSE
M. le président.
La parole est à M. de Rocca Serra, auteur de la question n° 969, adressée à M.
le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra.
Monsieur le secrétaire d'Etat, en 1988, face aux nombreux attentats perpétrés
en Corse et afin d'y maintenir une bonne couverture des risques, les compagnies
d'assurance s'étaient regroupées sous la forme d'un pool des risques aggravés.
En dépit de son coût élevé, ce dispositif a été reconduit chaque année,
jusqu'au 31 décembre 2000 et a permis le maintien d'une offre d'assurance dans
des conditions satisfaisantes, aussi bien pour les risques des particuliers que
pour ceux des entreprises et des collectivités territoriales.
Or, le Gouvernement a dissous ce pool le 30 juin 2000, mais seulement pour les
collectivités territoriales corses et pour les établissements publics. Cette
situation paradoxale contraint aujourd'hui les collectivités publiques de Corse
à subir les lois concurrentielles du marché de l'assurance, alors que les
sociétés privées et les particuliers peuvent bénéficier d'une tarification par
le biais du pool corse.
Pour illustrer mes assertions, je citerai le cas du conseil général de la
Corse-du-Sud, qui vient de procéder à une nouvelle mise en concurrence de son
service assurance dommages aux biens : le résultat de l'appel d'offres est tout
à fait éclairant puisque l'offre s'établit à 27 francs le mètre carré avec une
garantie maximale égale à 50 millions de francs contre des offres qui
s'établissent en moyenne à 3 francs le mètre carré pour une garantie maximale
de 150 millions de francs sur le continent !
Cette situation est contraire aux dispositions de l'article L. 126-2 du code
des assurances, qui organise la mutualisation du risque, notamment celui des
attentats - qui n'est malheureusement pas spécifique aux départements de Corse.
Or, on constate aujourd'hui que cette mutualisation est dévoyée, d'autant que,
pour la France continentale, les assureurs instituent une surprime de 170 %
alors que cette surprime est, en Corse, de 30 %.
A l'évidence, monsieur le secrétaire d'Etat, les collectivités territoriales
de Corse sont aujourd'hui victimes de cette situation, qui ne peut qu'être
préjudiciable à la plus grande partie d'entre elles, alors que leur situation
financière est déjà des plus précaires.
Lors de la discussion sur l'avenir de la Corse concernant les accords dits «
de Matignon », ce problème avait été évoqué à plusieurs reprises. Je rappelle
ainsi que, le 27 juin 2000, le représentant du ministère de l'économie, des
finances et de l'industrie nous avait assuré que son ministère étudiait avec la
fédération des sociétés d'assurance une solution et que le suivi des
éventuelles difficultés serait pris en charge par le ministre lui-même.
Qu'en est-il aujourd'hui ? Pourquoi avoir dissous le pool corse pour les
seules collectivités territoriales ? Que comptez-vous faire pour remédier à
cette situation ? Qu'adviendra-t-il lorsqu'une collectivité ne pourra s'assurer
faute de moyens financiers suffisants ?
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Huwart,
secrétaire d'Etat au commerce extérieur.
Monsieur le sénateur, comme vous
l'indiquez, la récurrence du risque d'attentat en Corse a conduit les assureurs
à mettre en place, il y a maintenant douze ans, une structure d'assurance
particulière pour les biens concernés par ce risque, le pool des risques
aggravés.
La baisse très significative du nombre de demandes adressées au pool depuis
trois ans a conduit les assureurs à envisager la dissolution de cette
structure, dont le coût très élevé, avec 120 millions de francs de sinistres
pour 40 millions de francs de primes, a été supporté par la profession. Cette
dissolution, qui, évidemment, est à l'initiative non pas du Gouvernement mais
des organisations professionnelles, était prévue depuis plusieurs années.
A la demande du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, les
assureurs ont néanmoins accepté de mettre en place une ultime phase transitoire
de dix-huit mois, à compter du 1er juillet 2000 et jusqu'au 31 décembre 2001,
avant un retour à une situation de droit commun, sous la forme d'un bureau des
risques aggravés.
Ce bureau des risques aggravés a pour objet de permettre une couverture
d'assurance pour les risques de particuliers et d'entreprises qui ne
trouveraient pas à s'assurer. Ces biens sont assurés selon des conditions de
primes et de franchises particulières, plus élevées que pour des biens non
concernés par le risque d'attentat, sans que ces conditions permettent
d'équilibrer primes et sinistres.
Les assureurs ont choisi de ne plus couvrir les biens des collectivités
publiques dans le cadre de cette structure pour deux raisons.
D'une part, les collectivités publiques ont, depuis 1998, l'obligation de
mettre en concurrence les offres d'assurance si le montant estimé du contrat
est supérieur à 300 000 francs, ce qui est incompatible avec un placement
contrôlé.
D'autre part, depuis la création du pool des risques aggravés en 1988, les
biens des collectivités publiques représentent 40 % des primes et 15 % des
indemnités versées, ce qui permet le retour à des conditions d'assurance de
droit commun.
Il est donc difficile d'envisager des mesures d'ordre général. Cependant,
quelques cas ponctuels délicats ont été portés à la connaissance des services
du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui est intervenu
auprès des associations professionnelles pour leur demander de les résoudre.
D'après les contacts que le ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie a pu avoir, ces cas ponctuels devraient pouvoir être réglés à court
terme.
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. de Rocca Serra.
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra.
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre réponse ne me satisfait qu'à moitié, vous
vous en doutez bien. Toutefois, je prends acte de ce que vous venez d'affirmer
au terme de votre intervention, et j'attends donc de voir comment va évoluer la
situation.
Cela étant dit, il s'agit d'un problème récurrent qui pose nombre de questions
à l'ensemble des représentants des collectivités territoriales de Corse, et je
souhaite ardemment qu'il puisse être définitivement réglé, car nous risquons de
rencontrer certaines difficultés très graves. En effet, même si la situation
semble aujourd'hui être plus calme, nous restons à la merci d'une reprise
éventuelle des attentats visant, comme cela a été le cas ces dernières années,
les bâtiments appartenant aux collectivités locales.
M. le président.
Pas seulement dans l'île de Corse, ailleurs aussi !
FERMETURE DU CENTRE DE RECHERCHE D'ATOFINA
À LEVALLOIS
M. le président.
La parole est à M. Muzeau, auteur de la question n° 990, adressée à M. le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Roland Muzeau.
Lors de son audition par la commission de la production et des échanges de
l'Assemblée nationale, M. Desmarest, président-directeur général, déclarait
s'engager à ce que soit poursuivi l'effort de recherche, au sein de chacune des
composantes du groupe TotalFinaElf, dans le domaine de la recherche
appliquée.
Il se faisait ainsi l'écho des inquiétudes exprimées après la succession de
restructurations et de plans sociaux engagés par un des cinq plus grands
groupes mondiaux dans le domaine du pétrole et de la chimie, né de la fusion
des groupes TotalFina et Elf.
La vive émotion des cadres, techniciens, employés et ouvriers s'explique par
l'ampleur des restructurations : un tiers des 1 500 postes de recherche chez
Atofina en France sont menacés de suppression ou de transfert.
Cette émotion s'explique aussi par le fait que suppressions de postes et
délocalisations interviennent après plusieurs années d'excellents résultats
financiers et alors que les perspectives de commandes sont, elles aussi,
excellentes.
Or, malgré l'engagement de son P-DG, Atofina prévoit de fermer, à Levallois,
son centre de recherche appliquée qui occupe 240 personnes recherchant, à
partir des produits chimiques existants, des applications socialement utiles,
notamment dans le domaine de la protection de notre environnement, tels que les
substituts aux composants attaquant la couche d'ozone, les moyens de traiter
les eaux polluées ou encore la neutralisation des rejets produits par
l'industrie papetière.
Le centre d'applications de Levallois détient également des compétences
reconnues par agrément dans des domaines sensibles comme l'analyse de traces et
l'écotoxicologie.
Outre son utilité reconnue, ce centre n'est en aucune façon en doublon avec
les autres centres issus de la fusion - Feluy, en Belgique, et La Porte, aux
USA - et personne ne conteste son intérêt stratégique lié à sa position en
région parisienne - c'est le seul centre de recherche de la région dans ce
domaine - à la proximité du siège social, à une bonne desserte et aux synergies
qui existent avec la communauté scientifique d'Ile-de-France, la troisième
mondiale, je le rappelle.
Le maintien, sur le site ou dans un secteur proche de la Défense, comporte
beaucoup plus d'atouts que la délocalisation et la dispersion, comme le
démontre le résultat de l'audit réalisé à la demande du comité central
d'entreprise.
En tout état de cause, ce plan de restructuration constitue un affaiblissement
du potentiel de recherche chimique du groupe et du pays, qui fait craindre un
affaiblissement industriel par la suite et qui fait douter de la volonté de
remédier aux dégâts écologiques provoqués, notamment, par les appétits
financiers des grands groupes.
S'agissant, dans le cadre de la production d'énergie, de recherches ayant des
implications aussi fortes sur la protection de notre environnement, le
Gouvernement ne peut se désintéresser des effets négatifs d'une OPA - offre
publique d'achat - dont il a accepté le principe.
Que pensez-vous de la fermeture du centre d'application de Levallois et
quelles interventions avez-vous menées ou envisagez-vous d'entreprendre pour
maintenir les emplois et les activités de recherche dans la région et
poursuivre une politique ambitieuse de protection de l'environnement ?
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Huwart,
secrétaire d'Etat au commerce extérieur.
Monsieur le sénateur, le groupe
TotalFinaElf a fait connaître, en mars dernier, la stratégie qu'il comptait
mettre en oeuvre pour son pôle chimie - la société Atofina - qui représentait,
en 1999, 23 % d'un chiffre d'affaires global de 75 milliards d'euros. Cette
stratégie vise à développer la chimie à vocation mondiale par une croissance
fondée sur les points forts de l'entreprise en termes d'activités et de
recherche. Pour mettre en place cette stratégie, une nouvelle organisation
générale de la branche chimie a été décidée par le groupe en octobre 2000. Tel
est l'environnement général dans lequel s'inscrit le projet de suppression du
centre de recherche de Levallois, sur laquelle vous appelez l'attention du
Gouvernement et en particulier de Christian Pierret, secrétaire d'Etat à
l'industrie.
En ce qui concerne la recherche, qui représente plus de 1 700 personnes, le
groupe a souhaité rassembler, d'une part, ses activités de
recherche-développement pétrochimiques et, d'autre part, les équipes « procédé,
synthèse produits et applications » travaillant sur les mêmes grands types
d'activité afin d'améliorer les interactions entre ces équipes.
Le projet du groupe qui en résulte en matière de localisation des compétences
par site verrait donc le renforcement des sites de Serquigny, dans l'Eure, de
Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques, de Carling, dans la Moselle, de Feluy, en
Belgique, et de Pierre-Bénite, dans le Rhône, pour ce qui concerne la chimie
des peroxydes, des halogénés et de leurs applications dans les produits tels
que le papier, le textile et le cuir.
Ce projet du groupe conduirait effectivement à transférer l'essentiel des
activités du centre d'applications de Levallois, qui fermerait, à
Pierre-Bénite, dans la région Rhône-Alpes, dont l'accessibilité et
l'environnement intellectuel dans le domaine de la chimie ne peuvent être
niés.
Même si ce transfert conduit à la création d'un pôle de compétence regroupant
les forces et les savoir-faire d'Atofina dans un domaine assez vaste pour
bénéficier d'une meilleure interactivité et, partant, mieux assurer la
performance du groupe et de ses sites industriels français face à la
concurrence étrangère, il n'en reste pas moins que Atofina ne peut s'exonérer
de ses responsabilités, en premier lieu à l'égard de ses salariés.
C'est pourquoi il paraît indispensable à Christian Pierret que le dialogue
social au sein de l'entreprise se tienne sur ce projet de façon
particulièrementapprofondie, afin que les meilleures solutions puissent être
mises en place. Comme vous le soulignez, l'organisation future de la recherche
du groupe doit permettre de maintenir en France des compétences fortes sur les
différentes activités, notamment dans le domaine de l'environnement.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que nous serons particulièrement vigilants
sur ce point. De même, avec notre collègue Elisabeth Guigou, nous serons très
attentifs à ce que les mesures d'accompagnement pour les personnels du centre
d'applications de Levallois, si elles se révélaient inévitables, soient
particulièrement étudiées de façon à éviter tout licenciement.
M. Roland Muzeau.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je note avec satisfaction votre souci de
veiller à ce qu'un dialogue social s'instaure au sein de cette entreprise.
Cependant, je doute qu'un tel dialogue soit possible. En effet, ni les
responsables syndicaux ni les salariés venus des vingt centres du groupe pour
une journée de solidarité n'ont été satisfaits par les réponses que M.
Desmarest leur a apportées.
Je crains fort que, en l'occurrence, nous ne soyons face à une logique
financière de type libéral, et non à un projet industriel très cohérent. Au
bout du compte, l'emploi sera mis à mal.
Malgré les doutes que je viens d'exprimer, je souhaite, comme vous, que des
réponses soient apportées à ceproblème.
CONSÉQUENCE DE L'IMPLANTATION
D'UN CENTRE DE FORMATION DE PILOTES
SUR LA BASE D'ORANGE-CARITAT
M. le président.
La parole est à M. Haut, auteur de la question n° 966, adressée à M. le
ministre de la défense.
M. Claude Haut.
Madame la ministre, au mois de juillet 1998, sans aucune concertation sur le
plan local ni étude d'impact, était affecté sur la base militaire
d'Orange-Caritat, implantée au coeur d'une zone urbanisée, un escadron de
transformation de pilotes sur Mirage 2000, générant une situation intolérable
pour les habitants des communes riveraines de la base en raison des nuisances
sonores produites par cette activité de formation d'élèves pilotes.
Sur le plan local, les autorités militaires, conscientes des nuisances et de
la gêne occasionnées aux riverains, ont consenti des aménagements aux
conditions de survol des localités situées à proximité immédiate de la base.
Mais ces concessions ont atteint aujourd'hui les limites des nécessités
opérationnelles sans que les aménagements consentis permettent de rendre le
niveau de nuisance acceptable par la population.
Outre la légitime aspiration à la quiétude manifestée par nos concitoyens, ces
nuisances phoniques quotidiennes réduisent à néant l'ensemble des efforts
entrepris par les acteurs locaux en faveur du développement touristique, qui
est une spécificité de notre région.
La situation est-elle bloquée ? Je souhaite qu'elle ne le soit pas. Une
commission consultative qui avait été mise en place conjointement par le
ministère de l'environnement et par le ministère de la défense devait formuler
des propositions constructives. Qu'en est-il exactement ? Souhaite-t-on
préserver l'environnement de ce secteur du haut Vaucluse ? La délocalisation de
cet escadron de formation est-elle envisageable ? Sur tous ces points, je
souhaite, madame la ministre, que vous puissiez me donner quelques réponses
aujourd'hui.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le sénateur, dès
1998, le ministre de la défense a entrepris une concertation avec les élus et
les associations de riverains. L'objectif était de rechercher toutes les
mesures permettant de réduire rapidement les causes des nuisances sonores.
Ainsi, les procédures de vol ont été modifiées, certaines activités, comme les
vols de nuit, ont été limitées. Enfin, M. Alain Richard s'engageait à ramener
le niveau de l'activité aérienne à celui de l'été 1998, date d'implantation de
l'escadron de formation.
Cet objectif a été atteint : entre 1998 et 2000, le nombre de mouvements a
baissé de 33 000 à 27 500 grâce à des détachements extérieurs à la zone
d'Orange et à une réflexion sur le mode de formation. Cet effort a d'ailleurs
été salué par tous les élus au cours d'une réunion organisée par le général
commandant la région aérienne. Cet effort est poursuivi : par exemple, une
modification à caractère technique permettra de relever la pente d'approche
mauvaise visibilité, et donc de limiter les nuisances à l'atterrissage.
A plus grande échelle, les propositions contenues dans le rapport rédigé par
la mission commune « Défense-Environnement » sur les nuisances sonores
produites par l'activité aérienne militaire ont été analysées par les
ministères concernés.
Dans son domaine de responsabilité, le ministère de la défense demeure
favorable aux solutions évoquées par ce rapport. Il souhaite privilégier la
concertation, qui est essentielle pour la bonne connaissance des contraintes
réciproques. La commission consultative pour l'environnement d'Orange travaille
d'ores et déjà en ce sens.
L'étude de caractérisation des nuisances sonores, à l'instar de ce qui a été
pratiqué autour de certains aéroports civils, fait actuellement l'objet de
travaux très actifs dans les services concernés du ministère.
L'élaboration de chartes de qualité de l'environnement sonore, acte de
concertation et d'engagement mutuel pour définir des solutions acceptables,
sans remettre en cause ni la sécurité des vols et des populations ni le niveau
d'entraînement des forces, pourrait prendre effet à brève échéance.
Les autorités militaires ont consenti d'importants aménagements de l'activité
opérationnelle. Le ministère demeure très attentif à la bonne évolution de ce
dossier et continue de conduire ses actions avec toutes les parties concernées.
Il ne s'interdit aucune voie d'investigation mais reste, vous le comprendrez,
très soucieux de ne pas engager inconsidérément les deniers publics. La
délocalisation de l'escadron de formation, sur laquelle vous vous interrogez,
n'est pas aujourd'hui à l'ordre du jour.
M. Claude Haut.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Haut.
M. Claude Haut.
Madame le ministre, j'ai bien noté que quelques progrès ont déjà été faits et
que d'autres viendront. Vos propos sont encourageants, notamment sur le fait
que les propositions formulées par la commission mise en place pourraient être
retenues. J'espère qu'il en sera ainsi « à brève échéance », pour
reprendrel'expression que vous avez employée. Je souhaite donc que les espoirs
que vous venez de faire naître chez l'ensemble des riverains de la zone
concernée soient rapidement confirmés par la mise en place de dispositions. Il
y va de l'intérêt général, y compris de l'intérêt de la base aérienne
d'Orange-Caritat.
CRITÈRES D'ÉLIGIBILITÉ AUX SUBVENTIONS
POUR LA CRÉATION DE BIBLIOTHÈQUES
M. le président.
La parole est à M. Lassourd, auteur de la question n° 950, adressée à Mme le
ministre de la culture et de la communication.
M. Patrick Lassourd.
Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur le caractère trop
contraignant des critères d'éligibilité aux subventions, s'agissant de la
construction, de la rénovation et de l'extension des bibliothèques dans les
petites villes et les zones rurales.
En effet, la circulaire du 11 mars 1999, qui précise les conditions
d'attribution de ces subventions, oblige les collectivités à créer 7 mètres
carrés de bibliothèque pour 100 habitants. Et, lorsque des sites sont dispersés
dans une structure intercommunale, chacun d'entre eux doit disposer d'une
bibliothèque d'au moins 100 mètres carrés. Dans un canton rural comme le mien,
avec un chef-lieu de canton de 4 300 habitants et une communauté de communes de
8 000 habitants, cela représente une bibliothèque de 300 mètres carrés pour le
chef-lieu de canton et, pour la communauté de communes, si celle-ci est maître
d'ouvrage, une bibliothèque de 560 mètres carrés. La création de sites
délocalisés obligerait à prévoir une bibliothèque de 100 mètres carrés pour
chaque commune de 100 à 200 habitants. Ce critère de taille paraît hors de
proportion eu égard aux capacités financières de ces collectivités rurales.
S'agissant du personnel, la circulaire impose un emploi à temps complet pour 2
000 habitants, dont 50 % en catégorie A ou B. Le coût s'élèverait chaque année,
pour mon chef-lieu de canton, avec deux emplois à temps complet dont un de
catégorie A, à près de 300 000 francs et, pour la communauté de communes, à
quelque 600 000 francs. Là encore, il s'agit d'une dépense beaucoup trop
importante pour des collectivités rurales.
Ne serait-il pas possible d'assouplir ces critères ? J'entends bien que ces
derniers sont nécessaires, car la lecture ne s'improvise pas. Mais ne
pourrions-nous prévoir, s'agissant de la construction, 5 mètres carrés pour 100
habitants au lieu de 7 mètres carrés ? Quant au critère de personnel, les
collectivités rurales ne pourraient-elles pas y répondre progressivement - en
trois, quatre, cinq ou six ans - plutôt que de devoir y satisfaire dès la
constitution du dossier de subvention de la bibliothèque ? J'ajoute que cette
montée en charge faciliterait la transition avec les bénévoles.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le sénateur, je
ne sous-estime pas du tout les difficultés particulières et les efforts très
conséquents des petites communes rurales en matière de lecture publique ; mais
je ne crois pas que l'abaissement des critères d'éligibilité aux aides soit une
bonne solution, car cela reviendrait de fait, pour elles, à une offre de
moindre qualité, et donc à une inégalité de traitement.
C'est la raison pour laquelle la prescription touchant les surfaces relève de
la partie réglementaire du code général des collectivités territoriales, et non
d'une simple circulaire. La règle s'applique donc bien à l'ensemble des
communes désireuses de bénéficier d'une aide financière de l'Etat.
Les communes dont le projet de bibliothèque ne répondrait pas à ce critère de
taille ne sont cependant pas dépourvues de toute possibilité d'être aidées : de
nombreux conseils généraux mènent une politique d'aide à l'équipement des
petites bibliothèques faisant partie du réseau de leur bibliothèque
départementale de prêt. Une partie de ces dépenses est remboursée par l'Etat
dans le cadre du concours particulier départemental.
Le second critère pour l'attribution des aides de l'Etat correspond au
recrutement de personnel professionnel représentant la garantie d'un service de
qualité, qui est parfaitement complémentaire du rôle, que vous soulignez tout à
fait justement, joué par les bénévoles.
Dans la mesure où cette préconisation relève, quant à elle, d'une circulaire,
les services de l'Etat en région, animés par le souci de garantir le bon
fonctionnement des futures bibliothèques, ont une certaine marge d'appréciation
et peuvent, par exemple, tenir compte du niveau de ressources des communes
concernées. Cela est d'autant plus légitime qu'en milieu rural la bibliothèque
est souvent le premier, voire le seul équipement culturel, et joue de ce fait
un rôle structurant, culturel et social tout à fait essentiel.
Je note toutefois avec intérêt votre suggestion concernant la perspective
d'une montée en charge, monsieur le sénateur. C'est une question que, je
l'avoue, je n'avais pas envisagée avant de l'entendre formulée par vous ; je
demanderai donc qu'elle puisse être mise à l'étude.
D'une manière générale, qu'il s'agisse de l'investissement ou du
fonctionnement des bibliothèques municipales en zone rurale, je pense, pour ma
part, que l'intercommunalité constitue la vraie réponse au problème que vous
soulevez, monsieur le sénateur, par la mutualisation des moyens qu'elle permet.
Le ministère de la culture soutient déjà de telles initiatives, dans le cadre
du programme des relais-livre en campagne, par exemple.
Je souhaite que les communes rurales, mais aussi les villes, qui font le choix
de l'intercommunalité pour leurs bibliothèques, bénéficient rapidement d'une
aide accrue de l'Etat.
M. Patrick Lassourd.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Lassourd.
M. Patrick Lassourd.
Madame la ministre, j'ai bien entendu votre réponse.
S'agissant tout d'abord des subventions aux constructions, j'ai compris que
vous teniez aux critères de 7 mètres carrés pour 100 habitants.
Je tiens à indiquer que, si les directions régionales des affaires
culturelles, les DRAC, accordent une subvention de 25 à 40 % de la dépense, «
le nombre de dossiers déposés chaque année excède largement l'enveloppe de
crédits disponibles » ; voilà en effet ce qui figure en gras dans un encart
accompagnant la circulaire qui m'a été communiquée par la DRAC de Bretagne.
Cela signifie donc que le taux de subvention sera sans doute tiré vers le bas
pour pouvoir satisfaire à toutes les demandes.
S'agissant du critère de personnel, je suis heureux que vous m'ayez écouté,
madame la ministre. Une montée en charge du personnel serait effectivement, à
mon avis, une bonne chose.
Si les bibliothèques rurales reposent en grande partie sur le bénévolat, je
suis parfaitement d'accord pour dire qu'elles ont besoin d'un élément qualifié
et performant, pour les fédérer et les animer. Encore faut-il nous laisser du
temps pour parvenir à un tel résultat, et ce d'autant plus que les
intercommunalités sont en train d'émerger.
SITUATION DU LYCÉE HORTICOLE
DE RAISMES-VALENCIENNES
M. le président.
La parole est à M. Lefebvre, auteur de la question n° 960, adressée à M. le
ministre de l'agriculture et de la pêche.
M. Pierre Lefebvre.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les
conditions d'enseignement, d'hébergement et de fonctionnement du lycée
professionnel horticole de Raismes-Valenciennes dans le Nord sont de plus en
plus désastreuses. Les structures, qui étaient conçues pour recevoir 160 élèves
en 1981, en accueillent aujourd'hui 400.
L'établissement ne dispose pas de restauration scolaire et les élèves mangent
à l'extérieur en toutes saisons.
J'ajoute que, depuis le dépôt de ma question orale, la moitié d'une classe,
intoxiquée par des émanations liées au chauffage, a été hospitalisée.
Le lycée professionnel horticole est installé dans des locaux mis à sa
disposition à titre gracieux par la commune de Raismes, laquelle assure une
bonne part de l'entretien et participe en outre largement, avec la ville de
Valenciennes, au financement des activités par une dotation annuelle.
Cet établissement exerçant un attrait de plus en plus important sur les jeunes
gens de la partie sud du département du Nord, en attente d'insertion sociale et
professionnelle, ses conditions de fonctionnement ne peuvent continuer à se
dégrader sans provoquer d'énormes difficultés.
Sachant que la ville de Raismes est prête à fournir les terrains nécessaires,
je vous interroge, monsieur le ministre, sur vos intentions en ce qui concerne
la reconstruction de ce lycée horticole, que l'ensemble de la collectivité
souhaite rapide.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Luc Mélenchon,
ministre délégué à l'enseignement professionnel.
Monsieur le sénateur, je
voudrais avant toute chose vous dire que le Gouvernement connaît et apprécie la
part qu'occupe dans notre économie l'horticulture. De la production à la mise
en vente, c'est toute une chaîne de métiers hautement qualifiés qui est en
mouvement, et le ministre délégué à l'enseignement professionnel que je suis a
à en connaître régulièrement à travers les formations qu'il organise, pour la
part qui le concerne.
Au demeurant, vous l'avez souligné, il s'agit d'un métier qui exerce un fort
attrait auprès des jeunes, et parfois même de moins jeunes.
Par ailleurs, je tiens à féliciter solennellement, au nom du Gouvernement, les
élus de la commune de Raismes pour leur compréhension et pour leur
participation à l'effort qu'il a fallu consentir afin que la formation
dispensée par le lycée professionnel horticole soit protégée.
La situation de l'établissement de Raismes-Valenciennes, à propos duquel nous
partageons bien évidemment votre diagnostic, a été largement évoquée lors de la
rencontre, le 22 novembre dernier, du directeur général de l'enseignement et de
la recherche et du vice-président du conseil régional Nord - Pas-de-Calais.
Il y a accord de principe pour que l'établissement de Raismes, ainsi
d'ailleurs que les deux autres établissements communautaires de Dunkerque et de
Lomme, rentre dans le droit commun et que son financement ne soit plus supporté
par ceux qui en ont aujourd'hui la charge exclusive.
Pour cela, il est envisagé - la discussion, me semble-t-il, est en bonne voie
- la signature d'un protocole global entre l'Etat, la région et la collectivité
concernée, qui est, en principe, l'actuelle communauté d'agglomération. Cet
accord prévoit de la manière la plus claire qui soit, d'une part, la
reconstruction du lycée avec un internat, grâce à un cofinancement
région-collectivité et une participation du Fonds national d'aménagement et de
développement du territoire, le FNADT, et, d'autre part, la prise en charge
progressive des personnels administratifs, techniciens, ouvriers, sociaux, de
santé et de service, ou personnels ATOSS, par l'Etat.
Dans ces conditions, monsieur le sénateur, je pense que nous avons un cadre de
réponse.
Mais vous êtes un élu assez avisé pour savoir que les décisions ont leur
rythme de mise en oeuvre et qu'il est, hélas ! à craindre que, compte tenu de
l'état du bâtiment, mais aussi de son succès - cet établissement est très
fréquenté, et son effectif a fortement augmenté au cours des dernières années -
nous ne rencontrions des difficultés de gestion pendant la période intérimaire.
Mais nous avons la certitude que, comme cela a déjà été le cas, vous montrerez
l'exemple par votre dévouement en vue de régler positivement ce dossier.
M. Pierre Lefebvre.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre.
Monsieur le ministre, je vous remercie de ces précisions. Je transmettrai bien
évidemment aux élus de la ville de Raismes les remerciements et les
félicitations que vous leur avez adressés. Je pense qu'ils seront très
satisfaits de votre réponse, dans la mesure où vous nous annoncez que la
reconstruction du lycée professionnel horticole est programmée, non pas pour
demain, certes, mais pour les temps qui viennent.
SITUATION DES PERSONNELS
DES LYCÉES ET COLLÈGES DU PAS-DE-CALAIS
M. le président.
La parole est à M. Fatous, auteur de la question n° 973, adressée à M. le
ministre de l'éducation nationale.
M. Léon Fatous.
Monsieur le ministre, depuis quelques années, vous le savez, les lycées et les
collèges sont dotés de postes occupés par des personnes bénéficiant d'un
contrat emploi-solidarité, ou CES. A l'évidence, la présence de ces personnes a
permis de renforcer le personnel administratif et technique, et donc
l'améliorer la qualité de travail du corps enseignant et l'accueil des
élèves.
Or, depuis quelques mois, les proviseurs de lycée et les principaux de collège
n'ont plus la possibilité de renouveler les contrats de ces personnels, aux
missions, certes, diverses, mais ô combien utiles dans la gestion quotidienne
de leur établissement.
Dans mon département, le Pas-de-Calais, la direction départementale du travail
a, en outre, fait savoir aux chefs d'établissement, que, pour l'année 2001, un
nombre très restreint de contrats emplois consolidés leur seraient accordés.
Outre les problèmes humains que cela pose aux intéressés, souvent très jeunes
et passionnés par leur activité, il apparaît que le fonctionnement des
établissements en sera très perturbé. En effet, les heures de travail fournies
par le biais de cinq emplois de type CEC ne remplaceront jamais celles que
représentaient dix-huit emplois de type CES, pour prendre un exemple
correspondant à la situation que s'attendent à affronter la plupart des
responsables des établissements du Pas-de-Calais.
Au moment où vous vous engagez très largement dans des réformes visant à
améliorer la qualité de l'accueil des élèves, ainsi que dans une action forte
contre la violence, qui, malheureusement, affecte certains lycées et collèges,
la baisse du nombre de ces personnels va à l'encontre des objectifs visés.
Aussi, pouvez-vous, monsieur le ministre, me préciser quelles mesures vous
entendez prendre pour rétablir dans les établissements une vie scolaire et un
climat satisfaisants tant pour les enseignants que pour les élèves ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Luc Mélenchon,
ministre délégué à l'enseignement professionnel.
Monsieur le sénateur,
vous avez bien voulu, dans votre question, attester le fait que le Gouvernement
est engagé dans un effort d'amélioration des conditions d'accueil dans la vie
scolaire. Je crois utile de le noter.
En effet, la baisse des effectifs scolarisés, qui est un résultat de
l'évolution de notre démographie, n'a en aucune manière conduit à une baisse
des moyens d'encadrement mis en oeuvre dans l'ensemble de l'éducation
nationale. C'est même tout le contraire que l'on constate : nous augmentons le
nombre des personnels dans toutes les catégories de l'éducation nationale, de
manière à améliorer l'accueil de nos jeunes à un moment où, en effet, vous le
soulignez, des difficultés nouvelles se présentent compte tenu de comportements
qui nous perturbent tous très gravement.
S'agissant, plus précisément, de votre question, je rappelle que le ministère
de l'éducation nationale a mis en place le dispositif des contrats
emploi-solidarité et des contrats emplois consolidés dans le cadre de la
politique de lutte contre les exclusions et pour l'emploi, à laquelle, bien
évidemment, le ministère de l'éducation nationale prend toute sa part.
Ce qui doit être bien clair, c'est que ces contrats aidés visent à permettre à
des publics dits « en difficulté » d'être accompagnés dans leur effort de
réinsertion. Ils n'ont donc pas pour objet de compenser, dans les
établissements, un éventuel déficit en personnels de surveillance ou en
personnels ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers et de service, les
IATOS.
Cela étant, il est exact que leur contribution à la vie des établissements est
si réussie et si appréciée que dorénavant on a du mal à s'en passer et que l'on
a un peu perdu de vue quelle était leur nature.
C'est vrai, le nombre des contrats emploi-solidarité a diminué en 2000, dans
le cadre de la politique générale menée par le ministère de l'emploi et de la
solidarité, et dans un contexte général - vous le savez mieux que personne,
monsieur le sénateur - de nette amélioration de la situation de l'emploi dans
notre pays et même, à présent, d'une certaine compétition à l'embauche.
Le moindre nombre de CES a toutefois été compensé par un recrutement opéré au
travers de contrats emplois consolidés.
Je veux souligner que, sur les 10 000 contrats emplois consolidés pris en
charge par le ministère de l'éducation nationale, 1 000 ont déjà été accordés à
l'académie de Lille. Ce contingent académique devrait d'ailleurs être
légèrement augmenté prochainement, contrairement, semble-t-il, à quelques
rumeurs qui circulent.
Mais, surtout, le Gouvernement a pris la mesure de l'effort à accomplir pour
améliorer le fonctionnement quotidien des établissements. Nous avons décidé, à
cet effet, de créer, en 2000 et 2001, près de 2 000 emplois de personnels
administratifs, techniques, ouvriers et de service du second degré, ce qui est
sans précédent. Cet effort, vous le savez, se prolongera en 2002 et 2003, avec
3 000 créations d'emplois supplémentaires prévues dans le cadre du plan
pluriannuel.
C'est ainsi que, à la rentrée scolaire de 2000, 39 nouveaux emplois ont été
accordés à l'académie de Lille, qui a, en outre, bénéficié de 90 équivalents
temps plein au titre des mesures prises dans la loi de finances rectificative
et de 222 créations d'emplois jeunes ouvriers.
A la rentrée de 2001, les créations d'emplois nouveaux au profit de cette
académie s'élèveront à 125, dont 36 emplois de santé et sociaux. Ces emplois,
au même titre que l'ensemble des moyens, seront ensuite répartis par le recteur
d'académie entre les départements.
La qualité de la vie scolaire, dans le Pas-de-Calais comme dans l'ensemble du
pays, est non seulement au coeur de nos préoccupations, mais elle est encore
attestée par les moyens que nous mettons en oeuvre. Les chiffres que je viens
de vous indiquer, monsieur le sénateur, me semblent être de nature à en
témoigner.
M. Léon Fatous.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Fatous.
M. Léon Fatous.
Monsieur le ministre, nous avons tous constaté, lors de la dernière rentrée,
qu'un effort particulier avait été consenti en matière de personnels, que ce
soit dans les lycées, les collèges ou les écoles primaires. Cela étant, il est,
bien sûr, toujours désagréable, dans l'éducation comme ailleurs, lorsque l'on
s'est vu accorder des contrats emploi-solidarité, de se les voir retirer, tant
l'habitude avait été prise de les utiliser. C'est d'ailleurs pourquoi, parfois,
les proviseurs ou les intendants protestent.
Pour ma part, monsieur le ministre, je constate, bien sûr, les progrès qu'a
marqués la rentrée de septembre dernier, et je vous remercie de votre
réponse.
AUGMENTATION DES EFFECTIFS DE POLICE
POUR LA VILLE DE MÂCON
M. le président.
La parole est à M. Courtois, auteur de la question n° 956, adressée à M. le
ministre de l'intérieur.
M. Jean-Patrick Courtois.
Monsieur le ministre, je souhaite appeler l'attention de M. le ministre de
l'intérieur, ainsi que la vôtre, sur le nombre croissant d'actes d'incivilité,
de délinquance, et de délits de tous ordres, souvent passés sous silence et
presque toujours impunis, perpétrés dans la ville de Mâcon.
Magré une action exemplaire, que je dois souligner, le désarroi des forces de
police, aux premières lignes de cette lutte pour la garantie de nos libertés,
s'enracine dans une remarquable évidence : une part importante de cette
délinquance est le fait de récidivistes connus sur place.
Le taux d'élucidation des crimes et délits est de 35 % environ à Mâcon, ce qui
est très faible quand on sait que ce chiffre exprime la part des infractions
constatées dont le ou les auteurs ont été identifiés et entendus par
procès-verbal. Or, nous le savons, beaucoup d'actes de petite délinquance, ceux
qui embarrassent la vie quotidienne des Mâconnais, ne sont ni signalés ni
enregistrés.
De même, la délinquance des mineurs et les actes d'incivibilité connaissent
une augmentation foudroyante : tags, rackets, dégradations volontaires,
véhicules incendiés et agressions se multiplient de toutes parts dans les
quartiers de Mâcon.
Il est donc essentiel que la politique de sécurité élaborée par les services
de l'Etat se donne pour objectif la disparition de toute impunité, afin que les
citoyens ne se sentent plus dans l'obligation de s'isoler chez eux pour ne pas
mettre leur existence et leurs biens en danger. Encore faut-il s'en donner les
moyens !
Or, à Mâcon, le nombre des fonctionnaires de police a subi une baisse de douze
postes et les crédits affectés à la Saône-et-Loire ont été diminués de plus de
quatre cent mille francs.
Devant cette situation intolérable, qui affecte profondément les Mâconnais
dans leur vie au quotidien, je vous demande de bien vouloir m'indiquer les
mesures que le Gouvernement entend prendre pour procéder au rétablissement de
l'effectif et pour amplifier la création de postes que nécessite la dérive de
la situation actuelle en Mâconnais. Pouvez-vous me dire, par ailleurs, quand
ces mesures seront prises ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Luc Mélenchon,
ministre délégué à l'enseignement professionnel.
Monsieur le sénateur,
soyez assuré que M. le ministre de l'intérieur est désolé de se trouver empêché
de vous répondre personnellement, car il sait l'intérêt soutenu et vigilant que
vous portez à ces questions de sécurité.
C'est donc à moi qu'il revient de vous répondre, au nom du Gouvernement. Je le
fais avec d'autant plus d'intérêt que, étant en charge d'un secteur qui
accueille la moitié de la classe d'âge concernée, je suis bien informé de la
tendance, que vous soulignez, à une violence dont les formes ont évolué d'une
manière qui nous a tous pris, en quelque sorte, à contre-pied.
Inconstestablement, nous sommes face à un nouveau défi que nous ne pouvons pas
toujours penser dans les catégories dans lesquelles nous l'avions pensé dans le
passé. Je n'en dirai pas plus.
Qu'il me soit toutefois permis d'affirmer ici certain de votre compréhension,
que, au-delà de tout ce que nous pourrons apporter comme réponses en termes de
moyens, la responsabilité morale des individus est aussi engagée. Face au
déversement d'images faisant l'apologie de la violence parfois la plus barbare,
exposée sans aucun discernement, sans aucune maîtrise, à nos jeunes
générations, au nom d'un principe de liberté, à mon avis, fort mal compris,
aberrant au regard de la tradition millénaire qui veut que les images
contribuent à la formation de la psyché des jeunes, on ne saurait soutenir le
contraire.
En effet, de la misère, il y en a toujours eu, tout comme des difficultés
psychologiques ; mais de telles formes de violence, ce n'est qu'aujourd'hui que
nous les constatons, et nous devons nous demander quelles en sont les causes et
les examiner toutes ensemble, car vous avez raison : c'est au quotidien, dans
d'innombrables actes que, petit à petit, se déchire de manière extrêmement
préoccupante quelque chose qui est le goût de vivre ensemble.
Au cas particulier, je souligne qu'au vu des statistiques de la la
délinquance, d'après les premières estimations, la circonscription de Mâcon
connaît un taux de criminalité inférieur à la moyenne nationale. Il faut en
féliciter les familles, mais aussi tous ceux qui concourent à une certaine
stabilité de la situation : police nationale, police municipale et, très
vraisemblablement aussi, la vie associative, les travailleurs sociaux, bref,
tous ceux qui, sur place, concourent à maintenir les liens qui font une
certaine qualité de vie.
De plus, les services de police nationale et municipale sont présents dans les
quartiers et y déploient, de jour comme de nuit, tant dans le domaine préventif
que dans le domaine répressif, une activité soutenue que vous avez très
justement soulignée. C'est leur devoir.
Cette activité s'est concrétisée par une hausse du nombre des faits élucidés,
des gardés à vue et des personnes mises en cause en 2000 par rapport à 1999.
Cependant, pour lutter davantage contre les incivilités, la délinquance des
mineurs et les délits de voie publique, qui exacerbent le sentiment
d'insécurité de la population, qui exaspèrent nos concitoyens, le Gouvernement
reste déterminé à ne rien négliger qui puisse garantir l'autorité de l'Etat
ainsi que le droit fondamental à la sécurité. Que ceux qui voudraient y
contrevenir en soient bien informés !
Dans ce domaine, la politique engagée depuis le colloque de Villepinte, en
octobre 1997, et au travers des conseils de sécurité intérieure repose
principalement sur deux outils différents mais complémentaires que sont la
police de proximité et le contrat local de sécurité, l'un et l'autre
s'inspirant d'une logique de coproduction de la sécurité.
Je me félicite de l'engagement de la ville de Mâcon dans l'action partenariale
menée notamment avec les services de l'Etat afin de parvenir à une meilleure
sécurité des personnes et des biens.
Cette démarche s'est traduite, en septembre dernier, par la signature d'une
convention de coordination entre la police nationale et la police municipale,
ainsi que par celle, le 15 décembre 1998, d'un contrat local de sécurité dont
l'élargissement aux communes signataires du contrat d'agglomération témoigne,
semble-t-il, du succès.
Parallèlement à cette dynamique partenariale, la circonscription de Mâcon sera
associée à la nouvelle doctrine d'emploi et d'action policière que constitue la
police de proximité, et ce dès 2001, puisqu'elle a été retenue dans la deuxième
vague de généralisation.
Dans cette perspective, le département de Saône-et-Loire, où les
circonscriptions de Mâcon, de Chalon-sur-Saône et du Creusot, que j'ai
l'honneur de bien connaître, sont retenues au titre de la deuxième vague de
généralisation de la police de proximité, bénéficiera de dotations budgétaires
substantielles et de moyens accrus en véhicules, qui seront fixés très
prochainement.
Par ailleurs, en termes de personnels, le commissariat de Mâcon, qui
dénombrait, au début du mois de janvier 2001, 87 fonctionnaires de tous grades,
assistés de 21 adjoints de sécurité, a vu ses effectifs s'accroître, par
rapport au 1er janvier 2000, de 15 fonctionnaires et adjoints de sécurité.
Une telle évolution témoigne d'ores et déjà de la volonté du Gouvernement de
doter la circonscription de Mâcon des moyens nécessaires à la lutte contre
ladélinquance.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que le ministre de l'intérieur suivra avec
une attention particulière la situation de cette circonscription lors des
futurs mouvements des personnels et de la poursuite du programme
emplois-jeunes, afin que la mise en oeuvre de la police de proximité soit
pleinement réalisée en 2001.
M. Jean-Patrick Courtois.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois.
Comme je l'ai indiqué dans le rapport sur le budget de la police que j'ai eu
l'honneur de présenter au Sénat, l'appareil statistique, vous le savez comme
moi, n'est pas fiable : à l'heure actuelle, ne sont enregistrés que les
procès-verbaux transmis au parquet.
Cela signifie que tous les actes d'« incivilité », pour employer le terme
désormais utilisé, ne sont pas comptabilisés. Il est donc faux de dire que le
nombre des actes délictueux diminue. Si, demain, on supprimait tous les
procès-verbaux, on ne pourrait pas pour autant dire qu'il n'y a plus de
criminalité en France !
Or, ce qui gêne le plus nos concitoyens, ce sont ces actes d'incivilité. Ne
pas les retenir dans les statistiques, ce n'est pas correct, cela donne une
fausse image de la réalité.
La semaine dernière, à Mâcon, deux personnes âgées ont été agressées. Les deux
délinquants ont été arrêtés. Aucun acte n'a été transmis ; ces deux faits
n'apparaissent nulle part.
Ma deuxième remarque porte sur les effectifs. Vous dites que des adjoints de
sécurité seront nommés. Certes, mais un commissariat de police comme celui de
Mâcon a besoin, pour appliquer un îlotage réel et efficace, de fonctionnaires
de police professionnels et nous souhaitions que douze fonctionnaires
titulaires supplémentaires soient nommés. Or, vous proposez des emplois-jeunes.
Très bien ! On peut peut-être former des jeunes. Mais de tels postes doivent
venir en plus et non à la place de fonctionnaires titulaires.
J'ai entendu tout à l'heure la réponse que vous avez adressée à mon collègue
M. Fatous. Je partage votre sentiment et je demande simplement que le ministre
de l'intérieur applique ce que vous faites au ministère de l'éducation
nationale.
Peut-être faut-il simplement faire en sorte que vous soyez demain ministre de
l'intérieur... C'est ce que je vous souhaite.
(Sourires.)
M. Jean-Luc Mélenchon,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Luc Mélenchon,
ministre délégué.
Monsieur Courtois, je suis très ému de vos voeux,
croyez-le !...
(Nouveaux sourires.)
J'entends bien votre raisonnement. Elu local d'une zone urbaine, je comprends
bien vos interrogations.
Naturellement, nous ne confondrons pas la mesure avec la réalité. Vous avez
raison de dire que l'instrument statistique ne mesure qu'un ordre particulier
de délinquance. Mais, vous l'admettez, il s'agit des formes les plus lourdes,
qui relèvent des missions traditionnelles de l'Etat.
Avec les actes d'incivilité - quand nous disons « incivilité », cela va de la
petite incivilité à des actes plus lourds de conséquences, ne serait-ce que par
le traumatisme psychologique qu'ils engendrent, et qui, lui, n'est pas
mesurable - c'est un défi qui nous est lancé.
Soyons tous assurés que, bien sûr, le Gouvernement - celui-ci et d'autres
ensuite - fait toujours des efforts quant aux moyens ; la nation est mise à
contribution. Mais nous ne pouvons penser régler ces problèmes uniquement par
ces moyens, indispensables, qu'ils soient de répression ou de prévention.
En effet, la sécurité est une coproduction et tout doit être mis en mouvement.
Je pense, voyez-vous, aux questions d'éducation, bien sûr, au bien-vivre à
l'école - si l'on se sent en phase ascendante comme individu, il est clair
qu'on ne se livrera pas à des activités dégradantes pour soi-même - mais aussi
à la capacité que l'on donne aux parents - car il ne suffit pas de montrer du
doigt - d'être en situation de responsabilité par rapport à leurs jeunes.
L'étude au cas par cas des actes et des auteurs de ces actes montre que bien
d'autres moyens doivent être appelés à côté des effectifs de la police
nationale.
La police nationale, ou la police municipale n'est tout de même pas - je suis
sûr que vous êtes d'accord avec moi sur ce point, monsieur Courtois -
l'instrument unique de mise aux normes et du vivre ensemble de notre
population. Je suis sûr que nous partageons les mêmes préoccupations, monsieur
le sénateur, et soyez assuré que le Gouvernement vous comprend parfaitement.
Nous sommes tous assez connaisseurs des situations et des budgets pour savoir
ce qui serait souhaitable, mais nous savons aussi qu'entre le souhaitable et le
possible il y a une marche, une marche qui indique la volonté que l'on a ou que
l'on n'a pas.
Soyez assuré, monsieur le sénateur, que le Gouvernement a la volonté d'aller
dans le sens que vous indiquez, à savoir garantir le bon fonctionnement d'une
bonne police de proximité, qui puisse complètement remplir ses missions, sans
rien se cacher des difficultés qui existent.
M. le président.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons
interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à seize heures
cinq, sous la présidence de M. Jean Faure.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
MESSAGE DE SOLIDARITÉ AU PEUPLE INDIEN
M. le président.
Mes chers collègues, les mots manquent pour dire l'émotion suscitée par les
images terribles du tremblement de terre qui vient de frapper l'Etat du
Gujarat, dans le nord-ouest de l'Inde.
Une nouvelle fois, ce pays est frappé par une catastrophe naturelle de grande
ampleur, dont le bilan apparaît particulièrement dramatique, avec plus de 20
000 morts et plusieurs dizaines de milliers de blessés, et ce premier bilan est
loin d'être définitif.
Au nom du Sénat tout entier, et tout spécialement du groupe d'amitié
France-Inde, présidé par notre collègue Pierre Fauchon, je voudrais assurer les
victimes de cette catastrophe et la République de l'Inde de notre sympathie en
cette circonstance très douloureuse.
Le peuple indien peut compter sur la solidarité de la France, comme en
témoigne l'envoi d'équipes de spécialistes de la sécurité civile, dont
l'excellence est mondialement reconnue et auxquels je tiens à rendre
aujourd'hui un hommage plus que mérité.
M. Pierre Fauchon.
Merci, monsieur le président.
6
RAPPELS AU RÈGLEMENT
M. Yves Fréville.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville.
Mon rappel au règlement se fonde sur les articles 29 et 36.
En retirant de l'ordre du jour prioritaire de demain le débat sur la
décentralisation, le Gouvernement ne permet plus qu'on l'interroge sur les
contradictions graves de sa politique à l'égard des collectivités locales.
Mes chers collèques, nous avons appris ce matin, au comité des finances
locales, que le bouclage du financement de l'intercommunalité - financement en
accroissement, il est vrai, de 2 milliards de francs - allait nécessiter un
prélèvement de près de 830 millions de francs sur les collectivités locales à
travers la dotation de compensation de la taxe professionnelle. C'est trois
fois plus que l'année dernière !
De ce fait, de nombreuses communes verront leurs dotations diminuer, certaines
de 19 %, et, parmi elles, beaucoup de villes ayant un potentiel fiscal
inférieur à la moyenne, je pense également à Paris. Quel cadeau d'entrée en
fonction pour les nouvelles municipalités !
Les départements aussi seront touchés.
Cette situation était doublement prévisible, d'abord en raison du succès de
l'intercommunalité et du nombre croissant des communautés d'agglomération et de
communautés urbaines, qui était parfaitement connu du Gouvernement lors de
l'élaboration de la loi de finances, ensuite en raison du désengagement de
l'Etat, qui, certes, a donné d'une main 450 millions de francs, mais en a
repris 350 millions de l'autre, de telle sorte qu'il n'a participé qu'à hauteur
de 100 millions de francs au financement de l'intercommunalité, soit 5 % du
total.
Le Sénat - je parle ici sous le contrôle de M. le rapporteur général - sachant
que cette situation allait se produire, avait demandé 400 millions de francs
supplémentaires. Mais le Gouvernement, arguant de l'inutilité de ce crédit, a
rejeté la proposition de la commission des finances et de l'ensemble du Sénat.
Nous voyons ce qu'il en est aujourd'hui !
Dès lors, nous voulons demander à M. le ministre de l'intérieur si le
Gouvernement compte mettre fin à cette situation inadmissible et éviter la
réduction de la dotation de compensation de la taxe professionnelle en
attribuant immédiatement un crédit supplémentaire aux collectivités locales,
afin que le principe de compensation des pertes de recettes fiscales qu'il
défend toujours soit enfin respecté !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
Acte vous est donné de votre intervention, monsieur Fréville.
M. Denis Badré.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré.
Mon rappel au règlement se fonde sur l'article 36 de notre règlement.
De très graves désordres se sont produits samedi dernier, pendant plus de
trois heures, dans un centre commercial de la Défense, en plein après-midi, en
pleine zone d'affluence. Ils ont suscité une émotion, ô combien compréhensible,
non seulement dans les Hauts-de-Seine, mais aussi en Ile-de-France et, je crois
pouvoir le dire, dans tout le pays.
Monsieur le ministre, nous voulons savoir ce qui s'est passé. Nos services de
sécurité ont-ils vraiment été pris de cours ? Comment se fait-il qu'ils n'aient
pu rétablir plus rapidement l'ordre, laissant ainsi des familles et des enfants
exposés trop longtemps à de réels dangers ?
Le Gouvernement que, précisément, monsieur le ministre de l'intérieur, vous
représentez ici aujourd'hui, peut-il nous faire connaître son analyse, ainsi
que les réponses précises qu'il entend apporter à ces deux questions, afin que
de tels événements ne se reproduisent plus ?
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Monsieur Fréville, je pense qu'une séance de
questions d'actualité serait bien utile pour apporter une réponse à vos
interrogations. Mais je suis prêt, personnellement, à vous envoyer les éléments
d'information sur le sujet que vous avez évoqué.
Monsieur Badré, j'arrive à l'instant de l'Assemblée nationale, où la question
que vous avez évoquée a été posée par l'un de vos collègues.
Je tiens à vous rappeler que la police a été informée par ses services de
l'arrivée éventuelle d'un certain nombre de jeunes à Paris - Saint-Lazare ou La
Défense - mais pas de leur destination précise. Sur la base de ces
informations, cent trente policiers ont été regroupés sur le parvis de La
Défense.
Il n'y a eu aucun blessé à déplorer parmi toutes les victimes potentielles ;
le calme a été rétabli ; vingt-huit interpellations ont été opérées et un
certain nombre d'individus déférés au parquet. Cela a démontré, outre
l'efficacité d'une police nationale unie, sa bonne coordination, notamment sous
l'impulsion du préfet de police de Paris, dans le cadre de ce que l'on appelle
la zone « préfecture de police de Paris et départements de la petite couronne
».
Ainsi, les événements qui se sont effectivement produits samedi dernier sont
la parfaite illustration de la nécessité dans laquelle nous sommes de conserver
une police nationale sous autorité nationale plutôt que, comme certains le
suggèrent, une police éclatée, dirigée, je ne sais comment, par les maires. Au
demeurant, les maires sont bien utiles pour concourir à la sécurité, notamment
au travers des contrats locaux de sécurité et dans le cadre de la mise en place
de la police de proximité. Mais, monsieur le sénateur, les policiers,
précisément dans le cadre de cette police de proximité, auront de plus en plus
à traiter de questions judiciaires pour permettrent aux parquetiers de bien
orienter les dossiers. Alors, vous imaginez aisément combien il serait
préjudiciable que la police nationale soit en quelque sorte désagrégée !
Je vais même vous donner un argument supplémentaire : à La Défense, trois
communes et trois maires étaient concernés. Lequel d'entre eux aurait donc dû
diriger les forces de police pour régler le problème causé par ces trois cents
jeunes venus se bagarrer sur le secteur des Quatre Temps ?
En fait, samedi dernier, c'est la grande maîtrise des forces de police qui a
permis d'éviter le pire. Bien évidemment, pour l'avenir, il faut éviter que des
jeunes ne soient ainsi conduits à venir à La Défense ou ailleurs pour commettre
des exactions. Il s'agit certes d'un problème de police et de justice mais ce
problème dépasse les seuls domaines d'activité de l'Etat. Sa solution dépend
aussi de tous ceux qui peuvent concourir à prévenir de tels phénomènes pour
éviter que la France ne soit confrontée, comme d'autres pays - je ne suggère
pas de prendre exemple sur eux, s'agissant notamment de l'organisation des
forces de police -, à ce phénomène de bandes.
L'installation de la police de proximité, la maîtrise du terrain par la police
et non pas par les bandes, voilà bien un enjeu qui devrait rassembler toutes
celles et tous ceux qui sont attachés à l'Etat de droit, à l'Etat républicain
et donc au maintien d'une police nationale respectée, formée et bien utile au
rétablissement de l'ordre quand cela est nécessaire.
M. Philippe Marini.
Je demande la parole pour unrappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, me fondant
sur l'article 36 du règlement, je voudrais exprimer ma surprise à propos d'un
communiqué qui a été diffusé hier par les services du ministère de l'économie,
des finances et de l'industrie.
Ce communiqué porte sur les conditions de clôture de l'exercice budgétaire
2000.
Contrairement aux engagements de travail en commun qui avaient été pris, ce
communiqué a été diffusé à la presse avant que la commission des finances du
Sénat n'en ait eu connaissance.
Mais ma surprise porte aussi sur le fond dans la mesure où, dans ce
communiqué, le déficit budgétaire de 2000 s'établissait à 191 milliards de
francs alors qu'au mois de décembre, lorsque nous avons examiné le projet de
loi de finances rectificative, le Gouvernement s'appuyait sur l'hypothèse d'un
déficit de 209 milliards de francs. Ainsi, comme les années précédentes, grâce
à quelques artifices comptables, le Gouvernement fait apparaître les chiffres
qu'il souhaite.
J'ajoute, mes chers collègues, que ce montant de 191 milliards de francs,
sensiblement différent du montant sur lequel le Gouvernement s'était engagé
dans la discussion du projet de loi de finances rectificative, est extrêmement
proche de l'estimation que j'avais moi-même donnée au nom de la commission des
finances, qui était de l'ordre de 185 milliards de francs.
Lorsque j'avais avancé ce montant, vous vous en souvenez, le représentant du
Gouvernement m'avait rétorqué que cette estimation reposait sur des hypothèses
infondées.
En réalité, le Gouvernement aurait été mieux inspiré de regarder très
attentivement nos analyses et de faire confiance à la capacité d'expertise de
la commission des finances du Sénat !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
Acte vous est donné de ce rappel au règlement, mon cher collègue.
7
DATE D'EXPIRATION
DES POUVOIRS DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi
organique (n° 166, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, après
déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de
l'Assemblée nationale. [Rapport n° 186 (2000-2001).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. About.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. Nicolas About.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant
d'évoquer le fond du texte dont nous discutons aujourd'hui, j'aimerais relever
quelques singularités de notre débat.
Première singularité : l'attitude de nos collèguessocialistes,...
M. Philippe Marini.
Ils sont absents !
M. Louis de Broissia.
Il n'y en pas un seul !
M. Nicolas About,
Eh oui... qui ne sont pas parmi nous...
MM. Louis de Broissia et Hilaire Flandre.
Ils refusent le débat !
M. Nicolas About.
... sauf celui qui a accepté de rejoindre temporaiement le groupe
républicain,...
Mme Hélène Luc.
Il n'est pas socialiste !
M. Nicolas About.
... alors que, si l'on en croit leurs déclarations, ils seraient les plus
chauds défenseurs de la proposition de loi !
M. Philippe Marini.
Ils ne font rien pour la défendre !
M. Nicolas About.
Le plus étonnant est de constater que nos collègues ont quitté l'hémicycle non
pas après plusieurs jours de débat mais, et c'est là le plus triste, voire le
plus choquant, dès que le dernier orateur socialiste s'est exprimé,...
M. Louis de Broissia.
C'est une très bonne remarque ! Ils attendent la campagne municipale, monsieur
About !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et sur
certaines travées du RPR.)
M. Nicolas About.
... alors même que nous n'avions pas encore débattu aussi longtemps que
l'Assemblée nationale !
Deuxième singularité, monsieur le ministre : l'attitude de votre collègue du
Gouvernement à notre égard.
En effet, jeudi dernier, M. le ministre des relations avec le Parlement - bien
sûr, il fallait que ce soit le ministre des relations avec le Parlement pour
nous traiter comme cela !
(Sourires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants) -
a
soudain pris la peine de répondre à notre excellent et estimé collègue M. le
doyen Gélard,...
M. Henri de Raincourt.
Très estimé !
M. Nicolas About.
... et à lui seul,...
M. Louis de Broissia.
C'est vexant pour les autres !
M. Nicolas About.
... comme si les autres intervenants, y compris le premier d'entre nous, notre
rapporteur, Christian Bonnet, n'avait rien dit qui vaille la peine que le
ministre y réponde.
Plusieurs sénateurs du RPR.
Nous ne sommes pas doyens !
M. Nicolas About.
Effectivement, nous ne sommes pas doyens et, assurément, l'intervention de
notre collègue, M. Gélard, était de haut niveau, comme le sont, d'ailleurs,
toutes ses interventions.
M. Louis de Broissia.
Certes !
M. Nicolas About.
Mais cela ne justifie en aucun cas que le Gouvernement, à travers la personne
du ministre des relations avec le Parlement, méprise les arguments de ceux
d'entre nous qui ne sont pas agrégés de droit.
(Très bien ! sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
La troisième singularité de ce débat...
(M. le ministre s'entretient avec l'un de ses conseillers.)
... Monsieur le ministre, pardonnez-moi, je vais vous laisser le temps de
terminer votre conversation, je ne voudrais pas vous déranger. Voulez-vous que
je reprenne mon propos ?... La troisième singularité de ce débat, c'est la
volonté du Gouvernement de nous culpabiliser en nous reprochant de retarder
l'examen de textes importants, en particulier celui du projet de loi
d'orientation sur la forêt.
Mais, monsieur le ministre, nous sommes prêts ! Les rapports relatifs au
projet de loi sur la forêt sont imprimés, les amendements sont déposés et la
discussion peut commencer.
Je suis bien placé pour évoquer ce sujet car vous avez également reporté
l'examen de la proposition de loi sur les sectes, dont je suis le rapporteur.
Là encore, nous sommes prêts, le rapport est déposé, les amendements aussi,
nous avons beaucoup travaillé, procédé à des auditions : alors,
qu'attendons-nous ?
Je rappelle par ailleurs que cette proposition de loi sur les sectes a été
adoptée en décembre 1999 par le Sénat, qu'il a fallu six mois pour qu'elle soit
inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et encore six mois pour
qu'elle nous revienne. Par conséquent, il n'est pas fondé de dire que nous
retardons des textes importants.
M. Paul Loridant.
Mais non !
M. Nicolas About.
Vous souhaitez dire quelque chose ?
M. Henri de Raincourt.
Il faut laisser s'exprimer la gauche !
M. Paul Loridant.
Je disais : non, vous avez raison !
M. Nicolas About.
La vérité, monsieur le ministre, c'est que vous voulez faire passer en
priorité des textes qui ne sont pas importants ou qui ne sont importants que
pour vous, et là, nous avons, c'est vrai, quelque peine à vous suivre.
Venons-en maintenant au fond de l'affaire.
Le texte qui nous est soumis tend à reporter du premier mardi d'avril au
troisième mardi de juin - vous voyez que c'est grave ! - la date d'expiration
des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
En fait, tout le monde se moque de la date retenue,...
M. Philippe Marini.
Complètement !
M. Nicolas About.
... le seul objectif étant que l'élection présidentielle soit organisée avant
les élections législatives.
En octobre, pourtant, M. le Premier ministre et M. le ministre de l'intérieur
écartaient toute modification de la date des élections...
M. Philippe Marini.
Eh oui !
M. Nicolas About.
... en considérant qu'un large accord ou un consensus était nécessaire.
En novembre, le ton avait changé.
Et l'on ose nous dire aujourd'hui que le consensus exigé existe, puisque des
personnalités éminentes de l'opposition, M. le président Valéry Giscard
d'Estaing
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants)
ou M. Raymond Barre soutiennent l'opération.
(Plusieurs membres du groupe communiste républicain et citoyen quittent
l'hémicycle.)
M. Nicolas About.
Vous partez, vous aussi ?
M. Robert Bret.
Ils se rendent en commission des finances. Mais moi je reste !
M. Nicolas About.
Ah ! si M. Bret est là, l'opposition est représentée !
Monsieur le ministre, c'est bien la première fois que vous vous ralliez sans
détour aux conceptions institutionnelles de M. Raymond Barre.
En 1986, ce dernier estimait que la cohabitation devait être refusée et qu'un
Président de la République désavoué lors d'élections législatives devait
partir.
M. Louis de Broissia.
Eh bien, oui !
M. Nicolas About.
M. François Mitterrand ne l'a pas écouté.
Voilà six mois, M. Barre s'est opposé au quinquennat.
MM. Louis de Broissia et Philippe Marini.
Il avait bien raison !
M. Nicolas About.
C'est vrai ! Cela ne vous a pas arrêté. Et revoilà qu'aujourd'hui, M. Raymond
Barre lui-même, dont les conceptions institutionnelles ont le mérite d'être
claires et cohérentes, est devenu, à lui tout seul - ou presque ! - le
consensus sur lequel vous vous appuyez. Vous lui faites, monsieur le ministre,
beaucoup d'honneur. Mais je ne suis pas certain qu'il soit dupe de l'hommage
que vous lui rendez.
Puisque M. Barre est une référence dans ce débat,...
M. Louis de Broissia.
Non, pas toujours !
M. Nicolas About.
... il convient toutefois, monsieur le ministre, de l'écouter jusqu'au
bout.
Plus modeste que le Gouvernement, il écrivait, en effet, dans l'exposé des
motifs de sa proposition de loi : « L'on peut être favorable ou hostile à cette
idée » - il parle de l'inversion du calendrier électoral - « et les deux
positions, même si notre préférence va plutôt à la première, sont
a priori
également dignes, respectables et peuvent se prévaloir de forts arguments.
»
M. Philippe Marini.
C'est vrai.
M. Nicolas About.
Ainsi, monsieur le ministre, M. Barre nous invite au débat alors que le
Gouvernement entend nous faire voter un texte dans la précipitation en évitant
surtout d'aller au fond.
M. Philippe Marini.
M. Barre a bien raison.
M. Nicolas About.
Cette attitude dénote, monsieur le ministre, une curieuse conception des
droits du Parlement !
Ce gouvernement ne manque pas une occasion de se vanter d'être plus
respectueux que ses prédécesseurs à l'égard du Parlement. Mais, monsieur le
ministre, il ne suffit pas de ne pas recourir à l'article 49-3 de la
Constitution pour pouvoir se targuer de respecter pleinement le Parlement ! En
effet, vous ne vous êtes pas privés d'utiliser le vote bloqué et vous êtes en
train de devenir les champions toutes catégories de l'examen en urgence des
projets de loi.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Ce gouvernement n'est d'ailleurs pas très à l'aise sur la question des droits
du Parlement. Il défend, en effet, l'inversion du calendrier électoral au nom
de la logique des institutions de la Ve République qui voudrait que le
Président de la République façonne une majorité parlementaire pour le
soutenir.
Mais, dans le même temps, face à ses partenaires qui s'opposent à cette
conception présidentialiste, le Gouvernement déclare que ce n'est pas le
calendrier électoral qui détermine la nature d'un régime.
Il faut choisir ! Soit nos institutions ne peuvent fonctionner qu'avec un
Président élu avant les députés, et cela signifie que le calendrier détermine
la nature de notre régime, qui est alors de nature présidentialiste. Soit tel
n'est pas le cas, et je me demande ce que nous faisons ici, à discuter de ce
texte !
Monsieur le président, mes chers collègues, je voudrais m'arrêter maintenant
sur les conséquences de la proposition de loi que nous examinons.
Monsieur le ministre, vous proposez que, désormais, les législatives
commencent vers le 20 juin. Permettez-moi de vous dire que c'est une mauvaise
date. En effet, la clôture de la session devra intervenir quelques jours
seulement après que celle-ci aura débuté.
M. Hilaire Flandre.
C'est juste !
M. Nicolas About.
Sauf à renouer avec ces sessions extraordinaires...
M. Henri de Raincourt.
Ah non !
M. Nicolas About.
... que la session unique devait nous éviter.
M. Jean-Claude Carle.
Absolument !
M. Nicolas About.
C'est une mauvaise date aussi parce que la procédure budgétaire est déjà
largement engagée et qu'en cas de changement de gouvernement il faudrait la
reprendre.
Vous me direz que c'est déjà arrivé... en 1981, en 1988, en 1997.
M. Philippe Marini.
Tristes précédents !
M. Henri de Raincourt.
Justement !
M. Nicolas About.
Oui mais, comme dirait Valéry Giscard d'Estaing
(Rires sur les travées du RPR),
si l'on peut accepter qu'une législature
débute à une date peu satisfaisante en cas de dissolution, il n'est pas bon de
faire de cette date du troisième mardi de juin un principe. La date actuelle
est bonne, car elle permet la formation du Gouvernement avant que ne débute
l'élaboration de la procédure budgétaire.
On s'apercevra très vite, j'en suis sûr, que ce que vous nous proposez,
monsieur le ministre, est une erreur.
M. Hilaire Flandre.
C'est de la bouillie pour les chats !
M. Nicolas About.
Malheureusement, si le texte est voté, nous ne pourrons plus revenir en
arrière. En effet, pour revenir à la date d'avril, il faudrait, cette fois,
raccourcir la durée du mandat ou l'allonger de plus d'un ans, ce qui n'est pas
concevable.
M. Philippe Marini.
Il suffirait d'une dissolution !
M. Nicolas About.
Pourquoi pas ? Nous verrons ! Il y aura peut-être une dissolution à la date
des élections telle qu'elle était prévue.
M. Philippe Marini.
Ce n'est pas à exclure !
M. Nicolas About.
En fait, si nous voulons à nouveau changer cette date dans l'avenir, nous ne
pourrons que l'avancer un peu plus loin dans l'année.
L'idée du début du mois d'octobre, avancée par notre excellent et éminent
collègue Patrice Gélard, est sans doute séduisante. Mais une assemblée qui
vient d'être élue pourrait-elle nommer tous ses organes et examiner
immédiatement le projet de budget que le Gouvernement, s'il a changé, voudra
peut-être remanier entièrement ?
Un début de législature en octobre poserait de graves problèmes pour
l'élaboration du budget de la France, sauf à changer également les règles
constitutionnelles relatives à la discussion du projet de loi de finances.
M. Philippe Marini.
Il faut d'abord réformer l'ordonnance organique !
M. Nicolas About.
Eh oui ! Nous percevons là, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'une
des difficultés fondamentales de cette discussion. Il ne faut pas croire que
l'on peut toucher un élément de notre système institutionnel sans que cela ait
des conséquences sur l'ensemble de l'édifice. C'était vrai pour le quinquennat
; c'est vrai pour le calendrier électoral.
M. François Gerbaud.
C'est ce que disait Georges Pompidou !
M. Nicolas About.
Cette modification ne sera pas neutre, soyez-en convaincu, monsieur le
ministre.
S'il faut revoir notre système institutionnel, revoyons l'ensemble
tranquillement, sereinement, afin de conserver une cohérence indispensable.
Ainsi, en ce qui concerne les dates des élections, admettons un instant, un
très court instant, que vous ayez raison et qu'il soit préférable d'élire le
Président de la République avant les députés ; n'est-ce pas alors la date de
l'élection présidentielle qui pose problème ?
Je vous rappelle que, au début de la Ve République, le Président était élu en
décembre, tandis que les députés devaient l'être en mars. Ce calendrier donnait
toutesatisfaction. La difficulté est venue du fait qu'on n'a pas prévu de date
fixe pour l'expiration des pouvoirs du Président de la République alors qu'on a
prévu une telle date fixe pour l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée
nationale. De ce fait, le départ du général de Gaulle, puis le décès du
Président Georges Pompidou ont décalé la date de l'élection présidentielle, non
pour une seule fois, mais pour toujours.
Le problème n'est-il pas là, monsieur le ministre ? Ne devrions-nous pas
prévoir une date fixe pour l'expiration des pouvoirs du Président de la
République ? Ainsi, nous réglerions de manière définitive le problème du
calendrier. Bien sûr, un Président pourrait mourir ou démissionner, ce qui
modifierait le calendrier. Mais le calendrier ne serait modifié qu'une fois, et
non définitivement. Tout rentrerait dans l'ordre lors des élections
suivantes.
Je suis persuadé que nous pourrions trouver un consensus - un vrai, celui-là -
autour d'un système de ce type. Mais la vérité, monsieur le ministre, est que,
dans ce dossier, l'avenir de notre système institutionnel n'est pas votre
préoccupation. La seule chose qui vous importe, c'est qu'en 2002 l'élection
présidentielle ait lieu avant les élections législatives. Pour le reste, vous
vous dites sans doute qu'il sera toujours temps de reprendre la question plus
tard.
Ce faisant, monsieur le ministre, vous préférez effectivement une manoeuvre à
une véritable réflexion institutionnelle.
Il n'y a aucun précédent au texte dont nous discutons. Bien sûr, nous avons
déjà prorogé des mandats locaux, mais les assemblées locales n'ont pas
elles-mêmes prorogé leur mandat.
Dans le cas qui nous occupe, le Sénat est opposé à ce texte. Or, comme il
s'agit d'une proposition de loi, elle ne peut être soumise au peuple par
référendum.
Permettez-moi de solliciter votre attention, monsieur le ministre, sur ce
point qui me paraît très important. Ecoutez au moins cela ! Vous savez, nous
aussi, au Sénat, nous avons besoin d'être aimés et d'être un peu plus
respectés.
(Sourires, exclamations et applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants ainsi que sur celles du RPR.)
Je vous demande donc seulement quinze secondes de respect pendant mon
intervention, pas une de plus : le temps d'énoncer deux phrases. Me les
accordez-vous, monsieur le ministre ?
(M. le ministre manifeste qu'il est
prêt à écouter l'orateur.)
Vraiment, je ne sais comment remercier le
Gouvernement, et M. le ministre en particulier, de me prêter quinze secondes
d'attention !
Si le Sénat est hostile au texte, si le texte ne peut être soumis au
référendum, cela signifie qu'au bout du compte l'Assemblée nationale va voter
toute seule la prolongation de la durée de son mandat.
M. Henri de Raincourt.
C'est effrayant !
M. Nicolas About.
Je savais que les députés pouvaient voir leur mandat écourté par la volonté de
l'exécutif : j'en ai fait l'expérience en 1981. Je ne savais pas que le droit
de dissolution pouvait être compensé par la possibilité, pour l'Assemblée
nationale, de voter la prolongation de la durée de son mandat.
M. Serge Vinçon.
Cela ne ressemble plus tout à fait à la démocratie !
M. Nicolas About.
Vous pouvez reprendre vos occupations, monsieur le ministre...
(Sourires
sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Je tiens aussi à rappeler quelques souvenirs, qui ne sont d'ailleurs pas si
anciens.
En 1994, il a fallu reporter la date des élections municipales de 1995. Il y
avait, dans ce cas, une véritable raison pratique au report puisque, si nous ne
l'avions pas fait, les 36 000 maires de France n'auraient eu qu'une unique
journée pour apporter leur parrainage à un candidat à l'élection
présidentielle.
Lorsque ce texte est venu devant le Sénat, on pouvait penser qu'il
recueillerait le consensus. Tel ne fut pas le cas. Souvenez-vous, mes chers
collègues, des propos de notre estimé collègue le président Allouche. J'en cite
quelques-uns : « Dans la catégorie des manoeuvres politiciennes et partisanes,
ce projet de loi est un modèle du genre. »
Il devait penser, par anticipation, au texte qui nous est soumis aujourd'hui
!
M. Allouche ajoutait : « Il est encore plus grave de constater une fois encore
que, lorsque la droite est au pouvoir, notamment avec le RPR aux commandes,
elle se sert des institutions bien plus qu'elle ne les sert, que les lois sont
faites sur mesure, non dans l'intérêt supérieur du pays, mais pour servir des
ambitions personnelles. » Quelle prémonition !
(Rires et exclamations sur
les mêmes travées.)
M. Philippe Marini.
Quelle qualité d'analyse !
M. Christian de La Malène.
Quelle perspicacité !
M. Louis de Broissia.
Merci Allouche !
M. Nicolas About.
Malheureusement, l'éloquence du président Allouche me manque.
Je dois dire, monsieur le ministre, qu'il est audacieux de tenter de justifier
le texte dont nous débattons par des considérations d'intérêt général, alors
que vos amis s'opposaient avec violence à un texte qui, lui, devait permettre
de résoudre une simple difficulté pratique.
Je dois aussi rappeler, puiqu'on fait la leçon au Sénat, que les socialistes,
sur le projet de loi reportant la date des élections municipales de 1995, ont
déposé 4 201 amendements à l'Assemblée nationale pour tenter de retarder
l'adoption d'un texte de portée purement pratique.
M. Louis de Broissia.
Si ce n'est pas de l'obstruction, ça !
M. Nicolas About.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vois que
j'ai beaucoup parlé...
(Non ! Non ! sur les mêmes travées.)
M. Philippe Marini.
C'est très intéressant ! Nous apprenons beaucoup !
M. Louis de Broissia.
C'est limpide !
M. Nicolas About.
Si vous le souhaitez, je peux repréciser certains aspects de mon propos !
(Rires sur les mêmes travées.)
Je conclurai néanmoins en disant que nous n'avons aucun complexe à nous
opposer de toutes nos forces à ce que le Gouvernement veut nous imposer. Ce
n'est pas une réforme de société, ce n'est pas un grand texte social, ce n'est
pas un texte fondateur pour notre économie ou notre fiscalité. En bref, ce
n'est pas un texte important pour les citoyens ; il ne l'est que pour l'un
d'entre eux.
M. Jean-Claude Carle.
Un nom !
M. Nicolas About.
Monsieur le ministre, le Sénat de la République n'a pas l'habitude de
légiférer au bénéfice d'un seul des citoyens français, fût-il le Premier
ministre.
M. Hilaire Flandre.
Voilà qui est précis !
M. Nicolas About.
Nous nous opposerons donc sereinement, fermement et fièrement au texte qui
nous est soumis.
(Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte
dont l'examen nous réunit aujourd'hui nous est présenté comme essentiel au
regard du devenir de nos institutions. La modification technique qui en
constitue l'objet éviterait, paraît-il, de nombreux dysfonctionnements dans
l'avenir.
Ceux qui, hier, fustigeaient la dérive présidentielle du régime et se
faisaient les apôtres d'une lecture plus parlementaire de notre Constitution
ont soudainement, en vertu de considérations purement politiciennes et
électoralistes, procédé à un véritable revirement de position et invoquent
désormais l'« esprit de la Constitution ».
N'est-ce pas mettre à mal, bien entendu sans le dire ouvertement, la doctrine
gaulliste de la Ve République que de prétendre que des élections législatives
antérieures à l'élection présidentielle affaibliraient le rôle du Président
?
Notre collègue Alain Joyandet, s'exprimant il y a quelques mois au nom de
notre groupe en faveur de la réduction du mandat présidentiel à cinq ans, avait
expliqué que cette modification majeure de notre édifice constitutionnel
correspondait, selon lui, à une vraie modernisation de la vie politique. Il
avait également indiqué que, si des modifications s'avéraient ensuite
nécessaires, il faudrait avoir la volonté et le courage d'y procéder. C'est un
grand chantier qui exige du temps.
Or ce qui nous est proposé ici n'est qu'un ajustement conjoncturel demandé par
le Gouvernement.
Ne confondons surtout pas les enjeux et les objectifs.
Lorsque le Président de la République s'est prononcé en faveur d'un
quinquennat « sec », il a souhaité donner du temps à nos institutions afin
qu'elles puissent « digérer » cette profonde mutation institutionnelle. Nous
avons appuyé cette volonté en ne votant aucune autre modification
constitutionnelle et en reconnaissant le large consensus qui, pour la première
fois, était réuni autour d'un thème délicat.
Les mentalités étaient mûres pour un tel changement. En revanche, elles ne le
sont pas aujourd'hui pour aller plus loin et voter l'inversion du calendrier
électoral, ce qui reviendrait à valider la présidentialisation du régime.
Trois des arguments invoqués pour justifier l'inversion ont, à cet égard,
retenu mon attention, et je vous démontrerai dans les développements qui vont
suivre leurs faiblesses et leurs dangers.
Le premier argument avancé par le Gouvernement consiste à soutenir que
l'actuel calendrier électoral est contraire à l'esprit de la Ve République. La
majorité plurielle nous donnerait aujourd'hui des leçons de gaullisme en nous
indiquant la lecture convenable de la Constitution !
M. Philippe Marini.
Il ne manquerait plus que ça !
M. Dominique Leclerc.
Si le sujet n'était pas si grave, cela prêterait à rire. Mais, nous le savons
tous, de tels arguments sont tout simplement indécents et ne peuvent cacher la
réalité politicienne sous-jacente. M. Jospin se moque de l'interprétation et de
l'application de notre texte fondateur, qu'il n'invoque que lorsque cela sert
ses intérêts partisans. Ses revirements de position à ce sujet sont rélévateurs
de la cuisine politicienne qu'il essaie de nous faire avaler.
M. Philippe Marini.
Elle a mauvais goût !
M. Dominique Leclerc.
Elles est surtout indigeste, et c'est à nous de le souligner ! Etant donné le
contexte politique, quel risque les échéances électorales telles qu'elles sont
actuellement définies font-elles courir au parti socialiste ? C'est que les
différentes composantes de la majorité plurielle misent sur leur représentation
à l'Assemblée nationale et affaiblissent l'actuel Premier ministre dans son
rôle de
leader
incontesté de la gauche. Les élections législatives
d'avril 2002 pourraient ainsi révéler la stagnation du parti socialiste,...
M. Philippe Marini.
C'est un aveu de faiblesse !
M. Dominique Leclerc.
... ainsi que l'émergence d'autres courants qui disputeraient le
leadership
au chef du Gouvernement. Il est donc beaucoup plus confortable, pour le
Premier ministre, de proposer une inversion du calendrier, laquelle présente le
double avantage de contraindre les différentes composantes de sa majorité à
rester solidaires et de faire taire les velléités d'émancipation des uns et des
autres. Cela permet, par la même occasion, de jeter un pavé dans la mare de
l'opposition nationale en lançant, bien avant le début de la campagne
présidentielle, une guerre des clans et en tentant de marginaliser le mouvement
gaulliste.
Cette volonté de manipuler les échéances électorales de 2002 paraît encore
plus flagrante à la lecture d'une très sérieuse étude publiée dans la revue du
parti socialiste et selon laquelle les résultats de l'analyse des différents
scrutins depuis le début de la Ve République démontrent - c'est édifiant ! -
que le parti socialiste obtiendrait toujours lors des élections présidentielles
des scores meilleurs que lors des élections législatives. Pour preuve, les
différentes élections partielles qui se sont déroulées l'année dernière ont
permis de constater une certaine remontée de la droite, la gauche ayant, elle,
connu un recul manifeste. On peut citer, comme exemple parmi d'autres de la
remontée de la droite, la victoire de notre collègue député Jean-Marie Geveaux,
qui a été brillamment élu dans le département de la Sarthe, alors qu'il avait
perdu son siège en 1997.
M. Hilaire Flandre.
C'est un bon exemple !
M. Dominique Leclerc.
Tactique et stratégie, telles sont les motivations du Premier ministre, qui,
une fois encore, bafoue les droits du Parlement en tentant d'imposer une
réforme au forceps.
Le deuxième argument des partisans de l'inversion me semble, de prime abord,
plus fondé, mais ses effets, qui sont moins visibles, n'en sont pas moins
pernicieux : il s'agirait d'une répétition, car la question du calendrier
électoral se posera immanquablement en 2007 lors du renouvellement de
l'Assemblée nationale et de l'élection du successeur du Président de la
République qui sera élu en 2002 comme lors des renouvellements ultérieurs.
Inverser aujourd'hui le calendrier électoral, comme cela nous est proposé,
éviterait que la question ne se repose alors.
L'auteur de cet argument précise que le problème se reposera en termes
identiques à moins que le Président de la République n'ait procédé, dans
l'intervalle, à la dissolution d'une assemblée qui lui serait hostile. Or, on
le sait bien, lorsque les Français élisent un Président de la République, ils
lui accordent une majorité de soutien à l'Assemblée nationale quand ils sont
consultés dans les mois qui suivent. Tel a été le cas des dissolutions de 1981
et 1988 : elles ont apporté au Président Mitterrand la majorité dont il avait
besoin pour gouverner.
Cet argument est donc particulièrement pervers parce qu'il revient à envisager
que le Président de la République, disposant d'une majorité de soutien auprès
des députés, ne pourra pas prononcer la dissolution.
Or il me semble qu'il s'agit là d'une dérive vers un régime présidentiel :
cela revient à dénier au Président de la République son pouvoir propre de
dissolution tel qu'il est défini par l'article 12 de la Constitution, pouvoir
propre qu'il peut utiliser pour mettre fin à un conflit avec l'Assemblée
nationale comme ce fut le cas en 1962, pour s'assurer de sa légitimité
populaire comme ce fut le cas en 1968, ou pour tout autre raison dont il n'a
pas à justifier comme ce fut le cas en 1997.
En effet, si l'on reprend les définitions des régimes présidentiel et
parlementaire, le premier repose sur une séparation stricte des pouvoirs sans
moyen d'action réciproque et sans collaboration entre ces pouvoirs. Le
Président de la République est élu au suffrage universel direct ou indirect, le
Parlement aussi. Ils ont donc la même légitimité. Quant au régime
parlementaire, il repose sur une séparation souple des pouvoirs avec
collaboration des pouvoirs et moyens d'action réciproques : la responsabilité
gouvernementale et la dissolution.
Dénier au Président de la République son droit de dissolution tel qu'il est
défini par le texte fondateur de la Ve République reviendrait, d'une part, à
tendre vers un régime présidentiel sans donner, d'autre part, au Gouvernement
les garanties nécessaires à sa stabilité,...
M. Louis de Broissia.
Absolument !
M. Dominique Leclerc.
... une révision en profondeur n'étant pas envisagée.
M. Christian de La Malène.
Très bien !
M. Dominique Leclerc.
Dénier au président son droit de dissolution peut aussi nous faire tendre vers
un régime d'assemblée, comme ce fut le cas dans les débuts de la IIIe
République.
Devant l'hostilité de la chambre des députés, Mac-Mahon, qui disposait du
droit de dissolution, avait appelé les Français aux urnes en prononçant la
dissolution. Ce fut durant cette fameuse campagne électorale que Gambetta,
alors
leader
du camp républicain, déclara : « Il devra se soumettre ou
se démettre. »
M. Louis de Broissia.
Très juste !
M. Dominique Leclerc.
Il se soumit dans un premier temps puis se démit dans un second temps,
lorsqu'il fut à nouveau désavoué par les Français. En 1879, il fut remplacé par
Jules Grévy, qui déclara qu'il n'utiliserait plus l'arme de la dissolution,
laquelle tomba en désuétude. Ce fut la cause majeure de l'échec de la IIIe
République et de son instabilité chronique.
(Très bien ! et applaudissements
sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques-Richard Delong.
Grévy utilisait l'arme de la Légion d'honneur !
M. Dominique Leclerc.
Les constituants de 1958, forts de l'expérience du passé et de leur volonté de
restaurer l'exécutif, ont prévu des garde-fous pour éviter que le Président ne
perde ce droit indispensable.
Rien n'interdira ainsi au Président élu en 2002 de prononcer une dissolution
s'il le souhaite, et ce avant l'échéance de 2007. N'oublions pas, mes chers
collègues, que c'était l'objectif du « quinquennat sec » : ne pas dénaturer les
armes constitutionnelles à la disposition du Président et ne pas transformer
notre Constitution en régime présidentiel.
Rien n'interdit non plus au Président Chirac de prononcer une dissolution de
l'Assemblée nationale avant les prochaines échéances électorales.
M. Philippe Marini.
Très juste !
M. Dominique Leclerc.
Eh, oui ! Les jeux ne sont pas figés, et légiférer sur le calendrier électoral
pourrait se révéler complètement inutile.
M. Philippe Marini.
Nous perdons du temps !
M. Jacques-Richard Delong.
C'est tout à fait exact !
M. Dominique Leclerc.
le Président de la République reste le maître du jeu et l'entraîner dans une
cohabitation frontale pourrait se révéler dangereux pour l'actuel gouvernement
et la majorité qui le soutient.
MM. Louis de Broissia et Jacques-Richard Delong.
Absolument !
M. Serge Vinçon.
C'est le défaut de M. Jospin !
M. Dominique Leclerc.
Troisième argument qui a été avancé et qui lui aussi doit être démonté :
l'inversion du calendrier électoral permettrait d'éviter un risque de
cohabitation.
Certes, lorsqu'un président est nouvellement élu et qu'il prononce une
dissolution, les Français, on l'a vu, ont tendance à lui accorder une majorité
de soutien à l'Assemblée nationale, mais, à l'évidence, il ne s'agit en aucun
cas d'une obligation, et ce pour deux raisons qui me semblent essentielles.
M. Philippe Marini.
Qu'il faudrait étudier très attentivement !
M. Dominique Leclerc.
L'expérience de la Ve République nous donne la première. En 1988, lorsque
François Mitterrand, nouvellement réélu à la présidence de la République, a
prononcé la dissolution de l'Assemblée nationale, entraînant de ce fait de
nouvelles élections législatives, les Français ont certes donné la majorité à
l'Assemblée nationale au parti socialiste, mais celui-ci ne détenait pas la
majorité absolue.
Les commentateurs politiques et les constitutionnalistes ont alors
diagnostiqué un affaiblissement du fait majoritaire, une érosion de la
bipolarisation telle que nous la connaissions depuis 1962 : la majorité
présidentielle ne disposait plus d'une majorité de soutien homogène et forte à
l'Assemblée nationale. C'est ce qui a conduit alors Michel Rocard, Premier
ministre, à faire entrer dans le Gouvernement des personnalités issues de
milieux non politiques. Pourtant, le scrutin majoritaire avait été réintroduit
en 1986 et avait toujours permis de dégager une majorité de soutien pour le
Président de la République.
Cet exemple illustre qu'en matière de résultats électoraux on ne peut présumer
de rien !
Au-delà de ce constat, il me semble - c'est la seconde raison - que l'élection
d'un député est souvent ressentie par l'électeur, ne l'oublions pas, comme une
élection de proximité. L'électeur vote pour un homme ou pour une femme dans
lequel ou dans laquelle il se reconnaît, parfois même en dehors des clivages
politiques. On ne peut donc pas garantir que l'élection présidentielle
conditionne l'élection législative, sauf à les organiser le même jour,...
M. François Gerbaud.
C'est ce que souhaite Valéry Giscard d'Estaing !
M. Dominique Leclerc.
... ce qui reviendrait
de facto
à courir le risque d'un glissement vers
un régime présidentiel.
L'électeur ne vote donc pas automatiquement pour le mouvement politique auquel
appartient le Président de la République. Ce sera d'autant plus vrai en 2002
que nous sortirons d'une période de cinq années de cohabitation et que les
Français, même s'ils sont conscients des limites de celle-ci, ne sont pas tout
à fait opposés à cette pratique institutionnelle.
M. Philippe Marini.
Il faut les éclairer !
M. Dominique Leclerc.
C'est ce que l'on essaie de faire.
Ce qui est vrai pour l'élection des députés est encore plus vrai pour celle du
Président de la République : du fait de son élection au suffrage universel
direct, il s'agit d'un choix personnel de l'électeur, qui se prononce souvent
en fonction de la personnalité du candidat et non pas toujours, on l'a bien vu,
en fonction de son appartenance politique. Cette situation est conforme à
l'esprit de nos institutions.
M. Philippe Marini.
Absolument !
M. Dominique Leclerc.
Le Président est au-dessus des partis et il doit veiller au bon fonctionnement
des institutions.
C'était aussi la portée de la révision que nous avons votée l'an dernier :
faire en sorte que la légitimité duprésident citoyen soit confirmée plus
souvent par ses concitoyens.
Il n'est donc pas improbable que le candidat élu à la présidence de la
République le soit parce que les Français lui reconnaissent la capacité d'être
le chef de l'exécutif. Quant à leur choix d'un représentant à l'Assemblée
nationale, il n'est pas non plus, bien évidemment, automatique. Je le répète,
il n'existe pas de recette miracle qui permette à coup sûr de présager l'issue
de telle ou de telle élection.
M. Jacques-Richard Delong.
Absolument !
M. Dominique Leclerc.
Gardons-nous de jouer les apprentis sorciers et de changer des règles dans la
dernière ligne droite. Le choix appartient toujours, fort heureusement, aux
Français. Il en va de notre crédibilité et de notre honneur.
Enfin, il est aussi possible qu'une fois le Président de la République élu,
les Français se détournent des urnes, persuadés que les jeux sont faits
d'avance. Les résultats pourraient ainsi être tronqués et ne pas être conformes
aux prévisions.
Aucun des arguments avancés par les partisans de l'inversion du calendrier
électoral ne me semble donc réellement recevable. Il ne s'agit en fait que
d'une manipulation de portée électorale.
M. Jacques-Richard Delong.
Hélas !
M. Louis de Broissia.
On y arrive !
M. Dominique Leclerc.
La cohérence réside dans la seule vérité : si l'on veut changer de régime -
après tout, pourquoi pas ? - il faut le dire clairement et engager une révision
constitutionnelle, ce qui aura le mérite de permettre la réflexion sur
l'évolution de nos institutions et, surtout, de donner lieu à un véritable
débat démocratique.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Cessons donc là l'hypocrisie ! Les socialistes qui, pendant plus de vingt
ans, ont combattu la Ve République en publiant des pamphlets tels que
Le
coup d'Etat permanent
, une fois arrivés au pouvoir, en ont utilisé toutes
les facettes et ont démontré leur capacité à se servir d'un texte qui leur a
permis de gouverner sans obstacle majeur.
M. Jospin a parfaitement compris les enseignements de la présidence de
François Mitterrand et, chaque fois qu'un obstacle surgit entre lui et le
pouvoir, il n'a de cesse de le supprimer. Telle est sa volonté à l'égard de
notre assemblée, qui a l'audace de ne pas défendre les mêmes opinions que lui -
quel crime ! - et de ne pas lui offrir la majorité docile que lui apportent les
députés de la gauche plurielle. La Constitution et les règles
constitutionnelles les plus élémentaires deviennent donc ses outils au service
de l'exercice de sa politique : en la circonstance il agit non pas en fonction
de l'intérêt général, mais par rapport à son intérêt propre. Il ne peut laisser
les choses suivre leur cours, il lui faut impérativement peser sur le
déroulement des événements afin de s'assurer une potentielle victoire.
C'est ainsi que le Sénat a été qualifié d'« anomalie démocratique ».
M. Louis de Broissia.
Oh !
M. Dominique Leclerc.
Même si, parfois, certains membres du Gouvernement essaient de gommer cette
expression lorsqu'ils sont dans l'intimité d'une salle de commission, le Sénat
a bien été qualifié d'« anomalie démocratique »...
M. Louis de Broissia.
Par qui déjà ?... Un nom !
(Sourires sur les travées du RPR.)
M. Dominique Leclerc.
... puisqu'il osait s'opposer à ses réformes et que le mode de désignation des
sénateurs a été remis en cause sans que soit prise en compte la volonté
réformatrice de notre institution qui, elle-même, proposait une adaptation de
son mode de scrutin afin de prendre simplement en compte les évolutions
démographiques.
Le Conseil constitutionnel n'a cependant pas été dupe et a censuré le texte de
M. Jospin concernant la désignation des grands électeurs tel qu'il avait été
voté grâce au soutien de l'Assemblée nationale. Le Conseil constitutionnel
apparaît donc comme le dernier garant du respect de la Constitution ; il
remplit ainsi complètement ce rôle et s'acquitte parfaitement de sa tâche. Dans
ce rôle impartial, il est aussi critiqué. A quand la proposition de supprimer
ce dernier rempart de constitutionnalité, ce dernier garant du droit et des
libertés, ce gardien de l'égalité de tous les citoyens devant la loi ?
M. Philippe Marini.
Cela viendra !
M. Dominique Leclerc.
Effectivement !
La question a donc été posée de savoir quelle serait l'attitude du gardien de
la Constitution qui sera automatiquement consulté sur cette proposition de loi
organique.
Selon le professeur Favoreu, que la commission des lois a auditionné, le
Conseil pourrait censurer cette inversion du calendrier. En effet, le doyen
Favoreu a précisé que le juge constitutionnel serait amené à exercer un
véritable contrôle des motifs de la modification proposée. Il a ainsi récusé
l'idée selon laquelle le Conseil constitutionnel aurait donné, par avance, une
justification à l'inversion du calendrier dans ses recommandations du 23
juillet 2000. Il a estimé que la seule préoccupation exprimée par le Conseil, à
savoir le respect de la date limite de présentation des candidats, pouvait
parfaitement être satisfaite par une fixation de la date des élections
législatives aux 3 et 10 mars et par une clôture des présentations des
candidats pour l'élection présidentielle au 2 avril à minuit, pour une élection
présidentielle fixée aux 21 avril et 5 mai. Il a remarqué que, le 19 décembre
2000 à l'Assemblée nationale, le ministre de l'intérieur l'avait reconnu
explicitement.
Soulignant qu'il n'y avait donc pas de justification technique et, en
conséquence, pas de motif à l'inversion du calendrier, il a fait valoir que la
seule motivation était d'ordre politique et qu'elle était plutôt floue, le
contenu de « l'esprit des institutions » variant selon les interlocuteurs. Il
en a conclu qu'il flottait comme un parfum de « détournement de pouvoir ». Nous
sommes donc en présence d'une sorte de coup d'Etat puisque l'on ose changer
l'ordre des élections qui concernent le Président de la République contre son
avis.
M. Philippe Marini.
C'est le coup d'Etat permanent !
M. Dominique Leclerc.
Louis Favoreu a enfin démontré que cette réforme allait contre la
jurisprudence du Conseil constitutionnel fondée sur ses décisions de 1990, de
1994 et de 1996 qui concernaient la prorogation du mandat des membres
d'assemblées locales, qu'il s'agisse de conseils municipaux, de conseils
généraux ou d'une assemblée territoriale d'outre-mer. A ces occasions, la
position du Conseil constitutionnel avait été suffisamment claire : cette
prorogation n'était possible que dans la mesure où elle favorisait la
participation des électeurs, assurait la continuité de l'administration
départementale, évitait la concomitance des élections avec une réforme sur le
statut des élus ou permettait aux électeurs d'être mieux informés sur les
conséquences de leur choix.
En effet, si l'on reprend la définition de la loi organique, telle qu'elle est
présentée dans différents manuels de droit constitutionnel, on comprend vite
que le constituant de 1958, en prévoyant cette catégorie intermédiaire entre la
loi ordinaire et la loi constitutionnelle, a souhaité que son utilisation ne
soit pas uniquement dictée par des ajustements conjoncturels. La Constitution,
au sens étroit, ne peut régler tout ce qui concerne les pouvoirs publics. La
minutie des détails risquerait de compromettre la majestée du texte et sa
pérennité. On trouve donc, à côté de la Constitution, des lois qui la
complètent, la précisent, l'adaptent.
M. Louis de Broissia.
Très jolie formulation !
M. Dominique Leclerc.
Ce sont les lois organiques.
Les lois organiques prévues par la Constitution de 1958 fournissent une bonne
illustration de cette catégorie à part dans la hiérarchie des normes : elles
permettent, je le rappelle, mes chers collègues, de compléter la Constitution,
de développer les règles d'organisation et de fonctionnement des pouvoirs.
Elles sont soumises à une procédure particulière et à une saisine automatique
du Conseil constitutionnel afin d'éviter les tentations de dérapage qui
pourraient conduire à une révision détournée de la Constitution.
M. Jacques-Richard Delong.
Ce serait affreux !
M. Dominique Leclerc.
Eh oui ! Le Conseil constitutionnel doit donc veiller à ce que le texte
constitutionnel ne soit pas dénaturé, sous prétexte de compléter ou d'éclairer
le texte de la Constitution. Il ne saurait accepter qu'une loi organique soit
motivée par d'obscurs calculs politiques.
Dans le cas présent, aucune de ces justifications techniques ne s'applique ;
la seule explication que l'on peut retenir est un choix conjoncturel délibéré
du Gouvernement. Une telle attitude n'est pas acceptable de la part des plus
hautes sphères de l'Etat. Il s'agit d'une attitude irresponsable, que nous nous
devons de condamner, surtout lorsqu'elle est déclenchée à peine un an avant les
échéances concernées... Il s'agit bien là - et vous l'avez souligné, chers
collègues - de cuisine politicienne à laquelle nous ne saurions adhérer !
(M. Louis de Broissia applaudit.)
M. Philippe Marini.
Très bien !
M. Dominique Leclerc.
Tous ces éléments me laissent fort dubitatif et m'incitent à m'interroger sur
la pertinence des arguments et des calculs de M. Jospin.
Pertinence des arguments : j'ai déjà démontré que les arguments
constitutionnels ne tenaient pas ; la lecture de la Constitution est ce que
l'on souhaite qu'elle soit.
M. Jospin souhaite clairement rester au pouvoir et il lui semble, étant donné
l'érosion de sa majorité plurielle, que le meilleur moyen d'y parvenir est
d'apparaître comme le seul recours et de tenir ses alliés dans une main de fer
avec l'épée de Damoclès de l'élection présidentielle au-dessus de leurs
têtes.
Ces calculs sont-ils fondés ? Absolument pas !
Tout d'abord, parce que l'on ne peut pas dire, plus d'un an avant des
échéances majeures, dans quel contexte elles se dérouleront. Je l'ai déjà dit
et je tiens à le souligner à nouveau car, à mes yeux, c'est essentiel.
Ensuite, parce que, quel que soit l'ordre dans lequel les élections auront
lieu, le candidat élu à la présidence de la République le sera à partir d'un
projet, qui ne sera pas défini entre le mois d'avril et le mois de juin. Ce
projet sera décliné dans un programme par la coalition qui aura soutenu le
vainqueur. Les élections présidentielle et législatives, quel que soit l'ordre
de leur déroulement, seront donc étroitement mêlées.
Alors, que l'élection présidentielle ait lieu avant ou après les élections
législatives ne changera rien dans les faits,...
M. Philippe Marini.
Donc, nous perdons notre temps !
M. Dominique Leclerc.
En effet ! Cela ne changera rien, disais-je, sinon que M. Jospin prouve
aujourd'hui qu'en inversant le calendrier il renforce ses chances et celles
d'autres candidats nouveaux, tout en pénalisant le Président sortant.
Affaiblir ou penser affaiblir le Président sortant, voilà bien le seul but que
cherche à atteindre le promoteur de ce coup.
M. Jacques-Richard Delong.
Bien jugé !
M. Dominique Leclerc.
On n'hésite pas, en allant contre l'avis du Président de la République qui a
ouvertement manifesté son opposition à l'inversion du calendrier électoral, à
porter atteinte à la fonction présidentielle elle-même
(M. Louis de Broissia
opine)
en réalisant un coup de force contre celui qui représente l'unité
nationale. Pour servir leur propre ambition, ils n'hésitent pas à s'attaquer au
Président de la République en tentant de le marginaliser. Rien ne peut excuser
cette démarche !
M. Philippe Marini.
Certes !
M. Dominique Leclerc.
Qu'il y ait plusieurs candidats à droite, comme à gauche, pour la
présidentielle de 2002, c'est normal, c'est même sain, mais que ceux-ci soient
prêts à porter atteinte à la fonction à laquelle ils aspirent pour affaiblir
l'homme qui l'occupe actuellement, cela n'est pas normal. Alors cessons la
langue de bois etparlons clair : arrêtons de donner l'impression que l'on
défend « l'esprit » de la Ve République alors qu'il ne s'agit que de calculs
politiques à peine cachés.
Pour conclure, je voudrais dire que je suis particulièrement et sincèrement
choqué par les moments que nous vivons depuis l'annonce de cette opération.
Comme d'autres, j'ai développé un certain nombre d'arguments. Je me suis prêté
à cet exercice qui n'est pas toujours facile. Il est bien dommage que nous ne
prenions pas le temps d'un véritable débat à l'occasion duquel les arguments
sincères des gaullistes, des présidentialistes et des parlementaristes
pourraient être démocratiquement confrontés, au grand jour, pour aménager
l'éventuelle évolution de la Constitution, et ce sans précipitation. Voilà qui
serait sûrement plus intéressant et susciterait l'intérêt général.
Au lieu de cela, nous assistons à un « coup », dans un climat de langue de
bois et de mensonge, dans le plus grand mépris de nos institutions : Président
de la République et Parlement.
Alors, oui, le Sénat est entré en résistance. Quand on est en résistance, il
faut utiliser tous les moyens que l'on a à sa disposition.
M. Philippe Marini.
Tout à fait !
M. Louis de Broissia.
Mais ils ne sont pas nombreux !
M. Dominique Leclerc.
Sur ce sujet-là et dans ces circonstances-là, nous devons rester debout.
Etant réformateur par nature, y compris pour nos institutions, je n'arrive
cependant pas à accepter les conditions dans lesquelles tout cela se
déroule.
Quel spectacle donne-t-on ?
M. Daniel Vaillant,
ministre de l'intérieur.
Eh oui !
M. Dominique Leclerc.
Un Premier ministre de gauche qui monte une opération contre l'avis du
Président de la République avec une partie de la droite, contre une partie de
la gauche plurielle, qui négocie déjà les contreparties de son calme
relatif,...
M. Philippe Marini.
C'est pitoyable !
M. Dominique Leclerc.
... et tout cela dans l'urgence et le camouflage. Je ne crois pas qu'on puisse
en être très fier.
J'ai entendu parler de « roulette russe »,...
M. Louis de Broissia.
Absolument ! Je confirme !
M. Dominique Leclerc.
... de « tiercé » ; je vois pour ma part, dans tout cela, une regrettable
partie de poker menteur.
(M. de Broissia applaudit.)
Ce n'est pas dans ces conditions que nous moderniserons notre vie publique et
surtout, mes chers collègues, que nous ferons revenir aux urnes tous ceux qui
les ont fuies.
M. Joseph Ostermann.
C'est bien vrai !
M. Dominique Leclerc.
Le Sénat, sur ce sujet, ne doit pas avoir peur d'expliquer à l'opinion
publique pourquoi il insiste. Les arguments ne manquent pas. Ils sont sains et
modernes.
Ce combat est noble : c'est celui du rejet des ententes contre-nature, du
refus du poker menteur, de tout ce qui fonde le rejet de la politique par nos
concitoyens.
C'est aussi la réaffirmation de notre attachement à nos institutions - y
compris de la part de ceux qui ne sont pas hostiles à une certaine évolution,
et Dieu sait si nous l'avons dit - et à celui qui les incarne. La première de
nos institutions, c'est le Président de la République.
Pour rencontrer et vivre au milieu de nos concitoyens, je suis certain que ces
derniers seront nombreux à nous rejoindre dans notre démarche.
(Bravo ! et
applaudissements sur les travées du RPR. - M. de Cossé-Brissac applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. Delong.
M. Jacques-Richard Delong.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que
nous examinons aujourd'hui me semble un texte en trompe-l'oeil dont l'objectif
essentiel est non pas de permettre à nos institutions de retrouver un rythme
électoral « normal », comme voudraient nous le laisser croire ses partisans,
mais bel et bien de procéder à une manipulation politicienne des suffrages et
de porter atteinte de façon tortueuse à l'autorité du Président de la
République.
N'ayons pas peur des mots, ne nous cachons pas, comme le fait le Gouvernement,
derrière de pseudo-contraintes électorales : le Premier ministre et ceux qui le
soutiennent dans cette démarche essaient tout simplement de « marquer des
points » contre le Président de la République. La stratégie est limpide, même
si elle s'agite en eaux troubles : il s'agit, dans un contexte de cohabitation
qui s'essoufle, de mettre à mal l'image du chef de l'Etat, et ce au mépris,
d'une part, de la fonction qu'il occupe et, d'autre part, de la volonté
exprimée par les Français qui l'ont élu à ce poste prééminent.
Une fois cette vérité mise en évidence, tous les arguments que peuvent avancer
les uns ou les autres me semblent fallacieux, et ce pour deux raisons
essentielles : la première tient aux déclarations contradictoires du Premier
ministre sur ce sujet, la seconde tient aux justifications avancées et aux
motivations réelles.
Voyons d'abord les déclarations contradictoires.
M. Jospin se fait aujourd'hui l'apôtre de l'inversion du calendrier électoral
ou, si vous préférez, de la prolongation du mandat des députés. A ce sujet, je
vous avoue mon étonnement. Au cours de ma relativement longue vie
parlementaire, j'ai toujours vu abréger le mandat des députés ; mais c'est bien
la première fois que, par un miracle rose, je le vois s'allonger ou, tout au
moins, proposer son allongement !
M. Philippe Marini.
Utile remarque !
M. Jacques-Richard Delong.
M. le Premier ministre aurait-il la mémoire courte ?
M. Philippe Marini.
Pourquoi ne pas prolonger le mandat des sénateurs ?
(Rires.)
M. Jacques-Richard Delong.
Aurait-il oublié les propos qu'il tenait le 19 octobre dernier ? Nous nous
sommes chargés de les lui rappeler à plusieurs occasions et, comme il continue
à persister et à signer dans sa volonté de manipulation électorale, je me
charge, après beaucoup d'autres, de lui rafraîchir encore une fois la mémoire :
« Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement
politique, voire politicienne. »
M. Louis de Broissia.
Eh oui !
M. Jacques-Richard Delong.
« Moi, j'en resterai là. Et il faudrait qu'un consensus s'esquisse pour que
des initiatives puissent être prises. » Lorsqu'ils ont été prononcés, ces
propos m'ont semblé édifiants.
Mais moins de deux mois plus tard, le même Premier ministre s'exprimait en ces
termes, devant l'Assemblée nationale : « J'espère que vous serez convaincus que
le rétablissement du calendrier électoral le plus logique, celui où l'élection
présidentielle précède l'élection législative, loin d'obéir à une problématique
partisane, est la condition pour que 2002 soit le moment démocratique de
responsabilité, de débat et de choix que nos concitoyens attendent. »
Il est évident que, à partir du moment où apparaissent, dans cette longue
citation, les expressions « problématique partisane », d'une part, et « moment
démocratique de responsabilité », d'autre part, chaque citoyen conscient
devrait être convaincu que la vérité, et la vérité seule, a été dite.
Les étudiants en droit constitutionnel ou en sciences politiques qui, je
l'espère, se pencheront, dans vingt ou trente ans, sur les travaux de nos
assemblées seront bien étonnés de constater l'inconstance des dirigeants de ce
début de millénaire, qui, en l'espace de deux mois, auront pu affirmer tout et
son contraire. N'avons-nous pas là l'exemple flagrant de l'usage de la langue
de bois en politique ?
M. Philippe Marini.
C'est pitoyable !
M. Jacques-Richard Delong.
Et encore, je serais bien en peine de vous dire de quelle nature se trouve
être le bois en question !
M. Philippe Marini.
C'est pourtant un spécialiste qui parle !
(Sourires.)
M. Jacques-Richard Delong.
Merci !
Cependant, me rétorquerez-vous, M. le Premier ministre avait bien précisé
qu'il ne prendrait pas d'initiative personnelle sur ce sujet, mais que, si un
consensus se dégageait, il réviserait sa position. Alors, de quel consensus
s'agit-il ? D'un consensus politique ou d'un consensus institutionnel ?
Peut-on parler de consensus politique ?
Le Premier ministre, en défenseur des droits du Parlement, aurait ainsi voulu
signifier qu'il laisserait les parlementaires faire leur choix en leur âme et
conscience et qu'il ne briderait pas leur volonté.
Or, plusieurs propositions de loi issues de la majorité et de son opposition
ont été déposées à l'Assemblée nationale sur ce thème. Il y aurait donc un réel
consensus, et M. Jospin, en défenseur des droits du Parlement, se sentirait
investi de la mission de donner une réponse rapide à cette attente qu'il sent
sourdre au sein des députés.
La question était effectivement vitale pour l'avenir de nos institutions, et
le Premier ministre, dont on connaît le profond attachement pour les
institutions de la Ve République en faveur desquelles il a toujours milité,
aurait couru à son secours afin de ne pas engendrer les dysfonctionnements
irrémédiables auxquels nous aurions à faire face dans les années à venir.
Effectivement, le calendrier électoral, tel qu'il est prévu, a des
conséquences. Il s'agit non pas seulement de remettre les élections dans le bon
ordre pour l'année 2002, mais aussi de résoudre ce problème qui se reposera
inéluctablement dans cinq ans, puisque le mandat du Président de la République
est désormais le quinquennat. Il est donc fort étonnant que le Premier
ministre, qui agit dans l'intérêt supérieur de la France, ait fait cette
annonce non pas devant le Parlement mais devant le congrès de son parti, le 26
novembre 2000 ! Et il veut nous faire croire qu'il ne s'agit pas de décisions
partisanes, que ses motivations ne sont pas électoralistes et que c'est devant
le très large consensus qui s'est dégagé qu'il a pris cette décision, en somme
presque contraint et forcé, puisque, jusqu'à présent, il n'a pas encore dit
qu'il était candidat !
Quel zèle, alors... Quel respect de l'initiative parlementaire... L'urgence
ayant été déclarée sur ce texte, il ne sera procédé qu'à une seule lecture par
nos deux assemblées. Et, pour qu'un vrai débat ait lieu, le Gouvernement a
organisé le 19 décembre dernier, la veille de l'examen du texte devant
l'Assemblée nationale, un débat sur l'avenir de nos institutions. Histoire sans
doute de respecter les droits du Parlement !
Rarement un texte d'origine parlementaire n'aura connu un tel soutien de la
part du Gouvernement ! La preuve en est que les différentes propositions de loi
ont été déposées entre le 3 octobre et le 28 novembre 2000 ; elles ont été
inscrites à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le 20 décembre 2000 et à
celui du Sénat le 16 janvier 2001. C'est une véritable course contre la montre
que joue le Gouvernement pour satisfaire les parlementaires. Nous devrions donc
lui en être reconnaissants...
Il est vrai qu'un véritable consensus a permis cette initiative, consensus
auquel le Gouvernement ne pouvait que donner satisfaction.
Le vote des députés, le 20 décembre dernier, illustre bien cet état d'esprit :
le nombre des votes « pour » s'élevait à 300, et celui des votes « contre » à
245. Les votes « pour » se répartissaient comme suit : 255 votes socialistes,
23 PRG et MDC, 25 UDF, 1 PC et 2 RPF. Les votes « contre » regroupaient 131
RPR, 43 Démocratie libérale, 31 UDF, 34 PC, 2 Verts et 4 non-inscrits. On ne
peut dire qu'il y ait absolument eu unanimité !
Quand au vote du Sénat, peu importe, puisqu'il y a consensus et que le Sénat
est une « anomalie démocratique » qui n'a pas voix au chapitre.
M. Hilaire Flandre.
Et voilà !
M. Jacques-Richard Delong.
L'urgence déclarée permettra de passer outre son refus ! Le consensus, tel que
l'entend le Gouvernement, a donc une définition bien étroite : il s'agirait de
l'accord entre le parti socialiste et certains représentants de l'opposition
nationale. On est loin de la définition retenue par
Le Robert,
qui
définit ainsi ce terme : « Accord entre plusieurs personnes ; en politique :
accord et consentement du plus grand nombre, de l'opinion ». On est loin de
cette définition puisque le consentement du Sénat ne vous est pas acquis,
monsieur le ministre, et que le seul consentement dont vous disposez est celui
de l'Assemblée nationale. Il n'y a donc pas consensus ; il ne devrait donc pas
y avoir d'inversion du calendrier.
Vous me répondrez que, en l'état actuel des forces politiques, le Sénat fait
de l'obstruction législative, qu'il empêche le Gouvernement de mettre en oeuvre
sa politique et que c'est pour cette raison que celui-ci doit recourir à la
procédure d'urgence et forcer la main de la Haute Assemblée.
Pourtant, il me semble que, à de nombreuses occasions, sur des textes
réellement importants, la Haute Assemblée a fait preuve de beaucoup d'ouverture
et qu'un terrain d'entente avait pu être trouvé : proposition de loi relative à
la contraception d'urgence, proposition de loi tendant à permettre aux
conseillers d'arrondissement de siéger au conseil d'une communauté urbaine,
proposition de loi sur l'indemnisation des condamnés reconnus innocents. Si
l'on reprend le nombre des lois promulguées lors de la précédente session, on
constate que, sur les 53 textes adoptés, 37, soit un peu plus de 70 %, l'ont
été en termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat, ce résultat
ayant été obtenu par la navette pour 30 textes et à la suite de la réunion
d'une commission mixte paritaire pour 7 textes.
S'agissant du droit d'amendement du Sénat, j'indique que 5 556 amendements ont
été déposés, dont près de la moitié a été retenue par l'Assemblée nationale.
A propos de ces exemples, on peut parler de consensus. Mais tel n'est pas le
cas du texte qui nous intéresse aujourd'hui...
Le consensus n'existe donc pas sur ce thème, ni au sein de la classe politique
ni au sein des assemblées. C'est ce constat qui a conduit Alain Juppé, le 19
décembre dernier, à déclarer ceci : « Où a-t-on vu le consensus esquissé ?
L'opposition est très majoritairement hostile à cette inversion et votre propre
majorité, si j'ai bien compris, est fortement divisée ».
Vous n'avez pas convaincu votre propre majorité plurielle et vous souhaiteriez
nous convaincre que vous agissez pour l'intérêt général, alors que vous
n'agissez que pour vos propres intérêts... Personne n'est dupe, pas même vos
alliés communistes qui, par la voix de Robert Hue, ont fortement critiqué votre
manipulation électorale de dernière minute : « Je récuse l'idée que l'inversion
du calendrier serait commandée par des raisons de cohérence ou, plus
exactement, je récuse cette prétendue cohérence. J'ai même l'impression que nos
débats sont ressentis par l'opinion publique comme des faux-semblants. J'ajoute
qu'il est singulier de voir la question du calendrier devenir subitement
essentielle, primordiale, au point de nous appeler à trancher dans la
précipitation. »
Mais peut-être ai-je mal compris la portée du consensus tel que vous
l'entendez ! Peut-être y aurait-il consensus entre le Président de la
République et le Premier ministre, comme cela a été le cas pour le projet de
loi de révision constitutionnelle !
A entendre les déclarations du président Jacques Chirac, qui ne souhaite pas
que l'on change les règles du jeu dans la dernière ligne droite, je ne le pense
pas.
Il n'y a donc aucun consensus, et le texte que nous examinons aujourd'hui
n'est qu'une dérisoire manipulation : le Gouvernement et ceux qui sont
partisans de cette inversion se moquent des institutions de la Ve République et
les agrémentent à leur guise.
Cela m'amène à mon deuxième point, à savoir les justifications techniques de
cette inversion du calendrier.
En effet, nous l'avons vu, il n'existe aucune réelle demande en faveur de
l'inversion ; il ne s'agit que d'une agrégation d'intérêts particuliers plus ou
moins clairs. Alors peut-être existe-t-il de vraies justifications
institutionnelles !
Dans ce cas, il me semble très étonnant que, d'une part, le sujet n'ait pas
été abordé lors du débat constitutionnel qui nous a tous réunis voilà quelques
mois et que, d'autre part, cette modification « majeure » fasse l'objet d'un
texte adopté à la va-vite, sans réel débat constitutionnel et sans demander
l'approbation finale du peuple, détenteur du pouvoir constituant.
Car, en fait, le choix de la date des élections législatives n'est pas anodin
: il pourrait, selon certains constitutionnalistes, avoir des conséquences sur
notre équilibre institutionnel. Opter pour le calendrier législatif tel qu'il
est conçu aujourd'hui revient à ne pas influer sur cet équilibre ; l'inverser
pourrait avoir des conséquences que l'on ne mesure pas totalement.
Souvenons-nous des paroles de Michel Debré devant le Conseil d'Etat en 1958 :
« Ni régime d'assemblée, ni régime présidentiel, la voie devant nous est
étroite, celle du régime parlementaire ». Un régime parlementaire unique en son
genre, dans lequel, pour reprendre l'expression de Michel Debré, le Président
de la République est la clé de voûte des institutions. Un régime parlementaire
que d'aucuns qualifient de régime mixte, car alliant les bases de la
responsabilité gouvernementale devant le Parlement et des pouvoirs propres du
Président de la République.
Le président de la Ve République est un président fort, notre pratique
constitutionnelle l'a démontré : c'est un président fort en période de
concordance des majorités présidentielle et parlementaire, lorsque le fait
majoritaire fonctionne, mais c'est aussi un président fort en période de
cohabitation.
Cette place prééminente au sein des institutions avait conduit M. Valéry
Giscard d'Estaing, alors Président de la République, à indiquer, lors de son
discours prononcé en 1978 à Verdun-sur-le-Doubs, qu'il resterait Président de
la République quand bien même les électeurs éliraient une majorité hostile à
l'Assemblée nationale. Il avait ainsi esquissé les grands traits de la
cohabitation.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
C'est ce même président fort qui conduit François Mitterrand à définir son
rôle durant la nouvelle forme de coexistence institutionnelle qui apparaît en
1986, lorsqu'il dit « La Constitution, toute la Constitution, rien que la
Constitution ! »
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
M. Louis de Broissia.
Très bonne citation.
M. Jacques-Richard Delong.
Le fait de faire précéder son élection par les élections législatives ne
changera en rien l'importance de ses pouvoirs : il reste élu au suffrage
universel direct et ne peut être soumis au diktat des partis politiques. Il
aura toujours, en vertu de l'article 12 de la Constitution, le pouvoir de
prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale si des blocages venaient à
apparaître. Je reconnais, cependant, qu'il n'a pas le pouvoir de prolonger la
durée du mandat des députés.
Lors des auditions auxquelles notre commission des lois a procédé, nous avons
entendu d'éminents constitutionnalistes qui se sont prononcés sur ce problème
de l'ordre des élections et sur son influence sur le régime de la Ve
République.
M. Guy Carcassonne estime que, dans un schéma où le Président de la République
serait élu avant les députés, ceux-ci tireraient leur légitimité du Président
et que, dans le cas inverse, l'Assemblée nationale tirerait sa légitimité de sa
propre élection, indépendamment de celle du Président de la République et que,
naturellement, il risquerait d'y avoir des tensions après quelques années
d'exercice du pouvoir.
Cette analyse n'est pas une révolution en soi. On sait bien que, dans ses
premières années de pouvoir, le Président de la République a besoin d'un
Premier ministre qui le soutienne et qui lui rallie la majorité parlementaire
et que, après quelques années, une fois son autorité établie, il peut choisir
une personnalité plus proche et moins partisane. Tel a pratiquement toujours
été le cas sous la Ve République.
La question qui se pose est de savoir si le Président élu après l'Assemblée
nationale peut voir son rôle diminuer à cause de ce calendrier.
Personnellement, je ne le pense pas, dans la mesure où il dispose de l'arme
absolue de la dissolution. Le cas qui était évoqué par le professeurCarcassonne
était celui de l'Assemblée nationale élue en 1993. Il s'agit pourtant d'un cas
de figure unique dans l'histoire de la Ve République, car, sans revenir sur les
événements de l'époque, cette assemblée avait eu, pendant les deux années de
cohabitation, un vrai pouvoir d'assemblée en régime parlementaire, ce qui a pu
expliquer certaines tensions et certaines vélléités d'émancipation.
Dans le cas présent, on ne peut pas dire que l'Assemblée nationale élue en
mars aura une légitimité réelle par rapport à un Président élu en mai. Les deux
élections étant intimement liées, on ne pourra pas, dans les faits, les
dissocier.
Si l'ordre dans lequel les élections auront lieu était si déterminant pour
l'avenir de nos institutions, il est fort regrettable que ce sujet n'ait pas
été abordé avant et n'ait pas donné lieu à un vrai débat de fond.
La précipitation traduit donc la manipulation électorale. Les partisans de
l'inversion souhaitent, pour dissimuler leurs ambitions électorales, nous faire
croire qu'ils sont les derniers remparts entre l'esprit de la Constitution et
le galvaudage électoral.
M. Paul Blanc.
Très juste !
M. Jacques-Richard Delong.
Ils souhaitent nous donner des leçons de lecture constitutionnelle en
replaçant au centre de leurs préoccupations celui dont ils ont si longtemps
critiqué la fonction.
En 1958, lors des travaux préparatoires de la Constitution, des questions se
sont posées quant à l'éventuelle constitutionnalisation du mode de scrutin pour
l'élection des députés. Michel Debré, toujours lui, était tenté d'inscrire le
scrutin majoritaire uninominal à deux tours dans le texte constitutionnel. Il
ne l'a pas fait,...
M. Hilaire Flandre.
Il aurait bien dû !
M. Jacques-Richard Delong.
... car il a jugé qu'il serait trop réducteur d'inscrire le mode de scrutin
dans la Constitution, que celui-ci devait conserver une utilisation
suffisamment souple qui permette à la majorité en place de le moduler.
C'est ce qu'a fait François Mitterrand, en 1985, en instaurant la
proportionnelle pour l'élection des députés. A moins d'un an des élections
législatives, il a préféré limiter les dégâts, limiter la défaite de son parti,
en recourant à ce subterfuge. Vous êtes donc, monsieur le ministre, des
habitués de la manipulation électorale.
(Voilà ! sur les travées du
RPR.)
En réalité, ce subterfuge ne lui a pas vraiment réussi, puisque c'est une
majorité de droite qui est sortie des urnes ! Il a seulement limité l'effet de
la volonté populaire en ne donnant à la majorité parlementaire qu'un siège de
majorité à l'Assemblée nationale. C'est l'arroseur arrosé !
Mais François Mitterrand avait le mérite de ne pas être revenu sur ses propos
: la représentation proportionnelle était une revendication ancienne du parti
socialiste, inscrite dans le programme des 110 propositions qui l'avait fait
élire.
Pour le Gouvernement actuel, l'antériorité de la demande ne peut être
invoquée. Je l'ai déjà dit, il ne peut s'agir que d'un revirement conjoncturel
de position.
On pourrait reprocher au Premier ministre d'adopter une politique de girouette
sur ce sujet,...
M. Louis de Broissia.
Mais non !
(Sourires sur les mêmes travées.)
M. Jacques-Richard Delong.
... comme, d'ailleurs, sur d'autres thèmes sur lesquels son action a été
marquée par une série de revirements.
M. Louis de Broissia.
Des exemples !
M. Jacques-Richard Delong.
Bien évidemment, sa réponse pourrait être celle d'Edgar Faure, qui avait
rétorqué, à ce sujet, que ce n'était pas la girouette qui tournait, que c'était
le vent qui la faisait tourner.
M. Louis de Broissia.
Voilà !
M. Jacques-Richard Delong.
Pour conclure
(Oh non ! sur les travées du RPR.)
car, malheureusement,
il faut conclure,...
M. Louis de Broissia.
Malheureusement pour nous !
M. Jacques-Richard Delong.
... je dirai que la proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui
comme devant être une modification essentiellement technique est, en fait,
beaucoup plus pernicieuse qu'il n'y paraît.
Pernicieuse, d'abord, parce qu'elle révise indirectement nos institutions en
changeant les règles du jeu en cours de route, ce qui n'est pas une attitude
responsable.
Pernicieuse, ensuite, parce qu'elle met en lumière les appétits politiques de
certains, qui sont prêts à porter atteinte à la fonction présidentielle pour
assouvir leur faim.
Pernicieuse, enfin et surtout, parce qu'il s'agit d'une véritable atteinte à
la fonction présidentielle, le Premier ministre engageant une réforme
essentielle, constitutionnelle - dois-je le rappeler ? - sans l'accord du
Président de la République. C'est ce qu'on appelle, en langage sportif, un «
coup bas », qui laisse mal augurer de la façon dont va se dérouler cette
dernière année de cohabitation. Et c'est fort regrettable : le Premier ministre
agit en ne respectant pas les institutions et ne donne pas, par conséquent,
malgré ses dires, un exemple démocratique.
(Applaudissements sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Flandre.
(Applaudissements sur les travées du
RPR.)
M. Hilaire Flandre.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment de
prendre la parole à cette tribune, je dois vous faire un aveu : je n'avais pas
l'intention d'intervenir dans ce débat, qui se situe à des années-lumière des
préoccupations de nos concitoyens. Mais, à la réflexion, je me suis dit qu'il
était nécessaire d'exprimer le point de vue d'un homme simple.
Entendez-moi bien, mes chers collègues, j'ai dit « simple » au sens de « pas
compliqué », je n'ai pas dit « simplet » : ma corpulence m'interdirait
d'ailleurs de tenir le rôle d'un des petits compagnons de Blanche-Neige !
Je suis - chacun le sait ici - un paysan, c'est-à-dire que je fais partie de
ces gens dont Clemenceau disait : « Faites confiance au bon sens paysan, ces
gens-là n'ont pas reçu assez d'instruction pour pouvoir raisonner de travers.
»
M. Louis de Broissia.
Très bien !
M. Hilaire Flandre.
C'est une parole sage, qui, d'abord, montre une grande clairvoyance et,
ensuite, manifeste déjà une certaine méfiance à l'égard des effets induits
d'une éducation insatisfaisante.
Je n'ai donc pas fait de longues études. Je n'ai pas pour autant de complexes
par rapport à ceux qui peuvent afficher des diplômes de grandes écoles ou des
baccalauréats + 6, + 8, voire davantage. Moi, voyez-vous, j'ai un CAP + 50 !
M. Louis de Broissia.
Bravo !
M. Hilaire Flandre.
Cinquante ans d'expérience, de réflexion, de méditation, d'affrontement aux
réalités de l'existence, ce qui procure une certaine philosophie, une aptitude
à écouter et surtout à entendre et comprendre nos concitoyens.
M. Joseph Ostermann.
Très bien !
M. Hilaire Flandre.
Cette aptitude, beaucoup de politiciens et de hauts fonctionnaires l'ont
malheureusement perdue, enfermés qu'ils sont dans leurs certitudes et, parfois,
seulement préoccupés de durer.
Cet état de fait laisse déjà entrevoir la nécessité de réformes pour y
remédier ; j'aurai l'occasion d'y revenir ultérieurement.
Concentrons-nous, pour l'instant, sur cette question : que pensent, que nous
disent nos concitoyens ?
Ils voudraient que le Gouvernement s'attèle à ce qui les préoccupe plutôt que
de les attrister par des manoeuvres politiciennes.
Parmi les sujets qui les préoccupent, j'en évoquerai quatre : la formation,
l'emploi, la sécurité et le devenir des retraites.
M. Jacques-Richard Delong.
Et voilà !
M. Joseph Ostermann.
Ça fait beaucoup !
M. Hilaire Flandre.
Je vous pose la question, mes chers collègues : malgré les discours
d'autosatisfaction du pouvoir et la tactique qui consiste à reporter à plus
tard - entendez : après 2002 - les problèmes difficiles, pensez-vous que « tout
baigne » ?
Plusieurs sénateurs du RPR.
Non !
M. Hilaire Flandre.
Pensez-vous qu'il soit normal que, au début du xxie siècle, des jeunes
puissent sortir du système scolaire sans maîtriser les savoirs de base,
c'est-à-dire sans pouvoir rédiger un
curriculum vitae,
sans pouvoir
répondre à une offre d'emploi, sans pouvoir remplir des formulaires - ils ne
sont pas d'une clarté exemplaire, je le concède - sans pouvoir établir un
budget prévisionnel ?
On prépare de nouvelles générations d'exclus, à un moment où la vie est de
plus en plus complexe.
Pour ma part, j'ai été formé à l'école du village, dans une école à classe
unique. Bien sûr, tous les élèves ne sortaient pas avec un diplôme, mais tous
savaient au moins lire, écrire et compter, et tous ont eu des parcours
professionnels respectables.
Nos instituteurs ne considéraient pas que leur mission se limitait à apprendre
à lire ou à compter ; ils savaient nous inculquer le respect des règles
nécessaires à la vie en société. La haute idée qu'ils avaient de leur mission
et la façon dont ils l'assumaient ne pouvaient que leur attirer le respect,
l'estime des parents et de l'ensemble de leurs concitoyens, ce qui leur
permettait, si nécessaire, de punir ou de sévir sans que personne n'y trouve à
redire.
J'évoquerai maintenant un deuxième sujet qui préoccupe les Français :
l'emploi.
Malgré l'embellie, que nul ne conteste, qui résulte, il faut bien le dire,
d'efforts d'assainissement entrepris avant même ce gouvernement, nous ne
pouvons nous satisfaire de la situation actuelle et d'un taux de chômage de
plus de 9 %.
Je rappelle au passage qu'en 1981 un certain candidat à l'élection
présidentielle avait proclamé haut et fort que la crête du million de chômeurs
ne serait pas atteinte !
M. Jacques-Richard Delong.
Elle n'a pas été atteinte, elle a été dépassée !
M. Hilaire Flandre.
« J'en prends l'engagement », avait-il dit. On sait ce qu'il en est advenu,
comme d'ailleurs de nombre d'engagements tout aussi péremptoires.
Ce qu'il nous faut constater, c'est l'inadaptation des chômeurs aux
possibilités d'emploi : problèmes de formation, de comportement, d'incitation à
chercher et reprendre un emploi.
Un chef d'entreprise me faisait part, ce week-end, de ses difficultés pour
répondre aux commandes dans les délais. Ses capacités de production sont
saturées - il est vrai qu'elles sont encadrées par les 35 heures et le quota
d'heures supplémentaires ! - et il ne trouve pas la main-d'oeuvre correspondant
aux emplois qu'il offre.
M. Louis de Broissia.
C'est hors sujet !
M. Hilaire Flandre.
Il se posait donc la question : m'autorisera-t-on à faire venir de la
main-d'oeuvre des pays d'Europe de l'Est ou de Turquie, ou devrai-je
délocaliser un atelier de production ? C'était une boutade, peut-être, mais le
problème est réel.
La question de l'emploi demeure le grand défi de ce début de siècle. On ne la
réglera ni par une législation tatillonne ni par des mesures en trompe-l'oeil
et provisoires. Il faudra libérer les capacités des entreprises, seules
véritables créatrices de richesses.
J'en viens au troisième sujet qui préoccupe nos concitoyens : la sécurité des
personnes et des biens.
Les colonnes des journaux regorgent de ces actes d'incivilité perpétrés par
des délinquants - des « sauvageons » - de plus en plus jeunes et quasiment
persuadés de leur impunité.
Cela n'arrive pas qu'aux autres ! Qu'on en juge : ma propre voiture a été
fracturée deux fois. On m'a volé, une fois, un téléphone portable, une fois, un
porte-documents, c'est-à-dire des vols minables je dirai même pitoyables.
M. Louis de Broissia.
Je crois savoir que le ministre lui-même en a été victime.
M. Hilaire Flandre.
Cela peut arriver même aux ministres !
M. Louis de Broissia.
De ce point de vue, nous sommes tous égaux !
M. Hilaire Flandre.
Il s'agit de vols pitoyables qui provoquent des dégâts bien plus importants
que le larcin.
Mon assistante parlementaire a été victime d'un vol à l'arraché à Marseille
qui s'est révélé plus ennuyeux par les tracasseries et les soucis qu'il a
entraînés que par son importance matérielle.
Mes enfants, qui ont une petite entreprise d'espaces verts en région
parisienne, se sont fait voler leur camion avec tout le matériel nécessaire à
leur activité - tondeuses, tailleuses de haie, etc. - dans leur propre cour,
pendant la pause de midi.
Qu'on ne vienne pas me dire que la délinquance régresse. Ces vols se sont
produits au cours des deux dernières années ! En vérité, le vol comme le racket
ou les trafics divers sont devenus des activités banales, ce qui illustre assez
bien la perte des valeurs et des repères sans lesquels il est vain de vouloir
bâtir une société en har-monie.
Mais le sujet qui inquiète le plus nos concitoyens est sans aucun doute le
devenir de nos régimes de retraite. Les manifestations du 25 janvier en sont
ladémonstration. On peut d'ailleurs s'interroger sur l'honnêteté intellectuelle
de dirigeants syndicaux, arc-boutés sur des avantages acquis alors qu'au fond
d'eux-mêmes ils savent parfaitement que l'augmentation de la part consacrée aux
retraites dans le PIB ne pourra se faire, sous l'effet conjugué du nombre de
retraités et de la durée des retraites, qu'en rognant la part du PIB consacrée
aux actifs.
J'en reviens à ma propre expérience, puisque c'est la seule que je
connaisse.
Comme la plupart des gens de ma génération, j'ai travaillé dès l'âge de
quatorze ans. Il y avait déjà plusieurs années que je participais aux travaux
de l'exploitation agricole, pendant les vacances, les jeudis, ou parfois en
rentrant de l'école. Mais, dès quatorze ans, j'ai travaillé à plein temps, ce
qui ne semble pas avoir nui à ma santé...
M. Louis de Broissia.
Au contraire !
M. Hilaire Flandre.
A 60 ans, je totalisais quarante-six années d'activité, y compris les périodes
de service militaire, qui sont validées, soit 184 trimestres.
Il me semble donc quelque peu irresponsable de réclamer, comme certains le
font, la retraite pour tous à taux plein après trente-sept années et demie,
soit cent cinquante trimestres.
Faire de la politique à coup de slogans, sans référence ni formation aux
réalités de l'économie ne peut que préparer de tristes réveils car les faits
sont têtus et finissent toujours par s'imposer !
Je voudrais à cet instant dire deux mots des avantages acquis.
J'avais dans le verger, derrière ma maison, un vieux pommier aux fruits
délicieux. C'était mon grand-père qui l'avait planté et, comme on n'en
connaissait pas la variété, on l'appelait tout simplement : « les pommes de
Flandre ». L'âge et la tempête ont eu raison de l'arbre vénérable et je n'ai
pu, l'an passé, donner à mes petits-enfants ces pommes qu'ils appréciaient.
J'ai été obligé de leur avouer qu'il n'y aurait plus de pommes. Et leur réponse
m'a surpris : « Alors papi, et les avantages acquis ? »
(Sourires.)
Il en est de même dans la vie, il y a des avantages acquis sur lesquels on
s'arc-boute.
M. Louis de Broissia.
Ils ont reçu une bonne éducation !
M. Hilaire Flandre.
Se cristalliser sur les avantages acquis, c'est bloquer toute évolution.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce sont là les véritables
préoccupations de nos concitoyens.
Le Gouvernement n'en a cure. Pour les problèmes, on verra plus tard ; dans
l'immédiat, surtout pas de vagues ; il faut tenir jusqu'en 2002 et mettre
toutes les chances de son côté, même au prix de coups tordus.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Notre Haute Assemblée est en effet saisie d'une bien étrange proposition de
loi, dont l'intérêt aura probablement échappé à bon nombre de nos compatriotes
qui se débattent plutôt dans les problèmes quotidiens que la vie leur
impose.
Cependant, convenons que ce texte présente quand même quelque intérêt : un
intérêt intellectuel pour tous les constitutionnalistes et autres spécialistes
de nos institutions,...
M. Paul Blanc.
Ils se régalent !
M. Hilaire Flandre.
... qui trouvent là un excellent thème d'étude et de réflexion.
Naturellement, il présente un intérêt beaucoup moins élevé pour tous ceux qui
voient là un bon moyen de servir l'ambition personnelle de certains qui croient
se donner un avantage sur leurs adversaires potentiels ou assouvir, le cas
échéant, de vieilles rancunes que le temps, pourtant long, n'a pas encore
apaisées.
M. Louis de Broissia.
Des noms !
M. Hilaire Flandre.
En effet, que représente cette inversion de calendrier pour ses initiateurs,
si ce n'est un calcul politicien bien éloigné des intérêts supérieurs du pays ?
Les législatives avant les présidentielles... les présidentielles avant les
législatives : on peut certes se poser légitimement la question, et je ne
conteste absolument pas la démarche et les réflexions qu'elle entraîne sur le
fonctionnement de nos institutions.
Cependant, gardons-nous bien de minimiser les conséquences d'une modification
du calendrier électoral alors qu'aucune circonstance particulière ne
l'impose.
Sur la forme, permettez-moi tout d'abord de m'étonner - le mot est faible -
devant l'identité des personnalités qui ont conçu ou soutenu ce projet au nom
de la défense de la Constitution de la Ve République. En tant que sénateur
gaulliste, je suis bien sûr flatté d'observer ces ralliements massifs, bien que
tardifs, à notre texte fondamental. J'y vois la juste reconnaissance de
l'oeuvre institutionnelle du général de Gaulle, qui a tout de même permis à
notre pays de jouir pendant quarante-deux ans d'une stabilité politique que les
précédents régimes n'avaient pas su lui conférer.
Oubliés le « coup d'Etat permanent » et les combats rageurs de François
Mitterrand ! Oubliées les diatribes de la gauche contre nos institutions et
contre le fondateur de la Ve République ! La dérive monarchique, la tentation
du pouvoir personnel : ... Rien n'a été épargné au général de Gaulle en matière
de procès d'intention. C'est pourquoi ma satisfaction est grande, à la vue de
notre histoire récente, devant tant d'attachement à nos institutions.
M. Paul Blanc.
Il a raison !
M. Hilaire Flandre.
Face à ce quasi-plébiscite, force est d'admettre la validité des travaux des
constituants de 1959 et de constater que les objectifs fixés ont été atteints :
il fallait que la France redécouvre la stabilité politique, que l'autorité de
l'Etat soit restaurée et que s'installe une harmonie dans le fonctionnement des
pouvoirs publics.
Autant de thèmes forts qui devraient interpeller le Premier ministre, lequel
se veut aujourd'hui le défenseur de la Constitution et le promoteur de la
prééminence de la fonction présidentielle.
Il semblerait donc que le temps rende sage, puisque M. Jospin déclarait à qui
voulait l'entendre qu'il n'avait pas voté, lui, pour l'adoption de cette
Constitution !
Ou alors, peut-être n'est-ce pas la Constitution qui le préoccupe, mais bien
plutôt son propre avenir de futur candidat à l'élection présidentielle ! En
effet, ne dit-on pas que les élections législatives pourraient déboucher sur
des résultats incertains pour la majorité plurielle ?
M. Paul Blanc.
Cela se dit !
M. Hilaire Flandre.
Je n'oublie pas que l'actuelle majorité a été élue en 1997 dans des conditions
qui n'existent plus. Je veux, bien sûr, parler du Front national, car on passe
trop facilement sous silence...
M. Louis de Broissia.
Non, non...
M. Hilaire Flandre.
... le fait qu'une soixantaine de députés de gauche ont pu se faire élire
grâce aux triangulaires imposées par le Front national.
M. Louis de Broissia.
Moi, je l'ai dit, car j'en étais !
M. Hilaire Flandre.
Eh bien ! je le répète après vous, mon cher collègue.
M. Paul Blanc.
C'est la méthode Coué !
M. Hilaire Flandre.
Or, aujourd'hui et dans la même configuration, mais sans le Front national, la
majorité ne serait plus que plurielle et serait en tous les cas minoritaire
!
M. Louis de Broissia.
Merci de l'avoir rappelé, c'est un point important !
M. Hilaire Flandre.
L'inquiétude d'un éventuel revers à l'Assemblée nationale paraît être le seul
moteur qui ait poussé les têtes pensantes du parti socialiste à inciter le
Premier ministre à changer son fusil d'épaule sur le calendrier de 2002.
Le résultat en est une précipitation douteuse illustrée par la déclaration
d'urgence sur la présente propositionde loi.
Pratiquement, on constate, d'une part, un parfait mépris de la majorité pour
le Président de la République dont on tient l'avis pour quantité négligeable
et, d'autre part, une désinvolture, certes courante et à laquelle nous sommes
habitués, pour le Parlement à travers l'urgence.
« Une belle manoeuvre », aurait apprécié le Premier ministre récemment !
Au-delà de l'aveu même sur la finalité de ce texte, je ne serai pas aussi
satisfait de ce qui s'avère n'être qu'un petit coup politique assez
méprisable.
Sur le fond de cette affaire, les choses sont, j'en conviens, un peu plus
complexes et demandent certainement de prendre du recul par rapport à une
actualité électorale qui ne saurait justifier, à elle seule, n'importe quelle
manipulation du calendrier. En effet, nous sommes en démocratie, et la
Constitution de la Ve République fixe les règles du jeu démocratique. La durée
des mandats électifs fait partie des éléments d'exercice de notre démocratie et
nous serions bien inspirés de ne pas l'oublier.
La justification première de cette proposition de loi réside dans
l'affirmation de la prééminence de l'élection présidentielle sur l'élection
législative et, secondairement, sur le fait qu'il faut impérativement éviter
une nouvelle cohabitation. Je croyais d'ailleurs, monsieur le ministre, que le
quinquennat devait régler cette question. Il semblerait que l'on n'en soit plus
tout à fait sûr aujourd'hui, mais c'est un autre débat sur lequel je
reviendrai.
Il est vrai que la réforme constitutionnelle de 1962, instituant l'élection du
Président de la République au suffrage universel direct, a modifié profondément
le rôle et la perception du chef de l'Etat par la légitimité populaire qui lui
était ainsi conférée. Un lien nouveau se dessinait entre le Président et les
Français, un lien direct, un lien personnel, qui allait modifier la place du
Président dans le concert de nos institutions.
Il est parfaitement exact que le pouvoir exécutif s'en est trouvé sensiblement
renforcé et que le fonctionnement de nos institutions s'est désormais articulé
autour du pouvoir présidentiel. Cependant, à la lettre, les rapports entre les
pouvoirs publics ne s'en sont pas trouvés modifiés pour autant, subordonnant un
pouvoir à l'autre, et nous sommes là au coeur de notre débat.
La Constitution définit deux pouvoirs, le pouvoir exécutif et le pouvoir
législatif, et elle en organise la séparation. En conséquence, leur mode de
désignation n'est pas le même et leurs rôles respectifs sont parfaitement
décrits. Rien, dans la Constitution, ne laisse supposer que le Président de la
République doit être élu avant l'Assemblée nationale ou inversement. Or nous
touchons là à la logique institutionnelle, puisqu'il s'agit, d'un côté, d'élire
« la » tête de l'exécutif et, de l'autre, de désigner l'une des deux assemblées
législatives.
De plus, et jusqu'à plus ample informé, la Ve République est un régime
parlementaire et non présidentiel. Bien que nommé par le Président de la
République, le Gouvernement est l'émanation de la majorité de l'Assemblée
nationale qui lui accorde sa confiance ou la lui retire par le vote d'une
motion de censure. La prééminence que l'on veut donner à l'élection
présidentielle veut-elle dire que certains souhaitent une dérive
présidentialiste de notre République ? Veut-on amoindrir le rôle du Parlement
?
Certains diront que l'adoption du quinquennat était la première marche d'un
futur régime présidentiel puisque, à travers lui, on visait la concomitance des
élections présidentielles et législatives, liant ainsi le sort du Président et
celui de l'Assemblée nationale. On peut, bien sûr, défendre cette position,
mais ce n'est pas la mienne et ça n'est pas l'esprit de notre Constitution. Et
puis, si on veut le faire, encore faut-il le dire clairement !
M. Paul Blanc.
C'est sûr !
M. Hilaire Flandre.
Reste le problème de la cohérence politique de la France et les inconvénients
de la cohabitation qui, je vous l'accorde, commencent à inquiéter sérieusement
nos concitoyens. La cohabitation est, en effet, une conséquence de l'expression
du suffrage universel et non de la concomitance d'échéances électorales.
Imaginons que le dispositif qui nous est soumis aujourd'hui soit adopté - ce
qu'à Dieu ne plaise ! - et que les élections législatives soient repoussées
après la présidentielle. Compte tenu de l'observation du comportement électoral
de nos compatriotes, rien n'indique qu'ils enverront, à quelques semaines
d'intervalle, une majorité à l'Assemblée conforme au vote qu'ils auront émis
lors de la présidentielle. Or songez que, dans ce cas de figure, il sera alors
extrêmement difficile au Président d'user de son droit de dissolution sur une
assemblée nouvellement élue. Une cohabitation se profilera encore à l'horizon
!
En revanche, dans l'hypothèse inverse, le Président élu après l'Assemblée
pourrait toujours s'appuyer sur sa plus récente légitimité pour en appeler à la
raison du peuple. Je pense que nous devrions songer sérieusement à ces
hypothèses qui ne sont pas si invraisemblables que ça.
N'oublions jamais que la politique n'est pas une science exact et que ces
dernières années nous ont fournies maints exemples de prévisions démenties par
les faits. Les Français restent les maîtres de leur destin et, fort
heureusement, les sondages ne sont encore pas les élections.
Le sentiment de manipulation et de tripatouillage est très fort chez nos
compatriotes qui ne sont pas tous diplômés de sciences politiques,...
M. Paul Blanc.
Heureusement !
M. Hilaire Flandre.
... mais qui ont assurément un solide bon sens, lequel fait cruellement défaut
à certains de nos responsables.
M. Louis de Broissia.
Ils ne sont pas tous brillants !
M. Hilaire Flandre.
Croyez-moi, malgré toutes les explications, les Français croient à une
manoeuvre politicienne, une de plus, aggravant un peu plus le fossé entre les
préoccupations de la classe politique et les leurs.
D'ailleurs, pour parler clairement, il est intéressant de constater que, à
quelques exceptions près, les promoteurs de l'inversion du calendrier sont
tous, de près ou de loin, impliqués dans une écurie présidentielle.
(Ah ! sur les travées du RPR.)
Cela n'a d'ailleurs pas échappé aux
Français, qui, j'en suis persuadé, sauront en tirer les conséquences.
Autre élément curieux à mettre au dossier - je l'ai évoqué -, c'est le peu de
cas que l'on fait de l'avis du Président de la République. Nous avons, dans le
même temps, des gens qui invoquent la prééminence du Président sur tout le
reste et qui passent allégrement outre son opposition à l'inversion du
calendrier électoral. C'est ce que l'on appelle le raisonnement par l'absurde
!
Rappelons tout de même que le Président de la République est la clef de voûte
de nos institutions et qu'il en est le garant. On ne peut donc pas considérer
comme anodin son avis sur cette affaire de calendrier, avis qu'il a exposé
publiquement et à plusieurs reprises.
Cela étant, le Premier ministre est un converti de fraîche date, puisqu'il a
fallu attendre le dernier congrès du PS pour que, soudain, cette inversion
devienne une priorité nationale. Cependant, la cohabitation, contrairement à ce
que croit M. Jospin, ne confère pas au Premier ministre les prérogatives du
Président de la République, ni même et surtout son autorité en ce qui concerne
le respect des grands principes institutionnels.
Notre démocratie gagnerait probablement en crédibilité si l'autorité du
Président de la République n'était pas battue en brèche sur un sujet somme
toute secondaire, mais ô combien symbolique aux yeux des Français quant au
comportement de la classe politique.
Quoi qu'il en soit, on ne pourra pas passer par pertes et profits l'opposition
à ce projet du Président Chirac sans risquer, contrairement à ce qui est
affiché, d'affaiblir la fonction présidentielle.
Car le danger est grand de jouer avec le feu en cherchant à déstabiliser
Jacques Chirac. Il est bien évident qu'au travers de la personne c'est la
fonction présidentielle elle-même qui risque d'être atteinte par la
désinvolture avec laquelle le Président est traité par la majorité.
D'ailleurs, les Français ne vont pas s'y tromper et c'est bien ce qui semble
vous ennuyer puisque vous en êtes à imaginer des stratagèmes destinés à vous en
sortir au mieux.
Simplement, le respect des institutions et des échéances électorales est la
base d'une démocratie saine et moderne, loin des combinaisons des partis au
relent de IVe République.
Institution centrale de notre République, le Président ne tire pas son
autorité de la date de son élection par rapport à celle d'un autre scrutin.
C'est à croire que, depuis 1962, vous n'avez pas encore compris la spécificité
de cette élection que j'ai déjà abordée tout à l'heure.
J'insiste donc à nouveau sur ce lien privilégié qui unit le Président de la
République aux Français et qui fait abstraction de tout autre contexte
politique. N'ayez donc crainte de la confusion des genres, nos compatriotes
savent parfaitement ce qu'ils veulent et pour quelle élection ils votent.
Par la suite, l'autorité du Président élu en 2002 ne dépendra pas, vous
l'imaginez bien, du moment de son élection ; elle dépendra de la qualité de ce
lien qu'il aura su, ou non, tisser avec le peuple. En conséquence, le bon sens
veut que nous laissions les échéances se dérouler comme prévu. A moins que vous
n'ayez des doutes sur les capacités de votre probable candidat ! Enfin, pour
terminez,...
Plusieurs sénateurs du RPR.
Déjà ?
M. Hilaire Flandre.
Non, ne vous affolez pas !
... je voudrais insister sur le jeu naturel des institutions et de la
démocratie, car si les échéances électorales, en 2002, sont ce qu'elles sont,
la cause en est aux événements qui, depuis 1958, jalonnent notre vie
politique.
Ainsi que notre rapporteur l'a excellemment dit, il y a eu plusieurs
dissolutions de l'Assemblée nationale, le départ du général de Gaulle en 1969,
le décès du regretté Georges Pompidou en 1974, autant de faits politiques qui
ont bouleversé les échéances normales des élections législatives ou
présidentielles.
C'est le jeu de la démocratie et l'exercice normal de nos institutions. Il n'y
a donc aucune raison de vouloir brusquer les échéances et de chercher à les
inverser, au risque de paraître vouloir manipuler les scrutins. La France doit
enfin se comporter comme une démocratie moderne au sein de laquelle les règles
du jeu électoral ne sont pas susceptibles d'être modifiées à quelques mois des
scrutins, comme cela est arrivé trop souvent et comme cela nous est proposé
aujourd'hui. Les lois de circonstances ne sont plus acceptables en ce début de
xxie siècle et seul le parti socialiste semble encore penser que l'on peut se
comporter comme si rien n'avait changé et comme si les Français ne comprenaient
rien.
La politique ne se situe pas en dehors de la vie, elle en fait partie. Rien ne
dit que, d'ici à 2002, les choses doivent rester en l'état. Nul ne sait ce qui
peut intervenir, rendant peut-être cette proposition de loi sans objet. En
réalité, nous assistons là à un débat dont la France a le secret, un débat qui
divise au lieu de rassembler les Français, alors que rien n'obligeait le
Gouvernement à intervenir dans la précipitation sur cette matière.
Vous l'aurez compris, monsieur le ministre : je désapprouve ces pratiques et
les convenances personnelles qu'elles sous-tendent. Cependant, aucune manoeuvre
ne parviendra valablement à perturber les objectifs de reconquête qui sont les
nôtres, et c'est avec sérénité que nous aborderons les échéances de 2002.
Cependant, je ne saurais conclure sans faire référence à un point très
précis.
Nombre de mes collègues n'ont pas manqué de citer l'éminente revue de nos
collègues socialistes, dans laquelle figurait un argumentaire destiné à
convaincre les socialistes réticents à l'inversion du calendrier parce
qu'encore trop attachés au régime parlementaire.
L'article d'Eric Perraudeau est extrêmement enrichissant à plus d'un titre.
Néanmoins, beaucoup de mes collègues ont souhaité faire l'économie de le citer
in extenso.
C'est bien dommage, aussi vais-je m'empresser de corriger
cette erreur.
M. Louis de Broissia.
Nous ne l'avons pas lu !
M. Hilaire Flandre.
Il me semble en effet important de porter à la connaissance de mes collègues
les conclusions de cette intéressante et ô combien ! instructive
contribution.
Sans la replacer dans son contexte, elle ne manque pas de perdre une grande
partie de sa saveur. Comme nous avons un peu de temps aujourd'hui, je vais me
permettre de la citer et d'essayer d'en transmettre toute la substance.
« En remportant les élections législatives de 1997, les socialistes et la
gauche sont revenus de loin. Depuis le début des années quatre-vingt-dix,
chaque scrutin a constitué autant de marches d'une longue descente aux enfers
où la gauche perdait irrésistiblement du terrain : régionales de 1992,
législatives de 1993, européennes de 1994, trois échecs cuisants qui laissèrent
des blessures profondes à la gauche.
« Au contraire, les trois derniers scrutins électoraux en France -
législatives de 1997, régionales et cantonales de 1998, européennes de 1999 -
ont permis à la gauche de renouer durablement avec le succès électoral, y
compris lors des élections intermédiaires, traditionnellement défavorables au
pouvoir en place. En nombre de sièges, la progression de la gauche plurielle
est incontestable. Pourtant, à y regarder de plus près, cette progression ne
traduit pas une consolidation électorale de la gauche.
« Avec 310 députés contre 244 à la droite parlementaire, la gauche dispose
d'une avance confortable de 66 sièges. Sa progression fut spectaculaire » -
c'était en 1997 -, « à l'image des 112 circonscriptions où Jacques Chirac avait
été majoritaire en 1995, et que le parti socialiste est parvenu à reprendre en
1997.
« Pourtant, on oublie trop souvent que la défaite de la droite en juin 1997 ne
s'est jouée qu'à un très petit nombre de voix. »
Plusieurs sénateurs du RPR.
Ah oui !
M. Philippe Marini.
Grâce à qui ?
M. Hilaire Flandre.
« Dans 34 circonscriptions où s'opposaient en duel un candidat socialiste et
un candidat de l'opposition, la victoire socialiste n'a été acquise que par un
score compris entre 50 % et 51,5 % des voix. Si ces 34 circonscriptions avaient
basculé à droite en 1997, le résultat final en aurait été inversé et la gauche
serait actuellement dans l'opposition. Il aurait suffi pour cela qu'à l'échelle
nationale moins de 1 % des électeurs modifient leur comportement. »
Pour ne pas vous lasser, mes chers collègues, je passe sur les détails par
circonscriptions.
(Protestations sur les travées du RPR.)
M. Philippe Marini.
C'est très intéressant !
M. Hilaire Flandre.
Je poursuis la lecture de l'article de M. Perraudeau.
« Plus inquiétant, la gauche plurielle recule de plus de cinq points en 1998
par rapport à son résultat de 1997. Alors que la gauche obtenait une majorité
absolue dans dix-huit départements en 1997, ce n'est plus le cas que dans sept
départements en 1998 : dans l'Aude, les Landes, le Lot, les Hautes-Pyrénées, la
Nièvre, l'Ariège et le Pas-de-Calais. Par rapport à 1997, la majorité recule
dans vingt-neuf départements et perd plus de six points dans cinq départements
: Jura, Calvados, Côtes-d'Armor, Sarthe et Ardèche.
« Le second enseignement des élections régionales est que la stratégie des
listes uniques n'est pas nécessairement celle qui se révèle la plus payante
d'un point de vue électoral. Ainsi, sur les cinquante et un départements où la
gauche plurielle s'est présentée sur une liste unitaire, elle recule dans
trente-trois départements et ne progresse que dans dix-huit par rapport à 1992.
La situation semble meilleure lorsque l'offre politique du premier tour est
plus large. Elle mobilise davantage, et les reports de voix au second tour
semblent légèrement meilleurs.
« Devant le sentiment d'impuissance des politiques, le balancier électoral se
retournait particulièrement vite ces dernières années. De plus en plus vite
même. Depuis 1981, pas un gouvernement sortant n'aura été reconduit. Tous
auront été sanctionnés par les électeurs. Lionel Jospin en a bien
conscience.
« Pour la première fois depuis vingt ans, un Premier ministre parviendra
peut-être à stopper cette spirale infernale et à démontrer que toute action
politique n'est pas vouée à l'échec. »
M. Louis de Broissia.
Est-ce toujours la citation ?
M. Hilaire Flandre.
Oui, mon cher collègue. Je ne suis pas converti !
M. Philippe Marini.
Mais vous êtes très objectif !
M. Hilaire Flandre.
Je cite à nouveau M. Perraudeau : « Malgré cela, la gauche doit garder à
l'esprit qu'elle n'a gagné que d'une courte avance les précédentes élections et
que le moindre grain de sable peut enrayer ce parcours. Si les sondages
s'inscrivent utilement au sein du principe du gouvernement représentatif, ils
n'ont jamais fait par avance une élection. »
Voilà pour la citation.
N'était-ce pas instructif ? Nous avons encore, mes chers collègues, beaucoup
de leçons de stratégie politicienne à prendre de nos confrères socialistes.
Lorsque nous, nous servons comme en ce jour nos institutions, eux s'en
servent. Je crois que, malheureusement, il n'y a rien d'autre à ajouter.
Mais, puisque Lionel Jospin paraît inquiet du fossé grandissant qui sépare la
classe politique de nos concitoyens et du désintérêt de ces derniers, qui se
traduit par un taux croissant d'abstention, et puisqu'il veut moderniser la vie
publique, je lui ferai quelques suggestions et je terminerai par un conseil.
Les Français ne se désintéressent pas de la politique lorsqu'on leur permet
d'exprimer totalement leurs choix ; il suffit de considérer les taux de
participation aux élections présidentielles, à celles des conseillers généraux
ou des députés. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'ils élisent alors un homme
ou une femme qu'ils estiment, connaissent et sentent proche d'eux.
En revanche, lorsqu'on leur propose une liste bloquée, sans possibilité de
panachage ou de préférence, lorsque c'est tout ou rien, leur désintérêt est
évident ; ils refusent de donner à un parti politique le soin de désigner à
leur place ceux qui seront élus.
Le scrutin majoritaire par circonscription devrait être la règle dans notre
démocratie ; il aurait l'avantage, en rapprochant l'élu du citoyen, de le
rendre attentif à ses préoccupations.
Faites l'expérience : demandez à un électeur de vous citer un seul élu
européen en dehors des têtes de listes. Faites la même expérience pour les
conseillers régionaux, pour les conseillers municipaux des grandes villes. Vous
serez édifiés.
(M. le secrétaire d'Etat à l'outre-mer remplace M. le
ministre de l'intérieur au banc du Gouvernement.)
M. Louis de Broissia.
Mais un nouveau ministre arrive...
M. Hilaire Flandre.
J'ai vu. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous salue.
Certes, on objectera que, dans le système de scrutin majoritaire que je
propose, les minorités ne seraient plus représentées. Et alors ? La règle de la
démocratie n'est-elle pas celle de la majorité ? Et quel crédit accorder à un
élu qui a rassemblé 5 % des suffrages, c'est-à-dire quelqu'un dont le programme
n'a pas été jugé prioritaire par 95 % des électeurs. Je crois qu'il est
nécessaire d'y réfléchir.
Deuxième suggestion de réforme : la classe politique apparaît comme une
catégorie à part et souvent soucieuse de durer et de faire carrière avec une
sur-représentation de certaines catégories ; je pense notamment aux
fonctionnaires qui ne prennent aucun risque à se présenter, puisqu'ils
retrouvent leur situation lorsqu'ils sont remerciés par l'électorat avec, au
passage, l'acquisition d'une ancienneté. Je ne critique pas le fait que les
fonctionnaires postulent à exercer un mandat électoral ; quelquefois, les
vizirs veulent devenir califes à la place du calife... Mais la démocratie
gagnerait à ce que chacun ait les mêmes chances et assume les mêmes risques
face aux incertitudes de l'élection.
Ne serait-il pas sage de faciliter le renouvellement de l'appareil politique
en limitant le nombre de mandats que l'on peut exercer dans une même fonction,
à l'exemple de ce qui existe aux Etats-Unis pour le Président ? Le turn-over
appliqué aux hommes politiques, comme d'ailleurs aux fonctionnaires dans
l'administration, serait source de dynamisme et permettrait une meilleure
compréhension des problèmes de terrain.
Sans doute trouvera-t-on assez difficilement des cosignataires pour de tels
projets de loi et peut-être encore plus difficilement une majorité pour les
voter ! Pourtant, elles entraîneraient une véritable rénovation de nos moeurs
politiques.
Notre monde politique est malade, mais n'est-il pas le reflet de notre société
? Quand, dans une société, on manifeste avec la même détermination et le même
enthousiame pour la liberté de l'avortement et contre la chasse aux oiseaux
migrateurs ou contre l'insécurité alimentaire et pour la dépénalisation de la
drogue, on peut s'interroger, tout comme nos concitoyens s'interrogent, sur ce
monde étrange ou tout au moins étrange à leurs préoccupations dans lequel
semblent se complaire les politiques. Et c'est dans ce contexte que Lionel
Jospin soutient une initiative parlementaire visant à prolonger le mandat des
députés pour remettre, paraît-il, à l'endroit un « calendrier dingo », avec
comme motivation avouée la prédominance présidentielle et le souci d'éviter le
retour d'une cohabitation.
Ainsi, par petites touches successives, il entend modifier notre Constitution
sans en prendre la voie normale ni bien sûr en supporter les risques.
Il me fait penser à ces bateleurs de foire chargés de revendre des montres
achetées au kilo. Chacun a pu en voir à l'oeuvre : après avoir attiré le badaud
et éveillé son attention, le bateleur propose à l'auditoire des montres dont il
vante les qualités et qu'il est prêt à sacrifier pour une somme très modique.
Mais, malheureusement, il n'en a que dix disponibles ; ce sont donc les dix
premiers qui lèveront la main qui pourront faire la bonne affaire. Qui donc
veut mettre 100 francs dans ce petit bijou ? Après quelques instants
d'hésitation, un doigt se lève, puis deux, puis cinq, puis dix. Qui voudrait
rater ce qui est devenue l'affaire du siècle ?
Les dix montres changent de mains ainsi que des billets et notre homme exhibe
alors, après un peu de suspense, une montre encore plus merveilleuse, mais qui
vaut bien sûr un peu plus chère que les précédentes - oh ! seulement 100 francs
de plus ; et déjà les premiers acheteurs commencent à regretter leur
acquisition.
Qu'à cela ne tienne, on est là pour faire des affaires n'est-ce pas ! Alors
qu'ils rendent la première montre, qu'ils ajoutent 100 francs et ils auront la
nouvelle merveille. Et le jeu continue...
C'est ainsi que j'ai pu voir dans une foire de province - dont je tairai le
nom - un brave homme repartir avec un chronomètre dont il n'avait que faire et
qu'il avait payé bien plus cher que chez le bijoutier du coin ; il était
cependant persuadé d'avoir fait une très bonne affaire.
Ainsi procède le Premier ministre.
M. Louis de Broissia.
Très bien !
M. Hilaire Flandre.
Tout d'abord, le quinquennat : rassurez-vous, braves gens, il n'y a que la
durée qui change ! Puis, l'inversion du calendrier : rassurez-vous, braves
gens, il s'agit d'une simple adaptation pour remettre les choses dans l'ordre !
Ensuite, la proportionnelle : ce n'est qu'un détail, pour que les minorités
soient représentées ! Et encore, le découpage électoral, la suppression des
cantons ruraux : c'est, bien sûr, pour prendre en compte la démographie ! Et je
pourrais continuer ainsi la liste...
M. Louis de Broissia.
On peut !
M. François Gerbaud.
Il a raison !
M. Hilaire Flandre.
Eh bien, non, monsieur le Premier ministre ! Nous ne sommes pas des « gogos »
et nous nous méfions des propos des bateleurs trop habiles.
J'en viens à ma dernière suggestion.
Le Premier ministre souhaite mettre un terme aux cohabitations. C'est, certes,
une louable intention mais, nous l'avons dit, rien n'empêcherait les citoyens
d'exprimer des choix différents pour une présidentielle et des législatives,
même si toutes avaient lieu le même jour.
Les Gaulois que nous sommes sont ainsi faits ; il leur arrive même de trouver
des avantages, voire des vertus à la cohabitation, qui leur permet, selon
l'adage, « de ne pas mettre tous les oeufs dans le même panier ».
Ce qu'ils reprochent en fait à la cohabitation, c'est de devenir très vite
l'arène où s'affrontent deux candidats aux échéances présidentielles. A cela,
il y a un remède simple : c'est d'interdire à un Premier ministre d'être
candidat à la première élection présidentielle qui suivra.
M. Daniel Goulet.
Et voilà !
M. Hilaire Flandre.
Il pourrait ainsi se consacrer totalement à sa mission - gouverner - sans
crainte de déplaire et n'en serait que plus efficace.
J'ajouterai à l'intention du Premier ministre qu'aucun Premier ministre de
cohabitation n'a pu l'emporter jusqu'ici. Jacques Chirac, Premier ministre en
1986, a été battu en 1988. Edouard Balladur, Premier ministre en 1993, a été
battu en 1995.
M. Louis de Broissia.
Jamais deux sans trois !
M. Hilaire Flandre.
Alors, peut-être conviendrait-il d'y réfléchir avant de prendre le même
chemin, qui ne pourra qu'aboutir au même résultat : Lionel Jospin, Premier
ministre en 1997, sera battu en 2002.
(Applaudissements sur les travées du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, «
on a fait des confessionnaux, c'est pour tâcher de repousser le diable. Mais,
si le diable est dans le confessionnal, cela change tout ! » J'ai trouvé cette
citation du général de Gaulle particulièrement appropriée pour introduire mon
exposé sur les réflexions que m'inspire ce projet de loi.
C'est ainsi, en effet, que s'exprimait le général de Gaulle au cours d'une
allocution télévisée, le 15 décembre 1965, pour fustiger le retour du régime
des partis. Eh bien, monsieur le secrétaire d'Etat, par le texte que vous nous
soumettez aujourd'hui, vous réintroduisez le diable dans le confessionnal.
M. Paul Blanc.
Danger !
M. Bernard Plasait.
Cela n'a d'ailleurs rien de surprenant. Vous êtes coutumiers du fait ; vos
contradictions ne vous effraient pas.
M. Paul Blanc.
Récidivistes !
M. Bernard Plasait.
Et c'est normal, quoi que vous ayez pu dire : vous êtes les dignes successeurs
de François Mitterrand, votre maître à penser.
M. Louis Althapé.
C'est une référence !
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
C'est trop d'honneur !
M. Bernard Plasait.
Il n'y a pas si longtemps, Lionel Jospin revendiquait haut et fort son droit
d'inventaire. Il voulait être ce notaire ouvrant les enveloppes testamentaires
du mitterrandisme.
L'intention était louable, d'autant plus louable que le labeur était
nécessaire. Mais aussitôt dit, aussi vite oublié !
Pourtant, qui pourrait encore de nos jours oublier les accommodements du
président Mitterrand avec nos institutions, celles de 1958, qu'il n'avait eu de
cesse de combattre. Brandissant le spectre du césarisme, il n'avait pas hésité
à parler du « coup d'Etat permanent ».
Néanmoins, c'est bien sous ses deux septennats que l'on parlera de « monarchie
républicaine » ; sa politique des grands travaux en fut la parfaite
illustration.
Mais, Machiavel de la politique française, il ne s'est pas arrêté là et, en
1985, devant la défaite prévisible de la gauche, proposa d'instiller une dose
de proportionnelle.
M. Joseph Ostermann.
Et alors !
M. Bernard Plasait.
Hélas, il eut la main lourde et c'est tout le flacon, en réalité, qui a été
vidé : nous avons eu la proportionnelle intégrale. Alors, en véritable apprenti
sorcier, le Président de la République devint le meilleur allié de l'extrême
droite, qu'il fit entrer au Palais-Bourbon.
M. Louis de Broissia.
Il faut le rappeler, ça !
M. Paul Blanc.
On ne le rappelle pas assez souvent.
M. Bernard Plasait.
C'est un fait incontestable que nous ne pouvons, en effet, pas oublier comme,
d'ailleurs, nous ne pouvons pas oublier que c'est à la faveur de 76
triangulaires, gagnées pour 47 d'entre elles, que la gauche a pu conquérir
cette courte majorité qui lui permet de gouverner depuis 1997. Et c'est
d'ailleurs le rappel de cette vérité - ô combien dérangeante - par l'un des
conseillers du ministre de la défense, dans la
Revue Socialiste
de
novembre 2000, qui vous a conduit à vous renier dans un laps de temps sans
pareil.
En effet, comme l'a justement rappelé M. le rapporteur, notre excellent
collègue Christian Bonnet, le Premier ministre déclarait le 19 octobre dernier
: « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement
politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là. » Oui, vous avez bien
entendu : « toute initiative de ma part serait interprétée de façon
politicienne, donc j'en resterai là » - c'est-à-dire au calendrier prévu - « et
il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives soient
prises. » Mais, le 24 novembre suivant, le Premier ministre changeait
radicalement d'orientation.
Etait-ce le résultat d'une large concertation sur l'avenir de nos
institutions, large concertation à laquelle auraient participé chacun des chefs
de partis, chacun des partis disposant d'un groupe à l'Assemblée nationale ou
au Sénat ? Hélas, trois fois hélas, il n'en était rien : c'était juste le seul
moyen sorti du chapeau pour permettre à Lionel Jospin de gagner l'élection
présidentielle.
A ce stade, il ne s'agit que d'une manoeuvre de circonstance ou de convenance
et rien de plus.
Alors, la manoeuvre est habile, monsieur le secrétaire d'Etat, mais je le vous
dis sans détour : je la crois à la fois incertaine et incomplète.
Elle est incertaine, car l'expérience montre que jamais les Français n'ont
voté à quelques semaines d'intervalle dans des directions différentes. Par
conséquent, l'inversion du calendrier ne changera rien.
Elle est incomplète - et les conseillers de Lionel Jospin en ont apparemment
conscience - car l'expérience démontre que jamais, sous la Ve République, un
Premier ministre en exercice n'est devenu Président de la République. Dès lors,
inversion ou non, le Premier ministre serait contraint de quitter préalablement
Matignon pour se consacrer à la campagne prédidentielle ; il lui faudrait alors
préférer, à l'exemple de Mme Guigou, celui de Martine Aubry ; mais ce qui est
valable pour un membre du Gouvernement dans une perspective municipale ne l'est
certainement pas pour le premier des ministres cédant à une ambition
présidentielle, et je crains fort que la vacance du pouvoir, forcément
relative, qui en résulterait ne corresponde pas à l'idée de l'homme d'Etat que
se font une majorité de Français.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous comprendrez, bien sûr, que nous ne vous
aidions pas à résoudre cette équation qui, en toute hypothèse, ne saurait
masquer cette manoeuvre à laquelle vous vous livrez aujourd'hui.
La manoeuvre de 1985 a échoué ; celle-ci échouera aussi.
Une chose est certaine : les Français n'apprécient pas que l'on change les
règles du jeu juste avant le début de la partie, ou en cours de partie, si l'on
considère que celle-ci a déjà commencé.
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Bernard Plasait.
Concernant l'inversion du calendrier, comment pourrais-je ne pas rappeler ce
qu'écrivait notre excellent collègue le président Claude Estier dans
L'Hebdo
des socialistes
du 8 décembre dernier ? Je regrette d'ailleurs de ne pas
pouvoir le féliciter directement de cette excellente intervention dans le
débat.
M. Paul Blanc.
Il aurait apprécié !
M. Bernard Plasait.
Voici donc ce qu'il écrivait : « Ce n'est pas un débat institutionnel. Il ne
s'agit pas de changer notre Constitution ou de rééquilibrer les pouvoirs, même
si nous pouvons le souhaiter. Il serait difficile d'engager maintenant un débat
institutionnel de fond en période de cohabitation et à quatorze mois
d'échéances décisives. » On ne peut qu'applaudir : bel exemple de sagesse
sénatoriale !
M. Paul Blanc.
Absolument !
M. Bernard Plasait.
Quoi qu'il en soit, notre préoccupation majeure, c'est le déséquilibre des
pouvoirs qu'entraînera l'inversion du calendrier que vous nous proposez,
monsieur le secrétaire d'Etat. Faire en sorte que l'élection présidentielle
précède systématiquement les élections législatives, c'est, que vous le vouliez
ou non, ouvrir la voie à un changement de régime, je n'hésite pas à le dire.
Sans contrepouvoir du Parlement, c'est un pas vers l'avènement du régime
présidentiel.
La récente adoption du quinquennat doit d'ailleurs nous conduire à une vraie
réflexion sur la nature du régime qu'il suppose. Et là, nous sommes face à une
alternative : soit le régime présidentiel, soit le régime parlementaire
renforcé et modifié.
Le régime présidentiel, pour que cela soit clair dans l'esprit de nos
concitoyens, implique un seul exécutif - un président et un vice-président - et
une réelle séparation des pouvoirs, Eventuellement, à ce moment-là, l'élection
présidentielle peut précéder les élections législatives, à moins que les deux
scrutins ne soient concomitants.
Cela posé, nous devons nous demander si un tel régime serait praticable sous
nos latitudes. Est-ce applicable en France ? Très franchement, monsieur le
secrétaire d'Etat, je ne le crois pas !
Dans son discours du 27 août 1958 devant le Conseil d'Etat, Michel Debré
soulignait les qualités évidentes du régime américain, mais concluait déjà à
une adoption impossible.
Le 14 juillet 1998, Jacques Chirac confirmait cette vision française en se
disant « persuadé qu'un régime présidentiel irait très rapidement au blocage
complet des institutions entre des opinions différentes ».
En effet, ainsi que le démontre de manière très pertinente le professeur
Dominique Chagnollau, le régime américain repose tout entier sur l'art de
négocier.
Le Président des Etats-Unis n'a pas l'initiative des lois mais peut s'opposer
à leur vote grâce à son droit de veto, qui ne peut être levé par le Congrès
qu'à la majorité des deux tiers, chiffre difficile à atteindre. Il use aussi de
ce droit comme d'une arme de dissuasion : « Votre loi est inutile. Si vous ne
tenez pas compte de mon point de vue, négocions ! »
Cette négociation existe, qu'il y ait ou non concordance de majorité, car les
partis américains font plutôt preuve d'indiscipline et de localisme. C'est
ainsi que des programmes présidentiels peuvent être votés par un Congrès le
plus souvent démocrate, hostile à un président républicain. Mais, à l'inverse,
un Congrès favorable peut gêner son représentant à la Maison-Blanche, comme
sous Kennedy ou sous Carter.
Impraticable pour nous, le régime présidentiel l'est d'autant plus que notre
pays pense toujours en termes de majorité absolue. Cette considération explique
en grande partie l'hostilité de principe à la cohabitation, qui traduit une
vision de l'exercice du pouvoir fondée sur l'absence de dialogue et de
contrepoids, une vision qui choisit d'ignorer que la limitation du pouvoir est
consubstantielle à la démocratie.
La cohabitation pour cinq ans passe justement pour inefficace. Voilà le grand
argument, mais sans consistance réelle, qui justifie l'initiative que prend
aujourd'hui le Gouvernement.
Le gouvernement Jospin a-t-il été bloqué dans ses actions sur le plan
intérieur ? On cherche... et on trouve...
Les retraites ? Blocage prétendu, pour mieux dissimuler l'absence de courage
politique.
M. Paul Blanc.
C'est sûr !
M. Bernard Plasait.
Les révisions constitutionnelles ? Elles nécessitent de toute façon l'accord
des deux chambres. La cohabitation les a facilitées, de la parité à la Cour
pénale internationale en passant par le quin-quennat.
Quant au blocage de la réforme de la justice, pense-t-on sérieusement qu'il
serait moins fort en période de concordance des majorités ?
Les emplois-jeunes, les 35 heures, et j'en oublie...
Ce gouvernement aura pu appliquer son programme, que l'avenir jugera. Si cela
a été possible, c'est bien parce que notre régime est par nature hybride, ni
présidentiel ni parlementaire. Eh oui, telle est la singularité, mais peut-être
aussi la force de nos institutions.
On pourrait certes préférer, considérant que c'est conforme à l'esprit
français, s'en tenir au régime parlementaire et estimer que, dès lors, les
législatives doivent précéder l'élection présidentielle ou, en tout cas, en
être déconnectées. Le calendrier actuel, avec l'antériorité des élections
législatives, s'impose alors.
A partir du moment où nous avons fait le choix d'élire le Président de la
République au suffrage universel, où nous refusons l'omnipotence présidentielle
tout en considérant que le régime parlementaire condamne le Président à
l'impuissance, il nous faut trouver la voie d'un régime présidentiel équilibré,
à la française.
Dans cette perspective, il nous faut créer un nouvel équilibre dans les
relations entre le Parlement et le Gouvernement, assurer une justice
indépendante et impartiale, redistribuer les pouvoirs vers les collectivités
locales et les parlementaires sociaux.
Cet équilibre des pouvoirs est à l'opposé du présidentilisme que vous cherchez
aujourd'hui à restaurer, après l'avoir tant combattu.
Force est de constater, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette situation n'a
rien d'étonnant. Elle ne fait qu'illustrer votre absence de volonté politique
de régler les grandes questions auxquelles notre pays est confronté, dévoilant
par là même la propension de ce gouvernement à s'adonner tout entier à des
calculs politiciens et démagogiques.
Regardons les choses en face : l'inversion du calendrier électoral est-elle de
nature à répondre aux attentes profondes, aux attentes pressantes de nos
concitoyens ?
M. Hilaire Flandre.
Pas du tout !
M. Louis de Broissia.
Personne n'en parle !
M. Bernard Plasait.
Hélas ! les préoccupations essentielles de nos concitoyens ne sont pas la
préoccupation principale du Gouvernement, nous le savons tous. Les Français
sont inquiets pour leur avenir, plus encore pour l'avenir de leurs enfants. Ils
sont aux prises avec des difficultés grandissantes dans leur vie
quotidienne.
M. Louis de Broissia.
L'insécurité !
M. Bernard Plasait.
L'insécurité, bien sûr, mais aussi le chômage, le pouvoir d'achat,...
M. Louis de Broissia.
La formation professionnelle !
M. Bernard Plasait.
... la protection sociale. Je ne veux pas faire une liste exhaustive, car elle
serait trop longue.
De tout cela le Gouvernement n'a cure !
Il s'évertue à nous bercer d'illusions. Il communique, il communique même
beaucoup, il gère au quotidien, au coup par coup, il contourne les obstacles,
et avec beaucoup d'habileté, mais en aucun cas il n'engage les réformes de
fond, ces réformes qui sont pourtant indispensables pour l'avenir de notre
pays, alors même que la situation économique le permettrait.
Je crois qu'il faut insister sur ce point. Ainsi que le soulignait l'OCDE dans
une étude de juillet 2000, jamais depuis dix ans notre pays n'a connu une
situation économique aussi favorable.
La France a bénéficié d'un environnement international porteur, qui s'est
traduit par la hausse de ses exportations, et d'une reprise de la consommation
et de l'investissement.
Toutefois, des tensions commencent à apparaître dans certains secteurs :
difficultés à produire plus, à recruter des salariés qualifiés, notamment. La
question essentielle pour les autorités françaises est de savoir comment éviter
les mêmes écueils que ceux qui ont été observés lors du précédent cycle de
croissance, de 1987 à 1990, qui s'est achevé par des tensions sur les capacités
de production, par des difficultés de recrutement, par une dérive des salaires
et par une bulle financière dans l'immobilier.
Voilà les sujets dont nous devrions débattre ! Voilà les sujets de fond qui
engagent l'avenir de notre pays !
Or, au lieu d'anticiper un retournement de conjoncture, le Gouvernement se
laisse porter par la croissance. Il met en avant un bilan apparemment vertueux
: stabilisation des dépenses de l'Etat en volume, réduction des déficits
publics, stabilisation, puis diminution des prélèvements obligatoires...
En fait, depuis trois ans, vous ne cessez de réécrire l'histoire ! Vous
prétendez avoir qualifié la France pour l'euro, alors que vous n'avez fait
qu'achever la politique de réduction des déficits publics engagés par la
précédente majorité.
M. Paul Blanc.
Qui était nécessaire !
M. Bernard Plasait.
O combien !
Vous vous attribuez les mérites d'une reprise économique dont chacun sait
pourtant qu'elle a débuté avant votre arrivée au pouvoir et qu'elle se poursuit
aujourd'hui en grande partie grâce à une conjoncture économique internationale
très favorable.
Monsieur le secrétaire d'Etat, avant d'intervenir à cette tribune, j'ai voulu
savoir ce que nos concitoyens, les gens que l'on croise tous les jours dans la
rue, pensaient de ce qui fait l'objet de ce débat. Comme tous les orateurs qui
m'ont précédé, j'ai eu le souci de mesurer le degré d'intérêt qu'il suscitait
chez les Français. Je leur ai donc demandé s'ils préféraient élire leur député
avant d'élire un Président de la République ou bien élire un Président de la
République avant d'élire leur député. J'avoue que, dans le meilleur des cas, on
m'a regardé avec des yeux ronds...
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Bernard Plasait
... et que, dans le pire des cas - le plus fréquent, au demeurant -, on m'a «
renvoyé dans mes buts » en m'interpellant : « Croyez-vous que nous vous avons
élu pour cela ? Ne pensez-vous pas que vous devriez vous occuper davantage de
nos impôts, qui sont beaucoup trop lourds ?»
Monsieur le secrétaire d'Etat, je suis bien obligé de constater que votre
promesse de baisse des impôts n'a pas été tenue. Bien au contraire, et quoi que
vous puissiez dire, on note une absence totale de résultats en ce sens depuis
1997. La gauche plurielle a supprimé la réforme de l'impôt sur le revenu
décidée en 1996. En 1997, déjà, seuls certains pays nordiques atteignaient des
taux de prélèvements plus élevés qu'en France. Malgré quelques baisses très
ciblées, et très médiatisées, malgré les promesses successives, la pression
fiscale - c'est-à-dire, pour parler crûment, les impôts - a atteint un record
historique en 1999 : 45,3 % du PIB. On a peine à y croire !
Cette évolution est d'autant plus critiquable que de nombreux pays européens
ont commencé à réduire leur pression fiscale...
M. Louis de Broissia.
Y compris des pays gouvernés par des socialistes !
M. Bernard Plasait.
... et que notre pays est sérieusement menacé par la concurrence en la
matière. Le Gouvernement laisse ainsi passer la chance que lui offre une
conjoncture économique favorable. Pourtant, il pouvait saisir cette occasion
pour assainir les finances publiques et engager des réformes structurelles
profondes. Il ne le fait pas - au contraire, il continue à fonder sa politique
budgétaire sur la conjoncture et à maintenir un niveau très élevé de
prélèvements obligatoires - mais il nous appelle à débattre de la date
d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale !
Monsieur le secrétaire d'Etat, vos calculs électoraux nous font perdre
beaucoup de temps parce qu'ils nous empêchent de traiter des sujets essentiels
qui préoccupent nos concitoyens. J'ai parlé de l'allergie fiscale des Français,
je devrais parler aussi de l'insécurité ! J'aurais d'ailleurs souhaité pouvoir
le faire devant le ministre de l'intérieur après les événements qui sont
survenus à La Défense. Avec une telle actualité, les Français ont vraiment
d'autres sujets de préoccupation que l'inversion du calendrierélectoral !
Ces bandes qui se sont affrontées à La Défense dans une espèce de guérilla
urbaine font monter l'inquiétude chez les honnêtes gens. Tous les sondages
montrent que l'insécurité est avec le chômage l'un des tout premiers sujets de
préoccupation des Français. Le Gouvernement devrait peut-être s'interroger sur
les raisons pour lesquelles le sujet de la sécurité s'impose avec une telle
force dans le débat politique en cette veille d'élections municipales : les
Français sentent tout simplement qu'il n'y a pas de réponse politique à leur
angoisse - car il s'agit d'une véritable angoisse - face à l'insécurité qui
pollue leur vie quotidienne et qu'il n'y a pas de véritable volonté
politique.
En réalité, la gauche n'a pas fait sa « révolution culturelle », elle n'a pas
compris qu'à côté de la prévention la sanction aussi était nécessaire. Il
existe toujours un fond idéologique - on en a de multiples preuves - qui
conduit le Gouvernement à ne pas vouloir punir.
M. Paul Blanc.
Tout à fait ! C'est du dogmatisme !
M. Bernard Plasait.
A cet égard, le choix des mots est éloquent. On ne dit pas les « voyous », on
dit les « jeunes »,...
M. Paul Blanc.
Voilà !
M. Bernard Plasait.
... alors qu'il faudrait dire les « jeunes voyous ».
M. Louis de Broissia.
Bien sûr !
M. Bernard Plasait.
On parle des « incivilités », on parle des « quartiers sensibles », quand la
vérité obligerait à dire « zones de non-droit » ! Ce choix des mots est la
manifestation d'une volonté de dédramatiser,...
M. Louis de Broissia.
Très bien !
M. Bernard Plasait.
... de vider la réalité de son côté tragique,...
M. Paul Blanc.
... de minimiser !
M. Bernard Plasait.
Vous avez raison, mon cher collègue !
M. Louis de Broissia.
De travestir la vérité, disons-le !
M. Bernard Plasait.
Et pourquoi veut-on « minimiser » ? Tout simplement pour ne pas avoir à punir
!
Il y a d'ailleurs une autre manifestation de cette volonté de minimiser, je
veux parler de la façon dont sont présentés les chiffres, et nous sommes là au
coeur de l'actualité ! Ainsi, selon le Gouvernement, les faits de délinquance
auront augmenté de 5 % en l'an 2000, mais arrêtons-nous un instant sur la façon
dont les statistiques sont présentées. Le ministre de l'intérieur est une sorte
de magicien qui réussit là une espèce de miracle,...
M. Paul Blanc.
Très juste !
M. Bernard Plasait.
... une sorte d'escamoteur...
M. Hilaire Flandre.
C'est mieux !
M. Bernard Plasait.
... qui joue avec les chiffres comme l'on joue au bonneteau. Je veux dire
qu'il réussit à faire disparaître les mauvais chiffres pour faire apparaître
les bons.
La méthode est très simple : elle consiste à inventer - ah, l'imagination
statistique ! - un nouvel agrégat dans lequel on regroupe des faits, tels que
les cambriolages et les vols de voiture dont la fréquence a tendance à diminuer
grâce aux précautions qu'imposent les assurances et aux progrès de la
technologie, avec d'autres faits, tels que les vols avec violence ou les vols à
main armée qui sont eux de plus en plus fréquents et dont le nombre augmente de
façon considérable. Mais, grâce à ce nouvel agrégat, que l'on appelle la
délinquance de voie publique,...
M. Louis de Broissia.
C'est l'incivilité !
M. Bernard Plasait.
... on parvient à démontrer que les chiffres diminuent ou, quand on ne peut
pas faire autrement, qu'ils augmentent « légèrement ». C'est ainsi que l'on
parvient au taux de 5 %, hausse « minime » - excusez-moi du peu ! - qui
signifie tout de même plus de 100 000 faits de délinquance supplémentaires en
l'an 2000 par rapport à 1999. Et encore faut-il savoir que, pour les raisons
que je viens d'évoquer, ce taux de 5 % est lui-même un minimum par rapport à la
réalité.
M. Louis de Broissia.
Très bien !
M. Bernard Plasait.
Et que fait le Gouvernement devant cette montée de l'insécurité ?
M. Louis de Broissia.
Il nous soumet une proposition de loi organique !
M. Bernard Plasait.
Quasiment rien, et même rien s'agissant des réformes de fond qu'il faut mettre
en oeuvre, sa préoccupation étant de savoir qui du Président de la République
ou de l'Assemblée nationale sera élu en premier par les Français l'an prochain
!
On ne peut plus parler d'un décalage : c'est un abîme qui s'est creusé entre
l'opinion publique et le Gouvernement. Le mal qu'il faudrait traiter pour
résoudre des problèmes comme celui de l'insécurité, c'est la formidable panne
de l'Etat français : panne de la police, qui, trop souvent découragée, n'est
plus efficace, comme le montre le taux, tombé à 25 %, d'élucidation des
affaires ; panne de la justice, avec l'embouteillage des tribunaux, les délais
très longs et un taux de classement sans suite des plaintes qui atteint 85 %.
Une affaire sur cent seulement fait ainsi l'objet d'un jugement exécuté.
C'est donc cet embouteillage de la justice qu'il faut régler. Seulement voilà,
on se heurte là encore à la peur de punir et on ne fait pas le nécessaire pour
traiter la délinquance des mineurs et compléter notre arsenal juridique,
notamment en modifiant l'ordonnance de 1945.
Alors, monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement peut faire de beaux
discours sur l'Etat de droit et l'égalité de tous devant la loi, mais les mots
ne trompent plus personne !
Avec la présente proposition de loi organique, nous perdons du temps, et c'est
grave. « Toute heure perdue pour la bataille est une heure gagnée pour le
malheur », dit un adage célèbre. Vous ne vous êtes pas donné les moyens d'une
politique de sécurité digne de ce nom, et ce sont les Français les plus
modestes qui en souffriront.
M. Paul Blanc.
Eh oui, hélas !
M. Bernard Plasait.
Je ne veux pas multiplier les exemples et égrener tous les sujets de grande
préoccupation des Français dont nous ne pouvons pas débattre à cause de la
manoeuvre politicienne à laquelle nous nous devons de répondre. Cependant,
monsieur le secrétaire d'Etat, je suis inquiet.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
Moi aussi !
M. Bernard Plasait.
Je suis préoccupé. Tout cela ne peut qu'éloigner les Français de la politique
et nourrir l'abstention.
M. Christian Paul,
secrétaire d'Etat.
C'est clair.
M. Bernard Plasait.
Pourtant, je crois que la politique n'a jamais été plus nécessaire
qu'aujourd'hui, car il s'agit en fait d'imaginer l'avenir, il s'agit de
préparer le cadre dans lequel nos enfants vivront, dans lequel ils pourront
exercer leurs talents, s'épanouir et réussir leur vie.
Bref, il s'agit d'entrer dans le troisième millénaire en étant déterminé à
travailler pour soi, pour sa famille, pour ses enfants, mais aussi à travailler
pour le bien commun.
Oui, la politique est indispensable - je devrais dire « le » politique - et il
faudrait que la politique ne soit pas le politicien,...
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Bernard Plasait.
... pour que nos concitoyens la ressentent comme quelque chose de noble et
d'indispensable.
Oui, la politique est noble, et il faut en donner le goût à nos enfants, mais
je crains que nous n'en prenions pas le chemin.
Oui, il faut redonner le goût de la politique à nos concitoyens qui trop
souvent l'ont perdu, les taux d'abstention qui augmentent sans cesse le
montrent.
Oui, il s'agit aussi d'inventer de nouvelles pratiques politiques, des
pratiques qui soient plus proches des citoyens et plus efficaces pour résoudre
les problèmes auxquels ils sont confrontés dans leur vie quotidienne.
Mais, imaginer l'avenir, entrer dans le troisième millénaire déterminés à
travailler pour le bien commun, inventer de nouvelles pratiques politiques,
nous en sommes très loin ! Ces objectifs imposent de faire oeuvre pédagogique
mais je crains que le Gouvernement ne s'y prenne très mal !
M. Hilaire Flandre.
C'est vrai !
M. Bernard Plasait.
Je crois même qu'il porte là un très mauvais coup à la vie civique. Il en sera
comptable devant l'opinion qui, j'en suis sûr, le juge, a sévèrement. Mais,
monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement a-t-il vraiment le désir
d'éclairer l'opinion ? En réalité, ne veut-il pas tout simplement la
disparition du régimeétabli, il y a cinquante ans, par les pères fondateurs de
la Ve République ? Est-ce que ce n'est pas cela, votre objectif fondamental
?
On peut comprendre que certains veuillent une modification constitutionnelle,
voire un changement de régime ; c'est compréhensible, et même tout à fait
légitime. Mais, en démocratie, cela réclame un débat au grand jour, un vrai
débat dans lequel on se donne tous les moyens, dans lequel on se donne le temps
de peser le pour et le contre et d'entendre tous les arguments, un débat dans
lequel on prend le temps de la réflexion pour répondre aux arguments de ses
adversaires politiques et, éventuellement, pour en accepter certains, car on
sait bien que l'on ne détient jamais la vérité à soi tout seul.
Je crois donc qu'il est tout à fait utile d'avoir un débat, un large débat.
M. Louis de Broissia.
Un bon débat !
M. Hilaire Flandre.
Au grand jour !
M. Bernard Plasait.
En réalité, il n'est pas acceptable d'escamoter ce débat et, pour ne pas
heurter l'opinion, d'aller de façon insidieuse vers les objectifs que l'on
s'est fixés. Oui, monsieur le secrétaire d'Etat, il s'agit, de la part de M.
Lionel Jospin, d'une manoeuvre politicienne !
M. Louis de Broissia.
... de bas étage !
M. Bernard Plasait.
Nous récusons, oui, nous récusons ce faux débat que l'on nous propose.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je veux conserver à nos institutions toute leur
cohérence. Aussi, je vous le dis nettement, mais je crois que vous l'avez
compris à travers mes propos, je ne voterai pas cette proposition de loi
organique. Mes amis du groupe des Républicains et Indépendants et moi-même
voterons pour le maintien du calendrier électoral.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants et du RPR. - M. Louis Mercier
applaudit également.)
8
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour unrappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Monsieur le président, les dépêches de l'Agence France-Presse qui nous sont
parvenues font état d'une déclaration du président de l'Assemblée nationale
nous concernant.
(Ah ? sur les travées du RPR.)
Cette déclaration
fustige les « manoeuvres politiciennes » auxquelles se livrerait le Sénat à
propos du présent débat.
M. Louis de Broissia.
De quoi se mêle-t-il ?
M. Patrice Gélard.
Il me semble particulièrement déplacé que le président de l'Assemblée
nationale se livre à une telle attaque contre les prérogatives que la
Constitution reconnaît au Sénat. C'est pourquoi notre groupe demande une
suspension de séance de cinq minutes.
(Applaudissements sur les travées du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Le Sénat va bien sûr accéder à cette demande.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à dix-neuf heures
dix.)
M. le président.
La séance est reprise.
9
DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence
M. le président.
Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi organique, adoptée par
l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date
d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Althapé.
M. Louis Althapé.
Monsieur le président, la durée de mon intervention sera bien supérieure à
vingt minutes. Or il est près de dix-neuf heures quinze et la séance devra être
levée à dix-neuf heures trente. Dans ces conditions, ne serait-il pas plus
sage, pour la qualité du débat et par respect envers mes collègues et envers M.
le secrétaire d'Etat, de reporter mon intervention à demain ?
M. le président.
Mon cher collègue, je ne peux modifier l'ordre du jour qui a été fixé par la
conférence des présidents.
Certes, il paraît difficile de « saucissonner » une intervention.
M. Louis de Broissia.
En effet !
M. le président.
Cependant, l'orateur suivant, M. Bourdin, n'étant pas présent dans
l'hémicycle, je ne peux pas ne pas vous donner la parole, même pour vous être
agréable. Si vous n'avez pas achevé votre exposé à dix-neuf heures trente, vous
pourrez le poursuivre demain.
Vous avez donc la parole.
M. Hilaire Flandre.
Demain, tu répéteras ce que tu vas dire ce soir !
M. Christian Bonnet,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Nous
l'entendrons deux fois !
M. Louis Althapé.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
comme l'a souligné notre excellent rapporteur M. Christian Bonnet, la
proposition de loi organique que nous examinons aujourd'hui au Sénat tend à
proroger, pour la première fois sous la Ve République, la durée du mandat en
cours des membres de l'Assemblée nationale, en reportant du premier mardi
d'avril au troisième mardi de juin la date d'expiration des pouvoirs de
celle-ci.
M. Paul Blanc.
C'est la première fois !
M. Louis Althapé.
Oui, c'est vraiment la première fois ! Les conditions d'examen de la
proposition de loi organique par le Parlement ne sont pas acceptables dans la
mesure où l'ordre des échéances électorales de 2002 est connu depuis 1997. Le
Gouvernement a brutalement changé de position sur cette question et a dès lors
imposé aux assemblées de se saisir de cette question dans la précipitation.
(M. Blanc s'exclame.)
En effet, Lionel Jospin déclarait, le 19 octobre 2000 - il n'y a donc que
quelques mois -, devant plusieurs millions de téléspectateurs : « Toute
initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire
politicienne. Moi, j'en resterai là et il faudrait vraiment qu'un consensus
s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises ».
En réalité, pour le Premier ministre, le mois de novembre 2000 est le départ
de la campagne pour l'élection présidentielle de 2002.
M. Louis de Broissia.
Voilà !
M. Louis Althapé.
Lionel Jospin, reniant son engagement public d'octobre 2000 devant des
millions de téléspectateurs, sensible à des sondages annonçant que la gauche
subira un désastre lors des élections législatives et bafouant les camarades
rouges et verts de la gauche plurielle, choisit, dix-neuf mois avant l'échéance
présidentielle, de démarrer par une imposture la course à l'Elysée !
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. Louis Althapé.
Trois jours après ce revirement - constatez la rapidité ! - le Gouvernement
annonce l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, le 19 ou le
20 décembre, de la discussion d'une proposition de loi du groupe socialiste
tendant à prolonger le mandat des députés afin que l'élection présidentielle se
déroule avant les élections législatives.
Après ce bref rappel des circonstances illustrant la volte-face du
Gouvernement en la matière, plusieurs remarques peuvent être formulées.
La première remarque est de nature historique : il n'y a eu aucun précédent de
diminution volontaire de la durée du mandat des assemblées, sauf en cas de
révolution, de coup d'Etat ou de dissolution. En effet, rares sont les
précédents historiques de prolongation de durée d'un mandat. Tout d'abord, le
mandat de la Convention élue pour un an s'est prolongé pendant quatre ans, en
raison de la guerre. Ensuite, celui de l'Assemblée nationale élue en 1871 pour
négocier la paix et élaborer une Constitution a duré quatre ans. Celui de la
chambre des députés élue en 1914 s'est prolongé jusqu'à la fin de la guerre ;
il était d'ailleurs difficile de faire autrement.
M. Paul Blanc.
C'est normal !
M. Louis Althapé.
Enfin, le mandat de la chambre des députés élue en 1936 s'est prolongé deux
ans.
En fait, il est important de mettre en lumière le fait que les prolongations
de mandat ont toujours été liées à la guerre, exception faite de la
prolongation de 1871, où l'Assemblée nationale n'a pas pu rédiger une
constitution en moins de quatre ans.
Une deuxième remarque, après ce bref rappel historique, réside dans le
prétexte invoqué par le Gouvernement : celui de l'esprit des institutions.
Comme le souligne notre excellent collègue le doyen Gélard, si l'on s'en tient
à la lettre de la Constitution, rien ne justifie l'inversion du calendrier. Les
élections présidentielles et législatives sont indépendantes les unes des
autres.
J'en viens à l'esprit ou plutôt à ce que nous pouvons appeler les deux esprits
de la Constitution : dans la conception gaullienne, toute élection constituait
un test pour le Président, qui remettait en cause son mandat à chaque fois et
qui estimait qu'il ne pouvait pas accepter une cohabitation. Mais, vous en
conviendrez, cela est totalement distinct de la date des élections ; dans la
conception post-gaullienne, tous les présidents de la République postérieurs au
général de Gaulle ont accepté, de fait ou tacitement, la cohabitation et n'ont
jamais envisagé une inversion de calendrier.
M. Louis de Broissia.
Y compris François Mitterrand !
M. Louis Althapé.
Bien sûr ! Ainsi, je vous le rappelle, en 1965, se déroulait l'élection
présidentielle, les élections législatives lui étant postérieures de deux ans.
Puis, pour les élections présidentielles de 1969, de 1974, de 1981, de 1988 et
de 1995, les élections législatives étaient antérieures. Ainsi, à l'exception
de l'élection présidentielle de 1965, toutes les autres élections
présidentielles ont suivi les élections législatives d'un an ou de deux ans. A
aucun moment, monsieur le secrétaire d'Etat, il n'a été question d'inverser le
calendrier !
Ainsi, alors qu'il ressort des débats de l'Assemblée nationale que la
principale justification de la proposition de loi organique serait de respecter
la « logique », l'« esprit », le « principe » de fonctionnement des
institutions de la Ve République en modifiant un calendrier électoral qui
s'apparenterait à un « coup de force du hasard », ces objectifs déclarés se
trouvent sans fondement, notamment au regard des importants développements
consacrés à ce sujet par Michel Debré, père fondateur de la constitution de la
Ve République.
En effet, dans ses mémoires, Michel Debré expliquait ceci : « Il y a deux
"lectures" de la Constitution. L'une fait du Président le "guide" - c'est ce
qu'a entendu dire le général de Gaulle dans sa conférence de presse de 1964 -
l'autre débouche sur un régime parlementaire "à la britannique", c'est-à-dire
assure l'autorité du Premier ministre, fait du Président un garant de la
Constitution, ce qui, compte tenu de ses pouvoirs, revêt une importance
déterminante en certaines circonstances. La première lecture est la règle - qui
peut comporter des exceptions - quand Président de la République et Assemblée
nationale tiennent leur légitimité de la même majorité. La deuxième lecture
sera la règle, quasiment sans exception, en cas contraire (...) la valeur d'une
constitution n'est pas dans le fait qu'elle évite les crises, mais qu'elle
permet de les trancher dans le respect des exigences de la démocratie, de
l'Etat et de la nation ».
Le même auteur précisait ceci : « Mon expérience est venue compléter ma
réflexion. Il n'est pas bon que le Président de la République soit l'homme à
tout faire. La dualité de l'exécutif, dans les conditions où elle a été établie
et où elle a fonctionné, a donné satisfaction. Il est vrai que la cohabitation
d'un Président et d'une majorité parlementaire qui ne seraient point d'un même
bord pose des problèmes et même peut provoquer une crise, mais quel régime
fonctionne sans difficultés, quel régime ne connaît pas les crises ? »
M. Paul Blanc.
Il n'y en pas !
M. Louis Althapé.
« L'opposition entre un Président élu d'une certaine majorité et la plus
grande part d'une assemblée élue d'une autre majorité modifie certes le
fonctionnement des pouvoirs publics. Mais la situation n'est pas sans issue. Si
le Président est le dernier élu, il peut dissoudre l'assemblée afin d'obtenir
du peuple un appui nouveau. Si l'assemblée est la dernière élue, le Président
s'incline, à moins qu'il ne préfère en appeler au peuple par une dissolution.
Le peuple donne tort ; il s'incline derechef, ou mieux se retire. »
Il est donc très clair, à la lumière de ces extraits, que l'esprit des
institutions ainsi défini n'implique pas un ordre spécifique des consultations
électorales. En revanche, Michel Debré et le général de Gaulle s'opposaient
tous deux à la coïncidence des mandats respectifs des députés et du Président
de la République et donc, je vous le rappelle, à la réduction du mandat
présidentiel puisque, lors d'une conférence de presse, le 31 janvier 1964, le
général de Gaulle soulignait ceci : « Parce que la France est ce qu'elle est,
il ne faut pas que le Président soit élu simultanément avec les députés, ce qui
mêlerait sa désignation à la lutte directe des parties, altérerait le caractère
et abrègerait la durée de sa fonction de chef de l'Etat
(MM. Gélard, Ostermann et Bourdin applaudissent.)
M. Daniel Goulet.
Très bien !
M. Louis Althapé.
Force est de constater que ce prétexte invoqué de l'esprit des institutions se
trouve sans réel fondement eu égard aux différentes lectures de la Constitution
par les éminents constitutionnalistes.
De plus - et ce sera ma troisième remarque - l'inversion du calendrier est,
dans une certaine mesure, anticonstitutionnelle.
M. Joseph Ostermann.
Tout à fait !
M. Louis Althapé.
En effet, la prolongation de la durée de la législature est une rupture du
contrat passé entre les électeurs et les élus lors de l'élection. La
prolongation du mandat ne doit pouvoir s'opérer qu'avec l'accord des électeurs,
et il est vraisemblable qu'en l'espèce un référendum aurait dû s'imposer pour
modifier la loi organique.
La prolongation de la durée de la législature est une négation du pouvoir de
dissolution du chef de l'Etat et est donc en contradiction avec l'article 12 de
la Constitution.
M. Paul Blanc.
Ça, c'est vrai !
M. Louis Althapé.
Ainsi, le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion d'accepter la
prorogation de mandats électoraux, mais il n'y a consenti, je vous le rappelle,
que pour des élus locaux. Et ce n'était pas ces derniers qui prenaient la
décision de proroger eux-mêmes leur propre mandat !
M. Paul Blanc.
Effectivement !
M. Louis Althapé.
C'était le Parlement,...
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Louis Althapé.
... tandis que, dans le cas qui nous occupe, ce sont en définitive les
députés qui vont prendre une telle décision les concernant.
M. Paul Blanc.
C'est un délit d'initié !
M. Louis Althapé.
Ce sera un précédent important pour une démocratie. Selon ce principe,
l'Assemblée nationale pourrait éventuellement décider sans contrainte et sans
limite, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, de proroger indéfiniment son
propre mandat.
M. Paul Blanc.
C'est sûr ! Elle n'a qu'à se voter à vie !
M. Louis Althapé.
Jamais le Conseil constitutionnel n'a eu l'occasion de s'exprimer sur une
exception à la durée habituelle du mandat parlementaire. Certes, l'article 25
de la Constitution renvoie à la loi organique pour fixer « la durée des
pouvoirs de chaque assemblée », mais il ne permet pas de faire varier chaque
législature au gré de ceux qui la composent.
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Louis Althapé.
Il prévoit que la loi organique doit fixer une durée pérenne au mandat
législatif et non pas une durée variable, comme vous voulez le faire
aujourd'hui.
Les députés en place décident eux-mêmes de prolonger la durée de leur mandat !
C'est pour le moins discutable, voire inconvenant, d'autant qu'aucun événement
imprévu n'est intervenu - il n'y a pas de déclaration de guerre, pas de
révolution en perspective ! Si tel avait été le cas, on aurait peut-être pu
concevoir une telle attitude, mais, en 1997, on savait pertinemment que les
élections législatives auraient lieu en 2002, et à ce moment-là, bien entendu,
personne, surtout pas le Premier ministre de l'époque, n'a soulevé le problème.
Il n'y avait donc rien d'imprévisible.
Encadrée par la Constitution, la loi organique a l'obligation d'assurer une
durée juridiquement stable de la législature.
Le Conseil constitutionnel a, en outre, précisé, dans une décision du 6
juillet 1994, que la mesure de prorogation devait avoir un caractère
exceptionnel. Or, en principe, le rapprochement des élections présidentielle et
législatives la même année n'a rien d'exceptionnel, puisqu'il était largement
prévisible. La condition posée par le Conseil constitutionnel pour les
élections locales n'est donc pas remplie pour les élections nationales.
En conclusion, si la proposition de loi affirme ne se fonder que sur l'esprit
des institutions, les principes sur lesquels elle repose ne peuvent qu'être
inconstitutionnels : atteinte au droit de dissolution, c'est-à-dire violation
de l'article 12 de la Constitution - je l'ai dit il y a un instant - et
atteinte à la stabilité du mandat législatif, c'est-à-dire violation de
l'article 25 de la Constitution, soit une double violation !
Enfin, cette manoeuvre est à maints égards irréfléchie. Non seulement la
modification du calendrier législatif est artificielle, car elle ne tient pas
compte d'événements ultérieurs, comme la démission ou la disparition du chef de
l'Etat, qui pourrait remettre en cause le nouveau calendrier, mais encore la
période retenue pour élire l'Assemblée nationale - fin juin, je le rappelle -
est une incitation flagrante à l'abstention, car elle se situe au moment où de
très nombreux Français sont en vacances et alors que se déroulent les examens
universitaires et de nombreux concours administratifs.
M. Daniel Goulet.
C'est vrai !
M. Louis Althapé.
L'Assemblée nationale élue fin juin ne pourra se réunir que quelques jours,
avant l'interruption de ses travaux, du fait des vacances. Comment peut-on
décemment penser qu'elle pourra déjà travailler ? Il aurait mieux valu choisir
une date en septembre, permettant ainsi à l'Assemblée nationale de se réunir
dès son élection.
M. Patrice Gélard.
Tout à fait d'accord !
M. Louis Althapé.
C'est une question de bon sens,...
M. Paul Blanc.
Bien sûr !
M. Louis Althapé.
... comme le disait notre collègue Hilaire Flandre.
Enfin, et ce sera ma dernière remarque, il est en effet difficile, comme le
soulignait notre rapporteur, de savoir sur quel « consensus », sur quel « large
accord », la décision du Gouvernement a été prise.
Notre collègue Josselin de Rohan, dans son excellente intervention, déclarait
: « Le consensus ne provient pas de la majorité plurielle puisque les Verts et
le parti communiste, pour des raisons diverses, sont hostiles à la modification
proposée ». Il n'existe pas davantage dans l'opposition. On l'a vu au moment du
vote à l'Assemblée nationale - 300 voix contre 245 - qui ne manifeste qu'un
consensus relatif.
La décision prise par le Gouvernement de changer la loi est donc bien le fruit
du rapprochement d'une partie des formations gouvernementales avec quelques
éléments de l'opposition.
Sur les raisons qui ont conduit le Premier ministre non pas à prendre mais à
laisser prendre des initiatives, vous comprenez bien que nous avons notre
petite idée.
Le consensus n'est pas non plus le fait de l'opinion publique. La dernière
enquête d'opinions réalisée sur ce sujet a fait apparaître que 41 % des
Français souhaitaient le maintien du calendrier électoral, tandis que 32 % se
prononçaient pour sa modification.
Nous le savons tous - ceux qui m'ont précédé à cette tribune l'ont rappelé -
les Français appellent de leurs voeux d'autres réformes. Ils attendent que nous
discutions de l'insécurité, qui affecte tant d'entre eux sur leur lieu de vie,
dans leur travail et dans leurs déplacements.
Les derniers événements qui se sont produits sur le parvis de la Défense
montrent bien que c'est un véritable problème de société. On a le sentiment
qu'un « Harlem à la française » est en train de se dessiner, en particulier
dans la capitale et dans les banlieues. La responsabilité du Gouvernement est
grande, de ce point de vue.
Mieux vaudrait, aujourd'hui, débattre de ces problèmes, plutôt que de perdre
notre temps, car il faut bien reconnaître que le débat sur cette proposition de
loi est une perte de temps pour la démocratie. Nous avions beaucoup mieux à
faire !
M. Hilaire Flandre.
C'est sûr !
M. Louis Althapé.
Nous pourrions aussi parler de l'avenir de notre système de retraites. On en
parle depuis quatre ans,...
M. Hilaire Flandre.
On manifeste, mais on ne fait rien !
M. Louis Althapé.
... mais aucune décision n'a encore été prise. Il est vrai que le Premier
ministre a considéré que les problèmes ne se poseraient qu'à partir de 2015,
pour autant que je me souvienne !
Qu'on puisse faire de la politique sans être capable de faire de la
prospective, cela nous choque, car nous sommes habitués, sur des sujets de
société aussi importants, à anticiper avec sagesse et réalisme pour apporter de
véritables réponses à nos concitoyens.
M. le président.
Mon cher collègue, je vous ai déjà accordé quelques minutes supplémentaires.
Pensez-vous pouvoir en terminer dans les cinq minutes ?
M. Louis Althapé.
Compte tenu de ce que j'ai encore à dire, cela me paraît difficile, monsieur
le président.
M. le président.
Dans ces conditions, il me paraît plus sage de reporter la suite de votre
intervention à demain.
M. Louis Althapé.
C'est la sagesse même, monsieur le président.
M. le président.
Je vous remercie, monsieur Althapé, d'accepter de scinder ainsi votre
intervention.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
10
TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI
M. le président.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté avec
modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif aux
nouvelles régulations économiques.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 21, distribué et renvoyé à la
commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de
la nation.
11
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
DE LOI ORGANIQUE
M. le président.
J'ai reçu de M. Serge Mathieu une proposition de loi organique tendant à
limiter à soixante-dix ans l'âge maximal d'éligibilité des parlementaires.
La proposition de loi organique sera imprimée sous le n° 204, distribuée et
renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, durèglement et d'administration générale, sous réserve de
la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions
prévues par le règlement.
12
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. Serge Mathieu une proposition de loi tendant à limiter à
soixante-dix ans l'âge maximal d'éligibilité aux élections.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 205, distribuée et renvoyée à
la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la
constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues
par le règlement.
13
TEXTES SOUMIS AU SÉNAT
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4
DE LA CONSTITUTION
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil adoptant des mesures autonomes et
transitoires concernant l'importation de certains produits agricoles
transformés originaires de Pologne.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1640 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux
actions dans le domaine de l'aide aux populations déracinées dans les pays en
développement d'Amérique latine et d'Asie.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1641 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil étendant la date d'application du
règlement (CEE) n° 3621/92 portant suspension temporaire des droits autonomes
du tarif douanier commun lors de l'importation de certains produits de la pêche
aux îles Canaries et du règlement (CE) n° 527/96 portant suspension temporaire
des droits autonomes du tarif douanier commun et portant introduction
progressive des droits du tarif douanier commun lors de l'importation d'un
certain nombre de produits industriels aux îles Canaries.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1642 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil relatif à l'application des dispositions
du droit communautaire aux îles Canaries.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1643 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil portant reconduction en 2001 des mesures
prévues au règlement (CE) n° 1416/95 établissant certaines concessions sous
forme de contingents tarifaires communautaires en 1995 pour certains produits
agricoles transformés originaires de Norvège.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1644 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil relative à la signature et à
l'application provisoire de l'accord sur le commerce des produits textiles
entre la Communauté européenne et la Bosnie-Herzégovine paraphé à Bruxelles le
24 novembre 2000.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1645 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil interdisant l'exportation de certaines
marchandises et de certains services vers l'Afghanistan, renforçant
l'interdiction des vols et le gel des fonds et autres ressources financières
décidés à l'encontre des Taliban d'Afghanistan, et abrogeant le règlement (CE)
n° 337/2000 du Conseil.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1646 et distribué.
14
DÉPÔT D'UN RAPPORT
M. le président.
J'ai reçu de M. Philippe Nogrix un rapport fait au nom de la commission des
affaires sociales sur la proposition de loi de MM. Alain Lambert et Philippe
Marini portant création du revenu minimum d'activité (n° 317, 1999-2000).
Le rapport sera imprimé sous le n° 206 et distribué.
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DÉPÔT DE RAPPORTS D'INFORMATION
M. le président.
J'ai reçu de M. Hubert Haenel un rapport d'information fait au nom de la
délégation du Sénat pour l'Union européenne sur le traité de Nice.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 202 et distribué.
J'ai reçu de M. Joël Bourdin un rapport d'information fait au nom de la
commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de
la nation sur l'étude relative à l'évaluation des systèmes d'information
statistique sur les administrations publiques.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 203 et distribué.
16
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mercredi 31 janvier 2001, à quinze heures :
1. Examen de la demande présentée par la commission des affaires sociales
tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information
sur la politique de lutte contre le cancer.
2. Suite de la discussion de la proposition de loi organique (n° 166,
2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence,
modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale.
Rapport (n° 186, 2000-2001) de M. Christian Bonnet, fait au nom de la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est fixé à la clôture de la
discussion générale.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble de la proposition de loi
organique.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
vacance d'un siège de sénateur
Conformément aux articles LO 325 et LO 179 du code électoral, M. le ministre de l'intérieur a fait connaître à M. le président du Sénat que, en application de l'article LO 322 du code électoral, à la suite du décès de M. René Ballayer, un siège de sénateur de la Mayenne est devenu vacant et sera pourvu par une élection qui aura lieu en même temps que le prochain renouvellement partiel du Sénat.
décès d'un sénateur
M. le président du Sénat a le regret de porter à la connaissance de Mmes et MM. les sénateurs qu'il a été avisé du décès de M. René Ballayer, sénateur de la Mayenne, survenu le 26 janvier 2001.
modification
aux listes des membres des groupes
groupe de l'union centriste
(48 membres au lieu de 49)
Supprimer le nom de M. René Ballayer.
NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES
M. Jacques Legendre a été nommé rapporteur pour avis du projet de loi n° 185
(2000-2001) de modernisation sociale, adopté par l'Assemblée nationale, après
déclaration d'urgence, dont la commission des affaires sociales est saisie au
fond.
Mme Hélène Luc a été nommée rapporteur de la proposition de loi n° 167
(2000-2001) de Mme Hélène Luc et plusieurs de ses collègues, relative à la
protection et à la conservation des documents de l'Etat.
COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
MM. Claude Huriet, Bernard Seillier, Mme Annick Bocandé, M. Alain Gournac ont
été nommés rapporteurs du projet de loi n° 185 (2000-2001), adopté par
l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, de modernisation sociale.
M. Roland Muzeau a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 134
(2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la mise en place
d'une allocation d'autonomie pour les jeunes de seize à vingt-cinq ans.
M. Roland Muzeau a été nommé rapporteur de sa proposition de loi n° 168
(2000-2001) relative au harcèlement moral au travail.
M. Louis Boyer a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 184
(2000-2001) de M. Nicolas About, tendant à clarifier les règles de récupération
de l'aide sociale par les départements et à protéger les droits patrimoniaux
des personnes handicapées.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Aide à domicile en milieu rural
1010.
- 30 janvier 2001. -
M. Jean Boyer
rappelle à
Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité
que l'aide à domicile en milieu rural, qui joue un rôle essentiel dans nos
campagnes, est en difficulté. Le personnel soignant est en nombre insuffisant ;
la convention collective, qui remonte à 1970, est dévalorisante et obsolète ;
l'application de la réduction du temps de travail s'avère ingérable. Les
personnels de l'ADMR ont entamé un mouvement social en Isère. Ils réclament une
convention collective unique d'aide à domicile, un accord de branche pour les
35 heures, une augmentation des indemnités kilométriques cantonnées à 1,68
francs depuis cinq ans et des contrats moins précaires. Il lui demande quelles
réponses elle peut apporter à ces légitimes revendications ?
Conséquence de la professionnalisation de l'armée
1011.
- 30 janvier 2001. -
M. Alain Gournac
attire l'attention de
M. le ministre des affaires étrangères
sur les conséquences de la mise en oeuvre de la loi n° 96-1111 du 19 décembre
1996 relative à la professionnalisation des armées. En effet, à un an de la fin
définitive de la conscription, il lui demande, tout d'abord, de bien vouloir
lui préciser le nombre global d'appelés incorporés au titre de la coopération
et plus spécialement le nombre d'appelés servant, à ce titre, dans les services
de nos ambassades et de nos consulats. Il lui demande enfin de bien vouloir lui
faire savoir quels personnels il envisage d'affecter à ces postes qui, à partir
du 1er janvier 2002, ne seront plus pourvus par la conscription.