SEANCE DU 25 JANVIER 2001
DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Suite de la discussion d'une proposition de loi
organique déclarée d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi
organique (n° 166, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, après
déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de
l'Assemblée nationale. [Rapport n° 186 (2000-2001).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Fournier.
M. Bernard Fournier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la
course qui place les acteurs potentiels des prochaines élections
présidentielles à la recherche d'un brevet de constitutionnalité, qu'il me soit
permis, en propos liminaires, d'évoquer le général de Gaulle, à qui, somme
toute, et contre toute attente, on se réfère sur toutes les travées de nos
assemblées, y compris sur les plus à gauche. Chacun se souviendra de cette
exclamation fameuse qu'il prononça et que j'ose reprendre à mon compte
aujourd'hui :
« Mais quels sont ces cris péremptoires et contradictoires qui s'élèvent
bruyamment au-dessus de la nation ? Hélas ! Rien autre chose que les clameurs
des partisans. »
Si j'emprunte à l'auteur du discours de Bayeux ce constat un peu désabusé,
c'est parce que je me sens un peu navré de ce que notre vie politique ne soit
plus rythmée qu'en fonction du calcul des uns, des équations des autres.
Ce que nous avions voulu éviter, nous citoyens, et nous héritiers gaullistes,
ce que nous avions voulu éviter - disais-je - un jour d'octobre 1958 est revenu
au galop : ce sont dorénavant les intérêts personnels qui ont pris le pas sur
l'intérêt supérieur de la nation.
Ce constat recouvre malheureusement bien plus que des mots puisque le débat
qui nous réunit aujourd'hui est à mon sens topique de la dérive que nous
redoutions, dérive que tous les démocrates doivent combattre et qui va vers la
cristallisation de la dynamique républicaine autour de la seule quête du
pouvoir des personnes.
Avant tout, il ne faut pas oublier les notions fondamentales de notre société
politique moderne : je veux rappeler que la Constitution doit être non pas une
coquille vide mais un texte vivant, devant lequel le législateur ordinaire ou
organique ne peut que s'incliner.
Contourner la Constitution par la loi pour éviter de la violer de front est
hardi. Tenter de justifier cela par des arguments dilatoires est condamnable,
je dirai même que c'est fallacieux.
Par un tour de passe-passe médiatique, le Gouvernement, ou tout du moins une
partie de la majorité, laisse croire aux Français que le monde est à l'envers,
que le parti socialiste est devenu le défenseur du corps de la Constitution,
tandis que la droite gaulliste chercherait à faire céder le texte fondamental
sous les coups de boutoir des intérêts de l'Elysée. Il n'en est évidemment
rien.
A ce jour, le Président préside et tout le reste n'est que supputation. Il
nous a d'ailleurs appelés à une année utile, au lieu de cela, le Gouvernement
nous enferme dans des débats stériles dont il entend nous faire porter la
responsabilité. Eh bien non ! nous ne marcherons pas dans le sens que M. Jospin
a choisi en fonction de ses seuls intérêts politiques, et c'est au Gouvernement
qu'incombe la responsabilité du « surplace » du Parlement, puisqu'il a décrété
l'urgence sur ce texte.
Un peu de décence ! Ne prenons pas les Français pour les dindons de la farce !
Nos concitoyens d'ailleurs ne sont pas dupes.
Nous, gaullistes, avons mis et continuerons à mettre dans ce débat, aussi
longtemps qu'il le faudra, un point d'honneur à être « l'avant-garde éclairée »
du respect de la Constitution.
D'ailleurs, cette notion « d'avant-garde éclairée », vous, mesdames et
messieurs de la majorité, vous la connaissez bien, pour en avoir fait usage par
le passé !
J'aurais aimé éviter les leçons d'histoire, mais l'opposition sénatoriale nous
y contraint : faut-il donc vous rappeler, mesdames, messieurs de la gauche
plurielle, que, dans un premier temps, vous avez combattu l'adoption de ce
texte, puis que vous avez combattu, ensuite, sa démocratisation en 1962 et que,
devant le « cartel des non », cartel que l'on pourrait, avec un peu de mauvais
esprit, retrouver aujourd'hui, c'est finalement le peuple de France et la
volonté éclairée d'un homme qui ont tranché, renvoyant les partis tout penauds
dans leurs foyers ?
A tout dire, et pour être francs, nous ne sommes pas surpris des attaques que
vous diligentez envers la Constitution. Nous en déplorons le caractère
indirect.
Nous ne sommes pas davantage surpris, et je le développerai plus loin, par vos
flèches décochées sur les prérogatives de l'institution présidentielle. Mais ce
que nous dénonçons, c'est la manière que vous choisissez pour porter atteinte à
la loi fondamentale : dans l'obscurité, en tentant de semer le doute et la
confusion.
Vous n'organisez pas un débat politique, vous sombrez dans la manipulation,
touchant tour à tour au débauchage, au clientélisme électoral, au marivaudage
politique et, parfois, au machiavélisme. Le droit d'inventaire est bien loin,
la méthode, Jospin oubliée, les vieux démons ont resurgi, la méthode Mitterrand
est à l'honneur, avec son cortège de tractations occultes, de majorités contre
nature !
Gaullistes, nous ne sommes pas pour autant contre toute adaptation de notre
loi fondamentale. Le débat institutionnel doit s'ouvrir, non pas pour affaiblir
la Ve République mais, au contraire, pour l'améliorer et la conforter.
Il doit s'ouvrir non pour renforcer le rôle des partis, mais pour redonner la
parole au peuple.
Il doit s'ouvrir non pour diminuer le prestige de l'institution
présidentielle, mais pour en restaurer l'autorité.
Nous débattons donc aujourd'hui de l'inversion du calendrier électoral pour
2002. Que n'avons-nous pas entendu sur ce sujet ! Les couleuvres se sont mutées
en boas et en pythons, mais nous ne les avalerons pas, je crois que le Sénat
l'a démontré, hier et avant hier encore, notamment à M. le ministre des
relations avec le Parlement.
Au préalable, il convient de rappeler que, malgré les apparences, ce qui nous
réunit lors de cette séance n'est nullement un débat constitutionnel : ne nous
y trompons pas.
Il en a certes la couleur, l'odeur, le goût, mais ce n'est qu'une mesure de
convenance,...
M. François Gerbaud.
C'est le Canada dry !
M. Bernard Fournier.
... si c'est du droit constitutionnel, il ne pourra qu'être « allégé ».
Nous sommes les mains dans le cambouis, à modifier la mécanique électorale en
fonction des
desiderata
du fait majoritaire.
Faut-il pour autant se désintéresser de ce débat ?
Je ne le crois pas ; bien au contraire !
Ce texte, inscrit à la hâte à l'ordre du jour de notre assemblée, est à la
fois important et dérisoire.
Je m'explique : il est important parce qu'il touche la fonction suprême, la
clé de voûte de nos institutions.
Ce qui est contestable, c'est qu'il le fasse par ricochet : dans la mesure où
le législateur ordinaire ne peut pas toucher au mandat du Président, que
fait-il ? Il allonge son propre mandat !
La ficelle est grosse, mais elle semble ne gêner personne. Enfin, elle aurait
dû ne gêner personne ! Mais c'était là sans compter sur l'opposition au
Gouvernement.
Cependant, ce débat reste dérisoire pour deux raisons : d'une part, parce
qu'il n'aborde pas le fond de la réflexion constitutionnelle et, d'autre part,
parce qu'il relègue au second plan des réformes importantes.
En effet, il n'aborde pas le fond de la réflexion constitutionnelle, de sorte
qu'il n'apparaît que comme une adaptation à la convenance politique d'un
candidat potentiel : citons-le, il s'agit de Lionel Jospin, personne ne le
découvre...
Ce n'est pas dit comme cela, mais, là encore, personne ne peut être
sérieusement dupe. Or, dans le contexte de cohabitation, une telle initiative
apparaît comme superflue et témoigne d'un esprit de calcul condamnable : elle
n'est ni nécessaire ni élégante et marque à coup sûr un coup de couteau dans
l'équilibre des pouvoirs. D'autre part, le débat sur le calendrier électoral
apparaît encore comme dérisoire parce que des questions fondamentales sont
reléguées au second plan.
Que penser de l'opportunité de ce débat lorsque la sécurité alimentaire est en
danger du fait de l'importation massive de farines animales ?
Que penser de l'opportunité de ce débat lorsque la délinquance augmente en
même temps que l'insécurité progresse ?
Que penser de l'opportunité de ce débat lorsque l'incivisme triomphe ?
Que penser de l'opportunité de ce débat lorsque les questions relatives à
l'élargissement de l'Europe patinent ?
Que penser de l'opportunité de ce débat lorsque l'euro se met en place dans un
silence assourdissant ?
Que penser de l'opportunité de ce débat lorsque le Gouvernement ne met en
oeuvre qu'une seule politique d'attentisme électoral ?
Que penser, enfin, de l'opportunité de ce débat lorsque le Gouvernement n'est
soucieux que de se prévaloir des fruits d'une croissance
alors qu'il n'y est
pour rien,
lui qui est si prompt à les dilapider dans le financement de
mesures dogmatiques.
Mais non ! La France n'est pas une république bananière dont on change les
lois électorales au dernier moment.
Que l'on ne nous fasse pas croire que l'on ne découvre le calendrier électoral
de 2002 qu'aujourd'hui ; il résulte, d'une part, des conséquences du décès du
président Georges Pompidou, en 1974, et, d'autre part, de la dissolution de
l'Assemblée nationale de 1997. Tous les intervenants l'ont souligné.
Ce sont des faits, des événements, malheureusement incontestables.
C'est ce qui me conduit à dire que, s'il avait fallu réformer ce calendrier,
ou du moins si on avait voulu le faire dans les meilleures conditions
institutionnelles possibles, il fallait agir dès l'installation de la dernière
législature.
De cela le Gouvernement n'a pas voulu. Il a attendu de voir de quelle manière
sa politique était perçue par l'opinion, et maintenant que les choses se
dessinent, que l'opinion pourrait défier le Gouvernement, on se livre à des
manoeuvres condamnables : il y a le feu au lac !
Aujourd'hui, modifier la séquence de l'élection du Président de la République
et des députés ne peut apparaître que comme une manoeuvre politicienne. Et c'en
est une ! Personne, je le répète, ne peut être dupe.
Le jeu est risqué pour notre démocratie : je disais à l'instant que cette «
adaptation » du calendrier à la prétendue convenance d'un candidat était
dérisoire ; j'ajoute qu'elle me paraît inopportune et maladroite. On ne joue
pas avec la loi électorale comme on joue avec la loi fiscale, mesdames et
messieurs de la gauche plurielle ! Le Gouvernement semble avoir bien vite
oublié la leçon cuisante que nos concitoyens nous ont délivrée, à nous tous, à
l'automne. Les Français se moquent des « réformettes » institutionnelles.
Faut-il vous rappeler ce qui s'est passé ce beau dimanche de septembre ?
Pendant que la classe politique s'agitait sur les débats du quinquennat, les
Français s'abstenaient très largement lors du référendum, nous délivraient un
message sans appel, que nous nous devions d'entendre.
Comme la majorité semble ne pas avoir entendu ce message, c'est donc à
l'opposition de le lui faire entendre. A mon sens, ce message était clair : il
signifiait non le désintérêt de nos concitoyens pour la matière
constitutionnelle, mais leur désaccord sur la forme de celui-ci.
Ne nous y trompons pas : les Français sont prêts à parler de l'organisation
des pouvoirs, mais au terme d'un débat de fond, transparent et permettant à
tous de s'exprimer. Ils sont las des demi-mesures, adoptées à la va-vite ou à
la sauvette.
J'évoquerai plus longuement un autre point, que je tiens à aborder parce que
rien n'est tabou et que nous avons, nous, le mérite de la franchise.
Certes, l'opposition s'est montrée divisée à l'Assemblée nationale, mais c'est
parce que le Gouvernement sait bien jouer sur ce terrain. J'ai parlé, à cet
égard, de la « génération Mitterrand ». Je dénonçais tout à l'heure le
clientélisme dont le Gouvernement fait parfois preuve. Il a beau jeu de
souligner les divergences de la droite parlementaire. Sur ce chapitre, je tiens
à le rassurer : nous savons très bien nous diviser tout seuls, sans l'aide de
personne !
Il faut cependant balayer devant sa porte avant d'aller nettoyer devant celle
du voisin : le seul choix de la technique d'une proposition de loi pour nous
imposer ce texte a été révélateur de l'impossibilité pour M. Jospin d'obtenir
le blanc-seing de son conseil des ministres sur un projet de cette sorte.
Qu'auraient dit, en effet, Mmes, MM. les membres communistes du Gouvernement,
dont l'opposition à ce texte est connue, si le Premier ministre était passé en
force sur ce point ?
Ce qui m'inquiète, c'est donc bien l'implosion constante de la majorité :
comment, sur une réforme institutionnelle, mais aussi sur l'élargissement de
l'Europe, mais encore sur la politique sociale et, récemment, sur la politique
fiscale, le Gouvernement peut-il continuer à gérer ses contradictions ? Comment
gérer, au sein d'une même équipe, un PS éclaté, des Verts écartelés, des
communistes en rupture de ban ? Comment, par là même, continuer à assumer ses
responsabilités exécutives ?
La coalition mosaïcale de la gauche plurielle n'est plus !
Elle a commencé à exploser lors de la campagne référendaire et elle se
désintègre à l'occasion de ce débat sur la manipulation du calendrier
électoral.
Revenant au coeur du débat, j'axerai mon propos sur deux points : la méthode
et le fond.
La méthode est, à mon sens, contestable et lourde d'arrière-pensées.
J'apporterai d'abord quelques précisions sémantiques, car elles sont
nécessaires. Je veux dire, après plusieurs de mes collègues, qu'il n'y a pas de
« rétablissement » du calendrier électoral, comme on voudrait nous le faire
croire. Pour qu'il y ait rétablissement, il faudrait qu'il y ait eu inversion
volontaire ! Or il n'en est rien. La situation actuelle résulte simplement du
déroulement des échéances politiques.
De plus, nulle part dans la Constitution, la séquence des élections
législatives et de l'élection présidentielle n'est abordée. Le constituant de
1958 n'a pas cru bon de préciser ce point de détail, s'en remettant au rythme,
à la respiration normale de la vie politique.
Ainsi, ce qui nous est présenté comme un rétablissement calendaire n'est en
effet rien d'autre qu'un « tripatouillage » hasardeux, qui trouve sa source
dans les arrière-pensées politiciennes des uns ou des autres, quels qu'ils
soient.
Le Premier ministre, candidat pseudo virtuel, fait preuve sur ce sujet d'un
esprit de finesse destiné à servir son intérêt politique. Cet esprit de finesse
est cependant fragile parce que fondé sur des spéculations à long terme tout à
fait hypothétiques.
La malignité du raisonnement est poussée à son paroxysme quand M. Jospin
semble à la recherche d'un « brevet de gaullisme ». Nous ne le lui accorderons
pas, car le gaullisme est l'inverse de ce que nous vivons aujourd'hui. Le
gaullisme, c'est non l'intérêt des hommes, mais celui, supérieur, de la nation.
Le gaullisme, ce n'est pas le calcul, la politicaillerie : c'est le regard sur
l'horizon, avec pour seule perspective la grandeur de la France.
(Mme Borvo
s'esclaffe.)
Cet esprit de manoeuvre, j'aurais aimé de pas avoir à le dénoncer parce que
j'ai du respect pour l'homme, dont nous connaissons la rigueur, et il ne manque
d'ailleurs pas de s'en prévaloir. Nous sommes déçus parce que cet esprit de
manoeuvre transpire des déclarations faite par le Premier ministre au cours des
dernières semaines.
Quelle constance...
M. Jospin doit s'expliquer. Il doit nous faire comprendre comment l'inversion
du calendrier électoral, ou son prétendu rétablissement circonstanciel, qu'il
qualifiait lui-même de manoeuvre politicienne il y a peu - lorsque d'autres
l'appelaient de leurs voeux - est devenue l'une des priorités de son
gouvernement, quitte à repousser l'examen d'autres textes et à s'assurer
l'adoption de celui-ci au prix de marchandages douteux.
Pourquoi ce qui apparaissait comme une manoeuvre hier n'en est plus une
aujourd'hui ?
Par quel miracle spéculatif, fruit de l'imagination débordante des
chroniqueurs journalistiques ou des prévisionnistes des instituts d'opinion,
une manoeuvre se mue-t-elle en intérêt supérieur de la nation, au point
d'inscrire ce texte en urgence à l'ordre du jour du Parlement, renvoyant de ce
fait aux calendes grecques d'autres textes, réellement importants, eux, car ils
doivent nous permettre de répondre aux attentes fondamentales de nos
concitoyens.
M. Jospin est encore est encore recalé dans sa quête de brevet de gaullisme
parce que la logique de nos institutions réside non dans le point de détail du
calendrier électoral mais dans la réalité des pouvoirs concédés à chacun des
organes qui composent la République : Président de la République, Gouvernement,
Parlement. C'est le fondement même de notre Constitution, une constitution
formelle et, somme toute, grâce à Dieu, assez rigide.
Si le Gouvernement veut respecter l'esprit des institutions de la Ve
République, que les formations qui composent la coalition aux affaires ont
pourtant longtemps combattue, il doit tout mettre en oeuvre pour veiller au
respect des sphères de pouvoir du Parlement, pour les défendre contre les
empiètements de l'exécutif, plutôt que de se perdre dans des querelles
picrocholines sur l'articulation calendaire.
S'agissant toujours de la méthode, comment ne pas évoquer une nouvelle fois la
voie du recours à un texte d'origine parlementaire qui a été choisie ? On nous
refait le coût du PACS ! Voilà encore un texte important que le Gouvernement ne
reprendra à son compte que s'il obtient une assurance tous risques de la part
de sa majorité. Quel courage politique !
Ne nous y trompons pas : il s'agit d'éviter de heurter de front le locataire
de l'Elysée. Piètre procédé, qui témoigne d'une bien faible hauteur de vue !
La procédure de la proposition de loi, outre qu'elle permet d'éviter l'examen
en conseil des ministres, a le grand avantage de faire l'impasse sur le Conseil
d'Etat. En effet, celui-ci dans sa formation consultative, n'aurait certes pas
manqué de souligner l'inopportunité du texte et les limites de sa
constitutionnalité.
L'absence d'examen en conseil des ministres prive aussi le Président de sa
faculté de faire des remarques sur l'opportunité de ce texte.
Quelle élégance ! Quelle belle conception de la dialectique démocratique !
J'entends déjà le Gouvernement s'arc-bouter derrière la mauvaise rédaction
d'un texte d'origine parlementaire dans le cas d'une censure par la rue de
Montpensier !
Chacun sait bien qu'il s'agit en fait d'une commande de Matignon à la rue de
Solférino. Nous ne sommes pas dupes !
Au fond, le Gouvernement ou, plus précisément, le parti socialiste, baigne
dans les contradictions. En effet, il se dit soucieux du respect des
institutions et de la logique constitutionnelle, mais il fait deux poids, deux
mesures, selon les cas de figure. En fonction de l'intérêt de la majorité, la
promptitude de la réaction gouvernementale n'est plus du tout la même.
Je veux évoquer ici, et ce n'est pas mon ami M. Gélard qui me contredira, la
question des élections sénatoriales, qui n'est pas sans lien avec celle du
calendrier électoral.
Rappelons le contexte : le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 6
juillet 2000 concernant la loi relative à l'élection des sénateurs, a reconnu
l'obligation, pour le législateur, de modifier la répartition du nombre de
sénateurs, et ce pour tenir compte des nouvelles réalités démographiques des
collectivités dont le Sénat, est-il besoin de le souligner ici, assure la
représentation. Les recommandations du Conseil en la matière constituaient,
pour le Gouvernement, une quasi-injonction.
Autorisez-moi, monsieur le ministre, une parenthèse : nous venons de découvrir
le peu de déférence de certains membres de la majorité à l'égard de l'autorité
- pourtant absolue - de la chose jugée par le Conseil constitutionnel. Il y a
de quoi être choqué. L'actualité récente vient en effet de nous en fournir des
illustrations, avec les critiques sévères adressées par des personnalités de
gauche envers deux décisions embarrassantes pour le Gouvernement.
Quoi qu'il en soit, le juge constitutionnel a encore - et c'est heureux ! -
son mot à dire à l'issue du processus législatif, et les sages du Palais-Royal
n'ont pas manqué de faire connaître au Gouvernement de quelle façon devaient
s'organiser les prochaines élections sénatoriales.
Le ministre de l'intérieur, en l'espèce, a pu rappeler que cette modification
n'était pas opportune aux yeux du Gouvernement, qui s'interdit « de modifier
les règles relatives à une élection dans la période qui la précède
immédiatement ». Cette déclaration a été faite le 25 octobre dernier, soit à
onze mois des prochaines élections sénatoriales.
Le texte que nous discutons ne pourra être ni adopté ni promulgué avant la fin
du mois de février ou le début du mois de mars, pour des élections normalement
prévues pour le printemps 2002.
Finissons-en avec cette hypocrisie et cessons de couper les cheveux en quatre
!
Mesdames, messieurs de la gauche plurielle, monsieur le ministre, vous jouez
sur quelques semaines pour légiférer en urgence : ce n'est respectueux ni de
nos concitoyens ni du Parlement. Vous pouvez vous draper d'indignation, mais
c'est notre devoir que de dénoncer de telles manoeuvres, qui ne relèvent pas
d'une pratique démocratique moderne.
Il nous appartiendra, lorsque l'Assemblée nationale aura dit son dernier mot
sur le sujet, de soumettre ce texte à l'examen du Conseil constitutionnel.
J'en viens au fond.
En droit, il convient, d'abord, de rappeler que la Ve République a pu dégager
une nouvelle conception du rôle du Président de la République. En 1958, on a
voulu rétablir une autorité morale et politique qui s'était dégradée à la fin
de la IIIe République et tout au long de la IVe.
Le rôle du Président de la République est aujourd'hui prééminent dans notre
loi fondamentale. D'ailleurs, il fait l'objet du premier titre réellement
normatif de ce texte.
Le général de Gaulle a voulu, en 1962, renforcer encore cette autorité en lui
conférant une onction démocratique par l'élection du Président de la République
au suffrage universel direct. C'est ce que vous n'avez pas manqué d'appeler, je
vous le rappelle, mesdames, messieurs de la majorité, le « coup d'Etat
permanent ».
Le bénéfice de l'abandon du mécanisme impliquant les grands électeurs n'est
plus à prouver - d'ailleurs, nul ne le remet en cause aujourd'hui - de sorte
que même les Etats-Unis d'Amérique seraient bien inspirés de nous copier sur ce
point.
La réduction à cinq ans du mandat du Président de la République, que le peuple
a
in fine
acceptée le 24 septembre dernier, permettra peut-être d'éviter
les accidents constitutionnels que sont les cohabitations et qui ne sont, j'en
suis convaincu, ni fertiles ni souhaitables.
Cependant, il conviendrait de revenir à un peu de décence dans nos débats.
L'argument qui est avancé à l'appui de la proposition de loi organique que nous
examinons est d'ordre politique : il s'agit d'empêcher un nouvel accident
institutionnel. Mais ne l'oublions pas, la cohabitation a été prévue par le
constituant de 1958 ; le général de Gaulle l'avait lui-même évoquée. Mais il a
fallu attendre 1986 pour qu'elle soit testée de façon empirique, lors de la
défaite de la gauche aux élections législatives, et sous la présidence de
François Mitterrand, pas d'un autre !
Si, à titre personnel, je considère que la cohabitation n'est pas souhaitable
parce qu'elle handicape la mise en place d'une politique dynamique, elle n'en
demeure pas moins une possibilité que les rédacteurs de 1958 ont prévue.
A ceux - ils existent - qui reprocheraient trop rapidement au Président de la
République en poste de n'avoir pas tiré les conclusions des résultats des
élections législatives de 1997, je veux rappeler qu'il n'y avait aucune raison
pour qu'à deux situations identiques - 1986 et 1997 - soient appliquées des
solutions différentes.
Le Président de la République, nous l'avons souligné, est au premier plan de
notre système constitutionnel ; il est, aux termes de l'article 5 de notre loi
fondamentale, le gardien du respect de la Constitution et l'arbitre en charge
du fonctionnement régulier des pouvoirs publics et de la continuité de
l'Etat.
Ce terme d'arbitre prend tout son sens dans les périodes de cohabitation. Nos
institutions fonctionnent ; il suffit de constater que le rôle présidentiel ne
s'est jamais réduit à une seule dimension protocolaire.
Dès lors, l'élection présidentielle est bien la clé de voûte de nos
institutions. De sorte qu'une modification législative organique contingente
ayant une incidence, fût-elle indirecte, sur les prérogatives de la fonction,
fragilise l'institution, car, de fait, l'élection du Président de la République
est l'acte fondamental de la vie politique française. Seul le Président de la
République peut donc avoir la maîtrise du calendrier dans les circonstances
exceptionnelles de l'espèce.
Au surplus, à la lecture de chacune des propositions de loi déposées sur le
sujet, on est frappé par les motifs de leurs auteurs, lesquels ne prennent même
pas le soin de cacher les arrière-pensées de la majorité. Aucun argument de
droit constitutionnel n'apparaît. Il s'agit plutôt d'un catalogue de
justifications politiques et de circonstance ne reposant que sur des
spéculations d'« observateurs » plus ou moins avisés.
Ce n'est pourtant ni à la presse ni à ces observateurs qu'il appartient de
rédiger la loi fondamentale ou de l'interpréter, mais au pouvoir constituant
lui-même. Le législateur organique ne peut, quant à lui, que la mettre en
oeuvre.
Si le constituant de 1958 n'a pas souhaité s'immiscer dans le détail de la
séquence des élections, c'est qu'il ne l'a pas jugé nécessaire. La Ve
République a fait ses preuves et il n'est nullement besoin de « tripatouiller »
le calendrier sous prétexte de la renforcer : la Constitution de 1958 a su,
pour le moins, s'adapter aux accidents cohabitationnels. C'est une constitution
efficace qu'il convient de laisser respirer d'elle-même.
Plus graves m'apparaissent les conséquences que le texte que nous étudions
porte en filigrane, car modifier le rythme du calendrier électoral revient en
fait à mettre en cause une prérogative du Président de la République qui
n'appartient ni au Gouvernement, ni au Parlement. Je suis en effet persuadé que
la présente proposition de loi nie la plénitude du droit de dissolution du
Président de la République.
Je m'explique : les avocats de ce texte exposent à l'appui de celui-ci qu'il
s'agit de corriger les conséquences de la dissolution de 1997. Sans qualifier
ces conséquences, on ne peut que souligner que vouloir s'attaquer aux effets de
la dissolution, c'est porter atteinte au droit de dissolution prévu à l'article
12 de la Constitution lui-même.
Si la majorité entend adresser un signal au Président de la République, soit
parce qu'elle ne trouve plus sa cohérence - c'est le cas -, soit parce qu'elle
est animée par ce fameux « esprit de 1958 » qu'elle semble découvrir, rien
n'empêche à son chef de démissionner et donc de revenir devant nos concitoyens
en provoquant ainsi des élections législatives anticipées. Il y a là, mes chers
collègues, une porte de sortie si l'on veut réellement modifier le calendrier
électoral !
Mais mettre ainsi le Président de la République et le Parlement au pied du mur
en imposant une réforme qui touche à l'une des prérogatives les plus
essentielles du chef de l'Etat conduit nécessairement à la négation d'une
partie des pouvoirs et capacités de celui-ci : il s'agit d'un empiètement sans
précédent du domaine du Premier ministre et du Parlement sur le domaine
présidentiel.
Le droit de dissolution est une prérogative essentielle et traditionnelle du
Président ; il fonde la spécificité de notre régime et contrebalance le poids
du Premier ministre.
L'originalité de la Ve République réside précisément en ceci : à l'inverse de
ses prédécesseurs de la IIIe ou
a fortiori
de la IVe République, le
Président reste libre de décider ou non de dissoudre. Seule une procédure
d'avis ou de simple information est prévue. La position du chef de l'Etat est
dominante, sa légitimité démocratique exceptionnelle, sans précédent dans notre
histoire constitutionnelle.
Cette légitimité conduit à une déférence absolue et nécessaire à l'égard de la
fonction présidentielle, qui ne souffre aucune concurrence : la primauté
présidentielle est un fait déterminant et incontestable de la vie politique
française.
En allongeant le mandat des députés au-delà de ce qui était initialement prévu
au motif de contrecarrer les effets de la dissolution, le législateur organique
s'apprête à porter un coup symbolique à l'équilibre des pouvoirs. Je ne suis
pas convaincu, par ailleurs, que l'opinion publique soit favorable à ce que le
législateur proroge son propre mandat. En tout cas, la dérive existe.
On pourra objecter qu'il ne s'agit là que de glose. Cependant, les premières
atteintes à une institution, fussent-elles symboliques, manquent rarement de
mettre en cause plus fondamentalement son essence, et elles conduisent souvent
à en saper l'assise et l'autorité.
En plus de conduire à un empiètement sur les prérogatives du Président de la
République, le texte dont nous discutons aujourd'hui semble peu respectueux du
corps électoral...
M. Alain Gournac.
Ah, ça oui !
M. Bernard Fournier.
... alors que c'est à lui, ne l'oublions pas, que nous devons notre dignité de
réprésentant de la nation.
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Bernard Fournier.
Ce texte me semble nier la clairvoyance du corps électoral. Encore une fois,
c'est l'esprit de système qui domine. On veut penser pour le peuple, à la place
du peuple ! C'est une atteinte majeure à la démocratie. Nos électeurs sont des
adultes responsables, oser l'oublier serait indécent.
La présente proposition de loi constitue donc une atteinte à la liberté de
choisir et procède de l'infantilisation du corps électoral. Cette
infantilisation est typique des majorités qui restent animées par un dogmatisme
systématique et archaïque, héritage poussiéreux d'un marxisme-léninisme d'un
autre temps, peu respectueux de la maturité et de la majorité civique des
électeurs.
Le bon sens du corps électoral est bafoué par les hypothétiques projections
des hiérarques de tout poil. On suppute dans les couloirs du pouvoir et les
cercles avertis que les Français pourraient reconduire à l'Assemblée nationale
la majorité actuelle pour la défier ensuite immédiatement en réinstallant à
l'Elysée le contradicteur de cette majorité !
Si quand bien même cela était le cas, le seul enseignement qui pourrait en
être tiré serait la fantastique impossibilité pour ladite majorité
parlementaire de se fédérer derrière un
leader.
Ce serait le constat de
sa faiblesse. Est-ce cela que l'on redoute ?
Certes, nos compatriotes sont parfois un peu joueurs. Reprenant le propos de
l'un de nos chroniqueurs en vue, je dirai que « les Français sont monarchistes
mais qu'ils ont l'instinct régicide ». Sur le même schéma de raisonnement, si à
quelques semaines d'intervalle les Français décidaient de constituer un
exécutif dissonant, faudrait-il y voir les seules conséquences d'un calendrier
« dingo » ou, plutôt, une formidable invite à repenser notre démocratie ?
Appartient-il à la classe politique d'imposer aux Français son propre rythme ?
Ne devrait-elle pas plutôt se « caler » à la volonté nationale, sans modifier
tous les quatre matins les règles du jeu en fonction des circonstances du
moment ?
M. Jean-Pierre Schosteck.
Ce serait plus convenable !
M. Bernard Fournier.
Le débat sur la modernisation de la vie politique ne peut pas se faire au
détour de lois organiques, il exige une vaste consultation et une réflexion des
constitutionnalistes et de nos concitoyens. La constitution de la Ve République
n'est pas un texte figé, c'est un texte vivant qui a su évoluer avec chacun des
détenteurs du pouvoir présidentiel, qui l'ont marqué de leur empreinte. Le
miracle de la Ve République a été de survivre à son inspirateur et de rallier
ses plus vifs opposants.
La Ve République n'est pas morte et sa Constitution n'est pas intouchable,
elle n'a pas l'inviolabilité des Tables de la Loi. La place du Parlement, le
statut du Conseil constitutionnel, la spécificité du Sénat, ne sont pas des
sujets tabous, pour autant qu'on les aborde avec science, dignité et
neutralité.
Il y a de l'indécence dans la manoeuvre à laquelle on voudrait nous associer.
Elle ne prend en considération que d'hypothétiques conclusions qui ne se
fondent même pas sur les analyses des instituts d'opinion mais sur les
sentiments de gourous. N'oublions jamais cependant que les voix des gourous ne
sont pas l'expression de la volonté générale...
Pour conclure, si l'art du politique est de prévoir, ce n'est pas en tentant
de prévoir comment garder le pouvoir qu'il trouve sa dignité mais plutôt en
tentant de servir l'intérêt du plus grand nombre ! C'est à cela que l'on
reconnaît une grande démocratie : le pouvoir est non plus une fonction, mais
une mission. Puissions-nous chacun nous en souvenir et ne pas gêner la
respiration de notre République pour l'adapter au souffle de tel ou tel.
Prenons garde de ne pas abîmer une oeuvre qui a su faire ses preuves. Sinon,
soyons prêts a assumer toutes les conséquences !
Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas la proposition de loi qui nous est
soumise.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
modification du calendrier électoral serait, de la part du Gouvernement
socialiste, un calcul d'intérêt, une manipulation de bas étage, une réforme de
circonstance destinée à servir les prétentions du pouvoir socialiste.
Qu'il me soit permis d'en douter car tout calcul, si déplacé soit-il, toute
manipulation et toute réforme, si contestables soient-elles, supposent un
minimum de réflexion, de cohérence et, finalement, de bons sens. Or, il faut
l'affirmer avec force, gouvernance ne rime plus aujourd'hui avec bon sens. Il y
a longtemps en effet que les socialistes ne font plus montre ni de cohérence ni
de réflexion : depuis qu'ils ont renoncé à bâtir un projet de long terme viable
et pertinent, depuis qu'ils ont renoncé à définir pour mieux les servir les
intérêts vitaux de la nation, depuis qu'en définitive ils ont renoncé à
gouverner dans l'espoir de ne pas se mettre à dos certaines catégories de
Français.
Depuis longtemps déjà, dans l'univers sclérosant et appauvrissant de la
galaxie socialo-communiste, la lutte des classes a cédé le pas à la lutte des
places. Depuis longtemps déjà, dans l'univers marxisant et lénifiant de la
constellation socialiste, l'exercice du pouvoir a cédé le pas à l'apparence du
pouvoir.
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est vrai !
M. Jean Boyer.
Cette démission est doublement inacceptable, d'une part, parce qu'elle fait le
jeu des intérêts privés, exacerbe les inégalités, creuse le lit de la pauvreté
et de la précarité, d'autre part, parce qu'elle n'est pas inévitable
contrairement à ce que voudrait nous faire croire le Gouvernement. Celui-ci
s'enferme de plus en plus dans un « cybermonde » au confort artificiel pour
tenter de justifier une politique que l'on peut qualifier de virtuelle tant
elle est éloignée de la réalité et des préoccupations des Français.
Les Etats conservent une capacité d'action et une marge de manoeuvre réelles
sur les données les plus élémentaires de la vie économique et sociale, comme
les prix, les niveaux d'imposition, les subventions, la politique budgétaire et
fiscale.
Les marchés boursiers eux-mêmes restent régis par des conditions qu'il
appartient aux gouvernements d'établir : la confiance des investisseurs, qui
doit aujourd'hui être restaurée, et la santé financière des entreprises, qui
doivent être libérées des charges sans cesse plus lourdes qui, dans notre pays,
pèsent sur elles.
Le Gouvernement doit et peut agir sur l'environnement de la croissance. Il lui
appartient de donner un souffle nouveau à la recherche et à la technologie. Il
est de sa responsabilité de moderniser les services publics, qui doivent
devenir plus rentables et plus compétitifs, dans l'intérêt du citoyen et de la
nation.
Comment, dans ces conditions, expliquer la démission du Gouvernement ? Ne
serait-il plus préoccupé que par les seuls sondages de popularité et l'issue
des grandes échéances électorales à venir ? Nous osons à peine le croire. Et
pourtant,...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Eh oui !
M. Jean Boyer.
... ne partageons-nous pas désormais avec nos voisins britanniques une
caractéristique essentielle, majeure de la vie politique : le gouvernement
fantôme ?
Que pouvait-on espérer d'autre d'un gouvernement si pusillanime ?
Jamais dans l'histoire de la Ve République, en effet, un gouvernement n'a
autant « déploré », « regretté », « compati », « gémi » : les grandes
catastrophes écologiques ou naturelles ayant affecté notre pays ; l'insécurité
sur notre territoire ; la multiplication des agressions à l'encontre des forces
de l'ordre et des convoyeurs de fonds ; les classes surchargées de nos écoles ;
la démobilisation des infirmiers et des professions de santé ; nos cliniques et
nos hôpitaux exsangues, pour cause d'application de la loi sur les 35 heures
;...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Effectivement !
M. Jean Boyer.
... le manque de représentativité de notre démocratie, l'incapacité du
Gouvernement à composer avec les partenaires sociaux, son inaptitude à aborder
la question des retraites dans une France vieillissante.
Jamais, dans l'histoire de la Ve République, un Premier ministre ne s'est
autant « étonné », « interrogé », déclaré « surpris », « ému », choqué », «
révolté » par les affaires qui ont secoué son propre parti, les mises en cause
qui ont affecté ses propres hommes de confiance, les révélations sur des
comportements douteux dans des dossiers sensibles, qu'ils aient trait à la
justice ou à la défense, le mauvais usage des deniers publics. Il faudrait
ajouter le caractère exorbitant des sommes dépensées pour compenser le coût de
l'application de la loi sur les 35 heures, à savvoir - et ce sont des chiffres
que nous devons sans cesse rappeler - près de 64 milliards de francs en 2000 et
environ 85 milliards de francs en 2001,...
M. Alain Gournac.
En effet !
M. Jean Boyer.
... tout cela pour financer le remboursement des exonérations des cotisations
patronales.
Des affaires, vous n'êtes jamais au courant ! Des réformes, vous n'avez que
faire ! Des problèmes, vous avez toujours la même approche : subir ou gémir
!
Mais enfin, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
ce n'est pas en gémissant et en pleurant continuellement que l'on gouverne un
pays ! Ce n'est pas en s'étonnant et en s'interrogeant perpétuellement que l'on
mène une nation ! Ce n'est pas en exprimant inlassablement ses sentiments et
son ressentiment que l'on conduit un peuple !
D'un gouvernement en général, et de son chef en particulier, on est en droit
d'attendre autre chose qu'affect et sensiblerie, étonnement ou colère.
On est en droit d'attendre une force de caractère et des convictions sans
faille, par exemple pour imprimer une marque à un projet cohérent et viable. On
est en droit d'attendre aussi du courage et une détermination sans égal pour
donner un souffle au combat politique et conduire les réformes nécessaires au
renouveau de l'action politique et publique.
Proposer aux Français un nouveau projet de société, plus humain et plus
respectueux des diversités, établir des relations entre les individus fondées
sur une plus grande justice et sur le droit, favoriser l'échange, seul facteur
de croissance et de richesse, sans s'en remettre à la force coercitive de
l'Etat, voilà les vrais défis qu'il faut relever aujourd'hui.
Il est indispensable d'engager une réflexion de fond sur l'Etat. A l'aube du
troisième millénaire, quelles doivent être ses attributions ? Quelle est la
responsabilité de l'homme public, de l'homme politique ? Comment la puissance
publique doit-elle être utilisée ? Telles sont leurs vraies questions dont il
faut débattre.
Est-il cohérent, par exemple, de réduire la durée hebdomadaire légale du
travail à 35 heures et, simultanément, de revendiquer en Europe le rôle de
premier de la classe, alors que nos voisins européens n'ont jamais autant
travaillé ?
De la même façon, est-il opportun, dans notre pays, de laisser s'éteindre les
maîtres d'apprentissage,...
M. Alain Gournac.
Voilà !
M. Jean Boyer.
... alors que tous les acteurs de la vie économique locale plaident pour la
revalorisation du travail manuel et plébiscitent le développement de
l'apprentissage ?
Comment peut-on manquer de vision à ce point ? Comment peut-on desservir nos
institutions et la classe politique dans une si large mesure ? Comment peut-on
agir ainsi, en toute conscience et en totale impunité ?
En effet, il ne faut pas s'y tromper, ce sont, au coup par coup, de façon
anodine et insidieuse, la grandeur, la viabilité et la cohérence de nos
institutions que les socialistes sacrifient sur l'autel de la médiocrité, des
intérêts à court terme et des petites ambitions personnelles.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand le
coup d'Etat permanent rejoint le grand rêve de révolution mondiale, la
République est en danger !
Dans ces conditions, nous devrions débattre aujourd'hui non pas de l'inversion
du calendrier électoral, mais de la responsabilité de la fonction
gouvernementale, dans un contexte de cohabitation.
Celle-ci ne devrait-elle pas être étendue, par exemple lorsque le Gouvernement
privilégie systématiquement les intérêts personnels sur l'intérêt général et
qu'il remet en question, subrepticement, insidieusement, à coup de «
réformettes », tout notre édifice institutionnel ?
Comme le soulignait la semaine dernière mon collègue M. Jean-Pierre Raffarin,
un gouvernement peut-il aujourd'hui, en toute impunité, sans associer le peuple
directement, méconnaître et l'esprit et la pratique de nos institutions, en
modifiant l'élection du Président de la République sans associer au débat le
chef de l'Etat lui-même, pourtant clé de voûte de notre régime ?
De la même façon, un gouvernement pourra-t-il encore longtemps, en toute
impunité, manipuler les institutions à son profit, comme hier le mode de
scrutin régional et le mode d'élection des sénateurs ?
Inverser les dates des élections législatives et de l'élection présidentielle
en arguant du respect des institutions, c'est non seulement faire preuve de
mauvaise foi, mais, ce qui est beaucoup plus grave pour des responsables
politiques, c'est aussi et surtout faire preuve d'une méconnaissance totale de
notre histoire constitutionnelle.
Comme l'ont rappelé, la semaine dernière, mes collègues MM. Christian Bonnet
et Jean-Claude Carle, depuis 1958, en effet, à trois reprises, les élections
législatives ont précédé l'élection présidentielle : en novembre 1958, en juin
1968 et en mars 1973.
Depuis 1962, sur les six élections présidentielles au suffrage universel
direct que notre régime a connues, deux seulement, en 1981 et en 1988, ont
immédiatement précédé les élections législatives.
En réalité, les socialistes cherchent, ni plus ni moins, à mettre à bas,
unilatéralement et discrétionnairement, le régime qui a été établi voilà près
de cinquante ans par les pères fondateurs de la Ve République.
De ce point de vue, un constat s'impose. Il peut être légitime de débattre
officiellement, au grand jour, avec tous les acteurs concernés, de la
pertinence de nos institutions et de la nécessité de les reformer. Il est, en
revanche, inacceptable de chercher à le faire insidieusement, sans débat
public, pour ne pas heurter l'opinion et ne pas associer des acteurs qui
pourraient se révéler gênants, nonobstant leur légitimité.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà près
de quarante-trois ans, j'ai décidé de consacrer ma vie à la
res publica,
car je croyais que c'était la meilleure façon de servir la République et
mon pays.
Toutes ces années de combat ont été marquées par de grandes joies et de
grandes tristesses, par des moments de bonheur rares et par des blessures
profondes qui ne se refermeront sans doute jamais. Mais je ne regrette rien.
De tout cela, j'ai retenu deux choses. Consacrer sa vie à la « chose publique
» impose, à celui qui s'engage, des devoirs vis-à-vis de son pays et de ses
concitoyens. Il est question, ici, essentiellement, de respect. Mais, tout
aussi sûrement, consacrer sa vie à la « chose publique » confère également, à
celui qui s'engage, des droits. Il est question, ici, principalement,
d'honneur, l'honneur de ne jamais transiger et de ne jamais accepter les
compromissions, l'honneur de dénoncer tout ce qui dessert les intérêts
fondamentaux de notre pays et de nos compatriotes.
Tout cela m'encourage aujourd'hui, avec force et solennellement, à affirmer :
c'est une faute de brader un édifice constitutionnel qui a donné à la France sa
plus grande stabilité politique depuis 1789 ; c'est une faute de manipuler à
des fins personnelles la norme suprême de notre pays, atavisme sacré d'un passé
glorieux dont la France peut s'enorgueillir ; c'est une faute, encore, de se
poser en défenseur d'un régime que l'on a toujours combattu, avec une force et
une violence inégalées ; c'est une faute, enfin, de renoncer à gouverner, en
reportant les réformes essentielles, dans l'unique espoir de voir sa popularité
intacte et, ainsi, de gagner l'élection présidentielle.
C'est pourquoi, mes chers collègues, je réprouve que le gouvernement
socialiste discrédite chaque jour davantage la classe politique, à force de
privilégier des intérêts de personnes par rapport à aux intérêts de la
nation.
Je réprouve que le gouvernement socialiste trompe les Français, en leur
faisant croire qu'il est le garant de nos institutions et qu'il défend les
intérêts vitaux de la nation, alors qu'il mène des réformes en total décalage
avec les préoccupations et les attentes de nos compatriotes.
Je réprouve que le gouvernement socialiste, à quatorze mois d'échéances
électorales décisives, sous couvert d'engager un débat institutionnel de fond
et au mépris des règles de courtoisie les plus élémentaires, truque la partie,
pipe les dés et change les règles du jeu, dans l'espoir de s'assurer une
victoire qui semble lui échapper au regard de son triste bilan.
Je réprouve que le gouvernement socialiste délaisse sciemment les réformes
difficiles qu'il faut conduire en priorité, dans l'intérêt de nos
concitoyens,...
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Jean Boyer.
... parce que ces réformes ne sont pas réputées porteuses sur le plan
électoral.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Pourtant, il ne manque pas de choses importantes !
M. Jean Boyer.
Je réprouve, en définitive, que le gouvernement socialiste, englué dans des
intérêts de court terme et de personnes, n'ait pas voulu ni su tirer le
meilleur parti possible de l'embellie économique exceptionnelle que la France a
connue ces cinq dernières années.
M. Allouche disait avant-hier qu'il avait mal au Sénat.
Aujourd'hui, le simple sénateur que je suis souffre pour la France et sa
grandeur, pour la République et son prestige, pour ses enfants et leur avenir.
Puisque, paraît-il, c'est encore la période des voeux, permettez-moi d'en
formuler un dernier. Puisse l'
homo politicus
retrouver, à l'aube de
cette ère nouvelle, courage, intégrité et panache. Puissent nos concitoyens à
nouveau faire confiance à nos responsables politiques. En effet, une chose est
sûre : seule la confiance en l'homme permettra de faire triompher la conscience
de l'homme.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Blanc.
M. Paul Blanc.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, énième
orateur inscrit dans cette discussion générale, je vais m'efforcer d'être bref,
n'étant pas un spécialiste de droit et,
a fortiori,
de droit
constitutionnel. Cependant, c'est l'opinion d'un sénateur de base que je
souhaite exprimer ici.
En effet, je voudrais simplement nous rafraîchir la mémoire sur les propos
tenus par le Premier ministre, il n'y a pas si longtemps, sur cette
question.
Lionel Jospin, qui s'était toujours déclaré défavorable à une telle
modification, affirmait au journal télévisé de vingt heures, qui, comme vous le
savez, a certainement l'audience la plus grande, le 19 octobre dernier : «
Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique,
voire politicienne. Moi, j'en resterai là et il faudrait vraiment qu'un
consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises. »
Il y aurait donc un consensus aujourd'hui, alors que, à l'Assemblée nationale,
il a fallu rassembler une majorité de bric et de broc ? Il y aurait un
consensus, alors que, ici même, au sein de la Haute Assemblée, il semble quand
même qu'une opposition forte à ce projet de loi s'exprime ?
N'est-ce pas riche d'enseignement ? Cela ne révèle-t-il pas les motivations
profondes du Premier ministre ? En effet, Lionel Jospin peut sans outrance être
suspecté de faire en ce jour une réforme de convenance. Lui-même nous invite
d'ailleurs à le penser puisqu'il reconnaît que « toute initiative de sa part
serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne ».
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est la seule réflexion lucide de sa part !
M. Paul Blanc.
Nous ne pouvons qu'abonder dans son sens, comme le font d'ailleurs les
Français.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Bien sûr !
M. Paul Blanc.
Ils ne sont et ne seront pas dupes. Les Français y verront bien une manoeuvre
électorale, pour ne pas dire électoraliste. Cela ne sert pas l'image déjà
négative qu'ils se font de la classe politique.
M. Alain Gournac.
Ça, c'est sûr !
M. Paul Blanc.
Le Premier ministre aurait dû rester fidèle à sa parole lorsqu'il promettait
qu'il « en resterait là ». Personne ne peut comprendre un si subit revirement,
sauf peut-être les analystes politiques qui ne manquent pas, depuis quelques
mois maintenant, de rappeler que les prochaines échéances législatives ne
seront pas favorables à la majorité plurielle.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Paul Blanc.
Il s'agit là d'une opinion qui est exprimée de plus en plus dans la presse.
Ce que je déplore - et je pense que c'est également le cas de mes collègues -
c'est que cette réforme soit imposée en parfaite connaissance de cause. Si le
Premier ministre, par naïveté, n'avait pas perçu à quel point cette réforme
était privée de consensus, nous aurions pu éviter de lui faire ce procès
d'intention.
Mais compte tenu de ses propos on ne peut plus explicites - « Il faudrait
vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être
prises » -, on comprend que c'est en connaissance de cause que le Premier
ministre a choisi de faire passer la réforme en force, alors même que sa propre
majorité de circonstance sur ce texte s'émoussait.
Lionel Jospin a déclaré à l'Assemblée nationale, pour se justifier, que les
prochaines échéances étaient trop éloignées pour savoir si cette inversion du
calendrier jouerait en faveur de tel ou tel candidat ou en faveur de tel ou tel
camp.
Dans ces conditions, comment ne pas être surpris d'entendre Henri Emmanuelli
déclarer en marge du congrès du parti socialiste, à Grenoble, que ce débat sur
le calendrier était « disproportionné »,...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Voilà !
M. Paul Blanc.
... que « personne n'était dupe » et que « cela fait des mois que tout le
monde sait que ce calendrier n'est pas favorable au candidat de gauche ».
(M. Gournac rit.)
Ainsi, je comprends mal - et, dans ma circonscription, les électeurs de base
sont comme moi - que Lionel Jospin fasse passer en force et en vitesse une
proposition de loi organique censée n'être favorable à personne, alors que ses
partenaires se frottent simultanément les mains en rappelant qu'il est patent
depuis des mois que le calendrier actuel ne leur est pas favorable.
Le procès d'intention ne peut être considéré comme injuste. Celui-ci, en
effet, ne me semble de fait pas totalement dénué de fondement.
Cette réforme est effectivement une réforme de convenance et, encore une fois,
il n'est pas sain, dans une démocratie moderne, de procéder à de tels
changements à des fins purement électoralistes. Les électeurs ne manqueront pas
d'en juger par eux-mêmes. Et ces manoeuvres, selon le vieux principe de
l'arroseur arrosé, seront, à n'en pas douter, sanctionnées par le peuple.
M. Hilaire Flandre.
C'est évident !
M. Paul Blanc.
Le Premier ministre aurait dû s'en remettre au Président de la République,
puisque c'est à ce dernier qu'il revenait de prendre une décision de cet ordre,
la Constitution lui conférant le rôle de gardien des institutions.
Puisque cette réforme touche, sans le dire, à l'élection présidentielle - il
s'agit bel et bien d'inverser le calendrier électoral et de faire intervenir
l'élection présidentielle avec les élections législatives - il me semblait que
la moindre des politesses aurait bien évidemment été de procéder par la voie
d'un projet de loi organique, examiné en conseil des ministres, lequel, en
vertu de l'article 9 de la Constitution, est présidé par le Président de la
République.
Le Président de la République aurait ainsi pu - cela semblait la moindre des
choses - formuler au moins des observations, voire des réserves, quant à
l'inversion du calendrier électoral.
Cela aurait relevé non pas simplement de la plus évidente des courtoisies mais
également de l'esprit même de nos institutions que certains croient défendre
aujourd'hui, après avoir été ses plus ardents détracteurs, en plaidant pour
cette inversion du calendrier.
En effet, si personne ne peut se prévaloir d'être garant de l'esprit de nos
institutions, et surtout pas ceux qui, héritiers spirituels de l'auteur du
livre
Le Coup d'Etat permanent,
le combattaient encore très récemment,
une seule chose reste cependant certaine : les réformes institutionnelles
relèvent de la compétence du Président de la République. D'ailleurs,
permettez-moi de rappeler les propos de M. le rapporteur, qui a bien fait
remarquer que, dans l'interprétation même de la Constitution, il y avait au
moins deux doctrines ; mais je n'y reviendrai pas, car cela a déjà été
brillamment démontré.
Effectivement, personne ne peut se prévaloir d'être habilité à dire si
l'inversion ou le maintien du calendrier est le plus conforme à l'esprit de nos
institutions.
J'en veux pour preuve les avis différents des éminents constitutionnalistes
auditionnés par la commission.
En revanche, il y a une chose que personne ne peut nier : c'est que la
réforme, si elle devait avoir lieu, devrait être du ressort du Président de la
République.
MM. Alain Gournac et Jean-Pierre Schosteck.
C'est sûr !
M. Paul Blanc.
Permettez-moi de citer encore une fois la Constitution, qui est déjà malmenée
en ce jour et qu'il est donc salutaire de ne pas oublier. L'article 5 de la
Constitution est on ne peut plus précis : « Le Président de la République
veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le
fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'Etat.
» Il me semble qu'il est difficile d'être plus explicite.
De quel droit le Président de la République a-t-il donc été écarté, d'une
part, d'un débat institutionnel et, d'autre part, de l'élaboration d'un texte
de loi le concernant au premier chef ? Cette question mérite, il me semble, une
réponse nette et précise monsieur le ministre et c'est ce que j'attends de
vous.
M. Alain Gournac.
Il y a peu d'espoir !
M. Paul Blanc.
Votre réponse est d'autant plus attendue par mes collègues et par moi-même que
le Premier ministre semblait pourtant, lui aussi, extrêmement clair sur la
question.
Or c'est avec étonnement que, quelques semaines plus tard, j'ai appris, comme
l'ensemble des Français, qu'au cours d'un congrès du parti socialiste - entre
nous, est-ce la meilleure tribune pour obtenir un consensus ? - Lionel Jospin
annonçait son intention de défendre un texte inversant le calendrier électoral
et prolongeant la durée du mandat des députés, et ce à peine un an avant la
date prévue du scrutin.
Par ailleurs, était-il vraiment nécessaire de déclarer l'urgence sur ce texte
? Etait-il à ce point essentiel qu'il soit adopté au plus vite, pratiquement en
catimini, au nom de je ne sais quelle impérieuse urgence nationale ?
M. Jean-Pierre Schosteck.
Heureusement que le Sénat veille !
M. Alain Gournac.
La « petite troupe » veille !
M. Paul Blanc.
Chez moi, les gens s'étonnent que nous ayons à « plancher » sur cette
proposition de loi, alors qu'ils appellent de leurs voeux bon nombre d'autres
réformes autrement plus urgentes pour eux.
Je pense notamment à la réforme de nos impôts. La répartition de la fameuse «
cagnotte » n'aurait-elle pas mérité un grand débat au Parlement ?
M. Alain Gournac.
Certes !
M. Paul Blanc.
N'était-ce pas mieux que de laisser les gens de Bercy trancher ?
Je pense à l'avenir de nos retraites.
M. Alain Gournac.
Aussi !
M. Paul Blanc.
Aujourd'hui, une grève est lancée. A ce véritable problème, aucune réponse
n'est apportée.
Je pense à la sécurité,...
M. Alain Gournac.
Petit problème !
M. Paul Blanc.
... au moment où, dans ma région, le Languedoc-Roussillon, les gendarmes et
les policiers se font tirer comme au ball-trap,...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Comme à la chasse !
M. Paul Blanc.
... où, à Strasbourg ou ailleurs, on commence à trouver tout à fait normal que
les voitures brûlent,...
M. Alain Gournac.
Il n'y en a pas eu beaucoup, cette année !
(Rires sur les travées du
RPR.)
M. Paul Blanc.
... où, même dans les plus petites communes, les personnes âgées n'osent plus
sortir, de crainte d'être victimes d'une agression à la sauvette.
M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement, tout récemment,
et avec raison, s'est félicité, dans les étranges lucarnes, de la diminution du
nombre de tués sur les routes en France au cours de l'année 2000.
Il nous a montré ce qu'il fallait faire, car, en même temps qu'il parlait, on
voyait des gendarmes et des policiers en train de procéder à des contrôles
routiers, après quoi confirmation nous était donnée que des consignes très
strictes avaient été transmises aux parquets pour sanctionner sévèrement les
contrevenants, notamment en cas de délit de grande vitesse ou de conduite en
état d'ivresse ou sous l'emprise de la drogue. Ces mesures, tous les citoyens
de France les acceptent, ou finissent par s'en accommoder.
Pourquoi ne donne-t-on pas la consigne aux parquets de traiter les délinquants
avec la même sévérité ? C'est ce que les Français, aujourd'hui, demandent.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Très bien !
M. Paul Blanc.
Si certains de nos ministres étaient victimes d'agressions, nul doute qu'il en
irait ainsi, pour autant que l'on arrive à prende - ou reprendre ! - lesdits
délinquants !
Encore une fois, pourquoi ce que le ministre de l'équipement, des transports
et du logement a fait en matière de sécurité routière, le ministre de
l'intérieur ne le ferait-il pas pour la petite délinquance quotidienne ?
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Le financement de la sécurité sociale est un autre grand sujet de
préoccupation des Français.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Mais non, il n'y a pas d'urgence !
M. Alain Gournac.
Ce n'est pas pressé !
(Rires sur les travées du RPR.)
M. Paul Blanc.
Certes ! Si ce n'est que, chaque année, on nous annonce que les pourcentages
d'augmentation qui avaient été prévus dans le projet de loi de financement de
la sécurité sociale sont dépassés. Si ce n'est qu'aujourd'hui même les
professions médicales et paramédicales vont être reçues au ministère en raison
du véritable malaise qui règne dans la santé publique et du déséquilibre des
comptes de la sécurité sociale.
Pas plus tard que la semaine dernière, j'ai posé, ici même, une question à Mme
le secrétaire d'Etat à la santé pour savoir si le pôle de santé de la petite
commune de Prades, que j'ai l'honneur d'administrer depuis douze ans, allait
être maintenu. S'il ne l'était pas, c'est un maillon de plus qui sauterait, et
ce parce que l'on ne donne pas à l'hôpital local et à la clinique les moyens de
fonctionner dans de bonnes conditions.
Autre sujet de préoccupation de nos compatriotes : la construction de l'Europe
et, surtout, le passage à l'euro, dans moins d'un an.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Il n'y a pas urgence !
M. Paul Blanc.
Chez moi, les gens se font du souci ; ils se demandent comment cela va se
passer.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Paul Blanc.
En effet, à partir de janvier prochain, les prix seront affichés en euros,
notre nouvelle monnaie.
Mes chers collègues, vous vous souvenez sans doute des problèmes qu'a
occasionnés le passage des anciens francs aux nouveaux, à tel point
qu'aujourd'hui encore, chez nous, dans les campagnes - mais, évidemment, c'est
la France profonde ! - il y a des gens qui comptent en anciens francs. Qu'en
sera-t-il, demain, quand il faudra compter en euros !
M. Georges Gruillot.
Et l'ESB ?
M. Paul Blanc.
J'allais y venir, avec la protection de l'environnement et la sécurité
alimentaire.
On parle beaucoup de l'effet de serre. Mais quelle est, aujourd'hui, en
définitive, l'énergie électrique la moins polluante à cet égard ? L'énergie
électronucléaire, énergie électronucléaire sur laquelle on est en train de
faire une croix au motif que quelques membres du Gouvernement ont fait de sa
suppression leur cheval de bataille ! Ce faisant, on ne se préoccupe pas de
l'avenir de notre pays, de la façon dont va être produite son électricité,
alors que c'est pour nos compatriotes un grand sujet de préoccupation.
S'agissant de la sécurité alimentaire, que n'a-t-on pas entendu sur la « vache
folle » ? Heureusement que le Sénat, dans sa grande sagesse, a décidé de
constituer une commission d'enquête, aux travaux de laquelle, avec certains
collègues ici présents, j'ai l'honneur de participer. Là encore, nos visites
sur le terrain témoignent de l'intérêt que les Français portent à cette
question.
M. Alain Gournac.
Evidemment !
M. Paul Blanc.
Dès lors, ce débat sur l'inversion du calendrier paraît totalement
surréaliste, en décalage absolu avec les préoccupations et les attentes
légitimes des Français.
En réalité, le parti socialiste n'est pas du tout sûr de gagner les élections
législatives,...
M. Hilaire Flandre.
Il est même sûr de les perdre !
M. Paul Blanc.
... malgré l'autosatisfaction de ses dirigeants.
J'en veux pour preuve l'analyse d'Eric Perraudeau, dans
la Revue socialiste
de novembre 2000, que je cite textuellement pour ne pas trahir sa pensée :
« On oublie trop souvent que la défaite de la droite en juin 1997 ne s'est
jouée qu'à un très petit nombre de voix. Il aurait suffit, pour que le résultat
final soit inversé et que la gauche soit actuellement dans l'opposition, qu'à
l'échelle nationale moins de 1 % des électeurs modifient leur comportement.
« On ne saurait non plus minimiser les 76 triangulaires que la gauche gagna à
47 reprises. Si, comme l'a montré plusieurs fois Jérôme Jaffré » - une
référence ! - « le calcul de la droite se révèle faux et empreint d'une
certaine mauvaise foi, il n'en reste pas moins qu'une dizaine de
circonscriptions auraient pu passer à droite sans le maintien du Front national
au deuxième tour. »
M. Jean-Pierre Schosteck.
Tout à fait !
M. Paul Blanc.
Quant à l'évolution du rapport de forces politiques depuis 1997,
la Revue
socialiste
la résume en une formule implacable : « Une progression
électorale de la gauche en trompe-l'oeil. »
Voilà, sans doute, la réelle explication de ce changement !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Evidemment !
M. Paul Blanc.
Cela nous éloigne considérablement de la prétendue philosophie de cette
réforme : revenir à l'esprit de la Constitution, remettre le calendrier dans
l'ordre.
M. Jospin a toujours combattu la Constitution de la Ve République.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Toujours !
M. Paul Blanc.
Et voilà qu'aujourd'hui il en découvre l'esprit et s'en proclame le défenseur
!
Je regrette que M. le Premier ministre ne soit pas là ce matin, lui qui est
l'élu du canton de Cintegabelle, près de Toulouse, dans ce Sud-Ouest où, chacun
le sait, le rugby est roi. Si, comme je le suppose, il suit de très près le
championnat de France de rugby, que penserait-il si, en cours de saison, on
changeait les règles du jeu ?
M. Jean-Pierre Schosteck.
Voilà !
M. Paul Blanc.
Imaginons qu'en début de saison on décide que l'équipe en faveur de laquelle
est sifflé un coup franc botté en touche et bénéficie de qu'on appell une «
pénal-touche », c'est-à-dire se voit rendre la balle pour jouer la touche -
c'est la règle aujourd'hui, elle n'était pas la même il y a deux ans. Qu'aurait
pensé le Premier ministre si, en cours de championnat, on avait changé cette
règle ?
M. Jean-Pierre Schosteck.
Il aurait trouvé cela scandaleux !
M. Paul Blanc.
Imaginons la réaction des équipes qui auraient basé une bonne partie de leur
entraînement sur cette phase de jeu ! Croyez bien qu'en pays de rugby ça ne se
serait pas passé comme ça !
Aujourd'hui, avec cette inversion de calendrier, on ne fait rien d'autre que
de changer la règle du jeu en cours de match. C'est totalement inadmissible.
M. Jospin, je l'ai dit, a combattu la Constitution et, aujourd'hui, il en
découvre l'esprit. Peut-être les vocations tardives sont-elles les plus belles
et les plus émouvantes ! En l'espèce, permettez-moi d'en douter ! Nous autres,
dans les campagnes, nous sommes naïfs, mais jusqu'à un certain point : nous ne
le sommes surtout pas assez pour y croire.
M. Jean Chérioux.
Il y a plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui se repend que pour
quatre-vingt-dix-neuf justes qui persévèrent !
M. Paul Blanc.
Saint Jean, chapitre 23 !
(Rires sur les travées du RPR.)
M. le président.
Ne serait-ce pas plutôt « Saint-Jean-Chérioux » ?
M. Paul Blanc.
Vous l'aurez compris, et je tiens à l'affirmer très solennellement du haut de
cette tribune, je ne voterai pas ce texte.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Gerbaud.
M. François Gerbaud.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en montant à
cette tribune, j'ai une pensée particulière pour Edgar Faure. Dans un temps
assez lointain, où nous siégions, M. le rapporteur et moi-même, à l'Assemblée
nationale, Edgar Faure, à l'époque ministre de l'agriculture, pour caractériser
un débat qui jetait à la tribune quatre-vingt-seize orateurs, eut ces mots : «
litanie, liturgie, léthargie ».
(Sourires.)
Notre débat pourrait effectivement ressembler à cela aujourd'hui, mais
j'apporterai à cette formule un correctif.
Litanie, oui, parce que chacun d'entre nous a la volonté de dire ce qu'il en
pense. Liturgie, oui, parce qu'il y a, dans l'infini respect que les uns et les
autres nous avons de la Constitution, quelque chose de rituel et de sacré.
Léthargie, non, car le sujet est trop grave pour qu'on puisse l'aborder sans
fortes polémiques.
A mon tour, dans ce débat, je voudrais donner mon intime conviction. Intime,
parce que, bien entendu, il va de soi que ce que je vais dire, je le crois ;
intime aussi, au sens plus particulier du terme, car nous vivons aujourd'hui
dans cette assemblée une certaine intimité, du fait de notre petit nombre,
mais, après tout, qu'importe le nombre, pourvu qu'on ait la foi !
(Nouveaux
sourires.)
Adressant des voeux à mes amis, il y a quelques semaines, j'ai souvent
exprimé, comme beaucoup d'entre nous, le souhait que cette très symbolique
année de tous les commencements - ce n'est pas n'importe quoi : un an, un
siècle et un millénaire en même temps - réponde à leurs attentes, à leurs
préoccupations et à leurs projets, ce qui est l'espérance, je pense, partagée
par tous les Français.
Je ne suis pas certain que modifier le calendrier des grands rendez-vous
politiques de 2002 soit très précisément au coeur de leurs préoccupations
d'aujourd'hui : la rue, à Paris, en témoigne.
Aucun incendie ne s'étant déclaré, ni à l'Elysée, ni à l'Assemblée nationale,
l'urgence d'en débattre au Parlement leur semble aussi insolite que d'appeler
le SAMU pour un modeste éternuement !
(Sourires sur les travées du
RPR.)
A dire vrai, les Français, et on les comprend, ont la tête ailleurs. En 1968,
et nous siégions, M. Bonnet et moi-même, à l'Assemblée nationale, avant les
événements que l'on sait, on a dit : la France s'ennuie. Et les Français
s'ennuyaient. On peut dire aujourd'hui qu'ils s'interrogent sur la conception
et l'ordre des priorités du Gouvernement.
Sans être exagérément pessimiste, il est à craindre que ce débat que nous
livrons à leur indifférente observation...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Pas si indifférente que cela !
M. François Gerbaud.
... ne suscite chez eux autant d'intérêt que le récent référendum sur le
quinquennat « sec » où, à l'évidence, ils ne se sont guère mouillés
d'enthousiasme !
(Rires sur les mêmes travées.)
Indifférence hier ; indifférence inquiète et gravement désinvolte sans doute
aujourd'hui : comment, en vérité, pourrait-il en être autrement à un moment où
des revendications de toute nature - pouvoir d'achat, retraites, licenciements
annoncés - peuplent les rues de Paris et des grandes villes d'un incessant
cortège de manifestants, la rue aujourd'hui en témoigne, à Paris et ailleurs
?
Comment pourrait-il en être autrement à un moment oppressant où les étals des
bouchers saignent d'inquiétude et les étables des éleveurs d'interrogations,
terrible constat d'un monde agricole partagé entre l'incertitude, la colère et
le désarroi sans compter le scepticisme des consommateurs, auxquels on ne cesse
de promettre une rigoureuse sécurité alimentaire, sans compter aussi ceux que
la maladie frappe ou guette et qui comprennent mal que systématiquement l'on
encadre les dépenses de santé dans une rigoureuse gestion comptable ?
M. Alain Gournac.
Bien sûr !
M. François Gerbaud.
Certes, elle peut avoir la vertu de la rigueur, mais dans certains cas, elle
peut être un ralentisseur d'espérance.
Est-il besoin de rappeler - là aussi, la rue en témoigne - l'urgence d'une
authentique politique de santé qui, jusqu'à présent, n'existe pas ?
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. François Gerbaud.
Comment pourrait-il en être autrement en ces jours où, dans de nombreux
endroits de nos villes, dans nos lycées, dans nos collèges et même parfois dans
nos écoles communales, vivre au quotidien, c'est vivre à haut risque dans un
monde frappé, hélas, par la leucémie sans rémission de l'insécurité, de la
délinquance et de la violence, une violence désormais affichée depuis quelques
jours par des attentats qui peuvent nous faire craindre le pire, tragédie d'une
haine sans frontière qui blesse au coeur les Français, lesquels attendent de
toute urgence qu'on les prémunisse contre les drames annoncés ?
Oui, comment pourrait-il en être autrement et différemment, en cette période
d'application difficile des 35 heures qui pose aux artisans et à de nombreux
secteurs de l'activité nationale plus de problèmes que de réjouissantes
satisfactions ?
M. Alain Gournac.
Oh oui !
M. François Gerbaud.
Comment pourrait-il en être autrement, alors que, dans ce même temps de
compétition sans merci, l'Europe n'en finit pas d'imposer ses directives dans
notre droit et la mondialisation de faire peser les contraintes d'un
impitoyable marché international ?
En dépit des bonnes nouvelles de notre économie, d'une meilleure situation de
l'emploi qui laisse cependant sur le bord de la route du travail 2 300 000
chômeurs, l'espérance semble cependant avoir perdu sa carte vitale dans un
monde où, pour beaucoup, la vie a cessé d'être un long fleuve tranquille, si
tant est qu'elle le ne fût jamais.
M. Paul Blanc.
Très bien !
M. François Gerbaud.
Répondre à ces inquiétudes panoramiques, légitimes et récurrentes en demandant
au Parlement le sceau de son aval pour que, contrairement aux dates
constitutionnellement fixées, l'élection du Président de la République précède
les législatives, c'est en vérité ouvrir un très grave débat, et non pas
souscrire à une simple formalité. Que le peuple souverain s'en désintéresse,
lui qui est détenteur de la souveraineté nationale est, hélas, un fait ; que le
Parlement en discute en est un autre.
Chacun d'entre nous, en effet, ne fût-ce que par délégation du peuple
souverain, s'y trouve impliqué, et par conséquent démocratiquement soucieux de
donner son sentiment, même au prix d'un débat où certains esprits malins nous
accusent de traîner les pieds et de nous livrer à je ne sais quel « harcèlement
textuel ». Il y a cependant des circonstances où le silence n'est pas d'or.
Permettez-moi d'ouvrir une brève parenthèse pour préciser que l'expression «
harcèlement textuel », nous l'avons mise au point un certain jour avec
Robert-André Vivien ; elle a été employée à l'Assemblée nationale dans un débat
qui ressemblait étrangement à celui-ci, puisque, à l'époque, les vôtres,
monsieur le ministre, faisaient également ce que nous faisons et que vous nous
reprochez aujourd'hui.
(Rires.)
Vous voyez les réciprocités !
M. Jean Chérioux.
C'est cela la démocratie. Ils ont tous les droits !
M. Alain Gournac.
Et nous, aucun !
M. François Gerbaud.
En tout cas, je tenais à rendre à Robert-André Vivien la primeur d'une
expression dont nous avions discuté sous le bronze de l'Assemblée nationale.
Mais je ferme la parenthèse sur ce souvenir que je me plais à rappeler.
Il est légitime, donc, que, dans un débat aussi important, aussi inopportun
qu'insolite, l'explication un instant l'emporte sur toutes les impatiences, les
imprécations et les suspicions c'est ce que nous faisons présentement à notre
manière, avec plus ou moins de bonheur et de séduction, après que notre
excellent rapporteur, M. Christian Bonnet, a donné le coup d'envoi de cette
discussion où, à dire vrai, les redites ont une vertu au moins, celle de
fédérer les préoccupations pour bien montrer l'urgence.
Et, comme ne le dirait pas Boileau, tout n'a pas été dit depuis qu'il y a des
orateurs et qu'ils causent.
(Sourires.)
M. Jean Chérioux.
C'est La Bruyère, pas Boileau !
M. François Gerbaud.
Mille excuses !
M. Jean Chérioux.
C'est très important pour le débat !
(Rires sur les travées du RPR.)
M. François Gerbaud.
J'avais hésité, mais je rends volontiers à La Bruyère ce que, naturellement,
les racines de son histoire lui permettent d'avoir !
(Nouveaux rires sur les
mêmes travées.)
Je voudrais, parmi les orateurs, citer M. Cornu et ses
propos non alambiqués, ainsi que M. Hérisson dont nous avons apprécié... les
pointes !
Je remercie M. Bonnet de l'infinie patience dont il fait preuve dans une
écoute héroïque, alors même que, de son propre aveu - qu'il me permette cette
confidence - la patience n'est pas une de ses inclinations naturelles. Mais
après tout, à chacun son héroïsme, vous en avez vous aussi fait preuve,
monsieur le ministre, d'une certaine manière : cela méritait bien un coup de
chapeau !
Plus sérieusement, nous avons le droit de dire que nous ne pouvions pas
accepter un texte qui est une sorte d'OVNI politique ; je veux dire par la un «
objectif véritablement non identifiable ».
(Sourires.)
En effet, si les calculs qui l'inspirent sont politiquement connus et même
affichés, les grandes raisons qui le justifient restent aux « abonnés absents
».
Comme de nombreux spécialistes de la Constitution, je suis convaincu que
l'inversion du calendrier ne se justifie par aucun motif fondamental, si ce
n'est la convenance, et, peut-être faut-il un instant le regretter, la
connivence dans l'addition en francs et en euros des précautions électorales et
des acrimonies inavouées !
(M. le ministre sourit.)
Cela peut vous faire sourire, monsieur le ministre. Au cas où il en serait
ainsi sachez qu'à gauche, si vous vivez, comme vous le dites, votre diversité
dans une communauté souvent réduite aux aguets, il nous arrive parfois, et
c'est un peu le cas aujourd'hui, de vivre notre propre union dans l'adversité.
(Rires sur les travées du RPR.)
Pour ce qui nous concerne, aucun tremblement de terre n'est en vue. Quelle que
soit leur sensibilité, les volcans du Massif central, si chers à M. Giscard
d'Estaing, ne sont pas en train de se réactiver. Bref, ce n'est pas encore
Apocalypse now !
On pourrait, à la limite, dans un excès de crédulité ou d'optimisme, se
réjouir de cette réaffirmation solennelle du rôle prééminent que la
Constitution donne au Président de la République.
Certains esprits chagrins n'hésitent d'ailleurs pas à penser - ni à dire - que
cette éclatante et soudaine preuve de l'attachement à la fonction
présidentielle peut être interprétée comme une sorte de repentance de ceux qui,
par les coups d'éclat permanents de leurs critiques, ne furent jamais les
ardents prosélytes de la Ve République dans ce qu'elle a d'essentiel. Heureuse
vocation tardive, qui va finalement de « l'aversion » à « l'inversion » !
(Sourires sur les mêmes travées.)
Reste que l'inversion du calendrier électoral, telle qu'elle sera, en fait,
votée par les députés, qui ont le dernier mot, ouvre, comme je l'ai dit, un
très grave débat institutionnel.
Lorsqu'à Grenoble, devant le congrès du parti socialiste, le Premier ministre
estimait que l'ordre actuel des élections, qui résulte des hasards de la vie et
de la politique, n'était pas cohérent, il donnait ainsi le feu vert aux siens
pour adapter, recopier et s'inspirer de la proposition de loi déposée à
l'Assemblée nationale par d'éminents députés de l'opposition. Ainsi étaient-ils
les têtes de pont de ce que j'appelle la « connivence ».
C'était, comme au temps récent du quinquennat, tirer très habilement parti,
par un effet
boomerang
, d'inspirations venues fort opportunément de
l'autre camp.
Ainsi corrige-t-on aujourd'hui, de surcroît, dans l'urgence, une situation
dont on sait qu'elle existe depuis la dissolution de 1997.
Il aura donc fallu aux inspirateurs et acteurs de cette inversion du
calendrier électoral presque quatre années pour s'apercevoir que ce calendrier
de 2002, dans l'ordre prévu, élections législatives puis élection
présidentielle, échappait à toute logique et qu'il convenait au plus vite d'y
remédier, au prix contestable, et naturellement contesté, d'une modification
des règles du jeu à l'approche d'une échéance électorale. Paul Blanc a dit ce
qu'il en pensait s'agissant du rugby !
M. Paul Blanc.
Merci, monsieur Gerbaud !
M. François Gerbaud.
L'électrochoc qui a ainsi bousculé l'ordre des choses tient - cela a été dit,
mais je le redis - à deux évidences.
Première évidence : aucune élection n'est jamais gagnée d'avance et, quand
elles se suivent, même si elles ne sont pas de même nature, le peuple souverain
nous a montré, et peut-être nous montrera, que, le quinquennat compris, il peut
« zapper » en élisant deux majorités différentes à quelques semaines
d'intervalle. En ce domaine, la « contiguïté » n'est pas forcément la «
continuité ». Les prochaines élections, et elles seules - je parle de celles de
2002 -, diront si oui ou non, comme on peut l'envisager, le quinquennat va en
quelque sorte risquer d'institutionnaliser la cohabitation.
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est en effet un risque !
M. François Gerbaud.
Un spécialiste a dit que le zapping à la télévision, c'était le chewing-gum
des yeux. Le zapping en matière électorale, tout aussi possible d'ailleurs que
l'autre, peut être considéré, lui aussi, toute révérence gardée, comme le
chewing-gum de la démocratie ! C'est dire qu'il est terriblement audacieux même
parfois, si les sondages peuvent nous y encourager, de compter les oeufs dans
le derrière de la poule. C'est peut être en ce domaine qu'il n'y a pas la
preuve par l'oeuf !
(Sourires.)
Seconde évidence : perdre les législatives, lorsque l'on est candidat
challenger à la présidentielle, c'est courir un risque et ne pas mettre toutes
les chances de son côté. Il fallait donc, disent les partisans de l'inversion,
ne rien laisser au hasard. Et c'est très précisément cette référence faite au
hasard de la vie et de la politique qui constitue, comme l'a indiqué M. le
rapporteur, une très grave atteinte à la Constitution, à son esprit et à sa
lettre.
En réalité, le calendrier proposé au peuple français ne tient en rien du
hasard ; il résulte de la Constitution. Elle a expressément prévu un droit de
dissolution confié au Président de la République et organisé le déroulement du
mandat de ce dernier. La Constitution règle, avec précision, l'hypothèse d'une
vacance du pouvoir résultant du décès du Président.
Prétendre aujourd'hui que le calendrier électoral résulte du hasard, c'est
nier le droit du Président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale
et, en conséquence, l'aménager. C'est nier le fait que la Constitution a prévu
la mort comme l'une des causes de la fin du mandat présidentiel.
Considérer l'analyse de certains, hostiles à confier les rênes du pouvoir à ce
qui serait donc un coup du sort, relève du calcul politique et n'a pas
d'incidence dans la vie de nos institutions.
Considérer que la survenance d'une dissolution ou le décès du Président de la
République nécessite un aménagement de nos institutions conduit inévitablement
à poser ces questions, que tout le monde a d'ailleurs posées, me
semble-t-il.
En premier lieu, le Président devra-t-il consulter, outre le Premier ministre
et les présidents des assemblées, l'ensemble des forces politiques du pays
avant de recourir à la dissolution ?
En second lieu, qu'aurions-nous dû faire à la mort de Georges Pompidou ?
Assurer la permanence du pouvoir par le recours à je ne sais quel prince
héritier ?
Déjà, de manière implicite, les partisans de l'inversion sermonnent le
Président de la République en lui disant : « Monsieur le Président, pour
l'amour du ciel, n'utilisez votre pouvoir de dissolution qu'avec discernement,
car vous nous obligeriez à inverser le calendrier électoral ! »
La volonté d'aménager le droit de dissolution du Président de la République en
en rejetant les effets et d'ériger la fin du mandat présidentiel en un caprice
du hasard, en quelque sorte un « caprice de Marianne »
(Rires sur les
travées du RPR),
le refus d'affronter sereinement le cours constitutionnel
du calendrier électoral, alors que la Constitution nous a appris à y faire
face, tout cela contribue indiscutablement à l'affaiblissement des institutions
de notre Ve République.
Avec le quinquennat, on a ouvert la boîte de Pandore et nous nous trouvons
pris dans l'engrenage d'une adaptation irréfléchie, peut-être, des institutions
pour des raisons d'opportunité politique en fonction des chances et des
résultats escomptés de chacun.
Le débat politique ne sort pas grandi de cette grave affaire et, en dépit de
mon attachement personnel àTalleyrand, je ne le suivrai pas lorsqu'il dit : «
On ne va jamais aussi loin que lorsque l'on ne sait pas où l'on va »
(Sourires sur les travées du RPR)
- c'est le cas aujourd'hui -,
convaincu que le chemin politique n'est pas un chemin de randonnée, où l'on
découvre à chaque virage un nouveau paysage.
En revanche, j'adhère à cette réflexion de Talleyrand : « Pire que le
mensonge, la vérité. » Acceptez, monsieur le ministre, que vous ayons dit notre
vérité, même si elle vous blesse. Le texte que vous soumettez à notre jugement
est un fait politique et juridique. L'important n'est peut-être pas seulement
le fait lui-même ; il est dans le temps et les incertitudes du temps, ses
redoutables ombres portées. Il n'est jamais bon de redouter les grands
rendez-vous de l'histoire !
Pour terminer, je citerai un propos qui nous ramènera au temps où M. Bonnet et
moi-même étions dans la maison à laquelle je faisais tout à l'heure allusion.
J'avais un jour parlé devant le Premier ministre Georges Pompidou de la façon
dont je souhaitais que l'on modifiât peut-être la Constitution. Il avait
répondu ce qu'il répondait toujours : « Gerbaud, ne touchez jamais à la
Constitution. Sachez-le, on n'enlève jamais une pierre dans une clé de voûte ;
l'édifice peut s'écrouler. »
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. le président.
Monsieur Gerbaud, je vous remercie. Démonstration est faite que l'on peut
parler de choses sérieuses avec beaucoup d'esprit et de talent.
(Nouveaux
applaudissements sur les mêmes travées.)
La parole est à M. Gruillot.
M. Georges Gruillot.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un
contexte riche en actualité parlementaire, il peut apparaître à nos concitoyens
- et je partage tout à fait leur opinion - complètement inapproprié de débattre
dans l'urgence de la proposition de loi organique visant à proroger la durée du
mandat en cours des membres de l'Assemblée nationale en reportant la date
d'expiration des pouvoirs de cette assemblée du premier mardi d'avril au
troisième mardi de juin.
Au moment où nos concitoyens sont confrontés quotidiennement aux problèmes
d'insécurité, de précarité, de chômage, de violence scolaire, où l'on
s'interroge sur l'avenir du système de retraite, où l'on prépare l'arrivée de
l'euro, il semble anachronique de se préoccuper de petits problèmes
d'organisation d'élections pour les convenances personnelles de quelques
personnalités.
Changer les règles du jeu est un aveu de faiblesse du pouvoir politique, rien
d'autre qu'une excuse pour ne pas affronter au fond les vrais problèmes de
notre société.
Il y a en effet d'autres sujets plus urgents et importants, mais le
Gouvernement en a décidé autrement.
Il a opté délibérément pour l'urgence absolue. La nécessité exclusive à
l'entrée de ce nouveau millénaire est devenue l'inversion du calendrier
électoral. Ainsi, le Parlement français marquera son entrée dans le troisième
millénaire par la priorité accordée à ce qui peut apparaître comme un simple
problème d'intendance ou d'intérêt personnel.
C'est un débat purement politicien et déconsidérant l'ensemble de la classe
politique qui s'est engagée.
Comment s'étonner alors du désintérêt sans cesse croissant des Français pour
les consultations électorales ? La classe politique, aux yeux de nos
concitoyens, se discrédite chaque jour davantage avec de telles méthodes.
Les Français ont d'autres préoccupations et ce débat est trop loin de leurs
soucis quotidiens. Ne creusons pas davantage le fossé qui sépare le citoyen du
monde politique. Le taux d'abstention des dernières élections a pourtant donné,
dans ce domaine, une leçon suffisamment claire.
Après avoir évoqué le contexte dans lequel cette proposition de loi est
examinée, venons-en maintenant aux conditions d'examen de ce texte par le
Parlement.
Ces conditions, je les trouve particulièrement contestables dans la mesure où
l'ordre des échéances électorales de 2002 est connu depuis 1997 et que ce
projet de réforme n'a, à aucun moment, figuré dans le programme annoncé lors du
discours d'investiture de M. Lionel Jospin.
Le Gouvernement a brutalement modifié sa position sur la question. En effet,
le 19 octobre 2000, M. le Premier ministre déclarait sans ambiguïté que « toute
initiative de sa part serait interprétée de façon étroitement politique, voire
politicienne ». Cela a déjà été dit par de très nombreux orateurs, mais c'est
tellement important qu'il faut le marteler.
Il a même clairement annoncé qu'il « en resterait là et qu'il faudrait
vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être
prises ».
Ce large consensus n'est jamais apparu dans les enquêtes d'opinion, pas plus
que dans les assemblées parlementaires.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Ni même dans la majorité plurielle !
M. Georges Gruillot.
Effectivement. En octobre 2000, le Gouvernement semblait donc soucieux du
respect des échéances fixées par les lois de la République.
Mais, peu après, le 24 novembre 2000, lors du congrès du parti socialiste à
Grenoble, le Premier ministre semblait avoir changé radicalement de position en
souhaitant que le « Printemps 2002, celui des grands rendez-vous démocratiques
à l'occasion desquels le peuple s'exprime et tranche soit non pas un printemps
de la confusion et des choix de convenance, mais un printemps de clarté ».
On peut s'étonner qu'un Premier ministre en exercice choisisse le congrès
d'une formation politique, fût-ce la sienne, pour annoncer un tel changement de
cap.
M. Paul Blanc.
Ce n'est pas le consensus !
M. Georges Gruillot.
Et quel mépris pour la représentation nationale de la part de M. Lionel Jospin
!
M. Jean-Pierre Schosteck.
Eh oui !
M. Georges Gruillot.
S'ensuivit le dépôt de plusieurs propositions de loi tendant à modifier la
date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, les affidés ou les
amis de circonstance volant au secours d'un Premier ministre qui n'osait pas
déposer un texte d'origine gouvernementale.
Ces amis de circonstance viennent d'être interpellés par une lettre ouverte,
publiée voilà quelques jours seulement dans la presse. Je ne résiste pas à
l'envie de vous en livrer un extrait, tant il me semble correspondre à la
réalité.
« Entre les amertumes de ceux qui ont manqué le rendez-vous de l'histoire et
les ambitions de ceux qui se verraient bien dans un gouvernement avec les
socialistes, il ne manque pas de serviteurs zélés pour servir la soupe à Lionel
Jospin et tenter de déstabiliser Jacques Chirac. Comme pour le quinquennat.
« Comment ne pas nous étonner quand le parti socialiste accepte subitement
l'idée d'un débat sur les institutions proposé par d'éminents représentants de
l'opposition ?
« Comment ne pas nous interroger quand Raymond Barre signe un appel commun
dans la presse avec Michel Rocard et dépose, avec le groupe socialiste à
l'Assemblée, une même proposition de loi ?
« Les socialistes ont peur de perdre les législatives en 2002 et font machine
arrière toute. Ce n'est pas une raison pour les suivre et signer avec la gauche
un PACS électoral contre nature. »
Vous le savez, je pense, mais je vous rappelle que ces propos sont extraits
d'une lettre publique signée par l'un de nos collègues M. Henri de Raincourt,
président du groupe des Républicains et Indépendants au Sénat.
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est un papier excellent ! Vous avez raison d'en faire mention.
M. Georges Gruillot.
Six propositions de loi organique ont été déposées. Trois d'entre elles
visaient à reporter du premier mardi d'avril au 15 juin la date d'expiration
des pouvoirs de l'Assemblée nationale. Trois autres avaient des objectifs
différents, l'une d'entre elles allant jusqu'à prôner la concomitance des
élections présidentielle et législatives.
Ces propositions ont été inscrites à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale,
très rapidement, voire dans la précipitation. Pourquoi cette urgence ?
Le rappel des circonstances de l'inscription de ce texte m'amène à faire
plusieurs remarques.
Le calendrier de 2002, connu depuis 1997, date de la dissolution de
l'Assemblée nationale, n'a pas fait l'objet de discussions lors des débats
parlementaires relatifs au quinquennat. Alors que, depuis 1958, de nombreuses
élections, comme l'élection présidentielle au suffrage universel, les élections
européennes, les élections régionales, sont venues enrichir un calendrier déjà
bien pourvu, il était tout à fait concevable d'étudier plus tôt toute
modification afin que le Parlement puisse en débattre dans le calme et la
sérénité.
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Georges Gruillot.
Le choix de la proposition de loi organique n'est pas anodin non plus ; il
permet au Gouvernement d'accélérer la procédure en supprimant le passage obligé
d'un projet de loi devant le Conseil d'Etat et le conseil des ministres.
De plus, la proposition de loi organique, ainsi que l'ensemble des
propositions de loi soumises au Sénat comportent des exposés des motifs très
succincts et tous bien différents, ce qui ne nous permet pas d'apprécier les
motivations précises du changement proposé.
Un projet de loi aurait, quant à lui, comporté un exposé des motifs plus clair
permettant au Conseil constitutionnel d'exercer un contrôle, ce qui n'est pas
le cas de la proposition de loi organique présente, dont les motifs avancés
restent diffus, que ce soit le respect d'une logique institutionnelle de la Ve
République ou la mise en cohérence avec la réforme du quinquennat.
Par ailleurs, le Gouvernement fait référence à « l'esprit » des institutions
de la Ve République, qui impliquerait que le Président soit élu avant les
députés. Le ministre de l'intérieur rappelle les difficultés d'organisation de
la présentation des candidats à l'élection présidentielle : cela fait sourire
!
M. Jean-Pierre Schosteck.
Ce sont des arguties !
M. Georges Gruillot.
Autant d'arguments qui ne sont ni légitimes ni crédibles et qui démontrent que
les véritables motivations sont totalement inavouables.
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Georges Gruillot.
En admettant que le calendrier actuel pose un problème, ne serait-il pas plus
judicieux de réexaminer plutôt la date de l'élection présidentielle, comme l'a
suggéré le professeur Carcassonne ?
Le présent texte ne répond pas à l'objectif poursuivi. Les discussions
engagées à l'Assemblée nationale démontrent bien que le législateur souhaite
supprimer la notion de hasard.
En somme, pour que la situation prévue en 2002 ne se renouvelle pas, il serait
nécessaire, d'une part, que tous les futurs présidents de la République
achèvent leur mandat et, d'autre part, que le droit de dissolution ne soit pas
utilisé.
De telles conditions ne sont pas envisageables à moins de supprimer le droit
de dissolution, prérogative fondamentale du Président de la République, et de
créer une fonction de vice-président, celui-ci pouvant achever le mandat du
Président en cas d'interruption de son mandat. Il s'agirait alors d'une réforme
en profondeur de notre système français, mais cela ne peut se discuter, comme
nous le faisons aujourd'hui, à la sauvette.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Georges Gruillot.
L'unique argument avancé par le Gouvernement pour justifier la modification du
calendrier électoral demeure le respect de l'esprit de nos institutions
contrarié par ce calendrier.
Or de l'esprit des institutions ne découle pas un ordre spécifique dans le
calendrier des consultations électorales, à moins que le Gouvernement ne
souhaite obtenir une majorité présidentielle qui soit la même à l'Assemblée
nationale. Il s'agirait, par conséquent, d'éviter toute cohabitation.
De toute façon, même si ces deux élections se déroulaient le même jour, un
citoyen pourrait très bien voter pour un député et un Président de la
République de tendances opposées.
Une telle modification du calendrier électoral est sans précédent dans
l'histoire de la Ve République. Certes, plusieurs mandats électifs furent
prolongés mais ils concernaient uniquement des mandats locaux ; ce fut le cas
en 1966, 1972, 1988, 1990, 1994 et 1996.
Seuls deux cas de prorogation du mandat de député sont intervenus : l'un en
1918, l'autre 1940, mais cela, reconnaissons-le, dans des périodes tout à fait
exceptionnelles. Cela a déjà été dit dans le débat mais méritait d'être
rappelé.
Au demeurant, si le texte de l'Assemblée nationale devait être adopté, il faut
aussi en évaluer les conséquences immédiates.
L'assemblée nouvellement élue débuterait ses travaux le troisième mardi de
juin, pour les interrompre une semaine plus tard. Par conséquent, une session
extraordinaire serait obligatoirement convoquée les années d'élections
législatives, alors que l'instauration de la session unique a pour objectif de
les faire disparaître.
Par ailleurs, dans ce cas de figure, le projet de budget pour l'exercice à
venir serait élaboré par le Gouvernement avant les élections législatives,
celles-ci pouvant éventuellement bouleverser la tendance politique.
Modifier ponctuellement les règles de fonctionnement de nos institutions est
un exercice qui nous révèle donc ses limites.
Par exemple, qu'en serait-il des élections de 2007 ?
A vouloir modifier partiellement et ponctuellement le calendrier électoral
pour de simples raisons de convenance d'un Premier ministre candidat à
l'élection présidentielle de 2002, on aboutirait à une accumulation d'élections
sans aucune cohérence : avant l'élection présidentielle devront avoir lieu des
élections municipales couplées avec des cantonales, élections qu'il sera
difficile de repousser au mois de juin, puisque ce serait le moment des
législatives, voire en septembre, puisque auraient lieu à cette date les
élections sénatoriales.
Une telle modification doit impérativement reposer sur un motif d'intérêt
général bien précis pour nous démontrer que cette proposition de loi n'est pas
un texte de convenance personnelle.
Le droit doit impérativement encadrer la vie politique de la nation, et une
réforme des institutions ne peut être utilisée pour réaliser des coups
politiques.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Georges Gruillot.
A cet égard, le Conseil constitutionnel joue un rôle essentiel dans
l'encadrement juridique de la vie politique. Au-delà de la protection des
droits et libertés fondamentales, le rôle du Conseil constitutionnel est de
clarifier les données du débat politique et de faire en sorte que les décisions
soient prises en toute cohérence avec la Constitution de la Ve République.
Dans le cas de figure qui nous intéresse, le Conseil constitutionnel serait
saisi obligatoirement de la présente loi organique et pourrait sans doute
retenir favorablement certaines des observations soulevées par ce vaste
débat.
L'édifice construit par ce texte, si celui-ci était voté en l'état, pourrait
en effet se trouver en contradiction avec le droit de dissolution de
l'Assemblée nationale, prérogative du Président de la République prévue par la
Constitution, puisque toute dissolution entraîne obligatoirement de nouvelles
élections législatives entre les vingt et quarante jours qui la suivent.
Les quatre décisions du Conseil constitutionnel sur les reports de dates
d'élections, intervenues en 1990, 1994 - par deux fois cette année-là - et
1996, concernaient la prorogation du mandat des membres d'assemblées locales :
les conseils municipaux et les conseils généraux pour les trois premières et
une assemblée territoriale d'outre-mer pour la dernière. Cependant, les
enseignements que l'on peut en tirer s'appliquent
a fortiori
à la
prorogation du mandat de l'Assemblée nationale.
Chaque fois, le Conseil constitutionnel a validé la démarche tout en la
subordonnant au respect de conditions strictes, à savoir le caractère
exceptionnel et transitoire de la prorogation et l'existence d'une réelle
justification.
Cette jurisprudence étant transposable au cas d'une élection nationale, le
Conseil constitutionnel sera amené à exercer un véritable contrôle sur la
validité des motifs de la modification proposée.
En somme, il n'y a pas de justification technique et, par conséquent, pas de
motif à l'inversion des élections ; la seule motivation est d'ordre politique,
plutôt floue, car difficilement avouable.
M. Paul Blanc.
Ça oui !
M. Georges Gruillot.
Le Premier ministre ne nous a d'ailleurs pas dévoilé ses conceptions
personnelles sur la Constitution. Ne serait-il pas favorable au régime
présidentiel ?
N'est-il pas surprenant de voir certains de ceux pour qui le vote du
quinquennat devait amoindrir la fonction présidentielle nous affirmer que la
prépondérance de celle-ci exige l'inversion des calendriers ?
M. Alain Gournac.
Double langage !
M. Georges Gruillot.
Réformer le calendrier électoral sans bouleverser en profondeur le régime de
la Ve République apparaît comme techniquement très difficile.
Je regrette, pour ma part, que la révision constitutionnelle relative au
quinquennat n'ait pas fait l'objet d'un débat plus appofondi, portant notamment
sur ses incidences sur le régime, cette révision constituant l'une des plus
importantes de la Ve République depuis une quarantaine d'années, comparable à
celle de 1962, relative à l'élection au suffrage universel direct du Président
de la République, et à celle de 1974, qui a ouvert la saisine du Conseil
constitutionnel à l'opposition parlementaire.
Pour toutes ces raisons, je suis farouchement opposé - mais je pense que vous
l'aviez déjà compris -...
M. Alain Gournac.
C'était clair !
(Sourires.)
M. Georges Gruillot.
... à l'inversion du calendrier électoral, jugeant même très choquant que le
Gouvernement cherche à influencer le résultat des urnes en jouant, pour ne pas
dire plus, sur la date des élections. Les Français, soyez-en sûrs, ne
l'oublieront pas.
Même Mme Voynet, pourtant membre de ce gouvernement, s'en inquiète.
M. Alain Gournac.
Tiens, tiens !
M. Georges Gruillot.
Elle doute en effet des résultats de la méthode puisqu'elle vient de mettre en
garde Lionel Jospin et le parti socialiste « contre les petits calculs qui
peuvent coûter cher sur le terrain de la crédibilité et de l'arithmétique
électorale ».
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Paul Blanc.
Elle est bien, Mme Voynet !
M. Georges Gruillot.
On ne change pas les règles du jeu en cours de partie. Or la partie « élection
présidentielle de 2002 » est bel et bien déjà entrée dans une phase active.
Les candidats, officiellement déclarés ou non, se grandiraient à respecter la
règle imposée par le calendrier. Ils semblent oublier que la mission suprême
qu'ils convoitent requiert davantage de grandeur d'âme et d'honnêteté. Elle est
avant tout, permettez-moi de le rappeler, monsieur le ministre, une mission
faite de dévouement envers les citoyens, la République et la France.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Mes chers collègues, en raison de la réunion de la conférence des présidents,
nous allons interrompre nos travaux. Nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quarante-cinq, est reprise à quinze
heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)