SEANCE DU 23 JANVIER 2001


DATE D'EXPIRATION DES POUVOIRS
DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Suite de la discussion d'une proposition
de loi organique déclarée d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi organique (n° 166, 2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. [Rapport n° 186 (2000-2001).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Garrec.
M. René Garrec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'avais l'intention d'intervenir uniquement sur l'aspect formel du texte qui nous est soumis. Mais ce matin, sur le chemin du Sénat, je me disais que je devais manquer de bon sens : en effet, après avoir passé vingt-quatre ans de ma vie au Conseil d'Etat, je ne comprends toujours pas la question juridique, à tel point que j'en suis arrivé à me demander si je n'étais pas complètement « nunuche » !
Par conséquent, avant d'en venir au propos que j'avais préparé, je voudrais réfléchir tout haut avec vous sur la légitimité juridique et politique de la réforme qui nous est soumise.
Monsieur le ministre, j'avoue ne pas comprendre la position juridique du Gouvernement. Ce n'est pas grave ! Retraité du Conseil d'Etat depuis le 25 décembre dernier, je ne suis donc plus un élément perturbateur de ce système, et, si je dis des bêtises ici, la maison dans laquelle j'ai vécu très heureux pendant de longues années ne m'en voudra sûrement pas ! (Sourires.)
Réfléchissant au problème qui nous est soumis, je me disais que la politique ressemblait un peu à un système biologique : cela vit, cela vieillit, cela meurt. Mais ma définition de la politique serait plutôt la suivante : en politique, on durcit sur certains points, on pourrit sur d'autres, on ne mûrit jamais ; mais cela n'engage que moi !
Ayant finalement considéré que les liens avec la biologie n'étaient pas tout à fait établis, je me suis demandé pourquoi cette partie juridique appelait tant de réflexions, et même tant d'incompréhensions entre d'éminents professeurs d'université, dont au moins un - le doyen Gélard - est présent ici.
Il me semblait que le système d'élection du Président de la République, prévu par la Constitution de 1958, avait connu deux phases : tout d'abord, jusqu'en 1962, l'élection du Président de la République par les parlementaires réunis à Versailles, qui impliquait que l'Assemblée nationale soit élue d'abord. Ensuite, à partir de 1962, l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, qui a donné la primauté à ce dernier. Certes, l'Assemblée nationale est également élue au suffrage universel, mais il y a des circonscriptions. Par conséquent, il me semblait que la priorité des choses voulait que l'on s'intéresse d'abord à la Présidence de la République.
Mais quel est l'esprit de la Constitution ? Je voudrais m'arrêter quelques secondes sur ce point.
En effet, lorsque l'on étudie la légalité d'un décret ou d'une circulaire - et les choses sont encore plus difficiles si la circulaire est interprétative, donc nulle de droit - et que l'on recherche un peu de clarté, on se réfère automatiquement aux travaux préparatoires de la loi.
Mais comment se référer aux travaux préparatoires de la Constitution sinon en réfléchissant à l'esprit de ceux qui l'ont écrite, qui en ont été à l'origine, et donc à ce que pensaient le général de Gaulle et l'éminent juriste qu'était Michel Debré ? Or, je n'ai pas trouvé dans les écrits de ces deux personnalités éminentes... Je ne suis toujours pas dans mon propos, monsieur le président, mais je continue un peu, parce que je tiens à m'expliquer sur mon incompréhension.
M. le président. Vous disposez d'un temps de parole de quinze minutes.
M. René Garrec. Pas plus ? Quinze minutes, c'est peu, car cela m'oblige à parler très vite : à la limite du subliminal ! (Sourires.)
Je dois dire que, après réflexion, je ne comprends pas le problème juridique ; et je pense que, malheureusement, il n'y a aucune légitimité juridique à cette réforme.
En effet, la Constitution est ainsi faite que le Président de la République peut mourir, comme c'est déjà arrivé ; on ne peut pas garantir par la Constitution qu'un président de la République en exercice ne mourra pas ! D'ailleurs, c'est dommage : cela prouve la limite de nos pouvoirs ! (Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Nicole Borvo. Ça, c'est vrai !
M. René Garrec. On ne peut donc pas garantir à un président de la République qu'il vivra le temps de son mandat.
Par ailleurs, on ne peut pas obliger le Président de la République à rester s'il n'est pas content. Il faut le laisser partir ; donc, il peut s'en aller.
M. Serge Vinçon. Cela peut arriver !
M. René Garrec. Cela peut effectivement arriver ! Enfin, le Président de la République peut en avoir assez de discuter avec une Assemblée nationale qui n'est pas de son avis, et il peut donc la dissoudre. On ne peut pas l'en empêcher ! Ça, c'est la Constitution !
Je ne vois donc pas où est la légitimité juridique.
Mais je ne trouve pas plus de légitimité politique à la proposition du Premier ministre.
Une phrase d'un éminent juriste, M. Dominique Chagnollaud, auditionné récemment par la commission des lois, me semble résumer, à elle seule, le débat sur la modification du calendrier qui nous réunit aujourd'hui. « Derrière un habillage institutionnel, il y a surtout un débat d'opportunité. » Le terme « opportunité » est-il encore bien approprié aujourd'hui ? Je ne le crois pas, car l'opportunité me semble avoir laissé la place à une convenance personnelle, parfaitement légitime d'ailleurs, d'un homme que je ne citerai pas tout de suite, qui ne s'est pas encore déclaré candidat à la Présidence de la République, mais qui me paraît carré dans les starting-blocks ... (Rires sur les travées du RPR.)
M. Gérard Larcher. C'est qui ?
M. René Garrec. La suite de mon propos vous le dira peut-être ! (Exclamations sur les travées du RPR.)
Plusieurs sénateurs du RPR. Des noms !
M. René Garrec. Comment pourrait-on analyser autrement le revirement opéré par le Premier ministre ? Et c'est la réponse à votre question légitime, mes chers collègues ! (Rires sur les travées du RPR.) Lors de son intervention télévisée du 19 octobre dernier, il déclarait ceci : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. »
M. Alain Gournac. Oh !
M. René Garrec. « Moi, j'en resterai là, et il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises. » Je suis totalement d'accord avec ce propos.
Comme l'a mentionné, à plusieurs reprises, le Président de la République, « les Français n'aiment pas que l'on modifie les règles du jeu juste avant de jouer ». Même les enfants n'aiment pas ça ! (Rires sur certaines travées du RPR.) « Ils soupçonnent immédiatement les acteurs de vouloir tricher, d'avoir des arrière-pensées politiques personnelles. »
Aujourd'hui, c'est effectivement ainsi que la proposition d'inversion du calendrier électoral de 2002 est perçue par nos concitoyens.
En effet, selon un sondage IFOP réalisé à la fin du mois de novembre 2000, plus de la moitié des Français qualifient de « manoeuvre politique » la proposition d'inversion du calendrier soutenue par le Premier ministre.
Une telle modification du calendrier à quelques mois des échéances et les débats politico-politiques qu'elle suscite donnent non seulement le sentiment aux Français de « calculs électoraux » - les gens méchants auraient parlé de « magouilles électorales », mais je n'en fais pas partie ! (Rires sur les travées du RPR) - mais également discréditent la classe politique dans son ensemble.
M. Alain Gournac. Ça, oui !
M. René Garrec. Or, mes chers collègues, je vais vous faire une confidence : elle n'en a vraiment pas besoin !
M. Christian Bonnet. rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ça, c'est bien vrai !
M. René Garrec. Il faut le dire ! Je profite de l'absence de la gauche pour le dire,...
M. Robert Bret. D'une partie de la gauche !
M. René Garrec. Excusez-moi, mon cher collègue ! Merci d'être là ! (Rires sur les travées du RPR.) Mais je vous citerai d'ailleurs tout à l'heure.
Mme Nicole Borvo. Nous sommes effectivement là !
M. René Garrec. Avec votre présence, madame, la parité est respectée ! (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
Il faut dire les choses comme elles sont : nos concitoyens ne se sentent pas concernés. Ils s'intéressent aux retraites, à un tas de choses ; mais là, ils s'interrogent à juste titre sur les intérêts non avoués des hommes politiques dans cette opération.
S'agissant de l'« esquisse de consensus pour que des initiatives puissent être prises », je n'ai pas perçu le début de la moindre ébauche de consensus. Peut-être est-ce de la maladresse de ma part ! Monsieur le ministre de l'intérieur, vous avez tenu des propos un peu similaires à l'Assemblée nationale, le 20 octobre 2000, en soulignant que, « dans l'hypothèse où un très large accord sur l'inversion des échéances électorales apparaîtrait, le Gouvernement serait disponible pour en débattre ». Par conséquent, peut-être pourrez-vous nous éclairer sur le sens des termes « consensus » et « large accord ».
Essayant de suivre les propos des personnes éminentes qui nous représentent, j'ai noté que Mme Guigou estimait, le 25 septembre 2000, qu'« il ne fallait pas changer les règles du jeu juste avant l'élection, car chaque fois que cela se produit on peut être accusé de vouloir trafiquer » et qu'en conséquence « il ne serait pas opportun de changer le calendrier ».
J'ajoute que les membres du parti communiste - je tiens à remercier ceux qui sont aujourd'hui présents dans cette enceinte (Rires sur les travées du RPR) - ainsi que les Verts, que l'on peut toujours, je pense, qualifier d'acteurs de la gauche plurielle, sont opposés à un changement de calendrier électoral.
Aussi, il semble que nous n'ayons pas la même notion du consensus, puisque les avis divergent au sein de la majorité plurielle, comme, malheureusement, un peu aussi dans l'opposition.
M. Robert Bret. Un peu beaucoup !
Mme Nicole Borvo. Voilà ! Chacun ses problèmes ! (Marques d'approbation sur les travées du RPR.)
M. René Garrec. Mais je constate que vous avez fait un pas en avant, ma chère collègue, même si, nous, nous avons fait un pas en arrière ! (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
Pis encore - et là mon incompréhension grandit ! - c'est le Premier ministre, M. Jospin, candidat sans doute, qui a changé de position. Ainsi, le 26 novembre dernier, lors du congrès du parti socialiste, qui est, en gros, à la règle de droit ce que Le Monde est au Journal officiel (Nouveaux rires sur les mêmes travées) , il a plaidé pour le report des législatives après la présidentielle. Il a avancé, pour ce faire, les arguments de « clarté » et de « respect de la portée de chaque élection ».
Ce revirement à cinq semaines d'intervalle - c'est une fois le cycle lunaire - au mépris de l'opinion de ses partenaires, que je considère avec respect, n'est autre que la marque semble-t-il - je m'avance peut-être ! - d'un calcul personnel - les gens méchants pourraient dire « politicien », ce qui, dans le cas précis, est d'ailleurs une tautologie.
A compter de cette annonce, la course était lancée. Le débat parlementaire a commencé : à peine un mois entre le dépôt, le 5 décembre, des différentes propositions de loi, en particulier de celle qui nous intéresse, modifiant la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, et l'examen par les députés en séance publique, les 19 et 20 décembre. Je souligne, par ailleurs, que le texte est discuté selon la procédure de l'urgence.
Permettez-moi, à cet égard, de citer Lyautey, militaire très compétent qui a beaucoup fait pour la France au Maroc et qui est considéré, tant dans les annales militaires que dans celles de la République, comme un homme éminent : « Il n'y a pas de problème urgent, il n'y a que des gens pressés. »
J'ai volontairement choisi un militaire, qui plus est ayant servi dans l'infanterie, où, dit-on, la tête n'est pas indispensable ; il faut deux bras pour porter un fusil, deux jambes pour marcher et deux oreilles pour porter le képi et recevoir les ordres ! (Rires sur les travées du RPR.)
M. Gérard Larcher. Il ne faut pas dire du mal des fantassins !
M. René Garrec. Nous discutons donc de ce texte selon la procédure de l'urgence, alors que - je le constate - le Gouvernement montre beaucoup moins d'empressement pour des réformes très attendues, toujours remises à demain ; celle des retraites, qui me concerne plus particulièrement depuis le 25 décembre dernier ; celle du droit de la famille, qui me concerne également en tant que père de famille ; celle du statut de l'élu, qui, aux dires des maires de ma région, n'avance pas ; et bien d'autres réformes encore.
Ainsi, il paraît que les fonctionnaires ne sont pas contents, que des tas de gens protestent, même s'il est vrai que c'est là la vie de tous les jours, que cela s'est produit sous tous les gouvernements. Il n'empêche : bien d'autres réformes étaient urgentes.
Et puis, il y a la considération qui est due au Sénat. (Ah ! sur les travées du RPR.) Il nous faut bien parler du Sénat, car, si nous ne le faisons, qui le fera ? (Rires sur les mêmes travées.)
On a dit pis que pendre du Sénat, surtout au travers de propos qui ont été reproduits récemment dans la presse - il n'y a plus de censure, tout va mal ! (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
Le Gouvernement a imposé l'inscription du présent texte à notre ordre du jour. Il a obligé notre excellent rapporteur, M. Christian Bonnet, à présenter le même jour son rapport en commission et dans l'hémicycle. (Exclamations indignées sur les travées du RPR.) Certes, il en était capable ! (Nouveaux rires sur les mêmes travées.)
M. Gérard Larcher. La preuve !
M. René Garrec. Mais, tout de même, au fond, c'est désobligeant !
Dans ce contexte, éclairés que nous sommes par le traumatisme qu'a subi notre éminent collègue, comment le Premier ministre peut-il, d'un côté, souhaiter « que le printemps 2002 ne soit pas un printemps de confusion et de choix de convenance », en appeler à « l'esprit des institutions de la Ve République » - je l'ai dit, si je comprends que l'on puisse parler d'esprit pour une loi, je ne comprends pas qu'on puisse le faire pour une constitution - et, de l'autre, tout mettre en oeuvre pour que le débat parlementaire soit tronqué et précipité, et donc démontrer que le changement de calendrier électoral est effectivement une initiative purement politicienne ?
Alors, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit ! (Rires sur les travées du RPR.) Il ne s'agit pas, pour moi, de balayer d'un revers de main et sans débat la question de l'inversion de l'ordre des élections législatives et présidentielle en 2002. On peut trouver des éléments discutables, au sens étymologique du terme, donc amenant à une discussion qui peut même être approfondie sur le sujet.
D'ailleurs, les avis des constitutionnalistes ont été clairs : il n'y en a pas un qui ressemble à l'autre. Voilà qui permettait un long et vaste débat qui aurait fait progresser la science politique et le droit constitutionnel ! Je regrette que ce débat intéressant pour la République n'ait pas eu lieu.
En l'occurrence, nous assistons, une fois encore, à des manoeuvres électoralistes - je suis désolé d'avoir à le dire, mais cela y ressemble tellement ! - menées plus particulièrement par le parti socialiste, qui se place clairement dans une logique de campagne électorale.
Les trois années du Gouvernement de M. Jospin ont été très chargées en ce domaine. Il y a eu la limitation du cumul des mandats - ce n'est pas forcément mauvais, mais encore faut-il l'appliquer ! Il y a eu la parité, il y a eu l'élection des sénateurs.
Je relève au passage que le président de l'Assemblée nationale a déclaré que le Sénat ne devait pas se mêler des élections à l'Assemblée nationale, car il est de tradition que chaque assemblée garde sa liberté en ce domaine. Je constate tout de même que l'Assemblée nationale s'est bougrement mêlée des nôtres !
Au travers de ces différents textes, les objectifs sont les mêmes. Ils sont politiques. Ils ont été poursuivis avec une grande constance. On les retrouve encore aujourd'hui.
Il s'agit de renforcer l'hégémonie du parti socialiste. Si j'étais socialiste, je ferais peut-être la même chose : encore faut-il ne pas trop le montrer, ou bien alors l'admettre. On veut transformer le jeu politique pour se donner de meilleures chances de conserver le pouvoir après l'avoir conquis démocratiquement - c'est vrai de tous les partis, mais là, c'est particulièrement flagrant.
A chaque fois, le discours officiel et les leçons de bonne conduite politique serinées par le Gouvernement visent à cacher une arrière-pensée électoraliste que même ici, malgré ce qu'on a dit ailleurs du Sénat, nous avons tous comprise et que nous avons estimé devoir dénoncer.
Voilà quelques jours, notre éminent collègue Michel Charasse, citant une anecdote tout à fait passionnante, a dit : « Ce n'est pas une banale loi électorale, c'est une question d'ordre constitutionnel qui touche au fonctionnement de nos institutions ; il faut savoir comment on veut gouverner la France. » Je crois qu'il avait raison.
M. Bret, que je citerai de façon plus synthétique, a dit, pour sa part : « C'est une réforme constitutionnelle et c'est une belle manoeuvre. »
Ayant ainsi rendu à César ce qui était à César, j'en reviens à mon propos.
Combien de fois n'avons-nous pas entendu le Gouvernement accuser le Sénat de l'avoir empêché d'aller plus loin dans le projet visant à lutter contre le cumul des mandats ? Or, aujourd'hui on entend la ministre de l'emploi et de la solidarité, candidate à la mairie d'Avignon, annoncer sans sourciller qu'en cas de victoire elle assumera ses fonctions de ministre et de maire. Si ce n'est pas là du cumul, je ne comprends plus rien !
Alerté par l'utilisation de ces méthodes pour le moins curieuses - j'avais écrit dans mon discours « sournoises », mais j'ai rayé parce que ce n'était pas convenable - et à répétition, je m'interroge très sérieusement et objectivement - j'espère que l'on n'en doute pas ! - sur les motivations du Premier ministre lorsqu'il demande au Parlement de se prononcer, dans des conditions de précipitation que j'ai rappelées tout à l'heure, sur la proposition de loi relative à l'inversion du calendrier électoral.
Je me suis demandé pourquoi un petit nombre de collègues de l'opposition nationale étaient favorables à l'inversion du calendrier. Je crois qu'ils devraient réfléchir avant la deuxième lecture à l'Assemblée nationale !
Nous sommes en présence d'une proposition de loi organique, qui peut donc être adoptée, faute d'accord avec le Sénat, à la majorité de l'Assemblée nationale, et qui n'est pas passée par le filtre du Conseil d'Etat, ce que je déplore.
Il serait regrettable que ce calendrier, qui a été fortement compacté - c'est pratiquement une sculpture de César, il n'y a plus de place ! - aboutisse à un agrégat de voix si curieux et si contraire, me semble-t-il, à l'esprit de nos institutions. On joue peut-être à l'apprenti sorcier. En tout cas, les électeurs jugeront.
En ce qui me concerne, convaincu par la qualité du rapport de notre collègue Christian Bonnet, par l'intelligence de sa proposition, je suivrai l'avis de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne m'attacherai pas, ce matin, à faire l'exégèse de la Constitution pour savoir si le texte qui nous est présenté en respecte l'esprit et la lettre. Sur le sujet, le moment venu, le Conseil constitutionnel tranchera.
Je ne m'appesantirai pas non plus sur les arrière-pensées quelque peu triviales qui semblent avoir guidé, en l'espèce, le Gouvernement. L'opinion est maintenant bien informée et l'histoire tranchera finalement par le vote des Français, l'an prochain.
Je ne me permettrai pas, enfin comme certains l'ont fait, d'interpréter la Constitution, en me référant au prétendu esprit gaullien de celle-ci.
Je me contenterai de citer très largement - il ne m'en voudra pas - un « gaulliste éclairé », un « gaulliste averti », dirai-je, qui a donné longuement au Sénat son avis sur le caractère douteux et très probablement politicien de toute velléité de prolonger un mandat électoral.
Cet « avis gaullien » est d'autant plus intéressant qu'il émane d'une éminente personnalité du groupe socialiste. Je ne vous dirai son nom que tout à l'heure, après vous avoir fait part de ses réflexions tout à fait pertinentes sur le sujet.
Ce « gaulliste averti » que je vais avoir maintenant l'honneur de citer, en espérant le faire avec le même souffle que lui alors, s'exprimait au printemps 1994, à cette tribune, à propos de la prolongation de la durée des mandats municipaux.
Sans trahir en rien sa pensée, je me contenterai simplement de citer les passages les plus clairvoyants et d'adapter les propos tenus dans ces circonstances à la réforme que nous avons à examiner aujourd'hui : quand vous entendrez les mots : « Lionel Jospin », c'était Jacques Chirac ; quand vous entendrez « RPR », c'était « parti socialiste », et inversement.
Je commence la citation : « Dans la catégorie des manoeuvres politiciennes et partisanes, ce projet de loi » - entendez, aujourd'hui, la proposition de loi organique - « est un modèle du genre. (...)
« Selon le Gouvernement, ce texte ne se fonde que sur des impératifs exclusivement juridiques, qui découlent du calendrier de la préparation de l'élection présidentielle.
« Je m'empresse d'ajouter - ce que vous n'avouerez pas, monsieur le ministre d'Etat - qu'il est d'abord et avant tout le produit d'arrière-pensées politiques, et qu'il vous aura fallu des mois de tractations et de marchandages pour arriver au résultat que vous nous présentez. (...)
« Monsieur le ministre, vous avez la réputation, qui n'est d'ailleurs pas usurpée - et, dans ma bouche, n'y voyez aucune connotation péjorative - d'être un habile manoeuvrier. (...)
« Ne vous étonnez pas, dès lors, que notre suspicion soit fondée et légitime. J'ajoute d'ailleurs que nous ne sommes pas les seuls à penser cela.
« De façon on ne peut plus catégorique et péremptoire, vous déclarez qu'il n'y a pas d'autre solution possible. (...)
« Pourtant, ces autres hypothèses existent, mais ils feignent de ne pas s'apercevoir qu'ils maquillent une manoeuvre politique sous un habillage juridique méticuleux.
« Une fois de plus, le Gouvernement entonne le même refrain, quel que soit le sujet ou le projet : il n'y pas d'autre politique possible, il n'y a pas d'autre solution envisageable ! (...)
« Admettre le report ou le non-report, comme vous l'avez fait depuis 1993 » - entendez depuis 1997 - « c'est déjà reconnaître qu'il existe d'autres possibilités et que s'est d'abord exprimée une préoccupation politicienne avant ce qui est devenu pour vous une nécessité juridique.
« Si le Gouvernement était si sûr de son bon droit, celui de l'impératif juridique, pourquoi a-t-il laissé s'engager des négociations, des tractations au sein de la majorité ?
« Si telle était la réalité, monsieur le ministre d'Etat, connaissant l'estime et l'amitié que vous portez à certains responsables de la majorité, on vous aurait certainement entendu leur dire : "Désolé, chers amis, il n'y a rien à négocier, c'est la loi !"...
« Monsieur le ministre d'Etat, tout cela démontre l'inanité de vos remarques sur les motivations exclusivement juridiques de ce projet de loi.
« Il est encore plus grave de constater une fois encore que, lorsque la gauche est au pouvoir, notamment avec le parti socialiste aux commandes » - vous faites l'inversion - « elle se sert des institutions bien plus qu'elle ne les sert ». (...)
« ... que les lois sont faites sur mesure non dans l'intérêt supérieur du pays, mais pour servir des ambitions personnelles. (...)
« En la circonstance, pour arranger les affaires intérieures de la majorité, dont l'union n'est qu'un vernis qui se craquelle chaque jour un peu plus,... vous n'hésitez pas à "triturer" les rendez-vous des Français avec la démocratie, et ce au nom de la tradition républicaine. Hélas ! pour vous, c'est justement la tradition républicaine qui impose le respect des échéances électorales et politiques ! (...)
« En fait, ce projet de loi » - entendez cette proposition de loi organique - « ne vise qu'à satisfaire l'appétit de pouvoir et les ambitions d'un homme : M. Jacques Chirac » - entendez M. Lionel Jospin. (...)
« Oui, j'affirme que c'est un projet pour les convenances personnelles de "M. le Premier ministre", qui, sans jamais rien concéder, ne souhaite pas faire deux campagnes électorales successives.
« Mais qu'il choisisse ! Qu'il crédibilise davantage sa volonté d'être candidat à l'Elysée ! C'est légitime, on le comprend. (...)
« Quelqu'un d'autre "à gauche" disputerait-il à "M. Jospin" son siège et son leadership dans la "majorité » ? (...)
« En vérité, si "M. Jospin" ne veut pas faire deux campagnes, c'est au moins pour deux raisons.
« D'abord, il veut négocier au prix le plus élevé le siège de premier magistrat pour le cas où il entrerait à l'Elysée. D'ici là, gare à celui qui entravera son chemin. Je ne cite personne, mais vous savez à qui je pense. (...) »
« Ensuite, parce que son entrée à l'Elysée est loin d'être évidente, "M. Jospin" ne veut pas tout perdre : conserver sa circonscription de "Cintegabelle" serait sa consolation » (...)
« Vous auriez déclaré » - je cite encore - « de façon tonitruante, toujours avec la même assurance et la même certitude, qu'aucun impératif ne nécessitait le report des élections "législatives", qu'après un examen minutieux les contraintes techniques, juridiques pouvaient être surmontées et ne constituaient aucunement un argument déterminant en faveur d'une modification du calendrier électoral. »
Les propos suivants, au regard du texte de 1994, sont très intéressants : « Dans une démocratie vivante, la vie politique est rythmée par le calendrier électoral. Vous affirmez que la concomitance des deux scrutins est de nature à brouiller le débat essentiel, et j'ajoute, sans être mathématicien, que l'inversion des facteurs ne change pas l'équation.
« Pourquoi feindre d'oublier que, dans notre système institutionnel, la durée inégale des mandats électifs amène immanquablement ce type de coïncidence, de télescopage ? Et si le Conseil constitutionnel, comme l'a rappelé M. le "ministre" a, à plusieurs reprises, validé les reports et modifications du calendrier électoral, c'est parce qu'il a toujours tenu compte de ces éléments incontournables.
« Vous-même, dans votre exposé des motifs, que dites-vous, "monsieur le ministre" ? : "La succession à des dates rapprochées de deux consultations de nature très différente ne peut qu'être nuisible à la clarté de l'expression du suffrage universel par les effets d'influences réciproques ainsi induits." Quel aveu ! (...)
« Vous avouez, parce que vous reconnaissez que c'est bien l'élection présidentielle qui a des effets d'influence sur les élections "législatives" et non l'inverse.
« C'est l'un des signes les plus manifestes de la faiblesse de votre argumentation, c'est là que le bât blesse. Vous voulez doubler la mise électorale : vous pensez qu'en reportant les élections "législatives" l'onde de choc de l'élection présidentielle sera telle que "la gauche" touchera le gros lot à ces élections "législatives" ! » (...)
« Si, avec un tel pari, nous ne connaissons pas encore le vainqueur, nous savons déjà qui sera la grande perdante » : la démocratie.
M. Daniel Goulet. Très bien !
M. Gérard Larcher. « Vous faites disparaître un grand moment civique, les élections "législatives", derrière l'autre grand moment civique, l'élection présidentielle... (...)
« En effet, après le matraquage de la campagne présidentielle, les Français n'auront ni le temps ni la possibilité, et encore moins l'envie, de s'intéresser aux élections "législatives", alors que chacun sait qu'ils leur accordent une place privilégiée... (...)
« Vous auriez pu trouver, monsieur le "ministre", un autre argument que celui sur lequel vous avez bâti votre démonstration. La faiblesse de votre argumentation est patente, évidente. Etonnez-vous, après cela, que votre projet n'emporte pas notre conviction !
« Sans pour autant approuver l'idée de report des élections "législatives", mais pour vous prouver, si besoin est, que vos motivations sont d'ordre politique, voire politicien, je vais me placer, un instant, sur votre terrain.
« Supposons qu'il soit nécessaire de reporter les élections "législatives". Il existe d'autres solutions, plus conformes aux règles et principes en vigueur ! Vous avez déclaré que le Conseil constitutionnel a validé, à plusieurs reprises, le report des élections pour des circonstances exceptionnelles. » Il n'a jamais été saisi sur ce point précis. « Il n'y a donc pas de jurisprudence, et l'insécurité juridique dont certains ont fait état n'est que pure spéculation intellectuelle.
« S'il avait voulu respecter le calendrier électoral, le Gouvernement aurait pu proposer la tenue des élections législatives » à la mi-mars 2001.
Réduire de deux ou trois semaines le mandat législatif aurait été plus judicieux. « Même le Conseil d'Etat aurait admis que nécessité fait loi et qu'à titre exceptionnel le Gouvernement était fondé à agir ainsi. (...)
« Ajouterai-je que cette solution, acceptable par tous, n'aurait fait l'objet d'aucun recours devant le Conseil constitutionnel ? » (...)
« Voilà, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, deux autres solutions possibles, réalisables, conformes à l'esprit et à la lettre de la Constitution et préservant l'intérêt général. D'ailleurs, pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas voulu les retenir et encore moins les explorer » s'il n'était animé d'aucune arrière-pensée politique ?
« S'il est un sujet qui se prête à une concertation élargie, c'est bien celui-là. Or, vous ne l'avez pas voulue, et pour cause ! Vous portez ainsi un coup préjudiciable au bon déroulement de notre vie démocratique... » (...)
« Vous savez également que votre "proposition" de loi engendrera des difficultés insurmontables au moment où il faudra faire la part de ce qui relève de la campagne présidentielle de ce qui a trait aux élections "législatives". (...) D'ailleurs, nous reviendrons sur ce point lors de l'examen des amendements », ajoutait l'auteur de ces lignes.
« Au terme de ce propos, mes chers collègues, je veux réaffirmer que ce ne sont que des préoccupations politiciennes et des considérations purement tactiques qui motivent le texte qui nous est présenté. (...)
« Il espère tirer profit aux "législatives" de la dynamique de la victoire de l'un des siens à l'élection présidentielle. (...)
« Oui, vos actes contredisent vos pensées. Votre proposition de loi mériterait de s'intituler : "Citoyens, prenez garde, une élection peut en cacher une autre".
« On sait d'expérience que l'année de l'élection présidentielle politise tous les autres événements. En fixant les "élections législatives" quelques jours après l'élection présidentielle, votre calcul est purement politicien. C'est une habileté manoeuvrière.
« On ne peut même pas dire que vous apportez une mauvaise solution à un vrai problème. La seule contrainte n'était pas insurmontable, loin s'en faut, et c'est parce que ce dossier est indéfendable, monsieur le "ministre", qu'en la circonstance, permettez-moi de vous le dire, vous êtes un mauvais avocat. Même pour des causes perdues d'avance, vous nous avez habitués à plaider avec davantage de brio. (...)
«Vous ne semblez plus, depuis quelque temps, avoir emprunté le chemin de la victoire. Si vous étiez si confiants, vous n'auriez pas eu besoin de recourir à de telles manipulations. Les insuccès et les reculs » - quelle pertinence ! - « toujours plus évidents du Gouvernement ne vous qualifient pas pour être sûrs et dominateurs comme vous l'êtes.
« S'il est une manipulation que vous ne pourrez pas accomplir, c'est celle de contrarier la volonté d'une majorité de Français qui s'opposent et s'opposeront davantage à votre politique. Plus nombreux sont, chaque jour, celles et ceux qui mesurent les conséquences et les méfaits de votre gestion. (...)
« Vous voulez, monsieur le "ministre", nous tendre un piège. Pénétrez-vous de cette idée : plus vous finassez, plus vous nous stimulez.
« Avec d'autres, nous saurons tirer tous les avantages de ces mesures néfastes que représentent aussi bien cette modification du calendrier électoral que l'ensemble de votre politique. »
Je termine là cette longue citation, mais je pourrais continuer.
J'ajoute cependant que ce discours, dont on peut lire le texte original dans le Journal officiel du Sénat relatant les débats de la séance du 7 juin 1994, aux pages 2239 à 2243, avait été salué par des bravos et des applaudissements sur les travées socialistes et communistes. Mais qui a prononcé, en 1994, cette diatribe si pertinente pour le dossier dont nous discutons aujourd'hui ?
Eh bien, ce n'est autre que notre collègue Guy Allouche, auquel je me permets d'adresser mes félicitations pour la magnifique facture prophétique de son texte d'alors, un texte aujourd'hui quasi septennal qui m'a interdit toute oeuvre originale. (Rires et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) J'ai simplement remplacé, notamment, les mots « municipales » par « législatives », « ministre d'Etat » par « ministre », « Chirac » par « Jospin », « RPR » par « parti socialiste » et « Paris » par « Cintegabelle » !
A l'évidence, mes chers collègues, tout cela pourrait nous amener à une autre théorie sur la relativité. (Sourires.) Mais nous ne nous sommes pas écartés de la réalité du débat qui nous rassemble aujourd'hui : tout cela, c'est du bricolage pour élection, et c'est inacceptable.
Voilà pourquoi les membres du groupe du Rassemblement pour la République, s'appuyant sur les réflexions de notre collègue socialiste M. Guy Allouche, diront : « non » à l'inversion du calendrier électoral. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat organisé aujourd'hui me paraît empreint d'un opportunisme politique sans précédent.
En effet, nous sommes réunis pour nous prononcer sur la proposition de loi organique visant à inverser le calendrier électoral de 2002 en prolongeant les pouvoirs de l'Assemblée nationale jusqu'au troisième mardi de juin 2002, au lieu du premier mardi d'avril, afin que la prochaine élection présidentielle ait lieu avant les élections législatives.
Je me suis interrogé. Dans un Etat de droit, la pratique est-elle de changer les règles électorales aussi près de l'échéance ? La réponse est non. Pourquoi vouloir inverser le calendrier électoral ? Existe-t-il une justification d'ordre constitutionnel qui m'aurait échappé ? La réponse est encore non, surtout après l'excellent exposé de notre collègue René Garrec.
Afin de tenter de donner quelque noblesse à ce qui n'est rien d'autre qu'une manoeuvre électorale, les partisans du vote de cette loi organique se réfèrent à l'esprit des institutions, qui commanderait, dit-on, de commencer par l'élection présidentielle pour continuer par les élections législatives.
Le vote de cette loi organique ne se justifie nullement. J'irai même plus loin : cette proposition de loi n'est qu'une pure mesure de convenance politique, et ce à trois égards : elle ne dispose d'aucun fondement constitutionnel ; elle remet en cause la nature même de nos institutions ; elle n'a pour unique but que d'arranger le calendrier électoral en faveur du Premier ministre et du parti socialiste !
Je tiens, tout d'abord, à rappeler le profond respect que j'attache à la constitution de la Ve République.
Les valeurs définies par la Constitution se placent à la tête des valeurs juridiques normatives. Il en résulte que tous les organes législatifs et exécutifs de notre pays, tous les citoyens, toutes les personnes physiques et morales qui séjournent sur le territoire de notre pays, toutes les communautés humaines doivent les respecter.
Je pense qu'il est important de rappeler à certains l'intangibilité de la loi fondamentale et l'importance qu'il y a à protéger de manière impérative ses dispositions dans la mesure où la proposition de loi organique qui nous est aujourd'hui soumise ne dispose d'aucun fondement constitutionnel.
Il n'est écrit nulle part dans la Constitution que l'élection présidentielle doit avoir lieu avant les élections législatives. Chaque élection doit intervenir lorsque son échéance naturelle survient. Les élections législatives doivent avoir lieu aux dates définies à l'article L.O. 121 du code électoral, c'est-à-dire dans les deux mois qui précèdent le premier mardi d'avril de la cinquième année qui suit l'élection, comme c'est le cas depuis 1958.
A ce propos, je tiens à souligner que les élections législatives ont déjà précédé l'élection présidentielle à trois reprises, et ce de manière tout à fait normale : premièrement, les 23 et 30 novembre 1958, pour une élection présidentielle le 21 décembre 1958, soit un mois après la naissance de la Ve République ; deuxièmement, les 23 et 30 juin 1968, pour une élection présidentielle les 1er et 15 juin 1969 ; troisièmement, les 4 et 11 mars 1973, pour une élection présidentielle les 5 et 19 mai 1974.
Que les élections législatives interviennent avant l'élection présidentielle s'est donc déjà produit durant la Ve République. Cette situation est tout à fait normale, d'autant qu'aucun événement dans la vie politique de notre pays n'est intervenu. Il n'y a, en la circonstance, aucun caractère exceptionnel qui nécessiterait, contrairement à ce que le Premier ministre a affirmé dans son discours devant l'Assemblée nationale, le 19 décembre dernier, de « rétablir le calendrier normal quand il est encore temps ».
Je relève, à ce propos, que les expressions employées par le Premier ministre, parlant de « rétablissement » ou disant encore « si le calendrier électoral est remis sur pieds », sont révélatrices d'un véritable jugement de valeur qui vise à nous faire croire qu'il existe un problème dans le calendrier électoral. En l'espèce, il n'est pas nécessaire de revenir à une situation qui existait auparavant, il s'agit d'appréhender une situation à venir.
Je le répète, les élections législatives sont déjà intervenues avant l'élection présidentielle, et ce à trois reprises. C'est une situation normale. En conséquence, la proposition de loi organique qui nous est soumise aujourd'hui porte une atteinte flagrante à la Constitution, qui ne définit, ni en pratique, ni en théorie, l'ordre des élections.
En outre, cette proposition de loi organique est inutile et touche le coeur même de nos principes constitutionnels.
Il est, en effet, parfaitement inutile de modifier le calendrier électoral, puisque celui-ci est, en réalité, commandé par des éléments d'ordre constitutionnel que la loi organique ne peut en aucun cas modifier : droit de dissolution, démission ou décès du Président de la République.
Si cette proposition de loi organique est adoptée et que le Président de la République dissout l'Assemblée nationale, démissionne, ou décède quelque temps après son élection, que se passera-t-il ? Le calendrier électoral sera de nouveau modifié.
Le débat nous conduit donc à nous interroger sur le droit de dissolution auquel le Gouvernement s'en prend, oubliant qu'il est inscrit dans l'article 12 de la Constitution.
Affirmer qu'en cas de dissolution les élections législatives auraient lieu après l'élection présidentielle reviendrait à faire dire à la Constitution ce qu'elle ne dit pas.
En effet, la Constitution précise qu'en cas de dissolution les élections législatives doivent, en vertu de l'article 12, obligatoirement intervenir dans un délai de vingt jours au moins et quarante jours au plus à compter de la date de la dissolution. Cet article détermine le moment auquel les nouvelles élections législatives doivent avoir lieu. En conséquence, la loi organique ne peut pas changer le moment des élections législatives sans porter gravement atteinte à la Constitution.
Si le Gouvernement veut, dans le cas où l'élection présidentielle et les élections législatives auraient lieu la même année, que l'élection présidentielle précède les élections législatives, cela est possible, mais seulement à condition d'intégrer ce principe dans notre Constitution. Or, si nous le faisons, se posera un autre problème, celui de l'incompatibilité de ce principe avec le droit de dissolution. Les élections législatives doivent, je le rappelle, en vertu de l'article 12 de la Constitution, intervenir dans un délai de vingt jours au moins et de quarante jours au plus à compter de la date de la dissolution. Le droit de dissolution est donc susceptible de changer le calendrier électoral à tout instant.
L'intégration de ce principe dans notre Constitution serait également incompatible avec le droit qu'a le Président de démissionner et avec l'éventualité de son décès. Ce serait complètement surréaliste, puisqu'il faudrait interdire la mort du Président, sa démission et son droit de dissoudre l'Assemblée nationale !
La proposition de loi organique ne peut en aucun cas constituer une garantie de pérennité de l'ordre ultérieur des échéances électorales. Personne ne peut programmer à sa guise le calendrier électoral, c'est absurde !
Maintenant, admettons la théorie selon laquelle l'élection présidentielle doit intervenir avant les élections législatives. Pour que cette théorie soit applicable, deux mesures seraient à mettre en oeuvre.
Il faudrait tout d'abord supprimer l'article 12 de la Constitution, qui prévoit le droit de dissolution. En effet, le maintien de ce droit permettant au Président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale, les élections législatives balaieraient alors l'inversion.
Il faudrait ensuite élire, en même temps que le Président de la République, un vice-président, comme cela se fait dans d'autres pays, de façon à assurer la présidence jusqu'au terme du mandat électoral du Président en cas de démission ou de décès de celui-ci. Mais cela ne correspond en aucun cas à la Constitution de 1958 ; ça, c'est une autre République !
De surcroît, cette proposition de loi organique porte atteinte aux pouvoirs propres du Président de la République à travers son atteinte au droit de dissolution. Je tiens à rappeler l'alinéa 1er de l'article 12 de notre Constitution : « Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées, prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale. »
Cet article est très clair. Il fait du droit de dissolution une prérogative personnelle du Président de la République. Il revient donc à ce dernier de décider discrétionnairement s'il doit ou non faire usage de ce droit, dont l'exercice n'est subordonné à aucune condition de fond il est subordonné seulement à des conditions de forme, mais elles sont pratiquement négligeables.
Quant à la forme, le Président de la République doit, avant de prononcer la dissolution, consulter le Premier ministre, le président du Sénat et celui de l'Assemblée nationale, mais il n'est nullement tenu de suivre leur avis.
S'agissant du pouvoir propre du Président, le décret de dissolution n'a pas à être contresigné par le Premier ministre. Ce qui caractérise le droit de dissolution prévu par l'article 12, c'est qu'il constitue pour le Président de la République un pouvoir propre et effectif, une prérogative personnelle. Or cette proposition de loi organique occulte totalement cette prérogative présidentielle.
Le Président de la République dispose du droit de fixer le calendrier électoral. Ce droit découle purement et simplement de son droit de dissolution. En conséquence, cette proposition de loi organique remet en cause une prérogative personnelle du Président de la République, c'est totalement inconstitutionnel !
Les élections législatives doivent précéder l'élection présidentielle en 2002 en raison de la dissolution survenue en 1997. La proposition de loi organique visant à inverser cet ordre constitue un report sans précédent dans l'histoire de la Ve République, qui aura pour conséquence la prolongation du mandat des députés sortants. Est-il logique que les députés prennent eux-mêmes la décision de proroger leur propre mandat ? Un événement particulier est-il survenu pour justifier que soit prise une telle mesure ? N'y a-t-il pas ici une atteinte flagrante à la démocratie ? N'en déplaise à certains, admettre ce principe ouvre la porte à de multiples abus.
L'article 25 de la Constitution renvoie à une loi organique pour fixer « la durée des pouvoirs de chaque assemblée. » Il n'autorise en aucun cas à faire varier les différentes législatures en fonction des desiderata de ses membres ! La loi organique fixe une durée invariable du mandat législatif, et non variable comme le dispose l'objet de la proposition de loi que nous étudions aujourd'hui.
Par ailleurs, comme l'a brillamment démontré M. Louis Favoreu lors de son audition devant la commission des lois mardi 9 janvier dernier, la réforme entreprise va à l'encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Si le Conseil constitutionnel a accordé des reports de dates d'élections, par des décisions intervenues en 1990, en 1994 pour deux d'entre elles et en 1996, celles-ci concernaient la prorogation du mandat des membres d'assemblées locales, à savoir les conseils municipaux et les conseils généraux pour les trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer pour la dernière. En conséquence, les enseignements que l'on peut tirer de ces décisions s'appliquent a fortiori à la prorogation du mandat de l'Assemblée nationale.
Or le Conseil constitutionnel a, chaque fois, validé la démarche en la subordonnant au respect de conditions strictes, à savoir le caractère exceptionnel et transitoire de la prorogation et l'existence d'une réelle justification. Les motifs retenus par le Conseil constitutionnel ont été, par exemple, de favoriser la participation des électeurs, d'assurer la continuité de l'administration départementale, d'éviter la concomitance des élections avec une réforme du statut des élus, de permettre aux électeurs d'être mieux informés des conséquences de leur choix. Cette jurisprudence étant bien entendu transposable au cas d'une élection nationale, le Conseil constitutionnel serait donc amené à exercer un véritable contrôle des motifs de la modification proposée.
En outre, l'idée selon laquelle le Conseil constitutionnel, dans ses recommandations du 23 juillet 2000, aurait donné par avance une justification à l'inversion du calendrier est récusée par M. Louis Favoreu, qui estime que la seule préoccupation du Conseil constitutionnel, à savoir le respect de la date limite de présentation des candidats, peut être parfaitement satisfaite par une fixation de la date des élections législatives aux 3 et 10 mars et par une clôture des présentations pour l'élection présidentielle au 2 avril à minuit, pour une élection présidentielle fixée aux 21 avril et 5 mai.
Le vote de cette proposition de loi organique ne dispose d'aucun fondement constitutionnel, contrairement à ce que ses partisans veulent essayer de nous faire croire. Elle ne repose que sur des arguments inconstitutionnels : suppression du droit de dissolution et de démission du Président de la République, sans oublier l'interdiction de son décès, mais encore atteinte aux pouvoirs propres du Président de la République et prorogation sans aucune justification du mandat des députés sortants. D'ailleurs, évoquer l'esprit d'un texte pour justifier son bien-fondé, c'est avouer que sa lettre est muette sur le point débattu.
Outre les arguments inconstitutionnels sur lesquels cette proposition de loi organique est fondée, celle-ci soulève un problème grave, qui touche à la nature même de notre régime.
Afin de comprendre les raisons pour lesquelles cette proposition de loi organique porte atteinte à la nature même de notre régime, je tiens à rappeler sa nature sous la Ve République.
Le régime de la Ve République présente un caractère mixte, à la fois parlementaire et présidentiel : les emprunts au régime parlementaire sont d'autant plus nombreux que c'est un tel régime que les constituants ont voulu établir. Ils ont donc inscrit dans l'article 49 de la Constitution, ainsi alors qu'ils étaient tenus par la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, la règle fondamentale du régime parlementaire en prévoyant que le Gouvernement était responsable devant l'Assemblée nationale. Ils ont fait du Gouvernement un organe collégial et solidaire. Ils ont organisé sa collaboration constante avec les assemblées sur le plan législatif. Ils ont soumis le Président de la République à l'obligation du contreseing pour certaines de ses décisions. Ils lui ont attribué un pouvoir propre, le droit de dissolution, qui est tout à fait significatif puisqu'on ne le trouve jamais dans un pouvoir présidentiel. Ainsi, il existe des éléments incontestables de rattachement de la Ve République au régime parlementaire.
Mais la Ve République a également réalisé des emprunts au régime présidentiel.
La Constitution a nettement séparé mandat parlementaire et fonctions ministérielles, et la révision de 1962, en faisant du Président l'élu direct des électeurs, lui a assuré une autorité peu compatible avec le rôle qui est celui du chef de l'Etat dans les régimes parlementaires contemporains.
Mais l'essentiel réside dans le fait que le Président de la République s'est saisi de la plénitude du pouvoir, qu'il fixe les objectifs que le Premier ministre est chargé de réaliser, qu'il contrôle les moyens que ce dernier emploi, à cet effet, qu'il s'est attribué le premier rôle et qu'aucun titulaire de la fonction n'y a renoncé.
Il faut ajouter que le Président de la République, s'il y a convergence d'orientation politique entre la majorité et lui-même, peut choisir le Premier ministre librement, qu'il participe au choix des ministres, leur adresse ses instructions, qu'il convoque le Conseil des ministres, s'adresse à la nation, prend des décisions et engage l'Etat, au moins dans certains domaines et, notamment, dans celui de la politique étrangère, indépendamment du Gouvernement. On est là très loin du régime parlementaire. Alors que celui-ci associe constamment autorité et responsabilité, sous la Ve République, le Gouvernement responsable ne dispose pas du pouvoir ultime et le Président qui en dispose est irresponsable.
La Ve République participe donc à la fois d'un régime parlementaire et d'un régime présidentiel. Elle possède un caractère mixte.
La question que pose cette proposition de loi organique est donc de savoir si l'on souhaite mettre fin à la Ve République pour créer une nouvelle République. Pour ma part, je pense que nous disposons de bonnes institutions qui ont démontré leur valeur depuis 1958. Or quelles seraient les conséquences de cette proposition de loi organique si ce n'est une modification de la nature du régime de la Ve République ?
Dans son audition par la commission des lois, le mardi 9 janvier dernier, M. Pierre Pactet a montré que cette proposition de loi organique conduirait à la présidentialisation de notre régime. En effet, se prononçant contre un changement de régime, il a regretté que le quinquennat, premier pas vers un régime présidentiel, puisse être suivi d'un second pas plus accentué, celui de l'inversion du calendrier électoral, rappelant ensuite que le régime présidentiel ne fonctionnait que dans un seul pays, les Etats-Unis.
De même, pour certains membres de la majorité plurielle, la conséquence serait une présidentialisation du régime de la Ve République. Les opposants au vote de cette proposition de loi organique, membres de la majorité plurielle, affirment que vouloir volontairement modifier le calendrier électoral en faisant passer l'élection présidentielle avant les élections législatives conduirait à conférer un caractère mineur aux élections législatives au profit de l'élection présidentielle, mise sur un piédestal. La démocratie s'en trouverait alors gravement compromise.
En effet, l'élection présidentielle pousse à la bipolarisation de la vie politique. Chacun s'organise autour de personnalités dites présidentiables. Faire passer l'élection présidentielle avant les élections législatives conduirait à la bipolarisation de l'élection des députés jusqu'alors épargnée par ce jeu politique. Les députés, choisis en fonction de leur proximité avec le Président, se verraient relégués à un rôle d'auxiliaire du pouvoir exécutif disposant de l'essentiel des pouvoirs, ce qu'ils trouvent inquiétant pour la démocratie.
D'autres membres de la majorité plurielle, favorables à la présidentialisation du régime, sont partisans du vote de cette proposition de loi dans la mesure où elle permettait de maintenir le temps fort que constitue l'élection présidentielle. En maintenant les élections législatives avant l'élection présidentielle, ils redoutent un second tour qui opposerait deux candidats, dont l'un serait, s'il était élu, soutenu par une majorité au sein de l'Assemblée nationale, tandis que l'autre serait a priori « empêché » par une majorité hostile. Cela conduirait à diminuer le prestige de l'élection présidentielle et à accepter par avance que les députés prennent le pas sur le Président de la République.
Cette proposition de loi organique touche donc à la nature même de notre régime, qui a jusqu'à présent bien fonctionné, en permettant la stabilité des institutions et de l'exercice des pouvoirs. Je ne puis affirmer fermement qu'elle conduira vers une présidentialisation du régime. Ce que je puis affirmer, c'est que les institutions de la Ve République seront affectées d'une manière ou d'une autre. Comme l'a parfaitement souligné M. Louis Favoreu lors de son audition devant la commission des lois, il est préférable de toucher le moins possible aux institutions, car les conséquences de telles réformes sont difficiles à prévoir. Gardons-nous de prendre ce risque. Les institutions de la Ve République sont bonnes et précieuses.
Maintenant, poussons le raisonnement plus loin. L'unique défaut que je relève dans le régime de la Ve République est le risque de cohabitation. Les partisans de la proposition de loi organique que nous étudions aujourd'hui nous affirment que celle-ci permettra à l'avenir d'éviter la cohabitation. Je n'en crois rien. Si l'on veut établir une garantie absolue contre la cohabitation, il est nécessaire de changer de constitution.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois. Deux options s'ouvrent alors à nous : bâtir une constitution calquée sur le modèle de la IIIe République, confinant le Président de la République dans un rôle secondaire, et revenant à un régime purement parlementaire, ou bien bâtir une constitution sur le modèle américain en instituant un régime présidentiel, ce qui implique la suppression du poste de Premier ministre, du droit de dissolution et de la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale.
Nous connaissons tous les dérives qu'a connues le régime parlementaire de la IIIe République. Quant au régime présidentiel, je m'interroge sur la façon dont serait résolu un conflit qui pourrait survenir entre le Président de la République et l'Assemblée nationale.
Il s'agit bien de l'un des enjeux de cette proposition de loi organique : la modification de la nature même de notre régime politique !
Ne nous y laissons pas prendre : cette proposition de loi organique, outre le fait qu'elle méprise la Constitution de 1958 et porte atteinte à la nature même de nos institutions, n'est qu'une pure magouille politique. N'ayons pas peur des mots ! Derrière un argument institutionnel se cache la véritable raison d'être de cette proposition de loi organique : une pure mesure de convenance au service de l'ambition électorale du Premier ministre et du parti socialiste.
Cette proposition de loi organique n'est que le fruit d'un pur calcul politicien. Le Premier ministre déclarait le 19 octobre dernier : « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là. », c'est-à-dire au calendrier prévu. Cette déclaration m'interpelle. Pourquoi, tout d'abord, le Premier ministre et son gouvernement tiennent-ils tellement à cette réforme, alors qu'ils s'étaient prononcés contre quelques mois auparavant ? Pourquoi ce revirement ? Et maintenant, pourquoi le Premier ministre intervient-il, en soutenant, comme il l'a fait dans son discours du 19 décembre dernier, cette proposition de loi organique ?
Lors de sa déclaration, le Premier ministre affirmait : « Il a donc été proposé de rétablir le calendrier normal quand il était encore temps. Je partage cette conviction. » Pourquoi le Premier ministre a-t-il changé d'avis ? Qu'a-t-il bien pu se passer dans son esprit ? Je m'interroge. Est-ce pour un motif d'intérêt général que le Premier ministre a soudainement trouvé mieux de faire passer les élections législatives avant l'élection présidentielle ? Je ne crois pas. Serait-ce pour un motif d'ordre institutionnel ? Non, je vous l'ai démontré tout à l'heure. Un événement important dans notre vie politique, susceptible d'amener à changer le calendrier électoral, est-il survenu ? La réponse est encore non. Cette initiative peut-elle être interprétée de façon politique, voire politicienne - je reprends l'expression même du Premier ministre ? Oui, simplement parce qu'elle constitue bel et bien une basse manoeuvre de politique politicienne.
A ce propos, je ne comprends pas comment M. Jospin, qui rappelait récemment qu'il n'avait pas approuvé la Constitution soumise à référendum en 1958, ose maintenant s'ériger en prétendu défenseur de celle-ci. C'est quand même paradoxal !
M. Patrick Lassourd. Très bien !
M. Jean-Patrick Courtois. Si la réforme vise réellement un but légitime d'ordre institutionnel, pourquoi n'a-t-elle pas été proposée plus tôt ?
Cela fait presque quatre ans que le Gouvernement socialiste est en place. Il savait, depuis 1997, que les prochaines élections législatives se tiendraient avant l'élection présidentielle. Il a eu largement le temps de réfléchir à la nécessité d'organiser un débat sur l'avenir de nos institutions, loin des contingences électorales. C'est avec intérêt que nous aurions participé au débat, afin de déterminer si nos institutions devaient évoluer et, si oui, dans quel sens.
Comme par hasard, le Gouvernement n'avait jamais évoqué le sujet. Et puis, voilà quelques semaines, le Premier ministre a soudain été pris d'une illumination. Il annonce « comme un cheveu sur la soupe », qu'il serait bon que l'élection présidentielle ait lieu avant les élections législatives.
Comme l'affirmait, mardi 9 janvier dernier, M. Louis Favoreu, dont je partage la conviction, le droit doit encadrer la vie politique et la réforme des institutions ne doit pas être utilisée pour réaliser des « coups politiques ».
Nous ne sommes pas dupes de ce type de manoeuvres électorales. Les Français sont intelligents et voient clairement le subterfuge. Le résultat de l'adoption de cette loi organique, si elle est votée, sera d'assurer tranquillement au Premier ministre qu'il sera le candidat du parti socialiste au premier tour de l'élection présidentielle.
Il est, certes, bien plus facile d'adapter les règles du jeu à sa façon pour s'assurer les plus grandes chances de succès aux élections.
Je tiens par ailleurs à saluer le grand courage politique dont a fait preuve le Gouvernement en la matière ! Je remarque qu'il n'a pas pris la responsabilité de déposer un projet de loi, évitant ainsi un examen du texte par le Conseil d'Etat et son adoption en conseil des ministres, sous la présidence du Président de la République.
De plus, un projet de loi aurait comporté un exposé des motifs clair permettant au Conseil constitutionnel d'exercer un contrôle, ce qui n'est absolument pas le cas de la proposition de loi organique qui nous est soumise, dont les motifs avancés demeurent diffus, qu'il s'agisse du respect d'une logique institutionnelle de la Ve République ou de la mise en cohérence avec la réforme du quinquennat. A ce propos, M. Louis Favoreu a estimé que le Conseil constitutionnel pourrait être conduit à émettre de sérieuses réserves sur le texte après avoir exercé un contrôle des motifs, considérant qu'on ne pouvait pas modifier une loi organique sans justification précise.
Le 19 décembre dernier, le Premier ministre déclarait à propos d'une réflexion plus large sur l'avenir de nos institutions : « Ce débat, nous ne pourrons pas, aujourd'hui, le mener à terme. Il devra être repris et approfondi, justement en 2002, afin que puisse être conduite une réforme positive de nos institutions. »
Cette déclaration m'inspire deux remarques.
La première est que le Premier ministre avoue lui-même qu'un vrai débat sur l'avenir de nos institutions ne peut être mené correctement aujourd'hui, car nous ne disposons pas du temps nécessaire.
En tout état de cause, si la question de la réforme de la Constitution doit se poser, elle doit être étudiée dans le calme et la sérénité. Il est nécessaire d'entamer un grand débat national au cours duquel nous prendrons le temps d'analyser en profondeur les différentes questions étudiées afin d'apporter les réponses les plus cohérentes dans l'intérêt du fonctionnement de nos institutions.
La seconde réflexion que m'inspire cette déclaration repose sur le cynisme qui consiste à proposer l'ouverture d'un débat en 2002, c'est-à-dire après les élections. Comme par hasard, me direz-vous !
C'est tout de même paradoxal ! Soit il fallait ouvrir le débat voilà quatre ans, soit il fallait attendre la fin des échéances électorales de 2002, mais en tout cas, ne pas poser la question aujourd'hui, en nous soumettant cette proposition de loi organique.
Et quand le Premier ministre ajoute : « Mais il n'est pas interdit d'amorcer dès maintenant cette réflexion », je réponds que l'avenir de nos institutions, compte tenu de l'importance du thème, mérite bien mieux qu'une amorce de réflexion, et qu'un véritable débat doit être organisé en profondeur et dans la sérénité.
En conclusion, je dirai qu'il ne faut pas s'y laisser prendre. Cette proposition de loi organique n'est qu'une pure réforme de convenance. Derrière son habillage institutionnel, elle n'a d'autres inspirations que des arrière-pensées politiciennes.
Non seulement elle n'est pas conforme à nos institutions, contrairement à ce que ses partisans prétendent, mais en outre cette proposition de loi organique remet en cause la nature même de notre régime politique.
Ainsi, à titre personnel, et pour permettre aux députés nouvellement élus de pouvoir parrainer en toute connaissance de cause et dans un délai satisfaisant la candidature de leur choix à l'élection présidentielle, je voterai les amendements proposés par notre excellent rapporteur, dont l'exposé magistral m'a convaincu. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Schosteck.
M. Jean-Pierre Schosteck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc engagés une fois de plus dans un de ces débats truqués et tronqués dont notre vie politique est, hélas ! trop friande et auxquels nous, hommes politiques, sommes trop prompts peut-être à nous y soumettre, donnant l'impression que nous nous en satisfaisons, sous l'oeil mi-éberlué, mi-goguenard de nos concitoyens, qui, eux, voient parfaitement combien ces débats sont éloignés de leurs préoccupations quotidiennes.
Nous étions, voilà peu, un certain nombre à mettre en garde contre les risques que courraient notre vie politique, notre démocratie et la Ve République, pour avoir voulu ouvrir, en quelque sorte, la boîte de Pandore de la réforme des institutions, au prétexte fallacieux de vouloir paraître moderne !
Voter le quinquennat, même si on pouvait y trouver quelques bonnes raisons, c'était le premier temps de la valse. Nous voici invités à traiter du deuxième temps, qui viserait, nous dit-on, à rétablir une logique, en fait une pseudo-logique dans la séquence des élections. Quel sera le troisième temps et les éventuels suivants ?
Personne ne semble pouvoir sérieusement le dire, puisque, à l'évidence, toutes ces réformes ne sont initiées qu'au petit bonheur la chance, au gré des circonstances, des rumeurs, des suppositions sur les avantages électoraux que tel ou tel croit pouvoir en espérer ! Décidément, plus ça change et plus c'est la même chose !
Il me revient en effet ce propos d'André Malraux dans le discours qu'il avait prononcé au palais des Sports le 15 décembre 1965 : « Je n'ai rien contre les politiciens. Ils ne sont pas particuliers à la Ve République, ils ont peu changé depuis la Grèce. En gros, ils forment, depuis des siècles, un club des négociateurs. Aux objectifs historiques - donc à long terme - ils substituent toujours l'objectif immédiat, c'est-à-dire, dans les temps modernes, électoral. »
Et c'est bien de cela, mes chers collègues, qu'il s'agit, comme l'a d'ailleurs remarqué Jean-Patrick Courtois à l'instant !
En effet, jusqu'à son intervention du 19 décembre dernier à l'Assemblée nationale, M. le Premier ministre, sans doute trop affairé par les lourdes obligations de sa charge, ne s'était pas aperçu du caractère, qu'il a qualifié de fortuit, du calendrier électoral qui veut que, en effet, nous devrions d'abord élire les députés, puis le Président de la République. Ce calendrier, qu'il considère comme aberrant, résulte, avoue-t-il, de deux aléas dont on a du mal à comprendre qu'il ne se soit pas aperçu plus tôt : M. Jospin se souvient, en effet, soudain que le président Pompidou est mort en 1974 et que la dernière dissolution est intervenue il y a trois ans et demi !
Pourquoi ne nous en a-t-il rien dit lors du débat du printemps dernier sur le quinquennat ? Ou bien il ne s'en était pas aperçu et ce serait bien léger, je ne lui ferai pas l'offense de l'imaginer ; ou bien il ne pensait pas, à l'époque, avoir besoin d'un stratagème visant à changer la règle du jeu ; ou bien, pire encore, il y avait déjà pensé, mais il le cachait, se réservant d'attendre un moment plus propice pour mieux masquer la turpitude et la rendre plus digeste à une opinion publique qui risquait d'être sceptique.
Dans l'une ou l'autre hypothèse, c'est bien d'une réforme de circonstance qu'il s'agit et, comme toujours, c'est la vie démocratique qui en souffre !
Je ne suis pas le seul à penser de la sorte. Nos collègues communistes et socialistes, en commission des lois, la semaine dernière, n'ont pas souhaité débattre d'un texte qui nous était soumis au motif que, selon eux, il s'agissait d'un texte de circonstances, ce qui était toujours mauvais. Sur le principe, commme ils ont raison ! Cela devrait donc les inciter à nous rejoindre pour rejeter ce projet - je crois que certains d'entre eux y sont déjà prêts - exclusivement motivé par des considérations électorales, donc de circonstances !
Tout, en effet, conduit à penser que ce débat est inspiré par une monumentale hypocrisie.
Le débat est improvisé puisqu'il a été ajouté bien tardivement à l'ordre du jour. Il est évidemment bâclé puisque - il semble d'ailleurs que cela devienne une habitude sur les sujets importants - le Gouvernement a, une fois de plus, décrété l'urgence.
Le débat sur les institutions a eu lieu à l'Assemblée nationale dans un pseudo-préalable à la discussion du calendrier électoral, lui-même fictif. Mon collègue et ami Patrick Devedjian avait d'ailleurs relevé que, dans L'Hebdo des socialistes , on pouvait lire, le 8 décembre dernier, l'analyse suivante : « Ce n'est pas un débat institutionnel. Il serait difficile d'engager un débat institutionnel de fond en période de cohabitation et à quinze mois des échéances nationales. » Tiens, tiens ! Ledit débat institutionnel du matin n'était en fait qu'une tentative grossière et du reste avortée pour mieux faire passer la petite manoeuvre électorale de l'après-midi.
Nous avons donc entendu des déclarations aussi vertueuses que soudaines sur la logique de la Constitution et le respect des principes établis par le général de Gaulle.
Il est dommage qu'à l'affirmation de ces principes correspondent étroitement les intérêts électoraux de ceux qui prétendent s'en inspirer.
Le Premier ministre comme le ministre de l'intérieur ont affirmé que nul ne pouvait prévoir à seize mois de distance le résultat des élections, certes ! Mais les socialistes, eux, font quand même des prévisions. La Revue socialiste de novembre dernier écrit : « Une lecture attentive des trois précédents scrutins depuis 1997 met en évidence un rétrécissement de la base électorale de la gauche plurielle et un recul sensible de ses résultats électoraux ».
Il paraît qu'un proverbe chinois dit qu'il est toujours difficile de prévoir, surtout l'avenir ! (Sourires.) Au Gouvernement, notons que vous avez eu le courage de vous attaquer à cette difficulté mais que vous avez eu aussi la duplicité de tenter de mettre des garanties de vote vôté d'autant que, lors des prochaines législatives, vous pourrez difficilement compter, cette fois-ci, sur le maintien de l'extrême droite au second tour, cependant que la coalition hétéroclite de la gauche plurielle se fragilise au point de devoir chercher, ailleurs, des renforts inattendus.
Votre inquiétude est d'autant plus grande d'ailleurs que, depuis 1978, aucune assemblée sortante n'a été reconduite ; la gauche craint, bien sûr, que ce ne soit son tour d'être battue.
M. Jean-Patrick Courtois. Elle le sera !
M. Jean-Pierre Schosteck. Ainsi, M. Jospin aurait les plus grandes difficultés, après avoir perdu les élections législatives, à se poser dès le lendemain en candidat susceptible de l'emporter à l'élection présidentielle qui suivrait.
On pourrait dire bien sûr - et je suis certain que l'on ne manquera pas de le relever - qu'à droite notre candidat pourrait courir les mêmes risques. Eh bien, non ! et, à gauche, vous avez bien compris que ce n'est pas la même chose, puisque ce ne serait pas le bilan de notre candidat qui aurait été ainsi condamné. Il n'a malheureusement pas conduit la politique au quotidien depuis 1997.
M. Emmanuelli a d'ailleurs déclaré avec une grande franchise, le 27 novembre : « Tout le monde sait que ce calendrier tel qu'il existe aujourd'hui n'est pas vraiment favorable au candidat de la gauche » et M. Cambadélis venant à sa rescousse d'ajouter : « On lève aussi l'hypothèque du centre. C'est un élément secondaire, peut-être un peu politicien, mais qu'il faut avoir toujours en tête : soit l'UDF vote le changement de calendrier, et je crains que cela n'induise une crise assez forte au sein de la droite au vu de la réaction du RPR, soit elle ne le vote pas, et l'hypothèse d'une candidature du centre aux élections présidentielles se réduit à néant. »
Je n'invente rien ! On trouvera ces fortes paroles écrites dans le marbre de L'Hebdo des socialistes du 8 décembre.
Il est ainsi évident que les socialistes ne font pas de politique politicienne, n'est-ce pas ?
Le 19 octobre, il y a donc trois mois seulement, le Premier ministre en personne condamnait fermement l'inversion du calendrier électoral ; « Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là. » Eh bien, il n'en est pas resté là !
Dès lors, pourquoi reprocher à l'opposition d'analyser les choses comme le Premier ministre l'a fait lui-même, il y a fort peu de temps ? S'il a compris que son attitude ne pouvait qu'être comprise que comme politicienne, nous le comprenons aussi bien que lui !
La vraie question est de savoir pourquoi ce Premier ministre qui affirme toujours qu'il « fait ce qu'il dit » rompt aujourd'hui avec cette règle et fait le contraire de ce qu'il avait dit !
La gauche, en effet, s'est toujours plainte d'une prise de décision sans débat. Craignant l'excès de pouvoir présidentiel, elle pense que des élections législatives préalables renforcent les pouvoirs du Parlement, que le quinquennat réduit encore. La gauche a toujours tenu ce discours. Ainsi, M. Jospin rappelait : « Je n'ai pas voté les institutions de la Ve République, ni en 1958 ni en 1962. Je ne suis pas présidentialiste aujourd'hui. » Or il n'en considère pas moins désormais que l'élection présidentielle doit structurer la vie politique française. Quelle conversion ! Il nous offre le joli paradoxe de vouloir renforcer le pouvoir du Président de la République contre son avis !
L'inversion du calendrier présenterait un second paradoxe. Alors que la gauche, qui aura gouverné pendant cinq ans, s'affirme fière de son bilan, l'examen de celui-ci serait occulté par le débat présidentiel. Car, s'il succède aux élections présidentielles, le débat sur le bilan de cinq ans de socialisme n'aura plus guère de sens. Voilà qui est singulier...
Ainsi, les socialistes, mais d'autres aussi, qui ont toujours combattu l'esprit de la Ve République, prétendent lui rendre hommage en « rétablissant la clarté institutionnelle et démocratique » parce que l'élection présidentielle serait « l'élection directrice ». Cette affirmation doit être pour le moins nuancée, surtout en période de cohabitation. Or celle-ci n'est pas un accident : elle aura occupé neuf années sur vingt et une, et aura eu lieu trois fois en trois mandats présidentiels !
Si les élections législatives se déroulent avant la présidentielle, les candidats demanderont son soutien, dans chaque camp, au candidat présidentiel le plus crédible. Le candidat à la présidentielle continuera donc de diriger son camp.
Il est faux de prétendre que l'ordre des deux élections obéirait à une tradition constitutionnelle. Les législatives ont précédé les présidentielles à trois reprises : les 23 et 30 novembre 1958, pour une élection présidentielle qui s'est déroulée le 21 décembre 1958, soit moins d'un mois plus tard, et cela à la naissance de la Ve République ; les 23 et 30 juin 1968, avant l'élection présidentielle des 1er et 15 juin 1969, soit un écart de moins d'un an ; en 1974, l'élection présidentielle, qui est intervenue quatorze mois après des élections législatives, n'était évidemment par prévue mais on observera que le président Giscard d'Estaing n'avait pas cru devoir dissoudre l'Assemblée pour assurer la prééminence de son programme sur celui des partis qui composaient sa majorité préalablement élue.
On objectera que, parmi ces trois précédents, la première élection présidentielle n'a pas eu lieu au suffrage universel. Cet argument est sans valeur car, en 1958, l'influence des partis était encore beaucoup plus forte qu'aujourd'hui. S'agissant du second cas, pourrait-on valablement soutenir que onze mois de délai sont convenables, mais que six semaines ne le sont pas ? Il faudrait alors définir le délai admissible !
Le Président tient sa prééminence de la Constitution. Or cette dernière ne fixe aucun ordre dans les élections. Les socialistes veulent, en réalité, ajouter à la Constitution, sans même la modifier, des dispositions qui n'ont jamais fait débat depuis 1958.
Chacune des élections prochaines vient à son échéance naturelle. Il n'y a rien à rétablir. Les législatives viennent à l'échéance fixée par l'article LO 121 du code électoral, soit dans les deux mois qui précèdent le premier mardi d'avril de la cinquième année qui suit l'élection. Il en est ainsi depuis 1958, et il n'y a donc rien à rétablir.
La date de l'élection présidentielle est fixée depuis la mort du président Pompidou, soit depuis vingt-six ans. Les deux élections viennent donc à un moment parfaitement habituel et prévu depuis toujours. Il se trouve qu'elles ont lieu la même année, mais il n'y a aucun hasard à cela, contrairement à ce qu'affirme le Gouvernement. S'il pense ainsi, c'est la date de l'élection présidentielle qu'il lui faut modifier. Et, s'il ne le fait pas, c'est parce qu'il n'a pas de majorité constitutionnelle pour cela. Vous pouviez le faire à l'occasion de la réforme du quinquennat : vous ne l'avez pas demandé !
En définitive, le Gouvernement ne s'en prend à la date légitime et traditionnelle des élections législatives que parce qu'il n'a pas de majorité pour modifier la date de la présidentielle, date qu'il prétend illégitime. Il s'agit donc bien d'une loi de convenance.
Le Gouvernement conteste en fait que les deux élections aient lieu la même année ; or cette concomitance résulte de la dissolution de 1997, qui impliquait un renouvellement de l'Assemblée nationale en 2002. Votre proposition revient en réalité à contester le droit de dissolution. Implicitement, le Gouvernement et sa majorité contestent les conséquences de la dissolution de 1997, comme si le terme normal de la législature n'avait pas été envisagé à ce moment-là.
Or l'effet le plus évident de cette dissolution est bien le renouvellement de l'Assemblée nationale en 2002 !
Le droit de dissolution, inscrit à l'article 12 de la Constitution, est absolu et n'est pas soumis à la condition que l'élection présidentielle ait lieu avant les législatives. Rien dans la Constitution ne limite le droit de dissoudre. Il n'y a donc aucun hasard à corriger dans l'ordre du calendrier électoral, qui dépend de trois facteurs constitutionnels, hors d'atteinte d'une loi organique : la dissolution, la démission du Président ou sa mort.
Si le Président démissionne ou meurt dans les six mois suivant l'élection législative, le calendrier est à nouveau renversé. Vouloir que, en cas de dissolution, les élections législatives soient renvoyées après la présidentielle conduit à modifier la Constitution, ce qu'une loi organique ne peut pas faire. Malgré le vote de votre loi, les élections législatives pourraient avoir lieu avant la présidentielle. Il suffirait, par exemple, que votre majorité n'en soit plus une et que le Président soit conduit à dissoudre à nouveau. C'est donc la dissolution qui est la matrice du calendrier.
Faute de pouvoir vous en prendre directement au droit de dissolution, vous entendez en corriger les effets accidentels quand ils vous dérangent. Mais d'autres dissolutions ne manqueront pas de survenir. Le président Mitterrand, notamment, en a usé à deux reprises. L'article 12 dispose que, en cas de dissolution, les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus tard après la dissolution. La Constitution est claire : on ne peut pas changer la date de ces élections par une simple loi organique.
Le Gouvernement soutient que, quand les deux élections ont lieu la même année, la présidentielle doit précéder les législatives. Le seul moyen de pérenniser ce principe serait de l'intégrer à la Constitution : il deviendrait alors incompatible avec le droit de dissolution. Il faudrait donc supprimer ce dernier, interdire la démission du Président de la République - voire sa mort ! - quand elle suit des élections législatives. Ou alors il faudrait instituer un vice-président ; ce serait quand même changer fondamentalement la Constitution !
L'inversion du calendrier électoral ne peut donc que conduire à un bouleversement profond de la Constitution. C'est donc bien, encore une fois, compte tenu du contexte dans lequel elle nous est présentée, une loi de circonstance qu'on nous demande de voter.
Ce report des élections législatives est sans précédent sous la Ve République. Il a pour effet de proroger au-delà de cinq ans le mandat des députés sortants. Le Conseil constitutionnel l'a, certes, déjà accepté, mais uniquement pour des élus locaux, la décision étant prise par le Parlement. Tel n'est pas le cas en l'occurrence, puisque des élus prorogeraient leur propre mandat, ce qui constituerait tout de même un précédent important pour une démocratie !
Certes, l'article 25 de la Constitution renvoie à la loi organique pour fixer « la durée des pouvoirs de chaque assemblée ». Mais il ne permet pas de faire varier la durée de chaque législature au gré de ceux qui la composent.
Ce qui est moralement le plus choquant, c'est bien cette prorogation par les députés eux-mêmes de leur propre mandat, d'autant plus discutable qu'aucun événement imprévu n'est survenu : on savait très bien en 1997 que les législatives auraient lieu en 2002.
MM. Alain Gournac et Louis de Broissia. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Schosteck. Encadrée par la Constitution, la loi organique a l'obligation d'assurer une durée juridiquement stable à la législature.
Le Conseil constitutionnel a également estimé, dans sa décision du 6 juillet 1994, que la mesure de prorogation devait demeurer exceptionnelle. Or le rapprochement des élections présidentielle et législatives n'a, en principe, rien d'exceptionnel.
C'est donc bien, je le répète, d'une loi de circonstance qu'il s'agit mais, lorsqu'on évoque les problèmes constitutionnels, il n'est jamais inutile de les restituer dans un cadre historique.
Nous savons tous que la IVe République avait mis en évidence l'inefficacité spectaculaire du régime parlementaire, ce qui avait permis de montrer que seule la haute administration avait pu maintenir le pays quand la durée de vie moyenne des gouvernements n'était que de sept ou huit mois. Il fallait donc à la France un régime qui puisse, à travers la personnalisation du Président de la République, imposer une politique propre à redresser le pays.
A Bayeux, le général de Gaulle avait bien montré le chemin. Il fallait pour cela, certes, écarter encore les réticences des professeurs de droit auteurs de la Constitution de la IVe République.
Notons bien que la Constitution dont nous parlons aujourd'hui n'est pas celle qui a été écrite en 1958, et ce n'est pas non plus l'esprit de la Constitution dont on nous parle aujourd'hui. René Garrec, notamment, a démontré que personne ne pouvait vraiment savoir de quoi l'on parlait. Cette Constitution n'est pas celle qui a été pratiquée. En réalité, elle n'a duré que de 1962 à 1986.
Une nouvelle lecture en a été révélée en 1986, lorsque François Mitterrand, bloqué par la première cohabitation, s'est demandé quels étaient ses pouvoirs : gardien de la Constitution, maintien de la République, surtout en période de troubles, nomination des hauts fonctionnaires et des ambassadeurs - et donc chef de la politique étrangère - et chef des armées.
Le président Mitterrand a appliqué stricto sensu la lettre de la Constitution. L'affaire des ordonnances pouvait juridiquement donner lieu à deux interprétations différentes.
Pascal Clément, à la tribune de l'Assemblée nationale, l'a justement rappelé, « la pratique gaullienne était bien différente. Même si elle ne suivait pas la lettre, tout le monde en France était soulagé de voir un grand homme prendre la situation en main, sortir de la guerre d'Algérie et imposer le suffrage universel à une classe politique qui n'en voulait pas, menant la France vers la stabilité. »
Ce n'est qu'au discours de Verdun-sur-le-Doubs, qui eut lieu juste avant les élections législatives de 1978, que s'ouvrit une alternative. Le président Giscard d'Estaing déclara alors que, si sa majorité perdait, il resterait à l'Elysée. Tout était dit ! Une autre pratique de la Ve République était alors envisagée. Les élections furent gagnées, mais il fut facile par la suite à François Mitterrand de s'appuyer sur cette déclaration.
Compte tenu de la réforme de 1962, la cohabitation dénaturait la République.
Nous sommes donc bien loin de la pratique de la Ve République première manière, et reconnaissons qu'il est vraiment singulier que les socialistes feignent aujourd'hui de paraître nostalgiques de cette première pratique.
J'ai indiqué au début de mon propos que nous en étions en quelque sorte au deuxième étage de la fusée « Réforme des institutions », sans savoir d'ailleurs s'il y en aurait d'autres.
Il s'agit bien de savoir, après l'instauration du quinquennat, quel est l'avenir de la Ve République, surtout après plusieurs cohabitations.
Les socialistes et leurs alliés de circonstance nous proposent aujourd'hui d'inverser, disent-ils, le calendrier électoral en prétendant, avec une duplicité certaine, que c'est le rétablir ! Mais, si c'est le rétablir, alors c'est que vous souhaitez bien revenir à la pratique de la Ve République, première version. Dites-le clairement !
En réalité, l'« obscure clarté qui tombe des étoiles » signifie que c'est pour vous une affaire d'intérêts purement conjoncturels. C'est un coup politique, et là, en effet, vous vous situez bien dans l'héritage dont M. le Premier ministre avait pourtant prétendu vouloir faire l'inventaire.
Je le redis parce que c'est totalement évident : on a institué le quinquennat sans véritablement s'interroger sur ses conséquences. C'était logique ! Cette réforme n'a pas été pensée par les socialistes, elle a été improvisée !
M. Jospin n'en avait pas dit un mot dans son discours de politique générale, en indigne héritier de François Mitterrand, lui qui semblait faire la fine bouche sur le passif successoral. Il en a toutefois décidé uniquement pour des raisons politiciennes, et c'est le même processus qui nous est aujourd'hui proposé pour le calendrier électoral.
Quelle sera, mes chers collègues, l'astuce suivante ? Réfléchissons-y : cela nous permettra peut-être d'avoir, le moment venu, une analyse plus élaborée encore. Et la réflexion n'est-elle pas une qualité que l'on reconnaît en général au Sénat ? C'est bien pourquoi, d'ailleurs, il convenait de s'interroger sur la « doctrine ».
La commission des lois a donc consulté, conformément à son devoir, et aussi selon son « appétence », un certain nombre d'éminents professeurs de droit constitutionnel.
Leurs opinions sur le sujet sont, comme il est habituel, diverses mais, comme il est plus surprenant, quelque peu nuancées, et cela amène - pour sa plus grande confusion - l'ancien étudiant en droit que je suis à formuler l'irrévérencieuse contestation de certaines affirmations qui, me semble-t-il - mais je peux me tromper ! -, est écrite en filigrane dans leur analyse.
M. René Rémond, membre de l'Académie française, président de la Fondation nationale des sciences politiques, après s'être félicité de l'étendue de la consultation organisée par le Sénat, a d'abord rappelé - pour, comme nous, le regretter - le manque de débat qui a précédé le texte limitant la durée du mandat présidentiel. Il a expliqué ensuite qu'il souhaitait inscrire sa réflexion dans le long terme, indiquant par là même que l'opportunité d'une réforme du calendrier à un peu plus d'un an des échéances électorales pouvait susciter des soupçons de manipulation. Ah, ah ? Me voilà donc validé dans mes réserves !
M. Rémond a rappelé que le postulat d'intangibilité des règles électorales peu avant une échéance électorale était récent et que des précédents contraires, s'agissant de délais beaucoup plus courts, existaient. Il a cité - tenez-vous bien ! - les réformes des modes de scrutin intervenues en 1927, ainsi que - tenez-vous encore mieux ! - l'adoption de la loi sur les apparentements, en 1951.
Quand j'ai lu cela, m'est revenue - pardon d'être un peu pédant - cette formule latine : horresco referens . Reconnaissons qu'il s'agit d'une référence peu honorable ! Je me demande même s'il ne s'agit pas d'une façon très pudique, convenable, de laisser entendre qu'en effet il n'est pas illégitime d'avoir des soupçons. C'est ce que j'appelle la « lecture en filigrane ».
M. Rémond a en outre estimé opportun le choix du mois de juin comme date des élections législatives, précisant que les facteurs habituels d'abstention tels que ponts et départs en vacances lui paraissaient moins fréquents à cette période qu'à d'autres...
Mes chers collègues, comme un certain nombre d'entre vous, je suis maire et j'ai donc la charge d'organiser les élections : il ne m'est jamais apparu que le mois de juin était la meilleure période pour obtenir une participation massive des électeurs ! C'est le mois, par exemple, des voyages organisés par les clubs du troisième âge...
M. Gérard Cornu. Et les pêcheurs à la ligne ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Schosteck. Je parlais de filigrane et, en effet, M. René Rémond a relevé que qualifier la modification du calendrier électoral d' « inversion » ou de « rétablissement » était révélateur d'un certain jugement de valeur. Eh oui, les mots ont un sens !
M. Rémond a aussi noté l'impossibilité d'un quelconque pronostic concernant les effets d'une telle réforme sur le résultat du scrutin. Il a dès lors souhaité que les « supputations » diverses n'occultent pas l'objet de la proposition de loi.
Il a ensuite abordé ce qui lui semblait l'essentiel, à savoir les conséquences d'une telle réforme sur l'évolution des rapports entre fonctions présidentielles et législatives. J'oserai ici être irrévérencieux, car, j'ai beau chercher, je ne vois pas ce qui peut susciter son optimisme !
M. Rémond me surprend également quand il parle de dissolution de convenance s'agissant de celle de 1997. Toute dissolution, hors celle qui interviendrait au cours d'une crise majeure - événement heureusement rare - n'est-elle pas, d'une manière ou d'une autre, de convenance ? En faire le reproche, c'est remettre en cause le principe même de la dissolution. Pourquoi alors ne pas le dire clairement ?
M. Rémond a encore précisé que le calendrier actuel accentuait l'affaiblissement de la fonction présidentielle et qu'il importait, pour la renforcer, d'élire le Président de la République avant l'Assemblée nationale, ainsi qu'il en avait été décidé en 1958, ceci ayant été largement avalisé par la suite par les citoyens.
J'observerai qu'on ne voit pas vraiment en quoi on renforcerait ainsi la fonction présidentielle car les citoyens peuvent parfaitement élire par la suite une assemblée non conforme aux voeux du Président nouvellement élu afin, en quelque sorte, de ne pas mettre, comme le dit la sagesse populaire, « tous leurs oeufs dans le même panier ».
M. Rémond, paradoxalement, a d'ailleurs reconnu que l'adoption du quinquennat lui semblait avoir eu pour effet d'augmenter les risques de cohabitation.
C'est M. Guy Carcassonne, professeur à l'université Paris-X et chroniqueur bien connu, qui a ensuite tenté de nous éclairer.
Il a indiqué tout d'abord qu'il était convaincu depuis 1997 de l'utilité de l'inversion du calendrier électoral de 2002 qu'à l'inverse du Premier ministre il avait donc prévue.
Il a affirmé que, de son point de vue, le rétablissement du calendrier était à la fois constitutionnellement possible et institutionnellement indispensable.
Il a indiqué qu'à plusieurs reprises des mandats électifs avaient pu être prorogés avec l'assentiment du Conseil constitutionnel, celui-ci exerçant un contrôle sur les objectifs justifiant une telle opération. Il a toutefois observé que le mandat des députés n'avait jamais été modifié sous la Ve République et que la présente proposition de loi organique n'était pas contraire à la Constitution.
Il a néanmoins reconnu que le rétablissement envisagé du calendrier électoral pour 2002 ne pouvait constituer une garantie de pérennité de l'ordre ultérieur des échéances électorales ; il a estimé cette opération indispensable, le calendrier actuel constituant, selon lui, une incongruité politique au regard du fonctionnement institutionnel de la Ve République caractérisé par le fait majoritaire.
Il a observé que l'élection présidentielle intervenue en 1958 après les législatives ne pouvait être citée comme contre-exemple dans la mesure où il ne s'agissait pas d'une élection au suffrage universel et où l'autorité du président élu, le général de Gaulle, était incontestée. On peut s'interroger sur la valeur d'un élément intuitu personae dans le débat constitutionnel !
Il a évoqué les périodes de 1974 à 1995 au cours desquelles le Président de la République n'a pas sollicité le renouvellement de l'Assemblée nationale par le biais d'une dissolution. C'est ainsi que les gouvernements de MM. Raymond Barre et Alain Juppé s'étaient, selon lui, heurtés à une sorte de dislocation de leur majorité.
M. Carcassonne a estimé que le seul moyen d'assurer la solidité du pacte majoritaire était de faire suivre l'élection présidentielle par les élections législatives.
Certes, mais à condition que le résultat des élections législatives soit conforme aux voeux du Président nouvellement élu : s'il ne l'est pas, tout ce beau raisonnement tombe à l'eau !
M. Carcassonne a d'ailleurs conclu son propos en estimant que le calendrier électoral n'était pas de nature à infléchir la nature du régime vers un modèle de type plutôt présidentiel ou plutôt parlementaire et qu'il était également sans effet sur l'importance du rôle joué par le Parlement dans le schéma institutionnel. Il a observé que les périodes ayant suivi les élections législatives de 1973 et de 1993, lesquelles avaient précédé l'élection présidentielle, ne s'étaient pas caractérisées par une revalorisation du rôle du Parlement.
Dans ces conditions, à quoi sert-il d'inverser le calendrier électoral ?
En réponse à une question de notre collègue Henri de Richemont, qui lui demandait si l'inversion du calendrier électoral n'avait pas pour seul objet d'éviter les dissensions au sein de la majorité gouvernementale, le professeur Carcassonne a estimé que pareils objectifs suffisaient à justifier la mesure.
Mais alors, mes chers collègues, ne se trouve-t-on pas dans ces conditions devant la dissolution de convenance que critiquait le professeur Rémond ?
M. Patrick Lassourd. Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck. M. Didier Maus, professeur à l'université Paris-I et codirecteur de la Revue française de droit constitutionnel , a indiqué pour sa part « que si on veut que l'élection présidentielle demeure l'acte essentiel de la vie politique, il faut qu'elle ait lieu en premier ».
Il a cependant regretté que les problèmes liés au calendrier électoral n'aient pu être réglés deux ans avant les élections de 2002 - encore quelqu'un qui, contrairement au Gouvernement, s'était aperçu de ces problèmes -, le télescopage des calendriers n'ayant pas été évoqué plus en amont, notamment au moment des débats parlementaires relatifs au quinquennat, bien qu'il ait indiqué qu'une modification du calendrier électoral s'avérait de toute façon indispensable, indépendamment des débats sur la durée du mandat présidentiel.
Bien qu'il ait signalé qu'aucun précédent significatif depuis quarante ans ne pouvait servir d'exemple, qu'il s'agisse des élections de 1969, de 1974, de 1981 ou de 1988, il a estimé que, contrairement au cas présent où le télescopage des calendriers était annoncé depuis la dissolution de 1997, aucun des enchaînements précédents n'avait été prévu ou annoncé par avance.
On peut de même s'interroger sur la pertinence absolue de l'argument qui consiste à indiquer - ce qui est évidemment juste - que le Président de la République est l'élément pilote de la vie politique et qu'il faut assurer sa prééminence. Il convient donc d'éviter ce que M. Maus appelle une incohérence constitutionnelle, et donc permettre que la majorité parlementaire soit un fidèle soutien du Président de la République. Toutefois, M. Maus, pas plus que les autres tenants de cette théorie, ne fournit le moyen d'être assuré que le peuple en décidera bien ainsi !
Je parlais tout à l'heure de ce qui me semblait être écrit en filigrane. M. Maus en a fourni une illustration lorsqu'il a pointé la difficulté de dénomination de cette opération. Il a relevé plusieurs expressions employées pour qualifier cette modification de la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale, évoquant tour à tour l'inversion, le rétablissement, la modification, la remise en cause et l'aménagement. Il a constaté - comme il a raison ! - que chaque mot était une arme, que l'inversion révélait une connotation péjorative tandis que le rétablissement relevait d'un vocabulaire erroné puisqu'il s'agissait non pas de revenir à une situation antérieure mais d'appréhender une situation à venir. Il a marqué sa préférence pour le terme « aménagement », estimant qu'il reflétait une plus grande neutralité dans le choix du vocabulaire.
On me pardonnera, mais j'y vois pour ma part la reconnaissance implicite de la combinaison - la combinazione , comme disent si bien les Florentins.
M. Maus a fait valoir que le calendrier pour 2002 issu du texte adopté par l'Assemblée nationale n'était pas rationnel. Il a observé que le premier tour de l'élection présidentielle aurait lieu le 21 avril et le deuxième tour le 5 mai, le mandat du Président de la République Jacques Chirac expirant le vendredi 17 mai.
Il a estimé que les élections législatives ne pourraient avoir lieu que les 2 et 9 juin. Il a souligné que l'ouverture du dépôt de candidatures serait en conséquence fixée le 6 mai, le lendemain de l'élection présidentielle, et que la campagne législative débuterait le 13 mai avant la prise de fonctions du nouveau Président. Il en a déduit que ce délai serait beaucoup trop court pour que le Président de la République puisse façonner une majorité et faire en sorte que les différents camps se positionnent face à lui. Il a rappelé que cette logique avait prévalu en 1981 et en 1988, le Président prenant l'initiative de dissoudre l'Assemblée nationale. Tout ceci est donc de surcroît incohérent !
Il a également évoqué la possibilité de modifier en profondeur le code électoral et de faire en sorte que les élections législatives se déroulent les 9 et 16 juin, ce choix s'accompagnant d'une réduction de la durée de la campagne électorale de trois semaines à quinze jours. Il a estimé que cette solution permettrait de faire débuter la campagne après l'installation du Président de la République.
Evoquer tous ces calculs, c'est véritablement montrer à quel point le fonctionnement normal des institutions est secondaire par rapport aux convenances personnelles !
En conclusion, M. Maus a affirmé que la modification du calendrier électoral était souhaitable, constitutionnellement possible, politiquement logique mais techniquement difficile. Il a insisté sur la nécessité d'attendre que le Président occupe ses fonctions pour entamer les opérations d'organisation des élections législatives. On le voit, nous sommes dans l'impréparation et dans l'improvisation : en fait, c'est n'importe quoi !
M. Pierre Pactet, professeur émérite de l'université de Paris XI, a estimé, pour sa part, que la réforme du calendrier électoral, sans bouleverser le régime de la Ve République, appelait néanmoins de sérieuses réserves tenant à la cohérence institutionnelle.
Regrettant que la révision constitutionnelle relative au quinquennat n'ait pas fait l'objet d'un débat approfondi portant notamment sur ses incidences sur le régime, il a affirmé que celle-ci constituait l'une des plus grandes révisions de la Ve République, comparable à celle de 1962 relative à l'élection au suffrage universel direct du Président de la République et à celle de 1974 ouvrant la saisine du Conseil constitutionnel à l'opposition parlementaire.
Il a rappelé - ce que nous étions d'ailleurs un certain nombre ici à penser - que la révision constitutionnelle relative au quinquennat, décidée afin de rendre la cohabitation moins fréquente, ne pouvait avoir cet effet, dans la mesure où le droit de dissolution était maintenu et où le décès du Président de la République - ou sa démission, ce qui serait une circonstance tout de même plus heureuse - provoquait une nouvelle élection présidentielle du fait de l'absence de vice-président de la République.
Ajoutant que les électeurs, dans un souci d'éviter une trop grande concentration des pouvoirs, pouvaient très bien émettre des votes différents lors des élections législatives et de l'élection présidentielle, il s'est demandé si la motivation du quinquennat ne résidait pas dans une conception nostalgique des périodes de convergence observées au début de la Ve République.
Concernant la logique des institutions de la Ve République, il a noté que le régime, à l'origine conçu en réaction contre le régime des partis, avait beaucoup évolué et était redevenu un régime de partis, semblable en cela aux autres démocraties occidentales. Il a ajouté que le Président de la République ne demeurait la clé de voûte du régime que dans l'hypothèse où il était soutenu par la majorité parlementaire, celle-ci constituant le véritable moteur du régime depuis la cohabitation.
Il a regretté que le quinquennat, premier pas vers un régime présidentiel, puisse être suivi d'un second pas plus accentué, celui de l'inversion du calendrier électoral.
Il a de plus regretté le « pointillisme constitutionnel » consistant à réviser la Constitution par réformes successives, au détriment d'une vision d'ensemble des institutions, aboutissant à insérer des dispositions contradictoires dans le texte constitutionnel.
En conclusion, il a noté qu'il n'était pas cohérent de modifier le calendrier électoral sans agir sur le droit de dissolution ni, bien sûr, tenir compte du décès éventuel du Président de la République. Il s'est ensuite prononcé contre l'inversion du calendrier électoral, jugeant choquant de chercher à influencer le résultat des urnes en agissant sur la date des élections. C'est précisément, chacun l'aura compris, le sentiment que je m'étais forgé.
Enfin, la commission a entendu M. Louis Favoreu, professeur à l'université Aix-Marseille-III et autre co-directeur de la Revue française de droit constitutionnel.
Il a regretté le penchant français pour les réformes institutionnelles. Il a, en effet, jugé préférable de toucher le moins possible aux institutions, estimant que les conséquences de telles réformes étaient difficiles à prévoir.
Il a indiqué qu'il considérait depuis longtemps que le droit devait encadrer la vie politique et que la réforme des institutions ne devait pas être utilisée pour réaliser des « coups politiques ».
Il a rappelé que le Conseil constitutionnel serait saisi obligatoirement de la présente loi organique et pourrait être sensible à certaines observations effectuées au cours des débats parlementaires.
Il a mis en doute l'existence soudaine d'une conception gaullienne des institutions, imposant une inversion du calendrier, et dénié, en toute hypothèse, toute valeur normative à une telle conception.
M. Favoreu a souligné que l'édifice conçu pourrait être ruiné par une dissolution - cela ne lui a pas échappé non plus, bien sûr -, la Constitution, rappelons-le, prévoyant en pareil cas la tenue d'élections entre vingt et quarante jours après celle-ci. Il a donc observé que le Gouvernement n'avait pas pris la responsabilité de déposer un projet de loi, préférant soutenir une proposition de loi, ce qui lui permettait ainsi d'éviter l'examen du texte par le Conseil d'Etat et son adoption en conseil des ministres sous la présidence du Président de la République.
Il s'est ensuite attaché à montrer que la réforme entreprise allait à l'encontre de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Je vous prie de me pardonner de m'y attacher un peu longuement, mais nous sommes là au coeur de l'aspect juridique et constitutionnel de cette question.
M. Philippe Marini. Ce n'est pas long, c'est très intéressant !
M. Alain Gournac. C'est effectivement très intéressant !
M. Louis de Broissia. C'est très fin !
M. Jean-Pierre Schosteck. Mes chers collègues, je suis très sensible à l'intérêt que vous portez à mes propos. Je n'ai donc rien à me faire pardonner ! (Sourires.)
Nous sommes au coeur de l'aspect juridique et institutionnel de cette question, disais-je, et il serait donc paradoxal que nous considérions cet aspect des choses comme subalterne.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck. Les quatre décisions du Conseil constitutionnel sur des reports de dates d'élections sont intervenues en 1990, en 1994 pour deux d'entre elles, et en 1996. Elles concernaient la prorogation du mandat des membres d'assemblées locales, à savoir les conseils municipaux et les conseils généraux pour les trois premières et une assemblée territoriale d'outre-mer pour la dernière, mais les enseignements que l'on peut en tirer s'appliquent a fortiori à la prorogation du mandat de l'Assemblée nationale.
M. Favoreu a ainsi observé que le Conseil constitutionnel avait à chaque fois validé la démarche tout en la subordonnant au respect de conditions strictes, à savoir le caractère exceptionnel et transitoire de la prorogation et l'existence d'une réelle justification. Il a noté que les motifs retenus par le Conseil avaient été, par exemple, de favoriser la participation des électeurs, d'assurer la continuité de l'administration départementale, d'éviter la concomitance des élections avec une réforme sur le statut des élus, de permettre aux électeurs d'être mieux informés des conséquences de leur choix.
Observant que cette jurisprudence était évidemment transposable au cas d'une élection nationale, il a indiqué que le Conseil constitutionnel serait donc amené à exercer un véritable contrôle des motifs de la modification proposée alors que, en doctrine, il avait été relevé que le début d'un tel contrôle avait été observé justement à propos des décisions précitées de 1990 et 1994.
M. Favoreu a ensuite récusé l'idée selon laquelle le Conseil constitutionnel aurait donné, par avance, une justification à l'inversion du calendrier dans ses recommandations du 23 juillet 2000 et il a estimé que la seule préoccupation exprimée par le Conseil constitutionnel, à savoir le respect de la date limite de présentation des candidats, pouvait être parfaitement satisfaite par une fixation de la date des élections législatives aux 3 et 10 mars et par une clôture des présentations pour l'élection présidentielle au 2 avril à minuit, pour une élection présidentielle fixée aux 21 avril et 5 mai. Il a remarqué que le 19 décembre 2000, à l'Assemblée nationale, le ministre de l'intérieur l'avait reconnu explicitement.
Soulignant qu'il n'y avait donc pas de justification technique et, en conséquence, pas de motif à l'inversion des élections, il a fait valoir que la seule motivation était d'ordre politique et qu'elle était de surcroît plutôt floue, le contenu de « l'esprit des institutions » variant selon les interlocuteurs. Il en a conclu qu'il flottait comme un parfum de « détournement de pouvoir ».
Il a rappelé que certains avaient estimé que la proposition pouvait apparaître soit comme un coup de semonce en réponse à l'intervention du Président de la République lors de la crise de la « vache folle », soit comme un instrument ayant pour objet réel de favoriser l'élection de certains. Il a toutefois, lui aussi, souligné que les résultats de l'inversion du calendrier étaient difficilement prévisibles selon les spécialistes.
Il a fait ressortir qu'un projet de loi, à l'instar des quatre projets de loi précédents, aurait comporté un exposé des motifs clair permettant au Conseil constitutionnel d'exercer un contrôle, ce qui n'est pas le cas de la proposition de loi organique, dont les motifs avancés restent diffus, qu'il s'agisse du respect d'une logique institutionnelle de la Ve République ou de la mise en cohérence avec la réforme du quinquennat.
En conclusion, le professeur Favoreu a considéré - ce qui est important - que, dans un Etat de droit, les choix politiques devaient reposer sur des bases juridiques claires, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence.
Comme vous le voyez, mes chers collègues, finalement, le Premier ministre, une fois encore, se montre préoccupé de lui-même et de son avenir, plus que de celui des Français et des institutions. Le marchandage auquel il se livre, par exemple, avec les communistes pour obtenir d'inverser à tout prix le calendrier électoral est significatif. Il n'a pas, ce faisant, un comportement en harmonie avec les hautes fonctions auxquelles, semble-t-il, il aspire.
Les institutions ne sont pas à remettre sans cesse en cause. Elles sont un des moyens de l'action politique.
Les socialistes, et tout d'abord le célèbre auteur du Coup d'Etat permanent, François Mitterrand, se rallient à la Ve République « toute honte bue », à condition, évidemment, qu'ils en prennent la tête et qu'elle les serve.
M. Patrick Lassourd. Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck. Le débat qui a été lancé sur l'inversion du calendrier électoral a conduit les partisans de l'inversion à jouer à contre-emploi.
Alors que leur famille politique a, depuis des décennies, cherché à réduire le pouvoir exécutif et celui du Parlement, voilà « nos bons apôtres » promus défenseurs de l'institution présidentielle !
Les auteurs du Programme commun de gouvernement, en 1972, déploraient : « Dans le régime actuel, le chef de l'Etat détient, dans la conduite de la politique intérieure et extérieure, des pouvoirs exorbitants qu'il exerce sans contrôle. »
Et voilà que soudain, en 2001, et en toute contradiction, un zélateur de circonstance, M. Jospin, avec cette belle audace que l'on connaît aux néophytes, se veut le défenseur de l'institution présidentielle, contre toute la tradition de son parti.
Comment peut-il alors nous faire croire à sa bonne foi ? Ce n'est réellement ni sérieux ni crédible.
Aujourd'hui, c'est le Premier ministre qui veut inverser le calendrier électoral, contre l'avis du Président de la République. Ce dernier, comme le général de Gaulle lui-même, n'a jamais perturbé le calendrier électoral autrement qu'en faisant jouer le droit de dissolution que lui reconnaît la Constitution, dans son article 12.
Or le Premier ministre s'arroge aujourd'hui le droit d'en disposer autrement.
Le 9 février 1967, le général de Gaulle déclarait : « Il s'agit que l'Assemblée future soit capable de soutenir une politique. » Jacques Chirac ne se fait que le digne continuateur du général de Gaulle, car la politique qu'il s'agit de soutenir, c'est bien sûr la sienne, celle du Président en place, et non celle d'un hypothétique autre vainqueur d'une élection présidentielle à venir.
M. Jospin veut, à n'en pas douter, remettre les compteurs à zéro ; il veut sans doute se débarrasser, avant qu'elle ait été élue, d'une Assemblée nationale renouvelée et gênante.
Mais si, d'aventure, ce nouveau grand défenseur de la Ve République venait à être élu Président de la République, il pourrait toujours, une fois élu, recourir au droit de dissolution, prérogative que nul d'ailleurs ne peut ni ne veut supprimer au Président. Pourquoi redoute-t-il de prendre ses responsabilités ? Parce qu'il sait parfaitement que le vote des Français aux élections législatives en faveur de l'actuelle opposition sonnerait le glas de ses espérances présidentielles.
Faut-il encore citer, par exemple, les Mémoires d'Espoir ? Charles de Gaulle, en effet, y écrivait : « Dès lors que je demandais au pays d'arracher l'Etat à la discrétion des partis en décidant que le Président, et non plus le Parlement, serait la source du pouvoir et de la politique, mieux valait prendre quelque délai avant d'achever cette immense mutation. »
C'est aujourd'hui « la discrétion des partis », mais pas dans la bonne acception du terme, qui veut l'inversion du calendrier électoral, et ce, hélas ! jusque dans les rangs de l'actuelle opposition.
C'est aujourd'hui le Parlement qui se veut la source du pouvoir et de la politique en votant l'inversion du calendrier électoral à la demande d'un Premier ministre en guerre ouverte contre le Président élu.
Mais quelle est donc la légitimité d'un Premier ministre non désigné directement par le suffrage universel, socle de la démocratie, en face de celle du Président de la République ?
Le Premier ministre ne sort-il pas de son rôle lorsque, par exemple, il joue au Président bis à l'étranger ? La cohabitation n'est-elle pas ce « coup d'Etat permanent » que le Premier ministre tente contre le Président ?
Matignon ne serait-il plus, en quelque sorte, qu'un « Charlety » qui aurait réussi, sans traverser la Seine pour aller, jusqu'à l'Elysée, déloger le Président ?
M. Jospin ne serait-il qu'un nouvel avatar du boulangisme qui s'arrêterait aux portes de l'Elysée (Exclamations sur plusieurs travées du RPR) en attendant que le suffrage universel, « reconditionné » par ses soins, lui ouvre les portes du palais présidentiel, sans coup férir ?
Le peuple français n'est pas dupe du jeu des partis qui tentent maintenant de biaiser les conditions de l'élection du Président au suffrage universel faute d'avoir pu l'empêcher ni en 1962, ni ensuite.
Le peuple français reconnaît les manipulateurs qui se déguisent en défenseurs de la Ve République, pour mieux l'abattre.
L'actuelle majorité et, à sa tête, le Premier ministre, n'ont pas de racines politiques dans l'histoire de la Ve République. Ils tentent donc seulement, comme le coucou, de s'installer par effraction idéologique dans le nid du gaullisme, comme ils tentent aussi de le faire par leurs menus projets d'épargne salariale, pour ne citer que celui-là, face à la grande bataille de la participation dans l'entreprise.
Ces usurpateurs volatiles devraient regagner le vieux pigeonnier vermoulu des ennemis de la Ve République ! (Applaudissements sur les travées du RPR. - M. Marcel Lesbros applaudit également.)
Non, décidément, nous, membres du groupe du RPR, du Sénat, nous ne pouvons accepter une telle proposition, et vous conviendrez que, pour toutes ces raisons, nous vous dirons non. Non, nous ne pouvons pas nous engager dans cette voie. Nous la refusons.
En conclusion, je vous suggère de méditer la phrase célèbre de l'auteur des Chênes qu'on abat : « Vous qui briguez la fonction suprême, levez les yeux sur ces crieurs du non qui se relaient au-dessus de la flotte nocturne des vivants. » Comme pour Malraux en effet, pour nous, sénateurs du RPR : c'est non, trois fois non ! Non à la tromperie ! Non aux faux-semblants ! Non à l'aventure institutionnelle ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Marcel Lesbros applaudit également.)

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