SEANCE DU 10 JANVIER 2001
M. le président.
« Art. 1er. - Dans le chapitre III du titre VIII du livre Ier du code civil,
il est inséré un article 370-3 ainsi rédigé :
«
Art. 370-3
. - L'adoption régulièrement prononcée dans le pays
d'origine de l'adopté produit les effets prévus par la loi française pour
l'adoption plénière ou l'adoption simple lorsque l'adoptant est de nationalité
française ou réside habituellement en France.
« Lorsque l'adoption prononcée dans le pays d'origine de l'adopté n'a pas pour
effet de rompre le lien préexistant de filiation, celle-ci peut être convertie
en adoption plénière si les consentements requis ont été donnés expressément en
connaissance de cause de ses effets.
« Le prononcé de l'adoption en France d'un mineur, dont la loi personnelle
reconnaît l'adoption, requiert le consentement du représentant légal de
l'enfant. Le consentement doit être libre, obtenu sans aucune contrepartie,
après la naissance de l'enfant et éclairé sur les conséquences de l'adoption,
en particulier s'il est donné en vue d'une adoption plénière.
« La loi française s'applique aux conditions et aux effets de l'adoption si la
législation du pays d'origine n'y fait pas obstacle. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 2, M. About, au nom de la commission, propose de rédiger
comme suit cet article :
« Dans le chapitre III du titre VIII du livre Ier du code civil, sont insérés
les articles 370-3 à 370-5 ainsi rédigés :
«
Art. 370-3. -
Les conditions de l'adoption sont soumises à la loi
nationale de l'adoptant ou, en cas d'adoption par deux époux, par la loi qui
régit les effets de leur union. L'adoption ne peut toutefois être prononcée si
la loi nationale de l'un et l'autre époux la prohibe.
« L'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle
prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en
France.
« Quelle que soit la loi applicable, l'adoption requiert le consentement du
représentant légal de l'enfant. Le consentement doit être libre, obtenu sans
aucune contrepartie, après la naissance de l'enfant et éclairé sur les
conséquences de l'adoption, en particulier, s'il est donné en vue d'une
adoption plénière, sur le caractère complet et irrévocable de la rupture du
lien de filiation préexistant.
«
Art. 370-4. -
Les effets de l'adoption prononcée en France sont ceux
de la loi française.
«
Art. 370-5. -
L'adoption régulièrement prononcée à l'étranger produit
en France les effets de l'adoption plénière si elle rompt de manière complète
et irrévocable le lien de filiation préexistant. A défaut, elle produit les
effets de l'adoption simple. Elle peut être convertie en adoption plénière si
les consentements requis ont été donnés expressément en connaissance de cause.
»
Par amendement n° 6, Mme Borvo et les membres du groupe communiste républicain
et citoyen proposent de rédiger comme suit le texte présenté par l'article 1er
pour l'article 370-3 du code civil :
«
Art. 370-3. -
Les conditions de l'adoption sont régies par la loi de
l'Etat où l'adoptant à sa résidence habituelle.
« L'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle
prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né ou réside habituellement en
France.
« Quelle que soit la loi applicable, l'adoption requiert le consentement du
représentant légal de l'enfant. Le consentement doit être libre, obtenu sans
aucune contrepartie, après la naissance de l'enfant et éclairé sur les
conséquences de l'adoption, en particulier, s'il est donné en vue d'une
adoption plénière, sur le caractère complet et irrévocable de la rupture du
lien de filiation préexistant.
« Les effets de l'adoption prononcée en France sont ceux de la loi française.
»
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 2.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Comme je m'en suis expliqué tout à l'heure dans mon
intervention liminaire, il s'agit ici de réécrire l'article 370-3 du code
civil, pour le présenter sous la forme de trois articles séparés.
Sur le fond, cette rédaction vise donc à soumettre les conditions de
l'adoption prononcée en France à la loi nationale de l'adoptant, et non à la
loi française dans tous les cas, et prévoit le cas de l'adoption par deux
époux.
En effet, il est apparu que la résidence pouvait fluctuer et qu'il ne
convenait pas, dans l'intérêt de l'enfant, de permettre une adoption qui
risquerait de ne pas être reconnue dans le pays d'origine d'adoptants
étrangers.
Les effets de l'adoption sont, en revanche, comme dans le texte adopté par
l'Assemblée nationale, soumis à la loi française dans tous les cas, de façon
que ne coexistent pas en France une multitude de statuts différents. Notre
rédaction prévoit de soumettre les effets en France de l'adoption à la loi
française dans tous les cas.
En outre, elle affirme nettement l'interdiction de l'adoption d'un mineur
étranger dont la loi personnelle prohibe cette institution, mais prévoit une
exception pour les mineurs nés en France et y résidant.
Enfin, elle précise que l'adoption plénière est marquée par le caractère
complet et irrévocable de la rupture du lien de filiation préexistant et que le
consentement à l'adoption plénière doit être donné en connaissance de cause.
C'est non l'adoption elle-même qui doit être irrévocable dans le pays
d'origine, mais la rupture du lien de filiation.
Sur la forme, il est donc apparu préférable de scinder l'article 370-3 du code
civil en plusieurs articles, pour en améliorer la lisibilité : le nouvel
article 370-3 traite des conditions du prononcé de l'adoption en France,
l'article 370-4 concerne les effets de l'adoption prononcée en France et
l'article 370-5 aborde les effets en France de l'adoption prononcée à
l'étranger.
M. le président.
La parole est à Mme Borvo, pour défendre l'amendement n° 6.
Mme Nicole Borvo.
Je me suis, moi aussi, déjà expliquée lors de la discussion générale. C'est
évidemment une conception différente que j'énonce en proposant que les
conditions de l'adoption soient celles que prévoit la loi de l'Etat dans lequel
le ou les adoptants ont leur résidence habituelle.
Notre rédaction permettrait, me semble-t-il, de résoudre simplement la
question qui se pose lorsque les deux époux adoptants sont de nationalités
différentes.
A l'inverse, l'application de la loi du pays de l'adoptant, solution que
défend la commission, aboutit à refuser le droit d'adoption aux intéressés si
leur loi nationale prohibe cette institution, ce qui semble particulièrement
injuste dans certains cas.
Prenons ainsi l'exemple d'un couple d'Algériens vivant en France depuis de
nombreuses années et ne pouvant avoir d'enfant. Si la loi du pays de l'adoptant
est appliquée, ils ne pourront pas adopter, la loi algérienne l'interdisant. La
seule possibilité qui leur est alors laissée est de demander, dans leur pays,
une
kafala
, ce qui équivaut à une délégation d'autorité parentale.
Cependant, il ne leur sera pas possible de faire venir l'enfant en France
puisque les procédures de regroupement familial ne reconnaissent pas ce type
d'institution !
M. Nicolas About,
rapporteur.
Si !
Mme Nicole Borvo.
On nous répond que, s'ils ont envie d'adopter un enfant, ils n'ont qu'à
demander à devenir Français ! Je ne peux pas souscrire à un tel raisonnement,
qui lie demande de nationalité et volonté d'adopter. Cela aboutit en effet à
créer une discrimination entre les étrangers intégrés en France et y vivant
régulièrement selon qu'ils peuvent fonder « naturellement » une famille, auquel
cas ils peuvent conserver leur nationalité, ou qu'ils ne le peuvent pas mais
souhaitent néanmoins fonder une famille en adoptant un enfant. Imposer à ces
derniers de demander la nationalité française, qu'ils ne sont d'ailleurs pas
certains d'obtenir, est discriminatoire.
Certes, j'ai conscience qu'une telle solution laisse subsister le problème de
l'acceptation de la situation d'adoption par le pays d'origine de l'adoptant au
cas où celui-ci irait y séjourner. Néanmoins, outre le fait que l'adoptant n'a
pas forcément vocation à revenir dans son pays, il n'existe pas de règle idéale
qui permette d'englober l'ensemble des situations. C'est pourquoi j'insiste à
nouveau sur la nécessité de négociations bilatérales pour prévenir les
conflits.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 6 ?
M. Nicolas About,
rapporteur.
Sur le fond, la commission a estimé qu'il était plus
protecteur pour l'enfant d'appliquer la loi nationale de l'adoptant. C'est en
effet le seul moyen d'éviter le prononcé d'adoption qui ne seraient pas
reconnues dans le pays d'origine des parents si ceux-ci décidaient d'y
retourner. Or, par définition, s'ils sont originaires d'un pays étranger, ils y
retourneront un jour ou l'autre. S'ils veulent tout de même adopter un enfant,
ils ont la possibilité, s'ils sont résidents de longue durée, de demander la
nationalité française, ce qui leur ouvre sans aucun problème le droit à
l'adoption.
En tout état de cause, l'amendement n° 6 est incompatible avec celui de la
commission des lois. En effet, celui-ci réécrit tout l'article 1er, alors que
l'amendement présenté par Mme Borvo ne traite pas des effets de l'adoption
prononcée à l'étranger. Il est donc incomplet et, sur le fond, il ne correspond
pas à la position arrêtée par la commission.
Je me permettrai également de dire à Mme Borvo que, en ce qui concerne le cas
de l'Algérie, l'exemple était peut-être mal choisi. En effet, la
kafala
est une solution possible et l'on peut alors obtenir un visa afin que l'enfant
puisse venir en France, car un accord existe avec l'Algérie - ce n'est pas le
cas avec le Maroc - dans l'optique du regroupement familial.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 2 et 6 ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Le Gouvernement émet un avis favorable sur l'amendement
n° 2.
En effet, sur la forme, cet amendement vise à restructurer le dispositif
élaboré en trois articles, qui distinguent désormais clairement la loi
applicable aux conditions de l'adoption de celle qui est applicable à ses
effets et de l'efficacité en France des décisions étrangères d'adoption.
Sur le fond, l'amendement n° 2 reprend plus nettement la solution énoncée par
l'Assemblée nationale concernant l'interdiction d'adopter des enfants de statut
personnel prohibitif - solution qui est pleinement en harmonie avec nos
engagements internationaux - tout en y apportant cependant des tempéraments qui
ne sont pas contestables. Il n'est pas choquant, en effet, de permettre
l'adoption de ces enfants lorsqu'ils ont un lien particulièrement étroit avec
notre pays.
Cet amendement complète par ailleurs les exigences relatives à la teneur du
consentement nécessaire à l'adoption plénière, en prévoyant qu'il doit porter
sur le caractère complet et irrévocable - j'y insiste - de la rupture du lien
de filiation. Cette précision est très utile, car elle est de nature à garantir
que le représentant légal de l'enfant consent à l'adoption en pleine
connaissance de cause.
L'amendement n° 2 prévoit de soumettre désormais les conditions de l'adoption
à la loi nationale de l'adoptant et non plus à la seule loi française, ce qui
est conforme à la jurisprudence et à la logique des règles de conflit en
matière d'état des personnes.
Enfin, cet amendement tend à soumettre les effets de l'adoption prononcée en
France à la loi française, dans le souci de ne pas multiplier les régimes
d'adoption applicables en France.
Sur ce dernier point, il est toutefois possible de s'interroger sur
l'opportunité d'abandonner la condition de nationalité française ou de
résidence habituelle de l'adoptant en France qui figurait dans le texte adopté
par l'Assemblée nationale. Toutes les implications de la suppression de cette
condition méritent certainement d'être pleinement mesurées : ainsi, est-il
vraiment souhaitable qu'un couple américain, qui adopterait, lors d'un séjour à
titre professionnel en France, un enfant roumain, voie la situation de cet
enfant toujours régie par la loi française, même après son retour aux
Etats-Unis ?
M. Nicolas About,
rapporteur.
Seulement pour les effets en France !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
La suite du travail parlementaire permettra, je n'en
doute pas, d'approfondir ce débat. Je suis donc favorable à l'amendement n°
2.
En ce qui concerne l'amendement n° 6, présenté par Mme Borvo, je comprends les
motivations de ses auteurs, mais je pense que, sur le plan technique, il nous
est impossible de l'accepter.
En effet, il vise à soumettre les conditions de l'adoption à la loi du pays de
résidence de l'adoptant. Or la loi du statut personnel de l'adoptant, qui a
vocation à s'appliquer, est, conformément au droit international privé tel
qu'appliqué de façon constante par la jurisprudence, la loi nationale de
l'intéressé. Celle-ci traduit en effet un rattachement plus étroit et plus
stable, donc plus satisfaisant, que la résidence.
Par ailleurs, après avoir prévu que le mineur dont le statut personnel prohibe
l'adoption ne peut pas être adopté en application de la loi française, il
soustrait à cette règle le mineur qui est né en France ou qui y réside. Ces
critères pris alternativement et non cumulativement ne permettent pas d'établir
un rattachement suffisamment étroit à la France, soit de nature à justifier
l'exception à cette règle, laquelle pourrait être aisément contournée.
J'imagine que tout le monde entrevoit comment...
Enfin, il ne reprend pas les dispositions, pourtant essentielles, figurant aux
premier et deuxième alinéas de l'article 370-3 tel qu'adopté par l'Assemblée
nationale et concernant les effets des décisions prononcées à l'étranger.
J'aurais donc souhaité, madame Borvo, que vous retiriez cet amendement, car il
nous est impossible de l'accepter, même si nous comprenons parfaitement les
motivations que vous avez énoncées au nom de votre groupe.
M. le président.
Madame Borvo, l'amendement n° 6 est-il maintenu ?...
Mme Nicole Borvo.
Je le retire, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 6 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 1er est ainsi rédigé.
Articles additionnels après l'article 1er