SEANCE DU 21 DECEMBRE 2000


ADAPTATION AU DROIT COMMUNAUTAIRE
DANS LE DOMAINE DES TRANSPORTS

Adoption des conclusions
d'une commission mixte paritaire

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 123, 2000-2001) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, je présenterai très brièvement les conclusions de la commission mixte paritaire, qui est parvenue à un accord sur un texte qui deviendra donc, si vous en décidez ainsi, mes chers collègues, la loi.
Je voudrais, en premier lieu, rendre hommage à notre collègue député Mme Odile Saugues. Elle a fait preuve de beaucoup de compréhension et d'ouverture d'esprit. C'est d'ailleurs ce qui a permis, pour l'essentiel, à la commission mixte paritaire d'aboutir.
Le projet de loi initial comportait vingt articles traitant des adaptations au droit communautaire dans le domaine des transports. A l'issue de la première lecture, ce texte en comptait vingt-six. Parmi ceux-ci, vingt-quatre ont été adoptés par l'Assemblée nationale et par le Sénat au cours de la navette.
Ce texte porte adaptation du droit français au droit communautaire. Il s'agit du premier texte de ce genre à être examiné par le Parlement. Depuis que nous en avons été saisis, un autre texte de cet ordre, qui concerne l'agriculture, a été déposé. Ils seront suivis d'une longue série. C'est le début sinon de ce qui deviendra une tradition, en tout cas d'un exercice parlementaire qui sera de plus en plus fréquent.
Les huit sujets traités concernaient la suppression du monopole dont bénéficiaient les courtiers interprètes et conducteurs de navire, la francisation des navires, le cabotage maritime entre ports français, l'importation de charbon par voie maritime, le contrôle à bord de la sécurité des normes européennes des navires, les aptitudes et habilitations à la conduite d'un aéronef, le transport routier non urbain de personnes sur le territoire national, et l'affrètement de marchandises par voie navigable.
Seuls deux articles restaient en discussion, qui, à nos yeux, constituent des points fondamentaux.
Il s'agit, tout d'abord, de l'article 2, qui traite des courtiers maritimes. Tous ceux qui représentent un département maritime - et nous sommes quelques-uns dans cet hémicycle - connaissent l'importance de l'enjeu.
Les courtiers maritimes avaient un monopole. Celui-ci leur est retiré, car nous avons l'obligation d'adapter notre législation au droit européen. Le retrait de ce monopole entraîne de fait, j'allais dire de jure, la suppression du droit de présentation. Cette disparition d'un monopole, d'une part, et d'un droit de présentation, d'autre part, doit, bien sûr, ouvrir droit à indemnité.
Les deux chambres du Parlement ont fait une lecture différente de l'article 2. Le Sénat considérait que la notion de monopole était fondamentale et devait être rappelée, puisqu'elle est partie prenante sinon du calcul de l'indemnité en tout cas de la notion d'indemnité. L'Assemblée nationale ne l'entendait pas ainsi et n'a retenu que la suppression du droit de présentation à un successeur. Nous avons fait un effort dans ce domaine au sein de la commission mixte paritaire, en abandonnant ce qui relevait plutôt du formalisme juridique et en conservant, au nom du pragmatisme, ce qui permettait d'asseoir la notion d'indemnité. Ainsi, grâce à un effort de part et d'autre, nous sommes parvenus à une rédaction commune sur l'article 2.
Si nous avons « cédé » - encore que cet exercice fut relativement facile - c'est tout simplement parce que l'article 4 comporte des dispositions relatives au principe de l'indemnisation.
En l'occurrence, il y a une différence notable, monsieur le ministre, entre la position du Gouvernement et celle qui a été formulée par le Sénat. Le Gouvernement a restreint la capacité d'indemnisation à un point tel que ce qui est prévu aujourd'hui ne suffira pas pour régler les frais de la suppression de la charge. Cela signifie que les courtiers maritimes seront pénalisés par une disposition qui ne tient pas compte de la réalité de leur exercice.
C'est la raison pour laquelle le Sénat avait retenu une autre disposition pour l'article 4. Il s'agissait, si mes souvenirs sont exacts, de calculer la moyenne des années 1992 à 1996 de la charge en termes de chiffre d'affaires et de bénéfices. La moyenne de ces deux calculs devenait la référence à laquelle était affecté un coefficient multiplicateur raisonnable. A l'arrivée, la différence est notable en termes de montant d'indemnisation.
Cette mauvaise manière faite aux courtiers maritimes provoquera probablement un recours devant le Conseil constitutionnel. En effet, il y a là manifestement pénalisation et dol pour une profession qui est dans l'obligation de s'adapter du fait de la loi.
S'agissant de la rédaction que le Sénat avait alors proposée, le Gouvernement avait invoqué l'article 40 de la Constitution. Dont acte ! La rédaction qui, finalement, a été retenue pour l'article 4 a été adoptée à la fois par le Sénat et par l'Assemblée nationale, faute de mieux, dirai-je.
Le second article qui restait en discussion, c'est l'article 5, dont la portée est tout aussi importante. Il s'agit de la possibilité de reconversion professionnelle qui est offerte aux courtiers maritimes. Puisqu'on leur retire une charge et un monopole, ils doivent pouvoir faire autre chose.
Trois possibilités de reconversion dans des carrières judiciaires et juridiques leur avaient été proposées. Elles ont d'ailleurs été adoptées par les deux chambres du Parlement.
Le Sénat avait proposé également que les courtiers maritimes puissent devenir commissionnaires de transport. Or, et cela nous a quelque peu surpris, le Gouvernement et l'Assemblée nationale se sont opposés à cette disposition. En effet, ces deux professions sont très proches et les courtiers maritimes sont souvent en relation avec les commissionnaires de transport. Le passage d'une profession à l'autre posait peu de problèmes. En effet, on dénombre actuellement environ 12 000 commissionnaires de transport, contre 75 à 80 courtiers maritimes, dont seulement un tiers probablement aurait recours à cette possibilité. L'intégration de 25 ou 30 courtiers maritimes dans une profession qui compte quelque 12 000 membres ne serait pas de nature à bouleverser l'équilibre de cette dernière !
Je me réjouis que l'Assemblée nationale ait accepté cette disposition. Elle est importante pour les courtiers maritimes. Elle était nécessaire pour leur survie. Le bon sens a prévalu.
La commission mixte paritaire est donc parvenue à un accord. Je remercie nos collègues de l'Assemblée nationale de leur esprit d'ouverture, étant précisé que nos collègues du Sénat ont, eux aussi, fait preuve du même esprit d'ouverture.
Je conclurai en évoquant le dernier conseil des ministres européens des transports.
Le Sénat se réjouit des conclusions qui ont été retenues cette nuit par le Conseil. Il s'agit de la mise en place - que nous réclamons depuis des années, et je parle sous le contrôle de ma collègue Mme Heinis, qui le rappelait encore récemment au sujet de la mission d'information sur l' Erika - d'un droit communautaire de la mer.
Nous nous réjouissons, en effet, de voir naître - enfin ! - un droit communautaire de la mer. Nous prenons acte des premières avancées, même si, et M. le ministre le sait, elles sont insuffisantes. Elles devront être retenues par l'OMI, l'Organisation maritime internationale, et c'est une autre affaire, si je puis dire.
Si l'OMI ne voulait pas retenir ces dispositions, j'ai cru comprendre que les Quinze accentueraient la pression et organiseraient encore mieux le droit européen de la mer pour promouvoir une moralisation du transport sur les mers dont nous sommes riverains.
En outre, si nous sommes satisfaits de ce qui a été décidé, encore faudra-t-il, monsieur le ministre, que les moyens suivent pour accompagner ce début de droit européen. Je pense notamment aux moyens de contrôle qui nous ont été promis : nous attendons l'arrivée d'un certain nombre de contrôleurs supplémentaires dans les ports.
Il faudra que le contrôle de l'Etat du port s'améliore. Nous avons également besoin que soit créée une agence de sécurité maritime. Dans les ports riverains de la Manche, de la mer du Nord, de l'océan Atlantique ou de la mer Méditerranée, il est nécessaire que des équipements spécifiques soient mis en place pour que ce qui est prévu dans la loi et dans le droit communautaire devienne une réalité sur les mers.
Enfin, avant de quitter cette tribune, je tiens à remercier les collaboratrices et les collaborateurs de la commission de la qualité de leur travail. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord excuser M. Jean-Claude Gayssot, qui est retenu à Bruxelles, où il préside le dernier conseil des ministres des transports de l'Union européenne de la présidence française. Il m'a demandé de le remplacer pour la présente discussion.
Comme vous le savez, le Gouvernement souhaitait que ce projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports soit adopté avant la fin de notre présidence, c'est-à-dire avant la fin de l'année. L'accord intervenu lors de la commission mixte paritaire nous permet de tenir le délai que nous nous étions préalablement fixé et sur lequel, je crois, l'ensemble des parlementaires étaient d'accord.
Avec ce texte et un certain nombre d'autres, la France aura donc rattrapé une partie très importante du retard qui était le sien dans l'adaptation des textes communautaires à son droit interne.
Il convient de s'en féliciter et de remercier tout particulièrement les sénateurs de la commission des affaires économiques et du Plan, notamment son rapporteur, M. Jean-François Le Grand, de la qualité du travail accompli, dans le sens de la recherche d'un compromis.
Ce texte comporte plusieurs titres et articles traitant du droit maritime : c'est le cas de ceux qui portent sur les courtiers maritimes et sur la francisation des navires. Des dispositions pénales à l'encontre des pratiques de déballastage en mer sont par ailleurs venues enrichir le texte initial au cours de ses différentes lectures devant les deux assemblées.
Aussi, je crois qu'il vous sera agréable d'apprendre qu'hier soir M. Jean-Claude Gayssot a obtenu un accord du conseil des ministres européens des transports sur ce qu'il est convenu d'appeler le « paquet sécurité maritime ». M. Le Grand disait qu'il s'agissait de la naissance d'un droit communautaire de la mer. C'est, je crois, très important, compte tenu des événements que nous avons vécus au cours des dernières années.
Ce premier « paquet », je vous le rappelle, porte sur trois sujets.
Il s'agit de réformer la réglementation européenne portant sur les sociétés de classification, le contrôle des navires dans les ports et l'élimination progressive des navires à simple coque.
Le Conseil a renforcé la responsabilité des sociétés de classification sur le nombre de contrôles systématiques, sur le durcissement de la procédure de bannissement des navires sous normes, qui seront désormais bannis dès la deuxième détention, et, enfin, sur la mise en place obligatoire de « boîtes noires », comme dans les avions.
Ces bases solides permettent d'envisager un accord du Parlement européen à Strasbourg lors de sa session plénière de janvier prochain et une entrée en vigueur des textes dans de brefs délais, mais nous aurons à en débattre puisqu'il s'agit d'une réforme de la réglementation européenne.
De même, il a été décidé que les quinze pays de l'Union parleraient d'une seule et même voix devant l'Organisation maritime internationale sur les modalités de retrait des navires à simple coque lors de la session qui se tiendra en avril. Faute de décision satisfaisante devant cette instance, les Quinze se sont déclarés décidés à prendre des mesures à l'échelon européen dès juin 2001 pour éliminer les navires à simple coque selon un calendrier échelonné de 2003 à 2015, suivant les types de navire et leur âge, avec un contrôle renforcé à partir de 2010.
La France a également obtenu deux engagements des Etats membres. Le premier porte sur une réforme ambitieuse du FIPOL, le fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, et le second sur la ratification de la convention dite « HNS », qui traite de l'indemnisation des dommages liés au transport maritime de substances chimiques.
Les Quinze se sont engagés, en outre, à ratifier la convention de l'Organisation internationale du travail n° 180 et le protocole de la convention de l'OIT n° 147 sur le temps et les conditions de travail des marins.
Enfin, la discussion d'un second « paquet » maritime a été lancée. Il comportera trois nouveaux thèmes : la transparence des informations concernant les navires, la responsabilité des opérateurs et la création d'une agence de sécurité maritime.
En 2000, la réglementation maritime communautaire a donc avancé très vite. Le naufrage de l' Erika et ses conséquences dramatiques auront été le révélateur d'une situation qui ne pouvait plus durer. La volonté de la France et l'action de M. Jean-Claude Gayssot auront été déterminantes dans les progrès enregistrés.
Vous le savez, nous avons obtenu, le mois dernier, des engagements communautaires en matière ferroviaire. Quant aux décisions intervenues hier soir au Conseil des ministres des transports, elles vont, à n'en pas douter, marquer la construction communautaire dans un domaine aussi fondamental pour le développement durable de notre économie que celui des transports.
Pour en revenir plus précisément aux dispositions adoptées par la commission mixte paritaire, le Gouvernement se félicite, bien sûr, de l'accord intervenu et de l'esprit de responsabilité qui a contribué, tout au long des débats, à résoudre les difficultés.
En fait, les dispositions qui restaient en discussion concernaient seulement - M. le rapporteur vient de le rappeler - la situation future des courtiers maritimes, dont le monopole n'est plus conforme au droit communautaire.
Le privilège accordé à la profession de courtier interprète et conducteur de navires datait de Colbert. Une réforme s'imposait.
Le dispositif proposé prend acte de la suppression imposée à l'échelon communautaire et prévoit en contrepartie des mesures compensatoires qui permettront l'adaptation d'une profession dont l'activité n'est pas supprimée, mais qui va maintenant s'exercer, en grande partie, dans un cadre concurrentiel.
Une indemnisation de la perte du droit de présentation par les courtiers de leur successeur à l'agrément ministériel est prévue. Elle sera décidée par une commission selon des modalités de calcul très précises. Un décret en Conseil d'Etat déterminera la composition et le mode de fonctionnement de cette commission.
Les conditions d'indemnisation retenues sont conformes à celles qui ont été adoptées pour d'autres professions qui jouissaient d'un monopole devenu incompatible avec la législation communautaire.
Le texte issu de la commission mixte paritaire définit des mesures assurant la reconversion des courtiers maritimes dans certaines professions juridiques et judiciaires, telles que greffier de tribunal de commerce, huissier de justice ou mandataire judiciaire à la liquidation des entreprises.
Les conditions d'accès accordées aux courtiers maritimes, notamment les dispenses de diplômes et de formation professionnelle, faciliteront leur reconversion. Elles seront fixées par décret en Conseil d'Etat. Le précédent des commissaires-priseurs peut, à ce titre, être pris en compte.
L'activité de commissionnaire de transport sera également accessible aux courtiers maritimes dans des conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat devant définir les conditions particulières de délivrance de l'attestation de capacité professionnelle qui permet d'exercer cette activité, pour laquelle les conditions d'accès ont été récemment relevées. Bon nombre de courtiers pourront probablement exercer leur activité dans ce nouveau cadre concurrentiel.
Pour que leur intégration se fasse dans les meilleures conditions, une concertation préalable aura lieu entre les parties intéressées.
Le Gouvernement accepte donc les conclusions de la commission mixte paritaire, qui sont le fruit de la sagesse des deux assemblées.
Il mesure le travail fourni par le Parlement sur l'ensemble de ce texte, qui, outre la situation des courtiers maritimes, traitait de sujets aussi divers que variés : les modalités de francisation des navires ; les règles aéronautiques communes pour la délivrance des licences de membres d'équipage de conduite d'aéronefs ; le transport routier non urbain de voyageurs ; l'interopérabilité dans le domaine du transport ferroviaire à grande vitesse ; les modalités d'affrètement et de formation des prix dans le transport de marchandises par voie d'eau.
Le Gouvernement se félicite du résultat ainsi obtenu et il remercie par avance le Sénat de bien vouloir adopter ces dispositions.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.

Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :