SEANCE DU 21 DECEMBRE 2000
TRANSPOSITION PAR ORDONNANCES
DE DIRECTIVES COMMUNAUTAIRES
Adoption des conclusions
d'une commission mixte paritaire
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 132,
2000-2001) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur
les dispositions restant en discussion du projet de loi portant habilitation du
Gouvernement à transposer, par ordonnances, des directives communautaires et à
mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici donc au terme
d'une procédure qui va nous conduire dans quelques instants à habiliter le
Gouvernement à transposer par ordonnances une cinquantaine de directives.
Après une lecture de ce texte dans chaque assemblée, peu de dispositions
demeuraient en discussion et trois posaient en réalité des difficultés.
En première lecture, le Sénat avait écarté de la liste des directives que le
Gouvernement pouvait transposer par ordonnances la directive Natura 2000 et la
directive sur les services postaux. Nous avons en effet estimé que ces
directives méritaient un débat devant le Parlement, qui ne pouvait se contenter
de ratifier les ordonnances du Gouvernement.
Nous avons aussi réduit les délais donnés au Gouvernement pour prendre les
ordonnances et déposer les projets de loi de ratification. Enfin, nous avons
écarté la possibilité pour le Gouvernement de prendre par ordonnances des
dispositions relatives aux péages routiers et autoroutiers.
L'Assemblée nationale a accepté les propositions du Sénat concernant les
péages et les délais prévus pour prendre les ordonnances et déposer les projets
de loi de ratification. En revanche, elle a décidé de rétablir la directive sur
les services postaux et la directive Natura 2000 dans la liste des textes que
le Gouvernement pourrait transposer par ordonnances.
En ce qui concerne la directive Natura 2000, l'Assemblée nationale a cependant
tenté d'encadrer la transposition en définissant plus précisément les
dispositions que le Gouvernement devrait prendre. Elle a ainsi prévu une
consultation des organes délibérants des collectivités concernées avant la
notification des zones de protection spéciale.
Enfin, l'Assemblée nationale a inséré dans le projet de loi un article sans
aucun rapport avec le droit communautaire, qui limite au seul service universel
l'homologation par l'Autorité de régulation des tarifs de
télécommunications.
La commission mixte paritaire s'est réunie le 12 décembre dernier et elle est
parvenue à un accord. La directive Natura 2000 a été maintenue dans la liste de
celles que le Gouvernement pourrait transposer par ordonnances. Toutefois, sur
l'initiative de notre excellent collègue Ladislas Poniatowski, rapporteur pour
avis de la commission des affaires économiques, une précision complémentaire a
été apportée, à savoir l'obligation d'informer les autorités locales sur les
zones protégées ayant déjà fait l'objet d'une notification aux instances
communautaires.
D'une manière générale, nous espérons que les ordonnances seront prises en
lien avec tous les acteurs concernés par chacune des directives visées. Par
ailleurs, la directive sur les services postaux sera transposée non pas par
ordonnances - c'est un point important - mais après un débat devant le
Parlement.
Enfin - et c'est également important - la disposition quelque peu « cavalière
», à tous les sens du terme, sur les tarifs des télécommunications a été
retirée du texte.
Tel est le compromis auquel nous sommes parvenus et, qui dit compromis, dit
effort accompli à la fois par l'Assemblée nationale et par le Sénat.
A ce stade, je voudrais rappeler que nous espérons vraiment que cette
procédure de transposition par ordonnances, humiliante pour le Parlement,
demeurera exceptionnelle.
Je suis inquiet, car certaines directives, qui ne figurent pas dans le texte
que nous discutons aujourd'hui, doivent être transposées très rapidement, et le
Gouvernement ne nous a donné aucune indication sur le calendrier qu'il
envisageait.
Par ailleurs, M. le ministre délégué chargé des affaires européennes, qui
avait bien voulu être entendu par nos commissions mais qui n'était pas là lors
de la discussion en séance publique et qui n'est pas non plus présent
aujourd'hui - nous sommes néanmoins heureux de vous accueillir, monsieur le
ministre des relations avec le Parlement avait annoncé qu'il lancerait une
réflexion associant les parlementaires pour étudier les moyens d'améliorer les
conditions de la transposition des directives dans notre pays. Où en est cette
démarche ?
J'ouvre là une parenthèse pour préciser que ces retards concernent non
seulement les directives communautaires, mais également les conventions signées
par le Conseil de l'Europe. Je citerai l'exemple de la convention Unidroit de
protection des objets d'art en Europe, qui a été adoptée voilà trois ans. Le
Gouvernement nous a promis, au mois d'octobre dernier, qu'elle serait ratifiée
avant la fin de cette année. Or, à ce jour, elle n'est ni ratifiée ni signée.
Je ferme cette parenthèse, mais la réflexion devrait également englober ce
problème de la transposition des conventions européennes.
Mes chers collègues, je vous demande aujourd'hui d'accepter les conclusions de
la commission mixte paritaire. Le texte dont nous débattons, s'il porte
singulièrement atteinte aux droits du Parlement, aura au moins le mérite de
permettre à la France de mieux respecter ses engagements. Croyez cependant,
monsieur le ministre, que notre assemblée n'acceptera plus que les
gouvernements successifs empiètent sur les droits du Parlement pour remédier à
leur propre négligence.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le président, monsieur
le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi visant à
autoriser le Gouvernement à transposer par ordonnances des directives
européennes et à mettre en oeuvre certaines dispositions du droit communautaire
a fait l'objet d'un accord en commission mixte paritaire. M. Hoeffel vient, au
nom de cette commission mixte paritaire, d'en rapporter les conclusions, après
que M. Floch l'a fait à l'Assemblée nationale.
Le Gouvernement vous demande donc d'approuver les conclusions de cette
commission mixte paritaire. En effet, à l'heure où la France achève sa
présidence de l'Union européenne, la situation de notre pays au regard de
l'application du droit communautaire n'est pas satisfaisante. De lourds
contentieux ont été engagés. Certains peuvent conduire la France à être
condamnée au versement d'astreintes lourdes : jusqu'à 1 million de francs par
jour. Comme l'a rappelé le Premier ministre le 5 décembre dernier, nous avons
mieux à faire de l'argent des Français que de le dépenser dans ces
astreintes.
Le présent projet de loi a pour ambition d'améliorer cette situation,
préjudiciable à bien des égards à la défense des intérêts de notre pays dans
les négociations communautaires, et de répondre au souci, largement partagé, de
conforter la construction communautaire.
Quels ont été les points de l'accord qui est intervenu en commission mixte
paritaire ? Je voudrais, après M. Hoeffel, les souligner.
A l'écoute des remarques de nombreux parlementaires, le Gouvernement et
l'Assemblée nationale ont présenté des amendements encadrant de manière plus
précise la transposition de la directive Natura 2000. L'article 2
bis
,
qui ne se contente plus de citer simplement la directive, précise désormais les
conditions de l'habilitation donnée par le législateur et permet, notamment,
d'assurer les activités humaines non perturbantes, dont la chasse dans les
zones de protection spéciale. Il associe de façon explicite, pour la
détermination du périmètre de ces zones, les conseils municipaux concernés.
La commission mixte paritaire a également précisé de manière opportune que,
pour les zones de protection spéciales déjà notifiées à la Commission de
Bruxelles, le préfet devra organiser une réunion d'information avec les
collectivités concernées.
Par ailleurs, suivant en cela le Sénat, la commission mixte paritaire n'a pas
retenu l'autorisation de transposer la directive Poste de 1997 par voie
d'ordonnance. Je constate que le Sénat s'intéresse de très près, comme
l'Assemblée nationale - avec des divergences qui sont légitimes en matière
parlementaire - aux discussions concernant la directive. Il a d'ailleurs adopté
récemment une résolution sur la nouvelle version de la directive.
Au niveau européen, vous le savez peut-être, le Parlement a délibéré le 14
décembre dernier, et un Conseil européen est prévu ce vendredi 22 décembre pour
adopter un texte qui répond à notre préoccupation de préserver le service
postal. Vous aurez donc à en débattre de façon plus particulière. Je crois que
tous les parlementaires appellent de leur voeu une discussion au fond sur ce
sujet important de l'avenir du service postal.
La commission mixte paritaire n'a pas retenu une disposition sans lien avec le
texte en discussion et relative à l'homologation des tarifs de
télécommunications, qui avait été introduite par amendement à l'Assemblée
nationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en trouvant les voies d'un accord entre
l'Assemblée nationale et le Sénat et en donnant l'assentiment du Parlement à
l'utilisation, à titre exceptionnel, de l'article 38 de la Constitution, votre
commission mixte paritaire a montré que le sens des responsabilités vis-à-vis
de nos engagements communautaires était partagé par tous. Cet accord a par
ailleurs souligné le caractère quelque peu excessif de certaines critiques,
émises surtout à l'Assemblée nationale, sur la procédure choisie par le
Gouvernement.
Contrairement à ce qui a été dit, la procédure de l'article 38 de la
Constitution n'a nullement été dévoyée. La jurisprudence du Conseil
constitutionnel a été scrupuleusement respectée. Le projet de loi
d'habilitation a indiqué avec précision la finalité des mesures qu'il prévoit.
Il a été inspiré par la nécessité de répondre au retard de la France en matière
de transposition de directives.
Conformément à l'article 38 de la Constitution, les ordonnances devront être
soumises à la ratification du Parlement.
M. Hoeffel a souligné qu'il s'agit d'une procédure exceptionnelle et, d'une
certaine façon, il nous a dit : « N'y revenez pas. »
Il est indispensable qu'une réflexion soit menée dans les deux chambres du
Parlement sur les modalités de transposition des directivres européennes. En
effet, elles sont nombreuses, le travail parlementaire ne permet pas de les
examiner une par une, et il faut donc envisager une révision des procédures.
De premières améliorations pourraient être recherchées dans les modalités de
préparation des textes de transposition par le pouvoir exécutif. Il faudrait,
dans ce cadre, envisager, à l'échelon des commissions ou des délégations pour
l'Union européenne, un examen en amont, dès que les directives ont été signées,
de façon qu'elles n'arrivent pas en bloc sur le bureau des assemblées.
Il faut inclure la dimension européenne dans tous les projets de loi. Il faut
également intégrer la nécessité d'inscrire à l'ordre du jour les
transpositions, fût-ce par le biais de textes spécifiques. Ainsi, tout à
l'heure, nous examinerons les conclusions du rapport de la commission mixte
paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en
discussion du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit
communautaire dans le domaine des transports. Hier, le Sénat a examiné, en
deuxième lecture, le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation
communautaire en matière de santé des animaux et de qualité sanitaire des
denrées d'origine animal, et modifiant le code rural.
Mais, plus profondément, je pense, monsieur Hoeffel, que cette réflexion est
un peu identique à celle que les deux chambres du Parlement ont engagée sur la
révision de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux
lois de finances.
On sent bien qu'avec le développement du droit communautaire se pose le
problème du rapport entre les parlements nationaux et les normes
communautaires. Cet ajustement pose évidemment des problèmes politiques
importants auxquels nous devons réfléchir, dans le sens d'un bon travail
parlementaire. Il ne s'agit pas de transformer les assemblées en simples
chambres d'enregistrement. Il s'agit de leur permettre d'avoir un véritable
débat de fond, mais qui, compte tenu du poids des normes, n'hypothèque pas le
travail législatif national.
C'est une réflexion à laquelle le Gouvernement est ouvert et dans laquelle les
assemblées peuvent, je crois, s'engager. C'est, à mon avis, un chantier aussi
important que celui de la révision de l'ordonnance de 1959 sur le droit
budgétaire. Il faut s'y engager. Le Gouvernement y est prêt.
Aujourd'hui, je note avec satisfaction que le Parlement a voulu, comme le
Gouvernement, que la France remplisse ses obligations communautaires. Je tiens
à remercier M. le rapporteur et le Sénat d'avoir maintenu cet objectif tout en
rappelant, à juste titre, le respect des droits du Parlement
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur le banc des commissions. -
MM. Machet et Gélard applaudissent également.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quelques
heures de la fin de nos travaux, vous comprendrez que je ne revienne pas sur
l'ensemble de l'argumentation que mon ami Robert Bret et moi-même avons
développée à l'occasion de la première lecture de ce texte, le 25 octobre
dernier.
Monsieur le ministre, je tiens toutefois à rappeler avec force l'opposition
des sénateurs de mon groupe au projet de loi qui nous est soumis.
Les semaines qui viennent de s'écouler n'ont pas été bonnes pour les droits du
Parlement.
Dès le premier jour de la session au Sénat, la discussion sur le travail de
nuit des femmes, résultat d'une directive de Bruxelles s'imposant sous peine
d'astreinte, a souligné la question du débat démocratique en Europe. Les droits
du Parlement sont, bien entendu, mis à mal, et de manière fondamentale, par les
dispositions visant à « présidentialiser » les institutions. Après le
quinquennat, c'est l'inversion du calendrier électoral qui va dans ce sens.
Enfin, la décision inique d'un Conseil constitutionnel partisan sur la baisse
de la contribution sociale généralisée pour les plus défavorisés constitue une
attaque frontale à l'égard des représentants du peuple.
C'est dans ce contexte qu'est intervenu le projet portant habilitation du
Gouvernement à transposer par ordonnances plusieurs dizaines de directives
européennes et textes divers.
Lors de la première lecture, pour marquer notre totale désapprobation, nous
avons déposé une motion tendant à opposer la question préalable, motivée par
des raisons de fond.
Comment, à l'heure où les exigences de démocratie, de réponse aux aspirations
populaires montent en Europe, justifier les prérogatives exorbitantes confiées
au pouvoir exécutif pour décider de problèmes parfois très importants, nichés
parmi des dispositions d'ordre technique ?
Le sommet de Nice, l'extraordinaire mobilisation du mouvement social européen
dont il a été le théâtre, mais aussi les grandes difficultés des dirigeants
européens à adapter une Europe aux fondements financiers et technocratiques aux
exigences que j'évoquais confirment, selon moi, cette analyse.
Depuis de nombreuses années déjà, les sénateurs de mon groupe donnent l'alerte
sur le décalage croissant entre les centres de décision européens et les
peuples. Plus généralement, ils s'inquiètent des liens de plus en plus
distendus entre les représentants et les représentés en Europe comme en
France.
Les résultats du référendum sur le quinquennat confirment cette
incompréhension et ce désaccord croissant des Français face à une forme de
gestion du pouvoir.
Nous contestons, depuis 1958, la pratique des ordonnances et nous considérons
que l'utilisation présente est particulièrement excessive.
Le Parlement, mes chers collègues, aurait dû débattre de manière approfondie
des directives concernant des thèmes aussi importants que le travail de nuit
des femmes, les conditions de travail des femmes enceintes ou la protection
sociale. Les directives relatives à l'enseignement supérieur ou à l'écologie -
tout le monde a présent à l'esprit Natura 2000 - auraient dû également être
soumises au débat.
De même, des thèmes aussi lourds que ceux qui sont évoqués, dans les articles
3 et 4, sur la mutualité et les autoroutes, ont-ils leur place dans un texte
d'ordonnance ? Il s'agit d'une question de démocratie.
La commission mixte paritaire est parvenue à un accord au terme d'un
marchandage parfois étonnant. Je cite le rapport : « M. Roman a indiqué que le
texte voté par l'Assemblée nationale pour Natura 2000 apparaissait comme la
moins mauvaise solution et a considéré que, si elle l'acceptait, la commission
mixte paritaire pourrait, en contrepartie, se rallier à la proposition du Sénat
en excluant la directive relative aux activités postales ainsi que l'article 2
ter
relatif à l'homologation des tarifs de télécommunications. »
Cet accord en catimini nous inquiète, car le retrait de la directive Poste,
que nous demandions pour une tout autre raison que la droite sénatoriale, nous
apparaît, dans les termes de la commission mixte paritaire, de mauvais augure.
L'attitude de M. Roman ne laisse-t-elle pas craindre l'acceptation d'une dérive
libérale des services postaux en Europe ?
L'approbation de M. Poniatowski de l'accord passé sur ce point en commission
mixte paritaire renforce - que notre collègue m'excuse de le lui dire - nos
craintes.
Cet exemple de négociation en dehors du contrôle même de la séance publique,
sur un sujet extrêmement important, conforte notre rejet radical de la démarche
initiée par ce projet.
Je noterai, avant de conclure, que la majorité sénatoriale, très soucieuse,
lors de la première lecture, des droits du Parlement, a rapidement décidé
d'accepter une procédure qui fait fi du principe même de la démocratie
parlementaire.
M. Aymeri de Montesquiou.
Absolument pas ! Il s'agit d'une exception !
Mme Nicole Borvo.
Je rappelle, monsieur le ministre, que nous sommes totalement opposés à cette
procédure.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Rappel au règlement