SEANCE DU 19 DECEMBRE 2000
M. le président.
La parole est à M. Francis Giraud, auteur de la question n° 929, adressée à
Mme le secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.
M. Francis Giraud.
Hospitalo-universitaire en pédiatrie et génétique médicale, ancien président
des pédiatres de langue française, je voudrais, madame la secrétaire d'Etat,
par votre intermédiaire, appeler l'attention du Gouvernement sur la baisse très
préoccupante du nombre de pédiatres dans notre pays.
En France, les 5 652 pédiatres représentent 3 % de l'ensemble des médecins et
6 % des spécialistes, alors que les enfants de moins de quinze ans constituent,
eux, 20 % de la population.
En outre, le nombre des pédiatres français a entamé une décrue qui va aller en
s'accélérant. Les 110 pédiatres formés annuellement n'assurent plus la relève
des départs en retraite : 120 en 2000, 200 prévus pour 2009.
Par ailleurs, la féminisation de la profession accentue le déséquilibre.
Les femmes représentent 56 % des pédiatres en activité et occupent 80 % des
postes d'interne titulaire du DES. Or, en libéral, les femmes exercent à un peu
moins de 70 % de leur temps ; en exercice hospitalier, les évolutions du
métier, avec l'introduction d'un plan de périnatalité et d'un plan d'urgence
très contraignants - mais nécessaires - risquent de remettre en cause bien des
vocations.
Dans ce contexte défavorable, on ne peut même pas compter sur une rémunération
attractive pour susciter de nouvelles vocations. En effet, les pédiatres sont
les plus mal lotis : ils se situent au bas de l'échelle des médecins libéraux,
avec un revenu annuel moyen de 310 000 francs en 1998.
L'amorce d'une augmentation de postes de DES - 37 postes supplémentaires en
1999 - était de bon augure, mais la promesse d'une vingtaine de postes
supplémentaires pour 2000, contenue dans la circulaire du 29 septembre 1999,
n'a pas été tenue.
L'absence de mesures
ad hoc
pour une spécialité considérée comme «
sinistrée » conduit à une situation désastreuse.
Ainsi, les urgences pédiatriques représentent aujourd'hui 30 % des urgences et
les urgences hospitalières seront de plus en plus saturées.
D'ores et déjà, dans les institutions communautaires, l'effectif est de moins
en moins conforme à la réglementation.
Lassées de n'être pas écoutées, les différentes organisations représentatives
de la pédiatrie, telles que la société française de pédiatrie, l'association
française de pédiatrie, le collège des pédiatres des hôpitaux généraux, le
collège des professeurs de pédiatrie, le syndicat national des pédiatres
français, viennent de lancer un appel pour attirer l'attention des pouvoirs
publics sur l'insuffisance du nombre de pédiatres en formation, qui met en
péril l'avenir de la spécialité et, surtout, constitue une menace pour la santé
des enfants.
Aussi souhaiterais-je, madame le secrétaire d'Etat, que vous me fassiez part
des dispositions que le Gouvernement entend prendre pour répondre à cet appel
et remédier à cette très inquiétante situation.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.
Monsieur le sénateur, je
comprends que vous soyez mobilisé sur cette question compte tenu de votre
éminente expérience en la matière. Permettez-moi cependant de démentir un
certain nombre de vos affirmations.
En premier lieu, il n'y a pas diminution de l'effectif des pédiatres en
exercice actuellement ; le nombre des pédiatres est passé de 5 100 en 1991 à 5
700 en 1998. Il existe, en revanche, des inégalités régionales très
importantes, la densité de pédiatres pour 100 000 habitants allant de 5,5 en
Poitou-Charentes à 18,8 en Ile-de-France, soit un ratio supérieur à trois entre
les régions les plus et les moins médicalisées, sans pour autant que nous
relevions une différence de prise en charge dans la santé des enfants sur
l'ensemble du territoire ; en effet, la communauté médicale et les liaisons de
prise en charge garantissent une bonne qualité dans le suivi de la santé des
enfants.
Je vous donne acte du fait que la modification des conditions de pratique
professionnelle, la féminisation, l'aspiration à un temps plus équilibré entre
vie professionnelle, vie familiale et loisirs nous conduit à revoir la
démographie médicale pour les années qui viennent.
J'ai déjà eu l'occasion, dans cet hémicycle, d'évoquer le projet sur lequel
travaille le Gouvernement. Sur mon initiative, avec le directeur général de la
santé, nous avons entrepris une étude prospective du temps médical qui sera
nécessaire aussi bien en termes de disciplines qu'en termes de répartition
géographique. Vous aurez connaissance de ses résultats comme la communauté
médicale, en vue de la large concertation qui est prévue pour le printemps
prochain.
En second lieu, la pédiatrie a fait partie, en 1997, des spécialités
particulièrement étudiées dans le cadre de la mission conduite par le
professeur Nicolas.
Cette étude a mis en évidence que, pour maintenir un effectif de pédiatres
satisfaisant, il était nécessaire de soutenir le nombre de postes mis au
recrutement par la voie de l'internat. Il a ainsi été prévu de porter à 200 le
nombre de postes d'interne actuellement fixé à 110 par an ; chiffre qui ne se
révélerait pas suffisant pour permettre le renouvellement des générations qui
vont cesser leur activité. A terme, cet effectif de postes d'interne est
nécessaire pour assurer une cohorte stable d'environ 6 000 pédiatres en
activité.
Peut-être ce chiffre sera-t-il revu à la hausse à la lumière des conclusions
des études que nous conduisons mais, pour l'instant, c'est celui qui est avancé
par les spécialistes qui nous conseillent sur cette question.
Cette année, 148 postes ont été offerts et pourvus à la rentrée universitaire
au concours d'internat en pédiatrie ; ce nombre sera de nouveau augmenté en
2001. En effet, l'augmentation du nombre d'internes en pédiatrie doit également
se faire en tenant compte des capacités de formation des équipes, mais ce n'est
pas à vous, monsieur le sénateur, que je l'expliquerai.
Au-delà du nombre de pédiatres, c'est aussi l'organisation de la prise en
charge médicale des enfants qui doit être envisagée, optimisée et toujours
perfectionnée.
L'essentiel du suivi des enfants est aujourd'hui le fait soit des médecins
généralistes en médecine ambulatoire, soit des pédiatres dans le cadre des
centres de médecine communautaire, pour la protection maternelle et infantile,
la PMI.
La PMI a un rôle important à jouer en lien avec les pédiatres libéraux pour le
suivi du développement psychomoteur de l'enfant, en particulier aux dates clés
de son développement.
Les médecins généralistes, pour leur part, ont un rôle capital de médecin de
premier recours pour l'ensemble de la pathologie courante de l'enfant.
A cet égard, j'ai été heureuse de constater que les différents articles
scientifiques ou médicaux parus pour conseiller, à l'entrée dans la mauvaise
saison, les parents dont l'enfant présente des risques de bronchiolite,
préconisent le recours au médecin généraliste, au médecin de famille - c'est,
en effet, la réaction la plus pragmatique et la plus intelligente - plutôt que
les urgences, qui peuvent présenter, pour l'enfant, d'autres risques
indirects.
Les médecins généralistes doivent donc bénéficier d'une meilleure formation,
d'une meilleure sensibilisation à l'approche de la pathologie courante de
l'enfant.
Dans le cadre de la réforme du troisième cycle des études médicales, il est
ainsi expressément prévu que les médecins généralistes reçoivent une formation
systématique à la pédiatrie dans le cadre de leurs études, ce qui n'est pas le
cas aujourd'hui. Cela va donc améliorer la prise en charge de la santé des
enfants.
Ainsi pourra se créer une véritable filière de prise en charge des enfants
dans laquelle chacun des acteurs verra sa place reconnue.
Dans le domaine de la pédiatrie comme dans d'autres, une dynamique de réseau
entre les professionnels doit ainsi être renforcée, les spécialistes en
pédiatrie étant appelés à exercer dans les urgences pédiatriques, dans les
services de spécialité et dans les maternités aux termes du décret périnatal
visant à sécuriser cette discipline. Mais je sais bien que vous ne contestez
pas l'intérêt de cette organisation, monsieur le sénateur.
Nous serons collectivement attentifs au maintien de cette spécialité, à la
bonne formation des praticiens et, surtout, à leur bonne répartition sur
l'ensemble du territoire.
M. Francis Giraud.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Francis Giraud.
M. Francis Giraud.
Madame le secrétaire d'Etat, je vous remercie de vos réponses mais, vous
l'avez bien compris, il ne s'agit pas uniquement d'un problème de chiffres.
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
En effet !
M. Francis Giraud.
Il s'agit, en fait, d'une prise de consience à laquelle vous invitent toutes
les organisations de pédiatres que j'ai cités. Les pédiatres vous ont
sollicitée en poussant un véritable cri d'alarme, et ils ont raison, parce que
cette discipline, en particulier pour la périnatalité et pour certaines
pathologies du nourrisson, exige une spécialisation très poussée.
Vous le savez très bien, en matière de santé publique, de bons médecins
spécialisés, c'est évidemment d'abord une meilleure santé publique, mais aussi,
à terme, une économie de soins ultérieurs.
Persuadé de la pertinence de l'action des pédiatres, je tenais à m'associer au
cri d'alarme que cette spécialité a lancée dans l'intérêt des enfants de notre
pays.
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Sachez, monsieur le sénateur, que j'ai entendu ce cri
d'alarme des plus grands spécialistes en pédiatrie. Pour autant, je souhaite
éviter tout amalgame : s'il est nécessaire de renforcer et de maintenir le
niveau d'excellence de la spécialité pédiatrique, il est non moins nécessaire
de disposer, pour un recours de première urgence, à des médecins bien formés et
sensibilisés à la santé des enfants.
Ces deux niveaux ne doivent pas être confondus et il ne faut pas utiliser les
besoins des uns pour conforter les revendications catégorielles des autres.
CIRCULATION DE VÉHICULES-ÉPAVES