SEANCE DU 14 DECEMBRE 2000
DROITS D'ACCÈS
AUX MANIFESTATIONS CULTURELLES
ORGANISÉES SUR LA VOIE PUBLIQUE
Adoption des conclusions du rapport d'une commission
(ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 124,
2000-2001) de M. Philippe Nachbar, fait au nom de la commission des affaires
culturelles sur la proposition de loi de MM. Josselin de Rohan, Paul Dubrule,
Philippe François et Alain Gérard instituant un droit d'accès aux communes où
sont organisées des manifestations culturelles sur la voie publique (n° 478,
1999-2000).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Nachbar,
rapporteur de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de
nos collègues Josselin de Rohan, Paul Dubrule, Philippe François et Alain
Gérard subordonne au paiement d'un droit l'accès à certaines manifestations
culturelles organisées sur la voie publique. Elle vise donc à insérer un
article nouveau dans le code général des collectivités territoriales.
La situation qui prévaut actuellement rend nécessaire l'intervention du
législateur. Par ailleurs, le texte qui nous est soumis prévoit des modalités
qui me paraissent conformes aux principes généraux du droit et strictement
encadrées.
L'intervention du législateur est aujourd'hui nécessaire, disais-je.
Les fêtes locales, qui sont un moment fort de la vie de nos villes et de nos
villages, prennent une importance sans cesse accrue. Cela traduit à la fois la
vitalité des traditions régionales et la place privilégiée que les
collectivités locales attachent à la diffusion de la culture.
Ces fêtes répondent à une très forte demande du public et elles jouent un rôle
essentiel dans la promotion touristique de nombre de nos régions. Mais - c'est
le revers de la médaille - elles occasionnent une lourde charge pour les
communes en raison tant de la demande de qualité d'un public de plus en plus
exigeant que des contraintes en matière de sécurité des manifestations.
En raison de leur conception même, ces festivals, ces manifestations se
déroulent sur la voie publique, dans un cadre monumental qui fait toute leur
originalité. Faute de moyens, certaines communes ont été contraintes de
renoncer à des manifestations traditionnelles pourtant anciennes. D'autres se
sont risquées à instituer un droit d'accès, ce qui, dans l'immense majorité des
cas, a été bien accepté par le public et toléré par les services chargés
d'exercer le contrôle de légalité.
La charge est ainsi répartie harmonieusement entre le contribuable, à travers
la subvention communale, et l'usager, au travers du droit d'entrée. Cependant,
comme, dans l'état actuel de la législation, ce droit d'accès ne dispose pas
d'une base légale solidement établie, la menace d'éventuels contentieux pèse
sur les élus et les organisateurs. Ce n'est pas une hypothèse d'école, elle a
été vérifiée tant à Lorient qu'à Chinon.
Dans ces conditions, il nous a paru nécessaire de délibérer pour autoriser les
communes à prélever un droit d'accès, étant entendu que le recours à ce droit
d'accès devra respecter l'équilibre entre la valorisation du patrimoine
culturel, la répartition équitable des charges et les principes régissant
l'utilisation du domaine public.
Tel est l'objet de la proposition de loi dont je vais maintenant examiner le
dispositif.
Ce dispositif me paraît, tout d'abord, strictement conforme aux principes
généraux du droit.
L'institution d'un droit d'accès aux manisfestations se déroulant sur la voie
publique pourrait, de prime abord, apparaître comme contraire à la fois au
principe constitutionnel instituant la liberté d'aller et venir et au principe
législatif prévoyant la gratuité d'utilisation du domaine public. En réalité,
ces deux principes ne sont pas absolus, et le Conseil constitutionnel, dans une
décision du 12 juillet 1979, a admis que des dérogations pouvaient leur être
apportés sous la forme « d'une redevance temporaire pour l'utilisation de
certains ouvrages ». Par ailleurs - le simple bon sens réjoint en l'occurrence
le raisonnement juridique - la voie publique sert souvent de cadre à des
manifestations ou à des compétitions sportives.
C'est d'autant plus vrai que, lorsque la voie publique est utilisée
temporairement pour une manifestation culturelle, le droit d'accès ne saurait
s'analyser, sur le plan juridique, comme un péage permettant simplement de
circuler ou de stationner. Il doit être compris comme une contrepartie du droit
d'assister à un spectacle dans les mêmes conditions financières que s'il se
déroulait dans un lieu clos : théâtre, cinéma ou centre culturel.
Le droit d'accès revêt dès lors la nature juridique d'une redevance domaniale
donnant accès à un service public culturel ayant pour cadre la voie publique,
et ce à titre exceptionnel et pour une durée limitée, contrairement au péage
permanent.
Le dispositif proposé est conforme aux principes généraux du droit. Il doit
par ailleurs être soigneusement encadré et la commission des affaires
culturelles a apporté quelques précisions allant dans le sens souhaité par ses
auteurs.
Le dispositif est soigneusement encadré, d'abord, parce qu'il ne concerne que
les manifestations de caractère culturel, donc d'intérêt général et de nature
non commerciale. Par conséquent, nous ne sortons pas du strict domaine du
service public culturel.
Le dispositif est également encadré parce que seul le maire sera habilité à
fixer le montant du droit d'accès et à en organiser la perception. Dans le même
ordre d'idée, le maire seul prend déjà, au titre de son pouvoir de police, les
mesures restreignant la liberté de circulation à l'occasion des manifestations
organisées dans sa commune.
Par ailleurs, le texte prévoit expressément la desserte des immeubles
riverains, qui restera - cela va sans dire, mais cela ira encore mieux en le
disant ! - totalement libre.
Enfin, la faculté offerte aux maires d'instituer un droit d'accès sera limitée
à deux fois par an.
Il s'agit tout à la fois de satisfaire au mieux le besoin culturel que nous
voyons s'accroître jour après jour - le rapporteur pour avis du budget de la
culture que je suis ne peut que s'en féliciter - de concilier ce besoin avec le
nécessaire équilibre des finances communales, tout en levant l'épée de Damoclès
qui est actuellement suspendue au-dessus de la tête des élus qui organisent des
manifestations payantes sur la voie publique dans leur commune.
Ce sont d'ailleurs les raisons pour lesquelles des textes similaires ont été
déposés à l'Assemblée nationale par des parlementaires tant de l'opposition -
M. Jacob, député de Seine-et-Marne - que de la majorité - M. Le Bris, député du
Finistère.
Compte tenu de la nécessité de légiférer dans ce sens tout en respectant
rigoureusement les principes, auxquels nous sommes tous attachés, régissant
notre droit public, la commission des affaires culturelles a donc approuvé la
proposition de loi qui nous est soumise et elle vous invite, mes chers
collègues, à l'adopter.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui vient d'être
rapportée par M. Nachbar fait écho, me semble-t-il, à des préoccupations
réelles de la part de certains élus.
Elle appelle cependant de la part du Gouvernement des réserves sérieuses :
d'abord au regard du droit, mais aussi au regard des ambitions de la politique
culturelle que nous menons.
Les manifestations culturelles visées par cette proposition de loi ont pour
caractéristique de se dérouler sur certaines voies ou portions de voies
publiques.
Or, comme il est indiqué dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, la
liberté d'aller et venir est un principe de valeur constitutionnelle, maintes
fois rappelé dans des circonstances diverses par les plus hautes juridictions
nationales. Si des exceptions à ce principe peuvent être admises pour des
motifs d'intérêt général, le principe de gratuité de l'accès à la voie publique
qui en découle ne souffre d'exception que dans deux cas.
Le premier, c'est celui de l'accès à des ouvrages d'art, tels que les ponts ou
les autoroutes, qui peuvent être soumis à péage si, et seulement si, selon les
termes du Conseil constitutionnel, « l'utilité, les dimensions et le coût de
ces ouvrages ainsi que le service rendu aux usagers » le justifient. Ce
contexte n'a, bien sûr, rien de commun avec la question qui nous occupe
aujourd'hui.
Le second cas, c'est celui du stationnement payant, qui ne peut être instauré
par la commune dans le seul but de lui procurer des recettes supplémentaires,
mais bien pour limiter la durée d'occupation d'un emplacement de stationnement.
La contrepartie financière ne fait cependant pas obstacle à l'accès de tous à
la voie publique. Elle garantit même l'effectivité de ce libre accès.
Telle qu'elle est formulée, cette proposition de loi risquerait donc de porter
une atteinte nouvelle au principe de gratuité de la voie publique. Une telle
décision ne saurait être prise sans qu'ait été pesée son adéquation aux
objectifs réellement poursuivis.
La commission des affaires culturelles du Sénat a prévu une dérogation à
l'accès payant pour la desserte des immeubles riverains. J'ai cependant des
doutes quant à la possibilité de mettre en oeuvre cette dérogation. Il faudrait
en effet vérifier la réalité des motifs invoqués par les riverains, leurs
visiteurs ou les clients des commerces riverains qui souhaiteraient accéder
gratuitement à la voirie soumise à un accès payant.
Il conviendrait, en outre, de veiller à ce que l'application du dispositif ne
donne pas lieu à une délégation des pouvoirs de police du maire.
En effet de nombreuses communes seraient dans l'impossibilité de mettre en
place un système de billetterie et de contrôle, et la tendance serait forte de
confier cette mission à des opérateurs privés.
Il conviendrait également de veiller à ce que l'instauration d'un droit
d'accès ne crée pas un préjudice excessif aux commerces inclus dans le
périmètre concerné et qu'il y ait ainsi atteinte à la liberté du commerce,
garantie par la Constitution.
Il ne faudrait pas, non plus, que cette disposition soit source de difficultés
entre les autorités communales et départementales. Puisque les voies
appartiennent, selon les cas, à la commune, au département ou à l'Etat, il y
aurait là un risque de confusion, voire de conflit.
Ma seconde réserve tient à des raisons de fond.
Le problème que vous soulevez, au-delà du cas particulier du festival
interceltique de Lorient, tient à l'essor formidable des manifestations
culturelles sur l'ensemble du territoire.
Cet essor résulte du goût de nos concitoyens pour le rassemblement lors de
manifestations culturelles, la gratuité étant une composante importante de leur
caractère convivial et de l'attrait qu'elles exercent sur l'ensemble de la
population.
Nos politiques publiques en la matière sont fondées sur l'ambition
républicaine de permettre à un plus grand nombre d'accéder à « l'héritage de la
noblesse du monde » tel que le définissait André Malraux, ainsi qu'à nos
traditions, comme vous l'évoquiez, monsieur le rapporteur.
Le ministère de la culture, mais aussi les collectivités territoriales, ont
pris en ce sens un nombre d'initiatives importantes tendant toutes à rendre
gratuits un certain nombre d'espaces et de manifestations qui sont devenus
emblématiques - je pense aux Journées du patrimoine, à la Fête de la musique et
à tant d'autres fêtes traditionnelles -, voire de musées, avec le succès que
l'on sait.
Le développement de certaines manifestations mais aussi de certaines pratiques
artistiques, en particulier les arts de la rue, se fonde sur cet autre rapport
au public, qui utilise précisément l'espace public parce qu'il est gratuit et
qu'il induit un autre mode de relation que celui qui se crée dans une salle de
spectacle.
Vous connaissez l'engouement des Français pour ce type de manifestations, et
je ne suis pas aussi sûre que vous, monsieur le rapporteur, que nos concitoyens
puissent considérer favorablement une proposition qui conduirait peu à peu à
les soumettre à l'acquittement d'un droit d'entrée.
Vous évoquez aussi le poids économique de ces manifestations pour les
collectivités qui les organisent. Je souligne que ces manisfestations ont des
retombées économiques souvent importantes pour les collectivités concernées.
Toutes les études qui ont été menées prouvent que la culture est aussi un
élément de développement économique local qui se doit d'être pris en compte
dans votre réflexion.
Enfin, il apparaît que nombre de ces manifestations reposent sur les pratiques
amateurs et sur le bénévolat, deux démarches auxquelles je tiens à affirmer mon
attachement et qui, dans un monde que l'on sait soumis aux pressions
permanentes de la commercialisation, ont besoin d'être confortées.
La participation à titre gratuit d'une population nombreuse et motivée va dans
le sens de la démocratisation culturelle que nous appelons tous de nos voeux.
Prenons garde de ne pas mettre en place des mécanismes qui conduiraient
inéluctablement à la mercantilisation de nos arts et de nos traditions
populaires.
Les débats de votre assemblée montrent qu'il existe bien un problème, mais il
s'agit d'un phénomène dont on a du mal à mesurer l'ampleur réelle, alors que
les difficultés juridiques qui sont soulevées apparaissent sérieuses.
Dans une telle matière, je crains que la solution proposée ne crée plus de
difficultés qu'elle ne permet d'en résoudre.
C'est pourquoi, toutes ces interrogations s'ajoutant, le Gouvernement n'est
pas favorable à l'adoption de cette proposition de loi. Pour autant, je ne suis
pas hostile à ce que la réflexion sur ce sujet se poursuive entre mon ministère
et celui de l'intérieur, avec lequel j'ai d'ores et déjà étudié cette
proposition de loi, et en liaison avec les associations d'élus.
M. le président.
La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais
tout d'abord remercier très chaleureusement M. le rapporteur et M. le président
de la commission des affaires culturelles d'avoir soutenu cette proposition de
loi qui tient à coeur à un certain nombre d'administrateurs locaux dont je fais
partie.
Je remercie M. Nachbar pour la clarté de son rapport et les précisions qu'il a
apportées. Il a défendu avec beaucoup de talent et d'ardeur la cause qui est la
nôtre. Je le félicite, en outre, pour la perfection de son style, car, une fois
n'est pas coutume, nous avons des documents qui sont parfaitement intelligibles
et qui exposent fort bien le problème auquel nous sommes confrontés.
Cette proposition de loi résulte purement et simplement de l'expérience - il
ne s'agit donc pas des grands principes évoqués par Mme la ministre ! -
d'administrateurs de communes le plus souvent petites par leur superficie.
C'est le cas de Chinon, dont le maire a organisé un festival médiéval attirant
énormément de monde, et de la commune que j'ai eu l'honneur d'administrer
pendant trente-cinq ans et jusqu'à une époque extrêmement récente, et sur le
territoire de laquelle une fête était organisée.
Les communes concernées ont aussi pour caractéristiques de posséder un
patrimoine, un bâti qui se prêtent particulièrement au style des manifestations
que nous avons mises sur pied. Mais il est tout à fait clair aussi que, tant à
Chinon, en Indre-et-Loire, qu'à Josselin, dans le Morbihan, ou encore à
Moncontour, dans les Côtes-d'Armor, ou même à Concarneau, dans le Finistère,
l'espace extrêmement restreint ne permet pas d'organiser de tels spectacles
ailleurs que sur la voie publique.
Mme la ministre a opposé à cette proposition de loi beaucoup de grands
principes.
Le premier est la liberté d'aller et de venir. Il est vrai qu'il s'agit là
d'une liberté constitutionnelle importante, mais il n'a jamais été dans notre
esprit d'y faire obstacle ! A certaines périodes de l'année et pour certaines
manifestations, on admet d'ailleurs une réglementation du droit d'aller et de
venir, ne serait-ce que pour des manifestations organisées dans la rue. Cela
constitue une certaine entrave au droit d'aller et de venir, il faut bien en
convenir, mais je ne sache pas qu'on ait pris des dispositions pour empêcher
totalement ces manifestations interdisant quelquefois aux habitants d'une ville
d'accéder à leur domicile !
Je comprends tout à fait qu'il faille donc garantir le droit d'aller et venir,
et cette proposition de loi, comme les modifications apportées par M. le
rapporteur, y contribue, totalement, de notre point de vue.
Madame la ministre, vous nous avez également parlé des billetteries. Mais le
système de billetterie que nous avons mis en place pendant dix années pour
notre festival médiéval ne nous a jamais posé le moindre problème !
J'imagine d'ailleurs qu'il en est de même pour le maire de Chinon.
En vérité, le problème auquel nous nous heurtons est un problème non pas de
billetterie, mais de contestataires !
Vous avez aussi insisté sur le fait que ces manifestations culturelles
devaient être gratuites. Mais vous savez fort bien qu'elles ne le sont pas !
Elles sont financées soit par un droit d'entrée, celui que tout spectateur
acquitte pour assister à un concert ou à une pièce de théâtre, soit par
l'impôt.
Mais comment une commune de 2 400 habitants pourrait-elle durablement recourir
systématiquement à l'impôt pour financer le déficit lié à l'organisation d'un
festival médiéval ? Il est clair que les contribuables se révolteraient,
d'autant plus qu'à Chinon, comme dans ma commune, la plupart des spectateurs
qui assistent au spectacle sont des touristes venant soit de l'Hexagone, soit
de pays étrangers !
Par conséquent, financer par l'impôt un tel déficit revient à financer les
loisirs de personnes extérieures à la commune ! Ce n'est absolument pas
supportable par un budget communal qui n'excède pas 10 millions ou 20 millions
de francs.
Certes, dans les rues d'Avignon, le spectacle est gratuit, mais nous ne
disposons pas, dans nos petites communes, de ressources équivalentes à celles
de cette ville, qui perçoit, si je ne me trompe, des subventions extrêmement
élevées émanant de divers intervenants et rendant possible la gratuité. Mais
personne ne viendra investir chez nous ! Il est donc tout à fait normal, de mon
point de vue, que soit demandé à l'usager l'acquittement d'un droit en
contrepartie d'un service, comme l'a très bien dit M. le rapporteur.
D'ailleurs, madame la ministre, je peux vous dire qu'en dix années nous n'avons
jamais enregistré aucune réclamation. Il en est de même à Lorient.
Il est vrai, toutefois, qu'il existe des contestataires professionnels, des
grincheux. Il y a même des spécialistes de la chicane ! Ils ont commencé à
s'attaquer au festival de Chinon, et ils ont continué avec le festival
interceltique de Lorient. Un certain nombre de collectivités, comme celle que
j'administrais, ne voulant pas prendre de risques, ont supprimé ce droit
d'entrée. Il en est résulté des déficits abyssaux qui, naturellement, ne nous
permettent pas de continuer.
Par conséquent, il faut savoir si l'on veut vraiment, comme vous le dites,
démocratiser la culture et la répandre, sans instaurer un système à deux
vitesses, avec, d'un côté, les habitants des villes, qui auraient droit à la
culture grâce aux subventions dont ils bénéficient ou au produit de la taxe
professionnelle qu'ils perçoivent sur leur territoire, et, de l'autre, les
collectivités locales de moindre importance, qui, en réalité, n'auraient plus
accès à la culture, précisément au nom des sacro-saints principes que vous avez
énoncés tout à l'heure et que vous avez utilisés d'une manière qui me paraît
pour le moins contestable.
En la matière, il faut faire preuve de bon sens. Tel est d'ailleurs ce qui a
motivé le dépôt de notre proposition de loi. Il faut aussi, naturellement,
concilier ce texte avec la liberté pour les riverains d'aller et venir.
Madame la ministre, vous nous avez dépeint un tableau quelque peu caricatural
en nous disant que nous risquions aussi, en limitant le droit d'accès aux
communes, de pénaliser le commerce ! Quand nous organisons un festival dans une
commune, croyez-vous vraiment que ce soit pour interdire aux commerçants d'en
profiter ?
Je prendrai l'exemple de ma commune. Grâce au festival médiéval qui a eu lieu
au mois de juillet dernier, les commerçants ont fait, en une journée, un
chiffre d'affaires équivalent à celui du mois de juillet entier des années
précédentes. Ils sont donc loin d'être des victimes !
Vous nous avez dit aussi qu'il ne serait pas possible de contrôler les entrées
ni les dérogations pour la desserte des immeubles riverains, un nombre
considérable de personnes voulant, comme par hasard, ce jour-là, pour rendre
visite à leur vieille grand-mère ou à leur tante, accéder à leur maison de
famille. Madame le ministre, nous acceptons d'autant plus facilement le risque
que nous avons pu mesurer qu'il n'était pas très grand !
Par conséquent, je vous demande de faire preuve de bon sens et de ne pas
attendre le résultat d'une concertation interministérielle dont on sait très
bien qu'en 2030 elle ne sera toujours pas achevée, car je doute fort que l'on
fasse preuve de diligence pour la mener !
Il faut trouver un moyen terme entre le respect du principe de libre
circulation et le droit de financer des spectacles en contrepartie du service
rendu. Cette proposition de loi répondant à cet objectif, y compris telle
qu'amendée par la commission, je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce
texte.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche.
Mes chers collègues, je vais reprendre, au nom de mon groupe, une grande
partie des arguments de Mme la ministre, mais je crois indispensable de les
exposer et, ce faisant, d'expliquer à nouveau les raisons pour lesquelles nous
sommes défavorables à cette proposition de loi.
M. Josselin de Rohan.
Vous le direz à M. Le Drian, à Lorient, et à M. Dauge, à Chinon !
M. Serge Lagauche.
Il peut y avoir des avis différents, mais une majorité se dégage au sein de
notre groupe pour dire que nous ne sommes pas d'accord avec votre proposition
de loi !
Le texte que nous examinons cet après-midi répond à la demande de quelques
élus de certains départements bien déterminés, d'ailleurs je le reconnais
volontiers, tous courants politiques confondus. Il tend à instaurer le paiement
d'un droit d'accès sur certaines voies ou dans certains secteurs d'une commune
à l'occasion de manifestations culturelles ou de fêtes revêtant un caractère
traditionnel.
L'examen de ce texte nous montre clairement les limites du principe de liberté
d'aller et venir face à la nécessité qu'ont les communes d'organiser certaines
fêtes ou manifestations culturelles dans des conditions économiquement
satisfaisantes.
Le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de se prononcer sur ce
principe de liberté d'aller et venir, affirmant qu'il ne saurait être érigé au
rang de principe constitutionnel et qu'il pouvait être nuancé en cas de besoin
pour le versement d'une redevance en contrepartie de certaines utilisations de
la voie publique. Il s'agissait, en l'occurrence, de ponts à péage, dont la
nécessité et la permanence ne sauraient s'apparenter au cas qui nous retient ce
soir, à savoir les manifestations culturelles.
Le caractère éphémère de telles manifestations nous autorise-t-il à nous
prévaloir de la jurisprudence applicable aux ponts à péage et à légiférer ainsi
de façon durable dans le même sens ?
Nous sommes très attachés à la promotion et au développement des différentes
pratiques culturelles. A ce titre, nous souhaitons que les communes qui
désirent organiser des manifestations tendant à promouvoir ce type de pratiques
puissent le faire dans les meilleures conditions.
Nous nous interrogeons néanmoins sur l'effet à double tranchant que
constituera la possibilité, pour les communes, de percevoir un droit d'accès de
la part des personnes souhaitant assister à ces manifestations de rue.
Il est certes regrettable que des communes, faute de financement suffisant,
aient dû renoncer à certaines de leurs manifestations culturelles. Mais fixer
un droit d'accès payant, même très encadré et restreint - limitation à deux
manifestations par an et, selon le voeu de notre rapporteur, garanties pour les
riverains - pour permettre un meilleur financement de ces manifestations me
semble peu approprié au nom du droit d'accès du plus grand nombre de citoyens
aux pratiques culturelles.
De surcroît, nous avons pris bonne note des explications du rapporteur, qui a
précisé que l'accès payant aux parties concernées d'une commune pourrait durer
plusieurs jours si la manifestation se déroulait elle-même sur plusieurs jours.
Cette disposition nous semble très lourde de conséquences pour la vie
quotidienne des habitants de la commune, et plus particulièrement pour la
circulation et le commerce.
En appliquant à la lettre la proposition de loi, on peut donc très bien
imaginer un accès payant à l'ensemble de la ville d'Avignon, même si la
manifestation qui s'y déroule est fortement subventionnée.
Vous le savez bien, même si toutes les manifestations culturelles sont
subventionnées, on demande toujours un peu plus aux collectivités locales pour
faire encore mieux et pour avoir davantage de moyens. Un tel accès payant à
l'ensemble de la ville d'Avignon aurait lieu durant plusieurs semaines, pendant
toute la durée du festival. Outre la situation ubuesque qui découlerait d'une
telle décision - on imagine les files d'attente et les embouteillages pour
accéder au centre d'Avignon ! - une telle pratique serait totalement contraire
à l'esprit même de ce festival, au cours duquel se sont toujours mêlés
harmonieusement grands professionnels et amateurs, ce mélange étant
particulièrement important pour ces derniers.
De façon générale, il nous semble que ce n'est pas en faisant payer l'entrée
de ces manifestations que l'on incitera les gens à y assister. Aussi, même si
je comprends le souci des élus signataires de cette proposition de loi, nous ne
pouvons cautionner un texte qui aura inévitablement pour effet de restreindre
l'accès de nos concitoyens aux pratiques culturelles.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique. -
Après l'article L. 2213-6 du code général des
collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2213-6-1 ainsi rédigé
: