Séance du 30 mai 2000
ORIENTATIONS
DE LA PRÉSIDENCE FRANÇAISE
DE L'UNION EUROPÉENNE
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat,
sur les orientations de la présidence française de l'Union européenne.
La parole est à M. le ministre.
M. Hubert Védrine,
ministre des affaires étrangères.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, alors que la France présidera dans quelques semaines
l'Union européenne, le Gouvernement a tenu à présenter au Parlement les enjeux,
les lignes de force et les priorités de cette présidence française. Je le fais
aujourd'hui au Sénat, au nom du Gouvernement. Ces priorités ont été élaborées
collectivement par celui-ci, puis examinées et arrêtées avec le Président de la
République.
Nous venons de célébrer les cinquante ans de la « déclaration Schuman ». Le
traité de Paris sur la Communauté européenne du charbon et de l'acier, puis le
traité de Rome, puis l'Acte unique, les traités de Maastricht et d'Amsterdam
ont été, depuis cette déclaration, autant d'étapes dans la réalisation de
l'idéal visionnaire d'une poignée d'hommes qui ont voulu, sur les leçons et
dans les ruines du fascisme et de la guerre, sceller la réconciliation entre
l'Allemagne et la France, établir la paix entre les nations d'Europe et bâtir,
dans la prospérité, une communauté de destin.
Aujourd'hui, l'Europe est libre, l'Europe est en paix, l'Europe est unie.
C'est un modèle d'intégration sans équivalent qu'elle offre au monde et dont
bien des peuples, bien des pays essaient de s'inspirer et, au premier chef, les
treize pays candidats qui aspirent à nous rejoindre au sein de l'Union.
Notre pays a été, de bout en bout, un des artisans majeurs de cette grande
aventure collective. A l'heure des choix, au moment des difficultés, la France
a toujours su faire avancer la construction européenne de façon pragmatique
mais résolue, et c'est bien cet état d'esprit qui nous anime aujourd'hui.
Ce gouvernement y a également fortement contribué. En rapprochant l'Europe de
ses citoyens, en faisant de l'Europe un espace de croissance économique mais
aussi de cohésion sociale, en oeuvrant pour que l'Union européenne reprenne le
contrôle du processus d'élargissement et qu'il soit procédé préalablement à une
réforme institutionnelle, ce qui est indispensable, il a pris, au cours des
trois dernières années, une large part aux nouvelles orientations qui ont été
décidées.
Cette présidence arrive à un « moment décisif », expression convenue mais
parfaitement exacte aujourd'hui.
La fin de la division de l'Europe, il y a presque dix ans, a rendu possible
mais aussi impératif le grand élargissement. A partir de là, des interrogations
légitimes se sont fait jour quant au fonctionnement d'un ensemble qui comptera
progressivement, vingt, vingt-cinq, peut-être trente membres, voire plus,
interrogations quant à son avenir en tant qu'organisation politique, quant à sa
capacité à peser sur les affaires du monde et, en fait, à sa capacité à
fonctionner, à décider. Ce sont des interrogations justifiées.
Répondre à ce défi exige que, outre les nécessaires réformes
institutionnelles, avec nos partenaires, nous redonnions du sens à la
construction européenne, un sens qui paraît parfois se perdre et que le
Gouvernement a souhaité réaffirmer notamment devant vous.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, l'Union européenne est une
union de nations, une union librement et pleinement consentie par les peuples.
Loin d'être la négation de la nation, l'Europe doit en être, selon nous, le
prolongement et l'approfondissement. Le débat européen n'est pas une donnée
externe au débat national, comme l'histoire politique récente en France nous
l'a amplement montré. La France existe pleinement, mais ne peut plus être
séparée de l'Europe. C'est vrai, d'ailleurs, maintenant, pour tous les Etats
membres.
L'Europe, ce sont des cultures proches qui s'enrichissent mutuellement et où
la démocratie et les libertés s'épanouissent.
Ce gouvernement met tout en oeuvre pour que l'Europe soit un espace de
croissance, pour que l'Europe soit mise au service du plein emploi et de la
cohésion sociale. L'Europe doit, dans cette perspective, reconquérir une
prééminence technologique, favoriser la créativité, défendre ses intérêts
collectifs dans la compétition mondiale - on sait à quel point elle est rude -
et contribuer à une globalisation maîtrisée. L'Europe est, pour nous, un
ensemble où les luttes sociales ont fait avancer la conquête de l'égalité et de
la justice, et où la performance économique est indissociable du progrès
social.
Voilà ce qu'est, pour nous, l'Europe.
La France souhaite conduire une présidence ambitieuse tout en s'inscrivant
dans la continuité des travaux de l'Union européenne. A cet égard, je salue
l'excellent travail accompli par la présidence portugaise, dont la tâche n'est
pas encore terminée.
Dans cette perspective, le Gouvernement travaillera comme un organe politique
collégial : je serai amené à présider le conseil des ministres dit « affaires
générales », et alors Pierre Moscovici y représentera la France. Mais parfois,
souvent même, ce sera Pierre Moscovici qui le présidera. Cela étant, en plus de
la tâche qui nous est impartie et compte tenu de nos fonctions, chacun de nos
collègues ministres sera pleinement mobilisé pour assumer la responsabilité qui
nous est confiée.
Trois axes guideront la présidence française, et je regrouperai selon ces
trois axes l'ensemble des tâches qui nous attendent et des actions que nous
voulons mener.
Nous voulons, d'abord, une Europe au service de la croissance et du plein
emploi ; ensuite, une Europe plus proche des citoyens ; enfin, une Europe plus
efficace et plus forte, sans quoi tout le reste serait vain.
Premier axe, donc : une Europe au service de la croissance et du plein
emploi.
Comme nous nous y étions engagés devant les Français, nous avons mis ces
questions au coeur de l'action européenne : à Amsterdam, avec la résolution sur
le pacte de solidarité et de croissance ; à Luxembourg, avec la première
réunion du Conseil européen consacrée à l'emploi ; à Cardiff, en mettant
l'accent sur la réforme économique ; à Cologne, enfin, avec l'idée d'un Pacte
européen pour l'emploi.
C'est dans le même eprit que nous soutenons l'action de la présidence
portugaise. La conjugaison de nos efforts nous a permis de définir, lors du
récent Conseil européen de Lisbonne, un objectif stratégique qui répond à celui
que nous avons fixé pour notre propre pays : la reconquête du plein emploi à
l'horizon de la décennie. Pour y parvenir, une croissance annuelle moyenne de 3
% a été acceptée comme référence commune par les Quinze.
Nous allons maintenant travailler à la mise en oeuvre des propositions
concrètes adoptées à Lisbonne.
Notre première priorité sera l'adoption d'un « agenda social ». S'il faut,
certes, satisfaire aux exigences de la compétition économique mondiale, nous
n'entendons pas renoncer au modèle de société que nous avons construit depuis
un demi-siècle. Aucun européen ne le souhaite.
Une Europe plus forte, plus compétitive, c'est aussi une Europe au service de
la justice sociale. Je souhaite donc que le contenu de cet agenda soit
ambitieux, avec une protection sociale élevée, un droit adapté aux évolutions
de l'organisation du travail, une politique de l'emploi qui tienne compte des
mutations de l'appareil industriel, ainsi que la lutte contre l'exclusion et
contre toutes les formes de discrimination. A cette fin, nous définirons un
programme de travail à l'horizon de cinq ans avec la Commission européenne et
tous les acteurs concernés - gouvernements, Parlement européen, partenaires
sociaux, milieux associatifs.
Notre deuxième priorité est le renforcement du pôle économique que nous avons
contribué à instaurer, à côté du pôle monétaire représenté par la Banque
centrale européenne.
L'euro a contribué fortement à notre stratégie collective de croissance et
d'emploi. L'euro a, jusqu'à présent, d'autant mieux joué ce rôle qu'il repose
sur des fondements qui sont et qui restent solides : la croissance économique
de la zone euro s'accélère ; les pressions inflationnistes sont contenues ; les
transactions courantes sont en excédent et le pouvoir d'achat des citoyens
européens est garanti.
L'euro a mis l'Europe à l'abri des désordres monétaires en jouant le rôle de «
bouclier » qu'on attendait de lui. C'est pourquoi sa situation actuelle n'est
pas représentative de ces atouts majeurs et du fort potentiel de croissance de
la zone. Nous devons donc renforcer le rôle de l'euro 11 et veiller à la
coordination de nos politiques éonomiques au-delà de ce qui se fait déjà, afin
d'assurer une meilleure visibilité de la politique économique de la zone euro
et de l'autorité, naturellement politique, qui doit la piloter.
Le Premier ministre, le ministre de l'économie et des finances et moi-même
l'avons dit à plusieurs reprises il y a quelques jours, nous prendrons des
initiatives concrètes sous notre présidence.
Nous nous efforcerons également, malgré des réticences que nous connaissons
bien, malheureusement, de faire avancer l'harmonisation fiscale, nécessaire au
bon fonctionnement du marché unique et à la lutte contre la concurrence
déloyale. L'Europe doit aussi mettre en oeuvre pour elle-même, et proposer plus
largement pour le monde, de nouvelles régulations économiques, et, pour cela,
hâter l'organisation de la scène financière internationale, à travers,
notamment, l'adoption de la directive sur le blanchiment des capitaux, en
soutien de l'action menée par le G7.
Nous poursuivrons la lutte contre la criminalité organisée en favorisant le
rapprochement des dispositions juridiques relatives au dépistage et à la
confiscation d'avoirs d'origine criminelle ou provenant de centres
off-shore
. D'ailleurs, depuis les décisions rigoureuses prises au sein
du G7 sur ce sujet, on voit enfin apparaître, sur ce sujet, de véritables
informations et s'exprimer une vraie volonté politique que l'Europe devra
relayer avec toute son énergie.
Notre troisième priorité est de placer l'Europe à la pointe de la société de
l'information.
Pour nourrir sa croissance et retrouver le plein emploi durablement, l'Europe
doit s'affirmer comme le continent de l'innovation. Nous soutiendrons la
création d'entreprises innovantes grâce au capital-risque. Au profit de la
compétitivité de nos entreprises, nous encouragerons l'Internet de deuxième
génération ainsi que les contenus et les services européens. Nous nous
efforcerons de faire progresser l'adaptation du cadre réglementaire européen
aux exigences de la société de l'information.
Dans le même temps, il est important de préserver la cohésion sociale face à
la menace de ce que certains appellent la « fracture numérique » : tous ces
bouleversements technologiques comportent des potentialités considérables, mais
aussi le risque de voir les sociétés éclater entre ceux « qui suivent » et ceux
« qui ne suivent pas ».
Nous progresserons vers l'objectif, fixé à Lisbonne, d'un raccordement de
toutes les écoles à l'Internet d'ici à la fin de 2001.
Notre quatrième priorité sera la construction d'un véritable espace européen
de la connaissance.
C'est, en effet, par l'éducation que les jeunes Européens acquerront les
références culturelles communes indispensables à l'émergence d'une citoyenneté
et d'une Europe politiques. L'Europe, dans sa diversité, est forte de son
système éducatif comme de sa recherche fondamentale et appliquée.
Elle dispose ainsi d'atouts décisifs dans la compétition économique et dans la
compétition internationale, en matière de formation. Mais nous devons encore
améliorer les échanges et la confrontation des idées, des pratiques et des
techniques. C'est pourquoi il reviendra à notre présidence de définir une
démarche permettant de lever les obstacles qui demeurent encore à la mobilité
des étudiants, à celle des enseignants et à celle des chercheurs en Europe. Il
est d'ailleurs stupéfiant que ces obstacles subsistent encore après tant
d'années. Nous avons donc l'intention de nous y attaquer. L'objectif pourrait
être de multiplier par dix, en cinq ans, le nombre d'étudiants en mobilité.
Les priorités que je viens d'évoquer se traduiront par des programmes de
travail dont la mise en oeuvre dépassera naturellement le second semestre 2000,
mais elles amplifieront la réorientation de l'Europe vers la croissance et
l'emploi.
J'en viens au deuxième axe de notre présidence : une Europe plus proche des
citoyens, c'est-à-dire une Europe qui réponde mieux à leurs préoccupations
concrètes ou d'une façon qu'ils perçoivent mieux.
Au premier rang de ces préoccupations figurent sans aucun doute aujourd'hui la
santé publique et la protection des consommateurs. Nous avons tous à l'esprit,
en particulier, le dossier de la « vache folle ». Le Gouvernement français
souhaite pouvoir jeter les fondations d'une « autorité alimentaire européenne
indépendante », telle que la Commission européenne l'a préconisée dans son
Livre blanc sur la sécurité des aliments.
La France cherchera aussi à faire progresser la réflexion sur le principe de
précaution, qui est étroitement lié à cette question en s'appuyant, en
particulier, sur les travaux que nous avons menés à l'échelon national. Elle
s'attachera à ce que des mesures concrètes soient adoptées pour renforcer
l'étiquetage des organismes génétiquement modifiés et la traçabilité des
filières.
Une autre préoccupation majeure des citoyens est l'accès de tous à des
services publics de qualité, respectant pleinement les impératifs de
continuité, de fiabilité et d'égalité. La présidence française sera donc
l'occasion de mener un travail de réflexion sur l'importance des services
d'intérêt général en Europe.
Dans le domaine de l'environnement, la présidence française s'efforcera de
faire progresser la lutte contre l'effet de serre lors de la conférence de La
Haye de novembre 2000 et de faire franchir à l'Europe une étape déterminante
dans la mise en oeuvre du protocole de Kyoto visant à lutter contre l'effet de
serre. La conférence préparatoire, qui se tiendra à Lyon, en juillet prochain,
constituera, à cet égard, une échéance importante.
Comme vous le savez, la France a été le premier pays européen à avoir adopté
un programme national de lutte contre l'effet de serre. D'ailleurs, l'effort
qui lui a été demandé a été le moins important. En effet, en raison de la part
de l'électronucléaire dans notre production d'énergie, nous contribuons moins
que les autres pays à cet effet de serre. Notre pays est, au reste, à peu près
le seul de tous ceux qui se sont engagés à Kyoto à avoir atteint ses objectifs
et donc respecté ses engagements.
Pour ce qui concerne la sécurité dans les transports, je souhaite - le Premier
ministre l'avait annoncé après le naufrage de l'
Erika
- que notre
présidence permette l'adoption d'un ensemble cohérent et concret de mesures
visant à l'amélioration de la sécurité du transport maritime. Nous viserons
aussi des progrès effectifs dans l'harmonisation des temps de travail dans le
transport routier.
La maîtrise de la politique d'immigration et du droit d'asile intéresse
également légitimement nos concitoyens. Elle justifie qu'une action concertée
soit entreprise à l'échelle européenne. Des orientations importantes ont été
décidées en octobre 1999, lors du Conseil européen spécial qui s'est tenu à
Tampere, en Finlande. La présidence française en engagera la mise en oeuvre
pour ce qui concerne, en particulier, la délivrance des titres de séjour de
longue durée, l'harmonisation des conditions d'accueil et le renforcement de la
lutte contre l'immigration irrégulière.
Quant à la réalisation d'un espace judiciaire européen, la multiplication des
cas difficiles concernant, par exemple, les enfants de couples binationaux
divorcés, appelle l'adoption, sous notre présidence, de mesures visant,
notamment, à la reconnaissance mutuelle des jugements et des décisions
judiciaires. Cette reconnaissance mutuelle sera également importante pour nos
entreprises. Plus largement, nous devrons aussi progresser vers la création
d'un réseau judiciaire européen. L'affaire Rezala a montré l'importance qui
s'attache à marquer des avancées en matière pénale.
M. Robert Badinter.
Très bien !
M. Hubert Védrine,
ministre des affaires étrangères.
Dans le domaine du sport, nous
souhaitons que le second semestre 2000 soit l'occasion de renforcer
l'efficacité de l'action européenne contre le dopage.
Par ailleurs, une déclaration pourrait être adoptée au Conseil européen de
Nice pour affirmer, dans le droit communautaire, la spécificité et le rôle
social de ce secteur.
Enfin, nous devons préparer les Français - et les Européens membres de l'euro
11 - à la mise en circulation de l'euro. Certes, le passage pratique à l'euro
relève d'abord de la responsabilité des Etats et des gouvernements - nous y
veillerons pour ce qui nous concerne - mais nous devrons, sans attendre,
accorder, à l'échelon communautaire, une attention particulière à la
préparation de cette échéance qui sera, pour le grand public européen, le vrai
moment de l'adoption de l'euro.
Nous devrons mettre en place un échange plus étroit d'informations et une
meilleure coordination entre les Etats membres, afin de préparer, concrètement,
l'introduction, en janvier 2002, des billets et des pièces en euro.
Répondre aux préoccupations des Européens, mesdames, messieurs les sénateurs,
c'est aussi veiller à ce que leur sécurité collective, à l'échelle du continent
européen, soit assurée.
Notre présidence sera, à cet égard, l'occasion de confirmer la perspective
historique que nous avons ouverte depuis près de deux ans avec l'ébauche d'une
Europe de la défense.
Pendant cette période, des progrès vraiment décisifs ont été accomplis. La
France a joué un rôle essentiel, comme la Grande-Bretagne, de son côté. Ces
progrès ont permis de rendre crédible un projet que nul n'osait évoquer encore
récemment dans les enceintes européennes. Notre présidence s'attachera à
préparer le passage aux structures définitives de cette Europe de la défense,
sujet que le Président de la République a évoqué ce matin.
Grâce au rapprochement de ses forces armées, il faut que l'Europe, fidèle à
son attachement à la paix et au respect du droit international, puisse assurer
sa sécurité et participer également à la prévention des conflits à travers le
monde. Le déploiement réussi de l'Eurocorps au Kosovo en est une étape. Il nous
faudra être capables d'aller plus loin. C'est à cela que nous travaillons en
permanence, en étroite coordination avec nos partenaires et en ayant comme
objectif de franchir de nouvelles étapes au cours de ce second semestre 2000
pendant lequel nous exercerons la présidence.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les priorités importantes que j'ai
évoquées, le progrès du modèle social européen, l'assurance d'une Europe qui
soit au service de tous ses citoyens et ressentie comme telle, tout cela n'a se
sens que si l'Union européenne fonctionne, fonctionne mieux même, mais de toute
façon fonctionne, ce qui m'amène à mon dernier thème.
Nous voulons, en effet, une Europe plus efficace et plus forte, et nous y
consacrerons toute notre énergie pendant notre présidence.
Déjà, aujourd'hui, on constate que les institutions européennes ont plus de
mal à opérer, pour un certain nombre de raisons dont la première tient au
nombre : institutions conçues à six, elles se sont adaptées plus ou moins bien
à chaque élargissement - il y en a déjà eu plusieurs - mais, on le voit bien
aujourd'hui, elles ont des difficultés. Elles se sont adaptées également,
difficilement, à certaines modifications des traités et des mécanismes qui,
tout en perfectionnant, parfois alourdissent les choses.
Cette prise de conscience intervient alors même que nous sommes avant ce que
j'appelais tout à l'heure le grand élargissement et chacun en Europe perçoit
bien que cela n'a pas de rapport, que c'est d'une autre nature que les
élargissements qui nous avaient fait passer de six à neuf, de neuf à dix, de
dix à douze, voire de douze à quinze, même si c'est à partir de ce moment-là
que sont apparus certains dysfonctionnements.
Donc, cette grande perspective de l'élargissement environne toutes les
décisions et toutes les réflexions européennes depuis la chute du mur,
c'est-à-dire depuis une dizaine d'années environ. C'est par rapport à elle que
nous avons finalement, après beaucoup de discussions entre membres de l'Union
européenne, apporté une réponse à Helsinki, lors du Conseil européen de
décembre, réponse qui, je crois, est rationnelle et logique, et qui répond
autant qu'il est possible à l'insistance française pour mieux maîtriser
l'élargissement, pour le réussir et faire en sorte qu'il se fasse non pas en
affaiblissant l'Europe, à la construction de laquelle nous avons consacré des
décennies, mais en la renforçant.
Cette question de l'élargissement sera l'une de nos responsabilités
essentielles pendant notre présidence et, à cet égard, nous aurons à coeur
d'inciter la Commission à entrer dans l'essentiel de la négociation. Jusqu'à
présent ce qui a été fait dans ce domaine est une sorte de travail
préparatoire, qui a consisté à regarder les chapitres dans lesquels se
posaitent des problèmes et ceux dans lesquels il ne s'en posait pas. Il faut
maintenant, dans ceux où des problèmes se posent, que la vraie négociation
s'engage, y compris sur les aspects les plus difficiles. Les pays candidats le
demandent.
C'est important par rapport à leur opinion publique, mais cela est aussi
conforme à nos intérêts. Puisque nous voulons réussir l'élargissement, nous
avons intérêt à savoir le plus vite possible où se posent des problèmes,
comment nous pourrons les surmonter et selon quel calendrier. Celui-ci n'est
pas fixé à l'avance puisque, à Helsinki, nous avons sagement écarté l'idée de
fixer arbitrairement des dates pour l'entrée de tel ou tel pays. Nous avons
simplement fixé une date afin d'être prêts nous-mêmes pour accueillir ceux qui
seraient prêts à entrer, mais il faut une perspective pour avoir une idée du
temps qui est encore nécessaire au cas pas cas, pays par pays, sujet par sujet,
pour boucler complètement cette négociation.
Tout cela nous amène à la même conclusion : il faut que cette Europe
fonctionne mieux et puisse encore fonctionner demain après les différents
élargissements qui nous conduiront à ce grand élargissement. Cela suppose des
mécanismes de décision clairs, compréhensibles et, surtout, efficaces. C'est
une condition préalable avant d'aborder tous les autres sujets que j'ai évoqués
depuis le début de mon propos. En effet, si cette Europe excessivement élargie
n'était plus en mesure de prendre les décisions nécessaires, à quoi
servirait-il d'avoir des programmes de plus en plus ambitieux dans tous les
domaines ?
Vous le comprenez bien, je vais en venir, à propos de ce cap politique de la
présidence française, à la question de la conférence intergouvernementale.
Auparavant, je dirai un mot de la charte européenne des droits fondamentaux. A
l'origine, il s'agissait d'une proposition allemande, acceptée par les autres
partenaires et sur laquelle nous travaillons pour donner une forme
compréhensible par tous à cette communauté de valeurs qu'est de plus en plus
l'Europe d'aujourd'hui.
Les travaux d'élaboration de cette charte sont en cours. Le Parlement
européen, les parlements nationaux, les gouvernements et des experts y
participent activement. A la fin de notre présidence, entre le Conseil européen
de Biarritz qui se tiendra en octobre et le Conseil européen de Nice qui aura
lieu en décembre, nous verrons quel statut exact nous pouvons donner à cette
charte.
Nous nous orienterons vraisemblablement vers un statut politique, sans qu'il
soit pour autant exclu de donner à cette charte une force juridique dans les
traités, mais c'est un débat dont on voit aujourd'hui qu'il ne peut pas être
conclu de façon consensuelle entre les différents pays européens qui n'ont pas
la même approche sur le sujet. Cela ne doit pas nous empêcher de négocier pour
le moment le texte politique le plus fort possible, visant à rendre les
institutions européennes plus sensibles aux préoccupations des Européens dans
les domaines de la liberté, de la justice, de la croissance, de l'emploi, de la
santé, de la sécurité, de l'égalité des chances et de l'environnement. Et par
étape - cette étape politique peut un jour permettre d'aller plus loin, jusque
dans les traités - cette charte trouvera sa place dans la conscience politique
des Européens.
Mais le second semestre 2000 - et ce seront mes dernières remarques -
constituera un moment décisif pour la réforme des institutions de l'Union
européenne.
Vous vous rappelez que, après l'échec d'Amsterdam, il ne s'était trouvé en
Europe que trois pays - la France, la Belgique et l'Italie - pour réclamer une
réforme des institutions avant tout prochain élargissement. Après, la prise de
conscience de ce que représente l'élargissement a amené les pays, les uns après
les autres, à se rallier à cette idée. Ensuite, nous avons décidé ensemble
d'ouvrir une nouvelle conférence intergouvernementale pour cette réforme ;
c'est celle-là qui a été lancée par nos amis portugais au mois de février et
qui a commencé ses travaux, lesquels portent d'ailleurs jusqu'à présent surtout
sur les questions de la majorité qualifiée.
Nous allons donc prendre cette présidence de la CIG en même temps que nous
prendrons la présidence de l'Union européenne début juillet. Vous avez tous à
l'esprit que cette conférence intergouvernementale a comme programme
prioritaire de régler trois questions qui ne l'ont pas été à Amsterdam. Il
s'agit de questions très importantes, dont on parle parfois en disant que ce
sont des « reliquats », mais ce terme conduit à sous-estimer l'importance du
sujet ; on l'a bien vu à la difficulté des premiers échanges qui ont lieu sous
présidence portugaise.
Je rappelle ces trois questions rapidement, car chacun les connaît : rendre à
la Commission une taille et une organisation susceptibles de lui permettre
d'assumer son rôle d'impulsion - se pose donc là un problème de nombre, un
problème de répartition et, éventuellement, un problème de hiérarchisation ;
généraliser, à quelques exceptions près, le champ du vote à la majorité
qualifiée dans les domaines communautaires pour éviter la paralysie - là aussi,
le travail méthodique a commencé pour voir dans quels domaines tel ou tel pays
est prêt à élargir ce vote à la majorité qualifiée, mais, pour le moment, les
disponibilités des uns ne correspondent pas aux disponibilités des autres et
nous ne sommes donc pas encore au bout de nos peines ; enfin - mais toutes ces
questions sont étroitement liées - rendre plus fidèle aux réalités
démographiques le poids relatif de chaque Etat membre dans les décisions prises
par le Conseil de l'Union. Aujourd'hui, si l'écart est de un à deux cents dans
les populations des pays membres de l'Union, l'écart est de un à cinq dans les
droits de vote.
Je n'oublie pas, bien évidemment, des réformes qui, bien qu'elles ne relèvent
pas des traités, n'en sont pas moins très importantes : elles concernent, pour
l'essentiel, l'organisation et les méthodes de travail de la Commission et du
Conseil, qu'il s'agisse du Conseil européen ou du Conseil « affaires générales
», ainsi que de tous les autres conseils qui en procèdent. Il nous faut, en
particulier, un Conseil européen mieux structuré, à même d'exercer une
meilleure coordination des activités de l'Union et assumant l'ensemble de ses
prérogatives par rapport à celles de la Commission européenne et du Parlement
européen, qui doivent eux-mêmes se réformer et s'améliorer.
Nous ferons donc tout ce qui dépendra de nous pour conclure par un vrai
résultat - car nous ne sommes pas prêts non plus d'accepter à Nice n'importe
quel résultat sous prétexte que nous exerçons la présidence de l'Union, nous
voulons un vrai résultat - la négociation engagée par nos amis portugais sur
ces réformes strictement indispensables au fonctionnement de l'Union.
Dans ces réformes indispensables, j'inclus naturellement, en plus des trois
sujets non traités à Amsterdam ou non réglés, les « coopérations renforcées ».
On sait que, par ces termes, on désigne un mécanisme qui permet à quelques
Etats d'aller plus loin, plus vite que d'autres, de traiter un sujet qui
n'intéresse pas l'ensemble des Etats membres.
On sait aussi que beaucoup de choses se sont produites de cette façon dans
l'histoire de l'Europe, même si ce n'était pas à proprement parler en
application des traités. C'est ainsi que l'Union économique et monétaire a été
lancée. C'est également ainsi que Schengen a été lancé. On pourrait même dire
que Airbus ou Ariane sont, sur le plan industriel, des sortes de coopérations
renforcées, à une époque où le concept n'existait pas et ne figurait donc pas
dans les textes. Aujourd'hui, ce mécanisme existe dans le traité d'Amsterdam,
mais il est subordonné à tellement de conditions quant au déclenchement, aux
sujets et aux participants, il est assorti de tant de droits de veto par ceux
qui seraient défavorables à cette procédure que, en réalité, il est
inutilisable.
Nous estimons que l'un des objectifs de la conférence intergouvernementale par
rapport à l'avenir - cela correspond aussi bien à des besoins pragmatiques qu'à
des visions plus ambitieuses à plus long terme sur l'Europe - c'est
l'assouplissement des coopérations renforcées.
Depuis cette prise de conscience qu'ont provoquée les décisions d'Helsinki sur
l'ouverture de la négociation avec six autres pays, à laquelle s'ajoute
l'enregistrement, mais sans ouverture de la négociation, de la candidature
turque, des réflexions de plus en plus nombreuses se développent en Europe sur
l'avenir à long terme de notre Union. Comment éviter la dilution ou la
paralysie d'une Union très élargie ? Comment poursuivre le projet européen
malgré tout ?
Surtout, à partir de cette réalité, des idées très variées sont avancées, qui
se regroupent en deux familles principales : des idées très pragmatiques et des
idées plus fédéralistes. Les réformes des différentes institutions qui sont
proposées, dont je ne reprends pas la liste, s'apparentent plutôt à une
approche ou à l'autre. L'approche à long terme, fédéraliste, s'est traduite par
des propositions de constitution d'une avant-garde de quelques pays, d'une
fédération d'Etats-nations, d'un noyau dur, caractérisé par un surcroît
d'intégration. Ces derniers temps, dans ce débat très utile, on a vu être mise
en avant l'idée d'une Constitution européenne qui serait l'occasion de
redéfinir et de clarifier les compétences et les modes d'action entre l'Union
et les Etats membres. Le ministre allemand des affaires étrangères, M. Joschka
Fischer, a appelé dans un discours récent à la constitution à terme d'une
fédération européenne composée d'Etats-nations, sous une forme à préciser.
Je voudrais dire que ces réflexions, comme le large dialogue démocratique
qu'elles expriment ou qu'elles suscitent en réponse, sont légitimes. Elles sont
utiles. Elles doivent être poursuivies très activement jusqu'à ce qu'elles
convergent et puissent déboucher. Nous devons y participer : nous le faisons,
nous le ferons. Nous ne devons pas pour autant nous dérober à nos
responsabilités immédiates qui sont d'abord et avant tout de faire réussir
cette conférence intergouvernementale, en tout cas de faire tout ce qui dépend
de nous pour cela. Compte tenu des rapports personnels que j'entretiens avec M.
Joschka Fischer et des discussions nombreuses que nous avons, même s'il a ses
idées et si, moi, j'ai les miennes, je sais que lui-même, nos amis allemands et
les autorités allemandes, comme nos autres partenaires européens, attendent de
nous dans cette période, que nous fassions tout ce que nous pouvons pour faire
réussir cette conférence intergouvernementale.
Il ne faut pas opposer ce travail, qui est notre responsabilité immédiate, et
le très légitime débat sur l'Europe à plus long terme. En effet, si nous ne
pouvions pas conclure une conférence intergouvernementale par un résultat
satisfaisant, à quoi servirait-il de débattre et, éventuellement, de nous
opposer les uns aux autres en Europe sur ce que pourrait devenir cette Europe
assez longtemps après ? Il faut commencer par ce qui est notre responsabilité
d'aujourd'hui, en ayant simplement à l'esprit, quand nous traiterons des trois
sujets d'Amsterdam et des coopérations renforcées, les potentiels possibles de
développement et ces différentes hypothèses, qui doivent répondre, pour nous
Français, à une constante : poursuivre le projet de construction d'une Europe
forte. C'est cela qui doit finalement résumer nos prises de position sur chacun
de ces sujets.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, refonder
l'architecture institutionnelle de l'Europe pour lui permettre de retrouver sa
cohérence, de renforcer son rayonnement, lui conférer une volonté politique,
contribuer à en faire un espace de croissance et de plein emploi, tels sont, en
résumé, les objectifs auxquels nous voulons, au cours de notre présidence,
travailler avec détermination, en étroite association avec vous.
L'Europe reste une grande promesse pour cette grande et vieille nation qu'est
la France. Avec elle, notre pays se donne des atouts pour se projeter vers le
monde, pour défendre ses intérêts, pour faire vivre les valeurs qui fondent son
identité et qui sont partagées.
La présidence à venir nous offre une grande chance : montrer que notre pays
est demeuré fidèle à sa vocation de bâtisseur, à son ambition de contribuer à
l'édification d'une Europe plus unie et plus forte. Nous avons su, voilà
cinquante ans, être des pionniers courageux et inventifs. Sachons aujourd'hui
réunir la famille européenne autour de quelques grandes priorités pour lui
donner les moyens d'être un des acteurs majeurs du xxie siècle, en préservant
cette combinaison - unique - de souverainetés partagées et d'identités
respectées qui fait l'originalité de l'aventure européenne et qui le restera.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur quelques travées du
RDSE et de l'Union centriste. - M. Lanier applaudit également.)
(M. Guy Allouche remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers
collègues, à partir du 1er juillet, la France présidera l'Union européenne pour
six mois. Pendant cette période, notre pays aura à mener deux tâches
particulières : d'une part, faire avancer les négociations institutionnelles
engagées dans le cadre de la conférence intergouvernementale et, d'autre part,
comme pour toute présidence, animer l'Union en faisant avancer des chantiers
déjà engagés et en ouvrant de nouvelles perspectives.
S'agissant tout d'abord des négociations institutionnelles, elles s'inscrivent
dans un contexte européen profondément modifié : ce que nous sommes en train de
préparer aujourd'hui, c'est une Europe totalement nouvelle, qui appelle une
véritable refondation. L'élargissement programmé de l'Union, qui pourra compter
jusqu'à trente membres, lui assignera de nouveaux desseins, de nouvelles
ambitions, à la hauteur des espérances que la réunification de notre continent
a fait naître.
Cet élargissement imposera aussi à l'Union son lot de difficultés quant à son
fonctionnement, d'incertitudes quant à son identité, de risques d'incohérence
quant à ses objectifs, sans parler de son financement. La tentation existera
certainement, ici ou là, de promouvoir la zone de libre-échange de préférence à
la communauté organisée autour de valeurs et d'objectifs politiques,
économiques et sociaux qui fondent le combat européen depuis un demi-siècle.
La réforme institutionnelle en cours a pour objectif, précisément, de doter
l'Union de moyens de fonctionnement rénovés et efficaces propres à contrer
cette tentation et ce risque de dilution.
Les trois sujets prioritaires à l'ordre du jour - la nouvelle pondération des
voix au Conseil, l'extension du champ des décisions prises à la majorité
qualifiée, l'effectif de la Commission - après avoir été les « oubliés
d'Amsterdam », sont désormais les « incontournables de Nice ». Chacun est
indissociable des deux autres, et tous trois constituent le trépied sur lequel
devront reposer des institutions communautaires adaptées aux enjeux futurs.
Sans entrer dans le détail des propositions qui font encore l'objet de
négociations difficiles, je crois que le point qui devra justifier, de la part
de la France, l'insistance la plus forte sera la repondération des votes au
Conseil, d'où découleront tout à la fois le supplément d'efficacité
institutionnelle le plus substantiel et la garantie, pour le Conseil, de
préserver son rôle face à la Commission.
Je voudrais aborder un autre thème, également évoqué dans le cadre de la
conférence intergouvernementale, qui prend, depuis quelques semaines, une
importance capitale : celui des « coopérations renforcées ».
En instituant cette procédure destinée à permettre à un nombre réduit d'Etats
de progresser ensemble plus rapidement sur certains sujets, le traité
d'Amsterdam avait ouvert une fenêtre institutionnelle utile à la construction
européenne. Mais c'était pour la refermer presque aussitôt, en l'encadrant dans
des règles de mise en oeuvre particulièrement restrictives.
L'assouplissement de ces règles est une évidente nécessité, qui s'inscrit
d'ailleurs dans un débat plus large qui ne fait que s'amplifier et qui concerne
l'un des aspects essentiels de la future Union élargie, à savoir la
possibilité, pour certains Etats, d'engager, entre eux d'abord pour l'ouvrir à
d'autres ensuite, un approfondissement de leur coopération dans certains
domaines. Les grandes avancées européennes récentes se sont faites ainsi.
Dans ce contexte, les propositions de M. Joschka Fischer constituent une base
de réflextion particulièrement intéressante. Elles se fondent sur des
initiatives dont nous avons eu l'occasion de débattre au sein de la commission
des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et avec la
délégation du Sénat pour l'Union européenne, lorsque nous avons entendu M.
Jacques Delors, qui préconise « une avant-garde » d'Etats, résolus à progresser
dans des domaines essentiels de la construction européenne.
Cette idée, ainsi que celle du « noyau dur », avancée en son temps par des
parlementaires allemands, et que la proposition actuelle de « centre de gravité
» du ministre allemand des affaires étrangères tendent toutes vers une même fin
: trouver pour demain un antidote aux risques de paralysie communautaire,
approfondir la construction européenne dans les domaines où s'expriment les
besoins des peuples, dans le respect de la souveraineté des Etats ou dans le
cadre de concessions librement consenties.
Dans le processus en trois étapes développé par M. Fischer, les coopérations
renforcées sont donc le « premier étage de la fusée ». De ce fait, l'actuelle
négociation sur ce sujet prend une signification nouvelle : elle peut
s'inscrire dans une vaste démarche de refondation politique et
institutionnelle, dont on peut bien sûr débattre les modalités, mais qui a le
mérite de tracer un cap et de dégager l'horizon pour l'avenir de l'Union. Je
souhaite personnellement que notre présidence prochaine, légitimement fondée
sur le pragmatisme et le réalisme, puisse, d'une manière ou d'une autre,
s'intégrer à cette initiative, renouvelant ainsi une solidarité
franco-allemande pour l'Europe qui a, depuis quelque temps, donné des signes
d'essoufflement.
Monsieur le président, mes chers collègues, notre présidence ne se limitera
pas à la seule réforme institutionnelle débattue par la conférence
intergouvernementale. Elle devra aussi faire progresser l'Union sur des
chantiers plus traditionnels, voire en ouvrir de nouveaux. Vous avez décrit les
nombreux sujets sur lesquels la présidence française entend travailler et qui
correspondent à un voeu largement partagé de rapprocher l'Europe des
citoyens.
Je voudrais, pour ma part, évoquer brièvement la question de la politique
étrangère et de sécurité commune, et plus particulièrement les progrès
significatifs enregistrés en matière de défense européenne.
Sur ce point, les décisions prises ces derniers mois autorisent un certain
optimisme. L'attitude fondamentalement nouvelle de la Grande-Bretagne pour une
défense européenne plus autonome à l'égard de l'Alliance atlantique a permis de
lever un blocage ancien. Les récentes décisions britanniques relatives à des
choix d'équipements majeurs confirment cette orientation et démontrent qu'elle
ne relève pas du seul discours. Les engagements du Conseil de Cologne, les
décisions concrètes d'Helsinki et la mise en place des instances
politico-militaires intérimaires démontrent qu'une volonté politique cohérente,
fondée sur le diagnostic partagé d'une nécessaire capacité militaire
européenne, a donné un coup d'accélérateur à une ambition pour laquelle la
France avait longtemps bataillé seule.
Mais beaucoup reste à faire, et la présidence française devrait conduire des
négociations délicates : mettre en oeuvre les décisions prises en termes
opérationnels et entériner les contributions précises des Etats membres à cette
force européenne conjointe.
Enfin, la réalisation de l'objectif - une force de réaction rapide de 60 000
hommes projetables et déployables pendant un an pour effectuer les « missions
de Petersberg » - requiert bien d'autres développements : en premier lieu, les
Etats membres devront harmoniser leurs programmations militaires - nous n'en
sommes pas là - restructurer leurs forces en optant pour une
professionnalisation progressive. Ils devront par ailleurs harmoniser leurs
politiques d'acquisition d'équipements et s'assigner des objectifs budgétaires
en matière de défense qui soient à la hauteur des budgets et des besoins
européens identifiés. Si certains de nos partenaires, et non des moindres,
n'inversaient pas en ce domaine la tendance constatée depuis plusieurs années
et si nous-mêmes, Français, ne poursuivions pas notre effort militaire, comme
je le crains, c'est la crédibilité de l'ensemble qui serait compromise.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du
RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Je crois enfin que, s'il convient d'éviter les duplications inutiles avec
les ressources de l'Alliance, il est cependant des duplications nécessaires,
comme les capacités de communication et de commandement, de transports ou
encore les moyens d'acquisition et surtout de gestion du renseignement, sans
lesquelles l'autonomie européenne restera un voeu pieu.
M. Aymeri de Montesquiou.
Très bien !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Progressivement,
cette capacité militaire européenne acquerra ainsi plus de substance que la
politique étrangère commune, dont elle n'est cependant censée être que l'outil
opérationnel en cas de crise grave.
Cette « timidé diplomatique » européenne n'est en rien imputable à celui qui a
la charge difficile de la personnifier, M. Javier Solana, sont haut
représentant. C'est que la PESC, la politique étrangère et de sécurité commune,
telle que les traités de Maastricht et d'Amsterdam en ont formulé les
procédures et les limites, ne peut guère déboucher sur autre chose que sur des
déclarations ou des actions minimales. La situation est d'autant plus choquante
que l'Union contribue financièrement, de façon souvent massive, aux opérations
de reconstruction civile d'Etats meurtris par les guerres. Commercialement
active, financièrement généreuse, l'Union apparaît encore, sur la scène
internationale, politiquement beaucoup trop discrète.
Dans ce domaine cependant, on le sait, la priorité reste aux diplomaties
nationales qui, loin de se voir déclasser, doivent, au contraire, redoubler
d'initiatives et d'imagination. Rien n'empêche d'ailleurs que, hors traité,
mais en toute transparence avec nos partenaires, un nombre réduit de pays, dont
le nôtre, coordonnent leurs analyses et leurs actions sur la scène
internationale. Ces « coopérations parallèles », qui constituent un moteur
diplomatique informel, pourraient être intégrées, sous une forme qui reste à
déterminer, dans un cadre institutionnel.
Les sujets que je viens d'évoquer, la conférence intergouvernementale, la
politique étrangère et la politique de défense de l'Union européenne ne
résument évidemment pas, loin de là, les thèmes qui seront abordés au cours du
second semestre.
Mais je crois que la capacité de l'Union à devenir un acteur politique
essentiel sur la scène internationale est un enjeu prioritaire, en particulier
parce que cet objectif est conforme à une ambition française et qu'il est
partagé désormais avec des partenaires importants, parmi lesquels l'Allemagne,
qui vient de réaffirmer son engagement européen et qui doit demeurer, sur ce
sujet comme sur d'autres, notre interlocuteur privilégié.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
Messieurs les ministres, la tâche qui vous attend est ardue et vous ne
pourrez évidemment tout faire en six mois, ni répondre à toutes les attentes
qui s'exprimeront ici.
Préalable essentiel à l'élargissement ambitieux et audacieux décidé à
Helsinki, l'aménagement institutionnel conditionne l'avenir de l'Union. C'est
pourquoi je crois que le traité à venir ne devra être conclu que si les
conditions du succès se trouvent réunies et si les résultats acquis sont à la
hauteur de l'enjeu.
La responsabilité de notre présidence doit être bien davantage de prendre le
temps et les moyens de faire progresser la négociation en vue d'une vraie
réforme que de prendre le risque d'aboutir à tout prix, en décembre, à Nice, à
un accord qui se révélerait insuffisant.
Le rôle difficile de la France, au cours de cette présidence, sera donc de
réunir quinze pays sur des réformes concrètes pour l'Union européenne, réformes
nécessaires à son évolution et à son affermissement.
Cette négociation impose le réalisme et une certaine impartialité quant à la
configuration de notre Union future. Notre pays ne peut cependant rester
totalement neutre quant à l'avenir d'un ensemble qu'il a, dans le passé, si
largement contribué à construire et à faire progresser.
C'est pourquoi je souhaite que ce débat puisse être l'occasion de préciser,
par-delà les échéances immédiates et en écho à la proposition allemande,
l'ambition de la France pour l'Europe de demain. Nos compatriotes jugent,
certes, l'Europe sur ce qu'elle fait pour eux, mais aussi sur l'avenir qu'elle
promet et l'idéal qu'elle propose.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur
les travées du RDSE et sur certaines travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Monsieur le
président, messieurs les ministres, mes chers collègues, lorsqu'il s'apprête à
exercer la présidence du Conseil, un Etat doit mobiliser les énergies. Il est
donc soucieux de montrer qu'il va imprimer sa marque sur les activités de
l'Union.
Mais, en réalité, une présidence dure peu et constitue, avant tout, le maillon
d'une chaîne. La tâche principale d'une présidence, c'est de mener à bien, ou
du moins de faire avancer, les dossiers qu'elle reçoit. Bien entendu, elle peut
aussi, de concert avec la Commission, favoriser des initiatives nouvelles, mais
avec toutes les chances qu'elles se concluent sous une présidence
ultérieure.
Par conséquent, prendre la présidence, c'est d'abord accepter un héritage, et
c'est particulièrement vrai de la présidence française, qui va se trouver
saisie de plusieurs dossiers lourds : il y a la conférence
intergouvernementale, qu'il faut conclure ; il y a aussi la charte des droits
fondamentaux, qu'il faudra « arrêter » et « proclamer » ; sur le plan de la
justice et des affaires intérieures, il y a le programme arrêté par le Conseil
européen de Tampere, dont il faut poursuivre la mise en oeuvre ; sur le plan
économique et social, notamment en ce qui concerne l'emploi, il y a les
conclusions du Conseil européen de Lisbonne, qu'il faut faire entrer dans la
réalité ; enfin, pour ce qui est de la sécurité et de la défense, il faut
mettre en place les instruments intérimaires de la politique commune.
Voilà de vastes chantiers à poursuivre, qui, à eux seuls, suffiraient à
remplir l'agenda d'une présidence active.
Si la présidence française parvient à être une force d'entraînement dans ces
domaines, elle aura, si je puis dire, bien mérité de l'Union.
A côté des grands chantiers que j'ai mentionnés, le Gouvernement a retenu des
priorités correspondant à l'idée d'une Europe « plus proche des citoyens » : la
sécurité alimentaire, avec la mise en place d'une autorité européenne
indépendante ; l'environnement, avec la mise en oeuvre du protocole de Kyoto ;
la sécurité des transports maritimes ; enfin, le sport, avec le renforcement de
la lutte contre le dopage.
Il s'agit là de préoccupations qui, je pense, sont partagées ici sur
l'ensemble de nos travées, et que le Gouvernement a raison de mettre en avant,
même si je souhaiterais, pour ma part, que l'on manie peut-être avec une
certaine précaution le thème de « l'Europe plus proche des citoyens », qui ne
doit pas signifier que l'on multiplie les interventions communautaires dans des
domaines qui, en réalité, pourraient relever de l'échelon national, voire
local.
Cette précaution sémantique mise à part, j'approuve naturellement les
objectifs retenus par le Gouvernement, qui, quant à eux, portent sur des
domaines où l'échelon européen a bien une utilité spécifique.
Le chantier le plus difficile de la présidence française sera sans doute la
conférence intergouvernementale, qui constitue, rappelons-le, une condition de
l'élargissement. Au bout de plusieurs mois, il se confirme que la voie pour
arriver à une réforme suffisante est une voie étroite : bon nombre d'Etats
membres ont une vision restrictive des évolutions à consentir.
Dans un tel contexte, il me paraît indispensable d'avoir des priorités bien
affirmées. La délégation pour l'Union européenne a pris position sur ce point.
Elle estime que deux enjeux doivent être privilégiés.
Le premier concerne l'extension du vote à la majorité qualifiée dans le
domaine économique et social au sens large. En effet, il est particulièrement
nécessaire que, après l'élargissement, la Communauté conserve une capacité de
décision pour tout ce qui concerne le marché unique et les politiques communes
qui lui sont liées.
M. Philippe Marini.
Dans le domaine fiscal en particulier !
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Le second
enjeu, et cela doit être une condition de l'extension du vote à la majorité
qualifiée, a trait à la repondération des votes au sein du Conseil. En effet,
l'élargissement concerne principalement des « petits » Etats, terme qui n'a
rien de péjoratif. Si l'on gardait les règles actuelles, qui surreprésentent
fortement les « petits » Etats, on aboutirait à un déséquilibre flagrant.
A titre d'exemple, je dirai simplement qu'avec les règles actuelles, dans
l'Union élargie, les «petits » Etats représenteraient 29 % de la population,
mais auraient 58 % des droits de vote. Une telle situation compromettrait la
légitimité du Conseil !
Bien entendu, il ne s'agit pas d'avoir une logique purement démographique, car
on arriverait alors à une hégémonie des « grands » Etats. Mais il est
indispensable d'arriver à un équilibre raisonnable, défendable, du type de
celui qui existait dans l'Europe des douze. Cela nous paraît être une condition
du succès des négociations.
A cet égard, je dois dire que nous sommes très opposés à l'idée, soutenue par
certains pays, selon laquelle toute décision devrait être approuvée par une
majorité des Etats membres. C'est une demande qui, au premier abord, n'a rien
de choquant, mais on doit en mesurer les conséquences. Si l'on adoptait ce
principe, on arriverait, au terme de l'élargissement, à une situation où une
coalition de « petits » Etats représentant moins de 12 % de la population de
l'Union pourrait bloquer toute décision.
Mais, au-delà des questions non résolues à Amsterdam, il est clair que l'Union
élargie aura, par la force des choses, plus de difficultés qu'aujourd'hui à
progresser dans la voie de l'intégration.
Nous sommes donc favorables à un assouplissement du régime des coopérations
renforcées, particulièrement en ce qui concerne le troisième pilier.
Dans le cas du deuxième pilier, on voit bien que, sous une forme ou sous une
autre, l'Union développera sa politique extérieure et de défense grâce à des
formules souples, permettant à des Etats membres de rester à l'écart sans pour
autant bloquer les décisions ; mais on voit bien aussi qu'il est préférable,
pour conserver la plus grande souplesse, de ne pas définir ces formules dans le
traité.
Dans le cas du premier pilier, les coopérations renforcées paraissent
destinées à rester exceptionnelles, car la nécessité demeure de préserver
l'unité du marché intérieur et d'éviter les distorsions de concurrence.
Mais le principe des coopérations renforcées est surtout important en raison
de ses implications politiques à plus long terme. Le récent discours de M.
Joschka Fischer, qui a une certaine parenté avec les propositions faites par M.
Jacques Delors, a souligné la nécessité d'un « centre de gravité de l'Union »
capable de contrecarrer les risques de dilution que comporte l'élargissement.
Je ne sais pas si la métaphore qu'il a employée est correcte du point de vue de
la science physique ; en tout cas, elle me paraît l'être du point de vue de la
science politique : l'Union élargie aura besoin d'un pôle de regroupement qui
soit en même temps une force d'entraînement. Les coopérations renforcées
peuvent être une première étape dans ce sens.
Le discours de M. Fischer contient également une vue à plus long terme de
l'intégration européenne. Les réactions qu'il a suscitées me paraissent
cependant reposer souvent sur une lecture hâtive. Beaucoup semblent n'avoir
retenu, dans ce discours, que deux mots : le mot « fédération » et le mot «
Constitution ». En réalité, M. Fischer plaide pour une fédération d'Etats, non
pour un Etat fédéral, et il parle de « traité constitutionnel » et non de
Constitution.
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est vrai !
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Quant à ses
propositions institutionnelles, elles sont à la fois intéressantes et
novatrices : elles rompent avec l'orthodoxie un peu pesante qui avait cours
jusque-là outre-Rhin. Qu'il s'agisse de repenser l'exécutif européen ou de
mettre en place un Parlement bicaméral, dans lequel les parlements nationaux
seraient représentés, il y a là une ouverture de grande portée vers des
préoccupations qui sont celles de beaucoup d'entre nous.
La délégation pour l'Union européenne a eu un premier débat à ce sujet la
semaine dernière, et j'ai pu observer que, quelle que soit leur sensibilité
politique, tous les membres de la délégation mesuraient la grande portée du
discours de M. Fischer.
Naturellement, il faut bien distinguer les plans : la conférence
intergouvernementale en cours n'est pas faite pour traiter des problèmes
soulevés par M. Fischer. Mais je crois que, le moment venu, la France devra
s'engager dans la voie qui a été ainsi ouverte et contribuer à une réflexion de
fond sur l'avenir des institutions. Car on sent bien que le système actuel
touche à ses limites et que, comme le dit M. Fischer, une refondation et une
reconfiguration politiques sont nécessaires pour aller plus loin.
En 1994, une première initiative était venue du Parlement allemand : MM.
Lamers et Schaüble avaient suggéré la formation d'un « noyau dur » de l'Union
autour du couple franco-allemand. On a reproché plus tard à la France, à juste
titre je crois, de ne pas avoir véritablement répondu à cette démarche.
En réalité, cette première initiative n'avait pas la même portée et restait
tributaire des schémas traditionnels de l'Allemagne sur le fonctionnement des
institutions. Aujourd'hui, nous sommes en face d'une réflexion ouverte et
novatrice, formulée à un haut niveau. Je crois que la France commettrait une
erreur, pour elle-même et pour l'Europe, si elle refusait durablement d'entrer
dans ce débat essentiel.
Avant de conclure, je voudrais évoquer un domaine qui me tient
particulièrement à coeur : l'Europe de la justice.
Voilà un domaine où nos concitoyens ont des attentes légitimes vis-à-vis de
l'Union : je pense au droit des personnes, avec les problèmes de divorce ou
d'autorité parentale, lorsque les conjoints sont de deux pays différents ; je
pense également au recouvrement des créances, lorsque le débiteur est d'un
autre pays ; je pense enfin à la lutte contre la criminalité internationale et,
bien entendu, aux procédures d'extradition et à la procédure pénale en
général.
Je n'ignore pas que ces questions sont sensibles, car elles touchent au
fonctionnement des systèmes judiciaires nationaux. C'est pourquoi je me
permettrai, messieurs les ministres, de faire une suggestion.
Je fais partie de la convention chargée d'élaborer un projet de charte
européenne des droits fondamentaux. Dans cette convention siègent des
représentants des exécutifs, de la Commission européenne, du Parlement européen
et des parlements nationaux. Je peux témoigner du sérieux des travaux qui y
sont menés et de l'assiduité de ses membres.
Ne pourrait-on s'inspirer de cette formule pour les questions relatives à la
justice, que j'ai évoquées ? Il ne s'agirait pas de se substituer aux instances
normales de décision, mais de préparer leur travail par une réflexion commune
associant toutes les institutions exécutives et législatives, qui porterait,
notamment, sur une définition commune de certaines incriminations et de
certaines règles de base de droit civil et de procédure pénale, en se limitant,
naturellement, aux problèmes dépassant les frontières des Etats.
Dans le même domaine, je souhaiterais aussi obtenir des précisions sur le
devenir d'Eurojust. Le Conseil européen de Tampere en a approuvé le principe,
mais, jusqu'à présent, on a l'impression que nous en restons au stade du
concept. Qu'en est-il exactement ?
J'ai commencé mon propos en soulignant les limites de toute présidence. Je le
terminerai en soulignant que ces limites ne contraignent pas à se concentrer
uniquement sur le court terme. Bien au contraire, je crois que la France, grand
pays fondateur, a une responsabilité particulière pour rendre à l'Europe une
vision d'avenir, un élan, une ambition politique.
Nous sentons bien qu'après l'élargissement la Communauté ne sera plus tout à
fait celle que nous avons connue et qu'il lui sera difficile d'aller plus loin.
L'Europe est en train de changer et, même, de changer de nature. Les deux mots
clés sont, en l'espèce, « refondation » - il s'agit de retrouver les
fondamentaux - et « reconfiguration ».
La France peut être, comme vous l'avez rappelé, messieurs les ministres,
modeste - tout au moins réaliste - dans son comportement vis-à-vis des quatorze
et dans son appréhension des problèmes. Mais elle se doit, c'est son rôle
historique, d'être visionnaire et ambitieuse dans les perspectives et les
objectifs.
La France doit garder son rôle d'éclaireur, afin de contribuer à donner ce
deuxième souffle, que nous souhaitons tous, à l'Europe, Europe qui est à la
fois notre présent commun, notre passé commun, mais surtout notre avenir
commun.
Oui, monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il
faut plus d'Europe pour les temps présents et les temps qui viennent. Il faut
aussi mieux d'Europe. Il y a donc lieu d'envisager dès à présent l'Europe
autrement.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste, du RDSE et sur les travées
socialistes.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 60 minutes ;
Groupe socialiste, 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 38 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 36 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste, républicain et citoyen, 23 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à
quelques semaines de la présidence française de l'Union européenne, ce mois de
mai nous incite à nous rappeler qu'il y a cinquante ans, exactement le 9 mai
1950, Robert Schuman lançait un appel solennel à réaliser l'Europe.
Cette déclaration du gouvernement français, véritable déflagration politique,
allait jeter les fondations de la construction européenne. Je suis
particulièrement fier, aujourd'hui, d'intervenir dans ce débat au nom du groupe
de l'Union centriste, dont les membres font vivre la famille de pensée
illustrée par Robert Schuman.
Je ne reviendrai pas sur l'extraordinaire histoire de la naissance de
l'Europe, sur le processus qui nous conduit aujourd'hui à discuter des
orientations et des enjeux de la présidence française. Je soulignerai
simplement que ce sont les manifestations répétées d'une réelle volonté
politique qui ont permis de constituer, puis de déployer la Communauté
européenne. Sans cette ardeur à progresser, sans cette ténacité et cette
détermination qui emportent les décisions, sans cette capacité à lier la
diversité des intérêts particuliers à l'unité des conceptions fondamentales,
nous n'aurions pas aujourd'hui ce débat.
Juste avant de prononcer sa célèbre déclaration, le 9 mai 1950, Robert Schuman
introduisait ainsi son propos : « Il n'est plus question de vaines paroles mais
d'un acte hardi, d'un acte constitutif ». Eh bien, de nouveau, il ne peut être
question de vaines paroles. La priorité doit être redonnée au courage et à
l'imagination. Nous sommes à un tournant de la construction européenne.
Si nous acceptons que se développe l'indifférence, voire la méfiance, des
citoyens envers ce qu'ils appréhendent comme un corps sans visage et sans
parole, si nous consentons à une simple communauté d'intérêts sans réelle
capacité commune de décision et sans valeurs partagées, si nous cédons, enfin,
à la résignation, nous aurons perdu l'âme de l'Europe, comme l'évoquaient
joliment ses pères fondateurs. Et nous n'aurons plus qu'à dresser un constat
d'échec.
Ce n'est évidemment pas acceptable, ni même envisageable. La France, au-delà
du mandat qui lui sera confié pour les six mois à venir, doit continuer d'être
la force motrice, dynamique, clarificatrice de l'Europe du xxie siècle. A elle
de poser les nouveaux termes de l'échange politique, à elle de réactiver et
d'unifier les volontés réformatrices. Le contexte s'y prête.
C'est d'outre-Rhin qu'est en effet venue récemment une proposition qui ouvre
une voie de réflexion prometteuse sur l'évolution des institutions européennes
: celle du ministre Joschka Fischer. C'est d'Italie qu'est venue, la semaine
passée, une autre contribution d'importance au débat, celle du président du
Conseil Giuliano Amato. Alors, pouvons-nous hésiter davantage ? Faisons vivre
et progresser le débat en France, sans attendre que l'opinion publique nous y
oblige, ou pire, nous en dispense par désintérêt. Le groupe de l'Union
centriste y est, pour sa part, très favorable et entend s'y employer.
Est-ce être alarmiste que de dire qu'il y a péril en la demeure ? Observons
les difficultés de l'euro, l'euro qui consacre, en quelque sorte, ces cinquante
années de construction européenne.
Voilà l'un des témoignages les plus éclatants de l'aventure européenne, la
concrétisation d'un renoncement choisi de la part des Etats et la manifestation
d'une volonté farouche de disposer d'une monnaie stable qui inspire confiance à
tous les Européens.
Que se passe-t-il ? L'euro a perdu près de 25 % depuis son introduction, le
1er janvier 1999, et connaît une parité qui fluctue autour de 0,90 dollar, même
si je constate avec grand intérêt depuis quelques jours sa remontée : il a
d'ailleurs dépassé, ce matin, les 0,93 dollar.
Les experts de la Banque centrale européenne nous mettent cependant en garde :
« Pour la réputation d'une jeune monnaie », soulignent-ils dans leur dernier
rapport mensuel, « une telle perte de valeur n'est pas bonne ».
Et que dire de la consolidation de la maison Europe ! La conclusion est
évidente : la monnaie unique pâtit d'une véritable jachère politique. Elle est
parfois victime de voix discordantes, ou d'expressions quelque peu maladroites,
qui s'expriment en son nom. Elle souffre non pas d'un trop plein d'Europe, mais
d'un manque d'Europe !
Depuis trois ans, le continent européen connaît heureusement un rythme de
croissance soutenu. Le phénomène se vérifie dans tous les pays de l'Union,
encourageant les créations d'emplois, favorisant un haut niveau de consommation
et d'investissement. Les exportations sont stimulées par la forte appréciation
du dollar américain et du yen par rapport à l'euro. La « nouvelle économie »
amplifie les performances, sans que l'on puisse tout à fait en mesurer l'effet
réel.
Nos pays perçoivent les premiers dividendes de la monnaie unique. C'est
justice, après les efforts consentis depuis la signature du traité de
Maastricht.
Pendant toute la durée de la phase préparatoire, alors que le dollar
jouissait, selon la formule convenue, d'une réelle « marge d'appréciation »,
nous devions faire face à la récession, à la dérive des déficits publics, à la
montée du chômage, aux fluctuations des parités.
A chaque fois - vous vous en souvenez, mes chers collègues - que le dollar
donnait des signes de faiblesse, le deutsche marck avait la faveur des
investisseurs internationaux, et les autorités monétaires françaises étaient
contraintes, pour stabiliser le franc, d'augmenter les taux d'intérêt. De quoi
mettre à rude épreuve les acteurs économiques. Cette situation était
destructrice. C'est à cette époque que nous connaissions les dévaluations
compétitives.
L'euro nous a apporté la stabilité monétaire sans laquelle le marché unique
était menacé d'implosion. Fondé sur l'acceptation par les Etats membres de
critères de bonne gestion publique, il constitue aujourd'hui le meilleur levier
de la croissance. Mais - oui, mais - il se déprécie.
Alors une question fondamentale se pose : sommes-nous prêts à payer le prix
politique de la stabilisation des changes ? Par ailleurs, sommes-nous sûrs que
chaque Etat membre fait preuve d'une rigueur budgétaire suffisante ?
N'existe-il pas, çà et là, des manquements par rapport aux principes de base,
des retards regrettables dans le retour à l'équilibre budgétaire et dans
l'engagement des réformes structurelles, qui conditionnent notre avenir ?
Soyons clairs : l'autorité politique est déficiente ; il manque un
porte-parole unique de l'euro, un interlocuteur doté d'autorité.
La Banque centrale européenne, en charge de la stabilité des prix, doit
impérativement être épaulée par une expression politique dépourvue de toute
ambiguïté, prenant elle-même appui sur la légitimité démocratique.
Lorsque la France a accepté, fin 1995, la proposition du ministre allemand
Theo Waigel d'un pacte de stabilité et de croissance, j'ai demandé
l'institution d'un Conseil de l'euro, instance de coordination politique
réunissant les ministres des finances de la zone euro. Nous devons désormais
renforcer son rôle et proposer la désignation en son sein du « représentant »
de la monnaie unique. La stabilisation de notre monnaie unique est pour nous un
objectif essentiel auquel la présidence française de l'Union européenne doit
tout particulièrement veiller.
Au-delà de cette préoccupation, à laquelle nous resterons particulièrement
vigilants - l'euro sera en quelque sorte le révélateur des insuffisances, des
incohérences, des manquements, des atermoiements - le mandat confié à la France
durant ces six mois concerne, bien sûr, l'aboutissement de la Conférence
intergouvernementale, la fameuse CIG, qui doit arrêter les modifications aux
traités nécessaires à l'élargissement de l'Europe à douze nouveaux Etats.
C'est quasiment une banalité d'affirmer qu'on ne fait pas fonctionner l'Europe
à quinze pays membres comme à vingt-sept, voire à trente. C'est sans doute plus
audacieux d'avouer que le niveau d'intégration n'est alors plus le même. C'est
plus ambitieux encore d'afficher une volonté politique forte de rénovation des
institutions européennes. Nous devons avoir l'honnêteté de répondre aux
opinions publiques, sans leur laisser croire que nous pouvons être plus
nombreux et conserver des structures européennes inchangées et, convenons-en,
insatisfaisantes.
A travers l'achèvement des travaux de la CIG, c'est le nouveau visage de
l'Europe qui se dessine. C'est presque son « régime politique » qui doit se
mettre en place. Je pense encore à Robert Schuman, qui écrivait, voilà déjà
longtemps, que « l'intégration européenne doit, d'une façon générale, éviter
les erreurs de nos démocraties nationales, surtout les excès de la bureaucratie
et de la technocratie » ! N'en doutons pas, la qualité des réformes entreprises
détermine la pérennité et l'efficacité du fonctionnement de l'édifice
européen.
Un mot également sur les coopérations renforcées, qui prennent une place
essentielle dans les débats de la CIG. La progression de l'intégration
européenne peut-elle s'appuyer davantage sur ce dispositif ? Oui, sans doute.
Nous pouvons, en tout cas, nous poser la question de son assouplissement
éventuel.
Reliquats du traité d'Amsterdam, les termes de la problématique sont connus,
mais ils suscitent toujours controverses et désaccords.
Parlons, tout d'abord, de la taille et de la composition de la Commission. Il
y a, semble-il, un consensus sur la nécessité de limiter le nombre de
commissaires. Comment, en effet, accepter de voir croître les effectifs
indéfiniment avec l'entrée de nouveaux pays ? Le chiffre évoqué de vingt
commissaires n'apparaît pas très satisfaisant. Ce délicat équilibre entre
représentation des grands pays et nécessaire respect des petits pays ne
pourrait-il être trouvé sur la base d'une répartition des portefeuilles entre
Etats membres ? Un portefeuille par commissaire rapprocherait la Commission
d'un véritable « gouvernement » de l'Europe.
En ce qui concerne le Conseil européen, ce sont cette fois deux problèmes
cruciaux qu'il reste à régler. Celui d'une nouvelle pondération des voix est,
si je puis dire, viscéral. De nouveau, c'est l'harmonie, l'équilibre nécessaire
entre petits et grands Etats qui est en cause. La solution devra mieux tenir
compte du poids relatif de chaque pays membre, sans pour autant entraîner
l'apparition de minorités de blocage qui paralyseraient la capacité de
décision. Nous sommes heureux de constater, cependant, que la repondération, à
laquelle la France est favorable, semble recueillir depuis la réunion
d'Amsterdam un nombre croissant d'approbations.
La deuxième épine dans la réforme du fonctionnement du Conseil tient à la
procédure de vote. Il est indéniable que l'élargissement de l'Union rend peu à
peu extrêmement difficiles des solutions unanimes. La prise de décisions à une
majorité - dont l'ampleur doit être définie - apparaît donc nécessaire pour
éviter la paralysie des institutions. Le débat est ici plus ouvert, car la
position de chaque Etat est largement déterminée par le type de sujets
susceptibles d'être dorénavant adoptés à la majorité qualifiée.
S'il semble malaisé aujourd'hui d'opter pour un principe général de vote à la
majorité qualifiée, je crois que chacun adhère à l'objectif d'étendre à
d'autres thèmes ce système, à l'exception, pour l'instant, de la fiscalité,
pôle de souveraineté auquel sont attachés nombre d'Etats et qui nécessite
encore l'unanimité, tout simplement parce que nous ne sommes pas parvenus à
nous mettre d'accord sur une harmonisation fiscale au sein de l'Union ; tant
que se pratiquera une forme de « flibuste fiscale » entre Etats membres, force
sera de constater l'impossibilité de passer au vote à la majorité qualifiée.
A travers la résolution de toutes ces difficultés, c'est bien l'adhésion des
peuples à une Europe solidement construite qui est en jeu. C'est aussi leur
participation à une Europe démocratique, avec des règles institutionnelles
claires, que nous appelons de nos voeux. Il est vrai qu'à ce stade d'exigence
le pouvoir du vocabulaire, le sens des mots font irruption dans le débat. Les
tabous sont, à tort, encore nombreux. Ayons l'audace de les lever, afin de
dissiper les malentendus qui constituent autant de freins à la poursuite de la
construction européenne.
Je citerai à nouveau Robert Schuman, parce que, après tout, nous sommes encore
aujourd'hui dans le mois anniversaire de sa déclaration. Lui qui souhaitait
évidemment que « l'Europe nouvelle ait un soubassement démocratique » n'avait
pas hésité à affirmer que « le terme de fédération est la formule juridique
d'une pensée plus profonde et humaine, riche en perspectives nouvelles ».
Nous pouvons ainsi envisager une évolution fédérale de l'Europe, en levant
quelques ambiguïtés. La Banque centrale européenne n'est-elle pas elle-même
d'essence fédérale ? L'organisation du fonctionnement de l'Europe est déjà
teintée d'un « fédéralisme doux » qui ne choque pas les opinions. Osons
l'affirmer pour aller de l'avant.
Ce processus implique la clarification des domaines de compétences nationaux
et européens, l'application nette du principe de subsidiarité inscrit dans le
traité de Maastricht, le respect d'une démocratie participative. Aux niveaux
local, national et européen, secteur par secteur, les attributions de chaque
pôle de pouvoir doivent être clairement définies, identifiées, afin d'être
acceptées et comprises par les peuples.
C'est pourquoi l'Europe doit se doter d'une constitution, d'une loi
fondamentale qui définisse les droits et les devoirs des citoyens européens, le
fonctionnement des institutions de l'Union et bien sûr, la répartition des
compétences entre les Etats et l'Europe, c'est-à-dire la déclinaison du
principe de subsidiarité et ses applications. La charte des droits fondamentaux
européens, qui devrait être adoptée lors du Conseil européen de Nice en
décembre prochain, pourrait peut-être figurer dans un grand préambule.
Je tiens par ailleurs à souligner que le groupe de l'Union centriste a entamé,
pour sa part, une réflexion sur les grandes lignes de cette constitution.
L'étape suivante consiste naturellement à doter l'Europe d'un président. Ce
sera le visage que les citoyens attendent ; ils ont besoin d'identifier ce qui
leur apparaît encore trop souvent comme une création abstraite. Ce sera
également la voix qui se fera entendre au nom de l'Union européenne dans les
grandes négociations internationales.
Je ne crois pas qu'un seul pays soit à même de donner cette indispensable
impulsion à l'Europe. La France a certes un rôle déterminant à jouer dans la
construction d'une Europe politique. Elle l'a prouvé dans le passé, au long de
ces cinquante dernières années. Mais elle a su convaincre d'autres pays. Elle a
su former un attelage solide avec l'Allemagne pour dynamiser la marche vers
l'Union. Ai-je besoin d'évoquer le général de Gaulle et le chancelier Konrad
Adenauer qui, en 1963, avaient donné tout son sens à cette relation privilégiée
? Nous ne doutons pas que la France saura, dans cette période décisive qui
s'ouvre, prolonger cette étroite coopération franco-allemande, comme elle saura
être à l'écoute de tous les pays, de ceux que l'on qualifierait à tort de «
petits » par opposition aux « grandes » nations.
Détermination, convictions, dialogue : ce sont à mon sens les atouts d'une
présidence française de l'Union européenne forte et efficace, comme vous l'avez
souhaité tout à l'heure, monsieur le ministre, pour aller vers une Europe
puissante et pleinement démocratique.
Monsieur le ministre, nous attendons de la présidence française qu'elle aide à
mettre un terme à la jachère politique qui menace aujourd'hui la construction
européenne.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR,
des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-deux heures
quinze, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)