Séance du 30 mai 2000
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Bonnet, pour explication de vote.
M. Christian Bonnet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, toute abstention dans un scrutin appelle explication.
Il en est qui traduisent indifférence ou perplexité...
Il en est qui manifestent une déception face à la timidité d'un projet...
Il en est enfin, étant entendu que je m'exprime ici à titre personnel, qui, sans nier certains aspects positifs - dus, en l'espèce, au Sénat, et singulièrement à un rapporteur éclairé soutenu par un président tenace -, déplorent, à l'inverse, l'orientation, à leur sens quelque peu irréaliste, d'un texte.
Reflet de l'air du temps, bien des dispositions de cette presque loi ne me paraissent répondre ni à la situation du moment ni à l'attente des Français.
Elles ne répondent pas à la situation...
Une page entière d'un quotidien de référence en date du 20 mai était consacrée au fait que « les salariés sont de plus en plus victimes de violences physiques » - c'était le titre. Puis venait le sous-titre : « Convoyeurs de fonds assassinés, conducteurs de bus agressés, guichetiers insultés, employés de banque séquestrés, professeurs molestés, infirmières menacées, caissières attaquées... les entreprises tentent de faire face au phénomène. »
Encore, les pompiers de Strasbourg n'étaient-ils pas tombés dans un guet-apens !
Et le législateur de répondre à cet état de choses préoccupant en portant paradoxalement un regard suspicieux sur celle des institutions de la République en charge de veiller sur la sécurité des Français.
Curieuse conception, n'est-il pas vrai, que celle qui paraît soucieuse d'adoucir le sort des loups, quitte à entraver l'action des bergers responsables de la quiétude du troupeau !
Pas plus qu'à l'aspiration de nos compatriotes à une sécurité mieux assurée, ce projet en fin de parcours ne répond à leur désir d'une justice plus prompte.
Le Sénat, mes chers collègues, avait approuvé, il n'y a pas si longtemps, le remarquable rapport de notre collègue Pierre Fauchon sur les moyens de la justice, qui posait : « l'exigence d'exclure toute réforme nouvelle sans moyens adéquats. »
Or voilà que va s'abattre, dans un monde en proie à une judiciarisation exponentielle, sur des magistrats et des greffiers déjà submergés, une avalanche de réformes, une avalanche que ne sauraient contenir les quelques mesures arrachées, madame, à l'administration de Bercy, par votre force de persuasion.
Evoquant la situation sous l'Ancien Régime, Tocqueville stigmatisait déjà « les nouvelles règles édictées par les gouvernements qui, dans l'éloignement presque infini où ils vivaient de la pratique, les faisaient se succéder avec une rapidité si singulière que les fonctionnaires avaient souvent peine à démêler comment les appliquer ! »
Autre temps... même travers !
Madame la ministre, garde des sceaux, sujet, on le sait, à bien des retournements, le vent, poussé qu'il est par la prégnance médiatique, souffle actuellement en tempête dans le sens du rejet des interdits, de la prééminence de la mansuétude sur la sanction, du primat des droits de l'individu sur ceux des institutions.
Bien des aspects du texte dont s'achève le parcours parlementaire s'inscrivent dans cette optique.
Mais je suis de ceux qui pensent que le Parlement se doit d'avoir une ambition plus haute que celle d'enregistrer les humeurs du temps dès lors qu'elles apparaissent peccantes.
Telle est la raison pour laquelle je suis au regret de ne pouvoir m'associer au vote positif que la grande majorité de la Haute Assemblée me paraît disposée à émettre. (Applaudissements sur certaines travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte que nous allons adopter, on l'a dit à maintes reprises, est largement l'oeuvre du Sénat. Je ne répéterai pas ce qu'ont dit les uns et les autres sur le rôle capital du Sénat dans le processus législatif. Je tiens toutefois à réaffirmer son importance et à démontrer que le travail s'est fait en parfaite harmonie et complémentarité avec l'Assemblée nationale, du moins pour cette fois.
On peut souhaiter que la proposition de loi Fauchon subisse rapidement le même sort et revienne devant nous parce que, elle aussi, a fait l'objet d'un travail commun de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Cette remarque étant faite, je ne m'attarderai pas sur toutes les avancées que porte le projet de loi que nous allons adopter. Elles sont considérables : le double degré de juridiction en matière criminelle, le statut de témoin assisté, et tant d'autres...
Je dois cependant nuancer ce qu'a dit notre collègue Hubert Haenel sur un certain nombre de points.
Premièrement, on peut regretter la mesure rapide, mal étudiée, comme plaquée dans ce texte de loi, relative à l'enregistrement audiovisuel des interrogatoires des mineurs. Je crains que cette disposition ne reste très largement inappliquée, qu'elle ne soit pas prise au sérieux, qu'elle ne soit que démagogique parce que, en fin de compte - nous en sommes tous convaincus - ce n'est pas la bonne solution.
C'est la raison pour laquelle nous émettons, sur ce point, un certain nombre de réticences qu'il m'a paru bon d'exprimer en cet instant.
Deuxièmement, cette réforme va impliquer un changement de mentalité de tous les professionnels du droit, de tous les officiers de police judiciaire : il va falloir qu'ils comprennent que les choses ne sont plus comme avant, là aussi, cela exigera un effort important.
M. Jacques Peyrat. Parfaitement !
M. Patrice Gélard. Il faudra changer les mentalités des magistrats, des policiers, des gendarmes, mais aussi des avocats : ils devront s'adapter à cette nouvelle procédure, qui n'est sans doute qu'une étape dans un long processus.
M. Jacques Peyrat. Très juste !
M. Patrice Gélard. Enfin, troisièmement, pour réussir, cette réforme nécessite la mise en oeuvre de moyens considérables : des moyens en personnels, des moyens financiers. J'attire votre attention, madame le garde des sceaux, sur ce dernier point : les augmentations de vos budgets successifs devront être considérablement réévaluées dans le budget pour 2001 si l'on veut que cette réforme connaisse un début de réussite.
Nous sommes à un tournant. Ce qui restera de cette loi, comme un certain nombre d'orateurs l'ont dit, ce sera d'abord la mise en conformité du droit français avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ; ce sera aussi et surtout la création du double degré de juridiction en matière criminelle. Le reste, à mon avis, ne constitue qu'une étape.
Il faudra aller plus loin, réfléchir et peut-être, dans ces avancées et ces réflexions, nous faire aider par l'ensemble des professions judiciaires, qui devront, elles aussi, se réformer et s'adapter.
La quasi-totalité du groupe du RPR votera ce projet de loi. Il n'en reste pas moins que nous n'en sommes qu'à une étape et que nous éprouvons encore quelques craintes quant à la réussite de cette réforme. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Effectivement, ce texte crée de nombreux bouleversements ; il requérait donc, madame le garde des sceaux, une longue maturation.
Il ne faut jamais se précipiter quand on examine un texte de procédure pénale. La réforme du code pénal, elle, a nécessité près de trois ans ! En tout cas, c'est vraiment le débat entre les deux assemblées qui permet d'enrichir les textes. Il est certain qu'au lieu du squelette initial nous avons maintenant un être de chair.
Les apports du Sénat ont été nombreux : je pense à l'appel en matière criminelle, en matière de libération conditionnelle - même si le rapport Farge nous avait indiqué la voie - ainsi qu'aux dispositions relatives à la détention provisoire.
Je comprends parfaitement ceux qui craignent toujours que la répression des crimes et des délits ne soit plus efficacement assurée dans la mesure où les procédures seraient plus complexes et où les gardiens de la loi ne pourraient plus poursuivre les criminels et les délinquants.
Mais je crois que c'est une fausse perspective.
Dans notre pays, nous vivons encore trop sur la culture de l'aveu, culture qu'aujourd'hui aucun autre pays ne possède. Par conséquent, il faut sur ce point parvenir à transformer les mentalités.
S'il faut certes poursuivre les criminels et les délinquants, il faut aussi garantir les libertés fondamentales. La justice commet trop d'erreurs. Trop nombreuses sont les personnes en détention provisoire. Chaque année, dans notre beau pays, 42 000 personnes sont mises en détention provisoire ! C'est non pas tant la mesure que sa durée qui est en cause. Il faut aussi prendre cela en considération.
Pour parvenir à un équilibre, il faut que la justice soit juste, qu'elle ne soit aveugle ni dans un sens ni dans l'autre. De ce point de vue, les réformes qui sont engagées sont importantes.
Pour ma part, je n'attacherai pas non plus une attention considérable à l'enregistrement. On va faire une expérience et on verra bien ce qu'elle donnera !
Je crois qu'il faudra, un jour, trouver d'autres solutions. Je suis convaincu, comme M. Badinter, que nous irons vers une procédure pénale qui se rapprochera de celle d'autres pays. Une unité s'instaurera. Notre système, comme celui d'autres pays, possède un certain nombre de bonnes dispositions. Il faudra un jour faire la synthèse. C'est une exigence que nous imposera l'évolution de la société et des libertés.
Madame le garde des sceaux, quand on sait que la durée moyenne de l'instruction d'une affaire criminelle est supérieure à quatre ans, tant que les personnes présumées innocentes resteront en prison, en attente de leur jugement définitif, votre réforme, comme toutes les autres, ne pourra fonctionner que si on y consacre de gros moyens. Certes, quelques-uns sont prévus mais ils ne sont pas à la mesure de la mise en oeuvre d'une réforme si importante.
Quoi qu'il en soit, le groupe de l'Union centriste se réjouira de voter ce texte qui améliore considérablement, à la fois, la protection des libertés et, j'en suis sûr, l'efficacité de la justice. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, je veux tout d'abord remercier tous les groupes qui vont voter ce texte.
Je comprendrai également dans mes remerciements toutes celles et tous ceux qui ont participé à son élaboration ; je pense, en particulier, aux services de la Chancellerie, qui sont mis à rude épreuve depuis trois ans que nous avons engagé ces réformes et qui ont dû supporter une charge de travail comme ils n'en avaient jamais connue dans le passé.
A l'intention de M. Badinter et de M. Hyest, j'ajouterai que nous avons commencé à rapprocher les procédures en vigueur sur le plan européen.
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Dans ce texte qui accentue le contradictoire, nous prenons ce qui est bon dans la procédure anglo-saxonne en laissant ce qui nous paraît mauvais et critiquable.
Moi aussi, je suis convaincue qu'à terme, en Europe, s'opérera une synthèse des différentes procédures. Mais, contrairement à ce qui a pu être dit et qui était encore l'opinion dominante avant la discussion de ce texte, je ne pense pas que ce soit en nous alignant sur la procédure anglo-saxonne que nous construirons le modèle européen. Nous avons aussi à défendre notre modèle français de procédure pénale. C'est en effet dans un rapprochement des deux que nous trouverons le meilleur système.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement.
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président. Nous allons maintenant suspendre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)