Séance du 11 mai 2000
M. le président. Par amendement n° 8, M. Charasse et les membres du groupe socialiste et apparentés, proposent d'insérer, avant l'article 6, un article additionnel ainsi rédigé :
« Avant l'article L. 131-11 du code des juridictions financières, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. L. ... - L'élu local déclaré gestionnaire de fait pour le versement irrégulier de rémunérations accessoires à des fonctionnaires territoriaux n'est tenu au remboursement des sommes en cause qu'à la condition que les fonctionnaires intéressés soient tenus au même remboursement et n'aient pas honoré leur dette après qu'ont été vainement mises en oeuvre par le comptable public de la collectivité ou de l'établissement concerné toutes les voies de recouvrement légalement applicables. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Un certain nombre de collègues élus locaux ont été déclarés à bon droit gestionnaires de fait - c'est d'ailleurs très souvent le cas - pour avoir versé des rémunérations accessoires irrégulières aux personnels de la collectivité concernée.
Dans ce cas-là, que se passe-t-il ?
Je dirais entre parenthèses à Mme le secrétaire d'Etat que, dans de très nombreux cas, les collectivités locales se sont alignées sur le régime des primes des préfectures, lequel est illégal. Mais rien n'est fait à l'encontre du ministre de l'intérieur, et pour cause, car celui-ci ne relève pas de la cour de discipline budgétaire. Je ne souhaite d'ailleurs pas que M. Chevènement soit poursuivi, d'autant moins que ce n'est pas lui qui a inventé ce système.
Bref, on fait comme l'Etat, on est gestionnaire de fait.
Mais lorsqu'un comptable public est mis en débet pour une raison ou une autre, il poursuit le recouvrement des sommes correspondant au débet. Ayant payé à tort 100 francs à M. Dupont, il poursuit ce dernier pour qu'il le rembourse, sinon il va payer de sa poche.
En ce qui concerne les rémunérations irrégulières, le comptable de fait n'a pas les moyens de poursuivre. Il doit donc payer. Parallèlement, nul ne demandera à ceux qui ont perçu des rémunérations irrégulières de les rembourser.
L'amendement n° 8 que je propose a simplement pour objet de réclamer le reversement des sommes indues à ceux qui en ont bénéficié avant de demander au comptable de fait de rembourser ce qui ne l'est pas par les intéressés. Sinon, le système seraitinéquitable.
Quelqu'un reçoit des indemnités irrégulières, il doit les rembourser. Celui qui a touché des indemnités irrégulières, qui, la plupart du temps, les a réclamées avec insistance, en défilant, en faisant la grève, en bloquant le service, etc., lui, pénard, tranquille, a tout empoché ; c'est sur le compte en banque, ou sur le livret de caisse d'épargne de la gamine !
L'amendement n° 8 prévoit donc que, dans ce cas-là, tout le monde doit payer, y compris les bénéficiaires des indemnités irrégulières, ce qui, à mon avis, freinera beaucoup l'ardeur des services, parce qu'il y a longtemps que l'on ne poursuit plus ce genre de chose. C'est à peu près aussi vieux que depuis que l'on a pris l'habitude, au nom du service fait, de payer les jours de grève !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ? M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Cet amendement précise que l'élu local déclaré gestionnaire de fait pour le versement irrégulier de rémunérations accessoires à des fonctionnaires territoriaux n'est tenu au remboursement des sommes en cause qu'à la condition que les fonctionnaires intéressés soient tenus au même remboursement et n'aient pas honoré leur dette.
La commission des lois a estimé que cet amendement soulevait une véritable question qui méritait attention.
Les irrégularités constatées dans ce domaine peuvent en effet s'expliquer le plus souvent par des rigidités excessives du statut de la fonction publique territoriale. Est donc en cause le problème de la place de la fonction publique territoriale par rapport à la fonction publique d'Etat et de son caractère attractif. Or un ordonnateur peut se voir réclamer sur ses deniers personnels des sommes considérables, alors même que sa bonne foi n'est pas en cause.
Pour autant, l'amendement soulève un certain nombre de difficultés.
Il reviendrait notamment à subordonner le déclenchement d'une procédure concernant un élu ordonnateur reconnu comptable de fait à l'échec préalable d'une procédure concernant les fonctionnaires bénéficiaires des rémunérations accessoires versées irrégulièrement.
La commission des lois a donc souhaité entendre le Gouvernement avant de se prononcer.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ? Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Avis défavorable, parce que cet amendement introduit une double discrimination : d'une part, une discrimination entre les gestionnaires élus et les gestionnaires non élus, qui sont, eux aussi, susceptibles d'être attraits dans la même procédure et pour la même raison ; d'autre part, une discrimination au sens où il ne vise que les dépenses de rémunérations accessoires, alors que la procédure de gestion de fait, par définition, concerne tout type de dépenses de nature publique.
Pour cette raison, cet amendement nous paraît assez largement de circonstance.
Par ailleurs, du point de vue de la forme, il nous semble que cet amendement trouverait mieux sa place en fin de section 1 du chapitre Ier du titre III plutôt que là où il est situé, c'est-à-dire dans une section relative à la condamnation des comptables à l'amende.
M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. La commission s'en remet à la sagesse du Sénat, monsieur le président.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 8.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je ne sais pas si c'est un amendement de circonstance, mais, en tout cas, personne ne me l'a soufflé, et je ne suis pas en situation de gestionnaire de fait après avoir été mis en débet - cela viendra peut-être un jour ! - parce que je n'ai jamais payé ce type de primes irrégulières. J'applique strictement les règles. C'est d'ailleurs pour cela que les fonctionnaires m'aiment bien !
Cela étant, j'ai visé là l'un des cas ayant donné lieu au plus grand nombre de déclarations de gestion de fait depuis quinze ans. Aujourd'hui, cela doit avoir tendance à s'estomper quelque peu, mais il y en a encore.
Madame le secrétaire d'Etat, au cas particulier, beaucoup de collègues élus locaux ont été déclarés gestionnaires de fait parce qu'ils avaient aligné le régime de rémunération - je pense notamment aux conseils généraux et aux conseils régionaux - sur le régime des préfectures, qui est illégal. L'Etat ne peut pas à la fois garder pour son compte un régime illégal et, avec un charmant sourire et un joli minois, qui sont ceux de Mme Parly, nous dire gentiment que eux les élus locaux, passent à la toise, un point c'est tout. Je voudrais donc que le Gouvernement réfléchisse sur ce point dans la perspective du prochain débat.
Ensuite, je ne sais pas ce que disent les gens de la direction de la comptabilité publique qui suivent ces questions, mais, je le répète, lorsqu'un comptable public est mis en débet, il a les moyens, par la voie administrative et par les pouvoirs qui sont les siens, de poursuivre le recouvrement des sommes qu'on lui réclame, alors que le comptable de fait ne les a pas, puisqu'il ne peut pas déclencher un avis à tiers détenteur ou une saisie-arrêt sur un compte, comme peut le faire le comptable public. Je ne vois pas où est l'inégalité.
Mon amendement vise naturellement les cas où tout a été fait pour recouvrer les traitements et indemnités indûment versés. Si une partie n'est pas recouvrée, à ce moment-là le comptable de fait paie. Mais on ne peut pas lui demander de payer la totalité, de vendre ses biens, et d'aller se consoler en buvant l'apéritif chez un de ses employés communaux qui a largement touché et profité des primes qu'il vient de payer en vendant sa propre maison... Il y a quand même quelque chose qui ne va pas !
Monsieur le président, je retire mon amendement à titre provisoire, mais je souhaite que Mme Parly et les collaborateurs qui l'entourent réfléchissent à cette question, qui n'est pas mince. C'est un problème de justice et d'équité car, contrairement à ce qui est dit, le comptable de fait et le comptable public sont soumis, certes, aux mêmes sanctions, mais ils n'ont pas les mêmes pouvoirs pour passer à travers la sanction !
M. Jacques Machet. Ce n'est pas nouveau !
M. le président. L'amendement n° 8 est retiré.
Par amendement n° 9, MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 6, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. Le second alinéa de l'article L. 131-11 du code des juridictions financières est ainsi rédigé :
« Cet amende est calculée suivant l'importance et la durée de la détention ou du maniement des deniers sans pouvoir dépasser ni le dixième du total des sommes indûment détenues ou maniées ni une somme d'un million de francs. »
« II. Le second alinéa de l'article L. 262-39 du code des juridictions financières est ainsi rédigé :
« Cette amende est calculée suivant l'importance et la durée de la détention ou du maniement des deniers dans les conditions déterminées par le second alinéa de l'article L. 131-11. »
« III. Le second alinéa de l'article L. 272-37 du code des juridictions financières est ainsi rédigé :
« Cette amende est calculée suivant l'importance et la durée de la détention ou du maniement des deniers dans les conditions déterminées par le second alinéa de l'article L. 131-11. »
La parole à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Il s'agit de ramener le montant maximum de l'amende susceptible d'être prononcée pour gestion de fait à un montant plus modéré.
Actuellement, ce montant est susceptible d'être « égal au total des sommes indûment détenues par le comptable de fait », ce qui peut être vraiment considérable.
Le Conseil constitutionnel n'a pas examiné cette disposition, mais je ne suis pas certain qu'il la jugerait nécessaire au sens de la déclaration de 1789. A mon avis, le texte actuel est fragile, sauf que, comme il n'est pas susceptible d'être déféré au Conseil, il ne risque rien pour l'instant.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. Cet amendement fixe un double plafond à l'amende qui peut être prononcée par le juge financier en cas de gestion de fait. Il convient de rappeler que cette amende peut ne pas être prononcée.
Elle est actuellement calculée selon l'importance de la durée de la détention ou du maniement des deniers. Son montant ne peut dépasser le montant des sommes indûment détenues ou maniées.
Dans la pratique, il semble que le montant, sauf exception rarissime, d'un million de francs ne soit pas dépassé, ce qui n'est pas déjà pas si mal !
La commission des lois s'est interrogée sur le principe même d'une amende infligée par le juge financier à l'ordonnateur reconnu comptable de fait alors que celui-ci n'a commis aucune infraction pénale.
Elle a par ailleurs constaté que cette amende pouvait représenter des sommes très élevées.
Aussi, au dispositif de plafonnement prévu par l'amendement n° 9, la commission des lois a-t-elle préféré la rédaction de l'amendement n° 4 rectifié, que défendra tout à l'heure M. Balarello, et qui prend en compte la situation des gestionnaires de fait de bonne foi.
Dans ces conditions, la commission demande à M. Charasse de bien vouloir retirer son amendement en attendant l'examen de l'amendement n° 4 rectifié.
M. le président. Monsieur Charasse, accédez-vous à la demande de M. le rapporteur ?
M. Michel Charasse. Je vais me rallier provisoirement à l'amendement n° 4 rectifié. Je dis « provisoirement » parce que je souhaiterais y ajouter un élément - je le signale dès maintenant au Gouvernement.
En effet, les ministres passent leur temps à faire des remises gracieuses, totales ou partielles, d'amendes infligées par les juridictions financières. Or j'ai toujours estimé, personnellement, que cela relevait du droit de grâce du chef de l'Etat, et de lui seul. Pendant que j'étais moi-même ministre du budget, je faisais accorder ces remises gracieuses par le Président de la République.
Je pense qu'il serait beaucoup plus sain qu'en la matière le Président de la République retrouve pleinement son droit de grâce.
Sous le bénéfice de cette observation, qui est accessoire, je retire mon amendement au profit... disons plutôt au bénéfice (Sourires.) de celui de M. Balarello.
M. le président. L'amendement n° 9 est retiré.
Articles additionnels avant l'article 6 ou après l'article 14