Séance du 11 mai 2000
M. le président. Par amendement n° 5, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 4, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 231-3 du code des juridictions financières est complété in fine par un alinéa ainsi rédigé :
« L'action en déclaration de gestion de fait se prescrit par 5 ans à compter du dernier acte constitutif de ladite gestion. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Il s'agit de régler un problème un peu bizarre.
Comme vous le savez, en matière criminelle, la prescription est de dix ans ; en matière correctionnelle, elle est de trois ans, sauf pour l'abus de bien social, pour lequel elle est de trois ans à partir du jour, etc., pour les créances, elle est de quatre ans, mais, pour la gestion de fait, la prescription est de trente ans.
Cela veut dire que l'on peut aller chercher un élu trente ans après les faits, même s'il a quitté ses fonctions, même s'il est très âgé. De plus, s'il est mis en débet, on pourra à la limite poursuivre ses héritiers si lui-même n'est plus là.
Pourquoi trente ans, en l'occurrence ? Tout simplement parce que le Conseil d'Etat, en l'absence de texte, a décidé d'appliquer la prescription de droit commun.
Nous proposons un délai plus raisonnable de cinq ans. C'est plus que le délai pour les délits, mais c'est un délai que nous avons calculé, au groupe socialiste, de façon à tenir compte du rythme et des charges de travail de contrôle des chambres régionales des comptes, de façon à ne pas leur imposer un rythme trop lourd ou qui serait déraisonnable au regard de leurs possibilités.
En tout cas, il est bien évident que trente ans, ce n'est pas possible. Cela ne peut pas continuer comme cela.
Pour autant, je n'incrimine pas le Conseil d'Etat, qui n'avait pas d'autre texte à se mettre sous la dent.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. La commission a souscrit à la proposition de M. Charasse, après avoir observé, en particulier, que le rythme de contrôle par les chambres régionales des comptes était en moyenne de quatre ans.
La commission a donc émis un avis favorable sur l'amendement n° 5.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est très conscient du problème soulevé par M. Charasse. Je vais cependant tenter de donner les raisons pour lesquelles nous ne sommes pas nécessairement favorables à cet amendement et d'expliquer dans quel sens nous pourrions peut-être travailler.
La durée de cette prescription trentenaire - très longue, c'est exact - s'explique par différentes raisons : d'abord, l'application du droit commun par rapport aux dettes à caractère civil ; ensuite, la nécessité de traiter sur un pied d'égalité les comptables de fait et les comptables patents ; enfin, la nécessité de protéger l'action en recouvrement de ces créances pour les comptables publics.
Il nous semble que le délai de cinq ans prévu par l'amendement est un peu court si l'on veut respecter les principes qui viennent d'être énoncés et compte tenu des conditions d'examen des comptes par les chambres régionales des comptes. Néanmoins, il me semble qu'il devrait être possible d'examiner la manière de restreindre le délai actuel pour que celui-ci corresponde au respect des règles de droit que je viens d'évoquer et soit plus conforme à des délais qui existent par ailleurs dans d'autres procédures, à caractère judiciaire notamment.
M. Jean-Pierre Schosteck. Le Gouvernement va réfléchir !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Madame le secrétaire d'Etat, la méthode de travail qui consiste à dire que les problèmes sont importants mais à ne rien faire pour les résoudre n'est peut-être pas la plus satisfaisante !
Dans votre réponse, vous nous avez indiqué que, bien entendu, il y avait un problème et que vous étiez prête à l'étudier, mais vous ne nous avez présenté aucune proposition.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Nous ferons des propositions ; nous retiendrons un certain nombre d'orientations, comme je l'indiquerai dans la suite du débat et comme je l'ai déjà dit dans mon discours introductif, notamment en complétant le projet de loi statutaire qui sera très prochainement soumis à votre assemblée.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Madame le secrétaire d'Etat, nous sommes confrontés à un problème concret et, comme l'a dit M. le rapporteur et comme le propose M. Charasse, le délai de cinq ans nous paraît raisonnable. C'est notre position. L'acceptez-vous ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. J'ai indiqué que le délai de cinq ans est bien court. Nous sommes donc défavorable à l'amendement qui préconise ce délai.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Voilà une réponse précise !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. J'étais prêt à me rallier à une autre durée, mais le Gouvernement ne formule pas de proposition. C'est très gênant.
Retirer l'amendement signifierait que je renonce à appeler l'attention du Gouvernement sur la durée du délai.
J'ajoute, puisque le Gouvernement va réfléchir, qu'il faut arrêter, dans ce pays, de fixer des délais de prescription pour l'argent supérieur à ceux qui s'appliquent aux crimes !
MM. Philippe François et Jean-Pierre Schosteck. Oui !
M. Michel Charasse. Le délai de dix ans est applicable en matière criminelle. On ne peut donc plus poursuivre un criminel qui a tué au-delà de dix ans. Mais s'il a commis un abus de bien social dans la même affaire, on peut le poursuivre quinze ans après. Cela coûte plus cher de voler que de tuer ! La vie humaine n'a pas beaucoup de prix !
Si ce n'est pas cinq ans, si le Gouvernement propose, au terme de ses réflexions, dix ans, douze ans, voire quinze ans - je le dis franchement, avec amitié et même affection, à Mme le secrétaire d'Etat - moi, je ne marche pas, je n'accepte pas un système qui consiste à considérer que la vie humaine a moins de prix que trois francs six sous.
Par conséquent, si je suis ouvert aux discussions futures, à titre conservatoire je maintiens mon amendement.
M. Philippe François. Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est la nouvelle hiérarchie des valeurs !
M. José Balarello. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. Je veux simplement rappeler à Mme la secrétaire d'Etat que la prescription pénale en matière de délit est de trois ans.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 4.
Par amendement n° 6, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, après l'article 4, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 231-3 du code des juridictions financières est complété in fine par un alinéa ainsi rédigé :
« Une déclaration de gestion de fait ne peut pas être prononcée sur les exercices ayant déjà fait l'objet d'un apurement définitif de la chambre régionale des comptes avec décharge donnée au comptable. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Il s'agit de préciser que, lorsqu'un exercice budgétaire a donné lieu, de la part de la chambre régionale des comptes, à un apurement définitif avec décharge donnée au comptable, on ne peut pas revenir dessus en particulier, pour prononcer une gestion de fait ; sinon, on remet en cause la chose jugée. Cela a été vu, cela a été jugé, le comptable a reçu quitus, la messe est dite ! Terminé ! Sinon on n'en sortira jamais !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur. La commission estime que cette solution paraît logique dès lors que les comptes ont fait l'objet d'un jugement par la chambre régionale des comptes.
Elle est donc favorable à l'amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat. Lorsque le juge examine les comptes du comptable patent, il ne se prononce que sur les opérations qui sont retracées dans les comptes.
Or, la gestion de fait concerne, par définition, des recettes qui sont perçues en dehors de la caisse du comptable public, ou des sommes qui ont été irrégulièrement extraites de cette caisse. Par là même, elle ne peut être découverte à l'occasion du jugement des comptes tenus par le comptable de la collectivité.
Dans ces conditions, la décharge accordée au comptable patent ne saurait interdire au juge des comptes de déclarer des gestions de fait dont il aurait connaissance postérieurement.
Pour cette raison, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 6.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Madame le secrétaire d'Etat, veuillez m'excuser de vous le dire, mais votre explication est totalement irrecevable.
La majeure partie des gestions de fait se voient lors du contrôle des comptes d'un exercice, ou de plusieurs exercices donnés. Il est faux de dire que la majorité d'entre elles sont découvertes en dehors.
L'amendement n° 6 de M. Charasse est parfaitement cohérent et pertinent. C'est la réponse du Gouvernement qui est étonnante.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Moi, je dois dire que je ne suis pas insensible à ce qu'a dit Mme le secrétaire d'Etat.
Il n'empêche qu'avec la position qu'elle adopte on n'en finit jamais ! La chambre régionale des comptes a donnée quitus !... Elle n'avait qu'à voir... C'est exactement comme si un tribunal correctionnel rendait un premier jugement, puis, trois ans après, disait : « Au fait, j'ai oublié, lors du premier jugement, que Machin a craché sur la figure d'Untel. J'aurais dû réagir. Finalement, je rouvre le dossier. »
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Non, c'est prescrit.
M. Michel Charasse. Non ! trois ans après, ce n'est pas prescrit ! Pour le moment, la prescription, c'est trente ans !
Bon ! Disons, monsieur le président Sarché, quinze jours ou trois semaines après. Il dit : « Tiens j'ai oublié un truc, j'ai oublié le sel... je redescends.... J'ai oublié de descendre la poubelle... je redescends... J'ai oublié de condamner Machin... je reprends le dossier. C'est là un genre de service à la carte et à la tête du client qui est difficilement acceptable !
Peut-être faudrait-il réécrire différemment cet amendement pour aboutir au même résultat. Je le maintiens à titre conservatoire. Mais je ne m'opposerai pas à ce que l'on tente de trouver une autre solution si Mme la secrétaire d'Etat nous confirme qu'elle acceptera de revoir la question à l'occasion du débat sur le projet de loi relatif au statut des conseillers.
En tout cas, ce qui est dit est dit, ce qui est fait est fait, et il n'y a pas à y revenir !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de la loi, après l'article 4.
Article 5