Séance du 11 mai 2000
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
- Discussion d'une question orale avec débat portant sur un sujet européen (p.
1
).
MM. Hubert Haenel, auteur de la question, président de la délégation du Sénat
pour l'Union européenne ; Pierre Fauchon, au nom de la commission des lois ;
Paul Masson, Mme Marie-Madeleine Dieulanguard, M. Gérard Delfau, Mme Danielle
Bidard-Reydet, MM. Daniel Hoeffel, James Bordas.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.
Clôture du débat.
Suspension et reprise de la séance (p. 2 )
3.
Questions d'actualité au Gouvernement
(p.
3
).
M. le président.
RAPPROCHEMENT
RENAULT VÉHICULES INDUSTRIELS-VOLVO (p.
4
)
MM. Michel Teston, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.
PRIX ET QUALITÉ D'ACCÈS À INTERNET (p. 5 )
MM. Gérard Larcher, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.
ÉVOLUTION DE LA DÉCENTRALISATION (p. 6 )
MM. Paul Girod, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.
TAUX DE CHANGE DE L'EURO (p. 7 )
MM. Paul Loridant, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.
STATUT DE STRASBOURG
COMME SIÈGE DU PARLEMENT EUROPÉEN (p.
8
)
MM. Daniel Hoeffel, Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.
MISE EN CAUSE DU CHEF DE L'ÉTAT
PAR LE JOURNALISTE TUNISIEN TAOUFIK BEN BRICK (p.
9
)
MM. Ladislas Poniatowski, Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.
RÉCUPÉRATION DE L'AIDE SOCIALE
VERSÉE AUX HANDICAPÉS (p.
10
)
M. Alfred Foy, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.
CRISE DU CINÉMA FRANÇAIS (p. 11 )
Mmes Danièle Pourtaud, Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication.
POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LA DOULEUR
ET DE DÉVELOPPEMENT DES SOINS PALLIATIFS (p.
12
)
M. Lucien Neuwirth, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.
DOTATION GLOBALE DE FONCTIONNEMENT (p. 13 )
MM. Jean-Paul Amoudry, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.
COULÉES DE BOUE
CONSÉCUTIVES AUX ORAGES QUI SE SONT ABATTUS
SUR LE DÉPARTEMENT DE LA SEINE-MARITIME (p.
14
)
M. le président.
MM. Charles Revet, Daniel Vaillant, ministre des relations avec le
Parlement.
MM. Henri de Raincourt, le président.
Suspension et reprise de la séance (p. 15 )
4.
Chambres régionales des comptes.
- Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission (p.
16
).
Discussion générale : MM. Jean-Paul Amoudry, rapporteur de la commission des
lois ; Jacques Oudin, rapporteur pour avis de la commission des finances ; Mme
Nicole Borvo, MM. Paul Girod, Michel Charasse, José Balarello.
Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget.
Clôture de la discussion générale.
Articles 1er et 2. - Adoption (p.
17
)
Article additionnel après l'article 2 (p.
18
)
Amendement n° 26 de M. Henri de Raincourt. - MM. José Balarello, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Article 3. - Adoption (p.
19
)
Article 4 (p.
20
)
Amendement n° 23 de M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. - MM. le rapporteur
pour avis, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Articles additionnels après l'article 4 (p. 21 )
Amendement n° 5 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur,
Mme le secrétaire d'Etat, MM. Jacques Larché, président de la commission des
lois ; José Balarello. - Adoption de l'amendement insérant un article
additionnel.
Amendement n° 6 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur,
Mme le secrétaire d'Etat, M. le rapporteur pour avis. - Adoption de
l'amendement insérant un article additionnel.
Article 5. - Adoption (p.
22
)
Articles additionnels après l'article 5 (p.
23
)
Amendement n° 24 de M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. - MM. le rapporteur
pour avis, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement
insérant un article additionnel.
Amendement n° 7 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur. -
Retrait.
Articles additionnels avant l'article 6 (p. 24 )
Amendement n° 8 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur,
Mme le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Amendement n° 9 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur. -
Retrait.
Article additionnel avant l'article 6
ou après l'article 14 (p.
25
)
Amendements n°s 4 rectifié de M. José Balarello et 10 de M. Michel Charasse. - MM. José Balarello, Michel Charasse, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat, M. le président de la commission des lois. - Retrait de l'amendement n° 10 ; adoption de l'amendement n° 4 rectifié insérant un article additionnel.
Articles additionnels avant l'article 6 (suite) (p. 26 )
Amendement n° 11 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur,
Mme le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement insérant un article
additionnel.
Amendement n° 12 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur,
Mme le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Amendement n° 13 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur,
Mme le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Amendement n° 14 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur,
Mme le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Amendement n° 15 de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur,
Mme le secrétaire d'Etat, M. le rapporteur pour avis. - Retrait.
Article 6 (p. 27 )
Amendement n° 25 de M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. - MM. le rapporteur
pour avis, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 7 (p. 28 )
Amendements n°s 22 et 16 rectifié de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse,
le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat, M. le rapporteur pour avis. - Retrait
de l'amendement n° 22 ; rejet de l'amendement n° 16 rectifié.
Adoption de l'article.
Articles 8 et 9. - Adoption (p.
29
)
Article 10 (p.
30
)
Amendements identiques n°s 1 de M. José Balarello et 17 de M. Michel Charasse. - MM. José Balarello, Michel Charasse, le rapporteur, Mme le secrétaire d'Etat. - Adoption des deux amendements rédigeant l'article.
Article 11 (p. 31 )
Amendement n° 18 de M. Michel Charasse. - Adoption de l'amendement rédigeant l'article.
Article 12 (p. 32 )
Amendements n°s 19 de M. Michel Charasse et 2 de M. José Balarello. - Retrait de l'amendement n° 19 ; adoption de l'amendement n° 2 rédigeant l'article.
Article 13 (p. 33 )
Amendement n° 20 de M. Michel Charasse. - Adoption de l'amendement rédigeant l'article.
Article 14 (p. 34 )
Amendement n° 21 de M. Michel Charasse. - Adoption de l'amendement rédigeant l'article.
Division additionnelle après l'article 14 (p. 35 )
Amendement n° 3 de M. José Balarello. - M. José Balarello. - Retrait.
Vote sur l'ensemble (p. 36 )
MM. Michel Charasse, le rapporteur pour avis, Jacques Machet, Robert Del
Picchia.
Adoption des conclusions modifiées du rapport de la commission.
Suspension et reprise de la séance (p. 37 )
5.
Régimes de retraite. -
Discussion d'une question orale avec débat (p.
38
).
MM. Jean-Pierre Fourcade, auteur de la question ; Aymeri de Montesquiou, Claude
Domeizel, Alain Vasselle, Roland Muzeau, Jacques Bimbenet.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité ; M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Clôture du débat.
6.
Dépôt d'une proposition de loi
(p.
39
).
7.
Dépôt d'un rapport
(p.
40
).
8.
Ordre du jour
(p.
41
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE,
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à onze heures.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
CHARTE DES DROITS FONDAMENTAUX
DE L'UNION EUROPÉENNE
Discussion d'une question orale avec débat
portant sur un sujet européen
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat suivante
portant sur un sujet européen suivante :
M. Hubert Haenel demande à M. le ministre délégué chargé des affaires
européennes quelle vocation le Gouvernement souhaite assigner à la Charte des
droits fondamentaux de l'Union européenne sur laquelle le Conseil européen
devra se prononcer en décembre prochain. Il lui demande en particulier si le
Gouvernement estime que cette Charte doit seulement réunir les droits
fondamentaux en vigueur au niveau de l'Union de manière à leur donner une plus
grande visibilité ; si elle ne doit comprendre que des droits justiciables ou
si elle peut également inclure des droits affirmant des objectifs et appelant
des actions de l'Union européenne ; si, selon lui, cette Charte doit, à terme,
être incluse dans les traités ; enfin, si le Gouvernement juge souhaitable que
l'Union européenne adhère à la Commission européenne des droits de l'homme. (N°
QE 9.)
Je souhaite que, dans ce débat, chaque orateur fasse preuve de concision, car
nous avons l'obligation de suspendre la séance à treize heures, les questions
d'actualité au Gouvernement commençant à quinze heures précises.
Je vous remercie par avance de votre compréhension, mes chers collègues.
La parole est à M. Haenel, auteur de la question et président de la délégation
du Sénat pour l'Union européenne.
M. Hubert Haenel,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit
aujourd'hui porte sur un sujet dont le seul intitulé permet de mesurer toute
l'importance : « Les droits fondamentaux de l'Union européenne ».
Il s'agit ni plus ni moins de recenser et de proclamer, au niveau de l'Union,
ces droits et libertés que les Etats membres considèrent comme inhérents à la
personne humaine et placent, à ce titre, au sommet de leur hiérarchie des
valeurs.
On ne saurait imaginer que les parlements ne soient pas associés à ce
programme ambitieux qui touche directement aux libertés publiques. Le Conseil
européen l'a d'ailleurs admis, lui qui, à Cologne, en juin dernier, a confié le
soin d'élaborer un projet de charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne à une enceinte composée de représentants des chefs d'Etat et de
gouvernement et du président de la Commission europénne, mais aussi de membres
du Parlement européen et des parlements nationaux, à raison de deux par
Etat.
A Tampere, en octobre 1999, le Conseil européen a décidé que cet organe
comporterait soixante-deux membres et autant de suppléants : quinze
représentants des chefs d'Etat et de gouvernement, le représentant du président
de la Commission, seize parlementaires européens et trente parlementaires
nationaux.
Cette enceinte, qui a pris le nom de convention a élu à sa présidence, à
l'unanimité, M. Roman Herzog, ancien président de la République fédérale
d'Allemagne. Elle tient plusieurs réunions par mois, formelles ou informelles,
et compte achever ses travaux suffisamment tôt pour que son projet soit soumis
au Conseil européen sous présidence française et peut-être examiné de façon
informelle en juin à l'occasion du Conseil de Feira.
Je dis bien « son projet », car le rôle de la convention ne consiste pas,
comme on le dit parfois abusivement, à élaborer une charte des droits
fondamentaux, mais, plus modestement, à élaborer un texte dont le destin
dépendra du seul Conseil européen. A cet égard, peut-être pourriez-vous nous
éclairer, monsieur le ministre, sur la manière dont vous voyez l'intervention
ultérieure du Conseil européen : pourra-t-il amender le projet de la convention
et, dans l'affirmative, comment ?
Quoi qu'il en soit, il est nécessaire - c'est ce que j'ai voulu en posant
cette question orale avec débat sur un sujet européen - que notre assemblée
recueille le sentiment de l'exécutif, mais aussi que chacun d'entre nous puisse
s'exprimer sur ce dossier qui soulève de multiples interrogations, tant
juridiques que politiques.
Parmi ces interrogations, la première qui vient à l'esprit porte sur le
principe même d'une charte des droits fondamentaux.
Pour quoi faire, disaient certains, puisqu'il suffirait à l'Union européenne
d'adhérer à la convention européenne des droits de l'homme pour se doter d'un
texte assurant une garantie efficace des droits fondamentaux face aux
institutions européennes ?
Cette thèse est peut être défendable sur le plan juridique ; mais je crois que
la question de la raison d'être d'une charte des droits fondamentaux dépasse
largement le strict champ du droit.
Il s'agit, à mon sens, d'adresser un message clair aux citoyens sur ce que
fait et sur ce qu'est l'Europe. Les relations entre l'Union et les citoyens
sont en effet marquées d'un paradoxe qu'il convient d'effacer : d'une part, les
citoyens se déclarent à une large majorité favorables à la construction
européenne ; mais, d'autre part, lorsqu'ils parlent de Bruxelles, c'est souvent
pour dénoncer la frénésie réglementaire de technocrates, ou d'eurocrates,
faisant fi de leurs aspirations.
On passe trop souvent sous silence tous les apports de l'Europe pour la placer
au sein de controverses : on dénonce l'Europe qui décide trop, sur le chocolat,
la chasse, le fromage au lait cru ; parfois, on dénonce aussi l'Europe qui ne
décide pas assez, par exemple à propos de la prévention des marées noires ou de
la justice.
Et lorsque l'on reconnaît les succès de la construction européenne, des
politiques communes à l'euro, en passant par la réalisation du marché
intérieur, c'est souvent pour y voir le signe que l'Europe est faite pour les
banquiers et les industriels plus que pour les citoyens. Elle reste, aux yeux
de beaucoup, synonyme de marché commun.
Il en résulte un sentiment d'incompréhension, de frustration et parfois de
révolte, que nous devons effacer en montrant aux citoyens qu'ils sont au coeur
de la construction européenne et que, ce qui unit les Etats, et, par-delà les
Etats, les peuples, ce n'est pas seulement une interdépendance économique quasi
indissoluble, c'est aussi, et surtout, une véritable communauté d'idées et de
valeurs. L'Europe n'est pas un simple marché, nous devons sans cesse le
rappeler, c'est une Communauté.
A cet égard, l'adoption d'une charte des droits fondamentaux représenterait un
message fort, car seraient proclamés, au niveau de l'Union, ces droits et
libertés que chaque Etat membre considère comme inhérents à la personne humaine
et place, à ce titre, au sommet de sa hiérarchie des valeurs.
Parce qu'elle rappellerait les principes qui constituent le fondement de
l'identité européenne, cette charte serait, en quelque sorte, un ciment pour
les peuples, une référence pour les institutions et aussi, ne l'oublions pas,
un modèle pour tous les pays candidats, qui devraient pleinement adhérer à ce
socle de valeurs communes aux Etats membres et pas seulement manifester la
volonté d'entrer dans un marché ou de bénéficier d'aides.
Voilà pourquoi je fais partie de ceux qui sont partisans de cette charte.
Voilà pourquoi je considère que le débat sur sa raison d'être dépasse largement
le cadre juridique. Il a une véritable dimension politique, et je crois que
c'est ce que le Conseil européen a voulu montrer en confiant le travail
préparatoire à un organe composé aux trois quarts de parlementaires, nationaux
ou européens.
L'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de
l'homme est demandée par nos collègues du Parlement européen, comme ils
réclament l'adoption d'une charte des droits fondamentaux.
Monsieur le ministre, lorsque vous êtes venu devant la délégation du Sénat
pour l'Union européenne, voilà quelques semaines, vous nous avez dit que le
Gouvernement ne souhaitait pas l'adhésion de l'Union à la convention. Nous
serions heureux, tous autant que nous sommes, que vous précisiez les raisons
qui amènent le Gouvernement à s'opposer à cette adhésion.
Quant aux autres interrogations, je les regrouperai en deux catégories :
certaines concernent le contenu de la future charte, d'autres, sa portée.
En ce qui concerne la contenu de la charte, la question se pose de savoir s'il
convient - et, si oui, dans quelle mesure - d'aller au-delà de la reprise pure
et simple de droits d'ores et déjà consacrés dans d'autres textes ou par la
jurisprudence.
Sur ce point, deux conceptions se sont fait jour au sein de la convention.
Pour certains, la charte devrait simplement reprendre et, le cas échéant,
préciser l'existant.
Les tenants de cette thèse, défendue notamment par le réprésentant du
gouvernement britannique, Lord Goldsmith, s'appuient sur les conclusions du
Conseil européen de Cologne, qui réclamaient le recensement « des droits
fondamentaux en vigueur au niveau de l'Union ... de manière à leur donner une
plus grande visibilité. » Dans cette optique, la convention serait donc appelée
en quelque sorte à codifier des droits reconnus par la convention européenne
des droits de l'homme, la charte sociale européenne, la charte communautaire
des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, les traditions
constitutionnelles communes des Etats membres ou la jurisprudence de la Cour de
justice de Luxembourg.
A l'opposé de cette thèse, d'autres membres de la convention semblent
souhaiter aller au-delà de cette simple codification. Ceux-là peuvent tirer
argument de la composition même de la convention, que le Conseil européen a
voulu politique et qui comprend, en effet, à commencer par M. Roman Herzog, des
personnes qui ont exercé d'importantes fonctions dans leur pays.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire quelle est, de ces deux
conceptions, celle du Gouvernement français ?
Peut-être pourriez-vous également nous dire, si votre religion est faite, ce
que, selon vous, doit être la charte et ce qu'elle ne doit pas être. Doit-elle
se prononcer sur ces questions qui posent déjà tant de difficultés au niveau
national, comme celle des minorités ou celle de la laïcité ?
Par ailleurs, il me semble indispensable que la charte mentionne, sous une
forme ou une autre, que tous les droits fondamentaux impliquent des devoirs et
des responsabilités. Je suppose que notre éminent collègue Pierre Fauchon
reviendra sur ce point. A la suite de sa très intéressante communication devant
la délégation pour l'Union européenne, j'ai déposé une contribution en ce sens
au sein de la convention. Je serais donc heureux de savoir, monsieur le
ministre, si le Gouvernement appuie cette contribution et si vous souhaitez que
le représentant de l'exécutif français à la convention, M. Guy Braibant, qui
est resté jusqu'ici assez « taisant » sur ce sujet, la soutienne. Pour ma part,
je ne pourrais donner mon aval à un texte qui ne comprendrait pas une
disposition sur les devoirs et les responsabilités.
Enfin, la charte ne doit-elle reprendre que des droits justiciables ou
peut-elle également inclure des droits affirmant des objectifs et appelant des
actions de l'Union européenne ?
Avec ces questions, j'aborde déjà la seconde catégorie d'interrogations,
celles qui concernent la portée de la charte.
Au sein de la convention, une oppostion est apparue entre, d'une part, les
tenants d'un texte contraignant et, d'autre part, ceux qui souhaitent un
catalogue de droits qui constituerait, certes, une référence, mais n'aurait pas
en lui-même - en tout cas pas tout de suite - un caractère contraignant.
Sur ce point, les conclusions du Conseil européen de Cologne n'apportent guère
de lumière, puisqu'elles se contentent d'indiquer que, après la proclamation
solennelle, « il faudra examiner si et, le cas échéant, de quelle manière la
charte pourrait être intégrée dans les traités. »
Il appartient donc au Conseil européen de dire s'il souhaite que la charte
soit ou non revêtue d'un caractère contraignant, et rien ne nous permet
aujourd'hui de préjuger sa décision. Il serait pourtant utile de savoir quelle
est son intention, car la portée d'un texte n'est pas sans influence sur son
contenu. Peut-être pouvez-vous nous éclairer sur ce point, monsieur le
ministre, en nous disant quelle position la France, par la voix du Président de
la République, entend défendre au Conseil européen.
Bien entendu, dans l'hypothèse où la charte aurait un caractère contraignant,
se poserait inéluctablement la question de son articulation avec la convention
européenne des droits de l'homme.
Je précise que nos collègues du Parlement européen se sont prononcés sur la
portée de la future charte dans des termes qui ne laissent aucune place à
l'équivoque. Considérant « qu'une charte des droits fondamentaux qui ne
constituerait qu'une déclaration non contraignante... décevrait les attentes
légitimes des citoyens » et que « la charte des droits fondamentaux doit être
conçue comme l'élément essentiel du processus nécessaire pour doter l'Union
européenne d'une constitution », le Parlement européen demande notamment que la
charte soit dotée pleinement d'un caractère juridique contraignant par le biais
de son incorporation au traité, que tout amendement à ce texte soit soumis à
l'avis conforme du Parlement européen et que la charte contienne une clause
exigeant l'assentiment du Parlement européen pour toute restriction sur les
droits fondamentaux, en toute circonstance et sans aucune exception.
Je souhaite savoir, monsieur le ministre, comment le Gouvernement français
accueille ces « revendications » et, d'une manière générale, la résolution du
Parlement européen dans son ensemble.
Enfin, un dernier point suscite beaucoup d'interrogations et sans doute aussi
beaucoup d'incompréhension. Il porte sur le domaine d'application de la charte.
Il va de soi qu'il s'agirait là d'un point essentiel si la charte devait
devenir un peu contraignante.
Certains aspects paraissent clairs. C'est ainsi qu'il semble admis par tous
qu'un acte pris par un Etat membre dans un domaine où l'Union n'a pas de
compétence ne sera pas soumis au respect de la charte.
Parallèlement, il va de soi qu'un acte de l'Union, qu'il émane de la
Commission ou du Conseil, qu'il soit ou non adopté selon la procédure de
codécision, sera soumis au respect de la charte.
Mais il y a toute la zone grise qui se trouve entre ces deux extrêmes. Il y a
tout le domaine pour lequel les Etats membres prennent des actes normatifs ou
des décisions qui découlent, directement ou indirectement, du droit
communautaire.
Ces actes et ces décisions seront-ils tenus de respecter la charte ? Et, dans
le cas où la charte serait contraignante, un recours sera-t-il possible devant
la Cour de justice à leur sujet ? Si tel est le cas, ne risque-t-on pas des
conflits de jurisprudence ? Et ne risque-t-on pas de laisser à la seule
discrétion de la Cour de justice un vaste champ de compétences, au détriment du
principe de subsidiarité ?
Je serais heureux, monsieur le ministre, de connaître l'opinion du
Gouvernement sur ce point essentiel. Car vous le savez, ce n'est pas du ressort
de la seule convention ; cela dépendra en réalité, au premier chef, des
décisions que sera appelé à prendre le Conseil européen. Ai-je besoin de
souligner qu'il serait souhaitable, sur un point aussi important, que le
Conseil européen prenne alors sa décision en toute clarté, en refusant toute
ambiguïté et toute obscurité ?
J'en ai terminé avec les principales interrogations que soulève, à mes yeux,
l'élaboration d'une charte des droits fondamentaux.
Je ne saurais cependant achever mon propos sans revenir, pour m'en féliciter,
sur l'originalité de la méthode retenue par le Conseil européen.
Je tiens en effet à saluer le double équilibre trouvé par celui-ci :
équilibre, d'une part, entre représentants des gouvernements et de la
Commission et représentants des parlements, qui fait la part belle à ces
derniers, ce qui semble tout à fait normal pour un texte avant tout politique ;
équilibre, d'autre part, entre le pouvoir législatif au niveau des Etats -
parlementaires nationaux - et le pouvoir législatif au niveau de l'Union,
c'est-à-dire Conseil et Parlement européens.
Je crois que cette convention peut être un bon laboratoire pour une expérience
qui, si elle se révélait concluante, mériterait de servir pour d'autres grands
sujets éminemment politiques, soumis
in fine
à ratification ; je pense
par exemple à la justice. Il nous faut, en effet, réfléchir aux moyens qui
permettraient de réinsérer de manière plus précise et plus étroite les
parlementaires nationaux dans l'élaboration des grands textes de l'Union. Pour
l'élaboration de la plupart des normes communautaires, le mécanisme de
l'article 88-4 de la Constitution permet une assez bonne association des
députés et des sénateurs. Mais, pour des textes plus sensibles, tels que ceux
qui seraient susceptibles de toucher aux libertés publiques - et là je pense à
l'espace judiciaire européen -, une implication plus forte des parlementaires
nationaux est sans doute nécessaire. A la fois parce qu'ils ont une compétence
certaine dans des matières de ce genre, en raison de leur expérience de
législateur national, et parce qu'ils incarnent une légitimité très forte aux
yeux des citoyens des différents Etats membres de l'Union, les parlementaires
nationaux ont alors une vocation naturelle à intervenir de manière plus directe
que par le seul dialogue avec leur gouvernement, comme ce fut trop souvent le
cas dans le passé. Est-ce bien la position du Gouvernement, monsieur le
ministre ?
Pour conclure, ne perdons pas de vue que cette charte a été voulue
essentiellement par l'Allemagne pour résoudre des problèmes constitutionnels
qui lui sont propres.
Or il apparaît clairement, à l'occasion des débats au sein de la convention,
que les intérêts sont souvent divergents entre les différents participants et
les différentes sensibilités. Entre les pays du Nord et ceux du Sud, entre la
culture latine et la culture anglo-saxonne, le consensus est loin d'être
atteint. Nous aurons encore l'occasion de le constater dans quelques semaines à
Lisbonne, lors de la réunion de la conférence des organes spécialisés dans les
affaires communautaires, puisque la charte figure à l'ordre du jour de la XXIIe
COSAC.
C'est normalement sous présidence française que le projet de charte devrait
être adopté. Notre responsabilité ne sera pas mince, tant sur le contenu de la
charte que sur la nature juridique de celle-ci.
La charte devrait contribuer à répondre à quelques-unes des grandes questions
existentielles de la construction européenne. Il est temps, en effet, que les
Européens se posent ensemble des questions fondamentales telles que : qui
sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ? L'occasion nous en est
donnée.
L'élaboration de la charte devrait nous aider à donner à l'Europe les
dimensions sociale, intellectuelle, culturelle et spirituelle ou morale qui lui
font trop souvent défaut. Mais cet exercice ne nous épargnera pas de traiter
avec tout le discernement nécessaire des questions plus fondamentales encore :
quelle Europe pour demain ? Pourquoi ? Pour qui ? Et quelle configuration pour
cette Europe ? Faut-il une avant-garde ou une Europe à géométrie variable ? Les
coopérations forcées, une fois rénovées, suffiront-elles à répondre à cette
question ? La charte n'y suffira pas.
Cinquante ans après la convention européenne des droits de l'homme, cinquante
ans après la déclaration de Robert Schuman qui a ouvert la voie vers l'Union
européenne, il est temps de réfléchir à ces questions essentielles.
Si l'exercice réussit, nous aurons montré la solidité et la consistance du
ciment européen et nous aurons affirmé nos valeurs fondatrices au grand jour
pour ceux qui vont nous rejoindre dans les années qui viennent.
Si l'exercice ne réussit pas, ce sera un révélateur : cela fera apparaître que
la construction engagée il y a cinquante ans est aujourd'hui à bout de souffle
et qu'il est temps de repartir sur de nouvelles bases.
En tout état de cause, je suis persuadé qu'il serait préférable de renoncer à
la charte plutôt que d'adopter un texte décevant, qui apparaîtrait, au mieux,
comme une sorte d'ersatz de la Convention européenne des droits de l'homme.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Fauchon, au nom de la commission des lois.
M. Pierre Fauchon,
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne surprendrai sans
doute pas en disant que je partage les interrogations de notre collègue Haenel.
Il est permis de se demander si les dirigeants de l'Europe avaient une vue
claire et commune de l'objectif à atteindre quand ils ont décidé, à Cologne,
d'ouvrir au sein de l'Union une réflexion sur les droits fondamentaux des
citoyens de cette Union, réflexion, disons-le immédiatement, qui n'a de sens
que si elle dégage des principes, des exigences nouvelles, marquant une
différence et un progrès par rapport aux texte nationaux ou internationaux
existants, spécialement la Convention européenne des droits de l'homme. C'est
un thème qui sera traité tout à l'heure, avec l'autorité qui lui est
particulière, par notre excellent collègue M. Hoeffel.
Il est douteux en tout cas que l'on puisse attendre une telle innovation dans
le domaine classique des droits fondamentaux, domaine déjà exploré en tous sens
depuis la fin du xviiie siècle dans les grands textes qui, face aux pouvoirs
établis et alors quasiment tout-puissants, ont affirmé la liberté, l'éminente
et imprescriptible dignité de l'homme, avec les garanties essentielles que nous
connaissons.
Dans ce domaine, le problème est bien moins dans la proclamation que dans la
vigilance face à des menaces qui peuvent prendre des formes nouvelles et sans
cesse renaissantes, tant sont diverses et insidieuses les voies et moyens de
l'esprit de domination et d'intolérance.
En revanche, la notion de droits fondamentaux s'étend, pour nos consciences
modernes, à ce qu'il est convenu d'appeler les droits économiques et sociaux,
tels que les droits au logement, au travail, à l'enseignement, à la santé et
d'autres, qui sont des droits relatifs dans la mesure où ils procèdent non de
la dignité de l'homme perçue comme valeur universelle, mais de la relation
particulière de ce dernier avec le corps social déterminé auquel il appartient,
c'est-à-dire, au sens propre du terme, que ces droits explicitent certains
aspects du contrat social particulier à ce corps.
La notion de « droit » prend ici la forme plus active d'une notion de créance
sur la société. Voilà un domaine qui ne peut être traité au fond que dans un
cadre juridique cohérent, doté de pouvoirs publics capables de faire droit à de
telles créances d'une manière concrète et réelle. Cela nous ramène à la raison
d'être d'une déclaration intéressant les citoyens de l'Union européenne,
celle-ci disposant d'une telle structure contraignante.
Il n'est donc pas anormal - cela pourrait même être très significatif, M.
Haenel le signalait tout à l'heure - que l'Union se pose de telles questions,
ce qui implique évidemment qu'elle se juge en état d'y apporter des réponses
sérieuses ; sinon il vaudrait mieux ne pas se les poser.
Je me placerai donc dans cette perspective, ce qui implique, je le reconnais,
une certaine dose d'optimisme. Et je mettrai à profit le temps que la
commission des lois a bien voulu me confier pour inviter à un élargissement du
débat et à poser, comme l'a annoncé M. Haenel tout à l'heure, la question de
savoir si une déclaration de droits ne devrait pas s'accompagner d'une
déclaration de devoirs.
A considérer l'esprit revendicatif qui est l'un des traits des sociétés
modernes, spécialement des sociétés avancées comme les nôtres, n'est-on pas
amené à se demander si l'individu est en droit de camper, en quelque sorte, sur
une position de créancier détenteur de droits unilatéraux, sans prendre du même
coup conscience du fait que la société est en droit, de son côté, d'attendre de
lui qu'il contribue à la bonne mise en oeuvre du contrat social, dans son
propre intérêt comme dans l'intérêt de ses concitoyens ?
Le contrat social, en effet, ne saurait se réduire à un faisceau d'exigences
unilatérales ; comme tout contrat, il postule nécessairement, sous le signe de
la solidarité, que chacun des membres du corps social se considère non
seulement comme porteur d'exigences et de droits, mais aussi comme porteur
d'obligations, de devoirs et, disons-le dans une formulation peut-être plus
nouvelle, comme porteur de responsabilités.
Sans doute est-ce une tendance actuelle et très favorisée par l'évolution
générale des mentalités que chacun soit plus attentif, plus vigilant et plus
sensible à faire valoir ses droits qu'à assumer ses responsabilités ; mais ne
nous appartient-il pas justement à nous, en tant qu'élus responsables de la
cohésion sociale, de rappeler qu'il n'y a pas de contrat sans réciprocité des
obligations, que la société ne peut distribuer qu'à la condition de recevoir,
étant entendu que les termes de l'échange ne sont pas seulement d'ordre
financier, comme on l'imagine parfois un peu sommairement, qu'il ne s'agit pas
seulement de la redistribution des richesses entre ceux qui ont trop et ceux
qui n'ont pas assez, mais que l'intérêt commun englobe plus généralement des
valeurs que j'appellerai, pour simplifier, des valeurs de civilisation par
rapport auxquelles il est juste et nécessaire que chacun se sente tout à la
fois bénéficiaire et contributeur.
Quelques exemples éclaireront sans doute utilement ce propos quelque que peu
abstrait.
Je songe aux responsabilités civiques : n'y a-t-il pas un devoir de participer
à la vie politique, de voter, de s'informer, ce qui va très au-delà du paiement
de l'impôt, obligation, évidemment, élémentaire ?
Dans le domaine économique, peut-on affirmer un droit à l'emploi et à une
juste rémunération sans proclamer un devoir d'activité, de travail, de
participation à la création des richesses ?
Dans le domaine socioculturel, peut-on tout mettre à la charge de la
collectivité, tout attendre d'elle, en ignorant le rôle nécessaire de toutes
les formes d'action non gouvernementales, qu'elles soient associatives ou
individuelles, et de l'obligation d'apporter son concours à de telles actions,
en particulier pour ceux qui en revendiquent le bénéfice ?
Dans le domaine du cadre de vie et de l'environnement, auquel nous avons tant
de raisons d'être sensibles actuellement, n'est-il pas évident que personne ne
saurait revendiquer le droit à la pureté de l'air et de l'eau non plus qu'à la
propreté et à la beauté de la nature s'il ne s'en reconnaît pas lui-même
responsable et activement responsable pour la part qui peut dépendre de lui
?
Tel est, mes chers collègues, le vaste champ de réflexion que le présent débat
donne l'occasion d'ouvrir et qui me semble avoir le mérite de replacer au coeur
de nos préoccupations l'idée de responsabilité, dont Montesquieu, approuvé par
Jean-Jacques Rousseau, enseignait que, sous la dénomination de vertu, elle
était le principe même des sociétés démocratiques. Montesquieu ne manque pas de
préciser qu'il parle de vertu politique, de celle qui tend au bien public,
selon sa propre formule, et non des vertus morales particulières.
Dès 1789 et depuis lors, les deux idées ont été fréquemment associées dans la
réflexion politique, l'une d'elle étant, en quelque sorte, le contrepoint
justifié de l'autre.
En 1789, c'est Grégoire qui tente de faire adopter par la Constituante une
déclaration des devoirs. Il n'est pas parvenu à obtenir une majorité
suffisante, mais il a recueilli un nombre de voix très important. Il est permis
de regretter cette lacune initiale, car nous aurions introduit ainsi, dans
notre conscience et dans le plus fondamental de nos textes, une dimension qui
lui manque fâcheusement, me semble-t-il.
La déclaration de 1795 comme la Constitution de 1848 font état des devoirs des
citoyens, que l'article 7 de la Constitution de 1848 formule ainsi : « Les
citoyens doivent (...) participer aux charges de l'Etat en proportion de leur
fortune ; ils doivent s'assurer, par le travail, des moyens d'existence et, par
la prévoyance, des ressources pour l'avenir ; ils doivent concourir au
bien-être commun en s'entraidant fraternellement les uns les autres et à
l'ordre général en observant les lois morales et les lois écrites qui régissent
la société, la famille et l'individu ».
M. Jacques Oudin.
Très bien !
M. Pierre Fauchon,
au nom de la commission des lois.
Le préambule de 1946 rappelle que
chacun « a le devoir de travailler », et la Déclaration universelle des droits
de l'homme intègre cette notion des devoirs des citoyens. On peut citer aussi
la Constitution de Weimar de 1919, très développée sur ce thème, et les
actuelles Constitutions de l'Espagne ou de la Pologne. On peut citer enfin - et
je ne le fais pas uniquement pour le pittoresque, car cela mérite d'être
mentionné - dans un ordre moins juridique mais non moins politique, la formule
de l'un de nos chants les plus populaires : « Pas de droits sans devoirs, pas
de devoirs sans droits ».
Je suppose qu'en tout cas nos amis du groupe communiste républicain et citoyen
auront reconnu là l'un des couplets de
l'Internationale,
tout simplement
!
M. Jacques Oudin.
On va le reprendre !
M. Pierre Fauchon,
au nom de la commission des lois.
On ne s'étonnera pas si je préfère le
concept, si fécond, de contrat social à celui, si néfaste et dévastateur - je
n'hésite pas à le dire - de lutte des classes. C'est d'ailleurs bien une
démarche contractuelle, quasiment la première dans l'histoire de l'humanité,
qui caractérise la construction européenne, procédant tout entière de la
volonté des peuples, et c'est parce qu'une telle démarche serait mal assurée si
elle ne conjuguait pas les droits des citoyens de l'Union européenne avec leurs
responsabilités que j'ai cru intéressant, d'autant que je m'exprimais au nom de
la commission des lois, d'attirer l'attention de notre assemblée sur ce
thème.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Masson.
M. Paul Masson.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui
nous rassemble aujourd'hui est simple à énoncer : quels droits fondamentaux
devront figurer dans la charte, notamment en matière sociale et économique ?
Quels caractères donner à cette charte ? Est-ce une déclaration politique ou
doit-elle avoir valeur juridique contraignante ?
Vous avez personnellement esquissé une position, monsieur le ministre, en
déclarant le 26 avril dernier : « Il me paraît de bon sens de ne s'interroger
sur une éventuelle valeur contraignante de cette charte que lorsque nous
connaîtrons le projet rédigé par la convention. » Il faudrait, selon vous, un
texte percutant, fort, concis, lisible pour justifier que l'on puisse
s'interroger sur la pertinence de son insertion dans les traités européens.
Vos propos me conduisent à penser que vous n'excluez pas de proposer au
gouvernement français l'insertion de cette charte dans les traités européens
bien que cette option n'ait pas été jusqu'ici retenue, même comme hypothèse de
travail, par le Conseil européen de Tempere.
Pour sa part, le Parlement européen a déjà tranché : il propose la solution
extensive et souhaite donner à la charte une forme normative. Cependant, nous
savons que certains représentants des gouvernements sont réticents sur la
formulation large. Quelle est la position du représentant du gouvernement
français à cet égard ?
Rappelons que, jusqu'ici, l'Union européenne s'en est tenue aux termes de
l'acte unique, ratifié en 1986. Celui-ci précisait qu'il s'agissait de «
promouvoir ensemble la démocratie en se fondant sur les droits fondamentaux
reconnus dans les constitutions et lois des Etats membres ».
Les traités de Maastricht et d'Amsterdam n'ont jamais mis en cause ce principe
fondamental, qui a été ratifié, faut-il le rappeler, par le peuple français
lui-même, à l'occasion du référendum sur le traité de Maastricht.
Certes, les deux traités introduisaient dans les normes européennes des droits
spécifiques complémentaires : droit de circuler, droit de vote, etc., mais
l'énoncé de ces droits spécifiques ne fait que renforcer
a contrario
le
principe de prépondérance jusqu'ici retenu des constitutions nationales et des
lois des Etats membres.
Pour tout le reste, on doit le rappeler avec une certaine force, il existe
déjà un dispositif international de contrôle, la Convention européenne des
droits de l'homme, qui assure avec vigilance depuis plusieurs décennies la
régularité des mécanismes juridiques internes de chacun des Etats membres.
Personne ne s'en plaint. Il y a peu, le gouvernement français lui-même,
pourtant chatouilleux sur le sujet, a modifié le code de procédure pénal après
un jugement de la Cour de Strasbourg dénonçant un procès inéquitable fait à un
ressortissant de la justice française à l'occasion d'une décision d'une
juridiction d'appel nationale.
Donc, le système tient debout et il fonctionne. Pourquoi alors vouloir donner
à la Cour de justice de Luxembourg une responsabilité nouvelle, responsabilité
que la Cour de Strasbourg assume fort bien ?
L'option fondamentale est soit de s'en tenir à une déclaration solennelle qui
ne modifie pas le traité soit d'aller plus avant et d'introduire un préambule
dans le traité qui donne un caractère normatif à cette chartre, conduisant
ipso facto
à une nouvelle modification des traités.
La présidence française doit-elle pour autant proposer aux partenaires
européens une nouvelle réforme des traités avec pour conséquence d'introduire
une concurrence entre deux juridictions, celle de Strasbourg, qui fonctionne
bien, et celle de Luxembourg, les conduisant toutes deux à des conflits
d'interprétation et introduisant une confusion dans les compétences, d'une
part, de donner à la Cour de justice européenne un droit de regard sur la
pratique des droits fondamentaux des Etats à partir de leur propre Constitution
ou de leurs propres lois, d'autre part.
Est-ce le moment ? Est-ce l'objectif voulu par les Quinze ? On peut en
douter.
Le mandat donné est clair : procéder à un recensement des droits fondamentaux,
au besoin complétés. Une déclaration solennelle sans aucune implication
normative est prévue.
Cette solution aurait sans doute l'avantage de rallier l'unanimité. Il n'est
pas dit cependant qu'elle trouve une majorité au Parlement européen.
Faut-il pour autant choisir une voie, à mon sens plus dangereuse, en proposant
une option juridique normative avec, à la clé, une nouvelle modification des
traités par l'introduction d'un préalable quasi constitutionnel à ces traités
?
Outre le fait que cette option risquerait de ne pas faire l'unanimité chez les
Quinze, il pourrait paraître singulier d'ouvrir un débat de fond sur le pouvoir
politique de l'Europe à quelques encablures d'une série de consultations
électorales prévues en France dès 2001.
Serait-il convenable que le peuple français soit, à la veille de ces
élections, écarté une nouvelle fois de ce débat par le biais d'une procédure
purement parlementaire ?
Le Parlement lui-même ne se placerait-il pas, dans cette circonstance, en
situation ambiguë par rapport à nos concitoyens, dont il est le mandataire ? Ne
pourrait-on s'étonner de la hâte mise à ratifier un nouveau texte, alors que le
même exercice a déjà été fait, selon les mêmes procédures, il y a deux ans à
peine ? La voie du Congrès serait-elle toujours privilégiée lorsqu'il s'agit de
parler de l'Europe à la France ?
Si la présidence française cherche une option plus politique que celle de la
simple déclaration, une voie plus juste ne serait-elle pas alors de proposer à
l'Union d'adhérer à la Convention européenne des droits de l'homme afin
d'établir, selon la formulation même du Parlement européen, « avec le Conseil
de l'Europe, une coopération étroite » ?
M. Jacques Oudin.
Très judicieux !
M. Paul Masson.
Cet acte significatif aurait une double vertu : combler, ainsi que l'explique
très bien M. Hoeffel, le vide juridique actuel concernant les actes
communautaires et ne pas engager entre les deux cours de justice une
concurrence aux effets imprévisibles.
Comme cela a été dit à l'Assemblée nationale le 9 mai, pour réussir la
présidence française, il importe essentiellement de donner à l'opinion
internationale un sentiment de réalisme. L'élargissement attendu, qui est
aujourd'hui surtout perçu comme un facteur d'affaiblissement de l'Union,
pourrait être un facteur novateur dans la mesure où il pourrait conduire, si on
le veut, à une refondation de l'Union. Mais ce n'est pas par le biais d'une
déclaration sur les droits fondamentaux, si solennelle fût-elle, que l'opinion
publique prendra conscience des nouvelles exigences de notre Europe face aux
mutations mondiales que nous connaissons.
L'Europe politique ne se fera pas sans l'adhésion du peuple français ni sans
un mandat constituant clairement authentifié par le vote populaire.
Il serait à mon sens pernicieux, pour le devenir même de l'Europe, que le
chemin de ce pouvoir politique nouveau, qui ne peut être délégué que par la
nation, soit emprunté d'abord par des juges, si estimables fussent-ils.
Aujourd'hui, monsieur le ministre, vous avez l'occasion de clarifier ce débat.
Autant, me semble-t-il, la France est particulièrement qualifiée pour proposer
aux Etats de l'Union une communauté de valeurs partagées, autant il me paraît
hasardeux d'engager à cette occasion, et sur ce seul point, une nouvelle
révision, qui mérite à l'évidence un autre débat, moins confidentiel que ceux
que nous connaissons toujours sur ce sujet qui nous rassemble aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me
réjouis que nous ayons aujourd'hui l'occasion de débattre d'un processus tout à
fait unique et novateur, lancé lors du sommet de Cologne en juin 1999, celui de
l'élaboration d'une charte européenne des droits fondamentaux au sein d'une
convention qui réunit les représentants non seulement des gouvernements et du
Parlement européen, mais aussi des parlements nationaux, représentants dont
j'ai l'honneur de faire partie, en tant que suppléante de M. Haenel.
Il s'agit d'un processus novateur, et tout d'abord par la démarche retenue :
celle d'une convention et non d'une négociation strictement
intergouvernementale, par nature plus confidentielle.
C'est un processus novateur également par la composition de la convention,
dont la représentation intègre une forte présence des parlements nationaux, ce
qui ne peut que mieux affirmer l'identité européenne de chaque Etat membre et
mieux concourir à faire percevoir aux citoyens l'évolution de la construction
européenne.
Enfin, il est novateur par sa transparence, grâce à un accès facilité des
citoyens aux contributions individuelles et collectives, ainsi qu'aux nombreux
débats avec la société civile.
Il s'agit, en effet, de définir clairement des principes et des droits
auxquels pourront se référer les citoyens et résidents européens, ainsi que
toute personne circulant dans l'espace européen.
La charte est destinée à s'appliquer aux actes des institutions européennes.
Elle ne peut attribuer de compétences supplémentaires à l'Union européenne et
doit respecter les principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Il me paraît important de rappeler ici en quoi cette charte est urgente,
nécessaire et légitime.
En effet, peu de droits fondamentaux sont expressément énoncés dans les
traités. Certes, les directives européennes ont progressivement intégré nombre
de ces droits, et la Cour de justice des Communautés européennes en a assuré le
respect au regard des actes de souveraineté des institutions communautaires.
Cette nouvelle étape est pourtant capitale pour les citoyens, qui éprouvent
très souvent le sentiment d'être tenus à l'écart de l'édification de l'espace
européen.
M. Hubert Haenel.
C'est vrai !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
La charte peut donc contribuer à réduire le déficit démocratique qu'ils
perçoivent dans le fonctionnement de nos institutions.
L'Union ne doit pas constituer seulement une organisation économique et
financière et une zone de libre échange. Depuis son origine, elle prétend
réaliser un projet de civilisation guidé par des valeurs auxquelles doivent
adhérer tous ses Etats membres.
L'arrivée en Autriche d'un gouvernement de coalition comprenant un parti
d'extrême droite qui défend des thèses xénophobes renvoie soudainement nos
Etats et nos concitoyens à des interrogations essentielles sur ce que sont ces
valeurs et sur leur portée.
L'objet de la charte est donc bien de « référencer », dans un texte
identitaire, un ensemble de valeurs communes aux citoyens européens mais aussi
d'enrichir ce « référentiel ».
De plus, cette entreprise est importante pour l'élargissement de l'Union à de
nouveaux Etats membres. Nous pensons en effet que cette future charte doit
faire partie de ce que nous appelons l'acquis communautaire.
Sur ce point, je rejoins M. Haenel, pour qui l'adhésion à l'Union est aussi
une adhésion à un système de valeurs.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Nous disposons déjà de textes et de juridictions. Aussi la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme constitue-t-elle les
fondamentaux de la charte. Ce texte est toutefois devenu insuffisant au regard
de l'évolution des réalités politiques et économiques, et aussi des défis
auxquels doit désormais faire face l'Union.
Je tiens maintenant à présenter quelques remarques sur la valeur qui sera
assignée à la charte.
Si nous comprenons qu'il soit prématuré, aujourd'hui, de fixer définitivement
le statut qui lui sera dévolu, je veux souligner qu'il est pour le moins
délicat de repenser des droits, d'en approfondir certains, voire d'en consacrer
de nouveaux, sans en connaître la véritable portée. Mais je veux croire que le
terme de « convention » n'a pas été choisi par hasard.
Le texte rédigé par le Parlement européen en 1989 n'est resté qu'à l'état de
déclaration puisqu'il n'a pas été ratifié par tous les Etats membres. Quel
serait donc le sens d'une simple déclaration alors que l'objectif premier de
cette charte, tel que défini par le mandat de Cologne, est d'offrir aux
citoyens et aux résidents européens un texte clair, dont ils pourront
revendiquer l'application ?
M. Gérard Delfau.
Très bien !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Si la charte n'était qu'une énonciation de droits proclamatoires, elle serait
uniquement l'édiction d'une protection minimale, un simple rempart. En
revanche, intégrée dans le préambule des traités, elle pourrait garantir la
préservation d'un certain nombre de droits dans l'élaboration des actes
communautaires. Cela signifierait que les institutions européennes ne
pourraient enfreindre les droits énoncés, sans être pour autant obligées de
légiférer dans ces domaines.
Je sais qu'il est encore prématuré de trancher cette question. Néanmoins, il
est, pour nous, important d'avoir dès à présent une haute ambition pour ce
texte que nous considérons comme indispensable à une construction européenne
plus politique et plus sociale. Et nous n'excluons pas que la charte puisse
devenir, à terme, le texte de base d'une Constitution.
Cependant, et sans qu'il soit question de brûler les étapes, elle doit
contribuer dès à présent à placer la personne humaine au coeur du projet
européen. C'est cet objectif qui doit guider nos travaux, lesquels sont soumis
à deux impératifs : la clarté et l'accessibilité.
Je formulerai quelques remarques sur ce qui devrait figurer dans ce texte
quant aux principes et aux droits affirmés.
Tout d'abord, l'application du principe d'indivisibilité des droits me paraît
essentielle, notamment en ce qui concerne l'indivisibilité des droits civiques
et sociaux, ceux-ci étant également interdépendants.
C'est en ce sens que nous estimons, par exemple, que le principe de
non-discrimination doit être inscrit aussi bien au titre des droits des
individus qu'au titre du droit au travail. L'égalité entre les femmes et les
hommes doit, à cet égard, être garantie dans son ensemble, et pas seulement
dans le cadre du travail.
S'agissant du droit de toute personne d'accéder aux soins, il représente un
droit universel qui relève de la dignité humaine et il doit donc figurer dans
l'article 1er de la charte.
Il en est de même pour le droit au logement, qui participe directement à la
lutte contre l'exclusion sociale et conditionne l'exercice des droits les plus
élémentaires de la personne.
Par ailleurs, le traité d'Amsterdam place la construction d'un espace de
sécurité, de liberté et de justice au centre de nos préoccupations. Il «
communautarise » des domaines liés à la libre circulation des personnes dans
l'Union, tels que les visas, l'asile ou l'immigration.
L'inscription de droits économiques et sociaux est, à nos yeux, essentielle,
car ils doivent être considérés comme déterminants pour l'exercice des
libertés. D'ailleurs, notre pays avait opté pour une telle reconnaissance dans
les constitutions de 1946 et 1958.
Cet objectif est, au demeurant, d'actualité : les décisions prises au récent
sommet de Lisbonne vont tout à fait dans ce sens.
Il est ainsi fondamental, selon nous, que soit affirmé un droit à l'emploi en
tant que tel, car il ne peut constituer seulement un objectif.
S'agissant du droit à la protection en cas de licenciement, nous souhaitons
que soit prévu un droit de recours.
Nous serons particulièrement attentifs à l'inscription des droits à la
formation professionnelle et à la formation tout au long de la vie, qui, dans
les conclusions du Conseil européen de Lisbonne, ont été enfin reconnus comme «
une composante essentielle du modèle social européen ».
Un représentant français de la Confédération européenne des syndicats
rappelait d'ailleurs récemment que, compte tenu des nouvelles trajectoires
professionnelles, de moins en moins linéaires, il était urgent de consacrer un
droit et de voir aboutir des dispositifs de crédit formation, utilisables en
fonction des besoins et pendant toute la vie professionnelle.
Nous soutenons, de même, l'inscription d'un salaire minimum. Il existe
désormais dans tous les Etats membres de l'Union. Cette généralisation atteste
le bien-fondé d'une telle disposition, alors que, il n'y a pas si longtemps,
dans certains milieux, on fustigeait encore l'institution d'un tel salaire
minimum, décrivant celui-ci comme un obstacle à l'emploi.
Nous souhaitons que, conjointement, soit traduit le principe d'équité dans la
rémunération, dans le sens d'une égalité de rétribution pour des situations
professionnelles identiques.
Nous voudrions aussi qu'un article sur un revenu minimum soit inscrit dans le
champ des prestations sociales. D'ailleurs, la notion de prestation minimale a
été introduite, dans le cadre de la conférence intergouvernementale, parmi les
thèmes susceptibles de bénéficier de l'extension de la majorité qualifiée.
S'agissant du droit à la protection sociale, nous estimons qu'il doit
s'appliquer à toutes les personnes, et pas simplement aux travailleurs. C'est
cette démarche qui a guidé le Gouvernement et le Parlement quand nous avons
instauré la couverture maladie universelle.
Nous soutenons aussi l'inscription des droits d'accès aux services d'intérêt
général. Ils garantissent l'exercice de certains droits sociaux élémentaires,
en particulier la santé, l'éducation, les transports. Nous estimons en effet
que la défense du principe d'égal accès est essentiel et concourt à la
définition d'un modèle social européen.
Pour ce qui est du droit de la famille, nous tenons à souligner que c'est
l'enfant, et non le mariage, qui fonde la famille et, donc, justifie les droits
qui en découlent.
J'ajoute que, dans la perspective d'une modernisation de notre corpus de
droits fondamentaux et de leur interdépendance, il convient de reconnaître
parallèlement un droit permettant de concilier vie familiale et vie
professionnelle.
Nous devons encore envisager que soit inséré un article sur la protection des
personnes âgées, afin que leur dignité soit préservée et leur marginalisation
évitée, en particulier pour les plus dépendantes d'entre elles.
Enfin, si l'exigence de protection des personnes handicapées est clairement
définie dans nos pays, il convient d'accomplir des progrès notables pour que
leur insertion dans le monde du travail soit expressément garantie.
Avant de terminer, je voudrais faire quelques brèves remarques sur l'idée,
défendue à la fois par M. Haenel et par M. Fauchon, selon laquelle il ne peut y
avoir de droits sans devoirs.
Je conviens avec eux qu'il existe des responsabilités réciproques ; à titre
d'exemple, on peut citer le droit à un environnement sain, qui implique pour
chacun de nombreux devoirs.
M. le président.
Mme Dieulangard, je vous demande de conclure. Vous parlez déjà depuis douze
minutes et demie !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Je conclus, monsieur le président.
Pourtant je préfère la notion de responsabilités à celle de devoirs, tout
comme je m'interroge sur la nécessité d'introduire un « devoir de travailler
».
Ce sont principalement les Etats et l'Union européenne qui ont des
responsabilités envers les citoyens en matière de croissance, d'économie,
d'emploi.
Si nous avons effectivement des devoirs, le premier est collectif : c'est
celui de la solidarité.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos travaux
sont un révélateur de la volonté des Etats de construire une union politique. A
cette union politique, une charte des droits fondamentaux est indispensable.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE. -
M. Haenel applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'heure où
la crise autrichienne relance le débat sur les valeurs politiques et morales
qu'incarne l'Union européenne, et surtout sur les moyens dont elle dispose pour
les défendre, l'élaboration d'une charte des droits fondamentaux est plus que
jamais d'actualité.
Je n'évoquerai que par allusion la longue marche de cette idée, qui passe par
l'appel lancé en 1946 par Winston Churchill à la famille européenne, par le
Mouvement européen, par les différents traités, par le préambule de l'Acte
unique, lequel se réfère à la convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme, ou par de multiples décisions de la Cour de justice des Communautés,
celle-ci s'étant, à plusieurs reprises et sous des formes différentes, posée en
garante des libertés traditionnelles, chèrement acquises, en deux siècles de
lutte, car elles ne furent jamais octroyées.
De son côté, dès 1977, le Parlement européen s'est prononcé en faveur de la
défense des droits et des libertés fondamentaux dans l'Union européenne. Adopté
par le Conseil et cosigné par la Commission, ce document a permis d'engager le
long processus conduisant à l'élaboration de la future charte des droits
fondamentaux.
Voilà où nous en étions en juin 1999, quand la décision du Conseil européen de
Cologne a été prise d'élaborer une charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne.
La phase concrète d'élaboration a été mise en oeuvre lors du Conseil de
Tampere de décembre 1999.
La France, ainsi qu'elle l'a affirmé par les voix de ses plus hauts
responsables, souhaite qu'une telle charte soit adoptée sous sa présidence du
Conseil européen, au cours du second semestre 2000.
Les soixante-deux membres de la convention chargée d'élaborer la charte -
formule effectivement originale - en ont dores et déjà esquissé l'architecture
globale et ébauché les modalités d'application.
Je formulerai une remarque préalable : la charte devrait concerner uniquement
les citoyens de l'Union, à la différence de la convention européenne des droits
de l'homme, qui intéresse les quarante et un Etats membres du Conseil de
l'Europe.
Je dois cependant remarquer que cette position limitative, que je comprends
par ailleurs, n'est pas sans poser quelque problème de conscience aux héritiers
des valeurs universalistes de la Révolution française et de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen, qui conçoivent la construction européenne sur
le long terme, et non en fonction de préoccupations, certes, légitimes et
délicates. Mais nous sommes ici au Parlement, et nous devons nous inscrire dans
la longue durée.
L'élément novateur de la charte réside dans l'adjonction aux droits civils et
politiques des droits économiques et sociaux tels qu'ils sont énoncés dans la
charte sociale européenne et dans la charte communautaire des droits sociaux
fondamentaux des travailleurs.
On l'a dit et on le dira encore, c'est bien ainsi que les citoyens attendent
que l'Europe descende de ses traités, de ses organisations, de ses
manifestations solennelles et qu'elle entre un peu plus avant dans le
quotidien, et pas seulement sous la forme, un peu caricaturale, que prennent
parfois certaines directives.
Lors de l'élaboration de la convention européenne des droits de l'homme, il y
a cinquante ans, certains droits relatifs à la santé publique ou au salaire
minimum, sans parler, bien sûr, des droits de la bioéthique, de l'informatique
ou de l'environnement, n'avaient pas encore été créés. Il est donc aujourd'hui
essentiel d'ajouter ces nouveaux droits, par ailleurs objet d'une revendication
ancienne de nombreuses associations et de syndicats, entre autres.
Une des questions qui se posent aujourd'hui même réside dans le point de
savoir s'il faut accorder ou non à la charte un caractère juridique
contraignant. Le 16 mars dernier, le Parlement européen a souhaité, à une
écrasante majorité, doter la charte de cette force juridique, par le biais de
son incorporation dans les traités.
Ces avancées constitueraient sans aucun doute le premier pas de l'Union
européenne vers l'adoption d'une constitution, objectif à long terme.
Il est en effet permis de s'interroger sur l'intérêt d'une charte qui ne
disposerait que d'un caractère déclaratif, alors que des millions de citoyens
européens vivent encore aujourd'hui en dessous du seuil de pauvreté. Tel est
l'un des enjeux de la présidence française, monsieur le ministre, et vous le
savez, comme le Parlement tout entier. Nous attendons sur ce point des
éclaircissements et, si possible, quelques pas en avant de votre part.
La charte doit répondre à une forte aspiration des opinions publiques
européennes, à un renforcement des droits des citoyens de l'Union européenne et
à un rééquilibrage des textes en leur faveur.
Pour autant, et je le dis au passage sans pouvoir développer, il est
souhaitable de ne pas créer de concurrence fâcheuse entre la Cour de Luxembourg
et celle de Strasbourg.
Aussi sera-t-il nécessaire de bien préciser que la charte ne régira que les
actes communautaires et laissera entier le système des droits reconnus à toutes
personnes présentes sur le territoire communautaire, qu'elles aient ou non la
citoyenneté des Etats membres.
Du reste, rappelons que la charte comprendra bien d'autres droits que ceux qui
sont actuellement garantis par la Cour de Strasbourg et constituera une
avancée, notamment dans les secteurs économiques et sociaux.
Marie-Madeleine Dieulangard l'a excellemment dit, il faut donner un contenu
concret au droit du travail, à la protection des salariés et à la formation
continue, pour ne prendre que quelques exemples.
J'ajouterai une dimension de notre mode de vie européen qui n'a pas encore été
évoquée, et même une dimension de notre civilisation, je veux parler de la
contribution des services publics appelés, dans le nouvel article 16 du traité
d'Amsterdam, « services d'intérêt général à la cohésion sociale et territoriale
».
Un ensemble d'organisations syndicales et d'associations ont élaboré à ce
sujet une plate-forme commune. Ils souhaitent que la France fasse inclure cette
forme d'organisation sociale originale dans la charte des droits fondamentaux.
L'objectif est bien que nos partenaires européens confirment que la notion de «
services d'intérêt général », et pas seulement à vocation économique, soit
l'une des valeurs communes de l'Union européenne.
Cette intégration au sein de la charte aura pour conséquence de donner un
cadre conceptuel à la mise en oeuvre concrète des droits fondamentaux en
matière économique et sociale.
Elle permettra, dans un deuxième temps, de renforcer encore la timide avancée
réalisée par la rédaction de l'article 16 du traité d'Amsterdam. Dans
l'immédiat, je souhaite, sur ce sujet comme sur les autres, que la charte
puisse être incluse dans le préambule du traité sur l'Union européenne. Ce
serait un premier pas particulièrement significatif.
La charte aura en même temps vocation à s'appliquer aux institutions et non
aux Etats membres. Elle doit donc traiter d'un certain nombre de sujets
sensibles. Je vais prendre pour exemple l'introduction, dans la charte, des
droits collectifs et régionaux, voire le droit des minorités. Ces domaines
suscitent des opinions extrêmement divergentes, voire contradictoires, en
fonction des sensibilités ethniques et culturelles. Ils ne semblent pas faire
aujourd'hui l'objet d'un compromis et devront être très sérieusement
approfondis. La question est cependant posée.
Pour l'heure, la convention a décidé de prendre pour base de travail une
liste relativement complète, incluant l'intégralité des droits de l'homme,
auxquels sont ajoutés des droits économiques, sociaux et environnementaux.
Particulièrement attachés aux valeurs de la démocratie, les sénateurs du
groupe du Rassemblement démocratique et social européen adhèrent sans
restriction à ces valeurs.
Parce qu'ils partagent l'idée selon laquelle la charte des droits fondamentaux
constitue une avancée essentielle pour la poursuite de la construction
européenne au service des citoyens, les sénateurs du groupe que je représente à
cette tribune estiment qu'une dimension morale, je dirai même éthique, et un
principe de justice sociale doivent présider à son élaboration. Telles sont les
raisons pour lesquelles, monsieur le ministre, nous serons particulièrement
attentifs à vos réponses.
(Applaudissements sur les travées socialistes,
ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Hubert Haenel.
Très bien !
M. le président.
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au conseil
de Tampere, à la fin de l'année 1999, les chefs d'Etat et de gouvernement ont
lancé le processus de rédaction d'une charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne, rédaction qui doit s'achever sous présidence française.
L'adoption éventuelle du projet de texte devrait avoir lieu au Conseil
européen de Nice, en décembre prochain.
La France a donc une responsabilité toute particulière à cet égard et devra se
montrer à la hauteur d'une telle ambition. Il s'agit véritablement d'un enjeu
pour la construction d'une Europe citoyenne.
Alors que l'élargissement aux pays de l'Est se précise et que l'actualité
montre, avec le cas autrichien, que des reculs sont toujours possibles, il est
de la responsabilité de l'ensemble des pays européens de rester vigilants.
Réaffirmer dans cette charte et rendre visibles aux yeux des citoyens
européens, mais aussi au reste du monde, les valeurs qui fondent la Communauté
européenne est un objectif auquel on ne peut que souscrire. L'Europe est
aujourd'hui essentiellement économique et financière. Il est grand temps de
privilégier la construction d'une Europe « communauté de valeurs de démocratie,
de progrès et de justice sociale ».
La question de l'identité de l'Europe est au coeur des réflexions sur
l'élaboration de cette charte. Il convient donc non pas de s'enfermer dans un
débat purement technique et juridique...
M. Hubert Haenel.
C'est vrai !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
... mais au contraire d'élargir la discussion, de l'ouvrir pour lui donner une
dimension nouvelle.
Partout aujourd'hui en Europe, le désir de citoyenneté s'exprime et se
renforce. A défaut de répondre à cette attente, l'Europe s'éloignera encore
plus des peuples et de leurs préoccupations. Nous appuyant sur ces
préoccupations, nous devons renforcer les liens entre les exigences des
citoyens européens et la construction européenne. L'enjeu est d'importance si
l'on veut donner sens au contenu de cette construction et répondre ainsi aux
aspirations des citoyens à un renouvellement de la démocratie, dans les
institutions comme dans le contenu social de l'Union européenne.
Le processus d'élaboration de la charte peut constituer une avancée citoyenne,
un instrument de progrès et de justice sociale. Elle doit constituer un point
d'appui pour les citoyens dans leurs revendications pour l'application de
l'ensemble des droits déjà acquis ainsi que pour une formulation de nouveaux
droits. Cela implique que l'ensemble des citoyens européens soient mieux
informés, qu'ils puissent s'exprimer dans ce débat.
Nous nous félicitons du processus original d'élaboration, avec une convention
composée de membres de l'exécutif et du législatif, des différents parlements,
avec une transparence affirmée par le compte tendu intégral des débats publics
sur internet et avec les appels à contribution des membres de la société
civile.
Pourtant, il nous semble nécessaire de privilégier encore la démarche
participative « dans l'élaboration de la charte », de développer l'information
dans tous les pays européens. Je pense que, dans cet esprit, un forum public
pourrait être organisé au niveau européen, associant des élus, des membres de
la société civile et des experts.
Les attentes des citoyens sont immenses pour une réorientation de l'Europe
vers plus de solidarité, de démocratie, de protection de l'environnement et de
développement durable. Nous devons y répondre. Pour cela, il n'est pas possible
de se limiter à un simple « recopiage » des droits déjà existants dans la
convention européenne des droits de l'homme et dans la charte communautaire des
droits sociaux fondamentaux des travailleurs. Ces droits doivent, bien sûr,
être inscrits de façon lisible dans la charte, avec l'application du principe
de non-régression, mais il faut également y mentionner de nouveaux droits
tendant à construire une Europe plus juste et plus humaine ainsi que ceux qui
sont relatifs, notamment, à la bioéthique et à la transparence
administrative.
Le projet de charte prévoit trois « corbeilles », comme cela a déjà été
rappelé.
La troisième corbeille, qui traite des droits économiques et sociaux, est à
l'origine de nombreuses divergences entre les partenaires européens. Il s'agit,
en effet, de traduire le concept social européen, sur lequel les opinions des
gouvernements sont loin d'être semblables. On a pu le vérifier au sommet sur
l'emploi de Lisbonne, avec la volonté affichée de certains Etats, en
particulier le Royaume-Uni, de « moderniser » le système de protection sociale
en le réduisant au minimum !
Une telle évolution constituerait un véritable danger pour l'avenir de
l'Europe, qui doit développer, au contraire, un projet social ambitieux pour
répondre aux attentes des citoyens européens.
Les « droits fondamentaux » sont indivisibles. L'ensemble des droits
économiques et sociaux qui concernent la vie quotidienne de chaque citoyen
constituent donc des droits fondamentaux à part entière. Le gouvernement
français a déjà affirmé sa volonté d'accorder une importance particulière aux
droits de la troisième corbeille, mais il faut développer un argumentaire plus
exigeant dans ce domaine.
Nous pensons qu'il est de la responsabilité de la France d'être ferme sur
cette question, en mettant en avant la justice sociale, le bien-être de tous.
L'être humain doit être au coeur de la construction européenne, à la place des
marchés financiers soutenus par la logique de Bruxelles.
Nous avons conscience des réticences des gouvernements des pays partenaires,
mais nous pensons que le rôle des peuples de l'Union, qui tous aspirent à un
mieux-être, peut permettre d'aller dans ce sens. Il est donc utile de leur
donner les moyens de participer aux débats et de se mobiliser pour préciser
quels droits doivent être considérés dans le cadre d'une Europe sociale et
solidaire. Les très nombreuses contributions d'associations, d'organisations
non gouvernementales et de syndicats de l'ensemble des pays européens
témoignent du foisonnement de propositions sur ce sujet et de l'urgence de leur
prise en compte.
Il est tout d'abord fondamental de réaffirmer et, surtout, d'étendre les
droits des citoyens à la prise de décision et aux choix économiques qui
conditionnent la construction européenne, ce qui implique une démocratisation
des institutions européennes, y compris des institutions financières telles que
la Banque centrale européenne.
Dans le même sens, il nous faut prendre en compte les droits des salariés à
l'information et à la gestion des groupes économiques dans le cadre des comités
de groupe européens, afin que les salariés soient associés aux réformes qui les
concernent au premier chef.
Le droit d'association et les droits syndicaux transnationaux doivent être
revalorisés. Le développement d'une véritable démocratie en Europe et la
mobilisation des citoyens en faveur de la construction européenne passent
nécessairement, selon nous, par l'extension de ces droits.
Donner aux citoyens la possibilité de peser réellement sur les choix des
orientations permettra à l'Europe de se réorienter vers un développement au
service des peuples. Dans une Europe où la précarité et le chômage font des
ravages, le droit à la sécurité de l'emploi et à la formation est une priorité
pour tous. C'est également le cas pour le droit à une protection sociale
suffisante, à un revenu minimal décent, à l'accès total et sans discrimination
de ressources aux soins de qualité, à l'éducation, au logement.
Des associations et des ONG se battent depuis des années pour que les
injustices prennent fin. Comment ne pas répondre à ces attentes ?
D'autres droits constituent aussi des priorités pour les citoyens. Il s'agit,
par exemple, du droit à l'accès à des services publics de qualité, du droit à
l'accès aux nouvelles technologies de l'information et du droit à un
environnement durable et de qualité concernant, notamment, la sécurité
sanitaire, alimentaire et maritime.
Certains droits spécifiques doivent, selon nous, être considérés avec
attention. Je pense en particulier aux droits des jeunes, qui sont trop peu
pris en compte en tant que tels au sein de l'Union. Des consultations
pourraient être organisées à l'échelon européen pour mieux connaître les
aspirations des jeunes. Quant aux droits des femmes, il est indispensable
d'inscrire l'égalité des sexes, notamment socio-économique, comme le réclament
les associations féministes, et non pas de se limiter à une clause générale de
non-discrimination. Les femmes ne sont pas, en effet, une minorité, elles
représentent plus de la moitié de la population européenne.
D'une façon générale, la question se pose de savoir si les droits contenus
dans la charte concerneront uniquement les ressortissants européens - immigrés
extracommunautaires exclus - ou tous ceux qui résident légalement dans l'Union.
La notion de citoyenneté européenne ne doit pas être réductrice, elle doit
s'appliquer à l'ensemble des individus qui réside sur le territoire européen,
dans un souci d'amélioration de la vie démocratique et de recul des inégalités
et des discriminations.
Il faudrait également veiller, en particulier dans le contexte actuel, à la
stricte application de l'article 13 du traité d'Amsterdam s'agissant des
discriminations fondées sur la race, l'orientation sexuelle, la religion, le
sexe, les handicaps.
Nous sommes pour l'instauration d'une citoyenneté de résidence qui passe par
la promotion, dans un premier temps, du droit de vote et d'éligibilité pour les
étrangers extracommunautaires dans tous les pays de l'Union européenne aux
élections locales. Cela est devenu incontournable, car majoritairement souhaité
par l'opinion publique européenne. Avec les droits de la première corbeille et
les droits économiques et sociaux, les citoyens extracommunautaires de l'Union
doivent bénéficier des mêmes avantages que les ressortissants de l'Union
européenne.
La question de la portée juridique de la charte est également importante.
Sera-t-elle un document juridiquement contraignant intégré dans les traités et
contrôlé par la Cour de justice ? Quelles seront, dans ce cas, les voies de
recours ? Sera-t-elle un texte déclaratoire à valeur purement symbolique ? Le
débat est vif sur ce sujet et la position de nombreux acteurs, notamment celle
du Gouvernement français, est de choisir la prudence en concentrant les efforts
sur la qualité du contenu de la charte. C'est, bien sûr, un préalable
indispensable : il n'y aurait aucun intérêt à intégrer dans le traité une
charte restrictive, voire régressive, ou même simplement peu lisible.
Cependant, il n'est pas inopportun d'amorcer ce débat sur cette question.
M. le président.
Madame Bidard-Reydet, je vous demande de bien vouloir conclure.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Je vais conclure, monsieur le président.
Si nous estimons que ce texte ne doit en aucun cas avoir pour objet de
supplanter les textes fondamentaux de la République, il nous semble malgré tout
nécessaire que des conditions pour l'application effective des droits contenus
dans la charte, droits nouveaux comme droits existants, pas toujours appliqués,
soient clairement définies.
En conclusion, je dirai notre engagement pour que la charte permette une
réelle avancée dans la construction d'une Europe du progrès humain et de la
citoyenneté. Nous sommes convaincus que le Gouvernement français, en
particulier pendant la présidence française de l'Union européenne, oeuvrera en
ce sens.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.
- Mme Dieulangard applaudit également.)
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nécessité
d'une volonté politique de l'Europe a été mise en relief tout au long de cette
semaine. Cette volonté doit s'accompagner d'une clarté dans la démarche et
d'une complémentarité dans l'intervention des diverses institutions
européennes.
Il y a l'Europe des Quinze et l'Europe des Quarante et un : chacune a sa
vocation et son champ d'action, mais chacune, dans sa sphère, concourt à la
réalisation d'objectifs et à la défense de valeurs qui doivent faire de notre
continent un pôle de rayonnement exemplaire.
Il me semble inutile et même inopportun que l'Union européenne cherche, dans
certains domaines, à répéter ce que le Conseil de l'Europe a déjà réalisé.
J'exprime cette crainte à propos de l'élaboration de la charte des droits
fondamentaux, dont l'articulation avec la convention du Conseil de l'Europe ne
doit en aucun cas être source de difficultés ou d'équivoque.
Il n'est pas question, bien entendu, de remettre en cause l'originalité de la
méthode ni la qualité et la compétence de ceux qui préparent la charte et qui
réalisent un travail sérieux, notre collègue Haenel, que je remercie de
l'initiative de cette question orale européenne avec débat, l'a bien relevé.
Cependant, les interrogations naissent de certaines déclarations faites
récemment et que je voudrais rappeler : « Personne ne sait encore très bien ce
sur quoi l'on va déboucher. », ou encore « L'important est, pour le moment,
d'obtenir une bonne charte et la question du statut viendra plus tard. »
L'Europe n'est pas née d'une équivoque, elle ne peut pas avancer dans
l'équivoque. Il faut qu'au départ les choses soient claires. Il y va du
caractère confiant des relations entre institutions européennes. Il faut, à cet
effet, rappeler la situation actuelle.
La convention européenne des droits de l'homme du Conseil de l'Europe a été
signée en 1950. Elle est dotée d'un mécanisme de contrôle supranational. Il
s'agit, depuis 1998, d'une cour unique et permanente dont les arrêts s'imposent
aux Etats adhérents. Les quarante et un Etats qui composent le Conseil de
l'Europe sont tous signataires de la convention, et l'engagement de souscrire
cette convention est même devenu une condition d'adhésion au Conseil de
l'Europe.
Les quinze Etats de l'Union européenne ont souscrit depuis longtemps à la
convention, l'ont incorporée dans leur droit interne, et sont donc soumis à la
juridiction de la Cour de Strasbourg.
Pour sa part, l'Union européenne, à partir de l'Acte unique européen, a prévu
que les traités, dans leur préambule, fassent mention de la soumission de
l'ordre juridique communautaire aux droits de l'homme et explicitement à la
convention européenne des droits de l'homme.
Il ne subsiste qu'un vide juridique : les actes et décisions émanant des
organes communautaires ne sont pas soumis, quant à eux, à un contrôle de
légalité au regard des droits de l'homme.
Se pose, de ce fait, la question de l'articulation entre les deux ordres
juridiques. Comment combler ce vide juridique.
A plusieurs reprises, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a
invité l'Union européenne à formaliser la soumission à l'ordre juridique de la
convention européenne des droits de l'homme, solution longtemps approuvée par
le Parlement européen. Mais la Cour de justice des Communautés européennes a
émis un avis défavorable, et il se dégage donc actuellement une tout autre
orientation. L'Assemblée du Conseil de l'Europe s'est pourtant prononcée en
faveur d'une incorporation des droits garantis par la convention européenne des
droits de l'homme dans la future charte. Elle s'est également prononcée pour la
modification des traités européens afin de rendre possible l'adhésion de
l'Union européenne à cette convention.
Le président de l'Union européenne, s'exprimant devant le Conseil de l'europe,
a déclaré : « Il est utile que l'Union se dote d'une charte des droits
fondamentaux afin de se rapprocher de ses citoyens. » Mais il a ajouté : « Il
faut éviter toute incohérence entre la charte et la convention ou entre les
jurisprudences des deux cours européennes. »
M. Hubert Haenel.
Assurément !
M. Daniel Hoeffel.
Cela entraîne évidemment trois risques.
Le premier, c'est celui d'une Europe à deux vitesses, avec une certaine
conception des droits de l'homme dans une partie de l'Europe et une autre dans
le reste de l'Europe. Ce serait le risque d'une nouvelle division au moment
même où le continent européen refait son unité.
Le deuxième risque, c'est le risque de divergence quant aux droits
garantis.
Le troisième risque, principal, tient à l'institution d'un double mécanisme de
contrôle. Existe donc le risque d'une divergence des droits garantis et de la
jurisprudence des deux cours, celle de Strasbourg et celle de Luxembourg.
La divergence sur la définition des droits entre la future charte et la
convention existante ainsi que la divergence des mécanismes de contrôle et des
jurisprudences, voire leur concurrence, n'apporteraient sans doute pas une
sécurité supplémentaire quant aux droits des citoyens. Les inévitables conflits
de droit et conflits de juridiction ne contribueraient pas à la lisibilité de
la construction européenne.
Ce sont, monsieur le ministre, les trois questions qui ont déjà été posées
mais que je répète.
Il faut, en premier lieu, inviter le Gouvernement français à éviter toute
divergence entre la convention européenne des droits de l'hommes et la future
charte des droits fondamentaux dans la définition même des droits.
Il convient, en deuxième lieu, faire preuve de circonspection à l'égard d'une
incorporation de la charte dans les traités européens qui entraînerait la
compétence de la Cour de justice de Luxembourg, et donc une concurrence
fâcheuse avec la Cour de Strasbourg.
Il faudrait, en troisième lieu, que soit bien précisé que la charte ne régit
que des actes communautaires, et laisse donc entier le système des droits
reconnus à toutes les personnes présentes sur le territoire communautaire,
qu'elles aient ou non la citoyenneté de l'un des Etats membres.
C'est une question d'efficacité, mais aussi de lisibilité de l'Europe et des
droits de l'homme par la population européenne. Nos concitoyens éprouvent
souvent des difficultés à savoir qui fait quoi en Europe et qui est compétent
pour quoi. A un moment où l'Europe est à un tournant, il faut des réponses
claires à ces interrogations. Il est encore temps d'y contribuer. Je ne doute
pas, monsieur le ministre, que vous ayez la volonté d'y contribuer.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bordas.
M. James Bordas.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si les
bonnes intentions ne donnent pas toujours les meilleurs résultats, le groupe
des Républicains et Indépendants approuve toutefois l'idée d'un renforcement
des droits fondamentaux des citoyens européens.
Nous y sommes favorables par principe, car cela correspond à notre vision
d'une société plus humaine et plus juste, qui prenne mieux en compte chaque
individu en tant que tel.
Nous y sommes également favorables parce que ce projet peut contribuer à
forger une identité européenne qui soit non seulement économique ou historique,
mais également fondée sur des droits et des principes communs pour tous les
citoyens de l'Union.
Cela étant dit, mon groupe est perplexe quant au résultat final.
Le débat sur la charte des droits fondamentaux de l'Union repose, en effet,
sur deux ambiguïtés majeures : ambiguïté vis-à-vis de la convention de
protection des droits de l'homme, qui est déjà en vigueur dans le cadre du
Conseil de l'Europe ; ambiguïté sur le contenu même de la future charte, que
beaucoup veulent étendre et que certains voient comme un embryon de
Constitution européenne.
Il est indispensable de lever rapidement ces deux ambiguïtés. A défaut, le
malaise que nous sommes déjà nombreux à ressentir se transformera en
affrontement idéologique, au risque de faire échouer l'ensemble du
processus.
Le débat d'aujourd'hui a donc beaucoup d'importance, et je rends hommage à M.
Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, qui en a eu
l'initiative.
Notre collègue nous a présenté les enjeux politiques et juridiques de la
charte des droits fondamentaux.
De mon côté, je souhaite vous faire part de mes interrogations en tant que
sénateur membre de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.
Tout se passe comme si l'Europe découvrait la nécessité de garantir le respect
des droits de l'homme.
Or, il existe déjà une convention de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales : elle a été signée en 1950 au niveau du Conseil de
l'Europe et elle dispose, depuis 1998, d'une cour unique et permanente dont les
arrêts s'imposent aux Etats membres.
Pourquoi alors refaire à quinze ce qui existe déjà à quarante et un ? Pourquoi
prendre le risque d'instituer un double ordre juridique, l'un dépendant de
l'Union européenne, l'autre du Conseil de l'Europe ? Quelle serait alors la
cour compétente ? Celle de Strasbourg ou celle de Luxembourg ?
Je veux témoigner de l'esprit d'ouverture dans lequel la question a été
abordée au sein du Conseil de l'Europe, notamment par la commission juridique
et des droits de l'homme dont je fais partie.
Nous avons à plusieurs reprises - et longuement - débattu de l'intention de
l'Union européenne de se doter d'une charte.
Je crois pouvoir assurer que le Conseil de l'Europe n'est absolument pas
opposé à une telle initiative et ne cherche pas à préserver un quelconque
monopole. Au contraire, le rapporteur de la commission juridique, M. Magnusson,
a accueilli favorablement l'adoption de la charte, la considérant comme un
renforcement de la protection des droits de l'homme en Europe. Il s'est
seulement inquiété, comme beaucoup, des risques de double emploi entre la Cour
de justice de Luxembourg et la Cour de Strasbourg.
Tel était le sens de la proposition d'adhésion de l'Union européenne à la
convention européenne des droits de l'homme, qui serait ainsi venue s'ajouter
aux adhésions individuelles des quinze Etats membres.
Tel est aussi le sens de la résolution adoptée le 25 janvier dernier par
l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui propose une autre
solution, sous forme d'une incorporation dans la future charte des droits
garantis par la convention.
Dans les deux cas, cela permettrait de combler le vide juridique qui exclut
aujourd'hui les actes et les décisions des institutions de l'Union européenne
du champ d'application du contrôle du respect des droits de l'homme.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ne nous voilons pas la face. Soyons
conscients que le problème est non pas juridique mais politique. L'Union
européenne, sous la pression du Parlement européen et de quelques Etats
membres, cherche à renforcer son identité. Elle souhaite donc mettre en place
son propre cadre juridique, dans tous les domaines, et je pourrais prolonger
mon propos en parlant de ce que l'on appelle la « corbeille » des droits
fondamentaux réservés aux citoyens de l'Union ou de celle des droits
économiques et sociaux.
Il est clair que certains veulent étendre le contenu de la future charte pour
aller au-delà d'une simple codification du droit existant et lui donner un
caractère contraignant, avec toutes les dérives que cela peut comporter.
Pour ma part, j'ai souhaité centrer mon intervention sur les risques liés à la
coexistence de deux juridictions en matière de droits fondamentaux.
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de faire table rase du passé. Il y a
deux assemblées européennes mais une seule Europe. Les citoyens n'ont rien à
gagner d'une lutte d'influence entre Strasbourg et Luxembourg.
Nous demandons en conséquence que la France mette tout en oeuvre pour
clarifier la situation.
L'Union européenne et le Conseil de l'Europe ont des objectifs différents,
mais une vision commune. Nous ne devons pas l'oublier.
(Applaudissements sur
les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué chargé des affaires européennes.
Monsieur le président,
monsieur le président de la délégation du Sénat, mesdames, messieurs les
sénateurs, je veux en premier lieu remercier M. Hubert Haenel pour la question
qu'il a posée aujourd'hui, question qui nous permet de débattre de cette très
importante initiative pour l'Europe qu'est le projet de charte des droits
fondamentaux.
Il est en effet nécessaire que la représentation nationale, mais aussi, à
travers elle, l'opinion publique soient informées de ce projet y apportent leur
contribution. Je veux aussi remercier M. Hubert Haenel et Mme Marie-Madeleine
Dieulangard pour leur très active participation au sein de la convention, où
ils représentent tous les deux le Sénat : je sais l'investissement de temps et
d'énergie que requiert cet exercice, et je me réjouis de l'enthousiasme dont
ils font preuve l'un et l'autre.
Le débat de ce matin aura été de haute tenue. Il aura permis, j'en suis
certain, d'approfondir toute une série de questions importantes pour nos
concitoyens.
Avant d'apporter des éléments de réponse aux différentes interrogations
soulevées, je voudrais vous livrer les quelques réflexions que m'inspire cette
tentative unique, cette « expérience », devrais-je presque dire - M. Haenel a
d'ailleurs évoqué l'idée d'un « laboratoire » - qu'est la rédaction d'une
charte des droits fondamentaux de l'Union européenne par une enceinte tout à
fait spécifique par rapport aux institutions européennes classiques.
M. Fauchon s'est demandé si les dirigeants européens avaient une idée claire
lorsqu'ils ont lancé ce processus. Je crois que oui.
Je veux tout d'abord souligner la prise de conscience qu'a révélée le
lancement de cet exercice. Il est vrai que l'on pourrait s'interroger sur son
bien-fondé, ou peut-être même sur son caractère paradoxal, et ce à deux titres
: tout d'abord, quinze Etats membres de l'Union ont incorporé depuis longtemps,
chacun en ce qui le concerne - plusieurs orateurs l'ont indiqué - la convention
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans leur
droit interne, et ils sont soumis à la juridiction de Strasbourg, à laquelle
nous sommes très attachés ; par ailleurs, la Cour de justice des Communautés
européennes de Luxembourg a jugé à de nombreuses reprises que le respect des
droits fondamentaux faisait partie intégrante des principes généraux du droit
dont la Cour de justice assure le respect.
Et pourtant, on est bien obligé de constater que les traités constitutifs des
Communautés ne contiennent aucun énoncé des droits et des libertés qui en
découlent. Si, en 1953, il fut prévu dans l'avant-projet de « statut » des
Communautés européennes que les dispositions du titre Ier de la convention
européenne en feraient partie, aucune référence,
a fortiori
aucune liste
des droits fondamentaux, n'a, depuis, été inscrite dans les textes constitutifs
des Communautés de l'Union européenne.
Il y a donc, dans ce projet de charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne, la volonté clairement politique - M. Delfau a justement insisté sur
ce point - de combler là une lacune. Il s'agit en effet, comme l'indiquent
clairement les conclusions du Conseil européen de Cologne, d'ancrer
l'importance et la portée exceptionnelles de ces droits de façon visible pour
les citoyens, et de créer ainsi un texte de référence, un texte identifiant
précisément ce qu'est l'Union européenne, y compris dans ses différences avec
l'Europe des quarante et un, ses valeurs et, d'une certaine façon, son projet
politique.
Le projet de charte des droits fondamentaux lancé par le Conseil européen de
Cologne des 3 et 4 juin 1999 répond donc, à mon sens, à ce souci d'affirmer que
la Communauté, que l'Union européenne n'est pas seulement un ensemble à
vocation économique et financière, mais qu'elle est d'abord une communauté de
valeurs, une communauté de civilisations,...
M. Hubert Haenel.
Tout à fait !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
... une communauté au sens fort, c'est-à-dire un lien
de rattachement indissoluble, d'adhésion identitaire, qui transcende les
tragédies de l'histoire européenne.
Je suis certain que nous nous sentons européens justement parce que nous avons
tiré les leçons des crimes qui ont conduit à l'asservissement, à la
dégradation, à la négation de la dignité de la personne humaine et non pas
seulement parce que l'histoire et la géographie nous ont rassemblés au bout
d'un isthme continental. Nous sommes européens parce que nous avons la volonté
de vivre une vie commune et que nous partageons certaines valeurs et non pas
parce que le hasard nous fait vivre ici ou là en nous contraignant à coopérer
dans un grand marché unique, doté maintenant d'une monnaie unique.
Si la méthode de construction graduelle de l'Europe, fonction par fonction -
charbon, acier, agriculture, transports - si bien décrite dsns la déclaration
de Robert Schuman du 9 mai 1950 dont nous venons de célébrer le cinquantième
anniversaire, l'a emporté et a conduit à la réalisation des solidarités de
fait, il faut aujourd'hui réfléchir à l'identité profonde de l'Union, et ce ne
peut être que le produit d'une volonté politique.
On sait aussi - Mme Dieulangard y a justement instisté - que, par une
coïncidence malheureuse, hélas ! les événements politiques autrichiens ont mis
également en exergue de façon aiguë l'absence d'un référentiel de valeurs au
sein de l'Union et ont, je le crois sincèrement, accentué la nécessité d'un tel
exercice.
L'autre dimension que je veux souligner brièvement, c'est, bien sûr, le
caractère totalement inédit de la méthode retenue. Comme vous l'avez indiqué,
monsieur Haenel, c'est la première fois qu'est confié à une enceinte composée
en majorité de parlementaires nationaux et européens ainsi qu'à des
personnalités représentants les chefs d'Etat et de gouvernement le soin de
rédiger un texte qui est appelé à être adopté par les trois institutions que
sont : le Parlement européen, la Commission et le Conseil européen.
Cette volonté d'intégrer les parlementaires a été fortement soutenue par la
France ; il nous paraissait en effet indispensable, s'agissant des droits
fondamentaux, de recourir à un processus d'élaboration associant d'abord les
représentants élus des citoyens.
De même, je me réjouis du principe de transparence qui préside aux travaux de
la convention, puisque tous les documents et contributions sont disponibles
immédiatement sur Internet. On pourra peut-être, à Nice, adopter le premier
texte européen
on line,
la « charte.com », en quelque sorte. En tout
cas, la société civile ne s'y est pas trompée et participe pleinement à cette
élaboration en ligne.
Cette initiative montre bien, à l'heure où sont engagées les réformes
fondamentales des institutions de l'Union dans le cadre de la conférence
intergouvernementale, que l'Union doit savoir et sait aussi innover de façon
pragmatique.
Il est vrai - je rejoins M. Hubert Haenel sur ce point - que le caractère
inédit de la procédure retenue fait peser une sorte d'obligation de réussite
sur la convention, si l'on veut que cette démarche soit, demain, reprise dans
d'autres circonstances ; mais c'est très certainement ce qui fait aussi tout le
piquant de participer à une telle aventure.
J'en viens maintenant aux questions, nombreuses et très précises, qui ont été
soulevées ce matin. Je tâcherai d'y apporter des réponses aussi précises que
possible, même si certains points n'ont pas encore fait l'objet de décisions
définitives au sein du Gouvernement et entre les autorités de l'exécutif,
justement parce que nous respectons le travail de la convention, qui est un
travail évolutif et conduit de façon intelligente par son président, M. Herzog,
et par ses membres.
Je veux, en premier lieu, préciser le calendrier et les modalités d'adoption
de cette charte. Comme vous le savez, les conclusions du Conseil européen de
Cologne précisent que la convention devra remettre en temps utile le projet de
charte pour permettre sa proclamation, lors du Conseil européen qui se tiendra
en décembre 2000 à Nice, par les trois institutions principales de l'Union, à
savoir la Commission, le Parlement européen et le Conseil.
Le respect de ce calendrier implique que le projet de charte issu de la
convention soit présenté lors du Conseil européen informel qui se tiendra à la
mi-octobre à Biarritz. Il est indispensable que les Etats membres puissent, dès
ce moment-là, vérifier que le projet transmis respecte la « feuille de route »
fixée à Cologne. Par définition, le Conseil européen - et je réponds ainsi à la
première question de M. Hubert Haenel - pourrait amender le texte, et c'est
d'ailleurs son rôle.
Mais je veux me placer volontairement dans une perspective où le texte de la
Convention sera si parfaitement lisible, concis et percutant, qu'il ne
nécessitera tout au plus que de légères modifications, ce qui n'est pas
illogique compte tenu du fait que chaque chef d'Etat ou de Gouvernement a un
représentant dans la convention.
J'exclus en tout cas l'hypothèse d'une complète réécriture du projet par le
Conseil européen ou, plus encore, par le Parlement européen ; je tiens à
souligner, au contraire, toute l'attention que porte le Conseil aux travaux de
la convention, puisque la présidence portugaise a souhaité entendre un rapport
de M. Herzog lors du Conseil européen qui se tiendra, en juin prochain, à
Feira.
J'en viens maintenant aux interrogations relatives au contenu même de la
charte.
Tout d'abord, va-t-il s'agir d'une codification du droit existant ou d'une
innovation ? Mme Bidard-Reydet, par exemple, s'est demandé si l'on ferait du
recopiage du droit existant ou si l'on créerait des droits nouveaux.
Un premier débat, ainsi que l'a rappelé M. Haenel, opposerait les tenants
d'une codification stricte à ceux qui souhaitent aller plus loin. Il est
certain que, pour le Gouvernement français, il s'agit non pas de créer
ex
nihilo
de nouveaux droits, mais de reprendre largement et d'écrire des
principes et des valeurs qui existent déjà soit dans des textes internationaux,
soit dans les textes communautaires de « droit primaire » ou de « droit dérivé
», soit encore dans les traditions constitutionnelles des Etats membres.
C'est peut-être d'ailleurs sur ce dernier point que le travail, que je
qualifierai d'« innovation stylistique », qui sera mené, à la marge, par la
convention peut être le plus intéressant.
La charte des droits fondamentaux prévoira-t-elle des droits effectifs ou des
objectifs politiques ? Cette question a notamment été soulevée concernant les
droits économiques et sociaux, sur lesquels je reviendrai plus tard un peu plus
longuement.
Sur ce point, il faut, à mon avis, avoir une lecture souple et volontariste de
la « feuille de route » dessinée par les conclusions du Conseil européen de
Cologne. Le droit à l'emploi, par exemple, ne saurait être évincé au prétexte
qu'il s'apparente plus à un objectif qu'à un droit effectif. C'est ce que font
nos amis britanniques mais, pour nous, c'est totalement inacceptable.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Cette conception peut d'ailleurs être aisément contrée
si l'on rappelle que l'ensemble des dispositifs mis en oeuvre depuis le traité
d'Amsterdam - lignes directrices pour l'emploi, pacte européen pour l'emploi...
- ont déjà donné corps, au niveau européen, à ce droit à l'emploi qui ne
constitue donc plus seulement un objectif.
J'entrerai maintenant dans ce que l'on peut appeler « le contenu matériel » de
la charte, qui est bien sûr, pour le Gouvernement, l'aspect le plus
important.
Vous m'avez interrogé, monsieur Haenel, sur l'éventuelle inscription d'un
droit des minorités ou, encore, du principe de laïcité. Mme Dieulangard a,
quant à elle, indiqué avec précision les droits sociaux qu'elle souhaitait voir
figurer dans ce texte.
M. Michel Charasse.
C'est très important !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Comme vous le savez, les conditions du Conseil de
Cologne ont défini les trois « corbeilles » de droits que doit contenir ce
texte, et je sais que la convention s'en tiendra à cette feuille de route.
S'agissant du droit des minorités, le Gouvernement ne peut que s'opposer à une
telle inscription, qui est contraire à notre tradition constitutionnelle. Par
ailleurs, le traité sur l'Union comporte, en son article 13, le principe
général de non-discrimination qui peut permettre, par exemple, la défense de
telle ou telle « tradition culturelle », expression que je préférerais à celle
de « droit des minorités ».
Sur le principe de laïcité - c'est un autre exemple d'un principe qui
n'appartient pas, loin de là, à l'ensemble des traditions constitutionnelles
des Etats membres, mais je sais qu'au cours des débats de la convention
certains l'ont toutefois évoqué sous le nom de « principe de neutralité » - je
ne dissuaderai sûrement pas les membres français de l'enceinte de tenter la
chose, mais je ne suis pas certain, et je le regrette, qu'ils obtiendront
satisfaction ; en tout cas, ils seront soutenus.
J'en viens maintenant à un sujet essentiel, que M. Masson a présenté à sa
façon et sur lequel ont insisté Mme Bidard-Reydet et M. Delfau. Ce sujet
constitue le coeur de cette charte pour ceux qui veulent en faire un projet
social : je veux parler des droits économiques et sociaux.
Vous le savez, mais je veux le rappeler, cette partie constitue pour nous le
coeur de la démarche puisqu'elle souligne le caractère global et équilibré de
la charte et qu'elle traduira aussi la réalité du modèle social européen.
Vous le savez aussi bien que moi, les premiers débats ont montré que, sur ces
points, les choses n'allaient pas de soi pour tous nos partenaires. Certains
pays nordiques et nos amis britanniques s'opposent même clairement à nous sur
l'ampleur et la portée de ces droits. Ainsi, le droit de négocier et de
conclure des conventions collectives, le droit de grève, mais également
l'insertion dans la charte du droit à un salaire minimum sont contestés par
certains.
Pour ma part, j'estime qu'il faut au minimum, pour que la charte ait un
contenu acceptable pour nous, qu'y figurent une quizaine de droits sociaux
essentiels allant du droit au travail et à la protection sociale au droit de
grève en passant par le droit syndical ou la garantie d'accès pour tous aux
services d'intérêt général, sujet sur lequel M. Delfau a insisté.
Je reprendrai bien volontiers à mon compte ce qui a été dit sur le droit au
logement par Mme Dieulangard, ou encore tout ce qui a été dit sur la
revalorisation des droits sociaux, notamment syndicaux, par Mme
Bidard-Reydet.
Je partage sur ce point l'avis du président Haenel, à savoir que, honnêtement,
mieux vaut pas de charte du tout qu'une charte qui serait un ersatz ne
comprenant pas ces droits économiques et sociaux.
La présence de droits sociaux dans cette charte consacre par ailleurs une
évolution philosophique et juridique, l'unicité des droits fondamentaux. Il est
effectivement clair, aujourd'hui, que droits civils, droits politiques, droits
économiques et sociaux sont interdépendants. La liberté d'association, de
pensée, d'opinion, la liberté syndicale - j'y reviens - la liberté de
manifestation ou de négociation sont ainsi intimement liées. C'est l'intérêt,
et je dirai même la condition
sine qua non
d'un tel texte.
En outre, M. Haenel et Mme Dieulangard se sont demandé si d'autres droits,
dits nouveaux droits ou droits de troisième génération, pouvaient être intégrés
dans le projet de charte. Il s'agit notamment des droits relatifs à la
protection de l'environnement, à la bioéthique, ou encore à la transparence
administrative.
Ces questions sont importantes pour nos concitoyens et le président Herzog
semble lui-même - je parle sous votre contrôle, monsieur Haenel - favorable à
leur intégration.
M. Hubert Haenel.
Tout à fait !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Il est certain que c'est également à travers
l'inscription de tels droits que la valeur ajoutée de cette charte se
confirmera. J'ai donc une attitude ouverte à l'égard de ces propositions, à la
condition expresse, je le répète, qu'aucun de ces droits ne constitue une
création
ex nihilo.
Un droit énoncé doit forcément se rattacher à un
texte existant, soit à un texte international ratifié par les Quinze, soit à
telle ou telle tradition constitutionnelle partagée par tous les Etats
membres.
Enfin, s'agissant de l'idée de « devoirs » ou de « responsabilités » que M.
Fauchon à défendue avec son éloquence coutumière, je ne peux que confirmer que
j'y suis, pour ma part, très favorable.
M. Hubert Haenel.
Très bien !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
La citoyenneté, bien sûr, mais plus généralement
l'appartenance à une société exigent que chacun soit aussi conscient de ce que
l'on attend de lui.
Je renvoie cette question à la convention et je suis certain que Guy Braibant,
même s'il a pu être perçu comme « taisant », ou « taiseux », a été dûment
sensibilisé par M. Haenel et a appliqué à ce sujet le principe selon lequel «
qui ne dit mot consent ».
(M. Haenel sourit.)
Je crois en tout cas que
c'est ainsi qu'il faut interpréter ce silence.
J'en reviens à une question fondamentale posée par beaucoup d'entre vous,
notamment par M. Masson, chez lequel j'ai cru ressentir une légère hostilité,
et par Mme Dieulangard, qui y est au contraire très favorable : je veux parler
de la valeur contraignante ou non de la charte.
Vous connaissez ma position. Elle a été critiquée
mezzo voce
par M.
Hoeffel, mais, pour ma part, j'assume ce que j'ai dit auparavant. Outre le fait
que les conclusions de Cologne sont particulièrement claires et qu'il est
difficile pour la France, qui assurera la présidence de l'Union, de préempter
aujourd'hui un tel débat, il me paraît de bon sens d'attendre de connaître le
projet rédigé par la convention pour nous interroger sur une éventuelle valeur
contraignante de cette charte. J'attends donc de voir ce qu'il en sera avant de
me prononcer.
Plus ce texte sera percutant, fort, concis, lisible, accessible à nos
concitoyens, plus la question de sa valeur juridique et de son éventuelle
insertion dans les traités sera pertinente, et je me refuse de poser cette
question par principe.
Je redis à M. Masson que tel n'est effectivement pas notre objectif premier.
Mais il est tout aussi vrai que des réflexions sont menées par le Gouvernement
et par le Président de la République dans l'hypothèse où la qualité de ce texte
serait suffisante. A ce stade, l'une des solutions envisageables serait son
intégration par voie de protocole, mais nous verrons bien en fonction des
travaux.
A ce titre, je rappelle que nous ne sommes pas seuls dans cette affaire et que
conférer un caractère contraignant à ce texte poserait à certains de nos
partenaires des difficultés particulières. Je pense notamment au Danemark, pour
lequel une telle option entraînerait nécessairement l'organisation d'un
référendum, ce qui n'est jamais simple sur les questions européennes. Et, pour
d'autres pays aussi, se poseraient certainement des questions
constitutionnelles.
En tout cas, soyez sûr, monsieur Haenel, que le Président de la République et
le Premier ministre, qui siègent ensemble au Conseil européen, ont à coeur de
traiter cette question.
Notre objectif est donc de disposer du meilleur texte possible lors du Conseil
européen de Nice, qui conclura notre présidence. Au demeurant, il me semble que
la ligne choisie par le président Herzog est la bonne : il a fait le choix de
conduire les travaux de rédaction du projet de charte comme si celle-ci devait
être un jour contraignante. C'est sans doute la meilleure solution, et je vous
fais toute confiance pour parvenir à un résultat probant.
Sans préjuger la valeur juridique qui sera finalement conférée à la charte, je
veux néanmoins traiter rapidement quelques interrogations juridiques que
soulève l'existence même de ce texte.
M. Hoeffel et M. Bordas se sont faits les avocats éloquents du Conseil de
l'Europe. Il a souvent été avancé - parfois sous forme critique,
reconnaissons-le - que le projet de charte constituerait une sorte de « doublon
» de la convention européenne des droits de l'homme, risquant ainsi d'entraîner
une confusion aux yeux des citoyens, voire d'être à l'origine d'une « Europe
des droits de l'homme à deux vitesses ». Telle est bien, en substance, la thèse
que vous avez défendue.
J'essaie d'évaluer avec sérieux un tel risque. En termes de contenu, tout
d'abord, la charte constituera un texte plus global - plus approfondi aussi,
j'espère - que la convention européenne des droits de l'homme, puisqu'elle doit
non seulement contenir les droits civiques et politiques tels qu'on peut les
trouver dans la convention, mais aussi les droits inhérents à la citoyenneté
européenne ainsi que les fameux droits économiques et sociaux dont nous
parlions à l'instant.
Ce projet a donc, pour moi, sa légitimité propre, ainsi que l'ont d'ailleurs
reconnu les membres de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe dans
leur résolution relative à la charte.
S'agissant du risque de confusion, ou même d'une éventuelle concurrence entre
la Cour du Luxembourg et la Cour de Strasbourg - risque que je ne méconnais pas
et que je ne sous-estime pas - il est certain que, lorsque la charte reprend
des droits directement issus de la convention, elle doit veiller - et elle y
veille - à adopter la formulation la plus proche possible de celle-ci et de la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme afin d'assurer la
plus grande sécurité juridique, ce qui est notre préoccupation commune.
Un autre élément doit permettre, me semble-t-il, de réduire les inquiétudes :
la charte concernera d'abord les institutions de l'Union, conformément aux
conclusions de Cologne, et, de ce point de vue, les partisans des droits de
l'homme que nous sommes tous ici ne peuvent que se réjouir, car cette
initiative comble un vide, la Communauté européenne en tant que telle n'étant
pas justiciable - et nous souhaitons que cela demeure ainsi - de la Cour
européenne des droits de l'homme.
La Cour de justice des Communautés européennes a déjà la faculté de recourir,
pour élaborer sa jurisprudence, aux principes contenus dans la convention, aux
termes de l'article 6, paragraphe 2, du traité sur l'Union.
La charte devrait donc, au contraire des craintes qui ont pu apparaître et
que, encore une fois, je ne sous-estime pas, aller dans le sens d'une plus
grande sûreté juridique puisque, d'une certaine façon, elle donnera une
traduction précise et écrite - et non pas abandonnée à la seule jurisprudence -
de ce fameux article 6.
C'est pourquoi - et cela découle, je crois, de tout ce que je viens de dire -
je veux rappeler notre opposition à l'adhésion de l'Union à la convention
européenne des droits de l'homme. En effet, outre le fait que nous refusons une
subordination juridique de l'Union à la Cour européenne de Strasbourg, j'attire
votre attention sur le fait qu'au-delà de cette subordination juridique
l'adhésion risquerait d'être perçue comme une subordination politique de
l'Europe des quinze à l'Europe des quarante et un.
En tout état de cause, une adhésion ne saurait être considérée comme répondant
de façon satisfaisante aux objectifs assignés à la charte des droits
fondamentaux de l'Union européenne, puisque la convention européenne des droits
de l'homme, je le rappelle, ne comprend aucun droit social.
Je tiens à insister sur la différence de nature non pas entre le Conseil de
l'Europe et l'Union européenne, mais entre les deux cours, puisque la Cour
européenne de Strasbourg est composée de quarante et un juges - qui ont autant
de traditions juridiques différentes - ce qui pose certains problèmes de
sûreté. Mais nous veillons très attentivement à la correspondance des
jurisprudences des deux cours.
Je veux enfin répondre à la question du M. Haenel relative au champ
d'application de la charte, et plus précisément au sort réservé aux actes des
Etats membres pris en application du droit communautaire.
Je souhaite d'abord vous indiquer, monsieur Haenel, qu'en posant cette
question vous vous placez dans l'hypothèse d'une charte à laquelle aurait été
donnée une valeur contraignante. Soit ! Mais, dans cette hypothèse, il est
aussi clair, à mon sens, qu'il ne s'agira pas nécessairement d'appliquer les
règles de procédure habituelles, et notamment le droit de « gardien » des
textes reconnu par les traités à la seule Commission européenne.
Mais je dois dire que, même si le Conseil européen décide que la charte ne
sera pas formellement contraignante, il ne me paraîtrait néanmoins pas choquant
que la Cour de justice des Communautés européennes fasse référence ou s'inspire
de la charte des droits fondamentaux, comme elle le fait déjà, au fond, de
façon « jurisprudentielle », en application de l'article 6 du traité,
lorsqu'elle est amenée à juger de dispositions nationales prises en application
du droit communautaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, alors que nous venons de célébrer, le 9 mai
dernier, le cinquantième anniversaire de la déclaration de Robert Schuman, il
me paraît essentiel de rappeler que la construction européenne répond d'abord à
une exigence morale et politique : asseoir définitivement sur notre continent
tant de fois meurtri la paix, la démocratie et la liberté. Cinquante ans après
cette déclaration, au moment où l'Europe rencontre de formidables succès mais
s'interroge en même temps sur son avenir, il est important qu'un texte fort
rappelle ce que sont les valeurs essentielles sur lesquelles se fonde ce modèle
européen. C'est en tout cas, pour moi, le sens premier que revêt la rédaction
de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Quoi qu'il en soit, il me paraît certain, pour reprendre les propos de M.
Haenel, que, si cette initiative réussit, elle constituera un indéniable et
considérable succès pour l'Europe, pour les citoyens, mais aussi pour les
parlements. En revanche, si, hélas ! nous échouons - et je rejoins encore une
fois M. Haenel, il serait alors difficile de ne pas en tirer quelques
conclusions quant à l'avenir de l'Europe politique. Toutefois, j'ai bien
compris que les propos de M. Haenel représentaient une mise en garde s'agissant
de la méthode, une impulsion,...
M. Hubert Haenel.
Un aiguillon !
(Sourires.)
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
... un aiguillon, et ne reflétaient pas un manque de
confiance. Je partage totalement son optimisme.
En elle-même, cette charte ne résout pas tous les problèmes. Très
prochainement, se tiendra ici même le débat sur les objectifs de la présidence
française, à l'image de celui qui a eu lieu le 9 mai dernier devant l'Assemblée
nationale. La charte est l'un des aspects de l'Europe politique, de même que la
réforme des institutions et la construction de l'Europe de la défense. Ce sont
là des éléments constitutifs du projet que nous voulons mettre en oeuvre pour
l'Europe, un projet social, un projet politique, un projet, encore une fois, de
civilisation.
La charte sera-t-elle une Constitution ? Ce débat sur l'avenir de l'Europe,
que nous reprendrons, si vous le voulez bien, le 16 mai prochain et qui a été
illustré de façon brillante à l'Assemblée nationale, par exemple par M. Giscard
d'Estaing, par M. Juppé, par M. Hue ou par M. le Premier ministre, est devant
nous. Quant à la Constitution, nous verrons bien ! Je n'y suis pas opposé par
principe, mais cela ne se fera en tout cas pas sans Constituants !
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Je constate que le débat est clos.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze
heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures.)
M. le président. La séance est reprise.
3
QUESTIONS D'ACTUALITÉ
AU GOUVERNEMENT
M. le président.
L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, je vous informe que M. le président du Sénat ne peut
participer aujourd'hui à notre séance de questions d'actualité, car il est en
ce moment même à Clermont-Ferrand, où il doit présider les états généraux des
élus locaux d'Auvergne consacrés à l'aménagement du territoire.
Conformément à la règle posée par la conférence des présidents, je rappelle
que l'auteur et le ministre disposent chacun de deux minutes trente.
Chaque intervenant aura à coeur de respecter le temps qui lui est imparti,
afin que toutes les questions et toutes les réponses puissent bénéficier de la
retransmission télévisée.
RAPPROCHEMENT
RENAULT VÉHICULES INDUSTRIELS-VOLVO
M. le président.
La parole est à M. Teston.
M. Michel Teston.
Monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, Renault et Volvo ont rendu public
un accord dans le secteur du poids lourd, accord par lequel le constructeur
français cède sa branche véhicules industriels, hors autobus et autocars, au
groupe suédois, dont il deviendra, en deux étapes, le principal actionnaire,
avec 20 % du capital.
Cet accord présente le grand intérêt de rapprocher deux constructeurs dont les
marchés sont complémentaires, en particulier en Europe, pour construire un
ensemble qui se hissera ainsi au deuxième rang mondial du secteur.
Cela dit, cet accord suscite trois séries d'interrogations.
Premièrement, la valorisation de Renault véhicules industriels, RVI, est-elle
suffisante dans cet accord ?
Deuxièmement, quelle est la stratégie de Renault dans le secteur du poids
lourd, de l'autobus et de l'autocar ?
Ce désengagement partiel du secteur du poids lourd est-il une première étape
avant la sortie définitive de Renault de ce secteur d'activités ?
En outre, quel sera le sort d'Irisbus, filiale commune à parité d'Iveco et de
RVI, créée dans les autobus et les autocars ? Renault veut-il céder sa
participation à Iveco, avec pour conséquence un risque certain de
délocalisation des productions des sites d'Annonay et de Rorthais vers d'autres
usines du groupe Irisbus, notamment en Italie, en République tchèque et en
Hongrie ?
La troisième série de questions porte sur la préservation de l'emploi et les
conditions de travail des salariés de RVI. Cela suppose le maintien en France
d'un outil de production moderne et puissant dans les secteurs du poids lourd,
du bus et du car, c'est-à-dire d'unités de recherche et de développement et
d'unités de production dans la fonderie et l'emboutissage.
L'Etat étant le premier actionnaire de Renault, avec 44 % du capital, le
Gouvernement peut-il apporter les garanties suivantes : d'abord, le maintien
durable de la présence de Renault dans les secteurs du poids lourd, du bus et
du car et, ensuite, un engagement sans équivoque de Renault et de Volvo à
pérenniser en France un outil de production moderne et puissant dans les trois
secteurs d'activités précités ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie des réponses que vous voudrez
bien apporter à ces interrogations.
(Applaudissements sur les travées
socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie.
Monsieur le sénateur, comme vous l'avez
souligné à juste titre, le projet de partenariat entre Renault et Volvo permet
de rapprocher deux constructeurs dont les marchés sont complémentaires et qui
devraient pouvoir constituer ainsi le deuxième groupe mondial en matière de
poids lourds.
Vous posez, à juste titre, la question de la valorisation de RVI. Les
analystes financiers ont récemment considéré que cette valorisation était tout
à fait correcte du fait de la participation que Renault acquiert en
contrepartie dans Volvo, entreprise suédoise en très bonne situation
financière. Par ailleurs, l'Etat, vous le savez, ne manque jamais de surveiller
attentivement ses intérêts patrimoniaux.
Cela étant, le Gouvernement veut aussi que cette opération se fasse sur une
base industrielle et non pas sur une base exclusivement financière. Cela
suppose que soient respectés l'emploi et l'identité des constructeurs,
notamment les marques et la capacité technique et technologique de Renault.
Le fait que Renault puisse acquérir 5 % supplémentaires du capital de Volvo,
au-delà des 15 % prévus par l'accord, est le signe concret que cette opération
constitue un investissement de long terme.
Quant à la filiale Irisbus, elle n'est pas intégrée dans le partenariat
Renault-Volvo, mais Renault doit apporter, à nos yeux, des garanties sur la
pérennité de ses activités industrielles et sur les emplois correspondants.
Nous y veillerons, comme nous veillerons au devenir, s'agissant notamment de
l'emploi, des sites fusionnés avec Volvo.
Comme vous le soulignez - et ce sera ma conclusion - l'emploi doit en effet
être au coeur de notre approche. Renault a garanti, à la suite de l'accord avec
Volvo, que l'emploi chez RVI serait maintenu et qu'il n'y aurait pas de
changement de statut des salariés. En outre, Volvo et RVI conserveront leur
identité - je l'ai dit -, leurs marques et leurs sites de montage
respectifs.
Soyez assuré que les engagements que Renault a pris à cet égard, qui sont de
toute façon placés sous le contrôle des organes de consultation du personnel,
feront l'objet, au jour le jour, d'une extrême vigilance de notre part.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
PRIX ET QUALITÉ D'ACCÈS À INTERNET
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher.
Monsieur le secrétaire d'Etat à l'industrie, l'adaptation de notre économie
aux exigences de la société de l'information est un enjeu crucial pour l'avenir
de notre pays. Le Président de la République l'a d'ailleurs clairement rappelé
récemment.
Vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, n'avez-vous pas reconnu, au mois de
novembre dernier, que, pour développer rapidement une offre d'accès à haut
débit au réseau Internet, il convenait de permettre aux concurrents de France
Télécom de proposer de tels services sur le réseau téléphonique local et
d'autoriser ainsi le « dégroupage » ?
Cette fois, le geste semblait, enfin, devoir être joint à la parole ! Le
Gouvernement n'avait-il pas déposé à l'Assemblée nationale, le 25 avril
dernier, un amendement ayant cet objet lors de la discussion du projet de loi
relatif aux nouvelles régulations économiques, qui viendra bientôt en
discussion devant notre Haute Assemblée ?
Nous commencions à y croire !
Eh bien, mes chers collègues, nous avions tort. Le lendemain même de son
dépôt, cet amendement gouvernemental était retiré !
Certes, le retrait précipité de réformes longuement annoncées semble être
devenu, ces derniers temps, la forme la plus courante de l'action
gouvernementale !
(Protestations sur les travées socialistes.)
Dans le
domaine des télécommunications, cela tend même à devenir une habitude.
M. René-Pierre Signé.
Et la dissolution !
M. Gérard Larcher.
Le Gouvernement ne vient-il pas de laisser entendre qu'il pourrait mettre aux
enchères les licences de la troisième génération de téléphonie mobile, les
licences UMTS, moins de cinq mois après avoir fait savoir qu'il excluait une
telle solution, qui, d'ailleurs, peut se révéler extrêmement préjudiciable à
l'intérêt national et aux entreprises nationales ?
M. René-Pierre Signé.
Tu parles !
M. Gérard Larcher.
Mais la palinodie sur le dégroupage, elle, risque non seulement d'entraver le
développement de l'Internet rapide en France, mais, surtout, de le réserver aux
nantis de la géographie et du revenu,...
M. René-Pierre Signé.
Rambouillet !
M. Gérard Larcher.
... car les autres technologies ne pourront pas couvrir toutes les zones du
territoire et seront rarement à des prix abordables, notamment pour les petites
et moyennes entreprises et les particuliers. Ainsi s'annonce une belle
politique sociale et d'aménagement du territoire !
Aussi souhaiterais-je savoir quelles sont les raisons qui ont conduit le
Gouvernement à retirer son amendement n° 618 sur le dégroupage.
J'apprécierais également de savoir ce que le Gouvernement envisage désormais
de faire pour assurer de manière fiable l'ouverture de la boucle locale à
l'Internet rapide pour le début de l'an prochain, ainsi qu'il s'y était engagé.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie.
Monsieur le sénateur, la tarification
d'Internet est, en effet, une question légitime pour les internautes.
Le Gouvernement souhaite - c'est une ligne de conduite intangible - pratiquer
ou faire pratiquer les prix les plus bas possible, dans le respect, évidemment,
du droit de la concurrence.
Pour l'accès par le réseau téléphonique, qui est une des solutions, et qui est
encore la solution la plus courante, les tarifs d'accès à Internet ont
considérablement baissé. La France se trouve, d'ailleurs, parmi les pays
européens les moins chers.
Aujourd'hui, nous avons devant nous le nouveau défi qui fait l'objet de votre
question : Internet à haut débit.
Différentes technologies pour le haut débit sont possibles : les réseaux
câblés - ils sont utilisés -, la boucle locale par radio - qui va démarrer, je
l'annonce au Sénat, à l'automne prochain -, les technologies par satellite,
notamment Skybridge, en 2003-2004, l'UMTS, nouvelle norme de transmission
technologique, et l'ADSL, qui sera bientôt accessible sur 80 % des lignes
téléphoniques.
Cette technologie d'Internet rapide doit se développer dans un cadre
concurrentiel, pour accélérer son développement et sa diffusion. Elle doit
aussi - vous l'avez souligné, et je vous rejoins - se pratiquer dans un souci
d'égalité : égalité des entreprises petites et grandes, égalité des territoires
et des particuliers.
L'ADSL doit être accessible à tous sans discrimination. Pour cela, le
Gouvernement souhaite mettre en oeuvre le dégroupage de la boucle locale
téléphonique. C'est une affirmation que je réitère devant le Sénat.
La discussion du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques à
l'Assemblée nationale n'a pas permis de mener à bien cette transformation de
notre ordre juridique ; mais le Gouvernement n'entend pas pour autant renoncer
au dégroupage de la boucle locale.
M. Gérard Larcher.
C'est le Sénat qui le fera !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Il assume ses responsabilités, qui sont de moderniser
notre pays et d'en faire un champion européen des nouvelles technologies de
l'information et de la communication.
Notre volonté - j'en termine par là - c'est de faire évoluer, d'ici au début
de 2001, comme nous y invite d'ailleurs, dans une recommandation, l'Union
européenne, la réglementation des télécommunications, en favorisant
l'innovation, l'investissement et l'accès de tous - j'y insiste - à Internet.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean Chérioux.
Et sur le retrait de l'amendement ?
ÉVOLUTION DE LA DÉCENTRALISATION
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Ma question s'adressait à M. le Premier ministre. Mais, puisque M. le ministre
de l'intérieur a récupéré la décentralisation, j'imagine qu'il est plus
qualifié que jamais pour me répondre.
Ma question se veut surtout l'expression du désarroi des responsables des
collectivités locales, dont nous sommes, ici, les représentants
constitutionnels.
Le Gouvernement, comme M. le Premier ministre, a une haute idée du fait de
gouverner.
Il se sent en charge de la cohésion sociale de la nation, de l'efficacité de
son économie, de l'aménagement et de l'équipement de son territoire, sans
parler, bien entendu, des pouvoirs régaliens de l'Etat que sont la diplomatie,
la défense, la protection des citoyens et la justice, qu'il gère selon ses
conceptions.
Pour assurer la gestion des premiers domaines dont j'ai parlé, les
collectivités locales, responsables et, par définition, au contact du terrain,
ont leur rôle à jouer, parfois prééminent, ne serait-ce qu'en termes
d'investissement public.
Mais comment se fait-il qu'elles se voient aujourd'hui, et en même temps,
confier de plus en plus de missions nouvelles - elles ne demandent d'ailleurs
bien souvent qu'à les assumer - et encadrées de plus en plus près - c'est là où
le bât commence à blesser - jusqu'à la substitution des représentants de l'Etat
à leur pouvoir propre, aussi bien dans leurs missions anciennes que dans les
nouvelles ?
Comment se fait-il aussi qu'elles se voient imposer une triple évolution
constante de leurs finances.
La première est une diminution de leur autonomie fiscale, toujours compensée,
ou presque, la première année, mais avec une évolution de la compensation qui
les décroche chaque jour un peu plus du bénéfice de la croissance ? Que dire,
d'ailleurs, de celles qui, de plus, nouvelles dans leur existence en tant que
collectivités territoriales, ou au moins en tant qu'établissement public de
coopération intercommunale, n'auront jamais de référence sur la part salaire de
la taxe professionnelle ? Vous savez à peu près de quoi je veux parler !
La deuxième évolution, c'est l'introduction, au sein de la DGF, qui devrait
être neutre, de plus en plus de considérants d'affectation, qui canalisent leur
action,
nolens volens,
vers des objectifs que prédécide l'Etat.
Enfin, troisième évolution, les collectivités locales se voient appliquer,
pour le calcul des dotations de compensation des charges de leurs nouvelles
missions, un système au moins aussi mauvais que celui dont je parlais à propos
de la suppression de certains impôts locaux.
Nous nous félicitons tous de l'existence de la commission présidée par un de
nos anciens premiers ministres, notre éminent collègue Pierre Mauroy. Mais
n'est-il pas contradictoire de la pousser à proposer plus de décentralisation,
tout en resserrant les marges de manoeuvre des collectivités locales et, en
tout premier lieu, leur marge financière, ce qui revient à recentraliser ?
Quelle est, monsieur le ministre de l'intérieur, la véritable voie qu'entend
suivre le Gouvernement ?
(Très bien ! et applaudissements sur certaines
travées du RDSE ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le sénateur, effectivement, je
m'exprime en tant que ministre chargé de la décentralisation, vous l'avez noté,
et je le fais avec d'autant de coeur que je suis absolument convaincu qu'en
l'espace de trois ans nous avons approfondi celle-ci ; la loi que vous avez
fini par voter sur l'intercommunalité, que le Sénat, dans son immense majorité,
a votée est un grand pas dans cette direction ; cette réforme de
l'intercommunalité fait bouger toute notre carte territoriale, et vous le savez
bien.
C'est tout de même en rupture avec les orientations précédentes, monsieur
Girod, que le Gouvernement a conclu en 1997 avec les collectivités locales un
contrat de croissance et de solidarité qui, pour la première fois, les faisait
bénéficier d'une indexation sur la croissance, indexation qui est allée
elle-même en croissant : 25 %, 30 % et 33 %.
C'est ainsi que les collectivités locales ont pu être associées à de nouvelles
politiques publiques : les emplois-jeunes financés à 80 % par l'Etat, les
contrats locaux de sécurité, domaine où, généralement, on ne leur demandait pas
leur avis. Sur les polices municipales, après accord de la commission mixte
paritaire, nous avons adopté une loi qui a finalement réuni toutes les femmes
et tous les hommes de bon sens, et ils sont nombreux, sur tous les bancs.
J'ajoute que la réforme de l'intercommunalité que je mentionnais tout à
l'heure a été financée non pas, comme précédemment, sur la dotation globale de
fonctionnement, mais à partir d'une dotation spéciale de 500 millions de
francs, qui s'est révélée insuffisante compte tenu du succès remarquable de
cette loi - ce dont on ne peut quand même pas se plaindre ! Je vous fais
observer que nous avons abondé cette dotation de 500 millions de francs d'un
crédit de 250 millions de francs dans le collectif budgétaire actuellement en
discussion.
Enfin, dois-je vous rappeler que les contrats de plan Etat-région ont été
dotés de 120 milliards de francs, sans parler de tous les projets hors contrats
de plan, pour 20 ou 30 milliards de francs - je ne me souviens plus très bien -
c'est-à-dire des chiffres tout à fait importants et qui élargissent la marge
des collectivités locales ?
Je mentionne au passage la suppression des financements croisés de l'aide
sociale, la baisse de la taxe d'habitation...
M. le président.
Monsieur le ministre, je vous prie de conclure.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Je conclurai sur ce point.
Quand on regarde les choses sur les cinq dernières années, 1994-1999, on
constate que les bases de la taxe d'habitation pour les régions n'ont pas
augmenté plus vite que la DGF indexée sur la moitié du PIB : 11,35 % par
rapport à 11,50 %. Vous le savez très bien, l'indexation sur le PIB va faire
que la dotation globale de fonctionnement augmentera l'an prochain de 3 %.
Il n'est donc pas exact de dire que les collectivités locales sont
sanctionnées.
J'aurai l'occasion de revenir sur tous ces sujets puisqu'une seconde question
pointe à l'horizon.
Je me réjouis quand même, monsieur Girod, de constater que vous-même et un
certain nombre de vos collègues, qui n'avez pas voté les lois de
décentralisation présentées par Gaston Defferre, non plus que la loi sur
l'administration locale de la République, vous êtes aujourd'hui convertis au
principe d'une décentralisation plus poussée, dont vous trouverez toujours en
moi l'avocat, dans le respect, bien sûr, des exigences de la cohésion
nationale.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
TAUX DE CHANGE DE L'EURO
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie et porte sur l'euro.
Depuis son lancement en janvier 1999, l'euro a enregistré une baisse de près
de 20 % par rapport au dollar et de 25 % par rapport au yen.
De plus, une statistique récente nous apprend que la monnaie unique ne
représente que 1,69 % environ de l'ensemble des transactions enregistrées en
France. Payer un chèque en euros relève presque de l'exploit, monsieur le
ministre, et j'en parle en connaissance de cause !
Ces deux faits viennent apporter un cinglant démenti aux discours exaltés et
aux promesses des « eurobéats ». Hier encore, contre tout bon sens économique
et politique, ils nous assenaient que seul un euro fort pourrait assurer les
conditions de la prospérité économique et d'une décrue du chômage.
Selon ces mêmes « spécialistes » - qui, au demeurant, se font aujourd'hui bien
discrets - avec l'indépendance de la Banque centrale européenne, les marchés
financiers européens allaient susciter un immense engouement permettant de
financer à bon compte les économies de ce que certains appellent l'Euroland. La
puissance politique de l'Europe serait la cerise sur le gâteau !
Or, aujourd'hui, l'euro est faible, et tout le monde, à commencer par les
chefs d'entreprise et les salariés européens, s'en réjouit.
Dopées par une parité plus réaliste avec le dollar et le yen, les économies
européennes retrouvent le chemin de la croissance et les salariés celui de
l'emploi. Ce constat m'amène à formuler trois remarques et à vous interroger
sur les initiatives que le Gouvernement compte prendre alors même qu'il
s'apprête à assumer la présidence de l'Union européenne.
Les sérieuses difficultés dans lesquelles se trouvent aujourd'hui l'euro
soulignent, selon moi, son caractère prématuré et la nécessité de le remplacer
par une monnaie commune. Celle-ci aurait l'avantage de donner une réalité à
l'Europe à l'étranger et de permettre une souplesse monétaire et budgétaire au
sein même des économies européennes : des monnaies nationales au service du
développement économique et de l'emploi, et non une monnaie unique forte au
profit des spéculateurs et des rentiers.
Ma seconde observation porte sur l'urgence d'une réforme des statuts de la
Banque centrale européenne.
M. le président.
Monsieur Loridant, je vous prie de conclure.
M. Paul Loridant.
Je termine, monsieur le président.
A plusieurs reprises, en effet, la BCE a tenté sans succès de soutenir l'euro
en relevant les taux d'intérêt, au risque de casser la reprise économique.
Entendez-vous promouvoir l'idée d'une révision des statuts de la BCE qui
viserait à lui imposer des objectifs de plein emploi, comme c'est le cas aux
Etats-Unis ?
Enfin, conséquence directe de cette remarque, quelles initiatives comptez-vous
prendre afin de donner une réalité au pilotage politique de l'euro, qui, de
l'aveu général, est encore aujourd'hui une fiction, ce qui explique en partie
la sévère sanction de l'euro par les marchés ?
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie.
Monsieur le sénateur, je voudrais faire
avec vous un constat, risquer deux ou trois points d'analyse et proposer les
solutions que la dernière partie de votre question appelle.
Le constat c'est que, en effet, l'euro continue à évoluer autour de 0,90
dollar des Etats-Unis, c'est-à-dire loin de son cours d'origine.
L'analyse, c'est qu'il est plus important, vous en conviendrez avec moi, de
parler de la stabilité de l'euro que de son niveau. C'est la stabilité du taux
de change qui est indispensable pour bâtir un socle de confiance qui soit
favorable à l'investissement, favorable à la croissance et donc, finalement -
c'est notre objectif commun - favorable à l'emploi.
Nous avons donc besoin d'un euro stable. De ce point de vue, si les «
euro-fondamentaux », comme on dit, sont bons - je songe à l'emploi, au produit
intérieur brut, à l'investissement, aux prix, aux excédents du commerce
extérieur - la situation, vous l'avez dit, n'est globalement pas
satisfaisante.
Selon le FMI, la croissance de la zone euro en 2001 sera la plus forte du G3.
Que manque-t-il à l'euro, ou plutôt que manque-t-il à l'Europe pour que l'euro
regagne sa force potentielle ?
Il y a un certain nombre de solutions. Le Premier ministre, Lionel Jospin, les
a évoquées il y a quelques jours à l'Assemblée nationale.
Une Europe plus forte a besoin d'un euro stable et qui tienne bon. En réalité
- je renverse la proposition - un euro fort a besoin d'une Europe forte. D'où
les solutions : renforcer l'euro-11 et le rôle de son président, assurer une
meilleure continuité de la présidence de cette instance et renforcer, accélérer
la construction, faire tout pour que naisse une véritable Europe politique, car
c'est de là que part le vrai problème et c'est de là que peuvent venir les
vraies solutions. En un mot, il nous faut un euro de confiance, un euro de
croissance et un euro de puissance, celle de l'Europe.
(Applaudissements sur
les travées socialistes.)
STATUT DE STRASBOURG
COMME SIÈGE DU PARLEMENT EUROPÉEN
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et à M. le
ministre délégué chargé des affaires européennes.
Dès la création du Parlement européen, son siège a été fixé à Strasbourg. Le
traité d'Amsterdam l'a confirmé.
Le choix de Strasbourg a été, au lendemain de la guerre, fondé sur le symbole
fort de la réconciliation et de la paix que représentait cette ville.
Aujourd'hui, des problèmes d'ordre pratique - et les liaisons aériennes ne
sont pas seules en cause ! - prennent le dessus. Ils alimentent la critique de
ceux qui tentent de mettre en cause les décisions du passé, en dépit des
efforts importants consentis conjointement par l'Etat et par les collectivités
locales alsaciennes.
Quelles sont, monsieur le ministre, les dispositions que compte prendre le
Gouvernement français pour conforter le siège de Strasbourg, tant au niveau des
décisions à prendre par l'Union européenne que grâce à des initiatives
concrètes améliorant l'accessibilité et les conditions d'accueil de la ville
?
Compte tenu de l'évolution de la situation, des signaux forts s'imposent
rapidement car il y a urgence.
(Très bien ! et applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué chargé des affaires européennes.
Monsieur Hoeffel, notre
pays, le Gouvernement sont très attachés au statut européen de Strasbourg et il
y va effectivement de la symbolique de réconciliation et de paix, dans la
droite ligne de la déclaration de Robert Schuman, dont nous fêtons
l'anniversaire.
Vous savez que, depuis toujours, les autorités françaises soutiennent
l'ancrage du Parlement européen à Strasbourg. Vous avez rappelé les différentes
étapes : d'abord Edimbourg ; ensuite, l'arrêt de la Cour de justice, en octobre
1997, qui validait cette obligation pour le Parlement européen ; enfin, la
fixation officielle - claire et définitive - dans le traité d'Amsterdam du
siège du Parlement européen à Strasbourg.
Par conséquent, la situation est parfaitement assurée sur le plan juridique :
Strasbourg est le siège officiel du Parlement européen, où se tiennent ses
douze sessions plénières ; je ne cesse de le répéter aux parlementaires
européens. J'étais d'ailleurs à Bruxelles largement pour cela.
Afin de faire vivre ce siège et de lui donner une réalité physique, il a été
décidé de construire un immeuble propre au Parlement européen, contenant
notamment un hémicycle et toutes les facilités pour les députés. Il a été
inauguré le 14 décembre dernier par le Président de la République.
Reste - et, vous l'avez dit, c'est l'essentiel - la question de
l'accessibilité aérienne et terrestre de Strasbourg.
Nous n'ignorons pas les difficultés que rencontrent certains parlementaires
pour rejoindre le Parlement lors des sessions plénières. Quand ce gouvernement
a pris ses fonctions, l'Etat finançait, durant les sessions, des vols spéciaux
- presque toujours vides, hélas ! et systématiquement en retard - entre
Strasbourg et les principales capitales européennes.
Sur proposition des collectivités locales alsaciennes, représentées par la
chambre de commerce et d'industrie du Bas-Rhin, nous avons fait évoluer ce
système, qui n'était d'ailleurs plus conforme aux règles en vigueur. Nous nous
sommes donc concentrés sur les liaisons les plus difficiles, la plupart des
capitales européennes étant déjà desservies commercialement. Malgré des appels
d'offres successifs, seules, hélas ! les liaisons vers Copenhague, Milan et
Vienne ont pu être attribuées à des compagnies aériennes et bénéficier des
subventions de l'Etat, Lisbonne et Dublin ne trouvant aucun preneur.
Ce système ne donne toujours pas satisfaction à certaines parlementaires.
Aussi ai-je décidé, en liaison avec la présidence du Parlement européen et les
collectivités locales, d'adresser dès la semaine prochaine un questionnaire à
l'ensemble des parlementaires européens afin de mieux connaître leurs besoins
réels et d'en tenir compte pour préparer, à l'automne, le renouvellement du
schéma actuel de desserte aérienne.
Parallèlement, avec le ministre des transports, Jean-Claude Gayssot, nous
travaillons à la mise en réseau des aéroports voisins de Strasbourg, notamment
ceux de Stuttgart, Francfort, Sollingen et Bâle-Mulhouse.
Nous pensons aussi rendre moins contraignantes les règles militaires qui
s'appliquent au trafic aérien dans cette partie Nord-Est de la France.
Nous songeons à l'avancement du TGV-Est.
Enfin, je n'oublie pas le contrat triennal « Strasbourg, capitale européenne
».
La mobilisation de l'ensemble des collectivités locales - et je sais pouvoir
compter sur vous - reste, à cet égard, indispensable à notre action.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines
travées du RDSE. - M. Hoeffel applaudit également.)
MISE EN CAUSE DU CHEF DE L'ÉTAT
PAR LE JOURNALISTE TUNISIEN TAOUFIK BEN BRICK
M. le président.
La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski.
Ma question s'adressait à M. Védrine, ministre des affaires étrangères. Je
regrette qu'il ne soit pas là, parce qu'il est directement concerné par le
problème que je vais soulever. Je suis cependant ravi que M. Moscovici réponde
à sa place.
De tous temps, la France a été une terre d'accueil et de refuge pour tous ceux
qui ont quitté leur pays parce qu'ils considéraient que les droits de l'homme y
étaient bafoués, voire parce qu'ils y vivaient des situations plus graves.
De tous temps, cet accueil s'est accompagné d'un certain nombre de règles.
La première de ces règles, c'est que nous demandons à ceux que nous
accueillons de ne pas profiter de cette invitation sur notre territoire pour
faire de la politique à l'encontre du pays qu'ils viennent de quitter.
Il existe une autre règle, qui ne figure nulle part mais qui va se soi : le
moins que l'on puisse attendre de quelqu'un qui vient sur notre territoire,
c'est qu'il n'insulte pas le Président de la République. Or, c'est ce que M.
Taoufik Ben Brick vient de faire, à peine arrivé sur le sol français.
Je rappelle que M. Ben Brick est ce journaliste tunisien qui a fait quatre
semaines de grève de la faim pour obtenir un passeport, la liberté de circuler
dans son pays et le rétablissement de sa ligne de téléphone. Il a obtenu
satisfaction sur tous les points, et ce, dans une certaine mesure, grâce au
Quai-d'Orsay et à l'Elysée.
M. Védrine est même allé plus loin, puisqu'il lui a accordé un visa, en
précisant que c'était pour des raisons humanitaires. Mais, à mon avis, M.
Védrine savait à qui il avait affaire, puisqu'il a bien précisé qu'il ne lui
avait pas accordé ce visa pour qu'il vienne continuer sur notre territoire la
lutte contre le régime tunisien.
Or qu'a eu M. Védrine pour tout remerciement ? A peine débarqué, à peine
descendu de son ambulance, M. Ben Brick a tenu une conférence de presse. Quand
on lui a demandé ce qu'il pensait de l'avertissement de M. Védrine, il a laissé
entendre qu'il n'en avait rien à faire.
Mais, ce qui est beaucoup plus grave, c'est qu'il a insulté à cette occasion
le Président de la République et qu'il a confirmé ses propos dans un entretien
dont le compte rendu est paru hier dans
Courrier international
. On peut
lire dans ce magazine la déclaration suivante : « J'accuse Jacques Chirac
d'avoir été si longtemps le plus fidèle soutien du régime ignominieux de Ben
Ali... Le Président français n'hésite pas à propager des mensonges. » Un peu
plus loin, M. Ben Brick affirme que « le silence de Jacques Chirac sur la
nature de ce dictateur de seconde division qu'est Ben Ali en a fait le
collaborateur du président tunisien ».
M. le président.
Veuillez poser votre question, mon cher collègue.
M. Ladislas Poniatowski.
Ce mot de « collaborateur » n'est pas innocent.
Je considère, compte tenu de ces propos, que M. Ben Brick n'est pas le
bienvenu dans notre pays.
(Murmures sur les travées socialistes.)
M. Paul Masson.
Absolument !
M. Ladislas Poniatowski.
Monsieur le ministre, ma question est donc de savoir non pas ce qui se passe
en Tunisie, mais ce que vous allez faire pour inviter M. Ben Brick à exercer
ses tristes talents hors de nos frontières, et ce le plus vite possible.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. -
Protestations sur les travées socialistes.)
M. Alain Vasselle.
Excellente question !
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué chargé des affaires européennes.
M. Védrine n'est pas là
parce qu'il fait son métier de ministre des affaires étrangères : il est en ce
moment même en route vers Washington. Je me permettrai donc, à sa place,
monsieur le sénateur, de rappeler l'origine de cette affaire.
M. Ben Brick, correspondant en Tunisie du journal
La Croix,
observait
depuis le 3 avril dernier une grève de la faim pour protester contre les
mesures qui l'empêchaient d'exercer son métier de journaliste et qui avaient
notamment pour effet de resteindre sa liberté de circulation.
Dès le 20 avril dernier, la France a fait savoir, dans un souci d'apaisement
- je répète ce propos - qu'elle était disposée à accueillir M. Ben Brick.
Celui-ci a néanmoins tenu par la suite des propos critiques à l'encontre des
autorités françaises, notamment de M. le Président de la République, une
première fois le 21 avril dernier et, de nouveau, dans une lettre ouverte au
Président de la République, le 1er mai, propos repris dans le
Courrier
International
.
En dépit de ces déclarations, les autorités françaises - toutes les autorités
françaises, j'y insiste - toujours dans un souci d'apaisement, ont maintenu et
maintiennent la même ligne, visant à favoriser le dénouement de cette
affaire.
La soeur de M. Ben Brick a été reçue par un collaborateur - pardonnez-moi le
mot ! - du Président de la République, le 27 avril dernier. Un visa de court
séjour a été accordé à M. Ben Brick le 4 mai, après que les autorités
tunisiennes lui ont délivré un passeport et ont levé l'interdiction de sortie
du territoire qui pesait sur lui.
M. Ben Brick s'est rendu en France le même jour.
Le ministre des affaires étrangères avait précisé, dès le 3 mai, comme vous
l'avez rappelé, que notre décision visait à contribuer à l'apaisement et non
pas à encourager M. Ben Brick à poursuivre sa lutte depuis la France.
On peut déplorer ce qui se produit.
Nous regrettons - tout autant que vous, monsieur le sénateur - des propos
portant une appréciation inexacte et ouvertement polémique sur la politique
française à l'égard de la Tunisie.
A cet égard, je voudrais rappeler les propos d'Hubert Védrine devant
l'Assemblée nationale : La France souhaite qu'une évolution politique
accompagne les succès du développement économique et social que la Tunisie a su
réaliser au cours des dix dernières années.
Cette ouverture, c'est aux Tunisiens eux-mêmes d'en fixer le rythme, le
contenu et les modalités, mais elle est aujourd'hui à la fois indispensable et
possible.
Une telle évolution, avec des nouvelles étapes vers la libéralisation et la
démocratisation, permettrait aussi de concrétiser les engagements de respect
des libertés fondamentales souscrits par la Tunisie elle-même dans son accord
d'association avec l'Union européenne, qu'elle avait été le premier pays
méditerranéen à conclure, dès 1995.
Telle est la position des autorités françaises à l'heure où je vous parle.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Alain Vasselle.
Alors, on le laisse continuer !
C'est une non-réponse !
RÉCUPÉRATION DE L'AIDE SOCIALE
VERSÉE AUX HANDICAPÉS
M. le président.
La parole est à M. Foy.
M. Alfred Foy.
Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'Etat à la santé et aux
handicapés.
Les récents démêlés ayant opposé, voilà quelque temps, une grande compagnie
d'assurance à des familles de personnes handicapées, au-delà de la vive émotion
qu'ils ont suscitée, ont permis de mettre en lumière, parmi d'autres problèmes,
l'urgence d'une réforme des règles de la récupération de l'aide sociale.
Comme vous le savez, le caractère subsidiaire des prestations d'aide sociale
confère à la collectivité territoriale qui les verse, en l'occurrence le
département, un droit à récupération sur le patrimoine du bénéficiaire.
Ainsi, à la différence d'autres prestations, notamment les aides au logement
ou le RMI, les prestations d'aide sociale versées aux handicapés - l'allocation
compensatrice ou la prise en charge des frais d'hébergement - peuvent être
réclamées dans leur intégralité, en vertu de l'article 146 du code de la
famille et de l'action sociale, si la personne bénéficiaire, indépendamment de
son état de santé, « revient à meilleure fortune », selon la formule
consacrée.
Par conséquent, il est impossible à une personne handicapée d'hériter de ses
parents sans que l'héritage, même modeste, ne risque d'être repris, ou de
bénéficier d'une donation, ou de transmettre librement son patrimoine de son
vivant à son conjoint, à ses enfants, voire à la personne qui l'aide à
surmonter son handicap.
Qui plus est, comme ces prestations sont versées dès que le bénéficiaire
atteint l'âge de vingt ans, et plus tôt encore s'il se marie ou exerce une
profession rémunérée, c'est sur une très longue période que peut s'exercer la
récupération.
Pour mettre fin à cette injustice à l'égard des personnes handicapées, il
convient donc d'entreprendre la modernisation et l'humanisation des règles de
récupération d'aide sociale.
Depuis plusieurs années, force est de reconnaître que des avancées
significatives ont été réalisées en faveur des personnes handicapées.
Récemment encore, un dispositif d'un montant de 1,52 milliard de francs
échelonné sur trois ans a été mis en place pour faciliter leur insertion dans
la vie de tous les jours. Mais, j'insiste, il faut à présent « dépoussiérer »
notre réglementation de ses « scories », qui sont des facteurs d'exclusion à
l'égard des personnes handicapées.
C'est une exigence forte, d'actualité, à laquelle les pouvoirs publics doivent
répondre. Aussi ma question est-elle la suivante : est-ce que le Gouvernement a
l'intention de présenter devant le Parlement, en particulier lors de la
discussion de la loi de modernisation, un texte qui irait dans ce sens, et
selon quel calendrier ?
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.
Monsieur le sénateur,
développer plus de solidarité à l'égard des personnes handicapées et de leurs
familles est effectivement une priorité du Gouvernement, priorité qui a été
affirmée clairement par le Premier ministre, le 25 janvier dernier, lors de la
réunion du Conseil national consultatif des personnes handicapées. A cette
occasion, le Premier ministre a annoncé que le plan triennal serait renforcé et
que 2,5 milliards de francs de crédits supplémentaires seraient accordés pour
répondre aux besoins et aux aspirations légitimes des personnes handicapées,
leur garantissant respect et considération de leurs potentialités.
Dans cet esprit, la récupération sur succession, qui est liée au caractère
subsidiaire de l'aide sociale versée par les collectivités locales, comme vous
l'avez précisé, est un problème auquel je suis particulièrement attentive.
Aussi ai-je demandé à mes services de mener une expertise technique sur ce
sujet, qui sera examiné très prochainement.
Comme vous le savez, en ce qui concerne le bénéficiaire de l'aide sociale «
revenu à meilleure fortune », il appartient actuellement aux commissions et aux
juridictions d'aide sociale d'apprécier si la perception d'un héritage doit
être considérée ou non comme un retour à meilleure fortune. Il est bien entendu
tenu compte de la situation et des obligations familiales de l'intéressé.
En règle générale, la commission centrale d'aide sociale retient comme critère
l'accroissement significatif du patrimoine du bénéficiaire par l'apport fortuit
de biens importants et nouveaux. Le seul retour à une faculté d'épargne ne
saurait en lui-même être considéré comme un retour à une meilleure fortune.
Néanmoins, lorsque l'accroissement du patrimoine du bénéficiaire de l'aide
sociale est important, les dispositions de l'article 146 du code de la famille
et de l'aide sociale permettent d'affecter une juste partie de ces gains à un
allégement partiel de la dépense que la collectivité publique assume, en
l'occurrence, au nom de la solidarité.
Dépoussiérer les textes en vigueur, s'interroger sur leur adaptation au monde
actuel ? Sûrement, monsieur le sénateur ! Cependant, ne perdons pas de vue la
justice sociale. La collectivité doit avant tout aider ceux qui ont besoin de
surmonter leurs difficultés, mais elle doit pouvoir prendre en compte la
situation des revenus ou du patrimoine de ceux qui font appel à elle. Le projet
de révision de la loi de 1975 qui sera déposé au Parlement dès cette année,
comme le Premier ministre l'a annoncé, le 25 janvier dernier, sera l'occasion
d'aborder, en autres, ce point.
Nous serons au rendez-vous. J'y travaille activement.
(Applaudissements sur
les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain
et citoyen. - M. Foy et Durand-Chastel applaudissent également.)
CRISE DU CINÉMA FRANÇAIS
M. le président.
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud.
Ma question s'adresse à Mme la ministre de la culture et de la
communication.
Madame la ministre, le cinquante-troisième festival de Cannes s'est ouvert
cette année sur ce qu'un grand quotidien du soir a appelé « la crise du cinéma
français ».
Je préfère souligner quant à moi que la France est l'un des rares pays à avoir
encore une industrie du cinéma bien vivante, puisque 189 films ont été produits
en 1999 dans notre pays, et qu'il y en a quatre en compétition à Cannes. La
politique volontariste initiée par Jack Lang voilà bientôt vingt ans n'y est
certainement pas étrangère.
Mais on ne peut pas pour autant considérer que tout va bien.
J'ai pour ma part trois grandes inquiétudes.
Ma première inquiétude, c'est la désaffection du public pour les films
français.
En 1999, seulement 30 % des Français qui sont allés au cinéma ont choisi un
film français, alors que la production nationale représentait plus de 50 % de
parts de marché en 1981. Certes,
Astérix
a réuni 9 millions de
spectateurs, mais, sur les 180 films français sortis en salle, seulement 23 ont
dépassé les 500 000 entrées et près d'un tiers ont réalisé moins de 25 000
entrées.
Ma deuxième inquiétude concerne la concentration de la distribution.
L'explosion des multiplexes et leurs pratiques commerciales...
M. Gérard Larcher.
Tout à fait !
Mme Danièle Pourtaud.
... comme le lancement de la carte d'abonnement d'UGC menacent le réseau des
salles indépendantes... lorsqu'elles existent encore.
M. Gérard Larcher.
C'est vrai !
Mme Danièle Pourtaud.
Or, si les multiplexes ont certainement contribué à attirer les jeunes vers le
cinéma, il n'en reste pas moins que leur programmation laisse peu de place au
cinéma français.
J'en donnerai deux exemples : UGC a sorti, en 1999, vingt-trois films, dont
dix-sept américains, et Gaumont dix-huit films, dont quinze américains et trois
français. Il est clair que les autres films français ont besoin des salles
indépendantes pour rencontrer leur public.
M. Serge Vinçon.
Tout à fait !
Mme Danièle Pourtaud.
Enfin, ma troisième inquiétude porte sur les effets pervers de notre système
d'aides. Je ne citerai que l'un d'entre eux, mais d'autres pourraient être mis
en évidence.
Sur les 180 films français sortis en 1999, un sur trois est un premier film.
Malheureusement, dans 60 % des cas, c'est aussi le dernier.
Pendant des années, nous avons mis l'accent sur le soutien aux jeunes
réalisateurs. C'est effectivement très important. Mais on doit, me semble-t-il,
s'interroger en constatant que seul un réalisateur sur trois fera un deuxième
film et seulement un sur trente un troisième.
M. le président.
Merci de poser votre question, madame le sénateur !
Mme Danièle Pourtaud.
Madame la ministre, quelles sont vos pistes de réflexion sur ces divers
problèmes ?
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
Madame la sénatrice, vous
avez évoqué la crise du cinéma français et vous vous posez de nombreuses
questions sur l'avenir de celui-ci. Si je comprends vos interrogations, je
partage moins vos inquiétudes.
Certes, il y a des raisons de s'interroger : citons la crise relative de la
fréquentation des salles pendant plusieurs années, le poids considérable, voire
excessif, du cinéma américain, les relations complexes, et souvent
conflictuelles, entre la télévision et le cinéma, et, enfin, l'inquiétude
légitime face à l'inconnu que représentent certaines évolutions techniques et
économiques.
Pourtant, je suis revenue du festival de Cannes, où j'accompagnais le Premier
ministre, qui a clos un colloque international sur l'avenir du cinéma,
raisonnablement optimiste, et même confiante dans l'avenir, car le cinéma
français, vous l'avez d'ailleurs souligné vous-même, est bien vivant et en
bonne santé.
En effet, il est abondant et varié : 180 films ont été produits dans notre
pays en 1999, parmi lesquels on trouve aussi bien la
Jeanne d'Arc
de Luc
Besson que
Vénus beauté institut
de Tonie Marshall ou encore
La Vie
rêvée des anges
d'Erick Zonca, pour citer de jeunes réalisateurs. Outre les
quatre films présentés à Cannes en sélection officielle, quelque vingt autres
films sont présentés dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs et dans la
section « Un certain regard ».
Par ailleurs, depuis quelques années, nous assistons à la remontée de la
fréquentation en salle, ce qui est la seule véritable réponse du public. En
1999, c'est une fréquentation de 33 % qui répondait à l'offre de films
français.
Bien entendu, je mesure, comme vous, les défis auxquels est confronté
aujourd'hui le cinéma français.
Rappelons simplement que, tout au long de son histoire, le cinéma a su
s'adapter, et même s'enrichir, des défis technologiques, je pense à l'avènement
du parlant et à l'arrivée de la couleur. L'arrivée du numérique peut également
- je le pense et c'était le point de vue des professionnels à Cannes - être une
grande chance pour l'évolution économique, technique et même esthétique du
cinéma sur les plans. Il est vrai que nous devrons encadrer cette numérisation
sur le plan juridique pour qu'elle ne nuise pas, en particulier, aux droits
d'auteur.
Nous aurons aussi à nous préoccuper des risques de la concentration
financière, qui est considérable dans ce domaine. Je tiens à vous dire que nous
le ferons.
Aujourd'hui, mon souci est de prendre toutes les mesures susceptibles
d'appuyer ce qui a toujours été l'axe de la politique des pouvoirs publics,
notamment de notre gouvernement, à l'égard du cinéma, à savoir le soutien de la
diversité.
M. le président.
Merci de conclure, madame le ministre.
Mme Catherine Tasca,
ministre de la culture et de la communication.
S'agissant de la
production, nous le ferons par une révision des mécanismes d'aides.
S'agissant de l'exploitation - c'était votre dernière préoccupation, à
laquelle je tiens à répondre - j'ai réagi, vous le savez, au lancement de la
carte UGC. Nous devons, certes, répondre à l'appétit des publics, notamment des
jeunes, par des politiques tarifaires dynamiques ; mais nous devons aussi, et
je le ferai, soutenir l'existence d'un réseau diversifié, indépendant et
créatif de salles de diffusion du cinéma.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LA DOULEUR
ET DE DÉVELOPPEMENT DES SOINS PALLIATIFS
M. le président.
La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth.
Ma question s'adresse à Mme la secrétaire d'Etat à la santé... en attendant
que nous ayons un ministère de la santé à part entière.
(Mme le secrétaire
d'Etat sourit.)
Le 17 novembre 1994, un amendement au projet de loi portant diverses
dispositions d'ordre social, adopté à l'unanimité des deux assemblées, rendait
obligatoire, pour les établissements de santé et pour les acteurs du système de
santé, la prise en charge de la douleur des patients.
Le Sénat allait plus loin en affectant sur la réserve parlementaire 5 millions
de francs en investissement à l'intention des centres de référence modèles pour
la prise en charge de la douleur.
Dès l'année 1995, la charte du patient hospitalisé était mise en place ; les
articles 37 et 38 du code de déontologie étaient adaptés à la lutte contre la
douleur. De plus, étaient modifiées la formation initiale des médecins ainsi
que la délivrance des antalgiques majeurs.
Deux ans après son annonce, j'aimerais connaître, madame la secrétaire d'Etat,
le bilan d'application du plan de lutte contre la douleur défini par votre
prédécesseur, M. Bernard Kouchner.
Si je me félicite vivement de la suppression du carnet à souches, de la
diffusion de nouvelles formes pédiatriques d'antalgiques majeurs et de
l'établissement d'une liste nationale de structures de lutte contre la douleur,
je voudrais énumérer certains points qui m'apparaissent inquiétants.
Mille pompes à morphine avaient été promises : combien ont été distribuées ?
Qui les a financées ? Chacun connaît l'efficacité de ces pompes. Tous les
services des établissements hospitaliers devraient en être dotés.
La distribution des réglettes de mesure de la douleur a été laissée à la
charge des laboratoires pharmaceutiques. Si certains établissements de santé
ont été visités, d'autres n'ont encore reçu aucune réglette.
Pour l'ensemble du territoire, une trentaine de postes de praticiens
hospitaliers spécialisés dans la douleur, les « PH douleur », ont été créés, ce
qui est absolument insuffisant. Je crains d'ailleurs que l'on ne puisse
constater de progrès en la matière que si une enveloppe nationale dédiée à la
lutte contre la douleur est mise en place.
La formation médicale continue, la FMC, comme l'établissement d'un logiciel
pédagogique pour la FMC, sont au point mort.
Il serait regrettable, madame la secrétaire d'Etat, que les annonces
gouvernementales aient fait naître chez les patients des attentes qui, en
l'état, ne peuvent être actuellement satisfaites par notre système de soins.
Aussi, je voudrais connaître les mesures que vous allez prendre pour accélérer
la mise en oeuvre du plan de lutte contre la douleur.
(Applaudissements sur toutes les travées.)
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.
Monsieur le sénateur,
votre question me permet de revenir sur un sujet à propos duquel la politique
gouvernementale a été injustement mise en cause dans les colonnes d'un grand
quotidien national voilà peu de jours.
Comme vous le savez, puisque nous nous sommes souvent entretenus de ces
questions qui vous tiennent à coeur, s'il est un domaine de santé publique
vis-à-vis duquel la conviction, l'investissement et la vigilance du
Gouvernement ont été maintenus sans relâche de la part tant de Bernard Kouchner
que de moi-même, c'est bien celui de la lutte contre la douleur et du
développement des soins palliatifs, préoccupations certes différentes, mais qui
ont le même objectif, à savoir accompagner ceux qui souffrent et les soulager à
tout moment, notamment à la fin de leur existence.
Aujourd'hui, il est du devoir de toutes les équipes soignantes d'avoir
conscience de la douleur de leurs patients, de la rechercher systématiquement
pour la soulager efficacement. C'est une nouvelle culture, qui ne doit pas être
limitée à quelques professeurs d'université ou praticiens hospitaliers
spécialisés. Elle doit être diffusée, diffusion qui demande, bien sûr, un peu
de temps, mais qui fait, vous le savez, monsieur le sénateur, de plus en plus
d'adeptes, ce dont je me réjouis.
Je félicite les praticiens pour leur action, leur participation et leur
engagement durable sur cette nouvelle façon de pratiquer les soins dans notre
pays.
M. Jean Chérioux.
Il faut féliciter aussi M. Neuwirth !
Mme Dominique Gillot,
secrétaire d'Etat.
Je le fais volontiers.
A ma demande, le suivi du plan douleur fait l'objet d'une vigilance
particulièrement attentive de la part de mes services, en étroite concertation
avec les professionnels spécialistes de la question.
Un bilan de ce plan à mi-parcours et des perspectives pour sa poursuite sont
en cours de finalisation, comme vous me le demandez.
Monsieur le sénateur, vous m'avez devancée de quelques semaines :
pardonnez-moi de ne pas répondre précisément à vos interrogations aujourd'hui,
mais je m'exprimerai sur ce sujet à l'occasion de la date anniversaire de la
loi du 9 juin 1999 visant à développer et à garantir l'accès aux soins
palliatifs. Je ferai alors le point sur les deux plans du Gouvernement, celui
qui concerne la lutte contre la douleur et celui qui vise à développer les
soins palliatifs, auxquels vous êtes particulièrement attaché. J'espère que
vous répondrez à mon invitation pour être, ce jour-là, à mes côtés lors de
cette conférence de presse.
(Applaudissements.)
M. Jean Chérioux.
C'est la loi Neuwirth !
DOTATION GLOBALE DE FONCTIONNEMENT
M. le président.
La parole est à M. Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues,
ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.
Notre collègue Paul Girod, il y a un instant, comme notre collègue René Monory
lors de la précédente séance des questions d'actualité, voilà deux semaines,
l'ont très bien démontré : nous assistons invariablement, depuis plusieurs
mois, à une dangereuse et inacceptable remise en cause de l'autonomie
financière de nos collectivités locales ; je pense notamment à la réforme de la
taxe professionnelle, qui se retourne aujourd'hui contre les communes.
En effet, le taux d'indexation de la compensation financière versée par l'Etat
est tel que cette ressource essentielle pour nos collectivités augmente de zéro
pour cent en 2000. Demain, hélas ! il en sera sans doute de même pour la taxe
d'habitation !
Or, dans le même temps, comme le révèle le récent rapport de la Cour des
comptes, les dépenses de l'Etat ont augmenté en définitive de 2,7 % en 1999 et
la cagnotte fiscale s'est élevée à plus de 50 milliards de francs ! S'il faut
réduire les impôts, et nous en sommes évidemment d'accord, il ne faut pas pour
autant étrangler financièrement les collectivités locales. Il faut prendre
l'argent là où il se trouve, c'est-à-dire dans les caisses de l'Etat !
M. Jean Chérioux.
Dans la cagnotte !
M. Jean-Paul Amoudry.
Vous nous répondrez alors que, pour s'assurer des ressources convenables, les
communes doivent opter pour l'intercommunalité, profondément réformée voilà un
an. Mais force est de constater que le Gouvernement mène une politique de
gribouille. Quelle n'est pas la déception de très nombreux responsables
d'établissements publics de coopération intercommunale qui viennent de recevoir
la notification du niveau de DGF pour 2000 !
Nous savions que le coût des communautés d'agglomération avait été largement
sous-estimé. A cet égard, la ponction opérée sur la dotation de compensation de
la taxe professionnelle pour financer ces communautés est injustifiable et
dangereuse, comme l'a justement noté le comité des finances locales en février
dernier.
En recevant leur notification de DGF, l'ensemble des groupements communaux se
rendent compte à présent que le Gouvernement ne se donne pas les moyens de sa
politique.
Non, décidément, le Gouvernement ne peut pas faire durablement illusion, en
cassant les ressorts de nos collectivités territoriales ! Quand donc le
ministre tiendra-t-il ses engagements à l'égard des élus locaux et de leurs
administrés ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le sénateur, je voudrais, si vous le
permettez, redresser quelques inexactitudes dans votre propos. Je peux vous le
démontrer, la thèse que vous développez ne tient pas.
J'ai toujours été très attentif au respect des engagements pris envers les
collectivités locales. Il n'y a pas de remise en cause de l'autonomie
financière de ces collectivités. La réforme de la taxe professionnelle,
c'est-à-dire la suppression de la part salariale, a été bien accueillie, y
compris par les chefs d'entreprise. Elle fait l'objet d'une compensation
financière indérée sur la DGF.
S'agissant de la DGF forfaitaire de l'an 2000, dont vous me parlez
aujourd'hui, elle augmente de 0,8 % environ, augmentation qui tient en grande
partie à la régularisation négative opérée à partir de chiffres de croissance
qui, en 1999, se sont révélés moins élevés qu'il était initialement prévu. Ce
ne sera pas du tout le cas pour l'année à venir. En effet, l'évolution de la
DGF sera proche de 3 %, compte tenu de la croissance forte attendue.
Si nous prenons en considération une période plus longue, les cinq dernières
années connues, nous constatons que le produit de la DGF a progressé au même
rythme que la masse salariale. Il s'agit donc d'une compensation relativement
honnête.
Bien entendu, vous pouvez répondre à cela que la suppression de la part
régionale de taxe d'habitation donnera lieu à une compensation de même nature ;
mais mes arguments seront également de même nature.
Les collectivités locales sont donc pleinement associées aux bénéfices de la
croissance économique retrouvée et le seront également par le choix du
Gouvernement de faire bénéficier le contribuable local d'un certain nombre
d'allégements fiscaux.
Je ne pense donc pas que les élus locaux que vous êtes aussi, en général,
aient lieu de s'en désoler.
Pour répondre à votre argumentation sur les ressources de l'Etat, la
programmation budgétaire transmise à Bruxelles fait état d'une croissance des
dépenses des collectivités locales supérieure de quatre fois à ce que sera la
croissance prévue des dépenses de l'Etat : 4 % contre 1 %. Il est donc clair
que ce n'est pas l'austérité qui est programmée pour les collectivités locales,
au contraire !
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur le ministre !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Je conclus !
Je dirai que M. Amoudry a tort de penser que l'intercommunalité n'a jamais été
conçue comme une solution pour conforter les moyens de financement des
collectivités locales. Comme je l'ai dit tout à l'heure en répondant à M. Paul
Girod, l'Etat a fait le choix de consacrer une enveloppe exceptionnelle de 500
millions de francs par an et il a inscrit une dotation spécifique de 250
millions de francs. Il y a, bien sûr, un prélèvement sur la DCTP, à hauteur de
247 millions de francs,...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Oui !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
... mais je dirai que peu de collectivités le
supportent, compte tenu d'une certaine péréquation.
M. le président.
C'est fini, monsieur le ministre !
M. Henri de Raincourt.
Cela fait deux fois !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
J'ajoute que le comité des finances locales -
j'ai terminé, monsieur le président - chargé de répartir la DGF a acté que la
dotation par habitant de chacune des catégories d'EPCI suivrait la même
progression que celle de la dotation forfaitaire.
M. Henri de Raincourt.
Il ne va pas rester de temps à notre groupe !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
En 2000, on dénombre 169 groupements à fiscalité
propre, dont 51 communautés d'agglomération, de plus par rapport à 1999, pour
une population totale supplémentaire de 3,8 millions d'habitants.
On peut se réjouir, au contraire, que le financement de ces nouvelles
intercommunalités ait pu se faire dans des conditions remarquables,...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Ça ne se voit pas !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
... qui garantissent autant que possible les
ressources des collectivités locales,...
M. Henri de Raincourt.
Ce n'est pas sérieux, monsieur le président !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
... lesquelles auront augmenté de plus de 4
milliards de francs cette année du fait de la croissance de la DGF et de
l'abondement de la DSU et de la DSR que l'Etat a apporté.
(Applaudissements
sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Ladislas Poniatowski.
Cinq minutes de réponse !
COULÉES DE BOUE CONSÉCUTIVES AUX ORAGES
QUI SE SONT ABATTUS SUR LE DÉPARTEMENT
DE LA SEINE-MARITIME
M. le président.
Mes chers collègues, j'ai essayé de contenir les débordements en matière de
temps de parole, mais en vain. Aussi, la dernière question, celle de notre
collègue Charles Revet, sur les coulées de boues en Seine-Maritime, ainsi que
la réponse du Gouvernement ne bénéficieront pas de la retransmission par la
télévision. C'est très regrettable !
M. Henri de Raincourt.
C'est lamentable !
M. André Vezinhet.
Vous n'avez pas l'autorité de M. le président du Sénat !
M. le président.
La parole est à M. Revet.
M. Charles Revet.
Je le regrette d'autant plus qu'il s'agit vraiment d'une question
d'actualité.
Ma question a effectivement trait aux graves intempéries que subit
actuellement la Seine-Maritime, comme d'ailleurs plusieurs régions de
France.
Depuis la fin de la semaine dernière et cette nuit encore, nous sommes à
nouveau confrontés à des précipitations catastrophiques, qui n'ont
d'exceptionnelles que le qualificatif, puisqu'elles surviennent de plus en plus
régulièrement. Inutile de rappeler ce que nous avons tous, ou presque, vécu à
la fin de l'année 1999.
Ces intempéries ont eu des conséquences tragiques et catastrophiques :
tragiques, car nous avons eu à déplorer deux morts ces derniers jours ;
catastrophiques, pour les nombreuses familles sinistrées, sans oublier les
collectivités et les entreprises.
Le conseil général de la Seine-Maritime a pris, dès hier, des dispositions
pour apporter aux familles les plus démunies des aides d'urgence.
S'il n'est du pouvoir de personne de maîtriser les éléments déchaînés, force
est de constater que certains aménagements irréfléchis, auxquels s'ajoute
parfois une politique inadaptée, ont constitué des phénomènes aggravants.
La Normandie a la réputation d'être verte, et les prairies qui se trouvent
dans les vallées et les coteaux environnants en servent souvent
d'illustration.
Chacun connaît le pouvoir absorbant et filtrant de ce type de culture, qui
contribue à la protection de la nappe phréatique.
Bien entendu, il n'est pas dans mon esprit de considérer que ce que je vais
évoquer constitue la seule ou la principale cause des situations auxquelles
nous sommes confrontés. Mais des milliers d'hectares de prairie, compte tenu
des dispositions en vigueur, sont actuellement labourés et ensemencés en maïs
fourrage dans la mesure où celui-ci bénéficie de primes européennes alors que
la prairie ne peut y prétendre.
Ma question est double.
Quelles dispositions le Gouvernement entend-t-il prendre pour venir en aide
aux familles, aux collectivités et aux entreprises sinistrées ?
Le Gouvernement entend-il intervenir auprès de la Communauté européenne,
notamment mettre à profit notre prochaine présidence pour que les choix en
matière d'attribution des primes tiennent compte des conséquences
environnementales qui peuvent en découler ?
Le bon sens et la sagesse voudraient que la prairie puisse bénéficier des
mêmes aides que celles qui sont accordées aux autres types de culture, ce qui
permettrait, peut-être en utilisant les contrats territoriaux d'exploitation
comme outil, de traiter prioritairement les endroits stratégiques, qui
aujourd'hui sont bien répertoriés.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le sénateur, s'il
avait été présent à Paris, mon collègue Jean Glavany vous aurait répondu. En
son absence, c'est moi qui vais le faire.
Votre question porte sur deux points : les indemnisations et les conséquences
des cultures agricoles sur le sol et le ruissellement.
D'abord, je ferai remarquer que les drames vécus dans votre région n'ont pas
laissé insensible le Gouvernement. Hier, malgré le conseil des ministres, M.
Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, s'est
rendu lui-même sur place, dans cette région qui est également la sienne.
Je suis tout à fait conscient des difficultés liées aux intempéries que vient
de subir la Seine-Maritime, et le Gouvernement, à l'instar, j'imagine, de la
Haute Assemblée tout entière, tient à exprimer sa solidarité aux personnes
durement touchées et aux familles des victimes.
Bien évidemment, si l'ampleur des conséquences de ces intempéries le justifie,
l'Etat prendra toutes les mesures nécessaires, y compris en ce qui concerne
l'éligibilité au régime des catastrophes naturelles.
Le Gouvernement a démontré au cours de ces derniers mois, à la suite des
tempêtes de l'hiver et de l'automne derniers, qu'il prenait rapidement les
mesures adéquates, et vous savez que le Premier ministre s'attache à ce que ces
décisions soient suivies d'effet. Ce point sera d'ailleurs l'un des objets de
la réunion interministérielle qui se tiendra demain à Matignon.
Je rappelle toutefois qu'il n'appartient pas à la solidarité nationale de se
substituer aux assurances.
En ce qui concerne le ruissellement et ses conséquences pour l'agriculture, il
est vrai que la Seine-Maritime est régulièrement soumise à des précipitations
particulièrement abondantes qui, sur des sols limoneux, peuvent entraîner des
glissements de terrain.
La fixation de prix garantis élevés pour les céréales a favorisé leur mise en
culture. Mais la réforme de la politique agricole commune a permis d'enrayer ce
phénomène, puisque l'éligibilité aux aides communautaires est conditionnée par
le fait que les terres concernées portaient des cultures arables au 31 décembre
1991.
Au-delà du maïs, ce sont toutes les cultures de printemps, pommes de terre ou
betteraves sucrières notamment, qui sont concernées par ce phénomène.
Les contrats territoriaux d'exploitation, pierre angulaire de la loi
d'orientation agricole, constituent l'outil idéal pour favoriser la
modification de certaines pratiques culturales, en incitant à l'enherbement des
parcelles, à la création de haies ou à l'implantation de mares.
L'agriculture n'est pas seule en cause ; l'urbanisation, qui a pour effet
d'imperméabiliser les sols, contribue également, en l'absence de dispositifs
d'évacuation des eaux, à aggraver ces phénomènes d'érosion. L'Etat, au travers
des contrats de plan Etat-région et des documents uniques de programmation des
fonds structurels, a mobilisé un montant significatif de crédits hydrauliques
pour lutter contre ces phénomènes de ruissellement.
Tels sont, monsieur le sénateur, les éléments de réponse que je suis en mesure
d'apporter à votre question.
M. Henri de Raincourt.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt.
Monsieur le président, je voudrais, au nom de mon groupe, faire un rappel au
règlement et déplorer que, pour la deuxième fois consécutive au cours d'une
séance de questions d'actualité, en raison d'interventions trop longues, la
question de l'un de nos collègues et la réponse correspondante n'aient pas pu
être retransmises par la télévision. C'est inacceptable !
Je souhaite ardemment que cette remarque soit portée à la connaissance de M.
le président du Sénat et qu'une réflexion soit conduite rapidement pour que de
tels errements ne se reproduisent pas.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il faut supprimer la onzième question !
M. Henri de Raincourt.
Il y a sûrement une solution pour mettre un terme à cet état de chose. En tout
cas, on ne peut pas continuer à travailler de la sorte, en créant, à chaque
séance de questions d'actualité, un sentiment de frustration chez certains de
nos collègues.
En l'occurrence, il était difficile de contester le caractère d'actualité de
la question de Charles Revet.
Monsieur le président, ma remarque est sérieuse. Elle doit être prise en
considération et ne pas être considérée comme une simple clause de style.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
L'expérience démontre qu'il est systématiquement impossible de retransmettre
la onzième question : selon les statistiques dont nous disposons, sur les huit
dernières séances de questions d'actualité au Gouvernement, une seule a permis
la retransmission des onze questions.
Il serait donc, selon moi, raisonnable de proposer à M. le président du Sénat
de ne retenir que dix questions d'actualité. En tout cas, c'est la suggestion
que, personnellement, je lui adresserai, ainsi qu'à la conférence des
présidents.
M. Ladislas Poniatowski.
Avec dix, ce sera pareil !
M. le président.
Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures
vingt-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
4
CHAMBRES RÉGIONALES DES COMPTES
Adoption des conclusions modifiées
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 325,
1999-2000) de M. Jean-Paul Amoudry, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale sur la proposition de loi (n° 84, 1999-2000) de MM.
Jacques Oudin, Jean-Paul Amoudry, Philippe Marini, Patrice Gélard, Joël
Bourdin, Paul Girod et Yann Gaillard tendant à réformer les conditions
d'exercice des compétences locales et les procédures applicables devant les
chambres régionales des comptes.
Avis (n° 334, 1999-2000) de M. Jacques Oudin.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
« Le temps
mûrit toute chose ; le temps est père de vérité. » Cette réflexion de Rabelais,
qui savait, lui aussi, donner du temps au temps, illustre parfaitement,
monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
méthode retenue pour l'élaboration de la présente proposition de loi, dont
l'objet principal est de rénover les modalités d'exercice de l'examen, par les
chambres régionales des comptes, de la gestion des collectivités locales.
En effet, loin d'être un texte de circonstance, ou d'humeur, cette proposition
de loi est le produit d'une réflexion approfondie et sereine, en même temps que
le fruit d'un travail patient et volontaire.
J'aurai même la faiblesse de penser que la procédure retenue pour
l'élaboration de cette proposition de loi, avec ses aller et retour entre la
réflexion, la consultation et la concertation, est un exemple achevé de la
méthode sénatoriale.
Qu'on en juge ! C'est dans la proposition de loi déposée voilà plus de trois
ans, en février 1997 par nos collègues Patrice Gélard et Jean-Patrick Courtois
que le présent texte trouve son origine.
L'objet de cette proposition de loi, qui consistait à exclure de l'examen de
la gestion d'une collectivité locale par une chambre régionale des comptes «
les choix de gestion qui résultent des délibérations prises par l'assemblée
délibérante de cette collectivité », portait la marque d'un contexte de
défiance à l'égard de certaines attitudes des juridictions financières dans la
mise en oeuvre de l'examen de la gestion des collectivités locales.
Deux types de griefs étaient alors, déjà, formulés par les élus locaux. Ils
demeurent d'actualité.
En premier lieu, nombre d'élus déplorent l'absence d'articulation entre le
contrôle de légalité mis en oeuvre par les préfets et l'examen de la gestion
des collectivités locales opéré par les chambres régionales des comptes. Cette
lacune constitue, à l'évidence, un facteur d'insécurité juridique pour les élus
locaux.
En second lieu, des responsables locaux contestent certaines pratiques des
chambres régionales des comptes. Ce reproche vise, tout d'abord, la
médiatisation excessive dont font parfois l'objet les lettres d'observations
provisoires, alors même qu'elles peuvent être démenties dans la suite de la
procédure, sans que le démenti en question bénéficie pour autant d'une
publicité comparable.
Par ailleurs, les élus locaux contestent, à juste titre, l'absence, encore
trop fréquente, de hiérarchisation des observations formulées par les chambres
régionales des comptes sur la gestion des collectivités. Tout se passe comme si
les juridictions financières ne mettaient l'accent que sur les seuls points
négatifs sans les resituer dans l'ensemble de la gestion des collectivités. De
fait, les chambres régionales des comptes, qui n'ont aucune obligation de
dresser un bilan objectif de la gestion locale, s'interdisent le plus souvent
de le faire.
Enfin, de nombreuses voix s'élèvent contre une dérive, réelle ou supposée,
vers un contrôle de l'opportunité des choix politiques - au sens noble du terme
- effectués par la collectivité locale.
Tel est le contexte de malaise qui a présidé à la prise de conscience par
notre assemblée du « vécu », parfois conflictuel, de l'exercice du contrôle de
gestion.
Afin de restituer toute sa sérénité à ce débat essentiel pour l'avenir de la
décentralisation, le président Christian Poncelet, à l'époque président de la
commission des finances, et M. Jacques Larché, président de la commission des
lois, ont proposé à leurs commissions respectives, qui les ont suivis, de créer
un groupe de travail commun aux deux commissions.
Pendant près d'un an, d'avril 1997 à mars 1998, le groupe de travail que
j'avais l'honneur de présider et dont le rapporteur était notre excellent
collègue Jacques Oudin a procédé à l'audition de tous les acteurs du contrôle
financier : M. le Premier président et Mme le procureur général près la Cour
des comptes, les représentants des juridictions financières, les associations
d'élus locaux, les représentants du corps préfectoral, les comptables publics,
les avocats spécialisés dans le conseil aux collectivités locales et, enfin,
les représentants des fonctionnaires territoriaux.
Ce travail d'information, de consultation et de concertation a débouché sur la
rédaction d'un rapport d'information, dont les préconisations ont été adoptées,
à l'unanimité, par les deux commissions, en juin 1998.
Aujourd'hui, nous débattons des recommandations d'ordre législatif de ce
rapport d'information, dont la présente proposition représente la traduction
fidèle.
Cette proposition de loi n'est donc pas le fruit de l'improvisation ou de la
précipitation.
Elle ne marque pas, non plus, un recul par rapport aux principes fondateurs de
la décentralisation.
Elle n'est pas davantage dictée par une quelconque tentation d'affranchir les
collectivités locales du contrôle des chambres régionales des comptes.
Bien au contraire, les membres du groupe de travail et les auteurs de la
présente proposition de loi sont profondément convaincus de la nécessité d'un
contrôle
a posteriori
des actes des collectivités locales.
Ils rappellent que ce contrôle, qui s'inscrit dans le droit-fil de l'article
XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, aux
termes duquel la société « a le droit de demander compte à tout Agent public de
son administration », constitue l'un des piliers les plus anciens et les plus
fondamentaux de notre démocratie.
En outre, les auteurs de la proposition de loi considèrent que le renforcement
de l'autonomie et des responsabilités des collectivités locales, qui sont
devenues - grâce à la décentralisation - des acteurs majeurs de la vie
économique et sociale de notre pays, trouve sa contrepartie naturelle et
légitime dans l'instauration du contrôle financier.
Pour nous, ce contrôle, qui participe d'une mission de régulation de la
décentralisation, constitue un indéniable facteur de transparence de la gestion
publique locale.
Trêve de faux procès ! Trêve de procès d'intention ! Le contrôle financier,
incontestable et incontesté dans son principe, n'en demeure pas moins
perfectible dans ses modalités d'exercice. Tel est précisément l'objet de la
présente proposition de loi : il s'agit de normaliser les relations entre les
élus locaux et les chambres régionales des comptes, afin de conférer au
contrôle financier toute sa légitimité démocratique et, partant, toute son
efficacité au service de la transparence de la gestion publique locale.
C'est dans cet esprit, et avec le souci de renforcer la sécurité juridique des
actes des collectivités locales, que le groupe de travail avait envisagé de
compléter les compétences actuelles des chambres régionales des comptes par une
mission de conseil aux collectivités locales, mais cette idée, séduisante, dont
la concrétisation aurait pu modifier de manière durable et bénéfique le climat
des relations entre les élus locaux et les chambres régionales des comptes, est
apparue comme une fausse bonne idée.
Son application se serait en effet heurtée à des obstacles humains, en raison
des effectifs actuels de magistrats des chambres régionales des comptes, et à
des objections juridiques issues de l'impossibilité d'être à la fois « juge et
partie ».
Les auteurs de la proposition de loi ont donc imaginé une solution de repli
qui aurait pu consister à confier cette mission de conseil à un groupement pour
l'aide à la gestion des collectivités territoriales, constitué sous la forme
d'un groupement d'intérêt public. Cependant, la commission des lois, qui s'est
émue, à juste titre, du risque de création d'une « structure lourde et à
l'efficacité douteuse », a préféré retirer cet article des conclusions qu'elle
nous soumet.
Le problème de l'amélioration de l'information de nos collectivités, afin de
faire reculer l'insécurité juridique, demeure donc entier et conserve toute son
acuité.
Il me semble que le Sénat serait fidèle à son « bonus constitutionnel » de
représentant des collectivités territoriales de la République s'il apportait,
dans le cadre des travaux de sa mission d'information sur la décentralisation,
une solution satisfaisante à ce lancinant problème.
En définitive, les conclusions de la commission des lois sont animées par une
double volonté : d'une part, rénover les conditions d'exercice de l'examen de
la gestion des collectivités locales ; d'autre part, renforcer les garanties
dont doit bénéficier la collectivité contrôlée.
L'objectif de rénovation des conditions d'exercice du contrôle financier se
traduit principalement par une définition législative de l'objet et du contenu
de l'examen de la gestion d'une collectivité locale.
C'est ainsi que l'article 1er du texte soumis à notre appréciation édicte un «
code du bon usage » de l'examen de gestion. Il précise que l'examen de la
gestion porte, d'abord et principalement, sur la régularité de cette gestion,
c'est-à-dire sur la conformité des actes examinés aux lois et règlements en
vigueur.
Cet examen peut également porter sur la qualité de la gestion, c'est-à-dire
sur l'économie des moyens mis en oeuvre par rapport aux objectifs fixés, mais
sans que ces objectifs, dont la définition relève de la responsabilité
exclusive des élus, puissent eux-mêmes faire l'objet d'observations ou
d'appréciations.
Cette précision législative, qui constitue une sorte de garde-fou légal,
devrait permettre de prévenir tout risque de dérive vers un contrôle
d'opportunité, inconciliable avec les principes démocratiques de libre
administration des collectivités locales, réaffirmés par les lois fondamentales
de 1982.
Par ailleurs, l'article 1er prévoit que les lettres d'observations définitives
doivent prendre en compte les résultats de la procédure contradictoire avec
l'ordonnateur concerné.
Enfin, les observations définitives formulées par les chambres régionales des
comptes devront être replacées dans l'ensemble de la gestion examinée.
Autrement dit, elles devront être hiérarchisées. C'est à cette condition
qu'elles pourront remplir une utile mission d'aide à la gestion.
Second objectif de la proposition de loi, il s'agit de renforcer les garanties
dont bénéficie la collectivité contrôlée.
Plusieurs des mesures qui vous sont proposées témoignent de cette volonté. Il
en est ainsi de l'extension aux chambres régionales des comptes du régime de
non-communication des documents préparatoires, d'ores et déjà en vigueur pour
les documents préparatoires d'instruction de la Cour des comptes, ou de
l'institution, à l'approche des élections locales, d'une période de neutralité
de six mois, se traduisant par une suspension de l'envoi et de la publication
des lettres d'observations définitives, ou encore de l'affirmation du caractère
contradictoire de la procédure.
Toutes ces avancées répondent, à l'évidence, à un besoin exprimé par les élus
locaux, comme en témoignent les adjonctions opérées par nos collègues députés
lors de l'examen du projet de loi relatif au statut des magistrats
financiers.
Mais la pièce maîtresse du dispositif proposé par le présent texte est, sans
contexte, l'ouverture aux collectivités locales de la faculté de déférer au
Conseil d'Etat les lettres d'observations définitives, par la voie du recours
pour excès de pouvoir. Pour aboutir à ce résultat, la proposition de loi
reconnaît aux lettres d'observations définitives le caractère d'actes «
susceptibles de faire grief ».
Cette qualification juridique mettrait fin à un vide juridique ou
juridictionnel puisque, actuellement, les lettres d'observations définitives ne
constituent ni des décisions juridictionnelles ni des décisions
administratives. Une telle situation, qui assimile les lettres d'observations
définitives à de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours,
est choquante au regard des impératifs de l'Etat de droit, notamment le respect
des droits de la défense.
Par ailleurs, il est loisible d'estimer que, si les lettres d'observations
définitives ne modifient pas immédiatement la situation juridique des personnes
physiques ou morales concernées, elles emportent néanmoins des effets
incontestables sur les conditions d'exercice de leurs mandats par les
ordonnateurs, sur le déroulement des travaux de l'assemblée délibérante ou
encore sur les tiers.
En outre, la qualification reconnue dans la proposition de loi parachève une
évolution caractérisée, en premier lieu, par un délin inexorable, et
souhaitable, des actes insusceptibles de recours et, en second lieu, par une
publicité croissante des lettres d'observations définitives qui, depuis
l'intervention des lois de 1990 et de 1995, doivent être communiquées à
l'assemblée délibérante et aux tiers.
C'est précisément cette « externalisation » croissante des observations
définitives, induite par une publicité sans cesse plus large, qui a rendu
impossible le maintien de la fiction de leur caractère de simples mesures
d'ordre intérieur.
En outre, la matière se caractérise par une nouvelle approche du Conseil
d'Etat, comme en témoigne l'arrêt Société Métal Labor, du 22 février 2000.
En l'espèce, le Conseil d'Etat a annulé une décision juridictionnelle de la
Cour des comptes au motif que l'affaire avait été précédemment évoquée dans le
rapport public, dans lequel l'irrégularité des faits avait été relevée. Ce
faisant, le Conseil d'Etat a reconnu que le rapport public de la Cour des
comptes, auquel peuvent être assimilées les lettres d'observations définitives,
n'était pas dépourvu de portée juridique.
Enfin, l'argument invoqué par certains selon lequel l'octroi aux lettres
d'observations définitives de la qualité d'actes susceptibles de faire grief
serait incompatible avec le principe de la libre administration des
collectivités locales, ne me paraît ni déterminant ni convaincant.
L'anomalie au regard de l'autonomie locale semble constituée moins par cette
qualification que par la situation actuelle, caractérisée par l'impossibilité,
pour les collectivités locales, de faire valoir leur défense.
Dois-je enfin préciser que l'appel devant le Conseil d'Etat n'est pas
suspensif ?
Pour être exhaustif, il m'appartient de mentionner également les dispositions
qui modifient plusieurs articles du code électoral pour remplacer la démission
d'office de l'ordonnateur reconnu comptable de fait par une procédure de
suspension des fonctions de l'ordonnateur jusqu'à l'apurement de la situation
de gestion de fait. Cette mesure tire les conséquences d'une jurisprudence du
Conseil constitutionnel établie le 15 mars 1999.
Telles sont, monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, l'économie et les principales orientations de la proposition de loi
que nous avons l'honneur, Jacques Oudin et moi-même, de rapporter devant
vous.
Comme nous espérons vous en convaincre tout au long de la discussion à venir,
le texte soumis à votre appréciation prévoit un dispositif mesuré et équilibré
qui devrait nous permettre d'aboutir au progrès recherché, c'est-à-dire à
rendre le contrôle financier et l'examen de la gestion plus légitimes aux yeux
des élus locaux et plus utiles à la gestion locale.
Il s'agit, au-delà du contrôle
stricto sensu,
de développer un
dialogue constructif entre les chambres régionales des comptes et les élus
locaux, ainsi que de favoriser l'émergence d'une culture de l'évaluation de
l'action publique locale.
A mon sens, c'est à ce prix que la décentralisation et la démocratie locale
pourront réaliser les nouvelles avancées qu'attend la société française au
seuil du xxie siècle.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la séance de cet après-midi, comme
vient de le rappeler notre collègue Jean-Paul Amoudry, constitue
l'aboutissement de trois années de partenariat étroit entre les deux
commissions des lois et des finances, trois années pendant lesquelles, au nom
de nos deux commissions, nous avons essayé de faire avancer le dossier des
chambres régionales des comptes.
C'est peut-être le moment de rappeler que la Haute Assemblée a toujours été
favorable à la plus grande clarté des comptes à tous les échelons, quels qu'ils
soient.
J'aurai l'occasion de le redire, c'est dans cet hémicycle que des amendements
ou des projets de loi ont été débattus, de façon que la Cour des comptes et
l'ensemble des juridictions financières puissent jouer pleinement leur rôle
dans tous les aspects de la vie publique.
Si la Cour des comptes a le rôle qu'elle a aujourd'hui dans l'examen des
comptes sociaux, si les comptes des collectivités locales peuvent être mieux
examinés grâce à une comptabilité plus claire, l'apport de la Haute Assemblée
aura été, à cet égard, tout à fait déterminant. Je tenais à le dire, parce que
personne ne pourra accuser le Sénat d'avoir mis la moindre entrave, jamais, en
quoi que ce soit, à l'exercice du contrôle financier dans tous les domaines.
Permettez-moi de revenir un peu en arrière pour rappeler l'historique de cette
initiative. Tout a commencé en 1997, quand les présidents respectifs des
commissions des lois et des finances, à l'époque MM. Jacques Larché et
Christian Poncelet, ont considéré que le renforcement du contrôle financier des
collectivités locales constituait - c'est toujours vrai - le corollaire
indispensable de l'approfondissement de la décentralisation, qu'il fallait
aller dans le sens d'un meilleur contrôle pour une meilleure décentralisation,
mais que les relations avec les chambres régionales des comptes et des élus
locaux ne présentaient pas toujours le degré de sérénité souhaitable.
Les deux présidents ont alors décidé la création de ce groupe de travail
commun sur les chambres régionales des comptes qu'a présidé M. Amoudry et dont
j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur. Nous avons rendu notre rapport en juin
1998. A l'évidence, le Sénat a pris un train de sénateurs pour nourrir sa
réflexion !
(Sourires.)
Nos conclusions ont servi de fondement à l'élaboration de la présente
proposition de loi, qui n'a été déposée que plusieurs mois plus tard, à l'issue
de nouvelles réflexions. Vous constaterez que, bien qu'elle ait été signée par
les membres du groupe de travail appartenant à la majorité sénatoriale, elle
suscite toutefois des remarques convergentes de la plupart des sensibilités
représentées dans cet hémicycle.
Aujourd'hui, le rapport du groupe de travail est devenu un document de
référence et, avant même d'être introduites dans notre droit, ses conclusions,
reprises dans la proposition de loi, ont déjà fait oeuvre utile.
Elles ont permis, en effet, d'engager un vaste débat, et j'entends par là un
échange rationnel et serein, et non les invectives que nous avons les uns et
les autres pu lire dans certains organes d'information ou à la suite de
certaines conférences de presse.
M. Michel Charasse.
Scandaleux !
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Je vous laisse la paternité de ce qualificatif, mon
cher collègue !
M. Michel Charasse.
Il va directement dans le sens de ce que vous venez de dire !
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Absolument !
Ces propositions ont donc permis d'engager un vaste débat, dont le principal
enseignement est la nécessité, désormais reconnue par tous, de remettre en
cause le
statu quo.
Il y a quelques mois encore, la simple évocation
d'une modification des règles applicables aux chambres régionales des comptes
pouvait être assimilée à une volonté de museler les juges.
Je suis persuadé que, d'ores et déjà, il n'est plus personne pour le penser,
et que ce sera d'autant plus vrai à l'issue de nos débats.
Au-delà d'un constat partagé, les différentes parties prenantes du débat ont
évolué.
La Cour des comptes, d'abord, et je me permets de saluer la présence de son
Premier président dans notre tribune officielle. Dès juillet 1997, c'est-à-dire
quatre mois après le début des réflexions de notre groupe de travail, elle
adressait aux magistrats des chambres un « texte de référence », véritable
charte de déontologie fondée sur des principes proches de ceux que le groupe de
travail allait retenir. C'est donc bien que nous allions dans le sens d'une
amélioration de l'organisation et de meilleures procédures.
Le Gouvernement, ensuite, qui a décidé, un peu sous la pression des magistrats
des chambres,...
M. Michel Charasse.
« Pression » quel vilain mot !
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
... lesquels avaient déclenché un important
mouvement de grève en 1999, de suivre une recommandation formulée à plusieurs
reprises par des rapports sénatoriaux et de mettre en adéquation le statut des
magistrats des chambres régionales des comptes avec les responsabilités qu'ils
exercent.
Cette demande d'alignement des deux statuts nous paraissait d'une telle
évidence que nous nous étonnions que cela n'ait pas été fait plus tôt. Un
projet de loi, actuellement en navette, prévoit d'harmoniser leur statut sur
celui des magistrats de tribunaux administratifs ; c'est le moins que l'on
pouvait faire.
Les députés, enfin, car, à l'occasion de l'examen du projet de loi sur le
statut des magistrats, ils ont également repris à leur compte une proposition
du Sénat en adoptant un amendement prévoyant que les lettres d'observations
définitives, à l'image des rapports de la Cour des comptes, devront être
publiées avec les réponses des personnes contrôlées.
Au sein même de notre assemblée, à l'occasion de la discussion du projet de
loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes, le groupe socialiste a déposé des amendements relatifs au régime de
la gestion de fait et aux conditions de l'examen de la gestion des
collectivités par les chambres régionales.
L'ensemble de ces initiatives montre que le chantier ouvert par les travaux du
groupe de travail de notre commission des lois et de notre commission des
finances méritait non seulement d'être entrepris, mais aussi mené à son terme.
Je suis persuadé que le Gouvernement en est pleinement conscient.
Dès lors, il paraît logique qu'il appartienne au Sénat, puisque celui-ci a
ouvert le débat, d'apporter des réponses globales et cohérentes aux questions
qu'il a conduit les uns et les autres à se poser, afin de permettre au contrôle
financier des collectivités locales de s'exercer dans les meilleures conditions
possibles et, surtout, dans le respect des grands principes du droit.
A ce stade, je tiens à rappeler que le Sénat est traditionnellement en pointe
s'agissant du contrôle et de la transparence des comptes publics. En tant que
rapporteur pour avis des crédits de la sécurité sociale, j'avais déposé un
amendement à la loi du 24 juillet 1994 sans lequel la Cour des comptes ne
réaliserait pas chaque année son rapport sur la loi de financement de la
sécurité sociale. Cela a été une grande avancée. C'est d'ailleurs l'époque où
j'avais également déposé une proposition de loi de réforme constitutionnelle
introduisant le Parlement dans le débat social, ce qui me paraissait être une
évidence.
Plus récemment, les initiatives de la commission des finances ont conduit
l'Etat à modifier la présentation de son budget, notamment en rebudgétisant des
dépenses qui en avaient été extraites. Je parle bien entendu des dépenses
sociales.
Il ne m'appartient pas, en tant que rapporteur pour avis, de me livrer à une
présentation détaillée du texte que nous examinons aujourd'hui, d'autant qu'il
a été excellemment exposé par M. Amoudry. J'insisterai simplement sur deux
points.
Ma première remarque est la suivante : cette proposition de loi comporte un
ensemble de mesures à la fois cohérent et mesuré, ce qui est d'ailleurs le
propre des travaux du Sénat.
Cohérent, parce que les difficultés rencontrées par les uns et par les autres
sont abordées et traitées en prenant en compte l'ensemble des points de
vues.
Tout d'abord, il faut prendre en compte le point de vue des élus locaux, qui
sont à la recherche d'une plus grande sécurité juridique de leurs actes. Dans
ce but, la proposition de loi prévoit d'utiliser la grande connaissance du
terrain des magistrats financiers et de leur conférer un « droit d'alerte »,
lorsqu'ils constateraient que certaines règles rencontrent des difficultés
d'application. J'ai l'habitude de dire que les mauvaises lois et les mauvais
règlements font les mauvais contrôles. Si vous voulez de bons contrôles, il est
préférable de savoir sur quels textes on s'appuie. D'ailleurs, nous avons
proposé que toute observation d'une chambre régionale des comptes fasse
référence au texte qui aurait été méconnu, ce qui implique, de la part des uns
et des autres, d'améliorer lesdits textes.
Ensuite, il convient de prendre en compte le point de vue des magistrats
financiers, qui doivent pouvoir travailler dans des conditions normales,
c'est-à-dire dans un cadre bien défini et sans surcharge excessive. Dans cette
optique, la proposition de loi prévoit notamment de définir le contenu de
l'examen de la gestion, de manière à permettre aux magistrats de savoir
exactement jusqu'où ils peuvent aller sans encourir le reproche de contrôler
l'opportunité des choix des élus locaux. Je pense - nous le verrons lors de
l'examen des articles - que nous sommes parvenus à un bon équilibre. Je
souhaite que le Gouvernement en soit également persuadé.
La propositon de loi prévoit également, en matière de jugement des comptes, de
revoir le seuil de partage entre l'apurement administratif et la compétence des
chambres, afin que les chambres régionales des comptes ne soient plus engorgées
par le contrôle de « petits » comptes qui les détournent de leurs missions
qualitatives, et même des comptes des associations foncières ; il me paraît
nécessaire que la loi règle ce problème.
Enfin, il importe de prendre en compte le point de vue des personnes
contrôlées, dont les droits doivent être garantis - et c'est tout à fait
essentiel ; ce n'est pas parce que vous êtes un élu et que vous êtes soumis à
un contrôle que vous n'avez plus de droits - à toutes les étapes de la
procédure, conformément aux grands principes de notre droit. En conséquence, il
est proposé de renforcer le respect des règles de procédure en faisant
intervenir le commissaire du Gouvernement, la mission permanente d'inspection
des chambres, le parquet de la Cour des comptes, de façon à renforcer le
caractère contradictoire des procédures en ouvrant la possibilité de demander
une nouvelle délibération aux chambres et de demander l'annulation des
observations définitives par la voie d'un recours pour excès de pouvoir devant
le Conseil d'Etat. Je sais que cette phrase est une phrase qui fâche, mais
j'espère que les débats parlementaires et la navette permettront de trouver le
juste milieu.
Il est également prévu de faire en sorte que les travaux des chambres ne
puissent pas faire l'objet d'utilisations médiatiques ou politiques abusives -
je dois faire plaisir à notre collègue Michel Charasse en disant cela - en
renforçant la confidentialité des documents provisoires, en soumettant les
chambres à un délai de « neutralité » de six mois avant une élection et en
aménageant les règles d'inéligibilité en cas de gestion de fait, de manière à
éviter que les magistrats financiers ne deviennent également juges du mandat,
ce qu'ils ne souhaitent d'ailleurs pas.
Cohérent, le dispositif proposé est également mesuré, car, à l'exception d'une
ou deux questions de fond telles que le contenu de l'examen de la gestion et la
possibilité de recours pour excès de pouvoir, que j'évoquais voilà un instant,
ce sont surtout des mesures techniques, demandées ou préconisées par diverses
personnes que nous avons entendues, qui nous sont aujourd'hui soumises.
Par exemple, l'aménagement du régime de la gestion de fait est ardemment
souhaité par les magistrats, qui, aujourd'hui, hésitent à déclarer certains
élus comptables de fait car cela reviendrait à rendre inéligibles des personnes
qui n'ont manifestement rien commis de véritablement répréhensible. Je crois
d'ailleurs que cette question de la gestion de fait sera examinée à travers des
amendements qui n'émanent ni du groupe de travail ni des commissions, mais qui
sont fondés et dignes d'intérêt.
Au total, il s'agit bien d'un texte qui a pour objet d'améliorer les
conditions dans lesquelles s'effectue le contrôle financier des collectivités
locales, sachant que, à notre époque, les attentes des citoyens en matière de
contrôle de la dépense publique se font de plus en plus fortes. Encore faut-il
que ce contrôle s'exerce dans des conditions de parfaite clarté et en toute
rigueur.
Ce constat me conduit à ma seconde remarque.
Les observations des magistrats sur la gestion des collectivités locales
reflètent dans bien des cas moins une mauvaise gestion qu'une difficulté à
appliquer une réglementation complexe et incertaine. Je pense que, en
l'occurrence, la présence du ministre de l'intérieur dans cette enceinte
n'aurait pas été tout à fait inutile.
Quoi que l'on dise ou que l'on fasse, il y aura toujours des gens pour
considérer que les élus veulent réformer le fonctionnement des chambres
régionales des comptes dans le dessein de « museler » les juges. J'ai fait
justice de cette affirmation totalement infondée.
Pourtant, force est de constater que, en matière de gestion financière, les
collectivités locales n'ont pas à rougir de leur bilan, surtout lorsqu'on le
compare à celui de l'Etat. Sans vouloir polémiquer, madame le secrétaire
d'Etat, je tiens à attirer votre attention sur les quelques chiffres qui
suivent.
En premier lieu, les investissements des collectivités locales sont en,
pourcentage du produit intérieur brut, quatre fois supérieurs à ceux de
l'Etat.
En deuxième lieu, les collectivités locales se désendettent depuis 1997.
Depuis 1980, la part des collectivités locales dans l'endettement public total
est ainsi passée de 26 % à 12 %.
En troisième lieu, les collectivités locales maîtrisent leurs dépenses de
fonctionnement, malgré l'effet des décisions prises par l'Etat en matière de
rémunération des agents et de normes techniques.
En quatrième lieu, les collectivités locales maîtrisent leurs prélèvements
obligatoires. Pour 1999, la Cour des comptes relève que la fiscalité locale a
baissé de 0,2 point de PIB, alors que la fiscalité de l'Etat a augmenté de 1,2
point de PIB.
En cinquième lieu, les collectivités locales dégagent un excédent budgétaire,
alors que l'Etat a encore un déficit important. Faut-il rappeler que, sans
l'excédent des collectivités locales, la France n'aurait pas rempli les
critères de convergence nécessaires pour la participation à l'euro ?
En sixième lieu, il convient de rappeler que les collectivités locales sont
soumises à des règles comptables strictes, qui contrastent avec les facilités
que l'Etat s'autorise, comme le remarque encore une fois la Cour des comptes
dans son rapport préliminaire sur l'exécution des lois de finances de 1999.
Ainsi, les collectivités locales n'ont pas le droit de financer des dépenses
de fonctionnement par l'emprunt - c'est une bonne chose et, généralement, elles
respectent cette règle - alors que la loi de finances initiale pour 2000
affichait encore un solde primaire négatif de près de 50 milliards de
francs.
Dans l'ensemble, les collectivités locales sont donc bien gérées. Certes, il y
a toujours des exceptions. Lorsqu'elles ne sont pas bien gérées, les chambres
régionales des comptes sont là pour en tirer les conséquences. Nous notons
d'ailleurs, d'année en année, des améliorations substantielles.
En revanche, les collectivités, notamment les plus petites, sont largement
démunies face au caractère complexe et incertain de la réglementation qu'elles
doivent appliquer. Le nombre de normes augmente sans cesse, par sédimentation
plutôt que dans le cadre d'un ensemble cohérent. Il en résulte la conjonction
d'une complexité accrue et de la persistance de « trous » dans la
réglementation. L'instruction comptable M 14 constitue un bon exemple de
complexité, surtout lorsque l'on sait que, deux ans après sa mise en
application, le comité des finances a changé la nomenclature une fois de plus,
ce qui est tout de même un paradoxe.
L'incapacité des élus à manipuler la M 14 expliquerait, selon certains,
l'augmentation des budgets votés hors délais constatée par les chambres
régionales des comptes. S'agissant des « trous » dans la réglementation, ils
sont progressivement comblés par l'adoption d'amendements à l'occasion de tel
ou tel texte ou par la jurisprudence, ce qui permet de résoudre des problèmes
spécifiques mais n'améliore pas nécessairement la cohérence de l'ensemble.
Les magistrats des chambres régionales des comptes, comme les élus locaux,
vivent quotidiennement ces difficultés. Ils sont, si je puis dire, « dans le
même bateau ». Leurs intérêts sont largement communs pour élaborer ensemble un
corps de doctrine, un corps de contrôle de la gestion qui donne confiance et
soit productif. On peut faire du bon contrôle de la gestion et de ce bon
contrôle peut sortir beaucoup de bien.
Le rapport du groupe de travail de 1998 était intitulé :
Chambres
régionales des comptes et élus locaux : un dialogue indispensable au service de
la démocratie locale.
Il nous revient, cet après-midi, de créer les
conditions d'un dialogue constructif, nécessaire à l'approfondissement et la
consolidation de notre décentralisation.
(Applaudissements sur les travées
du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 17 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, chers collègues, les
chambres régionales des comptes symbolisent parfaitement la rupture opérée par
les lois de décentralisation de 1982. La volonté de mettre fin à la tutelle
administrative a, en effet, nécessité la mise en place d'institutions
entièrement nouvelles répondant à deux exigences : une exigence de proximité
avec les collectivités locales elles-mêmes, comme condition d'un contrôle
serein ; une exigence d'indépendance vis-à-vis de l'Etat, afin de garantir
pleinement le respect du principe de libre administration.
Elles sont un élément fondamental de la démocratie locale, qui donne tout son
sens à l'article XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, aux
termes duquel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de
son administration ». Leur rôle est d'autant plus important que les
collectivités locales sont devenues un acteur essentiel de l'économie, ce que
chacun sait ici.
Qu'on en juge : leurs dépenses correspondent à plus de la moitié du budget
national et leurs investissements représentent 70 % de l'investissement public
total.
Pourtant, les chambres régionales des comptes rencontrent deux types de
critiques.
Il y a tout d'abord une critique d'ordre statutaire qui émane des membres des
chambres régionales des comptes et qui a été en partie prise en compte dans le
projet de loi adopté le 3 mars dernier par l'Assemblée nationale. Nous savons
néanmoins que le principe de mobilité fait problème parmi les magistrats
financiers, qui y voient une possible remise en cause de leur indépendance.
Nous espérons, madame la secrétaire d'Etat, que nous pourrons néanmoins en
débattre prochainement.
D'autres critiques, émanant des élus, tiennent aux modalités d'exercice par
les chambres régionales des comptes de leurs missions. Si le contrôle
juridictionnel semble bien admis, il n'en est pas de même du contrôle
administratif portant sur la gestion des collectivités locales, sur leurs
établissements publics, ainsi que sur les associations dépendant financièrement
d'elles.
Malgré les aménagemens opérés par les lois du 5 janvier 1988 et du 15 janvier
1990, un sondage réalisé par l'association des maires de France, en 1998,
révélait que 47 % des maires souhaitaient une réforme du contrôle de
gestion.
Telles sont les critiques dont les auteurs de la proposition de loi
aujourd'hui en discussion voudraient se faire les relais. Qu'elles portent sur
la constance du contrôle de gestion en s'interrogeant sur sa neutralité,
qu'elles revendiquent un meilleur respect du principe du contradictoire ou
qu'elles insistent sur la nécessité de renforcer la sécurité juridique, toutes
convergent vers un seul et même constat, à savoir l'absence de dialogue
confiant entre les collectivités locales et les chambres régionales des
comptes.
Pour rénover ce dialogue, faut-il opérer une remise en cause des compétences
des chambres régionales des comptes ? Les sénateurs du groupe communiste
républicain et citoyen ne le pensent pas. Ils considèrent, pour leur part, que
des aménagements simples permettraient une amélioration sensible des conditions
du contrôle de gestion.
De ce point de vue, notre groupe est d'accord avec les propositions tendant à
instaurer un véritable « droit de réponse » des élus aux lettres d'observations
par le biais de l'institution d'un délai de réponse, que ce dernier soit de un
mois, comme le propose la commission des lois, ou de deux mois, comme en a
décidé l'Assemblée nationale. De même, l'annexion de la réponse écrite à la
lettre d'observations semble constituer une solution équitable. Enfin, les
dispositions prévoyant la présentation par le ministère public de ses
conclusions avant l'arrêt des observations définitives sur la gestion
paraissent intéressantes.
En revanche, la remise à plat du contrôle de gestion, comme le propose la
commission des lois, nous semble de nature à hypothéquer l'avenir du contrôle
financier.
Je prendrai trois exemples à cet égard.
Le premier exemple porte sur le relèvement notable des seuils en deçà desquels
le contrôle des chambres régionales des comptes disparaît au profit du système
de l'apurement administratif.
Je ne suis pas sûre que cette restriction du champ de compétence des chambres
régionales des comptes soit judicieuse, et ce d'autant que la majorité de la
commission des lois a souhaité qu'une évolution pouvant aller jusqu'à 20 % du
montant total des recettes - ce n'est pas rien ! - ne puisse pas remettre en
cause ce seuil. Sachant que les recettes des collectivités locales ont plus
tendance à croître qu'à diminuer, je doute que cette règle soit le gage d'une
volonté de dialogue à l'égard des chambres régionales des comptes.
Mon deuxième exemple concerne la définition du contrôle de gestion.
Si l'on peut être sensible à la volonté de donner une définition légale au
contrôle de gestion pour permettre un traitement égalitaire des contrôlés et
éviter les abus d'une définition exclusivement « judiciaire », il n'est pas
certain que le texte qu'il nous est proposé d'adopter ne tombe pas dans le «
piège » évoqué par le groupe de travail de 1997-1998 sur les relations entre
les chambres régionales des comptes et les élus, à savoir la réduction du
contrôle à une simple vérification de l'application des textes, en laissant de
côté tout ce qui ressortit à l'efficience et à l'efficacité.
Enfin, l'interdiction de publication de lettres d'observations définitives
dans les six mois précédant une élection générale, retenue dans la proposition
de loi initiale, risquait fort d'aboutir à ce que j'appellerai « un contrôle en
pointillé ». On est revenu sur cette disposition, mais cela reste un
problème.
On peut se demander si, eu égard aux garde-fous posés quant au respect du
principe du contradictoire, cette limitation continue d'avoir un sens. De même,
les exigences de transparence de la vie publique s'accommodent mal de
restrictions.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen ont également des
doutes quant à l'efficacité des solutions proposées.
S'il est louable de vouloir lutter contre la médiatisation à outrance du
contrôle de gestion pour éviter qu'il ne soit détourné de son objet, on peut
néanmoins être sceptique, lorsque l'on connaît les difficultés à faire
respecter le secret de l'instruction, sur l'efficacité de l'interdiction de
communication des documents préparatoires.
Par ailleurs, instaurer le recours pour excès de pouvoir contre les lettres
d'observations définitives aboutit à juridictionnaliser le contrôle de gestion.
Or, si les membres de mon groupe sont sensibles à l'argument du « droit de
recours », ils ne sont pas certains que cette solution n'ait pas l'effet
inverse de celui qui est recherché, à savoir rendre le contrôle de gestion plus
solennel, et donc plus lourd de conséquences sur la gestion locale et le mandat
des élus qu'il ne l'est actuellement.
Reste la question de la gestion de fait, sujet très sensible pour l'ensemble
des élus qui se retrouvent, parfois, lourdement sanctionnés, alors qu'ils
pensaient agir dans un cadre légal. La sanction de la démission d'office
apparaît symptomatique d'un contrôle qui est excessif parce qu'il met en cause
le mandat même des élus.
On conviendra toutefois que cette sanction n'est pas si fréquente qu'on veut
bien le dire parfois : la loi de 1991 donne six mois aux élus pour régulariser
et obtenir ainsi un quitus.
A notre sens, des améliorations peuvent être recherchées. Ainsi, la
substitution d'une prescription de cinq ans à la prescription trentenaire
actuelle nous paraît judicieuse.
De même, l'impossibilité de prononcer une déclaration de gestion de fait sur
les exercices ayant fait l'objet d'un apurement définitif mérite d'être
étudiée, à condition qu'elle ne concerne pas les gestions de fait
volontairement dissimulées.
En revanche, le système proposé par la commission des lois ne nous sied guère,
parce qu'il pourrait être considéré comme se contentant de « prendre acte » de
la gestion de fait, et donc de la confusion de l'ordonnateur et du
comptable.
En fin de compte, les membres du groupe communiste républicain et citoyen
voient dans la délicate question de la gestion de fait une traduction de
l'insécurité juridique dont souffrent les élus locaux. Ils considèrent que
celle-ci ne pourra trouver de solution durable que dans le renforcement du
conseil aux collectivités locales, qui pourrait être une véritable aide à la
décision.
Ce besoin de conseil est particulièrement crucial dans les petites communes
n'ayant les moyens ni financiers ni matériels nécessaires pour recourir à des
audits extérieurs.
Les auteurs de la proposition de loi avaient envisagé le problème en proposant
la création d'un groupement d'intérêt public. Celui-ci présentait pourtant,
pour la commission des lois, l'inconvénient majeur d'être particulièrement
lourd d'utilisation ; elle ne l'a donc pas retenu.
On sait également que le groupe de travail consacré aux relations entre les
chambres régionales des comptes et les élus avait écarté l'idée de confier aux
chambres régionales des comptes elles-mêmes ce rôle de conseil, eu égard au
dédoublement fonctionnel qu'il entraînerait. Le Conseil d'Etat lui a récemment
donné raison sur ce point.
Il faut donc absolument soit réfléchir à une réorganisation interne de la
chambre régionale des comptes, de façon à bien distinguer les fonctions, à
l'instar du Conseil d'Etat, soit explorer d'autres voies, qu'il s'agisse
d'exploiter au mieux les possibilités données par l'intercommunalité ou de
réfléchir à des services plus orientés sur le conseil dans les préfectures.
Au vu de toutes ces remarques, vous aurez compris que mon propos est
relativement modéré, mais que le texte présenté par la commission des lois n'a
pas convaincu les membres du groupe commmuniste républicain et citoyen. En
voulant rééquilibrer le contrôle des chambres régionales des comptes, on tend à
créer un nouveau déséquilibre dont personne ne sortira gagnant, ni les
chambres, ni les élus, et encore moins les citoyens.
On le sait, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Je crains que la preuve ne
nous en soit à nouveau donnée aujourd'hui. C'est pourquoi nous voterons contre
ce texte.
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
texte dont nous allons discuter recouvre bien des aspects.
Hors les aspects de procédure sur le secret des étapes intermédiaires des
contrôles et la forme de publication des lettres d'observations définitives,
sur lesquels j'ai le sentiment que, petit à petit, se dessine un certain
consensus, le débat qui s'ouvre me semble en grande partie le résultat d'un
énorme malentendu. A cet égard, je parle non pas de la gestion de fait, mais de
la fameuse affaire du jugement d'opportunité. Ce malentendu était prévisible
depuis la discussion, en 1987, de la loi dite « loi Galland », relative à
l'amélioration de la décentralisation, loi dont j'avais eu l'honneur, à
l'époque, d'être le rapporteur.
Déjà, l'aspect et le contenu des observations des chambres régionales des
comptes sur la gestion des collectivités locales étaient en cause. Peut-être
peut-on résumer le contexte - j'avance à pas comptés, car le sujet est délicat
- en constatant que, organes juridictionnels coordonnés sans hiérarchisation
par la Cour des comptes, les chambres régionales des comptes ont tout
naturellement compris leur mission comme étant parallèle à celle qu'exerce la
haute juridiction financière. Celle-ci, dans ses jugements mais surtout dans
son rapport annuel, ne se prive pas de mettre en exergue les
dysfonctionnements, les insuffisances et les erreurs des administrations de
l'Etat.
Ces remarques n'atteignent toutefois que très exceptionnellement - pour ma
part, je n'en ai d'ailleurs aucun souvenir précis - la gestion des ministres en
tant que personnes. Leurs fautes éventuelles échappent d'ailleurs aux
juridictions de droit commun puisque seule la Cour de justice de la République
est compétente en ce qui les concerne.
(M. Charasse s'exclame.)
Les jugements du peuple souverain sur les ministres et sur leur gestion ne
s'exercent qu'à travers des élections législatives et, par conséquent, à un
niveau n'ayant rien à voir avec celui où évoluent les élus des collectivités
territoriales.
Il n'en va pas du tout de même lorsqu'une observation sur la gestion d'une
collectivité territoriale est formulée par une chambre régionale des comptes,
car, bien entendu, l'élu se sent directement concerné.
Personne, je pense, n'imagine contester le bien-fondé d'une irrégularité
financière ni la transmission à la justice pénale d'une infraction
délibérée.
Mais toute observation sur l'efficacité, parfois appelée « évaluation des
politiques publiques », est vécue par les responsables d'une collectivité
territoriale d'une manière très différente de celle dont est vécue - je n'ose
pas dire « superbement ignorée » - une telle évaluation par les administrations
de l'Etat et, au mieux, considérée par les ministres comme un moyen
supplémentaire d'investigations sur le fonctionnement de leurs propres
services.
C'était d'ailleurs dans ce dernier esprit, à savoir l'information du
responsable sur le fonctionnement de ses propres services, que l'idée des
observations sur la gestion des collectivités territoriales avait été admise
par le législateur au moment du débat de la loi Galland précitée.
L'interprétation donnée sur le terrain en a été d'emblée différente, et
certaines exagérations dans le formulé d'observations sont présentes dans
toutes les mémoires, traumatisant les élus mentionnés et, bien au-delà, par
vagues successives, nombre de leurs collègues.
L'élu local, contrairement au ministre, est en effet l'exécuteur de terrain
d'une politique née et arrêtée par une assemblée de terrain, responsable
directement à intervalles réguliers et relativement courts devant la population
qu'il administre.
Encadré par un contrôle de légalité malheureusement un peu incertain, trop
souvent insuffisamment conseillé sur le plan juridique - c'était l'un des
aspects de la proposition d'origine - et mal assuré quant aux sécurités qui
devraient être les siennes avant de passer à l'action, l'élu local accepte
difficilement de voir publiquement remises en cause des décisions découlant de
délibérations publiques, à la régularité non contestée sur l'instant, surtout
lorsqu'il s'agit d'adéquation en termes d'efficacité entre buts et
résultats.
Toute initiative, même lorsqu'elle émane d'une collectivité territoriale -
c'est également vrai dans l'économie privée, dans l'économie courante - compte
une part d'incertitude que seul le temps peut lever... temps dont, par
définition, le juge a disposé, mais dont, au moment de la décision ni
l'assemblée ni son chef n'ont évidemment la moindre mesure quant à ce qu'il
révèlera. C'est là, me semble-t-il, que se trouve l'ambiguïté.
Le choix d'une politique ne peut, bien entendu, pas être remis en cause, mais
l'observation sur son efficacité a, quand il s'agit d'un élu local directement
en contact avec sa population, un effet tout autre que celui d'une observation
sur l'efficacité du fonctionnement d'une administration de l'Etat tel que nous
le connaissons. A mon sens, un avis sur le choix d'une politique est, par
définition, hors sujet ; c'est d'ailleurs rarissime ; mais un tel avis, quand
il se produit, crée, d'une certaine manière, même si juridiquement ce n'est pas
le cas, un réel grief vis-à-vis de l'élu local, et c'est le débat d'ambiance
devant lequel nous nous trouvons.
Bien entendu, j'imagine que l'argument d'opportunité ne doit pas être utilisé
exclusivement par les magistrats, et j'imagine qu'il doit bien exister quelques
circonstances dans lesquelles le responsable local l'invoque lui-même face à la
constatation d'une irrégularité. Cela ne doit normalement pas être admis et,
dans ce cas précis, j'estime tout à fait logique que les jugements,
observations et autres décisions relèvent les cas dans lesquels les
ordonnateurs se laissent aller à l'invoquer.
Le texte dont nous allons discuter a ses qualités et ses défauts, mais il
constitue un apport à ce dialogue difficile entre la nécessaire rigueur
financière qui s'impose à tous, la souplesse et le minimum de sens du risque
qui sont tous les jours demandés aux élus de terrain, et la nécessité devant
laquelle nous sommes de faire en sorte qu'il reste demain des candidats pour
accepter de gérer le quotidien de nos concitoyens, ce qui n'est pas aussi
certain qu'on veut le penser dans l'atmosphère qui est en train de se créer
dans nos collectivités territoriales.
C'est dans cet esprit qu'il faut concevoir les votes qui vont intervenir,
lesquels ne comportent, bien entendu, aucun jugement d'ensemble péjoratif sur
l'ensemble du corps des magistrats des chambres régionales des comptes, en
lesquels nous avons beaucoup de confiance et entre les mains desquels repose
également toute la confiance de nos concitoyens, ni d'abandon du principe même
de leur contrôle.
Toutefois, nous devons être bien conscients que l'efficacité exigée par le
citoyen vis-à-vis de son élu local, qu'il voit tous les jours, comporte un
certain nombre de dimensions psychologiques dont la traduction doit être opérée
en termes juridiques et qui ne sont pas de même nature que celles de la
juridiction un peu froide et relativement distante qu'est la Cour des comptes
face aux administrations de l'Etat.
Mes chers collègues, en conclusion, je souhaite que ce débat se déroule dans
la sérénité la plus complète et que nous puissions petit à petit avancer vers
la dissipation d'un malentendu qui, encore une fois, me semble aujourd'hui
dommageable pour tout le monde.
(Applaudissements sur les travées du RDSE,
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans
cette discussion qui était attendue depuis un certain temps et qui doit
beaucoup au travail effectué spontanément sur l'initiative de plusieurs de nos
collègues - je pense, notamment, au groupe de travail animé par notre collègue
Jacques Oudin, puis à la réflexion menée par nos commissions des lois et des
finances afin d'examiner, quinze ans après, ce qui va bien et ce qui va moins
bien dans le système des chambres régionales des comptes - je voudrais dire
dans quel état d'esprit mon groupe aborde ce débat sur le statut des chambres
et abordera demain le débat que l'on nous annonce sur le statut des magistrats
des chambres.
En premier lieu, les chambres régionales des comptes font partie intégrante du
bloc de la décentralisation et il ne saurait être question, de notre point de
vue, de remettre en cause leur existence ; ce n'est d'ailleurs pas ce qui nous
est proposé.
Je le dis avec d'autant plus de force qu'il s'est trouvé, par les hasards de
la vie et des circonstances, que j'ai été, au moment de la création des
chambres, l'un des inventeurs de la formule, puisque, à l'époque, je
conseillais le Président de la République sur ce dossier et que j'étais, à
l'Elysée, le correspondant de Gaston Defferre, lequel menait devant le
Parlement les débats sur les lois de décentralisation. Nous avions réfléchi à
cet organisme. Au demeurant, je ne suis pas sûr d'en avoir inventé la
dénomination, qui doit être due, je pense, au président Rosenwald, qui était à
l'époque premier président de la Cour des comptes ; en tout cas, madame la
secrétaire d'Etat, dans une recherche en paternité, je ne suis pas clair. Par
conséquent, je n'accablerai pas mon éventuel enfant, tant s'en faut !
(Sourires.)
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Il faut un test d'ADN !
(Nouveaux
sourires.)
M. Michel Charasse.
Premièrement, le principe du contrôle financier
a posteriori
et
l'existence d'un organisme spécialisé à cet effet est, mes chers collègues, la
contrepartie de la liberté locale devenue totale, notamment par la suppression
des tutelles et des contrôles
a priori.
Deuxièmement, avec la déconcentration, l'institution des chambres régionales
des comptes est le second grand pilier qui doit assurer l'équilibre de la
décentralisation afin que cette grande réforme n'entraîne pas, comme le disait
le président Mitterrand, qui en est l'un des auteurs, « le rétablissement de
féodalités locales contre la République et l'anéantissement de l'autorité de
l'Etat au détriment de l'unité de la nation ».
Le pilier de la déconcentration, nous le savons tous, a malheureusement été
trop oublié par les gouvernements successifs, et les préfets restent encore
souvent bien trop démunis. Il ne saurait donc être question pour mon groupe
d'ébranler cet indispensable pilier de l'équilibre de la décentralisation que
sont les chambres régionales des comptes et, fidèles à l'oeuvre du président
Mitterrand, de Pierre Mauroy et de Gaston Defferre, nous ne nous associerons
naturellement jamais - mais ce n'est pas l'objet du débat - à des initiatives
qui viseraient à le mettre en cause.
Dans l'esprit de ce qu'a rappelé le Président de la République de l'époque sur
les principes de la République, les chambres régionales des comptes - nos
collègues MM. Amoudry et Oudin le disent très bien dans leur rapport - ont reçu
pour mission de faire vivre, dans le cadre de la liberté locale, les grands
principes de la déclaration de 1789 en ce qui concerne, d'abord, le droit pour
la société de demander des comptes à tout agent public sur son administration -
à tout agent public, sauf, naturellement, comme vous le savez, aux magistrats
de tous ordres, mais cela, c'est un autre débat
(Sourires)
- et,
ensuite, le droit pour les citoyens de contrôler l'emploi des fonds publics par
eux-mêmes ou par leurs représentants : ces droits se fondent sur les articles
XIV et XV de cette déclaration.
Mais comment les citoyens et leurs élus peuvent-ils contrôler s'ils ne savent
pas, s'ils ne sont pas informés de la réalité ? En quelque sorte, les chambres
régionales sont la transposition, au niveau local, de la Cour des comptes qui,
au niveau national, assiste le Parlement - dans le cadre des articles 47 et
47-1 de la Constitution, que nos rapporteurs connaissent bien - en matière de
contrôle de l'exécution des lois de finances et des lois de financement de la
sécurité sociale.
Remettre en cause le principe du contrôle financier local tel que l'ont voulu
les lois de juillet 1982 reviendrait à priver les citoyens de leurs droits, et
la République d'un organisme régulateur indispensable.
Qu'on n'attende donc pas de notre groupe qu'il s'engage un jour dans cette
voie, et je me réjouis que telles ne soient pas les intentions des auteurs des
propositions qui nous sont soumises.
En second lieu, il n'est pas question non plus, de notre point de vue, de
remettre en cause les grands principes sur lesquels repose le fonctionnement
des chambres.
D'abord, ce sont des juridictions indépendantes. Cette formation et cette
indépendance garantissent aux citoyens et aux élus locaux que les comptes des
collectivités seront jugés hors de toute pression politique, ou corporatiste,
hors de tout ordre extérieur, hors de tout intérêt particulier, et selon une
démarche où la recherche de la sincérité et de l'objectivité au regard de la
rigueur de la loi prend normalement, et en principe, le pas sur toute autre
considération subjective ou partisane.
Juridiction indépendante, la chambre régionale des comptes n'a pas reçu de la
loi le droit de se prononcer sur l'opportunité politique des choix et des
décisions des assemblées locales issues du suffrage universel ou des organes
exécutifs qu'elles désignent librement.
C'est un débat difficile, que notre collègue Paul Girod vient d'aborder après
nos rapporteurs. Ce n'est pas toujours clair ! Nous essayons les uns et les
autres de trouver une solution, et même si, comme le disait M. Girod - c'est en
tout cas ce que j'ai cru comprendre de son propos - il y a l'art et la manière
de le faire, le « principe de précaution », dans ce domaine, s'impose sans
doute plus qu'ailleurs.
Les chambres, en dehors des illégalités manifestes, peuvent toujours critiquer
les méthodes retenues pour exécuter les décisions politiques et leur coût pour
le contribuable, mais elles ne sauraient sans violer la séparation des
pouvoirs, qui est inhérente à l'existence de toute juridiction indépendante, se
prononcer sur des choix politiques qui ne relèvent, dans la République, que des
élus et, le moment venu, des électeurs.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Absolument !
M. Michel Charasse.
Le principe selon lequel « aucune section du peuple, aucun individu ne peut
s'attribuer l'exercice de la souveraineté nationale », qui figure à l'article 3
de notre Constitution comme d'ailleurs dans la déclaration de 1789, s'applique
évidemment aux chambres régionales des comptes comme à toutes les autres
juridictions, et la loi des 16 et 24 août 1790 aussi dans celles de ses
dispositions qui sont toujours en vigueur.
Dans le domaine du contrôle financier local comme dans le domaine judiciaire
en général, il ne saurait être question de rétablir les Parlements de l'Ancien
Régime, même si quelques nostalgiques conçoivent quelque rancoeur de cette
interdiction.
En tout cas, qu'il soit donc bien clair qu'il ne saurait être question de
revenir sur les lois de 1982 en ce qu'elles ont retenu l'indépendance et son
corollaire, la séparation des pouvoirs.
Le troisième grand principe est celui du débat contradictoire - c'est la règle
de la juridiction - désormais bien établi mais qui, je le rappelle au passage,
a nécessité quelques retouches de la part du législateur depuis 1982, car la
loi avait été assez maladroite ou insuffisamment précise sur un certain nombre
de points.
Les citoyens mis en cause devant toute juridiction doivent pouvoir être
entendus et faire valoir leurs arguments. Le statut des chambres comporte bien
la possibilité d'être entendu, oralement et par écrit, et les droits de la
défense sont donc aujourd'hui bien reconnus, même s'ils méritent encore - on en
parlera sans doute tout à l'heure - quelques améliorations.
De quoi s'agit-il donc, mes chers collègues, si l'on ne remet pas en cause le
principe de l'existence des chambres et les grands principes de leur
fonctionnement ?
D'abord, que l'on s'entende bien. Quels que soient les cris que peuvent
pousser certains qui défilent sous nos fenêtres, les chambres régionales des
comptes n'ont pas été instituées pour le plaisir ou le confort de ceux qui les
ont intégrées, elles l'ont été pour faire respecter les lois et règlements et,
avant d'accabler leurs décisions, on ferait parfois mieux de s'interroger sur
les vertus ou les vices des lois et règlements que nous fabriquons les uns et
les autres et que les chambres régionales des comptes ne peuvent qu'appliquer.
Je fais allusion, en particulier, aux règlements que nous créons parfois
nous-mêmes dans nos conseils régionaux ou généraux et qui nous sont ensuite «
renvoyés dans la figure ».
Les chambres régionales des comptes n'ont pas été instituées, enfin, d'une
façon immuable. Nos institutions et leurs grands principes n'interdisent pas au
législateur d'apporter aux règles de fonctionnement les retouches qu'elles
appellent naturellement après une quinzaine d'années de pratique.
Les magistrats financiers eux-mêmes estiment, après ces quinze années, qu'ils
mériteraient d'avoir un statut calqué sur celui des tribunaux administratifs,
et un processus législatif a été engagé à cet effet devant l'Assemblée
nationale au travers d'un projet de loi dont nous serons prochainement
saisis.
Les syndicats de ces magistrats peuvent difficilement soutenir qu'il faut de
toute urgence s'occuper des problèmes de carrière et de rémunération que les
quinze années de fonctionnement de ces jeunes institutions ont fait apparaître
et dénier le droit au législateur qui en a la charge de répondre, lui aussi et
pour ce qui le concerne, après quinze ans de jurisprudence des chambres, aux
inconvénients qui ne sont pas forcément tous dus aux chambres, mais qui ont pu
apparaître au fil du temps et qui peuvent mettre en cause, en persistant, le
bon fonctionnement des institutions locales de la République, le droit pour le
suffrage universel de se prononcer en toute connaissance de cause, la
possibilité pour les élus locaux de remplir normalement leur mission et la
faculté pour les citoyens de rester disponibles pour le service de la
démocratie locale !
Cela signifie, en particulier, que le citoyen qui se met volontairement au
service des autres et qui obtient la confiance des électeurs ne saurait se
heurter à un mur de procédures, d'exigences ou de sanctions allant au-delà de
l'obligation d'une gestion sincère, économe, honnête, légale et transparente de
l'argent public.
M. René-Pierre Signé.
Bravo !
M. Michel Charasse.
Bref, si les contrôles doivent évidemment sanctionner les manquements graves,
ils doivent aussi permettre aux citoyens de connaître la vérité, à l'autorité
judiciaire de disposer du matériau nécessaire pour les condamnations pénales,
aux élus locaux de bénéficier de précieux conseils pour remplir leurs fonctions
selon la loi et selon les instructions reçues du suffrage universel et des
assemblées locales, au pays enfin d'assurer en toutes circonstances les besoins
essentiels et urgents de la population et de la nation, ce qui implique qu'on
tienne compte des circonstances locales liées à des catastrophes ou à des
troubles et à l'obligation constitutionnelle d'assurer, quoi qu'il arrive, la
continuité du service public et la sécurité des biens et des personnes.
Dans ces divers domaines, mes chers collègues, bien des points des lois de
1982 demandent des modifications et des adaptations : ne faut-il pas clarifier
les textes afin d'exclure les contrôles d'opportunité, et donc la violation de
la séparation des pouvoirs ? Ce n'est pas facile, notre collègue Paul Girod
nous l'a dit tout à l'heure, et M. le rapporteur également. Ne faut-il pas,
cependant, essayer ?
Ne faut-il pas mieux assurer encore les droits de la défense ? Ne faut-il pas
fixer un délai de prescription plus raisonnable que les trente ans retenus par
le Conseil d'Etat faute d'un texte approprié ? Ne faut-il pas assurer plus
fortement l'indépendance de la juridiction en excluant du délibéré le
commissaire du Gouvernement ? Ne faut-il pas supprimer la peine automatique
d'inéligibilité des comptables de fait, puisque, depuis une récente décision du
Conseil constitutionnel, notre droit financier n'est plus conforme à la
Constitution ?
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Tout à fait !
M. Michel Charasse.
Ne faut-il pas donner au gestionnaire de fait les mêmes moyens administratifs
qu'au comptable public pour recouvrer les sommes indûment payées ? Ne faut-il
pas veiller à ce que les activités des chambres n'interfèrent pas avec les
périodes électorales ? Ne faut-il pas trancher la question de savoir si les
lettres d'observation font ou non grief et si elles peuvent faire l'objet d'un
appel alors que les élus locaux ne disposent pratiquement pas des moyens de
faire prévaloir le droit en appel si la chambre persiste malgré les réponses de
l'intéressé ? Ne faut-il pas interdire aux chambres de revenir indéfiniment sur
la chose déjà jugée par elles ? Ne faut-il pas se demander si le gestionnaire
de fait doit seul rembourser le débet alors qu'on pourrait poursuivre les
bénéficiaires des fonds irréguliers ?
Je n'énumère pas, mes chers collègues, l'ensemble des questions qu'il faudra
bien aborder dans ce débat ou dans le débat à venir pour procéder à un «
toilettage » indispensable de l'oeuvre du législateur de 1982, législateur qui
manquait alors cruellement et totalement d'expérience du contrôle financier
local et de ses exigences - je fais appel aux souvenirs de ceux qui siégeaient
au Sénat à l'époque - compte tenu des pratiques anciennes qui voulaient que le
contrôle financier soit secondaire puisque les tutelles administratives
réglaient presque tout en amont et que, finalement, seules « sortaient » les
affaires les plus énormes dans le rapport annuel public de la Cour des
comptes.
Nous aurons l'occasion d'aborder ces points, qui doivent rester
essentiellement techniques, à travers la proposition de loi et les amendements
des uns et des autres.
Le groupe socialiste abordera cette discussion avec un esprit ouvert et
constructif, mais dans le respect des grands principes que j'ai rappelés au
début de mon propos et sans négliger la nécessaire concertation avec le pouvoir
exécutif, qui est lui aussi concerné par le bon fonctionnement local de la
République.
Pour conclure, je voudrais dire un mot plus personnel, dont on comprendra
qu'il n'engage pas mes amis politiques.
Lorsque je lis dans
Les Echos
de ce matin qu'un délégué syndical des
magistrats des chambres aurait déclaré que la réforme proposée par notre
assemblée marquait « la volonté manifeste de certains élus de soustraire leur
action à tout contrôle » - ce sont les termes mêmes qui sont employés dans le
journal
Les Echos
...
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
C'est honteux !
M. Michel Charasse.
... je me dis que, décidément, certains magistrats de ces jeunes juridictions,
qui n'ont pas encore vingt ans, n'auront pas attendu longtemps - deux cents
ans, comme les autres ! - pour rejoindre la cohorte des magistrats de l'ordre
judiciaire, ou de ceux d'entre eux, en tout cas, qui confondent justice et
vengeance, et rêvent avec nostalgie du bon vieux temps des parlements de la
monarchie.
(Sourires.)
Tout cela me rappelle les propos, que nous avons dénoncés ici même, voilà six
mois, d'un président de syndicat de magistrats, qui avait déclaré que, au fond,
le refus du Sénat de soutenir la révision constitutionnelle tenait à la volonté
des sénateurs de se protéger. Notre bureau avait protesté. Le garde des sceaux
n'a rien fait de notre protestation. Mais il faut bien, au moins, que quelqu'un
le remarque à cette tribune !
M. René-Pierre Signé.
Bravo !
M. Michel Charasse.
Et je ne suis pas plus près d'accepter de ce monsieur ce que je n'ai pas
accepté, hier, de cet autre monsieur !
MM. Jean-Pierre Schosteck et Gérard Braun.
Très bien !
M. Michel Charasse.
En tout cas, ce genre d'attaque basse et méprisante démontre que, comme
certains dans l'ordre judiciaire, certains dans l'ordre financier ont du mal à
comprendre et à accepter les règles de la République.
Car lorsqu'il s'agit de mettre en oeuvre les grands principes de la République
dans le domaine des institutions publiques, ceux de 1789, de 1790, de 1946 et
de 1958, on entend toujours, au fond, mes chers collègues, deux sortes
d'avocats : ceux des corporations et des intérêts particuliers propres à ces
institutions, qui viennent hurler leur égoïsme sous nos fenêtres, et ceux qui
plaident au nom de la République, de ses principes et de ses institutions, et
qui sont chargés de les mettre en oeuvre, entendez le Gouvernement et le
Parlement, qui ne sont, dans ces domaines, les avocats de personne d'autre que
de la République et qui ne sont au service d'aucun intérêt particulier.
Faut-il répondre aux basses attaques de ceux pour qui le devoir de réserve
s'arrête là où commencent leurs petits intérêts ?
Mes chers collègues, je crois que ce serait s'abaisser, ne leur en déplaise,
car nous ne jouons pas vraiment dans la même cour ! Mais qu'on me permette de
dire que, en emboîtant le pas aux vieilles antiennes corporatistes des
magistrats les plus activistes de l'ordre judiciaire - puisque
Les Echos
nous apprennent que les syndicats des magistrats des deux ordres, judiciaire et
financier, ont fait la jonction pour nous dénier le droit de faire la loi -
ceux des magistrats de ces jeunes juridictions financières qui s'acoquinent
avec ceux des plus anciens tribunaux ont subitement pris un sacré « coup de
vieux » !
Et pis encore : leur protestation vise, en réalité, une disposition votée par
l'Assemblée nationale, dont nous aurons à connaître, qui les oblige à la
mobilité tous les sept ans. Mesure sans doute de bonne gestion, donc
d'économie, peut-être comparable, madame la secrétaire d'Etat, à celles que les
chambres suggèrent parfois aux élus locaux ! l'arroseur arrosé, en quelque
sorte !
Ces quelques mots étaient juste pour me faire plaisir et n'engagent évidemment
pas ceux de mes collègues et amis du groupe socialiste qui n'ont pas pour les
magistrats qui prétendent exercer la souveraineté nationale à la place du
peuple et de ses élus la même irrévérence républicaine que moi.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On a la même, mais on ne généralise pas !
M. Michel Charasse.
Je me suis attaché à utiliser le mot « certains » parce que je savais que vous
seriez en séance, cher Dreyfus-Schmidt !
Ne nous trompons pas de débat. Il s'agit, mes chers collègues, de réformer les
chambres régionales des comptes pour qu'elles remplissent mieux la mission que
la République leur confie pour le compte de la souveraineté nationale et à
laquelle s'emploient, avec dignité, la plupart de leurs magistrats.
Il ne s'agit ni de faire plaisir aux élus locaux par un laxisme excessif ni de
complaire à la poignée de magistrats excités des chambres régionales des
comptes qui en demandent toujours plus pour pouvoir trancher, au final, à la
place du peuple. Il s'agit d'éviter qu'à la faveur des modes et de la pensée
unique on ne conduise les Français à douter d'une démocratie représentative
parce que quelques petits « saints » portant le beau nom de « magistrat »
sèmeraient le doute dans l'esprit civique sur le thème facile du « Tous pourris
! ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Michel Charasse.
Quant au vote final du groupe sur le texte que nous examinons, il sera
naturellement fonction de ce qui sortira de nos délibérations.
(Très bien !
et applaudissements sur de nombreuses travées.)
M. le président.
La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
accompagnant le mouvement de décentralisation de 1982, le législateur a mis en
place un contrôle juridictionnel de proximité des comptes des collectivités
locales.
Ainsi, en contrepartie de la suppression de ce qu'il était convenu d'appeler
la « tutelle » préfectorale
a priori
des actes des collectivités, et
compte tenu de l'élargissement des compétences de celles-ci, une chambre
régionale des comptes a été instituée dans chaque région.
Ayant pour mission de juger les comptes, d'examiner la gestion et de concourir
au contrôle des actes budgétaires des collectivités et de leurs établissements
publics, les juges des chambres régionales des comptes sont la traduction du
principe constitutionnel consacré à l'article 15 de la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen, selon lequel « la société a le droit de demander
compte à tout agent public de son administration ».
Ces juges remplissent un rôle essentiel en informant la population sur
l'utilisation de l'argent public. Ils améliorent ainsi la participation des
citoyens à la gestion de leur vie quotidienne.
L'objectif affiché était donc bien, dès le départ, que la démocratie locale
sorte renforcée par ce dispositif.
Or, au terme de près de vingt ans, la manière dont certaines chambres exercent
leurs investigations et communiquent leurs conclusions suscite aujourd'hui de
vives réactions de la part des responsables locaux.
Ces derniers ne contestent pas la nécessité d'un contrôle
a posteriori
des collectivités locales. Les critiques formulées par les juges financiers
sont parfois justifiées.
Il n'est en effet pas question de considérer que les élus, parce qu'ils
détiennent leur mandat du suffrage universel, peuvent faire tout ce qu'ils
veulent durant leur mandat, et ce sans contrôle.
Les chambres régionales des comptes ont effectivement mis en évidence
certaines irrégularités des collectivités locales. Les sanctions sont alors
légitimes.
Mais, les élus honnêtes - il ne s'agit pas ici de protéger ceux qui ne le sont
pas - déplorent, à juste titre, deux tendances qui se sont fait jour.
La première tendance est celle des chambres à ne mettre en avant que ce qui ne
va pas, sans relativiser l'éventuelle proportion de ce qui pose problème par
rapport à l'ensemble de la gestion locale, et en faisant trop souvent
abstraction du contexte dans lequel s'inscrit cette gestion. Cela fausse la
perception que nos concitoyens peuvent avoir de l'engagement de leurs élus dans
la gestion de leur collectivité et des difficultés qu'ils rencontrent.
Le contexte dans lequel s'exercent les mandats locaux est en effet de plus en
plus complexe, nous le savons tous, mes chers collègues, du fait, notamment, de
l'inflation des normes juridiques - nous en sommes d'ailleurs largement
responsables...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
M. José Balarello.
... du fait également de l'extension croissante du champ des responsabilités
des élus et de la pénalisation exagérée de notre droit.
Les collectivités sont bien souvent insuffisamment armées pour y faire face,
madame la secrétaire d'Etat. C'est pourquoi, quand la gestion est bonne, il
faut le reconnaître et le dire.
La seconde tendance qui inquiète les élus est celle des chambres régionales
des comptes à effectuer des contrôles d'opportunité. En effet, les chambres
n'ont pas à émettre d'appréciations sur le bien-fondé des choix politiques des
élus, qui sont - on l'a déjà dit à cette tribune - du ressort du suffrage
universel.
Par conséquent, je suis favorable à l'article 1er du texte proposé par la
commission des lois, qui précise le contenu de l'examen de la gestion opéré par
les chambres régionales des comptes, en supprimant le contrôle
d'opportunité.
De plus, il faut avoir à l'esprit que les chambres régionales des comptes
détiennent des pouvoirs exorbitants du fait des conséquences que peuvent
engendrer leurs seules observations.
La réputation des élus est à la merci des observations provisoires des
chambres, dont la presse fait souvent état sans les replacer dans un contexte
général de gestion.
Or ce dialogue entre les élus et les chambres mériterait d'être favorisé sans
être mis sur la place publique. Il ne peut être que bénéfique à la démocratie
locale.
La crise des candidatures aux élections municipales, que nous observons dans
tous les sondages, est révélatrice du malaise des élus, qui supportent de plus
en plus difficilement d'être la cible des juridictions administratives,
juridiques ou financières pour des délits non intentionnels.
Les élus sont confrontés à l'impossibilité d'avoir des services compétents
mais également à la méconnaissance de règles administratives ou
jurisprudentielles qui ont évolué rapidement ces dix dernières années et dont
même les magistrats n'ont pas connaissance avant de les apprendre, comme les
avocats, d'ailleurs - j'ai exercé cette profession pendant trente-cinq ans -, à
la faveur de l'étude d'un dossier.
Aussi, si la commission des lois a supprimé les premiers articles de la
proposition de loi, qui tendaient à créer le groupement d'intérêt public pour
l'aide à la gestion des collectivités, considéré comme trop lourd, il n'en
reste pas moins vrai que l'idée développée par notre rapporteur était bonne,
car ce besoin de sécurité juridique se fait de plus en plus sentir, et il nous
faudra trouver une solution, madame la secrétaire d'Etat, autre qu'individuelle
et au coup par coup, car les avocats spécialisés en cette matière sont peu
nombreux, voire inexistants.
Les autres articles sont approuvés par nous, car ils améliorent les procédures
devant les chambres régionales et l'usage du « contradictoire », et ils
interdisent la publicité des observations provisoires.
Cependant, les dispositions du titre III sur l'inéligibilité, si elles vont
dans le bon sens, sont, à notre avis, trop timorées. C'est la raison pour
laquelle nous avons déposé deux amendements qui ont le mérite de la simplicité.
Des amendements émanant d'autres groupes de la Haute Assemblée vont d'ailleurs
dans le même sens.
Depuis quelque temps déjà, en effet, je me suis rendu compte de l'ignorance de
presque tous, y compris les élus, sur les raisons pour lesquelles un élu
déclaré comptable de fait devenait inéligible.
Tout simplement, mes chers collègues, le code électoral, dans ses articles L.
195 et L. 231 - nous en reparlerons lors de l'examen de nos amendements - a
voulu éviter que les comptables receveurs municipaux ou départementaux se
présentent aux élections contre le maire ou le conseiller général. C'est -
pardonnez-moi l'expression - aussi bête que cela ! Ils sont énumérés entre les
inspecteurs d'académie et les directeurs des postes ou les policiers et les
chefs de bureau de préfecture.
Un troisième amendement déposé par mes soins a été accepté par la commission
des lois.
De quoi s'agit-il ? Mes chers collègues, l'inéligibilité est une sanction
grave et injustifiée, lorsqu'il n'y a pas de délit - pénal, entendons-nous bien
! - reproché au maire ou au président de conseil général ou de conseil
régional.
Mais il y a plus grave pour les élus, et ce même si beaucoup n'en sont pas
conscients, car ils méconnaissent les problèmes posés par le non-respect de la
séparation des ordonnateurs et des comptables, vieux principe datant de
frimaire ou de vendémiaire an III et des ordonnances royales de 1822, 1838 et
1862, et qui peut entraîner la responsabilité financière de l'élu et la saisie
de ses biens personnels, c'est-à-dire une mise en débet, dans le cas où il est
déclaré comptable de fait, et ce alors qu'il n'y a aucune malversation de sa
part et que, de surcroît, la collectivité concernée a reconnu le « caractère
d'utilité publique de la dépense ».
Comment, dans ce cas, peut-on saisir le patrimoine ou le salaire de l'élu
concerné ?
Même les présidents des chambres régionales des comptes sont conscients - ils
me l'ont dit - du « trou législatif » qui existe. Ils demandent au législateur
que nous sommes d'élaborer un texte qui leur permette de ne pas ruiner certains
élus locaux qui ne sont coupables d'aucune marlversation.
En effet, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la gestion de fait
étant une gestion irrégulière des deniers publics, le but de l'opération de
déclaration de gestion de fait est d'aboutir à une régularisation des dépenses
permettant d'octroyer au comptable de fait le quitus de gestion, c'est-à-dire
de lui délivrer en quelque sorte un certificat de régularisation des dépenses
opérées.
Cependant, dans cette procédure de gestion de fait, déjà complexe, une étape
importante, qui en constitue le point central, est la reconnaissance d'utilité
publique des dépenses, qui, comme l'indique d'ailleurs M. Michel Lascombe dans
la
Revue française des finances publiques
de juin 1999, « est sans doute
l'une des étapes les plus mystérieuses ».
Afin de rationaliser et de « juridiciser » cette étape, il convient de lui
rendre son rôle primordial dans la procédure, afin de donner une sécurité
juridique et comptable au comptable de fait mis en cause. Car, actuellement,
celui-ci peut obtenir la reconnaissence de l'utilité publique des dépenses et
se voir
in fine
- c'est tout de même assez paradoxal ! - déclarer en
débet par la chambre régionale des comptes, qui pourra refuser d'allouer
certaines dépenses, c'est-à-dire en rejeter certaines, pour les laisser à la
seule charge du comptable de fait, sans que l'organisme public ayant conféré et
reconnu l'utilité publique des dépenses puisse le suppléer.
Dans ce cas, le comptable de fait, bien qu'ayant vu les dépenses reconnues
d'utilité publique, n'aura plus comme recours qu'à demander une remise
gracieuse ou à entamer des contentieux fondés sur la notion d'enrichissement
sans cause ou en répétition de l'indu, ce que le droit romain désigne sous le
terme d'action
de in rem verso
.
A moins, mes chers collègues, que ne s'impose à tous la jurisprudence initiée
par l'arrêt de la Cour des comptes du 7 octobre 1993 dans le dossier de la
mairie de Salon-de-Provence ! Une écriture législative me paraît toutefois
souhaitable.
Je remercie donc les signataires de cette proposition de loi, qui ont fait
oeuvre utile, puisqu'elle nous a permis de faire prendre en compte par tous les
réalités concrètes auxquelles les élus locaux sont confrontés. Ces réalités
sont largement méconnues dans le public. Mais n'est-ce pas notre faute à nous,
parlementaires, et à l'Association des maires de France s'il y a un déficit de
communication assez considérable en la matière ?
Au bénéfice de ces explications, le groupe des Républicains et Indépendants,
qui débattra des amendements avec la plus grande ouverture d'esprit, soutiendra
le texte qui nous est proposé.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le président, mesdames, messieurs
les sénateurs, le texte dont l'examen vous est proposé est, comme l'ont rappelé
MM. Amoudry et Oudin, le fruit d'un travail long et intense, auquel un certain
nombre d'entre vous ont participé. Il faut le souligner, comme doit l'être
toute démarché, toute action guidée par le souci d'améliorer le fonctionnement
de nos institutions et donc de notre démocratie.
Dès sa prise de fonction, le Gouvernement s'est trouvé confronté à l'émergence
d'un mouvement social qui affectait les chambres régionales des comptes et qui
était important au regard du nombre de magistrats qui l'ont animé.
Ce mouvement trouvait son origine dans l'adoption par le Parlement, le 26 mars
1997, d'une refonte du statut des conseillers des tribunaux administratifs, qui
plaçait ceux-ci dans une situation de carrière plus favorable que celle des
magistrats des chambres régionales des comptes.
Légitimement, ceux-ci ont manifesté leur inquiétude devant cette distorsion
d'autant plus incompréhensible que les missions et l'organisation de ces deux
institutions sont très largement comparables.
Dans ces conditions, le Gouvernement s'est attaché à mettre en oeuvre la
réforme du statut des conseillers des chambres régionales des comptes, qui a
été adoptée en conseil des ministres le 29 décembre 1999, déposée sur le bureau
de l'Assemblée nationale et adoptée par celle-ci en première lecture le 30 mars
dernier. M. Oudin a bien voulu souligner le caractère nécessaire et, bien sûr,
positif de ce projet.
Pour autant, le Gouvernement ne s'est pas désintéressé des missions et des
procédures des chambres régionales des comptes, qui font clairement partie du
bloc de décentralisation, comme l'a très judicieusement rappelé M. Charasse.
C'est ainsi que, prenant en compte le souci exprimé par l'Assemblée nationale
de légiférer sans délai dans le sens d'une stabilisation des relations entre
les élus locaux et les chambres régionales des comptes, le Gouvernement a
accepté l'introduction de deux articles dans le projet de loi statutaire, comme
l'a rappelé Mme Borvo.
Toutefois, et les travaux que vous avez menés en la matière l'ont bien montré,
cette stabilisation des relations et des procédures, somme toute naturelle pour
une institution de création récente, implique une approche globale, alors que
nous sommes aujourd'hui face à des initiatives dispersées et multiples.
Dispersées, car, outre la présente proposition de loi issue du groupe de
travail du Sénat, il existe une autre proposition de loi, qui émane d'un
député, M. Nicolin.
Multiples, parce que, si votre proposition de loi est principalement consacrée
à l'une des missions qui sont confiées aux chambres régionales des comptes, à
savoir l'examen de la gestion, la plus grande part des amendements qui ont été
déposés sur ce texte sont centrés sur une autre mission, qui est le jugement
des comptes, au travers de la procédure de gestion de fait, dont le radicalisme
des conséquences peut, effectivement, inquiéter un certain nombre d'élus.
Ces diverses initiatives méritent un examen d'ensemble afin de préserver les
objectifs de clarification, de lisibilité et de stabilisation que le
Gouvernement, avec la représentation nationale, a le souci d'atteindre.
C'est pourquoi il paraît préférable de les examiner dans un cadre cohérent.
Le projet de loi statutaire peut apparaître, de ce point de vue, comme le
meilleur vecteur, dans la mesure où il a été élargi, je viens de l'indiquer, à
des dispositions qui touchent aux procédures qui sont applicables devant les
chambres régionales des comptes.
Il va de soi que toute adjonction à ce projet ne peut se concevoir qu'à la
condition qu'elle ne se traduise pas par le report de l'adoption du nouveau
statut, à laquelle les magistrats des chambres régionales des comptes, de la
Cour des comptes, le Gouvernement et le Parlement sont attachés.
Pour autant, ne vous méprenez pas sur mes propos : il n'est pas dans
l'intention du Gouvernement de reporter
sine die
l'examen de ces
différentes initiatives.
Je voudrais, pour vous en convaincre, m'attarder sur les dispositions qui ont
été adoptées dans le cadre du projet de loi statutaire car elles répondent
pleinement, me semble-t-il, à un point qui figure au coeur de vos
préoccupations, exprimées dans le texte qui est aujourd'hui présenté devant la
Haute Assemblée.
Ces dispositions, quelles sont-elles ?
En premier lieu, les observations des chambres régionales des comptes ne
peuvent être arrêtées définitivement qu'après réception des réponses écrites
des personnes concernées, auxquelles est accordé à cet effet un délai de deux
mois, ou, à défaut, à l'expiration de ce délai.
En second lieu, les observations définitives des chambres régionales des
comptes prennent la forme d'un rapport d'observations auxquelles les personnes
concernées se voient donner la possibilité de répondre par écrit sous un
nouveau délai de deux mois. Dès lors que des réponses écrites sont apportées,
elles sont annexées au rapport d'observations.
Ces dispositions, je tiens à le souligner, monsieur Paul Girod, pour répondre
à la préoccupation que vous avez exprimée, sont d'une portée majeure en termes
de démocratie puisque, d'une part, elles reviennent en quelque sorte à donner
aux ordonnateurs le dernier mot et, d'autre part, elles livrent à l'électeur,
au citoyen, dans un même document, le point de vue de la chambre régionale des
comptes et celui de l'élu ou du dirigeant concerné, lui apportant ainsi tous
les éléments pour se forger sa propre opinion.
Dans la grande majorité des cas, l'opinion du citoyen sur la gestion des
collectivités locales est bonne. En effet, monsieur Oudin, vous avez raison,
les collectivités locales n'ont pas à rougir de leur gestion l'Etat non plus
d'ailleurs.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
C'est un peu différent !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Vous avez raison au moins sur deux points.
Tout d'abord, l'Etat doit être encore plus transparent, en dépit des progrès
les plus récents qui ont été accomplis dans ce domaine. Par ailleurs, l'Etat -
c'est vrai aussi - est encore lourdement déficitaire, même si sa situation
s'est beaucoup améliorée au cours des trois dernières années, années de forte
croissance.
L'Etat - j'en profite pour le rappeler - tient les engagements qu'il a
contractés à l'égard des collectivités locales. Ainsi, le contrat de croissance
et de solidarité qui a été conclu pour les années 1999-2001 leur assure-t-il
des concours indexés sur une partie croissante d'une croissance elle-même de
plus en plus forte.
J'en reviens au texte qui nous occupe cet après-midi et aux dispositions qui
ont été adoptées lors de la première lecture du projet de loi statutaire à
l'Assemblée nationale.
Vous avez pu constater que ces dispositions, qui renforcent le caractère
contradictoire de la procédure, répondent à votre proposition qui forme
l'article 7 et vont même au-delà, par le délai de deux mois qu'elles posent,
quand cet article n'en prévoit qu'un. Elles constituent donc une forme de
réponse à pas moins de six articles du texte dont nous discutons aujourd'hui,
sur les quatorze qu'il comprend.
J'ajoute que l'article 5 qui est proposé a d'ores et déjà reçu application
puisqu'il forme l'article 7 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des
citoyens dans leurs relations avec les administrations.
En conséquence, à l'examen de ce texte, je formulerai deux séries de
réponses.
La première c'est que les dispositions législatives répondant en grande partie
à des préoccupations qu'il exprime sont d'ores et déjà prises en compte ou sont
en voie de l'être.
La seconde, c'est la nécessité, par souci de sécurité, de stabilité, de
cohérence, d'examiner globalement les diverses initiatives existantes en ce qui
concerne les procédures qui sont applicables devant les chambres régionales des
comptes.
Ces initiatives doivent être examinées, débattues ensemble de manière que,
même si elles ne sont pas toutes retenues, à l'issue des débats, il en naisse
un ensemble cohérent et équilibré, sauf à remettre sans cesse, comme votre
groupe de travail en a ressenti la nécessité, l'ouvrage sur le métier.
Pour cet ensemble de raisons, le Gouvernement souhaite le retrait de ce
texte.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Ça, c'est une surprise !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
TITRE Ier
DISPOSITIONS TENDANT À AMÉLIORER LES CONDITIONS D'EXERCICE DES COMPÉTENCES
LOCALES ET À ASSURER UNE PLUS GRANDE SÉCURITÉ JURIDIQUE AUX ACTES DES
COLLECTIVITÉS LOCALES
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - I. - Après le premier alinéa de l'article L. 211-8 du code des
juridictions financières, il est inséré deux alinéas ainsi rédigés :
« L'examen de la gestion porte sur la régularité des actes de gestion et sur
l'économie des moyens mis en oeuvre par rapport aux objectifs fixés par
l'assemblée délibérante ou par l'organe délibérant sans que ces objectifs, dont
la définition relève de la responsabilité exclusive des élus ou des délégués
intercommunaux, puissent eux-mêmes faire l'objet d'observations.
« Les observations que la chambre régionale des comptes formule à cette
occasion mentionnent les dispositions législatives ou réglementaires dont elle
constate la méconnaissance. Elles prennent en compte expressément les résultats
de la procédure contradictoire avec l'ordonnateur et celui qui était en
fonctions au cours de l'exercice examiné ou le dirigeant ou tout autre personne
nominativement ou explicitement mise en cause. L'importance relative de ces
observations dans l'ensemble de la gestion de la collectivité ou de
l'établissement public est évaluée. »
« II. - En conséquence, le début du dernier alinéa du même article est ainsi
rédigé :
« La chambre régionale des comptes peut également... »
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
M. le président.
« Art. 2. - Le chapitre Ier du titre Ier de la première partie du livre II du
code des juridictions financières est complété par un article L. 211-9 ainsi
rédigé :
«
Art. L. 211-9.
- Dans le cadre de la mission qui lui est confiée par
l'article L. 211-8, la chambre régionale des comptes recense les difficultés
auxquelles les collectivités locales ou établissements publics ont été
confrontés dans l'application des dispositions législatives et réglementaires.
Les constatations des chambres régionale des comptes sont insérées dans le
rapport public annuel de la Cour des comptes dans les conditions fixées par les
articles L. 136-2 et suivants. » -
(Adopté.)
Article additionnel après l'article 2
M. le président.
Par amendement n° 26, M. de Raincourt et les membres du groupe des
Républicains et Indépendants proposent d'insérer, après l'article 2, un article
additionnel ainsi rédigé :
« Les collectivités territoriales et leurs établissements publics peuvent
accorder à leurs agents le bénéfice de titres-restaurant comportant une
participation financière de la collectivité ou de l'établissement public
plafonnée au taux maximum en vigueur dans les services de l'Etat. »
La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello.
Dans le cadre de leur politique sociale, la plupart des collectivités
territoriales et leurs établissements publics accordent des titres-restaurant à
ceux de leurs agents qui ne peuvent accéder à un restaurant administratif.
Cette pratique, similaire d'ailleurs à celle ayant cours dans le secteur privé,
ne pose de difficulté ni sur le plan du droit social, ni sur le plan fiscal.
En revanche, le contrôle de légalité, comme celui qui est exercé par les
chambres régionales des comptes, a pu contester le montant de la participation
accordée par certaines collectivités à leurs agents par le biais des
titres-restaurant, au motif d'une rupture de parité avec la fonction publique
d'Etat.
Le présent amendement n'entend pas remettre en cause le principe de parité des
différentes fonctions publiques, mais vise au contraire à une clarification. Il
apparaît en effet que l'appréciation de la légalité de la participation est
rendue difficile par l'hétérogénéité des montants accordés dans les différents
services et administrations d'Etat, empêchant en conséquence une constatation
objective du principe de parité.
L'amendement proposé vise à autoriser les collectivités territoriales à
accorder une participation plafonnée au taux minimum en vigueur dans les
services de l'Etat.
M. de Raincourt et les membres de notre groupe aimeraient connaître le
sentiment de Mme la secrétaire d'Etat sur ce problème.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Cet amendement traite des conditions d'application des règles
de parité entre fonctions publiques, sujet bien sûr sans lien direct avec le
texte qui nous occupe.
Cependant, M. Balarello l'a rappelé, il pose un problème très important, et,
comme M. Balarello, la commission souhaite avoir des assurances du Gouvernement
sur le règlement de cette question dans un autre texte, par exemple dans le
projet de loi de finances rectificative. La commission souhaite donc, avant de
se prononcer, entendre la position de Mme la secrétaire d'Etat.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Il est défavorable. Mais je répondrai sur le fond à M.
le rapporteur.
Lorsque le projet de loi de finances pour l'année 2000 a été présenté devant
la Haute Assemblée, nous avons indiqué qu'un état des lieux serait fait sur le
mode de prise en charge de la restauration collective au sein de la fonction
publique. Cet état des lieux est en cours. Nous aurons donc l'occasion de
réexaminer la question.
M. le président.
Quel est donc l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Je suggère à M. Balarello, compte tenu des assurances données
par Mme la secrétaire d'Etat, de retirer son amendement ; l'inventaire étant en
cours, ainsi qu'il nous a été indiqué, nous pouvons escompter des résultats
dans des délais proches.
M. le président.
Monsieur Balarello, l'amendement n° 26 est-il maintenu ?
M. José Balarello.
Compte tenu de ce qui vient d'être indiqué par Mme la secrétaire d'Etat, je le
retire, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 26 est retiré.
TITRE II
DISPOSITIONS TENDANT À AMÉLIORER
LES PROCÉDURES APPLICABLES DEVANT
LES CHAMBRES RÉGIONALES DES COMPTES
Article 3
M. le président.
« Art. 3. - L'article L. 111-10 du code des juridictions financières est
complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le cadre de cette mission permanente, la Cour des comptes peut être
saisie des difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre de la procédure
d'examen de la gestion prévue par l'article L. 211-8, avant l'adoption des
observations définitives, soit par le président de la chambre régionale des
comptes, soit par les dirigeants des personnes morales contrôlées ou par toute
autre personne mise en cause nominativement ou explicitement dans les
observations provisoires de la chambre. Elle formule des recommandations
destinées à assurer le bon déroulement de la procédure. La saisine de la Cour
ne suspend pas la procédure d'examen de la gestion. » -
(Adopté.)
Article 4
M. le président.
« Art. 4. - L'article L. 211-2 du code des juridictions financières est ainsi
rédigé :
«
Art. L. 211-2.
- Les comptes des communes dont la population n'excède
pas 2 500 habitants ou groupements de communes dont la population n'excède pas
10 000 habitants et dont le montant des recettes ordinaires figurant au dernier
compte administratif est inférieur à 7 000 000 F ainsi que ceux de leurs
établissements publics font l'objet, sous réserve des dispositions des articles
L. 231-7 à L. 231-9, d'un apurement administratif par les comptables supérieurs
du Trésor.
« A compter de l'exercice 2000, le seuil de 7 000 000 F pris en compte pour
l'application de l'alinéa précédent évolue chaque année comme la dotation
globale de fonctionnement.
« Lorsque, d'un exercice à l'autre, l'évolution du montant des recettes
ordinaires figurant au dernier compte administratif par rapport au seuil défini
à l'alinéa précédent est inférieure ou égale à 20 %, les comptes visés au
premier alinéa continuent à être examinés selon les modalités applicables au
cours de l'exercice précédent. »
Par amendement n° 23, M. Oudin, au nom de la commission des finances, propose
de remplacer le dernier alinéa du texte présenté par cet article pour l'article
L. 211-2 du code des juridictions financières par deux alinéas ainsi rédigés
:
« L'évolution du montant des recettes ordinaires figurant au dernier compte
administratif par rapport au seuil défini à l'alinéa précédent est appréciée
tous les trois ans.
« Les comptes des associations syndicales autorisées et des associations
foncières de remembrement font l'objet d'un apurement administratif par les
comptables supérieurs du Trésor. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Cet amendement a deux objets.
Tout d'abord, par son premier alinéa, il tend à remédier aux phénomènes de
yo-yo que connaissent certaines collectivités en matière de contrôle de leurs
comptes.
Le contrôle des comptes relève des chambres régionales des comptes au-dessus
d'un seuil aujourd'hui fixé à 2 000 habitants et 2 millions de francs de
recettes.
J'attire votre attention sur le fait que ce seuil de 2 millions de francs a
été fixé par la loi en 1988, c'est-à-dire il y a douze ans. Comme quoi on
devrait se méfier des fixations de seuils en valeur absolue dans une loi !
En deçà, la compétence appartient au comptable supérieur du Trésor ; c'est le
système de l'apurement administratif.
Les collectivités dont les recettes se situent autour du seuil peuvent faire
des aller retour entre les deux systèmes, par exemple les années où elles
doivent financer un gros investissement.
La proposition de loi tente de remédier à ces phénomènes de yo-yo en prévoyant
que les modalités du contrôle ne changent pas si la variation des recettes
d'une année sur l'autre est inférieure à 20 %.
Le problème réside dans le fait que ce système est glissant. Une commune dont
les recettes augmenteraient de 15 % par an pendant dix ans ne changerait jamais
de système alors que son budget pourrait largement dépasser le seuil.
Pour le remplacer, je vous propose de décider que la position d'une commune
par rapport au seuil soit appréciée tous les trois ans, afin de conférer une
stabilité absolue pendant ces trois exercices.
Le deuxième alinéa permet de lever l'un des principaux frein au développement
de l'examen de la gestion des collectivités par les chambres. Aujourd'hui, en
effet, les magistrats consacrent beaucoup de temps à contrôler des comptes qui
sont en réalité des coquilles vides, qu'il s'agisse des comptes des
associations syndicales autorisées ou des associations foncières de
remembrement, soit 15 229 en 1997.
Le temps qu'ils passent à faire cela, même s'il ne s'agit que de remplir
quelques lignes d'un formulaire, ils ne le consacrent pas à leurs missions plus
« qualitatives ».
Aussi, dans le souci d'améliorer la qualité du contrôle financier, nous
proposons de soumettre ces comptes au régime de l'apurement administratif. Cela
peut paraître anodin, mais en faisant cela nous accédons à l'une des
revendications les plus fortes des magistrats des chambres régionales.
De ce fait, il est un peu navrant de constater dans la presse que certains
syndicats de magistrats interprètent notre démarche comme une volonté de
museler les juges. Mais, sur ce point, notre collègue Michel Charasse a tout
dit !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Favorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, mais
pas parce que la question qui est soulevée n'est pas importante.
Comme vous, nous constatons en effet que ce phénomène de yo-yo entre apurement
administratif et contrôle juridictionnel des comptes pose un certain nombre de
problèmes.
Les cas litigieux sont relativement peu nombreux. Néanmoins, lorsqu'ils se
produisent, les inconvénients sont assez lourds. Pour cette raison, nous avons
constitué au ministère des finances, en liaison avec la Cour des comptes, un
groupe de travail qui est chargé d'étudier la meilleure réponse à apporter à
l'actualisation des critères depuis 1988 pour déterminer le seuil d'apurement
administratif et pour introduire un élément de stabilité durable qui est très
souhaitable.
Sur le fond, cet amendement nous semble avoir une conséquence fort dommageable
: le nombre des comptes qui seraient désormais soumis à l'apurement
administratif augmenterait de plus d'un tiers pour les seules collectivités
locales, ce qui pose aussi des problèmes.
Par conséquent, nous souhaiterions pouvoir aller au terme de cette réflexion
menée en liaison avec la Cour des comptes avant de prendre parti sur une
disposition législative.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 23.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Madame la secrétaire d'Etat, vous nous dites que
vous avez engagé une réflexion ; nous aussi, nous avons engagé la réflexion, et
depuis longtemps. Mais, à un moment donné, il faut arrêter de réfléchir et
décider. Or, j'ai l'impression que le Gouvernement n'y parvient pas.
Pour notre part, nous considérons que notre proposition, même imparfaite,
permettrait de régler de nombreux problèmes, sur lesquels d'ailleurs les
chambres régionales des comptes et même la Cour des comptes ont attiré notre
attention.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 23, accepté par la commission et repoussé par
le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 4, ainsi modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 4
M. le président.
Par amendement n° 5, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 4, un article
additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 231-3 du code des juridictions financières est complété
in
fine
par un alinéa ainsi rédigé :
« L'action en déclaration de gestion de fait se prescrit par 5 ans à compter
du dernier acte constitutif de ladite gestion. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Il s'agit de régler un problème un peu bizarre.
Comme vous le savez, en matière criminelle, la prescription est de dix ans ;
en matière correctionnelle, elle est de trois ans, sauf pour l'abus de bien
social, pour lequel elle est de trois ans à partir du jour, etc., pour les
créances, elle est de quatre ans, mais, pour la gestion de fait, la
prescription est de trente ans.
Cela veut dire que l'on peut aller chercher un élu trente ans après les faits,
même s'il a quitté ses fonctions, même s'il est très âgé. De plus, s'il est mis
en débet, on pourra à la limite poursuivre ses héritiers si lui-même n'est plus
là.
Pourquoi trente ans, en l'occurrence ? Tout simplement parce que le Conseil
d'Etat, en l'absence de texte, a décidé d'appliquer la prescription de droit
commun.
Nous proposons un délai plus raisonnable de cinq ans. C'est plus que le délai
pour les délits, mais c'est un délai que nous avons calculé, au groupe
socialiste, de façon à tenir compte du rythme et des charges de travail de
contrôle des chambres régionales des comptes, de façon à ne pas leur imposer un
rythme trop lourd ou qui serait déraisonnable au regard de leurs
possibilités.
En tout cas, il est bien évident que trente ans, ce n'est pas possible. Cela
ne peut pas continuer comme cela.
Pour autant, je n'incrimine pas le Conseil d'Etat, qui n'avait pas d'autre
texte à se mettre sous la dent.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
La commission a souscrit à la proposition de M. Charasse,
après avoir observé, en particulier, que le rythme de contrôle par les chambres
régionales des comptes était en moyenne de quatre ans.
La commission a donc émis un avis favorable sur l'amendement n° 5.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement est très conscient du problème soulevé
par M. Charasse. Je vais cependant tenter de donner les raisons pour lesquelles
nous ne sommes pas nécessairement favorables à cet amendement et d'expliquer
dans quel sens nous pourrions peut-être travailler.
La durée de cette prescription trentenaire - très longue, c'est exact -
s'explique par différentes raisons : d'abord, l'application du droit commun par
rapport aux dettes à caractère civil ; ensuite, la nécessité de traiter sur un
pied d'égalité les comptables de fait et les comptables patents ; enfin, la
nécessité de protéger l'action en recouvrement de ces créances pour les
comptables publics.
Il nous semble que le délai de cinq ans prévu par l'amendement est un peu
court si l'on veut respecter les principes qui viennent d'être énoncés et
compte tenu des conditions d'examen des comptes par les chambres régionales des
comptes. Néanmoins, il me semble qu'il devrait être possible d'examiner la
manière de restreindre le délai actuel pour que celui-ci corresponde au respect
des règles de droit que je viens d'évoquer et soit plus conforme à des délais
qui existent par ailleurs dans d'autres procédures, à caractère judiciaire
notamment.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Le Gouvernement va réfléchir !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Madame le secrétaire d'Etat, la
méthode de travail qui consiste à dire que les problèmes sont importants mais à
ne rien faire pour les résoudre n'est peut-être pas la plus satisfaisante !
Dans votre réponse, vous nous avez indiqué que, bien entendu, il y avait un
problème et que vous étiez prête à l'étudier, mais vous ne nous avez présenté
aucune proposition.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Nous ferons des propositions ; nous retiendrons un
certain nombre d'orientations, comme je l'indiquerai dans la suite du débat et
comme je l'ai déjà dit dans mon discours introductif, notamment en complétant
le projet de loi statutaire qui sera très prochainement soumis à votre
assemblée.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Madame le secrétaire d'Etat, nous
sommes confrontés à un problème concret et, comme l'a dit M. le rapporteur et
comme le propose M. Charasse, le délai de cinq ans nous paraît raisonnable.
C'est notre position. L'acceptez-vous ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
J'ai indiqué que le délai de cinq ans est bien court.
Nous sommes donc défavorable à l'amendement qui préconise ce délai.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Voilà une réponse précise !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
J'étais prêt à me rallier à une autre durée, mais le Gouvernement ne formule
pas de proposition. C'est très gênant.
Retirer l'amendement signifierait que je renonce à appeler l'attention du
Gouvernement sur la durée du délai.
J'ajoute, puisque le Gouvernement va réfléchir, qu'il faut arrêter, dans ce
pays, de fixer des délais de prescription pour l'argent supérieur à ceux qui
s'appliquent aux crimes !
MM. Philippe François et Jean-Pierre Schosteck.
Oui !
M. Michel Charasse.
Le délai de dix ans est applicable en matière criminelle. On ne peut donc plus
poursuivre un criminel qui a tué au-delà de dix ans. Mais s'il a commis un abus
de bien social dans la même affaire, on peut le poursuivre quinze ans après.
Cela coûte plus cher de voler que de tuer ! La vie humaine n'a pas beaucoup de
prix !
Si ce n'est pas cinq ans, si le Gouvernement propose, au terme de ses
réflexions, dix ans, douze ans, voire quinze ans - je le dis franchement, avec
amitié et même affection, à Mme le secrétaire d'Etat - moi, je ne marche pas,
je n'accepte pas un système qui consiste à considérer que la vie humaine a
moins de prix que trois francs six sous.
Par conséquent, si je suis ouvert aux discussions futures, à titre
conservatoire je maintiens mon amendement.
M. Philippe François.
Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est la nouvelle hiérarchie des valeurs !
M. José Balarello.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello.
Je veux simplement rappeler à Mme la secrétaire d'Etat que la prescription
pénale en matière de délit est de trois ans.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, accepté par la commission et repoussé par
le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de loi, après l'article 4.
Par amendement n° 6, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent, après l'article 4, d'insérer un article
additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 231-3 du code des juridictions financières est complété
in
fine
par un alinéa ainsi rédigé :
« Une déclaration de gestion de fait ne peut pas être prononcée sur les
exercices ayant déjà fait l'objet d'un apurement définitif de la chambre
régionale des comptes avec décharge donnée au comptable. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Il s'agit de préciser que, lorsqu'un exercice budgétaire a donné lieu, de la
part de la chambre régionale des comptes, à un apurement définitif avec
décharge donnée au comptable, on ne peut pas revenir dessus en particulier,
pour prononcer une gestion de fait ; sinon, on remet en cause la chose jugée.
Cela a été vu, cela a été jugé, le comptable a reçu
quitus,
la messe est
dite ! Terminé ! Sinon on n'en sortira jamais !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
La commission estime que cette solution paraît logique dès
lors que les comptes ont fait l'objet d'un jugement par la chambre régionale
des comptes.
Elle est donc favorable à l'amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Lorsque le juge examine les comptes du comptable
patent, il ne se prononce que sur les opérations qui sont retracées dans les
comptes.
Or, la gestion de fait concerne, par définition, des recettes qui sont perçues
en dehors de la caisse du comptable public, ou des sommes qui ont été
irrégulièrement extraites de cette caisse. Par là même, elle ne peut être
découverte à l'occasion du jugement des comptes tenus par le comptable de la
collectivité.
Dans ces conditions, la décharge accordée au comptable patent ne saurait
interdire au juge des comptes de déclarer des gestions de fait dont il aurait
connaissance postérieurement.
Pour cette raison, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 6.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Madame le secrétaire d'Etat, veuillez m'excuser de
vous le dire, mais votre explication est totalement irrecevable.
La majeure partie des gestions de fait se voient lors du contrôle des comptes
d'un exercice, ou de plusieurs exercices donnés. Il est faux de dire que la
majorité d'entre elles sont découvertes en dehors.
L'amendement n° 6 de M. Charasse est parfaitement cohérent et pertinent. C'est
la réponse du Gouvernement qui est étonnante.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Moi, je dois dire que je ne suis pas insensible à ce qu'a dit Mme le
secrétaire d'Etat.
Il n'empêche qu'avec la position qu'elle adopte on n'en finit jamais ! La
chambre régionale des comptes a donnée
quitus !...
Elle n'avait qu'à
voir... C'est exactement comme si un tribunal correctionnel rendait un premier
jugement, puis, trois ans après, disait : « Au fait, j'ai oublié, lors du
premier jugement, que Machin a craché sur la figure d'Untel. J'aurais dû
réagir. Finalement, je rouvre le dossier. »
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Non, c'est prescrit.
M. Michel Charasse.
Non ! trois ans après, ce n'est pas prescrit ! Pour le moment, la
prescription, c'est trente ans !
Bon ! Disons, monsieur le président Sarché, quinze jours ou trois semaines
après. Il dit : « Tiens j'ai oublié un truc, j'ai oublié le sel... je
redescends.... J'ai oublié de descendre la poubelle... je redescends... J'ai
oublié de condamner Machin... je reprends le dossier. C'est là un genre de
service à la carte et à la tête du client qui est difficilement acceptable !
Peut-être faudrait-il réécrire différemment cet amendement pour aboutir au
même résultat. Je le maintiens à titre conservatoire. Mais je ne m'opposerai
pas à ce que l'on tente de trouver une autre solution si Mme la secrétaire
d'Etat nous confirme qu'elle acceptera de revoir la question à l'occasion du
débat sur le projet de loi relatif au statut des conseillers.
En tout cas, ce qui est dit est dit, ce qui est fait est fait, et il n'y a pas
à y revenir !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, accepté par la commission et repoussé par
le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de la loi, après l'article 4.
Article 5
M. le président.
« Art. 5. - L'article L. 241-6 du code des juridictions financières est
complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions du titre premier de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978
portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et
le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal ne
sont pas applicables aux mesures d'instruction, rapports et diverses
communications provisoires de la chambre régionale des comptes. » -
(Adopté.)
Articles additionnels après l'article 5
M. le président.
Par amendement n° 24, M. Oudin, au nom de la commission des finances, propose,
après l'article 5, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« A l'article L. 241-7 du code des juridictions financières, les mots : "ainsi
que l'ordonnateur qui était en fonctions au cours de l'exercice examiné" sont
remplacés par les mots : "l'ordonnateur qui était en fonctions au cours de
l'exercice examiné, ainsi que, sur sa demande, toute personne que la chambre
envisage de mettre en cause nominativement ou explicitement". »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Cet article additionnel a pour objet de faire en
sorte que l'ensemble des personnes destinataires des lettres d'observations
provisoires aient eu l'occasion de faire valoir leur point de vue devant le
magistrat rapporteur ou devant le président de la chambre régionale avant
l'élaboration de ces documents, et cela pour deux raisons.
Premièrement, il peut être utile au magistrat d'entendre, tôt dans la
procédure, le point de vue des personnes qui doivent être mises en cause.
Deuxièmement, compte tenu des possibilités de fuites, il est préférable de
faire en sorte que les lettres d'observations provisoires soient de moins en
moins des documents dans lesquels les magistrats « se défoulent » et de plus en
plus des documents réalistes, réalisés dans le respect des règles de la
procédure contradictoire.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Avis favorable, monsieur le président.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Avis défavorable, parce que la procédure d'élaboration
d'observations de gestion prévoit un entretien préalable avec l'ordonnateur en
fonction et avec celui qui l'était au cours des exercices examinés. Ce sont les
dispositions de l'article L. 241-7.
Par ailleurs, aucune lettre d'observations définitives ne peut être arrêtée
sans l'audition des personnes mises en cause. Ce sont les dispositions de
l'article L. 241-4.
Cet amendement est donc sans objet puisqu'il convient de distinguer
l'entretien, qui a lieu indépendamment de toute mise en cause de qui que ce
soit et qui, de ce fait, a lieu entre le seul rapporteur et les ordonnateurs
concernés, de l'audition, par la formation de délibéré, et non par le seul
rapporteur, de chacune des personnes mises en cause.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 24, accepté par la commission et repoussé par
le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de loi, après l'article 5.
Par amendement n° 7, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 5, un article
additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 241-11 du code des juridictions financières est complété
in
fine
par un alinéa ainsi rédigé :
« Ces observations définitives sont publiées avec les éventuelles réponses
adressées par les personnes mises en cause, qui doivent intervenir dans le
délai fixé par la chambre. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Lorsque la chambre arrête ses observations définitives et les adresse aux
responsables de la collectivité concernée pour qu'il en soit donné connaissance
aux membres de l'assemblée délibérante, il est fréquent, il est même habituel,
que la presse locale soit destinataire des observations définitives, non pas
par fuite, mais parce que c'est un élément d'information. C'est très facile :
il suffit que les lettres d'observations définitives figurent, par exemple,
dans les rapports adressés au conseil général ; les rapports étant publics, la
presse locale en a connaissance.
La presse locale publie tout ou partie des lettres d'observations définitives,
sans donner forcément la parole à l'autorité mise en cause, dont les réponses
fournies au moment de la lettre d'observations provisoires ne figurent plus
dans la lettre d'observations définitives.
Lorsque c'est la Cour des comptes qui critique la gestion de certains
ministères dans son rapport public annuel, il est publié en annexe - ce qui est
tout à fait normal - les réponses des ministères, des collectivités, des
directeurs d'hôpitaux ou des patrons d'établissements publics concernés. Mais
là, au cas particulier, les lettres d'observations définitives ne comportent
pas les réponses des autorités mises en cause.
Par cet amendement n° 7, je propose que, désormais, ce soit le cas, comme pour
les rapports d'inspection générale dans les divers ministères, qui comportent
généralement en annexe les réponses aux inspections générales fournies par
l'intéressé.
Je souhaite que ces observations soient publiées avec les éventuelles réponses
- parce que l'autorité mise en cause n'est pas obligée de répondre - et, en
tout cas, que ce soit la chambre elle-même qui fixe un délai pour adresser les
réponses, qui seront publiées en annexe aux observations définitives.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
La commission rappelle que cet amendement prévoit une
publication des réponses des personnes mises en cause dans les observations
définitives ; mais elle souligne qu'il paraît satisfait par l'article 7 du
texte de la commission des lois, qui fixe, en outre, un délai d'un mois pour
les réponses de la personne mise en cause.
Il nous semble, dans ces conditions, que M. Charasse pourrait, s'il le veut
bien, retirer son amendement, car ce dernier semble faire double emploi avec ce
qui est proposé par la commission.
M. le président.
L'amendement n° 7 est-il maintenu, monsieur Charasse ?
M. Michel Charasse.
Non, monsieur le président, je le retire.
M. le président.
L'amendement n° 7 est retiré.
Articles additionnels avant l'article 6
M. le président.
Par amendement n° 8, M. Charasse et les membres du groupe socialiste et
apparentés, proposent d'insérer, avant l'article 6, un article additionnel
ainsi rédigé :
« Avant l'article L. 131-11 du code des juridictions financières, il est
inséré un article additionnel ainsi rédigé :
«
Art. L. ...
- L'élu local déclaré gestionnaire de fait pour le
versement irrégulier de rémunérations accessoires à des fonctionnaires
territoriaux n'est tenu au remboursement des sommes en cause qu'à la condition
que les fonctionnaires intéressés soient tenus au même remboursement et n'aient
pas honoré leur dette après qu'ont été vainement mises en oeuvre par le
comptable public de la collectivité ou de l'établissement concerné toutes les
voies de recouvrement légalement applicables. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Un certain nombre de collègues élus locaux ont été déclarés à bon droit
gestionnaires de fait - c'est d'ailleurs très souvent le cas - pour avoir versé
des rémunérations accessoires irrégulières aux personnels de la collectivité
concernée.
Dans ce cas-là, que se passe-t-il ?
Je dirais entre parenthèses à Mme le secrétaire d'Etat que, dans de très
nombreux cas, les collectivités locales se sont alignées sur le régime des
primes des préfectures, lequel est illégal. Mais rien n'est fait à l'encontre
du ministre de l'intérieur, et pour cause, car celui-ci ne relève pas de la
cour de discipline budgétaire. Je ne souhaite d'ailleurs pas que M. Chevènement
soit poursuivi, d'autant moins que ce n'est pas lui qui a inventé ce
système.
Bref, on fait comme l'Etat, on est gestionnaire de fait.
Mais lorsqu'un comptable public est mis en débet pour une raison ou une autre,
il poursuit le recouvrement des sommes correspondant au débet. Ayant payé à
tort 100 francs à M. Dupont, il poursuit ce dernier pour qu'il le rembourse,
sinon il va payer de sa poche.
En ce qui concerne les rémunérations irrégulières, le comptable de fait n'a
pas les moyens de poursuivre. Il doit donc payer. Parallèlement, nul ne
demandera à ceux qui ont perçu des rémunérations irrégulières de les
rembourser.
L'amendement n° 8 que je propose a simplement pour objet de réclamer le
reversement des sommes indues à ceux qui en ont bénéficié avant de demander au
comptable de fait de rembourser ce qui ne l'est pas par les intéressés. Sinon,
le système seraitinéquitable.
Quelqu'un reçoit des indemnités irrégulières, il doit les rembourser. Celui
qui a touché des indemnités irrégulières, qui, la plupart du temps, les a
réclamées avec insistance, en défilant, en faisant la grève, en bloquant le
service, etc., lui, pénard, tranquille, a tout empoché ; c'est sur le compte en
banque, ou sur le livret de caisse d'épargne de la gamine !
L'amendement n° 8 prévoit donc que, dans ce cas-là, tout le monde doit payer,
y compris les bénéficiaires des indemnités irrégulières, ce qui, à mon avis,
freinera beaucoup l'ardeur des services, parce qu'il y a longtemps que l'on ne
poursuit plus ce genre de chose. C'est à peu près aussi vieux que depuis que
l'on a pris l'habitude, au nom du service fait, de payer les jours de grève
!
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Cet amendement précise que l'élu local déclaré gestionnaire
de fait pour le versement irrégulier de rémunérations accessoires à des
fonctionnaires territoriaux n'est tenu au remboursement des sommes en cause
qu'à la condition que les fonctionnaires intéressés soient tenus au même
remboursement et n'aient pas honoré leur dette.
La commission des lois a estimé que cet amendement soulevait une véritable
question qui méritait attention.
Les irrégularités constatées dans ce domaine peuvent en effet s'expliquer le
plus souvent par des rigidités excessives du statut de la fonction publique
territoriale. Est donc en cause le problème de la place de la fonction publique
territoriale par rapport à la fonction publique d'Etat et de son caractère
attractif. Or un ordonnateur peut se voir réclamer sur ses deniers personnels
des sommes considérables, alors même que sa bonne foi n'est pas en cause.
Pour autant, l'amendement soulève un certain nombre de difficultés.
Il reviendrait notamment à subordonner le déclenchement d'une procédure
concernant un élu ordonnateur reconnu comptable de fait à l'échec préalable
d'une procédure concernant les fonctionnaires bénéficiaires des rémunérations
accessoires versées irrégulièrement.
La commission des lois a donc souhaité entendre le Gouvernement avant de se
prononcer.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Avis défavorable, parce que cet amendement introduit
une double discrimination : d'une part, une discrimination entre les
gestionnaires élus et les gestionnaires non élus, qui sont, eux aussi,
susceptibles d'être attraits dans la même procédure et pour la même raison ;
d'autre part, une discrimination au sens où il ne vise que les dépenses de
rémunérations accessoires, alors que la procédure de gestion de fait, par
définition, concerne tout type de dépenses de nature publique.
Pour cette raison, cet amendement nous paraît assez largement de
circonstance.
Par ailleurs, du point de vue de la forme, il nous semble que cet amendement
trouverait mieux sa place en fin de section 1 du chapitre Ier du titre III
plutôt que là où il est situé, c'est-à-dire dans une section relative à la
condamnation des comptables à l'amende.
M. le président.
Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
La commission s'en remet à la sagesse du Sénat, monsieur le
président.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 8.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Je ne sais pas si c'est un amendement de circonstance, mais, en tout cas,
personne ne me l'a soufflé, et je ne suis pas en situation de gestionnaire de
fait après avoir été mis en débet - cela viendra peut-être un jour ! - parce
que je n'ai jamais payé ce type de primes irrégulières. J'applique strictement
les règles. C'est d'ailleurs pour cela que les fonctionnaires m'aiment bien
!
Cela étant, j'ai visé là l'un des cas ayant donné lieu au plus grand nombre de
déclarations de gestion de fait depuis quinze ans. Aujourd'hui, cela doit avoir
tendance à s'estomper quelque peu, mais il y en a encore.
Madame le secrétaire d'Etat, au cas particulier, beaucoup de collègues élus
locaux ont été déclarés gestionnaires de fait parce qu'ils avaient aligné le
régime de rémunération - je pense notamment aux conseils généraux et aux
conseils régionaux - sur le régime des préfectures, qui est illégal. L'Etat ne
peut pas à la fois garder pour son compte un régime illégal et, avec un
charmant sourire et un joli minois, qui sont ceux de Mme Parly, nous dire
gentiment que eux les élus locaux, passent à la toise, un point c'est tout. Je
voudrais donc que le Gouvernement réfléchisse sur ce point dans la perspective
du prochain débat.
Ensuite, je ne sais pas ce que disent les gens de la direction de la
comptabilité publique qui suivent ces questions, mais, je le répète, lorsqu'un
comptable public est mis en débet, il a les moyens, par la voie administrative
et par les pouvoirs qui sont les siens, de poursuivre le recouvrement des
sommes qu'on lui réclame, alors que le comptable de fait ne les a pas,
puisqu'il ne peut pas déclencher un avis à tiers détenteur ou une saisie-arrêt
sur un compte, comme peut le faire le comptable public. Je ne vois pas où est
l'inégalité.
Mon amendement vise naturellement les cas où tout a été fait pour recouvrer
les traitements et indemnités indûment versés. Si une partie n'est pas
recouvrée, à ce moment-là le comptable de fait paie. Mais on ne peut pas lui
demander de payer la totalité, de vendre ses biens, et d'aller se consoler en
buvant l'apéritif chez un de ses employés communaux qui a largement touché et
profité des primes qu'il vient de payer en vendant sa propre maison... Il y a
quand même quelque chose qui ne va pas !
Monsieur le président, je retire mon amendement à titre provisoire, mais je
souhaite que Mme Parly et les collaborateurs qui l'entourent réfléchissent à
cette question, qui n'est pas mince. C'est un problème de justice et d'équité
car, contrairement à ce qui est dit, le comptable de fait et le comptable
public sont soumis, certes, aux mêmes sanctions, mais ils n'ont pas les mêmes
pouvoirs pour passer à travers la sanction !
M. Jacques Machet.
Ce n'est pas nouveau !
M. le président.
L'amendement n° 8 est retiré.
Par amendement n° 9, MM. Charasse et Dreyfus-Schmidt, les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 6, un article
additionnel ainsi rédigé :
« I. Le second alinéa de l'article L. 131-11 du code des juridictions
financières est ainsi rédigé :
« Cet amende est calculée suivant l'importance et la durée de la détention ou
du maniement des deniers sans pouvoir dépasser ni le dixième du total des
sommes indûment détenues ou maniées ni une somme d'un million de francs. »
« II. Le second alinéa de l'article L. 262-39 du code des juridictions
financières est ainsi rédigé :
« Cette amende est calculée suivant l'importance et la durée de la détention
ou du maniement des deniers dans les conditions déterminées par le second
alinéa de l'article L. 131-11. »
« III. Le second alinéa de l'article L. 272-37 du code des juridictions
financières est ainsi rédigé :
« Cette amende est calculée suivant l'importance et la durée de la détention
ou du maniement des deniers dans les conditions déterminées par le second
alinéa de l'article L. 131-11. »
La parole à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Il s'agit de ramener le montant maximum de l'amende susceptible d'être
prononcée pour gestion de fait à un montant plus modéré.
Actuellement, ce montant est susceptible d'être « égal au total des sommes
indûment détenues par le comptable de fait », ce qui peut être vraiment
considérable.
Le Conseil constitutionnel n'a pas examiné cette disposition, mais je ne suis
pas certain qu'il la jugerait nécessaire au sens de la déclaration de 1789. A
mon avis, le texte actuel est fragile, sauf que, comme il n'est pas susceptible
d'être déféré au Conseil, il ne risque rien pour l'instant.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Cet amendement fixe un double plafond à l'amende qui peut
être prononcée par le juge financier en cas de gestion de fait. Il convient de
rappeler que cette amende peut ne pas être prononcée.
Elle est actuellement calculée selon l'importance de la durée de la détention
ou du maniement des deniers. Son montant ne peut dépasser le montant des sommes
indûment détenues ou maniées.
Dans la pratique, il semble que le montant, sauf exception rarissime, d'un
million de francs ne soit pas dépassé, ce qui n'est pas déjà pas si mal !
La commission des lois s'est interrogée sur le principe même d'une amende
infligée par le juge financier à l'ordonnateur reconnu comptable de fait alors
que celui-ci n'a commis aucune infraction pénale.
Elle a par ailleurs constaté que cette amende pouvait représenter des sommes
très élevées.
Aussi, au dispositif de plafonnement prévu par l'amendement n° 9, la
commission des lois a-t-elle préféré la rédaction de l'amendement n° 4
rectifié, que défendra tout à l'heure M. Balarello, et qui prend en compte la
situation des gestionnaires de fait de bonne foi.
Dans ces conditions, la commission demande à M. Charasse de bien vouloir
retirer son amendement en attendant l'examen de l'amendement n° 4 rectifié.
M. le président.
Monsieur Charasse, accédez-vous à la demande de M. le rapporteur ?
M. Michel Charasse.
Je vais me rallier provisoirement à l'amendement n° 4 rectifié. Je dis «
provisoirement » parce que je souhaiterais y ajouter un élément - je le signale
dès maintenant au Gouvernement.
En effet, les ministres passent leur temps à faire des remises gracieuses,
totales ou partielles, d'amendes infligées par les juridictions financières. Or
j'ai toujours estimé, personnellement, que cela relevait du droit de grâce du
chef de l'Etat, et de lui seul. Pendant que j'étais moi-même ministre du
budget, je faisais accorder ces remises gracieuses par le Président de la
République.
Je pense qu'il serait beaucoup plus sain qu'en la matière le Président de la
République retrouve pleinement son droit de grâce.
Sous le bénéfice de cette observation, qui est accessoire, je retire mon
amendement au profit... disons plutôt au bénéfice
(Sourires.)
de celui
de M. Balarello.
M. le président.
L'amendement n° 9 est retiré.
Articles additionnels avant l'article 6 ou après l'article 14
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 4 rectifié, M. Balarello et les membres du groupe des
Républicains et Indépendants proposent d'insérer, après l'article 14, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Quand un ordonnateur déclaré comptable de fait, dans le cadre de l'opération
de reddition de ses comptes, a obtenu de la part de l'organe délibérant de la
collectivité la reconnaissance du caractère d'utilité publique sur les comptes
présentés, cet ordonnateur ne pourra être mis en débet à titre personnel à due
concurrence par la juridiction financière ayant jugé les comptes, si aucune
malversation, détournement ou enrichissement personnel n'a été relevé à son
encontre, aucune amende ne pourra être infligée à l'ordonnateur de bonne foi,
ayant obtenu l'utilité publique de la dépense et ayant mis fin à la situation
qui l'a amené à être déclaré comptable de fait.
« Cet apurement de la gestion de fait vaut
quitus
à hauteur des sommes
auxquelles l'utilité publique a été conférée. »
Par amendement n° 10, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt, les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 6, un article
additionnel ainsi rédigé :
« Avant l'article L. 131-11 du code des juridictions financières, il est
inséré un article additionnel ainsi rédigé :
Art. L. ...
- Si l'assemblée délibérante de la collectivité ou de
l'établissement public a déclaré l'utilité publique de la dépense, ou à défaut
le ministre chargé du budget, le comptable de fait ne peut être astreint à
payer les sommes mises à son débet.
« Le comptable de fait n'est pas non plus astreint à payer lorsque les
dépenses n'ont pas reçu le caractère d'utilité publique mais que le comptable
public compétent n'a pas fait toutes les diligences nécessaires ni pris toutes
les sûretés utiles en vue du recouvrement des créances de la collectivité, ni
constaté, le cas échéant, le caractère irrécouvrable de tout ou partie des
sommes en cause selon les règles et procédures applicables aux créances
habituellement recouvrées par les comptables publics.
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsque le
comptable de fait a été condamné définitivement pour des délits commis à
l'occasion et dans le cadre du maniement irrégulier des fonds publics. »
La parole est à M. Balarello, pour défendre l'amendement n° 4 rectifié.
M. José Balarello.
Le titre IV de cette proposition de loi tend à modifier certaines dispositions
concernant l'apurement définitif de la gestion de fait, cela afin d'éviter les
situations où l'ordonnateur n'a pas commis de malversation ou n'a eu aucun
enrichissement personnel dans le cadre de la gestion de fait, mais se voit
malgré cela infliger une mise en débet à titre personnel souvent très
importante - elle peut atteindre plusieurs millions de francs - alors même que
l'organe délibérant de la collectivité à laquelle, se rattache la gestion de
fait a conféré l'utilité publique aux comptes présentés lors de leur
reddition.
Nous savons tous en effet que la prise en compte de l'utilité publique ne
suffit pas à mettre hors d'atteinte le comptable de fait alors même que
celui-ci était entièrement de bonne foi. C'est la raison pour laquelle avec
l'aval de la commission, nous avons déposé cet amendement de façon à dispenser
de l'amende l'ordonnateur de bonne foi.
M. le président.
La parole est à M. Charasse, pour défendre l'amendement n° 10.
M. Michel Charasse.
Finalement, je trouve l'amendement de M. Balarello beaucoup plus intelligent
que le mien,...
M. José Balarello.
Merci !
M. Michel Charasse.
... ce qui m'ennuie profondément... Mais, tant pis !
Je retire donc mon amendement au bénéfice du sien. Décidément, cela fait deux
fois !
M. le président.
L'amendement n° 10 est retiré.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 4 rectifié ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Cet amendement dispose que ne pourra être mis en débet à
titre personnel l'ordonnateur qui aura obtenu de la part de l'organe délibérant
de la collectivité locale la reconnaissance de l'utilité publique sur les
comptes présentés si aucune malversation, aucun détournement ou enrichissement
personnel n'a été relevé à son encontre. Aucune amende ne pourra être infligée
à l'ordonnateur de bonne fois ayant obtenu l'utilité publique de la dépense et
ayant mis fin à la situation de comptable de fait.
Il soulève une question importante, qui porte sur les montants très élevés qui
peuvent être exigés d'un élu de bonne foi mis en débet.
La commission des lois a, pour sa part, suivi les recommandations du groupe de
travail. C'est pourquoi elle a retenu un dispositif prévoyant la suspension des
fonctions d'ordonnateur, dispositif qui semble recueillir un certain
consensus.
Trois problèmes de fond sont soulevés par l'amendement et méritent d'être
soulignés.
En premier lieu, il faut observer que sont appliquées à l'ordonnateur reconnu
comptable de fait les règles qui sont valables pour les comptables patents.
L'amendement pourrait en conséquence aboutir à une distorsion de traitement
entre élu et comptable patent fonctionnaire, qui serait seul, alors, à pouvoir
supporteur un débet.
En outre, si une décision de l'organe délibérant de la collectivité
reconnaissant l'utilité publique de la dépense suffisait à couvrir
l'irrégularité constatée et à dispenser du débet, on peut se demander si la
portée même de la procédure de gestion de fait, qui est de rétablir la
sincérité des comptes, et la règle de séparation des ordonnateurs et des
comptables ne seraient pas mises en cause.
Enfin, il existe une procédure de remise gracieuse par le ministre de
l'économie et des finances, prévue par les articles 7 et suivants du décret du
29 septembre 1964, qui peut être de nature à répondre à la préoccupation
exprimée.
Il est également vrai que l'avis conforme de l'organe délibérant exigé dans ce
cadre peut soulever un problème, notamment dans les cas de changement de
majorité politique au sein des assemblées locales.
Pour toutes ces raisons et compte tenu de la complexité du sujet, la
commission des lois a souhaité entendre l'avis du Gouvernement avant de se
prononcer.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, et
je vais essayer d'expliquer pourquoi.
Je risque d'apparaître un peu didactique, mais nous abordons là la question
centrale du débat, la gestion de fait.
Je rappellerai donc que cette procédure découle de deux principes fondamentaux
: le premier, c'est, comme vous l'avez rappelé à l'instant, monsieur le
rapporteur, la séparation des ordonnateurs et des comptables ; le second
principe est celui de l'unité et de l'universalité budgétaire, qui implique
qu'à une entité publique corresponde un seul budget et un seul compte. Enfin,
l'intégralité des recettes et des dépenses qui sont générées par la
collectivité doit être retracée dans ce budget et dans ce compte.
La gestion de fait repose sur la découverte d'opérations qui ont été
effectuées pour le compte de la collectivité, comme je le disais tout à
l'heure, mais en dehors de son budget, et qu'il convient, en application des
principes que j'ai rappelé à l'instant, de réintégrer tant dans le budget que
dans le compte par la mise en oeuvre d'un certain nombre de procédures.
Il faut d'abord l'autorisation budgétaire de l'assemblée délibérante, sans
laquelle de toute façon aucune opération ne peut être engagée au nom de la
collectivité. Il faut aussi établir le compte des opérations. Il faut dégager
le solde et le versement de celui-ci dans la caisse du comptable de la
collectivité.
La reconnaissance de l'utilité publique, qui est sollicitée de l'assemblée
délibérante dans le cadre de la procédure de gestion de fait, c'est
l'autorisation budgétaire, mais elle ne vaut pas validation du comptable de
fait et encore moins justification de la dépense ou de la recette dont la
régularité est appréciée par le juge des comptes comme pour les comptables
patents.
Par conséquent, elle ne fait pas disparaître la gestion de fait - elle en est
en quelque sorte la conséquence, puisqu'elle intervient
a posteriori
-
et constitue non pas une approbation des dépenses, mais une simple ouverture
rétroactive des crédits.
Cette reconnaissance de l'utilité publique des opérations constitue donc une
condition nécessaire mais non suffisance puisque, ensuite, il faut mener à bien
la seconde partie de la procédure, c'est-à-dire l'établissement du compte en
recettes et en dépenses et la fixation du solde qui est à reverser dans la
caisse de la collectivité.
Ce rappel un peu long m'a paru nécessaire parce qu'il met en lumière que
l'adoption de cet amendement, dont l'objet serait de conférer en quelque sorte
à l'acte de reconnaissance d'utilité publique la valeur d'un quitus,
reviendrait en réalité à distraire l'appréciation de la responsabilité
personnelle et pécuniaire du comptable de fait de la compétence du juge des
comptes, c'est-à-dire à supprimer, d'une certaine manière, la procédure de
gestion de fait.
M. le président.
Quel est maintenant l'avis de la commission sur l'amendement n° 4 rectifié
?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
La commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 4 rectifié.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Tout cela n'est pas très satisfaisant.
Pour ma part, je comprends parfaitement l'intention de M. Ballarello. Au
demeurant, je souhaiterais que son amendement soit modifié de telle sorte
qu'après le mots : « a obtenu de la part de l'organe délibérant de la
collectivité » soient ajoutés les mots : « ou, à défaut, de la part du ministre
chargé du budget », et cela de façon à éviter les vengeances politiques qui
peuvent suivre le renouvellement d'une majorité locale.
Je suis bien sûr sensible, comme Mme le secrétaire d'Etat, aux principes
qu'elle a rappelés, qui sont de grands principes de comptabilité publique,
mais, chère Florence Parly, des principes dont l'Etat s'affranchit lui-même
sans arrêt, sans être jamais sanctionné par personnes. Faites ce que je dis,
mais pas ce que je fait !
Si la collectivité reconnaît le caractère d'utilité publique des dépenses,
cela veut dire que les dépenses en question étaient utiles, que la collectivité
estime que l'ordonnateur a eu raison de les engager ; simplement la procédure
était mauvaise.
Dans ces conditions, chère Florence Parly, en vertu de quelle autorisation
budgétaire parlementaire peut-on régulièrement, en émettant des fonds attestant
un service qui n'a pas été rendu, payer les jours de grève aux fonctionnaires
de l'Etat ? Je vous pose la question !
Personnellement, je pense qu'il faut aller beaucoup plus loin dans la voie de
la reconnaissance d'utilité publique et de ses conséquences. A partir du moment
où l'assemblée a déclaré l'utilité publique, cela veut dire que la dépense
était utile, que seules les modalités étaient défaillantes, étant entendu,
comme le précise M. Balarello dans son amendement, qu'il n'y a pas eu de
malversation.
Avec les raisonnements qu'on m'oppose, la portée de la reconnaissance
d'utilité publique devient particulièrement limitée. Au fond, cela ne sert pas
à grand-chose d'avoir la reconnaissance d'utilité publique ! On est toujours en
débet : il faut rembourser et l'on n'en a pas les moyens ! Il s'agit souvent de
dépenses qui ont plus ou moins un caractère social, de soutien à des
associations ou autres, et qui ont été faites dans des conditions exemptes de
toute malversation susceptible de donner lieu à des poursuites pénales.
En fait, l'élu local n'a rien volé, il a fait pour le mieux, maladroitement en
ne respectant pas les procédures ; mais, finalement, le conseil municipal, le
conseil général, le conseil régional ou le conseil de groupement des
collectivités disent : il fallait le faire, quoiqu'il eût été bon de ne pas le
faire comme cela.
M. Balarello propose d'en tirer des conséquences simples, et l'on se pose
toute une série de questions.
Mes chers amis, j'ai géré le budget de l'Etat pendant quatre ans et demi. Je
peux vous dire que, quand on est un gestionnaire du budget de l'Etat, on se
pose moins de questions ! Quand on « planque », comme ce fut le cas en 1984, à
une heure du matin, au bord de la route, vers le tunnel du mont Blanc ouvert, à
l'époque, un trésorier-payeur général avec une table et des billets de banque
pour indemniser les camionneurs qui bloquent le tunnel, alors que l'on n'a même
pas pensé à signer un texte créant une régie des recettes, ou une régie
d'avances, on ne se pose pas de questions ! Si c'était un élu local qui avait
fait cela, il aurait été gestionnaire de fait !
Je crois donc, madame le secrétaire d'Etat, qu'il faut réfléchir sérieusement.
Lorsqu'une assemblée délibérante, qui est l'émanation de la souveraineté
populaire, décide que la dépense est justifiée, le reste n'est qu'accessoire
s'il n'y a pas eu de malversation.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jean-Pierre Schosteck.
Parfaitement !
M. le président.
Monsieur Balarello, acceptez de modifier votre amendement ainsi que l'a
proposé M. Charasse ?
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Monsieur le président, je
souhaiterais intervenir avant que M. Balarello ne se prononce.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Pour ma part, je ne suis pas
favorable à l'ajout proposé par M. Charasse. La motivation qu'il a donnée ne me
paraît pas tout à fait pertinente. Le ministre du budget peut aussi être un
ennemi politique. Cela peut arriver.
M. Michel Charasse.
Je cherche une instance d'appel.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Par ailleurs, mon cher collègue,
vous avez argumenté de telle manière que vous avez vous-même détruit la portée
de votre proposition. Vous avez parlé de la souveraineté populaire et de la
vertu qui s'attache à la délibération de la collectivité intéressée. Laissons
donc le problème se régler au sein de la collectivité intéressée, et n'y mêlons
pas le ministre chargé du budget ! Même s'il s'agit de ministres
particulièrement éminents, comme il y en eut dans le passé
(Sourires)
,
ce n'est pas la peine de les mêler à ces procédures.
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Vous avez raison !
M. Michel Charasse.
Alors, je n'insiste pas !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 4 rectifié.
M. José Balarello.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello.
Je voudrais simplement attirer l'attention de Mme la secrétaire d'Etat sur
trois points.
Je tiens d'abord à insister sur l'importance que revêt cette affaire pour les
élus locaux qui, tout en n'ayant commis aucune malversation, tout en n'étant
pas de mauvaise foi, risquent de se trouver totalement ruinés.
Je me demande dans quelle mesure cela est conforme à la déclaration des droits
de l'homme. Je me demande si cela n'est pas susceptible d'être condamné par la
Cour européenne de Strasbourg ou par la Cour de justice de Luxembourg. Si une
action devant ces cours internationales était intentée, n'arriverait-on pas à
mettre fin à cette façon de procéder qui est totalement ubuesque ?
Certes, la notion de comptable de fait est ancienne, mais force est de
reconnaître que c'est depuis les lois de décentralisation et l'institution des
chambres régionales des comptes qu'elle est régulièrement invoquée. Si, en
droit strict, les chambres régionales des comptes n'ont pas tort, il appartient
tout de même au législateur que nous sommes d'essayer de combler les lacunes du
droit en la matière.
Parce qu'il faut savoir que cela aboutit à la ruine de gens qui n'ont commis
aucune malversation ! Quand on saisit leurs biens personnels, on les ruine
littéralement ! Et il s'agit parfois de sommes considérables : je peux citer
l'exemple de quelqu'un qui n'a rigoureusement rien mis dans sa poche mais à qui
l'on réclame 23 millions de francs ! Je trouve cela absolument scandaleux.
J'en arrive au deuxième point sur lequel je souhaite appeler votre attention,
madame le secrétaire d'Etat.
J'ai trouvé un arrêt de la Cour des comptes, en date du 7 octobre 1993,
concernant la mairie de Salon-de-Provence, où il est indiqué que la déclaration
d'utilité publique suffit pour faire modifier les comptes et que la chambre
régionale des comptes ne peut pas aller à l'encontre de la déclaration
d'utilité publique.
Depuis des années, en fait, nous nous voilons la face en acceptant que des
gens qui sont honnêtes soient totalement ruinés.
Enfin, je veux soulever un problème de droit civil.
Je l'ai dit tout à l'heure, à Rome, déjà il existait l'action
de in rem
verso,
c'est-à-dire l'action pour l'enrichissement sans cause.
Dès que la collectivité locale a voté l'utilité publique, elle reconnaît que
la dépense est légitime. Cela signifie que, si un élu local est mis en cause à
hauteur de 10 millions de francs, par exemple, on fait entrer cette même somme
dans les caisses de la collectivité locale concernée. Mais, madame la
secrétaire d'Etat, ne pensez-vous pas que cet élu local est fondé à assigner la
collectivité devant la chambre civile du tribunal de grande instance en disant
que la collectivité lui doit ces 10 millions de francs, assortis des intérêts ?
N'a-t-on pas examiné la question ?
Moi, ce que je n'accepte pas - et je partage entièrement le point de vue de M.
Charasse à cet égard - c'est que nous survolons les problèmes dans cette
affaire. Or il y a un problème de législation financière un problème de droit
civil, ainsi qu'un problème de morale publique et d'équité.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4 rectifié, repussé par le Gouvernement et
pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de loi, après l'article 14.
Articles additionnels avant l'article 6
(suite)
M. le président.
Par amendement n° 11, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 6, un article
additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 131-11 du code des juridictions financières, il est
inséré un article additionnel ainsi rédigé :
«
Art. L. ... -
Dans le cadre de la procédure de gestion de fait,
l'assemblée délibérante de la collectivité concernée appelée à statuer sur
l'utilité publique des dépenses litigieuses doit se prononcer par une
délibération motivée. Celle-ci doit intervenir au cours de la première séance
de cette assemblée qui suit la demande du comptable de fait, adressée par
lettre recommandée avec accusé de réception, sollicitant que cette question
soit inscrite à l'ordre du jour du conseil.
« Faute pour le président de cette assemblée d'avoir satisfait à cette demande
ou en cas de délibération défavorable, la juridiction financière statue en
équité en tenant compte des circonstances de l'espèce. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Nous venons d'évoquer longuement la question de la déclaration d'utilité
publique des dépenses. Encore faut-il que l'élu en cause ait la possibilité
d'obtenir, au moins, que l'assemblée délibérante concernée prenne position.
L'amendement n° 11 vise à fixer une procédure pour que l'assemblée délibérante
se prononce sur une demande de déclaration d'utilité publique formulée par un
élu ordonnateur.
Je propose que cette demande fasse l'objet d'une lettre adressée au
responsable de la collectivité concernée et que celui-ci soit obligé de
l'inscrire à l'ordre du jour de la première séance de l'assemblée qui suit la
demande du comptable de fait. Si le président de l'assemblée concernée ne
satisfait pas à cette demande, ou si la délibération est défavorable, la
juridiction financière en tire les conséquences. Mais que, pour des raisons
d'hostilité politique ou de mesquines vengeances locales, des demandes de
déclaration d'utilité publique ne soient jamais examinées, cela me paraît tout
de même aberrant et un peu injuste.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Il est vrai que, si l'exécutif territorial ne faisait pas
toutes les diligences nécessaires pour inscrire la question à l'ordre du jour,
le problème pourrait se poser.
Cela dit, la commission souhaite connaître l'avis du Gouvernement avant de se
prononcer.
M. le président.
Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Sur le principe, cet avis est tout à fait favorable.
Toutefois, cet amendement ayant été déposé à la dernière minute, nous demandons
quelques jours pour mettre au point une solution ; celle-ci vous sera
prochainement soumise, lors de la première lecture du projet de loi
statutaire.
M. le président.
Quel est, maintenant, l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Favorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 11, accepté par la commission.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de loi, avant l'article 6.
Par amendement n° 12, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 6, un article
additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 131-11 du code des juridictions financières, il est
inséré un article additionnel ainsi rédigé :
«
Art. L. ...
- En cas de déclaration de gestion de fait par une
chambre régionale des comptes, le jugement n'est définitif que lorsque toutes
les voies de recours ont été épuisées. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Nous sommes là dans le domaine de la gestion de fait et donc des sanctions qui
peuvent découler de la déclaration de gestion de fait. Parce que le débet,
c'est tout de même une obligation financière qui ressemble fort à une sanction,
surtout s'il est accompagné d'une amende !
Or nous nous trouvons dans une situation qui est tout à fait paradoxale au
regard de la Convention européenne des droits de l'homme.
D'un côté, le Conseil constitutionnel ne cesse de nous expliquer que le même
régime doit s'appliquer aux peines pénales et aux sanctions, et il a rendu
plusieurs décisions, notamment en matière fiscale - Mme Parly les connaît bien
- aux termes desquelles, lorsque des sanctions sont prononcées, pas plus que
des peines elles ne peuvent être rétroactives. D'un autre côté, les décisions
de la chambre régionale des comptes sont exécutoires, même si elles sont
portées en appel, même si elles sont portées en cassation.
Autrement dit, alors que la convention européenne prévoit que les sanctions et
les peines ne peuvent être appliquées que lorsque toutes les voies de recours
ont été épuisées, là, ce n'est pas le cas.
Je propose donc de préciser simplement que, lorsqu'il y a gestion de fait,
avec les sanctions qui en découlent, on ne peut appliquer la décision de
justice que lorsque toutes les voies de recours ont été épuisées.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
La commission a bien mesuré l'importance des questions posées
et des solutions préconisées par M. Charasse.
Toutefois, les articles 10 et suivants de la proposition de loi substituent à
la procédure actuelle une procédure de suspension des fonctions de
l'ordonnateur. Cela permet de lever la difficulté signalée puisque la nouvelle
procédure se substituera à la procédure actuelle de régularisation dans le
délai de six mois.
Dans ces conditions, et selon la logique que nous avons adoptée, je demande à
M. Charasse de retirer son amendement.
M. le président.
L'amendement est-il maintenu, monsieur Charasse ?
M. Michel Charasse.
Puisque nous aurons un autre débat sur le même sujet, je fais confiance au
rapporteur, et je retire mon amendement.
M. le président.
L'amendement n° 12 est retiré.
Par amendement n° 13, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 6, un article
additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 131-11 du code des juridictions financières, il est
inséré un article additionnel ainsi rédigé :
«
Art. L. ...
- Les chambres régionales des comptes peuvent être
appelées à donner leur avis sur les questions qui leur sont soumises par les
préfets. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Voilà quelque temps, le code des tribunaux administratifs et des cours
administratives d'appel a étendu la compétence consultative de la juridiction
administrative aux tribunaux administratifs. Les préfets ont ainsi la
possibilité de saisir d'une demande d'avis des tribunaux administratifs
lorsqu'une question juridique complexe se pose à eux, de la même manière que le
Gouvernement a la possibilité de saisir le Conseil d'Etat d'une demande d'avis
lorsqu'il se trouve dans une situation similaire.
Bien entendu, l'avis rendu ne préjuge en rien les décisions susceptibles
d'être rendues ultérieurement par la juridiction, mais il donne au représentant
de l'Etat des indications utiles.
Les chambres régionales des comptes ont pris largement leur place,
aujourd'hui, dans l'élaboration du droit public et du droit financier, mais
cette procédure d'avis ne leur est pas appliquée, ce qui s'avère assez
pénalisant. En effet, cela pourrait être très utile lorsque, dans le cadre du
contrôle de légalité, le préfet conteste une décision.
Je vais prendre un exemple. Lorsqu'on a créé ces malheureux SDIS, les services
départementaux d'incendie et de secours, j'ai décidé de constituer un budget
annexe spécial pour faire apparaître clairement les dépenses relatives aux
pompiers et assumées par ma commune. Cela ne plaît pas à tout le monde, mais
c'est ainsi ! Or, l'instruction M 14 prévoit les cas dans lesquels un budget
annexe est obligatoire - en matière industrielle et commerciale - mais elle ne
dit rien d'autre. Autrement dit, elle n'interdit pas formellement la création
d'une comptabilité à part si l'on souhaite isoler des comptes de manière à
mieux cerner certains coûts.
Après avoir longuement réfléchi, l'organe chargé du contrôle de légalité m'a
dit : « Tout ce qui n'est pas interdit est autorisé ; je laisse passer. » Mais
je ne sais pas ce qu'en dira, le moment venu, la chambre régionale des comptes.
Si l'on avait pu la consulter à ce moment, elle nous aurait donné un avis, que
nous aurions suivi ou non, peu importe, mais elle nous aurait fourni une
indication pour la suite.
Je propose donc simplement que le préfet, lorsqu'il le juge nécessaire, puisse
formuler auprès de la chambre une demande d'avis juridique, comme il le fait
aujourd'hui auprès du tribunal administratif.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Cet amendement consacre la mission de conseil aux chambres
régionales des comptes sur les questions qui leur sont soumises par les
préfets. Je rappelle que le groupe de travail que j'ai eu l'honneur de présider
a été conduit à considérer que, si une telle proposition pouvait paraître
séduisante, elle constituait en réalité une fausse bonne idée.
En effet, elle soulève deux problèmes essentiels.
Le premier est d'ordre matériel : en raison des moyens limités en personnels
de certaines chambres régionales, il serait difficile de faire appliquer d'une
façon homogène et harmonieuse cette disposition sur l'ensemble du
territoire.
Le second problème est peut-être plus important. Cette proposition heurte un
principe posé par la Convention européenne des droits de l'homme. Cette mission
de conseil aboutirait en effet à une sorte de dédoublement fonctionnel des
chambres régionales, et créerait une confusion des fonctions juridictionnelles
et consultatives.
Je me permets, à cet égard, de citer un passage d'un arrêt de la Cour
européenne des droits de l'homme en date du 19 juillet 1995, l'arrêt Procola
contre Luxembourg.
Selon la Cour, « il y a eu confusion dans le chef de quatre conseillers d'Etat
de fonctions consultatives et de fonctions juridictionnelles. Dans le cadre
d'une institution telle que le Conseil d'Etat luxembourgeois, le seul fait que
certaines personnes exercent successivement à propos des mêmes décisions les
deux types de fonctions est de nature à mettre en cause l'impartialité
structurelle de ladite institution. En l'espèce, Procola a pu légitimement
craindre que les membres du comité du contentieux se soient sentis liés par
l'avis précédemment donné. Ce simple doute, aussi peu justifié soit-il, suffit
à altérer l'impartialité du tribunal en question. »
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission émet un avis défavorable
sur cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
L'avis du Gouvernement est également défavorable.
Il nous semble que le préfet, d'ores et déjà, a la capacité de demander un
certain nombre d'avis aux chambres régionales sur toutes sortes de questions.
Outre les actes budgétaires, il peut le faire sur des conventions de délégation
des services publics, sur des marchés passés par des collectivités
territoriales et leurs établissements publics.
La mesure proposée étendrait la possibilité, pour le préfet, de saisir les
chambres régionales des comptes à titre consultatif sur des questions qui nous
semblent aujourd'hui dévolues aux tribunaux adminsitratifs.
Par ailleurs, il semble que le préfet a vocation d'interroger les services
déconcentrés de l'Etat sur toutes sortes de questions d'ordre administratif ou
financier. En l'occurrence, dans l'exemple cité, il aurait pu interroger le
TPG.
M. Michel Charasse.
Il l'a fait ! Et le TPG a donné un avis défavorable. Et quand je lui ai
demandé sur quel texte il se fondait, il m'a répondu : « Il n'y en a pas ! »
Voilà !
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Le pouvoir de saisine du préfet est large. Dès lors,
je ne vois pas très bien sur quoi porterait l'extension ainsi proposée.
Nous sommes prêts à examiner concrètement les modalités de cette extension
mais, à ce stade, nous ne sommes pas favorables à l'amendement tel qu'il est
rédigé.
M. le président.
Monsieur Charasse, je vous prie d'éviter dorénavant de prendre la parole sans
l'avoir demandée. Sinon, je peux tout aussi bien aller manger la soupe pendant
que vous dialoguez les uns avec les autres !
(Sourires.)
Cela étant, maintenez-vous l'amendement n° 13 ?
M. Michel Charasse.
Si je l'ai fait, monsieur le président, c'était pour aller plus vite. Je ne
souhaite pas que vous soyez en retard pour le dîner. Je sais l'importance qu'il
a toujours pour vous !
(Nouveaux sourires.)
La décision de justice européenne dont M. le rapporteur de la commission des
lois vient de nous lire un extrait me paraît menacer fortement le caractère
consultatif de la juridiction administrative, qui pourrait bien, un de ces
jours, se faire, elle aussi, « ramasser » ...
Cela dit, j'ai contre moi la commission des lois, ce qui m'ennuie parce que ce
sont de bons collègues. J'ai contre moi la secrétaire d'Etat ; cela m'embête,
parce que je l'adore...
(Sourires.)
Dans ces conditions, je retire mon amendement.
M. le président.
L'amendement n° 13 est retiré.
Par amendement n° 14, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 6, un article
additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 131-11 du code des juridictions financières, il est
inséré un article additionnel ainsi rédigé :
«
Art. L. ... -
Tous les jugements et arrêts rendus par les tribunaux
administratifs, les chambres administratives d'appel et par le Conseil d'Etat
concernant directement ou indirectement une collectivité territoriale ou un
établissement public en dépendant doivent être automatiquement notifiés à la
chambre régionale des comptes compétente. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Je pense qu'il serait utile que les chambres régionales des comptes soient
systématiquement destinataires de tous les jugements concernant les
collectivités locales dont elles contrôlent la gestion.
Pourquoi vous dis-je cela ? Parce que je me suis trouvé, en Auvergne, devant
une situation très « simple » : l'association des maires a contesté le
contingent d'aide sociale devant le tribunal administratif ; elle a perdu.
Quelque temps après, la chambre régionale des comptes a examiné les comptes du
département et a déclaré, elle, que le contingent d'aide sociale était illégal
! Mais, comme il y avait l'autorité de la chose jugée de la décision du
tribunal administratif, cette déclaration était inopérante... sauf que la
chambre régionale des comptes ne le savait pas !
Par conséquent, on s'est trouvé dans un imbroglio juridique absolument total,
qui a conduit l'association des maires dont je m'occupe à se taire et à ne rien
faire.
Je pense qu'il serait mieux désormais que les chambres régionales des comptes
soient destinataires systématiquement de tous les jugements qui intéressent les
collectivités qu'elles contrôlent.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
La disposition proposée paraît source de complexité et de
lourdeur, c'est le moins que l'on puisse dire !
Par ailleurs, la commission rappelle que les jugements sont publics et que les
chambres régionales des comptes ont, bien sûr, les moyens de se procurer les
décisions de justice susceptibles de concerner leurs compétences. Faut-il pour
autant créer une obligation dans la loi ?
La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement partage l'avis défavorable de la
commission.
M. le président.
Monsieur Charasse, l'amendement n° 14 est-il maintenu ?
M. Michel Charasse.
Je veux simplement poser une question à Mme la secrétaire d'Etat, afin qu'elle
réfléchisse à la réponse qu'elle pourra me faire d'ici au prochain débat.
Madame la secrétaire d'Etat, que se passe-t-il lorsqu'une chambre régionale
des comptes remet en cause un jugement définitif d'un tribunal administratif ?
Personne n'est capable de me répondre ! Je souhaiterais donc que vous puissiez
au moins m'apporter une réponse après les vacances, une réponse claire et qui
soit utile à tout le monde.
Cela dit, je retire l'amendement n° 14.
M. le président.
L'amendement n° 14 est retiré.
Par amendement n° 15, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 6, un article
additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 231-13 du code des juridictions financières est complété
in
fine
par un alinéa ainsi rédigé :
« Le magistrat qui requiert au nom de la loi au sein de la chambre régionale
des comptes ne peut participer au délibéré de la chambre. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Cet amendement a simplement pour objet de préciser que le commissaire du
Gouvernement de la chambre régionale des comptes ne peut pas participer au
délibéré de la chambre, pas plus que le procureur ou le procureur général
n'assistent au délibéré du tribunal correctionnel ou de la cour d'assises.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Si un problème doit se poser au regard de la Convention
européenne des droits de l'homme, qui garantit le droit à un procès équitable,
il semble concerner la participation du rapporteur au délibéré et non celle du
ministère public.
Pour autant, la commission des lois souhaite avoir confirmation de la part du
Gouvernement que le ministère public ne participe jamais au délibéré. Il s'agit
d'une question préalable à laquelle nous souhaitons obtenir une réponse.
En outre, si exclure le rapporteur du délibéré est souhaitable sur le plan des
principes, cela pourrait poser un problème d'organisation, en particulier pour
les petites chambres régionales des comptes, composées de quatre ou cinq
magistrats seulement.
C'est en fonction de la réponse que nous apportera le Gouvernement que la
commission se déterminera sur cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le rapporteur, le commissaire du Gouvernement
est membre d'une formation de délibéré ; pour autant, il ne participe pas au
délibéré de la chambre. Il y a une différence entre « assister » et «
participer ». Je suis extrêmement claire : il ne participe pas au délibéré, il
assiste.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. Michel Charasse.
Et l'avocat général à la cour d'assises ?
M. le président.
Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Je poserai une question complémentaire à Mme la secrétaire
d'Etat, si elle le permet : en vertu de quels textes le commissaire du
Gouvernement ne participe-t-il jamais au délibéré ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Sauf erreur de ma part, c'est en vertu des articles R.
212-31 à R. 212-33 du code des juridictions financières.
M. le président.
Quel est donc
in fine
l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Sous réserve de l'appréciation de son auteur, l'amendement
devient sans objet.
Pour autant, la question du rapporteur demeure posée et il pourrait être
envisageable de préciser que le commissaire du Gouvernement ne doit pas
participer au délibéré.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
A l'occasion de cet amendement, M. le rapporteur a
soulevé le problème - important - du fonctionnement des petites chambres
régionales des comptes à quatre ou cinq magistrats, et il en existe, nous le
savons.
Madame la secrétaire d'Etat, pensez-vous réellement qu'une chambre régionale
des comptes puisse fonctionner avec quatre magistrats ? Ne serait-il pas
opportun, à l'occasion de ce débat ou de la discussion du projet de loi sur le
statut, que nous portions un regard objectif sur le fonctionnement des chambres
régionales, notamment sous l'angle de leurs effectifs ?
Les personnes que nous avons consultées nous disent que, si l'on veut vraiment
que la collégialité, le contre-rapport, bref l'ensemble des dispositions qui
régissent le fonctionnement normal des chambres soient appliquées, un minimum
de quinze magistrats par chambre serait nécessaire.
Cela impliquerait de réorganiser les chambres non pas en divisant leur nombre
par deux, mais en en regroupant un certain nombre afin d'atteindre l'efficacité
optimale.
Je me permets de soulever cette question à l'occasion de l'examen de cet
amendement, de façon que le Gouvernement puisse nous apporter une réponse. Il
s'agit là, non pas de gêner le fonctionnement des chambres, mais au contraire
d'améliorer leur efficacité.
M. le président.
Monsieur Charasse, l'amendement n° 15 est-il maintenu ?
M. Michel Charasse.
Il se trouve que je n'ai rien compris à ce débat !
M. le rapporteur pose la question à Mme la secrétaire d'Etat : est-ce que le
commissaire du Gouvernement participe au délibéré ? Est-ce qu'il assiste ? Mme
la secrétaire d'Etat répond qu'il ne participe pas au délibéré, en vertu des
articles R. ... quelque chose du code des juridictions financières.
Très bien ! Mais il assiste. Alors, est-ce que l'avocat général assiste au
délibéré du jury d'assises ?
M. José Balarello.
Non !
M. Michel Charasse.
Est-ce que le procureur de la République assiste au délibéré du tribunal
correctionnel ?
M. José Balarello.
Non !
M. Michel Charasse.
Pour ma part, je pense qu'il faut tout aligner.
Si j'ai bien compris ce qu'a dit M. le rapporteur de la commission des lois,
on va en reparler à l'automne, et je retire mon amendement. Mais je ne suis pas
décidé à accepter que le commissaire du Gouvernement, qui requiert au nom de la
loi, assiste au délibéré, même sans y participer. Surtout dans les petites
chambres, monsieur Oudin, où tout le monde se connaît. Si l'on arrivait à
constituer de grosses chambres, cela faciliterait peut être le travail des
magistrats..., mais cela crierait beaucoup plus fort sous nos fenêtres dans
certaines circonstances !
(Sourires.)
M. le président.
L'amendement n° 15 est retiré.
Article 6
M. le président.
« Art. 6. - L'article L. 241-14 du code des juridictions financières est
complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Avant que la chambre régionale des comptes arrête lesdites observations et
après, le cas échéant, l'audition des personnes mentionnées à l'alinéa
précédent, le ministère public lui présente ses conclusions qui apprécient
notamment la légalité de la procédure suivie au cours de l'examen de la
gestion. Ces conclusions peuvent être communiquées à leur demande aux personnes
visées au premier alinéa de l'article L. 241-11 »
Par amendement n° 25, M. Oudin, au nom de la commission des finances, propose
de compléter la seconde phrase du texte présenté par cet article pour compléter
l'article L. 241-14 du code des juridictions financières par les mots : « , à
l'ordonnateur en fonctions au cours de l'exercice examiné et à toute personne
nominativement ou explicitement mise en cause. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
L'article 6 rend obligatoire la présentation des
conclusions par le commissaire du Gouvernement, qui se prononce, notamment, sur
la légalité des procédures.
Dans sa rédaction actuelle, l'article 6 ne permet pas la communication de ces
conclusions à l'ordonnateur en fonction au cours de la période faisant l'objet
du contrôle, ni à l'ensemble des personnes nominativement ou explicitement
mises en cause. L'objet de cet amendement est de remédier à cet oubli.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Avis favorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Avis défavorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 25, accepté par la commission et repoussé par
le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 6, ainsi modifié.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
M. le président.
« Art. 7. - Après l'article L. 241-14 du code des juridictions financières,
sont insérés les articles L. 241-14-1 et L. 241-14-2 ainsi rédigés :
«
Art. L. 241-14-1.
- Les observations définitives sur la gestion
prévues par l'article L. 241-11 ne peuvent être publiées ni communiquées à des
tiers avant que l'ordonnateur et celui qui était en fonctions au cours de
l'exercice examiné ou le dirigeant ou tout autre personne nominativement ou
explicitement mise en cause aient été en mesure de leur apporter une réponse
écrite dans un délai d'un mois. Cette réponse est annexée aux observations
définitives de la chambre régionale des comptes. »
«
Art. L. 241-14-2.
- Les observations définitives sur la gestion
prévues par l'article L. 241-11 ne peuvent être publiées ni communiquées à des
tiers à compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours
duquel il doit être procédé à des élections pour la collectivité concernée et
jusqu'à la date du tour de scrutin où l'élection est acquise. »
Je suis saisi, par MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés, de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une
discussion commune.
L'amendement n° 22 vise à rédiger comme suit le texte proposé par l'article 7
pour l'article L. 241-14-2 du code des juridictions financières :
«
Art. L. 241-14-2.
- Sous réserve de l'application de l'article 40 du
code de procédure pénale, aucun jugement relatif aux comptes d'une collectivité
locale ou d'un établissement public local ne peut être rendu par une chambre
régionale des comptes, ni aucune observation, provisoire ou définitive,
adressée par cette chambre dans les trois mois qui précèdent le renouvellement
général des collectivités locales dont fait partie la collectivité
concernée.
« Les délais de prescription sont suspendus pour la même durée. »
L'amendement n° 16 rectifié tend à rédiger comme suit le texte proposé par
l'article 7 pour l'article L. 241-14-2 du code des juridictions financières
:
«
Art. L. 241-14-2.
- Sous réserve de l'application de l'article 40 du
code de procédure pénale, aucun jugement relatif aux comptes d'une collectivité
locale ou d'un établissement public local ne peut être rendu par une chambre
régionale des comptes, ni aucune observation, provisoire ou définitive,
adressée par cette chambre dans le délai prévu au deuxième alinéa de l'article
L. 52-1 du code électoral.
« Les délais de prescription sont suspendus pour la même durée. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
S'agissant de l'amendement n° 22, je le retire, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 22 est retiré.
Veuillez poursuivre, monsieur Charasse.
M. Michel Charasse.
Pour l'instant, il n'y a rien dans la loi, mais les chambres régionales des
comptes ont adopté une pratique selon laquelle, trois mois avant une élection,
on n'envoie pas de lettre d'observations. Mais ce délai de trois mois est très
différent de l'autre délai fixé par le code électoral, qui, lui, est de six
mois. Si bien que, pendant les six mois qui précèdent une élection générale, un
maire ne peut pas dire du bien de lui à travers des publications municipales,
mais que, pendant trois de ces six mois-là il peut se faire éreinter par la
chambre régionale des comptes !
Mon amendement vise donc à aligner les deux délais : pendant six mois, on ne
dit pas de bien et on ne dit pas de mal. Et les électeurs s'en chargent !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
L'amendement de M. Charasse applique à la publication des
jugements et observations des chambres régionales des comptes le délai de six
mois prévu par le code électoral pour l'interdiction de toute promotion sur une
gestion locale à la veille d'une élection. Il prévoit parallèlement la
suspension des délais de prescription.
Son objet est partiellement satisfait par l'article 7 du texte proposé par la
proposition de loi, qui se limite néanmoins à la publication des lettres
d'observations définitives et non pas des jugements.
La commission n'a pas entendu exclure la possibilité que des jugements des
comptes soient rendus pendant la même période. Elle a donc émis un avis
défavorable sur cet amendement, s'en tenant à sa proposition initiale portant
uniquement sur les lettres d'observations définitives.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
En ce qui concerne les observations de gestion, le
Gouvernement estime que cette proposition doit être considérée par rapport à
l'article 32 du projet de loi portant diverses propositions statutaires sur la
Cour des comptes.
Les chambres régionales des comptes adoptent une période de réserve de trois
mois pour l'envoi des lettres d'observations définitives aux ordonnateurs
concernés par des élections locales. L'article 32 précité, en rendant
communicables non seulement les lettres d'observations, mais aussi les réponses
des personnes concernées, apporte au citoyen, à l'électeur, l'ensemble des
moyens nécessaires pour qu'il se forge une juste opinion.
En ce qui concerne les jugements, l'amendement, qui interdirait à une
juridiction de rendre des jugements en considération de périodes électorales,
introduirait un régime d'exception inédit en droit français, en contradiction
avec le principe d'indépendance de la justice.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 16 rectifié.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
J'ai lu avec attention l'article 7, monsieur le rapporteur, proposé par la
commission des lois, mais il me paraît un peu restrictif par rapport à mon
propre amendement.
Moi, je visais l'impossibilité pour la chambre des comptes de perturber d'une
quelconque manière une campagne électorale en cours, mais je réservais
l'éventualité de poursuites pénales en autorisant la chambre, pendant ce délai
de six mois, à saisir le parquet si elle avait noté, au cours de son travail,
des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale.
Monsieur le président, j'ai la faiblesse de préférer ma rédaction, même si je
me rallierai à la rédaction de la commission si ma rédaction n'est pas
adoptée.
Donc, je maintiens l'amendement n° 16 rectifié. J'appelle l'attention de M. le
rapporteur sur le fait qu'il doit bien être entendu tout de même, et j'espère
qu'il le dira, que, pendant ce délai de six mois, la chambre a toujours la
possibilité de saisir le préfet si elle a constaté des faits délictueux sur la
base de l'article 40 du code de procédure pénale. Ce serait tout à fait dommage
de se retrouver dans un cas de prescription que l'on n'a pas saisi l'autorité
judiciaire dans les délais, parce que l'on considère que l'on se doit d'être
complètement muet pendant ces six mois.
Cela dit, je pense qu'à partir du moment où un élu local ne peut faire valoir
les vertus de sa gestion, que ce soit par la publicité d'un jugement définitif
ou par celle des observations, il me paraît difficile que l'on puisse faire
valoir les défauts de sa gestion pendant la même période.
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Je voudrais souligner à l'adresse de M. Charasse et de
l'ensemble de nos collègues que le délai de six mois proposé par la commission
des lois empêche uniquement la publication et l'envoi des lettres
d'observations définitives, et que, naturellement, l'ensemble des activités des
chambres pendant ces mêmes délais - le travail d'investigation, de mission,
d'échanges, de contrôle... est évidemment laissé à la libre possibilité des
chambres régionales des comptes.
J'indique également que la commission des lois a restreint la limite ainsi
imposée aux seules élections pour la collectivité concernée.
Nous ne sommes donc plus dans le cadre de la rédaction initiale, qui prévoyait
que le délai de neutralité était imposé pour six mois à la veille de l'ensemble
des élections générales. Aujourd'hui, ce sont uniquement les élections locales,
et pour la gestion concernée, qui donneront lieu à l'observation du délai.
Autrement dit, les élections générales - élections législatives, sénatoriales,
européennes, présidentielles et autres - ne seront plus génératrices d'aucun
délai que les chambres auraient à observer.
Ce sont là des précisions qu'il faut apporter, et c'est bien volontairement
que la commission des lois s'en est tenue à la limitation à ces élections et au
seul examen de la gestion. L'ensemble des autres activités sont bien entendu
librement laissées à la diligence des chambres.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Lors des réunions du groupe de travail et de la
préparation de ce texte qui est en discussion, nous avons souhaité que le
déroulement des campagnes électorales soit réellement marqué à la fois par
l'équité et par la sérénité.
C'était d'ailleurs bien là l'intention du législateur lorsque, en mettant tous
les candidats sur le même plan, il avait estimé qu'il convenait d'interdire que
le candidat sortant, l'élu en place, puisse utiliser les fonds de sa
collectivité pour assurer la promotion de sa gestion et donc pour faire sa
campagne.
Par conséquent, ces six mois où il était interdit de faire une promotion
positive de son action devaient également être retenus pour éviter toute
perturbation extérieure négative, sachant qu'une lettre d'observations
définitives doit être délibérée en conseil municipal. Elle est donc rendue
publique et peut faire l'objet de certaines polémiques.
Nous sommes donc dans la même logique de sérénité et d'équité dans cette
période de neutralité. Je souhaitais le dire, car nous sommes tous d'accord, je
crois, sur ces dispositions.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 16 rectifié, repoussé par la commission et
par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 7.
(L'article 7 est adopté.)
Articles 8 et 9
M. le président.
« Art. 8. - Le chapitre III du titre IV de la première partie du Livre II du
code des juridictions financières est complété par un article L. 243-4 ainsi
rédigé :
«
Art. L. 243-4
. - La chambre régionale des comptes statue dans les
formes prévues aux articles L. 241-13 et L. 241-14 sur toute demande en
rectification d'observations définitives sur la gestion qui peut lui être
présentée par les dirigeants des personnes morales contrôlées ou tout autre
personne nominativement ou explicitement mise en cause. »
- (Adopté.)
« Art. 9. - Le chapitre III du titre IV de la première partie du Livre II du
code des juridictions financières est complété par un article L. 243-5 ainsi
rédigé :
«
Art. L. 243-5
. - Les observations définitives formulées par la
chambre régionale des comptes sur la gestion d'une collectivité territoriale,
d'un établissement public local ou de l'un des organismes mentionnés au premier
alinéa de l'article L. 241-11 sont des actes susceptibles de faire grief. Ils
peuvent être déférés devant le Conseil d'Etat pour excès de pouvoir. » -
(Adopté.)
TITRE III
DISPOSITIONS TENDANT À PRÉCISER
CERTAINES RÈGLES D'INÉLIGIBILITÉ
PRÉVUES PAR LE CODE ÉLECTORAL
Article 10
M. le président.
« Art. 10. - Au début du 11° de l'article L. 195 du code électoral, sont
insérés les mots : "Sous réserve des dispositions du second alinéa de l'article
L. 205,". »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 1 est présenté par M. Balarello et les membres du groupe des
Républicains et Indépendants.
L'amendement n° 17 est déposé par MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres
du groupe socialiste et apparentés.
Tous deux tendent à rédiger comme suit cet article :
« Dans le 11° de l'article L. 195 du code électoral, après les mots : "agents
et comptables de tout ordre", sont insérés les mots : "agissant en qualité de
fonctionnaire". »
La parole est à M. Balarello, pour présenter l'amendement n° 1.
M. José Balarello.
Cet amendement vise les problèmes relatifs à l'inégilibité des élus au conseil
général lorsque ces derniers sont déclarés comptables de fait.
L'article 195 du code électoral prévoit dix-neuf catégories de personnes ne
pouvant être élues membres du conseil général. Entre le dixième alinéa, qui
concerne les inspecteurs d'académie, les inspecteurs de l'enseignement
primaire, et le douzième alinéa, qui vise les directeurs départementaux et
inspecteurs principaux des postes et télécommunications, figurent les agents et
comptables de tout ordre, employés à l'assiette, à la perception et au
recouvrement des contributions directes et indirectes, etc. On assimile donc
les comptables de fait à ces agents et comptables. C'est la raison pour
laquelle je propose, par l'amendement n° 1, d'ajouter les mots : « agissant en
qualité de fonctionnaire ».
M. le président.
La parole est à M. Charasse, pour présenter l'amendement n° 17.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, cet amendements n°s 18 à 21 ont tous le même objet, et
je les défendrai donc ensemble.
Aux termes du code des juridictions financières et du code électoral, l'élu
définitivement déclaré comptable de fait est inéligible.
Comme je l'ai indiqué tout à l'heure dans la discussion générale, cette
sanction a, en fait, un caractère automatique ; or, le Conseil constitutionnel,
voilà dix-huit mois, a remis en cause, à propos d'un texte étendant à la
Nouvelle-Calédonie des dispositions du droit français relatives au droit des
sociétés, et notamment aux faillites, le principe de l'automaticité de telles
sanctions, en considérant qu'il ne pouvait y avoir perte des droits civiques
sans une décision de justice.
Les amendements que je présente ont pour objet de supprimer cette sanction
automatique. La question qui se pose est bien évidemment de savoir s'il ne va
pas en résulter une inégalité entre le comptable public ou patent qui est, en
tout état de cause, inéligible et le comptable de fait, qui, devient inéligible
dans la mesure où il est déclaré comptable.
Je tiens à dire que leur situation n'est pas du tout la même : le comptable
public, lui, prête serment devant la chambre régionale des comptes ; le
comptable de fait, non. Le comptable public, lui, dispose de moyens de
poursuivre le recouvrement des sommes indues ; le comptable de fait, non. Le
comptable public, lui, a la possibilité d'adhérer à un organisme de caution
mutuelle qui le couvre jusqu'à hauteur de la moitié ou d'un peu plus en cas de
débet ; le comptable de fait, non. De surcroît, le gestionnaire de fait n'est
comptable que pour la brève période pendant laquelle il a été déclaré tel, et,
généralement, lorsque la sanction d'inéligibilité est appliquée, il y a beau
temps qu'il ne l'est plus, puisque ses activités de comptable ont cessé. Dans
ce cas, la sanction frappe donc
a posteriori
une période de deux, trois,
quatre, cinq ou six mois, période pendant laquelle l'intéressé a été,
quelquefois à son corps défendant et sans s'en rendre compte, comme M. Jourdain
faisait de la prose sans le savoir, un comptable de fait.
Par conséquent, le principe d'égalité n'est, à mon avis, pas rompu puisque les
comptables sont dans une situation différente.
J'ajoute - ce n'est pas moindre - que, pour son métier de comptable public,
l'intéressé est rémunéré par l'Etat, alors que, pour son métier de comptable de
fait, l'intéressé n'est qu'emm... par tout un tas de personnes, dont la chambre
régionale des comptes et quelques autres ! Il n'y a donc pas vraiment d'égalité
entre les deux catégories.
Tous ces amendements ont donc le même objet. Ils visent, comme l'amendement n°
1 de M. Balarello, à dire que l'inéligibilité ne concerne que le comptable
patent, donc public, et que, dans tous les autres cas, il n'y a pas
d'inéligibilité pour l'ordonnateur qui s'est érigé en comptable de fait, sauf,
bien entendu - mais c'est le tribunal judiciaire qui le dira - s'il y a eu des
malversations entraînant une inégibilité au titre des peines prévues pour les
condamnés dans le cadre du code électoral.
Monsieur le président, j'ai défendu en bloc tous mes amendements.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 1 et 17 ?
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
En ce qui concerne l'amendement n° 1 - mais cet avis
constitue également une réponse aux amendements que vient de présenter M.
Charasse -, il tend à ne rendre inéligible aux assemblées locales que les seuls
comptables exerçant en qualité de fonctionnaires. Dans son esprit, cet
amendement a le même objet que le texte adopté par la commission des lois, qui
vise à préciser les règles d'inéligibilité applicables aux ordonnateurs
reconnus comptables de fait.
Toutefois, la commission des lois, conformément aux recommandations du groupe
de travail, a retenu une procédure de suspension de ses fonctions de
l'ordonnateur reconnu comptable de fait jusqu'à la régularisation de sa
situation.
Le bien-fondé de cette procécure est admis par les magistrats financiers
eux-mêmes, lesquels ont regretté, devant le groupe de travail, que le juge des
comptes soit conduit à être également le juge du mandat.
C'est pourquoi le texte de la commission des lois précise, à l'article L. 195
du code électoral, que l'inéligibilité des comptables exerçant dans le
département est applicable sous réserve des dispositions relatives à la
suspension des fonctions d'ordonnateur insérées par la commission à l'article
L. 205.
Le dispositif de la commission paraît donc de nature à satisfaire l'objet de
l'amendement, lequel, en revanche, introduit dans l'énoncé des règles générales
d'éligibilité une différence de traitement entre les comptables selon qu'ils
sont fonctionnaires ou non. La commission des lois s'est néanmoins ralliée à
cette proposition.
Je précise que, si les amendements n°s 1 et 17 étaient adoptés, ils rendraient
sans objet les articles 11, 13 et 14 de la proposition de loi dans le texte
proposé par la commission des lois. Ces articles devraient alors faire l'objet
des coordinations prévues.
La commission émet donc un avis favorable sur les amendements n°s 1 et 17.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 1 et 17 ?
Mme Florence Parly,
secrétaire d'Etat.
Comme les orateurs précédents, je m'exprimerai
globalement sur les amendements n°s 1, 17 et suivants.
Il faut examiner de manière globale la question des conséquences de la gestion
de fait ; en effet, dans le droit existant, l'équilibre du régime est sinon
fragile, du moins ténu.
L'article 195 du code électoral prévoit l'égalité de traitement au regard de
la possibilité de se faire élire, entre d'une part, un citoyen exerçant la
profession de comptable public et, d'autre part, un élu s'étant ingéré
momentanément dans les mêmes fonctions de comptable.
D'un côté, le comptable public ne peut se présenter à une élection dans le
ressort de son territoire professionnel dans le délai de six mois, non pas
parce qu'il aurait agi en contradiction avec les lois et règlements mais tout
simplement parce que pèse
a priori
sur lui le soupçon d'avoir utilisé
ses fonctions pour se concilier les électeurs.
D'un autre côté, cette incompatibilité est appliquée à un élu qui a été jugé
comptable de fait, c'est-à-dire qu'il a utilisé ses fonctions d'ordonnateur
pour distraire de la caisse publique une partie des deniers de la collectivité
qu'il administre.
Supprimer cette incompatibilité pour le comptable de fait pose une vraie
question de rupture d'équilibre qu'il importe de considérer.
Les dispositions de l'article L. 205 du code électoral, que la commission
propose également de modifier à l'article suivant, comportent, j'en conviens,
des imperfections. En effet, pour éviter l'effet brutal et immédiat d'une
démission d'office, elles permettent qu'un élu qui a été jugé comptable de fait
soit maintenu dans ses fonctions électives s'il reçoit quitus dans le délai de
six mois de l'expiration du délai de production du compte. Mais si une nouvelle
élection intervenait dans les six mois, il ne pourrait pas se représenter.
Nous pensons que des améliorations et des corrections peuvent être apportées
sans porter atteinte au principe de la séparation des pouvoirs posé par notre
droit financier. Nous souhaitons donc, nous aussi, remédier à la rigueur,
effectivement excessive, de certaines des conséquences de la gestion de fait en
matière électorale.
J'en profite, si vous m'y autorisez, monsieur le président, pour récapituler
les engagements que j'ai pris devant vous.
J'ai pris ainsi l'engagement d'introduire dans le projet de loi statutaire qui
sera prochainement soumis à la Haute Assemblée une disposition relative à la
délibération de reconnaissance de l'utilité publique, qui satisfera
l'amendement n° 11 de M. Charasse.
J'ai proposé à votre assemblée de réexaminer dans le cadre de l'article 32 de
ce projet de loi statutaire les propositions relatives aux missions des
chambres régionales des comptes en matière d'examen de la gestion, notamment en
ce qui concerne les réponses écrites des ordonnateurs aux observations
définitives.
S'agissant enfin de l'apurement administratif, j'ai indiqué que le groupe de
travail commun à la Cour des comptes et au ministère des finances proposera un
système, durable je l'espère.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur les deux amendements
identiques n°s 1 et 17.
M. le président.
Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 1 et 17.
M. José Balarello.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello.
L'explication de Mme le secrétaire d'Etat contient des éléments positifs, et
je l'en remercie, puisqu'elle nous a dit en réalité qu'elle prendrait en compte
les travaux qui se sont déroulés cet après-midi au Sénat.
Cela étant, lorsqu'on nous dit qu'il y aurait rupture de traitement entre le
comptable public et le comptable de fait, je réponds qu'il faut revenir au code
électoral ! Qu'a voulu le législateur en adoptant les articles L. 194 et
suivants concernant les conseils généraux ? Il en est d'ailleurs de même pour
les conseils municipaux, et c'est pourquoi nous avons déposé, avec Michel
Charasse, un certain nombre d'amendements visant aussi ces derniers. Le
législateur a, dans les deux cas, souhaité rendre inéligibles un certain nombre
de personnes : les préfets, les magistrats du siège et du parquet, les membres
des tribunaux d'instance et de grande instance, les officiers, les
fonctionnaires des corps actifs de police, les ingénieurs des Ponts et
Chaussées - tous les élus cantonaux le savent ! - mais aussi les ingénieurs des
Postes et Télécommunications, etc. Bref, ces articles contiennent une
nomenclature de dix-neuf professions.
Cela n'a toutefois, rien à voir avec la différence de traitement entre le
comptable public et celui qui serait devenu comptable public à la suite d'une
gestion de fait !
En réalité, là où le bât blesse, c'est précisément parce que la jurisprudence
qui a été établie pour l'application de ces dispositions est le fruit de je ne
sais quel esprit tortueux - et je suis mesuré : j'allais dire « tordu » - dans
la mesure où l'article L. 195 a été appliqué à la gestion de fait.
Je crois, madame le secrétaire d'Etat, qu'il faut que vous purgiez ce problème
de façon définitive, comme nous le ferons pour les élections municipales dans
quelques instants.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 1 et 17, acceptés par la
commission et repoussés par le Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président.
En conséquence, l'article 10 est ainsi rédigé.
Article 11
M. le président.
« Art. 11. - Le second alinéa de l'article L. 205 du code électoral est ainsi
rédigé :
« Toutefois, par dérogation à l'alinéa précédent, lorsqu'un jugement du juge
des comptes statuant définitivement a déclaré comptable de fait un conseiller
général, celui-ci est suspendu de ses fonctions d'ordonnateur jusqu'à ce que
quitus lui soit délivré de sa gestion. »
Par amendement n° 18, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit cet article :
« Le second alinéa de l'article L. 205 du code électoral est supprimé. »
Il s'agit, comme il a été dit, d'un amendement de coordination.
Personne ne demande la parole ?...
Je le mets aux voix.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 11 est ainsi rédigé.
Article 12
M. le président.
« Art. 12. - Au début du 6° de l'article L. 231 du code électoral, sont
insérés les mots : "Sous réserve des dispositions du dernier alinéa de
l'article L. 236". »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 19, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit cet article :
« Le 6° de l'article L. 231 du code électoral est supprimé. »
Par amendement n° 2, M. Balarello et les membres du groupe des Républicains et
Indépendants proposent de rédiger comme suit l'article 12 :
« Dans le 6° de l'article L. 231 du code électoral, après les mots : "Les
comptables des deniers communaux", sont insérés les mots : "agissant en qualité
de fonctionnaire". »
Il s'agit d'amendements de coordination.
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Paul Amoudry,
rapporteur.
Monsieur le président, par cohérence, la commission
souhaiterait que l'amendement n° 2 soit adopté plutôt que l'amendement n°
19.
M. le président.
Monsieur Charasse, acceptez-vous de retirer l'amendement n° 19 au bénéfice de
l'amendement n° 2 ?
M. Michel Charasse.
A cette heure, monsieur le président, et ayant les mêmes obligations que vous,
j'accepte de le retirer.
(Sourires.)
M. le président.
L'amendement n° 19 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 12 est ainsi rédigé.
Article 13
M. le président.
« Art. 13. - Le dernier alinéa de l'article L. 236 du code électoral est ainsi
rédigé :
« Toutefois, par dérogation à l'alinéa précédent, lorsqu'un jugement du juge
des comptes statuant définitivement a déclaré comptable de fait un conseiller
municipal, celui-ci est suspendu de ses fonctions d'ordonnateur jusqu'à ce que
quitus lui soit délivré de sa gestion. »
Par amendement n° 20, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit cet article :
« Le dernier alinéa de l'article L. 236 du code électoral est supprimé. »
Il s'agit également d'un amendement de coordination.
Personne ne demande la parole ?...
Je le mets aux voix.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 13 est ainsi rédigé.
Article 14
M. le président.
« Art. 14. - Le dernier alinéa de l'article L. 341 du code électoral est ainsi
rédigé :
« Toutefois, par dérogation à l'alinéa précédent, lorsqu'un jugement du juge
des comptes statuant définitivement a déclaré comptable de fait un conseiller
régional, celui-ci est suspendu de ses fonctions d'ordonnateur jusqu'à ce que
quitus lui soit délivré de sa gestion. »
Par amendement n° 21, MM. Charasse, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit cet article :
« Le dernier alinéa de l'article L. 341 du code électoral est supprimé. »
Il s'agit d'un amendement de coordination.
Personne ne demande la parole ?...
Je le mets aux voix.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 14 est ainsi rédigé.
Division additionnelle après l'article 14
M. le président.
Par amendement n° 3, M. Balarello et les membres du groupe des Républicains et
Indépendants proposent d'ajouter, après l'article 14, une division
additionnelle ainsi rédigée :
« Titre...
« Dispositions visant à organiser l'apurement définitif de la gestion de fait
dans le cas de non-détournement de sommes, ni enrichissement personnel. »
La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello.
Je retire cet amendement, monsieur le président, comme nous en étions convenus
en commission des lois.
M. le président.
L'amendement n° 3 est retiré.
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix les conclusions de la commission des lois, je donne
la parole à M. Charasse pour explication de vote.
M. Michel Charasse.
Notre groupe se réjouit, naturellement, que, sur un certain nombre de points,
nous ayons avancé, soit en adoptant des dispositions qui correspondent à notre
souhait, soit en progressant dans la réflexion que nous a promise le
Gouvernement pour un débat ultérieur.
Certes, il reste encore un certain nombre d'autres points à étudier. Sur
quelques-uns, je me suis rallié aux positions de la commission des lois, qui a
beaucoup travaillé, comme d'ailleurs la commission des finances et le groupe de
travail auparavant, mais il en demeure d'autres qui devront être revus.
C'est pourquoi le groupe socialiste s'abstiendra.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Nous avons mené, prendant trois heures et demie, un
débat approfondi, dont la tenue même a montré le bien-fondé et à l'issue duquel
je ferai trois constats.
Le premier, c'est que tout démontre que nos textes doivent être améliorés.
Vous n'avez d'ailleurs pas dit autre chose, madame le secrétaire d'Etat : vous
avez en effet reconnu que des lacunes existaient, rappelé qu'un groupe de
travail a été mis en place avec la Cour des comptes et déclaré qu'un texte
relatif à l'amélioration statutaire serait prochainement examiné.
Je regrette, dans ces conditions, que notre texte n'ait pas trouvé grâce à vos
yeux et que vous vous soyez montrée d'une rigueur négative particulièrement
frappante.
Par ailleurs - c'est mon deuxième constat -, chacun a pu se rendre compte que
l'objectif du Sénat n'était pas de gêner, d'entraver ou d'empêcher le bon
déroulement du contrôle financier, loin s'en faut. Tout ce que nous avons
souhaité, c'était mettre en harmonie un certain nombre de textes et les faits
avec les réalités. C'est ainsi que le Sénat a pu, me semble-t-il, faire avancer
la réflexion pour un meilleur contrôle et une meilleure clarté des comptes.
J'ai, enfin - c'est mon troisième constat - un regret à formuler. J'ai pris
soin, dans mon propos introductif, de rappeler l'ancienneté de nos réflexions
sénatoriales. Au printemps 1997, nous avons commencé à réfléchir à ces
problèmes. Cette date doit vous rappeler quelque chose, madame le secrétaire
d'Etat ! Certes, vous étiez très occupée en arrivant au pouvoir, mais notre
rapport a été déposé en 1998. Avouez, dans ces conditions, que la République
fonctionne de façon curieuse quand certains points aussi importants font
l'objet de si peu de dialogue entre le Parlement et le Gouvernement !
Même si nous souhaitons être modestes dans le jugement que nous portons sur
ses qualités, ce texte aurait pu entraîner, me semble-t-il, une réflexion plus
approfondie, à l'image de celle que nous avons eue avec d'autres en engageant
la préparation de cette proposition de loi.
Je dois donc vous avouer que je me suis senti un peu déçu en écoutant, madame
le secrétaire d'Etat, l'ensemble de vos réponses, d'autant que, vous l'avez
constaté, nous avons discuté de ce texte sans aucun esprit partisan : Michel
Charasse a été applaudi sur l'ensemble des travées de la droite et tout le
monde a voté les mêmes textes ; même si, à l'issue de cet examen, le groupe
socialiste s'abstient, on voit bien que cette démarche a fait l'objet d'une
certaine unanimité.
Quoi qu'il en soit, madame le secrétaire d'Etat, vous nous avez tendu la
perche, en quelque sorte, pour la suite des événements en nous disant que nous
nous reverrions pour l'examen du texte sur les statuts. Le projet de loi ne
portera-t-il d'ailleurs que sur les statuts ? Certainement pas ! Nous prenons
donc finalement l'engagement commun de revoir la totalité du dispositif à cette
occasion. Je m'en réjouis, à la fois pour les collectivités locales, pour la
qualité de l'examen des comptes, pour les chambres régionales des comptes, et,
finalement, pour le bon fonctionnement de la République et de la démocratie.
(Applaudissements.)
M. Michel Charasse.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
proposition de loi qui nous est soumise est particulièrement significative de
la qualité et de l'opportunité des travaux qui peuvent être menés dans nos
différentes commissions sénatoriales, en l'occurrence la commission des lois et
la commission des finances. Cette proposition est l'aboutissement d'un travail
de longue halaine, marqué par le rapport d'étape du groupe de travail présidé
par mon collègue de l'Union centriste Jean-Paul Amoudry.
Etabli à l'issue d'un programme d'audition particulièrement complet, ce
rapport, il faut le rappeler, a été adopté à l'unanimité par nos deux
commissions, au-delà des clivages politiques.
Par ailleurs, les différentes mesures proposées correspondent aux attentes
réelles d'élus locaux dont le Sénat est le représentant et le défenseur. Il
s'agit non pas, chacun l'a compris, de remettre en cause les principes même du
contrôle financier des collectivités locales par les chambres régionales des
comptes, mais de les rendre conformes aux principes fondamentaux de notre
droit.
Les différentes mesures proposées partent, en effet, d'un constat : les élus
locaux, confrontés aux difficultés et aux contraintes constantes de la gestion
locale, vivent mal les modalités du contrôle financier.
Il faut mettre fin à certaines dérives : je crois, à cet égard, que beaucoup
de magistrats réticents à l'origine vis-à-vis de ce texte ont compris la
nécessité de renforcer les garanties offertes aux collectivités contrôlées. Je
pense, en particulier, à la confidentialité des documents préparatoires des
chambres régionales des comptes, à la prise en compte expresse de la réponse
écrite de l'ordonnateur, aux observations définitives des chambres ainsi qu'à
la reconnaissance du caractère d'actes faisant grief aux observations des
chambres, et donc à la possibilité d'un recours pour excès de pouvoir.
De telles mesures sont indispensables, et il faut espérer que l'Assemblée
nationale s'y ralliera, ce qui prouvera que les propositions du Sénat, par leur
pertinence et leur sérieux, peuvent contribuer à améliorer l'état de droit, ce
à quoi chaque Français, élu ou non, aspire légitimement.
Il me reste à féliciter à nouveau mes collègues MM. Amoudry et Oudin pour la
très grande qualité de leur travail, ainsi que les commissions du Sénat et
leurs fonctionnaires, qui y ont contribué.
Le groupe de l'Union centriste votera donc la proposition de loi qui nous est
présentée dans la version proposée par les commissions concernées.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Del Picchia.
M. Robert Del Picchia.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est
un texte équilibré que nous allons adopter aujourd'hui.
Un texte équilibré, car sans complaisance, certes, mais également sans
outrance.
Si ce texte est sans complaisance, c'est que notre assemblée prend ses
responsabilités aujourd'hui en adoptant des mesures de première importance qui
répondent aux attentes de bon nombre des élus locaux, qui vivent souvent très
mal la procédure d'examen de la gestion de leur collectivité, alors même, ainsi
que le rappelait notre rapporteur pour avis, Jacques Oudin, que les finances
locales sont souvent les seules dans ce pays à être équilibrées. Les
collectivités locales sont en effet bien souvent des exemples à suivre plus
qu'à blâmer !
Empêcher les appréciations des chambres régionales des comptes sur
l'opportunité des politiques publiques semble, à ce titre, l'un des points
essentiels, puisque ces contrôles pouvaient s'apparenter à un déni de
légitimité politique. En effet, seuls les décideurs politiques sont élus, et
donc seuls eux ont la légitimité politique.
Cette légitimité est le tenant d'une responsabilité qu'ils assument par le
suffrage et par le risque qu'ils courent de voir leur mandat non reconduit.
C'est aux citoyens, par leur vote, qu'il appartient de porter un jugement sur
l'opportunité des politiques publiques et non pas à des magistrats, qui
accaparent ainsi un pouvoir dont ils ne détiennent aucune légitimité.
Le texte que nous nous apprêtons donc à voter est non pas un recul du contrôle
des chambres régionales des comptes sur les finances publiques, mais bien au
contraire un moyen de légitimer ces contrôles en les limitant aux strictes
missions qui sont les leurs.
Préciser et renforcer leur pouvoir de contrôle sera de nature à améliorer leur
efficacité, en légitimant plus encore leur existence.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe du Rassemblement pour la
République adoptera ce texte, amendé comme il se doit par notre assemblée.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions modifiées du rapport de la commission des
lois sur la proposition de loi n° 84 (1999-2000).
Mme Nicole Borvo.
Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures quanrante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et
une heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
5
RÉGIMES DE RETRAITE
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 22 de
M. Jean-Pierre Fourcade à M. le Premier ministre, sur les régimes de retraite,
suivante :
M. Jean-Pierre Fourcade demande à M. le Premier ministre de préciser les
orientations qu'il vient d'annoncer sur les perspectives des régimes de
retraite dans les prochaines années. Il l'interroge sur les modalités
techniques et financières du rapprochement entre les régimes de base et les
régimes spéciaux, et sur la juxtaposition des mécanismes de répartition avec
ceux de l'épargne salariale.
La parole est à M. Fourcade, auteur de la question.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, j'ai
interrogé le Premier ministre sur les orientations qu'il vient de définir pour
assurer l'avenir des régimes de retraite en France dans les vingt prochaines
années, et je vous remercie d'avoir accepté de venir en débattre devant la
Haute Assemblée.
S'agissant d'un problème essentiel qui préoccupe sept français sur dix, selon
les sondages, j'estime qu'il est nécessaire de l'aborder de manière sérieuse et
réfléchie en se situant bien au-delà des polémiques observées depuis quelques
semaines.
Je partirai de quatre constats.
D'abord, l'allongement de l'espérance de vie constitue l'une des principales
mutations auxquelles la société française sera confrontée dans les décennies à
venir ; ce phénomène démographique est certain et rien ne peut permettre de le
contourner.
Ensuite, c'est à partir de 2005-2006 que les générations nombreuses de
l'après-guerre partiront en retraite, ce qui entraînera un bouleversement des
équilibres entre les actifs et les retraités.
Par ailleurs, notre système français de régime de retraite est complexe,
inéquitable et relativement opaque : entre les pensions de retraite versées aux
agriculteurs et celles dont bénéficient les agents de la SNCF ou de la RATP, il
y a peu de points communs, si ce n'est qu'elles sont toutes largement financées
par des transferts de ressources provenant des contribuables.
Enfin, en dépit des innombrables rapports, colloques, tables rondes et de
quelques mesures courageuses décidées en 1993, la France est en retard ; le
fait de différer les décisions aggrave le problème et inquiète autant les
futurs retraités que les jeunes qui débutent leur carrière. Il est donc urgent
de savoir ce qui se prépare pour éclairer nos concitoyens.
J'attends beaucoup de notre débat pour faire progresser la réflexion sur ce
sujet.
Je vous poserai ce soir deux questions seulement. D'une part, quelles sont les
orientations précises du Gouvernement concernant les modalités techniques et
financières du rapprochement entre les régimes de base et les régimes spéciaux
? D'autre part, quelle est la cohérence de la juxtaposition des mécanismes de
répartition avec ceux de l'épargne salariale, cette question étant au coeur de
l'actualité compte tenu de la présentation par le ministre des finances des
lignes directrices de son projet ?
Concernant le régime général et les régimes spéciaux, nous savons qu'ils
souffrent d'un déficit structurel qui ne fera que s'aggraver du fait des
événements que j'ai rappelés et de l'évidente détérioration du rapport entre
les actifs et les retraités.
Comme le soulignait notre excellent collègue Alain Vasselle dans son rapport
sur l'assurance-vieillesse dans le cadre de la loi de financement de la
sécurité sociale pour 2000, « le rapport
Perspectives à long terme des
retraites
de 1995 évaluait ainsi les besoins de financements futurs du seul
régime général à 18,4 milliards de francs en 2000, 17,8 milliards en 2005, 55,4
milliards de francs en 2010 et 107 milliards de francs en 2015 », soit à cette
date, si on convertit de manière sommaire, l'équivalent de 4,3 points de
cotisation.
Pour les fonctionnaires civils, monsieur le ministre, le besoin de financement
était évalué à 34,2 milliards de francs en 2005, 56 milliards de francs en 2010
et 80,2 milliards de francs en 2015.
Au total, les besoins de financement en 2015 des différents régimes étudiés
par le rapport de 1995 - le régime général, les fonctionnaires civils, la
caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL,
la SNCF, l'association des régimes de retraites complémentaires, l'ARRCO,
l'association générale des institutions de retraites des cadres, l'AGIRC, les
exploitants agricoles - atteignaient 330 milliards de francs.
Ce poids difficilement supportable au regard des contraintes budgétaires
proviendrait pour moitié des régimes spéciaux des fonctions publiques de l'Etat
et des collectivités locales. Le régime général aurait un besoin de financement
légèrement moindre, de l'ordre de 107 milliards en 2015, comme je l'ai déjà
dit.
Les systèmes de retraite du secteur privé ont déjà fait l'objet de plusieurs
réformes, notamment celles qui ont été entreprises par le gouvernement de M.
Edouard Balladur en 1993, qui ont contribué à résorber les déficits et à
assurer une évolution des dépenses relativement compatibles avec les
ressources.
Il est maintenant devenu urgent de réformer les régimes spéciaux dont
l'équilibre est assuré par le contribuable. J'ai cru comprendre que le
Gouvernement s'en tient à l'engagement d'une négociation avec les partenaires
sociaux, assortie de la mise en place ces jours-ci d'un « conseil d'orientation
des retraites ». Après dix années de réflexion, vous avouerez que c'est un peu
court ! Je souhaiterais savoir ce soir quelles seront les prochaines étapes.
En effet, l'opacité de notre système de retraite porte aussi bien sur les
prestations servies par les différents régimes, qui ne sont pas du tout égales
selon que l'on relève du régime spécial de la SNCF, de la caisse autonome
nationale de compensation de l'assurance vieillesse artisanale, la CANCAVA, de
l'organisation autonome nationale d'assurance vieillesse de l'industrie et du
commerce, l'ORGANIC, que sur les relations financières compliquées entre
l'Etat, le régime général et les régimes spéciaux.
Nous savons tous que les disparités de traitement entre salariés du secteur
privé et salariés du secteur public sont allées croissant au cours des
dernières années.
Or, les perspectives financières de ces régimes spéciaux ne sont pas
favorables.
Je crains surtout que les écarts ne s'accroissent entre les assurés des
régimes spéciaux et les assurés des régimes qui ont déjà connu des réformes, au
détriment de ces derniers.
C'est pourquoi il me semble que rétablir l'égalité entre les salariés du
secteur privé et les agents de la fonction publique est une priorité. La
fonction publique bénéficie de privilèges qui menacent à terme les équilibres
budgétaires.
Par ailleurs, je crois nécessaire de rendre plus transparent l'engagement de
l'Etat en matière de retraite. Pour ma part, je pense qu'il serait nécessaire -
mais je sais que c'est une matière un peu taboue - d'individualiser le compte
retraite des agents publics au sein du budget de l'Etat pour peu que l'on
connaisse enfin
ex ante
et non
ex post
le taux des cotisations
versées pour la retraite des agents de l'Etat.
Par ailleurs, au Sénat - c'est la présence de M. Domeizel qui m'incite à le
dire - nous savons tous la nature des ponctions qu'a subies la CNRACL depuis un
certain nombre d'années et la complexité des mécanismes de compensation et de
surcompensation.
Autant la compensation est obligatoire du fait de la multiplicité des régimes
de base, autant la surcompensation est une astuce pour ponctionner les régimes
excédentaires afin de financer les autres.
Malheureusement, comme nous le savons tous et comme nous le disons cette
année, ce dispositif a des limites !
Je regrette que le Premier ministre, lors de sa déclaration du 21 mars
dernier, n'ait pas souhaité aborder ces questions essentielles et qu'il s'en
soit tenu à des dispositions générales.
J'en viens à la seconde partie de ma question : elle porte sur la
juxtaposition des mécanismes de répartition - auxquels tout le monde est
attaché - avec ceux de l'épargne salariale.
L'actualité me conduit à traiter de la note concernant le plan partenarial
d'épargne salariale, le PPES, qui vient d'être adressée aux partenaires
sociaux. Je regrette d'ailleurs que le Parlement, sur un sujet aussi important,
ait dû prendre connaissance de ce document par la presse.
Vous savez que le fonds de réserve que vous avez créé n'est pas une solution
durable au problème de financement futur de notre système de retraite ; il ne
peut constituer qu'une mesure d'accompagnement d'une réforme plus globale, même
s'il est utilisé comme un instrument de lissage temporaire.
Un tel fonds ne résout pas le problème du financement futur des retraites : il
ne peut que constituer une mesure d'accompagnement. Ce ne sont donc pas les
sommes que vous prévoyez d'affecter au fonds de réserve pour les retraites qui
sont à la mesure de la difficulté décrite dans le rapport Charpin. Je sais bien
qu'après il y a eu le rapport Teulade, mais, comme l'a parfaitement démontré la
commission des affaires sociales de la Haute Assemblée, le rapport Teulade
étant fondé sur des erreurs mathématiques évidentes, il est clair que le
rapport Charpin est plus indicatif.
Le défi démographique et financier que nous devons relever passe par la
création d'un système de retraite mixte, répartition-capitalisation.
S'agissant de l'introduction d'un complément de retraite par capitalisation,
sous la forme de fonds d'épargne retraite, le Gouvernement semble aujourd'hui
prendre conscience du caractère indispensable de cet apport. Que de temps perdu
!
Aussi, j'ai difficilement compris l'obstination du Gouvernement, au cours de
ces dernières années, à ne pas vouloir compléter le système de répartition par
de véritables fonds de pension fondés sur la capitalisation.
Au lieu de bricoler un dispositif d'épargne salariale créant une confusion
avec l'épargne-retraite, il aurait suffi, comme j'ai eu déjà l'occasion de vous
le dire, madame la ministre, de deux amendements très simples à la loi Thomas
que votre majorité aurait pu adopter très rapidement pour qu'ils s'appliquent
dès 1997. Nous avons perdu trois ans !
D'une part, il fallait réduire la possibilité de prélèvement par les
employeurs sur la marge laissée disponible en matière de financement de la
sécurité sociale, car, je le reconnais volontiers, la majorité de l'époque
était sans doute allée trop loin dans l'utilisation de cette marge.
M. Claude Domeizel.
C'était une mauvaise loi !
M. Roland Muzeau.
C'est le moins qu'on puisse dire !
M. Jean-Pierre Fourcade.
D'autre part, il convenait sans doute de supprimer la disposition prévoyant
que le chef d'entreprise pouvait décider seul d'un fonds de pension, sans
l'accord des délégués du personnel.
Pour le reste, les méthodes de collecte, de gestion, l'utilisation, la sortie
en rente et l'ensemble du dispositif prudentiel, la loi était parfaitement
équilibrée. Il suffisait de faire adopter très rapidement ces deux amendements
pour que nous ayons des fonds de pension capables de concurrencer ceux qui
viennent sous notre nez acheter des parts importantes de nos grandes
entreprises et générer des investissements, en général immobiliers,
sélectionnés du seul point de vue de la rentabilité brute.
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Vous savez bien que les fonds de pension sont indispensables, mais vous
préférez parler d'épargne salariale, ce qui revient au même ; c'est une simple
différence de vocabulaire.
En fait, si l'on regarde de plus près la note concernant l'avant-projet de loi
sur l'épargne salariale qui vient d'être adressée aux partenaires sociaux, on
constate que vous allez créer un troisième étage de retraite complémentaire
reposant sur la capitalisation.
Alors qu'il était président de l'Assemblée nationale, M. Laurent Fabius a
souvent plaidé pour des fonds de pension à la française, dénommés par lui «
fonds partenariaux de retraite ». L'actuel ministre de l'économie, des finances
et de l'industrie propose aujourd'hui une nouvelle formule d'épargne-retraite.
L'avant-projet transmis aux syndicats et au patronat comporte la création d'un
nouveau plan d'épargne pour les salariés. D'une durée de dix ans à quinze ans,
il pourrait être liquidé sous forme de capital ou de rente et, dans ce dernier
cas, offrir un complément de retraite.
Je me félicite que ce projet crée une véritable rupture avec la philosophie
que vous avez défendue depuis plusieurs années, qui refusait le principe même
de la capitalisation.
Cependant, je constate que ce projet suscite déjà une réelle opposition de la
part d'un certain nombre d'éléments de la majorité plurielle qui soutient,
madame la ministre, monsieur le ministre, votre gouvernement.
Or, si j'ai bien lu, « la sortie du PPES » - permettez-moi d'utiliser ce
nouveau sigle pour le faire connaître - « pourrait se faire librement, au choix
du salarié, en capital ou en rente ».
Le coeur de ce nouveau dispositif consiste à ouvrir la possibilité pour tous
les salariés, y compris dans les PME et les PMI, dont 97 % des employés ne
bénéficient pas aujourd'hui de ces mécanismes, de cotiser à un « plan
partenarial d'épargne salariale » à long terme, avec abondement de
l'employeur.
Il s'agit de créer un nouveau produit d'épargne longue, en incitant à ce qu'il
soit investi majoritairement en actions, notamment celles de l'entreprise.
En clair, même si le Gouvernement reste - si j'ai bien compris - prudent sur
l'emploi du vocabulaire, il propose aux syndicats de créer, en quelque sorte, «
des fonds de pension de gauche », pour reprendre l'expression amusante d'un
journaliste de la presse écrite.
Ce qui me semble ennuyeux dans cette affaire, c'est la confusion entre
épargne-retraite et épargne salariale que le Gouvernement est en train de
créer.
Je souhaite donc connaître les orientations du Gouvernement s'agissant de la
cohérence des modalités techniques et financières de cette juxtaposition des
mécanismes de répartition avec ceux de l'épargne salariale.
Quelles sont les étapes ? Quel est le volume envisagé ? Quelles sont les
modalités de participation des employeurs et comment seront définies les
frontières entre ce troisième étage de capitalisation et les deux étages
actuels, à savoir les régimes de base et les régimes complémentaires ? Ce sont
là des problèmes de fond qui se posent à nous, et l'on ne peut s'en remettre à
une négociation de longue durée pour les résoudre.
Madame la ministre, monsieur le ministre, à persévérer dans l'attentisme, le
Gouvernement fait courir plusieurs risques à la société française : d'abord,
celui de décourager les jeunes, qui sont déjà nombreux à s'expatrier et qui
n'acceptent pas volontiers de voir augmenter les taux de cotisation qu'ils
subissent ; ensuite, celui de découvrir, mais un peu tard, que la seule réponse
valable au déséquilibre entre actifs et retraités sera d'ouvrir très largement
la porte à l'immigration de travailleurs plus ou moins qualifiés ; enfin, celui
de rendre plus difficile le maintien de la stabilité budgétaire, que vous êtes
en voie de retrouver. C'est l'une des clefs du bon fonctionnement de l'euro, et
il me semble que cet attentisme s'agissant du règlement du problème des
retraites comporte à terme un certain nombre de menaces pour la monnaie
unique.
C'est donc avec beaucoup d'intérêt que j'attends vos réponses.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE ainsi que sur les travées de
l'Union centriste.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
- groupe du Rassemblement pour la République, 31 minutes ;
- groupe socialiste, 25 minutes ;
- groupe de l'Union centriste, 19 minutes ;
- groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
- groupe communiste républicain et citoyen, 10 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, le thème des retraites constitue certainement une des préoccupations
majeures des Français. Ils sont très attentifs aux réponses, car ils savent que
la qualité de leur avenir en dépend.
Mais, on le constate, le Gouvernement ne sait pas aller au-delà de
déclarations générales bien décevantes, hélas !
Pourtant, ce n'est pas faute d'information. Depuis M. Michel Rocard, tous les
Premiers ministres connaissent l'échéance des années 2000, tous connaissent la
difficulté des mesures à prendre. Le courage est une qualité indispensable à
ceux qui veulent gouverner dans l'intérêt du pays, même s'ils doivent en subir
les dures conséquences.
Que sont devenues les recommandations du rapport Charpin remis au Premier
ministre il y a plus d'un an ? Ont-elles été enterrées au profit des
conclusions lénifiantes du rapport Teulade ? Chacun le proclame : le devoir du
politique, c'est de prévoir et de dessiner l'avenir par des décisions claires.
Les difficultés futures du pays seront proportionnelles à votre indécision.
La question de mon ami Jean-Pierre Fourcade et son brillant exposé permettent
de revenir en profondeur sur le sujet dans toute son envergure. En effet,
l'avenir des retraites concerne l'ensemble des Français, quel que soit leur
âge.
D'autres orateurs interviendront certainement sur les facteurs démographiques
faisant apparaître de manière inéluctable des déficits et sur les projections
selon les divers régimes de retraite. Pour ma part, je centrerai mon propos sur
les régimes agricoles et, plus spécifiquement, sur le régime des non-salariés
agricoles.
En effet, alors que ce dernier présente des caractéristiques qui le
distinguent de la majorité des autres régimes de retraite - un niveau de
pensions excessivement bas, le plus faible de tous, et un déficit structurel,
le plus faible nombre d'actifs par retraite, à savoir un pour trois - le
Gouvernement ne prend guère en compte ces particularités en dehors du BAPSA et
il ne définit pas les mesures qu'il compte prendre pour rendre justice une fois
pour toutes aux retraités agricoles. Dès 1994, les décisions avaient laissé
espérer une évolution positive et accélérée. L'espoir a fait place à la
désillusion.
Madame la ministre, monsieur le ministre, voilà un mois, je vous ai posé une
question d'actualité sur les mesures que vous envisagiez pour pallier la
faiblesse des montants des pensions. La réponse n'était pas au niveau de
l'injustice. La revalorisation en valeur absolue des retraites des non-salariés
tenait davantage de l'effet d'annonce que d'une mesure conséquente.
Je choisirai l'exemple de mon département, le Gers, qui est significatif. La
masse trimestrielle versée par la mutualité sociale agricole aux retraités non
salariés s'élève à 173 millions de francs et la revalorisation en cours
s'établit à 4,2 millions de francs par trimestre, soit 2,46 %. Concrètement,
elle représente 175 francs de plus par mois pour 8 455 retraités sur 28 000.
Cette revalorisation est donc modeste dans son montant, et les deux tiers des
retraités en sont exclus. Les agriculteurs ne sont pas dupes de ces effets
d'annonce et l'autosatisfaction du Gouvernement leur apparaît comme de la
provocation.
Madame la ministre, monsieur le ministre, allez-vous dès lors accélérer et
étendre la revalorisation des retraites pour permettre aux anciens agriculteurs
de bénéficier, comme tous les citoyens, d'une conjoncture économique générale
favorable ? N'étaient-ce pas eux qui, en priorité, devaient bénéficier des
excédents fiscaux ? Je vous rappelle à ce propos que les agriculteurs sont les
seuls actifs dont le revenu a baissé cette année ; très précisément, il a
diminué de 7 %.
Pourquoi ne mettez-vous pas en application le « souci permanent de justice
entre générations et entre catégories sociales » proclamé par M. le Premier
ministre dans sa lettre de commande à M. Charpin, ainsi que « la solidarité
nationale », qui, selon les termes mêmes de la
Lettre du Gouvernement
du
6 avril dernier, devrait continuer de jouer à l'égard des régimes en
difficulté, car « l'équilibre est hors de leur portée, du fait des évolutions
économiques et sociales » ?
Une revalorisation substantielle serait une mesure de justice attendue par les
agriculteurs et elle serait comprise par tous ; elle ne saurait pourtant tenir
lieu de seule politique pour l'avenir. Elle doit être accompagnée de réformes
structurelles. Je citerai trois d'entre elles.
Il conviendrait de créer un régime complémentaire obligatoire pour les
agriculteurs, véritable deuxième pilier, comme cela existe déjà dans la plupart
des autres régimes. Le projet a été approuvé le 18 mars 1999 par le congrès de
la FNSEA. Le Gouvernement compte-t-il le mettre en oeuvre ?
Il faudrait intégrer, à moyen terme, dans le régime général les non-salariés
agricoles, leur assurer un statut homogène avec celui des salariés agricoles
dont le régime est déjà aligné sur le régime général.
En ce qui concerne le rapprochement entre régimes de base et régimes spéciaux,
formulé par M. Jean-Pierre Fourcade dans sa question, la refonte est
indispensable pour plusieurs raisons. Elle met en application le principe de
solidarité nationale, elle permet une simplification souhaitable alors que la
France dispose de vingt-six régimes différents. Techniquement, la baisse
continue du nombre de non-salariés agricoles rend possible une telle mesure.
Enfin, je voudrais souligner que l'allongement de la durée de cotisation pour
obtenir une retraite au taux plein est inévitable. J'insiste sur le fait que
cette décision ne sera comprise que si elle est appliquée à tous les régimes,
sans exception et de la même façon.
L'avenir des retraites et le maintien du système par répartition ne peuvent
être compromis par le report sans courage de décisions urgentes. Madame la
ministre, vous avez fait preuve de beaucoup de pugnacité et de détermination
pour des sujets comme le PACS ou les 35 heures.
M. Jean-Pierre Fourcade.
C'est vrai !
M. Aymeri de Montesquiou.
Nous observerons si vous faites preuve des mêmes vertus pour lutter contre une
injustice. Si vous le voulez, vous le pouvez !
(Applaudissements sur
certaines travées du RDSE et sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Domeizel.
M. Claude Domeizel.
Nous remercions M. Fourcade d'avoir posé cette question car elle devrait
permettre au Gouvernement non seulement de prouver qu'il n'est pas resté
immobile sur ce dossier, mais aussi d'apporter des précisions en complément des
orientations générales annoncées par M. Lionel Jospin, le 21 mars dernier, sur
l'avenir des retraites.
Il ne m'appartient pas de répondre au lieu et place du Gouvernement, mais,
pour ce qui me concerne comme pour le groupe socialiste, cette question est
l'occasion de rappeler la pertinence de la démarche adoptée par le Premier
ministre pour traiter cet épineux dossier qui préoccupe tous les Français, les
retraités aussi bien que les actifs.
Car le règlement du dossier est inéluctable et la recherche d'une solution est
un problème auquel tout gouvernant, quel qu'il soit, est confronté.
Je ne reviendrai pas sur les diagnostics qui ont été opérés : allongement de
la vie, allongement des retraites, choc démographique, problème de financement
des retraites.
Les faits sont là, et ce n'est pas en pratiquant la politique de l'autruche
qu'ils s'évacueront d'eux-mêmes.
MM. Aymeri de Montesquiou et Jean-Pierre Fourcade.
C'est vrai !
M. Claude Domeizel.
Je sais gré au Premier ministre d'avoir eu le courage de prendre ce dossier à
bras-le-corps avec conviction et méthode. Il est toujours facile de critiquer,
mais vous savez très bien que ce n'est pas en s'opposant systématiquement,
comme vous le faites constamment ici, mesdames et messieurs de la droite, que
des solutions constructives seront apportées.
Au fait, qu'avez-vous fait lorsque vous étiez au pouvoir ?
Mme Hélène Luc.
Bonne question !
M. Claude Domeizel.
M. Balladur a fait passer la durée de cotisations de 37,5 annuités à 40. M.
Juppé a totalement échoué en présentant son projet sur les retraites en dehors
de toute concertation.
Vous avez voté la loi Thomas, et notre collègue Jean-Pierre Fourcade a très
rapidement démontré que ce n'était pas une bonne loi puisque lui-même a demandé
qu'elle soit modifiée. Mais nous allons l'abroger.
Plus généralement, et c'est absolument regrettable, vous avez créé un climat
tendant à faire entrer dans les esprits que le système par répartition était
voué à l'échec.
Dans un communiqué de presse du 3 mai dernier, M. Delaneau, le président de la
commission des affaires sociales, ne vante-t-il pas la capitalisation en
faisant remarquer que la commission des affaires sociales du Sénat n'a pas
attendu la création d'un Conseil d'orientation des retraites pour formuler et
faire adopter par le Sénat des propositions concrètes en matière de retraite ?
Il rappelle que le Sénat a adopté une proposition de loi donnant aux 14
millions de salariés du régime général la possibilité de constituer un
complément de retraite par capitalisation.
Aujourd'hui, que proposez-vous d'autre ? Rien.
Il est facile de taxer le Gouvernement d'immobilisme et de faire de
l'opposition systématique ! S'agissant toujours de M. Delaneau, il ne serait
pas, si j'en crois ses communiqués, décidé à siéger au conseil d'orientation
des retraites, par principe.
Au contraire, le Gouvernement agit.
Monsieur Fourcade, vous avez très brièvement parlé de la CNRACL, dont je suis
président depuis quelques années. Permettez-moi de vous rappeler que le taux de
surcompensation diminue peu, mais c'est sur la bonne voie.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Grâce à qui ?
M. Claude Domeizel.
Grâce au Gouvernement, qui agit dans la concertation.
Nous soutenons la méthode employée par Lionel Jospin. D'ailleurs, nous ne
sommes pas les seuls à l'approuver. Si je me réfère aux résultats d'un sondage
réalisé après les annonces du Premier ministre sur les retraites, « les
Français approuvent majoritairement sa méthode » et, selon un autre sondage, «
les Français suivent le Premier ministre sur la retraite ».
Pour ce qui est de la méthode, celle de Lionel Jospin est totalement opposée à
celle qu'utilisait Alain Juppé. Travailler seul, dans la précipitation, conduit
à l'échec ; M. Juppé en a fait l'expérience qu'on connaît : tout le monde a en
mémoire les événements de l'automne 1995.
Sur un tel dossier, il est indispensable de prendre le temps nécessaire, car
nous n'avons pas le droit de nous tromper. Toute réforme pour s'assurer des
garanties de succès est rarement le fruit d'une génération spontanée. Et,
d'ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à agir ainsi. Plusieurs pays ont
procédé de la sorte. Il suffit de prendre un seul exemple, celui de la Suède,
qui vient de transformer la structure de son système de retraite par un
processus de réforme qui s'est étalé sur une quinzaine d'années.
La retraite est en effet un dossier porteur d'enjeux sociaux et financiers
importants, concernant l'ensemble de la société française pour plusieurs
générations. Les décisions en ce domaine méritent donc la plus grande attention
et nécessitent la mise en oeuvre d'une démarche concertée dans le double but de
les inscrire dans la durée et de préserver l'équité entre les générations
successives.
La première étape consistait à faire le point de la situation ; c'est l'état
des lieux réalisé par le rapport de Jean-Michel Charpin. Il était en effet
impératif de procéder à des diagnostics lucides pour prendre en compte la
mesure de la complexité du sujet.
La seconde étape repose sur la concertation ; c'est celle qui a été déjà menée
avec les partenaires sociaux. Je note que le Gouvernement n'entend pas imposer
une solution, il souhaite qu'une négociation s'engage rapidement avec les
partenaires sociaux. Notamment pour la fonction publique, il propose de
conclure un pacte pour les retraites toujours dans la concertation, préalable à
toute décision.
S'agissant du fond du sujet, la clé de voûte de l'édifice est la garantie de
notre régime de retraite par répartition et la consolidation de ce système,
symbole de la chaîne de solidarité qui relie entre elles les générations.
Cette position est la concrétisation des intentions que vous affichiez, madame
la ministre, au cours du débat sur la branche vieillesse lors de la discussion
du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 au chapitre
intitulé : « Consolider nos régimes par répartition », avec la détermination du
Gouvernement « d'assurer la pérennité de nos régimes par répartition dans la
concertation et le souci d'équité entre générations et régimes ».
Avec les membres du groupe socialiste, je ne puis qu'être favorable à la
consolidation des régimes par répartition.
Je constate également que le Gouvernement formule une série d'idées nouvelles
: un passage progressif de l'activité à la retraite ; la reconnaissance de la
pénibilité de certaines tâches ; la possibilité de racheter des annuités.
Toutes ces propositions vont dans le sens de l'équité et de la justice.
Ainsi, pour assurer la pérennité de retraites par répartition, Lionel Jospin a
avancé cinq principes : une démarche concertée et progressive ; le respect de
la diversité et de l'identité des régimes ; l'équité et la solidarité entre les
régimes ; une plus grande souplesse pour mieux respecter les choix individuels
et, enfin, l'anticipation de l'évolution démographique afin d'équilibrer les
charges entre les générations après l'horizon 2020.
Ces propositions concrètes qui s'ouvrent au dialogue, au positionnement des
uns et des autres, dans une démarche concertée, ont également le mérite
d'aborder le problème des régimes spéciaux. Je cite le Premier ministre : « Ne
rien faire serait laisser croire que les déséquilibres, massifs à terme, des
retraites des fonctionnaires pourraient être financés par la solidarité
nationale et par l'impôt et donc par l'ensemble des Français, fonctionnaires et
non fonctionnaires. »
S'agissant, d'une part, du respect de la diversité et de l'identité des
régimes et, d'autre part, de l'équité et de la solidarité entre les régimes, je
rappelle que pas moins de vingt-six régimes assurent aujourd'hui la couverture
de base du risque vieillesse. Je note que le Gouvernement entend préserver ces
spécificités et respecter l'héritage de l'histoire sociale de notre pays.
Il invite les responsables de chaque régime à ouvrir des discussions pour que
des solutions adaptées soient dégagées rapidement par la concertation.
Pour ma part, sur ce point, je m'attacherai à développer quelques éléments de
réflexion qui me tiennent à coeur.
Il ne s'agit pas, bien entendu, de fondre en un seul régime les régimes qui
ont leur spécificité et dont l'identité peut être préservée.
Le rapprochement à faire entre le régime général et les régimes spéciaux est
une question d'équité qui doit s'opérer à différents niveaux, non seulement
celui de la durée de la cotisation, mais aussi celui du taux de remplacement de
certains fonctionnaires afin qu'il soit équivalent, celui du passage progressif
à la retraite - qui devrait s'effectuer dans des conditions identiques pour
toutes les catégories de salariés -, celui de la possibilité de racheter des
annuités - rachat prévu au régime général et non pas dans les régimes spéciaux
-, celui de l'étude des conditions de départ anticipé pour cause de pénibilité
pour tous les salariés prenant en compte l'allongement de la durée de vie,
l'évolution des métiers, mais aussi des conditions psychologiques d'exercice
des fonctions et, enfin, celui de la mise en place de puissants dispositifs de
prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Il est aussi judicieux de rapprocher les revenus sur lesquels cotisent les uns
et les autres.
Dans le privé, avec les régimes complémentaires, les cotisations portent sur
la totalité du salaire. Aussi paraît-il justifié de faire cotiser les
fonctionnaires sur tout ou partie des primes dans un souci d'équité, étant
entendu que, dans ce cas, il y aurait lieu d'opérer les correctifs nécessaires
pour ne pas créer de disparités entre les fonctionnaires eux-mêmes et les
salariés du secteur privé au niveau du taux de remplacement. Plusieurs
approches pourraient également être envisagées pour les modalités techniques de
mise en oeuvre.
Enfin, pour aplanir les disparités, dans un souci de simplification
administrative, un alignement des cotisations, aussi bien dans le privé que
dans le public, est-il utopique ? Je ne le pense pas car, d'ores et déjà, les
droits du sol ne prévalent plus. L'influence du droit communautaire sur le
droit de la fonction publique s'infiltre peu à peu dans le code des
pensions.
M. Alain Vasselle.
Pas beaucoup !
M. Claude Domeizel.
Le règlement communautaire relatif à l'application des régimes de sécurité
sociale aux travailleurs et aux membres de leur famille qui se déplacent à
l'intérieur de la Communauté étend aux régimes spéciaux le principe de la
protection sociale.
Par ailleurs, l'évolution de la réglementation sera essentiellement due au
juge communautaire. En effet, dans sa décision du 22 novembre 1995, la Cour de
justice des communautés européennes, tout en confirmant que tous les régimes
spéciaux applicables aux fonctionnaires n'entraient pas dans le champ
d'application du règlement, a confirmé que cette exclusion était incompatible
avec l'obligation posée par l'article 51 du traité de Rome.
Enfin, un autre aspect de l'unicité des droits sociaux vient d'être mis en
lumière par le Conseil d'Etat, qui vient d'anticiper, à deux reprises, sur
d'éventuels contentieux portés devant la juridiction communautaire, s'agissant
notamment des discriminations entre les hommes et les femmes au regard des
droits à pension, en matière de bonification de pension pour avantages
familiaux.
Sur ce dernier point, pour juguler les effets du choc démographique et les
problèmes de financement des retraites, ne faudrait-il pas envisager de ne plus
faire financer par les contributions de retraites les prestations pour des
motifs familiaux ? Dans un souci de clarification, il paraît en effet
indispensable de séparer ce qui doit relever de la retraite et ce qui doit
relever de la politique de la famille.
L'allongement de la durée de vie de notre population pose le problème du
financement des retraites, mais aussi de la place des personnes âgées dans
notre société et de la prise en charge de celles qui deviennent dépendantes.
Ces trois questions sont intimement liées et je voudrais insister, à ce moment
de mon intervention, sur celle de la dépendance, qui concerne 1 300 000
personnes en perte d'autonomie.
Si le Sénat est très attaché à ce dossier, nous nous rappelons de votre
persévérance, monsieur Fourcade, et de votre combat pour faire adopter la loi
que nous connaissons aujourd'hui : une loi qui, mauvaise au départ, se révèle
mauvaise à l'arrivée.
Nous avons pu, dans tous les départements et au travers des associations,
établir les enseignements de la mise en oeuvre de cette prestation. Elle attire
les critiques de tous les acteurs sociaux et de tous les bénéficiaires. Le
secteur privé comme le secteur public ne sont pas en reste de doléances.
Cette prestation est un échec. Elle ne touche que 120 000 personnes, alors
qu'elles sont 1,3 million à être au moins moyennement dépendantes, et son
montant est à la fois insuffisant et inégalitaire puisqu'il est fixé par les
conseils généraux.
M. Alain Vasselle.
Cela n'a rien à voir !
M. Claude Domeizel.
Tout est lié, monsieur Vasselle !
Ainsi, lorsque les situations sont le plus souvent comparées, les montants
servis varient d'un département à l'autre. De même, les aides attribuées par
les caisses de retraite sont extrêmement hétérogènes.
Aujourd'hui, les perspectives tracées par le Premier ministre nous
apparaissent comme une avancée très significative.
M. Alain Vasselle.
Tu parles !
M. Claude Domeizel.
Il reconnaît un droit objectif. Il préconise l'abandon de la logique d'aide
sociale et d'assistance. Il s'engage financièrement aux côtés des départements
et des caisses de sécurité sociale, afin que ce droit soit garanti dans le
cadre de la solidarité nationale. Il inscrit sa gestion au niveau
départemental, dans le respect des compétences des conseils généraux...
M. Alain Vasselle.
Tiens donc !
M. Claude Domeizel.
... et afin d'assurer un traitement de proximité des situations rencontrées
par les personnes âgées.
Je ne voudrais pas terminer sans souligner l'importance du Conseil
d'orientation des retraites, dont le décret portant création a été signé le 10
mai dernier et publié au
Journal officiel
aujourd'hui.
M. Alain Vasselle.
La seule innovation dans la réforme !
M. Claude Domeizel.
Mais elle est importante !
M. Alain Vasselle.
Tu parles !
M. Claude Domeizel.
Permettez-moi de citer Georges Bernanos : « On ne subit pas l'avenir, on le
fait. »
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Très bien !
M. Claude Domeizel.
L'instauration d'un tel conseil pour organiser, dans la durée, la concertation
sur l'avenir des retraites est une proposition innovante, car il manquait dans
notre pays un tel organisme.
M. Alain Vasselle.
Paroles ! Paroles !
M. Claude Domeizel.
Par ses compétences, comme par son autorité, il pourra dire régulièrement aux
Français, de façon incontestée, comment vont évoluer leurs retraites et quelles
sont les perspectives crédibles des différents régimes.
La mise en place de ce conseil, constitué de représentants des partenaires
sociaux, de parlementaires et de personnalités qualifiées, est une nouvelle
démonstration de la volonté de prolonger la concertation.
Ecoutez bien, monsieur Vasselle, au vu des missions dont il sera investi -
suivi des conséquences des évolutions économiques, sociales ou démographiques
sur les régimes de retraites ; veille sur l'équité et la nécessaire solidarité
entre les régimes ; force de propositions pour le Gouvernement, même s'il
restera, bien sûr, à ce dernier la responsabilité d'agir ou de trancher -,
comment peut-on prétendre qu'il s'agisse d'un « comité Théodule », comme
l'écrit M. Delaneau ? Je trouve cette attitude qui, finalement, engage la
majorité de droite du Sénat bien regrettable face à l'enjeu. Mais c'est une
nouvelle démonstration d'une opposition systématique et négative à laquelle le
Sénat nous habitués mais qui ne trompe pas l'opinion publique.
Telles sont, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues,
les quelques réflexions que m'ont inspiré les éléments de la question posée par
notre collègue Jean-Pierre Fourcade.
Le système de retraite français est un élément essentiel de notre cohésion
sociale. Fondé sur la solidarité, il opère de larges redistributions. Il a
permis d'assurer aux retraités un niveau de vie équivalent à celui des actifs
et de réduire considérablement la pauvreté chez les personnes âgées. Sa
consolidation est un objectif majeur pour la société française.
Au nom du groupe socialiste, je remercie le gouvernement d'avoir mis le
problème des retraites au coeur de ses préoccupations, d'avoir eu le courage
d'annoncer ces mesures et de se donner les moyens de les mettre en oeuvre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, je voudrais commencer par remercier notre collègue Jean-Pierre
Fourcade d'avoir permis ce débat par sa question orale sur les retraites, sujet
ô combien d'actualité, qui méritait sans aucun doute d'être abordé par la Haute
Assemblée, compte tenu de l'inertie qu'a manifestée le Gouvernement sur ce
dossier depuis 1997. Je crois qu'il est temps que nous manions l'aiguillon à
l'égard du Gouvernement pour faire bouger les choses. Je ne sais pas, monsieur
Fourcade, si nous obtiendrons les résultats que nous espérons, toujours est-il
que l'on peut toujours tenter !
Mes chers collègues, après trois années d'hésitation et de tergiversations le
Premier ministre a présenté, le 21 mars dernier, « les orientations du
Gouvernement sur l'avenir de nos régimes de retraite ».
Nous avons pris acte de la vigoureuse défense par le Premier ministre du
système de retraite par répartition, comme si ce dernier était menacé. Or, à ma
connaissance, personne n'a songé jusqu'à aujourd'hui à l'attaquer.
L'actuelle opposition nationale a ainsi toujours affirmé son attachement à la
répartition, je le rappelle avec force. Les mesures courageuses prises par le
Gouvernement de M. Balladur en 1993 témoignaient précisément du souci d'assurer
la pérennité de ce mécanisme admirable, symbole de la solidarité entre les
générations.
Nous avons, en revanche, pris connaissance avec consternation des «
orientations » du Gouvernement : la déclaration tant attendue - dans les deux
sens du terme - du Premier ministre ne comporte aucune décision concrète, à
l'exception de la création d'un conseil d'orientation des retraites, comme l'a
souligné M. Domeizel - ce qui a donné un peu de consistance à son propos !
Trois années de concertation débouchent sur l'annonce d'une nouvelle
concertation !
Il est bien beau de défendre, la main sur le coeur et des trémolos dans la
voix, le système de retraite par répartition ; il aurait été plus utile de
prendre les mesures nécessaires pour que l'avenir de ce système soit
effectivement préservé. C'est en réformant notre système de retraite que l'on
démontre l'attachement qu'on lui porte et non en le laissant dériver
inexorablement.
La déclaration du Premier ministre confirme hélas ! que le Gouvernement a
renoncé définitivement à prendre les mesures nécessaires pour assurer la
pérennité des régimes par répartition.
En réalité, notre système de retraite n'est pas menacé par l'éventuelle
introduction d'un complément de retraite par capitalisation, comme le laisse
entendre le Premier ministre ; il l'est par des perspectives démographiques et
financières inéluctables.
Les faits sont têtus et doivent être rappelés avec force.
Le rapport de M. Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, sur l'avenir de nos
retraites, remis au Premier ministre le 29 avril 1999, a ainsi confirmé les
diagnostices formulés à deux reprises déjà, en 1991 et 1995 : en raison du
vieillissement de la population française, notre système de retraite, nous le
savons tous, sera confronté à un choc financier inéluctable à partir de
2006.
Le nombre de personnes de plus de 60 ans augmenterait de 10 millions à
l'horizon 2040 tandis que le nombre d'actifs diminuerait de un million environ
; les plus de 60 ans représenteraient un tiers de la population totale en 2040
contre un cinquième en 1995. Le rapport entre les plus de soixante ans et les
20-59 ans passerait de quatre en 1995 à 7 en 2040.
La conséquence de ce déséquilibre est que, à réglementation inchangée, le
maintien de la parité de niveau de vie entre retraités et actifs conduirait à
multiplier par 1,55 le taux de cotisation d'équilibre à l'horizon 2040. A
législation inchangée, la part de la richesse nationale consacrée aux retraites
s'accroîtrait de 30 % vers 2040.
Dans l'hypothèse où la règle actuelle d'indexation des retraites du régime
général sur les prix serait maintenue, les charges de retraite des régimes
seraient multipliées, en termes réels, par un facteur de 2,8 et progresseraient
de 12,1 % du PIB en 1998 à 15,8 % en 2040.
Compte tenu de ces évolutions, le besoin de financement du système de retraite
par répartition s'élèverait, en francs constants, à 190 milliards de francs par
an en 2020 et à 700 milliards de francs par an en 2040, soit environ quatre
points de PIB, avec une hypothèse de chômage de 6 %.
Le rapport de M. Charpin a en outre démontré qu'une évolution plus favorable
de la productivité ou de l'emploi ne jouerait qu'un rôle marginal pour
l'amélioration de la situation financière des régimes de retraite : avec un
taux de chômage de 3 % - c'est-à-dire un taux exceptionnellement bas et
favorable - le besoin de financement de l'ensemble du système de retraite ne
serait réduit que de 21 % en 2020 et de 13 % en 2040 ; il demeurerait donc, en
tout état de cause, de 600 milliards de francs par an à cette date.
Les résultats du rapport Charpin ont sans doute déplu au Gouvernement. Dans
son intervention du 21 mars dernier, le Premier ministre s'est ainsi efforcé de
relativiser les conclusions de ce rapport. Je le cite : « Des éléments de
diagnostic ont été établis par la commission présidée par le commissaire au
Plan, M. Jean-Michel Charpin. Des experts s'étaient exprimés avant lui,
d'autres l'ont fait depuis. Leurs conclusions parfois diverses soulignent la
complexité et la difficulté de l'expertise sur ce sujet. » Une découverte !
Le Premier ministre reconnaît, certes, que « nos régimes de retraite vont
connaître, à des degrés divers, des difficultés financières qui trouvent leur
source dans les évolutions démographiques ».
Mais c'est aussitôt pour mieux minimiser ces difficultés qui - je cite une
nouvelle fois M. le Premier ministre - « doivent toutefois être replacées dans
un contexte nouveau, celui d'une croissance forte, et dans la perspective
désormais crédible du retour au plein emploi ».
Ce faisant, M. le Premier ministre s'appuie sur les conclusions
particulièrement optimistes d'un autre rapport, celui de M. René Teulade, pour
qui « la croissance est un vecteur essentiel de la stabilité et de la
pérennisation de notre système de retraite par répartition ».
Or M. Teulade a choisi de se placer résolument dans un horizon de court terme,
de l'ordre de quatre ou cinq ans - il nous l'a confirmé devant la commission
des affaires sociales -, ce qui est pour le moins surprenant lorsqu'on veut
aborder « l'avenir des systèmes de retraite » : à un horizon de cinq ans, il
n'y a effectivement aucun problème de financement des retraites et chacun peut
partager l'optimisme de M. Teulade.
Le rapport de M. Teulade se réfère à une étude du Conseil économique et social
en date de juin 1999, intitulée
Perspectives socio-démographiques à
l'horizon 2020-2040,
pour faire valoir qu'un « taux de croissance de 3,5 %
par an pendant quarante ans serait nécessaire pour permettre le financement des
retraites sans augmentation de la part des retraites dans le PIB ».
Le problème, c'est que ce raisonnement repose sur une erreur de méthode
grossière, qui conduit le rapport de M. Teulade à minorer de moitié, soit de
plus de 300 milliards de francs par an, la charge future des régimes de
retraite.
Cette erreur est apparue de manière flagrante lors des auditions de MM.
Teulade et Charpin par la commission des affaires sociales le 9 février
dernier.
Les projections citées par M. Teulade « oublient », en effet, que la pension
moyenne augmente à long terme au même rythme que les salaires. Car les pensions
servies dépendent des salaires perçus par les assurés pendant leur carrière.
Chaque génération d'actifs bénéficiant de salaires plus élevés que les
générations précédentes, la pension moyenne augmente donc en termes réels d'une
année sur l'autre du simple fait du renouvellement des générations de
retraités, et cela quel que soit le mode d'indexation des pensions retenu.
Le Premier ministre a donc préféré faire reposer son analyse sur un rapport
erroné - celui de M. Teulade - plutôt que sur les travaux sérieux et
incontestés de M. Charpin, dont les conclusions étaient évidemment plus
embarrassantes pour le Gouvernement puisqu'elles démontraient la nécessité et
l'urgence des réformes.
L'objectif du Gouvernement est clair : semer la confusion dans l'esprit des
Français en laissant croire qu'il est possible de différer la réforme des
retraites. C'est ainsi que l'on ruine en quelques instants les efforts de
pédagogie qui avaient été accomplis depuis plusieurs années !
Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le Premier ministre n'ait pas
davantage suivi le rapport Charpin, qui recommandait d'engager dès à présent la
réforme du système de retraite, avant que le choc démographique ne fasse sentir
ses effets.
Comme l'avait souligné fort pertinemment M. Charpin, si l'on décide de
ponctionner les revenus des actifs pour rééquilibrer financièrement le système,
il n'y a aucune nécessité de le faire aujourd'hui. En clair, si l'on veut
atteindre l'équilibre financier par une hausse des cotisations, on peut très
bien attendre 2005, sans aucune difficulté.
En revanche, si l'on ne se résigne pas à cette solution, il faut agir très
vite. Si l'on veut, par exemple, jouer sur l'âge de la retraite, il faut que
l'ajustement soit étalé sur une très longue période pour préserver l'équité
entre les générations.
Le principal danger serait précisément de refuser d'affronter le problème en
temps utile. On se trouverait alors vers 2010 dans une situation où les
arbitrages seraient extrêmement douloureux à prendre. Faute de les avoir
anticipés, on risquerait justement de faire porter tout le poids du
rééquilibrage des retraites sur un nombre relativement faible de générations
qui pourraient alors refuser un effort supplémentaire.
Le titre du rapport d'information que j'avais eu l'honneur de présenter, au
nom de la commission des affaires sociales voilà un an,
Réforme des
retraites : peut-on encore attendre ?
résumait à lui seul tout l'enjeu de
notre débat.
A cette interrogation que j'avais formulée, le Premier ministre a répondu très
clairement : oui, il est non seulement possible mais urgent d'attendre !
Examinons maintenant, point par point, les annonces faites par le Premier
ministre.
On observera tout d'abord que l'allongement à quarante annuités de la durée de
cotisation dans la fonction publique est seulement suggéré comme l'un des
thèmes d'une négociation avec les partenaires sociaux.
Il est assez singulier que le Premier ministre laisse aux fonctionnaires
eux-mêmes, par l'intermédiaire de leurs organisations syndicales, le soin de
décider de l'allongement de leur durée de cotisation.
Compte tenu des échecs cuisants que vient de connaître le Gouvernement dans sa
réforme de Bercy et dans la transposition des 35 heures dans la fonction
publique - à moins que M. Sapin ne parvienne à faire évoluer les choses plus
favorablement que son prédécesseur - on ne peut qu'être très sceptique sur les
chances de succès de cette négociation et souhaiter bonne chance au
Gouvernement dans cette entreprise. J'observe d'ailleurs que certaines
organisations syndicales et non des moindres - la CGT et FO notamment - ont
fait part, dès le lendemain des déclarations du Premier ministre, de leur
opposition résolue à toute augmentation de la durée de cotisation.
On remarquera également que la déclaration du Premierr ministre constitue un
hommage appuyé à la réforme Balladur de 1993 : non seulement cette dernière
n'est pas remise en cause mais le Gouvernement propose de l'étendre en
allongeant à quarante années la durée de cotisation pour la fonction publique,
comme l'avait d'ailleurs prévu M. Alain Juppé.
La contrepartie de l'allongement de la durée de cotisation pourrait être,
selon le Premier ministre, l'intégration d'une partie des primes dans le calcul
des retraites. J'observe que cela aurait naturellement pour effet à long terme
d'accroître les charges de retraite des régimes concernés.
Je m'étonne que l'allongement de la durée de cotisation ne soit en outre
envisagé que pour la seule fonction publique et non pour les autres régimes
spéciaux - SNCF, RATP... - pour lesquels, comme l'a indiqué le Premier
ministre, « la solidarité nationale doit continuer de s'exercer (...) dans les
mêmes conditions qu'actuellement ».
Ces régimes resteront à l'écart de toute réforme puisque, je cite encore une
fois le Premier ministre, « il serait illusoire, dangereux et injuste de leur
faire supporter un effort de redressement qui serait hors d'atteinte ». S'il y
a un point sur lequel je partage l'analyse du Premier ministre, c'est
effectivement le caractère « dangereux » pour le Gouvernement d'une réforme des
régimes spéciaux.
S'agissant du régime général et des régimes alignés, le Premier ministre
souhaite faire du retour à l'emploi, notamment des personnes de plus de 50 ans,
une priorité. Comment expliquer, dans ces conditions, que le Gouvernement ait
fait paraître, le 10 février dernier un décret définissant « le nouveau cadre
de cessation anticipée d'activité des salariés âgés » ?
Alors que le Gouvernement déplore la faiblesse des taux d'activité entre 55 et
60 ans en France, l'Etat va dépenser 20 milliards de francs pour permettre à
l'industrie automobile de faire partir quelque 120 000 salariés en préretraite
à partir de 55 ans. N'y a-t-il pas là un double langage ? S'agissant du fonds
de réserve, malgré des rumeurs persistantes faisant état d'affectation de
nouvelles recettes provenant de la cession d'actifs publics, je constate que le
Premier ministre n'a pas annoncé de décision nouvelle significative.
Le chiffre de 1 000 milliards de francs en 2020, conçu à l'évidence pour
frapper les esprits, est obtenu par une simple extrapolation, pendant les vingt
prochaines années, des recettes aujourd'hui affectées au fonds, dans des
conditions économiques exceptionnellement favorables.
Ce chiffre peut sembler considérable : il ne représente pourtant que trois
années de besoin de financement - c'est-à-dire de déficit prévisionnel - des
régimes de retraite en 2020.
Je m'interroge, en outre, sur la façon dont ce fonds pourra être alimenté
jusqu'en 2020 alors même que l'ensemble des régimes de retraite devraient voir
leur besoin de financement croître fortement à partir de 2010, pour atteindre
700 milliards de francs par an en 2040.
Ainsi, le dossier remis à l'occasion de la conférence de presse du Premier
ministre indique, par exemple, que le régime général devrait alimenter le fonds
de réserve pour une somme totale de 100 milliards de francs entre 2000 et
2020.
Parallèlement, le même dossier prévoit que le régime général sera déficitaire
de 5 milliards de francs à partir de 2010, ce déficit allant croissant jusqu'à
atteindre 100 milliards de francs par an en 2020.
Pour la seule période 2010-2020, le besoin de financement cumulé des
différents régimes de retraite est évalué, dans les hypothèses économiques les
plus favorables, à plus de 1 500 milliards de francs. Entre 1 000 milliards de
francs, d'un côté, et 1 500 milliards de francs, de l'autre, il ne faut pas
être très savant pour voir que la différence est de 500 milliards de francs
!
Soit le fonds de réserve n'atteindra jamais les 1 000 milliards de francs
parce qu'il aura été entièrement épuisé avant 2020 pour combler les déficits
annuels des différents régimes de retraite, soit il continuera d'être alimenté,
mais les déficits accumulés viendront gonfler une nouvelle dette sociale. Quel
serait alors le sens d'un fonds de réserve de 1 000 milliards de francs en 2020
si, parallèlement, s'est creusée une dette de 1 000 milliards de francs ?
C'est en fin de compte, un fonds de réserve négatif que vous nous proposez.
Au total, la seule décision annoncée par le Premier ministre est la
constitution par voie réglementaire d'un conseil d'orientation des retraites
chargé d'« organiser dans la durée la concertation sur l'avenir des retraites
». Ce conseil vient d'ailleurs d'être créé par un décret paru aujourd'hui
même.
Si l'on fait le compte, il s'agit donc de la quatrième concertation sur les
retraites depuis que ce gouvernement est arrivé au pouvoir !
Le Premier ministre, par lettre en date du 29 mai 1998, avait chargé M.
Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, détablir « un diagnostic aussi
partagé que possible par les partenaires sociaux et les gestionnaires des
différents régimes ».
Après la remise de ce rapport au Premier ministre et le constat de l'échec de
ce « diagnostic partagé », une deuxième phase de concertation, de juillet à
septembre 1999, a été engagée, sans résultats : Mme Martine Aubry, ministre de
l'emploi et de la solidarité, s'est bornée à recevoir l'ensemble des
confédérations syndicales et patronales.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ce n'est déjà pas mal !
M. Alain Vasselle.
Le 27 septembre 1999, lors des journées parlementaires du groupe socialiste,
le Premier ministre a annoncé un nouveau report des décisions : « les
orientations générales » ne seraient précisées qu'au « début de l'année 2000
».
Une troisième phase de concertation a donc été lancée, par l'intermédiaire du
conseiller social du Premier ministre. Elle s'est poursuivie jusqu'aux jours
précédant la déclaration du Premier ministre, toujours sans résultats.
La finalité du conseil d'orientation des retraites est pour le moins ambiguë
puisque cet organisme devra « proposer des mesures au Gouvernement » mais qu'il
« restera bien sûr de la responsabilité de ce dernier de trancher et d'agir ».
Le Gouvernement sera donc libre de suivre ou non les recommandations du
conseil.
Je remarque d'ailleurs que c'est une curieuse conception du Parlement que de
faire siéger des parlementaires dans un organisme chargé de faire des
propositions au Gouvernement tout en tenant parallèlement le Parlement à
l'écart du débat sur les retraites.
Je voudrais, à cet égard, remercier le président Fourcade de nous avoir
permis, grâce à cette question orale, de débattre de ce sujet essentiel pour
l'avenir de notre pays.
Les difficultés que rencontre aujourd'hui le Gouvernement pour trouver des
personnes désireuses de siéger au conseil d'orientation des retraites
témoignent à l'évidence des interrogations qui pèsent sur l'utilité et l'avenir
de cet organisme.
La création d'un tel conseil traduit en réalité l'incapacité du Gouvernement à
« trancher et agir » à l'issue d'un processus de consultation engagé pourtant
depuis maintenant trois ans. On voit mal, en effet, comment cette instance
parviendrait à dégager un consensus qui n'a pas été obtenu durant trois années
de concertation.
De concertation en concertation, le Gouvernement donne vraiment le sentiment
de vouloir gagner du temps et de se refuser à assumer les risques politiques de
décisions difficiles, et pourtant indispensables.
Enfin, je ne peux que regretter que le recours à la capitalisation comme
complément de la répartition ait été une nouvelle fois écarté, ce qui prive les
Français de la possibilité de se constituer une épargne retraite.
Dans son intervention du 21 mars dernier, le Premier ministre a, une nouvelle
fois, voué aux gémonies la capitalisation. Je serais tenté de vous demander,
madame la ministre, monsieur le ministre : est-ce le mot ou la chose qui vous
fait peur ?
Il convient de cesser d'opposer la répartition et la capitalisation en joutes
oratoires forcément stériles. Il serait absurde de considérer que la
capitalisation remplacera la répartition, garante de la solidarité entre les
générations. L'épargne retraite interviendra en complément de la
répartition.
C'est pour cette raison que le Parlement avait pris l'initiative de ce qui est
devenu la loi du 25 mars 1997 en créant les plans d'épargne retraite.
Constatant que le Gouvernement ne se résolvait ni à appliquer ni à abroger
cette loi, la Haute Assemblée a adopté le 14 octobre dernier une proposition de
loi, déposée à l'origine par nos collègues Charles Descours et Jean Arthuis,
visant à améliorer la protection sociale par le développement de l'épargne
retraite.
L'objectif de ce texte était simple : donner aux quatorze millions de salariés
du régime général la possibilité de se constituer un complément de retraite
selon un système facultatif, une sortie en rente et une gestion externe par des
professionnels.
Ce complément de retraite par capitalisation n'aurait pas fragilisé les
régimes de retraite par répartition puisque l'abondement de l'employeur était
soumis aux cotisations d'assurance vieillesse - régime de base et régimes
complémentaires - et, dans les conditions de droit commun, à la CSG et à la
CRDS.
En refusant la création de fonds de retraite pour les salariés, le
Gouvernement crée une profonde inégalité entre certaines catégories de Français
- les professions indépendantes, les agriculteurs ou les fonctionnaires - qui
peuvent disposer d'un complément de retraite par capitalisation, et les
quatorze millions de salariés qui ne le peuvent pas.
Le Gouvernement vient d'annoncer le prochain dépôt d'un projet de loi sur
l'épargne salariale. L'avant-projet qui est actuellement soumis à concertation
s'avère décevant : l'épargne salariale telle que la conçoit le Gouvernement ne
saurait se substituer à une véritable épargne retraite, épargne de long et de
très long termes.
Pourtant, selon un sondage réalisé par le ministère des finances et dont la
presse s'est fait écho ce matin même, 72 % des Français interrogés souhaitent
que l'épargne salariale puisse servir à constituer un complément de retraite
sous forme de rente. Il y a donc là, je crois, le signe d'une véritable attente
de nos concitoyens à l'égard de l'épargne retraite.
S'agissant de l'avenir des retraites, le bilan de ces trois années de
Gouvernement est particulièrement accablant : ...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Bien sûr ! Consternant même
!
M. Alain Vasselle.
... aucune décision en matière de répartition, pas davantage en matière de
capitalisation !
Cette analyse est sans doute inexacte. Vous avez, en réalité, pris une
décision implicite. En matière de retraite, en effet, l'absence de décision est
une forme de décision.
C'est ce choix que vous avez fait, et qui consiste à sacrifier les générations
futures, condamnées à supporter toute leur vie durant des hausses régulières et
répétées des cotisations. En matière de retraite, le temps perdu ne se rattrape
jamais !
Vous prenez ainsi, madame la ministre, monsieur le ministre, le risque d'un
très grave conflit de générations, qui mettrait en péril la cohésion même de
notre société. Ayez au moins le courage de l'assumer, ce courage dont vous
n'avez pas su faire preuve jusqu'à présent.
(MM. Fourcade et de Montesquiou
applaudissent)
.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Quel talent !
M. le président.
La parole est à M. Muzeau.
M. Roland Muzeau.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, en interpellant, par la voix de M. Fourcade, le premier ministre sur
nos régimes de retraite, la majorité sénatoriale utilise cette question
cruciale de l'avenir des retraites pour polémiquer et taxer d'immobilisme un
gouvernement dépeint comme étant incapable, parce que rétif à la
capitalisation, de mener à leur terme les réformes nécessaires.
A l'autoritarisme et à la précipitation qui caractérisaient, sur le même
sujet, le plan Juppé, nous préférons, comme les Français et le monde syndical,
la concertation.
Nous sommes conscients que des mesures volontaristes s'imposeront pour
garantir et adapter le système français de retraite. Elles s'imposeront aussi
pour satisfaire les besoins collectifs nouveaux et assurer la protection
sociale des retraités. Elles devront prendre en compte les conséquences de
l'allongement de la durée de vie et de la perte d'autonomie.
Pour autant, nous n'entendons pas nous laisser enfermer dans une vision
catastrophiste d'une société française vieillissante, responsable de la
faillite inévitable de la retraite par répartition, cautionnant
de facto
l'avènement et la systématisation des fonds de pension.
Nous posons comme préalables la pérennisation et l'amélioration du principe de
la répartition.
Bien que la majorité sénatoriale s'en défende, son objectif est non de
perfectionner et de développer le champ de la retraite solidaire, mais bel et
bien de réduire la part garantie par la collectivité. Une telle attitude
équivaut à programmer la diminution du montant des pensions et à rendre plus
qu'aléatoire leur taux.
Les marchés financiers seraient les décideurs... Quel progrès social !
Le débat que vous tentez d'engager depuis quelques années, chers collègues,
est tronqué.
Non sans arrière-pensées, jouant de l'attachement légitime de l'ensemble de
nos concitoyens au système français de protection sociale, vous agitez le choc
démographique pour mieux imposer la solution éculée des fonds de pension qui
viendraient compléter la répartition.
Vous brandissez haut le principe d'égalité pour mieux opposer les Français,
stigmatiser les fonctionnaires, et pouvoir ainsi achever l'uniformisation des
situations entre régime public et régime privé en diminuant les droits de
tous.
Votre souci n'est pas de dégager des ressources supplémentaires tenant compte
de l'évolution des demandes sociales liées à la fin d'activité. Il n'est pas,
non plus, d'asseoir la protection sociale en garantissant à tous les salariés
un niveau décent de retraite.
Votre objectif, c'est de toucher à l'architecture globale du système de
retraite pour tendre vers plus d'individualisation !
Vous comprendrez alors aisément pourquoi aujourd'hui, pas plus qu'hier, nous
ne souhaitons nous inscrire dans cette logique, que vous partagez avec le
MEDEF.
Celui-ci ne cesse de déclarer que « la retraite à 60 ans a vécu », qu'elle est
« devenue impossible à financer ». Il a lourdement pesé pour l'augmentation du
nombre d'annuités nécessaires pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Il a
même surenchéri en exigeant quarante-cinq annuités, au mépris de certaines
données objectives telles que le chômage des jeunes, l'allongement de la durée
des études, l'exclusion de plus en plus précoce des salariés « âgés » du marché
du travail.
Le MEDEF, en pleine refondation sociale, s'engage désormais en faveur du
système de retraite à la carte par points.
A l'évidence, la majorité sénatoriale prête pour le moins une oreille
attentive aux propos du MEDEF.
Dans la ligne du rapport Taddei, nous ne sommes pas hostiles à l'introduction
d'un choix individuel pour le départ à la retraite, à condition toutefois que
cette liberté laissée aux cotisants ne joue que sur la base d'un bon niveau de
retraite garanti à tous. Mais c'est loin d'être le cas si l'on abandonne la
référence aux meilleures années pour lui préférer un système de points.
Cette solution possède le double « avantage » de ne pas contrer ouvertement et
frontalement le système de répartition et de favoriser le développement de
l'épargne individuelle, nécessaire pour compléter la retraite de base, réduite
a minima.
Comme l'a très justement rappelé le Premier ministre lors de sa déclaration
sur les retraites, « dessiner l'avenir de notre système de retraite ne se
réduit pas à une série d'options techniques et financières ; c'est d'abord
exprimer une vision politique pour notre société ».
Manifestement, nos choix et ceux de la majorité sénatoriale ne sauraient
converger. Contrairement à celle-ci, nous croyons aux atouts et aux garanties
du système par répartition, qui a fait la preuve de son efficacité, et nous
réfutons l'idée selon laquelle les retraités seraient des « nantis ».
Nous croyons aux vertus de la solidarité : entre générations, entre actifs et
retraités.
Opposés à la généralisation d'un étage supplémentaire de retraite par
capitalisation, nous avons défendu, en octobre dernier, au sein de la Haute
Assemblée, une motion contre une proposition de loi d'inspiration libérale.
Celle-ci visait tout simplement à instituer des fonds de retraite en réactivant
le mécanisme général des fonds de pension à la française institué par la loi
Thomas.
Intervenant alors, mon ami Guy Fischer versait à charge des fonds de pension
plusieurs griefs. Certains d'entre eux ont, tout récemment, été repris dans le
rapport du Bureau international du travail qui récuse le recours à de tels
fonds.
Ces fonds, français ou anglo-saxons, dénommés fonds de pension ou fonds
d'épargne retraite, ne constituent en rien la solution miracle pour atténuer
les problèmes démographiques, la part du PIB prélevée sur les revenus du
capital ou sur les cotisations devant aller croissant, sauf à enfermer les
retraités dans une plus grande pauvreté.
Par ailleurs, ils ne sauraient être complémentaires du système par répartition
; ils contribuent, au contraire, à siphonner celui-ci en détournant les
ressources de la protection sociale.
En outre, et très logiquement, ils jouent contre l'emploi, car il faut assurer
une rentabilité financière exorbitante. L'actualité sociale et économique,
s'agissant par exemple d'Alcatel et de Michelin, a illustré ces ravages.
Enfin, les fonds de pension sont facteurs d'insécurité et contreviennent, pour
cette raison, aux normes internationales fondamentales du travail disposant que
le revenu de retraite doit être prévisible et garanti, principe que nous
faisons nôtre.
Pour toutes ces raisons, les parlementaires communistes ont accueilli
favorablement la réaffirmation par le Gouvernement de son attachement à la
retraite par répartition et de son rejet des fonds de pension.
L'ouverture de discussions autour de la notion de pénibilité pour les salariés
du privé, la préservation des régimes spéciaux et la création d'un conseil
d'orientation des retraites sont autant de signes positifs.
Nous notons avec satisfaction que le débat s'inscrit dans l'« après-Charpin »,
et non sur la base du diagnostic et des solutions envisagées par ce dernier,
qui négligeait de mettre en avant d'autres variables clés de l'équilibre des
régimes de retraite : taux de croissance, niveau et qualité de l'emploi et
objectif de retour au plein emploi.
Quelques questions, toutefois, demeurent.
S'il semble que le Gouvernement ne reprenne pas à son compte la mesure globale
d'allongement de la durée de cotisation proposée par le rapport Charpin, nous
sommes plus que réservés quant à l'option envisagée au nom de l'équité entre
régimes dans les trois fonctions publiques.
Nous aurions évidemment souhaité que la règle soit celle du retour à
trente-sept annuités et demie de cotisation pour tous.
Nous regrettons vivement que l'on ne revienne pas sur les décisions prises
depuis 1993 et sur les accords AGIR-ARRCO de 1996, responsables des différences
entre les garanties offertes selon que les salariés appartiennent au secteur
privé ou au secteur public. Il s'agit, rappelons-nous, de l'accroissement du
nombre de trimestres de cotisation requis, de la référence aux vingt-cinq
dernières années, et non plus aux dix meilleures années, pour la base de calcul
des pensions ou de l'indexation des retraites sur les prix, et non sur les
salaires, gage d'évolution des taux de remplacement.
Autres sujets d'inquiétude, madame le ministre, l'alimentation du fonds de
réserve et la confusion entre les fonds de pension et la promotion de l'épargne
salariale à long terme contenue dans le projet de M. Fabius.
Outre l'évolution dans la nature des relations sociales au sein de
l'entreprise, l'épargne salariale risque d'être la source d'un blocage de la
progression des salaires réels.
Enfin, un élément central semble oublié pour réellement consolider nos régimes
de retraite engarantissant à tous un taux moyen de retraite. Il s'agit, bien
sûr, du financement de la protection sociale, qui passe par l'augmentation de
la cotisation patronale, mais aussi par l'élargissement de l'assiette aux
revenus financiers.
Nous sommes persuadés que vous saurez, madame le ministre, monsieur le
ministre, tenir compte de ces remarques et que le Gouvernement saura mener à
bien la concertation et les négociations pour aboutir à des mesures socialement
justes, comprises et partagées par l'ensemble des Français pour consolider les
retraites de demain.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers
collègues, permettez-moi d'attirer brièvement votre attention, s'il en est
besoin, sur les futurs déséquilibres entre les régimes de retraite.
Pardonnez-moi quelques redites sans doute, inévitables en l'occurrence.
Toutes les études réalisées à ce jour soulignent l'importance des réformes à
venir avant que se fasse sentir le choc démographique. En 1991, le Livre blanc
sur les retraites prévoyait déjà que, dans les quarante années, il y aurait six
personnes âgées de 60 ans au moins pour dix personnes en âge de travailler. A
lui seul, ce ratio explique l'essentiel des difficultés auxquelles les régimes
de retraite vont être confrontés dès 2010, date d'arrivée à l'âge de la
retraite de la génération du baby-boom.
Si la législation reste inchangée, l'actualisation des hypothèses
démographiques - l'allongement de la durée de vie et le vieillissement des
générations d'après-guerre - conduira inéluctablement à une dégradation de la
situation financière des régimes de retraite. Ce sont les régimes spéciaux de
salariés qui risquent de connaître des perspectives plus défavorables que les
autres. En effet, l'espérance de vie devrait continuer à augmenter dans les
prochaines décennies, pour atteindre, en 2040, 81 ans pour les hommes et 89 ans
pour les femmes. Dès lors - même dans un contexte de fécondité, de productivité
ou de chômage plus favorable que prévu - seul un déplacement de l'âge de la
retraite pourrait freiner la hausse du poids relatif des retraités et des
actifs.
Il y a peu de temps encore, le rapport Charpin montrait que les pays proches
du nôtre ont réformé leurs systèmes de retraite ou sont en passe de le faire.
Toutes ces réformes vont dans le sens d'un report de l'âge de la retraite, ou
agissent directement sur les pensions, soit en modérant la hausse des
prestations, soit en limitant leur revalorisation. Dans tous les cas, la
préparation des réformes a nécessité de larges concertations, des débats
publics nourris et fondés sur la mise à disposition d'informations précises
tant sur la situation que sur les perspectives des systèmes de retraite.
Face aux écarts entre les régimes du secteur privé et les régimes spéciaux de
retraite, le Premier ministre, Lionel Jospin, proposait, dans une déclaration
du 21 mars dernier, de développer des fonds de réserve pour placer une partie
des gains de la croissance au service des systèmes de retraite qui seront
défaillants.
Certes, cette voie a été retenue par de nombreux pays pour consolider les
systèmes de retraite publics. Mais elle demeure insufisante si l'on n'engage
pas, à court terme, une réforme des régimes spéciaux. Sans réforme, les écarts,
et par conséquent l'iniquité, vont s'accroître entre les assurés des régimes
spéciaux et les assurés des régimes communs.
Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, ne pourrait-on
pas désormais opter, par étapes, pour un alignement progressif de la durée de
cotisation à quarante années de cotisation, quel que soit le régime de retraite
? L'erreur politique consisterait à reporter sur les générations futures le
poids des ajustements nécessaires, au risque d'aboutir à une situation
intenable, voire quasi explosive, qui mettrait en péril l'intégralité du
système par répartition fondé sur la solidarité entre les générations. Alors,
attention aux lendemains difficiles !
(Applaudissements sur les travées du
RDSE ainsi que sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mesdames, messieurs les
sénateurs, avant d'entrer dans le vif du sujet, je tiens à vous dire le plaisir
que j'éprouve à me retrouver dans cette enceinte, malgré l'heure tardive, et en
compagnie de mon collègue Michel Sapin. Les contraintes du calendrier
parlementaire faisaient, en effet, que nous n'étions pas appelés à nous
retrouver en séance publique avant l'automne prochain - vous imaginez quel
manque c'eût été pour moi ! -, mais M. Fourcade, en posant cette question orale
avec débat, nous donne l'occasion, ce dont je le remercie, d'être de nouveau
réunis pour parler d'un sujet majeur : l'avenir de ces retraites auxquelles
chacun a rappelé ici combien les Français étaient attachés.
Je veux d'abord redire, après l'exposé tout à fait complet de M. Domeizel,
quelle est la volonté du Gouvernement et quelle est sa méthode.
La volonté du Gouvernement, vous l'avez compris, est de garantir l'avenir des
retraites des Français en consolidant les régimes par répartition. Le Premier
ministre l'avait d'ailleurs indiqué à la représentation parlementaire, dès sa
déclaration de politique générale, le 19 juin 1997. Dans sa déclaration sur
l'avenir des retraites, le 21 mars dernier, qui a donné lieu à une large
concertation - mais nous considérons qu'elle était nécessaire - il a défini les
orientations que nous mettrons en oeuvre pour atteindre cet objectif.
Le choix de maintenir le système de retraite par répartition est un véritable
choix de société.
La répartition est d'abord un choix de solidarité, chacun l'a redit, et encore
à l'instant M. Bimbenet, puisqu'elle matérialise le lien qui unit les
générations dans notre pays. Les enfants cotisent pour leurs parents et
attendent de leurs propres enfants qu'ils assurent leurs retraites. C'est donc
une véritable solidarité intergénérationnelle.
La répartition est aussi un choix démocratique puisque la part de la richesse
nationale consacrée aux personnes âgées n'est pas renvoyée aux aléas des
marchés financiers. Elle se discute au contraire dans les régimes et, en
dernière instance, ici, au Parlement. La répartition est aussi le choix de
l'efficacité. Ce système a atteint les objectifs qui lui étaient assignés. Le
niveau de vie des retraités est, en effet, aujourd'hui égal à celui des actifs,
alors même que l'espérance de vie augmente de manière continue.
La répartition est donc notre choix. Pour autant, nous n'avons jamais
dissimulé, pas plus d'ailleurs que ne l'a fait le Premier ministre en 1997 ou
en mars dernier, les difficultés auxquelles nos régimes vont être confrontés
dans les années qui viennent. Je citerai quelques chiffres qui les résument
bien, d'autres chiffres ayant été apportés au cours du débat, notamment par M.
Fourcade : pour dix personnes d'âge actif, il y a aujourd'hui quatre retraités,
et il y en aura cinq en 2020 et sept en 2040.
C'est donc à un véritable défi démographique que sont confrontés nos régimes,
qui devront assumer à la fois l'arrivée à l'âge de la retraite à partir de 2005
des générations nombreuses de l'après-guerre et l'allongement constant de
l'espérance de vie.
Il est vrai que la baisse massive du chômage permet aujourd'hui d'envisager
sérieusement, à terme, un retour au plein emploi. Cette perspective permet
d'aborder plus sereinement la question des retraites, mais je le dis, monsieur
Vasselle, de manière très claire, après le Premier ministre, nous ne sommes pas
de ceux qui prétendent que cette baisse règle à elle seule tous les problèmes.
Et rien ne sert de caricaturer les positions sur un sujet aussi compliqué, sur
lequel, d'ailleurs, je n'ai pas entendu de votre part beaucoup de propositions
!
A l'inverse, il est vain de sombrer dans le catastrophisme, en favorisant une
précipitation attachée au spectre de la faillite des régimes, comme vous l'avez
fait tout à l'heure. Certes, il faut régler le problème, mais il n'y a pas de
fatalité à voir disparaître les régimes par répartition, bien au contraire.
Les orientations du Premier ministre ont été claires.
Nous allons engager des négociations dans chacun des régimes ; nous avons créé
et nous allons renforcer le fonds de réserve pour les retraites, et nous avons
créé un conseil d'orientation des retraites, pour assurer une vigilance
permanente sur l'évolution de nos systèmes de retraite.
Face à la diversité des régimes de retraite, il n'y a pas une solution unique.
Chaque régime a ses spécificités et le Gouvernement entend les prendre en
compte. Contrairement aux propositions mécanistes de certains, il n'est pas
question pour le Gouvernement d'uniformiser tous les régimes. Il est, à cet
égard, abusif de comparer les régimes de retraite indépendamment des statuts
propres à chaque profession. Il ne serait pas acceptable de faire table rase de
l'histoire du contrat social d'un certain nombre d'entreprises, des
caractéristiques de chaque métier, particulièrement de leur pénibilité, ou
alors il ne faut pas parler de justice, d'équilibre entre les revenus
d'activité et les retraites. A partir de ce préalable - le respect de la
spécificité de chaque régime - la réforme doit permettre d'introduire plus de
justice et d'équité entre les différents régimes, tout en garantissant leur
pérennité.
Le Gouvernement a donc choisi une méthode pragmatique : plutôt que d'imposer
d'en haut, il préfère engager des négociations dans chaque régime pour élaborer
les mesures les mieux à même d'assurer leur avenir tout en préservant leur
identité. C'est donc au plus près des réalités que les solutions doivent être
recherchées. Je ne parlerai pas de la fonction publique, puisque Michel Sapin
interviendra pour expliquer le pacte que le Premier ministre a proposé aux
fonctionnaires.
Pour les autres régimes, la question du besoin de financement, à terme, se
pose avec moins d'acuité, notamment dans le régime général, dont le déficit
prévisionnel en 2020 représente 3,5 points de cotisation. Les premiers déficits
n'interviendront que dans dix ans ; l'allongement de la durée de cotisation est
en cours pour atteindre quarante ans en 2003.
Cela dit, même si ces déficits sont moins importants et plus éloignés dans le
temps, nous devons dès maintenant engager des négociations dans le régime
général pour le consolider à l'horizon de 2020 et mieux prendre en compte les
attentes des Français : plus de souplesse dans le choix du départ à la
retraite, un traitement différencié pour ceux qui ont exercé des travaux
pénibles, ceux qui ont commencé à travailler tôt et qui ont des difficultés à
s'adapter aux évolutions technologiques. Ces négociations sont déjà engagées
entre les partenaires sociaux pour ce qui concerne les régimes
complémentaires.
Permettez-moi un aparté sur les préretraites, puisque M. Vasselle s'est
interrogé sur la cohérence du Gouvernement lorsqu'il met en place, en février
dernier, un nouveau système de départ en préretraite, et qu'il prône, dans le
même temps, pour régler le problème des retraites, l'augmentation du taux
d'activité des plus de 50 ans.
La cohérence, je vais tenter de vous l'expliquer en prenant l'exemple de
l'automobile. En 1997, cela faisait dix-sept ans que l'Etat versait 1 milliard
de francs au secteur automobile pour financer les préretraites, et ce quelle
que soit la situation des entreprises concernées, qu'elles soient en déficit
ou, au contraire, en équilibre ou en situation de profit. En effet, l'habitude
avait été prise de voir l'Etat financer les restructurations et la gestion de
la pyramide des âges dans le secteur automobile. Ce n'était sain ni pour les
entreprises, qui n'anticipaient pas les évolutions, ni, bien sûr, pour les
finances publiques, qui n'avaient pas de raison de continuer à assumer un tel
financement.
A l'inverse, nous avons, dans notre société, des hommes et des femmes qui ont
commencé à travailler tôt, qui ont travaillé dur, qui ont connu des conditions
de travail pénibles sur de longues périodes et qui sont aujourd'hui dans
l'incapacité, parce que souvent on ne les y a pas préparés, à suivre les
évolutions techniques ou qui sont usés par le travail. Nous devons prendre en
compte ces situations - c'est cela, la justice - si nous voulons effectivement
que l'ensemble des Français adhèrent à la logique de réforme des retraites.
Faire partir plus tôt ceux qui, tout au long de leur vie active, ont travaillé
beaucoup et dans des conditions pénibles, et faire en sorte que ce départ, qui
facilite le rééquilibrage de la pyramide des âges des entreprises, soit financé
à 50 % ou à 60 % par ces dernières, et non pas seulement à 10 % ou à 20 %,
comme c'est le cas pour les préretraites traditionnelles : tel est l'objectif
de ce décret qui s'appliquera non pas seulement au secteur automobile, mais à
tous les secteurs qui souhaiteront que la question soit réglée.
Cela fait partie des réponses différenciées en vue d'une plus grande justice
dans la façon de poser le problème des retraites, et cela rend plus facile, me
semble-t-il, le traitement de ce problème. En effet, ces salariés qui, en tout
état de cause, n'auraient pas pu travailler jusqu'à l'âge de la retraite,
seraient encore plus inquiets s'ils devaient envisager de prolonger leur durée
de travail. Telle est la cohérence entre ce décret et la réforme des retraites.
Nous prévoyons donc des négociations dans chaque régime. La deuxième décision
concerne le Conseil d'orientation des retraites. Ce conseil ne décidera certes
pas, puisqu'il y a un gouvernement qui négociera, notamment dans la fonction
publique, et des partenaires sociaux, qui, au sein de la CNAV, devront se
pencher sur le problème du régime général ; mais il devra suivre, comme l'a
fait le rapport Charpin, les grandes évolutions de la croissance, de l'emploi,
les évolutions démographiques, pour pouvoir, à tout moment, éclairer l'opinion
publique dans la plus parfaite transparence sur l'évolution des déficits ou sur
le rétablissement de la situation des régimes de retraite au fur et à mesure de
l'avancée des négociations.
Par la pluralité des membres qui le composeront - partenaires sociaux,
parlementaires, personnalités qualifiées - il assurera un questionnement
permanent sur le problème des retraites.
Monsieur Vasselle, je voudrais vous rassurer : si certains considèrent qu'ils
ne doivent pas faire partie de ce conseil d'orientation, d'autres, tels des
députés de l'opposition, ont cependant d'ores et déjà fait savoir qu'ils
souhaitaient y participer, sans doute parce qu'ils considèrent que le problème
des retraites mérite qu'on s'y penche sans
a priori,
avec la volonté
d'aboutir.
Avec la création du conseil d'orientation des retraites, nous assistons à la
fin d'une certaine opacité entourant ce débat, le rapport Charpin ayant
d'ailleurs déjà permis de poser les bases du diagnostic, même si nous avons
préféré, au vu des derniers résultats, prendre en compte une hypothèse de
chômage plus positive que la sienne. Nous pensons ainsi que la collectivité
pourra se réapproprier un sujet qui conditionne tout à fait son avenir.
La troisième décision est le renforcement du fonds de réserve des retraites.
Les négociations vont s'engager régime par régime dès maintenant, mais le
Gouvernement souhaite prendre ses responsabilités, c'est-à-dire faire en sorte
que la solidarité nationale puisse apporter une partie de la réponse - une
partie seulement, mais une partie quand même - au problème des retraites. C'est
la raison pour laquelle j'avais souhaité, dès l'année dernière, que soit créé,
même modestement, ce fonds de réserve des retraites pour montrer
pédagogiquement que les premiers excédents, en l'occurrence ceux de la CNAV,
pouvaient y être affectés.
Dès 1999, nous avons affecté de nouvelles ressources à ce fonds : les
excédents de la CNAV et la moitié des prélèvements de 2 % sur les revenus du
patrimoine viennent s'ajouter à l'excédent du FSV. Le fonds de réserve
bénéficie également des contributions des caisses d'épargne et de la Caisse des
dépôts et consignations.
Grâce à ces sources de financement, le fonds, qui était doté au départ de 2
milliards de francs, atteindra 20 milliards de francs dès cette fin d'année et
disposera de 1000 milliards de francs à l'horizon 2020. Je tiens à votre
disposition les éléments de calcul, qui n'ont d'ailleurs pas été contestés
jusqu'à ce que j'entende M. Vasselle. Il y aura, en 2020, la dotation initiale
de 2 milliards de francs, 3 milliards de francs de la Caisse des dépôts et
consignations, 16 milliards de francs des caisses d'épargne, 50 milliards de
francs des excédents de la CNAV, la moitié des 2 % sur les revenus du
patrimoine - 150 milliards de francs - les excédents de la C3S et du FSV - 450
milliards de francs - et les produits financiers - 330 milliards de francs.
Voilà qui donne bien les 1 000 milliards de francs que le Premier ministre a
annoncés et qui montrent que la collectivité sera ainsi capable de franchir, à
l'horizon 2020, la moitié du chemin qu'il restera encore à accomplir entre 2020
et 2040 si les hypothèses qui sont aujourd'hui les nôtres perdurent.
Monsieur de Montesquiou, les retraités agricoles intéressent bien évidemment
le Gouvernement, même si l'ensemble du débat sur les retraites ne se résume pas
à ce problème. Entre 1998 et 2000, ce sont plus de 5 milliards de francs de
mesures d'augmentation des pensions de retraite agricole qui ont été inscrites
au budget annexe des prestations sociales agricoles.
Par ailleurs, l'article 114 de la loi de finances pour 2000 prévoit une
nouvelle étape de réalisation du plan d'amélioration des retraites agricoles,
ces dernières étant majorées de 2 400 francs par an, soit un coût de 1,6
milliard de francs en année pleine.
Le Premier ministre, lors de la table ronde avec les organisations
professionnelles agricoles qui s'est tenue en octobre 1999, a annoncé que les
chefs d'exploitation et les personnes veuves percevraient, pour une carrière
pleine, une retraite au moins égale au montant du minimum vieillesse - nous
allons ainsi au-delà même de ce que vous demandiez - et que les conjoints ainsi
que les aides familiaux percevraient, toujours pour une carrière pleine, une
retraite équivalente au montant du minimum vieillesse du second membre du
foyer.
Cela veut dire que le montant de la pension minimum d'un chef d'exploitation
justifiant d'une carrière pleine s'élèvera à 50 % du SMIC, c'est-à-dire au même
niveau que la retraite d'un salarié rémunéré au SMIC. De ce fait, en 2002, le
régime de retraite agricole sera à point avec le régime général.
Nous mettons cette réforme en oeuvre, alors que cela n'avait pas été fait
avant. C'est pourquoi le ton de votre propos m'a paru quelque peu excessif,
monsieur le sénateur.
J'en arrive à ce qu'il est coutumier, dans notre pays, d'appeler le débat sur
les fonds de pension et l'épargne salariale. Ceux qui sont favorables à la
retraite par répartition sont, il est vrai, plus nombreux dans la
représentation nationale que ceux qui sont favorables à la capitalisation. En
tout état de cause, des prélèvements sur l'économie doivent être effectués pour
faire face aux évolutions démographiques, et cela quel que soit le système.
Mais il est vrai que, comme l'a rappelé M. Muzeau, dans un cas, ce sont la
Bourse ou les marchés financiers qui décident, alors que, dans l'autre, ce sont
les partenaires sociaux et le Parlement. Vous l'avez bien compris, c'est ce
dernier cas qu'a choisi le Gouvernement.
Substituer la capitalisation à la répartition - je ne dis pas que c'est ce que
propose la totalité de la majorité sénatoriale - aboutirait d'ailleurs à cette
absurdité de faire payer deux fois la même génération. Ce n'est pas une
solution miracle, ce n'est pas une solution indolore, et les études effectuées
dans les pays l'ayant utilisée montrent que ces derniers se sont trouvés
confrontés aux mêmes difficultés de financement, bien évidemment, mais que, en
outre, des inégalités tout à fait considérables entre personnes ont été
relevées.
On sait bien, par ailleurs, que la capitalisation individuelle favorise
toujours les personnes les plus aisées et reviendrait à instaurer un système à
deux vitesses. C'est ainsi que la loi Thomas qui sera abrogée, me semble-t-il,
puisque cette abrogation est inscrite dans la loi de modernisation sociale qui
sera discutée au mois de juin prochain à l'Assemblée nationale, non seulement
remettait en cause des principes de solidarité fondant nos régimes de retraite,
mais également menaçait notre système de protection sociale.
En effet, comme vous le savez, les fonds de pensions à l'anglo-saxonne - c'est
bien cela qui était intégré dans la loi Thomas - permettaient de ne pas payer
de cotisations sociales sur ces fonds de pension - ils vidaient donc en partie
le régime général -, de n'appliquer ces fonds de pensions qu'à certaines
catégories de salariés, et donc de donner des avantages fiscaux
particulièrement aux cadres, c'est-à-dire à ceux qui avaient les revenus les
plus élevés, et non pas à l'ensemble des salariés. J'ajoute qu'ils n'étaient
pas gérés collectivement et que le choix de l'utilisation de ces fonds n'était
pas transparent et donc, pourrait-on dire, pas démocratique. C'est la raison
pour laquelle nous avons décidé d'abroger ce texte tant la philosophie qui
était à sa base rendait impossible son amélioration.
Les défenseurs des fonds de pension à l'anglo-saxonne évoquent deux arguments
en faveur de ces derniers : la contribution au financement des retraites et le
renforcement du financement des entreprises françaises.
Pour ce qui concerne le financement des retraites, nous ne nous résignons pas
à un affaiblissement de la répartition. Nous souhaitons au contraire le
consolider.
En ce qui concerne le financement de l'économie et la possibilité pour les
Français de compléter, s'ils le souhaitent, leur régime de retraite par
répartition, le Gouvernement va développer les mécanismes d'épargne salariale
de long terme.
De quoi s'agit-il ? Je le dis de la manière la plus simple : aujourd'hui, les
salariés qui ont de l'argent ont les moyens de trouver des placements à moyen
terme ou à long terme assortis d'avantages fiscaux favorables. Ceux qui ont
moins ou beaucoup moins d'argent ont le plus grand mal à trouver aujourd'hui
des produits leur permettant effectivement, s'ils le souhaitent, soit de se
garantir un capital pour l'avenir - achat d'un logement pour eux ou pour leurs
enfants - soit de toucher une rente permettant de compléter leur retraite par
répartition.
Nous pensons que cette épargne salariale plus longue, plus durable, plus
transparente et plus solidaire, gérée collectivement, doit effectivement
laisser le choix au salarié entre une sortie en rente et une sortie en capital
permettant, dans le premier cas, de répondre à ce troisième étage de la fusée
dont nous avons souvent parlé en évoquant les régimes de retraite, au choix du
salarié, avec la liberté pour chacun de rentrer ou de ne pas rentrer dans ce
système, et avec une gestion collective.
Par ailleurs - ce n'est pas le moindre des avantages -, ces fonds permettront
aux Français de s'approprier une partie de leur entreprise, alors que,
aujourd'hui, des fonds de pension anglo-saxons, par des décisions prises à
l'extérieur de notre pays, arrivent à prendre la majorité des parts dans
certaines entreprises françaises.
Par ailleurs, je pense que la collecte de l'épargne salariale pourra aussi
profiter à de petites entreprises, par le biais de l'épargne salariale
interentreprises, et permettre ainsi à ces dernières de se développer plus
facilement puisque aujourd'hui, où elles ont souvent du mal à se faire entendre
du système bancaire.
Il s'agit donc bien d'un système totalement différent de celui des fonds de
pension à l'anglo-saxonne, d'un système là aussi fondé sur la justice et la
démocratie, qui laissera le choix aux salariés.
J'ajouterai d'un mot que l'ensemble de ces réformes proposées par le Premier
ministre doit être complété par une réflexion sur la place des personnes âgées
et des retraités dans notre société. M. Vasselle nous a dit tout à l'heure que
la réforme de la prestation spécifique dépendance, que M. Domeizel a rappelée à
juste titre, n'avait absolument aucun rapport avec les retraites. Or j'ai
acquis la conviction profonde, en discutant avec les personnes qui atteignent
aujourd'hui l'âge de la retraite, que l'on éprouve une inquiétude d'autant plus
forte à l'égard de la retraite que l'on a l'impression que l'on ne sera pas
capable de faire face au problème de la dépendance. Quand on est lourdement
dépendant, quand on souffre, comme c'est, hélas ! le cas d'un nombre toujours
croissant de nos concitoyens, de la maladie d'Alzheimer ou de sénilité précoce,
on a besoin d'une aide de la solidarité nationale, car peu de retraités
bénéficient de ressources suffisantes pour affronter seuls ces handicaps. C'est
la raison pour laquelle il nous semble que l'on ne peut pas évoquer le problème
des retraites sans tenir compte de la capacité qu'aura la solidarité nationale,
par le biais des collectivités locales et de l'Etat, d'aider l'ensemble de ceux
qui en ont besoin, de par leur dépendance physique, psychique ou financière, à
conserver le plus longtemps possible une autonomie la plus large possible et
d'avoir accès aux soins nécessaires lorsqu'ils sont dans une situation le
permettant.
C'est la raison pour laquelle - et là je rejoins totalement le diagnostic de
M. Domeizel - le Gouvernement a pris acte aujourd'hui de l'échec que constitue
la PSD, que j'avais pourtant - et chacun, notamment M. Fourcade, pourra le
reconnaître - essayé de faire fonctionner. D'abord, peu de personnes âgées en
bénéficient : 120 000, avez-vous rappelé. Par ailleurs, ses conditions de
versement sont bien inférieures aux besoins...
M. Alain Vasselle.
Il faut replacer cela dans le contexte initial, madame la ministre !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur Vasselle, puisque vous
le souhaitez, je vais vous décrire très clairement le contexte initial : les
conseils généraux ont fait un milliard de francs d'économies sur la PSD par
rapport à l'ACTP, l'allocation compensatrice pour tierce personne. Par
conséquent, s'agissant de la grande réforme sociale qui devait permettre de
prendre en compte la dépendance, les personnes âgées sauront que la majorité
sénatoriale a fait une économie d'un milliard de francs sur ce que la société
pouvait leur apporter !
M. Alain Vasselle.
Ce n'était pas l'objectif !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Si vous voulez parler du
contexte, le voilà, et ces résultats ne sont d'ailleurs contestés par personne
!
M. Alain Vasselle.
C'est une caricature !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Nous souhaitons, pour notre
part, que toutes les personnes ayant des problèmes de dépendance puissent
effectivement être aidées par la collectivité. C'est à cette préoccupation que
nous allons travailler. J'attends le rapport de M. Jean-Pierre Sueur qui me
sera rendu dans quelques heures.
Par ailleurs, le Gouvernement a dit très clairement qu'il était attaché à ce
que les conseils généraux puissent gérer ce problème de la prestation
spécifique dépendance parce que leur proximité, la qualité des interventions,
les réseaux qu'ils sont capables de mettre en place autour des personnes âgées,
sont irremplaçables et qu'eux seuls peuvent le faire ! Mais le Gouvernement est
prêt, comme le Premier ministre l'a dit, à ce que l'Etat prennne sa part
financière dans la nécessaire amélioration de la PSD.
Par ailleurs, le Premier ministre a annoncé un plan de médicalisation des
établissements sur cinq ans, d'un montant de 6 milliards de francs, et un
doublement de l'effort financier de l'Etat pour les services de soins
infirmiers à domicile.
J'ajoute que nous financerons aussi mille comité locaux d'information et de
coordination gérontologiques, qui doivent permettre de mettre l'ensemble des
services et des financeurs autour de la personne âgée et de sa famille. En
effet, aujourd'hui, nous le savons, chaque famille connaît des difficultés
lorsqu'une personne âgée devient dépendante.
J'en viens à la méthode, et je conclurai sur ce point.
J'ai entendu vos critiques sur le rythme des réformes. Certains voudraient
nous imposer la précipitation dans le calendrier. Ils voudraient sans doute que
nous ne prenions pas le temps d'écouter les uns et les autres !
S'agissant des retraites, le Gouvernement utilise une méthode qui a fait ses
preuves dans d'autres domaines : le Premier ministre l'avait dit, diagnostic,
dialogue, décision.
(M. Vasselle sourit.)
Vous pouvez rire, monsieur
Vasselle ! La sécurité sociale est en équilibre, le chômage baisse.
Nous avons beaucoup discuté et nous avons réglé certains contentieux sur les
retraites avec l'AGIRC et l'ARRCO, grâce à une négociation de deux ans et demi
avec les partenaires sociaux. Je rappelle toutefois que ce problème était sans
solution depuis seize ans ! Il est maintenant résolu, grâce à la négociation,
et chacun l'a salué. Vous auriez pu le faire aussi !
M. Alain Vasselle.
Pour l'instant, vous n'avez rien réglé pour les retraites !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Le fait d'avoir, par une
pédagogie forte, avancé - c'est le moins que l'on puisse dire ! - dans le
débat, le fait d'avoir annoncé les grands axes, comme le Premier ministre l'a
fait, le fait d'engager aujourd'hui des négociations, voilà notre méthode.
Jusqu'à présent, cela ne nous a pas si mal réussi que cela !
Je comprends bien - vous l'avez d'ailleurs dit, mais peut-être ce mot vous
est-il sorti de la bouche - qu'il y a là un risque politique. On a tellement
l'impression que certains, dans l'opposition, souhaitent que le Gouvernement
trébuche sur cette question ! Mais nous avons en mémoire les manifestations de
1995 et le mépris avec lequel on a montré certains fonctionnaires et certaines
catégories du doigt en les stigmatisant. Ce n'est pas notre méthode ! Nous,
nous réussirons sur les retraites, comme nous avons réussi dans les autres
domaines. Soyez-en assurés, car c'est la seule méthode souhaitable
aujourd'hui.
Le Gouvernement, je le dis très simplement, fait confiance aux Français - ce
qui n'est peut-être pas votre cas, d'ailleurs - pour comprendre les enjeux du
débat sur les retraites, et donc pour s'engager dans cette réforme.
Vous l'avez tous dit, pour les Français, c'est le problème numéro un,
puisqu'ils reprennent confiance sur le chômage. Je crois cependant qu'on peut
leur faire confiance pour que nous engagions ensemble, à partir d'un
diagnostic clair et net, dans chacun des régimes, les nécessaires réformes pour
garantir notre système de retraite, sachant par ailleurs que la solidarité
nationale apporte un certain nombre d'éléments complémentaires grâce aux fonds
de réserve.
J'ajoute que j'ai entendu beaucoup de propos incantatoires - je ne parle pas
de M. Fourcade - mais que je n'ai pas entendu de réelles propositions de la
part de l'opposition ou de la majorité sénatoriale.
M. Claude Domeizel.
Ils n'en ont pas !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je vois bien que certains
voudraient nous emmener à la faute, je l'ai dit tout à l'heure, mais, les
propositions, je ne les entends pas.
J'ai entendu de grands mots, monsieur Vasselle, mais l'exagération des propos
n'a jamais fait la qualité des propositions !
M. Alain Vasselle.
C'est consternant !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Votre consternation n'a d'égale
que le vide de vos propositions : une fois de plus, nous le remarquons.
M. Alain Vasselle.
M. Balladur avait engagé des réformes, vous n'avez rien fait ! Ne nous donnez
pas de leçon sur ce sujet !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ai entendu tant de leçons de
votre part que je me permets de vous en donner une petite !
M. Alain Vasselle.
Non ! Je parle des retraites. Ce n'est pas sérieux !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
N'avez-vous pas expliqué que,
depuis deux ans et demi, nous ne faisions rien sur le chômage, rien sur la
sécurité sociale ?
M. Alain Vasselle.
Vous avez perdu beaucoup de crédibilité auprès de l'opinion publique sur les
retraites !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Les résultats sont là, et ils
seront là, j'en suis convaincue, sur les retraites, ne vous en déplaise, dans
les mois qui viennent, car le temps de la concertation et du dialogue est
aujourd'hui ouvert. C'est un débat sans doute difficile, mais que nous
réglerons comme nous l'avons fait pour le chômage, avec le soutien de nos
concitoyens.
A cet égard, je souhaite rappeler - chacun l'a d'ailleurs souligné - que le
système par répartition constitue notre patrimoine commun et que notre
responsabilité commune est de le préserver des attaques dont il fait parfois
l'objet. Certaines idées valent mieux que des polémiques !
J'ajoute qu'on aurait pu espérer qu'un sujet tel que celui-là puisse
recueillir un certain consensus ! La retraite figure au rang de ce qui
préoccupe le plus les Français et le règlement de ce problème mérite, à mon
sens, que l'on se mette autour de la table.
C'est la raison pour laquelle j'ai été étonnée - mais peut-être est-ce, là
encore, parce que l'opposition n'a pas de propositions - de voir que le Sénat
s'interrogeait sur sa présence au sein du conseil d'orientation des retraites.
Il est vrai que, quand on doit sortir de l'invective pour en arriver aux
propositions, on trouve en général moins de monde en face de soi !
Cela étant, ce n'est pas là le ton de tous ceux qui se sont exprimés ce soir
et j'espère que le conseil d'orientation des retraites, parallèlement aux
négociations que nous allons mener, sera le lieu d'un vrai débat démocratique
afin, j'en suis sûre, de parvenir aux solutions que les Français attendent.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin,
ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite, en quelques mots,
accompagner la réponse de Mme la ministre à la question qu'à posée M. Fourcade
sur ce sujet important des retraites, de leur avenir et de leur évolution, quel
que soit le régime auxquel les Français appartiennent.
Je vous remercie d'avoir suscité ce débat, monsieur Foucade, et de me donner
ainsi l'occasion de poursuivre dans cet hémicycle le dialogue que nous avons
parfois déjà engagé, par exemple au sein de la commission de décentralisation,
que j'ai été obligé de quitter un peu précipitamment, ce dont vous voudrez bien
m'excuser, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je remercie également tous ceux qui sont intervenus dans ce débat et qui, pour
la plupart d'entre eux, ont fait preuve de mesure. Je crois que c'est un sujet
qui nécessite beaucoup de mesure et de pondération, même si, monsieur Vasselle,
vous n'avez pas toujours été à l'abri d'un discours un peu caricatural.
S'agissant de la question des fonctionnaires et des agents publics, ceux-ci -
dois-je le dire ici, car chacun le sait bien - relèvent soit du code des
pensions civiles et militaires lorsqu'ils sont fonctionnaires de l'Etat, soit
de la CNRACL - la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités
locales, que vous connaissez bien, monsieur Fourcade, et qui est fondée sur la
répartition - lorsqu'ils sont fonctionnaires des collectivités territoriales,
soit du système hospitalier, soit de l'IRCANTEC, l'Institution de retraite
complémentaire des agents non titulaires de l'Etat et des collectivités
publiques.
Ce sujet des retraites est, bien entendu, financièrement important. Chacun a
apporté ici un certain nombre d'éléments qui commencent à faire lien entre nous
puisque le travail sérieux et pondéré qui a été fait par les uns et par les
autres nous permet maintenant de disposer d'un corps commun d'analyses
financières qui, au moins sur cet aspect des choses, nous permet de parler le
même langage.
Toutefois, si ce sujet des retraites est financièrement important, il est
aussi socialement très important car nos concitoyens, quel que soit le régime
auquel ils appartiennent, sont attachés à la fois à la sécurité de leur
retraite, celle qu'ils perçoivent aujourd'hui quand ils sont retraités ou celle
de demain lorsqu'ils sont en activité ou même, éventuellement, en formation,
mais aussi au maintien - beaucoup ici ont souhaité le souligner - des
dispositifs de solidarité nationale, que ce soit la solidarité par le système
de la répartition ou la solidarité par le système des pensions.
Chacun a souhaité montrer en quoi le système par répartition était à la fois
efficace économiquement, même s'il est aujourd'hui porteur d'un certain nombre
de déséquilibres auxquels il faut savoir s'attaquer, et efficace socialement,
parce qu'il exprime, par cette capacité des générations au travail de payer
pour les générations à la retraite, le sentiment profond d'une solidarité entre
générations.
Mais le système des pensions lui-même est aussi un mécanisme de solidarité,
même si ce sont les contribuables d'aujourd'hui, y compris les retraités et les
fonctionnaires, qui contribuent à assurer la retraite des retraités de la
fonction publique d'aujourd'hui.
C'est donc avec cet esprit que le Gouvernement avance. Au coeur de sa
réflexion figurent un certain nombre de principes. Il entend notamment
maintenir les mécanismes de solidarité de quelque nature qu'ils soient, qu'il
s'agisse des mécanismes de solidarité qui protègent les agents du privé ou des
mécanismes de solidarité qui protègent les fonctionnaires.
Certes, il y a aussi les questions de méthode, et Mme la ministre y a fait
plus qu'allusion en montrant en quoi celle du Gouvernement et du Premier
ministre nous paraissait la seule à être à la fois juste dans le dialogue et
efficace dans l'action.
Cette méthode consiste à ne pas séparer le débat sur l'avenir des retraites
dans le secteur privé du débat sur l'avenir des retraites dans le secteur
public. Il n'y a pas, d'un côté, les retraites d'une catégorie de salariés
auxquels il faudrait apporter des solutions et, de l'autre, des mécanismes de
retraite pour le secteur public qui seraient complètement différents. Les
Français ne veulent pas, dans un domaine comme celui-ci, être saucissonnés et
relever de solutions différentes. Il faut parler d'une même voix et si, pour
des régimes différents, les solutions peuvent être différentes, l'objectif doit
être le même.
Toujours en termes de méthode, il ne faut pas heurter systématiquement car,
chacun le sait bien - et plusieurs d'entre vous, notamment vous-même, madame la
ministre, ont fait allusion à la situation que nous avons connue en France en
1995 - ce n'est pas en heurtant qu'on avance. En heurtant, on bloque ! Ainsi,
avec la méthode qui a été utilisée en 1995, plusieurs années ont été perdues
pour le dialogue, rendant impossible l'émergence d'une solution efficace.
Nous souhaitons agir dans la durée, en allant toujours au bout de la
concertation, sur la base de discussions concrètes et objectives.
C'est également vrai pour les fonctionnaires. Le décret qui a été publié
aujourd'hui même et qui crée le comité d'orientation des retraites prend aussi
en compte cette considération que nous devons avoir pour les régimes des
fonctionnaires. Ce comité d'orientation, qui doit examiner l'ensemble des
régimes, abordera, bien entendu, les questions spécifiques aux fonctionnaires.
C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai souhaité que des personnalités
issues du monde syndical plus particulièrement représentatives des
fonctionnaires puissent en faire partie.
J'ai voulu faire en sorte que ces questions soient abordées dans ce contexte
global de l'avenir des retraites. Il me paraît en effet très important que,
sans remettre en cause la spécificité du régime de la fonction publique, à
savoir le principe du financement par l'Etat, la situation des fonctionnaires
soit examinée en même temps que celle des autres salariés.
Parallèlement à la mise en place de ce comité d'orientation des retraites,
j'ai proposé aux organisations syndicales, qui l'ont accepté lors des
entretiens que nous avons eus au moment de ma prise de fonction, de commencer à
travailler à la mise à plat de l'ensemble des dossiers et des questions posées.
Je leur ai suggéré d'étudier les pistes qui peuvent être esquissées, les
orientations qui peuvent être proposées par les uns et par les autres de
manière à discuter de tous les sujets.
Il ne s'agit pas, à ce stade, de négociations au sens strict du terme, car il
m'est apparu que, dans un premier temps, il convenait que toutes les questions
posées par les uns et par les autres puissent être examinées d'une manière plus
approfondie qu'elles ne l'ont été jusqu'ici. Ces travaux, qui sont, en quelque
sorte, des travaux préparatoires, commenceront avant cet été.
Le Premier ministre a d'ores et déjà évoqué plusieurs pistes de réflexion. Il
n'existe pas de solution unique dans ce domaine compte tenu des besoins de
financement à l'échéance de 2020, que chacun connaît bien.
La comparaison entre le secteur public et le secteur privé, que l'on fait
souvent - et que je fais moi-même fréquemment - est nécessaire, mais elle est
beaucoup plus complexe que certains voudraient bien l'affirmer.
Par exemple, il est vrai que les modes de calcul conduisent à des différences
apparentes. En moyenne, les salariés du secteur privé perçoivent deux tiers de
leur salaire antérieur, alors que les fonctionnaires perçoivent 2 % par an
après trente-sept annuités et demie de cotisations, ce qui conduit aux trois
quart de ce salaire. C'est une disparité apparente : 66 % d'un côté, 75 % de
l'autre ; mais la base n'est pas la même, puisque chacun sait que les
rémunérations accessoires ne sont pas prises en compte pour le calcul des
retraites.
En réalité, aujourd'hui, le taux de remplacement, c'est-à-dire le rapport
entre le montant de la retraite et celui des derniers salaires, est en moyenne
équivalent dans le privé et dans le public. Pour l'encadrement, il est même
souvent sensiblement inférieur dans le public à ce qu'il est dans le secteur
privé.
Les différences de carrière sont également sensibles puisque, actuellement,
les fonctionnaires réalisent des carrières d'une durée nettement supérieure à
celle des autres salariés : plus de 80 % des fonctionnaires ont effectué des
carrières complètes, alors que seulement 40 % des salariés unipensionnés du
régime général sont dans cette situation.
Aujourd'hui, plus de 40 % de fonctionnaires partent à la retraite à soixante
ans avec une ancienneté supérieure à trente-sept ans et demi.
Je note cependant que, comme dans le secteur privé mais pour des raisons
différentes, ces durées se raccourcissent. Les agents entrent souvent après
vingt-cinq ans dans l'administration. Les carrières incomplètes sont ainsi
maintenant de plus en plus fréquentes. On sait aussi que, pour certains
fonctionnaires, les années de formation indispensable à l'exercice dans de
bonnes conditions de leur métier ne sont pas prises en compte pour le calcul
des droits à pension.
Par ailleurs, la qualification moyenne des agents est plus élevée dans la
fonction publique, qui compte 43 % de cadres, compte tenu notamment de la
présence importante d'enseignants, alors que le secteur privé n'en compte que
15 %.
On peut, certes, faire des comparaisons entre les deux secteurs, mais en se
fondant sur des bases objectives et sans en avoir à l'esprit la seule volonté
de stigmatiser les uns par rapport au autres.
Le Premier ministre a donc proposé plusieurs pistes dans ce qu'il a appelé, à
juste titre, le « pacte » qu'il convenait de passer avec les intéressés sur les
retraites : l'allongement de la durée des cotisations, cohérente avec
l'allongement de la durée de vie puisque l'espérance de vie augmente d'un peu
plus d'un trimestre par an, ce qui réduirait d'environ 35 milliards de francs
le besoin de financement en 2020 ; mais également, et simultanément, la prise
en compte de la pénibilité de certaines fonctions, l'adaptation de la base
salariale - j'y ai fait allusion - prise en compte pour le calcul des
retraites, la diversification des modes de passage de l'activité à la retraite,
ou la possibilité pour les fonctionnaires n'ayant pas une durée suffisante
d'activité de racheter des annuités.
Nous devons traiter également un autre sujet - M. Domeizel l'a abordé à la fin
de son intervention - celui des différences de traitement qui peuvent exister
aujourd'hui entre les hommes et les femmes dans les dispositions du code des
pensions.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement souhaite,
dans ce domaine difficile et délicat, qui nécessitera à la fois un grand sens
du dialogue et aussi le sens de la décision, agir et avancer.
C'est pourquoi, me semble-t-il, le procès en immobilisme que l'on voit parfois
dresser par-ci par-là, et auquel, monsieur Fourcade, vous n'avez pas échappé,
même si vous avez souhaité le mener avec pondération à l'égard du Gouvernement,
est aujourd'hui malvenu.
Peut-être - mais quand je dis « peut-être » j'exprime en fait une certitude -
n'avons-nous pas le même sens de la réforme. Nous voulons la réforme. Mais,
pour nous, une réforme ne se juge pas uniquement à la capacité de faire mal, de
heurter, de blesser et, au bout du compte, de mettre beaucoup de monde dans la
rue, aboutissant ainsi à bloquer toute évolution. Pour nous, la réforme, c'est
le fruit du dialogue, de la discussion, de la concertation, de la volonté, par
l'écoute des autres - une écoute qui doit être réciproque - c'est de faire
jouer avant toute chose l'intelligence des Français, l'intelligence de ceux qui
sont directement concernés et qui souhaitent assurer la sécurité et l'avenir de
leurs mécanismes de retraite.
C'est par l'appel à cette intelligence que nous voulons avancer, sans pour
autant nous exonérer de ce que nous devrons faire. C'est cela qui caractérise
un gouvernement et une majorité décidés. Nous agissons, nous avançons, et nous
le faisons à notre manière, qui privilégie le dialogue et la concertatoin, et
non pas la confrontation.
(Applaudissements sur les travées socialistes et
sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
6
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. Michel Pelchat une proposition de loi relative à l'attribution
de la nationalité française aux ressortissants des ex-territoires d'outre-mer
ayant combattu dans une unité de l'armée française.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 336, distribuée et renvoyée à
la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la
constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues
par le règlement.
7
DÉPÔT D'UN RAPPORT
M. le président.
J'ai reçu de Mme Anne Heinis un rapport fait au nom de la commission des
affaires économiques et du Plan sur le projet de loi adopté par l'Assemblée
nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la chasse (n° 298,
1999-2000).
Le rapport sera imprimé sous le n° 335 et distribué.
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ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mardi 16 mai 2000 :
A neuf heures trente :
1. Questions orales suivantes :
I. - M. Rémi Herment attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la
défense, chargé des anciens combattants, au sujet du stationnement réservé aux
invalides de guerre. Le code des pensions militaires d'invalidité dispose en
son article L. 322 le droit de stationnement sur l'emplacement réservé aux
invalides, intitulé ainsi : « Droit de priorité. » Il ressort que le droit de
stationnement concerne les titulaires de la carte d'invalidité, quel qu'en soit
le taux, par la mention « station debout pénible », et non seulement pour les
détenteurs de carte Grand invalide de guerre - GIG - ou Grand invalide civil -
GIC -. Or, malgré cette disposition, il arrive que les invalides de guerre
reconnus au taux de 80 %, pour blessures et maladies tropicales, par exemple,
malgré l'apposition sur leur carte de la mention « station debout pénible »,
soient invités par les agents de la force publique à ne pas stationner leur
véhicule précisément sur les endroits réservés. Il serait souhaitable que les
intéressés puissent posséder une vignette à apposer sur la vitre arrière de
leur véhicule, vignette qui serait délivrée sous contrôle des offices
départementaux des anciens combattants, disposition qui éviterait, sans doute,
les désagréments soulignés. L'intitulé de cette vignette pourrait être : I.G. _
station debout pénible _ article L. 322, suivi du numéro de la carte des ayants
droit. Il lui demande donc de bien vouloir lui indiquer ce qu'il est possible
de réaliser à cet égard et selon quel calendrier. (N° 785.)
II. - M. Gérard Delfau attire l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de
la solidarité sur le profond malaise qu'éprouve le corps des inspecteurs du
travail devant l'évolution des conditions d'exercice de leur métier et face au
projet de changement de statut prévu par la réforme des services déconcentrés
du travail et de l'emploi. S'agissant de leur profession, ils constatent une
pression toujours plus grande sur les salariés des entreprises. S'y opposer et
faire appliquer les règles du code du travail devient pour eux une mission très
difficile. Eux qui exercent une véritable magistrature sociale se voient même,
parfois, traînés en justice par un patronat qui n'accepte pas de frein à sa
recherche du rendement et de la productivité. Au moment où revient la
croissance, ne serait-il pas opportun pour le Gouvernement de rappeler que
l'efficacité économique doit se conjuguer avec le respect du personnel ? Quant
à la refonte de la grille d'avancement des agents des directions
départementales du travail, ne doit-elle pas tenir compte des responsabilités
particulières de ce corps placé au coeur des conflits sociaux ? Ils n'ont pas
le sentiment que leur fonction spécifique soit reconnue dans la nouvelle
organisation. C'est pourquoi il souhaite connaître comment le ministère du
travail entend répondre à cette double inquiétude. (N° 778.)
III. - M. Denis Badré appelle l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de
la solidarité sur les risques pour la santé des populations liés à l'exposition
du public aux champs électromagnétiques diffusés par les antennes-relais
utilisées pour les téléphones cellulaires.
Il rappelle à cet égard que, jusqu'à quatre mètres, les dispositions générales
de l'urbanisme ne peuvent être opposées à une installation.
Le problème est bien réel puisque, par recommandation du 12 juillet 1999, la
Commission européenne a pris parti dans le sens d'une limitation de
l'exposition du public aux champs électromagnétiques.
Lors de la discussion de cette recommandation devant le Parlement européen, le
rapporteur a d'ailleurs proposé plusieurs amendements portant sur les effets
potentiellement nocifs des rayonnements, les conditions de mise en oeuvre du
principe de précaution, ou la fixation de distances minimales de sécurité.
A l'heure actuelle, la généralisation très rapide du téléphone cellulaire
entraîne l'installation de nombreuses antennes-relais à proximité des
habitations alors que, par lettre du 2 février 1999, le directeur général de la
santé écrivait au directeur de l'habitat et de la construction que « ... si
aucune pathologie objective n'a pu être mise en évidence à la suite de
l'exposition au long cours du public à ces installations, il ne peut être
établi qu'il n'existe aucun risque, compte tenu du développement récent de
telles technologies et du manque de recul ».
Il lui demande si elle entend prendre des dispositions concernant le
regroupement des antennes-relais des différents opérateurs sur un seul site.
Proposer de fixer une distance minimum entre les antennes-relais et les
habitations ? Mettre en oeuvre le principe de précaution à travers des valeurs
limites d'exposition du public ? (N° 781.)
IV. - M. Georges Mouly appelle l'attention de Mme le secrétaire d'Etat à la
santé et aux handicapés sur le fait que le projet de loi relatif à la réforme
des institutions sociales doit être présenté cette année au Parlement, que ce
projet de loi est attendu impatiemment par les partenaires et que le
Gouvernement vient de présenter le plan pluriannuel « d'accès en milieu de vie
ordinaire des personnes handicapées ». Il souligne la nécessité de permettre
aux centres d'aide par le travail, CAT, d'assurer dans les meilleures
conditions possibles, non seulement les missions qui leur sont
traditionnellement confiées par la loi, mais également d'atteindre les nouveaux
objectifs fixés par simple circulaire budgétaire relative à un objectif de
placement en milieu ordinaire. Il lui demande dans quelle mesure il lui est
possible d'entendre les propositions émanant de la profession relatives à la
production sociale, la pluralité des formes d'insertion professionnelle et
sociale, la qualité des prestations, et d'envisager toutes mesures tendant à
favoriser l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés. (N° 787.)
V. - M. Léon Fatous souhaiterait connaître les intentions de Mme le secrétaire
d'Etat à la santé et aux handicapés en matière d'équipements techniques
hospitaliers.
Il aimerait, en effet, savoir si le centre hospitalier d'Arras sera doté d'un
système d'imagerie par résonance magnétique, IRM, fixe dans les prochains mois.
(N° 788.)
VI. - M. Patrice Gélard attire l'attention de M. le ministre de l'éducation
nationale sur la décision de l'inspecteur d'académie de Seine-Maritime de
rattacher les écoles du canton de Goderville, qui, jusqu'alors, dépendaient de
l'inspection académique de Fécamp, à l'inspection académique d'Yvetot.
Cette mesure tend à accroître les difficultés rencontrées par les enseignants
en augmentant la distance entre les écoles et l'inspection académique dont ils
dépendent. En effet, ces communes sont toutes plus proches de la ville de
Fécamp que de celle d'Yvetot, distante de plus de quarante kilomètres. Alors
que la plupart des services de l'Etat ainsi que les collèges et les lycées dont
dépendent ces communes sont situés à Fécamp, les écoles maternelles et
primaires dépendront d'Yvetot. Cette décision, qui ne peut être justifiée ni
par un souci de rationalisation ni de plus grande efficacité, est contraire au
principe de proximité du service public.
Il souhaiterait donc connaître les mesures qu'entend adopter le Gouvernement
pour remédier à cette décision peu empreinte de bon sens. (N° 777.)
VII. - M. Fernand Demilly appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation
nationale sur les SEGPA, les sections d'enseignement général et professionnel
adapté, des collèges qui se substituent aux SES, sections d'enseignement
spécialisé.
Dans le cadre de la mise en place des SEGPA, le département de la Somme doit
entreprendre une importante modification des structures existantes, mais des
fermetures et des suppressions de postes et de spécialités ont été annoncées
début février, puis gelées provisoirement.
Or, ces mesures ont des conséquences importantes pour les collectivités
concernées : sur les transports scolaires, sur la programmation en cours des
travaux dans les collèges, sur les travaux réalisés, laissant à penser qu'ils
deviennent inutiles, sur la participation des communes, antérieure à cette
année, calculée sur les effectifs scolarisés lors des travaux, alors que les
élèves ne fréquenteront plus l'établissement.
En conséquence, il lui demande quelles mesures il entend prendre pour éviter
de tels errements. (N° 782.)
VIII. - M. Lucien Lanier appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation
nationale sur la situation du collège Elsa-Triolet, à Champigny-sur-Marne, qui
est depuis 1981 classé « collège sensible » en « zone d'éducation prioritaire
», et plus récemment en « zone catégorie 4 violence ».
Or, la rentrée 2000 s'est traduite pour cet établissement par une baisse
importante des moyens mis à sa disposition.
Cet exemple ponctuel illustre le cas des collèges en situation similaire.
Ne méritent-ils pas un traitement raisonnable et adapté susceptible
d'améliorer les conditions de leur enseignement ? (N° 798.)
IX. - M. Simon Sutour attire l'attention de M. le ministre de l'équipement,
des transports et du logement sur le souhait des élus et de la population que
soit réalisée au plus vite la deuxième tranche de travaux sur la deux fois deux
voies Nîmes-Alès.
Un premier tronçon Alès-Boucoiran, financé dans le cadre du XIe contrat de
plan, a été achevé et mis en service en juin 1998.
Les statistiques sur la sécurité démontrent, au-delà de la volonté affichée de
désenclaver le bassin alésien, la pertinence d'un tel investissement. Les
accidents sur le tronçon Alès-Boucoiran sont sensiblement moins nombreux que
par le passé.
La liaison Boucoiran-Nîmes nécessite donc d'être finalisée au plus vite, et
plus particulièrement le tracé Boucoiran-La Calmette, où les accidents sont
fréquents.
A cet effet, il paraît judicieux, comme l'attendent les élus locaux et les
usagers de cet axe, de mettre rapidement en sécurité les deux principaux
carrefours de ce tracé.
Le premier, qui, semble-t-il, est déjà programmé, est l'échangeur nord de La
Calmette, qui assurera notamment les dessertes des communes de La Calmette et
La Rouvière à l'intersection de la RD 114 et de la RN 106.
Le second, qui constitue le principal accès à la commune de La Calmette par la
RD 22, est en cours d'étude ; son financement dans le cadre du XIIe contrat de
plan n'est, à ce jour, pas acquis.
Il lui demande de le rassurer quant aux intentions de l'Etat d'intégrer
l'aménagement du carrefour de la RD 22 et de la RN 106 dans le tracé
Boucoiran-La Calmette, et, enfin, de lui préciser l'échéancier retenu pour les
travaux précités, dont l'urgence, motivée par des raisons de sécurité, n'est
plus à démontrer. (N° 793.)
X. - M. Ivan Renar attire l'attention de Mme le ministre de la culture et de
la communication sur le statut des professeurs d'enseignement artistique dans
les écoles d'art. La multiplicité des structures d'enseignement artistique,
l'absence de statut conforme aux qualifications de ces personnels, sont
responsables d'une grande précarité qui n'est pas de nature à assurer la
pérennité de l'enseignement artistique, pourtant de qualité, dans notre pays.
Aussi il souhaiterait connaître l'avancement de cette question au sein du
ministère de la culture. (N° 792.)
XI. - M. Gérard César attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie sur les mesures fiscales annoncées par le Premier
ministre, dans le cadre du « plan tempêtes », en faveur des sylviculteurs
sinistrés. En effet, ceux-ci pourront bénéficier de la déduction des charges
exceptionnelles dues à la tempête de leurs revenus professionnels. Or,
l'interprétation actuellement retenue par Bercy enlève toute pertinence à cette
mesure puisque la déduction ne serait permise que pour une seule année et que
sur les seuls bénéfices agricoles. Mais cette lecture restrictive aboutit au
résultat inverse à celui qui est envisagé car plus un sylviculteur est
sinistré, plus il a de pertes et moins il peut déduire de charges.
Aussi il lui demande de bien vouloir lui indiquer si les promesses faites par
le Gouvernement seront ou non appliquées. (N° 779.)
XII. - M. Dominique Leclerc souhaite attirer l'attention de M. le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie sur l'exclusion des titulaires des
bénéfices non commerciaux employant moins de cinq salariés du bénéfice de la
baisse de la taxe professionnelle votée dans la loi de finances pour 1999.
Cette situation lui paraissant particulièrement inéquitable, il lui demande de
bien vouloir lui faire savoir s'il envisage de donner satisfaction à la requête
des professions libérales qui vise à obtenir l'abrogation de ce dispositif
pénalisant. (N° 784.)
XIII. - M. Jean-Pierre Demerliat souhaite attirer l'attention de M. le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les conséquences de
l'extension de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, aux
consommations intermédiaires d'énergie des entreprises.
La création de la TGAP à l'occasion de la loi de finances pour 1999, ainsi que
la définition du volet économique d'une véritable politique de lutte contre les
pollutions, est en effet un progrès car elle permet non seulement de dissuader
les agents d'adopter des comportements jugés à risques pour l'environnement,
mais aussi de dégager des ressources budgétaires pour diminuer les prélèvements
sur le travail. Toutefois, une extension de cette taxe aux consommations
d'énergie pourrait être très préjudiciable à la compétitivité des entreprises
de certains secteurs, de l'industrie lourde notamment - papeterie, chimie, etc.
-, grosses consommatrices d'énergie.
C'est pourquoi il lui demande de lui indiquer à quel stade en sont aujourd'hui
les négociations sur l'extension de la taxe. Il aimerait notamment savoir si
l'application d'une écotaxe ne serait pas plus pertinente au niveau de l'Union
européenne afin d'éviter des distorsions de concurrence et dans quelle mesure
elle devrait prendre en compte la spécificité de certains secteurs de
l'industrie en prévoyant des mécanismes d'exemption. (N° 786.)
XIV. - M. Daniel Goulet appelle l'attention de M. le ministre de l'économie,
des finances et de l'industrie sur le problème spécifique rencontré par les
entreprises artisanales du bâtiment dans le cadre de l'application de la taxe
sur la valeur ajoutée à taux réduit aux travaux dans les logements de plus de
deux ans.
En effet, bien que ces professionnels reconnaissent bien volontiers que ce
dispositif suscite une certaine relance de l'activité, ils ne sont pas tout à
fait satisfaits des modalités de remboursement actuelles.
Comme on pouvait s'y attendre, ce dispositif génère un crédit de TVA, parfois
très important, pour ces entreprises artisanales du bâtiment.
Pourtant les artisans relevant du régime du réel normal peuvent au mieux
envisager un remboursement trimestriel, alors que ceux qui relèvent du régime
du réel simplifié ne pourront obtenir la restitution du crédit de TVA ne
résultant pas d'immobilisation qu'après le dépôt de leur déclaration
annuelle.
Parce que beaucoup de ces entreprises artisanales du bâtiment ne disposent pas
de trésorerie suffisante pour faire face à cette avance, elles se trouvent
alors lourdement pénalisées dans leur volonté d'embaucher.
Au moment où s'engagent de nombreux débats sur les recettes fiscales du pays,
les artisans du bâtiment s'interrogent... Quand les entreprises artisanales du
bâtiment seront-elles autorisées à obtenir le remboursement mensuel de ce
crédit de TVA ?
En conséquence, il lui demande de bien vouloir lui faire connaître quelles
mesures de remboursement appropriées il envisage de prendre pour remédier à ce
problème qui freine les embauches dans le secteur du bâtiment. (N° 791.)
XV. - M. Gérard Cornu attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur
les conséquences des rassemblements de « raveurs » qui se multiplient dans le
département d'Eure-et-Loir, perpétrant des actes de dégradation irréparables.
Depuis le début de l'année, quatre manifestations de ce type ont eu lieu dans
le département. Dans la nuit du samedi 25 au dimanche 26 mars, 2000 « raveurs »
ont investi les bâtiments du Séminaire des barbelés du Coudray et dévasté le
musée dédié à la mémoire de l'abbé Franz Stock. Des documents historiques
inestimables ont été volés ou saccagés. Les forces de l'ordre n'ont pu
intervenir faute de moyens humains. Il lui demande quelles mesures le
Gouvernement envisage de prendre pour prévenir ce type d'infractions et
empêcher que ces rassemblements « clandestins » ne viennent porter atteinte à
la sécurité des biens et des personnes. (N° 783.)
XVI. - M. Xavier Darcos souhaite attirer l'attention de M. le ministre de
l'intérieur sur les problèmes de la délinquance et de l'insécurité constante
qui sévissent à Périgueux, ville dont il est le maire.
Il rappelle que la sécurité des biens et des personnes constitue une garantie
constitutionnelle fondamentale visée aux articles 12, 13 et 16 de la
Déclaration des droits de l'homme reprise dans le préambule de la
Constitution.
La ville de Périgueux a signé avec l'Etat un contrat local de sécurité dont
les effets ne présentent aucun résultat significatif.
Le sentiment d'insécurité est donc profond dans la population et les
interventions qu'il a pu faire, en sa qualité de maire, auprès du préfet, du
procureur de la République ou du commissaire principal de police de Périgueux
ne se sont traduites par aucune amélioration de la sécurité.
Il est donc urgent d'augmenter les effectifs de police à Périgueux et il lui
demande de lui faire connaître les mesures qu'il envisage de prendre afin de
garantir la protection des administrés de cette ville. (N° 767.)
XVII. - M. Roland Courteau expose à M. le ministre de l'intérieur que la
sécurité est un droit fondamental, un droit pour tous, qui doit être garanti,
dans les mêmes conditions, quelle que soit la commune ou quel que soit le
quartier.
Il se réjouit que le Gouvernement, qui a fait de la sécurité quotidienne la
priorité de son action, après l'emploi, ait décidé, pour répondre aux demandes
exprimées et faire reculer la délinquance et les incivilités, d'orienter la
lutte contre l'insécurité, au plus près du terrain. La réforme engagée, qui se
traduit par le développement de la police de proximité, va dans ce sens.
L'expérimentation a démontré que c'est, en effet, la meilleure façon de
répondre aux besoins des habitants qui attendent de la police qu'elle soit à
l'écoute de leurs problèmes, plus visible, et donc plus présente, mieux
reconnue et plus efficace.
Par ailleurs, l'objectif d'une police qui ne doit pas seulement réagir, mais
anticiper, selon le souhait du Gouvernement, mérite aussi d'être souligné. Pour
cela, les contrats locaux de sécurité lancés par le Gouvernement en octobre
1997 constituent un excellent outil de par le partenariat qu'ils impliquent et
leur adaptabilité aux situations spécifiques locales. C'est donc vers une
profonde transformation de la police nationale que l'on s'oriente, qui va
nécessiter formation et moyens supplémentaires.
Plus précisément et concernant la ville de Narbonne dans l'Aude, il lui
indique qu'une première série de mesures a été mise en oeuvre, notamment dans
les quartiers ouest, répondant aux objectifs du Gouvernement pour le
développement d'une police plus proche des habitants.
C'est pourquoi il lui demande, dans ce cadre, de quels moyens en général, et
notamment en effectifs, le commissariat de Narbonne pourra disposer, afin
d'assurer une présence de la police plus soutenue, y compris nocturne, sur la
voie publique.
Par ailleurs, la réforme engagée devant faire l'objet d'une généralisation en
trois phases, pour couvrir tout le territoire national en 2002, il lui demande
s'il entend agir pour que la situation de Narbonne et de ses quartiers
sensibles soit prise en compte dans le cadre de la mise en place de la première
phase prévue, d'avril à décembre 2000. (N° 799.)
A seize heures et la nuit :
2. Election d'un juge titulaire à la Haute Cour de justice, en remplacement de
M. Michel Duffour.
Le scrutin se déroulera dans la salle des conférences. En application de
l'article 2 de l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur
la Haute Cour de justice, l'élection d'un juge à la Haute Cour de justice est
acquise à la majorité absolue des suffrages exprimés.
3. Suite de la discussion du projet de loi (n° 279, 1999-2000), adopté par
l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la solidarité et
au renouvellement urbains. - Rapport (n° 304, 1999-2000) de M. Louis Althapé,
fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan. - Avis (n°
307, 1999-2000) de M. Pierre Jarlier, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale. - Avis (n° 306, 1999-2000) de M. Jacques Bimbenet,
fait au nom de la commission des affaires sociales.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence,
relatif à la chasse (n° 298, 1999-2000) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
mardi 16 mai 2000, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 16 mai 2000, à dix-sept
heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
M. Philippe Nogrix a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 317
(1999-2000) de MM. Alain Lambert et Philippe Marini portant création du revenu
minimum d'activité.
M. Claude Huriet a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 318
(1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à la création d'une
Agence française de sécurité sanitaire environnementale.
COMMISSION DES FINANCES
M. Philippe Marini a été nommé rapporteur du projet de loi n° 321 (1999-2000),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif aux
nouvelles régulations économiques.
M. Denis Badré a été nommé rapporteur du projet de loi n° 330 (1999-2000),
adopté par l'Assemblée nationale, portant habilitation du Gouvernement à
adopter par ordonnance la valeur en euros de certains montants exprimés en
francs dans les textes législatifs.
M. Denis Badré a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 313
(1999-2000) de M. Hubert Haenel et plusieurs de ses collègues sénateurs visant
à exonérer de TVA les équipements et matériels de lutte contre l'incendie.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Convention de l'OIT traitant des droits de la maternité
815.
- 11 mai 2000. -
M. Daniel Hoeffel
interroge
Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité
sur la convention 103 de l'Organisation internationale du travail (OIT)
traitant des droits de la maternité. La législation française prévoit seize
semaines de congés de maternité et l'interdiction absolue de licenciement des
femmes enceintes et en congé maternité. Au nom de l'harmonisation européenne,
il semble qu'il soit envisagé de modifier cette législation dans les prochains
mois. Cette modification irait dans le sens de l'assouplissement prévu dans la
convention 103 de l'OIT et, si elle devait aboutir, elle ferait passer les
congés maternité de seize à quatorze semaines. De même, le projet de
modification semble revenir sur l'interdiction totale de licenciement en
période de congé maternité, en autorisant le licenciement pour des motifs sans
lien avec la grossesse. Or, selon les principes fondamentaux et juridiques de
l'OIT, une convention de ladite organisation n'est révisée que lorsque les
modifications apportées portent à un degré supérieur le contenu de la
convention concernée et le niveau de protection des travailleurs. Il lui
demande de lui préciser les modifications de la convention 103 de l'OIT qui
sont envisagées, ainsi que les raisons qui pourraient justifier de telles
modifications.
Application de la TVA à la restauration collective
816.
- 11 mai 2000. -
M. Christian Demuynck
attire l'attention de
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
sur les conséquences de l'application d'un taux de TVA sur la restauration
collective. Dans une décision récente, le Conseil d'Etat a demandé au ministère
de l'économie et des finances d'abroger, dans un délai de six mois, deux
décisions ministérielles de 1942 et 1943. Celles-ci exonéraient les cantines
d'entreprises et d'administrations de toute taxe sur le chiffre d'affaires, les
instructions successives de la direction générale des impôts étendant le
bénéfice de ces dispositions à la restauration hospitalière et municipale.
Selon une estimation du Syndicat national de la restauration collective,
l'application prochaine d'un taux de TVA de 19,6 % induira un surcoût, pour les
repas, de l'ordre de 15 à 30 %. A l'évidence, tous les usagers - enfants,
salariés, personnes hospitalisées ou en maison de retraite - subiront un
préjudice d'autant plus intolérable qu'il contrevient au caractère social de
cette restauration. En outre, les communes, concernées en premier lieu,
soucieuses de soulager les familles d'une part non négligeable du financement
de cette restauration, ne peuvent assumer seules cette nouvelle charge. Pour
certaines, fragilisées par un endettement excessif ou en passe de l'être en
raison de l'application, hélas prochaine, du texte relatif à la solidarité et
au renouvellement urbains, cela posera de graves difficultés. Il lui demande
si, dans le cadre du collectif budgétaire, le Gouvernement a prévu une dotation
complémentaire en vue d'amortir les effets financièrement désastreux de
l'abrogation des décisions de 1942 et 1943 ?
Mise à disposition des crédits prévus par le rapport Mingasson
817. - 11 mai 2000. - M. Rémi Herment, rappelant les efforts importants réalisés depuis de longues années par le conseil général de la Meuse, les collectivités locales et les associations patriotiques dans le domaine de l'entretien du patrimoine militaire et la transmission de la mémoire, interroge M. le secrétaire d'Etat à la défense, chargé des anciens combattants, sur les suites données, en termes de moyens matériels, au rapport Mingasson, lequel annonçait une mise à disposition de 60 millions de francs pour la durée du Plan, traduisant ainsi la volonté de l'Etat d'accompagner ceux qui, sur le terrain, continuent à s'investir à ce niveau et s'interrogent, à juste titre, sur les délais et sur les modalités d'attribution de ces crédits. Il lui demande de bien vouloir lui en faire connaître le calendrier d'application en l'éclairant sur les différents points évoqués.