Séance du 27 janvier 2000






SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Définition des délits non intentionnels. - Discussion des conclusions du rapport d'une commission (p. 1 ).
Discussion générale : MM. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois ; Jacques Larché, président de la commission des lois ; Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice ; MM. Pierre Mauroy, Philippe Arnaud, Charles Jolibois, Jean-Paul Delevoye, Robert Bret, Michel Dreyfus-Schmidt.

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER

M. Gérard Delfau.

Suspension et reprise de la séance (p. 2 )

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

3. Rappel au règlement (p. 3 ).
Mme Anne Heinis, M. le président.

4. Définition des délits non intentionnels. - Suite de la discussion et adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission (p. 4 ).
Discussion générale (suite) : MM. Bernard Murat, Alain Vasselle, Hubert Haenel, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.
Clôture de la discussion générale.

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE

Article 1er (p. 5 )

Amendement n° 15 rectifié de M. Michel Dreyfus-Schmidt. - MM. Michel-Dreyfus-Schmidt, Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois ; Mme le garde des sceaux, MM. Alain Vasselle, Gérard Delfau, José Balarello, Michel Charasse, Jacques Larché, président de la commission des lois. - Rejet par scrutin public.
Adoption de l'article.

Article 2 (p. 6 )

Amendement n° 16 rectifié de M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Retrait.
Adoption de l'article.

Article 3 (p. 7 )

Amendement n° 17 rectifié de M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Retrait.
Adoption de l'article.

Articles additionnels après l'article 3 (p. 8 )

Amendements n°s 18 et 19 de M. Michel Dreyfus-Schmidt. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Adoption des amendements insérant deux articles additionnels.

Articles 4 et 5. - Adoption (p. 9 )

Article 6 (p. 10 )

Amendement n° 23 du Gouvernement. - Mme le garde des sceaux, M. le rapporteur, MM. Pierre Mauroy, Gérard Delfau, le président de la commission, Alain Vasselle. - Rejet.
Adoption de l'article.

Article 7. - Adoption (p. 11 )

Articles additionnels après l'article 7 (p. 12 )

Amendement n° 8 rectifié bis de M. Michel Charasse. - MM. Michel Charasse, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Alain Vasselle. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendements n°s 9 et 10 de M. Alain Vasselle. - MM. Alain Vasselle, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Retrait des deux amendements.
Amendement n° 11 rectifié de M. Alain Vasselle et sous-amendement n° 20 de M. Jean-Pierre Schosteck. - MM. Alain Vasselle, Jean-Pierre Schosteck, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Michel Charasse. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel, le sous-amendement étant devenu sans objet.
Amendements n°s 12 rectifié et 13 rectifié de M. Alain Vasselle. - Adoption des amendements insérant deux articles additionnels.
Amendement n° 14 de M. Alain Vasselle. - MM. Alain Vasselle, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Robert Badinter. - Rejet.

Article 8. - Adoption (p. 13 )

Vote sur l'ensemble (p. 14 )

MM. Gérard Delfau, Robert Bret, Robert Badinter, Philippe Marini, Alain Vasselle.
Adoption des conclusions modifiées du rapport de la commission.

5. Transmission d'un projet de loi (p. 15 ).

6. Dépôt d'un avis (p. 16 ).

7. Ordre du jour (p. 17 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures quarante.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

DÉFINITION
DES DÉLITS NON INTENTIONNELS

Discussion des conclusions
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 117, 1999-2000) de M. Pierre Fauchon, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur sa proposition de loi (n° 9 rectifié, 1999-2000) tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collèges, on peut lire dans un ouvrage qui est un classique pour tous ceux d'entre nous qui ont fait des études de droit - je veux parler du Traité théorique et pratique de la responsabilité civile, des frères Mazeaud - l'observation suivante, que je place en exergue de nos débats : « Du moment qu'il est question de peine, » - de pénalité, donc - « partant de souffrance, on comprend que la société ne demande compte de leurs actions qu'à ceux qui ont agi méchamment, que, par suite, il faille, pour déclarer quelqu'un responsable pénalement, analyser son état d'âme. »
C'est à cet exercice que vous convie la proposition de loi que j'ai l'honneur de vous présenter au nom de la commission des lois, et ce grâce à l'impulsion du président de notre assemblée, qui a souhaité son inscription à l'ordre du jour, dans une ligne d'action annoncée par lui dès le début de son mandat et constamment affirmée depuis lors.
M. le président. Merci, monsieur le rapporteur !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Le point de départ de cet exercice, c'est évidemment la situation incompréhensible dans laquelle se trouvent plongés certains hommes ou certaines femmes à qui l'on fait reproche d'être responsables d'un accident, non pas seulement parce qu'ils l'ont directement provoqué, mais parce qu'un comportement actif ou passif de leur part, même n'ayant qu'une relation indirecte ou lointaine avec l'accident, aurait pu éviter que celui-ci ne se produise.
Des élus locaux, des responsables d'organismes divers, tels des hôpitaux, des entreprises, des collèges, des responsables d'associations organisant des activités sportives, etc., sont ainsi mis en examen, traduits en justice, jetés au banc des accusés côte à côte avec des délinquants de droit commun, et quelquefois condamnés pour des dommages dont ils ignoraient en toute bonne foi l'éventualité, plus encore la probabilité, et qu'ils étaient absolument incapables d'empêcher.
Comme il n'y a guère d'accident dont on puisse dire qu'il ne se serait pas produit sans quelque circonstance antérieure, si lointaine fût-elle, et comme la moindre, la plus subtile de ces circonstances suffit, selon la jurisprudence, à constituer la faute pénale d'imprudence, toute non intentionnelle qu'elle soit, le champ de la responsabilité pénale a fini par s'étendre au-delà - je crois pouvoir le dire - de ce que le bon sens élémentaire considère comme raisonnable et équitable. Et ceux qui ont entendu, ce matin, sur une radio périphérique, le témoignage d'un maire ne seront pas étonnés de mon propos.
Il faut rappeler constamment le principe fondamental du droit pénal selon lequel « il n'y a pas de crime ou de délit sans la volonté de le commettre ». Et n'est-il pas de règle que l'exception faite à ce principe pour certains cas d'imprudence ou de négligence ne puisse être interprétée que d'une manière restrictive ?
Les exemples abondent à cet égard. On en citera sans doute tout à l'heure quelques-uns, mais le temps me manque pour le faire maintenant, et je préfère, pour l'instant, m'en tenir à l'aspect technique du problème. Le nombre de ces exemples importe d'ailleurs peu, dès lors que ce qui est en cause est non pas la fréquence, mais le caractère juste ou injuste de ces condamnations ou de ces mises en examen. Si elles ne sont pas justifiées, elles sont trop nombreuses, et nous devons nous en préoccuper, suivant cette belle formule, que j'emprunte à La Bruyère, selon laquelle la condamnation d'un innocent, d'un non-coupable, est « l'affaire de tous les honnêtes gens ».
Pour remédier à de tels excès, il faut, dans une démarche qui, je le reconnais, est nécessairement assez technique, en identifier la cause. Celle-ci est simple, et nombre de juristes, dont certains ont été entendus la semaine dernière par la commission, l'ont clairement identifiée : cette cause réside dans la préoccupation, d'ailleurs bien compréhensible, de la jurisprudence d'identifier un coupable pour rendre possible une réparation à une époque où l'idée d'une responsabilité sans faute, d'une responsabilité pour risque n'était pas admise.
Dès lors, on est allé jusqu'à qualifier de délit la moindre faute, ce qu'un professeur de droit, M. Pirovano, a pu appeler des « poussières de faute », qui n'avaient pas avec le dommage la moindre des relations causales, afin de condamner et d'asseoir sur cette condamnation l'obligation de réparation du dommage.
C'est ainsi que, depuis un mémorable arrêt de 1912, la faute civile d'imprudence et de négligence ne fait qu'un avec la faute pénale, le délit de blessure ou d'homicide par imprudence. Cette assimilation, qui est au coeur de notre démarche, n'est pas juste, et je crois qu'elle n'est plus nécessaire.
Tout d'abord, elle n'est pas juste, parce que ces deux fautes sont évidemment différentes : la faute civile des articles 1382 et suivants du code civil justifie l'obligation de réparer le dommage causé par elle, tandis que la faute pénale justifie - et c'est une toute autre démarche - que la société sévisse contre ceux de ses membres dont les fautes, même non intentionnelles, portent atteinte aux valeurs qu'elle s'est données.
Il tombe sous le sens que, ces deux fautes ayant des finalités différentes, elles devraient faire l'objet d'appréciations différentes : autant il paraît équitable de faire en sorte que la moindre imprudence crée une obligation de réparation et constitue donc une faute civile, autant il serait excessif de voir dans la moindre imprudence une atteinte aux valeurs de la société justifiant une réparation morale de ce qui deviendrait ainsi un délit.
Cette distinction, sur laquelle il faudra revenir, a été faite tout au long du xixe siècle et au début du xxe siècle, jusqu'au jour où la Cour de cassation s'est avisée de relever que les définitions de ces deux fautes, telles qu'elles figuraient respectivement dans le code civil, d'une part, et dans le code pénal, de l'autre, étaient si proches qu'il paraissait impossible de les distinguer. C'est l'arrêt de 1912, auquel je viens de faire allusion, qui, à l'époque, était inspiré par le souci de faciliter l'indemnisation de toutes les victimes en un temps où cette indemnisation était liée à une condamnation pénale.
Ensuite - seconde observation - l'assimilation de la faute pénale à la faute civile a cessé d'être nécessaire puisque la victime peut maintenant obtenir des réparations sur d'autres bases que le délit, grâce à une évolution législative récente que je ne retracerai pas faute de temps et qui s'inspire des analyses du professeur Tunc sur la notion de risque, évolution à laquelle notre excellent collègue Robert Badinter a apporté, lorsqu'il était garde des sceaux, un concours tout à fait déterminant grâce à deux ou trois textes que tous les praticiens ont sans doute à l'esprit.
Il est donc devenu parfaitement possible d'établir une distinction entre la faute civile, qui peut continuer à être constituée par la moindre imprudence ou négligence,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oui !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... et la faute pénale non intentionnelle, qui suppose sinon la volonté de causer le dommage - elle deviendrait alors intentionnelle - du moins la conscience de créer ou ne pas éliminer le danger qui sera à l'origine du dommage.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Précisons immédiatement qu'il s'agit ici - et ce point est tout à fait important - de la conscience réelle et concrète, celle que l'on a eue de pouvoir causer un dommage, et non pas, comme on le lit trop souvent dans les arrêts, de la conscience théorique, celle que l'on aurait dû ou pu avoir de créer un dommage. On passe en effet son temps à dire aux maires : « Vous auriez pu, vous auriez dû, et parce que vous pouvez vous devez tout ! »
Cette conscience théorique, celle qu'on aurait pu ou qu'on aurait dû avoir, est une conception qui ouvre la porte aux dérives que nous souhaitons précisément endiguer.
Selon la formule de MM. Merle et Vitu : « Seule l'imprudence consciente justifie la répression pénale ». Admettre le caractère fondamental et novateur, par rapport à cette jurisprudence, de cette distinction, de cette différenciation, c'est disjoindre enfin ces deux responsabilités et permettre à chacune de suivre le cours jurisprudentiel qui lui est propre.
Me ferai-je mieux comprendre si je prends une comparaison pittoresque ? Ce que je suggère de faire, c'est un peu ce que fait le héros du Tour du monde en quatre-vingts jours de Jules Verne, lorsqu'il détache du train une locomotive emportée par son élan afin de permettre à ce train de s'arrêter à la station où les voyageurs trouveront refuge. Ainsi, ce que nous vous demandons, c'est de détacher la locomotive de la responsabilité pénale du train de la responsabilité civile.
A partir du moment où l'on voudra bien le faire et où l'on admettra que la faute pénale d'imprudence suppose à tout le moins la conscience de cette imprudence, une distinction s'imposera immédiatement - c'est la seconde étape de notre démarche - pour l'application de ce principe, entre l'hypothèse où le dommage est une conséquence directe, immédiate, nécessaire et donc le plus souvent prévisible de l'imprudence et celle où il n'en est qu'une conséquence indirecte, plus ou moins lointaine, plus ou moins probable, plus ou moins prévisible. Or, vous le savez, on reproche assez souvent à des responsables des actions qui auraient très bien pu ne pas se traduire, dix ou quinze ans plus tard, par des dommages. Il a fallu en effet qu'interviennent entre-temps un certain nombre de circonstances, et la relation entre la faute supposée et le dommage est indirecte.
La distinction, selon moi - mais nous aurons à en débattre lorsque nous examinerons les amendements présentés par M. Dreyfus-Schmidt - est tout à fait importante, disons-le immédiatement, à cause des accidents de la circulation. En effet, le premier cas - relation directe entre la faute et le dommage - englobe la plupart des accidents de la circulation, et le caractère conscient de l'imprudence est réputé inhérent à l'acte lui-même. Il nous faut être pragmatique, dans notre démarche et ne pas seulement s'en tenir à des analyses théoriques et, pour maintenir un niveau élevé de lutte contre le fléau des accidents de la route, il est nécessaire de s'en tenir au système actuel, dans lequel la moindre faute engage la responsabilité pénale. Dans le second cas, au contraire, lorsque la causalité est indirecte, médiate, incertaine et plus ou moins imprévisible, la condamnation pénale doit être limitée aux cas dans lesquels le caractère conscient et volontaire de l'imprudence - non pas, bien entendu, du dommage, mais de l'imprudence : on sait à tout le moins qu'on commet une imprudence et on en est conscient - est clairement démontré, c'est-à-dire dans le cas d'une faute caractérisée.
Comment définir cette faute, me direz-vous ? Certains, et non des moindres, ont suggéré de s'en tenir au concept général de la faute lourde : selon eux, il n'y aura, en cas de relation indirecte, de responsabilité que s'il y a une faute lourde. Cette solution a été retenue par la commission Massot dans son rapport, qui reprend - c'est d'ailleurs un encouragement pour nous - le mécanisme de notre proposition de loi, élaborée plusieurs mois auparavant. La divergence ne porte que sur un point : doit-on parler de faute lourde ou apporter une définition plus précise ?
Votre rapporteur et la grande majorité de la commission des lois ont jugé préférable une définition plus précise, en indiquant formellement que cette faute est caractérisée par « la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence ». Tous les termes ont été pesés !
Cette rédaction a pour but de mieux éclairer la jurisprudence, d'éviter que la gravité du dommage rejaillisse sur celle de la faute. Car, je le dis dès maintenant, quand on demandera à un tribunal d'apprécier qu'une faute est lourde, il considérera toujours que, si les dommages sont graves, la faute est forcément lourde, que, dès lors que plusieurs personnes ont été tuées, cela ne peut pas être une faute légère. Nous n'aurons alors, je le crains, pratiquement rien changé à la jurisprudence actuelle. Evitons donc que la gravité du dommage rejaillisse sur celle de la faute - ce qui est d'ailleurs de règle en matière contractuelle - et soulignons l'exigence, s'agissant de la délinquance non intentionnelle, d'au moins un élément d'intention : le consentement conscient à une imprudence précisément identifiée.
Nous reprenons ainsi les travaux de notre commission, très bien conduits par notre excellent collègue Charles Jolibois, que je salue au passage, lors de l'institution, voilà quelques années, du délit de mise en danger délibérée. Nous évitons aussi de créer un nouveau concept, ce qui, pour l'application de la loi, est toujours préférable.
Tel est, pour l'essentiel, la démarche de notre commission. S'y ajoutent diverses harmonisations textuelles et un certain redéploiement de la responsabilité pénale des personnes morales, qui, peut-être - nous le verrons au cours du débat -, posera problème : réduction de la distinction quelque peu artificielle entre les compétences que l'on peut déléguer et celles que l'on ne peut pas déléguer, exclusion, en revanche, de cette responsabilité pour des circonstances faisant apparaître un manquement délibéré d'une personne physique.
Nous reprenons ici une partie des conclusions de la commission Massot, dont l'excellent travail mérite d'être salué. Nous y reviendrons dans le cours du débat.
Sans doute s'élèvera-t-il des voix parmi nous - peut-être des plus autorisées - pour regretter que cette proposition de loi ne soit pas plus étendue, qu'en particulier elle n'aborde pas, ou pas assez directement, les délits d'atteintes non intentionnelles à l'environnement, qui constituent aussi un vaste champ de réflexion.
Je suis le premier conscient du fait qu'il restera beaucoup à faire, mais il faut se souvenir qu'il s'agit ici d'une simple proposition de loi, qui ne pouvait être que limitée pour des raisons techniques et pour des raisons d'efficacité que chacun pourra comprendre.
Dois-je dire, pour conclure, que notre commission n'a en aucune façon méconnu non pas l'intérêt des victimes - il n'est pas en cause ici - mais leur légitime exigence que toute la clarté soit faite sur les circonstances d'un accident, que les responsabilités réelles soient identifiées et, s'il y a lieu, sanctionnées ? Nous avons d'ailleurs entendu la semaine dernière des représentants des victimes.
Le présent texte n'a certainement pas pour objet d'entraver les investigations judiciaires, comme l'a prétendu par erreur le journal L'Express, puisque, bien au contraire, il les rend encore plus nécessaires ; il tend seulement à ce que la justice pénale reste juste, ce qui exclut tout automatisme aveugle. On ne saurait compenser l'injustice du sort par l'injustice des hommes !
Tels sont, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les circonstances, les motifs et l'économie de la proposition de loi que la commission des lois a l'honneur de vous présenter. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Mauroy applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous abordons aujourd'hui, sur l'excellent rapport de notre collègue Pierre Fauchon, un sujet difficile, mais un sujet qui nous est familier.
Ce sujet nous est familier parce que le Sénat est le représentant des collectivités territoriales et que notre premier devoir est d'être à l'écoute permanente des 500 000 élus de notre pays, mais aussi parce que nous exerçons fréquemment des responsabilités locales et nous entendons bien, d'ailleurs, continuer à les exercer, conformément aux règles que nous sommes en train d'établir et sur lesquelles nous n'avons pas l'intention de transiger. Enfin, il nous est familier parce que, depuis plusieurs années, au sein de nos commissions, de nos groupes de travail, de nos missions d'information, nous y avons réfléchi : chacun se souvient du débat intéressant qui a eu lieu sur la base d'une question orale que notre ami Hubert Haenel avait déposée.
Nous avons noté l'intérêt et l'urgence du problème ainsi que les réactions légitimes qu'il provoque chez de nombreux élus. A la veille des prochaines consultations électorales, bon nombre d'entre eux, nous pouvons en porter témoignage, s'interrogent sur la possibilité pour eux de continuer à exercer leur mandat dans de telles conditions.
En 1996, déjà sur l'initiative de M. Pierre Fauchon, un premier texte a été adopté, et c'est ce texte qu'aujourd'hui nous remettons sur le métier.
Au surplus, nous avions voulu, dans le cadre de la loi sur la présomption d'innocence, rapportée au Sénat par notre ami Charles Jolibois, dégager quelques solutions. Nous avions en effet noté que le texte qui nous venait de l'Assemblée nationale - en réalité, le texte du Gouvernement assez peu amendé - était, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, quelque peu timide.
Il nous avait été répondu - chacun en a le souvenir - qu'il y avait lieu d'attendre le dépôt d'un rapport demandé à une commission présidée par un éminent conseiller d'Etat.
Ce rapport, notre collègue Pierre Fauchon, la commission des lois, largement instruite par les auditions d'éminents spécialistes auxquelles elle a procédé, l'ont en quelque sorte pris au mot par anticipation, estimant qu'il y avait lieu d'agir sans attendre le dépôt d'un projet de loi.
Nous considérons en effet que ce texte s'inscrit normalement dans la perspective de cette réforme d'ensemble de l'institution judiciaire à laquelle nous sommes évidemment attachés.
Notons, d'ailleurs, qu'un texte, par lui-même, n'est pas suffisant ; il faut attendre du juge chargé de l'appliquer un état d'esprit qui tienne compte de l'intention du législateur.
Il n'en est pas toujours ainsi. Cette discordance apparue parfois entre nos intentions et certains jugements demeure, puisque la Cour de cassation n'exerce parfois qu'un contrôle limité. Aussi la proposition qui vous est aujourd'hui soumise, mes chers collègues, nous est-elle apparue particulièrement urgente et nécessaire.
Nous souhaitons, à ce propos, que le juge fasse preuve, dans l'exercice d'une fonction que nul ne songe à critiquer, d'une connaissance plus concrète de la réalité des collectivités territoriales. Peut-être une formation adaptée à l'Ecole nationale de la magistrature pourrait-elle être envisagée !
Aujourd'hui comme alors, plusieurs principes nous guident.
D'abord, nous ne voulons pas faire un sort à part aux élus, même si la nature de leur mandat et les moyens dont ils disposent pour l'exercer font que leur situation diffère sensiblement tant de celle du citoyen dans sa vie privée que de celle du professionnel dans son entreprise.
Il n'était pas illégitime de songer à une solution de cet ordre. Mais on se refuse, dans une société particulièrement médiatisée, à ce que les élus locaux fassent, en cas de faute dans l'exercice de leurs fonctions, l'objet d'un traitement spécial.
Le risque pénal qu'ils encourent en agissant dans l'intérêt commun est tenu pour normal, comme il est apparu normal, notons-le au passage - on l'a bien vu lors des récents événements qui ont si directement atteint tant de Français - qu'ils soient au premier rang pour tenter de faire face.
Deuxième principe : nous voulons prendre en compte le besoin de transparence, d'information et de compréhension des victimes et de leurs ayants droit - nous les avons entendus, au cours de nos auditions - besoin qui est souvent très supérieur à leurs exigences en matière de réparation ou de sanction.
Comment ne pas être touché par les propos tenus, avec beaucoup de modération, par les représentants de ceux qui ont été directement atteints lors de terribles accidents ? Nous souhaitons qu'ils comprennent que la proposition faite n'a nullement pour objet de les priver des réparations nécessaires, pas plus qu'elle n'a pour objet d'empêcher la recherche des responsabilités fautives.
Il faut, enfin - c'est le troisième principe - assurer la cohérence globale des mécanismes de sanction pénale et de responsabilité civile au regard de l'évolution de la société, qui est à la fois plus complexe et plus sensible à la protection collective de la vie humaine.
Je ne peux que me réjouir de voir qu'après, semble-t-il, quelques hésitations exprimées à Léognan par M. le Premier ministre le Gouvernement ait décidé d'appuyer notre démarche. Nous avons un engagement de voir se poursuivre la navette parlementaire pour permettre l'adoption de la présente proposition de loi avant la fin de la session.
Je ne puis m'empêcher de penser que la manière, peut-être un peu rapide, un peu cavalière, dont nous avions posé ce problème lors de la première lecture du projet sur la présomption d'innocence a pu modestement contribuer à lever certains obstacles.
Peut-être notre débat d'aujourd'hui, que nous devons aborder dans un climat apaisé, préfigurera/t-il la perspective nouvelle qui peut s'ouvrir plus généralement sur la réforme de l'institution judiciaire. Nous avons le souhait - je l'ai déjà exprimé - d'aboutir, sur des textes essentiels, sur des textes qui méritent de recueillir le plus large accord parce que ce sont des textes de société, à un accord entre nos deux assemblées, comme nous l'avions fait pour le code pénal en son temps.
En conclusion, je veux dire - notre collègue M. Fauchon est le premier à le savoir - que ce texte, dont le mérite est grand, n'empêchera ni les plaintes ni les procès. Il aura le mérite d'inciter le juge à se prononcer, peut-être, dans un état d'esprit différent et en fonction de règles nouvelles.
Mais la tentation demeurera de s'adresser en priorité au juge pénal, en raison de la rapidité de son intervention et de la faculté qu'il a d'assortir la condamnation qu'il prononce de l'indemnisation sollicitée.
On aurait pu songer à priver le juge pénal de ce droit et à contraindre en quelque sorte la victime à se retourner en priorité vers la juridiction compétente pour obtenir directement réparation, ou pour l'obtenir après que la condamnation pénale eut été prononcée. Cette mesure aurait pu être envisagée au cas où l'auteur de la faute aurait été un élu local.
J'ai d'ailleurs, à titre personnel, soumis à la commission des lois un amendement allant en ce sens.
Je l'ai retiré, dans l'immédiat, après une discussion très ouverte sur ce point, en raison de l'objection qui m'a été faite de l'alourdissement des procédures qui en eût résulté et aussi - il faut bien le dire - dans l'état actuel des choses, de l'incapacité dont fait trop souvent preuve la juridiction administrative à statuer dans des délais raisonnables.
Faudra-t-il, un jour, transférer ces contentieux de l'indemnisation au juge civil, comme nous l'avons fait en d'autres temps et dans d'autres circonstances ? La question a été posée. Peut-être pourra-telle être tranchée un jour !
En tout état de cause, la commission a reconnu qu'un problème demeure, celui de la pénalisation excessive du fonctionnement de notre société. Ce problème devra être résolu.
Dans l'immédiat, je formulerai, encore une fois, le voeu que la proposition de loi de notre collègue M. Fauchon fasse l'objet d'un examen positif à l'Assemblée nationale et que la navette puisse s'engager.
L'adoption de ce texte, à nos yeux - je le répète - s'inscrit dans le cadre de cette réforme de l'institution judiciaire dont nous demeurons prêts à examiner les différents éléments constitutifs dans un ordre désormais logique. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste. - M. Mauroy applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reviendrai pas - M. Fauchon l'a excellement fait - sur le constat de la mise en cause pénale de plus en plus fréquente des décideurs publics pour des délits non intentionnels.
Déjà, en 1995, votre rapporteur et M. Delevoye avaient consacré un rapport à la responsabilité pénale des élus, qui avait bien mis en évidence que la pénalisation des élus locaux, notamment pour des faits involontaires, comportait des risques certains pour la démocratie locale. Ces travaux, vous le savez, ont débouché sur la loi du 13 mai 1996, qui a imposé au juge d'apprécier in concreto les infractions non intentionnelles compte tenu des moyens et des compétences dont disposait l'auteur de la faute.
Par ailleurs, j'ai moi-même répondu longuement à la question qui avait été posée devant votre Haute Assemblée par M. Haenel, le 28 avril dernier.
Dans cette réponse, j'ai tenu, d'abord, à relativiser l'ampleur du phénomène, qui avait pu paraître très préoccupant au vu de certains chiffres avancés par l'observatoire des risques juridiques des collectivités locales, qui dénombrait 850 mises en examen.
Mais, comme il est rappelé très justement dans le rapport de la commission, ce chiffre ne distinguait pas entre les infractions intentionnelles et les infractions non intentionnelles. En outre, il apparaissait que, pour moitié, ce nombre concernait des procédures pour diffamation. Les chiffres que j'avais cités de mise en cause d'élus locaux pour des infractions non intentionnelles, repris à la page 19 du rapport de la commission, faisaient apparaître seulement 54 cas de mise en examen au 1er avril 1999. Par rapport au nombre d'élus locaux, vous conviendrez que ce chiffre est faible !
Pourtant, c'est moins le nombre de mises en examen ou de condamnations qui importe que le sentiment d'insécurité juridique ressenti par les décideurs publics. Aussi, à la fin de ma réponse à la question posée par M. Haenel, je m'étais engagée à ce qu'une mise à plat de l'ensemble des problèmes soit faite, afin de dresser un état des lieux complet et objectif, et de formuler des propositions concrètes.
Ce travail a été mené par un groupe d'étude présidé par M. le conseiller d'Etat Jean Massot et composé de magistrats, d'agents publics et d'élus, dont MM. Delevoye et Sapin. Le rapport sur la responsabilité pénale des décideurs publics m'a été remis le 15 décembre dernier. Il a été largement diffusé, en particulier auprès des parlementaires, et il a aussi été mis en ligne sur le site Internet du ministère de la justice.
Partant d'un constat fait par tout le monde, celui d'une pénalisation indéniable de la vie politique, il indique qu'il existe des solutions pour y remédier, dont aucune, je veux le souligner, n'est exempte d'inconvénients politiques, juridiques ou psychologiques.
Il n'est pas question de prévoir une procédure pénale particulière pour les élus locaux, ni même pour les décideurs publics en général. La commission des lois du Sénat le dit très nettement, tout comme le rapport Massot, et les auditions auxquelles vous avez procédé le confirment.
Je me suis moi-même opposée, lors de la première lectue du texte relatif à la présomption d'innocence, à des amendements qui, de près ou de loin, avaient pour objet de restaurer certaines procédures spécifiques pour les agents publics.
Par conséquent, si l'on n'opte pas pour une procédure pénale spécifique, on peut être tenté de modifier le fond du droit pénal. C'est précisément ce que proposent à la fois le rapport Massot et la proposition de loi de M. le sénateur Fauchon.
Mais, avant d'entrer dans le vif du débat, je voudrais souligner que cette proposition, comme les autres, présente également des inconvénients. En effet, elle implique de renoncer à des principes fort anciens, comme par exemple la théorie de l'équivalence des conditions ou celle de l'identité de la faute civile et pénale.
En effet, on doit se poser la question de savoir si, à partir du moment où l'on fait un texte général qui prend place dans le code pénal et qui, par définition, s'adresse à tout le monde, on ne produit pas des effets non désirés. En particulier, Mme Viney a fort opportunément rappelé devant la commission du Sénat que c'est la « multiplication des accidents du travail et des accidents de la circulation qui avait été à l'origine du développement de la répression des délits non intentionnels ». Sur ce plan, je le dis au nom du Gouvernement, la répression ne saurait faiblir. Les victimes seraient fondées à reprocher cet affaiblissement à tous ceux qui y auraient mis la main.
M. Christian Bonnet. Je suis tout à fait d'accord !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. D'une manière générale, je crois qu'il est indispensable de veiller à ce que la réforme envisagée n'ait pas pour conséquence d'affaiblir l'efficacité de la loi pénale dans des domaines aussi sensibles que celui du droit du travail, de l'environnement, et de la santé publique ou de la sécurité routière.
Depuis plusieurs années, on constate en effet que la responsabilisation des acteurs, publics ou privés, a été accrue du fait de l'existence de la sanction pénale et que cette responsabilisation a porté ses fruits en matière de prévention. S'il convient d'éviter des poursuites injustifiées ou des condamnations contraires à l'équité, il ne faut pas, pour autant, déresponsabiliser les chefs d'entreprise, au risque d'aboutir à une augmentation des accidents du travail, des faits de pollution, des atteintes à la santé publique ou des accidents de la circulation.
J'ai moi-même procédé à certaines consultations, comme votre commission l'a fait. Elles m'ont confortée dans l'idée qu'il ne faut toucher à la loi pénale que d'une main tremblante. Sur plusieurs points, il me semble que l'expertise n'a pas été poussée assez loin et que la navette parlementaire permettra de l'approfondir.
Enfin, et pour clore cette introduction, je crois qu'il faut être constamment guidé par le souci de n'exonérer ni les élus locaux ni les décideurs publics ou privés de leur responsabilité pénale lorsque cette dernière est évidemment engagée. Mais, en même temps, cette responsabilité ne doit pas conduire à l'inertie par peur du procès ou à la démission par lassitude.
Dans sa proposition de loi rectifiée, M. Fauchon essaye de trouver des solutions à ces problèmes difficiles. Les solutions qu'il propose et qui ont été adoptées par la commission portent, vous le savez, sur deux points qui rejoignent très largement les principales propositions faites par le rapport Massot : d'une part, elle entend redéfinir le champ des délits non intentionnels ; d'autre part, elle étend avec prudence la responsabilité pénale des collectivités territoriales en tant que personnes morales.
Je voudrais revenir sur ces deux points, et d'abord sur la redéfinition du champ des délits non intentionnels.
Quel est l'état du droit aujourd'hui ?
La question des infractions pénales non intentionnelles a toujours été très délicate. Par principe, le droit pénal ne réprime que les comportements les plus graves, les plus blâmables, ce qui est le cas des infractions intentionnelles, des infractions dont on peut dire qu'elles sont faites de « mauvaise foi ».
En revanche, il paraît a priori surprenant que les comportements commis « de bonne foi » par une personne qui n'a ni l'intention de violer la loi, ni l'intention de causer un dommage puissent également constituer des infractions. Dans un tel cas, le recours au seul droit civil, qui permet l'indemnisation du dommage, peut paraître suffisant.
Dans le nouveau code pénal résultant de la commission de révision présidée par M. Badinter, est très clairement posé le problème, puisqu'il y est spécifié, à l'article 121-3, que les crimes et les délits étaient en principe des infractions intentionnelles : « Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. »
Il demeure que ce même article a aussitôt apporté une exception à ce principe en rappelant que, lorsque la loi le prévoit, des délits pouvaient être constitués par une faute d'imprudence ou de négligence.
En effet, lorsque sont en cause des valeurs primordiales, comme la vie ou l'intégrité physique des personnes, les comportements, même commis de bonne foi, qui portent atteinte à ces valeurs paraissent devoir, dans certaines circonstances, être sanctionnés pénalement. Par conséquent, le droit pénal n'est pas seulement un droit subjectif, qui recherche s'il y a eu intention de mal faire, mais aussi un droit objectif, qui sanctionne des comportements. J'ai dit que cette évolution ne pouvait êtrequ'aprouvée dans le domaine du droit du travail, de la santé, de l'environnement et de la sécurité routière.
Pour autant, ces infractions pénales supposent la commission d'une imprudence ou d'une négligence, c'est-à-dire d'une faute, d'un manquement à un devoir de prudence ou de diligence qui, malgré son caractère non intentionnel, présente un caractère blâmable parce qu'il porte sur une activité susceptible de causer un danger pour les personnes.
Si, dans leur principe, les dispositions de notre droit pénal paraissent ainsi totalement justifiées, leur application pratique a cependant soulevé d'importantes difficultés, pour les deux raisons suivantes.
En premier lieu, les textes définissant les infractions non intentionnelles, et notamment les articles 221-6 et 222-19 du code pénal réprimant les homicides et les blessures involontaires, ont retenu une conception large du lien de causalité entre la faute et le dommage.
Dès lors que la faute a causé le dommage, même indirectement, même si d'autres fautes ont eu un rôle causal, que plusieurs fautes « ont concouru au dommage », comme le précise la jurisprudence de la Cour de cassation, l'infraction peut être reprochée à chacune des personnes dont le comportement a été jugé fautif. C'est la fameuse théorie de l'équivalence des conditions, qui a été préférée à celle de la causabilité adéquate.
En second lieu, la nature même de la faute a été définie très largement par le code pénal, qui vise l'imprudence, la néglicence, la maladresse, l'inattention et le manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements. La jurisprudence a estimé, au vu de ces formulations, très proches de celle de l'article 1 383 du code civil, qu'il y avait identité entre la faute civile et la faute pénale et que toutes les fautes, même les plus légères, pouvaient ainsi caractériser une infraction. L'arrêté de la Cour de cassation du 18 décembre 1912 n'a jamais été remis en question, depuis lors, sur ce point.
Il résulte de ces deux principes - équivalence des conditions et identité des fautes civiles et pénales - que la répression des délits non intentionnels présente une particulière sévérité, notamment lorsqu'elle concerne les personnes qui n'ont pas causé directement le dommage, mais dont le comportement a pu créer les circonstances qui ont permis ou facilité la réalisation du dommage.
Tel est, en particulier, le cas de ceux qui, parmi les diverses responsabilités qui leur incombent, ont pour mission de prévenir, grâce aux actes qu'ils sont susceptibles de prendre ou à la réglementation qu'ils peuvent édicter, des atteintes à la sécurité des personnes ou des biens. C'est ainsi le cas de dirigeants privés ou publics, comme les chefs d'entreprise ou les élus locaux.
A cet égard, de nombreux exemples pourraient être cités, qui sont dans toutes les mémoires : celui du dancing du Cinq-Sept, celui du stade de Furiani, dans lequel le directeur de cabinet du préfet a été mis en cause, celui des termes de Barbotan, où c'est le maire qui l'a été, celui de la catastrophe du Drac, celui de la mort d'un enfant tombé du haut des falaises d'Ouessant, où le maire a été condamné.
Cette situation n'est pas nouvelle, et l'exposé des motifs du nouveau code pénal rappelait, en 1986, que des dirigeants peuvent être condamnés pour « des infractions dont ils ignorent parfois l'existence ».
Depuis très longtemps, la doctrine comme les responsables politiques ou administratifs critiquent la sévérité excessive des textes et de la jurisprudence, mais sans proposer pour autant un dispositif alternatif qui soit suffisamment précis pour éviter une appréciation trop subjective de la responsabilité pénale tout en garantissant par ailleurs les droits des victimes - vous avez auditionné ces dernières et vous avez été aussi touchés par leur témoignage.
Tels sont l'état du droit et les difficultés qu'il génère. La proposition de loi adoptée par votre commission sur le rapport de M. Fauchon me paraît apporter une amorce de réponse à cette problématique.
La réponse, que je qualifierai d'esquisse de solution, apportée par votre rapporteur me paraît à la fois audacieuse et mesurée.
Elle est audacieuse, car elle revient sur ces deux principes séculaires de l'identité des fautes et de l'équivalence des conditions.
Elle est aussi mesurée pour les deux raisons suivantes : d'une part, elle articule la question du lien de causalité et celle de la faute, en exigeant une faute caractérisée lorsque le lien de causalité entre la faute et le dommage est indirect, sans exiger, dans tous les cas, soit un lien de causalité direct, soit une faute caractérisée ; d'autre part, elle limite cette exigence à la responsabilité pénale des personnes physiques et non à celle des personnes morales.
S'agissant du premier point, la solution proposée par notre rapporteur est, dans son principe, identique à celle qui est retenue par le rapport de la commission que présidait M. Massot, mais elle en diffère toutefois légèrement à deux égards.
La première différence, qui me paraît tout à fait justifiée, est que la réforme proposée ne concerne pas que les délits d'homicide ou de blessures involontaires, mais vise l'ensemble des infractions d'imprudence, ce qui exige une modification de l'article 121-3 du code pénal.
A la réflexion, le Gouvernement partage l'analyse de M. Fauchon : il n'y a pas de raison que l'appréhension plus circonscrite de la notion de faute d'imprudence ne concerne pas tous les délits non intentionnels, par exemple les délits en matière de pollution.
La seconde différence porte sur un point plus complexe, qui est la caractérisation de la faute exigée en cas de causalité indirecte.
Le rapport Massot proposait de recourir au concept de « faute grave ». M. Fauchon et votre commission proposent de retenir le concept de mise en danger délibérée, ou, pour reprendre précisément les termes de la proposition, la notion de « violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence ».
Ce concept présente, il est vrai, plusieurs avantages.
En premier lieu, il existe déjà dans notre droit pénal, depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994, puisqu'il est utilisé dans la définition du délit de risque causé à autrui prévu par l'article 223-1 du code pénal et comme circonstance aggravante des délits d'homicide et de blessures involontaires
En second lieu, il s'agit d'un critère objectif qui suppose la démonstration d'une imprudence consciente de la personne. C'est parce que la personne aura été personnellement alertée - en pratique par une autorité supérieure, par un subordonné, par un usager ou par les circonstances particulières de l'affaire - de l'existence d'un risque déterminé et de la nécessité de prendre certaines précautions pour en éviter la réalisation que sa responsabilité pénale pourra être engagée. Je m'interroge toutefois sur le point de savoir si ce critère n'est pas trop réducteur. Cette interrogation résulte non seulement de la lecture du rapport Massot, mais également du compte rendu de certaines des auditions auxquelles votre commission a procédé fort utilement.
Certains comportements, même non délibérés, peuvent en effet être la cause indirecte d'un dommage et présenter un caractère particulièrement grave qui justifierait une condamnation pénale. L'exemple donné lors des auditions de votre commission, celui du chirurgien qui informe de façon erronée l'équipe soignante chargée du réveil de son patient de la nature de l'opération qu'il a effectuée, ce qui conduit les membres de cette équipe à commettre des fautes directes, est à cet égard éclairant.
En outre, s'agissant d'accidents du travail, il semble, au vu de statistiques récentes, qui portent sur 500 condamnations annuelles en matière d'homicides ou de blessures involontaires, que la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité par l'employeur n'a jamais été recherchée par les juridictions pour entrer dans la voie de la condamnation.
La solution pourrait donc consister à retenir les deux critères de faute manifestement délibérée ou de faute d'une particulière gravité, ce qui permettrait d'engager la responsabilité pénale de la personne physique en cas de faute inadmissible ou intolérable alors même qu'elle ne présente pas un caractère délibéré. Je pense que la discussion d'aujourd'hui ainsi que la navette parlementaire permettront d'approfondir cette réflexion.
En tout état de cause, je souhaite préciser l'interprétation qui me paraît devoir être retenue de l'expression choisie par votre commission. De telles précisions, qui figureront dans les travaux parlementaires, me semblent indispensables pour faciliter l'application de ces nouveaux textes par les juridictions.
Quelle est donc l'interprétation qu'il faut donner de l'expression « violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence » ?
Je rappelle que la faute non intentionnelle est actuellement définie par l'article 121-3 comme une imprudence, une négligence ou un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements. La faute caractérisée, qui serait désormais exigée en cas de lien de causalité indirect, est définie par ce même article comme la « violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité ».
Il n'est donc pas exigé que l'obligation de prudence ou de sécurité qui a été violée soit prévue par la loi ou les règlements. Une règle de prudence, « de bon sens », dont n'importe qui comprendrait qu'elle doit être respectée peut, en cas de violation manifestement délibérée, donner lieu à condamnation pénale.
Par exemple, outre les cas de violation d'une prescription précise figurant dans une circulaire, le directeur d'une école qui ne fait rien après avoir été personnellement avisé que le portail d'entrée risque de s'effrondrer parce qu'un gond est cassé pourra être jugé responsable si le portail chute sur un élève. De même, le maire d'une commune qui a été personnellement alerté du danger qu'il y aurait à laisser ouvert un établissement accueillant du public, alors que des travaux sont en cours pourrait être jugé responsable en cas d'accident.
En définitive, le texte proposé par votre commission doit donc être compris comme visant toutes les formes d'imprudence manifestement délibérée, qu'elles aient ou non été prévues par une loi ou un règlement. Si une telle interprétation n'était pas assez claire, il faudrait le préciser dans le texte même en visant les deux cas de figure soit que la violation soit celle d'une règle évidente et de bon sens de prudence, soit que ladite règle soit prévue par un texte précis de loi ou de règlement.
Le caractère mesuré de la proposition de M. Fauchon découle ensuite du fait que la limitation de la responsabilité pénale pour les infractions non intentionnelles en cas de causalité indirecte entre la faute et le dommage ne concerne que les personnes physiques.
En tout état de cause, les personnes morales, si elles sont pénalement responsables - ce qui est notamment le cas des entreprises privées en cas d'accident du travail ou des collectivités territoriales pour leurs activités susceptibles de délégation - pourront toujours être condamnées.
Cette « plus grande » responsabilité pénale des personnes morales ne remet pas en cause les principes du nouveau code pénal, car la réforme s'analyse non pas en une réduction de la définition des délits d'imprudence, mais comme l'institution d'une cause de non-responsabilité - ou de non-imputabilité - qui ne profite qu'aux personnes physiques mais qui ne supprime pas l'existence de l'infraction.
La réforme proposée n'est par ailleurs pas contraire au principe d'égalité devant la loi, ce qui aurait été le cas s'il avait été prévu que la responsabilité pénale d'une personne morale était un obstacle juridique à celle de ses organes ou représentants personnes physiques. En effet, toutes les personnes physiques, qu'il existe ou non une personne morale pénalement responsable, se trouvent dans la même situation : leur faute indirecte n'engage leur responsabilité personnelle que si elle est manifestement délibérée. L'intérêt de cantonner les effets de la réforme aux personnes physiques permet ainsi de sauvegarder les droits des victimes.
J'en viens maintenant à l'extension mesurée dans la proposition de M. Fauchon de la responsabilité pénale des collectivités territoriales.
La responsabilité pénale des personnes morales est une des innovations fondamentales du nouveau code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994. Ce principe est posé à l'article 121-2, qui exclut toutefois la responsabilité pénale de l'Etat.
En revanche, le code pénal a prévu une responsabilité pénale des collectivités territoriales et de leurs groupements pour les seules activités susceptibles de faire l'objet d'une convention de délégation de service public. Cette inclusion avait été inspirée par le souci d'éviter une rupture d'égalité entre les activités des personnes privées et des activités analogues exercées par des collectivités locales.
Je ne consacrerai pas de longs développements à cette question. Mais, comme la plupart de ceux qui y ont réfléchi - je pense notamment au rapport du Conseil d'Etat consacré à la responsabilité pénale des agents publics de 1996, mais aussi aux remarques de la commission - je ne peux envisager sérieusement une responsabilité pénale de l'Etat. Je sais bien que certains soutiennent que l'Etat peut se condamner civilement à réparer des dommages, mais la responsabilité pénale est de nature éminemment différente car elle participe de la souveraineté. En outre, si nul n'est responsable pénalement que de son propre fait, je ne vois pas comment une responsabilité pénale collective de l'Etat pourrait être engagée.
Cette restriction aux activités susceptibles de faire l'objet d'une délégation prenait ainsi en compte le fait que les activités de police administrative, c'est-à-dire de réglementation au sens large, étaient de nature fondamentalement différente des activités privées.
Je reste pour ma part convaincue qu'entre la fonction d'édicter des règlements afin d'assurer la sécurité et la tranquillité de nos concitoyens, et celle d'organiser le ramassage des ordures ménagères, il y a une différence de nature.
Certes, beaucoup voient dans l'exercice du pouvoir de police la source principale des mises en cause de leur responsabilité pénale. Ce n'est pas faux.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. C'est la raison pour laquelle, par exemple, l'Association des maires de France a particulièrement soutenu la proposition selon laquelle toute plainte mettant en cause un élu local pour une faute non intentionnelle commise dans l'exercice de ses fonctions ne peut donner lieu, dans un premier temps, qu'à la seule mise en examen de la collectivité publique pour laquelle il les exerçait.
Sans aller aussi loin, votre commission a retenu la solution proposée par la commission présidée par M. Massot. Elle consiste à étendre la responsabilité des collectivités territoriales à toutes leurs activités, mais seulement en cas de manquement non délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement.
Je dois vous avouer que je partage les appréhensions et les réticences du président Massot, qui a fait part à votre commission de sa position personnelle sur cette question, laquelle ne rejoignait pas celle de la majorité de la commission qu'il présidait.
En premier lieu, en effet, l'extension de la responsabilité des personnes morales pourrait être comprise comme une fuite des élus devant leurs responsabilités. Comme l'a dit le Premier ministre le 24 novembre dernier devant le congrès des maires de France « cela pourrait conduire à un affaiblissement du sens de la responsabilité personnelle ».
En deuxième lieu, la représentation de la personne morale lors de la procédure judiciaire sera le plus souvent assurée par le responsable de l'exécutif de la collectivité, ce qui ne modifierait pas véritablement le traumatisme de la mise en examen.
En troisième lieu, il me paraît clair que la plupart des sanctions du droit pénal ne sont guère adaptées aux personnes morales. Seules les amendes pourraient être prononcées, mais elles seraient bien entendu supportées par les contribuables, qui pourraient estimer qu'ils ne sont pour rien dans le dommage et peut-être même, pour une partie d'entre eux, qu'ils sont victimes de ce dommage.
Enfin et surtout, je crois que la possibilité d'engager plus largement la responsabilité pénale des collectivités locales conduirait inévitablement à un accroissement de la pénalisation de la vie publique, et je ne crois pas que ce soit ce que nous cherchons. La décision de prendre telle ou telle réglementation, celle de choisir de réparer d'abord la salle polyvalente plutôt que de réaliser tout de suite une station d'épuration aux nouvelles normes devrait-elle faire l'objet d'une évaluation par le juge pénal ?
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est le cas !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Ne pourrait-on pas dire que le juge pénal deviendrait alors celui de l'opportunité des décisions des collectivités publiques ? Et, par là-même, ne serait-il pas conduit à remettre en cause le principe fondamental de la séparation des autorités administratives et judiciaires, du moins lorsque les premières exercent des prérogatives de puissance publique ?
Non, décidément, contrairement aux vertus qu'on lui prête, qui me paraissent largement illusoires, je ne crois pas que l'extension de la responsabilité pénale des collectivités territoriales soit une bonne chose.
Je crois que l'on peut s'engager - et encore avec beaucoup de précaution - dans le sens d'une définition plus exacte du délit non intentionnel, même si je crois qu'il faut bien en mesurer les conséquences.
Sur le second point de la proposition de loi, vous l'avez compris, je partage plus les réticences du président Massot...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Et la majorité de sa commission ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... que l'enthousiasme de certains.
Je n'ai abordé devant le Sénat que les deux points qui faisaient l'objet de la proposition de loi de M. le sénateur Fauchon, mais le rapport de la commission présidée par M. Massot énonçait beaucoup d'autres pistes, qu'il conviendra d'explorer même si cela ne se traduit pas forcément par des textes législatifs.
Je voudrais dire pourtant que le chapitre VI du rapport de M. Massot, qui est consacré à la nécessité de rendre la mise en examen moins systématique et moins traumatisante, contient beaucoup de propositions dont il a déjà été discuté, ici même et à l'Assemblée nationale, lors des débats sur le projet de loi relatif à la présomption d'innocence et au renforcement du droit des victimes.
J'ai eu l'occasion de dire également que j'étais prête à élargir encore le statut de témoin assisté - qui est déjà considérablement renforcé dans la rédaction actuelle du projet de loi - à faire en sorte que le juge soit obligé d'entendre la personne avant toute mise en examen ou encore à ce que le contrôle sur les délais d'instruction soit renforcé.
Je suis certaine que c'est plus la mise en examen qui préoccupe les élus locaux que le nombre des condamnations effectivement prononcées, qui est encore inférieur à la vingtaine - je l'ai dit en commençant cette intervention. C'est donc aussi, et peut-être principalement, sur la procédure pénale qu'il faut agir. Nous le faisons et nous continuerons à en discuter ensemble ; mais c'est un sujet qui est traité par le biais du texte relatif à la présomption d'innoncence.
Par ailleurs, s'il s'agit de favoriser - et c'est nécessaire - les modes de règlement des conflits autres que pénaux, je souhaite rappeler que le Parlement est saisi d'un texte qui reviendra bientôt devant la Haute Assemblée et qui est relatif au référé administratif ; ce texte vise à accélérer le rendu de la justice administrative. J'en attends beaucoup, dans la mesure où les juges administratifs seront mieux armés pour faire face à l'urgence et pour apporter des réponses aux revendications légitimes des victimes.
J'ai aussi indiqué que les textes réglementaires qui accompagneront cette loi contiennent des dispositions qui permettront d'allouer des provisions en cas de dommages, même en l'absence d'une requête au fond. C'est un élément important de simplification et de rapidité.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela existe au civil.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je crois enfin, et je l'ai dit à plusieurs reprises devant cette assemblée, qu'il convient de « mieux armer juridiquement les décideurs publics » - je reprends là le titre du chapitre VIII du rapport de M. Massot. Il faut certainement améliorer la formation des élus et des agents publics au droit. Il faut aussi développer les capacités d'expertise juridique des collectivités locales, expertise qui pourrait d'ailleurs justifier, je le souligne, des formules d'intercommunalité un peu plus fréquentes. Il faut enfin renforcer le contrôle de légalité.
Bien entendu, ces dispositions ne relèvent pas du seul ministère de la justice, qui est là, comme le rappelait tout à l'heure M. Larché, pour apporter aux magistrats non seulement des connaissances techniques, mais également des connaissances plus générales sur les contraintes et sur les obligations des décideurs publics. Un important travail interministériel reste à faire. Il est engagé, et j'espère que nous pourrons le mener à bien.
Cette nécessité a été prise en compte par M. Hanoteau, le nouveau directeur de l'Ecole nationale de la magistrature, et la formation initiale et continue intègre d'ores et déjà une ouverture plus large sur la société.
Enfin, le rapport de M. le président Massot contient beaucoup d'autres propositions dont il ne peut pas être débattu maintenant, soit qu'elles exigent des expertises plus approfondies et trouveront leur place dans la navette parlementaire, soit qu'elles ne doivent pas se traduire obligatoirement par des textes de nature législative.
Je suis persuadée que, sur les autres points, il nous faut en effet laisser le temps de la maturation.
Mais cette proposition de loi mérite en tant que telle d'être examinée, et vous avez entendu les engagements de calendrier pris à ce titre par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Hyest, Jolibois et Delevoye applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mise en examen de maires, parfois suivie de condamnations, suscite un légitime émoi chez les élus.
J'ai pu en prendre la mesure à l'occasion des états généraux organisés à Lille, le 9 septembre dernier, sur l'initiative du président Christian Poncelet.
M. le président. Je vous remercie de le rappeler !
M. Pierre Mauroy. De nombreux élus étaient présents. Le dialogue qu'ils ont noué avec les magistrats a quelquefois tourné à la confrontation. Il a, en tout cas, confirmé le sentiment d'un malaise.
Les élus ressentent particulièrement mal le nombre élevé de mises en examen, dont les répercussions pour eux vont bien au-delà de la dimension personnelle : elles les affectent dans l'exercice même de leur mandat. Ces affaires, nous ne devons pas en exagérer l'ampleur, mais nous ne devons pas davantage en sous-estimer la réalité.
Le texte dont nous débattons aujourd'hui nous offre en tout cas l'occasion de nous pencher sur cette question. Je dirai d'entrée de jeu que j'approuve le choix principal qui sous-tend cette proposition de loi : le refus d'un régime de responsabilité spécifique pour les élus.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Pierre Mauroy. La proposition de loi, en effet, s'inscrit dans le droit commun dès lors qu'elle s'adresse à tous les justiciables. Ce postulat de départ est fondamental.
Ce choix cependant crée des contraintes particulières, et sans doute nous conduit-il à aller moins loin que nous l'aurions initialement souhaité. Je crois cependant que la proposition de loi présentée par notre collègue Pierre Fauchon réalise le meilleur équilibre possible, en opérant une distinction selon qu'il existe un lien direct ou indirect entre la faute commise par un responsable et le préjudice subi par la victime.
Cette notion de lien direct figure d'ailleurs aussi dans le rapport du groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics, dont vous avez, madame la ministre, confié la présidence à M. le conseiller d'Etat Jean Massot. Elle permettra de distinguer entre la personne qui a réellement commis le dommage et celle qui a, le plus souvent involontairement, créé la situation provoquant ce dommage.
Dès lors que le lien entre la faute et le dommage est indirect, ce qui, soit dit en passant, est le plus souvent le cas lorsqu'il s'agit d'élus, il nous est proposé dans le texte de ne retenir la responsabilité qu'en cas de faute qualifiée.
Le texte de la commission des lois retient finalement la notion de « violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence ». Le groupe socialiste s'associe, comme vous, madame le garde de sceaux, à cette qualification, qui a l'avantage d'être déjà connue et appliquée par le juge pénal. Cette nouvelle rédaction des articles 221-6 et 222-19 du code pénal évitera ainsi les abus les plus criants.
On a vu parfois la responsabilité de l'élu recherchée dans des cas où il n'avait donné aucune instruction, où seuls de simples dysfonctionnements des services étaient en cause, souvent même dans l'ignorance complète du responsable municipal. La référence à une violation manifestement délibérée écartera donc la responsabilité pénale de l'élu dans cette hypothèse, du moins peut-on le penser. Ce critère permettra néanmoins de rechercher la responsabilité de l'élu lorsqu'il a pris une part à la commission de l'infraction.
De plus, nous ne pensons pas qu'un débat sur la responsabilité des élus doive être l'occasion de transposer en droit pénal une notion issue du droit administratif. Cependant nous souhaitons que la rédaction retenue permette le contrôle de la Cour de cassation. Il est important en effet que l'unicité de la jurisprudence prévale sur la diversité des situations locales et des appréciations des juridictions d'appel.
L'essentiel d'ailleurs est de ne pas perdre de vue que ce texte doit s'appliquer à l'ensemble des responsabilités, c'est-à-dire aussi bien aux accidents de la route qu'aux accidents du travail, afin de prévenir toute régression quant au droit des victimes à être indemnisées. Nous pensons que notre collègue Fauchon et la commission des lois du Sénat ont fait un bon travail ; c'est pourquoi nous les suivrons.
Un deuxième aspect de la proposition de loi porte sur l'extension de la responsabilité pénale des collectivités locales. La situation, vous la connaissez : il s'agit d'éviter la mise en jeu immédiate de la responsabilité de l'élu alors que, bien souvent, c'est un dysfonctionnement des services administratifs qui est en cause.
Je suis plutôt favorable à cette mesure, que j'ai d'ailleurs évoquée à Lille lors des états généraux sur la responsabilité des élus en septembre dernier.
M. le président. Exact !
M. Pierre Mauroy. C'est d'ailleurs Robert Badinter qui est à l'origine de la novation qu'a constitué la reconnaissance dans le code pénal de la responsabilité pénale des personnes morales.
Sur ce point, cependant, le Gouvernement nous oppose des arguments non négligeables, notamment celui de l'égalité de traitement entre les fonctionnaires de l'Etat et les fonctionnaires des collectivités locales. Problème complexe que celui de la responsabilité de l'Etat ! Il faudra des jours, des mois, peut-être des années pour aborder ce problème ! Je m'en éloigne prudemment... (M. le rapporteur sourit.)
Dans sa proposition de loi, Pierre Fauchon nous propose l'extension de la responsabilité pénale des collectivités locales à l'ensemble de l'activité municipale et non plus aux seules activités pouvant faire l'objet de délégations de service public, parce que cela, c'est une réalité. Il existe, je le sais bien, une dualité, en quelque sorte, que vivent les maires entre, pour certains secteurs, une responsabilité, et, pour d'autres, une responsabilité aussi de la collectivité locale.
Il me semble que les objections du Gouvernement ne sont pas infondées et que nous devrions peut-être prendre le temps de réfléchir à une responsabilité pénale de l'ensemble des personnes morales, y compris l'Etat, ce qui suppose bien des études et des débats complémentaires. Nous ne pourrons pas arrêter une position définitive aujourd'hui !
Pour autant, les élus que nous sommes sont sensibles à une adaptation du droit. Compte tenu de la situation actuelle, qui suscite réellement une inquiétude constante et légitime de la part des élus, nous devrions procéder à une telle adaptation. C'est pourquoi j'exprime, au nom du groupe socialiste, un préjugé favorable au texte proposé, à la condition que ne soient pas adoptés des amendements qui trahiraient son équilibre.
Nous savons que le renforcement de la responsabilité des décideurs va dans le sens de l'histoire. L'évolution du droit s'inscrit dans cet élargissement de la responsabilité. C'est vrai du droit pénal comme du droit administratif ou du droit du travail.
Mes chers collègues, cette responsabilité, en tant qu'élus, nous la revendiquons. L'action politique appelle, en effet, la responsabilité la plus haute et la plus étendue. Nous avons pleinement conscience d'être aujourd'hui confrontés à de nouvelles exigences. Notre société estime que le développement scientifique et technologique doit s'accompagner d'un réduction maximale des risques. Nous y répondons, notamment par le principe de précaution. Aujourd'hui, tous les décideurs, tous les responsables, doivent répondre non seulement de leur gestion directe, mais aussi des conséquences collectives de cette gestion. Et cela, nous l'assumons tous les jours.
Cette évolution - certains diront ce progrès - nous l'acceptons ; mais, parallèlement, il existe une tendance excessive, quelquefois provocatrice, de notre société à la pénalisation,...
MM. Gérard Delfau et Raymond Courrière. Très bien !
M. Pierre Mauroy. ... à la recherche de responsables, voire, trop souvent la mise en cause de boucs émissaires.
M. le président et M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Peu importent les responsabilités, pourvu que l'on tienne un responsable !
M. Gérard Delfau. Le maire, si possible !
M. Pierre Mauroy. Sur ce plan, la République doit soutenir ses élus, en particulier ses maires (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. le président de la commission et M. le rapporteur applaudissent également), car cette évolution du bouc émissaire ne peut pas être le droit ; elle n'est pas la justice. Tel est le véritable problème.
C'est dire que la responsabilité pénale, que personne ne conteste quand elle est justifiée, se doit d'être non seulement efficace, mais aussi juste à l'égard de ceux à qui elle s'applique. Elle suppose, par conséquent, un encadrement juridique clair. Elle ne saurait en effet se substituer à la responsabilité politique et, a fortiori, constituer le moyen de contester, par la voie procédurale, les choix démocratiques d'une majorité de citoyens.
Il faut bien comprendre que les élus sont aujourd'hui confrontés à des arbitrages de plus en plus sophistiqués. Ils se trouvent parfois face à l'envahissement général de normes techniques, en butte à l'imprécision, voire à la contradiction de celles-ci,...
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Pierre Mauroy... à des imprécisions entre ce qui est décidé au niveau de la France et ce qui se décide ou n'est pas encore décidé au niveau de l'Europe.
La sécurité juridique de notre action constitue ainsi une préoccupation sans cesse plus pressante. Nous sommes en droit d'attendre, sur ce plan, une vigilance du Gouvernement dans la création des normes. L'élu local, quand il s'agit de leur application, se trouve au bout de la chaîne, et c'est sa responsabilité qui, finalement, est mise en cause.
Par ailleurs, sur un tout autre plan, il conviendrait de réfléchir à l'action pénale des associations, sur laquelle, naturellement, il n'est pas question de revenir, mais qui peut faire l'objet de véritables détournements du droit. Ces cas sont fort heureusement très minoritaires mais ils existent. Là encore, il faut trouver un moyen de réprimer les excès ou tout au moins de les éviter, en réservant, par exemple, la constitution de partie civile à des associations justifiant d'une certaine ancienneté ou bénéficiant de régimes spécifiques d'habilitation et non à celles qui se créent en fonction d'un problème d'actualité, à propos d'une affaire soumise au tribunal ou qui pourrait l'être.
Mais, mes chers collègues, ne nous leurrons pas : dans un contexte d'immense mutation du rôle de l'élu, les véritables réponses sont aussi ailleurs. Elles tiennent principalement aux conditions d'exercice des mandats.
Les élus sont amenés à consacrer de plus en plus de temps à leur fonction. Cette disponibilité accrue pose, à terme très rapproché, la question du statut de l'élu.
M. le président. Très, très bien !
M. Pierre Mauroy. Prenons l'exemple des problèmes de sécurité. Dans ma ville, la commission de sécurité siège non pas, peut-être, de façon permanente, mais en tout cas des journées entières.
Quel élu peut en permanence et une journée entière être le représentant du maire dans ces commissions de sécurité ?
M. le président et M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Pierre Mauroy. On s'arrange ! Mais la vie est compliquée pour tout le monde en particulier pour les maires. Il est donc absolument indispensable de prendre des dispositions pour que les maires puissent être présents et assumer leurs responsabilités.
Souvent, le maire se trouve dans l'obligation de dire : « Vous pouvez passer outre la décision du préfet. » Cela m'arrive ! Ce n'est pas facile ! En cas de pépin, je ne sais pas quelles seraient les conséquences.
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Pierre Mauroy. Mais quand on vous dit : « Il n'est pas possible de jouer au football sur le stade » ; alors que, cinq jours plus tard, doit avoir lieu un match entre Lille et Marseille... Allez prendre la décision de fermer le stade ! Je pourrais multiplier les exemples de cette sorte.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Le vrai problème est que, souvent, le maire se trouve en bout de chaîne et que les parapluies ont été ouverts par les autorités situées en amont.
M. Gérard Delfau. Bien sûr ! Très bien !
M. Henri de Raincourt. Et ils sont nombreux !
M. Pierre Mauroy. Les maires supportent mal cette situation, ou plutôt ils la supportent courageusement en bravant les difficultés et en prenant les plus grands risques temporairement. Combien de maires sont obligés de le faire, quitte, sinon, à provoquer des problèmes considérables pour leur ville, leur commune, leurs concitoyennes et concitoyens !
La réflexion sur le statut de l'élu devient d'autant plus urgente que la perspective d'une limitation renforcée du cumul des mandats et l'introduction de la parité en politique, votée avant-hier à l'Assemblée nationale, vont induire un renouvellement profond du monde politique.
A défaut, mes chers collègues - permettez-moi de faire un peu d'humour - pour la constitution des prochaines listes électorales, il faudra passer des petites annonces ainsi libellées : « Recherche candidats au poste de conseiller municipal âgés de préférence de plus de soixante ans ou, mieux encore, retraités ». En attendant, on peut toujours faire des discours pour attirer des jeunes ; je l'ai fait. Mais il faut leur trouver un emploi, par exemple un emploi à la communauté urbaine alors qu'ils sont élus de la ville de Lille, et vous voyez d'ici les gros yeux de la chambre régionale des comptes ! Voilà de vrais problèmes auxquels il faut trouver des solutions. Ils ne sont pas imaginaires, ils sont vécus.
Il y a en France 550 000 élus locaux. Certains vivent avec la préoccupation de plus en plus présente du risque pénal. Ils accentuent ce risque d'ailleurs, car je crois que leur sentiment d'insécurité va au-delà du véritable risque qu'ils courent, mais c'est ainsi.
Il faut donc doter ces élus d'un véritable statut professionnel qui leur permette d'assumer plus sereinement leur mandat et qui facilite l'ouverture plus large des fonctions électives à l'ensemble des citoyennes et des citoyens.
Je sais bien, madame la ministre, que l'ensemble de ces questions, sur lesquelles d'ailleurs la commision pour l'avenir de la décentralisation, que je préside, fera dans le cours de l'année des propositions au Gouvernement, ne sont qu'implicitement posées dans le débat d'aujourd'hui. Mais elles devront faire l'objet de discussions ultérieures. Je constate d'ailleurs que certaines d'entre elles sont abordées dans le rapport que M. Massot vous a remis et par le texte sur la présomption d'innocence, dont l'examen se poursuit.
Mes chers collègues, si le problème dont nous débattons aujourd'hui est loin d'être secondaire, je ne saurais oublier qu'il s'inscrit dans la question plus vaste de la réforme de la justice. Le projet de loi sur la présomption d'innocence comporte certaines dispositions qui répondent à des situations critiquables liées à notre réflexion de ce matin : je pense notamment aux modalités et à la durée de ces mises en examen, parfois interminables, insupportables du fait de la suspicion qu'elles font naître et du soupçon qu'elles font peser sur les personnes concernées.
Mes chers collègues, vous me permettrez, en terminant, de vous dire ma conviction.
Qu'on le veuille ou non, le défi pour la France est désormais celui de sa propre ambition à se moderniser ! Le temps n'est plus où le « mal français », pour reprendre l'expression qu'avait utilisée Alain Peyrefitte, était lié à la résistance au changement de notre société. Aujourd'hui, au contraire, celle-ci aspire profondément à la réforme, tout particulièrement à la réforme de l'Etat et de l'exercice des fonctions électives ou encore à la réforme de la justice. La classe politique ne peut plus désormais s'opposer à d'inéluctables évolutions de société, qui plus est largement attendues par l'opinion.
Sur les réformes récentes, le conservatisme a accusé sa coupure profonde avec la société.
Le PACS enregistre un succès qui va au-delà des prévisions.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Que n'a-t-il, pourtant, suscité d'obstruction et de critiques ! La parité a été adoptée par l'ensemble de nos collègues députés à une voix près. Que n'a-t-elle pourtant, ici même, soulevé de réserves et de mise en garde ! Le renforcement de la législation anti-cumul se trouve - et notre assemblée en est seule responsable - dans une situation sinon de blocage, du moins d'incohérence.
M. Jean-Jacques Hyest. C'est un expert en cumul qui parle !
M. Pierre Mauroy. Ces trois réformes sont pourtant plébiscitées par nos concitoyennes et concitoyens.
M. Raymond Courrière. Parce qu'elles marquent le progrès !
M. Pierre Mauroy. Ma conviction, madame la ministre, est que la réforme d'ensemble sur la justice que vous présentez avec lucidité et détermination s'imposera finalement en raison de sa qualité et parce qu'elle correspond à une nécessité.
Cette réforme s'imposera parce qu'aucune opposition ne saurait durablement contrarier des évolutions inéluctables auxquelles répondent les projets du Gouvernement. Voilà pourquoi je suis convaincu que la réforme d'ensemble sur la justice que vous présentez, madame la ministre, conserve toute son actualité. Elle doit se faire et elle se fera. En tout cas, si elle ne pouvait se faire avant, elle serait inscrite au grand rendez-vous des présidentielles.
Quant au Sénat, mes chers collègues, il sait en certaines occasions apporter une contribution essentielle à l'oeuvre législative. C'est ce qu'il fait en ce moment même avec la responsabilité pénale, sur un bon texte, qui a été bien travaillé. Il serait dommage que cette image soit ternie par une résistance systématique à des évolutions qui s'imposent pour la société, et pour le Sénat lui-même.
Il n'y a pas de fleuves immobiles. Il est trop tard pour ramer à contre-courant. Le prochain siècle nous conduira à la réforme, en particulier à celle de la justice. Je partage cette conviction avec l'ensemble du groupe socialiste. Cette conviction n'a d'égale que la sérénité avec laquelle nous abordons le débat d'aujourd'hui et apportons notre préjugé favorable au texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. Vous me permettrez de vous faire observer, monsieur Mauroy, que la qualité de la présentation de la situation des élus locaux à laquelle vous vous êtes livré est due, me semble-t-il, au fait que vous êtes maire. A méditer, dans l'optique du projet de loi sur le cumul des mandats !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est pas gentil pour les autres !
M. Pierre Mauroy. C'est trop simple de dire cela ! Je suis un élu depuis vingt-cinq ans, c'est vrai...
M. Jean-Jacques Hyest. Cumulard !
M. Pierre Mauroy. ... mais nous entrons dans un nouveau siècle. Des évolutions se font jour. Il faut s'y adapter !
M. le président. Progressivement !
M. Pierre Mauroy. Il faut aller beaucoup plus vite ! En tout cas tel est mon sentiment.
M. le président. La parole est à M. Arnaud.
M. Philippe Arnaud. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, merci tout d'abord à Pierre Fauchon pour sa proposition, fondamentale en droit, qui répond, sur un point essentiel, au grave problème posé par les mises en cause des maires, des présidents d'associations dans des affaires où, à l'évidence, c'est leur seule fonction qui les rend coupables.
Le 28 avril dernier, dans le débat ouvert par la question de notre collègue Hubert Haenel sur la responsabilité pénale des maires, je me suis exprimé pour dire la nécessité et l'urgence qu'il y a à apporter des réponses concrètes, pragmatiques, à ce problème complexe, certes, mais posé de façon récurrente.
Je vous faisais observer, en illustrant mes propos d'exemples concrets, le hiatus qui existe entre élus, magistrats, médias et plaignants.
Pour les magistrats, procureurs ou juges, c'est limpide : une mise en examen n'est pas une déclaration de culpabilité ; c'est seulement le moyen par l'instruction de rechercher la vérité.
Pour les médias, qui alimentent l'opinion publique, il n'y a pas de fumée sans feu, et la mise en examen devient une présomption de culpabilité. C'est inscrit ainsi dans les esprits.
Pour les plaignants, c'est le début de la satisfaction d'une légitime revendication : enfin, on va trouver le responsable, identifier un coupable et le châtier.
Les magistrats - cela arrive souvent - les médias et les plaignants, face à une réalité parfois tellement complexe qu'un coupable ne peut être identifié, se retrouvent souvent pour conclure à l'encontre d'un bouc émissaire.
Pour l'élu, en charge d'affaires publiques ou associatives, qu'il soit reconnu coupable ou non, c'est être condamné dès sa mise en examen. Même innocenté, il rentrera chez lui seul, et qui saura qu'il a été innocenté alors que les tambours auront résonné pour sa mise en examen ?
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Philippe Arnaud. Vous l'avez compris, je m'inscris en défense des maires et de ces responsables associatifs, citoyens choisis par leurs concitoyens et parmi leurs concitoyens pour s'occuper, un temps, des affaires de la commune, du département, de la région ou de l'association, mais je m'attacherai plus particulièrement au maire, agent de l'Etat chargé de diverses responsablités de police.
Béotien, je n'entrerai pas dans la dimension juridique, particulièrement complexe, de la question. M. Pierre Fauchon, merveilleux avocat et éminent spécialiste, venant de se livrer à de brillants développements.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Philippe Arnaud. Je serai peut-être iconoclaste, mais dépourvu d'arrière-pensée, seulement soucieux d'exprimer la lassitude, l'inquiétude grandissante, malheureusement maintes fois justifiée, de celles et ceux, indispensables acteurs et responsables de terrain, qui se trouvent, du simple fait de leur élection, à la croisée de toutes les misères, de tous les problèmes, de toutes les difficultés et d'enjeux qui, souvent, les dépassent.
Ceux-là disent : stop ! Assez ! On s'en va !
Certes, on trouvera toujours des inconscients ou des prétentieux - il s'agit d'ailleurs parfois des mêmes ! - pour prendre la relève, mais ils déchanteront à leur tour.
La République ne peut se satisfaire de cet état de fait. La démocratie ne peut traiter ainsi ses élus. Il y va de son avenir.
Pas de privilèges, surtout pas de privilèges ! Mais davantage de considération pour la fonction, si lourde et si complexe, et un minimum d'analyse préalable avant de désigner à la vindicte populaire, par presse interposée, un élu, homme ou femme, évidemment responsable, de par sa fonction, mais rarement coupable.
Le principe de précaution est aujourd'hui une référence fondamentale. Pourquoi, alors, ce principe ne s'appliquerait-il pas, d'abord, au bénéfice de l'homme lorsque son honneur peut être mise en cause ?
On ne « fait » pas parce qu'il y a potentiellement un risque ou parce que, en l'absence de connaissances suffisantes, on est incapable d'évaluer le risque potentiel. Mais, lorsqu'il s'agit de mettre en examen un élu, aucune hésitation ! On verra à la fin de la foire...
La justice serait-elle la seule à pouvoir s'exonérer de ce principe de précaution ?
Dois-je le préciser, je ne défends pas ici, et aucun d'entre nous ne saurait jamais défendre, les rares élus - mais peu, c'est déjà trop - qui se sont rendus coupables de malversations, d'actes malhonnêtes, abusant de leur fonction à des fins personnelles ou ignorant volontairement les responsabilités de leurs charges ! Ceux-là ne doivent ni ne peuvent nous inspirer aucune pitié !
Je pense à celles et à ceux qui gèrent en « bon père de famille », et je crois que cela a un sens honorable, un sens moral autant qu'un sens juridique. Comment ne pas être encore plus inquiet pour ceux-là après avoir lu, le 23 janvier, dans un grand quotidien du soir, que des agents de l'Etat incitaient des étudiants à traduire en justice leurs parents, sur le fondement de l'article 203 du code civil, pour non-respect de l'obligation d'entretien, alors même que ces parents, endettés, saignés aux quatre veines pour assurer l'entretien et la scolarité de leurs enfants, ne pouvaient payer la chambre d'étudiant ?
Ainsi va la société, sans doute ! C'est inquiétant !
Une étudiante a été choquée qu'une telle chose puisse même être envisagée. Son père avait-il trahi sa confiance ? Non ! L'enfant connaissait la situation. Noble et heureuse réaction !
Y a-t-il, mes chers collègues, une grande différence entre ce père de famille et l'élu attentif, qui gère en bon père de famille, avec les moyens dont il dispose ? On devrait pouvoir répondre non. Et pourtant !
Et pourtant, en forçant un peu le trait, on pourrait dire aujourd'hui que l'élu, lui, a par nature vocation à être coupable.
Il est d'abord coupable envers lui-même et envers sa famille de s'être mis au service de ses concitoyens, au lieu de rester tranquillement chez lui.
Il est ensuite coupable, et c'est plus grave, envers ses administrés, lui qui a voulu ou en tout cas accepté des responsabilités, alors même qu'il n'était pas ingénieur-préventionniste, ni technicien de l'environnement, ni architecte, ni médecin, ni électricien qualifié, ni contrôleur de structures, ni expert-comptable, et encore moins juriste. Et même s'il était juriste, devait-il exceller en droit public ou en droit privé ? En droit civil ou en droit pénal - cela pourrait lui servir ! - en droit social ou en droit des affaires ? Et je vous ferai grâce du droit international, encore que la construction européenne ne permette plus de l'ignorer !
Il est coupable, donc, de n'avoir pas su ce qu'il ne savait pas, de n'avoir pas prévu l'imprévisible, de n'avoir pas pu réunir les moyens propres à empêcher ce qui lui est reproché.
Et la liste des compétences que requiert l'exercice de la fonction de maire ne s'arrête pas à ces métiers dont l'inventaire fait déjà penser à Prévert. C'est sans doute pour cela qu'il n'y a pas de statut qui encadre cette noble fonction. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il est urgent qu'un statut accompagne l'élu dans l'exercice de son mandat.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Philippe Arnaud. Supprimez les élus, mettez des fonctionnaires à leur place et vous verrez les primes de responsabilité et de risque qu'il faudra leur servir !
L'élu peut faire appel, pour exercer ses responsabilités, à des compétences extérieures, me direz-vous ; et vous aurez raison. Mais une petite commune dont le budget équivaut à celui d'un ménage ne peut tout simplement pas se payer de tels services.
Et les lois que nous votons, les normes réglementaires que les ministres édictent quotidiennement, tous ces textes qui, à une vitesse vertigineuse, remplacent les précédents rendent quasiment illusoire pour un maire la perspective de rentrer chez lui un soir en disant : « Ça y est, tout est en ordre, tout est aux normes, sur le fond comme sur la forme, je suis inattaquable, j'ai assuré la parfaite sécurité de mes administrés. »
Quand bien même il croirait pouvoir se le dire, où serait la satisfaction pour un maire - et pour ses administrés - d'avoir supprimé les jeux dans les écoles, fermé la cantine scolaire, interdit les sorties éducatives des enfants, fermé les circuits de randonnées ? Et la liste n'est pas exhaustive !
Pendant ce temps, l'Etat, dans sa grande souveraineté, poursuit sa route, se déchargeant petit à petit de ses responsabilités à risque sur le dos des élus locaux, plus facilement identifiables. Lui-même est exonéré de responsabilité pénale au prétexte que, la justice étant rendue au nom de l'Etat, elle ne peut l'être contre l'Etat ! Le béotien que je suis répond : facile !
Est-ce une affaire trop importante pour être laissée dans les seules mains des spécialistes, c'est-à-dire des juristes ? Je serais parfois tenté de dire qu'il faut au contraire les en dessaisir.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Ce serait raisonnable ! (Sourires.)
M. Philippe Arnaud. Mais la sagesse me conduit à répondre par la négative, bien entendu. A la condition, toutefois, que les spécialistes reprennent conscience de la réalité du terrain.
Nous sommes tous responsables de cette situation. C'est à nous tous, Gouvernement, élus, magistrats et citoyens, de trouver les réponses adaptées.
C'est au Parlement de faire la loi, qu'il propose des textes ou qu'il discute les projets du Gouvernement. C'est aux juristes et aux magistrats de contribuer à son élaboration, puis de l'appliquer. Mais qu'ils écoutent le Parlement et qu'ils entendent l'esprit de la loi !
C'est aux citoyens, responsables eux aussi, de sortir de leurs contradictions. Que le citoyen consommateur ne réclame pas ce que le citoyen contribuable ne veut pas payer ! Que le citoyen victime ne se laisse pas aveugler par sa douleur et puisse trouver juste réparation sans faire des victimes inutiles à son tour !
Madame le garde des sceaux, vous nous avez appelés tout à l'heure à ne toucher au droit pénal que d'une main tremblante. Notre main, votre main tremblent-elles lorsque nous pénalisons à outrance ?
Nous devons oser. Il y va de l'avenir de notre organisation démocratique. La proposition de Pierre Fauchon ose. Après la loi du 13 mai 1996, c'est un nouveau pas qu'il nous invite à accomplir. Fût-il petit, ce pas est de nature à clarifier et à améliorer la situation. C'est pourquoi, comme le groupe de l'Union centriste, je voterai cette proposition de loi, tout en formant le voeu que cette avancée résiste à la pression médiatique, qui avive constamment l'émotion publique, et à l'émotion publique ainsi amplifiée.
Comme un éminent intervenant l'a souligné lors de l'audition publique du 19 janvier, « c'est à la libre appréciation du juge ». Alors, que le juge apprécie librement, mais aussi sereinement ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Jolibois.
M. Charles Jolibois. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les dispositions de la proposition de loi de notre collègue Pierre Fauchon dont nous débattons aujourd'hui sont particulièrement attendues, et pas seulement par les maires, surpris de voir leur responsabilité pénale de plus en plus souvent mise en cause pour des faits non intentionnels.
Le coeur du débat est en fait la question, bien connue des juristes, de la responsabilité sans faute intentionnelle, dite « responsabilité objective ».
Pour éviter cette banalisation, trois pistes s'offraient à nous.
La première consistait à adopter une loi spéciale applicable aux maires, si l'on pensait particulièrement à eux. Mais cette solution n'était pas admissible psychologiquement et constitutionnellement, car elle contrevenait au principe d'égalité devant la loi.
Au demeurant comme l'a rappelé M. Mauroy, les maires revendiquent leur responsabilité dès lors que le système est appliqué avec équité.
La deuxième piste consistait à élaborer un privilège de juridiction. Mais cette solution était celle qui était appliquée avant le vote de la loi du 4 janvier 1993, laquelle l'a supprimée. Il était donc difficile d'y revenir.
Enfin, la troisième piste consistait à instituer un filtre, comme il en existe un pour la Cour de justice de la République. Nous avions, dans ce sens, élaboré un texte, portant la signature du président de la commission des lois, M. Jacques Larché, mais qui n'a pas été examiné en séance publique.
Aucune de ces trois pistes n'a été retenue. Devant l'efficacité, non encore reconnue complètement, mais qui a déjà porté ses fruits, de la loi, également rapportée par M. Fauchon, du 13 mai 1996, le législateur tente maintenant de trouver un autre moyen de protéger des personnes ayant des responsabilités particulières des excès de la responsabilité pénale objective. Telle est l'origine de la présente proposition de loi.
Ce texte introduit à l'article 12-3 du code pénal la notion de faute « manifestement délibérée ».
Comme j'ai eu l'occasion de le souligner lorsque nous examinions l'article du code pénal relatif à la mise en danger, cette expression se raccroche à un principe clé du droit pénal, à savoir que celui-ci doit mettre avant tout l'homme en face de sa conscience en ce qu'il vise des personnes qui commettent sciemment un acte délictueux.
C'est la raison pour laquelle la commission des lois avait déposé un amendement - l'amendement n° 79 - spécifiant que la mise en danger devait être « consciemment et manifestement délibérée ».
C'est à la suite d'un parcours législatif complexe, dont j'ai relu en totalité le compte rendu et qui avait donné lieu à des dialogues nourris entre M. Kiejman, alors garde des sceaux, le président de la commission des lois, M. Dreyfus-Schmidt et moi-même, en tant que rapporteur, que l'expression « consciemment et manifestement délibérée » a été supprimée : après deux navettes, un accord a été trouvé pour supprimer le mot « consciemment », considéré comme une redite, et s'en tenir à l'expression « manifestement délibérée », en indiquant qu'elle signifiait, en fait, « consciemment ».
L'expression « manifestement délibérée » est celle qui figure maintenant dans le code pénal, et c'est pourquoi nous avions beaucoup insisté pour que le texte soit, si possible, voté à une très grande majorité. Le code pénal est fait pour durer. On ne doit y toucher, dites-vous, madame le garde des sceaux, qu'en tremblant. Il est donc préférable que les dispositions qu'il contient soient votées à une majorité traduisant un très large consensus. C'est une telle majorité qui a retenu l'expression « manifestement délibérée ».
D'après ce texte, qui ne concerne que la mise en danger, le juge doit rechercher si la personne qui a commis un acte répréhensible l'a fait en ayant devant les yeux, ou dans son imagination, le spectacle des conséquences possibles et a néanmoins choisi de passer à l'acte.
Le juge doit également faire la distinction, entre dommages directs et dommages indirects.
Sur ce point, le texte proposé par notre collègue Pierre Fauchon et par la commission des lois me paraît ingénieux et satisfaisant. Avec une telle disposition, il faudra toujours que la violation ait été « manifestement délibérée » pour entamer des poursuites pour maladresse ou négligence.
L'intérêt principal de ces nouvelles dispositions est double.
D'une part, elles vont amener le juge à engager plus de recherches subjectives, même dans les cas de responsabilité objective, et à pénétrer dans l'analyse du fonctionnement même du service ou de l'organisation pour apprécier où se situe la responsabilité du maire dans la hiérarchie des responsabilités.
D'autre part, l'élu, ou le responsable, pourra être entendu par le juge et se défendre sur la notion de chaîne de causalité.
La question qui se pose à nous est de savoir si cette nouvelle disposition ne risque pas de diminuer l'exigence de prudence, dont on attendrait plutôt un renforcement dans notre société, par exemple dans les domaines de la sécurité environnementale, de l'agroalimentaire, du risque industriel, des risques du travail et de la santé publique.
En effet, ce texte s'appliquera non seulement aux maires, mais aussi à toute autre personne, chef d'entreprise, enseignant ou préfet. Ne risque-t-on pas alors de voir diminuer le sens de la responsabilité et, surtout, la vigilance des personnes physiques à un moment où nous sommes confrontés à tant de risques, et où la loi doit protéger les consommateurs et les usagers des services publics ?
Par ailleurs, en cas de pourvoi auprès de la Cour de cassation, le contrôle de la notion de la faute « manifestement délibérée » se fera plus difficilement puisque la Cour ne procède pas au contrôle des faits.
J'émets là des réserves qui ne doivent pas nous empêcher d'agir, car il .y a eu une dérive de l'application du droit pénal qui s'est traduite par une pénalisation accrue de notre société et un recours trop systématique au pénal. L'intention du législateur est ici de redonner son vrai sens au droit pénal.
Deuxième point important sur lequel portent mes réserves : la proposition de loi prévoit, à l'article 6, la possible mise en cause de la responsabilité pénale de la personne morale.
Je me demande en effet comment cette responsabilité sera organisée. Qui représentera la collectivité dans le box des accusés ? Qui sera présent à l'audience ? Pourquoi n'a-t-on pas envisagé de recourir à des amendes, comme c'est déjà le cas pour des délits commis par des personnes morales, en précisant comment elles seront évaluées ? Pourquoi les collectivités locales seraient, sur ce point, moins bien traitées que certaines administrations d'Etat lorsqu'elles exercent des pouvoirs de puissance publique dans l'intérêt général ? Toutes ces questions doivent être creusées.
Néanmoins, malgré ces quelques doutes, le législateur ne peut rester inactif face à la dérive actuelle qui consiste, parfois, à chercher un bouc émissaire. La présente proposition de loi a pour but premier d'éviter les cas très injustes où une condamnation est prononcée à seule fin de désigner un responsable à des victimes en détresse.
Cette proposition de loi est issue d'une réflexion qui était indispensable ; son adoption l'est tout autant. Notre réflexion ne doit cependant pas s'arrêter là, et nous devons continuer de nous interroger sur la pénalisation excessive de notre société.
En conclusion, il faut espérer que cette loi participe d'un retour aux sources mêmes du droit pénal selon le principe : « pas de sanction sans loi écrite », ou « nulla poenae sine lege ». Ce principe avait été invoqué dans le cadre du débat sur la mise en danger pour repousser la possibilité d'une mise en examen pour prise de risque n'ayant pas entraîné de conséquences dommageables, ce qui aurait probablement été la porte ouverte à une appréciation trop large.
Il faut également souhaiter qu'un texte de l'importance de celui que nous discutons fasse l'objet du consensus le plus large possible.
J'ai remarqué que le Premier ministre avait annoncé, au dernier congrès des maires, son intention d'intervenir dans le sens même de la présente proposition de loi.
J'ai également remarqué, madame le garde des sceaux, que, dans le dossier que vous aviez envoyé à tous les parlementaires avant le Congrès qui n'a pas eu lieu, vous aviez joint en annexe cette intervention du Premier ministre au congrès des maires, dans laquelle il s'engage à étudier le problème, d'actualité, de la responsabilité des maires.
En 1994 nous avions voté la réforme du code pénal à l'unanimité, en considérant que nous adoptions un texte de base pour la société. La présente réforme est tout aussi importante et elle sera, je l'espère, adoptée dans les mêmes conditions.
En résumé, le texte qui nous est proposé reprend une définition et une analyse de la faute qui figurent déjà dans le code pénal.
Premièrement, il devrait permettre d'établir, grâce à la jurisprudence sur des cas concrets, des limites précises pour l'application de cette définition. Si notre vote est clair, il n'y a pas de raison pour que la Cour de cassation ne parvienne pas à une analyse comparable à celle qu'elle a faite de la faute lourde.
Deuxièmement, la présente proposition de loi renforce et accentue les effets bienfaisants - ils étaient attendus - de la loi de 1996 sur la responsabilité non intentionnelle - une jurisprudence existe, qui concerne des maires, des préfets et des enseignants, et qui montre les bienfaits de cette loi.
M. André Rouvière. Il y en a, mais pas beaucoup !
M. Charles Jolibois. Troisièmement, la proposition de loi n'a pas pour effet de compliquer la procédure pour le justiciable victime, comme l'aurait fait le renvoi préalable à une juridiction de l'ordre administratif pour qu'elle se prononce sur une éventuelle faute détachable, solution qui avait été proposée, par amendement, lors de l'examen du texte sur la présomption d'innoncence. En tant que rapporteur de la commission des lois, je m'y étais opposé.
Quatrièmement, la proposition de loi clarifie la volonté du législateur sur le traitement pénal différent qui doit être réservé, d'une part, à la faute pénale entraînant des conséquences directes et, d'autre part, à la faute occasionnant de dommages indirects et non intentionnels.
Enfin, on ne peut pas ne pas revenir au grand principe selon lequel nulla poena sine lege , car c'est une des colonnes du temple du droit pénal.
M. Raymond Courrière. Elle est ébranlée !
M. Charles Jolibois. Si ce principe décline, insensiblement mais sûrement le climat change : le droit pénal n'est plus défini par la loi, mais par les audaces de la jurisprudence. Ce n'est plus le droit du législateur : cela devient le droit des juges, ce que personne ici ne veut.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Michel Charasse. De toute façon, les juges s'en foutent ! Ils font ce qu'ils veulent !
M. le président. Poursuivez, monsieur Jolibois !
M. Charles Jolibois. Cette appréciation ne me dérange pas, monsieur le président,...
M. Henri de Raincourt. Nous non plus !
M. Charles Jolibois. ... je la trouve même amusante.
M. Michel Charasse. On peut voter ce qu'on veut, les juges font ce qu'ils veulent !
M. le président. Monsieur Charasse, laissez l'orateur s'exprimer.
M. Charles Jolibois. Tout le monde ici estime - et ce sera ma conclusion - que l'excès de pénalisation pour des fautes non intentionnelles peut avoir des conséquences extrêmement lourdes sur le nombre des candidatures aux difficiles fonctions de maire, mais aussi sur les recrutements aux fonctions qui impliquent la prise de risque dans les entreprises, fonctions qui, les unes comme les autres, sont pourtant absolument nécessaires à la prospérité de nos concitoyens, au bon fonctionnement de la démocratie locale, démocratie vivante, grâce à nos 36 000 communes, et qui est indispensable à notre République.
M. Raymond Courrière. Elle est bien menacée !
M. Charles Jolibois. Le Sénat était bien dans son rôle, monsieur le président, en soutenant l'initiative prise par l'auteur de la présente proposition de loi.
Je suis chargé de dire que mon groupe, dans son immense majorité, la votera et de remercier notre collègue Pierre Fauchon du travail qu'il a accompli, selon une méthode que j'ai le privilège de bien connaître pour avoir en plusieurs occasions travaillé avec lui. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je ferai quelques brefs commentaires, d'abord pour me réjouir que nous soit présentée aujourd'hui cette proposition de loi, qui, après la loi de 1996, amène à une réflexion sur la redéfinition du champ du délit non intentionnel et sur l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales.
Divers travaux ont nourri la réflexion : ceux de l'Association des maires de France, lors de son dernier congrès, au cours duquel M. le Premier ministre est intervenu, ceux du groupe présidé par M. Massot, ou encore ceux de la mission de décentralisation, qui viennent de se conclure par un rapport sur la sécurité juridique.
La réflexion a en outre porté sur le statut de l'élu et sur les conditions d'exercice des mandats locaux sur le plan de la sécurité juridique.
Je ne reviens pas aux analyses juridiques et aux commentaires qui ont été faits, mais je tiens à affirmer pu être certains principes.
Il ne s'agit pas ici de défendre, par réaction corporatiste, les maires, mais bien d'assurer l'efficacité de l'action publique, qui est au coeur de notre réflexion, en permettant à ceux qui l'exercent de gérer les risques.
L'exercice de la responsabilité est un art difficile, mais il ne s'exerce pleinement que si l'on assume totalement ses responsabilités, et un texte ne saurait avoir pour effet de limiter celles-ci ou de permettre à ceux à qui elles incombent de leur échapper.
Lorsque l'on est victime, on souhaite légitimement être informé et indemnisé, et voir condamner ceux qui sont responsables. Tout texte se doit d'assurer le droit des victimes. Il faut aussi tout mettre en oeuvre pour faciliter la tâche de celui qui doit juger - exercice ô combien difficile ! - et nous devons soutenir cet effort. Mais un nécessaire délai doit s'écouler, l'enquête doit permettre de se forger une conviction et l'accès au dossier doit être assurer pour la défense, et ce dans la plus grande sérénité des auteurs, des acteurs et de l'opinion.
Or, vous avez raison, madame la garde des sceaux, quand vous indiquez qu'entre le sens et la réalité existe aujourd'hui un vrai décalage. Pour les décideurs publics, la crainte du jugement de l'opinion se superpose à l'inquiétude d'être condamné pour des faits non intentionnels. Cette condamnation laisse une trace d'autant plus douloureuse dans l'âme de ceux qui la subissent que ceux-ci ne sont pas directement impliqués dans les faits incriminés, et à la douleur d'une condamnation injuste s'ajoute l'humiliation d'une condamnation médiatique, qui blesse l'honneur d'une famille tout en semant le doute chez ceux qui exercent des responsabilités.
Vous avez eu raison d'indiquer que, aujourd'hui, nous risquons une paupérisation de la vie publique, les candidats craignant d'être dans l'incapacité d'exercer des responsabilités. Déjà, au sein du ministère de l'éducation nationale, un certain nombre de postes de proviseur sont aujourd'hui vacants,...
M. Gérard Delfau. Oui ! Et il manque 10 000 directeurs d'école !
M. Jean-Paul Delevoye. ... tout simplement parce que les possibles candidats considèrent que l'exercice de cette responsabilité, au nom de l'intérêt général, leur fait courir des risques majeurs s'agissant de leurs intérêts légitimes sur le plan privé.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. Aussi, l'initiative de M. Pierre Fauchon, soutenue par M. Jacques Larché, au nom de la commission des lois, mérite d'être saluée.
Ce texte concerne l'ensemble des décideurs publics, car personne, et surtout pas moi, ne souhaite un traitement particulier pour les élus locaux. Nous sommes responsables, nous entendons assumer nos responsabilités. Il n'y a jamais eu de tractations avec quiconque - ce soupçon serait désobligeant tant pour le Gouvernement que pour le Parlement - pour tenter d'exonérer les élus locaux d'une quelconque responsabilité.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. En revanche, il existe un véritable risque de décourager la prise de responsabilités dans les collectivités locales, dans le monde de l'enseignement et au sein du monde associatif. Cela pose le problème de l'efficacité de l'action publique. J'ai souvent posé cette question : comment l'Etat pourrait-il agir sans élus locaux, sans présidents d'association et sans enseignants qui prennent des responsabilités ?
M. Philippe Arnaud. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. Nous assistons aujourd'hui à une accélération de la pénalisation de la vie publique. Cela doit nous amener à réfléchir, et je sais que ce point fait partie des réflexions de la commission des lois, sur l'articulation des différentes juridictions - administrative, civile et pénale -, mais aussi sur la mise en cause de la responsabilité de la personne morale et de la personne privée.
Nous devons garantir la dignité des hommes et des femmes en leur épargnant l'opprobre public lorsqu'il s'agit d'une mise en examen qui, alors qu'elle doit leur offrir les meilleurs moyens d'assurer leur défense devant l'appareil judiciaire, les livre en réalité à l'accusation publique devant le tribunal médiatique. Combien de carrières brisées, de talents découragés, au moment où notre société en a le plus besoin !
Vous ouvrez, monsieur Fauchon, une piste intéressante sur le lien entre la causalité et la faute, sur la limitation de la responsabilité des personnes privées mais l'extension de la responsabilité des personnes morales. Nous sommes sensibles à cette approche. D'ailleurs, nous aurions souhaité une extension plus grande encore de la responsabilité de la personne morale.
Je ne crois pas, madame le garde des sceaux, à l'affaiblissement du sens de la responsabilité ni, comme conséquence, à l'augmentation de la pénalisation de la vie publique. Il y a d'autres ressorts.
Je crains, cependant, que nous ne soyons confrontés à un risque de recherche systématique de la fuite de prise de responsabilités par un certain nombre de services, de l'Etat ou d'autres administrations, chacun cherchant à repasser à l'autre le mistigri de la responsabilité. Les commissions de sécurité, qui ont été évoquées tout à l'heure par M. Pierre Mauroy, en sont un exemple.
Je suis donc convaincu que ce premier pas doit être poursuivi par une réflexion sur l'accélération de l'indemnisation des victimes, sur le fait que tout personne doit pouvoir être entendue avant sa mise en examen, sur la réforme des procédures pénales, sur l'émergence des pôles de compétences, au sein tant des services de l'Etat que des collectivités locales, et - pourquoi pas ? - au travers de pôles d'intercommunalité.
Nous devons réfléchir à l'extension des recours abusifs, à notre responsabilité, en tant que législateur, à la parution des textes trop normatifs, trop difficiles ; nous devons tout faire pour éviter qu'une trop grande pénalisation de la vie publique ne fasse évoluer le statut de l'élu vers une professionnalisation, ce qui serait contraire à l'éthique du mandat politique et entraînerait une paupérisation de la vie publique.
Un maire n'échappe pas à la prise de décision. Il convient de faire en sorte que chacun puisse exercer et prendre ses responsabilités à la place qui est la sienne. La volonté d'ouvrir le « parapluie » ne doit pas mettre parfois l'élu local dans une situation difficile, au point qu'un certain nombre d'élus locaux cherchent à déléguer une partie de leurs tâches, ce qui, là aussi, serait contraire à l'intérêt du service public.
Je suis donc tout à fait favorable à votre proposition de loi, monsieur le rapporteur. Nous la voterons.
Je souhaiterais simplement faire un petit commentaire à propos du lancement de la campagne présidentielle par M. Mauroy. Notre collègue a craint « la réforme pour la réforme ». Où est la vérité ? Est-ce la vérité du moment, car elle épouse l'intérêt de l'opinion, alors que, dans quelques années, dans cette même opinion pourra accepter une vérité contraire ? Aujourd'hui, on envisage de permettre à la police d'entrer dans des établissements scolaires. Or, voilà une trentaine d'années, certains, dont M. Mauroy, défilaient aux côtés de celles et de ceux qui disaient : « Il est interdit d'interdire. » Aussi, je me méfie toujours des vérités du moment, qui sont quelquefois flatteuses pour l'opinion mais destructrices pour l'avenir de notre pays.
En tant que gaulliste, je considère que ce qui est important, ce n'est pas de toujours plaire à l'opinion, c'est de préparer l'avenir du pays, c'est la capacité d'anticipation. C'est la raison pour laquelle je m'étais réjouis, au nom de M. le Président de la République, que nous réfléchissions à la réforme de cette institution qu'est la justice. Je me suis également réjouis de voir vos travaux, madame le garde des sceaux, poser un certain nombre de questions intéressantes dans le débat ce qui touche à de la société française et pour lequel aujourd'hui M. Fauchon amorce un premier pas. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour étudier une proposition de loi visant à apporter une réponse à la question de la responsabilité pénale pour des faits non intentionnels. Cette proposition de loi a été déposée afin, nous dit-on, de répondre au malaise des élus.
Cependant, pour des raisons tenant au contexte dans lequel elle est déposée mais aussi au niveau limité des réponses qu'elle apporte à des préoccupations légitimes des élus, comme l'a précisé le rapporteur M. Fauchon, Mme le garde des sceaux, pour sa part, ayant parlé d'amorce de réponse - les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen pensent que cette proposition de loi risque d'être inopportune, voire contre-productive.
Je m'explique. Il est vrai que les élus locaux rencontrent depuis plusieurs années de plus en plus de difficultés dans l'exercice de leurs fonctions. Les premières lois de décentralisation ont bientôt vingt ans. Avec le recul, cette rupture essentielle et nécessaire avec la tradition centralisatrice de l'Etat français se révèle éminemment perfectible, et nous attendons beaucoup de la commission mise en place par M. le Premier ministre, présidée par notre collègue Pierre Mauroy. Depuis l'entrée en vigueur, en 1982, de la première loi de décentralisation, la France a profondément changé de visage. La crise s'est approfondie, même si les derniers chiffres sont encourageants.
L'aggravation du chômage, les difficultés que rencontrent nos concitoyens pour se loger et se soigner, le relâchement du tissu social, le nombre croissant des incivilités sont autant de défis auxquels les collectivités locales, et singulièrement les communes, sont confrontées quotidiennement.
L'accroissement incessant de leurs responsabilités, qui ne s'est pas accompagné d'un transfert important des moyens, a entraîné - on le sait - le découragement de nombreux élus, notamment les maires.
Cette détresse s'est cristallisée autour de la question de la responsabilité pénale des élus pour faits non intentionnels. Lors de la tempête, en décembre dernier, de la marée noire ou des inondations dans le Languedoc-Roussillon - j'ai eu l'occasion d'y rencontrer de nombreux élus - les élus ont fait preuve d'une attitude exemplaire, mais ils ont également exprimé leur crainte de voir leur responsabilité pénale engagée si, par malheur, des bénévoles travaillant sur les sites venaient à être blessés.
Ils ressentent en effet comme particulièrement injuste leur mise en cause personnelle pour des faits dont ils n'ont même pas eu connaissance, alors que, bien souvent, ilssont obligés de « bricoler » au mieux pour pallier l'absence de moyens effectifs.
Même lorsque, comme c'est le cas la plupart du temps, la relaxe est prononcée, ils ont l'impression d'avoir été assimilés à des délinquants.
Le problème est réel, même si on peut regretter qu'il soit souvent surexploité. En effet, les chiffres officiels sont bien moins alarmants que ce que disent certains : une cinquantaine d'élus mis en cause depuis 1995 ; une vingtaine de condamnations. Cela ne doit pas masquer les véritables préoccupations des élus.
Je ne pense pas, en effet, que l'on appelle aujourd'hui « la crise de vocation » des maires soit due exclusivement ou même prioritairement à la crainte de voir leur responsabilité pénale engagée. Ce serait bien mal les connaître et bien mal les juger. Compte tenu du nombre d'élus locaux qui siègent ici, je pense qu'ils en conviendront avec moi.
Certes, régler la question peut contribuer à répondre un tant soit peu au malaise des maires, et le fait que la réponse ne soit qu'un élément du problème ne devrait pas nous faire renoncer à le traiter.
Néanmoins, je m'interroge à la fois sur la portée symbolique de l'examen de ce texte et sur l'efficacité du dispositif.
Dans la perspective du Congrès sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, je m'étais interrogé sur le signe que nous allions donner, en tant qu'élus et constituants, aux citoyens qui venaient de manifester leur attente forte d'une justice indépendante.
Aujourd'hui, alors que nous commençons la discussion du texte relatif à la responsabilité pénale des élus, la réponse est bien plus préoccupante que celle que j'avais alors imaginée.
Le report du Congrès est perçu par nos concitoyens comme un échec de l'indépendance de la justice, et vous n'empêcherez personne de penser qu'avec cette proposition de loi les élus cherchent à se reconstruire une immunité. On voit bien, dans ce débat, la difficulté, y compris pour certains, de prétendre le contraire.
C'est ce qui peut arriver de pire, parce que nous risquons d'accréditer l'idée d'une protection infondée des élus locaux, contrairement à l'objectif que vous cherchez à atteindre par cette proposition de loi.
Cette liaison entre l'indépendance de la justice et la responsabilité des élus, vous en portez pour partie la responsabilité. En effet, vous avez, chers collègues de la majorité sénatoriale, souhaité en faire un élément de la réforme globale de la justice, en adressant un questionnaire en ce sens au garde des sceaux, comme préalable au vote du Congrès.
De même, vous n'avez eu de cesse de parler de la nécessité d'une réforme globale de la justice, de l'importance du dialogue que seul le temps peut permettre.
C'est bien vous, monsieur le président Larché, qui avez déclaré, le 21 décembre, à l'occasion d'un débat télévisé : « Je me suis abstenu sur cette réforme de la justice, je n'ai pas voté pour, je n'ai pas voté contre, et ce n'était pas lâcheté de ma part, ce n'est pas mon habitude. Je l'ai fait pourquoi ? Parce que je devinais que cette réforme en elle-même n'était qu'un élément d'un tout et que ce qui comptait avant tout c'était le tout. »
Il semblerait que ce qui est vrai pour la réforme de la justice ne le soit pas pour d'autres sujets.
Nous aurions eu besoin, au contraire, de temps et de dialogue pour étudier cette question. Or, ils ont largement fait défaut ici.
Déjà, M. Fauchon n'avait pas eu la patience d'attendre les conclusions du groupe d'études réuni sous la présidence de M. Massot, président de la section des finances du Conseil d'Etat, pour déposer sa proposition. Il est apparu que c'était une erreur, puisque les conclusions du groupe de travail ont été autrement plus approfondies. M. Fauchon en est néanmoins convenu, puisqu'il a adapté en conséquence ses propositions.
Je comprends d'autant moins la hâte de notre rapporteur que les auditions auxquelles la commission des lois a procédé, loin d'avoir éclairé le débat, ont suscité plus de questions que de réponses : je ne pense pas avoir été le seul à être ressorti troublé de ces auditions compte tenu de la divergence des points de vue exprimés...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Monsieur Bret, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Robert Bret. Je vous en prie, monsieur le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Monsieur Bret, vous avez l'air de me reprocher de ne pas avoir attendu qu'une commission administrative ait fait son travail pour déposer cette proposition de loi. Permettez-moi de vous rappeler que le pouvoir législatif appartient au Parlement, et que ce dernier fait son devoir quand il assume ses responsabilités.
M. Robert Bret. Tout à fait, monsieur Fauchon !
M. Hubert Haenel. Jusqu'à nouvel ordre !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Et aucun d'entre nous n'a l'obligation d'attendre que telle ou telle commission administrative, si respectable soit-elle d'ailleurs, ait déposé son rapport, d'autant qu'on ne sait pas dans quel délai elle le déposera. Ce n'est donc pas au moment où le pouvoir législatif fait son travail que vous avez des reproches à lui adresser !
Par ailleurs, nous n'avons pas adapté la proposition de loi aux propositions de la commission Massot ; c'est au contraire cette dernière qui, concluant trois mois après le dépôt de la proposition de loi, s'est adaptée à la proposition de loi. On a dit tout à l'heure que la proposition de loi avait rejoint les propositions de la commission Massot ; ce sont les propositions de la commission Massot qui ont rejoint sur un point essentiel le texte de la commission ! Si des éléments ont effectivement été intégrés dans la proposition de loi, ils ne sont - je me permets de le signaler - que complémentaires.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Bret.
M. Robert Bret. Toujours est-il que le rapport Massot était d'une autre richesse, du point de vue des réflexions et des propositions, que le texte qui nous est soumis aujourd'hui !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Vous êtes contre les pauvres, monsieur Bret !
M. Robert Bret. En tout cas, nous avons été unanimes, je crois, au sein de la commission des lois, à nous déclarer troublés par la divergence des points de vue exprimés au cours des auditions, et à mesurer la complexité des problèmes posés et donc des réponses à apporter.
Tel est le cas, par exemple, de la notion de cause directe ou de cause indirecte du dommage, qu'on a le plus grand mal à définir. Je ne comprends toujours pas la différence, et il est à craindre que les juges ne la comprennent pas plus. Les auditions qui ont été réalisées au sein de la commission des lois me confortent dans cette analyse : tant Mme Viney que M. Pradel ont critiqué la distinction.
Qu'en est-il de la responsabilité des personnes morales ? Nous savons également que la question fait débat.
Le Premier ministre a rappelé les risques d'un « affaiblissement du sens de la responsabilité personnelle » des élus locaux et la crainte d'une « pénalisation supplémentaire de la vie publique en transférant au juge pénal des compétences larges dans le domaine de l'administration ».
On s'interroge également sur l'effet dissuasif de la sanction, puisque c'est le contribuable qui paye l'amende.
On peut se demander si la solution retenue ne prend pas, en fin de compte, acte de la pénalisation, plutôt que de tenter d'y remédier. Ne serait-il pas plus opportun de réfléchir sur les moyens d'offrir des alternatives à la voie pénale ?
La question de la réhabilitation de la voie administrative est décisive ; c'est l'une des forces du système français, comme l'a indiqué avec raison notre collègue Robert Badinter lors de nos travaux en commission des lois. N'oublions pas, comme le rapport Massot a pu le rappeler, que le juge administratif reste le « juge naturel » de l'administration ; il a su soumettre l'administration à des règles efficaces de responsabilité, tout en sachant ne pas entraver l'action administrative. L'extension du référé administratif nous paraît en l'espèce une solution beaucoup plus intéressante.
De même, il faudrait donner des moyens au juge civil, ce qui permettrait de faire l'économie du pénal.
Mais ces voies alternatives posent un même problème : celui des moyens. En effet, il reste que le pénal bénéficie du principe de gratuité. Or, ce que veulent notamment les victimes, avant tout autre chose, c'est être indemnisées pour leur préjudice.
On le voit, sur cette question, la responsabilité pénale des personnes morales ne changera rien.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont également entendu les craintes exprimées par les associations quant aux répercussions que les dispositions, si elles étaient adoptées, pourraient entraîner sur les droits des victimes, en particulier sous l'angle des maladies professionnelles. L'aggravation des conditions de mise en cause en cas de faute indirecte, avec la nécessité d'apporter la preuve qu'il y a eu « violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité », peut en effet altérer leurs droits.
Il ressort également des conclusions du rapport Massot que, pour espérer enrayer le phénomène de pénalisation, il faut certainement dépasser le simple cadre de la définition du délit non intentionnel. Nous savons tous ici qu'il nous faudra, faute d'en avoir tenu compte, sur le métier remettre notre ouvrage.
D'ailleurs, si l'on se réfère à la courte histoire du délit non intentionnel, créé par la réforme du code pénal en 1994, on se rend compte que l'on a les plus grandes difficultés à mettre en place un régime qui, à la fois, respecte les droits des victimes et protège l'élu contre les abus : en 1996, soit à peine deux ans après son entrée en vigueur, l'article 121-2 du code pénal a été modifié afin d'instituer une obligation d'appréciation in concreto par le juge pénal : désormais, celui-ci est amené à tenir compte de ce que l'élu a « accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences, ainsi que des moyens dont il disposait ».
M. Raymond Courrière. C'est la moindre des choses !
M. Robert Bret. Quatre ans plus tard, le Sénat s'apprête à modifier à nouveau la définition du délit non intentionnel, alors même que nous ne disposons pas du recul suffisant pour apprécier réellement les conséquences de la modification de 1996. (M. Courrière s'exclame.) A quand la prochaine proposition de loi Fauchon ?
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen réclament, depuis plusieurs années, qu'une réflexion globale soit menée sur la question du statut de l'élu. Et j'ai entendu encore à cet égard, voilà un instant, notre collègue Jean-Paul Delevoye.
Réduire la problématique à la question du délit non intentionnel risque d'occulter la question des moyens que l'intercommunalité n'a pas, loin de là, épuisé, même si elle permet de répondre à certains besoins.
L'assistance technique et juridique continue de faire très souvent défaut et nous laisse souvent seuls pour apprécier les décisions à prendre.
Sauf à s'orienter vers une professionnalisation de l'élu, à laquelle les membres du groupe communiste républicain et citoyen ne peuvent adhérer, il faut absolument aborder la question de la formation des élus et des agents publics, celle de la clarification des responsabilités, mais aussi celle de la rénovation du contrôle de légalité, qui pourrait devenir un conseil de légalité.
De même, il est acquis, aujourd'hui, que la simplification des procédures, notamment en matière de marchés publics, éviterait des irrégularités souvent involontaires et permettrait de faire face à l'augmentation des risques encourus, risques que la Cour des comptes vient de souligner dans son rapport public.
Les conclusions de la mission commune d'information sénatoriale chargée de dresser le bilan de la décentralisation offraient, dans le rapport intitulé Sécurité juridique, condition d'exercice des mandats locaux : des enjeux majeurs pour la démocratie locale et la décentralisation, des pistes de réflexion intéressantes ; il est dommage que l'on n'en ait pas tenu compte.
Enfin, le phénomène de pénalisation doit être abordé de façon globale. Les progrès de la science et de la technologie nous entraînent dans un monde fait de plus en plus de certitudes, où l'impondérable est ressenti comme une anomalie, sinon comme une « erreur » : la notion de « risque zéro », l'apparition du « principe de précaution » en sont des illustrations.
Le citoyen, aujourd'hui, n'admet plus d'être victime du hasard ou de la malchance. S'il y a victime, il y forcément quelqu'un, quelque part, qui n'a pas fait ce qu'il fallait, qui n'a pas pris les bonnes décisions. Il faut que les responsabilités de toutes les personnes soient clairement identifiées, au grand jour, devant le juge répressif.
C'est sur cette question qu'il faut, aujourd'hui, que les élus, les professionnels de la justice, mais également les universitaires, les juristes, les sociologues, les philosophes réfléchissent.
Une partie de la question devrait être abordée dans le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, dont la deuxième lecture, qui interviendra prochainement, sera très instructive. Un certain nombre d'amendements déposés sur le texte que nous examinons aujourd'hui trouveront alors leur place.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen souhaitent, dès lors, marquer leur désaccord avec la méthode employée, qui n'a pas permis une réflexion constructive. Faute d'avoir eu une vision générale des problèmes, le bon équilibre ne pourra être trouvé entre une protection minimum nécessaire de l'élu, qui doit être en mesure de mener à bien sa charge, et un régime d'exception et de privilège réservé à l'élu, qui instituerait une justice à deux vitesses, régime qui doit être refusé et que les parlementaires communistes ont toujours combattu.
La réforme de la justice doit être poursuivie et menée à bien dans des délais brefs pour que les citoyens ne soient pas pour toujours privés de l'indépendance de la justice et qu'ils ne soient pas définitivement persuadés que, comme le disait la Fontaine, « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Dreyfus-Schmidt applaudit également.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Ou rouge ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans le cadre de cette discussion générale, je m'en tiendrai à quelques observations réunies autour de trois idées.
Première idée : tout le monde semble enfin d'accord pour que les délits non intentionnels soient traités de la même manière pour tous les citoyens, qu'ils soient élus ou qu'ils ne le soient pas.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Deuxième idée : une fois de plus, nous allons trop vite.
Troisième idée : une nouvelle fois, nous n'allons pas assez loin.
J'en reviens à la première idée : tout le monde semble enfin d'accord pour que les délits non intentionnels soient traités de la même manière pour tous les citoyens.
Dès le début du rapport de l'auteur de la proposition de loi soumise aujourd'hui à l'examen du Sénat, on lit - et, pour ma part, avec le plaisir que M. le rapporteur imagine - ceci : « la proposition de loi soumise à l'examen du Sénat repose sur l'idée qu'il convient de réexaminer la question de la délinquance non intentionnelle dans son ensemble, afin de rechercher une solution qui constitue un progrès pour l'ensemble de la société et non seulement pour une partie de ses membres. »
Je sais bien que vous dites également, monsieur le rapporteur, que l'on pourrait justifier une législation particulière pour les élus (M. le rapporteur acquiesce), mais vous y renoncez.
S'agissant de ce que vous énoncez aujourd'hui, à savoir la nécessité que la loi soit la même pour tous, je n'ai pas besoin de vous rappeler que c'est là la position que je n'ai cessé de soutenir, au nom du groupe socialiste, contre vous-même, contre l'ensemble de la majorité sénatoriale, à l'exception, je dois le dire, de Jean-Marie Girault, et contre le Gouvernement, alors représenté par M. Toubon, dans les débats qui devaient conduire à l'adoption de la loi du 13 mai 1996, c'est-à-dire le 26 octobre 1995, en première lecture, et le 14 novembre 1995, en seconde lecture.
A l'époque, inspiré par un avis du groupe de travail dirigé par M. Fournier, avis dont la teneur n'avait pas été communiquée au Sénat, M. Toubon avait prétendu légiférer pour tout le monde, alors que, dans le même temps, et en dépit de nos protestations et de nos interrogations qu'il laissait sans réponse, il soutenait et acceptait un renversement du fardeau de la preuve au bénéfice des seuls élus, des fonctionnaires et spécifiquement des militaires, renversement du fardeau de la preuve refusé en conséquence aux simples citoyens, aux présidents d'associations, aux artisans, etc.
Pierre Fauchon s'était d'ailleurs opposé à ce que le texte particulier inséré dans le code des communes le soit également dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, en déclarant loyalement ceci : « Nous avons proposé que notre texte s'applique uniquement aux élus locaux.
« Le Gouvernement, après avoir fait voter un texte de portée générale, propose maintenant un dispositif particulier, repris de notre dispositif particulier concernant les élus locaux.
« La commission des lois a considéré que le dispositif particulier concernant les élus comportait tout de même une spécificité en ce qui concerne le champ d'application de la mesure, mais aussi peut-être au regard de la charge de la preuve. Ce dispositif était justifié par la situation très particulière des maires, qui, en réalité, n'a pas d'équivalent. »
Le même jour, je déclarais moi-même - et, depuis, quelqu'un de beaucoup plus autorisé que moi, a tenu à peu près les mêmes propos -...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Qui ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt ... ceci : « Après l'affaire du Cinq-Sept, en 1976, on avait déjà cherché le moyen d'empêcher qu'un élu puisse être traîné devant les tribunaux et condamné pour imprudence ou négligence. On avait alors inventé le privilège de juridiction. Il fallait aller devant la Cour de cassation. Si on est ensuite revenu sur cette pratique, c'est parce qu'on s'est rendu compte qu'elle ralentissait certaines affaires qu'il ne convenait pas de ralentir, et on l'a donc supprimée.
« Or, voilà qu'aujourd'hui vous la rétablissez en faisant un sort particulier aux élus et aux fonctionnaires ; nous pensons que c'est une grave erreur.
« Il faudra sans doute en venir à la solution que nous avons préconisée. »
Nous y sommes. Mieux vaut tard que jamais !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Tout s'améliore ! (Sourires).
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Deuxième idée : une fois de plus, nous allons trop vite.
Si nous sommes obligés de recommencer à légiférer sur le sujet, c'est que, en 1995 et en 1996, le Parlement est allé beaucoup trop vite. La réforme élaborée à l'époque n'a, il faut le reconnaître - et tout le monde le dit - pas changé grand-chose.
Le législateur avait demandé que la situation des auteurs de délits non intentionnels soit considérée in concreto. C'est ce que la jurisprudence a toujours fait, en examinant dans tous les cas les éventuelles circonstances atténuantes.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est inexact !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. A l'époque, le 26 octobre 1995, j'avais dit - excusez-moi, mes chers collègues, de me citer à nouveau - que « cela mérite davantage de réflexion », et que « peut-être est-on allé un peu vite en besogne ».
Le 14 novembre de la même année, j'ajoutais : « On va beaucoup trop vite ».
Et voilà que nous recommençons ! A en croire le Bulletin des commissions - et comment ne pas le croire ? - lors de la séance de la commission des lois du 20 janvier, c'est-à-dire jeudi dernier, voilà exactement une semaine, notre excellent rapporteur, M. Pierre Fauchon (Sourires) , a répondu à M. José Balarello que « la question des mises en cause d'élus pour atteintes à l'environnement était très importante », mais qu'« il ne lui avait pas paru possible de la traiter dans son ensemble dans le cadre de la proposition de loi », ce qu'il nous a d'ailleurs répété ce matin.
Or ne sommes-nous pas réunis aujourd'hui notamment pour empêcher qu'un maire puisse être condamné parce qu'une fuite dans une usine d'épuration par exemple, a provoqué, sans qu'il y soit pour quoi que ce soit, la mort de nombreux poissons ? Moi, je croyais que si ! Nos amendements tendent à l'empêcher, et j'espère qu'ils ne seront pas rejetés « à la va-vite », si vous me permettez cette expression. Mais je crois savoir qu'ils ont été retenus par la commission des lois.
Par ailleurs, la proposition de loi que nous examinons et qui tend à supprimer les délits non intentionnels « lorsque la faute a été la cause indirecte du dommage » m'apparaît à l'évidence comme un progrès vers la solution du problème, mais un progrès non significatif.
La distinction entre la cause directe et la cause indirecte est souvent floue et entraînerait, dans de nombreux cas, des discussions où tout et le contraire de tout pourraient se soutenir.
Prenons l'affaire d'Ouessant, que vous connaissez bien. Peut-être certains d'entre vous ont-ils entendu ce matin même, dès potron-minet, Mme la maire d'Ouessant expliquer comment elle ressentait la condamnation à trois mois de prison avec sursis qui lui a été infligée le 2 novembre 1999, c'est-à-dire tout récemment, par le tribunal de Brest, parce qu'un enfant est tombé d'une falaise !
Dans cette affaire, on a reproché, d'une part, au directeur d'établissement de ne pas s'être renseigné, avant d'avoir autorisé l'excursion, sur les spécificités de l'île d'Ouessant et, d'autre part, à Mme la maire de ne pas avoir fait installer des panneaux indiquant qu'il était dangereux de rouler à bicyclette sur le haut de la falaise. Mais personne ne l'avait jamais demandé à Mme la maire ni à ses prédécesseurs ! Or nous avons eu la surprise de constater, en lisant ce jugement, que, dans les deux cas, le tribunal de Brest a précisé - ce que, d'ailleurs, il n'avait nul besoin de faire - qu'il y avait une relation directe entre la faute reprochée, tant au directeur de l'établissement qu'à Mme la maire, et le dommage.
M. Gérard Delfau. C'est scandaleux !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est vous dire que cela n'empêchera pas les discussions devant les tribunaux pour savoir si la relation est directe ou si elle ne l'est pas.
M. Gérard Delfau. Il faut savoir si c'est le juge ou le législateur qui doit discuter !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela n'empêchera pas non plus de très nombreuses mises en examen et de très nombreuses poursuites puiqu'il appartiendra en définitive au parquet, au juge d'instruction ou aux juges du siège, d'estimer s'il existe un rapport direct ou indirect entre le dommage et l'imprudence, la négligence ou le manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.
Cela n'empêchera pas plus que l'opinion, à juste titre - je me permets d'y insister -, ne comprendra pas que des fautes graves ne soient pas sanctionnées pénalement lorsque la cause est indirecte, par exemple dans les cas tirés de la jurisprudence et cités dans le rapport Fournier tel celui du conducteur en état d'imprégnation alcoolique déséquilibrant un cyclomotoriste alors écrasé par un véhicule roulant derrière lui. Parce que la responsabilité est indirecte, il n'y aurait pas de poursuites ? L'opinion aurait du mal à le comprendre, et l'on peut citer d'autres exemples du même ordre.
Enfin et surtout, la non-pénalisation de la cause indirecte, sauf...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Le « sauf » est essentiel !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non !
Y compris dans le cas de manquement « délibéré à une obligation particulière de sécurité ou de prudence »...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Oui, et c'est le cas que vous citez, comme par hasard !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas du tout, et Mme le garde des sceaux a eu parfaitement raison de vous dire qu'il s'agissait de savoir si vous visiez un manquement à un texte ou non. En effet, aucun texte n'interdit, par exemple, à un ivrogne de circuler à bicyclette ! Il faudra donc préciser si vous visez le manquement à la loi ou au règlement, ou bien un manquement à une mesure de sécurité générale dictée par le bon sens. Au demeurant, même dans ce dernier cas, cela n'empêcherait les multiples cas où, même très légère, la faute, pour être la cause directe du dommage, continuerait néanmoins à entraîner poursuite et condamnation pour délit non intentionnel, soulevant à juste titre l'indignation des honnêtes gens.
Voilà pourquoi la réforme proposée, pour sympathique qu'elle nous apparaisse, ne répond pas, à la vérité, à notre attente et à l'attente de tous.
J'en viens à la troisième et dernière idée que j'entendais développer : une nouvelle fois, nous n'allons pas assez loin.
Où devrions-nous aller ?
A mon sens, il arrivera un jour où le législateur se décidera, sauf en matière de circulation et de législation du travail, à supprimer toute exception au principe posé par le premier alinéa de l'article 121-3 du code pénal : « Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. »
C'est une théorie que j'ai déjà soutenue devant le Sénat, mais je dois reconnaître que les esprits ne sont pas mûrs, ...
M. Raymond Courrière. Ce sont les juges qui ne sont pas mûrs !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... je dirai même au contraire, compte tenu d'une pénalisation croissante, notamment outre-Atlantique, dont les habitudes, bonnes ou mauvaises, finissent en général par nous contaminer.
M. Henri de Raincourt. Hélas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En l'état actuel des esprits, l'opinion réclame souvent la punition des responsables, fussent-ils involontaires, alors qu'il continue de choquer, comme cela choque tous les enfants, que quelqu'un soit puni alors qu'il « ne l'a pas fait exprès ».
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Chacun peut aussi faire le constat que, notamment du fait de la procédure, un procès pénal est, en la matière - hélas, ne généralisons pas ! - infiniment moins onéreux et plus rapide qu'un procès civil ou qu'un procès devant la juridiction administrative. M. le rapporteur l'indique dans son rapport, et c'est une constatation que chacun peut faire.
Je renonce donc, pour un temps, à proposer cette solution radicale qui consisterait à supprimer toutes les exceptions au principe.
Toutefois, à notre avis, dès que possible, il faudra donc reconnaître aux parquets, aux juges d'instruction et aux tribunaux le droit de constater que le citoyen le plus civique, le meilleur des pères de famille peut être en droit d'ignorer la loi.
J'ai déjà proposé, au nom du groupe socialiste - c'était le 17 juin dernier, lors de la première lecture du projet de loi sur la présomption d'innocence - de rédiger ainsi l'article 122-3 du code pénal, qui n'excuse aujourd'hui, de manière absolutoire, que la personne qui a commis sur le droit une erreur qu'elle n'était pas en mesure d'éviter : « N'est pas pénalement responsable la personne dont le tribunal estime qu'elle était en droit d'ignorer la loi ou le règlement qu'il lui serait reproché de ne pas avoir respecté. »
Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les chiffres cités par le rapport Massot sont édifiants : comment continuer à prétendre que « nul n'est censé ignorer la loi » et condamner, en conséquence, des citoyens au pénal alors qu'il existait, en novembre 1999 - et nous en avons, nous, parlementaires, ajouté depuis - 10 029 infractions en vigueur, contre 8 805 - déjà tout aussi impossibles à connaître toutes - en 1989 ? Oui : 10 029 infractions !
Le même rapport Massot, à la page précédente, précise que, de 1984 à 1999, sont intervenus, avec incidence pénale, 278 lois et ordonnances et 665 décrets ! Et combien d'arrêtés ?
Même si la faute, l'imprudence, la négligence ou le manquement a été la cause directe du dommage, votre proposition n'empêchera pas que soit automatiquement condamné au pénal celui qui ne connaîtra pas, et auquel personne n'aura préalablement rappelé, l'existence de telle loi ou de tel règlement.
Ne pas tirer les leçons d'une telle situation, d'une telle inflation législative et réglementaire - peut-être inévitable - c'est pratiquer, passez-moi l'expression, la politique de l'autruche, ...
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... et vouloir ce que vous prétendez, ce que nous prétendons ne plus vouloir, c'est-à-dire la condamnation pénale de braves gens et, en premier lieu, parce qu'ils sont, si j'ose dire, en première ligne d'élus locaux.
Il ne devrait y avoir condamnation, en matière non intentionnelle, que lorsque la faute a été la cause directe du dommage, peut-être, et sûrement seulement lorsqu'il y a faute lourde ou grave.
M. Gérard Delfau. Bien sûr !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Certain collègue, appartenant à la majorité sénatoriale et que je ne citerai pas parce qu'il s'agissait d'une conversation privée, m'indiquait hier qu'il l'a proposé lors de la discussion du projet de loi portant réforme du code pénal.
Qu'est-il répondu à cette suggestion ? Que la notion de faute lourde est étrangère au droit pénal comme au droit civil, qu'elle n'appartient qu'à la jurisprudence administrative. Cette réponse n'est en rien valable !
Si nous l'inscrivons dans la loi, et, en l'espèce, dans le code pénal, cette notion appartiendra au droit pénal et non au droit civil, dans lequel subisteront, bien sûr, les articles 1382 et suivants du code civil. En vérité, cette notion appartient déjà au bon sens, qui reste la chose la mieux partagée du monde.
En cas de plainte, les procureurs d'abord, éventuellement ensuite les juges d'instruction, plus éventuellement encore les juges du siège, sauront bien distinguer quand la faute sera légère ou, au contraire, quand elle sera lourde ou, si vous le préférez, grave ! Dans la plupart des cas, il n'y aura de la part de personne aucune hésitation.
En tout cas, cette distinction est, elle, de nature à éviter les nombreuses mises en examen, poursuites ou condamnations dont, précisément, les citoyens sont unanimes, ou quasiment - et nous avec eux - à ne plus vouloir.
Par amendement, nous vous proposerons ce pas décisif dans la solution d'un problème d'autant plus irritant qu'il est, c'est vrai, délicat.
J'ajouterai quelques mots encore, à l'intention de M. le rapporteur.
Je n'ai pas trouvé dans votre proposition de loi, ni dans les conclusions de la commission des lois que vous rapportez, la suppression des articles L. 223-34, L. 323-28, L. 4422-10-1 et L. 5211-8 du code général des collectivités territoriales, ni celle de l'article 11 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, ni celle de l'article 14-1 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, ...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il est pire que la tempête : il veut tout abattre ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... qui continuerait donc à prévoir un statut particulier pour les intéressés, alors que vous nous dites, et nous vous en savons gré, que vous voulez faire une seule loi pour tous.
Sans doute s'agit-il soit d'une erreur de ma part, soit d'un oubli de la vôtre,...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est certainement la première hypothèse qui est la bonne !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... oubli que je vous inviterai alors à réparer.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je vous remercie de votre attention. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Gérard Larcher remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER,
vice-président

M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat examine aujourd'hui une proposition de loi relative à la responsabilité pénale des élus locaux. Chacun d'entre nous, au sein de cet hémicycle, se sent particulièrement concerné par ce sujet, qui préoccupe l'ensemble des responsables locaux.
Je tiens, tout d'abord, à rendre hommage à notre éminent collègue Pierre Fauchon, qui est le promoteur de ce texte. Le Sénat, représentant des collectivités locales, doit impérativement répondre à l'attente des élus, qui rencontrent de plus en plus de difficultés pour remplir leur mission, perdus qu'ils sont au milieu d'un flot de textes épars et abscons, comme vient de le rappeler avec talent notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt.
Le texte que nous examinon aujourd'hui répond à cette attente, même si c'est seulement pour partie. Ce sera le premier point de mon intervention.
Le processus de décentralisation a bouleversé les règles de compétence au niveau local. Les maires, exécutif des communes, ont vu leur rôle renforcé. A la suite du développement de leurs attributions, leur responsabilité pénale a été mise en cause de plus en plus souvent.
Les maires représentent l'exécutif, au sein des communes. Ils ont également un pouvoir propre, la police, garants qu'ils sont du maintien de l'ordre au sein de la localité. Leur responsabilité peut donc être encourue, d'une part, dans la gestion des biens et services, services qui peuvent être délégués, et, d'autre part, dans l'exercice des pouvoirs de police administrative. Pour résumer, cela fait beaucoup !
Les nombreuses condamnations pénales d'élus locaux pour des faits non intentionnels ont soulevé des interrogations concernant le fonctionnement de la démocratie locale.
Chacun garde à l'esprit le cas du maire tenu responsable pénalement de pollutions causées par une station d'épuration communale, alors que les moyens financiers dont il disposait lui interdisaient d'intervenir. Cas limite, me dira-t-on !
Mais il y a aussi l'exemple de ce maire condamné parce qu'un enfant de cinq ans, laissé sans surveillance, s'est suspendu aux barres de la cage de but d'un terrain de foot et a été grièvement blessé par leur chute. C'était dans mon département.
Il y a encore le cas de cette fédération de pêcheurs, qui, en désaccord avec la municipalité sur l'utilisation d'un plan d'eau, attaque au pénal le maire en profitant d'une erreur administrative mineure de sa part, dans l'affolement causé par l'inondation de la station d'épuration. C'était encore dans mon département.
Il y a eu pas moins de quatre cas similaires - je ne vais pas les énumérer tous - au cours de la seule année 1998 dans le département de l'Hérault. Le trouble a été si grand que nous avons dû assister longuement nos collègues, en prenant soin, bien évidemment, de ne pas intervenir de façon visible ni occulte dans le déroulement de la procédure. Notre assistance fut essentiellement morale et psychologique. Il n'empêche qu'à un certain moment les élus locaux de mon département ont frisé l'affolement général.
Bien sûr, j'exclus totalement des cas cités toute prise illégale d'intérêt au préjudice de la collectivité et tout manquement à la probité. Mais j'exclus aussi le cas du maire qui, connaissant l'instabilité des obus d'ornement d'un monument aux morts et sachant qu'un accident s'était déjà produit, a méconnu son obligation d'assurer la sécurité dans la commune et n'a pas fait sceller les obus dans le sol. Imprudence effectivement condamnable !
Mais entre ces cas de prévarication ou de prise en compte manifestement insuffisante des problèmes de sécurité pour les habitants et ceux que j'ai cités précédemment et que j'ai vécus indirectement, il y a une marge, il y a un terrain sur lequel nous, Parlement, devons trouver les voies pour éviter que les uns et les autres ne soient confondus dans le même opprobre.
D'ailleurs, je parle des maires, mais je pourrais évoquer aussi les directeurs d'école. Celui qui a été nommé, pour la première fois à ce poste, dans ma commune à la rentrée dernière est venu me voir il y a moins d'un mois pour m'annoncer que, très vraisemblablement, il allait demander à réintégrer le corps des enseignants parce que les charges qui lui incombaient étaient trop lourdes et que l'assistance que lui fournissait le ministère de l'éducation nationale était, à son gré, insuffisante. Il m'a rappelé que 10 000 postes de directeurs d'école étaient aujourd'hui vacants et il m'a indiqué que, comme pour les élus locaux, que je côtoie sans arrêt, l'on assistait, à l'heure actuelle, à une véritable désertion devant les responsabilités au sein du ministère de l'éducation nationale.
Je pourrais encore, comme vous, mes chers collègues, citer ces exemples de présidents d'association qui renoncent, ou qui deviennent fatalistes. D'ailleurs, nous qui sommes des élus locaux et qui siégeons sur ces travées, nous sommes par principe « fatalistes ». Sinon, nous n'aurions d'autre solution que de renoncer dans l'instant à notre mandat.
Donc, la situation exige des solutions.
Sans vouloir me lancer dans le débat qui est aujourd'hui ouvert sur ce sujet dans notre pays, je dirai de façon quelque peu lapidaire qu'entre l'autorité du juge et le pouvoir du législateur - je n'emploie pas, bien sûr, ces mots à la légère - il faudra bien, dans les années qui viennent, qu'un rééquilibrage se fasse. Et dans notre tradition, ce rééquilibrage ne peut se faire qu'au profit de ceux qui sont soumis à la sanction et qui ont la légitimité du suffrage universel.
J'ai conscience, en tenant ces propos - je ne suis pas juriste - que ces principes sont parfois mal acceptés par l'opinion et, surtout, qu'ils ne suffisent pas à toujours clarifier la situation ni à trouver les bons équilibres.
Ce qui est sûr, c'est qu'en aucun cas je ne demande que l'on édicte je ne sais quelle irresponsabilité civile, pénale ou administrative des élus. La loi que nous allons voter doit pouvoir s'appliquer à tous.
Je remercie une nouvelle fois notre collègue Pierre Fauchon d'avoir, par sa proposition de loi, lancé la discussion et Mme le garde des sceaux de nous avoir permis d'avancer vers des solutions.
Toutefois - ce sera ma deuxième réflexion - il semble que la loi du 13 mai 1996 offrait déjà une amorce de solution, le juge exerçant dorénavant un contrôle in concreto, en ne sanctionnant pas l'élu qui a fait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter le dommage. De fait - là aussi, l'intervention de notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt l'a montré -, les choses ont peu évolué depuis.
Face à cette situation, le législateur est appelé à modifier de nouveau la loi du 13 mai 1996, et c'est ce qui nous rassemble aujourd'hui.
L'environnement juridique est de plus en plus complexe, la décentralisation ayant entraîné une multiplication des charges au niveau local. Sous l'effet combiné des lois du 2 mars 1982 et des différentes lois de transfert de compétences qui se sont ensuivies, et, parallèlement, du désengagement financier de l'Etat, les élus sont de plus en plus souvent mis en cause devant le juge pour des faits qui ont lieu au sein de leur collectivité, sans qu'ils soient fautifs au sens de la faute pénale.
De ce point de vue, la proposition que vient de faire à cette tribune notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt d'introduire dans le droit pénal et dans le droit civil, comme cela existe en droit administratif, la notion de faute lourde ou grave...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas le droit civil !
M. Gérard Delfau. ... pourrait permettre de concilier ce qui paraît aujourd'hui difficilement conciliable entre le législateur et le juge.
Bref, la proposition de loi qui nous est présentée répond pour partie, mais heureusement, à notre attente, et les membres du groupe du RDSE la voteront.
Pourtant, elle ne permet pas de régler le problème au fond, demeurant à certains égards - que notre collègue Pierre Fauchon ne donne à ce mot aucun sens péjoratif ! - un palliatif.
Seul un statut digne de l'élu local, assorti d'une rémunération et d'une assistance juridique correspondant aux compétences qui lui sont attribuées, permettra une évolution salutaire de la situation des maires, des conseillers généraux, bref de tous ceux qui ont en charge une collectivité.
Le statut de l'élu - je ne pourrai en parler longuement aujourd'hui - doit être amélioré d'urgence.
Si la loi du 21 mars 1831, intervenant dans un autre type de société où les fonctions électives étaient implicitement réservées aux gens fortunés, posait le principe de gratuité, l'évolution des collectivités locales pousse inéluctablement à la reconnaissance d'une rémunération digne pour les maires. Et je ne parle même pas de la complexité de la tâche, Pierre Mauroy l'ayant fait avec beaucoup de talent et, en même temps, beaucoup d'émotion, tout à l'heure, en expliqaunt ce qu'il vivait en tant que maire de Lille !
Parallèlement - vous l'avez dit, madame la garde des sceaux - il faut réfléchir à la mise en place d'une assistance juridique adaptée pour les élus locaux.
Vous avez proposé, et c'est logique, que la question soit envisagée à l'échelon de l'intercommunalité. Pourquoi pas ? Encore que ce ne soit pas si facile, car il y a une telle complexité dans la matière concernée et une telle personnalisation des situations que l'intercommunalité aura peut-être quelque mal à assumer cette nouvelle compétence. En tout cas, vous avez vraiment eu raison, madame la garde des sceaux, de poser cette question, parce que - et là aussi je vais parler en tant que sénateur rencontrant, comme chacun de mes collègues, l'ensemble des maires du département - la situation actuelle est totalement inégalitaire. En effet, si l'on est à la tête d'une commune de quelque importance, on a les moyens de faire appel à des cabinets d'avocats spécialisés, et la population l'accepte. En revanche, si l'on est, comme c'est mon cas, maire d'une commune de moins de 4 000 habitants, et même si l'on se place à l'échelon de la communauté de communes, qui regroupe 20 000 habitants, il est inconcevable financièrement, mais peut-être plus encore psychologiquement, d'aller chercher des compétences qui, dans le monde d'aujourd'hui, se font, et c'est légitime, largement rémunérer.
Voilà quelques réflexions que je voulais soumettre au Sénat. J'ajouterai - il en a été peu question aujourd'hui - qu'il faut en revanche se garder, à mon sens, de chercher une solution du côté d'un renforcement du contrôle de légalité. Plus exactement, je ne voudrais pas que la capacité d'autonomie accordée par la loi de 1982 à la collectivité locale soit restreinte en raison du problème qui nous occupe aujourd'hui et nous incite à confier aux préfets un rôle qui n'est plus le leur et qui ne doit plus, à mon sens, être le leur. Mais il en a été peu question dans ce débat, je n'insiste donc pas.
Le Gouvernement s'est engagé à soumettre prochainement ce texte à l'Assemblée nationale. J'adresse une nouvelle fois mes remerciements à l'auteur de la proposition de loi, qui montre que le Sénat sait être, quand il le veut, une assemblée novatrice. Je remercie également le Gouvernement, qui accorde toute son attention à cette initiative parlementaire et qui s'est engagé à faire avancer cette question dans le débat. Même si nous ne faisons qu'un pas, ce sera un pas bienvenu. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. le président de la commission et M. le rapporteur applaudissent également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence deM. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.

3

RAPPEL AU RÈGLEMENT

Mme Anne Heinis. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Divers tribunaux administratifs, dont celui de Caen, ont rendu des jugements enjoignant, sous astreinte, aux préfets de prendre des arrêtés de fermeture de la chasse du gibier d'eau et aux oiseaux migrateurs au plus tard le 31 janvier.
De telles décisions désorganisent profondément la saison de chasse, prévue pour se dérouler dans certains cas, jusqu'au 28 février.
De nombreux responsables craignent donc des actions de rébellion, que risque de provoquer la publication d'arrêtés de fermeture au 31 janvier, en contradiction avec la loi du 3 juillet 1998, votée à l'unanimité au Sénat.
Quelle va être l'attitude du Gouvernement ? Que compte-t-il faire pour préserver les prérogatives du Parlement et garantir l'ordre public ? (M. Vasselle applaudit.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, madame Heinis.

4

DÉFINITION
DES DÉLITS NON INTENTIONNELS

Suite de la discussion et adoption
des conclusions modifiées du rapport d'une commission

M. le président. Nous reprenons la discussion des conclusions du rapport (n° 177, 1999-2000) de M. Pierre Fauchon, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur sa proposition de loi (n° 9 rectifié, 1999-2000) tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, de « responsable mais pas coupable » à « coupable sans être responsable », la situation juridique des décideurs privés et publics français constitue un frein de plus en plus serré à l'esprit d'initiative. Cette réalité est en parfaite contradiction avec celle de nos partenaires internationaux.
Les décideurs publics, élus et fonctionnaires, ont pour mission la gestion de leur collectivité et l'appréhension des besoins futurs de leurs administrés.
Or, comme le rappelle mon collègue Michel Mercier, l'efficacité de leur action est freinée par des contraintes financières, normatives et sociétales. En ce qui concerne les contraintes sociétales, les décideurs publics doivent affronter la montée des problèmes sociaux et une pénalisation accrue des rapports sociaux.
La nuisance de ces contraintes sera plus ou moins forte en fonction de la taille de la collectivité locale en question. Comme vous le savez tous, mes chers collègues, les élus locaux prennent chaque jour de nombreuses décisions qui engagent leur responsabilité. Elles portent sur des domaines très variés tels que l'assainissement, la voirie, les finances, l'enseignement, le social. Dans les collectivités importantes, les maires ont des collaborateurs ayant pour mission de les conseiller dans ces choix, alors que, dans les petites communes, les maires sont souvent seuls face à leur devoir électif. Personne n'est là pour les seconder et les orienter, c'est-à-dire les aider dans l'exercice de leur mandat.
Même le concours du contrôle de légalité ne leur permet pas de se prémunir contre une éventuelle sanction. En effet, l'avis du contrôle de légalité n'est pas opposable devant les chambres régionales des comptes. Ainsi, un maire qui agit sous le contrôle de l'Etat peut tout à fait être sanctionné par l'Etat.
Je ne peux rester indifférent aux attentes des maires des petites communes. C'est pourquoi il me paraît essentiel et urgent que la loi préserve et favorise le rôle de prospective dévolu aux décideurs tant publics que privés.
Comme l'indiquait M. le Président de la République à Rennes au mois de décembre 1998, « une place plus grande doit être faite à la créativité et à l'innovation, non plus dans la suspicion, mais avec un parti pris de confiance ».
A mes yeux, la pénalisation excessive de la vie publique remet en cause notre démocratie.
Bien entendu, lorsque les décideurs publics commettent une erreur, causent un dommage, il est normal que leur responsabilité soit engagée.
Mais, madame le ministre, arrêtons de confrondre responsabilité civile, responsabilité administrative et responsabilité pénale.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Bernard Murat. Le droit pénal a pour vocation la protection de la société dans son ensemble. Il n'a pas pour objet de réparer l'ensemble des dommages causés aux personnes.
La saisine des tribunaux répressifs ne doit pas être la première réponse à tout dysfonctionnement dans la gestion des collectivités. C'est d'abord de la compétence des juridictions administratives et civiles.
Je tiens à rendre hommage à la commission, à son président et à son rapporteur de ne pas avoir réservé un sort privilégié aux élus locaux. En effet, une gestion particulière de leur responsabilité pénale aurait posé des difficultés tant sur le plan psychologique que d'un point de vue constitutionnel.
Les chefs d'entreprise, les responsables d'association, les proviseurs, les fonctionnaires, les élus et l'ensemble de nos concitoyens dans leur vie quotidienne sont tous confrontés à des problèmes de même nature, qui méritent un examen identique.
Le texte que nous examinons aujourd'hui ne vise pas le cas où les décideurs publics ou privés ont violé la loi de manière délibérée ; mais il concerne les fautes d'imprudence et de négligence.
L'article 1er de la proposition de loi modifie l'article 121-3 du code pénal. Ainsi, lorsque la faute est la cause indirecte du dommage, les personnes physiques ne seront pénalement responsables qu'en cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence.
Cette proposition de réforme de portée générale constitue, à mes yeux, une avancée incontestable. Elle devrait permettre de tenir compte de l'inflation et de l'instabililté des normes, qui contribuent à accroître l'insécurité juridique dans laquelle s'exerce la gestion des collectivités locales.
Elle devrait rassurer les élus, qui sont souvent obligés de prendre des décisions dans l'urgence, sans toujours pouvoir faire auparavant un bilan des avantages et des inconvénients pour leurs concitoyens. Ce fut par exemple le cas, nous le savons tous, lors des tempêtes qui ont frappé notre territoire et isolé pendant parfois plusieurs jours les élus et les citoyens de mon département, la Corrèze, des services de l'Etat.
Une telle réduction du champ des délits non intentionnels n'a pas pour objet d'exonérer les élus de leurs responsabilités. Cette réforme de portée générale vise seulement à mettre fin à l'assimilation complète de la faute pénale non intentionnelle et de la faute civile. En d'autres termes, elle permet de rendre au civil ce qui est au civil et au pénal ce qui est au pénal.
L'article 6 de la proposition de loi, quant à lui, permet une extension modérée de la responsabilité pénale des collectivités territoriales.
L'actuel article 121-2 du code pénal limite la responsabilité pénale des collectivités locales aux activités pouvant faire l'objet d'une délégation. Ainsi, les activités de police sont exclues.
Cette restriction n'est pas toujours bien comprise des maires, qui voient dans ce pouvoir de police la source principale des risques de mise en cause de leur responsabilité pénale. C'est pourquoi je suis favorable à cette réforme tant attendue par l'ensemble des élus locaux.
Outre ces mesures qui favorisent une amélioration considérable de la condition juridique des décideurs tant privés que publics, il me semble que nous devons faire oeuvre de prospective, être force de proposition.
Mes chers collègues, nous devons n'avoir qu'une volonté : offrir à nos concitoyens un système juridique toujours plus rapide, plus efficace et plus équitable. Le Sénat, par la qualité de ses travaux, y a déjà très largement contribué. Mais nous devons aller encore plus loin dans le renforcement de la sécurité juridique de l'action locale.
A cet effet, je vous propose trois pistes de réflexion.
Premièrement, comme le préconise la mission d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation, nous pourrions « déclasser » certaines sanctions pénales pour leur préférer d'autres formes de sanctions, ou pour s'en tenir à des réparations civiles.
Deuxièmement, nous pourrions prévoir l'orientation obligatoire et préalable vers la personne morale des actions pénales dirigées contre un agent de celle-ci pour des fautes non intentionnelles commises dans l'exercice de ses fonctions. Bien entendu, la mise en examen de l'agent doit demeurer possible si l'instruction révèle qu'il a commis une faute grave.
Troisièmement, nous pourrions mettre en place une consultation de la juridiction administrative par le parquet, préalablement à la mise en examen, à propos du caractère personnel ou non de la faute susceptible d'être reprochée. Bien entendu, cet avis ne doit lier en aucune façon le procureur ou le juge d'instruction.
Tels sont les quelques éléments que je souhaitais évoquer lors de l'examen de cette proposition de loi par notre Haute Assemblée.
Nous devons être attentifs à l'évolution de la décentralisation et des conditions d'exercice des mandats politiques. Des solutions en matière de moyens humains et financiers, de responsabilité et de statut doivent rapidement être trouvées.
Aujourd'hui, nous posons la première pierre de cette réforme. Je souhaite que cette construction soit rapidement achevée. Sans cela, les principes fondateurs de la décentralisation française deviendraient lettre morte et l'on assisterait à une professionnalisation des mandats politiques, tant de maux qui, à mes yeux, nuiraient à la démocratie ainsi qu'à la proximité entre les administrations décentralisées et nos concitoyens.
Je voterai ce texte équilibré, qui introduit une réflexion sur les véritables réformes de la justice qu'attendent avec impatience nos concitoyens et que nous souhaitons tous. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer l'initiative du Sénat, plus particulièrement de son président, M. Poncelet, de se saisir du problème de la pénalisation de notre vie publique. D'ailleurs, monsieur le président, vous n'avez pas attendu aujourd'hui pour ce faire, puisque vous avez déjà sillonné toute la France.
La proposition de loi est un premier pas dans la bonne direction qui correspond à ce qu'attendent les élus.
Monsieur Fauchon, merci de l'avoir déposée !
M. Pierre Fauchon rapporteur. Monsieur Vasselle, merci de me remercier !
M. Alain Vasselle. La pénalisation de notre vie publique entraîne inévitablement de graves dysfonctionnements au sein de notre démocratie locale. En effet, devant le risque pénal encouru, l'élu peut céder soit au découragement, et ne plus se représenter, soit à la tentation de l'immobilisme, entraînant ainsi une paralysie de la gestion locale. En adoptant une position d'immobilisme, il se place aussi, parfois, dans une situation de responsabilité pénale.
Grâce à l'initiative prise aujourd'hui, le Sénat, plus que jamais, peut jouer le rôle de représentant des collectivités territoriales que l'article 23 de la Constitution lui confie. J'en profite, à cet égard, pour saluer notre collègue Pierre Fauchon, qui, grâce à la proposition de loi que nous examinons, nous permet de reprendre une nouvelle fois l'initiative sur ce sujet après l'adoption des amendements que nous avions déposés avec plusieurs de nos collègues lors de l'examen du texte de loi sur la présomption d'innocence.
La démocratie locale est représentée par quelque 510 000 élus locaux, qui attendent tous aujourd'hui que nous apportions des solutions aux difficultés qu'ils connaissent dans leur pratique quotidienne. Tâchons de ne pas les décevoir. Ils attendent une initiative forte de notre part. Une « réformette » serait considérée par la plupart d'entre eux comme un acte de défiance à leur égard. L'heure n'est plus à l'établissement d'un diagnostic ; elle est à l'action légistative.
Le diagnostic a déjà été dressé l'année dernière, à l'occasion de la discussion de la question orale avec débat posée par notre collègue Hubert Haenel, le 28 avril 1999, et, plus récemment encore, dans le rapport du groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics, dit rapport Massot, qui vous a été remis, madame le garde des sceaux, le 16 décembre 1999, ainsi que dans celui de notre collègue Pierre Fauchon.
Les causes de l'accroissement des mises en examen des élus locaux, sont clai rement identifiées : la multiplication des textes législatifs et réglementaires, celle des directives et règlements européens, qu'il est difficile de connaître, et donc de maîtriser, même si nul n'est censé ignorer la loi ; le manque de moyens matériels dont disposent les petites communes pour s'entourer d'une assistance juridique suffisante - c'est souvent le cas des maires des communes rurales ; la nécessité, pour les maires des petites communes en particulier, ou les conseillers généraux ou régionaux d'exercer parallèlement une activité professionnelle, en l'absence d'un véritable statut de l'élu, alors que les lois de décentralisation ont accru les compétences des collectivités territoriales ; enfin, l'absence de distinction, par le juge pénal entre la faute de service et la faute personnelle lors de l'examen de l'infraction commise, ce qui facilite l'incrimination pénale, et le manque de connaissance pour le juge pénal des contraintes qui pèsent sur les élus.
C'est d'ailleurs sur la base de ce dernier constat, et pour les motifs que vous connaissez tous, liés à l'actualité de mon département et à l'exploitation médiatique qui a été faite des mises en examen de seize maires de petites communes de l'Oise, que j'ai pris l'initiative de déposer une proposition de loi relative à la reconnaissance de la spécificité des responsabilités des élus locaux et à la sauvegarde de la démocratie locale.
Cette proposition de loi, parfois critiquée, dont l'objet était, dans un premier temps, d'émettre un signal d'alarme, prévoit la saisine immédiate du Conseil d'Etat lorsqu'un élu est susceptible d'être mis en cause pénalement, afin qu'il désigne dans un très bref délai - soixante-douze heures - un tribunal administratif chargé de déterminer si ledit élu a commis ou non une faute détachable de l'exercice de ses fonctions.
Si le tribunal conclut à l'existence d'une faute détachable, l'élu pourrait être mis en cause pénalement, comme n'importe quel citoyen. Il ne bénéficierait alors d'aucun privilège spécifique.
J'ai bien conscience de la controverse qui a été provoquée par cette proposition. Elle bouleverse quelques idées reçues, mais présente à mon sens l'avantage d'éviter les mises en examen injustifiées. Ainsi la faute personnelle peut-elle être définie par référence à la jurisprudence administrative d'une manière telle que le juge aura du mal à s'en détourner. Elle pose la question, à mon sens essentielle, de l'articulation de la responsabilité entre personnes morales et personnes physiques.
Permettez-moi de vous rappeler au passage que l'essentiel des mesures proposées dans mon texte ont été adoptées par le Sénat, avec l'aval de la commission des lois, lors de l'examen du projet de loi sur la présomption d'innocence. Cependant, il est vrai que cela n'a pas empêché certains juristes de considérer que cette disposition constituait un acte de défiance vis-à-vis du juge pénal dans l'application des concepts administratifs.
Les mêmes juristes estiment que ma proposition de loi a un caractère anticonstitutionnel. Mais la loi du 13 mai 1996, aux ambitions pourtant limitées, n'instaure-t-elle pas déjà, en pratique, une rupture d'égalité entre les citoyens au profit des élus locaux ? Je vous pose la question.
Permettez-moi de vous rappeler que le Conseil constitutionnel, en consacrant le principe d'égalité, en a d'abord précisé les exigences. Il énonce, pour s'en tenir à la formule la plus usuelle, que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ».
Je note par ailleurs qu'une mesure pas si éloignée, dans l'esprit, de celle que j'ai suggérée vient d'être proposée par l'Association des maires de France en vue d'apporter un frein aux mises en examen souvent prématurées et injustifiées des élus locaux. En quoi consiste-t-elle ?
Comme l'a rappelé notre collègue Bernard Murat, cette proposition consiste en la consultation de la juridiction administrative par le parquet, préalablement à la mise en examen, à propos du caractère personnel ou non de la faute susceptible d'être reprochée. Elle tend à ce que cet avis formulé ne lie en aucune façon le procureur ou le juge d'instruction. D'après l'AMF, cette mesure aurait le mérite d'éviter une mise en examen sur deux et elle serait efficace, car l'ordre administratif apparaît le mieux à même d'évaluer de manière équilibrée les contraintes et les difficultés qui pèsent sur les élus locaux.
Le texte que nous examinons aujourd'hui, quant à lui, tend à préciser la définition des délits non intentionnels. Certes, il y avait lieu d'améliorer cette définition, car finalement le véritable intérêt de la loi du 13 mai 1996 aura été de pousser les juges à renforcer la motivation de leurs décisions et d'apaiser, seulement pour un temps, l'inquiétude des élus locaux. Je dis : « pour un temps seulement », car on s'est très vite rendu compte des effets pervers induits par cette législation.
Le système est complexe. En effet, selon le nouveau code pénal, il n'y a pas de crime et délit sans intention de le commettre. La culpabilité non intentionnelle est une exception au principe général précité. Ainsi, la rédaction du troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal renverse la charge de la preuve. C'est la personne poursuivie qui doit faire la démonstration de l'accomplissement de diligences normales. Dans le même temps, la partie poursuivante doit établir la défaillance du prévenu dans l'accomplissement de ses diligences. Tout cela est bien confus.
Le rapport Massot souligne que le défaut de diligence dont il s'agit est un élément constitutif du délit et qu'il conviendrait donc de considérer que la preuve en incombe à l'accusation.
Pourquoi ne pas revenir - il s'agit toujours du rapport Massot à une responsabilité intentionnelle ? C'est une piste à explorer, parmi d'autres. Beaucoup se posent la question de savoir si nous voulons aller vers une société contentieuse à l'américaine. Dans cette hypothèse, ne faudrait-il pas explorer une autre piste, celle de la suppression du juge d'instruction ? Je me demande même si M. Balladur n'avait pas évoqué cette solution dans le cadre du débat à l'Assemblée nationale sur ce point.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le rapport deMme Delmas-Marty ! Si !
M. Alain Vasselle. Que nous propose, quant à elle, la commission des lois ? Elle nous propose, dans l'article 1er, d'établir une distinction entre les fautes directes et indirectes causes d'un dommage. Pour apprécier la pertinence d'une telle proposition, il me paraît utile de vous inviter à prendre en considération certains éléments de réflexion du rapport Massot. Permettez-moi de le citer de nouveau : « Les tribunaux répressifs ont opté pour la théorie de l'équivalence des conditions selon laquelle il suffit que le fait illicite ait concouru à la réalisation du dommage pour qu'il soit possible de mettre en jeu la responsabilité de son auteur. »
Ainsi, la théorie de l'équivalence des conditions ne tient pas compte du caractère direct ou indirect de la faute. Mettre en rapport la nature du lien de causalité et le type de faute, alors même qu'il n'existe pas de critère précis permettant de qualifier un lien de causalité comme étant direct ou indirect, reviendrait encore à donner un blanc-seing au juge répressif dans le détermination des éléments de l'infraction.
Le texte de la commission ne répond donc pas, me semble-t-il, aux difficultés qui provoquent le désarroi des élus. Si nous voulons véritablement aboutir à une amélioration de la définition des délits non intentionnels et éviter que le présent texte ne devienne un coup d'épée dans l'eau, il convient d'infléchir une théorie prétorienne en obligeant le juge à adopter désormais une appréciation différente du lien de causalité. Dans ce cas, pourquoi pas celle qui est mise en oeuvre par la juridiction administrative ? Je veux parler de la théorie de la causalité adéquate, c'est-à-dire que tous les événements qui concourent à la réalisation du dommage ne constituent pas sa cause.
L'accroissement de nombre des mises en examen des décideurs publics est révélatrice, très souvent, d'une mauvaise orientation des victimes dans le choix de la juridiction compétente. Le rapport Massot le rappelle très clairement : « Le juge naturel de la responsabilité de l'administration est le juge administratif, compétent pour condamner les personnes publiques à la réparation des dommages subis par les victimes des actes des agents publics dans l'exercice de leurs fonctions. Le recours au juge pénal ne permet pas d'obtenir une meilleure indemnisation puisque, dans la quasi-totalité des cas, le comportement reproché à l'agent public ou à l'élu doit être regardé comme une faute de service, dont la réparation relève du juge administratif, ce qui restreint la compétence du juge pénal et lui retire la connaissance de l'action civile. »
Dans la droite ligne des propositions du rapportMassot, j'ai déposé un amendement dont l'objet est d'infléchir une jurisprudence du tribunal des conflits du 6 octobre 1989 à l'opportunité, je le reconnais, contestable. En effet, il résulte des dispositions de l'ordonnance du 1er juin 1828 que le conflit ne peut jamais être élevé sur l'action publique en matière correctionnelle, exception faite des deux cas prévus par ladite ordonnance sur lesquels je ne reviendrai pas. Une jurisprudence séculaire permettait également d'élever le conflit sur l'action civile à tout moment devant le juge d'instruction. C'est sur cette jurisprudence que le tribunal des conflits est revenu en renforçant le pouvoir du juge pénal. Cette attitude révèle une défiance injustifiée et obsolète vis-à-vis, d'une part, de l'autorité administrative, d'autre part, du juge administratif.
Nous sommes désormais très éloignés de « la caste des intouchables », pour reprendre une expression doctrinale des années cinquante, au cours desquelles, en effet, les agents du gouvernement, au sens large, s'ils venaient à commettre des infractions dans le cadre de leur service, étaient parfois placés au-dessus de la loi pénale puisque le ministère public ne les poursuivait pas d'une manière systématique.
Aujourd'hui, la réalité est tout autre, et c'est faire peu de cas de l'ordre administratif et de ses magistrats que de les soupçonner d'une indulgence coupable. Il faudrait à mon sens revenir à un peu plus de réalisme !
Dans la même logique, c'est-à-dire celle d'une amélioration des règles de procédure pénale, il est utile de rappeler que la responsabilité du décideur public peut être engagée devant la juridiction judiciaire si la faute commise est entièrement détachable du service.
Si la faute personnelle a été commise à l'occasion du service ou n'est pas dépourvue de lien avec celui-ci, la victime du dommage a le choix entre l'assignation de l'agent devant la juridiction judiciaire et l'introduction d'une action en réparation à l'encontre de la collectivité qui l'emploie.
Enfin, si les faits reprochés n'ont pas le caractère d'une faute personnelle mais peuvent constituer une faute de service, seule la responsabilité de la personne publique peut être mise en cause et, dans ce cas, sauf exception tenant à d'autres règles de compétence, la juridiction judiciaire devra décliner sa compétence pour toute action civile engagée à l'encontre de l'agent public.
Ces règles sont oubliées une fois sur deux par le juge pénal et les avocats. Il serait peut-être utile d'affirmer par voie législative que la constitution de partie civile ne peut être déclarée recevable que dans la stricte mesure où le préjudice invoqué est de nature à être indemnisé par le juge pénal ; de nombreuses mises en examen seraient ainsi évitées puisque, nécessairement, on en reviendrait au filtre de la faute personnelle et de la faute de service.
La deuxième piste que la commission des lois nous invite à suivre aujourd'hui s'inscrit dans une réflexion déjà entreprise sur l'extension du champ d'application de la responsabilité pénale de la personne morale. En lisant l'article 6 de la proposition de loi, je crains bien que la solution a minima qui est proposée ne nous laisse encore dans la situation la plus inconfortable, c'est-à-dire au milieu du gué.
En effet, dans l'état actuel du droit, l'irresponsabilité partielle dont bénéficient les collectivités par la limitation de leur responsabilité aux infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public peut paraître incohérente au regard des règles applicables à ses agents personnes physiques. Cette limitation exclut notamment toute condamnation de la collectivité locale liée à l'exercice des pouvoirs de police administrative. Or, c'est dans le cadre de l'exercice de leurs pouvoirs de police que de nombreux élus locaux sont mis en examen. La réforme ne devrait-elle pas commencer par là ? Toute solution tendant à une meilleure articulation entre la responsabilité pénale des personnes morales et celle des personnes physiques doit, à mon sens, avoir pour corollaire une remise en cause du champ d'application de cette responsabilité concernant les collectivités territoriales. Cette remise en cause, le texte de la commission ne l'opère, selon moi, que trop partiellement. Il est vrai que le sujet est controversé au sein même de la doctrine.
Ne peut-on proposer qu'en cas d'infraction due à une imprudence ou à une négligence commise par l'élu local la responsabilité pénale de la personne morale soit engagée sans que soit établie la responsabilité pénale de la personne physique ? Les responsabilités pourraient ne pas être cumulatives dans tous les cas.
A ce stade de notre réflexion, il est néanmoins important d'indiquer que l'élargissement du champ d'application de la responsabilité pénale de la personne morale n'est pas exempt des conséquences financières qui pourraient se révéler très lourdes pour les petites communes. De ces conséquences, il n'est pas fait suffisamment mention, et notre réflexion n'est pas, semble-t-il, arrivée à maturation sur ce point.
Dans la même logique et dans le droit-fil de la proposition de loi déposée par M. Fauchon et des propositions du rapport Massot, il serait opportun de prévoir que la collectivité territoriale concernée ait l'obligation d'assurer la protection de ses élus ou de ses anciens élus en cas de poursuites pénales pour des faits liés à l'exercice de leurs mandats. J'ai déposé des amendements allant dans ce sens. Il est bien évident que les collectivités à qui cette obligation peut poser le plus de problèmes, notamment d'ordre financier, sont les petites communes. C'est pourquoi il semblerait pertinent d'obliger celles-ci à s'assurer.
Par ailleurs, à la lecture des propositions de la commission, on peut regretter l'absence de dispositions concernant le code des marchés publics. C'est regrettable en effet, car de nombreuses mises en examen ont lieu pour délit de favoritisme ; c'est le cas dans mon département, notamment. Il ne suffit donc pas, à mon sens, de dénoncer de façon liminaire la portée de cette infraction. Encore faut-il aller plus loin !
Parmi les pistes proposées, le rapport Massot envisage l'éventualité d'un déclassement en contraventions des manquements relatifs à des marchés publics restés en deçà d'un seuil qui reste à déterminer. Cette mesure comporterait, certes, des avantages qui sont rappelés dans le rapport du groupe d'études précité, mais elle comporte un inconvénient soulevé par notre collègue M. Delevoye. S'il est en effet inéquitable de frapper d'une amende de 2 500 francs un élu dont les services ont commis, en toute bonne foi, une erreur de procédure, il ne faut pas perdre de vue que, aux termes des dispositions du code pénal, le plafond des contraventions de 5e classe est fixé à 10 000 francs et à 20 000 francs en cas de récidive. De plus, les amendes pour contraventions se cumulent !
Plus pertinente serait la piste du renforcement de la logique du délit de favoritisme. Le groupe d'études présidé par M. Massot propose la fixation d'un seuil financier qui permettrait d'opérer une distinction entre les manquements lourdement ou légèrement réprimés. Mais il s'arrête là et ne fait aucune suggestion quant à la modification du code des marchés publics, dont la lisibilité pourrait être sensiblement améliorée. Quand aurons-nous le courage politique d'entreprendre cette réforme ? Peut-être, à ce propos, le Gouvernement va-t-il nous préciser le calendrier d'examen du texte qu'il prépare.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que notre collègue Michel Charasse avait déposé, lors de la discussion du projet de loi sur la présomption d'innocence, plusieurs amendements concernant le délit de favoritisme et les procédures de marchés publics. Nous en avons approuvé certains.
Il faut enfin s'interroger sur le sens de cette pénalisation accrue de notre vie publique, car comme d'aucuns le répètent à l'envi : « Chassez le pénal, il revient au galop. » Ne faut-il pas y voir les conséquences du caractère vieilli de notre dualisme juridictionnel ? Les réponses que nous allons tenter d'apporter ne vaudront que si, parallèlement, nous avons le courage de créer un véritable statut de l'élu. Ce n'est qu'à ce prix que la démocratie locale, terreau de la vie politique tout entière, sera confortée. A ce niveau, nous en restons toujours aux effets d'annonces. Les élus sont comme soeur Anne, ils ne voient toujours rien venir concernant leur statut.
L'inflation normative et notamment pénale a développé un sentiment de crainte chez l'élu, assorti d'un manque de confiance dans la décentralisation. J'en veux pour preuve le retour à une demande de contrôle de légalité plus efficace. Or cela n'est pas acceptable.
Il convient de répondre le plus rapidement possible aux attentes légitimes des décideurs publics, car 2001, c'est l'an prochain. Les craintes doivent être apaisées pour susciter des candidatures de qualité dignes d'une véritable démocratie locale. Le texte qui nous est proposé aujourd'hui est une intéressante contribution au débat tout comme le rapport que vient de publier la mission commune présidée par notre collègue Delevoye. Mais elle doit être complétée. Je proposerai tout à l'heure des amendements pour que la démocratie locale reste une réalité dans ce pays. Le Sénat, en tant que représentant des collectivités territoriales, se doit d'y participer.
Mes chers collègues, si nous n'y prenons garde, c'est la base de notre démocratie qui sera en danger. Avez-vous conscience qu'aujourd'hui un maire sur deux, dans de nombreux secteurs ruraux - je l'ai testé dans mon propre département - a pratiquement décidé de ne pas se représenter ? L'avenir de nos communes est en danger. Il y aura lieu de légiférer bien au-delà de cette simple proposition de loi.
C'est bien une réforme globale de la justice qui doit être engagée, madame le garde des sceaux, comprenant en son sein un volet important sur la responsabilité pénale des décideurs publics. Comme l'a récemment déclaré dans un quotidien M. René Monory : « Un Grenelle de la justice s'imposera. »
Telles sont les réflexions que m'a inspirées la proposition de loi Fauchon.
Mon cher collègue, ne croyez pas, de mes propos, que je sous-estime la qualité de votre initiative. Je la mesure, mais je pense que ce n'est qu'un premier pas dans la direction dans laquelle nous devons nous engager, et, monsieur le président, je compte sur vous pour que nous allions plus loin. Je souhaite que vous soyez suffisamment convaincant auprès du Gouvernement pour que cette réforme soit engagée jusqu'au point souhaité par l'ensemble des élus de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains Indépendants.)
M. le président. Monsieur Vasselle, légiférer est une tâche toujours inachevée. Par conséquent, nous allons poursuivre.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois encore le Sénat, dans sa sagesse, sa constance, sa détermination, et toujours dans son rôle, à l'instigation de son président Christian Poncelet, qui est intervenu notamment à l'occasion des états généraux qu'il a organisés, tente de régler la complexe et délicate question de la pénalisation excessive de la responsabilité des décideurs publics et, plus généralement, de l'ensemble des décideurs.
Déjà, en 1995 et 1996, des travaux conduits sous l'égide de la commission des lois avaient abouti au rapport de notre collègue Pierre Fauchon en date du 18 octobre 1995, puis à l'adoption de la loi du 13 mai 1996 portant modification de l'article 121-3 du code pénal, mesure dans laquelle nous avions placé beaucoup trop d'espoir.
Ces dispositions prévoyaient qu'il y avait délit en cas d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité, sauf si l'auteur des faits avait accompli les diligences normales, compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions, de ses fonctions, ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
Il s'agissait, en fait, d'inviter le juge à apprécier in concreto la faute d'imprudence ou de négligence.
Si la plupart des jugements et arrêts qui s'ensuivirent furent plus et mieux motivés, la réforme n'a pas eu les conséquences escomptées. Mais il faut, certes, du temps pour mesurer les effets d'une telle réforme !
Le caractère interprétatif de la réforme de 1996 conduisit tel ou tel d'entre nous - souvenez-vous des initiatives de MM. Vasselle et Charasse - à l'occasion de l'examen de textes relatifs à la procédure pénale, à proposer d'autres solutions plus radicales. Ce fut le cas, notamment, à l'occasion de l'examen des articles du projet de loi visant à renforcer la présomption d'innocence.
Sous la houlette du président Poncelet, des réflexions furent menées au sein de notre assemblée, sur le terrain, au cours de déplacements en province, lors de colloques ou en commission.
Oserai-je rappeler que, lors de la discussion de ma question orale avec débat, le 28 avril 1999, question centrée sur les maires et la loi, les maires et leur contrôleur, les maires et leur juge, nous eûmes l'occasion, madame la ministre, de faire avec vous un point complet, très intéressant, sur l'ensemble de ces questions et sur les difficultés soulevées, sans pour autant, bien entendu, les résoudre.
Ce débat eut au moins l'avantage de nous permettre de dresser un inventaire. Répondant à ma suggestion de mettre en place un groupe de travail pluridisciplinaire aux fins d'établir un état des lieux et de proposer des solutions, vous annonciez la création d'une commission, dont la présidence fut confiée au conseiller d'Etat Jean Massot, président de section, et dont, entre autres, notre collègue Jean-Paul Delevoye fut membre, commission composée de personnes particulièrement qualifiées dans un certain nombre de domaines.
Entre-temps, notre collègue Pierre Fauchon, fort opportunément, déposait la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Ce texte, à mes yeux, a le grand mérite, d'une part, de rappeler le principe selon lequel il n'y a pas de crime ou de délit sans intention de le commettre et, d'autre part, de dénoncer la confusion des fautes civiles et pénales, qui a trop souvent conduit le juge pénal à s'ingénier à tout prix à détecter une faute pénale pour permettre aux victimes d'obtenir une réparation civile. La voie pénale, on le sait bien, est pour beaucoup la voie royale.
Le texte de notre collègue Pierre Fauchon, grâce à une meilleure définition des délits non intentionnels, devrait mettre fin à une mise en jeu quasi systématique de la responsabilité pénale pour des faits non intentionnels sans porter atteinte - il faut le dire et le répéter - aux droits des victimes, ni bien sûr instaurer une responsabilité à deux vitesses : celle qui serait applicable au commun des mortels et celle qui s'appliquerait à des privilégiés.
Voilà ce qui nous est proposé. J'y souscris sans réserve et je salue comme il se doit à la fois l'initiative de notre collègue Pierre Fauchon et la qualité du travail accompli.
Cependant, ce texte ne deviendra loi que si l'Assemblée nationale en est rapidement saisie, ce qui doit être chose faite, d'après ce qui nous a été promis. Son adoption dépendra, bien entendu, de la bonne volonté des uns et des autres.
Admettons qu'il en aille ainsi. Resteront en suspens, monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, et sans solution - parce que tel n'est pas l'objet de la proposition de loi de notre collègue Pierre Fauchon - non seulement toute une série de questions abordées lors de la discussion de la question orale avec débat du 28 avril 1999, mais aussi certaines des propositions du rapport Massot que je vais évoquer brièvement. Je sais, madame le garde des sceaux, que, ce matin, vous avez abordé le sujet, mais il n'était pas question pour vous de reprendre point par point le rapport en nous indiquant ce qui allait réellement prendre corps et dans quel délai.
Tout d'abord, enrayer la création de nouvelles infractions sanctionnées pénalement me paraît fondamental. Le rapport Massot préconise un moratoire et un toilettage des textes. Je crois qu'il faudra le faire rapidement.
Ramener les manquements les moins graves au code des marchés publics au niveau de la contravention : cette idée me paraît excellente et nous devrions pouvoir la traduire assez rapidement dans un texte.
Limiter les recours abusifs au juge pénal en introduisant, dit M. Massot, des conditions plus strictes de recevabilité des plaintes avec constitution de partie civile.
A terme, octroyer au juge d'instruction le pouvoir de se prononcer sur la recevabilité des plaintes en exigeant de la personne qui se prétend lésée qu'elle établisse l'existence de l'infraction et la réalité d'un préjudice, sans pour autant limiter le droit des associations à se constituer partie civile, en réaffirmant ou en renforçant les sanctions à l'encontre des auteurs de plaintes abusives. C'est important. Certes, il existe déjà un dispositif législatif, mais il est inappliqué.
Cela suppose le rappel systématique aux personnes qui déposent une plainte en se constituant partie civile des risques qu'elles encourent.
Cela suppose aussi d'inciter les parquets à utiliser davantage l'article 91 du code de procédure pénale.
Cela suppose en outre de favoriser le droit de réponse de la personne dont la mise en examen est mentionnée dans un organe de presse.
Une autre rubrique concerne le fait de rendre la mise en examen moins systématique et moins traumatisante. Certains amendements de bon sens du Sénat adoptés à l'occasion du texte en navette sur la présomption d'innocence devraient, sauf à être rejetés par l'Assemblée nationale, largement y contribuer.
Il conviendrait également de favoriser les modes de règlement des conflits autres que pénaux.
Sous la rubrique « Mieux armer juridiquement les décideurs publics », le groupe de travail propose toute une série de mesures assez opérationnelles.
Des propositions applicables à l'ensemble des décideurs publics visent à préciser les compétences, les moyens et les responsabilités impartis à chaque agent en généralisant la pratique des fiches de poste, par exemple, à améliorer la formation des élus et agents publics, à favoriser la mobilité des agents entre fonction publique et magistrature, à généraliser aux élus la protection que l'administration doit déjà à ses agents mis en cause pénalement, à exiger un bilan écrit de faisabilité avant l'introduction de toute nouvelle norme technique.
D'autres propositions sont propres aux collectivités locales. Elles tendent à développer les capacités d'expertise juridique de ces collectivités, à renforcer la qualité du contrôle de légalité et ses moyens, sachant que beaucoup de mises en cause pénales, dues à un comportement et non à un acte, ne dépendent pas du contrôle de légalité, fût-il le plus efficace, et que l'absence d'observations de la part du contrôle de légalité ne vaudra jamais - il ne faut pas rêver ! - garantie d'absence d'infraction pénale.
Nombre de ces propositions pourraient être appliquées sans trop de difficultés, mais elles supposent une approche à la fois interministérielle et interdisciplinaire, vous l'avez indiqué ce matin, madame le garde des sceaux.
Restera la question, très importante à mes yeux, des relations entre le parquet et les élus locaux.
Voilà quelque temps, je vous avais demandé si vous envisagiez, dans le cadre des instructions générales aux procureurs généraux et procureurs, d'inviter ceux-ci à prendre des initiatives, s'inspirant d'ailleurs d'excellentes pratiques initiées ici ou là, pour qu'un dialogue permanent, facilité et formalisé, s'instaure entre les procureurs, les maires et les associations de maires.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Hubert Haenel. Ne pourriez-vous pas, par exemple, faire recenser ce qui se fait déjà par l'inspection générale des services judiciaires, afin d'inciter ceux qui manquent parfois d'imagination à s'inspirer des pratiques en vigueur ? Quelques procureurs ont déjà pris des initiatives, et ce à la satisfaction des élus locaux de base.
Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple concret à partir de la réponse à une question écrite que vous avez fait paraître ces jours-ci au Journal officiel .
Aux termes des dispositions de l'article 61 du code de procédure pénale, les maires et adjoints sont officiers de police judiciaire. Le procureur de la République pourrait utilement, sur le fondement de ce texte, engager un dialogue avec les maires et adjoints du ressort de son parquet sur des thèmes tels que : « Vous êtes officier de police judiciaire ; qu'est-ce que cela signifie ? Quels sont vos droits et quelles sont vos obligations ? »
Me répondant à une question écrite tendant à vous faire préciser si les dispositions de ce fameux article 40 du code de procédure pénale qui enjoignent à certaines autorités de dénoncer au procureur de la République les faits susceptibles de constituer un crime ou un délit dont elles ont connaissance dans l'exercice de leurs fonctions, s'appliquent aux maires adjoints, vous écrivez fort justement ceci :
« Le garde des sceaux, ministre de la justice, porte à la connaissance de l'honorable parlementaire que les dispositions de l'article 40, alinéa 2, du code de procédure pénale relatives à l'obligation pour " toute autorité constituée, tout officier poublic ou fonctionnaire" d'aviser sans délai le procureur de la République de tout crime ou délit dont ils ont eu connaissance sont de portée générale et ont vocation à s'appliquer aux élus locaux, qui sont membres, par définition, d'assemblées électives, c'est-à-dire "d'autorités constituées", à la condition que la connaissance de l'infraction ait été acquise dans l'exercice de leurs fonctions.

« L'article précité couvre un domaine plus large que d'autres obligations légales qui imposent un devoir de révélation à certaines autorités...
« Les élus locaux comme les fontionnaires sont ainsi soumis à des devoirs plus étendus qu'un citoyen ordinaire puisque leur fonction impose de servir l'intérêt général dont l'Etat est le garant. »
Vous indiquez fort justement en conclusion :
« En toute hypothèse, la capacité même de l'Etat à assurer la protection et la sécurité des personnes suppose que le ministère public, à qui incombe la charge d'exercer les poursuites pénales, au nom de la société, à chaque fois que l'exige l'intérêt général, soit précisément informé des faits délictueux ou criminels dont les personnes sur qui pèse une stricte obligation de révélation ont pu avoir connaissance. »
Voilà rappelée une obligation dont les maires n'ont pas connaissance. Faites un sondage chez les 36 000 maires de France : ils ignorent totalement qu'ils sont tenus, lorsqu'ils ont eu connaissance, dans l'exercice de leurs fonctions ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, d'un crime ou d'un délit, d'en aviser le procureur de la République. Bien entendu, cela ne vaut pas réellement pour les maires des grandes villes. Cela ne peut concerner en pratique que les maires des communes petites et moyennes, qui sont effectivement susceptibles d'avoir connaissance de tels faits, se produisant par exemple dans une école.
L'application stricte de l'article 40, alinéa 2, du code de procédure pénale nous confère donc une responsabilité dont l'importance n'échappe à personne. Ne pensez-vous pas, madame la ministre, que la nature et la portée de telles obligations mériteraient que des relations s'instaurent au sein de chaque parquet avec les élus concernés ; des procureurs s'y emploient déjà, mais ils sont trop peu nombreux. Je suis persuadé que cela contribuerait à mettre fin à certains dialogues de sourds, à dissiper la méfiance ambiante.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, comme toujours, il y a le texte et le contexte. En l'occurrence, le contexte - que je viens de rappeler - mérite, lui aussi, des mesures tout aussi importantes qu'une modification législative, dont nous savons par expérience que ce sont en définitive les juridictions qui en détermineront la portée réelle.
Certes, un grand pas sera franchi avec l'adoption définitive de ce texte, mais nous ne serons pas au bout du chemin !
Sous le bénéfice de ces observations, le groupe duRassemblement pour la République votera le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Voilà une intervention riche et solide !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. A l'issue de cette discussion générale empreinte d'une grande sérénité et d'une forte volonté d'examiner dans toute leur complexité ces questions délicates, je voudrais faire quelques remarques sur les interventions que nous avons entendues.
Je tiens d'abord à rappeler à MM. Philippe Arnaud et Alain Vasselle que le débat sur la présomption d'innocence et sur la procédure pénale se distingue de celui qui est relatif à la redéfinition des délits non intentionnels. D'ailleurs, le projet de loi sur la présomption d'innocence sera examiné en deuxième lecture par l'Assemblée nationale le 9 février prochain et sa deuxième lecture au Sénat nous donnera l'occasion de débattre sur chacun des points de procédure.
Sachez en tout cas, monsieur Vasselle, que si M. Balladur a effectivement proposé en juin 1999, lors du débat en première lecture à l'Assemblée nationale, la suppression du juge d'instruction, il s'est par la suite ravisé, ainsi qu'il l'a indiqué en adressant une question à M. le Premier ministre. Les esprits évoluent, et j'en suis heureuse. J'y vois la preuve que nous pouvons mutuellement nous influencer sur ces importants sujets.
Par ailleurs, je souscris à l'idée selon laquelle il ne faut pas une loi particulière applicable aux seuls élus. M. Fauchon l'a soutenue, mais aussi M. Jolibois, M. Dreyfus-Schmidt, M. Delevoye, ainsi que, avec des mots qui nous ont particulièrement touchés, M. Pierre Mauroy.
Or c'est sans doute comme la volonté de prendre un texte spécifique que serait perçue la proposition de M. Vasselle tendant à instituer un filtre préalable aux poursuites intentées contre les personnes physiques exerçant des responsabilités publiques. Je crois qu'il y a ici une large majorité pour ne pas vouloir s'engager dans une telle voie.
En réponse aux appréhensions évoquées par les uns et par les autres, je dirai que l'initiative prise par M. Fauchon et la commission des lois du Sénat, qui consiste à introduire la notion de causalité directe ou indirecte en relation avec une faute caractérisée, est une bonne chose. Comme je l'ai dit dans mon discours introductif, c'est une proposition à la fois audacieuse et mesurée, qui permettra, j'en suis convaincue, de définir de manière plus stricte les limites de la faute pénale et de cantonner ainsi les poursuites et les condamnations aux seules hypothèses où elles sont véritablement justifiées.
Cependant, je souhaiterais aussi que la navette nous donne l'occasion de préciser cette notion de causalité directe, dont certains orateurs, tels M. Bret ou M. Dreyfus-Schmidt, ont estimé qu'elle pouvait être floue.
Actuellement, d'ailleurs, certains d'entre vous l'ont souligné, la notion de causalité directe ou indirecte est parfois utilisée de façon peu précise par les juridictions répressives. Cela s'explique par le fait qu'aujourd'hui cette distinction n'a aucune conséquence juridique. Les termes de « causalité directe » sont ainsi parfois utilisés à la place de ceux de « causalité certaine », et l'expression « faute directe » doit être parfois comprise, me semble-t-il, comme signifiant « faute personnelle ».
Si, dans l'affaire de l'accident survenu sur l'île d'Ouessant, le tribunal a pu estimer que le comportement reproché au maire était la cause directe de cet accident, alors qu'une telle précision n'était pas juridiquement nécessaire, c'est vraisemblablement pour indiquer qu'il s'agissait, selon le tribunal, d'une cause certaine.
Je ne peux évidemment pas commenter plus avant cette décision qui fait l'objet d'un recours.
En tout état de cause, ce que je peux dire en cet instant, c'est que, du fait des effets de la réforme que nous étudions, une distinction très nette sera opérée dans la loi entre cause directe et cause indirecte et que, dès lors, cette notion sera nécessairement examinée de façon plus précise par les juridictions, sous le contrôle de la Cour de cassation.
Peut-être faudra-t-il d'ailleurs, pour clarifier le débat et s'assurer que la réforme atteint ses objectifs, faire référence, dans l'article 121-3, à la notion de cause indirecte ou de cause médiate. En effet, la doctrine considère parfois qu'il existe, à côté des auteurs indirects des délits d'imprudence, des auteurs médiats. Je suis certaine que la navette permettra d'enrichir la réflexion sur cette question, comme elle l'enrichira sur la question de la nature de la faute exigée en cas de causalité indirecte ou médiate.
J'ajoute, en réponse à M. Delfau, que je persiste à penser que la notion de violation manifeste d'une règle de prudence ou de sécurité, retenue par la commission, est meilleure que la référence à la notion de faute lourde. Je m'en expliquerai lorsque l'on abordera la discussion des amendements qui tendent à introduire cette notion.
Je fais ces quelques remarques pour indiquer clairement que, si je suis réservée - vous l'avez compris - sur l'accroissement de la responsabilité pénale des personnes morales, en tout cas dans le cadre des activités qui ne peuvent être déléguées, j'estime en revanche que la piste ouverte par la proposition de M. Fauchon grâce à une meilleure définition du lien entre la faute et le dommage est extrêmement prometteuse.
A M. Murat, je dirai seulement - je lui ai déjà répondu dans mon intervention liminaire - que je ne suis pas favorable à l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales de droit public.
M. Haenel a, à juste titre, rappelé dans son intervention que nombre de propositions du rapport Massot n'appelaient pas, pour être satisfaites, la modification du code pénal. Croire qu'un problème aussi complexe puisse être résolu uniquement par des modifications du code pénal serait d'ailleurs une erreur fondamentale.
L'information réciproque entre les parquets et les élus est en effet très importante, et il est nécessaire que chacun connaisse mieux les compétences de l'autre. J'adhère donc aux propositions qui visent à rapprocher les élus des magistrats. Plusieurs initiatives ont d'ailleurs déjà été prises en ce sens et seront développées.
Ainsi, dans le cadre de la formation des magistrats, qu'elle soit initiale ou continue, des stages sont organisés au sein des collectivités locales.
Par ailleurs, des politiques partenariales se développent, ce qui facilite la reconnaissance réciproque entre magistrats et élus ; je pense aux contrats locaux de sécurité ou aux activités des maisons de la justice et du droit.
Dans la même ligne, je suis très intéressée par la proposition de M. Haenel visant à recenser les initiatives prises par certains procureurs en vue de rapprocher encore les magistrats et les élus afin de leur permettre de mieux se connaître.
Je remercie l'ensemble des orateurs qui sont intervenus dans la discussion générale. Cet important sujet suscite chez nous tous beaucoup d'intérêt et, parfois, beaucoup d'émotion. M. Pierre Mauroy a ainsi rappelé, avec la force particulière que lui donne son expérience, à quel point la situation pouvait être ressentie comme injuste et inextricable par certains élus.
La discussion générale a montré que nous sommes tous ici à la recherche de la meilleure solution, et, dès lors que nous ne voulons pas d'un système particulier pour les élus et les décideurs publics, cela nous oblige évidemment à considérer les éventuelles répercussions, dans toutes sortes de domaines, des modifications que nous allons introduire.
M. le président. Mes collègues auront sans aucun doute été très sensibles aux félicitations que vous leur avez adressées, madame le garde des sceaux.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

(M. Guy Allouche remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE,
vice-président

M. le président. Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er



M. le président.
« Art. 1er. - Le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal est ainsi rédigé :
« Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Toutefois, lorsque la faute a été la cause indirecte du dommage, les personnes physiques ne sont responsables pénalement qu'en cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence. »
Par amendement n° 15, M. Dreyfus-Schmidt propose, dans la première phrase du texte présenté par cet article pour le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, après les mots : « en cas », d'insérer les mots : « de faute lourde ».
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mme la garde des sceaux a réservé son avis sur la question que je soulève avec cet amendement jusqu'à la discussion de celui-ci. Mais ceux qui m'ont entendu ce matin auront compris qu'il ne me paraît pas possible de s'en tenir à la différence entre la cause directe et la cause indirecte.
On a souvent cité le jugement rendu dans l'affaire de l'île d'Ouessant parce qu'il est tout récent ; mais il y a eu de nombreux jugements similaires. J'ai ainsi donné l'exemple d'une affaire - et d'autres sont citées dans le rapport Fournier - où la cause est manifestement indirecte mais où les faits sont graves : dans un tel cas, on risquerait de ne pas pouvoir poursuivre. A l'inverse, dans les affaires où la cause serait directe mais où la faute ne serait pas grave, on aurait à nouveau des plaintes, des mises en examen, des poursuites, et, peut-être, des condamnations ; ce serait légalement possible.
C'est pourquoi, tout en acceptant la distinction entre cause directe et cause indirecte, j'insiste sur la nécessité de préciser que, quel que soit le cas, la faute doit être lourde.
J'ai expliqué ce matin, et je le répète, que la notion de faute lourde est bien connue en droit administratif mais pas - et pour cause - en droit pénal. Il suffirait cependant de l'introduire dans le code pénal pour que chacun fasse la différence entre faute légère et faute lourde. Il est évident que, si le maire prend une décision en toute connaissance de cause, après des débats en conseil municipal par exemple, on pourra lui imputer une faute lourde ; mais pas dans le cas contraire.
Il est facile de savoir si la faute est lourde ou si elle ne l'est pas, et c'est pourquoi nous proposons de lire l'article 1er présenté par la commission de la manière suivante : « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute lourde d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement... » Vous aurez noté qu'il n'y a pas de virgule entre les mots « faute lourde » et « d'imprudence », les deux premiers termes étant en facteur commun par rapport à ce qui suit.
Je répète, mes chers collègues, que, si nous n'allions pas jusque-là, il nous faudrait bientôt recommencer, une fois de plus, à modifier le code pénal, car, comme la loi de 1996, la présente proposition de loi serait sans grand effet.
J'ajoute, car il m'a donné l'autorisation de citer son nom, que notre collègue Jean-Jacques Hyest, qui appartient à la majorité sénatoriale, avait déjà fait la même proposition à l'époque de l'élaboration du nouveau code pénal. Comme nous il ne veut pas que quiconque, et en particulier un maire puisque cela arrive souvent - aux maires - soit poursuivi pour avoir commis une faute légère.
En revanche, si on commet une faute lourde, on doit être poursuivi et déclaré responsable, parce que personne ne comprendrait qu'on ne le soit pas.
S'il s'agit d'une faute légère, le préjudice causé pourra éventuellement être réparé au civil, puisque nous ne modifions pas, bien évidemment, les articles 1382 et suivants du code civil. Cela est vrai quel que soit le degré de gravité de la faute et que la cause soit directe ou indirecte. Cela signifie que, enfin, il n'y aura plus d'unicité entre la faute pénale et la faute civile.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission est tout à fait opposée à l'amendement de M. Dreyfus-Schmidt.
Il faut en mesurer les conséquences : elles pourraient être considérables. Il n'y aurait plus en effet de condamnation pour imprudence ou négligence hors les cas de faute lourde.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cela signifie notamment qu'en matière d'accidents de la circulation - et vous connaissez leur importance dans notre société - il faudrait une faute lourde pour engager la responsabilité pénale.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oui !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je vous ai bien compris, monsieur Dreyfus-Schmidt, ce n'est pas la peine d'acquiescer ainsi ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous confirme que vous m'avez compris !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. De deux choses l'une : soit l'introduction de la notion de faute lourde ne servira pratiquement à rien, parce que les magistrats considèrent que toute faute qui cause un grave dommage est lourde parce qu'elle cause un grave dommage. C'est d'ailleurs aussi l'interprétation qui prévaut en matière contractuelle : on considère que la violation du contrat est lourde dès lors que ses conséquences sont graves.
Non seulement ce serait un coup d'épée dans l'eau, mais vous créeriez une équivoque car, plus loin, dans l'hypothèse d'une relation indirecte, nous parlons de la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité. Il faut donc distinguer la faute lourde de la violation délibérée. Imaginez la gamme des distinctions qui seraient nécessaires ! L'exercice serait assez vain.
Si l'amendement n° 15 était voté, les accidents, qu'ils soient de la circulation ou du travail, ne donneraient lieu à condamnation que si leur auteur avait commis une faute lourde, au sens où vous paraissez entendre ce terme, monsieur M. Dreyfus-Schmidt. On risque de déclencher ainsi toute sorte de comportements, notamment sur la route. Tous les jours, des fautes légères ont pour conséquence de très graves accidents de la circulation, et, en conscience, en tant qu'automobiliste, et nous le sommes tous, j'estime que la menace de poursuites correctionnelles doit absolument peser sur nous tous. Dans le cas contraire, certains estimeraient ne pas devoir s'inquiéter puisque, en l'absence de faute lourde, ce serait l'assurance qui paierait !
Voulons-nous, malgré notre connaissance des statistiques sur les accidents de la circulation - elles sont rappelées dans mon rapport - nous engager dans cette voie ?
Pour ma part, je pensais en effet au départ que la faute devait être lourde dans tous les cas, mais j'ai reculé devant cette perspective. Il serait totalement irresponsable de notre part d'ouvrir ainsi la voie à la déresponsabilisation dans le domaine de la circulation routière, car il est absolument nécessaire de maintenir au plus haut niveau la protection de nos concitoyens.
Pour toutes ces raisons, la commission refuse de suivre notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je suis opposée à cet amendement, dont l'objet est de limiter les délits non intentionnels au seul cas de la faute lourde.
La proposition de loi de M. Fauchon distingue la nature de la faute selon le lien de causalité, distinction que j'approuve dans son principe mais dont je ne veux pas qu'elle produise des effets excessifs. Je ne peux accepter une solution qui dépénaliserait la quasi-totalité des comportements d'imprudence, y compris ceux qui font des victimes humaines ou causent des dégâts majeurs à l'environnement.
La proposition de M. Dreyfus-Schmidt dépénaliserait presque entièrement le droit du travail, le droit de l'environnement, de la santé publique, de la sécurité routière.
Je rappelle certaines définitions que la doctrine et les tribunaux judiciaires ont données de la faute lourde, dans les domaines du droit civil, où elle est actuellement utilisée : « énormité de la faute qui dénonce l'incapacité de la personne », « incurie ou extrême négligence de l'agent » et, enfin, « comportement d'une extrême gravité, confinant au dol ».
Peut-on imaginer - je vais prendre un exemple dans le domaine de la sécurité routière, qui a été mentionné par M. Fauchon - que l'automobiliste qui, à la suite d'une inattention d'une demi-seconde, ne voit pas un feu rouge et écrase un piéton puisse être exonéré de sa responsabilité pénale ? Pour ma part, je ne l'accepte pas, mais, surtout, la société ne l'accepterait pas.
Je ne multiplierai pas les exemples.
Un amendement similaire de M. Dreyfus-Schmidt avait donné lieu à une discussion identique en juin dernier au Sénat, lors de l'examen du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. Ma conclusion avait été identique : je demande le rejet de l'amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 15.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Je suivrai la position de la commission.
J'ai eu l'occasion très récemment, en ma qualité de président d'une association départementale d'élus - celle des maires de l'Oise - d'organiser, conjointement avec un cabinet d'avocats spécialisé dans le droit pénal, des réunions d'information et de sensibilisation au droit à destination de tous les élus du département.
J'ai ainsi rencontré plus de la moitié des 693 maires de mon département.
Au cours de ces réunions, nous avons évoqué toutes les difficultés auxquelles sont confrontés les maires au regard de la responsabilité pénale. Parmi les solutions qui ont été avancées figurait cette notion de faute lourde. Je comprends tout à fait l'objectif poursuivi par notre collègue M. Dreyfus-Schmidt. Je le rejoins s'agissant de cet objectif. Cependant, ce qu'il propose ne me paraît pas et n'est pas apparu, après ces discussions entre les maires, la meilleure des solutions.
Sans aucun doute, la rédaction qui nous est proposée sur l'initiative de M. Fauchon, approuvée par la commission des lois et, si j'ai bien compris, par le Gouvernement, me semble la moins mauvaise des solutions et celle qui répondrait le mieux à l'attente des élus.
En effet, chacun en est bien conscient ici, l'initiative de M. Fauchon ne résoudra qu'une partie des difficultés auxquelles sont confrontés les maires dans le cadre de la responsabilité pénale et il faudra bien, à un moment ou à un autre, prendre d'autres initiatives.
En ce qui concerne la notion de faute lourde, même si Mme le ministre a bien voulu rappeler la jurisprudence en la matière, la grande question que se posent les maires et les professionnels que sont les avocats est la suivante : où le magistrat, qui apprécie en son âme et conscience,...
M. Michel Charasse. Hum, hum !
M. Alain Vasselle. ... va-t-il placer le curseur s'agissant de la lourdeur de la faute ? Ce n'est pas forcément à la jurisprudence qu'il se référera pour la condamnation. Comme l'a rappelé tout à l'heure très justement M. le rapporteur, le magistrat apprécie la nature de la faute et les conséquences de celle-ci, et c'est à partir de cela qu'il se prononce.
M. Michel Charasse. A la tête du client !
M. Alain Vasselle. « A la tête du client » ?... C'est peut-être le sentiment que cela donne. La notion de faute lourde peut justement aboutir à renforcer un peu plus chez les maires le sentiment qu'ils sont jugés à la tête du client.
C'est la raison pour laquelle il nous a semblé, dans le cadre des échanges que nous avons eus, que ce n'était pas la meilleure des solutions sur ce point et qu'il existait d'autres pistes à explorer.
M. Gérard Delfau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Madame la ministre, j'ai écouté avec beaucoup d'attention votre argumentation pour nous inciter à refuser l'amendement de notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt.
A mes yeux, cet amendement avait un intérêt : il correspondait à l'état d'esprit des élus locaux et il exprimait les questions que nous abordons en un langage compréhensible par tous. Il faut que je m'y prépare si je veux dire d'une seule traite : « délit non intentionnel, causalité directe ou causalité indirecte ».
Depuis le début du débat, je me demande comment je vais pouvoir expliquer aux élus locaux et à nos concitoyens le contenu de la présente discussion, pourtant très importante. Donc, pour moi, la notion de faute lourde, ou grave, avait cet intérêt majeur.
Mais vous m'avez convaincu. En effet, s'il est vrai que cette notion s'appliquerait indistinctement - c'est la position de principe que nous avons prise et je ne peux donc pas la remettre en question - à l'ensemble du code pénal et aurait les conséquences que vous avez évoquées en matière d'accidents du travail ou d'accidents de la circulation, je ne peux évidemment prendre cette responsabilité, qui serait contraire à ma conviction profonde. Cependant, cela me confirme - vous n'en êtes pas responsable, ni vous, ni quiconque sur ces travées - dans l'idée qu'il est extrêmement difficile de faire évoluer une situation en soi inacceptable, d'autant qu'il y a le précédent de la loi du 13 mai 1996 et l'application qui en a été faite par la jurisprudence. Par ailleurs, comme vous l'avez rappelé à l'instant, il ne suffit pas d'agir sur les textes, en l'occurrence sur le code pénal, pour obtenir tous les résultats que nous recherchons.
Tel est le cheminement qui m'a conduit à prendre cette position. Elle ne me satisfait pas ; elle me paraît simplement un peu moins mauvaise que l'autre, qui m'aurait amené à accompagner jusqu'au bout - s'il va jusqu'au bout - mon collègue Michel Dreyfus-Schmidt.
M. José Balarello. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. Je comprends la position de Mme le garde des sceaux. Il suffirait de sortir du domaine que nous entendons viser les accidents de la circulation et les accidents du travail. C'est une suggestion qu'il conviendra de retenir en seconde lecture.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non ! Je vais rectifier tout de suite mon amendement.
Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Dreyfus-Schmidt. Je tiens tout d'abord à préciser à Mme le garde des sceaux que je n'ai jamais déposé un amendement relatif à la faute lourde ou grave. J'avais simplement proposé de supprimer toutes les exceptions. Je m'en suis expliqué ce matin en disant que les esprits n'étaient pas mûrs mais qu'on y arriverait peut-être un jour.
On juge, nous dit-on, les conséquences. Or nous sommes nombreux à demander que l'on juge non pas les conséquences mais la conduite et, en particulier, que l'on détermine s'il y a faute légère ou non. Le code pénal fait des différences : les fautes légères constituent le plus souvent des contraventions, les fautes plus graves des délits et les fautes encore plus graves des crimes. L'idée étant de punir ceux qui commettent des infractions, ceux qui commettent des infractions graves sont punis plus sévèrement. Il est tout de même assez injuste de punir selon les conséquences.
Le non-respect d'un feu rouge constitue toujours, selon moi, une faute grave, sauf s'il était prouvé que le soleil a ébloui le conducteur.
Pourquoi, dès lors, n'y aurait-il pas une réparation purement civile ? Cela ne me gênerait pas.
Mais, pour tenir compte des remarques qui ont été formulées et avant même d'avoir entendu notre collègue José Balarello, j'avais songé à rectifier mon amendement afin de préciser qu'il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, « en cas de faute autre que légère, sauf en matière de circulation et de législation du travail, d'imprudence, de négligence ou de sécurité... »
Je persiste à penser que l'on ne peut pas se contenter de la distinction entre la cause directe et la cause indirecte. Lorsqu'il y a une cause directe, ce qui nous irrite tous les jours, c'est de voir des personnes poursuivies et condamnées pour des fautes très légères. Au contraire, des personnes ayant commis des fautes indirectes ne seraient pas condamnées car on n'arriverait pas à rapporter la preuve qu'il s'agissait d'une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence, dont on ne sait toujours pas si elle doit être inscrite dans la loi et le règlement ou si, au contraire, elle doit être appréciée par le juge.
Monsieur le président, je vous remercie d'avoir pris note de la nouvelle rédaction que je propose pour mon amendement.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 15 rectifié, présenté par M. Dreyfus-Schmidt, et tendant à insérer, dans la première phrase du texte proposé par l'article 1er pour le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, après les mots : « en cas », les mots : « de faute autre que légère, sauf en matière de circulation et de législation du travail, ».
Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. On ne peut pas travailler comme cela ! Le droit pénal est un droit général. On ne peut pas créer des formes de délits par catégorie. On risque d'en oublier !
Je suis surpris par la proposition de notre collègue M. Dreyfus-Schmidt. Bien que je n'aie pas consulté la commission des lois, je n'imagine pas un instant qu'elle puisse y être favorable. J'émets donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Défavorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 15 rectifié.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. On dira sans doute que je prends la discussion en cours de route, mais je ne comprends rien à toutes ces subtilités ! Je trouve qu'on entre dans des détails qui ne pourront que troubler ultérieurement ceux qui se référeront - si on s'y réfère encore ! - aux travaux préparatoires de la loi pour comprendre quelque chose à notre discussion.
Si j'ai bien compris, dans le texte de la commission des lois, la cause indirecte n'est une faute lourde que si elle est manifestement délibérée. C'est bien ce qui est écrit ? Or, les dispositions qui précèdent, et que M. Michel Dreyfus-Schmidt voudrait modifier, sont celles qui parlent d'imprudence, de négligence et de manquement à une obligation de sécurité.
Mes chers collègues, d'habitude, cela, c'est délibéré ! (Exclamations sur diverses travées) Je parle en tant qu'élu local. Quand on manque à une obligation de sécurité, la plupart du temps on le sait parfaitement ! On peut avoir des raisons pour manquer à une obligation de sécurité : parce que l'on n'a pas le temps,...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Non !
M. Michel Charasse. Que racontez-vous ? Quand vous êtes maire, vous êtes pris par l'urgence, vous avez mille autres choses à faire, vous dites : je ferai cela demain car je n'ai pas le temps de m'en occuper aujourd'hui. Donc, généralement, on le sait !
Par conséquent, moi, je pense que la première partie de l'article de la commission des lois ne peut viser que la faute lourde, la deuxième partie visant la faute lourde en cas de cause indirecte.
En considérant nous-mêmes qu'il y a une distinction entre la première partie et la deuxième partie du dispositif qui nous est soumis, nous donnons aux juges des arguments pour prononcer des condamnations sévères, alors que ce n'est pas forcément notre objectif.
Cela étant, vous savez très bien que nous pouvons adopter tout ce que nous voulons ici ! Il n'est que de voir ce que la loi Delevoye est devenue dans les tribunaux. On sait très bien que les juges n'en feront pas plus si le texte que nous adoptons ne leur plaît pas, et nous savons qu'il ne leur plaira pas puisqu'ils ont décidé qu'il fallait condamner tous les responsables dans ce pays... à l'exception d'eux-mêmes, qui sont responsables, mais jamais condamnables !
Je voulais faire cette observation pour souligner que la faute lourde s'applique dans les deux cas, étant entendu qu'il n'y a pas de faute lourde pour les magistrats ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. M. Charasse a l'art de mêler le pittoresque et le sérieux avec tellement d'habileté que l'on ne sait pas très bien sur quel registre lui répondre !
Je vais lui répondre sur le registre du sérieux.
Il a une grande agilité d'esprit, mais cela n'aurait pas été du temps perdu si, au lieu de prendre le débat en cours, il était venu ce matin.
Je rappelle la démarche. Actuellement, la moindre des fautes constitue l'imprudence, qui entraîne le caractère délictuel. Je vous ai exposé ma logique au moment où je préparais cette proposition de loi.
D'ailleurs, j'avais dit dans le débat ouvert par notre collègue M. Haenel que nous devrions renoncer à cette notion et passer à la faute lourde.
Très rapidement, j'ai compris qu'il existait des domaines où devait subsister la moindre des fautes, notamment en matière de circulation automobile. Sinon, où va-t-on ?
J'ai pris conscience que je risquais d'instaurer un système désastreux. On m'a alors soufflé ce dispositif, que je n'ai donc pas inventé tout seul, qui consiste à distinguer les hypothèses de causalité directe, quand l'accident est la conséquence nécessaire de la faute commise, et la causalité indirecte. Certes, on peut multiplier les cas particuliers à l'infini, mais la plupart du temps, en matière d'accidents de la circulation, la causalité est directe. En revanche, s'agissant de la responsabilité des élus et des responsables d'association, ce ne sont pas les élus eux-mêmes ou les responsables qui agissent : la causalité est indirecte.
Il m'a semblé que nous accomplirions un grand progrès en retenant cette distinction. Certains ont dit : ce ne sera pas le dernier progrès. Il est certain qu'il y en aura d'autres à faire, je suis le premier à en être conscient. Je crois que, dans cette affaire, on n'avance bien que pas à pas, sinon on n'avancerait pas du tout.
Il faut donc retenir cette distinction entre causalité directe et causalité indirecte. Il s'agit d'admettre que, en cas de causalité directe, on reste au statu quo , c'est-à-dire que la moindre faute engage la responsabilité, et que, au contraire, en cas de causalité indirecte, celle dans laquelle l'accident aurait très bien pu ne pas se produire, aurait pu ne pas arriver - on pourrait citer quantité d'exemples, mais ce serait trop compliqué - on exige une faute caractérisée. La notion de causalité directe n'est d'ailleurs pas complètement absente de notre droit, puisque l'expression « causalité directe » est employée en droit civil, en matière de droit des contrats, comme vous pourrez le constater en vous référant à la jurisprudence qui suit ces dispositions du droit civil.
Je crois donc que l'on résume bien la situation en disant qu'il y a causalité directe lorsque le dommage est la conséquence nécessaire de la faute, lorsque la faute provoque automatiquement ce dommage, même si ce n'est pas forcément immédiat : dès lors que vous avez commis cet excès de vitesse, que vous avez fait ceci ou cela, le dommage se produit nécessairement ! Il faut alors, à mon avis, prendre véritablement en compte la moindre faute. Au contraire, lorsque la causalité est indirecte, lorsqu'un acte, parfois très antérieur au dommage, a contribué à rendre ce dernier possible sans le provoquer directement et que, dans beaucoup de cas, le dommage aurait pu ne pas du tout se produire, il faut alors prendre en compte une faute caractérisée.
C'est dans ce cas-là que la commission s'est interrogée sur le point de savoir si cette faute caractérisée devait être appelée « faute lourde » - c'était la proposition de M. Massot, mais cela nous a paru trop vague - ou s'il fallait lui donner une définition plus précise de manière à resserrer davantage les conditions d'appréciation de cette faute caractérisée. Et nous avons préféré la définition plus précise pour des raisons sur lesquelles je me suis déjà expliqué.
Voilà comment les choses se présentent et pourquoi il me paraît important de nous en tenir à cette distinction que tout le monde a bien voulu admettre, parce qu'elle nous permet d'aborder le problème d'une manière plus méthodique, de mieux distinguer les hypothèses de responsabilité et de garder, en cas de causalité directe, la notion de faute pénale pour la moindre faute, ce qui est une sécurité absolument nécessaire, notamment en matière d'affaires routières, mais aussi pour d'autres domaines. Nous souhaitons, au contraire, dans le domaine de la causalité indirecte, avoir cette exigence d'une faute caractérisée.
Pour les raisons qui ont été indiquées par les uns et les autres, je supplie le Sénat de ne pas prendre la responsabilité d'exiger une faute lourde pour que soit engagée, par exemple, la responsabilité des automobilistes ou d'un certain nombre de personnes dans des situations comparables, sauf à donner l'impression d'avoir perdu le sens de nos responsabilités.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai modifié mon amendement ! Cela a dû vous échapper !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 15 rectifié.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Pour être intellectuellement très satisfaisant, ce dispositif n'en reste pas moins soumis à l'appréciation des magistrats. Les magistrats, en définitive, vont-ils se contenter d'interpréter la lettre du texte que nous aurons adopté...
M. Michel Charasse. Comme pour la loi Delevoye !
M. Alain Vasselle. ... ou accepteront-ils de se référer aux débats du Parlement sur l'interprétation que nous en souhaitons ?
M. Michel Charasse. Ils s'en fichent !
M. Alain Vasselle. Tels sont donc les termes dans lesquels se posera le problème. Si, après la démarche que nous avons effectuée, nous aboutissons au même résultat qu'avec la loi de 1996, on aura vraiment le sentiment que le Parlement aura perdu son temps et que, en définitive, les magistrats n'en font qu'à leur tête.
M. Michel Charasse. C'est vrai !
M. Alain Vasselle. Je vous prie de m'excuser d'être un peu provocateur en tenant de tels propos, mais il arrive un moment où les élus locaux, sur le terrain, se posent ces questions.
M. Raymond Courrière. Ils ont raison !
M. Alain Vasselle. Dire aujourd'hui cela n'est pas un retour en arrière par rapport aux propos que j'ai tenus tout à l'heure, après les explications de M. le rapporteur. Je le dis comme le dirait ici, spontanément, l'élu local qui assisterait au débat que nous avons aujourd'hui.
M. Raymond Courrière. A quoi servons-nous ?
M. Michel Charasse. Il n'y a qu'un moyen de mettre les magistrats au pas : installer la Cour de cassation à Saint-Pierre-et-Miquelon ! Ils auront du bon air ! (Sourires.)
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande un vote par scrutin public sur cet amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 15 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 34:

Nombre de votants 231
Nombre de suffrages exprimés 230
Majorité absolue des suffrages 116
Pour l'adoption 1
Contre 229

M. Michel Dreyfus-Schmidt. S'il n'en reste qu'un... (Sourires.)
M. le président. ... vous serez celui-là, monsieur Dreyfus-Schmidt ! (Nouveaux sourires.)
Personne ne demande la parole ?...
Je mets au voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2



M. le président.
« Art. 2. - L'article 221-6 du même code est ainsi modifié :
« I. - Au début du premier alinéa, les mots : "Le fait de causer" sont remplacés par les mots : "Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3".
« II. - Dans le même alinéa, les mots : "ou les règlements" sont remplacés par les mots : "ou le règlement".
« III. - Au début du second alinéa, les mots : "En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements" sont remplacés par les mots : "En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement". »
Par amendement n° 16 rectifié, M. Dreyfus-Schmidt propose de rédiger ainsi le I du texte présenté par cet article pour modifier l'article 221-6 du code pénal :
« I. - Au début du premier alinéa, les mots : "Le fait de causer par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements" sont remplacés par les mots : "Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 16 rectifié est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2.

(L'article 2 est adopté.)

Article 3



M. le président.
« Art. 3. - L'article 222-19 du même code est ainsi modifié :
« I. - Au début du premier alinéa, les mots : "Le fait de causer à autrui" sont remplacés par les mots : "Le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3".
« II. - Dans le même alinéa, les mots : "ou les règlements" sont remplacés par les mots : "ou le règlement".
« III. - Au début du second alinéa, les mots : "En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements" sont remplacés par les mots : "En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement". »
Par amendement n° 17 rectifié, M. Dreyfus-Schmidt propose de rédiger ainsi le I du texte présenté par cet article pour modifier l'article 222-19 du code pénal :
« I. - Au début du premier alinéa, les mots : "Le fait de causer à autrui par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements" sont remplacés par les mots : "Le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je retire également cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 17 rectifié est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 est adopté.)

Articles additionnels après l'article 3



M. le président.
Je suis saisi de deux amendements, déposés par M. Dreyfus-Schmidt et tendant à insérer des articles additionnels après l'article 3.
L'amendement n° 18 vise à insérer, après l'article 3, un article additionnel ainsi rédigé :
« Au début de l'article L. 232-2 du code rural, après les mots : "Quiconque a", sont insérés les mots : ", dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3 du code pénal," ».
L'amendement n° 19 tend à insérer, après l'article 3, un article additionnel ainsi rédigé :
« Au début du deuxième alinéa de l'article 331 du code rural, après les mots : "Quiconque aura involontairement", sont insérés les mots : ", dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3 du code pénal," ».
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre ces deux amendements.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les amendements n°s 18 et 19 visent respectivement l'article L. 232-2 et l'article L. 331 du code rural, qui traitent des pollutions involontaires.
Il nous a paru nécessaire, comme je l'ai dit dans la discussion générale, de préciser dans le code rural que le nouvel article 121-3 du code pénal, qui concerne la cause directe ou indirecte, doit s'appliquer en matière d'environnement de manière qu'il soit clair, à la lecture du seul code rural, qu'un article général du code pénal prévoit qu'on ne poursuit pas bêtement quelqu'un qui n'aurait pas eu les moyens de faire ce qu'il a fait ou qui n'aurait pas eu, en matière de responsabilité indirecte, l'intention délibérée de violer une quelconque obligation de prudence et de sécurité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission émet un avis favorable. Il s'agit de considérer que des atteintes à l'environnement qui sont des délits d'imprudence et de négligence vont bénéficier de la disposition que nous sommes en train de voter.
Je dois dire que j'y ai pensé dès le début de ma démarche. Je me suis posé la question de savoir comment l'on pourrait toucher aussi ce vaste domaine des atteintes à l'environnement, dont on n'a pas beaucoup parlé, mais au titre duquel on condamne à tour de bras.
C'est la raison pour laquelle - je ne l'avais pas prévu au moment de l'élaboration de ma proposition de loi, mais cela m'est apparu ensuite au cours des travaux de la commission des lois - j'ai ramené ma proposition, qui s'insérait à l'origine dans les articles 221-6 et 229-19 du code pénal, qui ne traitent que des blessures et des homicides par imprudence, à l'article 121-3 du même code, qui est le frontispice général sur lequel on pose le principe de la délinquance par imprudence ou négligence à l'égard de tous les cas de figure possibles et imaginables « lorsque la loi le prévoit ». Or, la loi le prévoit pour les homicides ou les blessures par imprudence, mais aussi dans les hypothèses d'atteinte à l'environnement.
C'est la raison pour laquelle j'ai ramené mon texte en dénominateur commun, de manière que puissent être invoquées dans un bon nombre de cas les hypothèses d'atteinte à l'environnement, qui sont des hypothèses de délit non intentionnel.
M. Dreyfus-Schmidt, s'inscrivant tout à fait dans cet esprit, propose de le dire de manière encore plus expresse dans les deux hypothèses que sont la pollution des eaux et les épizooties. La commission est tout à fait d'accord elle émet donc un avis favorable sur les amendements n°s 18 et 19.
M. Michel Charasse. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 18 et 19 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. S'agissant de l'amendement n° 18, les précisions apportées à l'article L. 232-2 du code rural, qui réprime les pollutions de cours d'eau, sont identiques à celles qui ont été apportées aux dispositions relatives aux délits d'homicide et de blessures involontaires.
Je m'en remets par conséquent à la sagesse du Sénat.
J'adopterai la même position à propos de l'amendement n° 19. J'observe toutefois que l'infraction visée par cet amendement, à savoir la propagation involontaire d'une épizootie, est, à la différence de la précédente, beaucoup moins fréquemment invoquée et que le rappel d'un principe général du droit pénal est donc moins opportun.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 18, accepté par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 3.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 19, accepté par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 3.

Articles 4 et 5



M. le président.
« Art. 4. - Au début de l'article 222-20 du même code, les mots : "Le fait de causer à autrui, par un manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements" sont remplacés par les mots : "Le fait de causer à autrui, par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement". » - (Adopté.)
« Art. 5. - L'article 322-5 du même code est ainsi modifié :
« I. - Dans le premier alinéa, les mots : "ou les règlements" sont remplacés par les mots : "ou le règlement".
« II. - Au début du second alinéa, les mots : "En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements" sont remplacés par les mots : "En cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement". » - (Adopté.)

Article 6



M. le président.
« Art. 6. - Les deux derniers alinéas de l'article 121-2 du même code sont ainsi rédigés :
« Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public sauf s'il s'agit d'une infraction constituée par un manquement non délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.
« La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits sous réserve des dispositions du troisième alinéa de l'article 121-3. »
Par amendement n° 23, le Gouvernement propose de remplacer les deux premiers alinéas de cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le dernier alinéa de l'article 121-2 du code pénal est ainsi rédigé : ».
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le présent amendement réécrit le début de l'article 6 de la proposition de loi, qui modifie l'article 121-2 du code pénal relatif à la responsabilité pénale des personnes morales, afin que ne soit plus modifié que le dernier alinéa de cet article, par coordination avec la modification de l'article 121-3 du code pénal limitant la responsabilité des personnes physiques pour les délits non intentionnels.
Il supprime ainsi la modification du deuxième alinéa de l'article 121-2, qui a pour objet d'étendre la responsabilité pénale des collectivités territoriales aux infractions constituées par des manquements non délibérés à des obligations de sécurité ou de prudence, même si ces infractions ont été commises dans le cadre d'activités non susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public.
Comme je l'ai indiqué dans la discussion générale, le Gouvernement est opposé à cette extension. En effet, cette modification permettrait de placer sous le contrôle des juridicitions répressives les prérogatives de puissance publique des collectivités territoriales et porterait atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.
M. Michel Charasse. Ce n'est pas leur problème !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En outre, cette extension augmenterait le risque de pénalisation de la vie publique sans pour autant garantir une diminution des poursuites engagées ou des condamnations prononcées contre les élus, puisque, de toute façon, la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques.
Ce qui est important, dans la proposition de loi de M. Fauchon, c'est la réduction de la responsabilité pénale des personnes physiques pour les délits non intentionnels. Pour aboutir à ce résultat, il n'est nul besoin d'étendre la responsabilité pénale des collectivités territoriales, d'autant que leur responsabilité ne sera pas réduite par le nouvel article 121-3, ce qui incitera donc les juges à poursuivre les personnes morales plutôt que les personnes physiques.
Pour ces différentes raisons, je vous demande avec conviction de bien vouloir adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous abordons là une question intéressante et d'une très grande portée, à la fois théorique et pratique.
Nous avons posé le principe, voilà déjà un certain nombre d'années, de la responsabilité pénale des personnes morales. Cela a surpris : on nous a répondu, de manière peut-être trop immédiate, que, les personnes morales ne pouvant pas aller en prison, on ne pouvait donc prévoir leur responsabilité pénale. C'est toutefois une idée un peu courte : les personnes morales peuvent être frappées de blâmes ou de sanctions !
J'ajoute que, contrairement à ce qu'on a cru, ce n'est pas une idée nouvelle. Et, puisque nous parlons sous l'égide de Colbert, vous me permettrez peut-être de sortir de ma poche ce code de 1670. (M. le rapporteur montre un volume in-16.)
M. Michel Charasse. Oh là là !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cela va vous plaire, monsieur Charasse !
M. Michel Charasse. Beaucoup !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il s'agit de l' Ordonnance de Louis XIV, roi de France et de Navarre, en matière criminelle, dans son édition de 1670. Vous constaterez qu'il s'agit d'une édition de poche, qui, je vous le fais observer, est d'époque ! Son titre XXI traite « de la manière de faire les procès aux communautés, villes, bourgs, village, corps et compagnies qui auront commis quelque rebellion, violence ou autre crime ». Suivent un certain nombre de dispositions, dont celle que nous proposons nous-mêmes, la désignation d'un syndic spécial : aux termes de l'article 4 « les condamnations ne pourront être que des réparations civiles, dommages et intérêts envers la partie, amendes envers nous, privation de leurs privilèges... » et quelques autres punitions qui marquent publiquement la peine qu'elles auront encourue par leurs crimes.
Il s'agit donc, en réalité, d'une idée ancienne, qui est enracinée dans nos institutions, d'une idée que je crois parfaitement justifiée, d'une idée que je crois, je le dirai tout à l'heure, tout à fait utile.
Quel est l'état du droit actuel ? A partir du moment où l'on a admis la responsabilité pénale des collectivités territoriales en tant que personnes morales, il faut pratiquer une distinction entre deux hypothèses : soit elles exercent des compétences qui peuvent être déléguées - elles peuvent demander à une entreprise de refaire une chaussée, de construire un tennis ou de ramasser les ordures ménagères - et il n'y a alors aucune difficulté, la personne morale peut être condamnée pénalement si des faits d'imprudence ou de négligence ont été commis ; soit, au contraire, il s'agit de compétences qui ne peuvent être déléguées, comme le pouvoir de police, par exemple, et l'on ne peut alors envisager la responsabilité pénale de la personne morale, parce que ce serait, en quelque sorte, porter atteinte à une sorte de domaine sacré.
Vous avez parlé tout à l'heure, madame la ministre, de prérogatives d'Etat. Je constate que l'on se réfugie dans des formules qui sont extrêmement vénérables mais dont on ne connaît pas très bien au juste le fondement par rapport à la conscience juridique actuelle. Si l'on se réfère à la conscience juridique d'il y a cent ans, on voit bien de quoi il s'agit, mais, par rapport à la conscience actuelle, ce n'est pas clair. Il n'y a rien de vénérable ou de respectable dès lors qu'un délit est commis ! Si une personne morale a commis un délit, toute imprégnée qu'elle soit des prérogatives de la puissance publique, elle doit en répondre pénalement !
Mais on peut aller plus loin. A cet égard, j'ai été ravi d'entendre M. Mauroy ce matin : c'était un honneur et un bonheur pour nous tous. Il a évoqué, en élevant la réflexion, la question abordée par la commission Massot, en se demandant s'il ne conviendrait pas de s'interroger sur l'éventualité d'une responsabilité pénale de l'Etat.
M. Michel Charasse. Quelle horreur !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Avec le doigté que nous reconnaissons à notre excellent et éminent collègue, M. Mauroy a considéré qu'il s'agissait d'une vraie question mais qu'il était peut-être un peu prématuré de la poser,...
M. Michel Charasse. Et la responsabilité pénale du service public de la justice ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... que les esprits pouvaient évoluer et que l'on finirait peut-être par comprendre.
Je constate cependant que la commission Massot, que l'on aime à citer si souvent dans cette enceinte, n'a pas attendu, pour sa part, des années pour dire qu'il faut reconnaître cette responsabilité.
M. Jacques Larché, président de la commission. Mais pas M. Massot !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Qu'est M. Massot sans la commission Massot, je vous le demande ? (Sourires.) C'est un très respectable membre du Conseil d'Etat, mais ce n'est rien d'autre qu'un particulier, un juriste comme un autre !
M. Jacques Larché, président de la commission. Allons, monsieur Fauchon ! (Nouveaux sourires.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Permettez-moi cependant d'insister, parce qu'il y a là quelque chose qui est tout de même amusant et qui va faire l'objet d'une petite récréation momentanée dans notre débat, peut-être un peu austère par ailleurs.
La commission Massot a formellement considéré que, au regard de la conscience moderne, en présence d'une faute diffuse qui implique une responsabilité pénale de l'Etat, même si l'on ne peut atteindre physiquement celui qui l'a commise, il n'y a pas de raison de ne pas condamner cette faute.
M. Michel Charasse. Et, au nom de la « conscience moderne », on peut supprimer la République !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Monsieur Charasse, si vous voulez me torpiller, prenez ma place, ce sera la meilleure solution !
M. Michel Charasse. La « conscience moderne », en 1940, elle était pour Pétain !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cela existe, la conscience moderne ! Vous en êtes un exemple éloquent... et un peu turbulent.
Permettez-moi de retrouver le fil de ma pensée.
M. le président. Monsieur Charasse, vous troublez M. le rapporteur !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Pour ce qui me concerne, comme ma conscience est peut-être un peu ancienne, j'ai effectivement du mal à imaginer la responsabilité pénale de l'Etat ; mais, comme M. Mauroy, je crois qu'il faut y penser et faire avancer cette idée.
Que M. Massot, à titre personnel, comme l'a excellemment dit M. le président de la commission des lois - également à titre personnel, d'ailleurs -...
M. Jacques Larché, président de la commission. C'est par solidarité avec M. Massot !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La solidarité est très sympathique, mais que vaut-elle sur le plan juridique ?
Que M. Massot nous ait dit qu'il était en désaccord avec les conclusions de la majorité de sa commission, soit ! Mais permettez-moi alors de poser une question au Gouvernement : quid d'un organisme au sein duquel, en cas de désaccord entre le président et la majorité, c'est au président qu'il faut donner raison ? Si nous posions ce principe, comme vous paraissez le souhaiter, on pourrait en tirer des conclusions non seulement sur le sujet dont nous débattons, mais également dans quantité d'autres domaines ! Cela ne dérangerait peut-être pas personnellement Mme le garde des sceaux, pour des raisons que nous imaginons bien, mais cela pourrait ne pas plaire à un certain nombre de ses collègues ! Jusqu'à nouvel ordre, je considère donc que l'avis des présidents est très respectable mais que celui de la majorité, quelquefois, est tout de même plus important encore.
Mais je reviens à mon propos en disant que la commission Massot n'a pas considéré qu'il était absurde de poser le principe de la responsabilité de l'Etat.
Redescendons cependant au niveau inférieur, celui des collectivités territoriales.
En vérité, je crois que la distinction entre les compétences selon qu'elles peuvent être déléguées ou non relève du pur raffinement juridique, parce que les prérogatives publiques sont en cause dans les deux hypothèses. La distinction est donc artificielle, et nous pouvons parfaitement la surmonter.
C'est ce que nous faisons dans le texte que nous vous proposons. Ainsi, la responsabilité pénale des collectivités territoriales pourra toujours être mise en cause, mais, dans l'hypothèse de compétences qui ne peuvent être déléguées, il ne sera possible, selon la suggestion de la commission Massot, de mettre en cause la responsabilité pénale de la personne morale que si l'on ne voit pas apparaître le manquement ou la violation manifestement délibérée d'une obligation par son représentant. En effet, si le maire ou le représentant de la collectivité a commis une faute lourde, il n'y a pas lieu de mettre en cause la responsabilité de la personne morale.
Pour autant, c'est une vraie question que de savoir si l'on doit ou non mettre en cause cette responsabilité. Personnellement, je crois que c'est tout à fait souhaitable, pour des raisons pratiques. Sans revenir sur un certain nombre de cas concrets connus de tous, je rappelle simplement que, dans certaines circonstances, même s'il y a responsabilité, on ne peut, en réalité, la situer sur la tête de tel ou tel élu : si un poteau de basket tombe, c'est peut-être parce que, voilà quinze ou vingt ans, on a choisi le devis le moins coûteux et que le poteau a été fabriqué avec du bois de mauvaise qualité, ou bien parce qu'il n'a pas été repeint régulièrement ! Mais il n'y a pas de raison que le maire en fonctions le jour où le poteau de basket tombe paie pour tout le monde ! En revanche, la collectivité locale, elle, d'une manière diffuse, a une certaine responsabilité pénale, c'est vrai.
Prenons l'exemple des manifestations qui ont lieu à Nîmes - vous connaissez ces choses mieux que moi, madame le garde des sceaux - à l'occasion de lâchers de taureaux : un maire a été mis en examen, finalement relaxé, parce qu'un accident s'était produit à l'occasion d'une telle fête. Il a objecté qu'il ne pouvait s'opposer à cette tradition populaire ancestrale ! La responsabilité, dans ce cas, ne peut être déléguée - il s'agit de l'autorité de police -, mais on peut s'interroger sur la responsabilité pénale de la personne morale qui accepte que soient pratiquées ces fêtes traditionnelles depuis longtemps, malgré les risques encourus par le public. Toutefois, le maire en fonctions le jour d'un éventuel accident doit-il porter le chapeau pour tout le monde ?
Notre démarche générale, sur laquelle M. Vasselle a si bien insisté, vise à éviter l'injustice qui consiste à désigner absolument un bouc émissaire : condamner un innocent serait affreux. En revanche, on peut considérer qu'il y a globalement, de manière diffuse, une responsabilité de la personne morale, et envisager, par exemple, un blâme qui paraîtrait dans la presse : les victimes sauraient que quelqu'un a été condamné, que l'on n'a pas considéré que l'affaire était sans importance.
La responsabilité pénale de la personne morale, que les compétences puissent être déléguées ou non, a donc sa raison d'être.
Contrairement à ce qu'a dit tout à l'heure Mme le garde des sceaux, il me semble souhaitable de reconnaître la responsabilité globale de la commune plutôt que de chercher absolument à clouer au pilori un homme. Ce sera tout de même, me semble-t-il beaucoup moins grave, et une condamnation pourra quand même être prononcée. Cette solution me semble assez raisonnable.
Pour toutes ces raisons, la commission, bien qu'elle n'ait pas pu examiner cet amendement, puisqu'il vient d'être déposé, a montré, dans toutes ses délibérations, qu'elle ne pouvait pas approuver le dispositif qui est proposé car il est contraire à la position qu'elle a adoptée.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 23.
M. Pierre Mauroy. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Il n'est pas dans mes habitudes de m'exprimer d'une certaine façon dans la discussion générale et d'agir d'une autre lors de l'examen des articles.
J'ai, en revanche, l'habitude de suivre le Gouvernement, en particulier Mme le garde des sceaux. Mais j'avoue ne pas être très sensible à la distinction subtile qui est faite entre l'exercice d'une délégation de service public et celui d'autres activités. Je préférerais, comme je l'ai indiqué ce matin, un engagement systématique de la responsabilité des collectivités locales.
Je suis donc amené à me rallier à la position de M. le rapporteur.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Il s'agit d'un débat très important et j'ai dit tout ce que j'avais à dire à la fois dans mon discours introductif et en présentant tout à l'heure cet amendement.
Je voudrais juste mettre l'accent sur un ou deux points.
D'abord, je pense que la distinction plus précise qui sera faite, au titre de la faute non intentionnelle, entre les fautes qui ont un lien direct avec le dommage et celles qui n'en n'ont pas - donc la partie de votre proposition que le Gouvernement accepte, monsieur le rapporteur - aboutira à ce que la responsabilité pénale des personnes morales soit davantage engagée. Donc, par cette seule disposition, nous aurons l'effet que vous recherchez.
J'ajoute que, comme il n'est pas question, ni dans les propositions de M. Massot ni dans les vôtres, de substituer la responsabilité de la personne morale à celle de la personne physique, de toute façon, l'introduction de cette disposition ne constituera pas une garantie supplémentaire.
Enfin, j'ai parlé de prérogatives de puissance publique. C'est une notion bien connue. Seules les personnes morales de droit public peuvent prendre des règlements valables erga omnes qui s'imposent aux termes d'un acte unilatéral.
J'observe, d'ailleurs, que le Conseil constitutionnel a constitutionnalisé la compétence du juge administratif pour juger de ces compétences unilatérales. Et ce n'est pas pour rien ! C'est parce que, sur ce type de décision, qui participe des prérogatives de puissance publique, il ne faut pas laisser au juge pénal le soin de juger de l'opportunité de telle ou telle décision. Si nous allions dans cette voie...
M. Michel Charasse. Il n'y aurait plus de séparation des pouvoirs !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... nous participerions nous-mêmes à une pénalisation de la vie publique que nous voulons précisément diminuer avec le texte que nous examinons aujourd'hui. D'où ma mise en garde.
Les assemblées ont voté, ces dernières années, avec les meilleures intentions du monde, de nombreuses lois qui ont abouti à la pénalisation, aujourd'hui jugée insupportable, de notre vie publique. Et c'est après coup que l'on s'est rendu compte des conséquences !
J'attire donc vraiment l'attention de la Haute Assemblée sur cette disposition, qui, sur le plan des principes, présente l'inconvénient majeur que je viens de dire et qui, sur le plan pratique, n'aura pas les répercussions qu'on souhaite lui voir comporter, alors même que l'autre disposition de la proposition de M. le rapporteur incitera davantage encore les juges à choisir la responsabilité pénale de la personne morale au lieu de la responsabilité de la personne physique, lorsque, naturellement, ce sera justifié.
M. Gérard Delfau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. C'est vrai, nous sommes, sur ce sujet, partagés.
Si nous nous référons à notre expérience et à l'exigence de nos collègues, à laquelle nous nous associons, d'ailleurs, nous souhaitons faire disparaître cette distinction qui, dans la vie concrète de tous les jours, est incompréhensible, inexplicable.
Mais si nous nous plaçons sur le plan des principes, celui qui nous intéresse tout particulièrement dans cette assemblée - qui du juge, qui du législateur, qui de la puissance publique doit avoir le pas dans la République ? - alors, madame la ministre, votre raisonnement nous trouble, ou, en tout cas, me trouble.
Quand vous dites que, partant d'une bonne intention, nous pourrions accentuer une évolution qu'unaninement nous regrettons, il est vrai que l'argument porte.
Pour ce qui me concerne, n'engageant pas, dans cette affaire, le groupe auquel j'appartiens, parce que le débat me paraît, à ce stade en tout cas, trop délicat, je me rangerai à votre avis, madame la ministre. Mais je le ferai non sans trouble de conscience et j'aurai beaucoup de mal - mais je m'y emploierai - à expliquer aux élus locaux la position que je prends.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Le débat que nous venons d'engager est extrêmement intéressant.
Il est certain que les dangers qu'a soulignés Mme le garde des sceaux peuvent toujours se profiler derrière l'adoption de tel ou tel texte. Dans cette affaire, nous cheminons. La commission a pris une position. M. le rapporteur a dit que, sur cet amendement, elle n'avait pas délibéré, mais qu'il lui semblait que la position prise ne pouvait entraîner son acceptation.
Je suggère donc que, quel que soit le vote qui sera émis, nous ne considérions pas comme définitive la position que nous adopterons en cet instant. Il y aura une navette, l'Assemblée nationale s'exprimera, et il est tout à fait possible que, dans cette perspective, nous revoyions et précisions les intentions qui sont les nôtres.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Tout en souscrivant à ce qui vient d'être dit avec beaucoup de sagesse par M. le président de la commission, je veux revenir un instant sur le propos de Mme la ministre pour attirer l'attention sur deux points.
En premier lieu, madame la ministre, vous avez dit que, de toute façon, notre système n'aurait pas beaucoup d'efficacité parce qu'il n'empêcherait pas, éventuellement, la condamnation de la personne physique. Nous sommes bien d'accord. Nous croyons l'un et l'autre qu'il faut maintenir les deux responsabilités dans une situation de concurrence.
Mais, encore une fois, il est des cas où il apparaîtra injuste de condamner une personne physique, sorte de bouc émissaire, alors qu'il sera assez juste de condamner la personne morale parce qu'il y aura ce que j'ai appelé une responsabilité pénale diffuse. Il est d'ailleurs souhaitable que soit désamorcé ce désir de recherche de bouc émissaire qui caractérise quelque peu nos sociétés, grâce à l'effet cathartique de l'audience pénale, avec tout de même une condamnation pénale, mais sans pour autant clouer au pilori celui qui s'est trouvé là ce jour-là et est, en fait, innocent.
Ce n'est pas la faute du maire d'Ouessant s'il y a des falaises, s'il y a des sentiers le long de ces falaises et s'il y a des enfants qui circulent à vélo tout le long des falaises ! Donc, cela peut servir. C'est ma première observation.
En second lieu, je tiens à dire qu'il ne faut pas trop se bercer d'illusions sur l'idée de la séparation des pouvoirs, de l'impossibilité pour les tribunaux de condamner les pouvoirs publics lorsque ceux-ci commettent des fautes civiles ou pénales.
En effet, en réalité, on est dans une fiction. D'abord, on prétend que les tribunaux de l'ordre judiciaire ne pourraient pas condamner, alors que les tribunaux de l'ordre administratif, eux, le peuvent...
M. Michel Charasse. Pas pénalement !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Civilement !
... parce que ce ne sont pas des tribunaux. Mais qu'est-ce au juste, alors ? C'est inquiétant pour l'idée qu'on se fait de la justice, si ce ne sont pas des tribunaux !
En réalité, ils condamnent l'Etat à longueur de temps, et ils ne se gênent pas pour le faire. Là encore, ce sont des distinctions verbales issues de nos traditions qui font que l'on admet qu'il n'y a pas atteinte au principe.
Mais ce qui est encore plus fort, c'est que, dans des domaines comme les atteintes à la propriété privée, il y a compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire. De même, on a fait un texte spécial pour traiter de la responsabilité des enseignants. Ainsi, dans un certain nombre de domaines, parfois des plus importants, ce sont les tribunaux de l'ordre judiciaire qui sont compétents, spécialement compétents, et même l'Etat peut alors être condamné par voie de référé.
Dès lors, quid du principe selon lequel on ne condamne pas la puissance publique ?
En réalité, tout cela tient à des théories assez anciennes qui ne correspondent plus très bien à la situation actuelle. Il faut l'avoir présent à l'esprit et en revenir tout simplement à ce que j'appellerai le bon sens. Comme le disait très bien M. Mauroy, s'il y a une responsabilité réelle de la personne morale, de la collectivité locale, que la compétence puisse être déléguée ou pas, il y a une responsabilité pénale, et c'est assez normal.
Il serait artificiel d'aller voir à la loupe si la compétence peut être déléguée ou non. Ce faisant, on éprouverait d'ailleurs quelque difficulté, car la distinction ne sera probablement pas toujours si claire que cela.
Dans son action, la collectivité territoriale a commis une faute pénale que le tribunal juge devoir être sanctionnée. Il la sanctionne. Je ne vois pas ce que cela a de tragique.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Il nous faut, sans aucune doute, suivre l'avis de la commission, même si - je l'ai dit dans la discussion générale - j'aurais préféré que le rapporteur aille beaucoup plus loin en ce qui concerne la responsabilité des collectivités locales sur le plan pénal et même si - cela pourra paraître contradictoire - je ne me fais guère d'illusion quant au résultat, en définitive, s'agissant de la mise en responsabilité pénale des personnes physiques que sont les maires dans l'exercice de leurs fonctions.
Cela étant, je souscris à ce qu'a dit M. le président de la commission des lois en réponse à Mme le garde des sceaux : notre vote, a fortiori s'agissant d'une proposition de loi, ne sera pas gravé dans le marbre. Non seulement la navette pourra nous permettre d'avancer dans notre réflexion, mais, même au-delà, nous ne devons pas considérer, nous législateur, que nous votons un texte pour l'éternité, ni même pour des décennies.
Il nous faudra tirer des enseignements, de la jurisprudence, de l'attitude qu'auront les magistrats.
En effet, si le législateur légifère, on s'aperçoit parfois que l'application du texte n'est pas nécessairement celle que nous aurions souhaitée les uns et les autres : il y a la lettre et l'esprit de la loi. Voilà ce qui a provoqué la véritable émotion, pour ne pas dire la psychose, de l'ensemble des élus de nos collectivités. Là est le problème, et pas ailleurs !
Il faudra bien que, un jour ou l'autre, les esprits évoluent, l'idéal étant que magistrats et législateur arrivent à marcher côte à côte pour que l'interprétation soit la même et que le résultat soit celui que souhaite le législateur.
M. Michel Charasse. C'est du rêve !
M. Alain Vasselle. Car ce que souhaite le législateur, c'est ce que souhaite le peuple !
M. Michel Charasse. Le peuple, il s'en fout ! (Rires.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 23, repoussé par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 6.

(L'article 6 est adopté.)

Article 7



M. le président.
« Art. 7. - La troisième phrase du premier alinéa de l'article 706-43 du code de procédure pénale est ainsi rédigée :
« Toutefois, lorsque des poursuites pour des mêmes faits ou des faits connexes sont engagées à l'encontre du représentant légal, celui-ci peut saisir par requête le président du tribunal de grande instance aux fins de désignation d'un mandataire de justice pour représenter la personne morale. » - (Adopté.)

Articles additionnels après l'article 7



M. le président.
Par amendement n° 8 rectifié bis , M. Charasse et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 1er du code des marchés publics, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. ... Les dispositions du présent code ne sont pas applicables, en ce qui concerne les règles et les seuils de mise en concurrence, aux marchés conclus en urgence en vue de faire cesser un péril imminent ou de mettre un terme à une situation de danger mettant en cause la sécurité des biens et des personnes.
« Les marchés de toute nature conclus en urgence à l'occasion des catastrophes naturelles survenues au dernier trimestre de l'année 1999 et répondant aux conditions prévues à l'alinéa précédent sont réputés valables légalement au regard des dispositions du présent code. Il en est de même en ce qui concerne les marchés conclus postérieurement aux catastrophes susvisées et visant à rétablir le fonctionnement normal des services publics, notamment en ce qui concerne la reconstruction ou les travaux de sécurité en matière d'équipements publics, spécialement ceux qui, comme les établissements scolaires et sportifs, reçoivent du public. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, ce texte de la commission des lois aurait pu, et aurait même dû, normalement, donner lieu à un grand nombre d'amendements si nous avions voulu couvrir tous les aspects du problème qui est posé, celui de la mise en cause de la responsabilité des élus et des non-élus, les citoyens. Mais il se trouve que, en parallèle, d'autres textes sont en discussion, en particulier le projet de loi visant à renforcer la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.
C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste - vous l'avez sans doute remarqué - n'a pas souhaité présenter d'amendements visant à introduire des articles additionnels dans ce texte, renvoyant ses propositions à la deuxième lecture du projet de loi sur la présomption d'innocence... à l'exception toutefois de cet amendement n° 8 rectifié bis , qui vise à répondre en urgence - c'est le cas de le dire - à une question urgente qui préoccupe particulièrement les responsables publics des collectivités locales.
Comme vous le savez, mes chers collègues, le code des marchés publics comporte des dispositions qui prévoient, dans un certain nombre de cas, la possibilité de procéder en urgence. Mais cette possibilité ne dispense pas de la mise en concurrence, sauf lorsque vous procédez à la réquisition...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Et les marchés négociés ?
M. Michel Charasse. ... marchés négociés ? Sous réserve que la somme soit inférieure à un certain seuil.
M. Jean-Pierre Schosteck. Effectivement !
M. Michel Charasse. C'est tout le problème !
Nous avons connu, dans le courant du dernier trimestre, un certain nombre d'événements climatiques graves, qui on frappé d'abord le Sud-Ouest de la France, par les inondations ; ensuite, soixante-neuf départements, soit les deux tiers, ont été déclarés sinistrés à l'occasion des deux tempêtes de la fin du mois de décembre dernier.
Les élus locaux responsables, et peut-être même les représentants de l'Etat, ont alors procédé comme ils pouvaient, c'est-à-dire en faisant appel à des entreprises sans prendre la peine de les réquisitionner en bonne et due forme, car ils ne disposaient pas, sur la digue qui allait craquer... au milieu des arbres qui tombaient... du papier à en-tête, des tampons de la mairie, du garde champêtre pour notifier la réquisition, de la photocopieuse nécessaire pour notifier simultanément au préfet, etc. Ils ont appelé des entreprises, en leur disant qu'il fallait faire tels travaux... faire dégager d'urgence la route... faire ceci... cela...
Aujourd'hui - et M. Courrière, s'il n'avait eu un avion à prendre, vous l'aurez dit aussi - tous ces marchés, qui ont été passés verbalement, en pleine nuit, en urgence, se trouvent bloqués en paiement chez les comptables publics pour non-respect de la procédure.
Vous me rétorquerez que l'élu local a la possibilité de réquisitionner le comptable. S'il procède ainsi, la responsabilité financière du comptable est alors transférée à l'élu, qui se retrouvera automatiquement devant la chambre régionale des comptes et peut-être devant la cour de discipline budgétaire - en tout cas devant la chambre régionale des comptes, car la cour de discipline budgétaire ne peut peut-être pas encore intervenir à l'encontre des élus locaux - laquelle chambre régionale des comptes va relever un manquement au code des marchés et, au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, va saisir le procureur. Et l'on se retrouve dans le délit de favoritisme !
Le même problème se pose, mes chers collègues, en ce qui concerne les réparations urgentes sur un certain nombre de bâtiments publics, notamment les écoles et les collèges. Si vous respectez les procédures de marché, les réparations urgentes exigées en particulier par la sécurité seront faites pour le 14 juillet, c'est-à-dire pour les grandes vacances ! En attendant, vous prenez le risque de laisser les enfants continuer à fréquenter l'établissement. Mais alors, on est dans l'article 121-3 à l'envers... Ou bien vous fermez purement et simplement l'établissement, et on piétine allègrement le principe constitutionnel de continuité du service public !
L'amendement qui est présenté par mon groupe vise simplement à compléter le code des marchés publics en précisant que, lorsque l'on est dans une situation d'urgence, où il s'agit de faire cesser un péril imminent ou de mettre un terme à une situation de danger mettant en cause la sécurité des biens et des personnes, dans ce cas-là, on peut ne pas respecter les règles de seuil et d'appel à la concurrence prévues par le code des marchés publics, toutes les autres dispositions continuant naturellement à s'appliquer, en particulier la règle du service fait, qui n'est pas la moindre des règles en matière de comptabilité publique.
Par ailleurs, notre amendement vise à valider les actes qui ont été conclus pendant ces événements climatiques par nos collègues élus, en particulier ceux qui, aujourd'hui, sont bloqués chez les comptables publics, qui, parce qu'ils n'ont pas de marché en bonne et due forme passé dans les conditions du code des marchés, s'opposent, comme ils en ont le devoir, parce qu'ils sont responsables de leur caisse, au paiement des sommes en cause. Notre amendement vise également à permettre l'application de la procédure d'urgence lorsqu'il faut assurer la continuité du service public et réparer d'urgence des bâtiments publics, des routes, postérieurement à un événement climatique de l'ampleur de ceux que nous avons connus.
Tels sont la philosophie et l'objet de l'amendement n° 8 rectifié bis.
M. le président. Quel l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il s'agit ici, tout le monde l'aura bien sûr compris, de ce que l'on appelle communément un « cavalier » législatif. Mais si un cavalier se justifie, c'est bien celui-là, puisqu'il est lié à des circonstances que personne ne pouvait prévoir, des circonstances de force majeure.
A première vue, la commission des lois pense que, en effet, il y a là un vrai problème auquel il faut apporter une solution, peut-être du type de celle à laquelle pense M. Charasse. Mais elle souhaiterait, avant de se prononcer définitivement, entendre l'avis du Gouvernement sur cette affaire qui, effectivement, pose beaucoup de problèmes. M. Larché a dû nous quitter, mais il citait, pour son propre cas, des travaux qui nécessitent un permis de construire. Il faut donc entrer dans la procédure du permis de construire. Mais combien de temps va-t-elle prendre ?
En outre, il est probable que l'on n'a pas encore fait l'inventaire de tous les problèmes qui se posent, et il s'en pose déjà pourtant des quantités ! Il faut que nous trouvions l'occasion d'y remédier. Comme l'occasion se présente, la commission pense qu'en effet il est bon de la saisir, sous réserve de ce que nous dira Mme le garde des sceaux.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le but poursuivi par M. Charasse ne peut effectivement que faire l'unanimité. Les catastrophes récentes subies par notre pays ont montré que, dans ces situations d'urgence, les décideurs publics en général mais surtout les élus - et les maires étaient en première ligne - devaient être en mesure de conclure des marchés rapidement, sans être retardés par une procédure longue et complexe, pour parer aux dangers imminents et rétablir au plus vite le fonctionnement normal des services publics.
Chacun, et le Gouvernement en premier lieu, partage cette volonté de donner aux décideurs publics les moyens de répondre le plus efficacement possible à l'attente de nos concitoyens, qui ont été très durement touchés.
Cependant, il me semble que l'état actuel du droit prend déjà en compte ces situations particulières qui demandent un assouplissement des règles des marchés publics.
Ainsi, le code des marchés publics permet à la personne responsable du marché de procéder, dans « les cas d'urgence impérieuse motivée par des circonstances imprévisibles », à un marché négocié, et ce quel que soit son montant.
Je rappelle également que la passation de marchés de travaux, de fournitures et de services dont le montant est inférieur à 300 000 francs est dispensée de mise en concurrence. Des marchés peu importants, destinés seulement à répondre aux premières nécessités en situation d'urgence, peuvent donc être concernés.
De son côté, le code pénal, avec la notion d'état de nécessité, exonère de responsabilité pénale celui qui agit pour sauvegarder une personne ou un bien menacé par un danger imminent. Le décideur public qui n'a pas respecté les dispositions du code des marchés publics pour ce motif échappe donc aux risques d'une condamnation pénale.
En outre, une ordonnance de 1959 précise que les mesures immédiates qu'il convient de prendre à la suite d'une catastrophe ou de tout événement mettant gravement en cause la sécurité permettent à l'autorité publique de réquisitionner les entreprises à même d'entreprendre les travaux nécessaires. La mise en jeu de cette ordonnance, qui donne leur fondement aux réquisitions, a pour effet d'écarter l'application du code des marchés publics.
Par ailleurs, je m'interroge sur la constitutionnalité des mesures proposées dans la mesure où elles contiennent, dans le deuxième alinéa, une disposition de régularisation générale et non limitée dans le temps.
Ces observations, qui, encore une fois, ne sont nullement destinées à remettre en cause la légitimité de l'objectif de cet amendement, qui suscite, j'en suis sûre, l'assentiment général, me conduisent à demander à M. Charasse de le retirer, non parce qu'il serait inopportun ou mal fondé, mais parce qu'il existe déjà des dispositions - je viens de les énumérer - qui permettent d'aboutir au même résultat sans risquer de contrarier la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
J'ajoute, pour convaincre M. Charasse de retirer son amendement, que je verrai avec les autres ministres concernés s'il ne serait pas possible d'adresser aux parquets une circulaire appelant leur attention sur les dispositions du code des marchés publics et du code pénal auxquelles je viens de faire allusion, pour éviter que des poursuites injustifiées ne soient engagées sur le fondement du délit de favoritisme à la suite de marchés conclus pour réparer les dégâts causés par les tempêtes de décembre dernier.
M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission n'a pas entendu l'avis du Gouvernement !
Je m'exprimerai un peu à titre personnel, mais je pense que M. Larché, en raison des propos qu'il a tenus tout à l'heure, partage ce sentiment.
Nous nous sommes engagés dans une démarche qui comporte plusieurs étapes. Nous n'en sommes qu'à la première, et ce texte pourra certainement être amélioré au cours de la navette : le Gouvernement peut encore prendre des initiatives, envoyer des circulaires, etc.
Le Gouvernement a fait appel au bon coeur de M. Charasse, et l'on ne fait jamais appel au bon coeur de M. Charasse en vain. (Sourires.) Je souhaiterais donc savoir si M. Charasse accepte de retirer son amendement.
M. Michel Charasse. En tout cas, pas avant de m'être expliqué !
M. le président. Monsieur le rapporteur, quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La sagesse voudrait que M. Charasse retire son amendement. A défaut, je ne demanderai pas au Sénat de le repousser, pour montrer que nous souscrivons à cette solution.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 8 rectifié bis .
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. J'ai bien entendu les propos qu'ont tenus Mme le ministre, ainsi que M. le rapporteur.
J'ai pris bonne note des éléments, que je connaisais déjà d'ailleurs, qu'a apportés Mme le ministre, notamment lorsqu'elle nous dit qu'elle est prête à adresser une circulaire aux procureurs pour leur dire de ne pas engager de poursuites... C'est là un point important sauf qu'en matière de marchés les poursuites peuvent être engagées par n'importe quelle entreprise évincée et, dans ce cas, le procureur n'a pas la possibilité de s'opposer aux poursuites.
Croyez-moi, il n'y a nulle querelle entre le groupe socialiste et le Gouvernement sur ce point. Nous sommes en présence de problèmes concrets qui se posent aujourd'hui dans un certain nombre de collectvités et nous essayons ensemble de trouver la meilleure solution, sans chercher querelle aux uns ou aux autres.
Donc, il n'existe pas de garanties quant aux poursuites de particuliers.
Quand Mme le ministre nous dit qu'il ne peut pas y avoir de condamnation pénale à l'encontre d'une personne ayant agi sous l'empire de la nécessité, cela n'empêche pas qu'il peut y avoir des poursuites. Le problème reste toujours le même : on poursuit, on met en examen - c'est-à-dire en accusation - et ensuite, devant le tribunal, tout se règle. En attendant, on a subi les titres des journaux : on a passé trois nuits de suite sans dormir, avec les pompiers, sur une digue, les pieds dans la boue, on s'est enquiquiné au possible, et on fait les frais d'articles de journaux à foison. Et tout se terminerait par un petit « flop » devant le tribunal...
Quant à l'ordonnance de 1959, chère amie, madame le garde des sceaux... C'est vrai que la réquisition est possible. Mais il faut être en état de la faire. Il faut un document écrit. Or, il est trois heures du matin, vous êtes dehors, sur la route ; vous tronçonnez les arbres pour dégager la route... et l'on vous enjoint de réquisitionner. Mais il faut un papier à en-tête de la mairie, le cachet de la mairie, il faut faire des photocopies, il faut mander le garde-champêtre, il faut faire porter le double au sous-préfet ou au préfet... tout cela en pleine nuit et alors même que des personnes sont menacées... Il faut agir en urgence !
Alors, vous me direz que l'on peut toujours régulariser a posteriori . Mais cela s'appelle un faux et, moi, je ne recommanderai à personne de faire un faux pour régulariser a posteriori !
Dernier point, madame le ministre : étant entendu que je ne considère pas que votre réponse soit négative, que puis-je répondre - et je regrette encore une fois que mon collègue M. Courrière soit parti - aux maires de l'Aude dont, actuellement, les factures sont bloquées par les comptables au motif que, dans la nuit, ils n'ont pas respecté les procédures des marchés publics ?
Il y a une solution, madame le ministre, qui est très simple : c'est que le ministre du budget donne l'ordre aux comptables de payer et lève leur responsabilité pécuniaire. Lui seul peut le faire. Mais nous, nous ne réglons pas le problème de fond.
L'autre problème posé à travers mon amendement - dont je veux bien reconnaître, l'ayant rédigé assez rapidement à la demande de mon groupe, qu'il pourrait sans doute être revu dans son dispositif - concerne les réparations postérieures à la tempête. Si nous sommes obligés de respecter partout, notamment en ce qui concerne les bâtiments scolaires, pour la mise en sécurité consécutive aux réparations rendues nécessaires par la tempête, les délais prescrits par le code des marchés et les procédures, les bâtiments seront en sécurité en juillet... s'il fait beau... si, comme le dit l'histoire corse, il n'y a pas de vent... (Sourires.)
Il n'est pas possible d'attendre si longtemps, et l'autre partie de mon amendement visait cet aspect des choses.
Monsieur le président, je ne retirerai pas mon amendement car je souhaite, tout en faisant preuve de l'humilité nécessaire en ce qui concerne les imperfections qui en marquent sans doute la rédaction, que le Sénat l'adopte. Comme il va y avoir une navette, que le Gouvernement prenne le temps de la réflexion car, de même que nous, au groupe socialiste, nous avons agi dans l'urgence, le Gouvernement n'a pas eu beaucoup de temps, lui non plus, pour réfléchir. De surcroît, c'est un sujet qui concerne non seulement la Chancellerie, mais également la commission centrale des marchés, le ministère de l'économie, la direction de la comptabilité publique en ce qui concerne les paiements... bref, toute une série de services qui ne sont pas tous sous l'autorité du garde des sceaux. Certes, le Gouvernement est unique et la solidarité gouvernementale joue, mais ce sont des questions techniques assez compliquées.
En fin de compte, je souhaite que l'amendement que nous présentons - il n'est pas parfait, mais il a le mérite de poser les vrais problèmes - soit adopté aujourd'hui à titre provisoire par le Sénat. Il pourra ainsi être amélioré lors de la navette, tant par le Gouvernement que par l'Assemblée nationale en première lecture.
Monsieur le président, je maintiens cet amendement pour des motifs que je tiens à répéter.
D'abord, il pose le principe d'une dérogation générale en cas d'urgence, quand il faut faire cesser un péril ou prévenir un danger, ce qui est la moindre des choses.
Ensuite, il rend valides les marchés conclus verbalement en pleine nuit, dans des conditions abracadabrantes, lors de catastrophes naturelles comme celles que nous venons de vivre.
Enfin, il autorise à déroger au code des marchés publics pour la remise en route des équipements publics, notamment les établissements scolaires et sportifs qui nécessitent des réparations urgentes pour des raisons de sécurité.
Je souhaite que la navette améliore notre texte. Je ne suis pas fermé à une discussion avec l'Assemblée nationale. Et si je maitiens l'amendement, c'est non pour embêter le Gouvernement ni pour faire preuve d'obstination, mais parce qu'il y a un vrai problème.
J'ajoute que si Mme le ministre nous confirme qu'elle va prendre contact avec le ministère de l'économie et des finances - si ce n'est pas déjà fait - pour que, au moins, les paiements bloqués par l'administration soient débloqués, parce qu'il ne faut pas, en plus, mettre en difficulté les entreprises qui ont fait ces travaux, nous n'aurions pas complètement perdu notre temps.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Mes chers collègues, il faut approuver cet amendement. Ce n'est certainement ni la première fois ni la dernière fois que nous sommes d'accord, monsieur Charasse. De la même façon que j'approuve cet amendement, vous avez déjà approuvé des initiatives que j'avais pu prendre, vous avez notamment accepté de cosigner avec moi un amendement.
C'est sans aucune hésitation que j'aurais accepté de cosigner l'amendement que vous venez de défendre devant la Haute Assemblée. Cet amendement aurait d'ailleurs pu être présenté par le Sénat tout entier, cosigné par l'ensemble des membres de notre assemblée. Un consensus général va certainement se dégager lors de son vote.
Comme M. Charasse l'a dit très justement et comme l'ont rappelé le rapporteur, M. Pierre Fauchon, et le président de la commission, M. Jacques Larché, il y aura la navette.
Cet amendement devrait permettre d'éviter les travers qui ont été dénoncés par notre collègue M. Charasse, en incitant le Gouvernement à rechercher pourquoi les dispositions législatives existantes ne sont pas appliquées.
Je souhaite plus particulièrement appeler votre attention sur deux points particuliers, madame le garde des sceaux.
Après le passage de la tempête, un certain nombre de nos collègues doivent intervenir d'urgence sur des monuments historiques. Il leur a pourtant été répondu qu'ils ne pouvaient pas le faire tant que le conservateur n'avait pas donné son avis. Cela peut prendre plusieurs mois ! Or il y a un risque.
Il serait donc très utile, comme l'a suggéré M. Charasse, que Mme le garde des sceaux puisse intervenir non seulement auprès de M. le ministre de l'économie et des finances ou de Mme la secrétaire d'Etat au budget, mais aussi auprès de la sous-direction des monuments historiques.
Il serait également indispensable d'intervenir auprès du ministre de l'intérieur afin de dégager des moyens suffisants pour permettre aux petites collectivités locales qui ont subi des dommages considérables de réaliser des travaux urgents qui dépassent très largement leur capacité financière.
Pour toutes ces raisons, je voterai sans aucune difficulté, comme nombre de mes collègues, cet amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 8 rectifié bis.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 7.
Je suis maintenant saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Tous deux sont présentés par M. Vasselle.
L'amendement n° 9 tend à insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les trois derniers alinéas de l'article 665 du code de procédure pénale sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« Le renvoi est également ordonné, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, par la chambre criminelle, soit sur requête du procureur général près la Cour de cassation, soit sur requête du procureur général près la cour d'appel dans le ressort de laquelle la juridiction saisie a son siège, agissant d'initiative ou sur demande de l'une des parties. »
L'amendement n° 10 vise à insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans le deuxième alinéa de l'article 665 du code de procédure pénale, après les mots : "sur demande" sont insérés les mots : "de l'une au moins". »
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. L'amendement n° 9 a pour objet de modifier le code de procédure pénale afin de permettre la délocalisation de certaines affaires de droit, pour la bonne administration de la justice. En effet, actuellement, conformément au deuxième alinéa de l'article 665 du code de procédure pénale, cette délocalisation n'est qu'une possibilité et elle ne peut se faire qu'à la demande de l'ensemble des parties.
Dans le système que je propose à travers le présent amendement, cette délocalisation reste très encadrée puisque le renvoi n'est ordonné par la chambre criminelle, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, que sur requête du procureur général près la Cour de cassation ou sur requête du procureur général près la cour d'appel où la juridiction saisie a son siège, ce dernier s'autosaisissant ou étant saisi par l'une des parties. L'apport de cet amendement est, en effet, que l'une des parties concernées, en particulier un élu ou un fonctionnaire, puisse obtenir la délocalisation de l'affaire qui le concerne.
L'amendement n° 10, qui modifie le deuxième alinéa de l'article 665 du code de procédure pénale, a également pour objet de faciliter la délocalisation du jugement de certaines affaires. Ainsi le renvoi d'un tribunal à un autre pourra-t-il être ordonné sur la requête du procureur général près la cour d'appel, celui-ci pouvant s'autosaisir, comme c'est déjà le cas, mais aussi sur demande de l'une seulement des parties, alors que, dans le texte actuel, la demande doit émaner de l'ensemble des parties.
Cela devrait faciliter l'exercice d'une justice plus sereine, en particulier à l'égard des élus locaux. Cela ne ferait que conforter le souci d'indépendance dans le jugement que manifestent les juges en évitant que des pressions puissent être exercées sur le plan local.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 9 et 10 ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission ne voit pas bien l'efficacité pratique de ce dispositif !
Si j'ai bien compris, M. Vasselle est inquiet parce qu'il pense qu'il faut que les deux parties demandent la délocalisation. En réalité, il n'en est rien ! Une circulaire interprétative prévoit en effet formellement que l'expression « sur la demande des parties » signifie : si l'une des deux parties le demande.
Par ailleurs, le Sénat a adopté, lors de la discussion du texte sur la protection de la présomption d'innocence, un amendement qui portait sur le même sujet, et ce texte est en cours de navette.
Dans ces conditions, monsieur Vasselle, peut-être pourriez-vous retirer ces deux amendements.
M. le président. Monsieur Vasselle, les amendements n°s 9 et 10 sont-ils maintenus ?
M. Alain Vasselle. Si Mme le garde des sceaux confirme l'interprétation de M. le rapporteur, c'est bien volontiers que je retirerai ces deux amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 9 et 10 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement n'est pas favorable à ces deux amendements.
Monsieur Vasselle, l'amendement n° 9 pose un problème de procédure pénale dont la discussion doit être abordée lors de l'examen non de la présente proposition de loi mais lors du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence.
De plus, l'amendement n° 10 dénote une interprétation incomplète de l'article 665 du code de procédure pénale concernant le renvoi d'une juridiction à une autre, car il n'est pas obligatoire que toutes les parties le demandent.
Monsieur Vasselle, je me rallie donc à la demande de M. Fauchon, qui vous suggère de retirer ces deux amendements.
M. le président. Monsieur Vasselle, acceptez-vous d'accéder à la demande de M. le rapporteur... et de Mme le garde des sceaux ?
M. Alain Vasselle. Si une des dispositions existe déjà, et si l'autre, comme vient de le déclarer Mme le garde des sceaux, doit être adoptée incessamment, c'est sans difficulté aucune que j'accepte de retirer ces deux amendements.
M. le président. Les amendements n°s 9 et 10 sont retirés.
Par amendement n° 11, M. Vasselle propose d'insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« La commune a l'obligation d'assurer la protection du maire ou d'un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales pour des faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable.
« A cette fin, elle contracte une assurance. Le fait de contrevenir à cette obligation est puni d'une amende de 100 à 50 000 francs ».
Cet amendement est affecté d'un sous-amendement, n° 20, présenté par MM. Schosteck et Delevoye, et tendant, dans le premier alinéa du texte proposé par l'amendement n° 11 pour compléter l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales, à remplacer les mots : « protection » par le mot : « défense ».
La parole est à M. Vasselle, pour défendre l'amendement n° 11.
M. Alain Vasselle. Cet amendement a pour objet d'obliger la commune à contracter une assurance afin de protéger le maire, un élu municipal suppléant ou ayant reçu une délégation ou l'un de ces élus ayant cessé ces fonctions, lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales pour des faits qui n'ont pas un caractère de faute détachable.
Le fait de contrevenir à cette obligation serait puni d'une amende de 100 à 50 000 francs.
Des dispositions du même ordre existent déjà en faveur d'autres décideurs publics : les fonctionnaires. Il s'agit donc simplement de les appliquer d'abord aux maires, puis au sein du conseil général et du conseil régional.
La loi « Le Pors » du 13 juillet 1983, grâce aux modifications apportées par la loi du 16 décembre 1996, accorde désormais une protection aux fonctionnaires, à l'agent public non titulaire, à l'ancien fonctionnaire, lorsque ceux-ci font l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de fautes personnelles. Etendre cette législation répond aux propositions du rapport Massot.
M. le président. La parole est à M. Schosteck, pour défendre le sous-amendement n° 20.
M. Jean-Pierre Schosteck. Il nous a semblé que le terme de « protection » était ambigu à maints égards et que celui de « défense » serait plus approprié. La même observation vaut pour les deux amendements suivants.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 11 et sur le sous-amendement n° 20 ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission pense que cet amendement est justifié dans son principe. Il présente cependant quelques problèmes d'ordre rédactionnel.
D'abord, il est certainement préférable d'inscrire « défense » plutôt que « protection », comme le prévoit le sous-amendement.
Ensuite, alors qu'on s'efforce de dépénaliser la vie publique, nous ne pouvons pas souscrire au dernier membre de phrase : « Le fait de contrevenir à cette obligation est puni d'une amende de 100 à 50 000 francs. » Puis-je considérer que vous y renoncez, monsieur Vasselle ? (M. Vasselle fait un signe d'acquiescement.)
Sur le reste du dispositif, la commission est plutôt favorable, bien qu'il soulève certains problèmes rédactionnels au cours de la navette.
C'est ainsi qu'il est difficile de dire que le département ou la commune a l'obligation d'assurer la défense du président du conseil général ou du maire « lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales pour des faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable ».
Je vous invite à la prudence. En effet, quand vous assurez la protection, vous ne savez pas encore si les fautes auront un caractère détachable, il faut souvent attendre la fin de l'instruction pour pouvoir se prononcer sur ce point.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je comprends bien l'objectif de ces amendements, auxquels le Gouvernement ne peut pourtant pas être favorable.
Certes, il n'y a, en effet, pas de raison que les élus publics ne bénéficient pas de la même protection que les agents publics de l'Etat. Or j'observe que la rédaction du premier alinéa de l'amendement n'est pas similaire à celle de l'article 11 de la loi de 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, qui mentionne la faute personnelle et non la faute détachable.
J'observe surtout que cet amendement crée une dépense obligatoire. Par conséquent, je souhaite que M. Vasselle veuille bien le retirer ; sinon, je serais obligée d'invoquer l'article 40.
M. le président. Monsieur Vasselle, accédez-vous à la demande du Gouvernement ?
M. Alain Vasselle. La principale objection formulée par Mme le garde des sceaux repose sur le caractère obligatoire de l'assurance. Il suffit donc, si M. le rapporteur en est d'accord, de remplacer cette obligation par une simple faculté.
Par ailleurs, il convient effectivement de substituer le mot « défense » au mot « protection ». J'avais repris ce dernier terme uniquement parce qu'il est utilisé dans la loi du 13 juillet 1983 pour les fonctionnaires.
Je pense, comme l'a souligné M. le rapporteur, la navette permettra d'aboutir à une rédaction satisfaisante à la fois pour le Sénat, l'Assemblée nationale et le Gouvernement.
J'espère que cette suggestion pourra recueillir l'assentiment de la commission du Gouvernement.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 11 rectifié, présenté par M. Vasselle, et tendant à insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La commune a la faculté d'assurer la défense du maire ou d'un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales pour des faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable. »
Quel est l'avis de la commission sur cet amendement n° 11 rectifié ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission, dont j'ai déjà indiqué l'état d'esprit, aurait été favorable à cette rédaction, qui sauverait le texte.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Dès lors que l'on supprime le dernier alinéa de cet amendement et qu'il ne s'agit plus que d'une simple faculté, bien entendu je n'invoque pas l'article 40. Je m'en remets donc à la sagesse du Sénat.
M. le président. Compte tenu de la rectification, le sous-amendement n° 20 n'a plus d'objet.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 11 rectifié.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. On avance un peu avec la rectification proposée par M. Vasselle, laquelle, je pense, s'appliquera aussi aux amendements n°s 12 et 13, la situation étant la même pour le département et la région. Il n'empêche que l'on aboutit à une situation très compliquée quant à la couverture, si je puis dire, de la responsabilité des élus locaux.
En effet, en ce qui concerne la responsabilité civile, les élus locaux sont obligés de s'assurer personnellement et la collectivité locale ne peut jamais leur payer l'assurance.
En ce qui concerne la responsabilité pénale, jusqu'à présent aucune mesure n'était prévue. Mais nous avons adopté, à l'occasion du texte sur la présomption d'innocence, avec l'accord du Gouvernement, une disposition dont vous vous souvenez sûrement et qui aligne la situation du maire et de ses adjoints agissant comme agents de l'Etat sur la situation des fonctionnaires de l'Etat. Tant et si bien que, lorsque le texte sur la présomption d'innocence sera définitivement adopté, si l'Assemblée nationale se rallie à notre position, les maires, adjoints et conseillers municipaux agissant en qualité d'agents de l'Etat seront couverts par l'Etat comme les fonctionnaires de l'Etat, par référence à la disposition citée voilà un instant..., je ne sais plus si c'est par Mme le garde des sceaux ou par M. Vasselle.
Il restera donc la situation de l'élu municipal agissant comme agent de la commune et celle de l'élu départemental ou régional agissant comme agents du département ou de la région. Les amendements de M. Vasselle donnent aux collectivités la faculté de couvrir cette responsabilité.
Mes chers collègues, la question de fond est beaucoup plus simple que cela : décidons-nous d'aligner ou non la situation des agents élus des collectivités locales sur celle des agents non élus de ces mêmes collectivités ? Dans ce cas, il est une règle commune aux fonctionnaires, qu'ils soient de l'Etat ou des collectivités locales : ils sont protégés par leur administration, quelle qu'elle soit.
On se trouve maintenant avec une distinction entre les agents élus, puisque le maire en tant qu'agent de l'Etat sera protégé, mais, en tant qu'agent de la collectivité ou président de région, il ne le sera pas.
Je vais me ralier par consensus à l'amendement n° 11 rectifié de M. Vasselle, car, si j'ai bien compris votre position, madame la ministre, l'article 40 n'a plus lieu d'être invoqué.
M. Philippe Marini. Parce que c'est une faculté !
M. le président. Mme la ministre n'invoque plus l'article 40 sur l'amendement n° 11 rectifié puisqu'il s'agit d'une faculté et non plus d'une obligation.
M. Michel Charasse. Heureusement, parce que je considère que l'article 40 s'applique - c'est moi qui représente la commission des finances aujourd'hui - une simple faculté étant elle aussi génératrice de charges ! Mais passons ...
Ce que je souhaite surtout, c'est que le vote du Sénat soit compris comme une démarche positive allant dans le bon sens et que Mme la ministre s'engage à l'Assemblée nationale, à la faveur de la navette, à normaliser tout cela (Mme le ministre fait un signe d'assentiment), afin que tout le monde soit soumis au même régime, à l'exclusion de la responsabilité civile, ...
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Michel Charasse. ... qui, elle, doit rester une adhésion personnelle à la charge de l'élu local.
Par conséquent, c'est par esprit de consensus, mais aussi parce que l'on monte une marche supplémentaire de l'escalier qui conduit à l'alignement absolu de la situation de tous les agents des collectivités locales, qu'ils soient élus ou non élus, que je voterai l'amendement n° 11 rectifié et les amendements n°s 12 et 13 s'ils sont rectifiés dans le même sens.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ? ...
Je mets aux voix l'amendement n° 11 rectifié, accepté par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 7.
Par amendement n° 12 rectifié, M. Vasselle propose d'insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 3123-28 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le département a la faculté d'assurer la défense du président du conseil général ou d'un vice-président ayant reçu une délégation ou l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales pour des faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable. »
M. Vasselle s'est exprimé et la commission et le Gouvernement ont donné leur avis sur cet amendement.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 12 rectifié, accepté par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 7.
Par amendement n° 13 rectifié, M. Vasselle propose d'insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La région a la faculté d'assurer la défense du président du conseil régional ou d'un vice-président ayant reçu une délégation ou l'un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales pour des faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable. »
M. Vasselle s'est exprimé et la commission et le Gouvernement ont déjà donné leur avis sur cet amendement.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 13 rectifié, accepté par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 7.
Par amendement n° 14, M. Vasselle propose d'insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 4 du code de procédure pénale, est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... . Lorsque le procureur de la République est saisi d'une plainte avec constitution de partie civile à raison des actes d'un élu ou d'un agent public et que l'instruction est confiée à un juge d'instruction, le préfet peut élever le conflit à tout moment afin que soit déterminé s'il y a eu faute de service ou faute personnelle. »
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Comme je l'avais indiqué dans mon intervention liminaire, cet amendement a pour objet de revenir par voie législative sur un arrêt du tribunal des conflits en date du 6 octobre 1989 « Préfet de la région Provence - Alpes - Côte d'Azur, préfet des Bouches-du-Rhône contre madame Laplace ». Cet arrêt était revenu sur une jurisprudence très ancienne qui permettait au préfet, ce qui est souhaitable, d'élever le conflit sur l'action civile à tout moment, y compris devant le juge d'instruction.
Ainsi, depuis dix ans, depuis le revirement de jurisprudence - sur un cas - lorsque le parquet est saisi d'une plainte avec constitution de partie civile à raison d'un acte d'un agent public et que l'instruction est confiée à un juge d'instruction, il faut attendre que la juridiction pénale ait statué sur la responsabilité pénale pour se pencher sur la compétence juridictionnelle afin de statuer sur la demande de dommages et intérêts.
Ce n'est qu'à ce moment-là que la juridiction pénale qualifiera la faute de faute de service et renverra alors au juge administratif la fixation de la réparation ou de faute personnelle afin de statuer elle-même. Le processus est donc à la fois long pour le justiciable et peu compréhensible. Et ce n'est qu'une fois arrivé à ce moment qu'actuellement le préfet peut élever le conflit, s'il estime que le comportement reproché à l'agent révèle une faute de service.
Le présent amendement prévoit donc de revenir sur la jurisprudence de 1989, comme le propose d'ailleurs la commission Massot - je n'invente rien, mais je suis conforté par la position qu'elle a adoptée - qui a rendu ses propositions au garde des sceaux le 16 décembre dernier, en permettant l'élévation du conflit dès la phase d'instruction pénale. Cela permettrait au justiciable une orientation plus rapide vers la juridiction compétente et, dans le droit-fil des propositions que j'ai déjà faites par ailleurs, d'améliorer l'efficacité du partage entre ce qui relève de la faute personnelle et détachable et ce qui relève de la faute non détachable ou de service.
Je tiens à vous dire, mes chers collègues, que c'est la préoccupation sur laquelle s'arc-boute la majorité, pour ne pas dire la totalité des élus locaux.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission ne peut absolument pas être favorable à cet amendement. En effet, c'est avec sagesse que le tribunal des conflits à considéré, voilà dix ans, que l'on ne peut élever le conflit pour déterminer qui est compétent en matière d'indemnisation au stade de l'instruction - car nous sommes au stade de l'instruction. Or l'amendement tend à revenir sur cette jurisprudence.
De plus, on peut se demander si cet amendement ne porte pas atteinte à la présomption d'innocence. Comme on est en cours d'instruction, on ne sait pas encore s'il y aura ou non condamnation. Sinon, en élevant le conflit, on permettrait au tribunal des conflits de préjuger en quelque sorte la décision de la juridiction pénale et de déclarer qu'il y a ou non faute détachable et donc, en pratique, d'empiéter sur la compétence de la juridiction pénale, ce qu'il ne peut pas faire.
Naturellement, monsieur Vasselle, le tribunal des conflits décidera inévitablement de surseoir à statuer, et il attendra que la juridiction pénale se soit prononcée ; c'est pour cela qu'il a pris, voilà dix ans, la décision que j'évoquais.
Nous nous sommes heurtés tout à l'heure à une difficulté semblable à propos de l'assurance. Vous ne pouvez pas savoir par avance si une faute est lourde et si cette faute est détachable ou non. En effet, déclarer qu'il y a une faute détachable revient à condamner par avance la personne et donc à mettre à bas toute la présomption d'innocence, ce qui n'est véritablement pas possible !
La commission souhaite par conséquent que M. Vasselle retire son amendement, qui ne peut pas être opérationnel et qui n'améliore pas vraiment la situation. Même si le tribunal des conflits est saisi formellement, il surseoira à statuer jusqu'à la décision de la juridiction pénale, et cela peut prendre un certain temps compte tenu des voies de recours.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement est lui aussi défavorable à cet amendement, bien qu'il reprenne une disposition du rapport Massot. Je ne crois pas opportun de contredire dans la loi la jurisprudence du tribunal des conflits qui interdit l'élévation du conflit au stade de l'instruction préparatoire.
En effet, d'un point de vue juridique, une telle disposition n'est pas véritablement justifiée. Les juridictions répressives ne sont pas compétentes pour statuer sur les demandes de réparations pécuniaires concernant une faute d'imprudence commise par un agent public lorsqu'il ne s'agit pas d'une faute détachable. Mais le juge d'instruction n'est pas habilité à statuer sur de telles demandes. Pourquoi, en conséquence, élever le conflit à cette phase de la procédure ?
J'ajoute qu'une telle disposition apparaîtrait, aux yeux de l'opinion publique, comme une volonté de limiter les droits des victimes, ce qui ne me semble évidemment pas opportun.
C'est la raison pour laquelle je vous demande de rejeter cet amendement.
M. le président. Monsieur Vasselle, maintenez-vous votre amendement ?
M. Alain Vasselle. Oui monsieur le président.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 14.
M. Robert Badinter. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Alors que nous nous efforçons de renforcer la présomption d'innocence, vouloir, dans le cours d'une instruction, aller jusqu'au tribunal des conflits pour déterminer la nature éventuelle de la responsabilité, donc de la faute, c'est déjà, d'une certaine manière, préjuger de la réalité de ladite faute !
Restons-en à la jurisprudence actuelle et pensons au renforcement de la présomption d'innocence à laquelle nous travaillons. Je ne crois pas que, à ce stade, cet amendement puisse être voté, quelle que soit la qualité de son inspiration.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 14, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 8



M. le président.
« Art. 8. - La présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis-et-Futuna et dans la collectivité territoriale de Mayotte. » - (Adopté.)

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Delfau, pour explication de vote.
M. Gérard Delfau. Je dirai simplement que l'ensemble du groupe du RDSE votera la proposition de loi telle qu'elle est issue de nos débats.
Par ailleurs, je remercierai une nouvelle fois notre rapporteur, M. Pierre Fauchon, d'avoir été à l'origine de ce texte, en souhaitant que son examen à l'Assemblée nationale, puis au cours de la navette, fasse avancer le débat sur un certain nombre de points, notamment s'agissant de la possibilité pour les agents des collectivités locales - élus et non élus - d'être correctement assurés en matière pénale, du moins en absence de faute personnelle de leur part.
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Au terme de cette discussion sur la responsabilité pénale des élus, les réticences que j'avais exposées dans la discussion générale se trouvent confirmées.
Je ne puis que noter l'unanimité avec laquelle les intervenants dans la discussion générale ont tenu à souligner le caractère partiel de la proposition de loi.
M. le rapporteur a volontairement circonscrit sa réflexion, au motif que c'était dans la nature même d'une proposition de loi d'avoir un objet limité. Je persiste, pour ma part, à penser que ce texte aurait dû être intégré dans une réflexion d'ensemble.
Nous avons tous, particulièrement dans cette enceinte, à coeur de répondre au souci actuel, réel et légitime des 500 000 élus français quant aux conséquences que la pénalisation excessive fait peser, non seulement sur leur situation personelle, mais également sur les conditions d'exercice de leur mandat.
Je ne doute pas, monsieur le rapporteur, que vous ayez souhaité, au travers de cette proposition de loi, régler au plus vite cette question, avant que la situation ne devienne critique. Mais le contenu des différentes interventions et l'objet des amendements qui ont été déposés témoignent amplement des limites du texte que nous avons examiné aujourd'hui.
Comptant, eux aussi, sur la navette parlementaire pour qu'il soit tenu compte de toutes ces remarques et pour que soit amélioré le texte, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendront.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Le groupe socialiste votera la proposition de loi de notre excellent collègue Pierre Fauchon parce qu'elle traite, chacun en a conscience, d'un des problèmes les plus difficiles qui se pose à l'heure actuelle dans notre droit et, plus généralement, dans notre vie publique comme dans notre vie sociale.
Je tiens à rappeler que le texte ne concerne pas seulement la responsabilité pénale des élus locaux. Il s'agit, comme le mentionne l'intitulé, de mieux définir les infractions non intentionnelles.
Au demeurant, on comprend aisément pourquoi la situation souvent cruellement ressentie à juste titre par les élus locaux a occupé, ici, une grande place dans la discussion.
Mais, afin de ne pas entretenir une sorte d'angoisse générale excessive à l'évocation de la mise en cause des élus locaux par les magistrats, je voudrais rappeler à la Haute Assemblée quelques données relatives aux poursuites en cause. En l'occurrence, il ne s'agit pas, je le répète, d'infractions intentionnelles, de délits qui, de près ou de loin, sont liés à la corruption. Il s'agit des infractions non intentionnelles.
Permettez-moi de citer quelques chiffres figurant à l'annexe 5 du rapport Massot, dont la source est bien entendu l'excellente direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice.
Sur quatre années, de mai 1995 à avril 1999, le nombre d'élus locaux mis en cause pour des infractions non intentionnelles est de 48 : classements sans suite, 5, non-lieux ou relaxes, 19, sens de la décision non précisé, 10. Sur cinq ans, il y a eu 14 condamnations. Peut-être certaines ne sont-elles pas fondées, mais ne laissons pas courir l'idée d'une sorte de chasse à l'élu local qui serait pratiquée par la magistrature. De grâce, épargnons-nous ces caricatures qui, à la fois, suscitent une inquiétude mal fondée chez les élus locaux, notamment, on le conçoit, lorsque de telles déclarations émanent de responsables politiques, et provoquent, du côté des magistrats, le sentiment d'une incompréhension complète. Il n'y a pas de poursuite systématique de l'élu local pour délit non intentionnel !
Les chiffres sont là. C'est ainsi qu'il faut prendre la mesure des choses. Ne confondons pas l'intentionnel sous toutes ses formes avec le non-intentionnel.
Il n'empêche que nous sommes tous conscients qu'il y a bien dans la vie publique et, plus généralement dans la vie sociale, une pénalisation excessive. En fait, la première exigence qui émane de notre société est que la victime voie son dommage réparé. Aussi, s'il n'est pas question de chasse à l'élu local, il y a une recherche parfois extensive de la possibilité de mettre en cause une source de réparation, d'indemnisation du préjudice subi par la victime, pour qu'elle ne reste pas seule avec son malheur, si je puis dire.
Le choix de la voie pénale au lieu de la mise en cause de la responsabilité administrative ou civile est lié au fait que, par ce biais, la réparation peut être obtenue plus rapidement et plus facilement.
Aussi conviendrait-il, au cours de la navette, de s'interroger sur le problème d'une assurance civile obligatoire contractée par les collectivités territoriales. Ce serait un moyen à la fois de soulager le malheur des victimes, mais aussi, probablement, d'arrêter une certain nombre de poursuites qui, dès lors, en ce qui concerne au moins la réparation, n'auraient plus de raison d'être.
Se pose aussi - et Mme le garde des sceaux poursuit ses efforts à cet égard, nous le savons - le problème de l'amélioration du fonctionnement des juridictions administratives, notamment en ce qui concerne le référé administratif, qui, il faut bien le dire, est très en retard par rapport aux dispositions similaires qui permettent, dans l'ordre judiciaire, d'obtenir très rapidement, presque de façon certaine, la réparation du préjudice subi. Mais ce problème s'inscrit dans un vaste ensemble.
En conclusion, nous voterons cette proposition de loi, qui sera certainement améliorée au cours de la navette mais qui déjà, indiscutablement, va dans le bon sens tout en s'inscrivant dans une réflexion d'ensemble à poursuivre sur les mécanismes de garantie des dommages subis par les victimes.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Permettez-moi tout d'abord de revenir en quelques mots sur les données statistiques qui viennent d'être évoquées.
Ces données chiffrent le nombre d'incriminations pour des fautes réputées non intentionnelles, mais elles ne prennent pas en compte les autres procédures qui ont pu être engagées sur la base d'autres incriminations réputées intentionnelles et qui sont susceptibles, pour une bonne part d'entre elles, d'aboutir à des classements sans suite, à des non-lieux ou à une prise en considération différente des faits.
Le sentiment qu'éprouvent les élus locaux - M. Alain Vasselle et moi sommes bien placés, en tant qu'élus du département de l'Oise, pour le traduire - découle d'un certain emballement de la mécanique judiciaire, mais aussi des manières d'agir, d'une dramatisation et d'une médiatisation qui créent toute une ambiance dans laquelle de nombeux élus de bonne foi se sentent totalement acculés. Il est de notre responsabilité de le dire dans la mesure où les réalités de la gestion sont bien souvent niées par méconnaissance, faute d'une approche pratique, par certains magistrats qui viennent « plaquer » des notions juridiques respectables mais très éloignées des conditions concrètes de la gestion communale.
Certes, les statistiques de la Chancellerie sont bien celles qui ont été rappelées par M. Badinter, mais les témoignages que nous recueillons, l'état d'esprit que nous percevons traduisent autre chose. Il est trop simple de dire que les inquiétudes sont mal fondées et que nous avons une approche un peu trop émotionnelle.
S'agissant du texte, je dirai qu'il va dans le bon sens et constitue une avancée certaine quoique sur un créneau un peu trop étroit. Au demeurant, il a le mérite d'exister. Nous le considérons comme un geste de bonne volonté et nous le voterons naturellement comme tel. Mais, au-delà de cette avancée ponctuelle, bien d'autres choses restent à faire pour rétablir le lien de confiance qui s'est quelque peu distendu entre le système judiciaire et nombre d'élus et, d'une manière générale, nombre de nos concitoyens.
Beaucoup de choses restent à faire, notamment à l'issue de l'excellent rapport de la commission Massot. Tout le monde s'est plu à souligner ce travail objectif, pluraliste, pluridisciplinaire de grande qualité, dont devraient découler toute une série de conséquences concrètes.
Aujourd'hui, nous saluons la petite avancée qui est faite, mais, madame la garde des sceaux, nous ne nous en contenterons pas !
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il n'est évidemment pas question pour moi de présenter ici une explication de vote qui ne pourrait être que redondante après celle que vient d'exposer excellement M. Marini. Ce sont en fait les considérations développées par M. Badinter qui me conduisent à formuler quelques remarques.
On peut estimer, me semble-t-il, que, en matière de responsabilité pénale des élus, comme on l'a dit à propos des retraites, le diagnostic est partagé : partagé par le Gouvernement, les différents groupes politiques et l'ensemble des élus de ce pays.
Vous avez raison, monsieur Badinter, lorsque vous nous invitez à « relativiser » au regard des condamnations réellement prononcées à la suite de délits non intentionnels. Mais il est beaucoup moins aisé de « relativiser » lorsque l'on considère que tout cela est rapporté par les médias - télévision, radio, presse écrite - et interprété malencontreusement par l'opinion publique, qui a tendance à faire un amalgame entre ces délits non intentionnels et les « affaires ».
Bien sûr, nous, nous savons bien que notre démarche tendant à défendre la présomption d'innocence est fondée. Hélas ! aujourd'hui, devant une mise en examen, l'opinion publique pense moins « présomption d'innocence » que « présomption de culpabilité ».
Ainsi, même si un non-lieu est prononcé au bénéfice de l'élu ou si celui-ci est finalement relaxé, l'exploitation médiatique qui aura été faite aura installé le doute dans l'opinion publique, dont l'ire se portera fatalement contre le malheureux élu. Et cela risquera fort d'avoir pour lui certaines conséquences lorsque interviendront les échéances électorales...
En effet, il existe un net déséquilibre entre la manière parfois outrancière dont une information est exploitée par les médias et la possibilité qu'à l'élu de se justifier, de faire valoir la présomption d'innocence, de se réhabiliter aux yeux de l'opinion après que, mais bien plus tard, un jugement a été rendu en sa faveur.
On l'a bien vu avec ce qui est arrivé à M. Longuet : les médias négligent de rendre compte du jugement et l'opinion publique s'est déjà fait une idée à l'égard de l'élu ; celui-ci se retrouve affaibli, et toute sa famille est frappée avec lui.
A partir du moment où nous partageons le diagnostic, j'espère que nous parviendrons à partager la solution.
Notre collègue M. Fauchon nous propose une amorce de solution. Sa démarche est louable, et nous devons le suivre. Toutefois, comme l'a dit très justement Philippe Marini, il faudra aller encore beaucoup plus loin pour que soit véritablement respectée la présomption d'innocence et surtout pour éviter que l'opinion publique ne condamne d'avance ceux qui, au fond, ne sont pas réellement responsables des faits qui se sont produits.
Sous le bénéfice de ces observations, bien entendu, je voterai l'ensemble du texte qui résulte de nos travaux, tout en nourrissant l'espoir que, très bientôt, nous ayons à nouveau l'occasion de délibérer sur ce sujet, ô combien important. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions modifiées du rapport de la commission des lois sur la proposition de loi n° 9 rectifié (1999-2000).

(Ces conclusions sont adoptées.)

5

TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à l'élection des sénateurs.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 195, distribué et renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

6

DÉPÔT D'UN AVIS

M. le président. J'ai reçu de M. Pierre Hérisson un avis présenté au nom de la commission des affaires économiques et du Plan sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage (n° 460, 1998-1999).
L'avis sera imprimé sous le n° 194 et distribué.

7

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 1er février 2000, à dix heures et à seize heures :
Discussion du projet de loi (n° 484, 1998-1999) portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports.
Rapport (n° 190, 1999-2000) de M. Jean-François Le Grand, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan.
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 31 janvier 2000, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 31 janvier 2000, à dix-sept heures.

Délai limite pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage (n° 460, 1998-1999) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 1er février 2000, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 1er février 2000, à dix-sept heures.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant création d'une Commission nationale de déontologie de la sécurité (n° 480, 1997-1998) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 1er février 2000, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 1er février 2000, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée à dix-huit heures quinze.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





MODIFICATIONS AUX LISTES
DES MEMBRES DES GROUPES
GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE
(86 membres au lieu de 88)

Supprimer les noms de MM. Paul Masson et Paul d'Ornano.

RATTACHÉS ADMINISTRATIVEMENT
AUX TERMES DE L'ARTICLE 6 DU RÈGLEMENT
(8 membres au lieu de 6)

Ajouter les noms de MM. Paul Masson et Paul d'Ornano.

NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES

M. Jean-Léonce Dupont a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 125 (1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer le rôle de l'école dans la prévention et la détection des faits de mauvais traitements à enfants.

COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LÉGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL, DU RÈGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
M. Guy Cabanel a été nommé rapporteur du projet de loi n° 192 (1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives et du projet de loi organique n° 193 (1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats de membre des assemblées de province et du congrès de la Nouvelle-Calédonie, de l'assemblée de la Polynésie française et de l'assemblée territoriale des îles Wallis-et-Futuna.
M. Guy Cabanel a été nommé rapporteur de la proposition de loi organique n° 99 (1999-2000) tendant à instaurer un système de remplaçants provisoires en cas de vacance de siège d'un député ou d'un sénateur, ainsi qu'une parité hommes-femmes entre les candidats et leurs remplaçants de la proposition de loi n° 100 (1999-2000) visant à instaurer un système de remplaçants provisoires en cas de vacance de siège d'un conseiller régional, d'un conseiller général ou d'un maire, ainsi qu'une parité hommes-femmes entre les candidats et leurs remplaçants et de la proposition de loi n° 120 (1998-1999) assurant la parité des femmes et des hommes dans la vie publique.



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON

ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL
de la séance
du jeudi 27 janvier 2000


SCRUTIN (n° 34)



sur l'amendement n° 15 rectifié, présenté par M. Michel Dreyfus-Schmidt, à l'article 1er des conclusions de la commission des lois sur la proposition de loi tendant à préciser la définition des délits non intentionnels (définition de l'étendue des délits non intentionnels)

Nombre de votants : 231
Nombre de suffrages exprimés : 230
Pour : 1
Contre : 229

Le Sénat n'a pas adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
Contre : 16.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :

Contre : 18.
N'ont pas pris part au vote : 5. - MM. François Abadie, Jean-Michel Baylet, André Boyer, Yvon Collin et Gérard Delfau.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (99) :

Contre : 97.
Abstention : 1. - M. Alain Vasselle.
N'a pas pris part au vote : 1. - M. Christian Poncelet, président du Sénat.

GROUPE SOCIALISTE (78) :

Pour : 1. - M. Michel Dreyfus-Schmidt.
N'ont pas pris part au vote : 77. - dont M. Guy Allouche, qui présidait la séance, et M. Michel Charzat (député).

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (52) :

Contre : 52.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (46) :

Contre : 46.

Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (7) :

Ont voté contre


Nicolas About
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Denis Badré
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Michel Bécot
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Danielle Bidard-Reydet
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Nicole Borvo
Joël Bourdin
Jean Boyer
Louis Boyer
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Robert Bret
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Michel Doublet
Paul Dubrule
Alain Dufaut
Michel Duffour
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Guy Fischer
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Thierry Foucaud
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
Yann Gaillard
René Garrec
Jean-Claude Gaudin
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Francis Giraud
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Jean-Paul Hugot
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jarlier
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Roger Karoutchi
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Gérard Le Cam
Jean-François Le Grand
Dominique Leclerc
Pierre Lefebvre
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Paul Loridant
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Hélène Luc
Jacques Machet
Kléber Malécot
André Maman
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jacques Pelletier
Jean Pépin
Jacques Peyrat
Xavier Pintat
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jack Ralite
Jean-Marie Rausch
Ivan Renar
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Henri de Richemont
Philippe Richert
Yves Rispat
Jean-Jacques Robert
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Odette Terrade
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Albert Vecten
Paul Vergès
Jean-Pierre Vial
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac

Abstention


M. Alain Vasselle.

N'ont pas pris part au vote


François Abadie
Philippe Adnot
Bernard Angels
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Robert Badinter
Jean-Michel Baylet
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Marcel Bony
André Boyer
Yolande Boyer
Jean-Louis Carrère
Bernard Cazeau
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Yvon Collin
Gérard Collomb
Raymond Courrière
Roland Courteau
Philippe Darniche
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Gérard Delfau
Jean-Pierre Demerliat
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Claude Domeizel
Jacques Donnay
Hubert Durand-Chastel
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Claude Estier
Léon Fatous
Alfred Foy
Serge Godard
Jean-Noël Guérini
Claude Haut
Roger Hesling
Roland Huguet
Alain Journet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Dominique Larifla
Louis Le Pensec
André Lejeune
Claude Lise
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
François Marc
Marc Massion
Pierre Mauroy
Jean-Luc Mélenchon
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Paul Raoult
Roger Rinchet
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Bernard Seillier
Michel Sergent
René-Pierre Signé
Simon Sutour
Michel Teston
Pierre-Yvon Tremel
Alex Türk
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber

N'ont pas pris part au vote


MM. Christian Poncelet, président du Sénat, et Guy Allouche, qui présidait la séance.
Ne peut participer aux travaux du Sénat (en application de l'article L.O. 137 du code électoral) : Michel Charzat.
Les nombres annoncés en séance ont été reconnus, après vérification, conformes à la liste de scrutin ci-dessus.