Séance du 27 janvier 2000
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Définition des délits non intentionnels. -
Discussion des conclusions du rapport d'une commission (p.
1
).
Discussion générale : MM. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois
; Jacques Larché, président de la commission des lois ; Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice ; MM. Pierre Mauroy, Philippe Arnaud,
Charles Jolibois, Jean-Paul Delevoye, Robert Bret, Michel Dreyfus-Schmidt.
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
M. Gérard Delfau.
Suspension et reprise de la séance (p. 2 )
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
3.
Rappel au règlement
(p.
3
).
Mme Anne Heinis, M. le président.
4.
Définition des délits non intentionnels. -
Suite de la discussion et adoption des conclusions modifiées du rapport d'une
commission (p.
4
).
Discussion générale
(suite) :
MM. Bernard Murat, Alain Vasselle, Hubert
Haenel, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.
Clôture de la discussion générale.
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
Article 1er (p.
5
)
Amendement n° 15 rectifié de M. Michel Dreyfus-Schmidt. - MM.
Michel-Dreyfus-Schmidt, Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois ;
Mme le garde des sceaux, MM. Alain Vasselle, Gérard Delfau, José Balarello,
Michel Charasse, Jacques Larché, président de la commission des lois. - Rejet
par scrutin public.
Adoption de l'article.
Article 2 (p. 6 )
Amendement n° 16 rectifié de M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Retrait.
Adoption de l'article.
Article 3 (p. 7 )
Amendement n° 17 rectifié de M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Retrait.
Adoption de l'article.
Articles additionnels après l'article 3 (p. 8 )
Amendements n°s 18 et 19 de M. Michel Dreyfus-Schmidt. - MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Adoption des amendements insérant deux articles additionnels.
Articles 4 et 5. - Adoption (p.
9
)
Article 6 (p.
10
)
Amendement n° 23 du Gouvernement. - Mme le garde des sceaux, M. le rapporteur,
MM. Pierre Mauroy, Gérard Delfau, le président de la commission, Alain
Vasselle. - Rejet.
Adoption de l'article.
Article 7. - Adoption (p.
11
)
Articles additionnels après l'article 7 (p.
12
)
Amendement n° 8 rectifié
bis
de M. Michel Charasse. - MM. Michel
Charasse, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Alain Vasselle. - Adoption
de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendements n°s 9 et 10 de M. Alain Vasselle. - MM. Alain Vasselle, le
rapporteur, Mme le garde des sceaux. - Retrait des deux amendements.
Amendement n° 11 rectifié de M. Alain Vasselle et sous-amendement n° 20 de M.
Jean-Pierre Schosteck. - MM. Alain Vasselle, Jean-Pierre Schosteck, le
rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Michel Charasse. - Adoption de
l'amendement insérant un article additionnel, le sous-amendement étant devenu
sans objet.
Amendements n°s 12 rectifié et 13 rectifié de M. Alain Vasselle. - Adoption des
amendements insérant deux articles additionnels.
Amendement n° 14 de M. Alain Vasselle. - MM. Alain Vasselle, le rapporteur, Mme
le garde des sceaux, M. Robert Badinter. - Rejet.
Article 8. - Adoption (p.
13
)
Vote sur l'ensemble (p.
14
)
MM. Gérard Delfau, Robert Bret, Robert Badinter, Philippe Marini, Alain
Vasselle.
Adoption des conclusions modifiées du rapport de la commission.
5.
Transmission d'un projet de loi
(p.
15
).
6.
Dépôt d'un avis
(p.
16
).
7.
Ordre du jour
(p.
17
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures quarante.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
DÉFINITION
DES DÉLITS NON INTENTIONNELS
Discussion des conclusions
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 117,
1999-2000) de M. Pierre Fauchon, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale sur sa proposition de loi (n° 9 rectifié, 1999-2000)
tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collèges, on peut lire dans un ouvrage
qui est un classique pour tous ceux d'entre nous qui ont fait des études de
droit - je veux parler du
Traité théorique et pratique de la responsabilité
civile,
des frères Mazeaud - l'observation suivante, que je place en
exergue de nos débats : « Du moment qu'il est question de peine, » - de
pénalité, donc - « partant de souffrance, on comprend que la société ne demande
compte de leurs actions qu'à ceux qui ont agi méchamment, que, par suite, il
faille, pour déclarer quelqu'un responsable pénalement, analyser son état
d'âme. »
C'est à cet exercice que vous convie la proposition de loi que j'ai l'honneur
de vous présenter au nom de la commission des lois, et ce grâce à l'impulsion
du président de notre assemblée, qui a souhaité son inscription à l'ordre du
jour, dans une ligne d'action annoncée par lui dès le début de son mandat et
constamment affirmée depuis lors.
M. le président.
Merci, monsieur le rapporteur !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Le point de départ de cet exercice, c'est évidemment la
situation incompréhensible dans laquelle se trouvent plongés certains hommes ou
certaines femmes à qui l'on fait reproche d'être responsables d'un accident,
non pas seulement parce qu'ils l'ont directement provoqué, mais parce qu'un
comportement actif ou passif de leur part, même n'ayant qu'une relation
indirecte ou lointaine avec l'accident, aurait pu éviter que celui-ci ne se
produise.
Des élus locaux, des responsables d'organismes divers, tels des hôpitaux, des
entreprises, des collèges, des responsables d'associations organisant des
activités sportives, etc., sont ainsi mis en examen, traduits en justice, jetés
au banc des accusés côte à côte avec des délinquants de droit commun, et
quelquefois condamnés pour des dommages dont ils ignoraient en toute bonne foi
l'éventualité, plus encore la probabilité, et qu'ils étaient absolument
incapables d'empêcher.
Comme il n'y a guère d'accident dont on puisse dire qu'il ne se serait pas
produit sans quelque circonstance antérieure, si lointaine fût-elle, et comme
la moindre, la plus subtile de ces circonstances suffit, selon la
jurisprudence, à constituer la faute pénale d'imprudence, toute non
intentionnelle qu'elle soit, le champ de la responsabilité pénale a fini par
s'étendre au-delà - je crois pouvoir le dire - de ce que le bon sens
élémentaire considère comme raisonnable et équitable. Et ceux qui ont entendu,
ce matin, sur une radio périphérique, le témoignage d'un maire ne seront pas
étonnés de mon propos.
Il faut rappeler constamment le principe fondamental du droit pénal selon
lequel « il n'y a pas de crime ou de délit sans la volonté de le commettre ».
Et n'est-il pas de règle que l'exception faite à ce principe pour certains cas
d'imprudence ou de négligence ne puisse être interprétée que d'une manière
restrictive ?
Les exemples abondent à cet égard. On en citera sans doute tout à l'heure
quelques-uns, mais le temps me manque pour le faire maintenant, et je préfère,
pour l'instant, m'en tenir à l'aspect technique du problème. Le nombre de ces
exemples importe d'ailleurs peu, dès lors que ce qui est en cause est non pas
la fréquence, mais le caractère juste ou injuste de ces condamnations ou de ces
mises en examen. Si elles ne sont pas justifiées, elles sont trop nombreuses,
et nous devons nous en préoccuper, suivant cette belle formule, que j'emprunte
à La Bruyère, selon laquelle la condamnation d'un innocent, d'un non-coupable,
est « l'affaire de tous les honnêtes gens ».
Pour remédier à de tels excès, il faut, dans une démarche qui, je le
reconnais, est nécessairement assez technique, en identifier la cause. Celle-ci
est simple, et nombre de juristes, dont certains ont été entendus la semaine
dernière par la commission, l'ont clairement identifiée : cette cause réside
dans la préoccupation, d'ailleurs bien compréhensible, de la jurisprudence
d'identifier un coupable pour rendre possible une réparation à une époque où
l'idée d'une responsabilité sans faute, d'une responsabilité pour risque
n'était pas admise.
Dès lors, on est allé jusqu'à qualifier de délit la moindre faute, ce qu'un
professeur de droit, M. Pirovano, a pu appeler des « poussières de faute », qui
n'avaient pas avec le dommage la moindre des relations causales, afin de
condamner et d'asseoir sur cette condamnation l'obligation de réparation du
dommage.
C'est ainsi que, depuis un mémorable arrêt de 1912, la faute civile
d'imprudence et de négligence ne fait qu'un avec la faute pénale, le délit de
blessure ou d'homicide par imprudence. Cette assimilation, qui est au coeur de
notre démarche, n'est pas juste, et je crois qu'elle n'est plus nécessaire.
Tout d'abord, elle n'est pas juste, parce que ces deux fautes sont évidemment
différentes : la faute civile des articles 1382 et suivants du code civil
justifie l'obligation de réparer le dommage causé par elle, tandis que la faute
pénale justifie - et c'est une toute autre démarche - que la société sévisse
contre ceux de ses membres dont les fautes, même non intentionnelles, portent
atteinte aux valeurs qu'elle s'est données.
Il tombe sous le sens que, ces deux fautes ayant des finalités différentes,
elles devraient faire l'objet d'appréciations différentes : autant il paraît
équitable de faire en sorte que la moindre imprudence crée une obligation de
réparation et constitue donc une faute civile, autant il serait excessif de
voir dans la moindre imprudence une atteinte aux valeurs de la société
justifiant une réparation morale de ce qui deviendrait ainsi un délit.
Cette distinction, sur laquelle il faudra revenir, a été faite tout au long du
xixe siècle et au début du xxe siècle, jusqu'au jour où la Cour de cassation
s'est avisée de relever que les définitions de ces deux fautes, telles qu'elles
figuraient respectivement dans le code civil, d'une part, et dans le code
pénal, de l'autre, étaient si proches qu'il paraissait impossible de les
distinguer. C'est l'arrêt de 1912, auquel je viens de faire allusion, qui, à
l'époque, était inspiré par le souci de faciliter l'indemnisation de toutes les
victimes en un temps où cette indemnisation était liée à une condamnation
pénale.
Ensuite - seconde observation - l'assimilation de la faute pénale à la faute
civile a cessé d'être nécessaire puisque la victime peut maintenant obtenir des
réparations sur d'autres bases que le délit, grâce à une évolution législative
récente que je ne retracerai pas faute de temps et qui s'inspire des analyses
du professeur Tunc sur la notion de risque, évolution à laquelle notre
excellent collègue Robert Badinter a apporté, lorsqu'il était garde des sceaux,
un concours tout à fait déterminant grâce à deux ou trois textes que tous les
praticiens ont sans doute à l'esprit.
Il est donc devenu parfaitement possible d'établir une distinction entre la
faute civile, qui peut continuer à être constituée par la moindre imprudence ou
négligence,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Oui !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
... et la faute pénale non intentionnelle, qui suppose sinon
la volonté de causer le dommage - elle deviendrait alors intentionnelle - du
moins la conscience de créer ou ne pas éliminer le danger qui sera à l'origine
du dommage.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Précisons immédiatement qu'il s'agit ici - et ce point est
tout à fait important - de la conscience réelle et concrète, celle que l'on a
eue de pouvoir causer un dommage, et non pas, comme on le lit trop souvent dans
les arrêts, de la conscience théorique, celle que l'on aurait dû ou pu avoir de
créer un dommage. On passe en effet son temps à dire aux maires : « Vous auriez
pu, vous auriez dû, et parce que vous pouvez vous devez tout ! »
Cette conscience théorique, celle qu'on aurait pu ou qu'on aurait dû avoir,
est une conception qui ouvre la porte aux dérives que nous souhaitons
précisément endiguer.
Selon la formule de MM. Merle et Vitu : « Seule l'imprudence consciente
justifie la répression pénale ». Admettre le caractère fondamental et novateur,
par rapport à cette jurisprudence, de cette distinction, de cette
différenciation, c'est disjoindre enfin ces deux responsabilités et permettre à
chacune de suivre le cours jurisprudentiel qui lui est propre.
Me ferai-je mieux comprendre si je prends une comparaison pittoresque ? Ce que
je suggère de faire, c'est un peu ce que fait le héros du
Tour du monde en
quatre-vingts jours
de Jules Verne, lorsqu'il détache du train une
locomotive emportée par son élan afin de permettre à ce train de s'arrêter à la
station où les voyageurs trouveront refuge. Ainsi, ce que nous vous demandons,
c'est de détacher la locomotive de la responsabilité pénale du train de la
responsabilité civile.
A partir du moment où l'on voudra bien le faire et où l'on admettra que la
faute pénale d'imprudence suppose à tout le moins la conscience de cette
imprudence, une distinction s'imposera immédiatement - c'est la seconde étape
de notre démarche - pour l'application de ce principe, entre l'hypothèse où le
dommage est une conséquence directe, immédiate, nécessaire et donc le plus
souvent prévisible de l'imprudence et celle où il n'en est qu'une conséquence
indirecte, plus ou moins lointaine, plus ou moins probable, plus ou moins
prévisible. Or, vous le savez, on reproche assez souvent à des responsables des
actions qui auraient très bien pu ne pas se traduire, dix ou quinze ans plus
tard, par des dommages. Il a fallu en effet qu'interviennent entre-temps un
certain nombre de circonstances, et la relation entre la faute supposée et le
dommage est indirecte.
La distinction, selon moi - mais nous aurons à en débattre lorsque nous
examinerons les amendements présentés par M. Dreyfus-Schmidt - est tout à fait
importante, disons-le immédiatement, à cause des accidents de la circulation.
En effet, le premier cas - relation directe entre la faute et le dommage -
englobe la plupart des accidents de la circulation, et le caractère conscient
de l'imprudence est réputé inhérent à l'acte lui-même. Il nous faut être
pragmatique, dans notre démarche et ne pas seulement s'en tenir à des analyses
théoriques et, pour maintenir un niveau élevé de lutte contre le fléau des
accidents de la route, il est nécessaire de s'en tenir au système actuel, dans
lequel la moindre faute engage la responsabilité pénale. Dans le second cas, au
contraire, lorsque la causalité est indirecte, médiate, incertaine et plus ou
moins imprévisible, la condamnation pénale doit être limitée aux cas dans
lesquels le caractère conscient et volontaire de l'imprudence - non pas, bien
entendu, du dommage, mais de l'imprudence : on sait à tout le moins qu'on
commet une imprudence et on en est conscient - est clairement démontré,
c'est-à-dire dans le cas d'une faute caractérisée.
Comment définir cette faute, me direz-vous ? Certains, et non des moindres,
ont suggéré de s'en tenir au concept général de la faute lourde : selon eux, il
n'y aura, en cas de relation indirecte, de responsabilité que s'il y a une
faute lourde. Cette solution a été retenue par la commission Massot dans son
rapport, qui reprend - c'est d'ailleurs un encouragement pour nous - le
mécanisme de notre proposition de loi, élaborée plusieurs mois auparavant. La
divergence ne porte que sur un point : doit-on parler de faute lourde ou
apporter une définition plus précise ?
Votre rapporteur et la grande majorité de la commission des lois ont jugé
préférable une définition plus précise, en indiquant formellement que cette
faute est caractérisée par « la violation manifestement délibérée d'une
obligation particulière de sécurité ou de prudence ». Tous les termes ont été
pesés !
Cette rédaction a pour but de mieux éclairer la jurisprudence, d'éviter que la
gravité du dommage rejaillisse sur celle de la faute. Car, je le dis dès
maintenant, quand on demandera à un tribunal d'apprécier qu'une faute est
lourde, il considérera toujours que, si les dommages sont graves, la faute est
forcément lourde, que, dès lors que plusieurs personnes ont été tuées, cela ne
peut pas être une faute légère. Nous n'aurons alors, je le crains, pratiquement
rien changé à la jurisprudence actuelle. Evitons donc que la gravité du dommage
rejaillisse sur celle de la faute - ce qui est d'ailleurs de règle en matière
contractuelle - et soulignons l'exigence, s'agissant de la délinquance non
intentionnelle, d'au moins un élément d'intention : le consentement conscient à
une imprudence précisément identifiée.
Nous reprenons ainsi les travaux de notre commission, très bien conduits par
notre excellent collègue Charles Jolibois, que je salue au passage, lors de
l'institution, voilà quelques années, du délit de mise en danger délibérée.
Nous évitons aussi de créer un nouveau concept, ce qui, pour l'application de
la loi, est toujours préférable.
Tel est, pour l'essentiel, la démarche de notre commission. S'y ajoutent
diverses harmonisations textuelles et un certain redéploiement de la
responsabilité pénale des personnes morales, qui, peut-être - nous le verrons
au cours du débat -, posera problème : réduction de la distinction quelque peu
artificielle entre les compétences que l'on peut déléguer et celles que l'on ne
peut pas déléguer, exclusion, en revanche, de cette responsabilité pour des
circonstances faisant apparaître un manquement délibéré d'une personne
physique.
Nous reprenons ici une partie des conclusions de la commission Massot, dont
l'excellent travail mérite d'être salué. Nous y reviendrons dans le cours du
débat.
Sans doute s'élèvera-t-il des voix parmi nous - peut-être des plus autorisées
- pour regretter que cette proposition de loi ne soit pas plus étendue, qu'en
particulier elle n'aborde pas, ou pas assez directement, les délits d'atteintes
non intentionnelles à l'environnement, qui constituent aussi un vaste champ de
réflexion.
Je suis le premier conscient du fait qu'il restera beaucoup à faire, mais il
faut se souvenir qu'il s'agit ici d'une simple proposition de loi, qui ne
pouvait être que limitée pour des raisons techniques et pour des raisons
d'efficacité que chacun pourra comprendre.
Dois-je dire, pour conclure, que notre commission n'a en aucune façon méconnu
non pas l'intérêt des victimes - il n'est pas en cause ici - mais leur légitime
exigence que toute la clarté soit faite sur les circonstances d'un accident,
que les responsabilités réelles soient identifiées et, s'il y a lieu,
sanctionnées ? Nous avons d'ailleurs entendu la semaine dernière des
représentants des victimes.
Le présent texte n'a certainement pas pour objet d'entraver les investigations
judiciaires, comme l'a prétendu par erreur le journal
L'Express,
puisque, bien au contraire, il les rend encore plus nécessaires ; il tend
seulement à ce que la justice pénale reste juste, ce qui exclut tout
automatisme aveugle. On ne saurait compenser l'injustice du sort par
l'injustice des hommes !
Tels sont, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les circonstances,
les motifs et l'économie de la proposition de loi que la commission des lois a
l'honneur de vous présenter.
(Applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Mauroy applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous abordons
aujourd'hui, sur l'excellent rapport de notre collègue Pierre Fauchon, un sujet
difficile, mais un sujet qui nous est familier.
Ce sujet nous est familier parce que le Sénat est le représentant des
collectivités territoriales et que notre premier devoir est d'être à l'écoute
permanente des 500 000 élus de notre pays, mais aussi parce que nous exerçons
fréquemment des responsabilités locales et nous entendons bien, d'ailleurs,
continuer à les exercer, conformément aux règles que nous sommes en train
d'établir et sur lesquelles nous n'avons pas l'intention de transiger. Enfin,
il nous est familier parce que, depuis plusieurs années, au sein de nos
commissions, de nos groupes de travail, de nos missions d'information, nous y
avons réfléchi : chacun se souvient du débat intéressant qui a eu lieu sur la
base d'une question orale que notre ami Hubert Haenel avait déposée.
Nous avons noté l'intérêt et l'urgence du problème ainsi que les réactions
légitimes qu'il provoque chez de nombreux élus. A la veille des prochaines
consultations électorales, bon nombre d'entre eux, nous pouvons en porter
témoignage, s'interrogent sur la possibilité pour eux de continuer à exercer
leur mandat dans de telles conditions.
En 1996, déjà sur l'initiative de M. Pierre Fauchon, un premier texte a été
adopté, et c'est ce texte qu'aujourd'hui nous remettons sur le métier.
Au surplus, nous avions voulu, dans le cadre de la loi sur la présomption
d'innocence, rapportée au Sénat par notre ami Charles Jolibois, dégager
quelques solutions. Nous avions en effet noté que le texte qui nous venait de
l'Assemblée nationale - en réalité, le texte du Gouvernement assez peu amendé -
était, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, quelque peu timide.
Il nous avait été répondu - chacun en a le souvenir - qu'il y avait lieu
d'attendre le dépôt d'un rapport demandé à une commission présidée par un
éminent conseiller d'Etat.
Ce rapport, notre collègue Pierre Fauchon, la commission des lois, largement
instruite par les auditions d'éminents spécialistes auxquelles elle a procédé,
l'ont en quelque sorte pris au mot par anticipation, estimant qu'il y avait
lieu d'agir sans attendre le dépôt d'un projet de loi.
Nous considérons en effet que ce texte s'inscrit normalement dans la
perspective de cette réforme d'ensemble de l'institution judiciaire à laquelle
nous sommes évidemment attachés.
Notons, d'ailleurs, qu'un texte, par lui-même, n'est pas suffisant ; il faut
attendre du juge chargé de l'appliquer un état d'esprit qui tienne compte de
l'intention du législateur.
Il n'en est pas toujours ainsi. Cette discordance apparue parfois entre nos
intentions et certains jugements demeure, puisque la Cour de cassation n'exerce
parfois qu'un contrôle limité. Aussi la proposition qui vous est aujourd'hui
soumise, mes chers collègues, nous est-elle apparue particulièrement urgente et
nécessaire.
Nous souhaitons, à ce propos, que le juge fasse preuve, dans l'exercice d'une
fonction que nul ne songe à critiquer, d'une connaissance plus concrète de la
réalité des collectivités territoriales. Peut-être une formation adaptée à
l'Ecole nationale de la magistrature pourrait-elle être envisagée !
Aujourd'hui comme alors, plusieurs principes nous guident.
D'abord, nous ne voulons pas faire un sort à part aux élus, même si la nature
de leur mandat et les moyens dont ils disposent pour l'exercer font que leur
situation diffère sensiblement tant de celle du citoyen dans sa vie privée que
de celle du professionnel dans son entreprise.
Il n'était pas illégitime de songer à une solution de cet ordre. Mais on se
refuse, dans une société particulièrement médiatisée, à ce que les élus locaux
fassent, en cas de faute dans l'exercice de leurs fonctions, l'objet d'un
traitement spécial.
Le risque pénal qu'ils encourent en agissant dans l'intérêt commun est tenu
pour normal, comme il est apparu normal, notons-le au passage - on l'a bien vu
lors des récents événements qui ont si directement atteint tant de Français -
qu'ils soient au premier rang pour tenter de faire face.
Deuxième principe : nous voulons prendre en compte le besoin de transparence,
d'information et de compréhension des victimes et de leurs ayants droit - nous
les avons entendus, au cours de nos auditions - besoin qui est souvent très
supérieur à leurs exigences en matière de réparation ou de sanction.
Comment ne pas être touché par les propos tenus, avec beaucoup de modération,
par les représentants de ceux qui ont été directement atteints lors de
terribles accidents ? Nous souhaitons qu'ils comprennent que la proposition
faite n'a nullement pour objet de les priver des réparations nécessaires, pas
plus qu'elle n'a pour objet d'empêcher la recherche des responsabilités
fautives.
Il faut, enfin - c'est le troisième principe - assurer la cohérence globale
des mécanismes de sanction pénale et de responsabilité civile au regard de
l'évolution de la société, qui est à la fois plus complexe et plus sensible à
la protection collective de la vie humaine.
Je ne peux que me réjouir de voir qu'après, semble-t-il, quelques hésitations
exprimées à Léognan par M. le Premier ministre le Gouvernement ait décidé
d'appuyer notre démarche. Nous avons un engagement de voir se poursuivre la
navette parlementaire pour permettre l'adoption de la présente proposition de
loi avant la fin de la session.
Je ne puis m'empêcher de penser que la manière, peut-être un peu rapide, un
peu cavalière, dont nous avions posé ce problème lors de la première lecture du
projet sur la présomption d'innocence a pu modestement contribuer à lever
certains obstacles.
Peut-être notre débat d'aujourd'hui, que nous devons aborder dans un climat
apaisé, préfigurera/t-il la perspective nouvelle qui peut s'ouvrir plus
généralement sur la réforme de l'institution judiciaire. Nous avons le souhait
- je l'ai déjà exprimé - d'aboutir, sur des textes essentiels, sur des textes
qui méritent de recueillir le plus large accord parce que ce sont des textes de
société, à un accord entre nos deux assemblées, comme nous l'avions fait pour
le code pénal en son temps.
En conclusion, je veux dire - notre collègue M. Fauchon est le premier à le
savoir - que ce texte, dont le mérite est grand, n'empêchera ni les plaintes ni
les procès. Il aura le mérite d'inciter le juge à se prononcer, peut-être, dans
un état d'esprit différent et en fonction de règles nouvelles.
Mais la tentation demeurera de s'adresser en priorité au juge pénal, en raison
de la rapidité de son intervention et de la faculté qu'il a d'assortir la
condamnation qu'il prononce de l'indemnisation sollicitée.
On aurait pu songer à priver le juge pénal de ce droit et à contraindre en
quelque sorte la victime à se retourner en priorité vers la juridiction
compétente pour obtenir directement réparation, ou pour l'obtenir après que la
condamnation pénale eut été prononcée. Cette mesure aurait pu être envisagée au
cas où l'auteur de la faute aurait été un élu local.
J'ai d'ailleurs, à titre personnel, soumis à la commission des lois un
amendement allant en ce sens.
Je l'ai retiré, dans l'immédiat, après une discussion très ouverte sur ce
point, en raison de l'objection qui m'a été faite de l'alourdissement des
procédures qui en eût résulté et aussi - il faut bien le dire - dans l'état
actuel des choses, de l'incapacité dont fait trop souvent preuve la juridiction
administrative à statuer dans des délais raisonnables.
Faudra-t-il, un jour, transférer ces contentieux de l'indemnisation au juge
civil, comme nous l'avons fait en d'autres temps et dans d'autres circonstances
? La question a été posée. Peut-être pourra-telle être tranchée un jour !
En tout état de cause, la commission a reconnu qu'un problème demeure, celui
de la pénalisation excessive du fonctionnement de notre société. Ce problème
devra être résolu.
Dans l'immédiat, je formulerai, encore une fois, le voeu que la proposition de
loi de notre collègue M. Fauchon fasse l'objet d'un examen positif à
l'Assemblée nationale et que la navette puisse s'engager.
L'adoption de ce texte, à nos yeux - je le répète - s'inscrit dans le cadre de
cette réforme de l'institution judiciaire dont nous demeurons prêts à examiner
les différents éléments constitutifs dans un ordre désormais logique.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste. - M. Mauroy applaudit également.)
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reviendrai pas - M. Fauchon l'a
excellement fait - sur le constat de la mise en cause pénale de plus en plus
fréquente des décideurs publics pour des délits non intentionnels.
Déjà, en 1995, votre rapporteur et M. Delevoye avaient consacré un rapport à
la responsabilité pénale des élus, qui avait bien mis en évidence que la
pénalisation des élus locaux, notamment pour des faits involontaires,
comportait des risques certains pour la démocratie locale. Ces travaux, vous le
savez, ont débouché sur la loi du 13 mai 1996, qui a imposé au juge
d'apprécier
in concreto
les infractions non intentionnelles compte tenu
des moyens et des compétences dont disposait l'auteur de la faute.
Par ailleurs, j'ai moi-même répondu longuement à la question qui avait été
posée devant votre Haute Assemblée par M. Haenel, le 28 avril dernier.
Dans cette réponse, j'ai tenu, d'abord, à relativiser l'ampleur du phénomène,
qui avait pu paraître très préoccupant au vu de certains chiffres avancés par
l'observatoire des risques juridiques des collectivités locales, qui dénombrait
850 mises en examen.
Mais, comme il est rappelé très justement dans le rapport de la commission, ce
chiffre ne distinguait pas entre les infractions intentionnelles et les
infractions non intentionnelles. En outre, il apparaissait que, pour moitié, ce
nombre concernait des procédures pour diffamation. Les chiffres que j'avais
cités de mise en cause d'élus locaux pour des infractions non intentionnelles,
repris à la page 19 du rapport de la commission, faisaient apparaître seulement
54 cas de mise en examen au 1er avril 1999. Par rapport au nombre d'élus
locaux, vous conviendrez que ce chiffre est faible !
Pourtant, c'est moins le nombre de mises en examen ou de condamnations qui
importe que le sentiment d'insécurité juridique ressenti par les décideurs
publics. Aussi, à la fin de ma réponse à la question posée par M. Haenel, je
m'étais engagée à ce qu'une mise à plat de l'ensemble des problèmes soit faite,
afin de dresser un état des lieux complet et objectif, et de formuler des
propositions concrètes.
Ce travail a été mené par un groupe d'étude présidé par M. le conseiller
d'Etat Jean Massot et composé de magistrats, d'agents publics et d'élus, dont
MM. Delevoye et Sapin. Le rapport sur la responsabilité pénale des décideurs
publics m'a été remis le 15 décembre dernier. Il a été largement diffusé, en
particulier auprès des parlementaires, et il a aussi été mis en ligne sur le
site Internet du ministère de la justice.
Partant d'un constat fait par tout le monde, celui d'une pénalisation
indéniable de la vie politique, il indique qu'il existe des solutions pour y
remédier, dont aucune, je veux le souligner, n'est exempte d'inconvénients
politiques, juridiques ou psychologiques.
Il n'est pas question de prévoir une procédure pénale particulière pour les
élus locaux, ni même pour les décideurs publics en général. La commission des
lois du Sénat le dit très nettement, tout comme le rapport Massot, et les
auditions auxquelles vous avez procédé le confirment.
Je me suis moi-même opposée, lors de la première lectue du texte relatif à la
présomption d'innocence, à des amendements qui, de près ou de loin, avaient
pour objet de restaurer certaines procédures spécifiques pour les agents
publics.
Par conséquent, si l'on n'opte pas pour une procédure pénale spécifique, on
peut être tenté de modifier le fond du droit pénal. C'est précisément ce que
proposent à la fois le rapport Massot et la proposition de loi de M. le
sénateur Fauchon.
Mais, avant d'entrer dans le vif du débat, je voudrais souligner que cette
proposition, comme les autres, présente également des inconvénients. En effet,
elle implique de renoncer à des principes fort anciens, comme par exemple la
théorie de l'équivalence des conditions ou celle de l'identité de la faute
civile et pénale.
En effet, on doit se poser la question de savoir si, à partir du moment où
l'on fait un texte général qui prend place dans le code pénal et qui, par
définition, s'adresse à tout le monde, on ne produit pas des effets non
désirés. En particulier, Mme Viney a fort opportunément rappelé devant la
commission du Sénat que c'est la « multiplication des accidents du travail et
des accidents de la circulation qui avait été à l'origine du développement de
la répression des délits non intentionnels ». Sur ce plan, je le dis au nom du
Gouvernement, la répression ne saurait faiblir. Les victimes seraient fondées à
reprocher cet affaiblissement à tous ceux qui y auraient mis la main.
M. Christian Bonnet.
Je suis tout à fait d'accord !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
D'une manière générale, je crois qu'il est
indispensable de veiller à ce que la réforme envisagée n'ait pas pour
conséquence d'affaiblir l'efficacité de la loi pénale dans des domaines aussi
sensibles que celui du droit du travail, de l'environnement, et de la santé
publique ou de la sécurité routière.
Depuis plusieurs années, on constate en effet que la responsabilisation des
acteurs, publics ou privés, a été accrue du fait de l'existence de la sanction
pénale et que cette responsabilisation a porté ses fruits en matière de
prévention. S'il convient d'éviter des poursuites injustifiées ou des
condamnations contraires à l'équité, il ne faut pas, pour autant,
déresponsabiliser les chefs d'entreprise, au risque d'aboutir à une
augmentation des accidents du travail, des faits de pollution, des atteintes à
la santé publique ou des accidents de la circulation.
J'ai moi-même procédé à certaines consultations, comme votre commission l'a
fait. Elles m'ont confortée dans l'idée qu'il ne faut toucher à la loi pénale
que d'une main tremblante. Sur plusieurs points, il me semble que l'expertise
n'a pas été poussée assez loin et que la navette parlementaire permettra de
l'approfondir.
Enfin, et pour clore cette introduction, je crois qu'il faut être constamment
guidé par le souci de n'exonérer ni les élus locaux ni les décideurs publics ou
privés de leur responsabilité pénale lorsque cette dernière est évidemment
engagée. Mais, en même temps, cette responsabilité ne doit pas conduire à
l'inertie par peur du procès ou à la démission par lassitude.
Dans sa proposition de loi rectifiée, M. Fauchon essaye de trouver des
solutions à ces problèmes difficiles. Les solutions qu'il propose et qui ont
été adoptées par la commission portent, vous le savez, sur deux points qui
rejoignent très largement les principales propositions faites par le rapport
Massot : d'une part, elle entend redéfinir le champ des délits non
intentionnels ; d'autre part, elle étend avec prudence la responsabilité pénale
des collectivités territoriales en tant que personnes morales.
Je voudrais revenir sur ces deux points, et d'abord sur la redéfinition du
champ des délits non intentionnels.
Quel est l'état du droit aujourd'hui ?
La question des infractions pénales non intentionnelles a toujours été très
délicate. Par principe, le droit pénal ne réprime que les comportements les
plus graves, les plus blâmables, ce qui est le cas des infractions
intentionnelles, des infractions dont on peut dire qu'elles sont faites de «
mauvaise foi ».
En revanche, il paraît
a priori
surprenant que les comportements commis
« de bonne foi » par une personne qui n'a ni l'intention de violer la loi, ni
l'intention de causer un dommage puissent également constituer des infractions.
Dans un tel cas, le recours au seul droit civil, qui permet l'indemnisation du
dommage, peut paraître suffisant.
Dans le nouveau code pénal résultant de la commission de révision présidée par
M. Badinter, est très clairement posé le problème, puisqu'il y est spécifié, à
l'article 121-3, que les crimes et les délits étaient en principe des
infractions intentionnelles : « Il n'y a point de crime ou de délit sans
intention de le commettre. »
Il demeure que ce même article a aussitôt apporté une exception à ce principe
en rappelant que, lorsque la loi le prévoit, des délits pouvaient être
constitués par une faute d'imprudence ou de négligence.
En effet, lorsque sont en cause des valeurs primordiales, comme la vie ou
l'intégrité physique des personnes, les comportements, même commis de bonne
foi, qui portent atteinte à ces valeurs paraissent devoir, dans certaines
circonstances, être sanctionnés pénalement. Par conséquent, le droit pénal
n'est pas seulement un droit subjectif, qui recherche s'il y a eu intention de
mal faire, mais aussi un droit objectif, qui sanctionne des comportements. J'ai
dit que cette évolution ne pouvait êtrequ'aprouvée dans le domaine du droit du
travail, de la santé, de l'environnement et de la sécurité routière.
Pour autant, ces infractions pénales supposent la commission d'une imprudence
ou d'une négligence, c'est-à-dire d'une faute, d'un manquement à un devoir de
prudence ou de diligence qui, malgré son caractère non intentionnel, présente
un caractère blâmable parce qu'il porte sur une activité susceptible de causer
un danger pour les personnes.
Si, dans leur principe, les dispositions de notre droit pénal paraissent ainsi
totalement justifiées, leur application pratique a cependant soulevé
d'importantes difficultés, pour les deux raisons suivantes.
En premier lieu, les textes définissant les infractions non intentionnelles,
et notamment les articles 221-6 et 222-19 du code pénal réprimant les homicides
et les blessures involontaires, ont retenu une conception large du lien de
causalité entre la faute et le dommage.
Dès lors que la faute a causé le dommage, même indirectement, même si d'autres
fautes ont eu un rôle causal, que plusieurs fautes « ont concouru au dommage »,
comme le précise la jurisprudence de la Cour de cassation, l'infraction peut
être reprochée à chacune des personnes dont le comportement a été jugé fautif.
C'est la fameuse théorie de l'équivalence des conditions, qui a été préférée à
celle de la causabilité adéquate.
En second lieu, la nature même de la faute a été définie très largement par le
code pénal, qui vise l'imprudence, la néglicence, la maladresse, l'inattention
et le manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi
ou les règlements. La jurisprudence a estimé, au vu de ces formulations, très
proches de celle de l'article 1 383 du code civil, qu'il y avait identité entre
la faute civile et la faute pénale et que toutes les fautes, même les plus
légères, pouvaient ainsi caractériser une infraction. L'arrêté de la Cour de
cassation du 18 décembre 1912 n'a jamais été remis en question, depuis lors,
sur ce point.
Il résulte de ces deux principes - équivalence des conditions et identité des
fautes civiles et pénales - que la répression des délits non intentionnels
présente une particulière sévérité, notamment lorsqu'elle concerne les
personnes qui n'ont pas causé directement le dommage, mais dont le comportement
a pu créer les circonstances qui ont permis ou facilité la réalisation du
dommage.
Tel est, en particulier, le cas de ceux qui, parmi les diverses
responsabilités qui leur incombent, ont pour mission de prévenir, grâce aux
actes qu'ils sont susceptibles de prendre ou à la réglementation qu'ils peuvent
édicter, des atteintes à la sécurité des personnes ou des biens. C'est ainsi le
cas de dirigeants privés ou publics, comme les chefs d'entreprise ou les élus
locaux.
A cet égard, de nombreux exemples pourraient être cités, qui sont dans toutes
les mémoires : celui du dancing du Cinq-Sept, celui du stade de Furiani, dans
lequel le directeur de cabinet du préfet a été mis en cause, celui des termes
de Barbotan, où c'est le maire qui l'a été, celui de la catastrophe du Drac,
celui de la mort d'un enfant tombé du haut des falaises d'Ouessant, où le maire
a été condamné.
Cette situation n'est pas nouvelle, et l'exposé des motifs du nouveau code
pénal rappelait, en 1986, que des dirigeants peuvent être condamnés pour « des
infractions dont ils ignorent parfois l'existence ».
Depuis très longtemps, la doctrine comme les responsables politiques ou
administratifs critiquent la sévérité excessive des textes et de la
jurisprudence, mais sans proposer pour autant un dispositif alternatif qui soit
suffisamment précis pour éviter une appréciation trop subjective de la
responsabilité pénale tout en garantissant par ailleurs les droits des victimes
- vous avez auditionné ces dernières et vous avez été aussi touchés par leur
témoignage.
Tels sont l'état du droit et les difficultés qu'il génère. La proposition de
loi adoptée par votre commission sur le rapport de M. Fauchon me paraît
apporter une amorce de réponse à cette problématique.
La réponse, que je qualifierai d'esquisse de solution, apportée par votre
rapporteur me paraît à la fois audacieuse et mesurée.
Elle est audacieuse, car elle revient sur ces deux principes séculaires de
l'identité des fautes et de l'équivalence des conditions.
Elle est aussi mesurée pour les deux raisons suivantes : d'une part, elle
articule la question du lien de causalité et celle de la faute, en exigeant une
faute caractérisée lorsque le lien de causalité entre la faute et le dommage
est indirect, sans exiger, dans tous les cas, soit un lien de causalité direct,
soit une faute caractérisée ; d'autre part, elle limite cette exigence à la
responsabilité pénale des personnes physiques et non à celle des personnes
morales.
S'agissant du premier point, la solution proposée par notre rapporteur est,
dans son principe, identique à celle qui est retenue par le rapport de la
commission que présidait M. Massot, mais elle en diffère toutefois légèrement à
deux égards.
La première différence, qui me paraît tout à fait justifiée, est que la
réforme proposée ne concerne pas que les délits d'homicide ou de blessures
involontaires, mais vise l'ensemble des infractions d'imprudence, ce qui exige
une modification de l'article 121-3 du code pénal.
A la réflexion, le Gouvernement partage l'analyse de M. Fauchon : il n'y a pas
de raison que l'appréhension plus circonscrite de la notion de faute
d'imprudence ne concerne pas tous les délits non intentionnels, par exemple les
délits en matière de pollution.
La seconde différence porte sur un point plus complexe, qui est la
caractérisation de la faute exigée en cas de causalité indirecte.
Le rapport Massot proposait de recourir au concept de « faute grave ». M.
Fauchon et votre commission proposent de retenir le concept de mise en danger
délibérée, ou, pour reprendre précisément les termes de la proposition, la
notion de « violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de
sécurité ou de prudence ».
Ce concept présente, il est vrai, plusieurs avantages.
En premier lieu, il existe déjà dans notre droit pénal, depuis l'entrée en
vigueur du nouveau code pénal en 1994, puisqu'il est utilisé dans la définition
du délit de risque causé à autrui prévu par l'article 223-1 du code pénal et
comme circonstance aggravante des délits d'homicide et de blessures
involontaires
En second lieu, il s'agit d'un critère objectif qui suppose la démonstration
d'une imprudence consciente de la personne. C'est parce que la personne aura
été personnellement alertée - en pratique par une autorité supérieure, par un
subordonné, par un usager ou par les circonstances particulières de l'affaire -
de l'existence d'un risque déterminé et de la nécessité de prendre certaines
précautions pour en éviter la réalisation que sa responsabilité pénale pourra
être engagée. Je m'interroge toutefois sur le point de savoir si ce critère
n'est pas trop réducteur. Cette interrogation résulte non seulement de la
lecture du rapport Massot, mais également du compte rendu de certaines des
auditions auxquelles votre commission a procédé fort utilement.
Certains comportements, même non délibérés, peuvent en effet être la cause
indirecte d'un dommage et présenter un caractère particulièrement grave qui
justifierait une condamnation pénale. L'exemple donné lors des auditions de
votre commission, celui du chirurgien qui informe de façon erronée l'équipe
soignante chargée du réveil de son patient de la nature de l'opération qu'il a
effectuée, ce qui conduit les membres de cette équipe à commettre des fautes
directes, est à cet égard éclairant.
En outre, s'agissant d'accidents du travail, il semble, au vu de statistiques
récentes, qui portent sur 500 condamnations annuelles en matière d'homicides ou
de blessures involontaires, que la violation manifestement délibérée d'une
obligation de sécurité par l'employeur n'a jamais été recherchée par les
juridictions pour entrer dans la voie de la condamnation.
La solution pourrait donc consister à retenir les deux critères de faute
manifestement délibérée ou de faute d'une particulière gravité, ce qui
permettrait d'engager la responsabilité pénale de la personne physique en cas
de faute inadmissible ou intolérable alors même qu'elle ne présente pas un
caractère délibéré. Je pense que la discussion d'aujourd'hui ainsi que la
navette parlementaire permettront d'approfondir cette réflexion.
En tout état de cause, je souhaite préciser l'interprétation qui me paraît
devoir être retenue de l'expression choisie par votre commission. De telles
précisions, qui figureront dans les travaux parlementaires, me semblent
indispensables pour faciliter l'application de ces nouveaux textes par les
juridictions.
Quelle est donc l'interprétation qu'il faut donner de l'expression « violation
manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de
prudence » ?
Je rappelle que la faute non intentionnelle est actuellement définie par
l'article 121-3 comme une imprudence, une négligence ou un manquement à une
obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements. La
faute caractérisée, qui serait désormais exigée en cas de lien de causalité
indirect, est définie par ce même article comme la « violation manifestement
délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité ».
Il n'est donc pas exigé que l'obligation de prudence ou de sécurité qui a été
violée soit prévue par la loi ou les règlements. Une règle de prudence, « de
bon sens », dont n'importe qui comprendrait qu'elle doit être respectée peut,
en cas de violation manifestement délibérée, donner lieu à condamnation
pénale.
Par exemple, outre les cas de violation d'une prescription précise figurant
dans une circulaire, le directeur d'une école qui ne fait rien après avoir été
personnellement avisé que le portail d'entrée risque de s'effrondrer parce
qu'un gond est cassé pourra être jugé responsable si le portail chute sur un
élève. De même, le maire d'une commune qui a été personnellement alerté du
danger qu'il y aurait à laisser ouvert un établissement accueillant du public,
alors que des travaux sont en cours pourrait être jugé responsable en cas
d'accident.
En définitive, le texte proposé par votre commission doit donc être compris
comme visant toutes les formes d'imprudence manifestement délibérée, qu'elles
aient ou non été prévues par une loi ou un règlement. Si une telle
interprétation n'était pas assez claire, il faudrait le préciser dans le texte
même en visant les deux cas de figure soit que la violation soit celle d'une
règle évidente et de bon sens de prudence, soit que ladite règle soit prévue
par un texte précis de loi ou de règlement.
Le caractère mesuré de la proposition de M. Fauchon découle ensuite du fait
que la limitation de la responsabilité pénale pour les infractions non
intentionnelles en cas de causalité indirecte entre la faute et le dommage ne
concerne que les personnes physiques.
En tout état de cause, les personnes morales, si elles sont pénalement
responsables - ce qui est notamment le cas des entreprises privées en cas
d'accident du travail ou des collectivités territoriales pour leurs activités
susceptibles de délégation - pourront toujours être condamnées.
Cette « plus grande » responsabilité pénale des personnes morales ne remet pas
en cause les principes du nouveau code pénal, car la réforme s'analyse non pas
en une réduction de la définition des délits d'imprudence, mais comme
l'institution d'une cause de non-responsabilité - ou de non-imputabilité - qui
ne profite qu'aux personnes physiques mais qui ne supprime pas l'existence de
l'infraction.
La réforme proposée n'est par ailleurs pas contraire au principe d'égalité
devant la loi, ce qui aurait été le cas s'il avait été prévu que la
responsabilité pénale d'une personne morale était un obstacle juridique à celle
de ses organes ou représentants personnes physiques. En effet, toutes les
personnes physiques, qu'il existe ou non une personne morale pénalement
responsable, se trouvent dans la même situation : leur faute indirecte n'engage
leur responsabilité personnelle que si elle est manifestement délibérée.
L'intérêt de cantonner les effets de la réforme aux personnes physiques permet
ainsi de sauvegarder les droits des victimes.
J'en viens maintenant à l'extension mesurée dans la proposition de M. Fauchon
de la responsabilité pénale des collectivités territoriales.
La responsabilité pénale des personnes morales est une des innovations
fondamentales du nouveau code pénal entré en vigueur le 1er mars 1994. Ce
principe est posé à l'article 121-2, qui exclut toutefois la responsabilité
pénale de l'Etat.
En revanche, le code pénal a prévu une responsabilité pénale des collectivités
territoriales et de leurs groupements pour les seules activités susceptibles de
faire l'objet d'une convention de délégation de service public. Cette inclusion
avait été inspirée par le souci d'éviter une rupture d'égalité entre les
activités des personnes privées et des activités analogues exercées par des
collectivités locales.
Je ne consacrerai pas de longs développements à cette question. Mais, comme la
plupart de ceux qui y ont réfléchi - je pense notamment au rapport du Conseil
d'Etat consacré à la responsabilité pénale des agents publics de 1996, mais
aussi aux remarques de la commission - je ne peux envisager sérieusement une
responsabilité pénale de l'Etat. Je sais bien que certains soutiennent que
l'Etat peut se condamner civilement à réparer des dommages, mais la
responsabilité pénale est de nature éminemment différente car elle participe de
la souveraineté. En outre, si nul n'est responsable pénalement que de son
propre fait, je ne vois pas comment une responsabilité pénale collective de
l'Etat pourrait être engagée.
Cette restriction aux activités susceptibles de faire l'objet d'une délégation
prenait ainsi en compte le fait que les activités de police administrative,
c'est-à-dire de réglementation au sens large, étaient de nature
fondamentalement différente des activités privées.
Je reste pour ma part convaincue qu'entre la fonction d'édicter des règlements
afin d'assurer la sécurité et la tranquillité de nos concitoyens, et celle
d'organiser le ramassage des ordures ménagères, il y a une différence de
nature.
Certes, beaucoup voient dans l'exercice du pouvoir de police la source
principale des mises en cause de leur responsabilité pénale. Ce n'est pas
faux.
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
C'est la raison pour laquelle, par exemple,
l'Association des maires de France a particulièrement soutenu la proposition
selon laquelle toute plainte mettant en cause un élu local pour une faute non
intentionnelle commise dans l'exercice de ses fonctions ne peut donner lieu,
dans un premier temps, qu'à la seule mise en examen de la collectivité publique
pour laquelle il les exerçait.
Sans aller aussi loin, votre commission a retenu la solution proposée par la
commission présidée par M. Massot. Elle consiste à étendre la responsabilité
des collectivités territoriales à toutes leurs activités, mais seulement en cas
de manquement non délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence prévue
par la loi ou le règlement.
Je dois vous avouer que je partage les appréhensions et les réticences du
président Massot, qui a fait part à votre commission de sa position personnelle
sur cette question, laquelle ne rejoignait pas celle de la majorité de la
commission qu'il présidait.
En premier lieu, en effet, l'extension de la responsabilité des personnes
morales pourrait être comprise comme une fuite des élus devant leurs
responsabilités. Comme l'a dit le Premier ministre le 24 novembre dernier
devant le congrès des maires de France « cela pourrait conduire à un
affaiblissement du sens de la responsabilité personnelle ».
En deuxième lieu, la représentation de la personne morale lors de la procédure
judiciaire sera le plus souvent assurée par le responsable de l'exécutif de la
collectivité, ce qui ne modifierait pas véritablement le traumatisme de la mise
en examen.
En troisième lieu, il me paraît clair que la plupart des sanctions du droit
pénal ne sont guère adaptées aux personnes morales. Seules les amendes
pourraient être prononcées, mais elles seraient bien entendu supportées par les
contribuables, qui pourraient estimer qu'ils ne sont pour rien dans le dommage
et peut-être même, pour une partie d'entre eux, qu'ils sont victimes de ce
dommage.
Enfin et surtout, je crois que la possibilité d'engager plus largement la
responsabilité pénale des collectivités locales conduirait inévitablement à un
accroissement de la pénalisation de la vie publique, et je ne crois pas que ce
soit ce que nous cherchons. La décision de prendre telle ou telle
réglementation, celle de choisir de réparer d'abord la salle polyvalente plutôt
que de réaliser tout de suite une station d'épuration aux nouvelles normes
devrait-elle faire l'objet d'une évaluation par le juge pénal ?
M. Gérard Delfau.
Eh oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est le cas !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Ne pourrait-on pas dire que le juge pénal deviendrait
alors celui de l'opportunité des décisions des collectivités publiques ? Et,
par là-même, ne serait-il pas conduit à remettre en cause le principe
fondamental de la séparation des autorités administratives et judiciaires, du
moins lorsque les premières exercent des prérogatives de puissance publique
?
Non, décidément, contrairement aux vertus qu'on lui prête, qui me paraissent
largement illusoires, je ne crois pas que l'extension de la responsabilité
pénale des collectivités territoriales soit une bonne chose.
Je crois que l'on peut s'engager - et encore avec beaucoup de précaution -
dans le sens d'une définition plus exacte du délit non intentionnel, même si je
crois qu'il faut bien en mesurer les conséquences.
Sur le second point de la proposition de loi, vous l'avez compris, je partage
plus les réticences du président Massot...
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Et la majorité de sa commission ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... que l'enthousiasme de certains.
Je n'ai abordé devant le Sénat que les deux points qui faisaient l'objet de la
proposition de loi de M. le sénateur Fauchon, mais le rapport de la commission
présidée par M. Massot énonçait beaucoup d'autres pistes, qu'il conviendra
d'explorer même si cela ne se traduit pas forcément par des textes
législatifs.
Je voudrais dire pourtant que le chapitre VI du rapport de M. Massot, qui est
consacré à la nécessité de rendre la mise en examen moins systématique et moins
traumatisante, contient beaucoup de propositions dont il a déjà été discuté,
ici même et à l'Assemblée nationale, lors des débats sur le projet de loi
relatif à la présomption d'innocence et au renforcement du droit des
victimes.
J'ai eu l'occasion de dire également que j'étais prête à élargir encore le
statut de témoin assisté - qui est déjà considérablement renforcé dans la
rédaction actuelle du projet de loi - à faire en sorte que le juge soit obligé
d'entendre la personne avant toute mise en examen ou encore à ce que le
contrôle sur les délais d'instruction soit renforcé.
Je suis certaine que c'est plus la mise en examen qui préoccupe les élus
locaux que le nombre des condamnations effectivement prononcées, qui est encore
inférieur à la vingtaine - je l'ai dit en commençant cette intervention. C'est
donc aussi, et peut-être principalement, sur la procédure pénale qu'il faut
agir. Nous le faisons et nous continuerons à en discuter ensemble ; mais c'est
un sujet qui est traité par le biais du texte relatif à la présomption
d'innoncence.
Par ailleurs, s'il s'agit de favoriser - et c'est nécessaire - les modes de
règlement des conflits autres que pénaux, je souhaite rappeler que le Parlement
est saisi d'un texte qui reviendra bientôt devant la Haute Assemblée et qui est
relatif au référé administratif ; ce texte vise à accélérer le rendu de la
justice administrative. J'en attends beaucoup, dans la mesure où les juges
administratifs seront mieux armés pour faire face à l'urgence et pour apporter
des réponses aux revendications légitimes des victimes.
J'ai aussi indiqué que les textes réglementaires qui accompagneront cette loi
contiennent des dispositions qui permettront d'allouer des provisions en cas de
dommages, même en l'absence d'une requête au fond. C'est un élément important
de simplification et de rapidité.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela existe au civil.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je crois enfin, et je l'ai dit à plusieurs reprises
devant cette assemblée, qu'il convient de « mieux armer juridiquement les
décideurs publics » - je reprends là le titre du chapitre VIII du rapport de M.
Massot. Il faut certainement améliorer la formation des élus et des agents
publics au droit. Il faut aussi développer les capacités d'expertise juridique
des collectivités locales, expertise qui pourrait d'ailleurs justifier, je le
souligne, des formules d'intercommunalité un peu plus fréquentes. Il faut enfin
renforcer le contrôle de légalité.
Bien entendu, ces dispositions ne relèvent pas du seul ministère de la
justice, qui est là, comme le rappelait tout à l'heure M. Larché, pour apporter
aux magistrats non seulement des connaissances techniques, mais également des
connaissances plus générales sur les contraintes et sur les obligations des
décideurs publics. Un important travail interministériel reste à faire. Il est
engagé, et j'espère que nous pourrons le mener à bien.
Cette nécessité a été prise en compte par M. Hanoteau, le nouveau directeur de
l'Ecole nationale de la magistrature, et la formation initiale et continue
intègre d'ores et déjà une ouverture plus large sur la société.
Enfin, le rapport de M. le président Massot contient beaucoup d'autres
propositions dont il ne peut pas être débattu maintenant, soit qu'elles exigent
des expertises plus approfondies et trouveront leur place dans la navette
parlementaire, soit qu'elles ne doivent pas se traduire obligatoirement par des
textes de nature législative.
Je suis persuadée que, sur les autres points, il nous faut en effet laisser le
temps de la maturation.
Mais cette proposition de loi mérite en tant que telle d'être examinée, et
vous avez entendu les engagements de calendrier pris à ce titre par le
Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Hyest,
Jolibois et Delevoye applaudissent également.)
M. le président.
La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mise en
examen de maires, parfois suivie de condamnations, suscite un légitime émoi
chez les élus.
J'ai pu en prendre la mesure à l'occasion des états généraux organisés à
Lille, le 9 septembre dernier, sur l'initiative du président Christian
Poncelet.
M. le président.
Je vous remercie de le rappeler !
M. Pierre Mauroy.
De nombreux élus étaient présents. Le dialogue qu'ils ont noué avec les
magistrats a quelquefois tourné à la confrontation. Il a, en tout cas, confirmé
le sentiment d'un malaise.
Les élus ressentent particulièrement mal le nombre élevé de mises en examen,
dont les répercussions pour eux vont bien au-delà de la dimension personnelle :
elles les affectent dans l'exercice même de leur mandat. Ces affaires, nous ne
devons pas en exagérer l'ampleur, mais nous ne devons pas davantage en
sous-estimer la réalité.
Le texte dont nous débattons aujourd'hui nous offre en tout cas l'occasion de
nous pencher sur cette question. Je dirai d'entrée de jeu que j'approuve le
choix principal qui sous-tend cette proposition de loi : le refus d'un régime
de responsabilité spécifique pour les élus.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
La proposition de loi, en effet, s'inscrit dans le droit commun dès lors
qu'elle s'adresse à tous les justiciables. Ce postulat de départ est
fondamental.
Ce choix cependant crée des contraintes particulières, et sans doute nous
conduit-il à aller moins loin que nous l'aurions initialement souhaité. Je
crois cependant que la proposition de loi présentée par notre collègue Pierre
Fauchon réalise le meilleur équilibre possible, en opérant une distinction
selon qu'il existe un lien direct ou indirect entre la faute commise par un
responsable et le préjudice subi par la victime.
Cette notion de lien direct figure d'ailleurs aussi dans le rapport du groupe
d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics, dont vous avez,
madame la ministre, confié la présidence à M. le conseiller d'Etat Jean Massot.
Elle permettra de distinguer entre la personne qui a réellement commis le
dommage et celle qui a, le plus souvent involontairement, créé la situation
provoquant ce dommage.
Dès lors que le lien entre la faute et le dommage est indirect, ce qui, soit
dit en passant, est le plus souvent le cas lorsqu'il s'agit d'élus, il nous est
proposé dans le texte de ne retenir la responsabilité qu'en cas de faute
qualifiée.
Le texte de la commission des lois retient finalement la notion de « violation
manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de
prudence ». Le groupe socialiste s'associe, comme vous, madame le garde de
sceaux, à cette qualification, qui a l'avantage d'être déjà connue et appliquée
par le juge pénal. Cette nouvelle rédaction des articles 221-6 et 222-19 du
code pénal évitera ainsi les abus les plus criants.
On a vu parfois la responsabilité de l'élu recherchée dans des cas où il
n'avait donné aucune instruction, où seuls de simples dysfonctionnements des
services étaient en cause, souvent même dans l'ignorance complète du
responsable municipal. La référence à une violation manifestement délibérée
écartera donc la responsabilité pénale de l'élu dans cette hypothèse, du moins
peut-on le penser. Ce critère permettra néanmoins de rechercher la
responsabilité de l'élu lorsqu'il a pris une part à la commission de
l'infraction.
De plus, nous ne pensons pas qu'un débat sur la responsabilité des élus doive
être l'occasion de transposer en droit pénal une notion issue du droit
administratif. Cependant nous souhaitons que la rédaction retenue permette le
contrôle de la Cour de cassation. Il est important en effet que l'unicité de la
jurisprudence prévale sur la diversité des situations locales et des
appréciations des juridictions d'appel.
L'essentiel d'ailleurs est de ne pas perdre de vue que ce texte doit
s'appliquer à l'ensemble des responsabilités, c'est-à-dire aussi bien aux
accidents de la route qu'aux accidents du travail, afin de prévenir toute
régression quant au droit des victimes à être indemnisées. Nous pensons que
notre collègue Fauchon et la commission des lois du Sénat ont fait un bon
travail ; c'est pourquoi nous les suivrons.
Un deuxième aspect de la proposition de loi porte sur l'extension de la
responsabilité pénale des collectivités locales. La situation, vous la
connaissez : il s'agit d'éviter la mise en jeu immédiate de la responsabilité
de l'élu alors que, bien souvent, c'est un dysfonctionnement des services
administratifs qui est en cause.
Je suis plutôt favorable à cette mesure, que j'ai d'ailleurs évoquée à Lille
lors des états généraux sur la responsabilité des élus en septembre dernier.
M. le président.
Exact !
M. Pierre Mauroy.
C'est d'ailleurs Robert Badinter qui est à l'origine de la novation qu'a
constitué la reconnaissance dans le code pénal de la responsabilité pénale des
personnes morales.
Sur ce point, cependant, le Gouvernement nous oppose des arguments non
négligeables, notamment celui de l'égalité de traitement entre les
fonctionnaires de l'Etat et les fonctionnaires des collectivités locales.
Problème complexe que celui de la responsabilité de l'Etat ! Il faudra des
jours, des mois, peut-être des années pour aborder ce problème ! Je m'en
éloigne prudemment...
(M. le rapporteur sourit.)
Dans sa proposition de loi, Pierre Fauchon nous propose l'extension de la
responsabilité pénale des collectivités locales à l'ensemble de l'activité
municipale et non plus aux seules activités pouvant faire l'objet de
délégations de service public, parce que cela, c'est une réalité. Il existe, je
le sais bien, une dualité, en quelque sorte, que vivent les maires entre, pour
certains secteurs, une responsabilité, et, pour d'autres, une responsabilité
aussi de la collectivité locale.
Il me semble que les objections du Gouvernement ne sont pas infondées et que
nous devrions peut-être prendre le temps de réfléchir à une responsabilité
pénale de l'ensemble des personnes morales, y compris l'Etat, ce qui suppose
bien des études et des débats complémentaires. Nous ne pourrons pas arrêter une
position définitive aujourd'hui !
Pour autant, les élus que nous sommes sont sensibles à une adaptation du
droit. Compte tenu de la situation actuelle, qui suscite réellement une
inquiétude constante et légitime de la part des élus, nous devrions procéder à
une telle adaptation. C'est pourquoi j'exprime, au nom du groupe socialiste, un
préjugé favorable au texte proposé, à la condition que ne soient pas adoptés
des amendements qui trahiraient son équilibre.
Nous savons que le renforcement de la responsabilité des décideurs va dans le
sens de l'histoire. L'évolution du droit s'inscrit dans cet élargissement de la
responsabilité. C'est vrai du droit pénal comme du droit administratif ou du
droit du travail.
Mes chers collègues, cette responsabilité, en tant qu'élus, nous la
revendiquons. L'action politique appelle, en effet, la responsabilité la plus
haute et la plus étendue. Nous avons pleinement conscience d'être aujourd'hui
confrontés à de nouvelles exigences. Notre société estime que le développement
scientifique et technologique doit s'accompagner d'un réduction maximale des
risques. Nous y répondons, notamment par le principe de précaution.
Aujourd'hui, tous les décideurs, tous les responsables, doivent répondre non
seulement de leur gestion directe, mais aussi des conséquences collectives de
cette gestion. Et cela, nous l'assumons tous les jours.
Cette évolution - certains diront ce progrès - nous l'acceptons ; mais,
parallèlement, il existe une tendance excessive, quelquefois provocatrice, de
notre société à la pénalisation,...
MM. Gérard Delfau
et
Raymond Courrière.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
... à la recherche de responsables, voire, trop souvent la mise en cause de
boucs émissaires.
M. le président
et
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
Peu importent les responsabilités, pourvu que l'on tienne un responsable !
M. Gérard Delfau.
Le maire, si possible !
M. Pierre Mauroy.
Sur ce plan, la République doit soutenir ses élus, en particulier ses maires
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur
certaines travées du RDSE. - M. le président de la commission et M. le
rapporteur applaudissent également),
car cette évolution du bouc émissaire
ne peut pas être le droit ; elle n'est pas la justice. Tel est le véritable
problème.
C'est dire que la responsabilité pénale, que personne ne conteste quand elle
est justifiée, se doit d'être non seulement efficace, mais aussi juste à
l'égard de ceux à qui elle s'applique. Elle suppose, par conséquent, un
encadrement juridique clair. Elle ne saurait en effet se substituer à la
responsabilité politique et,
a fortiori,
constituer le moyen de
contester, par la voie procédurale, les choix démocratiques d'une majorité de
citoyens.
Il faut bien comprendre que les élus sont aujourd'hui confrontés à des
arbitrages de plus en plus sophistiqués. Ils se trouvent parfois face à
l'envahissement général de normes techniques, en butte à l'imprécision, voire à
la contradiction de celles-ci,...
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Pierre Mauroy...
à des imprécisions entre ce qui est décidé au niveau de la France et ce qui se
décide ou n'est pas encore décidé au niveau de l'Europe.
La sécurité juridique de notre action constitue ainsi une préoccupation sans
cesse plus pressante. Nous sommes en droit d'attendre, sur ce plan, une
vigilance du Gouvernement dans la création des normes. L'élu local, quand il
s'agit de leur application, se trouve au bout de la chaîne, et c'est sa
responsabilité qui, finalement, est mise en cause.
Par ailleurs, sur un tout autre plan, il conviendrait de réfléchir à l'action
pénale des associations, sur laquelle, naturellement, il n'est pas question de
revenir, mais qui peut faire l'objet de véritables détournements du droit. Ces
cas sont fort heureusement très minoritaires mais ils existent. Là encore, il
faut trouver un moyen de réprimer les excès ou tout au moins de les éviter, en
réservant, par exemple, la constitution de partie civile à des associations
justifiant d'une certaine ancienneté ou bénéficiant de régimes spécifiques
d'habilitation et non à celles qui se créent en fonction d'un problème
d'actualité, à propos d'une affaire soumise au tribunal ou qui pourrait
l'être.
Mais, mes chers collègues, ne nous leurrons pas : dans un contexte d'immense
mutation du rôle de l'élu, les véritables réponses sont aussi ailleurs. Elles
tiennent principalement aux conditions d'exercice des mandats.
Les élus sont amenés à consacrer de plus en plus de temps à leur fonction.
Cette disponibilité accrue pose, à terme très rapproché, la question du statut
de l'élu.
M. le président.
Très, très bien !
M. Pierre Mauroy.
Prenons l'exemple des problèmes de sécurité. Dans ma ville, la commission de
sécurité siège non pas, peut-être, de façon permanente, mais en tout cas des
journées entières.
Quel élu peut en permanence et une journée entière être le représentant du
maire dans ces commissions de sécurité ?
M. le président
et
M. Gérard Delfau.
Eh oui !
M. Pierre Mauroy.
On s'arrange ! Mais la vie est compliquée pour tout le monde en particulier
pour les maires. Il est donc absolument indispensable de prendre des
dispositions pour que les maires puissent être présents et assumer leurs
responsabilités.
Souvent, le maire se trouve dans l'obligation de dire : « Vous pouvez passer
outre la décision du préfet. » Cela m'arrive ! Ce n'est pas facile ! En cas de
pépin, je ne sais pas quelles seraient les conséquences.
M. Gérard Delfau.
Eh oui !
M. Pierre Mauroy.
Mais quand on vous dit : « Il n'est pas possible de jouer au football sur le
stade » ; alors que, cinq jours plus tard, doit avoir lieu un match entre Lille
et Marseille... Allez prendre la décision de fermer le stade ! Je pourrais
multiplier les exemples de cette sorte.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
Le vrai problème est que, souvent, le maire se trouve en bout de chaîne et que
les parapluies ont été ouverts par les autorités situées en amont.
M. Gérard Delfau.
Bien sûr ! Très bien !
M. Henri de Raincourt.
Et ils sont nombreux !
M. Pierre Mauroy.
Les maires supportent mal cette situation, ou plutôt ils la supportent
courageusement en bravant les difficultés et en prenant les plus grands risques
temporairement. Combien de maires sont obligés de le faire, quitte, sinon, à
provoquer des problèmes considérables pour leur ville, leur commune, leurs
concitoyennes et concitoyens !
La réflexion sur le statut de l'élu devient d'autant plus urgente que la
perspective d'une limitation renforcée du cumul des mandats et l'introduction
de la parité en politique, votée avant-hier à l'Assemblée nationale, vont
induire un renouvellement profond du monde politique.
A défaut, mes chers collègues - permettez-moi de faire un peu d'humour - pour
la constitution des prochaines listes électorales, il faudra passer des petites
annonces ainsi libellées : « Recherche candidats au poste de conseiller
municipal âgés de préférence de plus de soixante ans ou, mieux encore,
retraités ». En attendant, on peut toujours faire des discours pour attirer des
jeunes ; je l'ai fait. Mais il faut leur trouver un emploi, par exemple un
emploi à la communauté urbaine alors qu'ils sont élus de la ville de Lille, et
vous voyez d'ici les gros yeux de la chambre régionale des comptes ! Voilà de
vrais problèmes auxquels il faut trouver des solutions. Ils ne sont pas
imaginaires, ils sont vécus.
Il y a en France 550 000 élus locaux. Certains vivent avec la préoccupation de
plus en plus présente du risque pénal. Ils accentuent ce risque d'ailleurs, car
je crois que leur sentiment d'insécurité va au-delà du véritable risque qu'ils
courent, mais c'est ainsi.
Il faut donc doter ces élus d'un véritable statut professionnel qui leur
permette d'assumer plus sereinement leur mandat et qui facilite l'ouverture
plus large des fonctions électives à l'ensemble des citoyennes et des
citoyens.
Je sais bien, madame la ministre, que l'ensemble de ces questions, sur
lesquelles d'ailleurs la commision pour l'avenir de la décentralisation, que je
préside, fera dans le cours de l'année des propositions au Gouvernement, ne
sont qu'implicitement posées dans le débat d'aujourd'hui. Mais elles devront
faire l'objet de discussions ultérieures. Je constate d'ailleurs que certaines
d'entre elles sont abordées dans le rapport que M. Massot vous a remis et par
le texte sur la présomption d'innocence, dont l'examen se poursuit.
Mes chers collègues, si le problème dont nous débattons aujourd'hui est loin
d'être secondaire, je ne saurais oublier qu'il s'inscrit dans la question plus
vaste de la réforme de la justice. Le projet de loi sur la présomption
d'innocence comporte certaines dispositions qui répondent à des situations
critiquables liées à notre réflexion de ce matin : je pense notamment aux
modalités et à la durée de ces mises en examen, parfois interminables,
insupportables du fait de la suspicion qu'elles font naître et du soupçon
qu'elles font peser sur les personnes concernées.
Mes chers collègues, vous me permettrez, en terminant, de vous dire ma
conviction.
Qu'on le veuille ou non, le défi pour la France est désormais celui de sa
propre ambition à se moderniser ! Le temps n'est plus où le « mal français »,
pour reprendre l'expression qu'avait utilisée Alain Peyrefitte, était lié à la
résistance au changement de notre société. Aujourd'hui, au contraire, celle-ci
aspire profondément à la réforme, tout particulièrement à la réforme de l'Etat
et de l'exercice des fonctions électives ou encore à la réforme de la justice.
La classe politique ne peut plus désormais s'opposer à d'inéluctables
évolutions de société, qui plus est largement attendues par l'opinion.
Sur les réformes récentes, le conservatisme a accusé sa coupure profonde avec
la société.
Le PACS enregistre un succès qui va au-delà des prévisions.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
Que n'a-t-il, pourtant, suscité d'obstruction et de critiques ! La parité a
été adoptée par l'ensemble de nos collègues députés à une voix près. Que
n'a-t-elle pourtant, ici même, soulevé de réserves et de mise en garde ! Le
renforcement de la législation anti-cumul se trouve - et notre assemblée en est
seule responsable - dans une situation sinon de blocage, du moins
d'incohérence.
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est un expert en cumul qui parle !
M. Pierre Mauroy.
Ces trois réformes sont pourtant plébiscitées par nos concitoyennes et
concitoyens.
M. Raymond Courrière.
Parce qu'elles marquent le progrès !
M. Pierre Mauroy.
Ma conviction, madame la ministre, est que la réforme d'ensemble sur la
justice que vous présentez avec lucidité et détermination s'imposera finalement
en raison de sa qualité et parce qu'elle correspond à une nécessité.
Cette réforme s'imposera parce qu'aucune opposition ne saurait durablement
contrarier des évolutions inéluctables auxquelles répondent les projets du
Gouvernement. Voilà pourquoi je suis convaincu que la réforme d'ensemble sur la
justice que vous présentez, madame la ministre, conserve toute son actualité.
Elle doit se faire et elle se fera. En tout cas, si elle ne pouvait se faire
avant, elle serait inscrite au grand rendez-vous des présidentielles.
Quant au Sénat, mes chers collègues, il sait en certaines occasions apporter
une contribution essentielle à l'oeuvre législative. C'est ce qu'il fait en ce
moment même avec la responsabilité pénale, sur un bon texte, qui a été bien
travaillé. Il serait dommage que cette image soit ternie par une résistance
systématique à des évolutions qui s'imposent pour la société, et pour le Sénat
lui-même.
Il n'y a pas de fleuves immobiles. Il est trop tard pour ramer à
contre-courant. Le prochain siècle nous conduira à la réforme, en particulier à
celle de la justice. Je partage cette conviction avec l'ensemble du groupe
socialiste. Cette conviction n'a d'égale que la sérénité avec laquelle nous
abordons le débat d'aujourd'hui et apportons notre préjugé favorable au texte
qui nous est soumis.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi
que sur certaines travées du RDSE. - M. le rapporteur applaudit
également.)
M. le président.
Vous me permettrez de vous faire observer, monsieur Mauroy, que la qualité de
la présentation de la situation des élus locaux à laquelle vous vous êtes livré
est due, me semble-t-il, au fait que vous êtes maire. A méditer, dans l'optique
du projet de loi sur le cumul des mandats !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est pas gentil pour les autres !
M. Pierre Mauroy.
C'est trop simple de dire cela ! Je suis un élu depuis vingt-cinq ans, c'est
vrai...
M. Jean-Jacques Hyest.
Cumulard !
M. Pierre Mauroy.
... mais nous entrons dans un nouveau siècle. Des évolutions se font jour. Il
faut s'y adapter !
M. le président.
Progressivement !
M. Pierre Mauroy.
Il faut aller beaucoup plus vite ! En tout cas tel est mon sentiment.
M. le président.
La parole est à M. Arnaud.
M. Philippe Arnaud.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, merci
tout d'abord à Pierre Fauchon pour sa proposition, fondamentale en droit, qui
répond, sur un point essentiel, au grave problème posé par les mises en cause
des maires, des présidents d'associations dans des affaires où, à l'évidence,
c'est leur seule fonction qui les rend coupables.
Le 28 avril dernier, dans le débat ouvert par la question de notre collègue
Hubert Haenel sur la responsabilité pénale des maires, je me suis exprimé pour
dire la nécessité et l'urgence qu'il y a à apporter des réponses concrètes,
pragmatiques, à ce problème complexe, certes, mais posé de façon récurrente.
Je vous faisais observer, en illustrant mes propos d'exemples concrets, le
hiatus qui existe entre élus, magistrats, médias et plaignants.
Pour les magistrats, procureurs ou juges, c'est limpide : une mise en examen
n'est pas une déclaration de culpabilité ; c'est seulement le moyen par
l'instruction de rechercher la vérité.
Pour les médias, qui alimentent l'opinion publique, il n'y a pas de fumée sans
feu, et la mise en examen devient une présomption de culpabilité. C'est inscrit
ainsi dans les esprits.
Pour les plaignants, c'est le début de la satisfaction d'une légitime
revendication : enfin, on va trouver le responsable, identifier un coupable et
le châtier.
Les magistrats - cela arrive souvent - les médias et les plaignants, face à
une réalité parfois tellement complexe qu'un coupable ne peut être identifié,
se retrouvent souvent pour conclure à l'encontre d'un bouc émissaire.
Pour l'élu, en charge d'affaires publiques ou associatives, qu'il soit reconnu
coupable ou non, c'est être condamné dès sa mise en examen. Même innocenté, il
rentrera chez lui seul, et qui saura qu'il a été innocenté alors que les
tambours auront résonné pour sa mise en examen ?
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Philippe Arnaud.
Vous l'avez compris, je m'inscris en défense des maires et de ces responsables
associatifs, citoyens choisis par leurs concitoyens et parmi leurs concitoyens
pour s'occuper, un temps, des affaires de la commune, du département, de la
région ou de l'association, mais je m'attacherai plus particulièrement au
maire, agent de l'Etat chargé de diverses responsablités de police.
Béotien, je n'entrerai pas dans la dimension juridique, particulièrement
complexe, de la question. M. Pierre Fauchon, merveilleux avocat et éminent
spécialiste, venant de se livrer à de brillants développements.
M. Jean-Jacques Hyest.
Oui !
M. Philippe Arnaud.
Je serai peut-être iconoclaste, mais dépourvu d'arrière-pensée, seulement
soucieux d'exprimer la lassitude, l'inquiétude grandissante, malheureusement
maintes fois justifiée, de celles et ceux, indispensables acteurs et
responsables de terrain, qui se trouvent, du simple fait de leur élection, à la
croisée de toutes les misères, de tous les problèmes, de toutes les difficultés
et d'enjeux qui, souvent, les dépassent.
Ceux-là disent : stop ! Assez ! On s'en va !
Certes, on trouvera toujours des inconscients ou des prétentieux - il s'agit
d'ailleurs parfois des mêmes ! - pour prendre la relève, mais ils déchanteront
à leur tour.
La République ne peut se satisfaire de cet état de fait. La démocratie ne peut
traiter ainsi ses élus. Il y va de son avenir.
Pas de privilèges, surtout pas de privilèges ! Mais davantage de considération
pour la fonction, si lourde et si complexe, et un minimum d'analyse préalable
avant de désigner à la vindicte populaire, par presse interposée, un élu, homme
ou femme, évidemment responsable, de par sa fonction, mais rarement
coupable.
Le principe de précaution est aujourd'hui une référence fondamentale.
Pourquoi, alors, ce principe ne s'appliquerait-il pas, d'abord, au bénéfice de
l'homme lorsque son honneur peut être mise en cause ?
On ne « fait » pas parce qu'il y a potentiellement un risque ou parce que, en
l'absence de connaissances suffisantes, on est incapable d'évaluer le risque
potentiel. Mais, lorsqu'il s'agit de mettre en examen un élu, aucune hésitation
! On verra à la fin de la foire...
La justice serait-elle la seule à pouvoir s'exonérer de ce principe de
précaution ?
Dois-je le préciser, je ne défends pas ici, et aucun d'entre nous ne saurait
jamais défendre, les rares élus - mais peu, c'est déjà trop - qui se sont
rendus coupables de malversations, d'actes malhonnêtes, abusant de leur
fonction à des fins personnelles ou ignorant volontairement les responsabilités
de leurs charges ! Ceux-là ne doivent ni ne peuvent nous inspirer aucune pitié
!
Je pense à celles et à ceux qui gèrent en « bon père de famille », et je crois
que cela a un sens honorable, un sens moral autant qu'un sens juridique.
Comment ne pas être encore plus inquiet pour ceux-là après avoir lu, le 23
janvier, dans un grand quotidien du soir, que des agents de l'Etat incitaient
des étudiants à traduire en justice leurs parents, sur le fondement de
l'article 203 du code civil, pour non-respect de l'obligation d'entretien,
alors même que ces parents, endettés, saignés aux quatre veines pour assurer
l'entretien et la scolarité de leurs enfants, ne pouvaient payer la chambre
d'étudiant ?
Ainsi va la société, sans doute ! C'est inquiétant !
Une étudiante a été choquée qu'une telle chose puisse même être envisagée. Son
père avait-il trahi sa confiance ? Non ! L'enfant connaissait la situation.
Noble et heureuse réaction !
Y a-t-il, mes chers collègues, une grande différence entre ce père de famille
et l'élu attentif, qui gère en bon père de famille, avec les moyens dont il
dispose ? On devrait pouvoir répondre non. Et pourtant !
Et pourtant, en forçant un peu le trait, on pourrait dire aujourd'hui que
l'élu, lui, a par nature vocation à être coupable.
Il est d'abord coupable envers lui-même et envers sa famille de s'être mis au
service de ses concitoyens, au lieu de rester tranquillement chez lui.
Il est ensuite coupable, et c'est plus grave, envers ses administrés, lui qui
a voulu ou en tout cas accepté des responsabilités, alors même qu'il n'était
pas ingénieur-préventionniste, ni technicien de l'environnement, ni architecte,
ni médecin, ni électricien qualifié, ni contrôleur de structures, ni
expert-comptable, et encore moins juriste. Et même s'il était juriste,
devait-il exceller en droit public ou en droit privé ? En droit civil ou en
droit pénal - cela pourrait lui servir ! - en droit social ou en droit des
affaires ? Et je vous ferai grâce du droit international, encore que la
construction européenne ne permette plus de l'ignorer !
Il est coupable, donc, de n'avoir pas su ce qu'il ne savait pas, de n'avoir
pas prévu l'imprévisible, de n'avoir pas pu réunir les moyens propres à
empêcher ce qui lui est reproché.
Et la liste des compétences que requiert l'exercice de la fonction de maire ne
s'arrête pas à ces métiers dont l'inventaire fait déjà penser à Prévert. C'est
sans doute pour cela qu'il n'y a pas de statut qui encadre cette noble
fonction. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il est urgent qu'un
statut accompagne l'élu dans l'exercice de son mandat.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Philippe Arnaud.
Supprimez les élus, mettez des fonctionnaires à leur place et vous verrez les
primes de responsabilité et de risque qu'il faudra leur servir !
L'élu peut faire appel, pour exercer ses responsabilités, à des compétences
extérieures, me direz-vous ; et vous aurez raison. Mais une petite commune dont
le budget équivaut à celui d'un ménage ne peut tout simplement pas se payer de
tels services.
Et les lois que nous votons, les normes réglementaires que les ministres
édictent quotidiennement, tous ces textes qui, à une vitesse vertigineuse,
remplacent les précédents rendent quasiment illusoire pour un maire la
perspective de rentrer chez lui un soir en disant : « Ça y est, tout est en
ordre, tout est aux normes, sur le fond comme sur la forme, je suis
inattaquable, j'ai assuré la parfaite sécurité de mes administrés. »
Quand bien même il croirait pouvoir se le dire, où serait la satisfaction pour
un maire - et pour ses administrés - d'avoir supprimé les jeux dans les écoles,
fermé la cantine scolaire, interdit les sorties éducatives des enfants, fermé
les circuits de randonnées ? Et la liste n'est pas exhaustive !
Pendant ce temps, l'Etat, dans sa grande souveraineté, poursuit sa route, se
déchargeant petit à petit de ses responsabilités à risque sur le dos des élus
locaux, plus facilement identifiables. Lui-même est exonéré de responsabilité
pénale au prétexte que, la justice étant rendue au nom de l'Etat, elle ne peut
l'être contre l'Etat ! Le béotien que je suis répond : facile !
Est-ce une affaire trop importante pour être laissée dans les seules mains des
spécialistes, c'est-à-dire des juristes ? Je serais parfois tenté de dire qu'il
faut au contraire les en dessaisir.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Ce serait raisonnable !
(Sourires.)
M. Philippe Arnaud.
Mais la sagesse me conduit à répondre par la négative, bien entendu. A la
condition, toutefois, que les spécialistes reprennent conscience de la réalité
du terrain.
Nous sommes tous responsables de cette situation. C'est à nous tous,
Gouvernement, élus, magistrats et citoyens, de trouver les réponses
adaptées.
C'est au Parlement de faire la loi, qu'il propose des textes ou qu'il discute
les projets du Gouvernement. C'est aux juristes et aux magistrats de contribuer
à son élaboration, puis de l'appliquer. Mais qu'ils écoutent le Parlement et
qu'ils entendent l'esprit de la loi !
C'est aux citoyens, responsables eux aussi, de sortir de leurs contradictions.
Que le citoyen consommateur ne réclame pas ce que le citoyen contribuable ne
veut pas payer ! Que le citoyen victime ne se laisse pas aveugler par sa
douleur et puisse trouver juste réparation sans faire des victimes inutiles à
son tour !
Madame le garde des sceaux, vous nous avez appelés tout à l'heure à ne toucher
au droit pénal que d'une main tremblante. Notre main, votre main
tremblent-elles lorsque nous pénalisons à outrance ?
Nous devons oser. Il y va de l'avenir de notre organisation démocratique. La
proposition de Pierre Fauchon ose. Après la loi du 13 mai 1996, c'est un
nouveau pas qu'il nous invite à accomplir. Fût-il petit, ce pas est de nature à
clarifier et à améliorer la situation. C'est pourquoi, comme le groupe de
l'Union centriste, je voterai cette proposition de loi, tout en formant le voeu
que cette avancée résiste à la pression médiatique, qui avive constamment
l'émotion publique, et à l'émotion publique ainsi amplifiée.
Comme un éminent intervenant l'a souligné lors de l'audition publique du 19
janvier, « c'est à la libre appréciation du juge ». Alors, que le juge apprécie
librement, mais aussi sereinement !
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Jolibois.
M. Charles Jolibois.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les
dispositions de la proposition de loi de notre collègue Pierre Fauchon dont
nous débattons aujourd'hui sont particulièrement attendues, et pas seulement
par les maires, surpris de voir leur responsabilité pénale de plus en plus
souvent mise en cause pour des faits non intentionnels.
Le coeur du débat est en fait la question, bien connue des juristes, de la
responsabilité sans faute intentionnelle, dite « responsabilité objective ».
Pour éviter cette banalisation, trois pistes s'offraient à nous.
La première consistait à adopter une loi spéciale applicable aux maires, si
l'on pensait particulièrement à eux. Mais cette solution n'était pas admissible
psychologiquement et constitutionnellement, car elle contrevenait au principe
d'égalité devant la loi.
Au demeurant comme l'a rappelé M. Mauroy, les maires revendiquent leur
responsabilité dès lors que le système est appliqué avec équité.
La deuxième piste consistait à élaborer un privilège de juridiction. Mais
cette solution était celle qui était appliquée avant le vote de la loi du 4
janvier 1993, laquelle l'a supprimée. Il était donc difficile d'y revenir.
Enfin, la troisième piste consistait à instituer un filtre, comme il en existe
un pour la Cour de justice de la République. Nous avions, dans ce sens, élaboré
un texte, portant la signature du président de la commission des lois, M.
Jacques Larché, mais qui n'a pas été examiné en séance publique.
Aucune de ces trois pistes n'a été retenue. Devant l'efficacité, non encore
reconnue complètement, mais qui a déjà porté ses fruits, de la loi, également
rapportée par M. Fauchon, du 13 mai 1996, le législateur tente maintenant de
trouver un autre moyen de protéger des personnes ayant des responsabilités
particulières des excès de la responsabilité pénale objective. Telle est
l'origine de la présente proposition de loi.
Ce texte introduit à l'article 12-3 du code pénal la notion de faute «
manifestement délibérée ».
Comme j'ai eu l'occasion de le souligner lorsque nous examinions l'article du
code pénal relatif à la mise en danger, cette expression se raccroche à un
principe clé du droit pénal, à savoir que celui-ci doit mettre avant tout
l'homme en face de sa conscience en ce qu'il vise des personnes qui commettent
sciemment un acte délictueux.
C'est la raison pour laquelle la commission des lois avait déposé un
amendement - l'amendement n° 79 - spécifiant que la mise en danger devait être
« consciemment et manifestement délibérée ».
C'est à la suite d'un parcours législatif complexe, dont j'ai relu en totalité
le compte rendu et qui avait donné lieu à des dialogues nourris entre M.
Kiejman, alors garde des sceaux, le président de la commission des lois, M.
Dreyfus-Schmidt et moi-même, en tant que rapporteur, que l'expression «
consciemment et manifestement délibérée » a été supprimée : après deux
navettes, un accord a été trouvé pour supprimer le mot « consciemment »,
considéré comme une redite, et s'en tenir à l'expression « manifestement
délibérée », en indiquant qu'elle signifiait, en fait, « consciemment ».
L'expression « manifestement délibérée » est celle qui figure maintenant dans
le code pénal, et c'est pourquoi nous avions beaucoup insisté pour que le texte
soit, si possible, voté à une très grande majorité. Le code pénal est fait pour
durer. On ne doit y toucher, dites-vous, madame le garde des sceaux, qu'en
tremblant. Il est donc préférable que les dispositions qu'il contient soient
votées à une majorité traduisant un très large consensus. C'est une telle
majorité qui a retenu l'expression « manifestement délibérée ».
D'après ce texte, qui ne concerne que la mise en danger, le juge doit
rechercher si la personne qui a commis un acte répréhensible l'a fait en ayant
devant les yeux, ou dans son imagination, le spectacle des conséquences
possibles et a néanmoins choisi de passer à l'acte.
Le juge doit également faire la distinction, entre dommages directs et
dommages indirects.
Sur ce point, le texte proposé par notre collègue Pierre Fauchon et par la
commission des lois me paraît ingénieux et satisfaisant. Avec une telle
disposition, il faudra toujours que la violation ait été « manifestement
délibérée » pour entamer des poursuites pour maladresse ou négligence.
L'intérêt principal de ces nouvelles dispositions est double.
D'une part, elles vont amener le juge à engager plus de recherches
subjectives, même dans les cas de responsabilité objective, et à pénétrer dans
l'analyse du fonctionnement même du service ou de l'organisation pour apprécier
où se situe la responsabilité du maire dans la hiérarchie des
responsabilités.
D'autre part, l'élu, ou le responsable, pourra être entendu par le juge et se
défendre sur la notion de chaîne de causalité.
La question qui se pose à nous est de savoir si cette nouvelle disposition ne
risque pas de diminuer l'exigence de prudence, dont on attendrait plutôt un
renforcement dans notre société, par exemple dans les domaines de la sécurité
environnementale, de l'agroalimentaire, du risque industriel, des risques du
travail et de la santé publique.
En effet, ce texte s'appliquera non seulement aux maires, mais aussi à toute
autre personne, chef d'entreprise, enseignant ou préfet. Ne risque-t-on pas
alors de voir diminuer le sens de la responsabilité et, surtout, la vigilance
des personnes physiques à un moment où nous sommes confrontés à tant de
risques, et où la loi doit protéger les consommateurs et les usagers des
services publics ?
Par ailleurs, en cas de pourvoi auprès de la Cour de cassation, le contrôle de
la notion de la faute « manifestement délibérée » se fera plus difficilement
puisque la Cour ne procède pas au contrôle des faits.
J'émets là des réserves qui ne doivent pas nous empêcher d'agir, car il .y a
eu une dérive de l'application du droit pénal qui s'est traduite par une
pénalisation accrue de notre société et un recours trop systématique au pénal.
L'intention du législateur est ici de redonner son vrai sens au droit pénal.
Deuxième point important sur lequel portent mes réserves : la proposition de
loi prévoit, à l'article 6, la possible mise en cause de la responsabilité
pénale de la personne morale.
Je me demande en effet comment cette responsabilité sera organisée. Qui
représentera la collectivité dans le box des accusés ? Qui sera présent à
l'audience ? Pourquoi n'a-t-on pas envisagé de recourir à des amendes, comme
c'est déjà le cas pour des délits commis par des personnes morales, en
précisant comment elles seront évaluées ? Pourquoi les collectivités locales
seraient, sur ce point, moins bien traitées que certaines administrations
d'Etat lorsqu'elles exercent des pouvoirs de puissance publique dans l'intérêt
général ? Toutes ces questions doivent être creusées.
Néanmoins, malgré ces quelques doutes, le législateur ne peut rester inactif
face à la dérive actuelle qui consiste, parfois, à chercher un bouc émissaire.
La présente proposition de loi a pour but premier d'éviter les cas très
injustes où une condamnation est prononcée à seule fin de désigner un
responsable à des victimes en détresse.
Cette proposition de loi est issue d'une réflexion qui était indispensable ;
son adoption l'est tout autant. Notre réflexion ne doit cependant pas s'arrêter
là, et nous devons continuer de nous interroger sur la pénalisation excessive
de notre société.
En conclusion, il faut espérer que cette loi participe d'un retour aux sources
mêmes du droit pénal selon le principe : « pas de sanction sans loi écrite »,
ou «
nulla poenae sine lege
». Ce principe avait été invoqué dans le
cadre du débat sur la mise en danger pour repousser la possibilité d'une mise
en examen pour prise de risque n'ayant pas entraîné de conséquences
dommageables, ce qui aurait probablement été la porte ouverte à une
appréciation trop large.
Il faut également souhaiter qu'un texte de l'importance de celui que nous
discutons fasse l'objet du consensus le plus large possible.
J'ai remarqué que le Premier ministre avait annoncé, au dernier congrès des
maires, son intention d'intervenir dans le sens même de la présente proposition
de loi.
J'ai également remarqué, madame le garde des sceaux, que, dans le dossier que
vous aviez envoyé à tous les parlementaires avant le Congrès qui n'a pas eu
lieu, vous aviez joint en annexe cette intervention du Premier ministre au
congrès des maires, dans laquelle il s'engage à étudier le problème,
d'actualité, de la responsabilité des maires.
En 1994 nous avions voté la réforme du code pénal à l'unanimité, en
considérant que nous adoptions un texte de base pour la société. La présente
réforme est tout aussi importante et elle sera, je l'espère, adoptée dans les
mêmes conditions.
En résumé, le texte qui nous est proposé reprend une définition et une analyse
de la faute qui figurent déjà dans le code pénal.
Premièrement, il devrait permettre d'établir, grâce à la jurisprudence sur des
cas concrets, des limites précises pour l'application de cette définition. Si
notre vote est clair, il n'y a pas de raison pour que la Cour de cassation ne
parvienne pas à une analyse comparable à celle qu'elle a faite de la faute
lourde.
Deuxièmement, la présente proposition de loi renforce et accentue les effets
bienfaisants - ils étaient attendus - de la loi de 1996 sur la responsabilité
non intentionnelle - une jurisprudence existe, qui concerne des maires, des
préfets et des enseignants, et qui montre les bienfaits de cette loi.
M. André Rouvière.
Il y en a, mais pas beaucoup !
M. Charles Jolibois.
Troisièmement, la proposition de loi n'a pas pour effet de compliquer la
procédure pour le justiciable victime, comme l'aurait fait le renvoi préalable
à une juridiction de l'ordre administratif pour qu'elle se prononce sur une
éventuelle faute détachable, solution qui avait été proposée, par amendement,
lors de l'examen du texte sur la présomption d'innoncence. En tant que
rapporteur de la commission des lois, je m'y étais opposé.
Quatrièmement, la proposition de loi clarifie la volonté du législateur sur le
traitement pénal différent qui doit être réservé, d'une part, à la faute pénale
entraînant des conséquences directes et, d'autre part, à la faute occasionnant
de dommages indirects et non intentionnels.
Enfin, on ne peut pas ne pas revenir au grand principe selon lequel
nulla
poena sine lege
, car c'est une des colonnes du temple du droit pénal.
M. Raymond Courrière.
Elle est ébranlée !
M. Charles Jolibois.
Si ce principe décline, insensiblement mais sûrement le climat change : le
droit pénal n'est plus défini par la loi, mais par les audaces de la
jurisprudence. Ce n'est plus le droit du législateur : cela devient le droit
des juges, ce que personne ici ne veut.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Michel Charasse.
De toute façon, les juges s'en foutent ! Ils font ce qu'ils veulent !
M. le président.
Poursuivez, monsieur Jolibois !
M. Charles Jolibois.
Cette appréciation ne me dérange pas, monsieur le président,...
M. Henri de Raincourt.
Nous non plus !
M. Charles Jolibois.
... je la trouve même amusante.
M. Michel Charasse.
On peut voter ce qu'on veut, les juges font ce qu'ils veulent !
M. le président.
Monsieur Charasse, laissez l'orateur s'exprimer.
M. Charles Jolibois.
Tout le monde ici estime - et ce sera ma conclusion - que l'excès de
pénalisation pour des fautes non intentionnelles peut avoir des conséquences
extrêmement lourdes sur le nombre des candidatures aux difficiles fonctions de
maire, mais aussi sur les recrutements aux fonctions qui impliquent la prise de
risque dans les entreprises, fonctions qui, les unes comme les autres, sont
pourtant absolument nécessaires à la prospérité de nos concitoyens, au bon
fonctionnement de la démocratie locale, démocratie vivante, grâce à nos 36 000
communes, et qui est indispensable à notre République.
M. Raymond Courrière.
Elle est bien menacée !
M. Charles Jolibois.
Le Sénat était bien dans son rôle, monsieur le président, en soutenant
l'initiative prise par l'auteur de la présente proposition de loi.
Je suis chargé de dire que mon groupe, dans son immense majorité, la votera et
de remercier notre collègue Pierre Fauchon du travail qu'il a accompli, selon
une méthode que j'ai le privilège de bien connaître pour avoir en plusieurs
occasions travaillé avec lui.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. Henri de Raincourt.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je
ferai quelques brefs commentaires, d'abord pour me réjouir que nous soit
présentée aujourd'hui cette proposition de loi, qui, après la loi de 1996,
amène à une réflexion sur la redéfinition du champ du délit non intentionnel et
sur l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales.
Divers travaux ont nourri la réflexion : ceux de l'Association des maires de
France, lors de son dernier congrès, au cours duquel M. le Premier ministre est
intervenu, ceux du groupe présidé par M. Massot, ou encore ceux de la mission
de décentralisation, qui viennent de se conclure par un rapport sur la sécurité
juridique.
La réflexion a en outre porté sur le statut de l'élu et sur les conditions
d'exercice des mandats locaux sur le plan de la sécurité juridique.
Je ne reviens pas aux analyses juridiques et aux commentaires qui ont été
faits, mais je tiens à affirmer pu être certains principes.
Il ne s'agit pas ici de défendre, par réaction corporatiste, les maires, mais
bien d'assurer l'efficacité de l'action publique, qui est au coeur de notre
réflexion, en permettant à ceux qui l'exercent de gérer les risques.
L'exercice de la responsabilité est un art difficile, mais il ne s'exerce
pleinement que si l'on assume totalement ses responsabilités, et un texte ne
saurait avoir pour effet de limiter celles-ci ou de permettre à ceux à qui
elles incombent de leur échapper.
Lorsque l'on est victime, on souhaite légitimement être informé et indemnisé,
et voir condamner ceux qui sont responsables. Tout texte se doit d'assurer le
droit des victimes. Il faut aussi tout mettre en oeuvre pour faciliter la tâche
de celui qui doit juger - exercice ô combien difficile ! - et nous devons
soutenir cet effort. Mais un nécessaire délai doit s'écouler, l'enquête doit
permettre de se forger une conviction et l'accès au dossier doit être assurer
pour la défense, et ce dans la plus grande sérénité des auteurs, des acteurs et
de l'opinion.
Or, vous avez raison, madame la garde des sceaux, quand vous indiquez qu'entre
le sens et la réalité existe aujourd'hui un vrai décalage. Pour les décideurs
publics, la crainte du jugement de l'opinion se superpose à l'inquiétude d'être
condamné pour des faits non intentionnels. Cette condamnation laisse une trace
d'autant plus douloureuse dans l'âme de ceux qui la subissent que ceux-ci ne
sont pas directement impliqués dans les faits incriminés, et à la douleur d'une
condamnation injuste s'ajoute l'humiliation d'une condamnation médiatique, qui
blesse l'honneur d'une famille tout en semant le doute chez ceux qui exercent
des responsabilités.
Vous avez eu raison d'indiquer que, aujourd'hui, nous risquons une
paupérisation de la vie publique, les candidats craignant d'être dans
l'incapacité d'exercer des responsabilités. Déjà, au sein du ministère de
l'éducation nationale, un certain nombre de postes de proviseur sont
aujourd'hui vacants,...
M. Gérard Delfau.
Oui ! Et il manque 10 000 directeurs d'école !
M. Jean-Paul Delevoye.
... tout simplement parce que les possibles candidats considèrent que
l'exercice de cette responsabilité, au nom de l'intérêt général, leur fait
courir des risques majeurs s'agissant de leurs intérêts légitimes sur le plan
privé.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye.
Aussi, l'initiative de M. Pierre Fauchon, soutenue par M. Jacques Larché, au
nom de la commission des lois, mérite d'être saluée.
Ce texte concerne l'ensemble des décideurs publics, car personne, et surtout
pas moi, ne souhaite un traitement particulier pour les élus locaux. Nous
sommes responsables, nous entendons assumer nos responsabilités. Il n'y a
jamais eu de tractations avec quiconque - ce soupçon serait désobligeant tant
pour le Gouvernement que pour le Parlement - pour tenter d'exonérer les élus
locaux d'une quelconque responsabilité.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye.
En revanche, il existe un véritable risque de décourager la prise de
responsabilités dans les collectivités locales, dans le monde de l'enseignement
et au sein du monde associatif. Cela pose le problème de l'efficacité de
l'action publique. J'ai souvent posé cette question : comment l'Etat
pourrait-il agir sans élus locaux, sans présidents d'association et sans
enseignants qui prennent des responsabilités ?
M. Philippe Arnaud.
Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye.
Nous assistons aujourd'hui à une accélération de la pénalisation de la vie
publique. Cela doit nous amener à réfléchir, et je sais que ce point fait
partie des réflexions de la commission des lois, sur l'articulation des
différentes juridictions - administrative, civile et pénale -, mais aussi sur
la mise en cause de la responsabilité de la personne morale et de la personne
privée.
Nous devons garantir la dignité des hommes et des femmes en leur épargnant
l'opprobre public lorsqu'il s'agit d'une mise en examen qui, alors qu'elle doit
leur offrir les meilleurs moyens d'assurer leur défense devant l'appareil
judiciaire, les livre en réalité à l'accusation publique devant le tribunal
médiatique. Combien de carrières brisées, de talents découragés, au moment où
notre société en a le plus besoin !
Vous ouvrez, monsieur Fauchon, une piste intéressante sur le lien entre la
causalité et la faute, sur la limitation de la responsabilité des personnes
privées mais l'extension de la responsabilité des personnes morales. Nous
sommes sensibles à cette approche. D'ailleurs, nous aurions souhaité une
extension plus grande encore de la responsabilité de la personne morale.
Je ne crois pas, madame le garde des sceaux, à l'affaiblissement du sens de la
responsabilité ni, comme conséquence, à l'augmentation de la pénalisation de la
vie publique. Il y a d'autres ressorts.
Je crains, cependant, que nous ne soyons confrontés à un risque de recherche
systématique de la fuite de prise de responsabilités par un certain nombre de
services, de l'Etat ou d'autres administrations, chacun cherchant à repasser à
l'autre le mistigri de la responsabilité. Les commissions de sécurité, qui ont
été évoquées tout à l'heure par M. Pierre Mauroy, en sont un exemple.
Je suis donc convaincu que ce premier pas doit être poursuivi par une
réflexion sur l'accélération de l'indemnisation des victimes, sur le fait que
tout personne doit pouvoir être entendue avant sa mise en examen, sur la
réforme des procédures pénales, sur l'émergence des pôles de compétences, au
sein tant des services de l'Etat que des collectivités locales, et - pourquoi
pas ? - au travers de pôles d'intercommunalité.
Nous devons réfléchir à l'extension des recours abusifs, à notre
responsabilité, en tant que législateur, à la parution des textes trop
normatifs, trop difficiles ; nous devons tout faire pour éviter qu'une trop
grande pénalisation de la vie publique ne fasse évoluer le statut de l'élu vers
une professionnalisation, ce qui serait contraire à l'éthique du mandat
politique et entraînerait une paupérisation de la vie publique.
Un maire n'échappe pas à la prise de décision. Il convient de faire en sorte
que chacun puisse exercer et prendre ses responsabilités à la place qui est la
sienne. La volonté d'ouvrir le « parapluie » ne doit pas mettre parfois l'élu
local dans une situation difficile, au point qu'un certain nombre d'élus locaux
cherchent à déléguer une partie de leurs tâches, ce qui, là aussi, serait
contraire à l'intérêt du service public.
Je suis donc tout à fait favorable à votre proposition de loi, monsieur le
rapporteur. Nous la voterons.
Je souhaiterais simplement faire un petit commentaire à propos du lancement de
la campagne présidentielle par M. Mauroy. Notre collègue a craint « la réforme
pour la réforme ». Où est la vérité ? Est-ce la vérité du moment, car elle
épouse l'intérêt de l'opinion, alors que, dans quelques années, dans cette même
opinion pourra accepter une vérité contraire ? Aujourd'hui, on envisage de
permettre à la police d'entrer dans des établissements scolaires. Or, voilà une
trentaine d'années, certains, dont M. Mauroy, défilaient aux côtés de celles et
de ceux qui disaient : « Il est interdit d'interdire. » Aussi, je me méfie
toujours des vérités du moment, qui sont quelquefois flatteuses pour l'opinion
mais destructrices pour l'avenir de notre pays.
En tant que gaulliste, je considère que ce qui est important, ce n'est pas de
toujours plaire à l'opinion, c'est de préparer l'avenir du pays, c'est la
capacité d'anticipation. C'est la raison pour laquelle je m'étais réjouis, au
nom de M. le Président de la République, que nous réfléchissions à la réforme
de cette institution qu'est la justice. Je me suis également réjouis de voir
vos travaux, madame le garde des sceaux, poser un certain nombre de questions
intéressantes dans le débat ce qui touche à de la société française et pour
lequel aujourd'hui M. Fauchon amorce un premier pas.
(Applaudissements sur
les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous
sommes réunis aujourd'hui pour étudier une proposition de loi visant à apporter
une réponse à la question de la responsabilité pénale pour des faits non
intentionnels. Cette proposition de loi a été déposée afin, nous dit-on, de
répondre au malaise des élus.
Cependant, pour des raisons tenant au contexte dans lequel elle est déposée
mais aussi au niveau limité des réponses qu'elle apporte à des préoccupations
légitimes des élus, comme l'a précisé le rapporteur M. Fauchon, Mme le garde
des sceaux, pour sa part, ayant parlé d'amorce de réponse - les sénateurs du
groupe communiste républicain et citoyen pensent que cette proposition de loi
risque d'être inopportune, voire contre-productive.
Je m'explique. Il est vrai que les élus locaux rencontrent depuis plusieurs
années de plus en plus de difficultés dans l'exercice de leurs fonctions. Les
premières lois de décentralisation ont bientôt vingt ans. Avec le recul, cette
rupture essentielle et nécessaire avec la tradition centralisatrice de l'Etat
français se révèle éminemment perfectible, et nous attendons beaucoup de la
commission mise en place par M. le Premier ministre, présidée par notre
collègue Pierre Mauroy. Depuis l'entrée en vigueur, en 1982, de la première loi
de décentralisation, la France a profondément changé de visage. La crise s'est
approfondie, même si les derniers chiffres sont encourageants.
L'aggravation du chômage, les difficultés que rencontrent nos concitoyens pour
se loger et se soigner, le relâchement du tissu social, le nombre croissant des
incivilités sont autant de défis auxquels les collectivités locales, et
singulièrement les communes, sont confrontées quotidiennement.
L'accroissement incessant de leurs responsabilités, qui ne s'est pas
accompagné d'un transfert important des moyens, a entraîné - on le sait - le
découragement de nombreux élus, notamment les maires.
Cette détresse s'est cristallisée autour de la question de la responsabilité
pénale des élus pour faits non intentionnels. Lors de la tempête, en décembre
dernier, de la marée noire ou des inondations dans le Languedoc-Roussillon -
j'ai eu l'occasion d'y rencontrer de nombreux élus - les élus ont fait preuve
d'une attitude exemplaire, mais ils ont également exprimé leur crainte de voir
leur responsabilité pénale engagée si, par malheur, des bénévoles travaillant
sur les sites venaient à être blessés.
Ils ressentent en effet comme particulièrement injuste leur mise en cause
personnelle pour des faits dont ils n'ont même pas eu connaissance, alors que,
bien souvent, ilssont obligés de « bricoler » au mieux pour pallier l'absence
de moyens effectifs.
Même lorsque, comme c'est le cas la plupart du temps, la relaxe est prononcée,
ils ont l'impression d'avoir été assimilés à des délinquants.
Le problème est réel, même si on peut regretter qu'il soit souvent
surexploité. En effet, les chiffres officiels sont bien moins alarmants que ce
que disent certains : une cinquantaine d'élus mis en cause depuis 1995 ; une
vingtaine de condamnations. Cela ne doit pas masquer les véritables
préoccupations des élus.
Je ne pense pas, en effet, que l'on appelle aujourd'hui « la crise de vocation
» des maires soit due exclusivement ou même prioritairement à la crainte de
voir leur responsabilité pénale engagée. Ce serait bien mal les connaître et
bien mal les juger. Compte tenu du nombre d'élus locaux qui siègent ici, je
pense qu'ils en conviendront avec moi.
Certes, régler la question peut contribuer à répondre un tant soit peu au
malaise des maires, et le fait que la réponse ne soit qu'un élément du problème
ne devrait pas nous faire renoncer à le traiter.
Néanmoins, je m'interroge à la fois sur la portée symbolique de l'examen de ce
texte et sur l'efficacité du dispositif.
Dans la perspective du Congrès sur la réforme du Conseil supérieur de la
magistrature, je m'étais interrogé sur le signe que nous allions donner, en
tant qu'élus et constituants, aux citoyens qui venaient de manifester leur
attente forte d'une justice indépendante.
Aujourd'hui, alors que nous commençons la discussion du texte relatif à la
responsabilité pénale des élus, la réponse est bien plus préoccupante que celle
que j'avais alors imaginée.
Le report du Congrès est perçu par nos concitoyens comme un échec de
l'indépendance de la justice, et vous n'empêcherez personne de penser qu'avec
cette proposition de loi les élus cherchent à se reconstruire une immunité. On
voit bien, dans ce débat, la difficulté, y compris pour certains, de prétendre
le contraire.
C'est ce qui peut arriver de pire, parce que nous risquons d'accréditer l'idée
d'une protection infondée des élus locaux, contrairement à l'objectif que vous
cherchez à atteindre par cette proposition de loi.
Cette liaison entre l'indépendance de la justice et la responsabilité des
élus, vous en portez pour partie la responsabilité. En effet, vous avez, chers
collègues de la majorité sénatoriale, souhaité en faire un élément de la
réforme globale de la justice, en adressant un questionnaire en ce sens au
garde des sceaux, comme préalable au vote du Congrès.
De même, vous n'avez eu de cesse de parler de la nécessité d'une réforme
globale de la justice, de l'importance du dialogue que seul le temps peut
permettre.
C'est bien vous, monsieur le président Larché, qui avez déclaré, le 21
décembre, à l'occasion d'un débat télévisé : « Je me suis abstenu sur cette
réforme de la justice, je n'ai pas voté pour, je n'ai pas voté contre, et ce
n'était pas lâcheté de ma part, ce n'est pas mon habitude. Je l'ai fait
pourquoi ? Parce que je devinais que cette réforme en elle-même n'était qu'un
élément d'un tout et que ce qui comptait avant tout c'était le tout. »
Il semblerait que ce qui est vrai pour la réforme de la justice ne le soit pas
pour d'autres sujets.
Nous aurions eu besoin, au contraire, de temps et de dialogue pour étudier
cette question. Or, ils ont largement fait défaut ici.
Déjà, M. Fauchon n'avait pas eu la patience d'attendre les conclusions du
groupe d'études réuni sous la présidence de M. Massot, président de la section
des finances du Conseil d'Etat, pour déposer sa proposition. Il est apparu que
c'était une erreur, puisque les conclusions du groupe de travail ont été
autrement plus approfondies. M. Fauchon en est néanmoins convenu, puisqu'il a
adapté en conséquence ses propositions.
Je comprends d'autant moins la hâte de notre rapporteur que les auditions
auxquelles la commission des lois a procédé, loin d'avoir éclairé le débat, ont
suscité plus de questions que de réponses : je ne pense pas avoir été le seul à
être ressorti troublé de ces auditions compte tenu de la divergence des points
de vue exprimés...
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Monsieur Bret, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Robert Bret.
Je vous en prie, monsieur le rapporteur.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Monsieur Bret, vous avez l'air de me reprocher de ne pas
avoir attendu qu'une commission administrative ait fait son travail pour
déposer cette proposition de loi. Permettez-moi de vous rappeler que le pouvoir
législatif appartient au Parlement, et que ce dernier fait son devoir quand il
assume ses responsabilités.
M. Robert Bret.
Tout à fait, monsieur Fauchon !
M. Hubert Haenel.
Jusqu'à nouvel ordre !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Et aucun d'entre nous n'a l'obligation d'attendre que telle
ou telle commission administrative, si respectable soit-elle d'ailleurs, ait
déposé son rapport, d'autant qu'on ne sait pas dans quel délai elle le
déposera. Ce n'est donc pas au moment où le pouvoir législatif fait son travail
que vous avez des reproches à lui adresser !
Par ailleurs, nous n'avons pas adapté la proposition de loi aux propositions
de la commission Massot ; c'est au contraire cette dernière qui, concluant
trois mois après le dépôt de la proposition de loi, s'est adaptée à la
proposition de loi. On a dit tout à l'heure que la proposition de loi avait
rejoint les propositions de la commission Massot ; ce sont les propositions de
la commission Massot qui ont rejoint sur un point essentiel le texte de la
commission ! Si des éléments ont effectivement été intégrés dans la proposition
de loi, ils ne sont - je me permets de le signaler - que complémentaires.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Bret.
M. Robert Bret.
Toujours est-il que le rapport Massot était d'une autre richesse, du point de
vue des réflexions et des propositions, que le texte qui nous est soumis
aujourd'hui !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Vous êtes contre les pauvres, monsieur Bret !
M. Robert Bret.
En tout cas, nous avons été unanimes, je crois, au sein de la commission des
lois, à nous déclarer troublés par la divergence des points de vue exprimés au
cours des auditions, et à mesurer la complexité des problèmes posés et donc des
réponses à apporter.
Tel est le cas, par exemple, de la notion de cause directe ou de cause
indirecte du dommage, qu'on a le plus grand mal à définir. Je ne comprends
toujours pas la différence, et il est à craindre que les juges ne la
comprennent pas plus. Les auditions qui ont été réalisées au sein de la
commission des lois me confortent dans cette analyse : tant Mme Viney que M.
Pradel ont critiqué la distinction.
Qu'en est-il de la responsabilité des personnes morales ? Nous savons
également que la question fait débat.
Le Premier ministre a rappelé les risques d'un « affaiblissement du sens de la
responsabilité personnelle » des élus locaux et la crainte d'une « pénalisation
supplémentaire de la vie publique en transférant au juge pénal des compétences
larges dans le domaine de l'administration ».
On s'interroge également sur l'effet dissuasif de la sanction, puisque c'est
le contribuable qui paye l'amende.
On peut se demander si la solution retenue ne prend pas, en fin de compte,
acte de la pénalisation, plutôt que de tenter d'y remédier. Ne serait-il pas
plus opportun de réfléchir sur les moyens d'offrir des alternatives à la voie
pénale ?
La question de la réhabilitation de la voie administrative est décisive ;
c'est l'une des forces du système français, comme l'a indiqué avec raison notre
collègue Robert Badinter lors de nos travaux en commission des lois. N'oublions
pas, comme le rapport Massot a pu le rappeler, que le juge administratif reste
le « juge naturel » de l'administration ; il a su soumettre l'administration à
des règles efficaces de responsabilité, tout en sachant ne pas entraver
l'action administrative. L'extension du référé administratif nous paraît en
l'espèce une solution beaucoup plus intéressante.
De même, il faudrait donner des moyens au juge civil, ce qui permettrait de
faire l'économie du pénal.
Mais ces voies alternatives posent un même problème : celui des moyens. En
effet, il reste que le pénal bénéficie du principe de gratuité. Or, ce que
veulent notamment les victimes, avant tout autre chose, c'est être indemnisées
pour leur préjudice.
On le voit, sur cette question, la responsabilité pénale des personnes morales
ne changera rien.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont également
entendu les craintes exprimées par les associations quant aux répercussions que
les dispositions, si elles étaient adoptées, pourraient entraîner sur les
droits des victimes, en particulier sous l'angle des maladies professionnelles.
L'aggravation des conditions de mise en cause en cas de faute indirecte, avec
la nécessité d'apporter la preuve qu'il y a eu « violation manifestement
délibérée d'une obligation particulière de sécurité », peut en effet altérer
leurs droits.
Il ressort également des conclusions du rapport Massot que, pour espérer
enrayer le phénomène de pénalisation, il faut certainement dépasser le simple
cadre de la définition du délit non intentionnel. Nous savons tous ici qu'il
nous faudra, faute d'en avoir tenu compte, sur le métier remettre notre
ouvrage.
D'ailleurs, si l'on se réfère à la courte histoire du délit non intentionnel,
créé par la réforme du code pénal en 1994, on se rend compte que l'on a les
plus grandes difficultés à mettre en place un régime qui, à la fois, respecte
les droits des victimes et protège l'élu contre les abus : en 1996, soit à
peine deux ans après son entrée en vigueur, l'article 121-2 du code pénal a été
modifié afin d'instituer une obligation d'appréciation
in concreto
par
le juge pénal : désormais, celui-ci est amené à tenir compte de ce que l'élu a
« accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de
ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences, ainsi que des moyens dont
il disposait ».
M. Raymond Courrière.
C'est la moindre des choses !
M. Robert Bret.
Quatre ans plus tard, le Sénat s'apprête à modifier à nouveau la définition du
délit non intentionnel, alors même que nous ne disposons pas du recul suffisant
pour apprécier réellement les conséquences de la modification de 1996.
(M.
Courrière s'exclame.)
A quand la prochaine proposition de loi Fauchon ?
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen réclament, depuis
plusieurs années, qu'une réflexion globale soit menée sur la question du statut
de l'élu. Et j'ai entendu encore à cet égard, voilà un instant, notre collègue
Jean-Paul Delevoye.
Réduire la problématique à la question du délit non intentionnel risque
d'occulter la question des moyens que l'intercommunalité n'a pas, loin de là,
épuisé, même si elle permet de répondre à certains besoins.
L'assistance technique et juridique continue de faire très souvent défaut et
nous laisse souvent seuls pour apprécier les décisions à prendre.
Sauf à s'orienter vers une professionnalisation de l'élu, à laquelle les
membres du groupe communiste républicain et citoyen ne peuvent adhérer, il faut
absolument aborder la question de la formation des élus et des agents publics,
celle de la clarification des responsabilités, mais aussi celle de la
rénovation du contrôle de légalité, qui pourrait devenir un conseil de
légalité.
De même, il est acquis, aujourd'hui, que la simplification des procédures,
notamment en matière de marchés publics, éviterait des irrégularités souvent
involontaires et permettrait de faire face à l'augmentation des risques
encourus, risques que la Cour des comptes vient de souligner dans son rapport
public.
Les conclusions de la mission commune d'information sénatoriale chargée de
dresser le bilan de la décentralisation offraient, dans le rapport intitulé
Sécurité juridique, condition d'exercice des mandats locaux : des enjeux
majeurs pour la démocratie locale et la décentralisation,
des pistes de
réflexion intéressantes ; il est dommage que l'on n'en ait pas tenu compte.
Enfin, le phénomène de pénalisation doit être abordé de façon globale. Les
progrès de la science et de la technologie nous entraînent dans un monde fait
de plus en plus de certitudes, où l'impondérable est ressenti comme une
anomalie, sinon comme une « erreur » : la notion de « risque zéro »,
l'apparition du « principe de précaution » en sont des illustrations.
Le citoyen, aujourd'hui, n'admet plus d'être victime du hasard ou de la
malchance. S'il y a victime, il y forcément quelqu'un, quelque part, qui n'a
pas fait ce qu'il fallait, qui n'a pas pris les bonnes décisions. Il faut que
les responsabilités de toutes les personnes soient clairement identifiées, au
grand jour, devant le juge répressif.
C'est sur cette question qu'il faut, aujourd'hui, que les élus, les
professionnels de la justice, mais également les universitaires, les juristes,
les sociologues, les philosophes réfléchissent.
Une partie de la question devrait être abordée dans le projet de loi
renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes, dont la deuxième lecture, qui interviendra prochainement, sera très
instructive. Un certain nombre d'amendements déposés sur le texte que nous
examinons aujourd'hui trouveront alors leur place.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen souhaitent, dès
lors, marquer leur désaccord avec la méthode employée, qui n'a pas permis une
réflexion constructive. Faute d'avoir eu une vision générale des problèmes, le
bon équilibre ne pourra être trouvé entre une protection minimum nécessaire de
l'élu, qui doit être en mesure de mener à bien sa charge, et un régime
d'exception et de privilège réservé à l'élu, qui instituerait une justice à
deux vitesses, régime qui doit être refusé et que les parlementaires
communistes ont toujours combattu.
La réforme de la justice doit être poursuivie et menée à bien dans des délais
brefs pour que les citoyens ne soient pas pour toujours privés de
l'indépendance de la justice et qu'ils ne soient pas définitivement persuadés
que, comme le disait la Fontaine, « selon que vous serez puissant ou misérable,
les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. -
M. Dreyfus-Schmidt applaudit également.)
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Ou rouge !
(Sourires.)
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans
le cadre de cette discussion générale, je m'en tiendrai à quelques observations
réunies autour de trois idées.
Première idée : tout le monde semble enfin d'accord pour que les délits non
intentionnels soient traités de la même manière pour tous les citoyens, qu'ils
soient élus ou qu'ils ne le soient pas.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Deuxième idée : une fois de plus, nous allons trop vite.
Troisième idée : une nouvelle fois, nous n'allons pas assez loin.
J'en reviens à la première idée : tout le monde semble enfin d'accord pour que
les délits non intentionnels soient traités de la même manière pour tous les
citoyens.
Dès le début du rapport de l'auteur de la proposition de loi soumise
aujourd'hui à l'examen du Sénat, on lit - et, pour ma part, avec le plaisir que
M. le rapporteur imagine - ceci : « la proposition de loi soumise à l'examen du
Sénat repose sur l'idée qu'il convient de réexaminer la question de la
délinquance non intentionnelle dans son ensemble, afin de rechercher une
solution qui constitue un progrès pour l'ensemble de la société et non
seulement pour une partie de ses membres. »
Je sais bien que vous dites également, monsieur le rapporteur, que l'on
pourrait justifier une législation particulière pour les élus
(M. le
rapporteur acquiesce),
mais vous y renoncez.
S'agissant de ce que vous énoncez aujourd'hui, à savoir la nécessité que la
loi soit la même pour tous, je n'ai pas besoin de vous rappeler que c'est là la
position que je n'ai cessé de soutenir, au nom du groupe socialiste, contre
vous-même, contre l'ensemble de la majorité sénatoriale, à l'exception, je dois
le dire, de Jean-Marie Girault, et contre le Gouvernement, alors représenté par
M. Toubon, dans les débats qui devaient conduire à l'adoption de la loi du 13
mai 1996, c'est-à-dire le 26 octobre 1995, en première lecture, et le 14
novembre 1995, en seconde lecture.
A l'époque, inspiré par un avis du groupe de travail dirigé par M. Fournier,
avis dont la teneur n'avait pas été communiquée au Sénat, M. Toubon avait
prétendu légiférer pour tout le monde, alors que, dans le même temps, et en
dépit de nos protestations et de nos interrogations qu'il laissait sans
réponse, il soutenait et acceptait un renversement du fardeau de la preuve au
bénéfice des seuls élus, des fonctionnaires et spécifiquement des militaires,
renversement du fardeau de la preuve refusé en conséquence aux simples
citoyens, aux présidents d'associations, aux artisans, etc.
Pierre Fauchon s'était d'ailleurs opposé à ce que le texte particulier inséré
dans le code des communes le soit également dans la loi du 13 juillet 1983
portant droits et obligations des fonctionnaires, en déclarant loyalement ceci
: « Nous avons proposé que notre texte s'applique uniquement aux élus
locaux.
« Le Gouvernement, après avoir fait voter un texte de portée générale, propose
maintenant un dispositif particulier, repris de notre dispositif particulier
concernant les élus locaux.
« La commission des lois a considéré que le dispositif particulier concernant
les élus comportait tout de même une spécificité en ce qui concerne le champ
d'application de la mesure, mais aussi peut-être au regard de la charge de la
preuve. Ce dispositif était justifié par la situation très particulière des
maires, qui, en réalité, n'a pas d'équivalent. »
Le même jour, je déclarais moi-même - et, depuis, quelqu'un de beaucoup plus
autorisé que moi, a tenu à peu près les mêmes propos -...
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Qui ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt
... ceci : « Après l'affaire du Cinq-Sept, en 1976, on avait déjà cherché le
moyen d'empêcher qu'un élu puisse être traîné devant les tribunaux et condamné
pour imprudence ou négligence. On avait alors inventé le privilège de
juridiction. Il fallait aller devant la Cour de cassation. Si on est ensuite
revenu sur cette pratique, c'est parce qu'on s'est rendu compte qu'elle
ralentissait certaines affaires qu'il ne convenait pas de ralentir, et on l'a
donc supprimée.
« Or, voilà qu'aujourd'hui vous la rétablissez en faisant un sort particulier
aux élus et aux fonctionnaires ; nous pensons que c'est une grave erreur.
« Il faudra sans doute en venir à la solution que nous avons préconisée. »
Nous y sommes. Mieux vaut tard que jamais !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Tout s'améliore !
(Sourires).
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Deuxième idée : une fois de plus, nous allons trop vite.
Si nous sommes obligés de recommencer à légiférer sur le sujet, c'est que, en
1995 et en 1996, le Parlement est allé beaucoup trop vite. La réforme élaborée
à l'époque n'a, il faut le reconnaître - et tout le monde le dit - pas changé
grand-chose.
Le législateur avait demandé que la situation des auteurs de délits non
intentionnels soit considérée
in concreto.
C'est ce que la jurisprudence
a toujours fait, en examinant dans tous les cas les éventuelles circonstances
atténuantes.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
C'est inexact !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
A l'époque, le 26 octobre 1995, j'avais dit - excusez-moi, mes chers
collègues, de me citer à nouveau - que « cela mérite davantage de réflexion »,
et que « peut-être est-on allé un peu vite en besogne ».
Le 14 novembre de la même année, j'ajoutais : « On va beaucoup trop vite ».
Et voilà que nous recommençons ! A en croire le
Bulletin des
commissions
- et comment ne pas le croire ? - lors de la séance de la
commission des lois du 20 janvier, c'est-à-dire jeudi dernier, voilà exactement
une semaine, notre excellent rapporteur, M. Pierre Fauchon
(Sourires)
, a
répondu à M. José Balarello que « la question des mises en cause d'élus pour
atteintes à l'environnement était très importante », mais qu'« il ne lui avait
pas paru possible de la traiter dans son ensemble dans le cadre de la
proposition de loi », ce qu'il nous a d'ailleurs répété ce matin.
Or ne sommes-nous pas réunis aujourd'hui notamment pour empêcher qu'un maire
puisse être condamné parce qu'une fuite dans une usine d'épuration par exemple,
a provoqué, sans qu'il y soit pour quoi que ce soit, la mort de nombreux
poissons ? Moi, je croyais que si ! Nos amendements tendent à l'empêcher, et
j'espère qu'ils ne seront pas rejetés « à la va-vite », si vous me permettez
cette expression. Mais je crois savoir qu'ils ont été retenus par la commission
des lois.
Par ailleurs, la proposition de loi que nous examinons et qui tend à supprimer
les délits non intentionnels « lorsque la faute a été la cause indirecte du
dommage » m'apparaît à l'évidence comme un progrès vers la solution du
problème, mais un progrès non significatif.
La distinction entre la cause directe et la cause indirecte est souvent floue
et entraînerait, dans de nombreux cas, des discussions où tout et le contraire
de tout pourraient se soutenir.
Prenons l'affaire d'Ouessant, que vous connaissez bien. Peut-être certains
d'entre vous ont-ils entendu ce matin même, dès potron-minet, Mme la maire
d'Ouessant expliquer comment elle ressentait la condamnation à trois mois de
prison avec sursis qui lui a été infligée le 2 novembre 1999, c'est-à-dire tout
récemment, par le tribunal de Brest, parce qu'un enfant est tombé d'une falaise
!
Dans cette affaire, on a reproché, d'une part, au directeur d'établissement de
ne pas s'être renseigné, avant d'avoir autorisé l'excursion, sur les
spécificités de l'île d'Ouessant et, d'autre part, à Mme la maire de ne pas
avoir fait installer des panneaux indiquant qu'il était dangereux de rouler à
bicyclette sur le haut de la falaise. Mais personne ne l'avait jamais demandé à
Mme la maire ni à ses prédécesseurs ! Or nous avons eu la surprise de
constater, en lisant ce jugement, que, dans les deux cas, le tribunal de Brest
a précisé - ce que, d'ailleurs, il n'avait nul besoin de faire - qu'il y avait
une relation directe entre la faute reprochée, tant au directeur de
l'établissement qu'à Mme la maire, et le dommage.
M. Gérard Delfau.
C'est scandaleux !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est vous dire que cela n'empêchera pas les discussions devant les tribunaux
pour savoir si la relation est directe ou si elle ne l'est pas.
M. Gérard Delfau.
Il faut savoir si c'est le juge ou le législateur qui doit discuter !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela n'empêchera pas non plus de très nombreuses mises en examen et de très
nombreuses poursuites puiqu'il appartiendra en définitive au parquet, au juge
d'instruction ou aux juges du siège, d'estimer s'il existe un rapport direct ou
indirect entre le dommage et l'imprudence, la négligence ou le manquement à une
obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.
Cela n'empêchera pas plus que l'opinion, à juste titre - je me permets d'y
insister -, ne comprendra pas que des fautes graves ne soient pas sanctionnées
pénalement lorsque la cause est indirecte, par exemple dans les cas tirés de la
jurisprudence et cités dans le rapport Fournier tel celui du conducteur en état
d'imprégnation alcoolique déséquilibrant un cyclomotoriste alors écrasé par un
véhicule roulant derrière lui. Parce que la responsabilité est indirecte, il
n'y aurait pas de poursuites ? L'opinion aurait du mal à le comprendre, et l'on
peut citer d'autres exemples du même ordre.
Enfin et surtout, la non-pénalisation de la cause indirecte, sauf...
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Le « sauf » est essentiel !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Non !
Y compris dans le cas de manquement « délibéré à une obligation particulière
de sécurité ou de prudence »...
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Oui, et c'est le cas que vous citez, comme par hasard !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pas du tout, et Mme le garde des sceaux a eu parfaitement raison de vous dire
qu'il s'agissait de savoir si vous visiez un manquement à un texte ou non. En
effet, aucun texte n'interdit, par exemple, à un ivrogne de circuler à
bicyclette ! Il faudra donc préciser si vous visez le manquement à la loi ou au
règlement, ou bien un manquement à une mesure de sécurité générale dictée par
le bon sens. Au demeurant, même dans ce dernier cas, cela n'empêcherait les
multiples cas où, même très légère, la faute, pour être la cause directe du
dommage, continuerait néanmoins à entraîner poursuite et condamnation pour
délit non intentionnel, soulevant à juste titre l'indignation des honnêtes
gens.
Voilà pourquoi la réforme proposée, pour sympathique qu'elle nous apparaisse,
ne répond pas, à la vérité, à notre attente et à l'attente de tous.
J'en viens à la troisième et dernière idée que j'entendais développer : une
nouvelle fois, nous n'allons pas assez loin.
Où devrions-nous aller ?
A mon sens, il arrivera un jour où le législateur se décidera, sauf en matière
de circulation et de législation du travail, à supprimer toute exception au
principe posé par le premier alinéa de l'article 121-3 du code pénal : « Il n'y
a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. »
C'est une théorie que j'ai déjà soutenue devant le Sénat, mais je dois
reconnaître que les esprits ne sont pas mûrs, ...
M. Raymond Courrière.
Ce sont les juges qui ne sont pas mûrs !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... je dirai même au contraire, compte tenu d'une pénalisation croissante,
notamment outre-Atlantique, dont les habitudes, bonnes ou mauvaises, finissent
en général par nous contaminer.
M. Henri de Raincourt.
Hélas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
En l'état actuel des esprits, l'opinion réclame souvent la punition des
responsables, fussent-ils involontaires, alors qu'il continue de choquer, comme
cela choque tous les enfants, que quelqu'un soit puni alors qu'il « ne l'a pas
fait exprès ».
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Chacun peut aussi faire le constat que, notamment du fait de la procédure, un
procès pénal est, en la matière - hélas, ne généralisons pas ! - infiniment
moins onéreux et plus rapide qu'un procès civil ou qu'un procès devant la
juridiction administrative. M. le rapporteur l'indique dans son rapport, et
c'est une constatation que chacun peut faire.
Je renonce donc, pour un temps, à proposer cette solution radicale qui
consisterait à supprimer toutes les exceptions au principe.
Toutefois, à notre avis, dès que possible, il faudra donc reconnaître aux
parquets, aux juges d'instruction et aux tribunaux le droit de constater que le
citoyen le plus civique, le meilleur des pères de famille peut être en droit
d'ignorer la loi.
J'ai déjà proposé, au nom du groupe socialiste - c'était le 17 juin dernier,
lors de la première lecture du projet de loi sur la présomption d'innocence -
de rédiger ainsi l'article 122-3 du code pénal, qui n'excuse aujourd'hui, de
manière absolutoire, que la personne qui a commis sur le droit une erreur
qu'elle n'était pas en mesure d'éviter : « N'est pas pénalement responsable la
personne dont le tribunal estime qu'elle était en droit d'ignorer la loi ou le
règlement qu'il lui serait reproché de ne pas avoir respecté. »
Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les chiffres cités par le
rapport Massot sont édifiants : comment continuer à prétendre que « nul n'est
censé ignorer la loi » et condamner, en conséquence, des citoyens au pénal
alors qu'il existait, en novembre 1999 - et nous en avons, nous,
parlementaires, ajouté depuis - 10 029 infractions en vigueur, contre 8 805 -
déjà tout aussi impossibles à connaître toutes - en 1989 ? Oui : 10 029
infractions !
Le même rapport Massot, à la page précédente, précise que, de 1984 à 1999,
sont intervenus, avec incidence pénale, 278 lois et ordonnances et 665 décrets
! Et combien d'arrêtés ?
Même si la faute, l'imprudence, la négligence ou le manquement a été la cause
directe du dommage, votre proposition n'empêchera pas que soit automatiquement
condamné au pénal celui qui ne connaîtra pas, et auquel personne n'aura
préalablement rappelé, l'existence de telle loi ou de tel règlement.
Ne pas tirer les leçons d'une telle situation, d'une telle inflation
législative et réglementaire - peut-être inévitable - c'est pratiquer,
passez-moi l'expression, la politique de l'autruche, ...
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... et vouloir ce que vous prétendez, ce que nous prétendons ne plus vouloir,
c'est-à-dire la condamnation pénale de braves gens et, en premier lieu, parce
qu'ils sont, si j'ose dire, en première ligne d'élus locaux.
Il ne devrait y avoir condamnation, en matière non intentionnelle, que lorsque
la faute a été la cause directe du dommage, peut-être, et sûrement seulement
lorsqu'il y a faute lourde ou grave.
M. Gérard Delfau.
Bien sûr !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Certain collègue, appartenant à la majorité sénatoriale et que je ne citerai
pas parce qu'il s'agissait d'une conversation privée, m'indiquait hier qu'il
l'a proposé lors de la discussion du projet de loi portant réforme du code
pénal.
Qu'est-il répondu à cette suggestion ? Que la notion de faute lourde est
étrangère au droit pénal comme au droit civil, qu'elle n'appartient qu'à la
jurisprudence administrative. Cette réponse n'est en rien valable !
Si nous l'inscrivons dans la loi, et, en l'espèce, dans le code pénal, cette
notion appartiendra au droit pénal et non au droit civil, dans lequel
subisteront, bien sûr, les articles 1382 et suivants du code civil. En vérité,
cette notion appartient déjà au bon sens, qui reste la chose la mieux partagée
du monde.
En cas de plainte, les procureurs d'abord, éventuellement ensuite les juges
d'instruction, plus éventuellement encore les juges du siège, sauront bien
distinguer quand la faute sera légère ou, au contraire, quand elle sera lourde
ou, si vous le préférez, grave ! Dans la plupart des cas, il n'y aura de la
part de personne aucune hésitation.
En tout cas, cette distinction est, elle, de nature à éviter les nombreuses
mises en examen, poursuites ou condamnations dont, précisément, les citoyens
sont unanimes, ou quasiment - et nous avec eux - à ne plus vouloir.
Par amendement, nous vous proposerons ce pas décisif dans la solution d'un
problème d'autant plus irritant qu'il est, c'est vrai, délicat.
J'ajouterai quelques mots encore, à l'intention de M. le rapporteur.
Je n'ai pas trouvé dans votre proposition de loi, ni dans les conclusions de
la commission des lois que vous rapportez, la suppression des articles L.
223-34, L. 323-28, L. 4422-10-1 et L. 5211-8 du code général des collectivités
territoriales, ni celle de l'article 11
bis
de la loi du 13 juillet 1983
portant droits et obligations des fonctionnaires, ni celle de l'article 14-1 de
la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, ...
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Il est pire que la tempête : il veut tout abattre !
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... qui continuerait donc à prévoir un statut particulier pour les intéressés,
alors que vous nous dites, et nous vous en savons gré, que vous voulez faire
une seule loi pour tous.
Sans doute s'agit-il soit d'une erreur de ma part, soit d'un oubli de la
vôtre,...
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
C'est certainement la première hypothèse qui est la bonne
!
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... oubli que je vous inviterai alors à réparer.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je
vous remercie de votre attention.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Gérard Larcher remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER,
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat
examine aujourd'hui une proposition de loi relative à la responsabilité pénale
des élus locaux. Chacun d'entre nous, au sein de cet hémicycle, se sent
particulièrement concerné par ce sujet, qui préoccupe l'ensemble des
responsables locaux.
Je tiens, tout d'abord, à rendre hommage à notre éminent collègue Pierre
Fauchon, qui est le promoteur de ce texte. Le Sénat, représentant des
collectivités locales, doit impérativement répondre à l'attente des élus, qui
rencontrent de plus en plus de difficultés pour remplir leur mission, perdus
qu'ils sont au milieu d'un flot de textes épars et abscons, comme vient de le
rappeler avec talent notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt.
Le texte que nous examinon aujourd'hui répond à cette attente, même si c'est
seulement pour partie. Ce sera le premier point de mon intervention.
Le processus de décentralisation a bouleversé les règles de compétence au
niveau local. Les maires, exécutif des communes, ont vu leur rôle renforcé. A
la suite du développement de leurs attributions, leur responsabilité pénale a
été mise en cause de plus en plus souvent.
Les maires représentent l'exécutif, au sein des communes. Ils ont également un
pouvoir propre, la police, garants qu'ils sont du maintien de l'ordre au sein
de la localité. Leur responsabilité peut donc être encourue, d'une part, dans
la gestion des biens et services, services qui peuvent être délégués, et,
d'autre part, dans l'exercice des pouvoirs de police administrative. Pour
résumer, cela fait beaucoup !
Les nombreuses condamnations pénales d'élus locaux pour des faits non
intentionnels ont soulevé des interrogations concernant le fonctionnement de la
démocratie locale.
Chacun garde à l'esprit le cas du maire tenu responsable pénalement de
pollutions causées par une station d'épuration communale, alors que les moyens
financiers dont il disposait lui interdisaient d'intervenir. Cas limite, me
dira-t-on !
Mais il y a aussi l'exemple de ce maire condamné parce qu'un enfant de cinq
ans, laissé sans surveillance, s'est suspendu aux barres de la cage de but d'un
terrain de foot et a été grièvement blessé par leur chute. C'était dans mon
département.
Il y a encore le cas de cette fédération de pêcheurs, qui, en désaccord avec
la municipalité sur l'utilisation d'un plan d'eau, attaque au pénal le maire en
profitant d'une erreur administrative mineure de sa part, dans l'affolement
causé par l'inondation de la station d'épuration. C'était encore dans mon
département.
Il y a eu pas moins de quatre cas similaires - je ne vais pas les énumérer
tous - au cours de la seule année 1998 dans le département de l'Hérault. Le
trouble a été si grand que nous avons dû assister longuement nos collègues, en
prenant soin, bien évidemment, de ne pas intervenir de façon visible ni occulte
dans le déroulement de la procédure. Notre assistance fut essentiellement
morale et psychologique. Il n'empêche qu'à un certain moment les élus locaux de
mon département ont frisé l'affolement général.
Bien sûr, j'exclus totalement des cas cités toute prise illégale d'intérêt au
préjudice de la collectivité et tout manquement à la probité. Mais j'exclus
aussi le cas du maire qui, connaissant l'instabilité des obus d'ornement d'un
monument aux morts et sachant qu'un accident s'était déjà produit, a méconnu
son obligation d'assurer la sécurité dans la commune et n'a pas fait sceller
les obus dans le sol. Imprudence effectivement condamnable !
Mais entre ces cas de prévarication ou de prise en compte manifestement
insuffisante des problèmes de sécurité pour les habitants et ceux que j'ai
cités précédemment et que j'ai vécus indirectement, il y a une marge, il y a un
terrain sur lequel nous, Parlement, devons trouver les voies pour éviter que
les uns et les autres ne soient confondus dans le même opprobre.
D'ailleurs, je parle des maires, mais je pourrais évoquer aussi les directeurs
d'école. Celui qui a été nommé, pour la première fois à ce poste, dans ma
commune à la rentrée dernière est venu me voir il y a moins d'un mois pour
m'annoncer que, très vraisemblablement, il allait demander à réintégrer le
corps des enseignants parce que les charges qui lui incombaient étaient trop
lourdes et que l'assistance que lui fournissait le ministère de l'éducation
nationale était, à son gré, insuffisante. Il m'a rappelé que 10 000 postes de
directeurs d'école étaient aujourd'hui vacants et il m'a indiqué que, comme
pour les élus locaux, que je côtoie sans arrêt, l'on assistait, à l'heure
actuelle, à une véritable désertion devant les responsabilités au sein du
ministère de l'éducation nationale.
Je pourrais encore, comme vous, mes chers collègues, citer ces exemples de
présidents d'association qui renoncent, ou qui deviennent fatalistes.
D'ailleurs, nous qui sommes des élus locaux et qui siégeons sur ces travées,
nous sommes par principe « fatalistes ». Sinon, nous n'aurions d'autre solution
que de renoncer dans l'instant à notre mandat.
Donc, la situation exige des solutions.
Sans vouloir me lancer dans le débat qui est aujourd'hui ouvert sur ce sujet
dans notre pays, je dirai de façon quelque peu lapidaire qu'entre l'autorité du
juge et le pouvoir du législateur - je n'emploie pas, bien sûr, ces mots à la
légère - il faudra bien, dans les années qui viennent, qu'un rééquilibrage se
fasse. Et dans notre tradition, ce rééquilibrage ne peut se faire qu'au profit
de ceux qui sont soumis à la sanction et qui ont la légitimité du suffrage
universel.
J'ai conscience, en tenant ces propos - je ne suis pas juriste - que ces
principes sont parfois mal acceptés par l'opinion et, surtout, qu'ils ne
suffisent pas à toujours clarifier la situation ni à trouver les bons
équilibres.
Ce qui est sûr, c'est qu'en aucun cas je ne demande que l'on édicte je ne sais
quelle irresponsabilité civile, pénale ou administrative des élus. La loi que
nous allons voter doit pouvoir s'appliquer à tous.
Je remercie une nouvelle fois notre collègue Pierre Fauchon d'avoir, par sa
proposition de loi, lancé la discussion et Mme le garde des sceaux de nous
avoir permis d'avancer vers des solutions.
Toutefois - ce sera ma deuxième réflexion - il semble que la loi du 13 mai
1996 offrait déjà une amorce de solution, le juge exerçant dorénavant un
contrôle
in concreto,
en ne sanctionnant pas l'élu qui a fait tout ce
qui était en son pouvoir pour éviter le dommage. De fait - là aussi,
l'intervention de notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt l'a montré -, les
choses ont peu évolué depuis.
Face à cette situation, le législateur est appelé à modifier de nouveau la loi
du 13 mai 1996, et c'est ce qui nous rassemble aujourd'hui.
L'environnement juridique est de plus en plus complexe, la décentralisation
ayant entraîné une multiplication des charges au niveau local. Sous l'effet
combiné des lois du 2 mars 1982 et des différentes lois de transfert de
compétences qui se sont ensuivies, et, parallèlement, du désengagement
financier de l'Etat, les élus sont de plus en plus souvent mis en cause devant
le juge pour des faits qui ont lieu au sein de leur collectivité, sans qu'ils
soient fautifs au sens de la faute pénale.
De ce point de vue, la proposition que vient de faire à cette tribune notre
collègue Michel Dreyfus-Schmidt d'introduire dans le droit pénal et dans le
droit civil, comme cela existe en droit administratif, la notion de faute
lourde ou grave...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pas le droit civil !
M. Gérard Delfau.
... pourrait permettre de concilier ce qui paraît aujourd'hui difficilement
conciliable entre le législateur et le juge.
Bref, la proposition de loi qui nous est présentée répond pour partie, mais
heureusement, à notre attente, et les membres du groupe du RDSE la voteront.
Pourtant, elle ne permet pas de régler le problème au fond, demeurant à
certains égards - que notre collègue Pierre Fauchon ne donne à ce mot aucun
sens péjoratif ! - un palliatif.
Seul un statut digne de l'élu local, assorti d'une rémunération et d'une
assistance juridique correspondant aux compétences qui lui sont attribuées,
permettra une évolution salutaire de la situation des maires, des conseillers
généraux, bref de tous ceux qui ont en charge une collectivité.
Le statut de l'élu - je ne pourrai en parler longuement aujourd'hui - doit
être amélioré d'urgence.
Si la loi du 21 mars 1831, intervenant dans un autre type de société où les
fonctions électives étaient implicitement réservées aux gens fortunés, posait
le principe de gratuité, l'évolution des collectivités locales pousse
inéluctablement à la reconnaissance d'une rémunération digne pour les maires.
Et je ne parle même pas de la complexité de la tâche, Pierre Mauroy l'ayant
fait avec beaucoup de talent et, en même temps, beaucoup d'émotion, tout à
l'heure, en expliqaunt ce qu'il vivait en tant que maire de Lille !
Parallèlement - vous l'avez dit, madame la garde des sceaux - il faut
réfléchir à la mise en place d'une assistance juridique adaptée pour les élus
locaux.
Vous avez proposé, et c'est logique, que la question soit envisagée à
l'échelon de l'intercommunalité. Pourquoi pas ? Encore que ce ne soit pas si
facile, car il y a une telle complexité dans la matière concernée et une telle
personnalisation des situations que l'intercommunalité aura peut-être quelque
mal à assumer cette nouvelle compétence. En tout cas, vous avez vraiment eu
raison, madame la garde des sceaux, de poser cette question, parce que - et là
aussi je vais parler en tant que sénateur rencontrant, comme chacun de mes
collègues, l'ensemble des maires du département - la situation actuelle est
totalement inégalitaire. En effet, si l'on est à la tête d'une commune de
quelque importance, on a les moyens de faire appel à des cabinets d'avocats
spécialisés, et la population l'accepte. En revanche, si l'on est, comme c'est
mon cas, maire d'une commune de moins de 4 000 habitants, et même si l'on se
place à l'échelon de la communauté de communes, qui regroupe 20 000 habitants,
il est inconcevable financièrement, mais peut-être plus encore
psychologiquement, d'aller chercher des compétences qui, dans le monde
d'aujourd'hui, se font, et c'est légitime, largement rémunérer.
Voilà quelques réflexions que je voulais soumettre au Sénat. J'ajouterai - il
en a été peu question aujourd'hui - qu'il faut en revanche se garder, à mon
sens, de chercher une solution du côté d'un renforcement du contrôle de
légalité. Plus exactement, je ne voudrais pas que la capacité d'autonomie
accordée par la loi de 1982 à la collectivité locale soit restreinte en raison
du problème qui nous occupe aujourd'hui et nous incite à confier aux préfets un
rôle qui n'est plus le leur et qui ne doit plus, à mon sens, être le leur. Mais
il en a été peu question dans ce débat, je n'insiste donc pas.
Le Gouvernement s'est engagé à soumettre prochainement ce texte à l'Assemblée
nationale. J'adresse une nouvelle fois mes remerciements à l'auteur de la
proposition de loi, qui montre que le Sénat sait être, quand il le veut, une
assemblée novatrice. Je remercie également le Gouvernement, qui accorde toute
son attention à cette initiative parlementaire et qui s'est engagé à faire
avancer cette question dans le débat. Même si nous ne faisons qu'un pas, ce
sera un pas bienvenu.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. le président de la
commission et M. le rapporteur applaudissent également.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quinze
heures cinq, sous la présidence deM. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
M. le président. La séance est reprise.
3
RAPPEL AU RÈGLEMENT
Mme Anne Heinis.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis.
Divers tribunaux administratifs, dont celui de Caen, ont rendu des jugements
enjoignant, sous astreinte, aux préfets de prendre des arrêtés de fermeture de
la chasse du gibier d'eau et aux oiseaux migrateurs au plus tard le 31
janvier.
De telles décisions désorganisent profondément la saison de chasse, prévue
pour se dérouler dans certains cas, jusqu'au 28 février.
De nombreux responsables craignent donc des actions de rébellion, que risque
de provoquer la publication d'arrêtés de fermeture au 31 janvier, en
contradiction avec la loi du 3 juillet 1998, votée à l'unanimité au Sénat.
Quelle va être l'attitude du Gouvernement ? Que compte-t-il faire pour
préserver les prérogatives du Parlement et garantir l'ordre public ?
(M.
Vasselle applaudit.)
M. le président.
Acte vous est donné de votre rappel au règlement, madame Heinis.
4
DÉFINITION
DES DÉLITS NON INTENTIONNELS
Suite de la discussion et adoption
des conclusions modifiées du rapport d'une commission
M. le président.
Nous reprenons la discussion des conclusions du rapport (n° 177, 1999-2000) de
M. Pierre Fauchon, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale
sur sa proposition de loi (n° 9 rectifié, 1999-2000) tendant à préciser la
définition des délits non intentionnels.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, de «
responsable mais pas coupable » à « coupable sans être responsable », la
situation juridique des décideurs privés et publics français constitue un frein
de plus en plus serré à l'esprit d'initiative. Cette réalité est en parfaite
contradiction avec celle de nos partenaires internationaux.
Les décideurs publics, élus et fonctionnaires, ont pour mission la gestion de
leur collectivité et l'appréhension des besoins futurs de leurs administrés.
Or, comme le rappelle mon collègue Michel Mercier, l'efficacité de leur action
est freinée par des contraintes financières, normatives et sociétales. En ce
qui concerne les contraintes sociétales, les décideurs publics doivent
affronter la montée des problèmes sociaux et une pénalisation accrue des
rapports sociaux.
La nuisance de ces contraintes sera plus ou moins forte en fonction de la
taille de la collectivité locale en question. Comme vous le savez tous, mes
chers collègues, les élus locaux prennent chaque jour de nombreuses décisions
qui engagent leur responsabilité. Elles portent sur des domaines très variés
tels que l'assainissement, la voirie, les finances, l'enseignement, le social.
Dans les collectivités importantes, les maires ont des collaborateurs ayant
pour mission de les conseiller dans ces choix, alors que, dans les petites
communes, les maires sont souvent seuls face à leur devoir électif. Personne
n'est là pour les seconder et les orienter, c'est-à-dire les aider dans
l'exercice de leur mandat.
Même le concours du contrôle de légalité ne leur permet pas de se prémunir
contre une éventuelle sanction. En effet, l'avis du contrôle de légalité n'est
pas opposable devant les chambres régionales des comptes. Ainsi, un maire qui
agit sous le contrôle de l'Etat peut tout à fait être sanctionné par l'Etat.
Je ne peux rester indifférent aux attentes des maires des petites communes.
C'est pourquoi il me paraît essentiel et urgent que la loi préserve et favorise
le rôle de prospective dévolu aux décideurs tant publics que privés.
Comme l'indiquait M. le Président de la République à Rennes au mois de
décembre 1998, « une place plus grande doit être faite à la créativité et à
l'innovation, non plus dans la suspicion, mais avec un parti pris de confiance
».
A mes yeux, la pénalisation excessive de la vie publique remet en cause notre
démocratie.
Bien entendu, lorsque les décideurs publics commettent une erreur, causent un
dommage, il est normal que leur responsabilité soit engagée.
Mais, madame le ministre, arrêtons de confrondre responsabilité civile,
responsabilité administrative et responsabilité pénale.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Bernard Murat.
Le droit pénal a pour vocation la protection de la société dans son ensemble.
Il n'a pas pour objet de réparer l'ensemble des dommages causés aux
personnes.
La saisine des tribunaux répressifs ne doit pas être la première réponse à
tout dysfonctionnement dans la gestion des collectivités. C'est d'abord de la
compétence des juridictions administratives et civiles.
Je tiens à rendre hommage à la commission, à son président et à son rapporteur
de ne pas avoir réservé un sort privilégié aux élus locaux. En effet, une
gestion particulière de leur responsabilité pénale aurait posé des difficultés
tant sur le plan psychologique que d'un point de vue constitutionnel.
Les chefs d'entreprise, les responsables d'association, les proviseurs, les
fonctionnaires, les élus et l'ensemble de nos concitoyens dans leur vie
quotidienne sont tous confrontés à des problèmes de même nature, qui méritent
un examen identique.
Le texte que nous examinons aujourd'hui ne vise pas le cas où les décideurs
publics ou privés ont violé la loi de manière délibérée ; mais il concerne les
fautes d'imprudence et de négligence.
L'article 1er de la proposition de loi modifie l'article 121-3 du code pénal.
Ainsi, lorsque la faute est la cause indirecte du dommage, les personnes
physiques ne seront pénalement responsables qu'en cas de violation
manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de
prudence.
Cette proposition de réforme de portée générale constitue, à mes yeux, une
avancée incontestable. Elle devrait permettre de tenir compte de l'inflation et
de l'instabililté des normes, qui contribuent à accroître l'insécurité
juridique dans laquelle s'exerce la gestion des collectivités locales.
Elle devrait rassurer les élus, qui sont souvent obligés de prendre des
décisions dans l'urgence, sans toujours pouvoir faire auparavant un bilan des
avantages et des inconvénients pour leurs concitoyens. Ce fut par exemple le
cas, nous le savons tous, lors des tempêtes qui ont frappé notre territoire et
isolé pendant parfois plusieurs jours les élus et les citoyens de mon
département, la Corrèze, des services de l'Etat.
Une telle réduction du champ des délits non intentionnels n'a pas pour objet
d'exonérer les élus de leurs responsabilités. Cette réforme de portée générale
vise seulement à mettre fin à l'assimilation complète de la faute pénale non
intentionnelle et de la faute civile. En d'autres termes, elle permet de rendre
au civil ce qui est au civil et au pénal ce qui est au pénal.
L'article 6 de la proposition de loi, quant à lui, permet une extension
modérée de la responsabilité pénale des collectivités territoriales.
L'actuel article 121-2 du code pénal limite la responsabilité pénale des
collectivités locales aux activités pouvant faire l'objet d'une délégation.
Ainsi, les activités de police sont exclues.
Cette restriction n'est pas toujours bien comprise des maires, qui voient
dans ce pouvoir de police la source principale des risques de mise en cause de
leur responsabilité pénale. C'est pourquoi je suis favorable à cette réforme
tant attendue par l'ensemble des élus locaux.
Outre ces mesures qui favorisent une amélioration considérable de la condition
juridique des décideurs tant privés que publics, il me semble que nous devons
faire oeuvre de prospective, être force de proposition.
Mes chers collègues, nous devons n'avoir qu'une volonté : offrir à nos
concitoyens un système juridique toujours plus rapide, plus efficace et plus
équitable. Le Sénat, par la qualité de ses travaux, y a déjà très largement
contribué. Mais nous devons aller encore plus loin dans le renforcement de la
sécurité juridique de l'action locale.
A cet effet, je vous propose trois pistes de réflexion.
Premièrement, comme le préconise la mission d'information chargée de dresser
le bilan de la décentralisation, nous pourrions « déclasser » certaines
sanctions pénales pour leur préférer d'autres formes de sanctions, ou pour s'en
tenir à des réparations civiles.
Deuxièmement, nous pourrions prévoir l'orientation obligatoire et préalable
vers la personne morale des actions pénales dirigées contre un agent de
celle-ci pour des fautes non intentionnelles commises dans l'exercice de ses
fonctions. Bien entendu, la mise en examen de l'agent doit demeurer possible si
l'instruction révèle qu'il a commis une faute grave.
Troisièmement, nous pourrions mettre en place une consultation de la
juridiction administrative par le parquet, préalablement à la mise en examen, à
propos du caractère personnel ou non de la faute susceptible d'être reprochée.
Bien entendu, cet avis ne doit lier en aucune façon le procureur ou le juge
d'instruction.
Tels sont les quelques éléments que je souhaitais évoquer lors de l'examen de
cette proposition de loi par notre Haute Assemblée.
Nous devons être attentifs à l'évolution de la décentralisation et des
conditions d'exercice des mandats politiques. Des solutions en matière de
moyens humains et financiers, de responsabilité et de statut doivent rapidement
être trouvées.
Aujourd'hui, nous posons la première pierre de cette réforme. Je souhaite
que cette construction soit rapidement achevée. Sans cela, les principes
fondateurs de la décentralisation française deviendraient lettre morte et l'on
assisterait à une professionnalisation des mandats politiques, tant de maux
qui, à mes yeux, nuiraient à la démocratie ainsi qu'à la proximité entre les
administrations décentralisées et nos concitoyens.
Je voterai ce texte équilibré, qui introduit une réflexion sur les véritables
réformes de la justice qu'attendent avec impatience nos concitoyens et que nous
souhaitons tous.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je tiens tout
d'abord à saluer l'initiative du Sénat, plus particulièrement de son président,
M. Poncelet, de se saisir du problème de la pénalisation de notre vie publique.
D'ailleurs, monsieur le président, vous n'avez pas attendu aujourd'hui pour ce
faire, puisque vous avez déjà sillonné toute la France.
La proposition de loi est un premier pas dans la bonne direction qui
correspond à ce qu'attendent les élus.
Monsieur Fauchon, merci de l'avoir déposée !
M. Pierre Fauchon
rapporteur.
Monsieur Vasselle, merci de me remercier !
M. Alain Vasselle.
La pénalisation de notre vie publique entraîne inévitablement de graves
dysfonctionnements au sein de notre démocratie locale. En effet, devant le
risque pénal encouru, l'élu peut céder soit au découragement, et ne plus se
représenter, soit à la tentation de l'immobilisme, entraînant ainsi une
paralysie de la gestion locale. En adoptant une position d'immobilisme, il se
place aussi, parfois, dans une situation de responsabilité pénale.
Grâce à l'initiative prise aujourd'hui, le Sénat, plus que jamais, peut jouer
le rôle de représentant des collectivités territoriales que l'article 23 de la
Constitution lui confie. J'en profite, à cet égard, pour saluer notre collègue
Pierre Fauchon, qui, grâce à la proposition de loi que nous examinons, nous
permet de reprendre une nouvelle fois l'initiative sur ce sujet après
l'adoption des amendements que nous avions déposés avec plusieurs de nos
collègues lors de l'examen du texte de loi sur la présomption d'innocence.
La démocratie locale est représentée par quelque 510 000 élus locaux, qui
attendent tous aujourd'hui que nous apportions des solutions aux difficultés
qu'ils connaissent dans leur pratique quotidienne. Tâchons de ne pas les
décevoir. Ils attendent une initiative forte de notre part. Une « réformette »
serait considérée par la plupart d'entre eux comme un acte de défiance à leur
égard. L'heure n'est plus à l'établissement d'un diagnostic ; elle est à
l'action légistative.
Le diagnostic a déjà été dressé l'année dernière, à l'occasion de la
discussion de la question orale avec débat posée par notre collègue Hubert
Haenel, le 28 avril 1999, et, plus récemment encore, dans le rapport du groupe
d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics, dit rapport Massot,
qui vous a été remis, madame le garde des sceaux, le 16 décembre 1999, ainsi
que dans celui de notre collègue Pierre Fauchon.
Les causes de l'accroissement des mises en examen des élus locaux, sont clai
rement identifiées : la multiplication des textes législatifs et
réglementaires, celle des directives et règlements européens, qu'il est
difficile de connaître, et donc de maîtriser, même si nul n'est censé ignorer
la loi ; le manque de moyens matériels dont disposent les petites communes pour
s'entourer d'une assistance juridique suffisante - c'est souvent le cas des
maires des communes rurales ; la nécessité, pour les maires des petites
communes en particulier, ou les conseillers généraux ou régionaux d'exercer
parallèlement une activité professionnelle, en l'absence d'un véritable statut
de l'élu, alors que les lois de décentralisation ont accru les compétences des
collectivités territoriales ; enfin, l'absence de distinction, par le juge
pénal entre la faute de service et la faute personnelle lors de l'examen de
l'infraction commise, ce qui facilite l'incrimination pénale, et le manque de
connaissance pour le juge pénal des contraintes qui pèsent sur les élus.
C'est d'ailleurs sur la base de ce dernier constat, et pour les motifs que
vous connaissez tous, liés à l'actualité de mon département et à l'exploitation
médiatique qui a été faite des mises en examen de seize maires de petites
communes de l'Oise, que j'ai pris l'initiative de déposer une proposition de
loi relative à la reconnaissance de la spécificité des responsabilités des élus
locaux et à la sauvegarde de la démocratie locale.
Cette proposition de loi, parfois critiquée, dont l'objet était, dans un
premier temps, d'émettre un signal d'alarme, prévoit la saisine immédiate du
Conseil d'Etat lorsqu'un élu est susceptible d'être mis en cause pénalement,
afin qu'il désigne dans un très bref délai - soixante-douze heures - un
tribunal administratif chargé de déterminer si ledit élu a commis ou non une
faute détachable de l'exercice de ses fonctions.
Si le tribunal conclut à l'existence d'une faute détachable, l'élu pourrait
être mis en cause pénalement, comme n'importe quel citoyen. Il ne bénéficierait
alors d'aucun privilège spécifique.
J'ai bien conscience de la controverse qui a été provoquée par cette
proposition. Elle bouleverse quelques idées reçues, mais présente à mon sens
l'avantage d'éviter les mises en examen injustifiées. Ainsi la faute
personnelle peut-elle être définie par référence à la jurisprudence
administrative d'une manière telle que le juge aura du mal à s'en détourner.
Elle pose la question, à mon sens essentielle, de l'articulation de la
responsabilité entre personnes morales et personnes physiques.
Permettez-moi de vous rappeler au passage que l'essentiel des mesures
proposées dans mon texte ont été adoptées par le Sénat, avec l'aval de la
commission des lois, lors de l'examen du projet de loi sur la présomption
d'innocence. Cependant, il est vrai que cela n'a pas empêché certains juristes
de considérer que cette disposition constituait un acte de défiance vis-à-vis
du juge pénal dans l'application des concepts administratifs.
Les mêmes juristes estiment que ma proposition de loi a un caractère
anticonstitutionnel. Mais la loi du 13 mai 1996, aux ambitions pourtant
limitées, n'instaure-t-elle pas déjà, en pratique, une rupture d'égalité entre
les citoyens au profit des élus locaux ? Je vous pose la question.
Permettez-moi de vous rappeler que le Conseil constitutionnel, en consacrant
le principe d'égalité, en a d'abord précisé les exigences. Il énonce, pour s'en
tenir à la formule la plus usuelle, que « le principe d'égalité ne s'oppose ni
à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni
à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que,
dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en
rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ».
Je note par ailleurs qu'une mesure pas si éloignée, dans l'esprit, de celle
que j'ai suggérée vient d'être proposée par l'Association des maires de France
en vue d'apporter un frein aux mises en examen souvent prématurées et
injustifiées des élus locaux. En quoi consiste-t-elle ?
Comme l'a rappelé notre collègue Bernard Murat, cette proposition consiste en
la consultation de la juridiction administrative par le parquet, préalablement
à la mise en examen, à propos du caractère personnel ou non de la faute
susceptible d'être reprochée. Elle tend à ce que cet avis formulé ne lie en
aucune façon le procureur ou le juge d'instruction. D'après l'AMF, cette mesure
aurait le mérite d'éviter une mise en examen sur deux et elle serait efficace,
car l'ordre administratif apparaît le mieux à même d'évaluer de manière
équilibrée les contraintes et les difficultés qui pèsent sur les élus
locaux.
Le texte que nous examinons aujourd'hui, quant à lui, tend à préciser la
définition des délits non intentionnels. Certes, il y avait lieu d'améliorer
cette définition, car finalement le véritable intérêt de la loi du 13 mai 1996
aura été de pousser les juges à renforcer la motivation de leurs décisions et
d'apaiser, seulement pour un temps, l'inquiétude des élus locaux. Je dis : «
pour un temps seulement », car on s'est très vite rendu compte des effets
pervers induits par cette législation.
Le système est complexe. En effet, selon le nouveau code pénal, il n'y a pas
de crime et délit sans intention de le commettre. La culpabilité non
intentionnelle est une exception au principe général précité. Ainsi, la
rédaction du troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal renverse la
charge de la preuve. C'est la personne poursuivie qui doit faire la
démonstration de l'accomplissement de diligences normales. Dans le même temps,
la partie poursuivante doit établir la défaillance du prévenu dans
l'accomplissement de ses diligences. Tout cela est bien confus.
Le rapport Massot souligne que le défaut de diligence dont il s'agit est un
élément constitutif du délit et qu'il conviendrait donc de considérer que la
preuve en incombe à l'accusation.
Pourquoi ne pas revenir - il s'agit toujours du rapport Massot à une
responsabilité intentionnelle ? C'est une piste à explorer, parmi d'autres.
Beaucoup se posent la question de savoir si nous voulons aller vers une société
contentieuse à l'américaine. Dans cette hypothèse, ne faudrait-il pas explorer
une autre piste, celle de la suppression du juge d'instruction ? Je me demande
même si M. Balladur n'avait pas évoqué cette solution dans le cadre du débat à
l'Assemblée nationale sur ce point.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Le rapport deMme Delmas-Marty ! Si !
M. Alain Vasselle.
Que nous propose, quant à elle, la commission des lois ? Elle nous propose,
dans l'article 1er, d'établir une distinction entre les fautes directes et
indirectes causes d'un dommage. Pour apprécier la pertinence d'une telle
proposition, il me paraît utile de vous inviter à prendre en considération
certains éléments de réflexion du rapport Massot. Permettez-moi de le citer de
nouveau : « Les tribunaux répressifs ont opté pour la théorie de l'équivalence
des conditions selon laquelle il suffit que le fait illicite ait concouru à la
réalisation du dommage pour qu'il soit possible de mettre en jeu la
responsabilité de son auteur. »
Ainsi, la théorie de l'équivalence des conditions ne tient pas compte du
caractère direct ou indirect de la faute. Mettre en rapport la nature du lien
de causalité et le type de faute, alors même qu'il n'existe pas de critère
précis permettant de qualifier un lien de causalité comme étant direct ou
indirect, reviendrait encore à donner un blanc-seing au juge répressif dans le
détermination des éléments de l'infraction.
Le texte de la commission ne répond donc pas, me semble-t-il, aux difficultés
qui provoquent le désarroi des élus. Si nous voulons véritablement aboutir à
une amélioration de la définition des délits non intentionnels et éviter que le
présent texte ne devienne un coup d'épée dans l'eau, il convient d'infléchir
une théorie prétorienne en obligeant le juge à adopter désormais une
appréciation différente du lien de causalité. Dans ce cas, pourquoi pas celle
qui est mise en oeuvre par la juridiction administrative ? Je veux parler de la
théorie de la causalité adéquate, c'est-à-dire que tous les événements qui
concourent à la réalisation du dommage ne constituent pas sa cause.
L'accroissement de nombre des mises en examen des décideurs publics est
révélatrice, très souvent, d'une mauvaise orientation des victimes dans le
choix de la juridiction compétente. Le rapport Massot le rappelle très
clairement : « Le juge naturel de la responsabilité de l'administration est le
juge administratif, compétent pour condamner les personnes publiques à la
réparation des dommages subis par les victimes des actes des agents publics
dans l'exercice de leurs fonctions. Le recours au juge pénal ne permet pas
d'obtenir une meilleure indemnisation puisque, dans la quasi-totalité des cas,
le comportement reproché à l'agent public ou à l'élu doit être regardé comme
une faute de service, dont la réparation relève du juge administratif, ce qui
restreint la compétence du juge pénal et lui retire la connaissance de l'action
civile. »
Dans la droite ligne des propositions du rapportMassot, j'ai déposé un
amendement dont l'objet est d'infléchir une jurisprudence du tribunal des
conflits du 6 octobre 1989 à l'opportunité, je le reconnais, contestable. En
effet, il résulte des dispositions de l'ordonnance du 1er juin 1828 que le
conflit ne peut jamais être élevé sur l'action publique en matière
correctionnelle, exception faite des deux cas prévus par ladite ordonnance sur
lesquels je ne reviendrai pas. Une jurisprudence séculaire permettait également
d'élever le conflit sur l'action civile à tout moment devant le juge
d'instruction. C'est sur cette jurisprudence que le tribunal des conflits est
revenu en renforçant le pouvoir du juge pénal. Cette attitude révèle une
défiance injustifiée et obsolète vis-à-vis, d'une part, de l'autorité
administrative, d'autre part, du juge administratif.
Nous sommes désormais très éloignés de « la caste des intouchables », pour
reprendre une expression doctrinale des années cinquante, au cours desquelles,
en effet, les agents du gouvernement, au sens large, s'ils venaient à commettre
des infractions dans le cadre de leur service, étaient parfois placés au-dessus
de la loi pénale puisque le ministère public ne les poursuivait pas d'une
manière systématique.
Aujourd'hui, la réalité est tout autre, et c'est faire peu de cas de l'ordre
administratif et de ses magistrats que de les soupçonner d'une indulgence
coupable. Il faudrait à mon sens revenir à un peu plus de réalisme !
Dans la même logique, c'est-à-dire celle d'une amélioration des règles de
procédure pénale, il est utile de rappeler que la responsabilité du décideur
public peut être engagée devant la juridiction judiciaire si la faute commise
est entièrement détachable du service.
Si la faute personnelle a été commise à l'occasion du service ou n'est pas
dépourvue de lien avec celui-ci, la victime du dommage a le choix entre
l'assignation de l'agent devant la juridiction judiciaire et l'introduction
d'une action en réparation à l'encontre de la collectivité qui l'emploie.
Enfin, si les faits reprochés n'ont pas le caractère d'une faute personnelle
mais peuvent constituer une faute de service, seule la responsabilité de la
personne publique peut être mise en cause et, dans ce cas, sauf exception
tenant à d'autres règles de compétence, la juridiction judiciaire devra
décliner sa compétence pour toute action civile engagée à l'encontre de l'agent
public.
Ces règles sont oubliées une fois sur deux par le juge pénal et les avocats.
Il serait peut-être utile d'affirmer par voie législative que la constitution
de partie civile ne peut être déclarée recevable que dans la stricte mesure où
le préjudice invoqué est de nature à être indemnisé par le juge pénal ; de
nombreuses mises en examen seraient ainsi évitées puisque, nécessairement, on
en reviendrait au filtre de la faute personnelle et de la faute de service.
La deuxième piste que la commission des lois nous invite à suivre aujourd'hui
s'inscrit dans une réflexion déjà entreprise sur l'extension du champ
d'application de la responsabilité pénale de la personne morale. En lisant
l'article 6 de la proposition de loi, je crains bien que la solution
a
minima
qui est proposée ne nous laisse encore dans la situation la plus
inconfortable, c'est-à-dire au milieu du gué.
En effet, dans l'état actuel du droit, l'irresponsabilité partielle dont
bénéficient les collectivités par la limitation de leur responsabilité aux
infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet
de conventions de délégation de service public peut paraître incohérente au
regard des règles applicables à ses agents personnes physiques. Cette
limitation exclut notamment toute condamnation de la collectivité locale liée à
l'exercice des pouvoirs de police administrative. Or, c'est dans le cadre de
l'exercice de leurs pouvoirs de police que de nombreux élus locaux sont mis en
examen. La réforme ne devrait-elle pas commencer par là ? Toute solution
tendant à une meilleure articulation entre la responsabilité pénale des
personnes morales et celle des personnes physiques doit, à mon sens, avoir pour
corollaire une remise en cause du champ d'application de cette responsabilité
concernant les collectivités territoriales. Cette remise en cause, le texte de
la commission ne l'opère, selon moi, que trop partiellement. Il est vrai que le
sujet est controversé au sein même de la doctrine.
Ne peut-on proposer qu'en cas d'infraction due à une imprudence ou à une
négligence commise par l'élu local la responsabilité pénale de la personne
morale soit engagée sans que soit établie la responsabilité pénale de la
personne physique ? Les responsabilités pourraient ne pas être cumulatives dans
tous les cas.
A ce stade de notre réflexion, il est néanmoins important d'indiquer que
l'élargissement du champ d'application de la responsabilité pénale de la
personne morale n'est pas exempt des conséquences financières qui pourraient se
révéler très lourdes pour les petites communes. De ces conséquences, il n'est
pas fait suffisamment mention, et notre réflexion n'est pas, semble-t-il,
arrivée à maturation sur ce point.
Dans la même logique et dans le droit-fil de la proposition de loi déposée par
M. Fauchon et des propositions du rapport Massot, il serait opportun de prévoir
que la collectivité territoriale concernée ait l'obligation d'assurer la
protection de ses élus ou de ses anciens élus en cas de poursuites pénales pour
des faits liés à l'exercice de leurs mandats. J'ai déposé des amendements
allant dans ce sens. Il est bien évident que les collectivités à qui cette
obligation peut poser le plus de problèmes, notamment d'ordre financier, sont
les petites communes. C'est pourquoi il semblerait pertinent d'obliger
celles-ci à s'assurer.
Par ailleurs, à la lecture des propositions de la commission, on peut
regretter l'absence de dispositions concernant le code des marchés publics.
C'est regrettable en effet, car de nombreuses mises en examen ont lieu pour
délit de favoritisme ; c'est le cas dans mon département, notamment. Il ne
suffit donc pas, à mon sens, de dénoncer de façon liminaire la portée de cette
infraction. Encore faut-il aller plus loin !
Parmi les pistes proposées, le rapport Massot envisage l'éventualité d'un
déclassement en contraventions des manquements relatifs à des marchés publics
restés en deçà d'un seuil qui reste à déterminer. Cette mesure comporterait,
certes, des avantages qui sont rappelés dans le rapport du groupe d'études
précité, mais elle comporte un inconvénient soulevé par notre collègue M.
Delevoye. S'il est en effet inéquitable de frapper d'une amende de 2 500 francs
un élu dont les services ont commis, en toute bonne foi, une erreur de
procédure, il ne faut pas perdre de vue que, aux termes des dispositions du
code pénal, le plafond des contraventions de 5e classe est fixé à 10 000 francs
et à 20 000 francs en cas de récidive. De plus, les amendes pour contraventions
se cumulent !
Plus pertinente serait la piste du renforcement de la logique du délit de
favoritisme. Le groupe d'études présidé par M. Massot propose la fixation d'un
seuil financier qui permettrait d'opérer une distinction entre les manquements
lourdement ou légèrement réprimés. Mais il s'arrête là et ne fait aucune
suggestion quant à la modification du code des marchés publics, dont la
lisibilité pourrait être sensiblement améliorée. Quand aurons-nous le courage
politique d'entreprendre cette réforme ? Peut-être, à ce propos, le
Gouvernement va-t-il nous préciser le calendrier d'examen du texte qu'il
prépare.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que notre collègue Michel Charasse
avait déposé, lors de la discussion du projet de loi sur la présomption
d'innocence, plusieurs amendements concernant le délit de favoritisme et les
procédures de marchés publics. Nous en avons approuvé certains.
Il faut enfin s'interroger sur le sens de cette pénalisation accrue de notre
vie publique, car comme d'aucuns le répètent à l'envi : « Chassez le pénal, il
revient au galop. » Ne faut-il pas y voir les conséquences du caractère vieilli
de notre dualisme juridictionnel ? Les réponses que nous allons tenter
d'apporter ne vaudront que si, parallèlement, nous avons le courage de créer un
véritable statut de l'élu. Ce n'est qu'à ce prix que la démocratie locale,
terreau de la vie politique tout entière, sera confortée. A ce niveau, nous en
restons toujours aux effets d'annonces. Les élus sont comme soeur Anne, ils ne
voient toujours rien venir concernant leur statut.
L'inflation normative et notamment pénale a développé un sentiment de crainte
chez l'élu, assorti d'un manque de confiance dans la décentralisation. J'en
veux pour preuve le retour à une demande de contrôle de légalité plus efficace.
Or cela n'est pas acceptable.
Il convient de répondre le plus rapidement possible aux attentes légitimes des
décideurs publics, car 2001, c'est l'an prochain. Les craintes doivent être
apaisées pour susciter des candidatures de qualité dignes d'une véritable
démocratie locale. Le texte qui nous est proposé aujourd'hui est une
intéressante contribution au débat tout comme le rapport que vient de publier
la mission commune présidée par notre collègue Delevoye. Mais elle doit être
complétée. Je proposerai tout à l'heure des amendements pour que la démocratie
locale reste une réalité dans ce pays. Le Sénat, en tant que représentant des
collectivités territoriales, se doit d'y participer.
Mes chers collègues, si nous n'y prenons garde, c'est la base de notre
démocratie qui sera en danger. Avez-vous conscience qu'aujourd'hui un maire sur
deux, dans de nombreux secteurs ruraux - je l'ai testé dans mon propre
département - a pratiquement décidé de ne pas se représenter ? L'avenir de nos
communes est en danger. Il y aura lieu de légiférer bien au-delà de cette
simple proposition de loi.
C'est bien une réforme globale de la justice qui doit être engagée, madame le
garde des sceaux, comprenant en son sein un volet important sur la
responsabilité pénale des décideurs publics. Comme l'a récemment déclaré dans
un quotidien M. René Monory : « Un Grenelle de la justice s'imposera. »
Telles sont les réflexions que m'a inspirées la proposition de loi Fauchon.
Mon cher collègue, ne croyez pas, de mes propos, que je sous-estime la qualité
de votre initiative. Je la mesure, mais je pense que ce n'est qu'un premier pas
dans la direction dans laquelle nous devons nous engager, et, monsieur le
président, je compte sur vous pour que nous allions plus loin. Je souhaite que
vous soyez suffisamment convaincant auprès du Gouvernement pour que cette
réforme soit engagée jusqu'au point souhaité par l'ensemble des élus de notre
pays.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains
Indépendants.)
M. le président.
Monsieur Vasselle, légiférer est une tâche toujours inachevée. Par conséquent,
nous allons poursuivre.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois
encore le Sénat, dans sa sagesse, sa constance, sa détermination, et toujours
dans son rôle, à l'instigation de son président Christian Poncelet, qui est
intervenu notamment à l'occasion des états généraux qu'il a organisés, tente de
régler la complexe et délicate question de la pénalisation excessive de la
responsabilité des décideurs publics et, plus généralement, de l'ensemble des
décideurs.
Déjà, en 1995 et 1996, des travaux conduits sous l'égide de la commission des
lois avaient abouti au rapport de notre collègue Pierre Fauchon en date du 18
octobre 1995, puis à l'adoption de la loi du 13 mai 1996 portant modification
de l'article 121-3 du code pénal, mesure dans laquelle nous avions placé
beaucoup trop d'espoir.
Ces dispositions prévoyaient qu'il y avait délit en cas d'imprudence, de
négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité, sauf
si l'auteur des faits avait accompli les diligences normales, compte tenu, le
cas échéant, de la nature de ses missions, de ses fonctions, ainsi que du
pouvoir et des moyens dont il disposait.
Il s'agissait, en fait, d'inviter le juge à apprécier
in concreto
la
faute d'imprudence ou de négligence.
Si la plupart des jugements et arrêts qui s'ensuivirent furent plus et mieux
motivés, la réforme n'a pas eu les conséquences escomptées. Mais il faut,
certes, du temps pour mesurer les effets d'une telle réforme !
Le caractère interprétatif de la réforme de 1996 conduisit tel ou tel d'entre
nous - souvenez-vous des initiatives de MM. Vasselle et Charasse - à l'occasion
de l'examen de textes relatifs à la procédure pénale, à proposer d'autres
solutions plus radicales. Ce fut le cas, notamment, à l'occasion de l'examen
des articles du projet de loi visant à renforcer la présomption d'innocence.
Sous la houlette du président Poncelet, des réflexions furent menées au sein
de notre assemblée, sur le terrain, au cours de déplacements en province, lors
de colloques ou en commission.
Oserai-je rappeler que, lors de la discussion de ma question orale avec débat,
le 28 avril 1999, question centrée sur les maires et la loi, les maires et leur
contrôleur, les maires et leur juge, nous eûmes l'occasion, madame la ministre,
de faire avec vous un point complet, très intéressant, sur l'ensemble de ces
questions et sur les difficultés soulevées, sans pour autant, bien entendu, les
résoudre.
Ce débat eut au moins l'avantage de nous permettre de dresser un inventaire.
Répondant à ma suggestion de mettre en place un groupe de travail
pluridisciplinaire aux fins d'établir un état des lieux et de proposer des
solutions, vous annonciez la création d'une commission, dont la présidence fut
confiée au conseiller d'Etat Jean Massot, président de section, et dont, entre
autres, notre collègue Jean-Paul Delevoye fut membre, commission composée de
personnes particulièrement qualifiées dans un certain nombre de domaines.
Entre-temps, notre collègue Pierre Fauchon, fort opportunément, déposait la
proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Ce texte, à mes yeux, a le grand mérite, d'une part, de rappeler le principe
selon lequel il n'y a pas de crime ou de délit sans intention de le commettre
et, d'autre part, de dénoncer la confusion des fautes civiles et pénales, qui a
trop souvent conduit le juge pénal à s'ingénier à tout prix à détecter une
faute pénale pour permettre aux victimes d'obtenir une réparation civile. La
voie pénale, on le sait bien, est pour beaucoup la voie royale.
Le texte de notre collègue Pierre Fauchon, grâce à une meilleure définition
des délits non intentionnels, devrait mettre fin à une mise en jeu quasi
systématique de la responsabilité pénale pour des faits non intentionnels sans
porter atteinte - il faut le dire et le répéter - aux droits des victimes, ni
bien sûr instaurer une responsabilité à deux vitesses : celle qui serait
applicable au commun des mortels et celle qui s'appliquerait à des
privilégiés.
Voilà ce qui nous est proposé. J'y souscris sans réserve et je salue comme il
se doit à la fois l'initiative de notre collègue Pierre Fauchon et la qualité
du travail accompli.
Cependant, ce texte ne deviendra loi que si l'Assemblée nationale en est
rapidement saisie, ce qui doit être chose faite, d'après ce qui nous a été
promis. Son adoption dépendra, bien entendu, de la bonne volonté des uns et des
autres.
Admettons qu'il en aille ainsi. Resteront en suspens, monsieur le président,
madame le garde des sceaux, mes chers collègues, et sans solution - parce que
tel n'est pas l'objet de la proposition de loi de notre collègue Pierre Fauchon
- non seulement toute une série de questions abordées lors de la discussion de
la question orale avec débat du 28 avril 1999, mais aussi certaines des
propositions du rapport Massot que je vais évoquer brièvement. Je sais, madame
le garde des sceaux, que, ce matin, vous avez abordé le sujet, mais il n'était
pas question pour vous de reprendre point par point le rapport en nous
indiquant ce qui allait réellement prendre corps et dans quel délai.
Tout d'abord, enrayer la création de nouvelles infractions sanctionnées
pénalement me paraît fondamental. Le rapport Massot préconise un moratoire et
un toilettage des textes. Je crois qu'il faudra le faire rapidement.
Ramener les manquements les moins graves au code des marchés publics au niveau
de la contravention : cette idée me paraît excellente et nous devrions pouvoir
la traduire assez rapidement dans un texte.
Limiter les recours abusifs au juge pénal en introduisant, dit M. Massot, des
conditions plus strictes de recevabilité des plaintes avec constitution de
partie civile.
A terme, octroyer au juge d'instruction le pouvoir de se prononcer sur la
recevabilité des plaintes en exigeant de la personne qui se prétend lésée
qu'elle établisse l'existence de l'infraction et la réalité d'un préjudice,
sans pour autant limiter le droit des associations à se constituer partie
civile, en réaffirmant ou en renforçant les sanctions à l'encontre des auteurs
de plaintes abusives. C'est important. Certes, il existe déjà un dispositif
législatif, mais il est inappliqué.
Cela suppose le rappel systématique aux personnes qui déposent une plainte en
se constituant partie civile des risques qu'elles encourent.
Cela suppose aussi d'inciter les parquets à utiliser davantage l'article 91 du
code de procédure pénale.
Cela suppose en outre de favoriser le droit de réponse de la personne dont la
mise en examen est mentionnée dans un organe de presse.
Une autre rubrique concerne le fait de rendre la mise en examen moins
systématique et moins traumatisante. Certains amendements de bon sens du Sénat
adoptés à l'occasion du texte en navette sur la présomption d'innocence
devraient, sauf à être rejetés par l'Assemblée nationale, largement y
contribuer.
Il conviendrait également de favoriser les modes de règlement des conflits
autres que pénaux.
Sous la rubrique « Mieux armer juridiquement les décideurs publics », le
groupe de travail propose toute une série de mesures assez opérationnelles.
Des propositions applicables à l'ensemble des décideurs publics visent à
préciser les compétences, les moyens et les responsabilités impartis à chaque
agent en généralisant la pratique des fiches de poste, par exemple, à améliorer
la formation des élus et agents publics, à favoriser la mobilité des agents
entre fonction publique et magistrature, à généraliser aux élus la protection
que l'administration doit déjà à ses agents mis en cause pénalement, à exiger
un bilan écrit de faisabilité avant l'introduction de toute nouvelle norme
technique.
D'autres propositions sont propres aux collectivités locales. Elles tendent à
développer les capacités d'expertise juridique de ces collectivités, à
renforcer la qualité du contrôle de légalité et ses moyens, sachant que
beaucoup de mises en cause pénales, dues à un comportement et non à un acte, ne
dépendent pas du contrôle de légalité, fût-il le plus efficace, et que
l'absence d'observations de la part du contrôle de légalité ne vaudra jamais -
il ne faut pas rêver ! - garantie d'absence d'infraction pénale.
Nombre de ces propositions pourraient être appliquées sans trop de
difficultés, mais elles supposent une approche à la fois interministérielle et
interdisciplinaire, vous l'avez indiqué ce matin, madame le garde des
sceaux.
Restera la question, très importante à mes yeux, des relations entre le
parquet et les élus locaux.
Voilà quelque temps, je vous avais demandé si vous envisagiez, dans le cadre
des instructions générales aux procureurs généraux et procureurs, d'inviter
ceux-ci à prendre des initiatives, s'inspirant d'ailleurs d'excellentes
pratiques initiées ici ou là, pour qu'un dialogue permanent, facilité et
formalisé, s'instaure entre les procureurs, les maires et les associations de
maires.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Hubert Haenel.
Ne pourriez-vous pas, par exemple, faire recenser ce qui se fait déjà par
l'inspection générale des services judiciaires, afin d'inciter ceux qui
manquent parfois d'imagination à s'inspirer des pratiques en vigueur ? Quelques
procureurs ont déjà pris des initiatives, et ce à la satisfaction des élus
locaux de base.
Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple concret à partir de la
réponse à une question écrite que vous avez fait paraître ces jours-ci au
Journal officiel
.
Aux termes des dispositions de l'article 61 du code de procédure pénale, les
maires et adjoints sont officiers de police judiciaire. Le procureur de la
République pourrait utilement, sur le fondement de ce texte, engager un
dialogue avec les maires et adjoints du ressort de son parquet sur des thèmes
tels que : « Vous êtes officier de police judiciaire ; qu'est-ce que cela
signifie ? Quels sont vos droits et quelles sont vos obligations ? »
Me répondant à une question écrite tendant à vous faire préciser si les
dispositions de ce fameux article 40 du code de procédure pénale qui enjoignent
à certaines autorités de dénoncer au procureur de la République les faits
susceptibles de constituer un crime ou un délit dont elles ont connaissance
dans l'exercice de leurs fonctions, s'appliquent aux maires adjoints, vous
écrivez fort justement ceci :
« Le garde des sceaux, ministre de la justice, porte à la connaissance de
l'honorable parlementaire que les dispositions de l'article 40, alinéa 2, du
code de procédure pénale relatives à l'obligation pour " toute autorité
constituée, tout officier poublic ou fonctionnaire" d'aviser sans délai le
procureur de la République de tout crime ou délit dont ils ont eu connaissance
sont de portée générale et ont vocation à s'appliquer aux élus locaux, qui sont
membres, par définition, d'assemblées électives, c'est-à-dire "d'autorités
constituées", à la condition que la connaissance de l'infraction ait été
acquise dans l'exercice de leurs fonctions.
« L'article précité couvre un domaine plus large que d'autres obligations
légales qui imposent un devoir de révélation à certaines autorités...
« Les élus locaux comme les fontionnaires sont ainsi soumis à des devoirs plus
étendus qu'un citoyen ordinaire puisque leur fonction impose de servir
l'intérêt général dont l'Etat est le garant. »
Vous indiquez fort justement en conclusion :
« En toute hypothèse, la capacité même de l'Etat à assurer la protection et la
sécurité des personnes suppose que le ministère public, à qui incombe la charge
d'exercer les poursuites pénales, au nom de la société, à chaque fois que
l'exige l'intérêt général, soit précisément informé des faits délictueux ou
criminels dont les personnes sur qui pèse une stricte obligation de révélation
ont pu avoir connaissance. »
Voilà rappelée une obligation dont les maires n'ont pas connaissance. Faites
un sondage chez les 36 000 maires de France : ils ignorent totalement qu'ils
sont tenus, lorsqu'ils ont eu connaissance, dans l'exercice de leurs fonctions
ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, d'un crime ou d'un délit,
d'en aviser le procureur de la République. Bien entendu, cela ne vaut pas
réellement pour les maires des grandes villes. Cela ne peut concerner en
pratique que les maires des communes petites et moyennes, qui sont
effectivement susceptibles d'avoir connaissance de tels faits, se produisant
par exemple dans une école.
L'application stricte de l'article 40, alinéa 2, du code de procédure pénale
nous confère donc une responsabilité dont l'importance n'échappe à personne. Ne
pensez-vous pas, madame la ministre, que la nature et la portée de telles
obligations mériteraient que des relations s'instaurent au sein de chaque
parquet avec les élus concernés ; des procureurs s'y emploient déjà, mais ils
sont trop peu nombreux. Je suis persuadé que cela contribuerait à mettre fin à
certains dialogues de sourds, à dissiper la méfiance ambiante.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, comme
toujours, il y a le texte et le contexte. En l'occurrence, le contexte - que je
viens de rappeler - mérite, lui aussi, des mesures tout aussi importantes
qu'une modification législative, dont nous savons par expérience que ce sont en
définitive les juridictions qui en détermineront la portée réelle.
Certes, un grand pas sera franchi avec l'adoption définitive de ce texte, mais
nous ne serons pas au bout du chemin !
Sous le bénéfice de ces observations, le groupe duRassemblement pour la
République votera le texte qui nous est soumis.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Voilà une intervention riche et solide !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
A l'issue de cette discussion générale empreinte d'une
grande sérénité et d'une forte volonté d'examiner dans toute leur complexité
ces questions délicates, je voudrais faire quelques remarques sur les
interventions que nous avons entendues.
Je tiens d'abord à rappeler à MM. Philippe Arnaud et Alain Vasselle que le
débat sur la présomption d'innocence et sur la procédure pénale se distingue de
celui qui est relatif à la redéfinition des délits non intentionnels.
D'ailleurs, le projet de loi sur la présomption d'innocence sera examiné en
deuxième lecture par l'Assemblée nationale le 9 février prochain et sa deuxième
lecture au Sénat nous donnera l'occasion de débattre sur chacun des points de
procédure.
Sachez en tout cas, monsieur Vasselle, que si M. Balladur a effectivement
proposé en juin 1999, lors du débat en première lecture à l'Assemblée
nationale, la suppression du juge d'instruction, il s'est par la suite ravisé,
ainsi qu'il l'a indiqué en adressant une question à M. le Premier ministre. Les
esprits évoluent, et j'en suis heureuse. J'y vois la preuve que nous pouvons
mutuellement nous influencer sur ces importants sujets.
Par ailleurs, je souscris à l'idée selon laquelle il ne faut pas une loi
particulière applicable aux seuls élus. M. Fauchon l'a soutenue, mais aussi M.
Jolibois, M. Dreyfus-Schmidt, M. Delevoye, ainsi que, avec des mots qui nous
ont particulièrement touchés, M. Pierre Mauroy.
Or c'est sans doute comme la volonté de prendre un texte spécifique que serait
perçue la proposition de M. Vasselle tendant à instituer un filtre préalable
aux poursuites intentées contre les personnes physiques exerçant des
responsabilités publiques. Je crois qu'il y a ici une large majorité pour ne
pas vouloir s'engager dans une telle voie.
En réponse aux appréhensions évoquées par les uns et par les autres, je dirai
que l'initiative prise par M. Fauchon et la commission des lois du Sénat, qui
consiste à introduire la notion de causalité directe ou indirecte en relation
avec une faute caractérisée, est une bonne chose. Comme je l'ai dit dans mon
discours introductif, c'est une proposition à la fois audacieuse et mesurée,
qui permettra, j'en suis convaincue, de définir de manière plus stricte les
limites de la faute pénale et de cantonner ainsi les poursuites et les
condamnations aux seules hypothèses où elles sont véritablement justifiées.
Cependant, je souhaiterais aussi que la navette nous donne l'occasion de
préciser cette notion de causalité directe, dont certains orateurs, tels M.
Bret ou M. Dreyfus-Schmidt, ont estimé qu'elle pouvait être floue.
Actuellement, d'ailleurs, certains d'entre vous l'ont souligné, la notion de
causalité directe ou indirecte est parfois utilisée de façon peu précise par
les juridictions répressives. Cela s'explique par le fait qu'aujourd'hui cette
distinction n'a aucune conséquence juridique. Les termes de « causalité directe
» sont ainsi parfois utilisés à la place de ceux de « causalité certaine », et
l'expression « faute directe » doit être parfois comprise, me semble-t-il,
comme signifiant « faute personnelle ».
Si, dans l'affaire de l'accident survenu sur l'île d'Ouessant, le tribunal a
pu estimer que le comportement reproché au maire était la cause directe de cet
accident, alors qu'une telle précision n'était pas juridiquement nécessaire,
c'est vraisemblablement pour indiquer qu'il s'agissait, selon le tribunal,
d'une cause certaine.
Je ne peux évidemment pas commenter plus avant cette décision qui fait l'objet
d'un recours.
En tout état de cause, ce que je peux dire en cet instant, c'est que, du fait
des effets de la réforme que nous étudions, une distinction très nette sera
opérée dans la loi entre cause directe et cause indirecte et que, dès lors,
cette notion sera nécessairement examinée de façon plus précise par les
juridictions, sous le contrôle de la Cour de cassation.
Peut-être faudra-t-il d'ailleurs, pour clarifier le débat et s'assurer que la
réforme atteint ses objectifs, faire référence, dans l'article 121-3, à la
notion de cause indirecte ou de cause médiate. En effet, la doctrine considère
parfois qu'il existe, à côté des auteurs indirects des délits d'imprudence, des
auteurs médiats. Je suis certaine que la navette permettra d'enrichir la
réflexion sur cette question, comme elle l'enrichira sur la question de la
nature de la faute exigée en cas de causalité indirecte ou médiate.
J'ajoute, en réponse à M. Delfau, que je persiste à penser que la notion de
violation manifeste d'une règle de prudence ou de sécurité, retenue par la
commission, est meilleure que la référence à la notion de faute lourde. Je m'en
expliquerai lorsque l'on abordera la discussion des amendements qui tendent à
introduire cette notion.
Je fais ces quelques remarques pour indiquer clairement que, si je suis
réservée - vous l'avez compris - sur l'accroissement de la responsabilité
pénale des personnes morales, en tout cas dans le cadre des activités qui ne
peuvent être déléguées, j'estime en revanche que la piste ouverte par la
proposition de M. Fauchon grâce à une meilleure définition du lien entre la
faute et le dommage est extrêmement prometteuse.
A M. Murat, je dirai seulement - je lui ai déjà répondu dans mon intervention
liminaire - que je ne suis pas favorable à l'extension de la responsabilité
pénale des personnes morales de droit public.
M. Haenel a, à juste titre, rappelé dans son intervention que nombre de
propositions du rapport Massot n'appelaient pas, pour être satisfaites, la
modification du code pénal. Croire qu'un problème aussi complexe puisse être
résolu uniquement par des modifications du code pénal serait d'ailleurs une
erreur fondamentale.
L'information réciproque entre les parquets et les élus est en effet très
importante, et il est nécessaire que chacun connaisse mieux les compétences de
l'autre. J'adhère donc aux propositions qui visent à rapprocher les élus des
magistrats. Plusieurs initiatives ont d'ailleurs déjà été prises en ce sens et
seront développées.
Ainsi, dans le cadre de la formation des magistrats, qu'elle soit initiale ou
continue, des stages sont organisés au sein des collectivités locales.
Par ailleurs, des politiques partenariales se développent, ce qui facilite la
reconnaissance réciproque entre magistrats et élus ; je pense aux contrats
locaux de sécurité ou aux activités des maisons de la justice et du droit.
Dans la même ligne, je suis très intéressée par la proposition de M. Haenel
visant à recenser les initiatives prises par certains procureurs en vue de
rapprocher encore les magistrats et les élus afin de leur permettre de mieux se
connaître.
Je remercie l'ensemble des orateurs qui sont intervenus dans la discussion
générale. Cet important sujet suscite chez nous tous beaucoup d'intérêt et,
parfois, beaucoup d'émotion. M. Pierre Mauroy a ainsi rappelé, avec la force
particulière que lui donne son expérience, à quel point la situation pouvait
être ressentie comme injuste et inextricable par certains élus.
La discussion générale a montré que nous sommes tous ici à la recherche de la
meilleure solution, et, dès lors que nous ne voulons pas d'un système
particulier pour les élus et les décideurs publics, cela nous oblige évidemment
à considérer les éventuelles répercussions, dans toutes sortes de domaines, des
modifications que nous allons introduire.
M. le président.
Mes collègues auront sans aucun doute été très sensibles aux félicitations que
vous leur avez adressées, madame le garde des sceaux.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
(M. Guy Allouche remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE,
vice-président
M. le président.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - Le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal est ainsi
rédigé :
« Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d'imprudence, de
négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue
par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas
accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de
ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et
des moyens dont il disposait. Toutefois, lorsque la faute a été la cause
indirecte du dommage, les personnes physiques ne sont responsables pénalement
qu'en cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de
sécurité ou de prudence. »
Par amendement n° 15, M. Dreyfus-Schmidt propose, dans la première phrase du
texte présenté par cet article pour le troisième alinéa de l'article 121-3 du
code pénal, après les mots : « en cas », d'insérer les mots : « de faute lourde
».
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mme la garde des sceaux a réservé son avis sur la question que je soulève avec
cet amendement jusqu'à la discussion de celui-ci. Mais ceux qui m'ont entendu
ce matin auront compris qu'il ne me paraît pas possible de s'en tenir à la
différence entre la cause directe et la cause indirecte.
On a souvent cité le jugement rendu dans l'affaire de l'île d'Ouessant parce
qu'il est tout récent ; mais il y a eu de nombreux jugements similaires. J'ai
ainsi donné l'exemple d'une affaire - et d'autres sont citées dans le rapport
Fournier - où la cause est manifestement indirecte mais où les faits sont
graves : dans un tel cas, on risquerait de ne pas pouvoir poursuivre. A
l'inverse, dans les affaires où la cause serait directe mais où la faute ne
serait pas grave, on aurait à nouveau des plaintes, des mises en examen, des
poursuites, et, peut-être, des condamnations ; ce serait légalement
possible.
C'est pourquoi, tout en acceptant la distinction entre cause directe et cause
indirecte, j'insiste sur la nécessité de préciser que, quel que soit le cas, la
faute doit être lourde.
J'ai expliqué ce matin, et je le répète, que la notion de faute lourde est
bien connue en droit administratif mais pas - et pour cause - en droit pénal.
Il suffirait cependant de l'introduire dans le code pénal pour que chacun fasse
la différence entre faute légère et faute lourde. Il est évident que, si le
maire prend une décision en toute connaissance de cause, après des débats en
conseil municipal par exemple, on pourra lui imputer une faute lourde ; mais
pas dans le cas contraire.
Il est facile de savoir si la faute est lourde ou si elle ne l'est pas, et
c'est pourquoi nous proposons de lire l'article 1er présenté par la commission
de la manière suivante : « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit,
en cas de faute lourde d'imprudence, de négligence ou de manquement à une
obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement... »
Vous aurez noté qu'il n'y a pas de virgule entre les mots « faute lourde » et «
d'imprudence », les deux premiers termes étant en facteur commun par rapport à
ce qui suit.
Je répète, mes chers collègues, que, si nous n'allions pas jusque-là, il nous
faudrait bientôt recommencer, une fois de plus, à modifier le code pénal, car,
comme la loi de 1996, la présente proposition de loi serait sans grand
effet.
J'ajoute, car il m'a donné l'autorisation de citer son nom, que notre
collègue Jean-Jacques Hyest, qui appartient à la majorité sénatoriale, avait
déjà fait la même proposition à l'époque de l'élaboration du nouveau code
pénal. Comme nous il ne veut pas que quiconque, et en particulier un maire
puisque cela arrive souvent - aux maires - soit poursuivi pour avoir commis une
faute légère.
En revanche, si on commet une faute lourde, on doit être poursuivi et déclaré
responsable, parce que personne ne comprendrait qu'on ne le soit pas.
S'il s'agit d'une faute légère, le préjudice causé pourra éventuellement être
réparé au civil, puisque nous ne modifions pas, bien évidemment, les articles
1382 et suivants du code civil. Cela est vrai quel que soit le degré de gravité
de la faute et que la cause soit directe ou indirecte. Cela signifie que,
enfin, il n'y aura plus d'unicité entre la faute pénale et la faute civile.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter cet
amendement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La commission est tout à fait opposée à l'amendement de M.
Dreyfus-Schmidt.
Il faut en mesurer les conséquences : elles pourraient être considérables. Il
n'y aurait plus en effet de condamnation pour imprudence ou négligence hors les
cas de faute lourde.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Cela signifie notamment qu'en matière d'accidents de la
circulation - et vous connaissez leur importance dans notre société - il
faudrait une faute lourde pour engager la responsabilité pénale.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Oui !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je vous ai bien compris, monsieur Dreyfus-Schmidt, ce n'est
pas la peine d'acquiescer ainsi !
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je vous confirme que vous m'avez compris !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
De deux choses l'une : soit l'introduction de la notion de
faute lourde ne servira pratiquement à rien, parce que les magistrats
considèrent que toute faute qui cause un grave dommage est lourde parce qu'elle
cause un grave dommage. C'est d'ailleurs aussi l'interprétation qui prévaut en
matière contractuelle : on considère que la violation du contrat est lourde dès
lors que ses conséquences sont graves.
Non seulement ce serait un coup d'épée dans l'eau, mais vous créeriez une
équivoque car, plus loin, dans l'hypothèse d'une relation indirecte, nous
parlons de la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité.
Il faut donc distinguer la faute lourde de la violation délibérée. Imaginez la
gamme des distinctions qui seraient nécessaires ! L'exercice serait assez
vain.
Si l'amendement n° 15 était voté, les accidents, qu'ils soient de la
circulation ou du travail, ne donneraient lieu à condamnation que si leur
auteur avait commis une faute lourde, au sens où vous paraissez entendre ce
terme, monsieur M. Dreyfus-Schmidt. On risque de déclencher ainsi toute sorte
de comportements, notamment sur la route. Tous les jours, des fautes légères
ont pour conséquence de très graves accidents de la circulation, et, en
conscience, en tant qu'automobiliste, et nous le sommes tous, j'estime que la
menace de poursuites correctionnelles doit absolument peser sur nous tous. Dans
le cas contraire, certains estimeraient ne pas devoir s'inquiéter puisque, en
l'absence de faute lourde, ce serait l'assurance qui paierait !
Voulons-nous, malgré notre connaissance des statistiques sur les accidents de
la circulation - elles sont rappelées dans mon rapport - nous engager dans
cette voie ?
Pour ma part, je pensais en effet au départ que la faute devait être lourde
dans tous les cas, mais j'ai reculé devant cette perspective. Il serait
totalement irresponsable de notre part d'ouvrir ainsi la voie à la
déresponsabilisation dans le domaine de la circulation routière, car il est
absolument nécessaire de maintenir au plus haut niveau la protection de nos
concitoyens.
Pour toutes ces raisons, la commission refuse de suivre notre collègue Michel
Dreyfus-Schmidt.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je suis opposée à cet amendement, dont l'objet est de
limiter les délits non intentionnels au seul cas de la faute lourde.
La proposition de loi de M. Fauchon distingue la nature de la faute selon le
lien de causalité, distinction que j'approuve dans son principe mais dont je ne
veux pas qu'elle produise des effets excessifs. Je ne peux accepter une
solution qui dépénaliserait la quasi-totalité des comportements d'imprudence, y
compris ceux qui font des victimes humaines ou causent des dégâts majeurs à
l'environnement.
La proposition de M. Dreyfus-Schmidt dépénaliserait presque entièrement le
droit du travail, le droit de l'environnement, de la santé publique, de la
sécurité routière.
Je rappelle certaines définitions que la doctrine et les tribunaux judiciaires
ont données de la faute lourde, dans les domaines du droit civil, où elle est
actuellement utilisée : « énormité de la faute qui dénonce l'incapacité de la
personne », « incurie ou extrême négligence de l'agent » et, enfin, «
comportement d'une extrême gravité, confinant au dol ».
Peut-on imaginer - je vais prendre un exemple dans le domaine de la sécurité
routière, qui a été mentionné par M. Fauchon - que l'automobiliste qui, à la
suite d'une inattention d'une demi-seconde, ne voit pas un feu rouge et écrase
un piéton puisse être exonéré de sa responsabilité pénale ? Pour ma part, je ne
l'accepte pas, mais, surtout, la société ne l'accepterait pas.
Je ne multiplierai pas les exemples.
Un amendement similaire de M. Dreyfus-Schmidt avait donné lieu à une
discussion identique en juin dernier au Sénat, lors de l'examen du projet de
loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des
victimes. Ma conclusion avait été identique : je demande le rejet de
l'amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 15.
M. Alain Vasselle.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Je suivrai la position de la commission.
J'ai eu l'occasion très récemment, en ma qualité de président d'une
association départementale d'élus - celle des maires de l'Oise - d'organiser,
conjointement avec un cabinet d'avocats spécialisé dans le droit pénal, des
réunions d'information et de sensibilisation au droit à destination de tous les
élus du département.
J'ai ainsi rencontré plus de la moitié des 693 maires de mon département.
Au cours de ces réunions, nous avons évoqué toutes les difficultés auxquelles
sont confrontés les maires au regard de la responsabilité pénale. Parmi les
solutions qui ont été avancées figurait cette notion de faute lourde. Je
comprends tout à fait l'objectif poursuivi par notre collègue M.
Dreyfus-Schmidt. Je le rejoins s'agissant de cet objectif. Cependant, ce qu'il
propose ne me paraît pas et n'est pas apparu, après ces discussions entre les
maires, la meilleure des solutions.
Sans aucun doute, la rédaction qui nous est proposée sur l'initiative de M.
Fauchon, approuvée par la commission des lois et, si j'ai bien compris, par le
Gouvernement, me semble la moins mauvaise des solutions et celle qui répondrait
le mieux à l'attente des élus.
En effet, chacun en est bien conscient ici, l'initiative de M. Fauchon ne
résoudra qu'une partie des difficultés auxquelles sont confrontés les maires
dans le cadre de la responsabilité pénale et il faudra bien, à un moment ou à
un autre, prendre d'autres initiatives.
En ce qui concerne la notion de faute lourde, même si Mme le ministre a bien
voulu rappeler la jurisprudence en la matière, la grande question que se posent
les maires et les professionnels que sont les avocats est la suivante : où le
magistrat, qui apprécie en son âme et conscience,...
M. Michel Charasse.
Hum, hum !
M. Alain Vasselle.
... va-t-il placer le curseur s'agissant de la lourdeur de la faute ? Ce n'est
pas forcément à la jurisprudence qu'il se référera pour la condamnation. Comme
l'a rappelé tout à l'heure très justement M. le rapporteur, le magistrat
apprécie la nature de la faute et les conséquences de celle-ci, et c'est à
partir de cela qu'il se prononce.
M. Michel Charasse.
A la tête du client !
M. Alain Vasselle.
« A la tête du client » ?... C'est peut-être le sentiment que cela donne. La
notion de faute lourde peut justement aboutir à renforcer un peu plus chez les
maires le sentiment qu'ils sont jugés à la tête du client.
C'est la raison pour laquelle il nous a semblé, dans le cadre des échanges que
nous avons eus, que ce n'était pas la meilleure des solutions sur ce point et
qu'il existait d'autres pistes à explorer.
M. Gérard Delfau.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Madame la ministre, j'ai écouté avec beaucoup d'attention votre argumentation
pour nous inciter à refuser l'amendement de notre collègue Michel
Dreyfus-Schmidt.
A mes yeux, cet amendement avait un intérêt : il correspondait à l'état
d'esprit des élus locaux et il exprimait les questions que nous abordons en un
langage compréhensible par tous. Il faut que je m'y prépare si je veux dire
d'une seule traite : « délit non intentionnel, causalité directe ou causalité
indirecte ».
Depuis le début du débat, je me demande comment je vais pouvoir expliquer aux
élus locaux et à nos concitoyens le contenu de la présente discussion, pourtant
très importante. Donc, pour moi, la notion de faute lourde, ou grave, avait cet
intérêt majeur.
Mais vous m'avez convaincu. En effet, s'il est vrai que cette notion
s'appliquerait indistinctement - c'est la position de principe que nous avons
prise et je ne peux donc pas la remettre en question - à l'ensemble du code
pénal et aurait les conséquences que vous avez évoquées en matière d'accidents
du travail ou d'accidents de la circulation, je ne peux évidemment prendre
cette responsabilité, qui serait contraire à ma conviction profonde. Cependant,
cela me confirme - vous n'en êtes pas responsable, ni vous, ni quiconque sur
ces travées - dans l'idée qu'il est extrêmement difficile de faire évoluer une
situation en soi inacceptable, d'autant qu'il y a le précédent de la loi du 13
mai 1996 et l'application qui en a été faite par la jurisprudence. Par
ailleurs, comme vous l'avez rappelé à l'instant, il ne suffit pas d'agir sur
les textes, en l'occurrence sur le code pénal, pour obtenir tous les résultats
que nous recherchons.
Tel est le cheminement qui m'a conduit à prendre cette position. Elle ne me
satisfait pas ; elle me paraît simplement un peu moins mauvaise que l'autre,
qui m'aurait amené à accompagner jusqu'au bout - s'il va jusqu'au bout - mon
collègue Michel Dreyfus-Schmidt.
M. José Balarello.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello.
Je comprends la position de Mme le garde des sceaux. Il suffirait de sortir du
domaine que nous entendons viser les accidents de la circulation et les
accidents du travail. C'est une suggestion qu'il conviendra de retenir en
seconde lecture.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Non ! Je vais rectifier tout de suite mon amendement.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Dreyfus-Schmidt.
Je tiens tout d'abord à préciser à Mme le garde des sceaux que je n'ai jamais
déposé un amendement relatif à la faute lourde ou grave. J'avais simplement
proposé de supprimer toutes les exceptions. Je m'en suis expliqué ce matin en
disant que les esprits n'étaient pas mûrs mais qu'on y arriverait peut-être un
jour.
On juge, nous dit-on, les conséquences. Or nous sommes nombreux à demander que
l'on juge non pas les conséquences mais la conduite et, en particulier, que
l'on détermine s'il y a faute légère ou non. Le code pénal fait des différences
: les fautes légères constituent le plus souvent des contraventions, les fautes
plus graves des délits et les fautes encore plus graves des crimes. L'idée
étant de punir ceux qui commettent des infractions, ceux qui commettent des
infractions graves sont punis plus sévèrement. Il est tout de même assez
injuste de punir selon les conséquences.
Le non-respect d'un feu rouge constitue toujours, selon moi, une faute grave,
sauf s'il était prouvé que le soleil a ébloui le conducteur.
Pourquoi, dès lors, n'y aurait-il pas une réparation purement civile ? Cela ne
me gênerait pas.
Mais, pour tenir compte des remarques qui ont été formulées et avant même
d'avoir entendu notre collègue José Balarello, j'avais songé à rectifier mon
amendement afin de préciser qu'il y a également délit, lorsque la loi le
prévoit, « en cas de faute autre que légère, sauf en matière de circulation et
de législation du travail, d'imprudence, de négligence ou de sécurité... »
Je persiste à penser que l'on ne peut pas se contenter de la distinction entre
la cause directe et la cause indirecte. Lorsqu'il y a une cause directe, ce qui
nous irrite tous les jours, c'est de voir des personnes poursuivies et
condamnées pour des fautes très légères. Au contraire, des personnes ayant
commis des fautes indirectes ne seraient pas condamnées car on n'arriverait pas
à rapporter la preuve qu'il s'agissait d'une violation manifestement délibérée
d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence, dont on ne sait
toujours pas si elle doit être inscrite dans la loi et le règlement ou si, au
contraire, elle doit être appréciée par le juge.
Monsieur le président, je vous remercie d'avoir pris note de la nouvelle
rédaction que je propose pour mon amendement.
M. le président.
Je suis donc saisi d'un amendement n° 15 rectifié, présenté par M.
Dreyfus-Schmidt, et tendant à insérer, dans la première phrase du texte proposé
par l'article 1er pour le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal,
après les mots : « en cas », les mots : « de faute autre que légère, sauf en
matière de circulation et de législation du travail, ».
Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
On ne peut pas travailler comme cela ! Le droit pénal est un
droit général. On ne peut pas créer des formes de délits par catégorie. On
risque d'en oublier !
Je suis surpris par la proposition de notre collègue M. Dreyfus-Schmidt. Bien
que je n'aie pas consulté la commission des lois, je n'imagine pas un instant
qu'elle puisse y être favorable. J'émets donc un avis défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Défavorable.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 15 rectifié.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
On dira sans doute que je prends la discussion en cours de route, mais je ne
comprends rien à toutes ces subtilités ! Je trouve qu'on entre dans des détails
qui ne pourront que troubler ultérieurement ceux qui se référeront - si on s'y
réfère encore ! - aux travaux préparatoires de la loi pour comprendre quelque
chose à notre discussion.
Si j'ai bien compris, dans le texte de la commission des lois, la cause
indirecte n'est une faute lourde que si elle est manifestement délibérée. C'est
bien ce qui est écrit ? Or, les dispositions qui précèdent, et que M. Michel
Dreyfus-Schmidt voudrait modifier, sont celles qui parlent d'imprudence, de
négligence et de manquement à une obligation de sécurité.
Mes chers collègues, d'habitude, cela, c'est délibéré !
(Exclamations sur
diverses travées)
Je parle en tant qu'élu local. Quand on manque à une
obligation de sécurité, la plupart du temps on le sait parfaitement ! On peut
avoir des raisons pour manquer à une obligation de sécurité : parce que l'on
n'a pas le temps,...
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Non !
M. Michel Charasse.
Que racontez-vous ? Quand vous êtes maire, vous êtes pris par l'urgence, vous
avez mille autres choses à faire, vous dites : je ferai cela demain car je n'ai
pas le temps de m'en occuper aujourd'hui. Donc, généralement, on le sait !
Par conséquent, moi, je pense que la première partie de l'article de la
commission des lois ne peut viser que la faute lourde, la deuxième partie
visant la faute lourde en cas de cause indirecte.
En considérant nous-mêmes qu'il y a une distinction entre la première partie
et la deuxième partie du dispositif qui nous est soumis, nous donnons aux juges
des arguments pour prononcer des condamnations sévères, alors que ce n'est pas
forcément notre objectif.
Cela étant, vous savez très bien que nous pouvons adopter tout ce que nous
voulons ici ! Il n'est que de voir ce que la loi Delevoye est devenue dans les
tribunaux. On sait très bien que les juges n'en feront pas plus si le texte que
nous adoptons ne leur plaît pas, et nous savons qu'il ne leur plaira pas
puisqu'ils ont décidé qu'il fallait condamner tous les responsables dans ce
pays... à l'exception d'eux-mêmes, qui sont responsables, mais jamais
condamnables !
Je voulais faire cette observation pour souligner que la faute lourde
s'applique dans les deux cas, étant entendu qu'il n'y a pas de faute lourde
pour les magistrats !
(Sourires.)
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
M. Charasse a l'art de mêler le pittoresque et le sérieux
avec tellement d'habileté que l'on ne sait pas très bien sur quel registre lui
répondre !
Je vais lui répondre sur le registre du sérieux.
Il a une grande agilité d'esprit, mais cela n'aurait pas été du temps perdu
si, au lieu de prendre le débat en cours, il était venu ce matin.
Je rappelle la démarche. Actuellement, la moindre des fautes constitue
l'imprudence, qui entraîne le caractère délictuel. Je vous ai exposé ma logique
au moment où je préparais cette proposition de loi.
D'ailleurs, j'avais dit dans le débat ouvert par notre collègue M. Haenel que
nous devrions renoncer à cette notion et passer à la faute lourde.
Très rapidement, j'ai compris qu'il existait des domaines où devait subsister
la moindre des fautes, notamment en matière de circulation automobile. Sinon,
où va-t-on ?
J'ai pris conscience que je risquais d'instaurer un système désastreux. On m'a
alors soufflé ce dispositif, que je n'ai donc pas inventé tout seul, qui
consiste à distinguer les hypothèses de causalité directe, quand l'accident est
la conséquence nécessaire de la faute commise, et la causalité indirecte.
Certes, on peut multiplier les cas particuliers à l'infini, mais la plupart du
temps, en matière d'accidents de la circulation, la causalité est directe. En
revanche, s'agissant de la responsabilité des élus et des responsables
d'association, ce ne sont pas les élus eux-mêmes ou les responsables qui
agissent : la causalité est indirecte.
Il m'a semblé que nous accomplirions un grand progrès en retenant cette
distinction. Certains ont dit : ce ne sera pas le dernier progrès. Il est
certain qu'il y en aura d'autres à faire, je suis le premier à en être
conscient. Je crois que, dans cette affaire, on n'avance bien que pas à pas,
sinon on n'avancerait pas du tout.
Il faut donc retenir cette distinction entre causalité directe et causalité
indirecte. Il s'agit d'admettre que, en cas de causalité directe, on reste au
statu quo
, c'est-à-dire que la moindre faute engage la responsabilité,
et que, au contraire, en cas de causalité indirecte, celle dans laquelle
l'accident aurait très bien pu ne pas se produire, aurait pu ne pas arriver -
on pourrait citer quantité d'exemples, mais ce serait trop compliqué - on exige
une faute caractérisée. La notion de causalité directe n'est d'ailleurs pas
complètement absente de notre droit, puisque l'expression « causalité directe »
est employée en droit civil, en matière de droit des contrats, comme vous
pourrez le constater en vous référant à la jurisprudence qui suit ces
dispositions du droit civil.
Je crois donc que l'on résume bien la situation en disant qu'il y a causalité
directe lorsque le dommage est la conséquence nécessaire de la faute, lorsque
la faute provoque automatiquement ce dommage, même si ce n'est pas forcément
immédiat : dès lors que vous avez commis cet excès de vitesse, que vous avez
fait ceci ou cela, le dommage se produit nécessairement ! Il faut alors, à mon
avis, prendre véritablement en compte la moindre faute. Au contraire, lorsque
la causalité est indirecte, lorsqu'un acte, parfois très antérieur au dommage,
a contribué à rendre ce dernier possible sans le provoquer directement et que,
dans beaucoup de cas, le dommage aurait pu ne pas du tout se produire, il faut
alors prendre en compte une faute caractérisée.
C'est dans ce cas-là que la commission s'est interrogée sur le point de savoir
si cette faute caractérisée devait être appelée « faute lourde » - c'était la
proposition de M. Massot, mais cela nous a paru trop vague - ou s'il fallait
lui donner une définition plus précise de manière à resserrer davantage les
conditions d'appréciation de cette faute caractérisée. Et nous avons préféré la
définition plus précise pour des raisons sur lesquelles je me suis déjà
expliqué.
Voilà comment les choses se présentent et pourquoi il me paraît important de
nous en tenir à cette distinction que tout le monde a bien voulu admettre,
parce qu'elle nous permet d'aborder le problème d'une manière plus méthodique,
de mieux distinguer les hypothèses de responsabilité et de garder, en cas de
causalité directe, la notion de faute pénale pour la moindre faute, ce qui est
une sécurité absolument nécessaire, notamment en matière d'affaires routières,
mais aussi pour d'autres domaines. Nous souhaitons, au contraire, dans le
domaine de la causalité indirecte, avoir cette exigence d'une faute
caractérisée.
Pour les raisons qui ont été indiquées par les uns et les autres, je supplie
le Sénat de ne pas prendre la responsabilité d'exiger une faute lourde pour que
soit engagée, par exemple, la responsabilité des automobilistes ou d'un certain
nombre de personnes dans des situations comparables, sauf à donner l'impression
d'avoir perdu le sens de nos responsabilités.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
J'ai modifié mon amendement ! Cela a dû vous échapper !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 15 rectifié.
M. Alain Vasselle.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Pour être intellectuellement très satisfaisant, ce dispositif n'en reste pas
moins soumis à l'appréciation des magistrats. Les magistrats, en définitive,
vont-ils se contenter d'interpréter la lettre du texte que nous aurons
adopté...
M. Michel Charasse.
Comme pour la loi Delevoye !
M. Alain Vasselle.
... ou accepteront-ils de se référer aux débats du Parlement sur
l'interprétation que nous en souhaitons ?
M. Michel Charasse.
Ils s'en fichent !
M. Alain Vasselle.
Tels sont donc les termes dans lesquels se posera le problème. Si, après la
démarche que nous avons effectuée, nous aboutissons au même résultat qu'avec la
loi de 1996, on aura vraiment le sentiment que le Parlement aura perdu son
temps et que, en définitive, les magistrats n'en font qu'à leur tête.
M. Michel Charasse.
C'est vrai !
M. Alain Vasselle.
Je vous prie de m'excuser d'être un peu provocateur en tenant de tels propos,
mais il arrive un moment où les élus locaux, sur le terrain, se posent ces
questions.
M. Raymond Courrière.
Ils ont raison !
M. Alain Vasselle.
Dire aujourd'hui cela n'est pas un retour en arrière par rapport aux propos
que j'ai tenus tout à l'heure, après les explications de M. le rapporteur. Je
le dis comme le dirait ici, spontanément, l'élu local qui assisterait au débat
que nous avons aujourd'hui.
M. Raymond Courrière.
A quoi servons-nous ?
M. Michel Charasse.
Il n'y a qu'un moyen de mettre les magistrats au pas : installer la Cour de
cassation à Saint-Pierre-et-Miquelon ! Ils auront du bon air !
(Sourires.)
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Je demande un vote par scrutin public sur cet
amendement.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 15 rectifié, repoussé par la commission et
par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n°
34:
Nombre de votants | 231 |
Nombre de suffrages exprimés | 230 |
Majorité absolue des suffrages | 116 |
Pour l'adoption | 1 |
Contre | 229 |
M. Michel Dreyfus-Schmidt. S'il n'en reste qu'un... (Sourires.)
M. le président. ... vous serez celui-là, monsieur Dreyfus-Schmidt ! (Nouveaux sourires.)
Personne ne demande la parole ?...
Je mets au voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
M. le président.
« Art. 2. - L'article 221-6 du même code est ainsi modifié :
« I. - Au début du premier alinéa, les mots : "Le fait de causer" sont
remplacés par les mots : "Le fait de causer, dans les conditions et selon les
distinctions prévues à l'article 121-3".
« II. - Dans le même alinéa, les mots : "ou les règlements" sont remplacés par
les mots : "ou le règlement".
« III. - Au début du second alinéa, les mots : "En cas de manquement délibéré
à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les
règlements" sont remplacés par les mots : "En cas de violation manifestement
délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par
la loi ou le règlement". »
Par amendement n° 16 rectifié, M. Dreyfus-Schmidt propose de rédiger ainsi le
I du texte présenté par cet article pour modifier l'article 221-6 du code pénal
:
« I. - Au début du premier alinéa, les mots : "Le fait de causer par
maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation
de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements" sont remplacés
par les mots : "Le fait de causer, dans les conditions et selon les
distinctions prévues à l'article 121-3". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 16 rectifié est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
M. le président.
« Art. 3. - L'article 222-19 du même code est ainsi modifié :
« I. - Au début du premier alinéa, les mots : "Le fait de causer à autrui"
sont remplacés par les mots : "Le fait de causer à autrui, dans les conditions
et selon les distinctions prévues à l'article 121-3".
« II. - Dans le même alinéa, les mots : "ou les règlements" sont remplacés
par les mots : "ou le règlement".
« III. - Au début du second alinéa, les mots : "En cas de manquement délibéré
à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les
règlements" sont remplacés par les mots : "En cas de violation manifestement
délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par
la loi ou le règlement". »
Par amendement n° 17 rectifié, M. Dreyfus-Schmidt propose de rédiger ainsi le
I du texte présenté par cet article pour modifier l'article 222-19 du code
pénal :
« I. - Au début du premier alinéa, les mots : "Le fait de causer à autrui par
maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation
de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements" sont remplacés
par les mots : "Le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les
distinctions prévues à l'article 121-3". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je retire également cet amendement, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 17 rectifié est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 3
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements, déposés par M. Dreyfus-Schmidt et tendant à
insérer des articles additionnels après l'article 3.
L'amendement n° 18 vise à insérer, après l'article 3, un article additionnel
ainsi rédigé :
« Au début de l'article L. 232-2 du code rural, après les mots : "Quiconque
a", sont insérés les mots : ", dans les conditions et selon les distinctions
prévues à l'article 121-3 du code pénal," ».
L'amendement n° 19 tend à insérer, après l'article 3, un article additionnel
ainsi rédigé :
« Au début du deuxième alinéa de l'article 331 du code rural, après les mots :
"Quiconque aura involontairement", sont insérés les mots : ", dans les
conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3 du code pénal,"
».
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre ces deux amendements.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Les amendements n°s 18 et 19 visent respectivement l'article L. 232-2 et
l'article L. 331 du code rural, qui traitent des pollutions involontaires.
Il nous a paru nécessaire, comme je l'ai dit dans la discussion générale, de
préciser dans le code rural que le nouvel article 121-3 du code pénal, qui
concerne la cause directe ou indirecte, doit s'appliquer en matière
d'environnement de manière qu'il soit clair, à la lecture du seul code rural,
qu'un article général du code pénal prévoit qu'on ne poursuit pas bêtement
quelqu'un qui n'aurait pas eu les moyens de faire ce qu'il a fait ou qui
n'aurait pas eu, en matière de responsabilité indirecte, l'intention délibérée
de violer une quelconque obligation de prudence et de sécurité.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La commission émet un avis favorable. Il s'agit de considérer
que des atteintes à l'environnement qui sont des délits d'imprudence et de
négligence vont bénéficier de la disposition que nous sommes en train de
voter.
Je dois dire que j'y ai pensé dès le début de ma démarche. Je me suis posé la
question de savoir comment l'on pourrait toucher aussi ce vaste domaine des
atteintes à l'environnement, dont on n'a pas beaucoup parlé, mais au titre
duquel on condamne à tour de bras.
C'est la raison pour laquelle - je ne l'avais pas prévu au moment de
l'élaboration de ma proposition de loi, mais cela m'est apparu ensuite au cours
des travaux de la commission des lois - j'ai ramené ma proposition, qui
s'insérait à l'origine dans les articles 221-6 et 229-19 du code pénal, qui ne
traitent que des blessures et des homicides par imprudence, à l'article 121-3
du même code, qui est le frontispice général sur lequel on pose le principe de
la délinquance par imprudence ou négligence à l'égard de tous les cas de figure
possibles et imaginables « lorsque la loi le prévoit ». Or, la loi le prévoit
pour les homicides ou les blessures par imprudence, mais aussi dans les
hypothèses d'atteinte à l'environnement.
C'est la raison pour laquelle j'ai ramené mon texte en dénominateur commun, de
manière que puissent être invoquées dans un bon nombre de cas les hypothèses
d'atteinte à l'environnement, qui sont des hypothèses de délit non
intentionnel.
M. Dreyfus-Schmidt, s'inscrivant tout à fait dans cet esprit, propose de le
dire de manière encore plus expresse dans les deux hypothèses que sont la
pollution des eaux et les épizooties. La commission est tout à fait d'accord
elle émet donc un avis favorable sur les amendements n°s 18 et 19.
M. Michel Charasse.
Très bien !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 18 et 19 ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
S'agissant de l'amendement n° 18, les précisions
apportées à l'article L. 232-2 du code rural, qui réprime les pollutions de
cours d'eau, sont identiques à celles qui ont été apportées aux dispositions
relatives aux délits d'homicide et de blessures involontaires.
Je m'en remets par conséquent à la sagesse du Sénat.
J'adopterai la même position à propos de l'amendement n° 19. J'observe
toutefois que l'infraction visée par cet amendement, à savoir la propagation
involontaire d'une épizootie, est, à la différence de la précédente, beaucoup
moins fréquemment invoquée et que le rappel d'un principe général du droit
pénal est donc moins opportun.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 18, accepté par la commission et pour lequel
le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de loi, après l'article 3.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 19, accepté par la commission et pour lequel
le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de loi, après l'article 3.
Articles 4 et 5
M. le président.
« Art. 4. - Au début de l'article 222-20 du même code, les mots : "Le fait de
causer à autrui, par un manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de
prudence imposée par la loi ou les règlements" sont remplacés par les mots :
"Le fait de causer à autrui, par la violation manifestement délibérée d'une
obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le
règlement". » -
(Adopté.)
« Art. 5. - L'article 322-5 du même code est ainsi modifié :
« I. - Dans le premier alinéa, les mots : "ou les règlements" sont remplacés
par les mots : "ou le règlement".
« II. - Au début du second alinéa, les mots : "En cas de manquement délibéré à
une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements"
sont remplacés par les mots : "En cas de violation manifestement délibérée
d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou
le règlement". » -
(Adopté.)
Article 6
M. le président.
« Art. 6. - Les deux derniers alinéas de l'article 121-2 du même code sont
ainsi rédigés :
« Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont
responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice
d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de
service public sauf s'il s'agit d'une infraction constituée par un manquement
non délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou
le règlement.
« La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des
personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits sous réserve des
dispositions du troisième alinéa de l'article 121-3. »
Par amendement n° 23, le Gouvernement propose de remplacer les deux premiers
alinéas de cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le dernier alinéa de l'article 121-2 du code pénal est ainsi rédigé : ».
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le présent amendement réécrit le début de l'article 6
de la proposition de loi, qui modifie l'article 121-2 du code pénal relatif à
la responsabilité pénale des personnes morales, afin que ne soit plus modifié
que le dernier alinéa de cet article, par coordination avec la modification de
l'article 121-3 du code pénal limitant la responsabilité des personnes
physiques pour les délits non intentionnels.
Il supprime ainsi la modification du deuxième alinéa de l'article 121-2, qui a
pour objet d'étendre la responsabilité pénale des collectivités territoriales
aux infractions constituées par des manquements non délibérés à des obligations
de sécurité ou de prudence, même si ces infractions ont été commises dans le
cadre d'activités non susceptibles de faire l'objet de conventions de
délégation de service public.
Comme je l'ai indiqué dans la discussion générale, le Gouvernement est opposé
à cette extension. En effet, cette modification permettrait de placer sous le
contrôle des juridicitions répressives les prérogatives de puissance publique
des collectivités territoriales et porterait atteinte au principe de la
séparation des pouvoirs.
M. Michel Charasse.
Ce n'est pas leur problème !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
En outre, cette extension augmenterait le risque de
pénalisation de la vie publique sans pour autant garantir une diminution des
poursuites engagées ou des condamnations prononcées contre les élus, puisque,
de toute façon, la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas
celle des personnes physiques.
Ce qui est important, dans la proposition de loi de M. Fauchon, c'est la
réduction de la responsabilité pénale des personnes physiques pour les délits
non intentionnels. Pour aboutir à ce résultat, il n'est nul besoin d'étendre la
responsabilité pénale des collectivités territoriales, d'autant que leur
responsabilité ne sera pas réduite par le nouvel article 121-3, ce qui incitera
donc les juges à poursuivre les personnes morales plutôt que les personnes
physiques.
Pour ces différentes raisons, je vous demande avec conviction de bien vouloir
adopter cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Nous abordons là une question intéressante et d'une très
grande portée, à la fois théorique et pratique.
Nous avons posé le principe, voilà déjà un certain nombre d'années, de la
responsabilité pénale des personnes morales. Cela a surpris : on nous a
répondu, de manière peut-être trop immédiate, que, les personnes morales ne
pouvant pas aller en prison, on ne pouvait donc prévoir leur responsabilité
pénale. C'est toutefois une idée un peu courte : les personnes morales peuvent
être frappées de blâmes ou de sanctions !
J'ajoute que, contrairement à ce qu'on a cru, ce n'est pas une idée nouvelle.
Et, puisque nous parlons sous l'égide de Colbert, vous me permettrez peut-être
de sortir de ma poche ce code de 1670.
(M. le rapporteur montre un volume in-16.)
M. Michel Charasse.
Oh là là !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Cela va vous plaire, monsieur Charasse !
M. Michel Charasse.
Beaucoup !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Il s'agit de l'
Ordonnance de Louis XIV, roi de France et
de Navarre, en matière criminelle,
dans son édition de 1670. Vous
constaterez qu'il s'agit d'une édition de poche, qui, je vous le fais observer,
est d'époque ! Son titre XXI traite « de la manière de faire les procès aux
communautés, villes, bourgs, village, corps et compagnies qui auront commis
quelque rebellion, violence ou autre crime ». Suivent un certain nombre de
dispositions, dont celle que nous proposons nous-mêmes, la désignation d'un
syndic spécial : aux termes de l'article 4 « les condamnations ne pourront être
que des réparations civiles, dommages et intérêts envers la partie, amendes
envers nous, privation de leurs privilèges... » et quelques autres punitions
qui marquent publiquement la peine qu'elles auront encourue par leurs
crimes.
Il s'agit donc, en réalité, d'une idée ancienne, qui est enracinée dans nos
institutions, d'une idée que je crois parfaitement justifiée, d'une idée que je
crois, je le dirai tout à l'heure, tout à fait utile.
Quel est l'état du droit actuel ? A partir du moment où l'on a admis la
responsabilité pénale des collectivités territoriales en tant que personnes
morales, il faut pratiquer une distinction entre deux hypothèses : soit elles
exercent des compétences qui peuvent être déléguées - elles peuvent demander à
une entreprise de refaire une chaussée, de construire un tennis ou de ramasser
les ordures ménagères - et il n'y a alors aucune difficulté, la personne morale
peut être condamnée pénalement si des faits d'imprudence ou de négligence ont
été commis ; soit, au contraire, il s'agit de compétences qui ne peuvent être
déléguées, comme le pouvoir de police, par exemple, et l'on ne peut alors
envisager la responsabilité pénale de la personne morale, parce que ce serait,
en quelque sorte, porter atteinte à une sorte de domaine sacré.
Vous avez parlé tout à l'heure, madame la ministre, de prérogatives d'Etat. Je
constate que l'on se réfugie dans des formules qui sont extrêmement vénérables
mais dont on ne connaît pas très bien au juste le fondement par rapport à la
conscience juridique actuelle. Si l'on se réfère à la conscience juridique d'il
y a cent ans, on voit bien de quoi il s'agit, mais, par rapport à la conscience
actuelle, ce n'est pas clair. Il n'y a rien de vénérable ou de respectable dès
lors qu'un délit est commis ! Si une personne morale a commis un délit, toute
imprégnée qu'elle soit des prérogatives de la puissance publique, elle doit en
répondre pénalement !
Mais on peut aller plus loin. A cet égard, j'ai été ravi d'entendre M. Mauroy
ce matin : c'était un honneur et un bonheur pour nous tous. Il a évoqué, en
élevant la réflexion, la question abordée par la commission Massot, en se
demandant s'il ne conviendrait pas de s'interroger sur l'éventualité d'une
responsabilité pénale de l'Etat.
M. Michel Charasse.
Quelle horreur !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Avec le doigté que nous reconnaissons à notre excellent et
éminent collègue, M. Mauroy a considéré qu'il s'agissait d'une vraie question
mais qu'il était peut-être un peu prématuré de la poser,...
M. Michel Charasse.
Et la responsabilité pénale du service public de la justice ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
... que les esprits pouvaient évoluer et que l'on finirait
peut-être par comprendre.
Je constate cependant que la commission Massot, que l'on aime à citer si
souvent dans cette enceinte, n'a pas attendu, pour sa part, des années pour
dire qu'il faut reconnaître cette responsabilité.
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Mais pas M. Massot !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Qu'est M. Massot sans la commission Massot, je vous le
demande ?
(Sourires.)
C'est un très respectable membre du Conseil d'Etat, mais ce
n'est rien d'autre qu'un particulier, un juriste comme un autre !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Allons, monsieur Fauchon !
(Nouveaux sourires.)
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Permettez-moi cependant d'insister, parce qu'il y a là
quelque chose qui est tout de même amusant et qui va faire l'objet d'une petite
récréation momentanée dans notre débat, peut-être un peu austère par
ailleurs.
La commission Massot a formellement considéré que, au regard de la conscience
moderne, en présence d'une faute diffuse qui implique une responsabilité pénale
de l'Etat, même si l'on ne peut atteindre physiquement celui qui l'a commise,
il n'y a pas de raison de ne pas condamner cette faute.
M. Michel Charasse.
Et, au nom de la « conscience moderne », on peut supprimer la République !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Monsieur Charasse, si vous voulez me torpiller, prenez ma
place, ce sera la meilleure solution !
M. Michel Charasse.
La « conscience moderne », en 1940, elle était pour Pétain !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Cela existe, la conscience moderne ! Vous en êtes un exemple
éloquent... et un peu turbulent.
Permettez-moi de retrouver le fil de ma pensée.
M. le président.
Monsieur Charasse, vous troublez M. le rapporteur !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Pour ce qui me concerne, comme ma conscience est peut-être un
peu ancienne, j'ai effectivement du mal à imaginer la responsabilité pénale de
l'Etat ; mais, comme M. Mauroy, je crois qu'il faut y penser et faire avancer
cette idée.
Que M. Massot, à titre personnel, comme l'a excellemment dit M. le président
de la commission des lois - également à titre personnel, d'ailleurs -...
M. Jacques Larché,
président de la commission.
C'est par solidarité avec M. Massot !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La solidarité est très sympathique, mais que vaut-elle sur le
plan juridique ?
Que M. Massot nous ait dit qu'il était en désaccord avec les conclusions de la
majorité de sa commission, soit ! Mais permettez-moi alors de poser une
question au Gouvernement :
quid
d'un organisme au sein duquel, en cas de
désaccord entre le président et la majorité, c'est au président qu'il faut
donner raison ? Si nous posions ce principe, comme vous paraissez le souhaiter,
on pourrait en tirer des conclusions non seulement sur le sujet dont nous
débattons, mais également dans quantité d'autres domaines ! Cela ne dérangerait
peut-être pas personnellement Mme le garde des sceaux, pour des raisons que
nous imaginons bien, mais cela pourrait ne pas plaire à un certain nombre de
ses collègues ! Jusqu'à nouvel ordre, je considère donc que l'avis des
présidents est très respectable mais que celui de la majorité, quelquefois, est
tout de même plus important encore.
Mais je reviens à mon propos en disant que la commission Massot n'a pas
considéré qu'il était absurde de poser le principe de la responsabilité de
l'Etat.
Redescendons cependant au niveau inférieur, celui des collectivités
territoriales.
En vérité, je crois que la distinction entre les compétences selon qu'elles
peuvent être déléguées ou non relève du pur raffinement juridique, parce que
les prérogatives publiques sont en cause dans les deux hypothèses. La
distinction est donc artificielle, et nous pouvons parfaitement la
surmonter.
C'est ce que nous faisons dans le texte que nous vous proposons. Ainsi, la
responsabilité pénale des collectivités territoriales pourra toujours être mise
en cause, mais, dans l'hypothèse de compétences qui ne peuvent être déléguées,
il ne sera possible, selon la suggestion de la commission Massot, de mettre en
cause la responsabilité pénale de la personne morale que si l'on ne voit pas
apparaître le manquement ou la violation manifestement délibérée d'une
obligation par son représentant. En effet, si le maire ou le représentant de la
collectivité a commis une faute lourde, il n'y a pas lieu de mettre en cause la
responsabilité de la personne morale.
Pour autant, c'est une vraie question que de savoir si l'on doit ou non mettre
en cause cette responsabilité. Personnellement, je crois que c'est tout à fait
souhaitable, pour des raisons pratiques. Sans revenir sur un certain nombre de
cas concrets connus de tous, je rappelle simplement que, dans certaines
circonstances, même s'il y a responsabilité, on ne peut, en réalité, la situer
sur la tête de tel ou tel élu : si un poteau de basket tombe, c'est peut-être
parce que, voilà quinze ou vingt ans, on a choisi le devis le moins coûteux et
que le poteau a été fabriqué avec du bois de mauvaise qualité, ou bien parce
qu'il n'a pas été repeint régulièrement ! Mais il n'y a pas de raison que le
maire en fonctions le jour où le poteau de basket tombe paie pour tout le monde
! En revanche, la collectivité locale, elle, d'une manière diffuse, a une
certaine responsabilité pénale, c'est vrai.
Prenons l'exemple des manifestations qui ont lieu à Nîmes - vous connaissez
ces choses mieux que moi, madame le garde des sceaux - à l'occasion de lâchers
de taureaux : un maire a été mis en examen, finalement relaxé, parce qu'un
accident s'était produit à l'occasion d'une telle fête. Il a objecté qu'il ne
pouvait s'opposer à cette tradition populaire ancestrale ! La responsabilité,
dans ce cas, ne peut être déléguée - il s'agit de l'autorité de police -, mais
on peut s'interroger sur la responsabilité pénale de la personne morale qui
accepte que soient pratiquées ces fêtes traditionnelles depuis longtemps,
malgré les risques encourus par le public. Toutefois, le maire en fonctions le
jour d'un éventuel accident doit-il porter le chapeau pour tout le monde ?
Notre démarche générale, sur laquelle M. Vasselle a si bien insisté, vise à
éviter l'injustice qui consiste à désigner absolument un bouc émissaire :
condamner un innocent serait affreux. En revanche, on peut considérer qu'il y a
globalement, de manière diffuse, une responsabilité de la personne morale, et
envisager, par exemple, un blâme qui paraîtrait dans la presse : les victimes
sauraient que quelqu'un a été condamné, que l'on n'a pas considéré que
l'affaire était sans importance.
La responsabilité pénale de la personne morale, que les compétences puissent
être déléguées ou non, a donc sa raison d'être.
Contrairement à ce qu'a dit tout à l'heure Mme le garde des sceaux, il me
semble souhaitable de reconnaître la responsabilité globale de la commune
plutôt que de chercher absolument à clouer au pilori un homme. Ce sera tout de
même, me semble-t-il beaucoup moins grave, et une condamnation pourra quand
même être prononcée. Cette solution me semble assez raisonnable.
Pour toutes ces raisons, la commission, bien qu'elle n'ait pas pu examiner cet
amendement, puisqu'il vient d'être déposé, a montré, dans toutes ses
délibérations, qu'elle ne pouvait pas approuver le dispositif qui est proposé
car il est contraire à la position qu'elle a adoptée.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 23.
M. Pierre Mauroy.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy.
Il n'est pas dans mes habitudes de m'exprimer d'une certaine façon dans la
discussion générale et d'agir d'une autre lors de l'examen des articles.
J'ai, en revanche, l'habitude de suivre le Gouvernement, en particulier Mme le
garde des sceaux. Mais j'avoue ne pas être très sensible à la distinction
subtile qui est faite entre l'exercice d'une délégation de service public et
celui d'autres activités. Je préférerais, comme je l'ai indiqué ce matin, un
engagement systématique de la responsabilité des collectivités locales.
Je suis donc amené à me rallier à la position de M. le rapporteur.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Il s'agit d'un débat très important et j'ai dit tout ce
que j'avais à dire à la fois dans mon discours introductif et en présentant
tout à l'heure cet amendement.
Je voudrais juste mettre l'accent sur un ou deux points.
D'abord, je pense que la distinction plus précise qui sera faite, au titre de
la faute non intentionnelle, entre les fautes qui ont un lien direct avec le
dommage et celles qui n'en n'ont pas - donc la partie de votre proposition que
le Gouvernement accepte, monsieur le rapporteur - aboutira à ce que la
responsabilité pénale des personnes morales soit davantage engagée. Donc, par
cette seule disposition, nous aurons l'effet que vous recherchez.
J'ajoute que, comme il n'est pas question, ni dans les propositions de M.
Massot ni dans les vôtres, de substituer la responsabilité de la personne
morale à celle de la personne physique, de toute façon, l'introduction de cette
disposition ne constituera pas une garantie supplémentaire.
Enfin, j'ai parlé de prérogatives de puissance publique. C'est une notion bien
connue. Seules les personnes morales de droit public peuvent prendre des
règlements valables
erga omnes
qui s'imposent aux termes d'un acte
unilatéral.
J'observe, d'ailleurs, que le Conseil constitutionnel a constitutionnalisé la
compétence du juge administratif pour juger de ces compétences unilatérales. Et
ce n'est pas pour rien ! C'est parce que, sur ce type de décision, qui
participe des prérogatives de puissance publique, il ne faut pas laisser au
juge pénal le soin de juger de l'opportunité de telle ou telle décision. Si
nous allions dans cette voie...
M. Michel Charasse.
Il n'y aurait plus de séparation des pouvoirs !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... nous participerions nous-mêmes à une pénalisation
de la vie publique que nous voulons précisément diminuer avec le texte que nous
examinons aujourd'hui. D'où ma mise en garde.
Les assemblées ont voté, ces dernières années, avec les meilleures intentions
du monde, de nombreuses lois qui ont abouti à la pénalisation, aujourd'hui
jugée insupportable, de notre vie publique. Et c'est après coup que l'on s'est
rendu compte des conséquences !
J'attire donc vraiment l'attention de la Haute Assemblée sur cette
disposition, qui, sur le plan des principes, présente l'inconvénient majeur que
je viens de dire et qui, sur le plan pratique, n'aura pas les répercussions
qu'on souhaite lui voir comporter, alors même que l'autre disposition de la
proposition de M. le rapporteur incitera davantage encore les juges à choisir
la responsabilité pénale de la personne morale au lieu de la responsabilité de
la personne physique, lorsque, naturellement, ce sera justifié.
M. Gérard Delfau.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
C'est vrai, nous sommes, sur ce sujet, partagés.
Si nous nous référons à notre expérience et à l'exigence de nos collègues, à
laquelle nous nous associons, d'ailleurs, nous souhaitons faire disparaître
cette distinction qui, dans la vie concrète de tous les jours, est
incompréhensible, inexplicable.
Mais si nous nous plaçons sur le plan des principes, celui qui nous intéresse
tout particulièrement dans cette assemblée - qui du juge, qui du législateur,
qui de la puissance publique doit avoir le pas dans la République ? - alors,
madame la ministre, votre raisonnement nous trouble, ou, en tout cas, me
trouble.
Quand vous dites que, partant d'une bonne intention, nous pourrions accentuer
une évolution qu'unaninement nous regrettons, il est vrai que l'argument
porte.
Pour ce qui me concerne, n'engageant pas, dans cette affaire, le groupe auquel
j'appartiens, parce que le débat me paraît, à ce stade en tout cas, trop
délicat, je me rangerai à votre avis, madame la ministre. Mais je le ferai non
sans trouble de conscience et j'aurai beaucoup de mal - mais je m'y emploierai
- à expliquer aux élus locaux la position que je prends.
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Le débat que nous venons d'engager est
extrêmement intéressant.
Il est certain que les dangers qu'a soulignés Mme le garde des sceaux peuvent
toujours se profiler derrière l'adoption de tel ou tel texte. Dans cette
affaire, nous cheminons. La commission a pris une position. M. le rapporteur a
dit que, sur cet amendement, elle n'avait pas délibéré, mais qu'il lui semblait
que la position prise ne pouvait entraîner son acceptation.
Je suggère donc que, quel que soit le vote qui sera émis, nous ne considérions
pas comme définitive la position que nous adopterons en cet instant. Il y aura
une navette, l'Assemblée nationale s'exprimera, et il est tout à fait possible
que, dans cette perspective, nous revoyions et précisions les intentions qui
sont les nôtres.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Tout en souscrivant à ce qui vient d'être dit avec beaucoup
de sagesse par M. le président de la commission, je veux revenir un instant sur
le propos de Mme la ministre pour attirer l'attention sur deux points.
En premier lieu, madame la ministre, vous avez dit que, de toute façon, notre
système n'aurait pas beaucoup d'efficacité parce qu'il n'empêcherait pas,
éventuellement, la condamnation de la personne physique. Nous sommes bien
d'accord. Nous croyons l'un et l'autre qu'il faut maintenir les deux
responsabilités dans une situation de concurrence.
Mais, encore une fois, il est des cas où il apparaîtra injuste de condamner
une personne physique, sorte de bouc émissaire, alors qu'il sera assez juste de
condamner la personne morale parce qu'il y aura ce que j'ai appelé une
responsabilité pénale diffuse. Il est d'ailleurs souhaitable que soit désamorcé
ce désir de recherche de bouc émissaire qui caractérise quelque peu nos
sociétés, grâce à l'effet cathartique de l'audience pénale, avec tout de même
une condamnation pénale, mais sans pour autant clouer au pilori celui qui s'est
trouvé là ce jour-là et est, en fait, innocent.
Ce n'est pas la faute du maire d'Ouessant s'il y a des falaises, s'il y a des
sentiers le long de ces falaises et s'il y a des enfants qui circulent à vélo
tout le long des falaises ! Donc, cela peut servir. C'est ma première
observation.
En second lieu, je tiens à dire qu'il ne faut pas trop se bercer d'illusions
sur l'idée de la séparation des pouvoirs, de l'impossibilité pour les tribunaux
de condamner les pouvoirs publics lorsque ceux-ci commettent des fautes civiles
ou pénales.
En effet, en réalité, on est dans une fiction. D'abord, on prétend que les
tribunaux de l'ordre judiciaire ne pourraient pas condamner, alors que les
tribunaux de l'ordre administratif, eux, le peuvent...
M. Michel Charasse.
Pas pénalement !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Civilement !
... parce que ce ne sont pas des tribunaux. Mais qu'est-ce au juste, alors ?
C'est inquiétant pour l'idée qu'on se fait de la justice, si ce ne sont pas des
tribunaux !
En réalité, ils condamnent l'Etat à longueur de temps, et ils ne se gênent pas
pour le faire. Là encore, ce sont des distinctions verbales issues de nos
traditions qui font que l'on admet qu'il n'y a pas atteinte au principe.
Mais ce qui est encore plus fort, c'est que, dans des domaines comme les
atteintes à la propriété privée, il y a compétence des tribunaux de l'ordre
judiciaire. De même, on a fait un texte spécial pour traiter de la
responsabilité des enseignants. Ainsi, dans un certain nombre de domaines,
parfois des plus importants, ce sont les tribunaux de l'ordre judiciaire qui
sont compétents, spécialement compétents, et même l'Etat peut alors être
condamné par voie de référé.
Dès lors,
quid
du principe selon lequel on ne condamne pas la puissance
publique ?
En réalité, tout cela tient à des théories assez anciennes qui ne
correspondent plus très bien à la situation actuelle. Il faut l'avoir présent à
l'esprit et en revenir tout simplement à ce que j'appellerai le bon sens. Comme
le disait très bien M. Mauroy, s'il y a une responsabilité réelle de la
personne morale, de la collectivité locale, que la compétence puisse être
déléguée ou pas, il y a une responsabilité pénale, et c'est assez normal.
Il serait artificiel d'aller voir à la loupe si la compétence peut être
déléguée ou non. Ce faisant, on éprouverait d'ailleurs quelque difficulté, car
la distinction ne sera probablement pas toujours si claire que cela.
Dans son action, la collectivité territoriale a commis une faute pénale que le
tribunal juge devoir être sanctionnée. Il la sanctionne. Je ne vois pas ce que
cela a de tragique.
M. Alain Vasselle.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Il nous faut, sans aucune doute, suivre l'avis de la commission, même si - je
l'ai dit dans la discussion générale - j'aurais préféré que le rapporteur aille
beaucoup plus loin en ce qui concerne la responsabilité des collectivités
locales sur le plan pénal et même si - cela pourra paraître contradictoire - je
ne me fais guère d'illusion quant au résultat, en définitive, s'agissant de la
mise en responsabilité pénale des personnes physiques que sont les maires dans
l'exercice de leurs fonctions.
Cela étant, je souscris à ce qu'a dit M. le président de la commission des
lois en réponse à Mme le garde des sceaux : notre vote,
a fortiori
s'agissant d'une proposition de loi, ne sera pas gravé dans le marbre. Non
seulement la navette pourra nous permettre d'avancer dans notre réflexion,
mais, même au-delà, nous ne devons pas considérer, nous législateur, que nous
votons un texte pour l'éternité, ni même pour des décennies.
Il nous faudra tirer des enseignements, de la jurisprudence, de l'attitude
qu'auront les magistrats.
En effet, si le législateur légifère, on s'aperçoit parfois que l'application
du texte n'est pas nécessairement celle que nous aurions souhaitée les uns et
les autres : il y a la lettre et l'esprit de la loi. Voilà ce qui a provoqué la
véritable émotion, pour ne pas dire la psychose, de l'ensemble des élus de nos
collectivités. Là est le problème, et pas ailleurs !
Il faudra bien que, un jour ou l'autre, les esprits évoluent, l'idéal étant
que magistrats et législateur arrivent à marcher côte à côte pour que
l'interprétation soit la même et que le résultat soit celui que souhaite le
législateur.
M. Michel Charasse.
C'est du rêve !
M. Alain Vasselle.
Car ce que souhaite le législateur, c'est ce que souhaite le peuple !
M. Michel Charasse.
Le peuple, il s'en fout !
(Rires.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 23, repoussé par la commission.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
M. le président.
« Art. 7. - La troisième phrase du premier alinéa de l'article 706-43 du code
de procédure pénale est ainsi rédigée :
« Toutefois, lorsque des poursuites pour des mêmes faits ou des faits connexes
sont engagées à l'encontre du représentant légal, celui-ci peut saisir par
requête le président du tribunal de grande instance aux fins de désignation
d'un mandataire de justice pour représenter la personne morale. » -
(Adopté.)
Articles additionnels après l'article 7
M. le président.
Par amendement n° 8 rectifié
bis
, M. Charasse et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 7, un article
additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 1er du code des marchés publics, il est inséré un article
ainsi rédigé :
«
Art.
... Les dispositions du présent code ne sont pas applicables, en
ce qui concerne les règles et les seuils de mise en concurrence, aux marchés
conclus en urgence en vue de faire cesser un péril imminent ou de mettre un
terme à une situation de danger mettant en cause la sécurité des biens et des
personnes.
« Les marchés de toute nature conclus en urgence à l'occasion des catastrophes
naturelles survenues au dernier trimestre de l'année 1999 et répondant aux
conditions prévues à l'alinéa précédent sont réputés valables légalement au
regard des dispositions du présent code. Il en est de même en ce qui concerne
les marchés conclus postérieurement aux catastrophes susvisées et visant à
rétablir le fonctionnement normal des services publics, notamment en ce qui
concerne la reconstruction ou les travaux de sécurité en matière d'équipements
publics, spécialement ceux qui, comme les établissements scolaires et sportifs,
reçoivent du public. »
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, ce texte de la
commission des lois aurait pu, et aurait même dû, normalement, donner lieu à un
grand nombre d'amendements si nous avions voulu couvrir tous les aspects du
problème qui est posé, celui de la mise en cause de la responsabilité des élus
et des non-élus, les citoyens. Mais il se trouve que, en parallèle, d'autres
textes sont en discussion, en particulier le projet de loi visant à renforcer
la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes.
C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste - vous l'avez sans doute
remarqué - n'a pas souhaité présenter d'amendements visant à introduire des
articles additionnels dans ce texte, renvoyant ses propositions à la deuxième
lecture du projet de loi sur la présomption d'innocence... à l'exception
toutefois de cet amendement n° 8 rectifié
bis
, qui vise à répondre en
urgence - c'est le cas de le dire - à une question urgente qui préoccupe
particulièrement les responsables publics des collectivités locales.
Comme vous le savez, mes chers collègues, le code des marchés publics comporte
des dispositions qui prévoient, dans un certain nombre de cas, la possibilité
de procéder en urgence. Mais cette possibilité ne dispense pas de la mise en
concurrence, sauf lorsque vous procédez à la réquisition...
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Et les marchés négociés ?
M. Michel Charasse.
... marchés négociés ? Sous réserve que la somme soit inférieure à un certain
seuil.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Effectivement !
M. Michel Charasse.
C'est tout le problème !
Nous avons connu, dans le courant du dernier trimestre, un certain nombre
d'événements climatiques graves, qui on frappé d'abord le Sud-Ouest de la
France, par les inondations ; ensuite, soixante-neuf départements, soit les
deux tiers, ont été déclarés sinistrés à l'occasion des deux tempêtes de la fin
du mois de décembre dernier.
Les élus locaux responsables, et peut-être même les représentants de l'Etat,
ont alors procédé comme ils pouvaient, c'est-à-dire en faisant appel à des
entreprises sans prendre la peine de les réquisitionner en bonne et due forme,
car ils ne disposaient pas, sur la digue qui allait craquer... au milieu des
arbres qui tombaient... du papier à en-tête, des tampons de la mairie, du garde
champêtre pour notifier la réquisition, de la photocopieuse nécessaire pour
notifier simultanément au préfet, etc. Ils ont appelé des entreprises, en leur
disant qu'il fallait faire tels travaux... faire dégager d'urgence la route...
faire ceci... cela...
Aujourd'hui - et M. Courrière, s'il n'avait eu un avion à prendre, vous
l'aurez dit aussi - tous ces marchés, qui ont été passés verbalement, en pleine
nuit, en urgence, se trouvent bloqués en paiement chez les comptables publics
pour non-respect de la procédure.
Vous me rétorquerez que l'élu local a la possibilité de réquisitionner le
comptable. S'il procède ainsi, la responsabilité financière du comptable est
alors transférée à l'élu, qui se retrouvera automatiquement devant la chambre
régionale des comptes et peut-être devant la cour de discipline budgétaire - en
tout cas devant la chambre régionale des comptes, car la cour de discipline
budgétaire ne peut peut-être pas encore intervenir à l'encontre des élus locaux
- laquelle chambre régionale des comptes va relever un manquement au code des
marchés et, au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, va saisir le
procureur. Et l'on se retrouve dans le délit de favoritisme !
Le même problème se pose, mes chers collègues, en ce qui concerne les
réparations urgentes sur un certain nombre de bâtiments publics, notamment les
écoles et les collèges. Si vous respectez les procédures de marché, les
réparations urgentes exigées en particulier par la sécurité seront faites pour
le 14 juillet, c'est-à-dire pour les grandes vacances ! En attendant, vous
prenez le risque de laisser les enfants continuer à fréquenter l'établissement.
Mais alors, on est dans l'article 121-3 à l'envers... Ou bien vous fermez
purement et simplement l'établissement, et on piétine allègrement le principe
constitutionnel de continuité du service public !
L'amendement qui est présenté par mon groupe vise simplement à compléter le
code des marchés publics en précisant que, lorsque l'on est dans une situation
d'urgence, où il s'agit de faire cesser un péril imminent ou de mettre un terme
à une situation de danger mettant en cause la sécurité des biens et des
personnes, dans ce cas-là, on peut ne pas respecter les règles de seuil et
d'appel à la concurrence prévues par le code des marchés publics, toutes les
autres dispositions continuant naturellement à s'appliquer, en particulier la
règle du service fait, qui n'est pas la moindre des règles en matière de
comptabilité publique.
Par ailleurs, notre amendement vise à valider les actes qui ont été conclus
pendant ces événements climatiques par nos collègues élus, en particulier ceux
qui, aujourd'hui, sont bloqués chez les comptables publics, qui, parce qu'ils
n'ont pas de marché en bonne et due forme passé dans les conditions du code des
marchés, s'opposent, comme ils en ont le devoir, parce qu'ils sont responsables
de leur caisse, au paiement des sommes en cause. Notre amendement vise
également à permettre l'application de la procédure d'urgence lorsqu'il faut
assurer la continuité du service public et réparer d'urgence des bâtiments
publics, des routes, postérieurement à un événement climatique de l'ampleur de
ceux que nous avons connus.
Tels sont la philosophie et l'objet de l'amendement n° 8 rectifié
bis.
M. le président.
Quel l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Il s'agit ici, tout le monde l'aura bien sûr compris, de ce
que l'on appelle communément un « cavalier » législatif. Mais si un cavalier se
justifie, c'est bien celui-là, puisqu'il est lié à des circonstances que
personne ne pouvait prévoir, des circonstances de force majeure.
A première vue, la commission des lois pense que, en effet, il y a là un vrai
problème auquel il faut apporter une solution, peut-être du type de celle à
laquelle pense M. Charasse. Mais elle souhaiterait, avant de se prononcer
définitivement, entendre l'avis du Gouvernement sur cette affaire qui,
effectivement, pose beaucoup de problèmes. M. Larché a dû nous quitter, mais il
citait, pour son propre cas, des travaux qui nécessitent un permis de
construire. Il faut donc entrer dans la procédure du permis de construire. Mais
combien de temps va-t-elle prendre ?
En outre, il est probable que l'on n'a pas encore fait l'inventaire de tous
les problèmes qui se posent, et il s'en pose déjà pourtant des quantités ! Il
faut que nous trouvions l'occasion d'y remédier. Comme l'occasion se présente,
la commission pense qu'en effet il est bon de la saisir, sous réserve de ce que
nous dira Mme le garde des sceaux.
M. le président.
Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le but poursuivi par M. Charasse ne peut effectivement
que faire l'unanimité. Les catastrophes récentes subies par notre pays ont
montré que, dans ces situations d'urgence, les décideurs publics en général
mais surtout les élus - et les maires étaient en première ligne - devaient être
en mesure de conclure des marchés rapidement, sans être retardés par une
procédure longue et complexe, pour parer aux dangers imminents et rétablir au
plus vite le fonctionnement normal des services publics.
Chacun, et le Gouvernement en premier lieu, partage cette volonté de donner
aux décideurs publics les moyens de répondre le plus efficacement possible à
l'attente de nos concitoyens, qui ont été très durement touchés.
Cependant, il me semble que l'état actuel du droit prend déjà en compte ces
situations particulières qui demandent un assouplissement des règles des
marchés publics.
Ainsi, le code des marchés publics permet à la personne responsable du marché
de procéder, dans « les cas d'urgence impérieuse motivée par des circonstances
imprévisibles », à un marché négocié, et ce quel que soit son montant.
Je rappelle également que la passation de marchés de travaux, de fournitures
et de services dont le montant est inférieur à 300 000 francs est dispensée de
mise en concurrence. Des marchés peu importants, destinés seulement à répondre
aux premières nécessités en situation d'urgence, peuvent donc être
concernés.
De son côté, le code pénal, avec la notion d'état de nécessité, exonère de
responsabilité pénale celui qui agit pour sauvegarder une personne ou un bien
menacé par un danger imminent. Le décideur public qui n'a pas respecté les
dispositions du code des marchés publics pour ce motif échappe donc aux risques
d'une condamnation pénale.
En outre, une ordonnance de 1959 précise que les mesures immédiates qu'il
convient de prendre à la suite d'une catastrophe ou de tout événement mettant
gravement en cause la sécurité permettent à l'autorité publique de
réquisitionner les entreprises à même d'entreprendre les travaux nécessaires.
La mise en jeu de cette ordonnance, qui donne leur fondement aux réquisitions,
a pour effet d'écarter l'application du code des marchés publics.
Par ailleurs, je m'interroge sur la constitutionnalité des mesures proposées
dans la mesure où elles contiennent, dans le deuxième alinéa, une disposition
de régularisation générale et non limitée dans le temps.
Ces observations, qui, encore une fois, ne sont nullement destinées à remettre
en cause la légitimité de l'objectif de cet amendement, qui suscite, j'en suis
sûre, l'assentiment général, me conduisent à demander à M. Charasse de le
retirer, non parce qu'il serait inopportun ou mal fondé, mais parce qu'il
existe déjà des dispositions - je viens de les énumérer - qui permettent
d'aboutir au même résultat sans risquer de contrarier la jurisprudence du
Conseil constitutionnel.
J'ajoute, pour convaincre M. Charasse de retirer son amendement, que je verrai
avec les autres ministres concernés s'il ne serait pas possible d'adresser aux
parquets une circulaire appelant leur attention sur les dispositions du code
des marchés publics et du code pénal auxquelles je viens de faire allusion,
pour éviter que des poursuites injustifiées ne soient engagées sur le fondement
du délit de favoritisme à la suite de marchés conclus pour réparer les dégâts
causés par les tempêtes de décembre dernier.
M. le président.
Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La commission n'a pas entendu l'avis du Gouvernement !
Je m'exprimerai un peu à titre personnel, mais je pense que M. Larché, en
raison des propos qu'il a tenus tout à l'heure, partage ce sentiment.
Nous nous sommes engagés dans une démarche qui comporte plusieurs étapes. Nous
n'en sommes qu'à la première, et ce texte pourra certainement être amélioré au
cours de la navette : le Gouvernement peut encore prendre des initiatives,
envoyer des circulaires, etc.
Le Gouvernement a fait appel au bon coeur de M. Charasse, et l'on ne fait
jamais appel au bon coeur de M. Charasse en vain.
(Sourires.)
Je souhaiterais donc savoir si M. Charasse accepte de retirer
son amendement.
M. Michel Charasse.
En tout cas, pas avant de m'être expliqué !
M. le président.
Monsieur le rapporteur, quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La sagesse voudrait que M. Charasse retire son amendement. A
défaut, je ne demanderai pas au Sénat de le repousser, pour montrer que nous
souscrivons à cette solution.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 8 rectifié
bis
.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
J'ai bien entendu les propos qu'ont tenus Mme le ministre, ainsi que M. le
rapporteur.
J'ai pris bonne note des éléments, que je connaisais déjà d'ailleurs, qu'a
apportés Mme le ministre, notamment lorsqu'elle nous dit qu'elle est prête à
adresser une circulaire aux procureurs pour leur dire de ne pas engager de
poursuites... C'est là un point important sauf qu'en matière de marchés les
poursuites peuvent être engagées par n'importe quelle entreprise évincée et,
dans ce cas, le procureur n'a pas la possibilité de s'opposer aux
poursuites.
Croyez-moi, il n'y a nulle querelle entre le groupe socialiste et le
Gouvernement sur ce point. Nous sommes en présence de problèmes concrets qui se
posent aujourd'hui dans un certain nombre de collectvités et nous essayons
ensemble de trouver la meilleure solution, sans chercher querelle aux uns ou
aux autres.
Donc, il n'existe pas de garanties quant aux poursuites de particuliers.
Quand Mme le ministre nous dit qu'il ne peut pas y avoir de condamnation
pénale à l'encontre d'une personne ayant agi sous l'empire de la nécessité,
cela n'empêche pas qu'il peut y avoir des poursuites. Le problème reste
toujours le même : on poursuit, on met en examen - c'est-à-dire en accusation -
et ensuite, devant le tribunal, tout se règle. En attendant, on a subi les
titres des journaux : on a passé trois nuits de suite sans dormir, avec les
pompiers, sur une digue, les pieds dans la boue, on s'est enquiquiné au
possible, et on fait les frais d'articles de journaux à foison. Et tout se
terminerait par un petit « flop » devant le tribunal...
Quant à l'ordonnance de 1959, chère amie, madame le garde des sceaux... C'est
vrai que la réquisition est possible. Mais il faut être en état de la faire. Il
faut un document écrit. Or, il est trois heures du matin, vous êtes dehors, sur
la route ; vous tronçonnez les arbres pour dégager la route... et l'on vous
enjoint de réquisitionner. Mais il faut un papier à en-tête de la mairie, le
cachet de la mairie, il faut faire des photocopies, il faut mander le
garde-champêtre, il faut faire porter le double au sous-préfet ou au préfet...
tout cela en pleine nuit et alors même que des personnes sont menacées... Il
faut agir en urgence !
Alors, vous me direz que l'on peut toujours régulariser
a posteriori
.
Mais cela s'appelle un faux et, moi, je ne recommanderai à personne de faire un
faux pour régulariser
a posteriori !
Dernier point, madame le ministre : étant entendu que je ne considère pas que
votre réponse soit négative, que puis-je répondre - et je regrette encore une
fois que mon collègue M. Courrière soit parti - aux maires de l'Aude dont,
actuellement, les factures sont bloquées par les comptables au motif que, dans
la nuit, ils n'ont pas respecté les procédures des marchés publics ?
Il y a une solution, madame le ministre, qui est très simple : c'est que le
ministre du budget donne l'ordre aux comptables de payer et lève leur
responsabilité pécuniaire. Lui seul peut le faire. Mais nous, nous ne réglons
pas le problème de fond.
L'autre problème posé à travers mon amendement - dont je veux bien
reconnaître, l'ayant rédigé assez rapidement à la demande de mon groupe, qu'il
pourrait sans doute être revu dans son dispositif - concerne les réparations
postérieures à la tempête. Si nous sommes obligés de respecter partout,
notamment en ce qui concerne les bâtiments scolaires, pour la mise en sécurité
consécutive aux réparations rendues nécessaires par la tempête, les délais
prescrits par le code des marchés et les procédures, les bâtiments seront en
sécurité en juillet... s'il fait beau... si, comme le dit l'histoire corse, il
n'y a pas de vent...
(Sourires.)
Il n'est pas possible d'attendre si longtemps, et l'autre partie de mon
amendement visait cet aspect des choses.
Monsieur le président, je ne retirerai pas mon amendement car je souhaite,
tout en faisant preuve de l'humilité nécessaire en ce qui concerne les
imperfections qui en marquent sans doute la rédaction, que le Sénat l'adopte.
Comme il va y avoir une navette, que le Gouvernement prenne le temps de la
réflexion car, de même que nous, au groupe socialiste, nous avons agi dans
l'urgence, le Gouvernement n'a pas eu beaucoup de temps, lui non plus, pour
réfléchir. De surcroît, c'est un sujet qui concerne non seulement la
Chancellerie, mais également la commission centrale des marchés, le ministère
de l'économie, la direction de la comptabilité publique en ce qui concerne les
paiements... bref, toute une série de services qui ne sont pas tous sous
l'autorité du garde des sceaux. Certes, le Gouvernement est unique et la
solidarité gouvernementale joue, mais ce sont des questions techniques assez
compliquées.
En fin de compte, je souhaite que l'amendement que nous présentons - il n'est
pas parfait, mais il a le mérite de poser les vrais problèmes - soit adopté
aujourd'hui à titre provisoire par le Sénat. Il pourra ainsi être amélioré lors
de la navette, tant par le Gouvernement que par l'Assemblée nationale en
première lecture.
Monsieur le président, je maintiens cet amendement pour des motifs que je
tiens à répéter.
D'abord, il pose le principe d'une dérogation générale en cas d'urgence, quand
il faut faire cesser un péril ou prévenir un danger, ce qui est la moindre des
choses.
Ensuite, il rend valides les marchés conclus verbalement en pleine nuit, dans
des conditions abracadabrantes, lors de catastrophes naturelles comme celles
que nous venons de vivre.
Enfin, il autorise à déroger au code des marchés publics pour la remise en
route des équipements publics, notamment les établissements scolaires et
sportifs qui nécessitent des réparations urgentes pour des raisons de
sécurité.
Je souhaite que la navette améliore notre texte. Je ne suis pas fermé à une
discussion avec l'Assemblée nationale. Et si je maitiens l'amendement, c'est
non pour embêter le Gouvernement ni pour faire preuve d'obstination, mais parce
qu'il y a un vrai problème.
J'ajoute que si Mme le ministre nous confirme qu'elle va prendre contact avec
le ministère de l'économie et des finances - si ce n'est pas déjà fait - pour
que, au moins, les paiements bloqués par l'administration soient débloqués,
parce qu'il ne faut pas, en plus, mettre en difficulté les entreprises qui ont
fait ces travaux, nous n'aurions pas complètement perdu notre temps.
M. Alain Vasselle.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Mes chers collègues, il faut approuver cet amendement. Ce n'est certainement
ni la première fois ni la dernière fois que nous sommes d'accord, monsieur
Charasse. De la même façon que j'approuve cet amendement, vous avez déjà
approuvé des initiatives que j'avais pu prendre, vous avez notamment accepté de
cosigner avec moi un amendement.
C'est sans aucune hésitation que j'aurais accepté de cosigner l'amendement que
vous venez de défendre devant la Haute Assemblée. Cet amendement aurait
d'ailleurs pu être présenté par le Sénat tout entier, cosigné par l'ensemble
des membres de notre assemblée. Un consensus général va certainement se dégager
lors de son vote.
Comme M. Charasse l'a dit très justement et comme l'ont rappelé le rapporteur,
M. Pierre Fauchon, et le président de la commission, M. Jacques Larché, il y
aura la navette.
Cet amendement devrait permettre d'éviter les travers qui ont été dénoncés par
notre collègue M. Charasse, en incitant le Gouvernement à rechercher pourquoi
les dispositions législatives existantes ne sont pas appliquées.
Je souhaite plus particulièrement appeler votre attention sur deux points
particuliers, madame le garde des sceaux.
Après le passage de la tempête, un certain nombre de nos collègues doivent
intervenir d'urgence sur des monuments historiques. Il leur a pourtant été
répondu qu'ils ne pouvaient pas le faire tant que le conservateur n'avait pas
donné son avis. Cela peut prendre plusieurs mois ! Or il y a un risque.
Il serait donc très utile, comme l'a suggéré M. Charasse, que Mme le garde des
sceaux puisse intervenir non seulement auprès de M. le ministre de l'économie
et des finances ou de Mme la secrétaire d'Etat au budget, mais aussi auprès de
la sous-direction des monuments historiques.
Il serait également indispensable d'intervenir auprès du ministre de
l'intérieur afin de dégager des moyens suffisants pour permettre aux petites
collectivités locales qui ont subi des dommages considérables de réaliser des
travaux urgents qui dépassent très largement leur capacité financière.
Pour toutes ces raisons, je voterai sans aucune difficulté, comme nombre de
mes collègues, cet amendement.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 8 rectifié
bis.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de loi, après l'article 7.
Je suis maintenant saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une
discussion commune.
Tous deux sont présentés par M. Vasselle.
L'amendement n° 9 tend à insérer, après l'article 7, un article additionnel
ainsi rédigé :
« Les trois derniers alinéas de l'article 665 du code de procédure pénale sont
remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« Le renvoi est également ordonné, dans l'intérêt d'une bonne administration
de la justice, par la chambre criminelle, soit sur requête du procureur général
près la Cour de cassation, soit sur requête du procureur général près la cour
d'appel dans le ressort de laquelle la juridiction saisie a son siège, agissant
d'initiative ou sur demande de l'une des parties. »
L'amendement n° 10 vise à insérer, après l'article 7, un article additionnel
ainsi rédigé :
« Dans le deuxième alinéa de l'article 665 du code de procédure pénale, après
les mots : "sur demande" sont insérés les mots : "de l'une au moins". »
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
L'amendement n° 9 a pour objet de modifier le code de procédure pénale afin de
permettre la délocalisation de certaines affaires de droit, pour la bonne
administration de la justice. En effet, actuellement, conformément au deuxième
alinéa de l'article 665 du code de procédure pénale, cette délocalisation n'est
qu'une possibilité et elle ne peut se faire qu'à la demande de l'ensemble des
parties.
Dans le système que je propose à travers le présent amendement, cette
délocalisation reste très encadrée puisque le renvoi n'est ordonné par la
chambre criminelle, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice,
que sur requête du procureur général près la Cour de cassation ou sur requête
du procureur général près la cour d'appel où la juridiction saisie a son siège,
ce dernier s'autosaisissant ou étant saisi par l'une des parties. L'apport de
cet amendement est, en effet, que l'une des parties concernées, en particulier
un élu ou un fonctionnaire, puisse obtenir la délocalisation de l'affaire qui
le concerne.
L'amendement n° 10, qui modifie le deuxième alinéa de l'article 665 du code de
procédure pénale, a également pour objet de faciliter la délocalisation du
jugement de certaines affaires. Ainsi le renvoi d'un tribunal à un autre
pourra-t-il être ordonné sur la requête du procureur général près la cour
d'appel, celui-ci pouvant s'autosaisir, comme c'est déjà le cas, mais aussi sur
demande de l'une seulement des parties, alors que, dans le texte actuel, la
demande doit émaner de l'ensemble des parties.
Cela devrait faciliter l'exercice d'une justice plus sereine, en particulier à
l'égard des élus locaux. Cela ne ferait que conforter le souci d'indépendance
dans le jugement que manifestent les juges en évitant que des pressions
puissent être exercées sur le plan local.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 9 et 10 ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La commission ne voit pas bien l'efficacité pratique de ce
dispositif !
Si j'ai bien compris, M. Vasselle est inquiet parce qu'il pense qu'il faut que
les deux parties demandent la délocalisation. En réalité, il n'en est rien !
Une circulaire interprétative prévoit en effet formellement que l'expression «
sur la demande des parties » signifie : si l'une des deux parties le
demande.
Par ailleurs, le Sénat a adopté, lors de la discussion du texte sur la
protection de la présomption d'innocence, un amendement qui portait sur le même
sujet, et ce texte est en cours de navette.
Dans ces conditions, monsieur Vasselle, peut-être pourriez-vous retirer ces
deux amendements.
M. le président.
Monsieur Vasselle, les amendements n°s 9 et 10 sont-ils maintenus ?
M. Alain Vasselle.
Si Mme le garde des sceaux confirme l'interprétation de M. le rapporteur,
c'est bien volontiers que je retirerai ces deux amendements.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 9 et 10 ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement n'est pas favorable à ces deux
amendements.
Monsieur Vasselle, l'amendement n° 9 pose un problème de procédure pénale dont
la discussion doit être abordée lors de l'examen non de la présente proposition
de loi mais lors du projet de loi renforçant la protection de la présomption
d'innocence.
De plus, l'amendement n° 10 dénote une interprétation incomplète de l'article
665 du code de procédure pénale concernant le renvoi d'une juridiction à une
autre, car il n'est pas obligatoire que toutes les parties le demandent.
Monsieur Vasselle, je me rallie donc à la demande de M. Fauchon, qui vous
suggère de retirer ces deux amendements.
M. le président.
Monsieur Vasselle, acceptez-vous d'accéder à la demande de M. le rapporteur...
et de Mme le garde des sceaux ?
M. Alain Vasselle.
Si une des dispositions existe déjà, et si l'autre, comme vient de le déclarer
Mme le garde des sceaux, doit être adoptée incessamment, c'est sans difficulté
aucune que j'accepte de retirer ces deux amendements.
M. le président.
Les amendements n°s 9 et 10 sont retirés.
Par amendement n° 11, M. Vasselle propose d'insérer, après l'article 7, un
article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales est
complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« La commune a l'obligation d'assurer la protection du maire ou d'un élu
municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou l'un de ces élus ayant
cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales pour
des faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable.
« A cette fin, elle contracte une assurance. Le fait de contrevenir à cette
obligation est puni d'une amende de 100 à 50 000 francs ».
Cet amendement est affecté d'un sous-amendement, n° 20, présenté par MM.
Schosteck et Delevoye, et tendant, dans le premier alinéa du texte proposé par
l'amendement n° 11 pour compléter l'article L. 2123-34 du code général des
collectivités territoriales, à remplacer les mots : « protection » par le mot :
« défense ».
La parole est à M. Vasselle, pour défendre l'amendement n° 11.
M. Alain Vasselle.
Cet amendement a pour objet d'obliger la commune à contracter une assurance
afin de protéger le maire, un élu municipal suppléant ou ayant reçu une
délégation ou l'un de ces élus ayant cessé ces fonctions, lorsque celui-ci fait
l'objet de poursuites pénales pour des faits qui n'ont pas un caractère de
faute détachable.
Le fait de contrevenir à cette obligation serait puni d'une amende de 100 à 50
000 francs.
Des dispositions du même ordre existent déjà en faveur d'autres décideurs
publics : les fonctionnaires. Il s'agit donc simplement de les appliquer
d'abord aux maires, puis au sein du conseil général et du conseil régional.
La loi « Le Pors » du 13 juillet 1983, grâce aux modifications apportées par
la loi du 16 décembre 1996, accorde désormais une protection aux
fonctionnaires, à l'agent public non titulaire, à l'ancien fonctionnaire,
lorsque ceux-ci font l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui
n'ont pas le caractère de fautes personnelles. Etendre cette législation répond
aux propositions du rapport Massot.
M. le président.
La parole est à M. Schosteck, pour défendre le sous-amendement n° 20.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Il nous a semblé que le terme de « protection » était ambigu à maints égards
et que celui de « défense » serait plus approprié. La même observation vaut
pour les deux amendements suivants.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 11 et sur le
sous-amendement n° 20 ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La commission pense que cet amendement est justifié dans son
principe. Il présente cependant quelques problèmes d'ordre rédactionnel.
D'abord, il est certainement préférable d'inscrire « défense » plutôt que «
protection », comme le prévoit le sous-amendement.
Ensuite, alors qu'on s'efforce de dépénaliser la vie publique, nous ne pouvons
pas souscrire au dernier membre de phrase : « Le fait de contrevenir à cette
obligation est puni d'une amende de 100 à 50 000 francs. » Puis-je considérer
que vous y renoncez, monsieur Vasselle ?
(M. Vasselle fait un signe d'acquiescement.)
Sur le reste du dispositif, la commission est plutôt favorable, bien
qu'il soulève certains problèmes rédactionnels au cours de la navette.
C'est ainsi qu'il est difficile de dire que le département ou la commune a
l'obligation d'assurer la défense du président du conseil général ou du maire «
lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales pour des faits qui n'ont
pas le caractère de faute détachable ».
Je vous invite à la prudence. En effet, quand vous assurez la protection, vous
ne savez pas encore si les fautes auront un caractère détachable, il faut
souvent attendre la fin de l'instruction pour pouvoir se prononcer sur ce
point.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je comprends bien l'objectif de ces amendements,
auxquels le Gouvernement ne peut pourtant pas être favorable.
Certes, il n'y a, en effet, pas de raison que les élus publics ne bénéficient
pas de la même protection que les agents publics de l'Etat. Or j'observe que la
rédaction du premier alinéa de l'amendement n'est pas similaire à celle de
l'article 11 de la loi de 1983 portant droits et obligations des
fonctionnaires, qui mentionne la faute personnelle et non la faute
détachable.
J'observe surtout que cet amendement crée une dépense obligatoire. Par
conséquent, je souhaite que M. Vasselle veuille bien le retirer ; sinon, je
serais obligée d'invoquer l'article 40.
M. le président.
Monsieur Vasselle, accédez-vous à la demande du Gouvernement ?
M. Alain Vasselle.
La principale objection formulée par Mme le garde des sceaux repose sur le
caractère obligatoire de l'assurance. Il suffit donc, si M. le rapporteur en
est d'accord, de remplacer cette obligation par une simple faculté.
Par ailleurs, il convient effectivement de substituer le mot « défense » au
mot « protection ». J'avais repris ce dernier terme uniquement parce qu'il est
utilisé dans la loi du 13 juillet 1983 pour les fonctionnaires.
Je pense, comme l'a souligné M. le rapporteur, la navette permettra d'aboutir
à une rédaction satisfaisante à la fois pour le Sénat, l'Assemblée nationale et
le Gouvernement.
J'espère que cette suggestion pourra recueillir l'assentiment de la commission
du Gouvernement.
M. le président.
Je suis donc saisi d'un amendement n° 11 rectifié, présenté par M. Vasselle,
et tendant à insérer, après l'article 7, un article additionnel ainsi rédigé
:
« L'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales est
complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La commune a la faculté d'assurer la défense du maire ou d'un élu municipal
le suppléant ou ayant reçu une délégation ou l'un de ces élus ayant cessé ses
fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales pour des faits
qui n'ont pas le caractère de faute détachable. »
Quel est l'avis de la commission sur cet amendement n° 11 rectifié ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La commission, dont j'ai déjà indiqué l'état d'esprit, aurait
été favorable à cette rédaction, qui sauverait le texte.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Dès lors que l'on supprime le dernier alinéa de cet
amendement et qu'il ne s'agit plus que d'une simple faculté, bien entendu je
n'invoque pas l'article 40. Je m'en remets donc à la sagesse du Sénat.
M. le président.
Compte tenu de la rectification, le sous-amendement n° 20 n'a plus d'objet.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 11 rectifié.
M. Michel Charasse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
On avance un peu avec la rectification proposée par M. Vasselle, laquelle, je
pense, s'appliquera aussi aux amendements n°s 12 et 13, la situation étant la
même pour le département et la région. Il n'empêche que l'on aboutit à une
situation très compliquée quant à la couverture, si je puis dire, de la
responsabilité des élus locaux.
En effet, en ce qui concerne la responsabilité civile, les élus locaux sont
obligés de s'assurer personnellement et la collectivité locale ne peut jamais
leur payer l'assurance.
En ce qui concerne la responsabilité pénale, jusqu'à présent aucune mesure
n'était prévue. Mais nous avons adopté, à l'occasion du texte sur la
présomption d'innocence, avec l'accord du Gouvernement, une disposition dont
vous vous souvenez sûrement et qui aligne la situation du maire et de ses
adjoints agissant comme agents de l'Etat sur la situation des fonctionnaires de
l'Etat. Tant et si bien que, lorsque le texte sur la présomption d'innocence
sera définitivement adopté, si l'Assemblée nationale se rallie à notre
position, les maires, adjoints et conseillers municipaux agissant en qualité
d'agents de l'Etat seront couverts par l'Etat comme les fonctionnaires de
l'Etat, par référence à la disposition citée voilà un instant..., je ne sais
plus si c'est par Mme le garde des sceaux ou par M. Vasselle.
Il restera donc la situation de l'élu municipal agissant comme agent de la
commune et celle de l'élu départemental ou régional agissant comme agents du
département ou de la région. Les amendements de M. Vasselle donnent aux
collectivités la faculté de couvrir cette responsabilité.
Mes chers collègues, la question de fond est beaucoup plus simple que cela :
décidons-nous d'aligner ou non la situation des agents élus des collectivités
locales sur celle des agents non élus de ces mêmes collectivités ? Dans ce cas,
il est une règle commune aux fonctionnaires, qu'ils soient de l'Etat ou des
collectivités locales : ils sont protégés par leur administration, quelle
qu'elle soit.
On se trouve maintenant avec une distinction entre les agents élus, puisque le
maire en tant qu'agent de l'Etat sera protégé, mais, en tant qu'agent de la
collectivité ou président de région, il ne le sera pas.
Je vais me ralier par consensus à l'amendement n° 11 rectifié de M. Vasselle,
car, si j'ai bien compris votre position, madame la ministre, l'article 40 n'a
plus lieu d'être invoqué.
M. Philippe Marini.
Parce que c'est une faculté !
M. le président.
Mme la ministre n'invoque plus l'article 40 sur l'amendement n° 11 rectifié
puisqu'il s'agit d'une faculté et non plus d'une obligation.
M. Michel Charasse.
Heureusement, parce que je considère que l'article 40 s'applique - c'est moi
qui représente la commission des finances aujourd'hui - une simple faculté
étant elle aussi génératrice de charges ! Mais passons ...
Ce que je souhaite surtout, c'est que le vote du Sénat soit compris comme une
démarche positive allant dans le bon sens et que Mme la ministre s'engage à
l'Assemblée nationale, à la faveur de la navette, à normaliser tout cela
(Mme le ministre fait un signe d'assentiment),
afin que tout le monde
soit soumis au même régime, à l'exclusion de la responsabilité civile, ...
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Michel Charasse.
... qui, elle, doit rester une adhésion personnelle à la charge de l'élu
local.
Par conséquent, c'est par esprit de consensus, mais aussi parce que l'on monte
une marche supplémentaire de l'escalier qui conduit à l'alignement absolu de la
situation de tous les agents des collectivités locales, qu'ils soient élus ou
non élus, que je voterai l'amendement n° 11 rectifié et les amendements n°s 12
et 13 s'ils sont rectifiés dans le même sens.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ? ...
Je mets aux voix l'amendement n° 11 rectifié, accepté par la commission et
pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de loi, après l'article 7.
Par amendement n° 12 rectifié, M. Vasselle propose d'insérer, après l'article
7, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 3123-28 du code général des collectivités territoriales est
complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le département a la faculté d'assurer la défense du président du conseil
général ou d'un vice-président ayant reçu une délégation ou l'un de ces élus
ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales
pour des faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable. »
M. Vasselle s'est exprimé et la commission et le Gouvernement ont donné leur
avis sur cet amendement.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 12 rectifié, accepté par la commission et
pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de loi, après l'article 7.
Par amendement n° 13 rectifié, M. Vasselle propose d'insérer, après l'article
7, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales est
complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La région a la faculté d'assurer la défense du président du conseil régional
ou d'un vice-président ayant reçu une délégation ou l'un de ces élus ayant
cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l'objet de poursuites pénales pour
des faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable. »
M. Vasselle s'est exprimé et la commission et le Gouvernement ont déjà donné
leur avis sur cet amendement.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 13 rectifié, accepté par la commission et
pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de loi, après l'article 7.
Par amendement n° 14, M. Vasselle propose d'insérer, après l'article 7, un
article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 4 du code de procédure pénale, est inséré un article
additionnel ainsi rédigé :
«
Art.
... . Lorsque le procureur de la République est saisi d'une
plainte avec constitution de partie civile à raison des actes d'un élu ou d'un
agent public et que l'instruction est confiée à un juge d'instruction, le
préfet peut élever le conflit à tout moment afin que soit déterminé s'il y a eu
faute de service ou faute personnelle. »
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Comme je l'avais indiqué dans mon intervention liminaire, cet amendement a
pour objet de revenir par voie législative sur un arrêt du tribunal des
conflits en date du 6 octobre 1989 « Préfet de la région Provence - Alpes -
Côte d'Azur, préfet des Bouches-du-Rhône contre madame Laplace ». Cet arrêt
était revenu sur une jurisprudence très ancienne qui permettait au préfet, ce
qui est souhaitable, d'élever le conflit sur l'action civile à tout moment, y
compris devant le juge d'instruction.
Ainsi, depuis dix ans, depuis le revirement de jurisprudence - sur un cas -
lorsque le parquet est saisi d'une plainte avec constitution de partie civile à
raison d'un acte d'un agent public et que l'instruction est confiée à un juge
d'instruction, il faut attendre que la juridiction pénale ait statué sur la
responsabilité pénale pour se pencher sur la compétence juridictionnelle afin
de statuer sur la demande de dommages et intérêts.
Ce n'est qu'à ce moment-là que la juridiction pénale qualifiera la faute de
faute de service et renverra alors au juge administratif la fixation de la
réparation ou de faute personnelle afin de statuer elle-même. Le processus est
donc à la fois long pour le justiciable et peu compréhensible. Et ce n'est
qu'une fois arrivé à ce moment qu'actuellement le préfet peut élever le
conflit, s'il estime que le comportement reproché à l'agent révèle une faute de
service.
Le présent amendement prévoit donc de revenir sur la jurisprudence de 1989,
comme le propose d'ailleurs la commission Massot - je n'invente rien, mais je
suis conforté par la position qu'elle a adoptée - qui a rendu ses propositions
au garde des sceaux le 16 décembre dernier, en permettant l'élévation du
conflit dès la phase d'instruction pénale. Cela permettrait au justiciable une
orientation plus rapide vers la juridiction compétente et, dans le droit-fil
des propositions que j'ai déjà faites par ailleurs, d'améliorer l'efficacité du
partage entre ce qui relève de la faute personnelle et détachable et ce qui
relève de la faute non détachable ou de service.
Je tiens à vous dire, mes chers collègues, que c'est la préoccupation sur
laquelle s'arc-boute la majorité, pour ne pas dire la totalité des élus
locaux.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La commission ne peut absolument pas être favorable à cet
amendement. En effet, c'est avec sagesse que le tribunal des conflits à
considéré, voilà dix ans, que l'on ne peut élever le conflit pour déterminer
qui est compétent en matière d'indemnisation au stade de l'instruction - car
nous sommes au stade de l'instruction. Or l'amendement tend à revenir sur cette
jurisprudence.
De plus, on peut se demander si cet amendement ne porte pas atteinte à la
présomption d'innocence. Comme on est en cours d'instruction, on ne sait pas
encore s'il y aura ou non condamnation. Sinon, en élevant le conflit, on
permettrait au tribunal des conflits de préjuger en quelque sorte la décision
de la juridiction pénale et de déclarer qu'il y a ou non faute détachable et
donc, en pratique, d'empiéter sur la compétence de la juridiction pénale, ce
qu'il ne peut pas faire.
Naturellement, monsieur Vasselle, le tribunal des conflits décidera
inévitablement de surseoir à statuer, et il attendra que la juridiction pénale
se soit prononcée ; c'est pour cela qu'il a pris, voilà dix ans, la décision
que j'évoquais.
Nous nous sommes heurtés tout à l'heure à une difficulté semblable à propos de
l'assurance. Vous ne pouvez pas savoir par avance si une faute est lourde et si
cette faute est détachable ou non. En effet, déclarer qu'il y a une faute
détachable revient à condamner par avance la personne et donc à mettre à bas
toute la présomption d'innocence, ce qui n'est véritablement pas possible !
La commission souhaite par conséquent que M. Vasselle retire son amendement,
qui ne peut pas être opérationnel et qui n'améliore pas vraiment la situation.
Même si le tribunal des conflits est saisi formellement, il surseoira à statuer
jusqu'à la décision de la juridiction pénale, et cela peut prendre un certain
temps compte tenu des voies de recours.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement est lui aussi défavorable à cet
amendement, bien qu'il reprenne une disposition du rapport Massot. Je ne crois
pas opportun de contredire dans la loi la jurisprudence du tribunal des
conflits qui interdit l'élévation du conflit au stade de l'instruction
préparatoire.
En effet, d'un point de vue juridique, une telle disposition n'est pas
véritablement justifiée. Les juridictions répressives ne sont pas compétentes
pour statuer sur les demandes de réparations pécuniaires concernant une faute
d'imprudence commise par un agent public lorsqu'il ne s'agit pas d'une faute
détachable. Mais le juge d'instruction n'est pas habilité à statuer sur de
telles demandes. Pourquoi, en conséquence, élever le conflit à cette phase de
la procédure ?
J'ajoute qu'une telle disposition apparaîtrait, aux yeux de l'opinion
publique, comme une volonté de limiter les droits des victimes, ce qui ne me
semble évidemment pas opportun.
C'est la raison pour laquelle je vous demande de rejeter cet amendement.
M. le président.
Monsieur Vasselle, maintenez-vous votre amendement ?
M. Alain Vasselle.
Oui monsieur le président.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 14.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Alors que nous nous efforçons de renforcer la présomption d'innocence,
vouloir, dans le cours d'une instruction, aller jusqu'au tribunal des conflits
pour déterminer la nature éventuelle de la responsabilité, donc de la faute,
c'est déjà, d'une certaine manière, préjuger de la réalité de ladite faute !
Restons-en à la jurisprudence actuelle et pensons au renforcement de la
présomption d'innocence à laquelle nous travaillons. Je ne crois pas que, à ce
stade, cet amendement puisse être voté, quelle que soit la qualité de son
inspiration.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 14, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 8
M. le président.
« Art. 8. - La présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie
française, dans les îles Wallis-et-Futuna et dans la collectivité territoriale
de Mayotte. » -
(Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la
parole à M. Delfau, pour explication de vote.
M. Gérard Delfau.
Je dirai simplement que l'ensemble du groupe du RDSE votera la proposition de
loi telle qu'elle est issue de nos débats.
Par ailleurs, je remercierai une nouvelle fois notre rapporteur, M. Pierre
Fauchon, d'avoir été à l'origine de ce texte, en souhaitant que son examen à
l'Assemblée nationale, puis au cours de la navette, fasse avancer le débat sur
un certain nombre de points, notamment s'agissant de la possibilité pour les
agents des collectivités locales - élus et non élus - d'être correctement
assurés en matière pénale, du moins en absence de faute personnelle de leur
part.
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Au terme de cette discussion sur la responsabilité pénale des élus, les
réticences que j'avais exposées dans la discussion générale se trouvent
confirmées.
Je ne puis que noter l'unanimité avec laquelle les intervenants dans la
discussion générale ont tenu à souligner le caractère partiel de la proposition
de loi.
M. le rapporteur a volontairement circonscrit sa réflexion, au motif que
c'était dans la nature même d'une proposition de loi d'avoir un objet limité.
Je persiste, pour ma part, à penser que ce texte aurait dû être intégré dans
une réflexion d'ensemble.
Nous avons tous, particulièrement dans cette enceinte, à coeur de répondre au
souci actuel, réel et légitime des 500 000 élus français quant aux conséquences
que la pénalisation excessive fait peser, non seulement sur leur situation
personelle, mais également sur les conditions d'exercice de leur mandat.
Je ne doute pas, monsieur le rapporteur, que vous ayez souhaité, au travers de
cette proposition de loi, régler au plus vite cette question, avant que la
situation ne devienne critique. Mais le contenu des différentes interventions
et l'objet des amendements qui ont été déposés témoignent amplement des limites
du texte que nous avons examiné aujourd'hui.
Comptant, eux aussi, sur la navette parlementaire pour qu'il soit tenu compte
de toutes ces remarques et pour que soit amélioré le texte, les sénateurs du
groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendront.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Le groupe socialiste votera la proposition de loi de notre excellent collègue
Pierre Fauchon parce qu'elle traite, chacun en a conscience, d'un des problèmes
les plus difficiles qui se pose à l'heure actuelle dans notre droit et, plus
généralement, dans notre vie publique comme dans notre vie sociale.
Je tiens à rappeler que le texte ne concerne pas seulement la responsabilité
pénale des élus locaux. Il s'agit, comme le mentionne l'intitulé, de mieux
définir les infractions non intentionnelles.
Au demeurant, on comprend aisément pourquoi la situation souvent cruellement
ressentie à juste titre par les élus locaux a occupé, ici, une grande place
dans la discussion.
Mais, afin de ne pas entretenir une sorte d'angoisse générale excessive à
l'évocation de la mise en cause des élus locaux par les magistrats, je voudrais
rappeler à la Haute Assemblée quelques données relatives aux poursuites en
cause. En l'occurrence, il ne s'agit pas, je le répète, d'infractions
intentionnelles, de délits qui, de près ou de loin, sont liés à la corruption.
Il s'agit des infractions non intentionnelles.
Permettez-moi de citer quelques chiffres figurant à l'annexe 5 du rapport
Massot, dont la source est bien entendu l'excellente direction des affaires
criminelles et des grâces du ministère de la justice.
Sur quatre années, de mai 1995 à avril 1999, le nombre d'élus locaux mis en
cause pour des infractions non intentionnelles est de 48 : classements sans
suite, 5, non-lieux ou relaxes, 19, sens de la décision non précisé, 10. Sur
cinq ans, il y a eu 14 condamnations. Peut-être certaines ne sont-elles pas
fondées, mais ne laissons pas courir l'idée d'une sorte de chasse à l'élu local
qui serait pratiquée par la magistrature. De grâce, épargnons-nous ces
caricatures qui, à la fois, suscitent une inquiétude mal fondée chez les élus
locaux, notamment, on le conçoit, lorsque de telles déclarations émanent de
responsables politiques, et provoquent, du côté des magistrats, le sentiment
d'une incompréhension complète. Il n'y a pas de poursuite systématique de l'élu
local pour délit non intentionnel !
Les chiffres sont là. C'est ainsi qu'il faut prendre la mesure des choses. Ne
confondons pas l'intentionnel sous toutes ses formes avec le
non-intentionnel.
Il n'empêche que nous sommes tous conscients qu'il y a bien dans la vie
publique et, plus généralement dans la vie sociale, une pénalisation excessive.
En fait, la première exigence qui émane de notre société est que la victime
voie son dommage réparé. Aussi, s'il n'est pas question de chasse à l'élu
local, il y a une recherche parfois extensive de la possibilité de mettre en
cause une source de réparation, d'indemnisation du préjudice subi par la
victime, pour qu'elle ne reste pas seule avec son malheur, si je puis dire.
Le choix de la voie pénale au lieu de la mise en cause de la responsabilité
administrative ou civile est lié au fait que, par ce biais, la réparation peut
être obtenue plus rapidement et plus facilement.
Aussi conviendrait-il, au cours de la navette, de s'interroger sur le problème
d'une assurance civile obligatoire contractée par les collectivités
territoriales. Ce serait un moyen à la fois de soulager le malheur des
victimes, mais aussi, probablement, d'arrêter une certain nombre de poursuites
qui, dès lors, en ce qui concerne au moins la réparation, n'auraient plus de
raison d'être.
Se pose aussi - et Mme le garde des sceaux poursuit ses efforts à cet égard,
nous le savons - le problème de l'amélioration du fonctionnement des
juridictions administratives, notamment en ce qui concerne le référé
administratif, qui, il faut bien le dire, est très en retard par rapport aux
dispositions similaires qui permettent, dans l'ordre judiciaire, d'obtenir très
rapidement, presque de façon certaine, la réparation du préjudice subi. Mais ce
problème s'inscrit dans un vaste ensemble.
En conclusion, nous voterons cette proposition de loi, qui sera certainement
améliorée au cours de la navette mais qui déjà, indiscutablement, va dans le
bon sens tout en s'inscrivant dans une réflexion d'ensemble à poursuivre sur
les mécanismes de garantie des dommages subis par les victimes.
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Permettez-moi tout d'abord de revenir en quelques mots sur les données
statistiques qui viennent d'être évoquées.
Ces données chiffrent le nombre d'incriminations pour des fautes réputées non
intentionnelles, mais elles ne prennent pas en compte les autres procédures qui
ont pu être engagées sur la base d'autres incriminations réputées
intentionnelles et qui sont susceptibles, pour une bonne part d'entre elles,
d'aboutir à des classements sans suite, à des non-lieux ou à une prise en
considération différente des faits.
Le sentiment qu'éprouvent les élus locaux - M. Alain Vasselle et moi sommes
bien placés, en tant qu'élus du département de l'Oise, pour le traduire -
découle d'un certain emballement de la mécanique judiciaire, mais aussi des
manières d'agir, d'une dramatisation et d'une médiatisation qui créent toute
une ambiance dans laquelle de nombeux élus de bonne foi se sentent totalement
acculés. Il est de notre responsabilité de le dire dans la mesure où les
réalités de la gestion sont bien souvent niées par méconnaissance, faute d'une
approche pratique, par certains magistrats qui viennent « plaquer » des notions
juridiques respectables mais très éloignées des conditions concrètes de la
gestion communale.
Certes, les statistiques de la Chancellerie sont bien celles qui ont été
rappelées par M. Badinter, mais les témoignages que nous recueillons, l'état
d'esprit que nous percevons traduisent autre chose. Il est trop simple de dire
que les inquiétudes sont mal fondées et que nous avons une approche un peu trop
émotionnelle.
S'agissant du texte, je dirai qu'il va dans le bon sens et constitue une
avancée certaine quoique sur un créneau un peu trop étroit. Au demeurant, il a
le mérite d'exister. Nous le considérons comme un geste de bonne volonté et
nous le voterons naturellement comme tel. Mais, au-delà de cette avancée
ponctuelle, bien d'autres choses restent à faire pour rétablir le lien de
confiance qui s'est quelque peu distendu entre le système judiciaire et nombre
d'élus et, d'une manière générale, nombre de nos concitoyens.
Beaucoup de choses restent à faire, notamment à l'issue de l'excellent rapport
de la commission Massot. Tout le monde s'est plu à souligner ce travail
objectif, pluraliste, pluridisciplinaire de grande qualité, dont devraient
découler toute une série de conséquences concrètes.
Aujourd'hui, nous saluons la petite avancée qui est faite, mais, madame la
garde des sceaux, nous ne nous en contenterons pas !
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il
n'est évidemment pas question pour moi de présenter ici une explication de vote
qui ne pourrait être que redondante après celle que vient d'exposer excellement
M. Marini. Ce sont en fait les considérations développées par M. Badinter qui
me conduisent à formuler quelques remarques.
On peut estimer, me semble-t-il, que, en matière de responsabilité pénale des
élus, comme on l'a dit à propos des retraites, le diagnostic est partagé :
partagé par le Gouvernement, les différents groupes politiques et l'ensemble
des élus de ce pays.
Vous avez raison, monsieur Badinter, lorsque vous nous invitez à « relativiser
» au regard des condamnations réellement prononcées à la suite de délits non
intentionnels. Mais il est beaucoup moins aisé de « relativiser » lorsque l'on
considère que tout cela est rapporté par les médias - télévision, radio, presse
écrite - et interprété malencontreusement par l'opinion publique, qui a
tendance à faire un amalgame entre ces délits non intentionnels et les «
affaires ».
Bien sûr, nous, nous savons bien que notre démarche tendant à défendre la
présomption d'innocence est fondée. Hélas ! aujourd'hui, devant une mise en
examen, l'opinion publique pense moins « présomption d'innocence » que «
présomption de culpabilité ».
Ainsi, même si un non-lieu est prononcé au bénéfice de l'élu ou si celui-ci
est finalement relaxé, l'exploitation médiatique qui aura été faite aura
installé le doute dans l'opinion publique, dont l'ire se portera fatalement
contre le malheureux élu. Et cela risquera fort d'avoir pour lui certaines
conséquences lorsque interviendront les échéances électorales...
En effet, il existe un net déséquilibre entre la manière parfois outrancière
dont une information est exploitée par les médias et la possibilité qu'à l'élu
de se justifier, de faire valoir la présomption d'innocence, de se réhabiliter
aux yeux de l'opinion après que, mais bien plus tard, un jugement a été rendu
en sa faveur.
On l'a bien vu avec ce qui est arrivé à M. Longuet : les médias négligent de
rendre compte du jugement et l'opinion publique s'est déjà fait une idée à
l'égard de l'élu ; celui-ci se retrouve affaibli, et toute sa famille est
frappée avec lui.
A partir du moment où nous partageons le diagnostic, j'espère que nous
parviendrons à partager la solution.
Notre collègue M. Fauchon nous propose une amorce de solution. Sa démarche est
louable, et nous devons le suivre. Toutefois, comme l'a dit très justement
Philippe Marini, il faudra aller encore beaucoup plus loin pour que soit
véritablement respectée la présomption d'innocence et surtout pour éviter que
l'opinion publique ne condamne d'avance ceux qui, au fond, ne sont pas
réellement responsables des faits qui se sont produits.
Sous le bénéfice de ces observations, bien entendu, je voterai l'ensemble du
texte qui résulte de nos travaux, tout en nourrissant l'espoir que, très
bientôt, nous ayons à nouveau l'occasion de délibérer sur ce sujet, ô combien
important.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions modifiées du rapport de la commission des
lois sur la proposition de loi n° 9 rectifié (1999-2000).
(Ces conclusions sont adoptées.)
5
TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI
M. le président.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par
l'Assemblée nationale, relatif à l'élection des sénateurs.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 195, distribué et renvoyé à la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale.
6
DÉPÔT D'UN AVIS
M. le président.
J'ai reçu de M. Pierre Hérisson un avis présenté au nom de la commission des
affaires économiques et du Plan sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale, relatif à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage (n° 460,
1998-1999).
L'avis sera imprimé sous le n° 194 et distribué.
7
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mardi 1er février 2000, à dix heures et à seize heures :
Discussion du projet de loi (n° 484, 1998-1999) portant diverses dispositions
d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des transports.
Rapport (n° 190, 1999-2000) de M. Jean-François Le Grand, fait au nom de la
commission des affaires économiques et du Plan.
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
lundi 31 janvier 2000, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 31 janvier 2000, à dix-sept
heures.
Délai limite pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'accueil et à
l'habitat des gens du voyage (n° 460, 1998-1999) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
mardi 1er février 2000, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 1er février 2000, à
dix-sept heures.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant création d'une
Commission nationale de déontologie de la sécurité (n° 480, 1997-1998) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
mardi 1er février 2000, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 1er février 2000, à
dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures quinze.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
MODIFICATIONS AUX LISTES
DES MEMBRES DES GROUPES
GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE
(86 membres au lieu de 88)
Supprimer les noms de MM. Paul Masson et Paul d'Ornano.
RATTACHÉS ADMINISTRATIVEMENT
AUX TERMES DE L'ARTICLE 6 DU RÈGLEMENT
(8 membres au lieu de 6)
Ajouter les noms de MM. Paul Masson et Paul d'Ornano.
NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES
M. Jean-Léonce Dupont a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 125
(1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer le rôle de
l'école dans la prévention et la détection des faits de mauvais traitements à
enfants.
COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LÉGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL,
DU RÈGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
M. Guy Cabanel a été nommé rapporteur du projet de loi n° 192 (1999-2000),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, tendant à
favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et
fonctions électives et du projet de loi organique n° 193 (1999-2000), adopté
par l'Assemblée nationale, tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des
hommes aux mandats de membre des assemblées de province et du congrès de la
Nouvelle-Calédonie, de l'assemblée de la Polynésie française et de l'assemblée
territoriale des îles Wallis-et-Futuna.
M. Guy Cabanel a été nommé rapporteur de la proposition de loi organique n° 99
(1999-2000) tendant à instaurer un système de remplaçants provisoires en cas de
vacance de siège d'un député ou d'un sénateur, ainsi qu'une parité
hommes-femmes entre les candidats et leurs remplaçants de la proposition de loi
n° 100 (1999-2000) visant à instaurer un système de remplaçants provisoires en
cas de vacance de siège d'un conseiller régional, d'un conseiller général ou
d'un maire, ainsi qu'une parité hommes-femmes entre les candidats et leurs
remplaçants et de la proposition de loi n° 120 (1998-1999) assurant la parité
des femmes et des hommes dans la vie publique.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON
ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL
de la séance
du jeudi 27 janvier 2000
SCRUTIN (n° 34)
sur l'amendement n° 15 rectifié, présenté par M. Michel Dreyfus-Schmidt, à
l'article 1er des conclusions de la commission des lois sur la proposition de
loi tendant à préciser la définition des délits non intentionnels (définition
de l'étendue des délits non intentionnels)
Nombre de votants : | 231 |
Nombre de suffrages exprimés : | 230 |
Pour : | 1 |
Contre : | 229 |
Le Sénat n'a pas adopté.
ANALYSE DU SCRUTIN
GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
Contre :
16.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :
Contre :
18.
N'ont pas pris part au vote :
5. - MM. François Abadie, Jean-Michel
Baylet, André Boyer, Yvon Collin et Gérard Delfau.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (99) :
Contre :
97.
Abstention :
1. - M. Alain Vasselle.
N'a pas pris part au vote :
1. - M. Christian Poncelet, président du
Sénat.
GROUPE SOCIALISTE (78) :
Pour :
1. - M. Michel Dreyfus-Schmidt.
N'ont pas pris part au vote :
77. - dont M. Guy Allouche, qui présidait
la séance, et M. Michel Charzat (député).
GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (52) :
Contre :
52.
GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (46) :
Contre :
46.
Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (7) :
Ont voté contre
Nicolas About
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Denis Badré
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Michel Bécot
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Danielle Bidard-Reydet
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Nicole Borvo
Joël Bourdin
Jean Boyer
Louis Boyer
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Robert Bret
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Michel Doublet
Paul Dubrule
Alain Dufaut
Michel Duffour
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Guy Fischer
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Thierry Foucaud
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
Yann Gaillard
René Garrec
Jean-Claude Gaudin
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Francis Giraud
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Jean-Paul Hugot
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jarlier
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Roger Karoutchi
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Gérard Le Cam
Jean-François Le Grand
Dominique Leclerc
Pierre Lefebvre
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Paul Loridant
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Hélène Luc
Jacques Machet
Kléber Malécot
André Maman
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jacques Pelletier
Jean Pépin
Jacques Peyrat
Xavier Pintat
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jack Ralite
Jean-Marie Rausch
Ivan Renar
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Henri de Richemont
Philippe Richert
Yves Rispat
Jean-Jacques Robert
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Odette Terrade
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Albert Vecten
Paul Vergès
Jean-Pierre Vial
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac
Abstention
M. Alain Vasselle.
N'ont pas pris part au vote
François Abadie
Philippe Adnot
Bernard Angels
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Robert Badinter
Jean-Michel Baylet
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Marcel Bony
André Boyer
Yolande Boyer
Jean-Louis Carrère
Bernard Cazeau
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Yvon Collin
Gérard Collomb
Raymond Courrière
Roland Courteau
Philippe Darniche
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Gérard Delfau
Jean-Pierre Demerliat
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Claude Domeizel
Jacques Donnay
Hubert Durand-Chastel
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Claude Estier
Léon Fatous
Alfred Foy
Serge Godard
Jean-Noël Guérini
Claude Haut
Roger Hesling
Roland Huguet
Alain Journet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Dominique Larifla
Louis Le Pensec
André Lejeune
Claude Lise
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
François Marc
Marc Massion
Pierre Mauroy
Jean-Luc Mélenchon
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Paul Raoult
Roger Rinchet
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Bernard Seillier
Michel Sergent
René-Pierre Signé
Simon Sutour
Michel Teston
Pierre-Yvon Tremel
Alex Türk
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber
N'ont pas pris part au vote
MM. Christian Poncelet, président du Sénat, et Guy Allouche, qui présidait la
séance.
Ne peut participer aux travaux du Sénat (en application de l'article L.O. 137
du code électoral) : Michel Charzat.
Les nombres annoncés en séance ont été reconnus, après vérification, conformes
à la liste de scrutin ci-dessus.