Séance du 26 janvier 2000







M. le président. Art. 5. - Après l'article 9 de la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 précitée, il est inséré quatre articles nouveaux ainsi rédigés :
« Art. 9-1. - Dans le délai prévu au premier alinéa de l'article 9, l'autorité administrative peut, dans l'intérêt des collections publiques, présenter au propriétaire du bien une offre d'achat. Cette offre tient compte des prix pratiqués pour des oeuvres comparables sur le marché international. »
« Si le propriétaire du bien n'accepte pas l'offre d'achat dans un délai de trois mois, l'autorité administrative peut faire procéder à une expertise pour fixer le prix du bien dans les conditions fixées aux troisième et quatrième alinéas.
« L'autorité administrative et le propriétaire du bien désignent respectivement un expert. En cas de carence, le tribunal compétent de l'ordre judiciaire procède à la désignation. Ces experts rendent un rapport conjoint dans un délai de trois mois à compter de leur désignation.
« En cas de divergences entre ces experts, le prix du bien est fixé par un expert désigné conjointement par l'autorité administrative et le propriétaire du bien ou, à défaut d'accord, par le tribunal compétent de l'ordre judiciaire. Cet expert rend son rapport dans les conditions prévues au quatrième alinéa.
« L'autorité administrative peut adresser au propriétaire du bien une offre d'achat au prix d'expertise dans un délai de deux mois à compter de la notification du rapport d'expertise fixant le prix du bien.
« Si, dans un délai de deux mois à compter de l'offre d'achat, le propriétaire refuse cette offre ou n'a pas fait savoir qu'il l'acceptait, le refus de délivrance du certificat peut être renouvelé. Aucune indemnité n'est due à ce titre.
« Si le propriétaire du bien accepte l'offre d'achat, le paiement du bien doit intervenir dans un délai de six mois à compter de l'accord du propriétaire à peine de résolution de la vente.
« Si un bien a fait l'objet d'une offre d'achat, son propriétaire ne peut présenter de demande de certificat avant l'expiration du délai prévu au sixième alinéa ou, s'il accepte l'offre d'achat, avant l'expiration du délai prévu à l'alinéa précédent.
« En cas de renouvellement du refus de certificat, le propriétaire du bien peut faire procéder à une expertise dans les conditions prévues aux troisième et quatrième alinéas. Si l'autorité administrative refuse d'acquérir le bien au prix d'expertise, le refus de délivrance ne peut être renouvelé.
« L'autorité administrative peut également procéder à l'acquisition des biens visés au second alinéa de l'article 9 pour le compte de toute personne publique.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent article.
« Art. 9-2. - L'autorité administrative est informée de tout transfert de propriété d'un bien culturel présentant le caractère de trésor national qui n'est pas classé en application des lois du 31 décembre 1913 ou n° 79-18 du 3 janvier 1979 précitées ou revendiqué en application des lois du 27 septembre 1941 ou n° 89-874 du 1er décembre 1989 précitées par la personne à qui est transféré le bien dans un délai de trois mois à compter du transfert.
« Art. 9-3. - Tout propriétaire qui aliène un bien culturel visé à l'article 9-2 est tenu de faire connaître à l'acquéreur l'existence du refus de délivrance du certificat mentionné à l'article 7 et, le cas échéant, les offres d'achat adressées dans les conditions prévues à l'article 9-1.
« Art. 9-4. - Est nulle toute aliénation du bien consentie par le propriétaire ou ses ayants cause après avoir accepté une offre d'achat adressée par l'autorité administrative dans les conditions prévues à l'article 9-1.
« L'action en nullité se prescrit par six mois à compter du jour où l'autorité administrative a eu connaissance de la vente. Elle ne peut être exercée que par le ministre chargé de la culture. »
Par amendement n° 3, M. Gaillard, au nom de la commission des finances, propose :
I. - De rédiger comme suit la première phrase du premier alinéa du texte présenté par cet article pour l'article 9-1 de la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 :
« Dans le délai prévu au premier alinéa de l'article 9, l'autorité administrative peut, dans l'intérêt des collections publiques ou de celui de la protection du patrimoine national en application du dixième alinéa du présent article, présenter une offre d'achat. »
II. - En conséquence, de compléter l'avant-dernier alinéa du même texte par les dispositions suivantes :
« , ou présenter l'offre d'une personne privée qui s'engage à demander, en cas d'acceptation de son offre, le classement du bien au titre du troisième alinéa de l'article 16 de la loi du 31 décembre 1913 précitée et à le rendre accessible au public. Les offres faites en application du présent alinéa peuvent retarder la délivrance du certificat pour leur durée de validité, qui ne peut être inférieure à un an et supérieure à deux ans. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Yann Gaillard, rapporteur pour avis. Cet amendement a pour objet de permettre à l'administration ou aux pouvoirs publics de susciter des offres privées, dans le cadre des procédures de retrait de certificats, à l'image du mécanisme en vigueur en Grande-Bretagne, le refus de l'offre ayant des conséquences beaucoup plus limitées, puisque la délivrance du certificat n'est suspendue que pour la durée de validité de l'offre.
Cette disposition reflète bien, selon nous, la volonté d'élargir la notion de patrimoine national au-delà du cercle des collections publiques.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Serge Lagauche, rapporteur. Cet amendement vise à diversifier les moyens dont pourrait disposer l'Etat pour conserver sur le territoire national une oeuvre majeure. A défaut de faire une offre en son nom ou au nom d'une autre personne publique, l'Etat pourrait présenter au propriétaire qui s'est vu refuser un certificat l'offre d'un acquéreur privé qui s'engagerait à demander le classement, classement qui, dans la logique des propositions de la commission des finances, ouvrirait droit à un avantage fiscal.
Cette proposition, inspirée du dispositif britannique tend, comme les précédentes, à permettre de conserver en France des trésors nationaux grâce à leur acquisition par des personnes privées qui s'engageraient à ne pas les exporter.
On peut s'interroger sur l'efficacité de ce dispositif dont l'articulation avec le texte proposé par la commission n'est pas évidente.
En effet, dans quelles conditions s'effectuera la transaction ? Faut-il considérer que, dans cette hypothèse, l'offre sera faite par référence au prix du marché international ?
On voit mal un acquéreur qui prend l'engagement de demander le classement du bien faire une offre d'achat au prix du marché international, sauf à assumer une moins-value que ne compensera que très partiellement l'avantage fiscal calculé au demeurant sur la valeur du bien après classement. Si, au contraire, l'offre d'achat et l'expertise prennent en compte la dépréciation induite par le classement, le dispositif prévoit que si le propriétaire décline l'offre de la personne privée la délivrance du certificat peut être retardée. Cette solution ne correspond pas à l'équilibre du dispositif proposé par la commission.
Par ailleurs, est-il souhaitable que l'Etat joue un rôle d'intermédiaire entre deux personnes privées ? Il est permis d'en douter.
Pour ces raisons, la commission a décidé de donner un avis défavorable à l'adoption de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Je suis défavorable à cet amendement n° 3, j'ai déjà évoqué les raisons qui m'amènent à m'opposer à l'ensemble du dispositif présenté par M. Gaillard.
Par ailleurs, j'ai noté avec beaucoup d'intérêt que l'avis du Gouvernement rejoint celui de la commission.
M. Yann Gaillard, rapporteur pour avis. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Yann Gaillard, rapporteur pour avis. Après avoir répondu au Gouvernement, je voudrais répondre à mon collègue M. Lagauche.
C'est vrai qu'il n'y a pas de comparaison entre la dépréciation due au fait que l'on renonce aux prix plus élevés du marché international et l'avantage fiscal. Toutefois, ce dispositif est comparable au système britannique dont vous vous êtes vous-même inspiré. De plus, il s'agit d'acquéreurs privés qui ont, en quelque sorte, un esprit de mécénat, de service public. Pourquoi ne pas chercher à mobiliser des fondations ou des détenteurs de grandes fortunes qui veulent voler au secours de la collectivité nationale pour conserver une oeuvre d'art sur le territoire et qui acceptent par conséquent un certain sacrifice financier ?
Mon cher collègue, l'autre partie de votre démonstration montre que vous restez attaché, ce que je comprends d'ailleurs bien - c'est notre commune éducation et notre commun attachement à la chose publique - à un système régalien. Or il faut, à l'avenir, que le secteur privé participe à certaines tâches, à certaines missions d'intérêt général, comme la protection des trésors nationaux. C'est véritablement une question d'état d'esprit.
Vous me rétorquerez peut-être que je suis, en la matière, un libéral à l'état sauvage, mais je crois que nous allons vers un système mixte de ce genre dans la société de demain. Je maintiens par conséquent cet amendement, toujours dans le même esprit, à savoir encourager le Gouvernement à engager une réflexion qui nous permettra de progresser jusqu'au vote définitif de cette proposition de loi.
M. Serge Lagauche, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Serge Lagauche, rapporteur. Autant je vous comprends lorsque vous dites que vous maintenez deux amendements sur quatre parce que vous voulez que le Gouvernement s'engage plus rapidement et pose le problème dans sa globalité, autant je ne peux pas vous suivre lorsque vous prétendez régler le problème à travers les deux amendements.
M. Yann Gaillard, rapporteur pour avis. Je ne le prétends pas !
M. Serge Lagauche, rapporteur. Non, vous ne le prétendez pas ; votre objectif est d'exercer une pression sur le Gouvernement.
La commission - je ne le dis pas à titre personnel, mais, dans mon intervention, a priori, j'en ai tenu compte - fait confiance au Gouvernement pour accélérer la procédure et traiter effectivement le problème au fond.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. Cet amendement n° 3 a un sens très particulier. M. Yann Gaillard y voit une transformation des relations entre l'Etat et les particuliers. Mais permettez-moi de le dire, avec cet amendement, l'Etat aurait un rôle d'intermédiaire dans une transaction privée, ce qui poserait un problème de fond.
Il ne s'agit pas d'opposer une vision régalienne à une vision totalement libérale ! Il s'agit de conserver la cohérence des compétences de l'Etat en la matière, puisque c'est à lui qu'il revient de dire ce qui appartient aux trésors nationaux. Il ne faut pas que l'Etat joue un rôle qui ne paraîtrait pas totalement clair sur les plans tant juridique qu'éthique. Il faut, au contraite, être extrêmement sûr de ce que l'on fait.
Chacun le sait, il s'agit d'un marché, ce qui n'est pas rien. J'appelle donc à une certaine prudence, dont a d'ailleurs fait preuve votre commission. Certes, nous devons toujours améliorer les choses, mais là il ne s'agit pas d'une simple amélioration. Vous proposez une démarche sans précédent.
Connaissant votre enthousiasme, il s'agit d'une disposition qui est pour le moins entreprenante, mais elle n'en est pas moins problématique pour l'Etat, je vous le dis sincèrement. En effet, il ne faut pas mettre l'Etat en porte-à-faux, sur le plan juridique, dans ses relations tant avec la commission qu'avec les propriétaires, ni lui faire jouer un rôle nouveau qui fragiliserait, en quelque sorte, la pertinence et la rigueur de sa position. Nous devons garder un Etat sûr de son éthique.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 5, ainsi modifié.

(L'article 5 est adopté.)

Article additionnel après l'article 5