Séance du 25 janvier 2000
SERVICE PUBLIC DE L'ÉLECTRICITÉ
Adoption d'un projet de loi en nouvelle lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi
(n° 174, 1999-2000), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en
nouvelle lecture, relatif à la modernisation et au développement du service
public de l'électricité. [Rapport n° 175 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, à l'issue de la première lecture à laquelle le Sénat avait procédé
le 7 octobre dernier, j'avais salué les améliorations de fond ainsi que les
nombreuses clarifications apportées au texte par votre assemblée. Après un
débat serein et constructif, j'avais néanmoins, en toute franchise, indiqué
qu'un certain nombre d'amendements de votre assemblée ne pouvaient recevoir
l'adhésion de la majorité gouvernementale et du Gouvernement.
En particulier, je m'étais opposé à l'extension des pouvoirs de la commission
de régulation de l'électricité dans des domaines qui ne sont pas les siens.
J'avais également indiqué mon désaccord avec un début de séparation du
gestionnaire du réseau de transport EDF et avec la préférence manifestée par le
Sénat pour un système de grossistes sans encadrement.
Ces divergences ont naturellement conduit à l'échec de la commission mixte
paritaire et, comme il était prévisible, l'Assemblée nationale a, en nouvelle
lecture, largement rétabli l'esprit de son texte initial sur ces trois
aspects.
Cependant, vous vous rappelez qu'un nombre significatif des amendements
présentés par votre rapporteur, M. Henri Revol, et adoptés par le Sénat avaient
reçu l'adhésion du Gouvernement.
Le travail de la Haute Assemblée a porté ses fruits puisque quatorze articles
ont pu être adoptés en des termes identiques par l'Assemblée nationale en
nouvelle lecture la semaine dernière.
L'Assemblée nationale a ainsi souhaité reprendre des dispositions importantes
introduites par le Sénat ; je pense, par exemple, au renforcement des sanctions
en cas de divulgation d'informations sensibles par les agents du gestionnaire
du réseau de transport, le GRT, ou des gestionnaires des réseaux publics de
distribution, les GRD, ou à l'approbation du programme d'investissement du GRT
par la Commission de régulation de l'électricité.
Je me félicite tout particulièrement du consensus trouvé sur l'article 43, qui
est relatif aux dispositions sociales et qui prévoit notamment l'introduction
de mécanismes de négociation collective, lesquels seront particulièrement
adaptés dans un secteur où les acteurs vont devenir plus nombreux et plus
diversifiés.
En dehors de ces articles retenus à l'identique dans leur intégralité,
l'Assemblée nationale a également retenu l'esprit, si ce n'est la lettre, de
diverses améliorations apportées par le Sénat, par exemple en ce qui concerne
les articles 47 et 48, qui portent sur les conditions de révision des contrats
existants et qui sont essentiels pour que se traduise dans les faits
l'évolution vers la nouvelle organisation électrique. J'ai bon espoir que de
tels articles seront désormais consensuels.
Aujourd'hui, j'espère que la Haute Assemblée voudra bien poursuivre le travail
constructif engagé lors de la première lecture, tout en notant la conviction et
la résolution du Gouvernement et de sa majorité sur une conception politique
générale qui sous-tend le projet de loi que j'ai eu l'honneur de vous
présenter.
Cette résolution et cette conviction ne devraient d'ailleurs pas choquer ici
la Haute Assemblée - je pense en particulier au président Valade - puisqu'elles
consistent largement à utiliser les marges de manoeuvre et les possibilités de
défense du service public que le Sénat avait souhaité introduire et que le
Gouvernement de l'époque - c'était, je crois, mon prédécesseur M. Borotra qui
avait négocié la directive - avait lui-même défendues à Bruxelles lors de la
négociation de cette directive.
Je voudrais maintenant revenir sur les points du projet de loi qui me semblent
essentiels.
Premièrement, ce texte permet de dessiner un service public de l'électricité
conforté qui allie dynamisme, équité et solidarité.
Pour la première fois, la loi précise les missions de ce service public, les
catégories de clients auxquels il s'adresse et les opérateurs qui en ont la
charge. Pour la première fois également, ce texte donne une valeur législative
- on peut d'ailleurs s'étonner que ce ne soit pas déjà le cas - au principe de
péréquation nationale des tarifs et crée les conditions qui permettront la mise
en oeuvre d'un véritable droit à l'énergie électrique.
Les tempêtes exceptionnelles subies par la France en décembre dernier et la
mobilisation extraordinaire qui les a suivies, et que je souhaite à nouveau
saluer, ont montré, s'il en était besoin, que même si le service public doit à
l'évidence évoluer, ses valeurs fondamentales demeurent très présentes dans les
entreprises électriques, tout particulièrement chez EDF. Ces valeurs sont bien
celles que le Gouvernement a souhaité mettre au coeur de ses préoccupations
lors de la préparation de la nouvelle organisation du système électrique
français.
Je voudrais d'ailleurs signaler que l'Assemblée nationale a voté, à
l'unanimité, l'introduction dans la loi de dispositions qui permettront de
simplifier les procédures administratives liées à la reconstruction des réseaux
électriques endommagés ou détruits par la tempête, tout en veillant - j'espère
que le Sénat y souscrira - à mener les concertations locales préalables
nécessaires au bon déroulement de ces travaux urgents. Cela devrait permettre
aux maîtres d'oeuvre concernés, en particulier à EDF, de mener dans de bonnes
conditions et - c'est un impératif absolu - dans les meilleurs délais, les
travaux nécessaires.
Je voudrais terminer l'évocation succincte des effets de la tempête en
indiquant que j'ai demandé à mes services le lancement de divers travaux et
études qui permettront de limiter la réelle vulnérabilité du système électrique
français face aux aléas climatiques.
De fait, plusieurs moyens doivent être mis en oeuvre, en particulier le
renforcement des exigences réglementaires concernant la résistance mécanique
des ouvrages aériens, de transport et de distribution de l'électricité,
l'enfouissement d'un certain nombre de lignes lorsqu'il est techniquement et
financièrement possible, la création de nouvelles lignes aériennes ainsi qu'une
meilleure mobilisation des moyens de production décentralisée. Chacune de ces
solutions devra être mise en oeuvre ; en même temps, il conviendra de trouver
l'équilibre optimal entre ces diverses solutions partielles. J'ai en
particulier demandé au conseil général des mines une réflexion spécifique sur
cet équilibre à définir ou à redéfinir.
Deuxièmement, le projet de loi traduit l'engagement clair du Gouvernement en
faveur du maintien d'EDF en tant qu'entreprise intégrée de production de
transport, de distribution et de fourniture d'électricité.
EDF sera, en particulier - c'est un des points centraux de l'architecture du
projet de loi - le gestionnaire du réseau de transport. En effet, l'un des
facteurs de réussite d'EDF est qu'il constitue une entreprise intégrée. Je sais
que votre assemblée est partagée sur ce point et sur les avantages que procure
cette situation. Mais ce facteur de réussite ne doit pas, à mon avis, être
remis en cause, alors que l'esprit et le texte de la directive n'obligent pas à
la remise en cause de cette intégration du gestionnaire du réseau de transport
à l'opérateur historique.
Cela dit, justement parce qu'EDF restera intégré, il convient que la loi
contienne diverses dispositions permettant de garantir l'indépendance du
service gestionnaire du réseau de transport au sein d'EDF - c'est la
contrepartie évidente - et, donc, un accès transparent et non discriminatoire
au réseau public de transport d'électricité. Ainsi, l'Assemblée nationale a,
par exemple, retenu l'article 13
bis,
qui porte sur les incompatibilités
professionnelles que vous aviez souhaité imposer aux agents du GRT. Je me
félicite qu'un accord soit intervenu aussi sur ce point entre les deux
assemblées.
Par ailleurs, le projet de loi met en place les conditions nécessaires pour
garantir l'avenir industriel de l'entreprise et lui permettre de rester le plus
grand électricien du monde. En particulier, l'évolution de son objet légal doit
permettre à EDF d'être doté des mêmes capacités que les autres producteurs à
saisir les opportunités sur un marché européen en pleine mutation et de
disposer des mêmes capacités à affronter la concurrence que l'ensemble de ses
compétiteurs européens.
Troisièmement, le projet de loi donne au Gouvernement les moyens de mettre en
oeuvre une politique nationale de l'énergie recueillant l'assentiment le plus
large et garantissant au Parlement le rôle qui doit être le sien dans notre
grande démocratie.
L'énergie n'étant pas un bien de consommation comme les autres, elle fait
l'objet d'une politique publique forte permettant de garantir la sécurité
d'approvisionnement, la protection de l'environnement et la compétitivité de la
fourniture. Je crois qu'il existe, toutes tendances politiques confondues, un
très large consensus sur ce point.
Cette politique a vocation à être conduite par le Gouvernement, sous le
contrôle démocratique du Parlement. De manière générale, il convient que chacun
assume ses responsabilités, qu'il s'agisse de la politique énergétique, de la
définition et de la mise en oeuvre du service public, ou de la protection des
intérêts légitimes qui relèvent de la réglementation générale de l'électricité,
comme la sécurité des personnes et des biens. Le rôle de l'Etat et des
collectivités locales qui concèdent le service public de la distribution est, à
cet égard, irremplaçable. Ce texte le réaffirme en de nombreux points.
Je ne saurais donc associer le Gouvernement à une éventuelle volonté
d'extension des pouvoirs de la commission de régulation de l'électricité qui
serait indue et tendrait à la création d'un système illégitime ou obscur dans
la dévolution des responsabilités réciproques entre les différents organes
représentant l'Etat.
En revanche, il convient bien que la commission de régulation traite les
questions qui sont décisives pour les aspects concurrentiels du bon
fonctionnement du marché. Elle doit avoir dans cet esprit un domaine d'action
circonscrit mais cohérent. Outre les multiples avis qu'elle devra donner, elle
devra proposer aux ministres les niveaux des tarifs d'utilisation des réseaux
de transport et de distribution, ainsi que le montant des charges de service
public liées à la production électrique et à la répartition de leur financement
; elle devra mettre en oeuvre les éventuels appels d'offres décidés pour la
création de nouveaux moyens de production, approuver les règles de la
séparation comptable dans chaque entreprise concernée, trancher les litiges
concernant l'accès aux réseaux et leur utilisation, préciser en tant que de
besoin certains aspects de la réglementation et prononcer les sanctions qui
apparaîtraient utiles dans ses domaines de compétence.
Quatrièmement, enfin, le projet de loi organise une ouverture progressive et
maîtrisée du marché de l'électricité à la concurrence, pour participer au
combat pour la compétitivité de notre économie et l'emploi.
Le texte prévoit, en fonction des seuils de la directive, une éligibilité
progressive des grands consommateurs finals d'électricité, notamment les
principaux établissements industriels.
En effet, lorsqu'un industriel est gros consommateur final, le prix de
l'électricité est certainement un élément notable de sa compétitivité, par
conséquent de ses décisions d'investissements et des créations d'emplois
induites. L'industriel européen est confronté à la concurrence ; il est donc
sain et naturel qu'il puisse bénéficier de la concurrence en matière de
fourniture d'électricité.
Au-delà de la distinction entre éligibles et non éligibles, il va de soi que
chacun, en fonction de ses caractéristiques, devra bénéficier du nouveau
système électrique ; les pouvoirs publics veilleront, par exemple, à ce que les
consommateurs non éligibles continuent à bénéficier de la baisse des tarifs,
dans le prolongement des baisses considérables déjà acquises au cours des
dernières années.
En conclusion, il convient, me semble-t-il, à ce stade des travaux de
l'Assemblée nationale et du Sénat, de souligner le caractère équilibré des
évolutions proposées qui permettent trois avancées : de redynamiser le secteur
électrique par une ouverture maîtrisée et progressive à la concurrence ; de
repréciser et conforter le service public de l'électricité dans le nouveau
contexte européen ; enfin, d'assurer au secteur électrique français, d'en
particulier à EDF - mais pas exclusivement - une place majeure au sein du
marché européen.
Je forme des voeux pour que ce texte soit rapidement adopté par la
représentation nationale, malgré certaines divergences qui demeurent entre les
deux assemblées. Comme l'avait noté le président de la commission, M. Jean
François-Poncet, lors de la première lecture, ce texte est nécessaire pour
assurer la place des entreprises françaises en Europe et le respect par la
France de ses engagements européens et internationaux.
(Applaudissements sur
les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Sénat est
appelé à examiner en nouvelle lecture le projet de loi relatif à la
modernisation et au développement du service public de l'électricité.
Clôturant nos travaux de première lecture, le 7 octobre dernier, à l'issue
d'un débat qui, selon vos propres termes, monsieur le secrétaire d'Etat, fut
constructif, vous constatiez en effet que trois points de désaccord majeurs
subsistaient entre le Gouvernement et le Sénat : l'étendue des pouvoirs de la
commission de régulation ; le relèvement des seuils de régime déclaratif et
d'obligation d'achat ; l'autorisation du négoce non assortie d'un
encadrement.
Vous déclariez : « La majorité sénatoriale a choisi [...] d'engager un vrai
débat, nous opposant souvent, mais sans jamais manifester de volonté
d'obstruction ni présenter de contre-projet global opposé à celui des travaux
de l'Assemblée nationale. »
Je le confirme aujourd'hui : même sur les trois points de désaccord
identifiés, le Sénat, en législateur responsable, était ouvert à la
discussion.
La meilleure preuve de cette attitude constructive est que sur 440 amendements
déposés au Sénat, dont 256 ont été adoptés, 178 ont reçu un avis favorable du
Gouvernement pourtant peu suspect de partager les orientations de la majorité
de la Haute Assemblée !
Les préoccupations politiciennes internes à la majorité plurielle ont, depuis,
gâché les chances d'un dialogue pourtant bien engagé, conduisant, lors de la
commission mixte paritaire, dont je rappelle qu'elle se tint le 18 novembre,
les députés de la majorité à refuser ne serait-ce que d'examiner le texte.
Curieuse conception que celle d'un Parlement qui ne délibère pas mais
enregistre ! Singulier bicamérisme que celui où une chambre croit pouvoir
s'arroger le monopole de la représentativité nationale...
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Henri Revol,
rapporteur.
... le rapporteur de la commission de la production et des
échanges déclarant que « seule une nouvelle lecture se rapprochant le plus
possible du texte déjà adopté par l'Assemblée nationale, représentative des
forces politiques du pays, peut garantir à la loi une réelle longévité » !
M. Alain Gournac.
Il faut le faire !
M. Henri Revol,
rapporteur.
On serait tenté de dire : quel gâchis !
Gâchis parce que la France s'est mise, par sa lenteur à transposer la
directive, au ban de l'Europe.
Gâchis parce qu'est aujourd'hui rompu un consensus politique national vieux de
cinquante ans en matière énergétique, consensus qu'avaient su forger le général
de Gaulle et le Conseil national de la Résistance.
Gâchis, enfin, parce que la majorité plurielle a décidé de tourner le dos à la
construction européenne alors que le Premier ministre, dans sa déclaration de
politique générale du 19 juin 1997, se targuait de « ne plus vouloir de ce jeu
de défausse qui a trop souvent consisté à se décharger sur l'Europe de tâches
qui auraient dû être assumées dans le cadre national, à imputer à l'Union
européenne des défaillances qui procédaient souvent de nos propres
insuffisances ».
Le Gouvernement devra assumer, vis-à-vis de nos partenaires européens, une
lourde responsabilité.
Alors qu'il a déposé le projet de loi de transposition à l'Assemblée nationale
le 9 décembre 1998, date déjà bien tardive vu l'échéance fixée par la
directive, le Gouvernement n'a en effet inscrit ce texte, adopté par
l'Assemblée nationale en mars, à l'ordre du jour du Sénat qu'en octobre, soit
huit mois plus tard ! Rien, sinon peut-être la proximité de l'élection
européenne du printemps 1999 - encore une fois le pilotage de la majorité
plurielle ! - n'explique ce manque de diligence.
Un tel retard est d'autant plus injustifiable que, dans le même temps,
l'urgence était déclarée sur ce texte. Il est vrai qu'au cours des deux
dernières sessions le Gouvernement a usé et abusé de la procédure d'urgence,
qu'il a utilisée à neuf reprises sur des textes importants. Lorsque tout est
urgent, plus rien ne l'est vraiment : l'urgence n'est plus qu'un artifice
procédural dont le but est de limiter le dialogue entre les deux assemblées.
Les conditions dans lesquelles nous sommes contraints d'examiner aujourd'hui
ce projet de loi montrent toute la considération du Gouvernement pour le
travail parlementaire en général, et pour celui du Sénat en particulier.
Comment expliquez-vous, monsieur le ministre, que, le rapport de nouvelle
lecture de la commission de la production ayant été déposé le 8 décembre 1999 à
l'Assemblée nationale, celle-ci n'ait discuté le texte que deux mois plus tard,
contraignant la commission des affaires économiques du Sénat, compte tenu de la
date de discussion fixée pour la Haute Assemblée, à l'examiner quelques heures
seulement - huit heures très exactement - après son adoption par les députés ?
Et je ne parlerai pas des amendements déposés en séance par le Gouvernement,
proposant une validation législative, au Sénat comme à l'Assemblée nationale
d'ailleurs !
Je déplore cette précipitation soudaine, d'autant plus injustifiable qu'elle
suit des mois d'atermoiements. Une telle pratique n'est pas digne de la
démocratie ; la loi, expression de la volonté générale, mérite mieux qu'une
discussion confisquée par un calendrier chaotique !
(M. Alain Gournac
applaudit.)
M. Ladislas Poniatowski.
Très bien !
M. Henri Weber.
Il ne faut pas dramatiser !
M. Henri Revol,
rapporteur.
Je tiens en outre, au nom de la commission des affaires
économiques du Sénat, à regretter publiquement et solennellement le ton du
rapport déposé en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale. Celui-ci excède
souvent ce que nous estimons être les limites de la courtoisie et du respect
que chacune des deux chambres du Parlement est tenue de porter à l'autre.
Par exemple, était-il nécessaire de qualifier notre texte de « forme de
contorsionnisme législatif » ou de comparer le Sénat à un « greffier » qui
recopierait la directive, à l'inverse d'un « législateur » qui l'aurait
transposée ?
Le Sénat s'était, quant à lui, attaché plus à la qualité du débat qu'à la
polémique. Il y aurait pourtant eu fort à dire. Je n'en veux pour preuve que
l'article 34
bis
introduit par le rapporteur de l'Assemblée nationale -
forme inédite de codification interne - qualifié par son auteur même de « non
normatif », ce qui ne manquera pas de susciter les commentaires amusés de la
doctrine !
Je note d'ailleurs que les propos de l'Assemblée nationale, puisqu'ils sont
dirigés à plusieurs reprises contre des rédactions initiales du projet de loi,
s'adressent aussi au Gouvernement et à ses services.
Le débat démocratique qui fonde nos institutions, s'il est par essence
contradictoire, mérite mieux qu'un discours où l'invective tient lieu de seule
argumentation.
Mais venons-en au fond.
En adoptant des modifications au texte du projet de loi transmis par
l'Assemblée nationale, nous avions, en première lecture, cherché à définir le
cadre d'un réel marché de l'électricité, dans lequel des « règles du jeu »,
connues à l'avance et applicables à tous les agents - producteurs et acheteurs,
opérateur historique et nouveaux entrants - permettraient d'abaisser les coûts,
d'accroître la qualité et la diversité de l'offre et d'améliorer la
compétitivité de l'économie nationale.
C'est pourquoi nous avions renforcé le rôle de la Commission de régulation de
l'électricité, la CRE, et assuré la parfaite impartialité du gestionnaire du
réseau de transport. Nous souhaitions garantir la pérennité et l'efficacité du
service public en veillant à son financement et en concentrant les aides à
vocation sociale sur les personnes en difficulté.
Sur chacun de ces points, le texte adopté par l'Assemblée nationale en
nouvelle lecture marque un net recul par rapport à celui du Sénat.
Permettez-moi d'observer en outre, monsieur le secrétaire d'Etat, que votre
avis a parfois changé entre les deux lectures. Vérité en deçà du boulevard
Raspail, erreur au-delà...
(Sourires.)
M. Ladislas Poniatowski.
Majorité plurielle oblige !
M. Henri Revol,
rapporteur.
Telle pourrait être la maxime qui a inspiré certaines de vos
positions.
Certes, je sais que le palais du Luxembourg n'est pas le Palais-Bourbon, mais
je souhaiterais connaître les raisons pour lesquelles vous vous êtes ainsi
ravisé. Etait-ce un scrupule de conscience ? Un doute inopiné ? Une réflexion
délibérée ? J'aurai l'occasion, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous
interroger sur ce point au cours de l'examen des articles.
Alors que le projet de loi ne proposait qu'une ouverture modérée à la
concurrence, alors que la majorité de nos partenaires européens ont totalement
libéralisé leur marché, la commission de la production et des échanges a
initialement souhaité réserver le négoce d'électricité aux seuls producteurs,
en proportion d'une fraction de leur production, ce qui revenait à instituer un
monopole de négoce au profit d'EDF, disposition pour le moins paradoxale
lorsque l'on veut un marché libéralisé.
Vous avez obtenu, après une seconde délibération, que l'autorisation d'exercer
l'activité de négoce soit délivrée aux producteurs dès lors qu'ils établissent
que la quantité d'électricité achetée pour revente est inférieure à un
pourcentage de l'électricité produite à partir des capacités de production «
dont ils disposent ». Nous ne pourrons, cependant, accepter cette solution ;
demande-t-on à un négociant en vins de ne vendre de grands crus qu'à proportion
des vignes qu'il possède ? A un vendeur de sel d'avoir un marais salant ? A un
poissonnier d'avoir un chalut ?
(Sourires.)
A l'évidence, cette disposition, qui traduit le malaise du Gouvernement face
au risque de se voir pris à partie par Bruxelles, ne constitue qu'une
demi-mesure et un pis-aller, qui ne garantit d'ailleurs pas que le texte voté
est conforme au traité européen.
A cause du flou de ces dispositions, EDF risque toujours, hors de nos
frontières, de se voir opposer, dans les mois à venir, la « clause de
réciprocité » prévue par la directive. Je n'en veux pour preuve que les
récentes déclarations de M. Gerhard Schröder.
En renforçant les pouvoirs de la CRE en matière de fixation du montant des
charges de service public ou de mise en oeuvre de la procédure d'appel
d'offres, le Sénat a souhaité instituer un régulateur indépendant et puissant,
garant du bon fonctionnement du marché, dont les décisions seraient
incontestables.
L'Assemblée nationale a préféré le réduire à la portion congrue et le
cantonner dans des questions relatives à l'accès au réseau. Bien plus, elle a
tenu à renforcer les pouvoirs du commissaire du Gouvernement placé auprès de
cette autorité, émanation pour le moins paradoxale, au sein d'un organisme
indépendant, de la tutelle ministérielle qui s'exerce sur l'opérateur
historique ! Nous sommes convaincus que, si toutes les questions relatives à la
politique énergétique sont de la compétence du Gouvernement, celles qui
concernent le fonctionnement du marché méritent d'être traitées par la CRE.
Nous avons également envisagé l'avenir du régime juridique du GRT. La majorité
des Etats de l'Union européenne a, en effet, choisi de créer des entités
totalement indépendantes des opérateurs historiques. N'est-il pas, dès lors,
légitime de s'interroger sur d'éventuelles évolutions du gestionnaire du réseau
français, en fonction des résultats obtenus et d'un bilan d'activité, à l'issue
d'un délai raisonnable ? Vous l'aviez vous-même admis au Sénat en première
lecture, monsieur le secrétaire d'Etat, en envisageant la date de 2003, alors
que nous souhaitions, nous, que ce rendez-vous soit pris pour l'année
prochaine. Cette seule éventualité, qui ne préjuge pourtant en rien le futur, a
néanmoins paru inenvisageable à l'Assemblée nationale.
Le texte qui nous est soumis pèche aussi par omission. Il n'envisage nullement
des questions aussi cruciales que le financement futur des retraites des agents
soumis au statut des industries électriques et gazières. Ce silence, que nous
avons solennellement déploré, fait peser une lourde hypothèque sur l'opérateur
comme sur les personnels et engage le Gouvernement. Quelle différence avec
l'attitude responsable adoptée, en 1996, lors de l'ouverture à la concurrence
du secteur des télécommunications !
En instituant une « tranche sociale » de la tarification d'électricité
reposant sur le principe du quotient familial, l'Assemblée nationale a choisi
un système qui risque de peser fortement sur les finances d'EDF sans pour
autant être ciblé sur les plus démunis de nos concitoyens.
Et ce n'est pas, un énième décret, prévu par l'Assemblée nationale, qui
éclaircira les modalités de mise en oeuvre de ce système !
La publication des décrets d'application des lois votées après déclaration
d'urgence est, le Sénat le répète chaque année, plus tardive que celle des
décrets relatifs à des textes votés selon la procédure de droit commun : à
peine plus de la moitié des lois examinées par la commission des affaires
économiques en urgence depuis 1981 sont aujourd'hui entièrement applicables
!
L'Assemblée nationale a adopté une disposition nouvelle relative à la mise en
oeuvre des mesures d'urgence que nécessite la réfection des lignes électriques
détruites par les tempêtes de décembre 1999 ; c'est l'article 21.
La commission des affaires économiques et du Plan tient, à cet égard, à rendre
hommage aux efforts accomplis par Electricité de France et tous ses agents,
ainsi que par tous les élus locaux, afin de venir en aide aux personnes
sinistrées lors des dernières tempêtes et d'assurer la continuité du service
public.
J'observe d'ailleurs qu'à cette occasion de nombreux pays d'Europe nous sont
venus en aide, démontrant ainsi que le marché de l'électricité est mû, non,
comme le soutiennent d'aucuns, par la seule recherche du profit, mais aussi par
un réel esprit de solidarité.
Désormais, monsieur le secrétaire d'Etat, le temps presse : la Commission
européenne a décidé d'adresser un avis motivé à la France pour
non-transposition de la directive, en vertu de l'article 226 du traité
instituant la Communauté européenne. En adoptant des mesures telles que
l'encadrement abusif du régime du négoce, notre pays encourt, en outre, le
risque de voir sa responsabilité mise en cause, au fond cette fois-ci, devant
la Cour de justice.
En dernière analyse, le droit européen prévaudra. Mais ce qui aurait dû être
réalisé par la France, conformément à une directive qu'elle a librement
négociée, sera imposé par Bruxelles. Le Gouvernement aura alors beau jeu de
dire à ses mandants qu'il lui faut bien se plier aux injonctions européennes.
Une telle attitude est, à l'évidence, peu responsable. Elle est, de surcroît,
contraire aux intérêts de la France et de l'Europe, à laquelle l'Assemblée
nationale a malheureusement choisi de tourner le dos.
Mes chers collègues, pour l'ensemble de ces motifs, votre commission des
affaires économiques vous proposera de rétablir, sauf pour des modifications
purement rédactionnelles et pour l'article 21, le texte adopté au Sénat en
première lecture.
MM. Alain Gournac et Ladislas Poniatowski.
Très bien !
M. Henri Revol,
rapporteur.
Le Sénat ne saurait ni cautionner une procédure préjudiciable
aux droits du Parlement...
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Henri Revol,
rapporteur.
... ni approuver un texte dont certaines dispositions sont
susceptibles de nuire aux intérêts de notre pays et à la construction
européenne.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 22 minutes ;
Groupe socialiste, 18 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 8 minutes.
La parole est à M. Weber.
M. Henri Weber.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
avant toute chose, permettez-moi de m'associer, moi aussi, aux éloges justifiés
qui ont été adressés de toutes parts à notre service public de l'électricité
après les deux terribles tempêtes du mois dernier. Par la célérité,
l'efficacité et le dévouement dont ils ont su faire preuve dans ces
circonstances, les agents d'EDF ont opportunément rappelé les vertus éminentes
d'un service public de qualité, particulièrement en période de crise.
(M.
Hamel applaudit.)
A cet égard, je ne peux que me réjouir de constater que le Président de la
République s'est lui-même fait l'avocat d'un Etat volontaire et d'un service
public puissant. Et je regrette de voir que son discours, une fois de plus,
trouve si peu de relais parmi ses propres amis... Il est vrai que la droite
s'adonne aujourd'hui à une « opposition frontale », ce qui l'amène à être
régulièrement en contradiction avec celui dont pourtant, elle se réclame.
Cette opposition frontale me semble d'autant plus regrettable que le
Gouvernement a, en première lecture au Sénat, fait preuve d'une grande
ouverture et que l'Assemblée nationale a retenu en seconde lecture un certain
nombre de modifications apportées par le Sénat, montrant par là une volonté de
conciliation bien éloignée du dogmatisme dénoncé à l'instant par notre
rapporteur. La bonne volonté de l'Assemblée nationale n'a malheureusement pas
suffi face à l'intransigeance de la majorité sénatoriale sur quelques points à
nos yeux essentiels.
Il y a en effet des divergences que l'on ne peut esquiver, et qui
correspondent à deux visions différentes du service public. Je reviendrai dans
un instant sur ces points de convergence et de divergence.
Auparavant, je voudrais relever que l'échec de la commission mixte paritaire
n'a pas conduit, contrairement à ce que nous assurait la majorité sénatoriale,
à un report prolongé de la transposition de la directive européenne, pas plus
qu'elle n'a mis en péril les capacités d'EDF sur le marché international.
Le 24 novembre dernier, EDF a en effet acquis 25 % d'EnBW, troisième
producteur allemand d'électricité. Quant au retard dans la transposition de la
directive, il n'aura été que de quelques semaines supplémentaires puisque
celle-ci est désormais imminente.
Au cours de la première lecture de ce projet de loi sur la modernisation et le
développement du service public de l'électricité, j'avais salué dans ce texte
une transposition à la fois prudente et équilibrée de la directive européenne.
Cette prudence et cet équilibre ont également présidé à la seconde lecture du
texte par l'Assemblée nationale puisque celle-ci a accepté un certain nombre
des modifications votées par le Sénat : au total, quatorze articles sur
cinquante-huit ont ainsi été adoptés conformes par l'Assemblée nationale.
Il s'agit, le plus souvent, d'articles importants, portant, par exemple, sur
les sanctions applicables en cas de transmission d'informations confidentielles
détenues par la CRE, sur les obligations comptables des entreprises du secteur
autres qu'EDF, sur la composition et le statut de la CRE, sur le développement
de la négociation collective de branche dans les industries électriques et
gazières, sur les modalités de révision des contrats de vente et d'achat
d'électricité signés par EDF.
D'autres dispositions introduites par le Sénat ont été maintenues, sinon dans
leur lettre, du moins dans leur esprit. Je pense à l'interdiction d'exercer
certaines activités qui pèse sur les agents de la CRE ou à l'institution d'un
pouvoir de perquisition au profit des enquêteurs chargés de contrôler le bon
fonctionnement du marché.
Des ajouts du Sénat ont également été conservés par l'Assemblée nationale avec
de légères modifications : l'élargissement de la composition de l'observatoire
national et des observatoires régionaux à toutes les catégories de
consommateurs, la compensation intégrale des charges résultant des missions de
service public, le financement, par le fonds de péréquation de l'électricité,
des charges liées au renforcement de la présence du service public dans les
zones d'aménagement du territoire, la précision et le renforcement du rôle des
collectivités locales en tant qu'autorités concédantes l'obligation, pour les
clients éligibles, de signer des contrats d'achat pour une durée de trois ans
et demi, dans le respect du droit des contrats, ou encore les pouvoirs de
sanction du ministre.
Pour ce qui est, enfin, de la tarification sociale, je crois que la bonne
volonté manifestée de part et d'autre permettra d'aboutir à un accord sur un
volet fondamental du projet de loi.
Cette longue énumération a pour objet de montrer à quel point, dans de
nombreux domaines, l'Assemblée nationale a fait preuve d'un louable souci de
conciliation. Cette volonté se heurte pourtant à certaines positions de la
majorité sénatoriale, lesquelles visent à ôter du texte certains éléments
fondamentaux. Elles concernent principalement le rôle des services publics dans
une économie moderne, l'importance d'une politique publique forte et cohérente
dans un marché ouvert à une concurrence maîtrisée et la nécessité d'une
dimension de solidarité nationale dans la politique énergétique.
Sur tous ces points, monsieur le secrétaire d'Etat, je pense comme vous que se
trouvent bel et bien confrontées deux conceptions distinctes de ce que doit
être notre système électrique.
Le rôle de la commission de régulation de l'électricité, contrairement à ce
que prétend la droite, est pour nous essentiel. Dans le cadre d'un secteur
désormais partiellement concurrentiel et fondé sur l'utilisation commune d'un
réseau par les différents opérateurs, la présence d'un régulateur est en effet
absolument nécessaire. Elle garantit le respect des règles de concurrence dans
l'accès au réseau.
C'est là une tâche aussi vaste que fondamentale, mais qui ne saurait en aucun
cas se confondre avec celle d'un gestionnaire du réseau ou d'une autorité
indépendante se substituant au Gouvernement et au Parlement pour
l'établissement de la politique énergétique. L'Assemblée nationale a donc
logiquement supprimé les dispositions introduites par le Sénat et qui
accordaient à la CRE des pouvoirs excessifs.
Je pense notamment à l'obligation de recueillir l'avis de la CRE sur les
décrets relatifs à la programmation pluriannuelle des investissements, à
l'établissement de la liste des clients éligibles par la CRE et non par le
ministre, au rôle du commissaire du Gouvernement, à l'obligation de consulter
la CRE pour les projets de loi concernant le secteur de l'électricité, ou
encore à l'extension du pouvoir réglementaire de la CRE en matière de tarifs
d'utilisation des réseaux publics de transport et de régime des autorisations
de production et d'exploitation.
Nous ne pouvons, par ailleurs, souscrire aux propositions de la majorité
sénatoriale relatives au gestionnaire du réseau de transport. L'ambiguïté du
texte adopté par le Sénat, qui prévoyait de maintenir provisoirement le GRT au
sein d'EDF pour en redéfinir le statut d'ici à un an, ne pouvait nous
satisfaire. Elle résultait d'un compromis boiteux - souvenez-vous - entre
membres de la majorité sénatoriale et préparait une éventuelle filialisation,
que la directive européenne n'impose pourtant pas. Je ne peux qu'approuver les
modifications apportées ici par l'Assemblée nationale : elles réaffirment
clairement l'appartenance du GRT à EDF.
Le désaccord, cela a été souligné, portait également sur le négoce. Sur ce
point, il me semble que le texte adopté par l'Assemblée nationale porte
également la marque de la prudence et de la sagesse. Tout en retenant plusieurs
des modifications proposées par le Sénat dans le sens d'un assouplissement de
la législation, il limite utilement cette activité aux seuls producteurs et à
leurs filiales, afin de leur permettre de compléter leur offre.
Précisé par un amendement du Gouvernement, le texte adopté par l'Assemblée
nationale prévoit en effet de limiter la quantité d'électricité achetée pour
être revendue à un pourcentage défini en Conseil d'Etat. Si le
trading
est aujourd'hui une activité nécessaire à certaines entreprises - le
trading
leur permet de répondre aux demandes de leurs clients et leur
offre des possibilités de développement à l'international - il doit être
strictement encadré en vue de l'établissement d'une politique durable et
cohérente.
Les mesures proposées par le Sénat pour favoriser la production décentralisée
constituent un autre point d'achoppement. S'il me semble légitime que cette
production soit encouragée dans une certaine mesure, notamment pour favoriser
la diversification des sources d'énergie, il serait dangereux qu'elle mette en
péril la cohérence de notre politique énergétique. Ici encore, je ne peux
qu'adhérer aux diverses modifications adoptées par l'Assemblée nationale.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le projet de loi que vous nous présentez
aujourd'hui, amendé par l'Assemblée nationale dans un esprit d'ouverture, de
maîtrise et de solidarité, vise à assurer l'avenir de EDF dans un secteur de
plus en plus international et compétitif, sans pour autant la détourner de ses
ambitions premières. Fleuron de la technologie et leader de l'industrie
énergétique, EDF est en effet aussi un modèle de service public. A ce titre,
elle est soucieuse de contribuer, comme elle l'a prouvé après les tempêtes du
mois dernier, à la solidarité nationale et à un aménagement équitable de notre
territoire.
Assurer l'avenir de l'entreprise EDF dans un contexte de concurrence nationale
et internationale, réaffirmer la nécessité d'une politique publique forte dans
le domaine de l'énergie, mieux définir les missions de service public, telles
sont, monsieur le secrétaire d'Etat, les trois ambitions affichées par votre
projet de loi. Elles correspondent à ce que nous attendons d'une politique
moderne, c'est-à-dire attentive au succès de nos entreprises, prenant en compte
les impératifs d'aménagement du territoire et de protection de l'environnement,
et soucieuse de pallier les inégalités sociales.
Pour toutes ces raisons, monsieur le secrétaire d'Etat, j'aurais souhaité que
la majorité sénatoriale fasse preuve de modération et ne dénature pas votre
texte afin que nous puissions lui apporter les suffrages qu'il mérite.
Malheureusement, si j'ai bien compris ce que vient de dire M. le rapporteur,
il n'en sera rien. Nous serons donc amenés à voter contre l'ensemble des
amendements - peut-être à une ou deux exceptions près - et contre le projet de
loi ainsi dénaturé. Nous n'en approuvons pas moins, monsieur le secrétaire
d'Etat, votre démarche.
M. le président.
La parole est à M. Bohl.
M. André Bohl.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
j'aurais certes préféré que ce débat, que je croyais devoir être purement
technique, sur la modernisation de notre service public de l'électricité ait pu
se conclure en commission mixte paritaire. Mais je suis obligé de constater que
nous sommes entrés dans un débat politique qui nous écarte, à mon avis, des
objectifs qui sont les nôtres. Le service public de l'électricité est désormais
européen, et, monsieur le secrétaire d'Etat, prétendre conduire une politique
nationale de l'électricité n'a plus de sens. Le prix du baril de pétrole a
ainsi augmenté de 15 dollars, passant de 10 dollars à 25 dollars. Que
pouvons-nous y faire ?
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. André Bohl.
J'aurais préféré que l'on se limite à mettre en place un système alternatif de
production et de distribution de l'électricité, conformément au grand principe
qui consiste à séparer désormais la fourniture de l'électricité des autres
prestations, mais je me bornerai aujourd'hui à examiner la viabilité du
dispositif qui nous est proposé et les obligations des collectivités
territoriales.
L'Assemblée nationale n'a pas envisagé toutes les situations. Le grand
principe de la péréquation tarifaire est, avez-vous dit, désormais consacré par
la loi, mais cette péréquation et le libre accès au service public de
l'électricité sont déjà organisés de la meilleure façon possible puisqu'ils le
sont en coordination avec l'Etat, les distributeurs et les intéressés.
Trois fonds sont créés pour réaliser la péréquation tarifaire.
Le premier est le fonds de service public de la production d'électricité, qui
financera les charges imputables aux missions de service public. Nous ignorons
à combien s'élèveront ces charges mais, si j'ai bien compris, monsieur le
secrétaire d'Etat, vous avez confié à M. Jean Syrota une mission sur ce
point.
Le deuxième fonds est le fonds de péréquation de l'électricité. Il faut
savoir, mes chers collègues, qu'un tel fonds existe déjà. Alimenté à hauteur de
22 millions de francs ; il ne vise cependant que les distributeurs en
difficulté et reste équilibré. Il comportera aussi les charges du fonds
pauvreté-précarité alimenté aujourd'hui à hauteur de 350 millions de francs et
qui fonctionne à la satisfaction de tous.
Ce dispositif risque d'alourdir le système de tarification puisqu'on pourrait
passer de 22 millions de francs à un milliard de francs !
Le troisième fonds est le fonds d'amortissement des charges d'électrification.
Il a été créé par la loi de 1936 pour favoriser l'électrification rurale. Son
financement est disparate puisqu'il provient, à hauteur de 0,44 centimes par
kilowattheure, des zones rurales - communes de moins de 2 000 habitants - et, à
hauteur de 2,22 centimes par kilowattheure, des communes dites urbaines.
En 1974, monsieur le secrétaire d'Etat, EDF a accepté d'urbaniser dix
départements. Le fonds d'amortissement des charges d'électrification - je
souhaiterais que vous le précisiez - doit être réservé à l'électrification
rurale. Mais comment sera assuré le développement en zone urbaine ?
Je regrette, bien entendu, que l'éligibilité optionnelle des distributeurs
n'ait pas été retenue. Cela aurait permis de tester la viabilité du service
public de gestion de la distribution, car il est indispensable que les
distributeurs puissent programmer des réseaux de capacité suffisante pour
l'accueil tant de la clientèle éligible que de la clientèle captive. Il serait
paradoxal, comme le laissait entrevoir M. le rapporteur, qu'un distributeur
éligible dans un pays européen demande son éligibilité à la CRE, qui serait
obligée d'arbitrer un conflit de ce type.
A ce sujet, je veux rappeler que, à la suite de la tempête de la fin du mois
de décembre dernier, les collectivités locales, les régies de distribution et
les électriciens se sont tous montrés solidaires. Après vous, monsieur le
secrétaire d'Etat, et après M. le rapporteur, j'insiste sur la rapidité avec
laquelle les mesures ont été prises. La prévoyance aurait-elle pas cependant
été préférable pour éviter les difficultés que nous avons connues ? Les
collectivités locales - et je conclus mon propos sur ces dernières - ont en
effet des obligations : contraintes d'assumer le service public de la
distribution, en auront-elles les moyens ?
D'après le projet de loi, tel qu'il a été modifié par l'Assemblée nationale,
les collectivités locales assureront le contrôle de la distribution de
l'électricité, mais que signifie le fait pour une collectivité de contrôler
l'Etat ? L'obligation de concéder à perpétuité à un distributeur ne me paraît
pas compatible avec le principe de la libre administration des collectivités
territoriales, qui, au demeurant, doivent assumer le financement du premier
équipement ou du renforcement des réseaux électriques.
La comparaison des situations respectives des collectives locales en Europe
montre que les relations entre les collectivités concédantes et les
concessionnaires ne sont pas particulièrement favorables en France. Il faut que
le Sénat sache, par exemple, que les redevances de concession versées aux
collectivités territoriales dans l'ex-République fédérale d'Allemagne sont
calculées au
prorata
des kilowattheures. Il ne s'agit pas de sommes
négligeables, puisque cela représente au minimum 3 centimes environ au
kilowattheure distribué, et non pas au nombre d'habitants ou au kilométrage de
réseau. Cela implique incontestablement une réflexion.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ce texte sera suivi de nombreux décrets. Il y
aura lieu de faire en sorte que, pour le respect de la viabilité des
entreprises de distribution, les tarifs soient calculés de telle manière que
l'équilibre puisse être respecté. C'est dans ce sens que je termine mon
intervention.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
après l'échec de la commission mixte paritaire du 18 novembre dernier, notre
Haute Assemblée est saisie en nouvelle lecture du projet de loi relatif à la
modernisation et au développement du service public de l'électricité.
Avant d'en venir au texte lui-même, qui, hélas ! nous revient de l'Assemblée
nationale profondément modifié, je voudrais, dans mon propos liminaire et à mon
tour, exprimer, au nom du groupe du Rassemblement pour la République, notre
reconnaissance à toutes celles et à tous ceux qui ont donné et qui donnent
encore le meilleur d'eux-mêmes pour aider nos concitoyens à surmonter les
conséquences des drames qu'ils viennent de vivre avec la tempête et la marée
noire de décembre 1999.
J'exprime un hommage appuyé, sincère et admiratif non seulement à tous les
agents des services publics concernés, civils et militaires, mais aussi à tous
les élus et bénévoles, si nombreux, qui, sans compter leur peine et au-dessus
de tout intérêt particulier, ont porté secours à leurs concitoyens.
A cette occasion, les agents d'Electricité de France ont su faire preuve de
compétence, de solidarité et de dévouement au service des Français et ils ont
merveilleusement bien illustré l'efficacité et l'utilité du service public
français.
J'en viens au projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui.
Je renouvelle mon observation précédemment exprimée : fallait-il,
sérieusement, monsieur le secrétaire d'Etat, déclarer l'urgence sur ce texte
?
Le moins que l'on puisse dire, c'est que vous devez des explications au Sénat
sur le déroulement de la discussion, ou des discussions, à propos de ce texte.
Vous êtes en flagrante contradiction, et je suis désolé de le souligner, avec
l'attitude qui avait été la vôtre et que nous avions appréciée. En effet, en
acceptant, lors de l'examen par le Sénat de ce projet de loi en première
lecture, 187 amendements sur les 250 que nous avions présentés, vous aviez fait
preuve, sans contestation aucune, d'une grande ouverture d'esprit, d'un
véritable courage politique, d'une noble volonté de vous situer au-dessus des
intérêts partisans et des querelles politiciennes.
En conclusion d'un riche débat auquel l'ensemble de la Haute Assemblée avait
participé, vous aviez vous-même déclaré que la commission mixte paritaire
pouvait parvenir à un accord sur trois points qui, à vos yeux, étaient
fondamentaux : le rôle de la commission de régulation de l'électricité, les
seuils d'éligibilité et la reconnaissance du
trading.
Vous aviez
formellement précisé ces différents points en conclusion de notre
discussion.
Vous aviez aussi apprécié que la majorité sénatoriale ait choisi, sur un texte
sensible pour la vie de la nation, d'engager un vrai débat, certes en
s'opposant souvent, mais sans jamais manifester une volonté d'obstruction ni
présenter de contre-projet global, opposé à celui qui était issu des travaux de
l'Assemblée nationale.
Force est de constater que ce temps et ces propos semblent aujourd'hui
révolus, oubliés, abandonnés. La preuve en est, comme l'a exposé notre
excellent rapporteur M. Henri Revol, à l'examen, le dispositif qui a été adopté
la semaine dernière par votre majorité plurielle dans des conditions ubuesques
et indignes du Parlement, conditions sur lesquelles je ne reviendrai pas.
Avant-hier déjà, lors de l'examen du texte par la commission mixte paritaire
chargée pourtant de trouver un accord satisfaisant pour tout le monde, vous
avez laissé le rapporteur de l'Assemblée nationale détruire pièce par pièce
l'ensemble du dispositif sur lequel nous avions trouvé un consensus.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Jacques Valade.
Hier encore, vous avez abandonné, renié votre position sur les 187 amendements
en question, soit en prenant le contre-pied radical des arguments que vous
aviez développés à l'époque devant nous, soit en adoptant une attitude ambiguë
ou pour le moins éloignée de celle que vous aviez préconisée ici même.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Jacques Valade.
Avec votre accord bienveillant, le
Journal officiel
en faisant foi,
votre majorité plurielle de l'Assemblée nationale a adopté, une nouvelle fois,
un dispositif timoré, confus et dogmatique.
Timoré, tout d'abord, votre majorité se contentant à nouveau de proposer un
dispositif qui inscrit dans le droit français tout ce qu'elle ne pouvait
refuser d'y inscrire, sauf à se mettre en infraction avec les règles établies
par l'Union européenne. Je pense ici, tout particulièrement, à une ouverture
a minima
du marché, celui-ci n'étant ouvert qu'à 25 %, alors que la
moyenne européenne est de 60 %, voire de 100 % dans la plupart des pays de
l'Europe du Nord. Cette démarche est de surcroît en contradiction avec
l'évolution actuelle concrète du marché.
Confus, ensuite, votre majorité plurielle introduisant, à nouveau, des clauses
sociales, souvent trop contraignantes dans la transcription d'un dispositif
relatif à l'organisation du marché de l'électricité, ou freinant la gestion
décentralisée du système électrique ou, enfin, verrouillant les productions
autonomes décentralisées.
Dogmatique, enfin, votre majorité plurielle refusant l'équilibre nécessaire,
sain et conforme à l'esprit de la directive européenne, entre les rôles de la
commission de régulation de l'électricité, la CRE, du gestionnaire du réseau de
transport, le GRT, de l'opérateur Electricité de France et des opérateurs
entrant sur le marché, ou niant la reconnaissance juridique de la fonction de
trading
tout en permettant cette activité pour EDF ou, enfin,
multipliant les contraintes sur les nouveaux entrants sur le marché. Tout cela
est défavorable aux intérêts des opérateurs, y compris à ceux d'EDF, et
exclusivement pour des raisons de politique politicienne.
A ce titre, le dispositif qui nous est proposé concernant l'article 13 relatif
aux statuts du gestionnaire du réseau de transport illustre parfaitement
l'attitude rétrograde de la majorité plurielle sur un sujet pourtant
fondamental au regard des intérêts de la France.
Influencé par cette majorité, vous avez balayé d'un revers de main, monsieur
le secrétaire d'Etat, un amendement qui avait été adopté à une très large
majorité par le Sénat et auquel vous étiez favorable sans le dire en vous
remettant à la sagesse de notre assemblée, le groupe socialiste vous ayant
suivi en s'abstenant.
De quoi s'agit-il ?
Je me permets de vous rappeler, monsieur le secrétaire d'Etat, comme je
l'avais fait en première lecture, que nous sommes là au coeur du nouveau
dispositif préconisé et imposé par la directive européenne.
Aux termes de son intitulé, le présent projet de loi est relatif à la
modernisation du service de l'électricité en France. Or, l'une des pièces
maîtresses de cette modernisation est l'appel très large à la concurrence,
c'est-à-dire non seulement la possibilité pour d'autres opérateurs que EDF
d'intervenir sur le plan national, mais également la nécessité pour la France
de laisser utiliser son réseau de transport, car il peut exister des
fournisseurs ou des clients extérieurs à notre pays.
De ce fait, le dispositif doit passer par un gestionnaire du réseau de
transport, avec toute la fiabilité que cela nécessite à la fois sur le plan
technique - c'est extrêmement compliqué - mais également sur le plan commercial
car, à l'évidence, on ne peut évoquer la concurrence sans exiger une parfaite
transparence et une totale neutralité du gestionnaire du réseau de
transport.
Comment organiser tout cela ? Sur le plan technique, je l'ai dit à l'époque
dans cet hémicycle, c'est compliqué. Depuis février 1999, EDF s'est mise en
situation d'assumer cette tâche, comme le Gouvernement le lui a demandé. Elle a
commencé à prendre cette nouvelle dimension, qui consiste à se doter d'un
dispatching
autonome au niveau national, visant non seulement à écouler
la production d'un opérateur, mais aussi à remplir toutes les fonctions que
j'évoquais.
Le travail est déjà bien amorcé, depuis notre dernier débat ici, tant sur le
plan opérationnel qu'en ce qui concerne la séparation des fonctions. Un
bâtiment a été construit ; le directeur de cet organisme a été nommé. Il s'agit
d'une véritable entreprise avec 200 collaborateurs autour du
dispatching
national. Si l'on agrège tous ceux qui gravitent autour d'eux, on arrive à une
masse critique d'environ 2 000 personnes, auxquelles il faut ajouter tous ceux
qui, en région, sont les relais de ce
dispatching
national. Il s'agit
donc d'une entité de 6 000 à 8 000 personnes.
Ce travail n'est toujours pas achevé et c'est la raison pour laquelle le Sénat
avait proposé et adopté une disposition qui instituait un organisme
gestionnaire du réseau public de transport, confié pour sa constitution et sa
mise en oeuvre à EDF. Je vous rappelle les termes de nos discussions, monsieur
le secrétaire d'Etat. D'autres projets avaient été formulés ici même - je parle
sous le contrôle de M. le rapporteur - et notre assemblée, dans sa majorité,
avait souhaité ne pas aller jusque-là car il fallait concilier les positions,
et nous y avions, je crois, largement contribué.
C'est par une approche par étapes que nous arriverons à cette fantastique
mutation que représente l'entrée de l'opérateur public dans le monde de la
concurrence, le président de la commission des affaires économiques, M. Jean
François-Poncet, l'avait rappelé après M. le rapporteur.
C'est la raison pour laquelle le Sénat avait également proposé et adopté une
disposition aux termes de laquelle, à l'issue d'une période probatoire d'une
année à compter de la promulgation de la présente loi, période probatoire dont
on pouvait discuter la durée, le Gouvernement, sur la base d'un rapport établi
par la commission de régulation de l'électricité - ainsi le dispositif était
bien utilisé - déposerait un projet de loi définissant un nouveau régime
juridique du gestionnaire du réseau de transport, et, monsieur le secrétaire
d'Etat, vous l'aviez accepté dans son principe.
Ce rapport aurait ainsi dressé le bilan du fonctionnement de ce gestionnaire
de réseau dans sa forme actuelle, aurait présenté - c'est ce que nous
demandions - l'évolution des structures juridiques des gestionnaires de réseau
dans les pays de l'Union européenne - nous ne sommes pas seuls au niveau de
l'Union - et, enfin, aurait émis des propositions sur l'évolution nécessaire du
statut juridique de ce GRT.
Cette disposition sage, fondée sur la double nécessité d'une rigoureuse
transparence et d'une stricte neutralité, a été ignorée, déniée et supprimée
par l'Assemblée nationale, avec votre accord, monsieur le secrétaire d'Etat.
Le pire, en l'occurrence, c'est qu'aucun débat n'a eu lieu sur ce sujet, ni au
sein de la commission de la production et des échanges de l'Assemblée
nationale, ni en séance. En la circonstance, la faiblesse et la frilosité l'ont
emporté sur l'intérêt général. Sur ce point aussi, monsieur le secrétaire
d'Etat, je vous demanderai d'expliquer votre nouvelle position, car le Sénat
doit vous entendre vous exprimer sur ce sujet.
Notre attitude à cet égard est cohérente. En effet, si le Sénat n'a pas
présenté une motion tendant à opposer la question préalable sur votre projet de
loi, comme il aurait pu légitimement le faire et ainsi que nous l'avions
d'ailleurs envisagé, c'est parce qu'il souhaite obtenir de votre part, monsieur
le secrétaire d'Etat, des explications sur chaque point.
Hier, déjà, préoccupé par sa majorité à la veille des élections européennes,
le Gouvernement avait repoussé une transposition prévue avant le 19 février
1999. Aujourd'hui, malgré une procédure d'infraction en cours contre la France,
lancée par Bruxelles, et la perspective de mesures de rétorsion de la part de
nombre de nos partenaires européens, le Gouvernement persiste et signe dans
cette voie. A la vérité, il s'agit, disons-le publiquement, d'un nouveau cadeau
au premier secrétaire du parti communiste, à la veille de son prochain
congrès,...
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Pierre Lefebvre.
Elucubration politicienne !
M. Jacques Valade.
... et ce sur le dos d'une entreprise publique performante et au mépris des
intérêts économiques de la France et de ses entreprises.
M. Alain Gournac.
C'est exact !
M. Pierre Lefebvre.
Oh là là !
M. Jacques Valade.
Le compromis proposé par le Sénat était pourtant nécessaire, d'abord au nom de
l'urgence, pour la France, de respecter ses engagements européens, ensuite,
parce que l'absence de transposition immédiate de la directive pénalise déjà
EDF, quels que soient les accords signés ici ou là, et les autres opérateurs
français en difficulté par rapport à leurs concurrents européens.
Par conséquent, le groupe du Rassemblement pour la République entend soutenir
la commission des affaires économiques et du Plan, qui rétablit le texte issu
des premiers travaux du Sénat, et ainsi, d'une part, assure l'indépendance
énergétique de la France et, d'autre part, permettre à toutes les entreprises
d'être en situation d'affronter la concurrence.
S'agissant du premier point, je souhaiterais rappeler les conditions de
l'indépendance énergétique de la France.
Cela passe par la diversification des approvisionnements, et tout d'abord,
compte tenu de nos ressources naturelles, par le maintien de notre excellence
et de notre avance technologique en matière nucléaire.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Philippe de Gaulle.
Voilà !
M. Jacques Valade.
Cela passe également par le développement d'une gestion plus rationnelle des
combustibles fossiles, par une bonne politique de maîtrise et d'économie de
l'énergie, par la définition d'une politique de transport moins énergivore,
respectant davantage l'environnement...
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jacques Valade.
... et, enfin, par une prise en compte plus globale et plus responsable du
développement local.
Toujours concernant le premier point, je souhaiterais revenir sur la
production décentralisée.
La décentralisation favorise la recherche de la meilleure utilisation des
énergies primaires et permet de susciter des opportunités, tant par la mise en
oeuvre de nouvelles technologies que par le développement des énergies
renouvelables.
Il importe donc, d'une part, de confirmer et de renforcer les compétences des
collectivités locales - notre collègue M. Bohl en a parlé tout à l'heure -
ainsi que les missions de service public qui leur incombent dans le domaine
énergétique et, d'autre part, d'inciter au regroupement des petites et moyennes
entreprises, actrices de ce développement local et créatrices d'emplois.
Enfin, les technologies nouvelles doivent être développées. Parmi celles-ci,
la cogénération, technique de production combinée d'énergie thermique et
d'électricité, doit être systématiquement encouragée.
La cogénération est conçue pour valoriser et redistribuer l'énergie et permet
d'optimiser tant les coûts d'installation que les rendements énergétiques.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous aurions pu ne pas reprendre notre
argumentation. Nous sommes pourtant obligés de le faire.
Pour conclure, je souhaiterais vous rappeler ceci : lors de l'élaboration de
la directive européenne - et cela vaut tant pour l'électricité que pour le gaz
- la France, largement contributaire sur ce dossier essentiel, a affirmé la
volonté - notre volonté - de rechercher la définition de règles qui
s'appliquent à tous les acteurs de manière transparente, non discriminatoire et
en fonction de critères objectifs.
Par conséquent, une seule question me vient à l'esprit, monsieur le secrétaire
d'Etat : allez-vous lever ou allez-vous maintenir les gages politiques donnés à
votre majorité plurielle sur ce projet de loi au détriment de l'intérêt de la
France, de ses entreprises, y compris d'EDF, de leur rayonnement européen et
international ?
Je souhaite que nous retrouvions ici, au Sénat, la modération et l'efficacité
qui furent les nôtres lors de la discussion de ce projet de loi en première
lecture. Nous avions alors apprécié votre sens de l'Etat, votre courage
politique. Nous souhaitons ici ne pas retrouver la déception qui est la nôtre
après la mauvaise semaine qu'a connue ce projet de loi à l'Assemblée nationale.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'échec de la commission mixte paritaire, le 18 novembre dernier, nous conduit
à examiner en nouvelle lecture le projet de loi de modernisation et de
développement du service public de l'électricité.
Cet échec était inéluctable, reconnaissons-le,...
M. Henri Weber.
Eh oui !
M. Pierre Lefebvre.
... compte tenu des différences qui séparaient les textes issus des deux
chambres et des conceptions que nous nous faisons les uns et les autres du
service public : qu'il s'agisse du rôle conféré à la commission de régulation,
du statut du GRT, du négoce, des seuils d'installation de production, de
l'ouverture du marché, nos approches étaient, à l'évidence, par trop
divergentes pour aboutir à un accord de quelque nature que ce soit.
Certains propos entendus ici ou là fustigent le caractère prétendument
idéologique du projet de loi adopté par les députés.
Cette affirmation est exacte ! En effet, il n'aura échappé à personne qu'il
s'agit bien là d'un débat politique, de l'affrontement de deux conceptions -
et, après avoir écouté M. Valade, on en est encore plus persuadé - et de la
défense d'un projet libéral qui organise, dans des conditions que certains
d'entre vous contestent, d'ailleurs, l'ouverture à la concurrence du marché de
l'électricité.
Cette idéologie, c'est celle que je combats avec mes amis depuis toujours :
c'est celle du libéralisme ! Quant à vous, monsieur Valade, vous devriez
essayer de trouver d'autres arguments moins bas que celui de l'organisation du
trentième congrès du parti communiste français !
M. Alain Gournac.
C'est pourtant la vérité !
M. Jacques Valade.
Oui, c'est la vérité !
M. Pierre Lefebvre.
Menez un débat politique, monsieur Valade, et quittez ce débat politicien qui
ne vous honore pas.
En outre, on entend également ici ou là que ce texte donnerait entière
satisfaction aux communistes. Or, chacun l'aura remarqué, aucun suffrage
communiste ne s'est exprimé en faveur de son adoption ! Pour trouver grâce à
nos yeux, ce projet aurait dû préserver, rénover, démocratiser le monopole de
l'opérateur historique, EDF, au lieu de le mettre en cause.
Enfin, l'organisation de cette nouvelle lecture, que notre groupe souhaitait,
près d'un an après le premier examen de ce texte au Palais-Bourbon, montre que,
contrairement à ce que d'aucuns prétendaient non sans arrière-pensées, la
stratégie d'EDF à l'international n'a subi aucun préjudice, et l'échec de la
commission mixte paritaire n'aura fait que retarder le vote de cette loi de
quelques semaines seulement.
Ainsi, les multiples pressions qui se sont exercées sur la majorité
gouvernementale, les multiples tentatives pour nous faire porter la
responsabilité du retard de la France ont été vaines.
Est-ce une ironie du sort ? Cette nouvelle lecture intervient quelques jours
seulement après que notre réseau électrique a été sérieusement endommagé par
les tempêtes.
Est-ce une ironie du sort, ou bien plutôt une mise en garde, un rappel à
l'ordre pour tous ceux qui, bien que vantant les mérites de la libéralisation,
aspirent en fait à la désintégration de l'entreprise EDF et s'acharnent à
mettre en cause le statut des personnels ?
Pourtant, chacun peut le reconnaître, le service public de l'électricité a su
montrer, au cours de ces dernières semaines, toute sa compétence, son
efficacité et sa capacité à réagir dans les meilleurs délais pour rétablir le
courant dans les 3,4 millions de foyers privés d'électricité.
Je veux ici, après d'autres, souligner les efforts de tous et l'esprit qui a
animé l'ensemble de l'entreprise EDF. Que tous en soient remerciés et félicités
!
Mes chers collègues, posons-nous la question : des entreprises privées
auraient-elles rempli ce rôle avec la même efficacité et la même volonté de
servir l'intérêt général, quitte à mettre fin à leurs congés pour certains
salariés ou à interrompre leur retraite pour d'autres ?
Une entreprise privée n'aurait-elle pas, dans les mêmes conditions, privilégié
la logique du client sur celle de l'usager ?
De même, cette tempête, dont nous n'avons pas fini de tirer les leçons,
justifie pleinement la structure intégrée et centralisée d'EDF.
Imaginons-nous dans un système éclaté « à l'anglaise » : nous aurions assisté
à une dilution des responsabilités et au souci, pour les privés, de préserver
avant tout les intérêts des actionnaires.
Ensuite, mes chers collègues, ces événements de la fin décembre montrent à
quel point l'électricité n'est pas un bien comme les autres et ne peut donc
être traitée comme une simple marchandise qui se négocie, se vend, s'achète au
gré des aléas du marché.
Chacun de nous a pu entendre les témoignages de ces personnes qui ont vécu
sans électricité pendant près de quatre semaines : il s'est agi pour elles d'un
véritable traumatisme, à tel point que certaines se considéraient comme «
abandonnées » par le reste de la société. Aussi, le retour de la fée
électricité dans ces centaines de milliers de foyers est apparu comme un retour
à la vie sociale, et même à la vie tout court.
C'est la preuve que, dans nos sociétés modernes, l'électricité est au coeur
des activités humaines, sociales et économiques.
Aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, je suis profondément inquiet lorsque
j'imagine notre pays dans quelques années, lorsque la concurrence sera la
règle, lorsque le monopole d'EDF ne sera plus qu'un souvenir, dans l'hypothèse
où des événements semblables se répéteraient.
J'en profite pour vous interroger, monsieur le secrétaire d'Etat, sur le
financement des réparations. Si EDF dispose, il est vrai, d'une marge
bénéficiaire relativement confortable, l'Etat, actionnaire unique, peut-il pour
autant déroger à ses devoirs ?
Notre groupe propose que, sans pour autant remettre en cause l'obligation de
rachat par EDF de l'électricité produite pour des productions privées - cela
lui coûte chaque année 4 milliards de francs - il soit sérieusement envisagé
une réduction du prix d'achat, notamment aux cogénérateurs, afin d'alléger la
facture pour EDF, ce qui profitera à l'ensemble des usagers et cessera de
profiter à des privés compétitifs qui sont indûment subventionnés aujourd'hui
par le secteur public.
Enfin, les gros producteurs privés doivent-ils pour autant être mis à l'écart
de l'effort de reconstruction du réseau ? Le débat n'est pas tranché, mais il
met en lumière une contradiction fondamentale de ce projet de loi : EDF doit
supporter une charge qui lui incombe directement, mais, dans le même temps,
l'entreprise se trouve pénalisée par rapport à ses principaux concurrents.
C'est pourquoi certains estiment que la logique de concurrence doit primer sur
la logique de service public, tandis que d'autres, au contraire, pensent que
ces deux logiques peuvent cohabiter, voire s'entretenir. Ce n'est pas notre cas
! En effet, l'expérience d'autres secteurs montre que, le plus souvent, les
missions de service public sont délaisées, voire sacrifiées, pour forger les
armes qui doivent servir à mener au mieux la guerre des prix.
Notre conception est tout autre. Parce que l'électricité est un bien
particulier, parce que notre terroire a besoin d'un maillage adapté à la
densité de sa population, parce que l'usager doit être traité en citoyen, nous
pensons que le monopole public continue de se justifier aujourd'hui plus que
jamais après les événements que nous venons de vivre.
En fin de compte, bien que semblable au texte issu de la première lecture -
malgré quelques reculs portant sur les facilités d'installation des
autoproducteurs ainsi que sur le droit pour EDF de dénoncer ses contrats avec
les opérateurs privés - ce projet de loi ne peut en aucun cas nous satisfaire,
car il porte atteinte à la maîtrise publique de ce secteur, à notre
indépendance énergétique.
Aussi, je regrette que l'importance exceptionnelle des événements récents
n'ait pas permis d'en améliorer le contenu. Cependant, je souhaite que l'idée
du service public à la française progresse en France, mais aussi en Europe,
dans l'Europe que nous, les communistes, nous voulons.
Les communistes, soyez-en sûrs, agiront en ce sens aux côtés des salariés et
des usagers.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Besson.
M. Jean Besson.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous sommes appelés à examiner en deuxième lecture ce projet de loi qui exprime
avec force la volonté du Gouvernement d'inscrire notre future organisation
électrique dans le cadre d'une conception renouvelée du service public à la
française. Je me réjouis, monsieur le secrétaire d'Etat, de la détermination du
Gouvernement et de votre ténacité personnelle à préserver ces fondements
essentiels, tout en assumant les contraintes du calendrier.
Comme mon collègue Henri Weber et moi-même l'avons largement développé en
première lecture, ce projet concilie les nécessaires impératifs de
compétitivité dans la qualité et le prix de la fourniture et l'affirmation des
spécificités inhérentes à un service public universel.
La grande entreprise Electricité de France demeure au coeur même de ce
dispositif.
L'Assemblée nationale a réaffirmé son attachement à ces principes en deuxième
lecture.
Comme vous le savez, avec d'autres collègues de toutes sensibilités, je veille
avec une attention toute particulière aux prérogatives des collectivités
territoriales, autorités concédantes des réseaux de distribution publique. Le
projet de loi affirme ce rôle et reconnaît à nos collectivités les moyens
nécessaires à l'exercice de leur mission de contrôle.
M. Jacques Valade.
Très bien !
M. Jean Besson.
Nos collègues députés ont légèrement modifié certains éléments rédactionnels,
en particulier aux articles 11, 17 et 23. Sur ce point, le texte amendé par le
Sénat me paraissait plus clair, mais l'esprit demeure. C'est bien là
l'essentiel.
L'Assemblée nationale a également adopté un important amendement à l'article
21, parfaitement de circonstance puisqu'il vise à accélérer la procédure de
reconstruction des réseaux de transport et de distribution à la suite des
tempêtes exceptionnelles de décembre 1999.
Le dispositif proposé par cet article me paraît bon. Il prévoit la mise en
place d'une commission locale de concertation auprès du préfet, qui sera
consultée sur cette procédure accélérée. Je présenterai néanmoins un amendement
de précision portant sur la composition de la commission. Je ne doute pas,
monsieur le secrétaire d'Etat, que vous veillerez à ce que les autorités
concédantes soient représentées, mais les choses vont mieux en les disant, ou
plutôt en les écrivant. D'où cet amendement.
Je tiens, avec mes collègues du groupe socialiste, à saluer l'action d'EDF et
des entreprises du secteur électrique, qui ont mobilisé des moyens humains et
matériels exceptionnels pour rétablir le plus rapidement possible l'électricité
dans les foyers.
Je veux rendre un hommage particulier à la conscience professionnelle des «
lignards » du service public et du secteur privé, qui, avec courage, ont
travaillé dans des conditions particulièrement difficiles, s'accordant de
courts instants de répit et prenant bien des risques.
Sur le terrain, des milliers d'élus locaux ont également participé de manière
très active à cet effort collectif, assurant le lien indispensable entre les
populations sinistrées et les équipes d'intervention.
La fédération nationale des collectivités concédantes et des régies a lancé
une enquête auprès de ses collectivités adhérentes afin de dresser un bilan des
dégâts, particulièrement importants, qui ont affecté les réseaux de
distribution d'électricité. Ce bilan permettra de réfléchir aux solutions
opérationnelles à mettre en oeuvre pour l'avenir : renforcement mécanique des
ouvrages, enfouissement des lignes, production locale d'électricité, maillage
territorial des équipes de dépannage, meilleure efficience des cellules de
crise et des plans d'urgence, etc.
Si un premier enseignement doit d'ores et déjà être tiré de ces événements
récents, c'est bien la nécessité d'accentuer la politique d'enfouissement des
réseaux électriques locaux en France, compte tenu du retard pris dans ce
domaine par rapport à d'autres pays européens. La mise en souterrain des lignes
a pour avantage de les rendre beaucoup plus sûres, tout en permettant d'accéder
à des exigences d'ordre esthétique auxquelles nos concitoyens sont
particulièrement attachés.
C'est d'ailleurs la raison qui a conduit les collectivités locales à
s'orienter dans cette voie ces dernières années. Elles ont investi pour
augmenter la part en souterrain des réseaux de distribution, avec l'aide
financière nationale du fonds d'amortissement des charges d'électrification, le
FACE. Les récentes intempéries mettent aujourd'hui en évidence l'impérieuse
nécessité de renforcer significativement ces moyens.
Je suis heureux de noter, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous avez décidé,
en décembre dernier, d'augmenter le taux de subventionnement de l'enfouissement
de 50 % à 65 %, ce qui va dans le bon sens.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Avant la tempête !
M. Jean Besson.
C'est vrai !
En outre, afin de répondre aux attentes légitimes de la population en matière
de sûreté, il convient de revoir à la hausse les clauses actuelles des contrats
de concession passés entre les collectivités locales et EDF concernant la mise
en souterrain des réseaux aux frais de cet opérateur.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, ces intempéries ont bien mis en évidence à la fois l'importance de
l'électricité dans notre société, dans l'activité économique comme dans la vie
quotidienne de chacun, et la fragilité d'un dispositif qui, malgré
l'intelligence de l'homme, reste étroitement tributaire des éléments naturels.
Nous avons là une preuve, dont le pays se serait bien passé, que l'électricité
n'est pas une marchandise comme une autre. En définitive, c'est bien cette
philosophie qui inspire ce projet de loi.
Aussi, avec mon groupe, le groupe socialiste, nous l'adopterons, dans sa
rédaction issue de l'Assemblée nationale, avec la conviction qu'il répond
parfaitement aux enjeux du futur.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
veux d'abord revenir brièvement sur les conséquences préjudiciables de l'échec
de la commission mixte paritaire.
Nous étions parvenus à une issue raisonnable et acceptable par les principaux
acteurs du marché de l'électricité de demain. Mais des considérations autres
ont remis en cause un long processus de négociation auquel le Sénat, son
rapporteur et vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, aviez contribué.
Il est vraiment dommage que, sur un sujet relativement technique, les deux
assemblées n'aient pu arriver à un accord qui semblait possible. Je le répète,
le Sénat et sa majorité avaient préalablement fait un pas en direction des
députés, en limitant le nombre des amendements à quelques sujets prioritaires,
en particulier le statut du gestionnaire du réseau de transport, le GRT, et le
négoce.
A présent, la principale conséquence de l'échec de la CMP est, évidemment, le
nouveau retard pris par la France dans la transposition de la directive.
Incontestablement, ce retard nuit aux acteurs français du secteur, producteurs
ou grands consommateurs, en gênant leur positionnement immédiat dans un marché
européen en pleine évolution.
Je pense, en particulier, à Electricité de France, dont le développement sur
le plan international est bridé, pour le moment, par la non-transposition de
cette directive. Un pays comme les Pays-Bas a annoncé des mesures de rétorsion
à l'égard de la France. Rappelons que EDF espère réaliser d'ici à 2005 au moins
30 % à 35 % de son activité à l'étranger. A l'heure actuelle, ce développement
à l'international est manifestement contrarié par la majorité de l'Assemblée
nationale.
Il y a, semble-t-il, un décalage croissant entre une entreprise nationale qui
ne cache pas des ambitions tout à fait justifiées sur le plan européen, et que
nous soutenons, et une situation juridique surréaliste, résultat de calculs
politiciens. EDF a besoin, d'urgence, d'une législation claire afin d'affronter
le marché sans handicap et pour ne pas paraître suspecte.
Malheureusement, des mois précieux sont donc perdus à un moment crucial pour
le secteur électrique français, alors que le processus de libéralisation du
marché a connu une formidable accélération dans les pays européens ces derniers
mois, voire ces dernières semaines.
Pour en revenir au texte qui nous est soumis, et qui n'a plus grand-chose à
voir avec celui qu'a voté le Sénat en octobre dernier, il ne peut pas nous
satisfaire.
S'agissant du
trading,
en faisant dépendre les possibilités
commerciales de la capacité de production sur le sol national, le projet crée
une distorsion de concurrence qui risque d'être une source de contentieux et
qui, par ailleurs, crée une incitation à la délocalisation des grossistes, qui
iront s'installer à l'étranger, d'où ils pourront distribuer de l'électricité
sur l'ensemble de nos réseaux.
En outre, une véritable libéralisation nécessite une indépendance du
gestionnaire du réseau. Alors que le projet de loi prévoit de confier la
gestion du réseau de transport à l'opérateur public, le conseil de la
concurrence, dans son avis d'avril 1998, estimait que seule l'organisation
autour d'un établissement distinct d'EDF serait de nature à assurer une
concurrence non faussée.
Selon le groupe parlementaire auquel j'appartiens, la meilleure garantie
d'indépendance du GRT passe par sa filialisation. Pour permettre l'accès du
réseau aux opérateurs privés, il est essentiel de dissocier les trois fonctions
d'EDF que sont la production, le transport et, bien sûr, la distribution. La
filialisation de l'activité, transport est la seule manière d'assurer
l'indispensable indépendance du gestionnaire.
Dans ces conditions, l'intégrité de l'entreprise, de même que le statut du
personnel, ne seraient pas remis en cause, dans la mesure où 100 % du capital
resterait, bien sûr, sous son contrôle. Tel était l'objet d'un des amendements
de mon groupe, plus précisément de notre président, Jean Arthuis, en octobre
dernier.
On ne peut que déplorer, là encore, le conservatisme de l'Assemblée nationale,
qui se refuse à envisager une quelconque évolution du statut du GRT, et ce en
contradiction avec la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union
européenne.
Quant à la commission de régulation, il paraît tout à fait primordial qu'elle
soit indépendante et impartiale. Le régulateur doit être, selon nous, le garant
de l'équilibre du système. Comme le propose M. le rapporteur de la commission
des affaires économiques, nous souhaitons que soit créée une autorité de
régulation indépendante à la fois des opérateurs et de l'administration mais
liée à l'Etat. A cet égard, l'exemple de l'Autorité de régulation des
télécommunications, l'ART, doit utilement guider notre travail.
Par ailleurs, au-delà de cette condition d'indépendance, le régulateur doit
faire preuve de plusieurs qualités. Il doit, d'abord, être puissant, compte
tenu de l'importance du marché qu'il est chargé de réguler. Il doit, ensuite,
être flexible afin de suivre les évolutions d'un marché en permanente mutation.
Enfin, il doit faire preuve de cohérence.
En matière sociale, mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même
avions souhaité, lors de la première lecture, prendre deux initiatives. La
première concernait l'extension aux nouveaux entrants du statut des personnels
des industries électriques et gazières. L'article 43, même s'il est aujourd'hui
définitivement adopté, nous semble contraire au droit communautaire et au
principe constitutionnel d'égalité devant la loi.
En outre, il nous paraissait indispensable d'améliorer la transparence de la
gestion du régime de retraite des agents d'EDF. La Cour des comptes a déjà
appelé à plusieurs reprises - j'y insiste, monsieur le secrétaire d'Etat -
l'attention des dirigeants de certaines entreprises publiques, et notamment
d'EDF, sur l'urgence qu'il y a à mentionner, de manière précise et complète,
les engagements de retraites de leur personnel.
Une entreprise comme EDF devra faire face à des charges futures très élevées
qu'il convient d'évaluer et de prendre en considération dans les états
comptables et financiers. A ce jour, elle présente des informations
parcellaires sur ces questions, en parfaite contradiction avec les règles du
code du commerce. Et comme le constate très justement notre rapporteur, ce
problème des retraites est totalement absent du texte voté à l'Assemblée
nationale, alors qu'ils nous semble que Gaz de France, de son côté, provisionne
pour les retraites de façon substantielle.
Avant de conclure mon propos, je veux insister sur l'importance qu'il y a à
faciliter l'exercice des missions dévolues aux collectivités locales
responsables du service public de la distribution. Il me semble juste d'aligner
la procédure d'autorisation des installations de production des collectivités
territoriales sur le droit commun. Il m'apparaît également souhaitable de
revoir les modalités de rétribution de ces collectivités par leur
concessionnaire pour l'occupation du domaine public. Comme l'a souligné M. le
rapporteur, le prix des redevances n'a pas été révisé depuis plus de quarante
ans. Il est temps de le faire.
L'industrie électrique française a devant elle des opportunités que le
Gouvernement ne cesse de différer, opportunités qui sont offertes à EDF, aux
clients éligibles et aux clients non éligibles. Ces derniers, et plus
particulièrement les petites et moyennes entreprises, n'ont pas encore réalisé
l'importance des changements en cours, car vous ne les avez pas, monsieur le
secrétaire d'Etat, suffisamment sensibilisés et informés. Pendant ce temps,
leurs concurrents européens expérimentent déjà les nombreuses manières de
négocier l'électricité. Qu'on le veuille ou non, même si la France y est
opposée, le négoce s'installera en Europe.
Il aurait fallu transposer la directive Electricité avec lucidité et réalisme.
Votre majorité a choisi à votre place. Pour des raisons politiques, monsieur le
secrétaire d'Etat, vous avez opté pour une transposition bien timide. En
imaginant que notre pays pourra se contenter de quelques modestes aménagements,
vous avez sous-estimé la réalité de la concurrence mondiale actuelle et à
venir. Il s'agit d'un manque total de détermination, qui jouera rapidement au
détriment de l'opérateur public et, en définitive, de l'intérêt national.
Ces propos valent également pour la future transposition de la directive
concernant le marché intérieur du gaz naturel. Les exigences et les objectifs
sont les mêmes. J'expose ici avec force mes craintes de vous voir commettre, à
cette occasion, les mêmes erreurs.
Mes collègues et moi-même voterons le rétablissement du texte du Sénat,
convaincus qu'il est le garant de l'avenir du premier électricien mondial
qu'est aujourd'hui EDF. Il appartiendra à l'Assemblée nationale de prendre ses
responsabilités lorsqu'elle devra trancher en ultime lecture.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
C'est avec beaucoup d'attention que j'ai écouté les
excellentes interventions de M. le rapporteur et des divers intervenants. Je
veux, très brièvement - la clarté, la profondeur et la bonne qualité du débat
en première lecture me le permettent - répondre à quelques-uns des arguments
qu'ils ont avancés.
On peut certes regretter, comme M. Hérisson vient de le faire, que la
commission mixte paritaire - j'y reviendrai - n'ait pas abouti.
D'emblée - ce sera le premier point d'une intervention courte qui en
comprendra trois - je veux indiquer à M. Valade, pour le rassurer, que je n'ai
pas changé, comme le dit la chanson, d'orientation sur le fond.
Je le remercie de la courtoisie de ses propos ; elle lui est habituelle.
Je lui sais gré, également, d'avoir souligné l'ouverture d'esprit du
Gouvernement à cette tribune et dans le débat. Nombreux, il est vrai, sont ceux
qui, au sein de la majorité sénatoriale comme de la majorité de l'Assemblée
nationale ou du Gouvernement, partagent un certain sens de l'Etat et une
certaine idée de la chose publique.
J'ai toujours dit, et je le répète ici, que, dans la procédure législative -
la discussion sur le projet de loi de modernisation et de développement du
service public de l'électricité le prouve - le Sénat jouait un rôle
important.
J'ai également dit, à la fin du débat de la première lecture - je l'ai rappelé
il y a quelques instants à la tribune - que nous nous faisions une haute idée
de la qualité de l'apport positif du Sénat. Actuellement, dix-sept articles ont
été votés conformes par l'Assemblée nationale sur la base du texte sénatorial.
Comme sur trois articles - j'espère ne pas me tromper dans ce décompte que
j'effectue rapidement - aucun amendement n'a été déposé par la Haute Assemblée,
au moins vingt articles, en fin de débat, seront issus du travail législatif du
Sénat.
Voilà qui démontre que celui-ci a joué, dans ce projet de loi en particulier,
tout le rôle qui est et qui doit être, à mes yeux, le sien.
Mais il est vrai, monsieur Valade, que je ne suis pas responsable de
l'évolution du débat telle qu'elle est régie par les deuxième et troisième
alinéas de l'article 45 de la Constitution et telle que l'Assemblée nationale
l'a souhaitée. En tant que membre du Gouvernement, je suis bien évidemment
solidaire des prises de position de fond de la majorité qui soutient le
Gouvernement, qu'elle s'exprime au Sénat - elle l'a excellemment fait tout à
l'heure par les voix de MM. Weber et Besson - ou à l'Assemblée nationale par la
voix de la majorité plurielle.
Je précise aussi à MM. Valade et Revol que le rôle du Gouvernement consiste à
favoriser les évolutions qui laissent ouvertes les opportunités pour les deux
chambres de parvenir à un accord. Bien évidemment, les deux chambres en
commission mixte paritaire sont soumises à deux contraintes : d'une part, elles
doivent souhaiter parvenir à un accord - je pense que tel était naturellement
le cas - et, d'autre part, celui-ci doit pouvoir se conclure sur des bases
politiques cohérentes avec les options politiques traduites par le projet de
loi. Or je constate que les représentants de l'Assemblée nationale à la
commission mixte paritaire ont estimé que le texte issu de la Haute Assemblée
n'était pas conforme à ces options. D'ailleurs, ce n'était pas vraiment une
découverte : je l'avais moi-même indiqué à cette tribune à la fin du débat de
première lecture en relevant les points de fond sur lesquels il y avait
désaccord.
Je répondrai maintenant aux différentes objections soulevées tant par M. le
rapporteur que par MM. Valade et Hérisson.
S'agissant de la procédure d'urgence, M. le Premier ministre ne l'a utilisée,
depuis le début de la législature, que vingt fois, alors qu'en moins de deux
ans son prédécesseur y a eu recours à vingt-deux reprises et le prédécesseur de
celui-ci vingt-huit fois. Le Gouvernement n'abuse donc pas de la procédure
d'urgence, bien au contraire, encore que la Constitution laisse toute latitude
au Gouvernement, s'il le souhaite, de déclarer l'urgence.
Le Gouvernement a utilisé la procédure d'urgence afin de transposer la
directive de la façon la plus rapide, la plus claire et la plus déterminée qui
soit.
M. Jacques Valade.
C'est normal !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
La France souhaite, et je m'adresse à nos partenaires
de l'Union européenne, aller encore plus vite désormais pour que, dans quelques
jours, le Président de la République puisse ratifier et apposer son seing sur
un texte qui aura en effet demandé beaucoup de discussions et de débats, mais
dont il convient maintenant qu'il entre enfin dans le droit positif
français.
Quant aux délais, depuis votre première lecture de ce texte au mois d'octobre,
chacun le sait, le rapporteur mieux que tout autre, ils résultent des débats
budgétaires qui, aux termes encore de la Constitution, retiennent l'attention
des deux assemblées en octobre, en novembre et en décembre. Dès la reprise des
travaux parlementaires, le 18 janvier dernier, ce texte a été inscrit à l'ordre
du jour de l'Assemblée nationale.
Nul ne peut donc reprocher à l'Assemblée nationale, au Gouvernement ou au
Sénat, bien sûr, ces délais inhérents au mode de discussion et d'élaboration de
la loi en France, et ce aux termes de notre Constitution. Je réponds ainsi aux
objections européennes évoquées par M. Hérisson voilà un instant, à juste
titre.
Ma réponse est ferme : la France, c'est-à-dire le Gouvernement et le
Parlement, ont toujours souhaité transposer le plus vite possible la
directive.
Je reviens maintenant sur les trois points de désaccord que j'avais, monsieur
Valade, relevés - je le dis en toute objectivité et je vous renvoie au compte
rendu des débats du
Journal officiel -...
M. Jacques Valade.
Trois points d'espoir !
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
... sans agressivité, selon ma pratique personnelle,
avec clarté, je l'espère, et avec fermeté, car je représente ici un
Gouvernement qui, dans ce débat, a une ligne politique, une conviction et une
détermination.
Quelles sont-elles ?
Nous ne voulons pas accroître le rôle de la CRE au détriment de la
responsabilité des organes de l'Etat qui sont désignés pour assumer la
définition et la mise en oeuvre d'une politique énergétique ; M. Lefebvre l'a
redit tout à l'heure, il a raison. C'est le Gouvernement qui détermine la
politique énergétique de l'Etat, c'est notre conception de l'Etat. Je crois
d'ailleurs que d'autres membres de la majorité plurielle qui siègent au Sénat
partagent cette conception. Ils seraient bien avisés de suivre le Gouvernement
quand il joue le rôle qui lui revient naturellement sous le contrôle
démocratique du Parlement.
Nous voulons, monsieur Hérisson, non pas une copie de l'ART ni accroître le
rôle de la CRE, mais simplement élaborer un texte qui laisse toute sa place à
la directive, mais rien que sa place, dans l'organisation de notre droit.
Voilà, pour le rôle de la CRE, premier point de désaccord fondamental.
S'agissant de l'encadrement de l'achat pour la revente d'électricité, je m'en
suis déjà largement expliqué ici. M. Lefebvre avait développé en première
lecture des arguments fort sensés. Nous voulons à la fois permettre cet achat
pour la revente et l'encadrer dans des conditions qui découragent - je crois
que c'était le mot que vous aviez employé en première lecture, monsieur le
sénateur - la spéculation et les aspects financiers trop marqués de ce qui doit
rester un fondement industriel à notre réflexion.
Enfin, s'agissant de l'intégration du GRT à EDF, dans le cadre de la lettre et
de l'esprit de la directive, et après vérification à Bruxelles que cette
orientation n'était pas contraire aux voeux des rédacteurs de la directive,
nous voulons maintenir un degré d'individualisation suffisant du GRT au sein
d'EDF, mais ne pas séparer le gestionnaire du réseau de transport de
l'opérateur historique, et ce dans des conditions qui ont été améliorées par le
Parlement et qui permettront une individualisation saine, objective, sans
confusion avec les intérêts de l'opérateur historique.
Ayant rappelé ces trois points de désaccord, je tiens à remercier les
sénateurs qui, exprimant l'opinion de la majorité plurielle, minorité au sein
de la Haute Assemblée, MM. Weber, Besson, et très largement M. Lefebvre, si
j'ai bien compris, ont reconnu la dynamique politique d'un texte auquel le
Gouvernement est attaché et qui ont permis, messieurs Valade, Bohl, Hérisson,
monsieur le rapporteur, de mieux éclairer encore, par la voie du dialogue
républicain et courtois, les termes d'une opposition réelle et sincère aux
conceptions politiques de la majorité du Sénat. Ce ne sont pas celles du
Gouvernement, ce ne sont pas non plus celles de la majorité de l'Assemblée
nationale, comme j'ai pu le constater.
Par conséquent, le débat peut maintenant s'ouvrir. Il a été démocratique,
approfondi et sérieux. Je tiens encore à vous en remercier. Mais il n'en est
pas moins clair qu'il existe une opposition résolue entre la dynamique d'un
texte présenté par le Gouvernement et celle que souhaite voir adoptée la Haute
Assemblée.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Henri Revol,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol,
rapporteur.
Monsieur le secrétaire d'Etat, parmi les trois points que
vous avez cités tout à l'heure figure un élément de désaccord supplémentaire,
le GRT.
Or, en fin de première lecture, monsieur le secrétaire d'Etat, vous n'aviez
pas mentionné le GRT dans la liste des points de désaccords fondamentaux qui
vous opposent à la Haute Assemblée. Il y avait accord sur ce point.
M. Jacques Valade.
Absolument ! M. le rapporteur a raison.
M. Ladislas Poniatowski.
Je demande la parole pour répondre au Gouvernement.
M. le président.
La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski.
Notre groupe n'avait pas d'orateur inscrit dans la discussion générale, mais
il est vrai qu'il est fortement représenté par M. le rapporteur. Notre groupe
soutient totalement les positions et se réjouit qu'il propose de rétablir le
texte adopté par le Sénat en première lecture.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez, comme l'ensemble des orateurs, rendu
hommage au comportement des agents d'EDF et de ceux qui les ont aidés, au
lendemain de la tempête, et donc rendu hommage à la mission de service public
d'EDF - je dis bien « mission » et non pas « statut », car cela n'a rien à
voir.
Vous vous êtes bien sûr réjoui de l'introduction de l'article 21 par
l'Assemblée nationale, que notre commission a d'ailleurs adopté avec très peu
de modifications.
Monsieur le secrétaire d'Etat, EDF doit tirer une leçon de cette tempête, car
il faut savoir qu'elle a été au bord de la catastrophe. Au soir non pas de la
première mais de la seconde tempête, celle du 28 décembre, le réseau de
distribution d'EDF était sur le point de lâcher. L'interconnexion entre le nord
et le sud de la France n'a pas fonctionné et nous avons failli connaître une
panne générale : on a pu mesurer ce jour-là les insuffisances du réseau de
distribution d'électricité.
D'ailleurs, ce n'était pas une nouveauté. Les dirigeants d'EDF ont toujours
été conscients de cette insuffisance et savent très bien que, depuis trente
ans, la priorité a porté sur la production d'électricité et la construction de
centrales. L'effort consenti pour la distribution et le réseau est toujours
venu derrière et il est insuffisant.
Le hasard a fait que, cinq jours avant cette tempête, M. Roussely, le P-DG
d'EDF, a lui-même annoncé, pour la première fois, des dépenses d'investissement
sur le réseau. Il ne s'agissait pas de dépenses d'entretien - EDF y consacre
près de 12 milliards de francs par an mais de dépenses affectées à la
rénovation du réseau. Pour la première fois, elle a inscrit un crédit de 250
millions de francs à ce titre - somme modeste au regard de ce qui s'est passé
au cours de la tempête - ce qui est la preuve qu'EDF est très consciente de ce
problème.
A l'aube de l'ouverture du marché européen de l'électricité, au lendemain de
l'adoption de notre texte, je vous rappelle que la directive, comme la loi qui
sera adoptée, prévoit qu'EDF doit être dans la capacité de distribuer de
manière qualitative de l'électricité à ses clients et, bien entendu, aux
clients de ses futurs concurrents. Les récents événements montrent qu'elle n'en
est pas capable.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je me permets d'attirer votre attention car, à
l'insuffisance de capacité de distribution, correspond aujourd'hui une
insuffisance de réflexion sur ce que nous allons devoir faire et sur ce que EDF
devra faire demain.
J'aurais aimé une réflexion complémentaire dans trois domaines. C'est très
bien de réparer et de reconstruire mais, si EDF reconstruit à l'identique, ce
qui est le risque, compte tenu de l'urgence, il se passera la même chose
demain. Nous savons très bien qu'il faut reconstruire en renforçant la solidité
du réseau, ou en enterrant les lignes, ce qui est aujourd'hui le cas de 80 % ou
90 % des nouvelles lignes de basse et moyenne tension. Mais la masse du réseau
basse et moyenne tension, ancien, est toujours aérien. Les nouvelles lignes de
haute tension sont dorénavant, à environ 25 %, enfouies, c'est-à-dire que
toutes les anciennes lignes haute tension sont aériennes et beaucoup de
nouvelles lignes haute tension restent aériennes. Quant aux lignes très haute
tension - vous le savez tous, vous connaissez parfaitement le sujet - nous ne
savons pas, techniquement, les enterrer et nous ne saurons pas le faire avant
au moins dix ou vingt ans, me semble-t-il. En outre, le coût est tel que je
crains que nous ne le fassions jamais.
Par conséquent, monsieur le secrétaire d'Etat, il est urgent d'accélérer la
réflexion en matière de recherche dans le secteur.
Il est un deuxième domaine sur lequel il faudra réfléchir : celui de la
réassurance.
Selon les chiffres qui ont été publiés dans la presse, le coût à la fois des
réparations et de fabrication de nouvelles lignes haute tension oscille entre
15 milliards et 20 milliards de francs.
Tant qu'EDF était une société nationale, il était logique qu'elle soit son
propre réassureur. Mais, demain, EDF devra assumer sa mission de service public
et, dans le même temps, être une entreprise comme toute entreprise privée. Dès
lors, il ne serait pas logique qu'EDF ne se comporte pas comme une entreprise
classique et qu'elle ne réfléchisse pas à son système de réassurance. A mon
avis, elle devra s'assurer auprès de compagnies d'assurances.
Le troisième et dernier domaine sur lequel il faudra réfléchir concerne la
rupture de l'interconnexion, monsieur le secrétaire d'Etat.
Vous savez très bien que va s'engager assez vite le débat sur la
reconstruction de nos centrales nucléaires, notamment les premières, celles qui
seront obsolètes entre 2015 et 2020. A l'aube d'un fort développement des
unités de production, notamment des centrales de cogénération, de nouveaux
types d'énergie, il convient de mener une réflexion plus approfondie sur
l'ensemble de notre réseau de production d'électricité en même temps que sur
notre réseau de distribution.
Voilà les différents points sur lesquels j'aurais aimé avoir votre avis,
monsieur le secrétaire d'Etat.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat.
Sans allonger le débat, afin de ne pas retarder le
moment où la Haute Assemblée passera à l'examen des articles, je veux dire à M.
Poniatowski que j'ai déjà répondu partiellement tout à l'heure, du haut de la
tribune, à un certain nombre de propositions ou d'objections qu'il vient de
formuler.
Si M. Poniatowski le veut bien, je me réserve d'y revenir à l'occasion de
l'examen de l'article 21. J'apporterai des précisions beaucoup plus claires
encore sur ce qu'il convient de faire pour la basse tension, la moyenne tension
et la haute tension. Je vous donne donc rendez-vous à l'article 21 !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à seize
heures.)