Séance du 2 décembre 1999
M. le président. Je suis saisi, par M. Descours, au nom de la commission des affaires sociales, d'une motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat,
« Considérant que la raison d'être des lois de financement de la sécurité sociale est de permettre à la représentation nationale de débattre dans la transparence des enjeux financiers de la protection sociale ;
« Considérant que la compréhension par chacun, assuré ou contribuable, du fondement et de la destination des prélèvements sociaux, c'est-à-dire l'intelligibilité des comptes sociaux, est une condition essentielle de leur redressement durable ;
« Considérant que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 ne répond à aucune question que se posent les Français quant à l'avenir de la protection sociale ;
« Considérant qu'il organise en revanche une extrême confusion dans le présentation des comptes sociaux et dans l'affectation des flux financiers de la sécurité sociale ;
« Considérant que, ce faisant, le Gouvernement masque l'importance des transferts et des choix qu'il opère dans l'opacité ;
« Considérant que les trois premières lois de financement de la sécurité sociale s'étaient efforcées avec plus ou moins de bonheur de redresser les comptes sociaux ;
« Considérant, en revanche, que le projet de loi de financement pour 2000 s'attache à les dégrader, essentiellement par le transfert à la charge de la sécurité sociale de dépenses précédemment inscrites au budget de l'Etat ;
« Considérant, de surcroît, que ce transfert n'apparaît pas dans le texte débattu par le Parlement dès lors que la commission des comptes de la sécurité sociale les a "spontanément" intégrés dans l'évolution "tendancielle" des comptes ;
« Considérant, à dire vrai, que de tels transferts constituent une fâcheuse tendance du Gouvernement qui compromet ainsi le redressement durable des comptes sociaux ;
« Considérant que ce redressement reste fragile car obtenu par l'alourdissement spectaculaire des prélèvements sociaux et non une véritable maîtrise des dépenses ;
« Considérant qu'en se satisfaisant d'un excédent symbolique du régime général en période de forte croissance et de recettes abondantes, le Gouvernement laisse le régime général à la merci de tout ralentissement conjoncturel ;
« Considérant que la multiplication de fonds spéciaux dans les lois de financement accroît la confusion et, de surcroît, mêle à tort le financement de la protection sociale et la politique de l'emploi ;
« Considérant ainsi que l'introduction, dans le projet de loi, du fonds de financement des 35 heures conduit à substituer au budget qui doit assurer, en vertu de la loi du 25 juillet 1994, la compensation intégrale des exonérations de charges sociales décidées par l'Etat, le produit d'un assortiment hétéroclite d'impôts nouveaux et de recettes de poche ;
« Considérant de surcroît qu'il est totalement abusif d'évoquer, comme le fait le Gouvernement, une "réforme d'ampleur de l'assiette des cotisations patronales de sécurité sociale" dès lors que les exonérations de charges, désormais conditionnées par des accords de réduction de la durée du travail, sont financées par les droits sur les tabacs et sur les alcools, une contribution sur les bénéfices de certaines sociétés, la taxe générale sur les activités polluantes et une taxe sur les heures supplémentaires ;
« Considérant, en outre, qu'ayant dû renoncer à un dispositif de taxation directe des organismes de gestion de la protection sociale, au demeurant contraire à la Constitution, le Gouvernement persiste à mettre la sécurité sociale à contribution en la privant cette fois d'une partie de ses recettes ;
« Considérant que cette contribution adopte désormais un cheminement particulièrement oblique mettant en jeu non seulement le fonds de financement des 35 heures mais également le fonds de solidarité vieillesse, le fonds de réserve pour les retraites et les trois branches du régime général, les droits sur les alccols et le prélèvement de 2 % sur les revenus du patrimoine et des placements ; qu'elle met en outre en difficulté le financement de la couverture maladie universelle par la CNAMTS ;
« Considérant que le bouclage financier des 35 heures n'est pas assuré pour autant puisque, à terme, il manque 15 à 20 milliards de francs, soit le tiers du surcoût du projet de loi relatif à la réduction du temps de travail ;
« Considérant qu'il est impossible dans ces conditions d'évaluer l'effet d'un dispositif d'exonération des charges sociales dont restent indéterminés la clef de financement et donc les transferts de charges qu'il entraînera ;
« Considérant que le fonds de réserve pour les retraites s'inscrit dans un contexte particulièrement flou dès lors que le Gouvernement n'a toujours pas précisé, ne serait-ce que "ses orientations générales" sur la réforme des retraites et que les missions du fonds de reserve restent aussi indéterminées que la politique du Gouvernement dans le domaine des retraites ;
« Considérant que, sans attendre ces "orientations générales", ni a fortiori l'engagement effectif d'une réforme nécessaire, le Gouvernement s'attache à détourner les excédents de la branche vieillesse du régime général et à priver d'une partie de leurs recettes les trois branches de ce régime, y compris la branche maladie pourtant en déficit ;
« Considérant, en outre, que l'on cherche vainement la logique qui préside à l'affectation à ce fonds de réserve d'une partie des prélèvements sur les revenus de l'épargne, sauf à considérer qu'il importe de taxer l'épargne individuelle au profit d'une forme d'épargne collective obligatoire ;
« Considérant que la politique familiale est traitée désormais comme la variable d'ajustement des déficits publics ;
« Considérant, ainsi, que la branche famille est non seulement ponctionnée pour le financement du fonds de réserve pour les retraites, en réalité indirectement pour le financement des 35 heures, mais encore devra prendre progressivement à sa charge la majoration de l'allocation de rentrée scolaire, soit plus de 7 milliards de francs à terme, sans que cette opération comptable apporte une quelconque amélioration à la situation des familles ;
« Considérant que, dans le domaine de l'assurance maladie, le Gouvernement entend désormais agir seul et se passer à la fois du Parlement, des partenaires sociaux et des professions de santé ;
« Considérant que les dépassements très importants de l'ONDAM en 1998 et en 1999 auraient dû conduire le Gouvernement à proposer au Parlement un projet de loi de financement rectificatif de la sécurité sociale plutôt qu'à procéder à une "rebasage" du calcul de l'ONDAM qui affaiblit très substantiellement la portée du vote du Parlement ;
« Considérant que l'application des dispositions du projet de loi de financement sera de nature à mettre fin à la régulation conventionnelle des relations entre les professionnels de santé et l'assurance maladie instituée depuis 1971, à créer une grande incertitude économique pour les professionnels de santé exerçant à titre libéral et responsables des cliniques privées, qui pourront se voir appliquer jusqu'à quatre tarifs différents au cours d'une même année civile, à mettre en péril les mécanismes de maîtrise médicalisée de l'évolution des dépenses de ville en instituant une obligation légale pour l'assurance maladie de faire "flotter" les tarifs au gré de fluctuations conjoncturelles de dépenses et, enfin, à paralyser la CNAMTS qui se verra par ailleurs exclue de la régulation de l'hospitalisation privée ;
« Considérant que le projet de loi propose au Parlement, contrairement aux dispositions de la loi organique, d'adopter un objectif sectoriel de dépenses de l'assurance maladie pour le médicament ;
« Considérant, en outre, qu'une disposition du projet de loi, pourtant irrecevable au regard de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, a été adoptée par les députés concernant les médicaments génériques ; que cette disposition est en contradiction directe avec la position exprimée par les Communautés européennes et leurs Etats membres dans un différend avec le Canada porté devant l'Organisation mondiale du commerce le 19 décembre 1997 au sujet de la protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques ;
« Considérant que le Sénat, en première lecture, a profondément modifié le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, tel qu'adopté par l'Assemblée nationale en première lecture ;
« Considérant qu'il s'est opposé, ce faisant, aux prélèvements opérés sur la sécurité sociale, aux bouleversements des flux financiers de la protection sociale, qu'il s'est montré soucieux a contrario d'une transparence des comptes dans le respect de l'autonomie des branches et des responsabilités des partenaires sociaux, qu'il a enfin affirmé sa volonté que soient préservées les relations conventionnelles avec les professions de santé ;
« Considérant qu'en nouvelle lecture l'Assemblée nationale a supprimé l'essentiel des apports du Sénat ;
« Considérant que, le 16 novembre 1999, soit avant même de connaître le dispositif adopté par le Sénat en première lecture, la conférence des présidents de l'Assemblée nationale a inscrit dès le jeudi 2 décembre au soir sa lecture définitive du présent projet de loi ;
« Considérant que la majorité de l'Assemblée nationale a montré, par avance, qu'elle n'entendait tenir aucun compte des délibérations du Sénat ;
« Considérant que l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, a ainsi déjà dit son "dernier mot" qui relève, au demeurant, d'une forme de bégaiement par rapport à sa première lecture ;
« Décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture (n° 105, 1999-2000). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur, auteur de la motion.
M. Charles Descours, rapporteur. Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en réalité, je ne vais pas défendre cette motion tendant à opposer la question préalable, car je l'ai déjà fait dans mon intervention liminaire.
Mais je profite de l'occasion pour renouveler une question, madame le secrétaire d'Etat, à laquelle vous n'avez pas répondu. L'article 17 va être voté. Que devient la convention signée avec MG-France, dans laquelle il n'y a plus de dispositif de régulation puisque le Conseil d'Etat l'a annulée ?
Permettez-moi une question subsidiaire : vous aviez créé un fonds de réserve pour les retraites l'année dernière. Nous avions dit que nous n'étions pas contre le principe, mais nous avions constaté que les 2 milliards de francs étaient un peu « en l'air ».
Début novembre, le fonds de réserve a été crédité de ces 2 milliards de francs qui, je le rappelle, étaient inscrits dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, c'est-à-dire voilà un an.
Nous avons dit, lors de la première lecture du présent projet de loi, que nous manquions d'informations concrètes sur ce fonds. Sa gestion étant décidée par le ministère de l'économie et des finances, je voudrais savoir comment sont placés ces 2 milliards de francs depuis le début du mois de novembre. En effet, je n'imagine pas que les bons gestionnaires que vous proclamez être laissent dormir 2 milliards de francs sans les placer quelque part pour qu'ils rapportent de l'argent ! Madame le secrétaire d'Etat, où sont placés ces 2 milliards de francs, et combien rapportent-ils ?
Telles sont les deux questions que je souhaitais vous poser au moment où nous allons nous prononcer sur la motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. La parole est à M. Autain, contre la motion.
M. François Autain. Je serai concis.
Monsieur le rapporteur, votre motion tendant à opposer la question préalable présente à mes yeux au moins un avantage : abréger un débat qui a déjà eu lieu et qui n'appelle plus de nouveaux développements. Elle permet, en outre, de mieux comprendre pourquoi le Gouvernement est parfois amené à recourir à la procédure de l'urgence, afin de mettre un terme à la navette et d'éviter des lectures stériles, que vous avez d'ailleurs qualifiées de palinodies, monsieur le rapporteur. Si cette pratique est souvent critiquée, elle n'a pas toujours que des inconvénients.
Monsieur le rapporteur, tout en adhérant à votre démarche, qui témoigne de la grande sagesse et du pragmatisme dont sait quelquefois faire preuve la majorité sénatoriale, mon groupe - et cela ne vous surprendra pas -, ne pourra, hélas ! pas voter votre motion. En effet, au-delà de la forme, que nous approuvons pour les raisons que j'indiquais à l'instant, des problèmes de fond nous opposent. Ces problèmes - sur lesquels j'ai eu l'occasion de m'exprimer tout à l'heure, et c'est pourquoi je n'y reviens pas - nous conduisent, bien sûr, à voter contre cette motion de procédure.
M. le président. Le Gouvernement souhaite-t-il s'exprimer ?
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Non, monsieur le président.
M. Charles Descours, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur. Je constate que Mme le secrétaire d'Etat ne souhaite pas répondre aux deux questions précises que je lui ai posées...
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Je ne voulais pas répondre sur le dépôt de la motion tendant à opposer la question préalable, mais je vais volontiers vous apporter les précisions que vous souhaitez, monsieur le rapporteur.
Le fonds de réserve des retraites a été constitué voilà quelques semaines.
M. Charles Descours, rapporteur. Il y a un an !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Certes, mais il a été véritablement ouvert voilà quelques semaines. Les 2 milliards de francs ont été versés. Ils sont actuellement placés en bons du Trésor, dans l'attente d'un placement qui sera mieux adapté. En tout cas, cet argent existe bien.
M. Charles Descours, rapporteur. Nous n'avons jamais dit le contraire !
Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Par ailleurs, la convention qui vous inquiète tant est signée pour cinq ans. Elle n'est pas du tout remise en cause par l'article 17, qui introduit simplement une faculté de renégociation annuelle. Il est donc possible d'ajouter ou de modifier un certain nombre d'éléments de cette convention chaque année. Mais cette convention court pendant cinq ans à compter de sa signature.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable, repoussée par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption aurait pour effet d'entraîner le rejet du projet de loi.
(La motion est adoptée.)
M. le président. En conséquence, le projet de loi est rejeté.
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