Séance du 23 novembre 1999
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce.
- Débat sur une déclaration du Gouvernement (p.
1
).
M. le président.
MM. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur ; Jean
François-Poncet, président de la commission des affaires économiques ; Xavier
de Villepin, président de la commission des affaires étrangères.
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
MM. Jacques Bellanger, Michel Souplet, Jean-Pierre Raffarin, Philippe Darniche, Hubert Haenel, Gérard Le Cam, Jean-Michel Baylet, Jean-Marc Pastor, Jean Huchon, Ladislas Poniatowski, Jean Bizet, Jacques Ralite.
Suspension et reprise de la séance (p. 2 )
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
3.
Rappel au règlement
(p.
3
).
MM. Jean-Patrick Courtois, le président.
4.
Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce.
- Suite du débat sur une déclaration du Gouvernement (p.
4
).
MM. Jacques Pelletier, François Marc, Philippe François, Aymeri de Montesquiou,
Mme Danièle Pourtaud, MM. Gérard César, Adrien Gouteyron.
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
M. François Huwart, secrétaire d'Etat au commerce extérieur.
Clôture du débat.
5.
Répartition des sièges à l'Assemblée de la Polynésie française.
- Adoption des conclusions du rapport d'une commission (p.
5
).
Discussion générale : M. Lucien Lanier, rapporteur de la commission des
lois.
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
MM. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement ; Gaston Flosse,
Guy Allouche.
Clôture de la discussion générale.
Article unique (p. 6 )
MM. le rapporteur, Guy Allouche, Gaston Flosse, Michel Duffour.
Adoption, par scrutin public, de l'article unique de la proposition de loi
organique.
6.
Interdiction des candidatures multiples aux élections cantonales.
- Adoption des conclusions du rapport d'une commission (p.
7
).
Discussion générale : MM. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des
lois ; Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement ; Michel
Dreyfus-Schmidt.
Clôture de la discussion générale.
Article 1er. - Adoption (p.
8
)
Article additionnel après l'article 1er (p.
9
)
Amendement n° 1 de M. de Broissia et sous-amendement n° 2 de M. Michel Mercier.
- MM. Louis de Broissia, Michel Mercier. - Retrait du sous-amendement n° 2.
MM. le rapporteur, le ministre, Michel Dreyfus-Schmidt, Louis de Broissia.
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
MM. Alain Joyandet, Philippe Adnot. - Retrait de l'amendement n° 1.
Article 2 (p. 10 )
MM. Michel Mercier, le ministre, le rapporteur.
Adoption de l'article.
Article 3. - Adoption (p. 11 )
Adoption de l'ensemble de la proposition de loi.
7.
Inscription d'un majeur en tutelle sur une liste électorale.
- Adoption des conclusions de deux rapports d'une commission (p.
12
).
Discussion générale commune : MM. Christian Bonnet, rapporteur de la commission
des lois ; Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement ; Jacques
Pelletier.
Clôture de la discussion générale commune.
INSCRIPTION D'UN MAJEUR EN TUTELLE
SUR UNE LISTE ÉLECTORALE (p.
13
)
Articles 1er à 4. - Adoption (p.
14
)
Adoption de l'ensemble de la proposition de loi.
INÉLIGIBILITÉ D'UN MAJEUR EN TUTELLE (p.
15
)
Articles 1er à 3. - Adoption (p.
16
)
Adoption, par scrutin public, de l'ensemble de la proposition de loi
organique.
MM. le rapporteur, le ministre.
8.
Modification de l'ordre du jour
(p.
17
).
MM. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement ; le
président.
9.
Textes soumis en application de l'article 88-4 de la Constitution
(p.
18
).
10.
Dépôt d'un rapport
(p.
19
).
11.
Ordre du jour
(p.
20
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
CONFÉRENCE MINISTÉRIELLE
DE L'ORGANISATION MONDIALE
DU COMMERCE
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat,
sur la Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce à
Seattle.
Mes chers collègues, compte tenu de l'importance du débat que nous allons
avoir et aussi du nombre et de la qualité des intervenants - le représentant du
Gouvernement, deux présidents de commission, dix-neuf orateurs pour plus de
trois heures - je vous propose, si nous n'avons pas terminé à treize heures, de
reprendre notre débat à seize heures, pour l'achever aux alentours de dix-sept
heures.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Huwart,
secrétaire d'Etat au commerce extérieur.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, je vais vous présenter, au nom du Gouvernement, les
perspectives des prochaines négociations commerciales multilatérales et les
objectifs de notre pays et de ses partenaires européens.
Je suis très heureux de venir devant vous aujourd'hui, car ce débat nous
permettra d'établir une analyse plus précise de la situation, moins d'une
semaine avant la conférence de Seattle.
Je le suis d'autant plus que vous avez déjà effectué un travail important sur
les prochaines négociations à l'occasion du rapport de M. Michel Souplet sur
trois propositions de résolution qui furent présentées, réunies et adoptées par
la commission des affaires économiques et du Plan.
Le souhait du Sénat d'être associé à cette négociation, souhait qui se
concrétisera d'ailleurs par la présence de membres de la Haute Assemblée au
sein de la délégation française, rejoint le désir du Gouvernement, manifesté
depuis plusieurs mois, d'aborder ces négociations dans la transparence, à
l'égard des élus comme de la société civile.
Nous croyons en effet qu'à l'ampleur des enjeux de la mondialisation, qui
concerne chacun de nos concitoyens, doivent correspondre, de la part des
gouvernements, des méthodes nouvelles de consultation et d'information, pour
que les positions prises par notre pays ne reflètent pas seulement les
convictions de quelques-uns mais expriment les intérêts de tous.
Avant d'aborder la négociation proprement dite, permettez-moi d'éclairer deux
aspects généraux du fonctionnement et du rôle de l'Organisation mondiale du
commerce sur les plans institutionnel et économique.
Le premier volet est le rôle institutionnel de l'OMC.
Sur le plan institutionnel, il faut bien comprendre que l'OM n'est pas une
organisation supranationale, elle est une organisation interétatique,
respectueuse de la souveraineté et fonctionnant sur le modèle du contrat
social, un contrat social international.
Les règles issues de l'OMC sont le fruit de la volonté des Etats : ce qu'ils
n'acceptent pas n'a pas force de droit. L'OMC n'impose aucun engagement, sinon
celui de respecter ses engagements librement consentis.
Même lorsqu'il s'agit de fixer les règles d'ouverture commerciale, grâce à
l'OMC, nous pouvons nous accorder sur des concessions équilibrées. Dans tous
les domaines, nous pouvons donc considérer que l'existence de l'OMC nous
permet, selon le mot célèbre, de substituer « à la liberté qui opprime, la
règle qui libère ».
Le fonctionnement contractuel de l'OMC appelle naturellement une fonction
juridictionnelle pour régler les différends dans l'application des clauses du
contrat.
Des critiques se sont exprimées sur le caractère interne, « endogène », de
l'ORD, l'Organe de règlement des différends, qui, étant dans l'OMC, serait à la
fois juge et partie.
Certains évoquent, par souci de cohérence des institutions internationales, un
recours des décisions de l'Organe de règlement des différends auprès de la Cour
internationale de justice.
Permettez-moi de remarquer que seulement un tiers des membres de
l'Organisation des Nations unies a accepté que leurs différends soient
normalement soumis à la Cour internationale de justice, alors que les 134
membres de l'OMC reconnaissent la juridiction de l'ORD.
En termes d'efficacité et de légitimité, l'avantage est clairement en faveur
de l'OMC.
Je me suis déjà exprimé sur les évolutions que doit connaître l'ORD en termes
de transparence, d'accès au droit pour les pays pauvres, d'évolution du système
des sanctions, qui doit concilier efficacité et justice. Il n'est en effet pas
normal que des secteurs, des entreprises et, en définitive, des hommes et des
femmes subissent les conséquences de litiges auxquels ils n'étaient nullement
parties. Le recours à des compensations, voire à des astreintes, me semble
devoir être étudié.
D'une manière plus générale, je voudrais souligner que l'existence de l'ORD
ne doit pas nous conduire à un gouvernement économique des juges sur le plan
international.
C'est pourquoi les Etats, certes instruits par la jurisprudence de l'ORD,
doivent réexaminer périodiquement le cadre normatif sur lequel les juges
s'appuient. C'est d'ailleurs une des activités fondamentales de l'OMC que de
revisiter ses propres règles.
En bref, la critique externe de l'OMC est stimulante, mais c'est de
l'intérieur de l'OMC que l'on pourra vraiment faire progresser la régulation
économique dont nous avons besoin.
J'en arrive au second volet, le rôle économique de l'OMC. Là s'opposent une
thèse et une antithèse.
La thèse est celle de la théorie économique, confirmée par beaucoup
d'observations concrètes.
En s'engageant dans l'échange international, qui permet d'accroître la taille
du marché, un pays produira plus, avec une meilleure productivité et avec des
coûts plus faibles. Dans le même temps, les consommateurs bénéficient d'une
gamme plus large de biens, à des prix moins élevés.
Des études récentes réalisées dans un grand nombre de pays ont montré que les
économies ouvertes bénéficiaient d'un taux de croissance supérieur à celui des
économies fermées.
L'antithèse considère que la logique du marché ne doit pas être la logique de
la vie : c'est la différence entre l'économie de marché et la société de
marché.
L'homme ne peut en effet être réduit à une pure dimension d'agent économique,
voulant toujours plus de production ou de consommation.
A l'individualisme du marché, on oppose à juste titre l'existence de
communautés de vie et de traditions, propres à chaque pays, qui ne doivent pas
se dissoudre dans la globalisation et l'uniformisation.
Comment résoudre cette contradiction ? Comment trouver une synthèse entre ces
points de vue ?
Il faut se souvenir que les théories du libre-échange sont nées avec la
révolution industrielle et correspondent bien à la nature des objets techniques
: un bien industriel, une machine sophistiquée par exemple, n'exprime pas une
tradition, n'est pas issu d'une culture spécifique à un pays.
Pour ce type de biens, la libéralisation, la spécialisation, les économies
d'échelle sont globalement positifs. Et l'on peut en dire de même pour certains
services, comme les services financiers.
Mais, pour d'autres biens, les biens culturels, les services publics,
l'agriculture également, le raisonnement froidement économique ne peut
s'appliquer sans restrictions.
Je ne dis pas qu'il doit être totalement rejeté : personne ne peut être
sérieusement partisan d'une autarcie totale en matière culturelle ou agricole.
Mais, dans ces domaines, il faut trouver un équilibre entre le respect des
identités et l'ouverture raisonnable aux échanges.
C'est ce qui inspire la position du Gouvernement dans les négociations de
l'OMC : libéraliser de manière équitable ce qui peut l'être et protéger en même
temps nos valeurs, notre organisation sociale, l'équilibre de notre territoire,
dans la perspective d'un monde de diversité, d'un monde multipolaire.
M. Emmanuel Hamel.
Protégez-les avec fermeté !
M. François Huwart,
secrétaire d'Etat.
Le reste est question de moyens, qui peuvent être
divers. A l'OMC, nous parlons d'agriculture, mais nous n'y négocions pas sur la
culture : chaque domaine a sa spécificité.
Je tenais à rappeler ces considérations générales qui me semblent importantes
pour comprendre la logique du fonctionnement de l'OMC.
J'en viens maintenant à la préparation de Seattle. A quelques jours de la
conférence, la situation se caractérise par une forte incertitude. Le processus
qui s'est engagé au début du mois de septembre ne permet pas de déterminer avec
précision le contenu d'une plate-forme commune. Plus précisément, nous
attendons aujourd'hui encore le premier texte opérationnel qui devra servir de
base à nos travaux à Seattle.
Beaucoup d'entre vous pourraient considérer cette situation - assez inédite à
la veille d'une grande conférence internationale - comme un signe de faiblesse
de l'OMC. Je crois qu'il s'agit de l'effet conjoint de causes diverses.
L'OMC a changé cette année de directeur général à l'issue d'un processus de
décision qui a été difficile, comme vous le savez.
L'administration américaine se trouve en année pré-électorale, dépourvue du
Fast-track,
même si cette dernière n'est pas nécessaire au lancement de
négociations, et soumise à un jeu complexe à l'égard du Congrès : tous ces
facteurs n'ont pas contribué à permettre aux Etats-Unis d'assurer aussi
efficacement que l'on aurait pu le souhaiter les responsabilités de pays
d'accueil et de président de la Conférence ministérielle.
Enfin, l'OMC est réellement devenue, comme je l'ai dit, une Organisation
démocratique au sein de laquelle quelques-uns ne peuvent décider pour tous.
Cela ne renforce pas l'efficacité immédiate de l'organisation, mais établit, au
contraire, sa légitimité, que je crois tout aussi indispensable pour une
organisation internationale.
Il s'ensuit que la réunion de Seattle aura à répondre, avec succès, je
l'espère, à un défi inédit : non pas seulement boucler les derniers détails
d'une négociation, mais en établir l'équilibre lui-même. Il est donc probable
que les Etats et les ministres aient à travailler sur place sur les grands
chapitres du cycle, parallèlement à la conférence générale proprement dite.
Quels sont les points de vue en présence ?
Les pays en développement ont fait de la question de la mise en oeuvre des
accords de l'Uruguay un préalable au lancement du prochain cycle. Ils
considèrent qu'ils n'ont pas retiré du cycle de l'Uruguay les avantages qu'ils
étaient en droit d'attendre. Ils estiment avoir été contraints de signer des
accords à la négociation desquels ils n'avaient pas été suffisamment
associés.
En réalité, ces reproches ne sont pas tous fondés. Certains pays, on peut le
comprendre, font porter à l'OMC, comme vecteur de la libéralisation, une
responsabilité dans l'émergence de la crise asiatique ou, plus généralement,
dans la persistance du mal-développement. C'est un peu le sens des conclusions
des travaux du G 77 qui s'est réuni l'automne dernier à Marrakech.
Je crois que ces difficultés ont bien d'autres causes, des causes financières
et monétaires, à l'égard desquelles l'OMC n'a que peu de contrôle, ainsi que
des causes internes liées au rythme sans doute trop lent des réformes
politiques et juridiques qui doivent accompagner la modernisation de
l'économie. Là aussi, l'OMC n'a que peu de prise. C'est sans doute dans une
meilleure coordination de toutes les institutions internationales que nous
devrons, dans l'avenir, chercher des remèdes.
Même si nous ne devons pas avoir mauvaise conscience, car l'Europe en
particulier a respecté ses engagements de Marrakech, nous devons être attentifs
aux demandes des pays en développement. Nous sommes ouverts à certaines de
leurs revendications et nous sommes prêts à des décisions immédiates à Seattle,
en particulier en faveur des pays les moins avancés.
L'OMC met en oeuvre un traitement spécial et différencié au bénéfice des pays
en développement. La plupart des accords prévoient la possibilité de périodes
de transition. Nous devons en parallèle faire un effort particulier
d'assistance technique pour permettre aux pays en développement de remplir
leurs engagements et de tirer tous les bénéfices de leur participation au
système multilatéral.
Nous devons dans le même temps être attentifs à ne pas rouvrir les accords de
Marrakech et les équilibres atteints à cette occasion. Les pays émergents ont
bénéficié des accords de Marrakech. La part des pays en développement dans les
échanges mondiaux est passée de 12 % à 20 % entre 1970 et 1998. Mais les
disparités restent fortes. La libéralisation des échanges doit bénéficier à
tous. Tel est l'objectif que défend l'Union européenne à l'OMC.
La question de la différenciation entre les pays en développement méritera
d'être traitée dans le cadre du prochain cycle. Il importe que les pays les
moins avancés aient un traitement plus favorable - c'est une des propositions
de l'Union européenne pour Seattle - et que les pays émergents avancés
contribuent davantage au système multilatéral. Beaucoup d'entre eux conservent
des barrières douanières élevées qui pénalisent les pays moins intégrés dans
l'échange international.
Le groupe de Cairns, de son côté, non sans le soutien implicite des
Etats-Unis, a tenté d'imposer un préalable agricole à toute discussion générale
avec l'Union européenne. L'Australie et la Nouvelle-Zélande, en particulier,
ont à la fois exigé de fixer dès Seattle les points d'arrivée de la négociation
agricole et refusé de progresser sur les autres sujets de la négociation.
L'Union européenne, appuyée par différents partenaires, dont le Japon et la
Corée, s'est refusée à cette négociation agricole et à cette prise en otage de
l'ensemble du cycle.
L'Europe rappelle que l'objectif doit rester, à Seattle, de s'entendre sur une
programme de négociation et non de traiter au fond des différents sujets.
Les Etats membres de l'Union européenne sont solidaires sur cette ligne. Les
résultats du Conseil de Berlin d'avril dernier et les conclusions du Conseil «
affaires générales » du 26 octobre, rappelées lors du Conseil du 15 novembre,
sont la base de la position communautaire.
L'Union européenne est prête à reprendre les négociations sur l'agriculture,
conformément aux engagements pris à Marrakech. Nos préoccupations relatives aux
sujets agricoles non commerciaux - le développement rural, l'environnement, la
sécurité alimentaire, par exemple - devront être prises en compte dans la
négociation.
L'idée de la multifonctionnalité de l'agriculture synthétise bien nos
objectifs. Nous considérons, en effet, que l'agriculture ne peut, comme
certains le souhaitent, être banalisée car son rôle social et environnemental
est spécifique.
Nous ne pouvons admettre que, dans le domaine agricole, une libéralisation
sans limites aboutisse à ce que, emportés dans la course à la productivité, des
agriculteurs de moins en moins nombreux s'épuisent dans une guerre des prix qui
ne profitera qu'à quelques multinationales de l'agro-industrie.
Cette position de la France et de l'Europe en faveur de la multifonctionnalité
de l'agriculture, de son rôle productif mais aussi de son caractère structurant
pour l'ensemble de la société, n'est pas issue de la seule définition de nos
intérêts. Ce que nous défendons ici, c'est un modèle équilibré, c'est la
protection des spécificités nationales, qui correspondent aux intérêts des
agriculteurs du monde entier, y compris de ceux des pays les moins
développés.
Par rapport aux Etats-Unis, dont les ambitions sont limitées à un cycle
étroit, l'Union européenne continue à militer en faveur d'une approche globale
de la négociation et d'un engagement unique.
Le débat actuel sur le projet de déclaration de Seattle confirme que la
globalité est seule de nature à équilibrer les intérêts de tous les membres de
l'OMC.
L'approche américaine, centrée sur la libéralisation de l'agriculture, des
services et de certains secteurs industriels prédéterminés dans l'enceinte de
l'APEC, n'est évidemment pas à même de satisfaire les demandes des pays en
développement, ni, bien sûr, celles de l'Union européenne.
Elle n'est pas davantage susceptible de répondre aux ambitions de l'Union
européenne dans la recherche d'un équilibre entre la dynamique de l'ouverture,
d'une part, et l'exigence de régulation du système commercial international,
d'autre part.
La France et l'Union européenne ont aussi mis l'accent sur la nécessité de
renforcer le système commercial.
Le lancement de négociations sur des principes de base relatifs à
l'investissement direct étranger, à la concurrence et à la transparence dans
les marchés publics peut constituer une première étape de cet approfondissement
des règles multilatérales.
Beaucoup de pays considèrent que ces sujets servent de prétexte à l'Europe
pour « charger la barque » et retarder la conclusion du cycle. Nous devons leur
montrer que ces thèmes sont, au contraire, dans l'intérêt de tous.
Avec des règles meilleures sur les marchés publics, les pays peuvent lutter
contre la corruption et faire jouer, pour une bonne gestion des finances
publiques, les offres nationales et étrangères. Avec des règles sur
l'investissement, les Etats pourront attirer des capitaux en leur offrant un
cadre juridique stable et équitable. Avec des règles sur la concurrence, ils
pourront mieux lutter contre l'emprise des grandes firmes multinationales.
Ces progrès du droit économique international sont nécessaires, mais ne
pourront être que graduels. C'est sur le long terme que l'OMC pourra contribuer
à établir des disciplines librement consenties, complètes et efficaces dans ces
domaines.
Nous souhaitons que la conférence de Seattle, sous une forme que la
négociation devra déterminer, constitue une étape importante pour faire
progresser ces sujets.
L'OMC doit aussi répondre aux préoccupations des opinions publiques sur les
thèmes de la sécurité des aliments, des questions sanitaires, de
l'environnement. La question du boeuf aux hormones ou le commerce
transfrontalier des organismes génétiquement modifiés appellent
incontestablement des clarifications.
Dans ces questions d'environnement, nous devons chercher un juste milieu entre
deux extrêmes : légiférer sur l'environnement à l'OMC, dont ce n'est pas le
rôle, et, à l'opposé, se désintéresser du sujet. Ce que nous proposons, c'est
que le comité de l'environnement de l'OMC fasse beaucoup plus rapidement
qu'aujourd'hui des propositions aux ministres pour clarifier l'articulation
entre les règles commerciales et les accords multilatéraux sur l'environnement
et entre le travail de l'OMC et celui d'autres institutions comme
l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, la FAO,
ou l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS.
Cette meilleure cohérence du système international doit permettre d'améliorer
les réponses que nous pouvons apporter aux problèmes transversaux : le
développement durable, la lutte contre les inégalités et le besoin d'équité,
les problèmes de santé publique ou le respect des normes sociales
fondamentales. Certains de ces sujets ne peuvent être abordés que conjointement
par des organisations internationales comme le Fonds monétaire international,
le FMI, et la Banque mondiale.
C'est aussi le cas pour les normes sociales : nous plaidons pour
l'établissement d'un forum conjoint et permanent entre l'OMC et l'Organisation
internationale du travail, l'OIT. Nous sommes convaincus que des progrès ne
pourront être réalisés que sur la base d'une collaboration effective entre les
deux organisations, la définition des normes devant, bien entendu, continuer à
incomber à l'OIT.
Sur les politiques économiques et la gouvernance dans les pays en
développement, nous avons engagé l'OMC dans un programme de coopération avec
les institutions de Bretton Woods dans le cadre de la politique plus générale
menée par Christian Sautter en faveur du renforcement de leur rôle
régulateur.
Sur la santé, l'OMC et l'OMS doivent procéder à une identification des
questions de santé publique liées au commerce. Les deux organisations tiendront
une session de travail conjointe le 1er décembre à Seattle sur ces questions et
auront l'occasion de présenter publiquement leur programme de coopération.
S'agissant de la diversité culturelle, enfin, l'impulsion de la France a
permis l'adoption à l'UNESCO, par cinquante-huit ministres, d'une déclaration
sur la spécificité de la culture.
La globalité à laquelle nous sommes attachés pour le prochain cycle de Seattle
n'est donc pas seulement la clé d'une négociation purement commerciale. Elle
doit répondre aux questions qui préoccupent les pays en développement et les
opinions publiques. Elle vise à renforcer la capacité des Etats à maîtriser les
conséquences de la mondialisation. Elle est l'occasion d'amorcer une réflexion
qui s'impose sur l'avenir du système international.
L'OMC, tout le monde le reconnaît, n'est pas responsable d'une mondialisation
qui, si nous savons la maîtriser, est un atout pour la croissance économique et
le développement.
Mais cette organisation, dont la France et l'Union européenne ont souhaité la
création, est perfectible. Elle doit servir davantage à la régulation. En
l'absence de règles, et comme l'a déclaré le Premier ministre, la loi de la
jungle l'emporterait.
L'OMC doit s'ouvrir davantage aux préoccupations des citoyens et à la demande
de transparence de la société civile. Elle doit faire la preuve qu'elle est
capable de répondre aux attentes de tous ses membres.
L'accord entre les Etats-Unis et la Chine adresse un signal positif pour
l'OMC, à la veille de Seattle. L'Union européenne, qui soutient cette adhésion,
devra s'assurer que les bases en sont conformes à ses intérêts.
Au total, ce développement récent témoigne de l'attractivité de l'OMC en
renforçant son universalité. Plus de trente pays sont engagés actuellement dans
des processus d'adhésion, parmi lesquels la Russie et l'Arabie Saoudite.
En attendant Seattle, l'Union européenne devra donc continuer à travailler
pour un accord sur un agenda large. Pendant la conférence, elle recherchera un
ensemble de décisions équilibrées.
Le Gouvernement sera, à Seattle, en contact permanent avec les parlementaires
présents, bien entendu.
Nous abordons cette conférence avec calme et détermination. Notre ligne doit
être d'obtenir une déclaration opérationnelle qui ouvre, ou laisse ouvertes,
les options auxquelles nous tenons. L'exercice ne sera pas aisé, car l'OMC
décide sur la base d'un consensus entre 135 membres souverains.
Nous avons beaucoup à gagner à une reprise des négociations. Si nous avons à
répondre à des questions difficiles, nous disposons de la durée : la conférence
de Seattle doit marquer le démarrage d'un prochain cycle. Seattle sera donc le
point de départ d'un travail de négociation qui se poursuivra pendant plusieurs
années et que nous mènerons avec la même résolution et le même souci de
transparence qui nous ont guidés jusqu'ici.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques et
du Plan.
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans un
article du mois de juillet, Jacques Attali demandait que l'on en finisse avec
l'OMC, et c'est par milliers que des représentants des organisations non
gouvernementales fustigeront dans quelques jours, dans les rues de Seattle,
l'Organisation mondiale du commerce et le cycle de négociations qu'elle
s'apprête à lancer.
Faut-il donc vouer l'OMC et le round du Millénaire aux gémonies ?
Personnellement, je ne le crois pas, ni vous non plus, monsieur le secrétaire
d'Etat, si je vous ai bien suivi.
Certes, on peut s'interroger. Le moment est-il bien choisi pour lancer un
nouveau cycle ? N'aurait-il pas fallu, au préalable, faire le bilan du
précédent ? Je comprends que l'on en débattre.
Il reste que la France et l'Union européenne ont deux bonnes raisons de ne pas
s'en prendre de façon idéologique à l'Organisation mondiale du commerce. La
premièr est économique, la seconde politique.
Le verdict de l'économie est clair, en tout cas à mes yeux, même si je sais
qu'il arrive qu'on le conteste, vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire
d'Etat.
Pourquoi le verdict de l'économie est-il clair ? Parce que la France et
l'Europe doivent l'essentiel de leur prospérité, depuis la Deuxième Guerre
mondiale, au développement des échanges internationaux.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
C'est vrai !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
Les
chiffres sont sans ambiguïté : depuis la fin des années cinquante, c'est-à-dire
depuis le début des cycles du GATT, les échanges mondiaux ont été multipliés
par dix-sept, la production mondiale par quatre et le revenu par habitant de la
planète par deux. Cela signifie clairement que c'est le commerce international
qui a tiré et qui tire la croissance, celle de l'économie mondiale et, plus
encore, celle de l'Europe et de la France. Les échanges internationaux sont le
moteur de l'économie, et non l'inverse.
Ce disant, bien entendu, je n'oublie pas le cortège des tragédies dont le
libre-échange est responsable, notamment en France : le textile, la chaussure,
les chantiers navals, la sidérurgie. Dans mon département comme dans bien
d'autres, j'ai vu les dégâts !
Mais, lorsqu'on fait le bilan, que constate-t-on ? On constate que la
Communauté européenne, avec 20 % des exportations mondiales contre 16 % pour
les Etats-Unis et 11 % pour le Japon, s'est hissée au premier rang des
puissances commerciales de la planète. On constate que la France, sans renoncer
à ses valeurs, s'est solidement installée au quatrième rang des grands
exportateurs mondiaux, et même au troisième rang pour les exportations de
services. On constate que 5 millions d'individus, soit 22 % de sa population
active, doivent leur emploi à l'activité exportatrice de nos entreprises. Le
chômage continue de nous assiéger, c'est vrai, mais chacun sait qu'il a, pour
l'essentiel, des causes structurelles internes, auxquelles il faudra bien, tôt
ou tard, s'attaquer.
Arrêtons donc de conspuer le libre-échange, dont nos entreprises sont les
premières bénéficiaires ! Constatons que la France est devenue structurellement
exportatrice, structurellement compétitive, et que les partisans du repli et
les nostalgiques du protectionnisme font fausse route.
Voilà une première raison, économique, de ne pas aborder à reculons la
négociation qui va s'ouvrir.
Il y en a une seconde, qui est politique. L'OMC, mes chers collègues, n'est
pas seulement chargée de promouvoir le libre-échange ; elle a pour mission d'en
être le régulateur et l'arbitre. Or, l'intérêt de l'Europe et de la France est
de voir les échanges internationaux encadrés par des règles claires et
contraignantes. Le grand progrès de l'OMC par rapport au GATT est de comporter
une procédure obligatoire de règlement des conflits commerciaux.
L'Europe n'a rien à gagner à la loi du plus fort, à la loi de la jungle. Une
Communauté de quinze pays, au sein de laquelle les décisions sont lentes et
difficiles à prendre, est congénitalement mal armée face aux pressions
unilatérales d'un pays comme les Etats-Unis. La sagesse nous commande d'opter
pour des procédures multilatérales qui s'imposent à tous les pays et qui les
placent tous à égalité.
N'oublions pas que c'est l'Europe, et non les Etats-Unis, qui a fait naître
l'OMC. Bien des différends nous opposent et nous opposeront à cette
organisation ; il demeure que l'Europe et l'OMC ont partie liée.
Soyons donc positifs et offensifs dans notre approche du cycle du Millénaire !
Ce qui ne signifie pas, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il faille être
complaisant ou naïf, bien au contraire.
La première des naïvetés consisterait à être dupe de l'ambiguïté américaine.
Je m'étonne, à cet égard, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous n'ayez pas
relevé l'incertitude fondamentale qui pèse sur la position des Etats-Unis. Le
président et son administration veulent que le cycle du millénaire s'ouvre à
Seattle et progresse, ensuite, le plus rapidement possible. Mais ils ont
besoin, pour négocier, d'un mandat que le Congrès leur a jusqu'ici refusé.
Négocier avec les Etats-Unis sans que la procédure dite du
fast track
ait été votée serait une grave erreur. C'est un véritable piège dans lequel il
ne faut pas tomber. Le Congrès serait alors libre, en effet, de remettre en
cause les résultats de la négociation, après sa conclusion, obligeant le
président à revenir devant ses partenaires étrangers pour leur arracher une
nouvelle série de concessions.
Le cycle du Millénaire peut, certes, s'ouvrir pour la forme dans quelques
jours ; mais il ne peut s'agir que d'un prologue. Les négociations sérieuses
devront attendre que le prochain occupant de la Maison-Blanche ait obtenu du
Congrès les pouvoirs obstinément refusés au président Clinton. On me permettra
d'ajouter que le rejet par le Congrès des Etats-Unis du traité sur
l'interdiction des essais nucléaires ne peut que nous inciter à la plus grande
fermeté sur ce point.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du
RDSE, du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Une fermeté, monsieur le secrétaire d'Etat, qui s'imposera tout autant sur
d'autres points essentiels, que vous avez d'ailleurs relevés.
Le plus important concerne sans doute l'esprit même de l'exercice qui va
débuter. Pour l'Europe et pour la France, il doit s'agir d'une négociation d'un
nouveau type, différente des précédentes, parce que les temps ont
fondamentalement changé.
L'agriculture ne peut plus être considérée, ainsi qu'elle l'a été jusqu'ici,
comme exclusivement productrice de denrées alimentaires. Son caractère
multifonctionnel doit être explicitement reconnu. Sans une agriculture vivante,
il n'y a, en Europe, ni paysages, ni aménagement du territoire, ni équilibre
entre l'espace urbain et l'espace rural, un équilibre pourtant vital pour des
sociétés confrontées, dans leurs banlieues, à d'angoissants défis sociaux.
En défendant la politique agricole commune, monsieur le secrétaire d'Etat,
vous défendrez beaucoup plus que des intérêts ; vous défendrez un modèle de
civilisation auquel il ne peut pas être question de renoncer.
Il en va de même - est-il besoin de le souligner ? - de la culture, parce
qu'elle touche à l'identité même de notre pays et qu'on ne saurait la livrer à
une logique mercantile ou financière.
Agriculture et culture nous opposent aux Etats-Unis. L'environnement et la
prise en compte de normes sociales nous opposeront, sachons-le, au tiers monde,
qui y voit une forme déguisée de protectionnisme.
Autant dire, monsieur le secrétaire d'Etat, que la négociation sera longue,
agitée et qu'elle n'aura évidemment d'intérêt pour nous, vous l'avez dit, que
si elle est globale et équilibrée.
Elle devra, bien entendu, prendre en compte les intérêts légitimes - ils ne le
sont pas tous ! - des pays en voie de développement, y compris ceux de la
Chine, dont l'adhésion désormais probable à l'OMC conférera, à l'évidence, à la
négociation une portée sensiblement accrue.
Pour l'Europe, la partie sera difficile. La Communauté devra veiller à ne pas
se laisser isoler. Elle devra surtout maintenir entre ses membres, dont les
intérêts et les sensibilités, nous le savons bien, sont souvent divergents, une
cohésion sans faille. Ce sera peut-être l'essentiel, monsieur le secrétaire
d'Etat, de votre tâche.
Si elle y parvient, le cycle du Millénaire, au lieu d'engendrer les
catastrophes que certains annoncent, pourrait, au contraire, inaugurer une ère
nouvelle, où liberté et réglementation des échanges s'équilibreraient dans le
cadre de procédures contraignantes et d'arbitrages impartiaux. Un objectif
aussi ambitieux est-il atteignable ? C'est loin d'être certain. Mais ce qui est
évident, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est qu'il est dans l'intérêt de
l'Europe et de la France d'y travailler sans faiblesse.
(Applaudissements
sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales
qui doit être lancé lors de la toute prochaine conférence ministérielle de
l'OMC revêt une importance que nous savons tous considérable.
C'est pourquoi mes premiers mots seront pour remercier la conférence des
présidents du Sénat et le Gouvernement d'avoir accepté la suggestion que
j'avais formulée d'organiser ce débat devant la Haute Assemblée à la veille de
l'ouverture de la conférence de Seattle.
Car il va de soi que le Parlement doit être en mesure de s'exprimer sur une
échéance aussi importante, comme il devra, demain, être tenu précisément
informé et régulièrement consulté, monsieur le secrétaire d'Etat, sur le
déroulement de ce cycle du Millénaire.
Je me contenterai, ce matin, de formuler deux séries d'observations de portée
générale sur les enjeux de ces nouvelles négociations commerciales
internationales, avant de vous poser, monsieur le secrétaire d'Etat, quelques
questions précises, avec l'espoir que vos réponses seront de nature à mieux
éclairer le Sénat.
La conférence de Seattle exige une attention et une vigilance toutes
particulières. Elle ne justifie pas pour autant - mon collègue et ami Jean
François-Poncet l'a dit - un alarmisme excessif, ni des discours hostiles à
l'Organisation mondiale du commerce elle-même ou prônant un refus de participer
à des négociations où nous devons, au contraire, faire entendre notre choix
haut et fort pour mieux défendre nos intérêts.
C'est précisément parce que la mondialisation suscite, légitimement, beaucoup
de préoccupations et de critiques que la communauté internationale dans son
ensemble doit l'entourer de règles plus précises et plus équitables.
C'est parce que le développement du commerce international a été et demeure le
moteur et le stimulant de la croissance mondiale que ces négociations doivent
être entreprises et les réactions frileuses écartées.
C'est parce que la France est la quatrième puissance commerciale mondiale et
le troisième exportateur de services que la politique de la « chaise vide »
desservirait gravement nos propres intérêts.
L'Organisation mondiale du commerce a été précisément conçue pour mettre en
place un système de règles et de transparence dans les échanges entre les
nations et pour éviter les excès redoutés de la dérégulation. L'OMC,
rappelons-le, est la première institution internationale qui dispose d'un
véritable pouvoir d'arbitrage entre les intérêts contradictoires des nations.
Et il n'est pas sans intérêt de souligner que les Etats-Unis, en adoptant la
mise en place de ce règlement, ont accepté là ce qu'ils ont systématiquement
refusé pour toute autre juridiction internationale.
Ne confondons donc pas le danger et le remède qui lui est apporté. Il est
légitime de vouloir corriger les excès potentiels d'une mondialisation
galopante. Mais c'est précisément l'OMC qui constitue l'instrument le plus
adapté pour y parvenir.
Dans ce cadre, le cycle du Millénaire revêtira une importance exceptionnelle.
Ces nouvelles négociations multilatérales sont singulières par rapport aux
nombreux rounds qui les ont précédées - non pas forcément plus importantes, car
je crois que le cycle de l'Uruguay, qui a débouché sur les accords de Marrakech
et sur la création de l'OMC, est celui qui a provoqué les changements les plus
forts.
Toutefois, ces négociations seront différentes au moins à deux titres.
D'abord, parce qu'elles sont aujourd'hui appelées à s'étendre à des sujets -
et la France le veut ainsi - comme les normes environnementales, sociales et
alimentaires, encore plus sensibles pour les opinions publiques, et qui
revêtent, de ce fait, une importance politique encore accrue.
Ensuite, parce que les pays en développement détiennent aujourd'hui une place
numériquement prépondérante parmi les 134 membres que compte l'OMC ; les
négociations doivent, dès lors, être plus équilibrées et ne peuvent plus se
limiter à un dialogue, ou à un affrontement, entre Européens et Américains.
Comment analyser, dans ces conditions, les enjeux réels du prochain cycle de
négociations pour notre pays et pour l'Union européenne dans son ensemble ?
Je crois tout d'abord que l'objectif majeur de cette négociation devra être de
convaincre nos peuples du bien-fondé d'une libéralisation équitable et
maîtrisée des échanges. Cela suppose une approche à la fois plus humaine et
ambitieuse de ce cycle du Millénaire. Cela justifie l'approche large, défendue
par l'Union européenne, d'un cycle complet de négociations. Il est nécessaire
qu'y soient discutés non seulement les questions relatives à l'agriculture et
aux services, mais aussi les nouveaux sujets nécessaires à une meilleure
maîtrise du phénomène de mondialisation : normes fondamentales du travail,
liens entre commerce et environnement, questions de sécurité alimentaire. Il
faudra aussi préserver et promouvoir la diversité culturelle, en particulier
lorsque sera abordée - il faudra bien le faire, monsieur le secrétaire d'Etat -
la définition d'un accord multilatéral relatif aux investissements.
Cette approche large des négociations justifie aussi l'exigence européenne
d'un cycle global et d'un engagement unique, refusant tout accord partiel avant
la fin des négociations. Cette approche est en effet seule gage d'équilibre :
le compromis est nécesssaire, et seule cette globalité permet le pilotage
politique indispensable pour que les différentes parties obtiennent des
résultats de la négociation des bénéfices comparables et équilibrés.
Un autre objectif de ce nouveau cycle devra être, à mes yeux, de tenter de
conforter le mécanisme de règlement des différends. L'Organe de règlement des
différends constitue une avancée du droit, illustrée par le caractère équilibré
de ses décisions. C'est ainsi que les Etats-Unis ont été, en septembre dernier,
mis en demeure de modifier leur dispositif fiscal d'aide aux entreprises
américaines à l'exportation. Il reste que le système, hybride dès lors que
l'OMC ne dispose pas de bras séculier pour contraindre les Etats responsables,
demeure perfectible. Il faut donc saisir l'opportunité qui s'offre d'améliorer
le mécanisme de règlement des différends, en particulier en professionnalisant
le recrutement des juges que constituent les « panélistes » et en renforçant la
transparence du système.
Par-delà ces données générales, j'évoquerai, monsieur le secrétaire d'Etat,
quelques questions ponctuelles ; les réponses qui y seront apportées
conditionneront demain le déroulement des négociations puis la mise en oeuvre
des résultats du cycle du Millénaire.
Pouvez-vous d'abord nous donner des précisions, point que M. Jean
François-Poncet a rappelé, sur les positions de l'administration américaine ?
En particulier, le fait que le président Clinton n'ait pas obtenu du Congrès la
procédure de ratification simplifiée que constitue le
fast track
ne
risque-t-il pas de réduire, au cours du prochain cycle, les capacités de
négociation américaines ?
Où en est-on, par ailleurs, à la suite du récent accord sino-américain, quant
aux perspectives d'adhésion de la Chine à l'OMC ? Si elle est la dernière-née
des grandes institutions internationales, l'OMC, pour être un arbitre
incontestable, doit pouvoir s'imposer à tous. Il me paraît donc souhaitable
qu'une puissance comme la Chine ne reste pas en dehors de l'organisation.
Troisième question : dans quelle mesure les futures négociations de l'OMC
pourront-elles influer sur les relations priviligiées - je le souligne - entre
les pays d'Afrique, des Caraïbes, du Pacifique et de l'Union européenne,
relations dont les dispositions - celles de la convention de Lomé - sont
actuellement en cours de renouvellement ? Plus généralement, dans quelle mesure
le cycle du Millénaire permettra-t-il aux pays en voie de développement de
trouver leur place sur la scène commerciale internationale ?
Mon dernier appel concernera, monsieur le secrétaire d'Etat, l'indispensable
association du Parlement au déroulement des prochaines négociations. Une
meilleure information des parlementaires sur les grandes négociations
internationales est, dans un monde de plus en plus « global », devenue une
nécessité. Il ne s'agit pas en l'occurrence, pour le Sénat ou l'Assemblée
nationale, d'empiéter sur les pouvoirs de l'exécutif. Il s'agit, dans l'intérêt
de tous, de permettre aux parlementaires de jouer pleinement leur rôle
d'information, d'explication et de sensibilisation auprès de nos concitoyens
qui seront directement concernés par les résultats des prochaines négociations.
Ne l'oublions pas : la force diplomatique et la marge de manoeuvre dans les
négociations dépendront, de plus en plus, dans l'avenir, du soutien des
opinions publiques.
Ainsi seulement parviendra-t-on, par-delà l'OMC, à promouvoir l'approche
humaine de la mondialisation qui est indispensable.
(Applaudissements sur
les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jacques Valade remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
7 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
développement du commerce international, l'extension du marché à l'ensemble de
la planète et les révolutions technologiques bouleversent la configuration du
capitalisme et les formes traditionnelles d'intervention des Etats pour
l'encadrer. Si la richesse globale progresse grâce à l'essor du commerce
mondial, les acteurs économiques changent de dimension, en particulier face aux
Etats nations qui perdent régulièrement leur influence.
Les inégalités entre les pays et au sein même des Etats se creusent sans que
nous sachions toujours trouver les outils nécessaires satisfaisant à la fois la
solidarité et l'efficacité économique.
Les nouvelles tensions qui apparaissent, les nouvelles situations
conflictuelles ou les nouvelles contradictions que nous devons résoudre
deviennent globales et plus lourdes de conséquences pour nos avenirs
puisqu'elles se généralisent à l'ensemble de notre planète. C'est sans doute
pourquoi les problèmes de l'environnement et le principe de précaution prennent
maintenant une place si importante. Et plus le monde se globalise, plus il a
besoin de règles. Plus la mondialisation se renforce, plus ses règles doivent
s'appliquer à tous.
Aussi, la tendance à l'intervention minimale propre à l'idéologie néolibérale
ne peut que renforcer le marché par rapport à une société démocratique et
conduit à un individualisme destructeur des valeurs de vie en commun, de
liberté et de cohésion. Les Etats nations se replient sur eux-mêmes ou
disparaissent, faute d'être autre chose qu'une coquille vide incapable de
répondre aux phénomènes qui dépassent les frontières nationales. C'est ici que
la construction européenne prend toute sa dimension.
Nous refusons le choix d'une France recroquevillée sur son passé et frileuse
de l'avenir. Nous refusons le choix d'une France rapetissée, réduite au
souvenir d'elle-même. Nous refusons le choix d'une France monégasque. Jamais
notre pays n'est aussi grand que lorsqu'il choisit le chemin de l'universalité.
Nous voulons la France de Jaurès et de Briand. Nous voulons la France de René
Cassin et de Jean Monnet, actrice de l'Europe, inscrite dans le monde,
promotrice de la solidarité.
Ceux qui endorment aujourd'hui les Français avec la belle légende d'Astérix et
Obélix n'oublient qu'une chose : ils n'ont pas la potion magique et, surtout,
ils ne sont pas tombés dedans quand ils étaient petits.
M. Emmanuel Hamel.
C'est une question de volonté !
M. Jacques Bellanger.
Si le somnifère agissait, le conte de fées deviendrait un cauchemar au réveil.
La France et l'Europe ont besoin de leur commerce extérieur, ne serait-ce que
pour revenir au plein emploi.
Nous ne serons donc pas de ceux qui montrent du doigt l'OMC pour en faire la
responsable de la mondialisation.
Messieurs les souverainistes, vous faites sur ce point le poirier : la tête en
bas, les pieds en l'air !
M. Emmanuel Hamel.
C'est une injure à l'avenir de la France !
M. Jacques Bellanger.
Lorsque M. Abitbol affirme que les décisions de l'OMC sont à 90 % en faveur
des Etats-Unis, il a tout faux !
M. Emmanuel Hamel.
L'injure n'est pas un argument !
M. Jacques Bellanger.
Les Etats-Unis ont perdu neuf procédures et en ont gagné onze ; l'Union
européenne en a perdu cinq et remporté huit. En outre, si elle était confirmée
en appel, il faudrait rajouter aux procédures perdues par les Etats-Unis celle
des « FSC », les dispositifs fiscaux américains d'aide à exportation, et ce
n'est pas une petite petite affaire !
Souvenons-nous : après la guerre, le GATT devient le pilier commercial du
système d'économie libérale de Bretton Woods. Il enregistre une multitude
d'accords souvent bilatéraux, parfois multilatéraux, de secteur ou
géographique. Petit à petit, se dégage une forme de jurisprudence, de démarches
et d'approche générale débouchant sur les conclusions de l'Uruguay round et
l'accord de Marrakech créant l'OMC. Ainsi se constitue l'embryon d'une
réglementation commerciale internationale qui va prendre un essor imprévu du
fait de la volonté d'universalité de l'OMC et de l'existence en son sein d'un
système impliquant le retrait des mesures reconnues comme illégales ou, à
défaut, le paiement de compensations ou même de sanctions par les parties qui
enfreindraient les règles.
Nous disposons aujourd'hui d'un outil qui peut apparaître comme un prélude à
un nouvel ordre juridique mondial en matière de commerce international. Ses
normes sont-elles satisfaisantes ? C'est une autre histoire, et nous y
reviendrons, mais, face à la jungle du « tout est permis » et du non-contrôle,
du libéralisme sauvage, nous disposons d'un instrument de régulation de la
mondialisation. Loin de le condamner dans son principe, nous entendons situer
notre combat en son sein pour une plus grande justice, pour une plus grande
équité et une meilleure solidarité.
Organiser les règles d'échange des marchandises, c'est d'abord les définir,
les caractériser, voire les différencier.
Nous refusons l'uniformisation et la marchandisation des sociétés. Les oeuvres
de l'esprit et les cultures ne sont pas des marchandises. Les vecteurs
matériels qui les supportent et les transmettent doivent donc faire l'objet
d'un traitement particulier et je laisserai à ma collègue Danièle Pourtaud le
soin d'intervenir sur ce sujet.
La santé n'est pas une marchandise.
Le travail n'est pas une marchandise.
La définition des droits en ces domaines et le respect de normes minimales
sociales et sanitaires doivent générer des règles spécifiques. Nous devons
aussi prendre en compte l'état de développement de nombreux pays.
Ces normes particulières doivent s'accompagner d'un devoir de solidarité et
de la définition d'étapes. Nous voulons le commerce et l'aide, et non pas le
commerce sans l'aide.
Nous proposons l'ouverture commerciale aux pays les moins avancés et une aide
généreuse, comme en témoigne l'initiative du Conseil européen de Cologne sur
l'annulation de la dette des pays les plus pauvres.
Nous souhaitons que les pays riches suivent l'exemple de l'Union européenne et
que l'accord de Seattle, s'il y en a un, garantisse l'accès au marché en
exemption des droits au plus tard à la fin du nouveau cycle de négociations
pour la plupart des produits exportés pour les pays les moins développés.
Cette proposition peut être considérée comme une étape vers la libéralisation
multilatérale. Elle doit donc être complétée par la mise sur pied
d'intégrations régionales permettant à ces pays de développer leur marché
intérieur et leurs exportations sur des bases compétitives, afin de rendre ces
pays plus indépendants et plus aptes à défendre leur propre position. La
compatibilité entre régionalisme et multilatéralisme doit être assurée.
L'environnement non plus n'est pas une marchandise. Mais nous avons un petit
acquis d'avance puisque, contrairement aux normes fondamentales du travail, la
nécessité de liens entre le commerce et l'environnement a été reconnue. Le
principe de précaution figure même, timidement, dans deux accords de l'OMC.
Il nous faut toutefois constater que l'OMC a plutôt tendance à considérer les
réglementations nationales de l'environnement comme des formes déguisées de
protectionnisme et à ne pas prendre en considération les grands principes de
Rio. Il y a donc encore beaucoup à faire en ce domaine.
De plus, les initiatives récentes visant à établir un droit à polluer
négociable et donc - pourquoi pas ? - une bourse des droits à polluer ont des
aspects profondément choquants.
Nous nous félicitons de la décision prise par le Gouvernement conduit par
Lionel Jospin de s'opposer à l'accord multilatéral sur l'investissement, l'AMI,
qui était par trop favorable aux multinationales. Il leur donnait le droit de
porter plainte contre les pratiques qu'elles jugeaient discriminatoires des
Etats, et ces mêmes Etats n'obtenaient pas les garanties nécessaires pour
préserver leur capacité réglementaire, notamment en matière sociale. Bref,
c'était un mauvais accord dans un cadre inadapté, et un accord d'ailleurs
contesté aussi par les pays en voie de développement.
Ce n'est pas le principe de l'accord qui a été rejeté. Ce sont ses modalités
inadmissibles et inapplicables. Il est donc souhaitable de définir de nouvelles
règles multilatérales concernant l'investissement.
Ces règles doivent assurer la stabilité de l'investissement direct étranger
dans le monde, définir strictement les critères de développement durable
applicables aux différents types d'investissement, préserver, dans le cadre
défini, les capacités des pays d'accueil en matière réglementaire et être
prises dans une instance où les pays en voie de développement sont représentés.
L'OMC me paraît souhaitable.
Il restera ensuite à définir l'outil en charge de la régularisation concrète
des investissements. La logique conduirait à profiter de l'expérience acquise à
l'OMC.
Nous avons plusieurs fois souligné qu'une des forces de l'OMC était son
système de règlement des conflits composé d'une première instance, les groupes
spéciaux ou panels, et d'une seconde instance d'appel. Nous souhaitons
toutefois formuler sur ce point deux remarques et recueillir l'avis du
Gouvernement.
Avant la création de l'OMC en 1995, les négociations commerciales se passaient
dans une confidentialité organisée. Les progrès accomplis par l'OMC sont
incontestables, mais ils restent trop limités aux gouvernements, et sans doute
même à certains gouvernements.
Nous souhaitons pour notre part rendre l'OMC plus citoyenne, ce qui signifie
que la société civile et en particulier les ONG puissent faire valoir leur
point de vue au cours des négociations sans que le caractère
intergouvernemental de l'OMC soit remis en cause. Nous espérons ainsi
introduire dans le processus de décision les notions de droit et de protection
des consommateurs.
Nous souhaitons également que l'accès au recours des pays les moins développés
soit facilité.
Nous sommes en train de voir apparaître, à partir des règlements des
différents conflits, une véritable jurisprudence en matière de commerce
international. Le Gouvernement partage-t-il ce sentiment et en est-il satisfait
? Comment peut-on concilier la nature consensuelle de l'OMC et la construction,
à partir de ses instances, d'un début de droit international en matière de
commerce ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, les enjeux de la conférence de Seattle sont
d'une grande importance. Sur la route du monde futur, nous sommes à la croisée,
du moins à une croisée des chemins. Il est de notre intérêt, de l'intérêt de
l'Union européenne, qu'un accord puisse être trouvé et, bien entendu, d'abord
sur l'ordre du jour et son contenu.
Nous avons développé notre conception d'une mondialisation maîtrisée avec une
OMC qui est l'instrument d'une véritable régularisation du commerce
international. Nous savons qu'à Seattle les divergences seront sérieuses. Les
Etats-Unis ont aussi des intérêts à préserver, et c'est bien naturel. Mais les
conditions politiques prévalant dans ce pays adossées à un calendrier électoral
leur feront préférer un débat très encadré dans un délai très restreint.
Les pays en voie de développement, faute d'un vrai bilan des accords de
Marrakech, souhaitent limiter les ambitions des négociateurs et obtenir des
résultats concrets immédiats. Nous ne pourrons pas concéder des remises en
cause fondamentales de nos positions.
Faute de compromis acceptable, ne conviendrait-il pas alors de laisser « du
temps au temps » ? Nous serons ainsi en plein accord avec le Premier ministre
lorsqu'il déclare : « Rien n'est acquis quand tout n'est pas acquis. »
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Souplet.
M. Michel Souplet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
après avoir entendu nos deux présidents de commission, MM. Jean François-Poncet
et Xavier de Villepin, je crois que nous aurions pu arrêter là le débat, car
ils ont tout dit, ou du moins ils ont exprimé ce que pense la très large
majorité des sénateurs.
M. Jean-Pierre Raffarin.
C'est vrai !
M. Michel Souplet.
Au nom du groupe de l'Union centriste, je voudrais toutefois dire que je me
réjouis qu'un tel débat ait lieu au sein de la Haute Assemblée et que l'on
reconnaisse, enfin, l'importance de l'avis du Parlement. Car il ne faut pas
oublier que les décisions qui seront prises lors du prochain cycle de
négociations auront d'inévitables implications sur la législation française.
J'ai noté d'ailleurs avec satisfaction votre affirmation, monsieur le
secrétaire d'Etat, lors du dernier débat sur l'OMC à l'Assemblée nationale,
selon laquelle le Gouvernement tiendrait informé régulièrement le Parlement de
l'avancée des discussions de Genève. Je souhaite qu'en plus de l'information le
Gouvernement tienne compte de la volonté du Parlement et de ses
propositions.
Nous avons entendu de tout sur l'OMC et sur ses prétendus méfaits à l'approche
des prochaines négociations du nouveau cycle du Millénium. Je constate
néanmoins que le Gouvernement a aujourd'hui une approche plus réaliste qu'il
n'a pu l'avoir auparavant. Quelques électrons libres - et c'est tant mieux
s'ils sont libres - continuent de fustiger cette organisation qui, je vous le
rappelle, doit sa mise en place non pas aux Etats-Unis, mais à l'insistance de
la France en particulier. Au contraire, cette puissance, qui nous donnera bien
du fil à retordre, aurait souhaité conserver seule cet accord provisoire
qu'était le GATT.
J'observe également que l'on ne peut porter notre discussion autour des seuls
Etats-Unis, bien au contraire. Cela s'explique par les récents différends que
nous avons eus avec eux. Je pense, par exemple, au commerce de la banane.
A ce propos, j'ai toujours été surpris qu'un pays qui ne produit pas de
bananes se batte avec autant d'énergie, essentiellement pour les intérêts
commerciaux de grands groupes internationaux à dominante américaine. Ce fut le
cas du boeuf aux hormones, du boycott de certains produits français, des
surtaxes infligées sur certains produits.
Pourtant, on sait que l'Union européenne a remporté plus de « panels » qu'elle
n'en a perdus. A cet égard, puisque l'un des nouveaux sujets que l'Union
souhaiterait aborder lors du prochain cycle est la concurrence, il me semble
souhaitable de porter notre attention sur une éventuelle réforme du système des
sanctions.
En effet, lorsqu'un Etat se sent victime de barrières à l'entrée de la part
d'un autre Etat, il peut saisir l'organe de règlement des différends, sorte de
système juridictionnel de l'OMC qui statue et constate ou non l'existence d'une
violation des obligations prévues par les accords de l'OMC. Or, dans le cas où
l'Etat mis en cause ne révise pas sa position, l'Etat victime est autorisé à
prendre des mesures de rétorsion, d'où la mise en place de barrières à l'entrée
légitimes. On assiste donc, comme l'écrivait Mme Frison-Roche dans un quotidien
du soir, à un système hybride, entre le pur rapport de forces et un système de
droit où la victime ne disposerait pas de la sanction.
Quelles en sont les conséquences ?
Dans l'affaire du maintien de l'interdiction d'importation du boeuf aux
hormones produit par les Américains, ce ne sont pas les producteurs qui ont
bénéficié de la barrière à l'entrée qui sont pénalisés ; ce sont les
producteurs de roquefort, de foie gras...
Je cite Mme Frison-Roche : « ... ainsi, les producteurs de roquefort voient
leur possibilité d'exportation obérée pour sanctionner un comportement qui a
bénéficié aux producteurs européens de boeuf. Le sens commun mais aussi le
coeur des règles qui légitiment une répression ont du mal à l'admettre. Dans le
contexte du droit pénal, on pourrait dire que cela n'est pas juste. » Il est
donc important que le sujet soit abordé lors du prochain cycle afin de penser à
une réforme du système des sanctions.
Pour clore le débat sur le rôle des Etats-Unis - et Dieu sait si c'est une
obsession pour chacun, tous courants politiques confondus - on ne peut que
s'étonner de leur attitude isolationniste et protectionniste alors que, selon
les dernières estimations de l'OCDE, publiées la semaine dernière, la reprise
de l'économie mondiale se confirme et devrait se poursuivre, cela grâce à la
vigueur inattendue de la croissance américaine associée à une reprise plus
forte que prévue au Japon ainsi qu'en Corée et à une légère amélioration des
perspectives en Europe. On n'ose pas imaginer quelle aurait été leur attitude
dans un contexte économique moins favorable pour eux !
Cependant, il ne faut pas oublier que les Américains raisonnent dans un
contexte de future campagne électorale et n'évaluent donc pas de la même façon
que nous la part des risques et la part des opportunités dans les sujets que
l'Union européenne veut mettre sur la table des négociations. Mais cela ne
serait peut-être pas seulement le fait de l'administration américaine, car nous
sommes dans un état d'esprit constructif, à la différence du Congrès, qui, lui,
serait agressif, qui n'a d'ailleurs pas donné de mandat de négociation globale
à l'administration américaine ; cela vous a été rappelé à deux reprises à
l'instant, monsieur le secrétaire d'Etat.
Quels sont donc les points de discorde ? Alors que les Etats-Unis veulent
négocier secteur par secteur, l'Union européenne et la France, en particulier,
sont favorables à un cycle global de négociations, au terme duquel aucun accord
sectoriel ne serait possible avant la conclusion d'un accord global. Comme le
souligne le Premier ministre, « rien n'est acquis tant que tout n'est pas
acquis ». Sur ce point, il n'y a aucune divergence entre le chef de l'Etat et
le chef du Gouvernement.
Par ailleurs, les Américains ne veulent s'en tenir qu'au
built-in-agenda,
c'est-à-dire à l'agenda incorporé de Marrackech, qui ne comprend que les
services et l'agriculture. Lors de la dernière conférence ministérielle à
Singapour, de nombreux pays ont souhaité l'inscription de nouveaux sujets à
l'agenda du prochain cycle et l'Union européenne soutient cette demande. Elle
est claire sur ce point et souhaite que les membres de l'OMC parviennent à
s'accorder sur un ordre du jour élargi.
Elle juge ainsi indispensable que soient discutés des droits de douane sur les
produits industriels, de la protection de la propriété intellectuelle - j'y
reviendrai tout à l'heure, car ce sera l'occasion d'insister sur la nécessaire
protection des indications géographiques ; mon collègue Jean Huchon ne m'en
voudra pas trop si je déborde légèrement sur le volet agricole -...
M. Jean Huchon.
Si !
(Sourires.)
M. Michel Souplet.
... des marchés publics, des obstacles techniques aux échanges, ainsi que de «
nouveaux sujets » que l'on doit lier au commerce international, tels que les
normes fondamentales du travail, l'environnement, la sécurité alimentaire,
l'investissement et le droit de la concurrence.
Je ne reprendrai pas tous les thèmes ; je dirai simplement que des droits de
douane, s'ils sont l'un des obstacles à de meilleurs échanges commerciaux, ne
sont plus ceux qui provoquent les plus grandes distorsions. Ce à quoi l'Union
européenne doit s'attaquer, c'est à des mesures moins transparentes auxquelles
certains pays ont recours pour maintenir leur marché fermé et protéger leurs
entreprises, moins compétitives, de la pression de l'étranger.
Ainsi, ce nouveau cycle doit aboutir à l'élaboration de règles garantissant
l'application transparente du droit de la concurrence par tous les pays. En
effet, on ne peut plus permettre aux grosses entreprises de s'adonner à des
pratiques discriminatoires ; je pense notamment aux ententes à l'importation,
pratiques qui restreignent fortement l'accès aux marchés.
Dans les sujets déjà abordés lors du dernier cycle, il y a aussi le droit de
la propriété intellectuelle. Le traité de Marrakech comprend un accord sur les
aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, dit
ADPIC. Celui-ci concerne tous les produits, qu'ils soient naturels ou
manufacturés, agricoles ou industriels, avec une protection renforcée pour les
vins et spiritueux.
Cet accord constitue une avancée majeure dans la protection internationale des
droits de propriété intellectuelle qu'il s'agisse des droits d'auteur, des
marques, des indications géographiques, des dessins et modèles, des brevets,
etc.
Un apport de cet accord est de définir à l'échelon international l'indication
géographique et de permettre de fédérer 135 pays autour de cette définition.
L'indication géographique « sert à identifier un produit comme étant originaire
du territoire d'un Etat membre, d'une région ou d'une localité de ce
territoire, dans les cas où une qualité, réputation ou autre caractéristique
déterminée du produit peut être attribuée essentiellement à cette origine
géographique ».
Le principe majeur de cette protection générale est d'éviter la tromperie ou
la confusion que pourrait provoquer chez le consommateur une utilisation
incorrecte ou indue d'une indication géographique ou d'une concurrence
déloyale.
Pour ce qui concerne particulièrement les vins et spiritueux, et qui touche
particulièrement la France, il existe une protection additionnelle dite «
objective », c'est-à-dire qu'il n'est pas nécessaire de prouver une tromperie
au consommateur ou un acte de concurrence déloyale.
Cependant, la protection des indications géographiques connaît des limites du
fait de l'existence d'exceptions telles que, notamment, les noms d'appellation
considérés comme génériques ou semi-génériques, comme le « chablis californien
», ou le « champagne canadien ».
Sous prétexte que les accords ADPIC ne prévoient pas une obligation d'aboutir,
certains Etats tardent à négocier. Le rendez-vous de Seattle doit être
l'occasion de relancer ce débat. L'Union européenne doit être offensive : une
protection internationale plus efficace des indications géographiques
renforcera la compétitivité des exportations agro-alimentaires, tout en
valorisant une agriculture de haute qualité.
Dans les thèmes souhaités par l'Union européenne figure la prise en compte des
craintes éprouvées par nos concitoyens sur les effets de la globalisation, des
craintes relatives à l'environnement et à la protection des consommateurs. Pour
ce qui concerne la protection des consommateurs, je pense notamment au principe
de précaution consacré par la conférence de Rio et relevant de conventions
internationales. Or ce principe n'est pas spécifiquement mis en oeuvre par les
règles de commerce international et il faut donc d'urgence inciter à une
adaptation de l'accord sanitaire et phyto-sanitaire.
L'OMC autorise ses membres à prendre les mesures sanitaires et
phyto-sanitaires qu'ils jugent nécessaires pour protéger la santé et le
bien-être de leurs concitoyens. Le traité d'Amsterdam a consacré la protection
des consommateurs comme l'un des objectifs fondamentaux de l'Union européenne.
Celle-ci doit donc tout mettre en oeuvre pour que la discussion internationale
établisse des méthodes communes d'évaluation des risques et définisse des
règles pour renforcer et appliquer le principe de précaution.
Par ailleurs, le cycle doit être bénéfique à l'environnement.
Un récent rapport de l'OMC, daté du 14 octobre dernier, fait état pour la
première fois des conséquences négatives que peut avoir le commerce sur
l'environnement. Les généralisations manichéennes sont autant le fait du milieu
des affaires que celui des militants écologistes : le commerce est déclaré soit
bon, soit mauvais pour l'environnement alors que, dans la réalité, la vérité
est à mi-chemin des deux affirmations.
On doit avoir en tête que le commerce, l'environnement et le développement ont
des relations triangulaires, les deux premiers éléments s'épaulant mutuellement
en faveur du développement durable. Pour ce faire, il sera nécessaire de passer
en revue des préoccupations actuelles relevant de domaines aussi divers que le
changement climatique, la biodiversité et, ce qui préocuppe particulièrement
l'Union européenne, la compatibilité de l'éco-étiquetage avec les règles de
l'OMC.
Enfin, et ce n'est pas parce que je l'évoque en dernier que c'est un sujet qui
m'importe moins, je souscris à la volonté de l'Union européenne de mieux
intégrer les pays en développement. Ceux-ci n'ont pas la capacité compétitive
d'accéder au marché mondial et, contrairement aux arguments du groupe de Cairns
et des Etats-Unis, la libéralisation des échanges n'est pas favorable aux
producteurs et aux économistes de ces pays. Bien que les pays en voie de
développement représentent 20 % environ des produits manufacturés dans le
monde, la plupart savent depuis longtemps les rôles seconds qu'on leur fait
jouer sur la scène économique mondiale.
C'est pourquoi je souscris à la volonté de l'Union européenne de prendre en
compte l'ensemble des besoins et des préoccupations spécifiques de ces pays au
travers de ce que l'Union européenne appelle « le programme de développement de
l'OMC ». Ce programme propose notamment la franchise de droits pour les pays
les moins avancés, les PMA, la négociation de droits systématiques plutôt que
limités à certains secteurs.
En effet, les négociations doivent porter sur tous les secteurs présentant un
intérêt pour les pays en développement et, dans les nouveaux domaines tels que
l'investissement et la concurrence, elles doivent également prendre en compte
les problèmes liés au développement. En d'autres termes, j'affirme que la
question du développement dans la libéralisation du commerce est un des thèmes
récurrents des négociations.
Puisque j'évoque une meilleure intégration des pays en développement, parmi
les thèmes que l'on doit lier au commerce international, figure également celui
des normes fondamentales du travail. C'est un sujet délicat, car on sait bien
que les pays en développement pratiquent ce que nous appelons un « dumping
social », notamment au travers du travail des enfants. Nos pays industrialisés
ne peuvent pas l'accepter pour des raisons simplement morales. Cependant, les
pays en développement ne souhaitent pas que la question des normes sociales
soit soulevée à Seattle. En effet, ils considèrent que c'est porter atteinte à
leur avantage comparatif, et l'on ne sait jamais si ces normes sont évoquées
par les pays industrialisés par souci moral ou bien pour justifier des
pratiques protectionnistes.
L'Union européenne, quant à elle, souhaite promouvoir les normes fondamentales
du travail définies par les conventions de l'organisation internationale du
travail, l'OIT sur le travail des enfants, le travail forcé, la liberté
d'association, la non-discrimination, normes qui sont la garantie d'une
distribution équitable des bénéfices de la croissance et d'une amélioration des
conditions sociales. C'est pourquoi elle insiste pour que l'OIT obtienne le
statut d'observateur à l'OMC.
« Mondialisation, globalisation... peu importe le nom que l'on invoque et que
l'on utilise por effrayer nos concitoyens et diaboliser l'OMC. Il faut dire que
le contexte s'y prête, et l'on a observé une forte effervescence sur les
affaires agricoles et sanitaires, notamment en France dernièrement.
On en connaît bien l'origine : les affaires de la vache folle, de la
dioxine... Certains semblent oublier que nous évoluons dans un monde
caractérisé par l'interdépendance économique et qu'il n'est pas de l'intérêt de
la France ni de l'Union européenne de pratiquer la « chaise vide » - M. de
Villepin l'a souligné précédemment - voire de sembler aveugles à certains
moments de notre existence.
Cependant, il ne faut pas non plus avoir l'autre vision manichéenne du
libre-échange, souvent considéré comme synonyme de loi de la jungle.
Si l'Union européenne a pris l'initiative de faire campagne pour l'ouverture
d'un nouveau cycle de négociations commerciales dès 1997, c'est qu'elle estime
que le système d'échanges multilatéral doit être mieux organisé et plus
libéralisé pour répondre à la globalisation grandissante de l'activité
économique. Je cite, en effet : « Un cycle global, offrant un ensemble
équilibré d'avantages pour tous les membres de l'OMC, pourra concilier les
demandes antagonistes de croissance économique, d'intégration plus poussée des
pays en développement, de protection de l'environnement et de développement
social, et renforcera davantage un système d'échanges basé sur des règles.
Poursuivre l'un de ces objectifs au détriment des autres conduira
inévitablement à une approche déséquilibrée ».
Le commerce stimule la croissance économique, laquelle crée des emplois. Sur
les cinq dernières années de l'Uruguay round, la richesse mondiale a augmenté
de 3 % par an, en grande partie grâce à une croissance du commerce
international. Il ne faut pas oublier qu'en France un emploi sur quatre dépend
directement ou indirectement du commerce extérieur.
L'Union européenne doit être ferme dans ses positions. Elle doit se faire des
alliés dans toutes les régions du globe. Elle doit être le fer de lance de la
mise en place d'un monde nouveau.
Avant de conclure, je voudrais formuler trois remarques complémentaires.
Premièrement, nous sommes des libéraux, mais parfaitement conscients que le «
tout-libéralisme », c'est la loi de la jungle ! Nous assistons actuellement à
ce phénomène au niveau des monopoles de fait de groupes multinationaux de la
distribution.
La loi de la jungle, c'est la mort du plus faible ; c'est une conception de la
liberté que nous rejetons.
Deuxièmement, dans le domaine agricole, l'Europe a accepté deux réformes de la
PAC qui ont conduit à une meilleure maîtrise du marché, à une plus grande
qualité des produits et à une amélioration évidente de l'environnement. Ce
furent des contraintes coûteuses pour les agriculteurs de l'Europe. Qu'ont fait
les Etats-Unis pour essayer, dans la même période, de se rapprocher de nous
?
Dans les négociations à venir, il conviendra d'intégrer le résultat des deux
réformes de la PAC comme un à-valoir important apporté dans la balance.
Enfin, troisièmement, nous venons d'assister à un revirement extraordinaire de
la position de la Chine, qui, à terme, rejoindrait l'OMC. Personnellement, si
je m'en réjouis, je n'exclus pas l'émergence de difficultés nouvelles et
importantes inhérentes au poids d'un pays détenant à lui seul le cinquième de
la population et un potentiel de production considérable.
En conclusion, je dirai qu'il est du devoir de l'Organisation mondiale du
commerce de redorer son blason et de restaurer sa légitimité. A travers le
monde, le libre-échange est contesté et l'Organisation rendue responsable des
maux de la mondialisation. Elle doit reconnaître la nécessité d'introduire des
changements, elle doit s'ouvrir davantage et, au passage, devenir plus
transparente.
Le Parlement, c'est la voix du peuple et le Gouvernement ne doit pas
l'ignorer.
Que serait la France, aujourd'hui, s'il n'y avait pas eu l'Europe ? Que
serait-elle, demain, s'il n'y avait pas une ouverture plus grande sur le monde
?
Je défends cependant la légitimité de l'OMC et, comme son nouveau directeur
général, Mike Moore, je pose la question : comment l'absence de règles
pourrait-elle rendre la mondialisation plus acceptable et à qui pourraient
s'adresser les petits et les faibles avec l'espoir d'être entendus ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les
propos que je m'apprête à tenir, au nom du groupe des Républicains et
Indépendants, s'inscrivent tout à fait dans la ligne tracée, à la fois par le
président Jean François-Poncet et par le président Xavier de Villepin.
Les enjeux de la conférence de Seattle nous concernent en effet directement.
De toute évidence, il ne s'agit pas de renoncer aux bienfaits du commerce
international comme le disait M. François-Poncet, soyons positifs sans être
naïfs. N'oublions pas que, derrière le « tout commerce » de Montesquieu, il y a
aussi un violent rapport de force ; soyons-y attentifs.
Monsieur le secrétaire d'Etat, trois enjeux principaux me semblent présider à
cette discussion : élargir la négociation ; résister à l'offensive américaine ;
enfin, définir la vision française de la mondialisation.
Elargir la négociation : sur ce sujet bien des choses ont déjà été dites.
Certes, ne limitons pas à l'agriculture et aux services les sujets inscrits aux
débats de Seattle. De toute évidence, doivent figurer également les normes
sociales et environnementales. C'est une question majeure pour les relations
économiques internes à l'Europe. Il est clair que les limites à la course
effrénée à la compétitivité et à la productivité sont, d'une part, les normes
sociales, d'autre part les normes environnementales. Dans nos économies, on ne
peut parler de compétitivité sans intégrer les charges liées à celle-ci.
Si les choses sont évidentes pour l'espace européen, pour les pays en voie de
développement, on ne peut se satisfaire de la vision d'un développement d'où
seraient absents le droit à des statut sociaux respectables ou le droit à la
sécurité alimentaire.
Quelle est cette vision stratégique des Etats-Unis qui consisterait, d'une
part, à diminuer les aides au développement et, d'autre part, à vouloir
sous-estimer les aspects social et environnemental dans le monde en
développement ? La conquête de liberté de ces pays ne passe-t-elle pas aussi
par des statuts sociaux et par des normes environnementales ? Cette notion
américaine de la qualité sélective est choquante. Elargissons donc la
négociation !
En deuxième lieu, résistons à l'offensive américaine contre la PAC.
Il est évident que les accords négociés à Berlin, sous l'autorité du Président
de la République, sont pour nous importants puisqu'ils posent des grands
principes auxquels nous sommes attachés.
Les Etats-Unis, eux, ont toujours la même obsession : ils distribuent 8
milliards de dollars à leurs fermiers et, parallèlement, demandent à l'Europe
de baisser ses subventions à l'agriculture ! Derrière cette stratégie de
l'alignement systématique, on voit bien leur volonté de faire baisser les cours
mondiaux.
Si l'on considère qu'il faut faire pression sur le commerce des matières
premières pour faire baisser les prix, que devient notre élevage, que devient
notre production de fromages si riche en diversité ?
M. Ladislas Poniatowski.
Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Il est clair que la ressource tirée de l'agriculture ne peut être fondée sur
cette seule loi du prix mondial le plus bas. Pensons au rôle structurant de
notre territoire que joue l'agriculture et aux activités économiques qu'elle
génère !
Je n'ajouterai pas d'autres considérations sur ce sujet, M. François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques, ayant tout dit en
indiquant qu'il s'agissait d'un modèle de civilisation.
N'oublions pas non plus notre combat pour la qualité. Il va de soi que la
reconnaissance, notamment des signes de qualité, c'est la reconnaissance des
forces de l'agriculture française.
Il importe donc d'élargir les négociations, de résister à l'offensive
américaine contre la PAC, mais aussi - et ce sera le troisième point de mon
intervention - de définir la vision française de la mondialisation. Monsieur le
secrétaire d'Etat, je ne vois pas, aujourd'hui, dans les réflexions
gouvernementales, quelle est la vision de la France sur la mondialisation. Or,
sans vision, on ne peut maîtriser la situation !
Pour beaucoup de Français, cette mondialisation est à la fois un espoir et un
choc. Le visiteur qui se promène dans les rues de Pékin et qui découvre que
l'on peut y installer, en quelques mois, cinquante McDonald's, s'interroge :
comment est-il possible que cette société multiséculaire, avec sa langue
hermétique, se laisse ainsi pénétrer ? Ce n'est pas le Poitou qui pourra
résister si Pékin s'agenouille !
(Sourires.)
Au fond, cette mondialisation nous préoccupe beaucoup. Mais quelles sont
nos ripostes ? Quel est le message de la France face à cette mondialisation ?
Ce message, nous le trouverons dans notre histoire et aussi chez nos penseurs.
Jean Baudrillard disait : Le mondial et l'universel ne vont pas de pair, ils
seraient plutôt exclusifs l'un de l'autre. C'est ce message de l'universel qui
est la vraie réponse à la mondialisation, parce la conquête de l'universel se
réalise non pas par l'uniformisation, mais par la singularité. Telle doit être
la réponse française !
Que signifie, concrètement, la recherche d'un message français qui soit un
message d'identité et d'ouverture ? Cela veut dire qu'il nous faut effectuer
trois choix.
Tout d'abord, nous devons choisir la diversité culturelle contre
l'uniformisation. Il est évident que la banalisation aboutit à la stérilité de
la France ; je ne développerai pas ce sujet, mon collègue Ladislas Poniatowski
y fera allusion tout à l'heure, au nom de notre groupe. Défendons cette
diversité culturelle !
Défendons, ensuite, une éthique des nouvelles technologies ! Leur formidable
développement représente, certes, des avantages, mais aussi des risques.
On voit bien cette logique qui s'installe et que je pourrais qualifier,
schématiquement, de logique du « con-con » : du concept au consommateur,
directement, en supprimant toutes les médiations, tous les intermédiaires.
S'agissant de la production, instituons les magasins d'usine ! Pour
l'enseignement à distance, dispensons-le sans professeurs ! Plus l'intervention
humaine disparaîtrait et plus on serait moderne. Sont-ce là les schémas de
l'avenir qui nous sont proposés ?
Pour lutter contre cette fracture technologique qui nous menace, il faut
injecter en permanence de l'éthique humaine dans ces dispositifs.
M. François Trucy.
Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Tel est l'un des messages français ! Nous qui avons le sens du droit et la
modernité, faisons en sorte qu'une éthique des nouvelles technologies permette
d'anticiper cette nouvelle fracture technologique, fracture non seulement
sociale, mais également internationale.
Enfin, outre la diversité culturelle et l'éthique des nouvelles technologies,
il nous faudra effectuer un troisième choix : la valorisation des structures à
taille humaine.
Aujourd'hui, partout dans le monde s'affirme le fait PME : il n'est pas un
seul gouvernement qui ne pense pas que l'avenir de l'emploi dans son pays
repose sur le développement des PME. Pourtant, si, à l'heure actuelle, le fait
PME est reconnu mondialement, il est terriblement menacé par le gigantisme et
les concentrations. Il convient donc d'assurer une protection mondiale du fait
PME, qui est lui-même un fait mondial.
Faisons en sorte que les logiques de la concentration trouvent des limites par
des dispositifs antitrusts. Tant qu'à prendre modèle sur les Etats-Unis,
appliquons une disposition qui introduise des limites au gigantisme et à la
concentration, afin de valoriser les structures à taille humaine.
Si les structures à taille humaine, si les organisations économiques et
sociales à taille humaine sont partout remises en cause, il est évident que
tout ce qui fait la France sera remis en cause, parce que, par définition, la
France est porteuse de structures à taille humaine. Veillons à ce que le
gigantisme ne nous affaiblisse pas et que l'on trouve cette approche humaine
dont parlait tout à l'heure M. de Villepin.
C'est sans doute au travers de cet humanisme libéral que la France doit
reconquérir ce message de l'universel, qui aura une dimension internationale et
qui sera différent du message de la mondialisation.
Pour la France, il ne peut être question d'avoir une autre vision que celle
qui passe par l'acceptation de l'autre, mais qui, en aucune façon, n'oblige au
renoncement de soi-même.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à
quelques jours de la conférence de Seattle, les orientations qui ont été prises
ces dernières semaines par le Gouvernement ne sont rien d'autre qu'un catalogue
de bonnes intentions destiné à rassurer ceux qui s'inquiètent, à juste titre,
en France, en Europe et chez nombre de nos partenaires francophones, de la
dérive mondialiste.
Evidemment, ces négociations auraient pu se dérouler, comme les précédentes,
dans l'indifférence générale, si des crises financières répétées - comme celles
d'Asie du Sud-Est ou de Russie - si le déferlement de l'américanisation, si la
dépossession rampante des souverainetés nationales et si le mépris de la santé
de l'humanité, pour le seul profit de quelques multinationales, n'avaient
accéléré la prise de conscience des peuples qui souffrent de ces maux.
En conséquence, mes propos s'orienteront autour de plusieurs constats pour
déboucher sur un appel au sursaut national par une politique française
clairement affichée de la « chaise vide » à Seattle.
Sur la forme, mon premier constat est, avant tout, celui de l'incompréhension
et de la consternation.
En effet, la réunion de cette conférence internationale n'est rien d'autre
qu'une convocation, qu'un « diktat » des Etats-Unis sur leur territoire, dans
la ville de Boeing et de Microsoft, avec comme objectif unique d'asseoir
toujours davantage leur suprématie, sous couvert d'une mondialisation synonyme
de colonisation et de vassalisation. En réalité, mes chers collègues, quelle
est donc l'urgence de s'y précipiter, alors que chacun sait que les accords de
Marrakech sont loin d'être tous entrés en vigueur et que ceux qui le sont n'ont
fait l'objet d'aucune évaluation, en particulier auprès des pays de l'Est ?
Il est temps d'affirmer clairement la nécessité de dénoncer les ravages de la
mondialisation et de défendre nos intérêts nationaux contre l'agressivité avec
laquelle les autorités américaines entendent gouverner le monde.
Chacun sait bien, en effet, que la négociation se terminera, comme par le
passé, à leur profit. Mieux vaudrait freiner le mouvement que l'accélérer !
L'Union européenne accepte de répondre à cette convocation, parce que cet
engagement figure dans les accords de Marrakech. Mais y figuraient également le
boeuf aux hormones et la banane jamaïcaine, que, sous la pression de l'opinion
publique, l'Union européenne a rejetés !
L'urgence est non pas de faire céder les derniers garde-fous, mais, bien au
contraire, de préserver toutes les civilisations du globe et de combattre les
iniquités économiques et sociales qu'engendrent de tels accords.
Enfin, c'est non pas la France, quatrième puissance commerciale mondiale et
troisième exportateur de services, qui participera à ces discussions, mais
l'Union européenne, par la voix - comble de l'ironie ! - d'un de nos
compatriotes. Ainsi, la nation qui représente plus de quarante-cinq Etats
francophones s'en remet totalement à lui, qui n'aura de comptes à rendre ni au
Parlement français ni aux citoyens français, mais seulement à la Commission.
Les Américains doivent admettre qu'outre l'agriculture et les services d'autre
sujets doivent être inclus dans les négociations pour que l'OMC joue un rôle
dans la résolution des problèmes surgissant dans une économie mondialisée.
Que devons-nous attendre du représentant américain aux négociations, Charlene
Barshefsky, qui a averti que l'Europe, déjà premier importateur mondial, serait
sous forte pression américaine et asiatique à Seattle pour abandonner ses
subventions agricoles et ses aides à l'exportation ? Sachant qu'un agriculteur
américain touche, en moyenne, deux fois plus d'aides et de crédits à
l'exportation qu'un agriculteur européen, les agriculteurs français s'opposent
catégoriquement à toute renonciation en ce sens.
Les sacrifices qui leur ont été imposés par l'Agenda 2000 et la réforme de la
PAC de 1992 doivent donc impérativement constituer une limite à ne pas dépasser
et non pas être le point de départ de négociations en matière de prix et de
maîtrise des productions agricoles.
Pour faire entendre notre voix - ce qui ne sera pas le cas - nous aurions dû
combattre ceux qui s'opposent à notre démarche, trouver des alliés et tisser
des partenariats solides et durables pour faire front à l'OMC sur des dossiers
et dans des secteurs où les Etats-Unis, puis la Chine, joueront simultanément
le rôle de meneurs et d'arbitres.
Un seul exemple suffit : au nom de quel principe de « libre-échange » les
entreprises textiles et de maroquinerie - je connais le cas dans mon
département - qui n'ont rien à y voir, devraient-elles être sanctionnées et
pénalisées par une « liste noire » de représailles commerciales américaines
dans un conflit qui leur est étranger et qui oppose, depuis des années, l'Union
européenne aux Etats-Unis dans la « guerre de la banane » ?
Il ne suffit pas, mes chers collègues, à l'épreuve de l'histoire, de se
souvenir de celui qui a dit « non ». Il importe d'agir par des actes
symboliques et efficaces pour éviter de passer le reste de son temps à dire «
amen » à tout.
Je persiste à penser qu'il est toujours possible, pour un pays comme le nôtre,
de s'affirmer en toute souveraineté, de bâtir des partenariats solides par un «
espace économique francophone » fort, avec les pays d'Europe centrale et
orientale, les pays en voie de développement désabusés par la pente néfaste de
l'ultralibéralisme destructeur pour leur économie et leur société, de même
qu'il est possible à nos concitoyens de s'opposer à une mondialisation
incontrôlée, intolérable et inacceptable qui condamne les modèles régionaux et
les identités nationales.
Je m'oppose ici à ceux qui pensent haut et clair, à Matignon, à Bruxelles, à
Washington, et demain à Seattle, qu'une libéralisation plus poussée et le
développement des échanges dans le cadre de l'OMC pourraient stimuler la
croissance. Ce qui est bon pour les Américains ne l'est pas obligatoirement
pour les Européens et les Français.
Pour conclure, mes chers collègues, je poserai une seule question aux membres
du Gouvernement et de notre assemblée : Pourquoi faut-il participer à un sommet
et faire le voyage de Seattle où l'ordre du jour est imposé par les Etats-Unis
qui privilégient leurs propres dossiers ?
M. Jacques Bellanger.
C'est faux !
M. Philippe Darniche.
Par conséquent, je demande solennellement ici, d'abord, l'établissement d'un
bilan détaillé des cinq années d'application des accords de Marrakech, afin de
tirer les leçons de la superpuissance américaine en matière de libéralisation
agricole, ensuite, l'affirmation du refus de tout mandat global sur la
libéralisation indifférenciée des services, enfin, et surtout, le report de la
négociation.
En effet, ce sommet de Seattle, qui succède au cycle de l'Uruguay et marque le
lancement d'un cycle nouveau, celui du « Millénaire », doit devenir non pas
celui de l'endormissement, mais bien celui du réveil des nations européennes et
des souverainetés face à la domination américaine.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants.)
M. Emmanuel Hamel.
Et bruxelloise !
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
aucune négociation commerciale multilatérale n'a soulevé, jusque dans l'opinion
publique, autant de questions, de polémiques, d'inquiétudes et d'espoirs que le
cycle de discussions au sein de l'OMC qui s'ouvrira dans quelques jours à
Seattle.
C'est donc avec une attention extrême que nous prenons part à cet ultime
débat, qui achève, pour nous, un travail préparatoire déjà entamé au sein de la
délégation pour l'Union européenne, que j'ai l'honneur de présider.
Face à l'ampleur des sujets abordés et à la mesure des enjeux, nous ne
pouvions envisager que le Sénat demeure à l'écart de la préparation de ce grand
rendez-vous. Toutefois, en accord avec la commission des affaires économiques,
nous avons choisi de concentrer notre réflexion sur les « nouveaux sujets » qui
figureront peut-être, avec l'accord de nos partenaires, à l'ordre du jour de la
conférence.
Il ne faut pas y voir pour autant un quelconque désintérêt de notre part pour
les questions agricoles, qui seront, quoi qu'il arrive, au coeur des futures
discussions ; cela répond à un simple souci d'efficacité et de bonne
répartition des rôles.
Tout d'abord, il me paraît important de souligner combien la création de l'OMC
a constitué un progrès réel dans l'organisation et la régulation du commerce
international ; MM. de Villepin et François-Poncet l'ont fort bien indiqué.
En effet, quel projet pouvait être plus ambitieux que celui qui consiste à
réunir autour d'une même table la quasi-totalité des pays de la planète pour
élaborer ensemble, par consensus, les règles régissant les échanges mondiaux
afin de promouvoir le développement économique et la prospérité de tous les
partenaires ?
Dans un monde de plus en plus gouverné par les flux financiers et commerciaux,
qui peut refuser l'idée selon laquelle il faut fixer en commun des règles
transparentes et fiables ? Comment ne pas se réjouir que l'on permette aux
entreprises et aux acteurs économiques d'opérer dans un cadre défini, sans
crainte d'un revirement brutal de la politique commerciale de tel ou tel Etat
?
Bien sûr, je n'aurai pas la naïveté de croire que le tableau est aussi idéal.
Nous savons bien que l'égalité théorique des partenaires ne résiste pas à la
réalité des rapports de forces.
C'est pourquoi notre délégation s'est déclarée avec force en faveur de
l'orientation retenue par l'Union européenne pour faire de l'intégration des
pays en développement dans le commerce international le point central et
prioritaire de cette négociation.
Il est incontestable que l'écart s'est encore creusé entre pays riches et pays
pauvres depuis la création de l'OMC. On peut comprendre que les économies en
devenir se soient estimées lésées par une institution qui leur semble faite
pour les pays industrialisés.
Or, détenant la majorité au sein de l'OMC, les pays en développement
constituent, cette fois, une force nouvelle, avec laquelle il faudra compter,
dans la négociation qui va s'ouvrir.
En disposant d'une tribune, ils éviteront que ce nouveau cycle ne soit une
réédition du dialogue réducteur Europe-Etats-Unis, que l'on a tant critiqué
durant le cycle d'Uruguay.
Pour autant, il est essentiel que l'Union européenne parle d'une seule voix à
Seattle, et c'est avec satisfaction et soulagement que nous avons accueilli
l'annonce de la définition d'une position commune aux Quinze. L'ambition
affichée par les Etats membres pour cette grande échéance aurait en effet été
gravement atteinte si les dernières divergences n'avaient pu être surmontées.
Comment en effet espérer convaincre nos partenaires du bien-fondé d'un ordre du
jour élargi si nous avions nous-mêmes été dans l'incapacité de nous entendre
?
Toutefois, et c'est souvent le cas lorsqu'on élabore un compromis, la
rédaction finale n'a pas toujours la précision et l'exigence souhaitées par ses
initiateurs. En l'occurrence, la France - mais pas la France seule - s'est
trouvée à la pointe sur deux dossiers difficiles sur lesquels j'aimerais
m'arrêter un instant.
Le premier d'entre eux - et ce sujet est définitivement devenu le cheval de
bataille français - c'est l'exception culturelle, la diversité culturelle
devrais-je peut-être dire aujourd'hui puisque c'est la terminologie qui figure
désormais dans la déclaration européenne. Lors de sa récente audition devant la
délégation du Sénat pour l'Union européenne, M. Moscovici nous a assuré que
cette nouvelle formulation n'était que l'expression plus consensuelle d'une
même réalité.
Nous n'avons pas été entièrement convaincus par cet argument. Le sentiment
unanime a été de considérer que la « promotion de la diversité culturelle »
constitue un net recul par rapport à ce que la France avait obtenu à l'issue
des accords de Marrakech en voyant consacrée l'exception culturelle.
Notre souhait est qu'il soit clairement affirmé que les oeuvres de l'esprit ne
peuvent être assimilées aux marchandises et qu'elles doivent être, de ce fait
même, exclues des négociations, et ce dans tous les volets de celles-ci, en
particulier si devait être engagée l'élaboration d'un accord multilatéral
relatif aux investissements.
Nous n'avons pas oublié les avatars de l'accord multilatéral sur
l'investissement, l'AMI, qui, avant d'être ajourné dans l'attente de la future
négociation de Seattle, avait provoqué de grandes inquiétudes, notamment auprès
des professionnels du monde de l'audiovisuel en raison des risques qu'il
pouvait présenter pour le financement d'oeuvres culturelles. Nous attendons
donc la même vigilance de l'Union européenne lorsque ce sujet sera abordé.
Ce faisant, il n'est pas question, pour nous, d'émettre des réserves sur le
bien-fondé de l'établissement d'un cadre multilatéral relatif aux
investissements.
Bien au contraire, j'y vois l'intérêt de fixer les règles permettant d'assurer
à l'apporteur de capitaux un climat stable et prévisible, sécurisant
l'investissement direct à l'étranger, notamment dans les pays en développement
qui en sont trop rarement les destinataires.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
Très bien !
M. Hubert Haenel.
Le second point dur de la négociation à Quinze a été l'opportunité de définir
des normes sociales minimales que s'engageraient à respecter les différents
partenaires à l'OMC. Je rappelle que cet « élément social » avait déjà été
abordé lors d'une précédente conférence de l'OMC, à Singapour. Il s'était alors
heurté à la résistance des pays en voie de développement face à ce qu'ils
considéraient - faut-il dire totalement à tort ? - comme une menace
protectionniste des pays industrialisés.
Cette question, d'une grande complexité, soulève de très nombreuses
interrogations.
Les solutions de compromis trouvées à Quinze consistent à proposer à nos
partenaires l'instauration d'un forum permanent entre l'Organisation mondiale
du commerce et l'Organisation internationale du travail, l'OIT, chargé « de
promouvoir une meilleure compréhension » de ces questions et de conduire « un
dialogue de substance » entre toutes les parties intéressées. On notera au
passage le flou de cette déclaration.
Pensez-vous vraiment, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette nouvelle
manière de dire les choses ait quelque chance de faire progresser la situation
dans le monde du travail ? Il avait déjà été décidé, à Singapour, une
coopération entre l'OMC et l'OIT sur ce thème, sans qu'il en résulte de
réalisation concrète. Je n'ai pas le sentiment d'une réelle différence entre
ces deux approches. Mais peut-être pourrez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat,
nous apporter les apaisements nécessaires.
Je n'ai pas l'intention d'évoquer devant vous l'ensemble du champ possible de
la future négociation, même si de nombreux aspects ont retenu notre attention,
par exemple la confirmation du principe de précaution ou les engagements de
respect de l'environnement dans la perspective d'oeuvrer pour la promotion d'un
développement durable.
Je souhaiterais toutefois insister sur un point auquel nous avons été très
sensibles lors de nos travaux au sein de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne : la propriété intellectuelle.
En dépit des progrès acquis à Marrakech, de nombreux domaines restent encore
insuffisamment protégés. Je pense, ici, à la reconnaissance des appellations
d'origine.
Notre délégation a été unanime pour souhaiter que l'Europe obtienne, durant
les négociations, la reconnaissance de ses produits, qui sont fréquemment
copiés ou dont les noms sont usurpés par les producteurs d'autres pays
partenaires.
C'est la même préoccupation que nous avons exprimée à l'unanimité voilà
quelques semaines, lors de l'examen des conditions d'entrée en vigueur de
l'accord commercial conclu avec l'Afrique du Sud, par lequel l'Union européenne
risque d'accorder à cet Etat des conditions d'échange très favorables, y
compris dans le secteur du vin, sans avoir obtenu en contrepartie d'engagements
fermes sur le respect des appellations d'origine de certains alcools
spécifiquement produits sur son territoire : porto, sherry, ouzo, grappa...
Avant de conclure, j'aimerais, monsieur le secrétaire d'Etat, vous poser une
question et vous présenter une requête, qui va tout à fait dans le sens des
propos déjà tenus par M. de Villepin.
La question est d'actualité : nous avons appris récemment la signature d'un
accord entre la Chine et les Etats-Unis qui préfigurerait, a-t-on dit, l'entrée
imminente de ce nouveau partenaire au sein de l'OMC. Qu'en est-il exactement ?
Je sais que vous avez déjà abordé ce sujet dans votre discours liminaire,
monsieur le secrétaire d'Etat, mais il serait intéressant pour le Sénat que
vous le développiez davantage.
Ma requête est la suivante : j'ai parlé tout à l'heure de cet échange à trois
partenaires - Europe, Etats-Unis et pays en développement - qui constitue
probablement la caractéristique première de ce « cycle du Millénaire ».
Cependant cette observation n'est peut-être pas tout à fait exacte. Un
quatrième interlocuteur est aujourd'hui présent. Il s'agit des opinions
publiques qui se sentent directement concernées par les conséquences qu'auront
les négociations dans leur vie quotidienne : sur la qualité de l'environnement,
sur la sécurité de l'alimentation, sur le respect de l'identité
culturelle...
Nos concitoyens - comme les nationaux de nos Etats partenaires - veulent être
tenus informés de l'évolution de ces négociations, et c'est bien légitime.
C'est pourquoi je souhaite que le Gouvernement puisse nous rendre compte avec
régularité des développements de ces discussions durant les trois années - et
peut-être davantage encore si, comme je l'espère, l'OMC fait preuve d'ambition
dans la fixation de ses objectifs - que durera le cycle du Millénaire.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
dans une semaine, les représentants des 135 pays membres de l'Organisation
mondiale du commerce se réuniront à Seattle pour lancer un nouveau cycle de
négociations multilatérales.
L'accord de Marrakech, signé le 15 avril 1994, prévoyait, en effet, avant
janvier 2000, une reprise des négociations sur les questions relevant notamment
de l'agriculture et des services.
A l'inverse des Etats-Unis qui souhaitent limiter l'ordre du jour de l'OMC à
ce programme dit incorporé, l'Union européenne propose de le compléter par de
nouveaux sujets tels que l'investissement, l'industrie, les marchés publics, le
droit de la concurrence, l'environnement et les normes sociales.
Autant dire que le calendrier et le contenu de la conférence ministérielle,
présidée, je le rappelle, par les Etats-Unis, sous le haut patronage de Boeing
et Microsoft, seront en grande partie déterminés par les deux premières
puissances commerciales : les Etats-Unis et l'Europe. Les pays en voie de
développement, auxquels on prétend vouloir accorder une place plus importante,
risquent, en réalité, d'être ramenés à un rôle d'alibi ou de faire-valoir, au
profit de tels ou tels intérêts, dans la perspective d'une confrontation entre
pays riches dont ils n'ont à attendre aucun avantage.
Malgré les dissensions qui apparaissent d'ores et déjà entre les Etats-Unis et
l'Union européenne, il existe un consensus général sur le principe d'une
libéralisation accrue des échanges commerciaux, censée favoriser le
développement et la croissance économique.
Si telle est la réalité, pourquoi, de part et d'autre de l'Atlantique,
refuse-t-on de procéder, comme nous ne cessons de le demander, à un audit
global sur les accords de Marrakech et les conséquences de la mondialisation
libérale ?
Si, effectivement, la libre concurrence était la seule source de richesse et
de bien-être, au profit de l'humanité, comment expliquer la montée de ce
puissant mouvement populaire de résistance à la mondialisation capitaliste ?
Quelques chiffres valent mieux que de longs discours. Ainsi, en quarante ans,
alors que le commerce mondial n'a cessé de s'accélérer, l'écart de revenu entre
les 5 % des personnes les plus riches de la planète et les 5 % les plus pauvres
a plus que doublé. Les trois personnes les plus riches du monde ont accumulé
une fortune supérieure au PIB total des quarante-huit pays les plus pauvres. De
750 millions à 900 millions de personnes sont sous-employées et plus d'un
habitant sur six ne mange pas à sa faim. Dans le même temps, les places
boursières explosent et - on le constate chaque jour - réalisent des records en
matière de transactions.
Dès lors, une question simple se pose : pourquoi le développement des échanges
au lieu de profiter au progrès humain engendre-t-il, au contraire, un
accroissement des inégalités entre pays riches et pays pauvres ?
Pis, les zones de misère s'élargissent au Sud, alors que des pans entiers de
nos économies du Nord disparaissent, laissant place à un tissu social et
territorial déstructuré, à un chômage de masse qui touche toutes les couches de
la société et à un environnement profondément dégradé.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen ont récemment déposé
sur le bureau du Sénat une proposition de résolution sur l'OMC, dans laquelle
ils demandent à la Commission européenne de réaliser un tel bilan et de ne
prendre aucun engagement tant que celui-ci ne sera pas achevé. Cette idée - je
m'en félicite - a été réintroduite, bien que de façon atténuée, dans la
résolution qui a été adoptée par la commission des affaires économiques le 10
novembre dernier.
De même, nous pensons qu'une profonde transformation et une démocratisation de
l'OMC sont indispensables. D'abord, dans ses objectifs : les principes de
coopération, de solidarité et de partage juste et équilibré des richesses
doivent prévaloir sur la logique de mise en concurrence des économies
nationales. Ensuite, dans son mode de fonctionnement : les pays du Sud doivent
être en mesure de faire valoir leurs exigences, de même que l'OMC doit s'ouvrir
aux syndicats, aux organisations non gouvernementales, au monde associatif, à
ce que l'on appelle plus largement la société civile. Enfin, dans sa procédure
juridique : l'organe de règlement des différends devrait reposer sur des
critères de transparence, de justice, d'égalité de traitement et prendre en
compte les aspects sociaux, environnementaux et sanitaires des sujets qu'il
traite. Nous proposons que l'ORD devienne un organisme paritaire composé des
responsables nationaux, des représentants des salariés, des agriculteurs, des
associations de défense des consommateurs et de protection de
l'environnement.
Notre groupe défend depuis plusieurs années une autre proposition : la
taxation des mouvements de capitaux spéculatifs à l'échelon mondial - la taxe
Tobin - dont le produit serait réaffecté à l'aide au développement des pays les
plus pauvres. La France s'honorerait, je le pense, en défendant cette noble
cause, dans le cadre d'une instance internationale dont la vocation est,
dit-on, de réguler l'économie mondiale.
Force est de constater que le mandat confié au commissaire européen, M. Pascal
Lamy, est loin de répondre à nos attentes. Il est en effet traversé d'une
contradiction fondamentale entre, d'une part, la volonté de relayer les
aspirations des populations sur la qualité de l'environnement, la sécurité
sanitaire et alimentaire, la sécurité d'emploi et de formation et, d'autre
part, la recherche frénétique de nouveaux marchés pour satisfaire les
multinationales implantées en Europe.
Si elle présente l'avantage d'un certain consensus apparent entre les Quinze,
cette orientation contradictoire contribue, selon nous, à rendre peu lisible et
finalement peu crédible le message de l'Europe qui pousse au libéralisme et à
l'accélération de l'ouverture des marchés, mais pose des questions légitimes
sans formuler des propositions précises, résolument offensives.
Ce double visage de l'Europe montre que la mobilisation des citoyens européens
- salariés du public et du privé, chômeurs, artistes, agriculteurs et
consommateurs - contre la « marchandisation du monde » a ouvert une brèche dans
la toute-puissance du capital.
La victoire sur l'AMI, l'Accord multilatéral sur l'investissement, dont la
signature aurait signifié la soumission définitive des politiques nationales
aux marchés financiers, constitue un point d'appui pour renforcer et poursuivre
le combat contre le libéralisme.
Quant au volet agricole du mandat européen, loin de nous rassurer, il nous
préoccupe, tant il semble prêter le flanc aux velléités des Etats-Unis.
Les accords de Berlin de mars 1999 sur la politique agricole commune, la PAC,
anticipent sur les négociations de l'OMC et, d'une certaine manière, font le
jeu des Américains.
Que sont ces accords, sinon l'acceptation d'un alignement progressif des prix
garantis communautaires sur les cours mondiaux, la diminution des aides
publiques à l'agriculture et la mise en cause de la préférence communautaire ?
Ce sont là autant de concessions faites aux Américains, avant même le début de
toute négociation !
Si l'enjeu est de sauvegarder la PAC, il s'agit cependant d'une PAC diminuée,
affaiblie, privilégiant la conquête des marchés extérieurs au détriment de
l'emploi agricole, de l'aménagement du territoire, de la préservation des
ressources naturelles et de la qualité des produits.
L'Europe sort également affaiblie par deux décisions récentes de l'OMC
consécutives aux conflits de la banane et du boeuf aux hormones.
Les nouvelles propositions de la Commission européenne pour réformer le marché
de la banane et les accords préférentiels avec les pays d'Afrique, des Caraïbes
et du Pacifique constituent un triste aveu d'impuissance face à l'hégémonisme
américain.
Enfin, s'agissant du conflit qui oppose les Etats-Unis et l'Europe sur le
boeuf hormoné, comment l'Union européenne peut-elle, de façon crédible,
invoquer le principe de précaution, lorsqu'on constate qu'au sein même de
l'Europe ce principe est sacrifié puisqu'il sera désormais autorisé de mettre
en vente la viande bovine britannique dont personne, à ce jour, ne peut
affirmer qu'elle ne comporte aucun risque pour la santé des consommateurs ?
Tout au contraire, il est nécessaire de rester ferme sur les questions
touchant à la sécurité sanitaire et alimentaire à l'heure où l'émergence des
biotechnologies, notamment les OGM, organismes génétiquement modifiés, recèle
des enjeux futurs lourds de danger pour l'humanité si les finalités ne sont pas
inversées.
C'est pourquoi il nous semble essentiel d'assortir le principe de précaution
du principe de l'inversion de la charge de la preuve par lequel c'est au
producteur, et non plus au consommateur, de justifier que son produit est sain
et de qualité. Sans cela, le principe de précaution, mes chers collègues, sera
vide de sens et demeurera illusoire.
On le voit, l'Europe peut s'appuyer sur les aspirations convergentes des
consommateurs, du monde paysan, des pays à forte tradition rurale pour
contrarier les desseins des firmes américaines qui entendent définir le mode de
vie de chaque citoyen du monde en ayant la maîtrise totale de l'arme
alimentaire, de l'élaboration biologique des cultures jusqu'au contrôle des
industries agroalimentaires.
En conclusion, je dirai, à l'adresse du gouvernement français, qu'il ne peut
suffire d'accompagner ou de réguler au mieux la libéralisation, qui porte en
elle-même la négation des valeurs sociales, environnementales que nous
prétendons défendre. De même, je pense qu'aujourd'hui il ne peut suffire, pour
contenir le flux du libéralisme, d'échafauder des digues qui seraient autant de
lignes Maginot.
Les parlementaires communistes ont le sentiment, tout au contraire, que plus
que jamais la voie est ouverte pour inverser la marche du monde, rythmée par
les firmes multinationales et par les marchés financiers, et pour promouvoir un
modèle de développement tout à la fois durable, juste, partagé et respectueux
des droits de tous les citoyens.
Pour cela, face à la mondialisation du capital, il est indispensable qu'une «
internationale des citoyens » voie le jour à l'aube du prochain millénaire. Les
sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen y prendront toute leur
part.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Baylet.
M. Jean-Michel Baylet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à
la veille des négociations commerciales multilatérales dans le cadre de
l'Organisation mondiale du commerce, les Européens se présentent unis à
Seattle. Nous ne pouvons que nous en réjouir, au vu des nombreux enjeux
commerciaux et sociétaux qui y seront traités.
Les sujets de division entre les 134 membres de l'OMC sont pourtant nombreux :
polémiques sur les OGM, remise en cause des subventions agricoles, contentieux
sur la banane, exception culturelle... autant de sujets qui ont été abordés par
mes prédécesseurs à cette tribune.
L'enjeu tient surtout à l'importance vitale que représentent la sécurité, la
précaution alimentaire et les normes sociales et environnementales. Ce
rendez-vous donnera ainsi une chance unique aux Quinze d'exposer un consensus
politique fort, face à la crainte d'une mondialisation incontrôlée que nous
partageons tous ici et ailleurs.
Le postulat selon lequel « plus il y aura de commerce, et plus il y aura de
croissance et de richesse pour tous » apparaît en effet quelque peu dépassé,
bien que défendu en d'autres temps par certains. Aujourd'hui, au contraire, le
libre-échange profite essentiellement aux plus forts et affaiblit les plus
démunis. La spirale du surendettement en Afrique, les ravages de la crise
financière en Asie, les fermetures d'usines et les délocalisations nous le
prouvent au quotidien.
Ainsi, l'intégration des pays les plus pauvres dans le concert économique
mondial s'exprime par une volonté très forte d'assainissement des règles du jeu
commercial planétaire.
Si nous voulons que la mondialisation profite à tous, elle doit bien sûr se
concevoir à travers la régulation des échanges. Or, en l'état actuel des
choses, l'OMC est bien le seul lieu de concertation et de proposition, si
imparfait soit-il. Même si certains peuvent le regretter, ce fait est
indéniable.
L'OMC, qui tient sa légitimité de son universalisme, se doit donc d'être le
lieu d'un nouveau « contrat social » international qu'il nous reste à définir
entre partenaires libres et égaux.
C'est en cela que les négociations du cycle du Millénaire doivent contribuer à
l'instauration de règles communes équitables, visant à empêcher les entreprises
transnationales d'édicter en toute impunité les règles internationales des
transactions commerciales.
Ainsi, au moment où la globalisation de l'économie semblait inéluctablement
s'imposer à tous, des divergences d'intérêts grandissantes s'expriment au grand
jour. Si l'on peut regretter la forme parfois violente que prend le
mécontentement des uns ou des autres, il est indéniable qu'il en résulte une
lassitude de plus en plus grande face aux excès d'un ultra-libéralisme
débridé.
De là est née l'idée d'un contrôle démocratique des marchés financiers à
travers la promotion de la « taxe Tobin ».
De ce fait, le front anti-OMC grandit et se prépare à une mobilisation, me
semble-t-il sans précédent, visant à obtenir un moratoire sur le round de
négociation commerciale.
Cette mobilisation des ONG anti-OMC pèsera lourd dans les débats, j'en suis
certain, monsieur le secrétaire d'Etat. Dès lors, il convient d'associer
davantage le monde associatif à ces négociations, tout en défendant fermement
le rôle des organisations intergouvernementales par essence destinées à réguler
les rapports de force mondiaux.
Comme vous l'avez récemment souligné, monsieur le secrétaire d'Etat, « l'OMC
ne doit être ni diabolisée ni idéalisée ». Bien au contraire, il importe de
combattre toute forme de protectionnisme déguisé qui se ferait aux dépens des «
laissés-pour-compte » des réseaux financiers et commerciaux.
Cela est particulièrement vrai à l'extérieur de nos frontières, dans la
confrontation commerciale transatlantique vers laquelle nous poussent certains
groupes de pression américains. Mais c'est peut-être vrai aussi dans
l'Hexagone, où la précarité envahit nos rues.
De la validité des engagements qui seront pris à Seattle dépendra l'avenir de
notre concertation sociale. Afin de combattre une « marchandisation » galopante
de la planète qui se ferait à nos dépens, notre aptitude au dialogue entre
partenaires sociaux et acteurs économiques doit l'emporter sur toute
considération purement mercantiliste.
L'enjeu de Seattle est de taille : il s'agit d'assurer le maintien d'un
multilatéralisme alliant solidarité internationale et régulation du marché.
Ainsi, notre message doit être clair pour s'inscrire précisément contre toute
forme d'unilatéralisme latent.
Il importe de défendre un modèle de société fondé sur le postulat d'une
économie au service du politique. L'approche globale soutenue par les Européens
devra tenir compte d'une régulation des échanges, certes nécessaire à la
croissance, mais également perçue comme porteuse de progrès sociaux et de
diversité culturelle.
A cet effet, l'équilibre de la société dépendra de la cohésion entre la France
et ses partenaires européens. Ceux-ci doivent se défendre face à des groupes
dont les intérêts et la vocation se situent à l'opposé des principes qui sont
les nôtres en matière de marché et de société.
Dès lors, il importe de réclamer avec fermeté la constitution d'un forum
permanent de travail conjoint entre l'OMC et l'OIT. Ce lien entre normes
sociales et commerce s'inscrit dans une cohésion communautaire forte autour du
respect de clauses sociales universelles.
Notre action vigilante doit ainsi se tourner en priorité vers les pays en voie
de développement dont l'intégration dans le concert économique mondial passe
par la conciliation entre développement durable et commerce international.
Les pays du groupe des 77 ont d'ailleurs d'ores et déjà formulé des
propositions concrètes, qu'il s'agira de défendre avec vigueur contre
l'inévitable tentative américaine de limiter le débat au seul accès au
marché.
Comment ne pas voir dans ces comportements déjà perceptibles un retour du
protectionnisme, tendant à favoriser l'exportation massive de produits
américains vers les marchés émergents ?
La maîtrise du cycle large qui s'ouvre à Seattle soulève plusieurs
contradictions qu'il importe de clarifier, au moment où l'opinion publique est
de plus en plus sceptique sur les vertus du libre-échangisme.
Il est contradictoire d'opposer strictement aide au développement et
libéralisation des échanges. Une récente étude du PNUD, le programme des
Nations unies pour le développement, tend d'ailleurs à montrer la nécessité
d'ouvrir les économies des pays les plus pauvres. Je vous renvoie à cet égard à
l'excellent rapport parlementaire rédigé par Béatrice Marre.
Au-delà d'un bras de fer annoncé entre Etats-Unis et Europe, il importe
également de garantir aux pays tiers des débouchés commerciaux et culturels
nouveaux. Il en va d'une notion élémentaire d'égalité et de solidarité
internationale.
Face à la tentation d'un repli identitaire et d'un retour du conservatisme,
les négociations de Seattle posent, d'emblée, le problème de clivages
sectoriels persistants. La position minimaliste des grands pays agricoles
exportateurs du groupe de Cairns apparaît, dans ces conditions, quelque peu
irréconciliable avec le développement d'une agriculture maîtrisée, ardemment
souhaitée par les Européens.
Par ailleurs, en privilégiant l'éthique et le recours à des règles minimales,
les Quinze espèrent englober ce qu'il est convenu d'appeler les « nouveaux
sujets de régulation ».
De ce fait, le contrôle démocratique des débats doit accélérer la prise de
conscience de nouvelles dimensions dans les relations internationales.
La relance d'une nouvelle forme de dialogue Nord-Sud doit préfigurer
l'émergence d'une société ouverte qui tiendrait compte à la fois de
préoccupations économiques, environnementales, sociales et culturelles.
Je suis convaincu que le dialogue est possible entre pays développés et ceux
qui aspirent à le devenir.
Il conviendra donc, pour la délégation de la commission conduite par Pascal
Lamy, d'exposer une détermination sans faille envers ces valeurs que nous
croyons universelles. Je pense à la reconnaissance de normes sociales
fondamentales, au droit à une alimentation saine et à la défense de notre
spécificité agricole.
Nous attendons des négociations du cycle du Millénaire de nouvelles règles en
matière de concurrence, de marchés publics et d'environnement, qui doivent
s'inscrire, comme le souhait en a été exprimé tout à l'heure, dans la
préservation de l'exception culturelle et audiovisuelle.
Notre préoccupation concerne aussi les futures interactions entre les règles
de l'OMC et les accords multilatéraux sur l'environnement afin de concilier
principes environnementaux fondamentaux et développement commercial, à l'image
de la lutte contre la corruption qui, associée à la sécurité des
investissements directs étrangers, témoigne d'une ambition nouvelle.
Monsieur le secrétaire d'Etat, si l'on peut légitimement se réjouir de la
présence d'un représentant du continent africain au sein de la direction de
l'OMC, comment ne pas percevoir dans la nomination du Néo-Zélandais Mike Moore
un avant-goût amer de ce que pourrait être l'intransigeance américaine.
Cela étant, je me félicite de voir que le Gouvernement a souhaité associer les
parlementaires au rude combat en faveur de l'affirmation des valeurs humanistes
fondamentales au sein d'une économie globalisée mais, je l'espère, régulée.
Vous imaginez - vous le savez mieux que quiconque ! - que, pour ce faire, vous
aurez le soutien des radicaux de gauche.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
vouloir définir aujourd'hui l'enjeu de l'ordre du jour de Seattle est
incontestablement un véritable programme en soi.
Dès le départ, nous devrons tous être imprégnés de cette volonté offensive,
qui doit trancher avec les débats de 1992. Un récent déplacement à Washington
avec M. le ministre de l'agriculture et de la pêche me conduit à conserver à la
fois espoirs pour certains éléments et fortes inquiétudes pour d'autres.
Aujourd'hui, je n'évoquerai que les questions liées à l'agriculture et au
monde rural et je ferai quelques commentaires sur l'évolution à moyen terme, en
espérant une meilleure compréhension - elle est nécessaire - entre l'Europe et
les Etats-Unis.
Il ne faut pas non plus oublier, ne nous le cachons pas, les malentendus
actuels qui subsistent sur un certain nombre d'éléments tels que la banane, les
organismes génétiquement modifiés, les hormones, etc.
Peut-être est-ce sur l'analyse de ces contradictions et de ces malentendus que
nous devrons, ensemble, préparer ce débat devant l'OMC ?
Rappelons tout d'abord qu'il est de notre intérêt, à la suite des accords de
Berlin - qui sont exceptionnels et qui ont énormément choqué les Etats-Unis -
de débattre des questions agricoles sur le fond et dans la durée. Ne tombons
pas dans le piège de la précipitation, où les Américains voudraient nous
entraîner !
Nous devrons tenir compte de deux éléments : tout d'abord, l'évolution interne
européenne, qui est un élément fort ; ensuite, l'évolution des Etats-Unis dans
le domaine de la politique agricole. Aujourd'hui, en effet, le clignotant est
au rouge et nous devrions peut-être les montrer du doigt.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Jean-Marc Pastor.
Sur le plan européen, depuis sept ans, rappelons-le, nous n'avons pas cessé de
respecter les accords de Marrakech. C'est un de nos atout forts dans ce débat
!
Par ailleurs, les réformes successives de la PAC nous ont fait passer d'une
agriculture productiviste à une agriculture plus axée sur la qualité :
entreprises et consommateurs, aujourd'hui, sont de plus en plus attentifs à la
qualité des produits que nous leur offrons.
Rappelons également, dans un esprit offensif, qu'en cumulant l'Agenda 2000 et
la PAC 92 les baisses de prix atteignent, dans le secteur agricole, 32 % pour
les viandes bovines et 50 % pour les céréales. Cela montre bien que nous avons
appliqué les accords de Marrakech !
A cela s'ajoute un découplage accru par une forte réduction du budget européen
à l'exportation, qui est passé à 7 % en 1999 alors qu'il dépassait 30 % en
1991.
Rappelons aussi que, pour diminuer la production et l'encombrement du marché,
la Communauté européenne a accepté des sacrifices énormes puisque la prochaine
PAC nous fera passer à 10 % de jachère, contre 5 % seulement à l'heure
actuelle.
Rappelons encore le rôle spécifique de l'agriculture en faveur de l'emploi en
milieu rural - et c'est là un élément qui ne se maîtrise pas à travers les
prix - mais aussi en faveur de l'environnement ou de la qualité des aliments,
autant de points qui devront être débattus à Seattle même si, comme j'ai pu le
constater il y a quelques jours, les Etats-Unis ne le souhaitent pas.
M. Raymond Courrière.
C'est exact !
M. Jean-Marc Pastor.
La Communauté européenne propose un ensemble de dispositifs dans le secteur
des services non marchands, favorisant ainsi un tissu social différent. C'est
notre conception de la société qu'il va falloir « vendre » dans un débat qui se
prolongera sans aucun doute pendant plusieurs mois, et certainement encore
après l'élection présidentielle américaine.
C'est ce concept de société et de vie qu'il nous faudra défendre face à des
systèmes certes respectacles mais fondés sur d'autres principes - je fais
allusion aux schémas américains, australiens, argentins ou même canadiens - et
qui s'opposent à notre logique et à l'introduction d'éléments non marchands
dans le débat.
Nos choix, nous les faisons pour faire face à l'exode rural. Aussi serait-il
absurde de prétendre ou de laisser croire, comme certains l'ont fait, que la
solution réside dans la suppression des aides publiques.
Un autre aspect doit être pointé du doigt : l'évolution de la politique
américaine dans ce domaine. Les rois du libéralisme ont connu, mes chers
collègues, un échec cuisant dans le secteur agricole, où les forces du marché
libre non soutenu ont entraîné à la faillite près de 25 % des exploitations,
emportant avec elles banques et entreprises.
Aussi, depuis 1997, ils ont changé leur fusil d'épaule, et les aides accrues
de l'administration américaine à ses agriculteurs perturbent actuellement la
concurrence mondiale. Le soutien à l'agriculture aux Etats-Unis est ainsi passé
de 7 milliards de dollars en 1997 à 22 milliards de dollars en 1999. L'aide
alimentaire, soutien illégal déguisé au commerce extérieur, a été multipliée
par cinq pendant ces mêmes deux ans - je doute que la pauvreté, pourtant
grandissante dans ce monde, ait suivi la même progression ! - et le Congrès
américain poursuit dans cette voie en accordant des garanties généreuses à
l'exportation. Tout cela, il faudra le dénoncer !
Aujourd'hui, nous devons dire avec force que c'est bien l'agriculteur
américain qui est le plus subventionné au monde : en 1999, il aura perçu en
moyenne 9 500 dollars de soutien, alors que l'agriculteur européen recevait,
pour sa part, 5 300 dollars.
Même si nous devons respecter les choix politiques internes américains, nous
devons également demander, à Seattle, la transparence dans ce domaine. Il faut
que tout soit mis d'emblée sur la table des négociations.
Sachons également tirer les conséquences de nos querelles et de nos
divergences. Je pense notamment à la banane, où nous avons un intérêt
économique direct.
La Communauté européenne présente des propositions claires dans ce domaine,
car il est possible de respecter à la fois les accords de Lomé avec les pays
d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et les accords de l'OMC en veillant à
un certain nombre d'équilibres vis-à-vis des distributeurs - je dis bien des
distributeurs, et non des producteurs - d'Amérique latine et des Etats-Unis.
S'agissant du boeuf aux hormones, il faut incontestablement poursuivre les
études, car la terrible crise du sang contaminé est une expérience française
qu'il ne faut pas renouveler. Comme pour les OGM, nous devons faire preuve
d'une très grande prudence et, en cas de différend, faire appel aux
scientifiques. Malheureusement, ces derniers n'ont pas tous les mêmes critères
d'analyse. Nous devrons donc, à Seattle, nous mettre d'accord sur un cahier des
charges et sur des seuils communs afin que tout le monde puisse parler le même
langage.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Jean-Marc Pastor.
Si nous ne faisons pas cette démarche en liaison étroite avec la Food and Drug
Administration, la FDA, nous ne parviendrons jamais à nous comprendre.
Dans le domaine des OGM, même si certains le pensent, il n'y a pas de conflit
officiel avec les Etats-Unis. Le marché est ouvert, le consommateur décide et
choisit. En la matière, il faut cependant maintenir la transparence grâce à
l'étiquetage pour que le consommateur européen puisse choisir tout en
respectant l'environnement.
La proposition française de création d'une agence sanitaire européenne,
reprise récemment par le président de la commission, M. Prodi, mérite d'être
soutenue à cet égard. Mais comment renforcer le dispositif international dans
le domaine de la protection ? Cette question fondamentale devra être discutée à
Seattle. Le principe de précaution est, en effet, au coeur d'un débat nouveau
qu'il conviendra d'aborder dans le respect des règles du commerce, mais aussi
en fonction des normes sanitaires et environnementales.
Tous ces volets nouveaux devront être abordés lors du débat de 1999-2000, même
si nous savons que tous les partenaires ne sont pas obligatoirement favorables
à cette approche. Mais nous ne pouvons nous permettre d'aborder la seule
question des prix !
Que dire de plus du marché agricole si ce n'est que la comparaison des budgets
européen et américain en la matière fait apparaître que le premier consacre
globalement 40 milliards d'euros ou de dollars au soutien de ses agriculteurs
tandis que le second y consacre près de 60 milliards de dollars ? Au demeurant,
il est difficile d'effectuer une vraie comparaison, ce qui rend nécessaire la
transparence des Etats dans ce domaine.
Pour que le débat soit serein, il faut impérativement faire l'inventaire du
nouveau schéma d'aide alimentaire, car c'est aujourd'hui un instrument déguisé
qui permet aux Etats-Unis de mieux pénétrer certains marchés mondiaux.
Le montant des importations européennes et françaises en témoigne très
largement, nous sommes, à l'inverse du marché américain, très ouverts alors que
les Etats-Unis ne le sont que sur les produits où ils sont très compétitifs.
Dois-je rappeler les droits qui frappent les fromages - 170 % ! -, le beurre -
137 % ! - ou le sucre - 130 % ?
Pour ce qui est du soutien interne, Seattle devra s'adapter aux demandes
nouvelles des consommateurs et de l'opinion publique dans le domaine de
l'environnement, de la sécurité alimentaire, de l'acte social à proprement
parler. C'est ce que nous appelons, en Europe et en France, la
multifonctionnalité, élément non marchand qu'il faudra bien aborder à Seattle.
Des conclusions de ce débat naîtra une orientation qui nous permettra d'éviter
ou non la déperdition rurale.
Les accords de Berlin représentent un atout fort et incontestable de l'unicité
européenne, mais nos opinions publiques ont des attentes nouvelles et nous
devons y répondre. Au-demeurant, j'avoue franchement que j'ai le sentiment que
l'opinion américaine, depuis quelques mois, est en train d'évoluer dans ce
domaine et qu'elle peut devenir demain un des nos principaux alliés dans le
débat mondial.
La vraie réponse face aux inquiétudes à l'égard de la mondialisation ne peut
toutefois se confondre avec l'uniformisation, même si, contrairement à ce qui
s'était passé en 1992, la France et l'Europe aborderont cette année le débat en
alliés pour faire valoir leur modèle de société. Tous ensemble, ici, nous
formulons le voeu que ce mode de vie et de société sera défendu au niveau
mondial !
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Huchon.
M. Jean Huchon.
Monsieur le président, mes chers collègues, après l'exposé de M. le secrétaire
d'Etat et les interventions des deux présidents de commission, MM.
François-Poncet et de Villepin, je suis tenté de dire qu'il n'y a plus
grand-chose à dire. Aussi ma modeste participation se limitera-t-elle à
l'évocation partielle de certains problèmes.
Nous attendons tous, quelquefois avec anxiété, l'issue de ces éventuels
accords qui vont conditionner l'équilibre du commerce international pour les
années à venir.
Nous parlons tous de la nouvelle situation - d'ailleurs pas si nouvelle qu'on
veut bien le dire ! - dénommée « mondialisation ». C'est sans doute inévitable,
inexorable, car les moyens de communication, d'information et de transport sont
devenus si efficaces, sur notre planète, que ce qui se passe sur un continent
provoque presque immédiatement une réaction dans l'ensemble des nations et sur
leur économie.
D'aucuns prétendent que cette situation nouvelle doit être vécue sans crainte
et que nous devons en tirer de nombreux avantages. C'est mon avis. Hélas ! les
faits sont moins faciles à vivre, et, à titre personnel, sur le terrain, je
dois supporter les conséquences de cette mondialisation, qui, pour l'instant, «
massacre » tout de même l'acte de production en Europe.
En effet, comment prétendre que l'on peut produire sans aller rapidement à la
faillite quand on est en situation de concurrence directe, sans barrière, avec
des économies où le coût salarial est quasi nul, la protection sociale
inexistante et le système fiscal avantageux ?
Je suis dans une région où l'activité industrielle repose essentiellement sur
la fabrication de la chaussure et de l'habillement. Depuis plusieurs années,
nous assistons à une diminution permanente du nombre des salariés et à des
fermetures dramatiques. Encore aujourd'hui, ponctuellement, ce sont près de 1
000 salariés constituant l'effectif de l'entreprise GEP - La Fourmi qui sont
menacés par le dépôt de bilan et peut-être même par la liquidation sous les
coups de la pantoufle chinoise et de la chaussure taïwanaise.
J'ai beaucoup de mal - c'est d'ailleurs une mission impossible - à faire
comprendre aux salariés de cette entreprise que la mondialisation est une bonne
chose.
En effet, devant de tels exemples, il est difficile de penser que l'OMC puisse
véhiculer autre chose que des catastrophes ! C'est pourtant mon avis : la
mondialisation peut être une bonne chose, à condition de ne pas être la jungle
du libre-échange. Et c'est précisément le rôle des négociateurs de Seattle que
d'arriver à des situations équilibrées où chacun retrouve son compte.
Mon rôle, après l'intervention de Michel Souplet, est de traiter des problèmes
agricoles, qui sont au coeur des négociations de l'OMC.
L'agriculture européenne, dans sa diversité, est totalement intégrée dans une
économie organisée, avec des contraintes salariales, sociales et fiscales que
nous connaissons et qui n'ont, bien sûr, rien à voir avec ce qui est vécu et
pratiqué dans la plupart des pays de notre planète. Grâce à l'Europe agricole,
nos avons réussi à nous garder de nombreux périls.
L'agriculture vit donc les mêmes difficultés que les industries de
main-d'oeuvre, et les exemples sont nombreux où éclate l'impossibilité de
survivre pour nos économies occidentales devant les chiffres et les prix
qu'autorise l'exploitation de nombre de pays sous-développés.
A titre d'exemple, il y a quelques semaines, je participais, dans le cadre
d'une mission sénatoriale, à un voyage d'étude en Amérique du Sud. Nous avons
en permanence subi les assauts verbaux des dirigeants politiques et des
professionnels argentins désireux de nous exporter la viande bovine dont leurs
entreprises et leur pampa regorgent !
M. Gérard César.
Tout à fait.
M. Jean Huchon.
Mais à quel prix ? Un dollar le kilo, soit trois fois moins cher qu'en France,
où les producteurs ont pourtant peine à vivre et doivent être artificiellement
aidés. Il suffit d'ouvrir les frontières à ces viandes argentines pour ruiner
définitivement les éleveurs français.
Cet exemple démontre la difficulté de l'exercice et la vigilance dont nos
négociateurs devront faire preuve avec nos partenaires, et spécialement avec
les Etats-Unis, qui abordent les négociations dans un climat agressif et
évidemment électoraliste.
Il est d'ailleurs à craindre que l'exécutif américain ne soit pas en mesure ou
ne fasse en sorte de ne pas être en mesure de signer un accord avant janvier
2002. En effet, il ne disposera pas d'un mandat de négociation du Congrès, car
ce dernier ne votera pas un
fast track
avant les élections
présidentielle et législatives de 2002. Toutefois, les Américains ne manqueront
pas d'essayer d'obtenir de l'Union européenne des avancées qu'eux-mêmes ne
voudront pas faire.
Il ne faut à aucun prix que les négociations sur l'OMC soient l'occasion d'un
démantèlement de la construction européenne menée depuis quarante ans.
A ce titre, il est bon de rappeler les objectifs de départ de l'Europe
agricole, qui sont toujours d'actualité, à savoir assurer la sécurité
alimentaire des pays membres, respecter la préférence communautaire à
l'intérieur de l'Union européenne, assurer un revenu aux agriculteurs et
aménager une vocation exportatrice à l'Europe agricole.
Ces objectifs ont été progressivement atteints, mais il est bien évident que
l'entrée dans la mondialisation peut tout déstabiliser. En effet, nos
partenaires mondiaux n'ont jamais accepté le fait européen, qui, depuis
quarante ans, a démontré son efficacité. Le cheminement a peut-être été
difficile, mais les faits sont là : l'Europe existe.
Par ailleurs, l'Europe a déjà fait preuve de courage et de discipline en
réformant progressivement les règles de la politique agricole commune à deux
reprises. Les négociateurs européens ne partent pas de rien et ils devront, au
préalable, faire état de ce qui a déjà été fait pour pouvoir discuter avec
leurs interlocuteurs. Les réformes successives de la PAC ont déjà imposé des
adaptations que nos partenaires d'outre-Atlantique n'ont pas imitées.
Le volet agricole devra recouvrir l'ensemble de la production agricole, Le
volet céréalier, qui est simple et ne comporte presque qu'un seul produit,
homogène, facile à conserver et à transporter, ne doit pas faire oublier le
reste du panel agricole, beaucoup plus compliqué à traiter : viandes, lait,
fruits et légumes, etc.
La réforme de la PAC et les accords de Berlin doivent donc servir de base à la
négociation. A partir de ce socle, il faut obtenir un accord global. Un bilan
soigneusement élaboré doit être établi en exigeant la bonne foi.
Les aides à l'agriculture accordées en Europe et contestées par nos
partenaires de négociation, spécialement les Etats-Unis, ne doivent pas nous
traumatiser. Nous devons faire la lumière sur le système d'aide massivement
pratiqué outre-Atlantique - mon ami Jean-Marc Pastor vient de l'évoquer - les
Américains ne manquant jamais de nous reprocher ce que nous faisons dans ce
domaine en feignant pudiquement d'ignorer ce qu'ils accordent aux
farmers
du Middle West.
Dans ce domaine, l'Europe doit avoir une attitude offensive et faire preuve
d'une vigilance rigoureuse ; cela devrait nous permettre d'exiger un certain
nombre d'éléments fondamentaux pour que l'OMC débouche sur un accord
équilibré.
Tout d'abord, il faut assurer la réciprocité des exigences sur deux points
importants : d'une part, les problèmes sanitaires et la qualité des produits ;
d'autre part, les problèmes de l'environnement et de la qualité de la vie.
Sur le plan sanitaire, nous ne devons pas être naïfs. Pourquoi accepter
l'importation de produits sans les contrôler compte tenu des exigences
sanitaires et techniques que nous imposons aux producteurs français et
européens ? C'est un sujet sur lequel il y a beaucoup à dire et qui demanderait
un plus long développement que ne le permet ce débat.
Disons simplement - tous les orateurs l'ont souligné - que les incertitudes
scientifiques sont particulièrement gênantes : nous en avons fait et nous en
faisons encore l'expérience avec l'ESB et le problème de la viande aux
anabolisants.
Il faut que le grand principe de « précaution » - le terme est admirable -
soit juridiquement et scientifiquement clarifié, afin qu'on ne vive plus les
péripéties actuelles. Des règles simples et précises, établies et acceptées par
tous, doivent permettre d'éviter tout accident, que ce soit pour la viande, les
animaux vivants, les fruits et les légumes, etc.
Les Etats-Unis, spécialistes des procédures de contrôle à l'importation et des
quarantaines largement utilisées, doivent comprendre que la réciprocité doit
être la règle.
Les négociations de l'OMC devront également inclure un volet environnemental
dans le cadre d'accords multilatéraux. Il est souhaitable, par exemple, de
clarifier les exigences liées aux méthodes de fabrication et aux règles
d'étiquetage des produits.
Le volet social ne doit pas être oublié, tout le monde l'a dit. C'est
l'occasion de tenter - y parviendrons-nous peut-être - de traiter le formidable
problème des inégalités. Il s'agit, en réalité, de l'intégration des pays en
voie de développement dans l'économie mondiale, en les faisant participer de
façon plus active au système commercial multilatéral.
Cest pays sont de plus en plus producteurs, mais ils jouent toujours un rôle
secondaire, c'est-à-dire un rôle d'exploités, sur la scène économique mondiale.
Cette situation est injuste et l'impact de leur marginalisation se ressent
partout. Le progrès économique ne peut qu'être un facteur important de
l'amélioration sociale dans le monde et un point clé du développement
durable.
Il faut également faire des avancées dans le domaine des droits de l'homme, de
la primauté du droit et du respect des normes du droit fondamental au travail.
Je pense tout particulièrement au travail des enfants, au travail carcéral, au
travail forcé, ou encore à l'absence du droit d'association et de négociation
collective.
Il faut que les accords futurs fixent des règles de commerce qui permettent
l'accès au marché de tous les opérateurs et que soit mis en place un système de
contrôle des pratiques anticoncurrentielles internationales. Je veux parler des
cartels mondiaux et des organismes à position dominante et fortement
concentrés, comme la grande distribution, qui est maintenant largement
mondialisée. Ces contrôles font défaut actuellement, et c'est une situation qui
nuit aux pays les plus faibles.
Il n'est pas question, comme cela a déjà été dit, de faire en sorte que l'OMC
devienne une autorité mondiale. Elle n'en a ni la vocation ni les moyens. C'est
simplement un cadre dans lequel doivent fonctionner des politiques de
concurrence équilibrée.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi de dire, après
bien d'autres, que notre souhait le plus vif est que ces négociations se
réalisent dans la plus grande transparence.
Elles vont être longues, voire difficiles. Nous sommes des parlementaires
sérieux ; nous demandons à être informés des étapes qui vont être franchies et
des obstacles qui vont se lever. Nous pensons être de bons relais auprès de nos
concitoyens. Or, vous aurez besoin de l'appui de l'opinion publique.
Au moment où vont s'ouvrir ces pourparlers, qui provoquent le doute chez les
uns et l'espoir chez les autres, je veux être résolument optimiste. Je ne peux
m'empêcher de rappeler la citation de Montesquieu tirée de
L'Esprit des lois
et reprise récemment dans un grand quotidien du soir : « Le commerce guérit
des préjugés destructeurs ; et c'est presque une règle générale que partout où
il y a des moeurs douces, il y a du commerce ; et que partout où il y a du
commerce, il y a des moeurs douces. »
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
alors que les négociations de Seattle vont s'ouvrir dans quelques jours, un
premier constat s'impose : rarement un débat public n'aura été entaché d'autant
de préjugés et d'idées fausses.
Je m'efforcerai donc, si vous le permettez, dans un premier temps, de préciser
des thèmes aujourd'hui récurrents dans le débat public mais très largement
galvaudés : la mondialisation, d'abord, l'Organisation mondiale du commerce,
ensuite.
Je développerai, enfin, un point qui m'apparaît particulièrement fondamental,
tant le sort qui lui sera réservé à Seattle déterminera la place et les
prétentions de notre pays à l'aube du troisième millénaire. Je veux parler de
la propriété intellectuelle, ferment de notre identité et de notre culture, qui
doit être défendue avec une vigueur inégale.
Première idée fausse : la mondialisation est une réalité.
La mondialisation, voilà un terme à la mode ! Il ne se passe pas un jour sans
que ce concept soit mentionné dans toutes les sphères, privées comme publiques,
par tous les responsables politiques, de droite comme de gauche. La
mondialisation, je suis tenté de dire que voilà la nouvelle idéologie du xxie
siècle ! Il y a ceux qui sont pour, il y a ceux qui sont contre. Que l'on s'y
oppose ou qu'on la loue, c'est bien la référence absolue, indispensable. Et,
pourtant, que recouvre ce concept, employé par tous, mais défini par personne
?
La mondialisation fait référence à l'échange généralisé entre les différentes
parties de la planète. Elle implique, à terme, l'émergence d'un « village
global ». Elle suppose la disparition des frontières, elle postule
l'uniformisation des modes de vie et de pensée.
Il n'y a pas de vision plus erronée de l'environnement international. Il n'y a
pas de perception plus fausse de la réalité des échanges.
La mondialisation est un leurre. Elle procède d'une simplification outrancière
et erronée de l'environnement international.
Jamais les divergences économiques, sociales et politiques entre les Etats
n'ont été aussi grandes : l'extrême pauvreté côtoie l'extrême richesse. Le
commerce ne profite pas à tous les pays dans la même mesure. Il met en jeu des
Etats qui n'ont pas atteint, loin s'en faut, le même niveau de développement
économique. Jamais les revendications identitaires n'ont été aussi fortes et
aussi exacerbées. La montée des intégrismes, les guerres ethniques, la défense
des exceptions culturelles... Vous voyez, mes chers collègues, que le monde
n'est pas unifié et n'est pas en voie de l'être !
La mondialisation est un terme qui devrait être banni. Ce à quoi nous sommes
confrontés, c'est à l'interdépendance croissante des économies, dans un
contexte de libéralisation accrue des échanges.
Seconde idée fausse : l'Organisation mondiale du commerce serait le cheval de
Troie des prétentions hégémoniques américaines.
Rien n'est plus erroné ! Une telle affirmation traduit une incapacité totale à
saisir la nature profonde de l'OMC, ses fonctions, ses mécanismes fondamentaux.
Une telle affirmation traduit une méconnaissance du sujet, une méconnaissance
coupable pour un responsable politique. Que les Etats-Unis et l'Europe se
livrent une guerre commerciale terrible, c'est un fait. Qu'il nous appartienne
d'être extrêmement vigilants et inflexibles pour défendre nos intérêts vitaux,
c'est incontestable.
Mais l'OMC n'est pas l'instrument de domination des Etats-Unis. Au contraire,
seule l'OMC peut substituer aux rapports de force le primat de la règle de
droit. Seule l'OMC peut discipliner les Etats en exigeant d'eux le respect des
règles de droit commerciales qu'ils ont librement négociées et acceptées.
Plusieurs d'entre vous y ont fait allusion : l'analyse minutieuse de toutes
les décisions rendues par l'organe de règlement des différends de l'OMC montre,
contrairement aux idées reçues, que les Etats-Unis ont non seulement été plus
souvent mis en cause que l'Union européenne, mais ont fait aussi l'objet de
plus de condamnations.
De ce point de vue, la dernière décision rendue par l'ORD le 17 septembre 1999
est particulièrement significative. Elle met en cause les pratiques fiscales
américaines à l'exportation. L'enjeu est autrement plus important que pour les
affaires de la banane et des hormones, qui, réunies, ne touchent que 1 % à 2 %
du commerce entre les Etats-Unis et l'Union européenne. Les pratiques fiscales
américaines représentent en effet, chaque année, une aide directe de 2
milliards de dollars aux exportateurs américains. Le préjudice subi par les
Etats-Unis risque donc d'être considérable en cas de confirmation de la
décision par l'organe d'appel de l'OMC.
L'OMC est bien une instance impartiale, et c'est cette impartialité qui fait
toute sa crédibilité. Dans un contexte de libéralisation sans précédent des
échanges, alors que la compétition entre les Etats n'a jamais été aussi
exacerbée, les anti-OMC font preuve d'ignorance et d'aveuglement. Ils doivent
savoir que le désordre mène à l'anarchisme. L'anarchisme engendre
malheureusement très souvent la violence. La violence conduit presque toujours
à l'appauvrissement.
Monsieur le secrétaire d'Etat, alors que les négociations qui s'ouvrent à
Seattle vont toucher aux intérêts vitaux de notre pays, il importe, face à nos
principaux partenaires commerciaux, d'être particulièrement vigilants et
pugnaces si nous ne voulons pas brader nos intérêts. La défense de notre
conception du droit d'auteur illustre avec force tout l'enjeu des négociations
de Seattle.
Si l'enjeu est considérable, alors que les progrès des technologies modernes
et l'apparition de nouveaux modes de circulation et d'exploitation du savoir
amènent les Etats à se doter de législations nouvelles, il est surtout
éminemment symbolique : derrière le choix du système de protection de la
propriété littéraire et artistique, c'est la question du rôle de l'OMC à l'aube
du troisième millénaire qui est posée.
L'OMC doit-elle seulement s'efforcer de promouvoir un commerce débarrassé de
toute entrave et soumis aux seules lois du marché, ou bien doit-elle veiller
aussi à encourager le respect des identités et des différences, et donc
promouvoir une libéralisation plus humaine des échanges ?
Cela pose à nouveau avec force le problème de la protection de la propriété
littéraire et artistique, alors que l'on s'oriente de plus en plus vers des
économies de l'immatériel, tant la création est appelée à jouer un rôle
essentiel.
Deux grandes conceptions du droit d'auteur existent. La conception française,
largement inspirée par le droit romain, d'essence civiliste, qui privilégie la
gestion collective et droit moral, et la conception anglo-saxonne, qui se fonde
sur le
copyright.
Ces deux conceptions du droit d'auteur restent fondamentalement opposées.
Privilégier l'approche française sur le système américain du
copyright
est primordial dans la mesure où elle protège plus efficacement les droits
des créateurs.
La conclusion de l'accord sur les droits de propriété intellectuelle qui
touchent au commerce a été considérée comme un succès remarquable. Pourtant,
cet accord n'édicte pas à proprement parler de normes nouvelles sur ce point
précis, se contentant de renvoyer aux conventions internationales en vigueur,
notamment la convention de Paris sur la propriété industrielle et les marques,
adoptée le 14 juillet 1967, et la convention de Berne sur les droits d'auteur,
adoptée le 24 juillet 1971.
L'Union européenne doit se montrer beaucoup plus exigeante que les Etats-Unis,
notamment en matière de respect des droits moraux. Les Etats-Unis, on le sait,
s'opposent à l'élaboration de règles nouvelles, soucieux de ne pas avoir à
modifier leur législation nationale. Il faut adopter une position résolument
offensive.
Les approches juridiques divergent profondément. La conception européenne du
droit d'auteur met l'accent sur la protection de la personnalité de l'auteur,
témoignant de la « supériorité du droit moral » sur les droits pécuniaires.
L'oeuvre est considérée comme un prolongement de la personnalité de l'auteur,
lui conférant deux séries de prérogatives : droits pécuniaires, dont le
principal est droit de reproduction, et le droit moral, qui implique le droit
au respect de l'oeuvre et le droit au nom. Dans le système du
copyright,
en revanche, on est en présence d'une tout autre philosophie. L'oeuvre
étant radicalement détachée de la personne physique, elle acquiert une
autonomie juridique absolue. Il en résulte que, appréciée comme un produit,
elle peut mener une existence économique libre. De fait, elle peut faire
l'objet d'un transfert sans aucune réservation, restriction ou limitation. Le
droit d'auteur est essentiellement conçu comme une prérogative économique : il
s'agit du droit pécuniaire d'autoriser ou non la reproduction. Le système du
copyright
tend par conséquent à investir l'employeur des droits sur
l'oeuvre, et ce à titre originaire, qu'il s'agisse d'une personne morale ou
non. Cela, nous ne pouvons l'accepter.
Veiller à ne pas évincer l'auteur de son oeuvre est une priorité, alors qu'il
est de plus en plus soumis aux pressions des producteurs, diffuseurs et
concepteurs. Ces derniers, qui s'apprêtent à envahir l'espace culturel de la
planète avec leurs produits, considèrent en effet l'auteur comme un obstacle à
la rentabilité et au développement de leurs commerces.
Monsieur le secrétaire d'Etat, à Seattle, il faut donc faire prévaloir la
conception française du droit d'auteur, plus favorable au créateur ; celle-ci
repose sur le droit moral et sur la gestion collective.
Seul le droit moral confère une protection renforcée à l'auteur. L'article L.
121-1 du code de la propriété intellectuelle de 1992, qui leur reconnaît un
droit à l'intégrité de l'oeuvre, précise en effet que le droit moral est «
inaliénable ». En l'absence de droit moral, l'oeuvre peut être défigurée,
mutilée, transformée à l'idée du marchand, sans que l'auteur ait la possibilité
d'intervenir.
Les sociétés de gestion collective désignent tout organisme dont le seul but
ou l'un des buts principaux consiste à gérer ou à administrer des droits
d'auteur ou des droits voisins du droit d'auteur.
Parfois mise en cause, la gestion collective reste pourtant un système
irremplaçable, seul à même de préserver efficacement les intérêts du créateur
et de l'auteur. Il est bien évident en effet que, si l'auteur conservait
l'exercice de ses droits, il serait plus exposé aux pressions des exploitants,
soucieux d'obtenir de lui la cession de ses droits. Assurer un exercice
efficace de la gestion collective vise donc fondamentalement à protéger
l'auteur. L'affaiblissement de la gestion collective entraînerait celui de la
protection des ayants droit. Comment, en effet, les sociétés d'auteurs
pourraient-elles efficacement défendre les droits des auteurs à l'égard des
usagers de leurs oeuvres, si ces mêmes usagers pouvaient obtenir directement
des auteurs individuellement des conditions d'utilisation de leurs oeuvres que
les sociétés d'auteurs leur refusent ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, excusez-moi d'insister sur ce point, mais il
s'agit d'un enjeu fondamental. Tout glissement vers un passage du droit romain
au système du
copyright
doit être absolument évité, à Seattle et dans
les mois qui suivront. Ce ne sera pas chose aisée, ni pour vous, ni pour le
commissaire européen chargé de défendre les intérêts de Bruxelles.
Au-delà des lobbies professionnels qui, mus par des considérations
économiques, cherchent à faire valoir une telle orientation, les interventions
des Etats-Unis sur la scène internationale vont également dans cette direction.
L'influence considérable de ce pays auprès des organisations internationales
pousse à promouvoir l'application du
copyright
auprès des pays non
encore signataires de la convention de Berne pour la protection des oeuvres
littéraires et artistiques, au détriment de la gestion collective.
Les négociations entreprises à l'occasion de l'Uruguay round remettent en
cause pour l'instant toute possibilité de faire prévaloir au plan international
la conception française du droit d'auteur. Les Etats ne sont pas encore
parvenus à s'accorder sur le droit moral. L'article 6
bis
de la
convention de Berne a été exclu purement et simplement de l'accord sur les
aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Il
reconnaît pourtant les droits extrapatrimoniaux des auteurs et créateurs. Une
telle exclusion constituerait une grande concession de la Communauté européenne
aux Etats-Unis, désarmant l'auteur au bénéfice de l'industrie. Elle marquerait
une orientation vers un droit d'auteur d'entreprise, à l'opposé de notre
conception traditionnelle.
Face à l'intensification des échanges et aux nouvelles technologies des
réseaux, la France a réaffirmé clairement sa position : les oeuvres ne sont pas
des marchandises et la création n'est pas seulement l'acte économique de
production d'un bien. Les développements potentiels de la société de
l'information ne pourront être effectifs sans des contenus de qualité, ce qui
suppose que les titulaires de droits y trouvent leur compte. L'information
libre de droit sur les réseaux est un leurre dangereux. Pour soutenir la
création française, il faut donc veiller à ce que les auteurs et les titulaires
de droit soient efficacement protégés, afin que prévale la conception humaniste
et personnaliste française de la création.
Il faut donc interdire toute réglementation ou tout accord autorisant, sous
couvert d'un libéralisme commercial sauvage, à piller nos répertoires dans un
seul but de profit.
La tâche qui vous attend, monsieur le secrétaire d'Etat, ne se limitera pas à
un travail de trois ou quatre jours, je veux dire simplement à Seattle. C'est
une tâche de trois années qui va commencer le 1er janvier à Genève, et elle
sera particulièrement rude ! Vous aurez, en tous les cas, le devoir de défendre
notre identité et notre culture.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
me réjouis de l'organisation devant la Haute Assemblée d'un débat consacré à
l'ouverture, très proche désormais, d'un nouveau cycle de négociations
commerciales multilatérales.
C'est avec la plus grande attention que nous avons suivi le déroulement des
discussions préliminaires, tant avec les Etats membres de l'Union européenne
qu'avec nos partenaires extérieurs, et nous sommes conscients de l'ampleur et
de la complexité de la tâche qui nous attend à Seattle.
A l'instar de mes collègues, j'ai pris connaissance, avec satisfaction et
soulagement, de la concrétisation d'une position commune européenne sur
l'orientation qu'il conviendrait de donner à cette négociation.
Je garde également l'espoir d'une plus grande sensibilité de nos partenaires
quant au bien-fondé de l'ouverture d'un large champ de négociations pour ce
cycle du Millénaire, c'est-à-dire sortir de l'agenda intégré, même si nous
savons combien la bataille risque d'être rude.
Il est, en outre, un point qui m'inquiète fort et que j'aimerais évoquer dès
maintenant sur un sujet tout à fait connexe à celui qui nous réunit ce matin.
Nous venons d'apprendre la signature d'un accord entre la Chine et les
Etats-Unis qui, si j'en crois les commentateurs, signifierait l'imminence de
l'adhésion de ce pays à l'OMC après des années d'âpres discussions
préparatoires.
Je suis quelque peu inquiet quant à l'effet d'annonce que les Etats-Unis
viennent de réaliser à travers cet accord bilatéral. S'il se révèle que nous
sommes là dans le cadre d'une procédure classique d'adhésion, c'est-à-dire
d'une négociation bilatérale, qui devra ensuite être déclinée avec les
principaux pays de l'OMC, je crains que les Etats-Unis n'utilisent la
médiatisation de cet accord pour influencer ce nouveau partenaire dans le cadre
des futures négociations multilatérales.
On veut voir aussi, bien sûr, dans cet accord le signe des progrès accomplis
par la Chine dans la voie du libéralisme et de l'ouverture économique, et
j'adhère à l'idée que l'OMC gagnera en crédibilité en accueillant ce nouveau
membre, partenaire essentiel dans l'équilibre mondial de demain.
Rappelons, il n'est pas inutile de le faire, que la Chine est la dixième
puissance économique mondiale et qu'elle représente le plus grand marché du
monde par le nombre de ses consommateurs.
Aussi, j'aimerais savoir, monsieur le secrétaire d'Etat, quel est votre
sentiment sur cet événement considérable et connaître les suites qui, à votre
connaissance, devraient lui être réservées.
Je n'ai pas l'ambition d'être exhaustif sur le contenu de ce que pourrait être
la négociation de Seattle dans la perspective retenue par l'Union européenne,
et je me bornerai à évoquer les trois ou quatre points qui me tiennent
particulièrement à coeur, même si mon propos vous semblera de ce fait parfois
décousu.
Nous sommes tous très conscients que la réussite de cette négociation suppose
une réelle participation des pays en développement au dialogue traditionnel
Europe - Etats-Unis pratiqué jusqu'alors. Lorsque l'on compare l'évolution
économique des hémisphères Sud et Nord - la récente conférence de la CNUCED à
Genève est là pour nous le rappeler -, comment ne pas être consterné par le
fossé qui continue de se creuser entre ces deux mondes ? Comment ignorer,
au-delà des considérations humanitaires que nous partageons tous, les dangers
dont il est porteur pour la stabilité mondiale ?
Bien sûr, quelques économies émergentes sont parvenues à tirer partie de la
mondialisation, mais la plus grande part des pays en développement, notamment
dans la zone ACP, ont continué de s'appauvrir.
Je souhaite ardemment que le souci exprimé par l'Union européenne de placer
l'intégration des pays en voie de développement dans le commerce international
au premier rang des priorités soit pargagé par nos partenaires. Je suis
convaincu que ceux qui rejettent l'idée même d'un nouveau cycle, au nom de la
préservation des pays en retard de développement, effectuent un contresens et
que la négociation de Seattle peut être une véritable occasion de corriger,
dans une direction favorable, l'évolution des échanges commerciaux et des flux
financiers.
Elle doit également rouvrir le dossier relatif à la protection des
acquisitions intellectuelles. Je dois vous avouer combien je suis attaché à la
défense de la propriété intellectuelle, qui me paraît encore trop
insuffisamment protégée, en dépit de l'entrée en vigueur de l'ADPIC obtenu à
Marrakech. Il est indispensable que la négociation de Seattle aborde la
question des brevets, les inégalités relatives aux conditions d'enregistrement,
de reconnaissance et de protection nous pénalisant trop souvent, et ce d'autant
plus que 50 % du commerce mondial portera désormais sur des produits protégés
par des brevets !
Je ferai une observation similaire concernant la reconnaissance du principe de
précaution, qui n'a pour l'heure fait l'objet d'aucune transcription en droit
international ou communautaire. J'attends - ou plus exactement nous attendons
tous, avec impatience les conclusions d'un rapport commandé par M. le Premier
ministre auprès des professeurs Kourilsky et Viney.
Ce concept, formalisé à l'origine pour prendre en compte des considérations
liées à l'environnement, a désormais essaimé dans tous les secteurs, notamment
dans l'alimentaire, et rend indispensable une définition commune qui soit
connue et respectée par tous les partenaires.
Il convient d'appliquer le principe de précaution avec précaution, oserai-je
dire, et de l'assortir d'un certain nombre de corollaires pour encadrer sa mise
en oeuvre : adaptabilité, proportionnalité, voire compensation. Si l'on ne
procède pas ainsi, le risque est évident de passer du principe de précaution au
principe de suspicion et, enfin, au principe de l'inaction.
Vous me permettrez un commentaire sur le volet agricole pour considérer
l'importance qu'il revêt pour la France.
Premier pays exportateur de produits agricoles transformés, la France a,
depuis quelques années, suscité de violentes réactions des Etats-Unis, qui, au
travers du
FAIR Act
de 1996, ont assigné à leur agriculture la mission
de reconquérir des parts de marché et ainsi replacé les Etats-Unis au tout
premier rang du commerce agroalimentaire mondial. Il conviendra donc de
clarifier les mesures de soutien outre-Atlantique, que ce soit l'aide
alimentaire, les subventions à l'exportation ou le monopole de certaines
sociétés d'Etat à l'exportation, tout cela pour assurer une transparence totale
entre pays.
Il importera de défendre un modèle agricole européen d'agriculture
compétitive, diversifiée et multifonctionnelle assurant le développement de
l'ensemble de nos territoires et de ne considérer en aucun cas le secteur de
l'agriculture et de la pêche comme une monnaie d'échange.
Enfin, concernant le Codex Alimentarius, je me devais de faire part de mes
inquiétudes quant à l'éventualité d'une prise en compte excessive, à mes yeux,
de contingences non scientifiques dans la définition de certaines normes
alimentaires.
Le rôle croissant de cette organisation internationale au sein des
négociations de l'OMC exige de la part de la France et de l'Europe, d'une part,
une présence plus active près de cette instance, de la part tant des
administrations que des organisations professionnelles, d'autre part, une
extrême vigilance dans la définition des critères à prendre en compte pour la
définition des normes alimentaires. N'oublions pas, en effet, que les échanges
internationaux de produits alimentaires se chiffrent annuellement entre 350
milliards de dollars et 400 milliards de dollars.
Si nous pouvons nous attendre à un cycle de négociations très dur avec des
chances de succès aléatoires, il est un point qui me paraît un bon présage pour
le déroulement des futures discussions : c'est le fait que, cette fois, il a
été confié à la Commission une mission définie, délimitée, propre à encadrer de
manière claire son mandat.
J'y suis particulièrement sensible, car je dois avouer que je conserve un très
mauvais souvenir des accords des Blair House en 1992, accords au cours desquels
les initiatives de la Commission, en excédant les prérogatives qui étaient
siennes, ont induit certaines conséquences proprement catastrophiques.
L'une d'elles, qu'il ne faut pas oublier, est que nous importons désormais 76
% des besoins alimentaires de la filière animale en protéines végétales, ce qui
nous place dans une situation de dépendance tout à fait déplorable, tant sur le
plan économique que sur le plan sanitaire au travers de la traçabilité des
productions.
Enfin, je ne voudrais pas conclure mon propos sans exprimer ma satisfaction de
voir les parlementaires associés, en tant qu'observateurs, à cette
négociation.
J'y vois le signe d'une volonté de transparence et le souci d'informer,
notamment par notre entremise, nos concitoyens qui, d'une manière inconnue
jusqu'alors, portent à cette négociation un intérêt grandissant et se sentent
partie prenante à ce grand projet, même si certaines réactions de rejet peuvent
sembler excessives.
Je souhaite que notre débat d'aujourd'hui contribue aussi à leur information,
apaise les craintes qui pourraient être infondées, mais nous éclaire également
sur les véritables enjeux de cette conférence historique.
Si je suis favorable au fait de donner au public l'information à laquelle il
peut légitimement prétendre, vous me trouverez réservé sur l'oreille -
oserai-je dire trop complaisante ? - accordée aux ONG. J'ai lu que 800 ONG
seraient présentes en qualité d'observateurs à Seattle, dont 40 % d'origine
américaine. Vous ne m'empêcherez pas d'y voir là un risque de
lobbying
...
M. Emmanuel Hamel.
... de pressions. Parlez français !
M. Jean Bizet.
... peu compatible avec le souci de transparence que les différents
partenaires veulent donner pour la première fois, et je m'en réjouis, à cette «
négociation du Millénaire ».
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
trouve très bien que, comme l'année dernière pour l'AMI, le Sénat tienne ce
débat sur l'OMC. J'interviens, sans bien sûr l'isoler de l'ensemble des
questions de société, sur la culture, qui, dans les dernières négociations
commerciales internationales, a joué un grand rôle et a réussi des percées dans
la prise en considération de sa spécificité.
La culture n'est pas une marchandise comme les autres. Une poétesse russe a
utilisé une métaphore sur cette spécificité, à laquelle on ne touche pas sans
blesser la société et les individualités, le statut de l'esprit, la
civilisation. C'est comme une fable que La Fontaine aurait intitulé : « La
chaussure et l'Art ».
Le matériau des chaussures, le cuir, peut-être estimé, il est fini. Le
matériau d'une oeuvre d'art, l'esprit, ne peut être estimé ; il est infini. Il
n'existe pas de chaussures pour toujours. Chaque vers de Sapho est donné une
fois pour toutes. Des chaussures incomprises, cela n'existe pas, tandis que des
vers incompris, ô combien !
Cela dit, ceux pour qui tout cela n'est que babiole continuent leur offensive,
et dans plusieurs réunions sur la culture, l'Europe et la mondialisation, je
les ai souvent entendu dire que le marché était naturel comme la marée et que
les nouvelles technologies étaient naturelles comme la gravitation
universelle.
Nous serions ainsi contemporains d'un monde où les moteurs naturels,
fatalement fatals, de la vie culturelle, de la vie tout court, seraient le
marché et la technologie inventés, je le rappelle, par l'homme et la femme pour
s'en servir et où les êtres humains ne seraient que des éléments subsidiaires,
des invités de raccroc.
Le GATT à l'origine, l'AMI, le NTM, la convergence ont, tour à tour, voulu
asseoir « comminatoirement » une république mercantile universelle sans qu'il y
ait, face à elle, une république démocratique universelle. La société serait
surpeuplée d'impératifs financiers et dépeuplée de trop de droits de
l'homme.
Les artistes n'ont pas cédé et se sont rassemblés pour refuser tout à la fois
la fuite en avant, le repli identitaire et l'impuissance démissionnaire. Ils
pensaient qu'un peuple qui abandonne son imaginaire aux grandes affaires se
condamne à des libertés précaires, comme le disait, dès le 17 novembre 1987, la
déclaration des droits de la culture ratifiée devant un Zénith des états
généraux de la culture aux 6 000 participants.
Pendant que d'autres noircissaient du papier, les artistes éclairaient du
papier en commençant à écrire une alternative. Leur mouvement puissant, et le
contenu de ce mouvement, repris par François Mitterrand et le gouvernement
Balladur, aboutissait à l'exception culturelle ; repris par Lionel Jospin,
faisait capoter l'AMI ; repris par le Premier ministre et Jacques Chirac,
faisait retirer le NTM ; repris par Catherine Trautmann, battait à la
conférence de Birmingham l'idée grossière de la convergence qui veut que, le
transporteur étant le même, les transportés aient le même statut. Vous savez,
vous prenez votre voiture, votre femme vous y rejoint et, selon cette théorie,
elle... deviendrait un homme.
(Sourires.)
Et voilà l'OMC dont, sans illusion, nous n'attendons - je parle toujours de la
culture - que ce que nous y mettrons.
Je souhaite avancer quatre idées.
La première : sous les formes les plus variées, les artistes et les passeurs
de culture ont multiplié les actions dont l'ampleur a conduit les relais
gouvernementaux et européens à continuer d'agir comme en témoigne, pour la
culture, l'esprit du mandat de la Commission européenne donné à Pascal Lamy.
Pour dire vrai, je l'aurais voulu plus net en reprenant la notion d'exception
culturelle. Et je pense qu'à Seattle la délégation gouvernementale française
doit être activement vigilante et exigeante, d'autant qu'il y a ces
incertitudes dont vous avez parlé, monsieur le secrétaire d'Etat.
Mais je veux dire un mot, précisément, des actions des artistes et de ceux qui
les soutiennent.
Ces derniers six mois, nous avons eu - et j'ai participé à toutes -
l'organisation d'une conférence internationale par les Verts européens à
Bruxelles les 27 et 28 mai, une conférence de l'UNESCO sur l'exception
culturelle les 14 et 15 juin, une conférence des états généraux de la culture
en Avignon le 26 juillet et, cet automne - j'en oublie ! - l'assemblée - avec
présence de l'OMC, de la Commission européenne et des Américains - de l'ARP à
Beaune, en Bourgogne, les 22 et 23 octobre, la table ronde des cinquante-huit
ministres de la culture à l'UNESCO le 2 novembre, le forum du cinéma européen
au Parlement européen à Strasbourg le 16 novembre, le forum mondial des cinémas
à Bastia ce dernier 20 novembre, sur l'initiative de la société des
réalisateurs de films, où se sont retrouvées et se sont mises d'accord les
associations de cinéastes de vingt-trois pays.
Je terminerai par le texte de Marie-Claude Tjibaou et Paul Vergès, publié dans
Le Monde
du 14 novembre, qui osent - comme ils disent avec modestie -
lancer de deux îles de l'océan Indien et de l'océan Pacifique un appel pour la
sauvegarde de la diversité culturelle.
J'interprète ce texte venu du Sud comme un souhait que se tienne, à l'image du
« Rio de l'environnement » de juin 1992, un rassemblement mondial de la
culture. Et mon ardent désir est que, pour fin 2000-début 2001, le Premier
ministre décide, au moment où s'ouvre à Seattle la troisième conférence de
l'OMC, décide, oui, comme une symbolique se souvenant de l'avenir, que Paris
sera le lieu de ce rassemblement jamais réalisé où toutes les cultures de la «
pomme ronde », comme disait Claudel parlant de notre planète, feraient le plus
beau et le plus grand bouquet composé des cultures, ce qui n'est pas
contradictoire avec l'idée que je partage fort de traiter des conditions de la
diversité culturelle à l'UNESCO et non à l'OMC.
Deuxième idée : chacun l'a noté, l'expression « diversité culturelle »
remplace dans les textes officiels l'« exception culturelle ».
Je vois bien la stratégie : c'est le pluralisme culturel qui est à maintenir
et à épanouir. Mais l'exception culturelle ne doit pas être mise de côté ni à
la retraite. D'abord, parce qu'elle est symbolique : voilà six ans qu'elle
nourrit nos actions, six ans qu'elle est une pratique dont nous devons nous
féliciter. Elle est la traduction de cette idée de Michel Torga : «
L'universel, c'est le local sans les murs. »
Mais elle est plus encore. Elle est l'ébauche d'un espace public où le marché,
pour être présent, n'est pas autoritairement roi. Le Premier ministre,
récemment, déclarait reconnaître l'économie de marché, mais pas la société de
marché. Précisément, pour que cette société de marché ne soit pas reine en
culture, il faut l'exception culturelle à l'économie de marché.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Jack Ralite.
C'est un éclat d'avenir que je sens sourdre aussi dans le domaine sportif et
dans le domaine du vivant. C'est la naissance d'une responsabilité publique en
culture, à tous les échelons de la société, et peu importent les chemins qui y
ont mené : comme à la marelle, on va toujours vers le ciel à cloche-pied !
D'ailleurs, il n'y aura pas de diversité culturelle sans exception culturelle.
Je sais bien que nous ne sommes pas à une séance du dictionnaire de l'Académie,
mais quand on dit : « Je vous aime » à une femme, on lui dit qu'elle est une
exception. Lui dire qu'elle est un élément de la diversité féminine, c'est en
deçà du coeur !
(Sourires et applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées
socialistes.)
Mme Hélène Luc.
C'est bien vrai !
M. Jack Ralite.
Je veux ici féliciter Mme Trautmann, ministre de la culture, qui ne cesse de
montrer l'incontournable liaison entre les deux expressions, comme elle l'a
encore fait samedi dernier à Bastia.
Troisième idée : à Seattle, nous voulons préserver l'existant, les acquis du
GATT, comme on dit, et éviter les risques de contournement.
Il y a en effet un contournement principal, les nouvelles technologies, qui se
présentent sous la forme du commerce électronique.
J'ai été frappé, à la réunion de l'ARP à Beaune, quand Jack Valenti, le patron
du cinéma américain, est intervenu. Il a dit à peu près ceci : « Sur ce qui
existe, nous arriverons, je crois, à nous entendre, mais cela n'est pas le plus
important. L'essentiel sur quoi nous allons concentrer nos efforts, ce sont les
nouvelles technologies. »
Je crois que les Américains se préparent à nous présenter une démarche du type
régulation
a minima
pour ce qui existe et pas de régulation du tout pour
le nouveau.
Sur cette question, il faut organiser la parade à partir, premièrement, des
acquis du GATT - les services audiovisuels ne se différenciaient pas selon la
nature du transporteur ; deuxièmement, de l'accord sur les télécommunications
de base adopté en 1997 par l'OMC ; troisièmement, du rejet de la convergence à
la conférence européenne de Birmingham le 18 avril 1999.
Il faut aussi, et dans un même mouvement, poser beaucoup plus fort et au
niveau suffisant, sans doute sans fascination mais surtout sans frilosité, les
questions posées par les nouvelles technologies. Et c'est valable pour notre
pays, qui est en train de corriger son engagement retardataire, et pour
l'Europe qui fait d'autant moins qu'elle en parle plus et qui devrait consacrer
beaucoup plus de moyens - je cite un chiffre à la hauteur des exigences : 1 %
du PIB - à l'audiovisuel, aux logiciels et à l'informatique.
Selon Jack Valenti, il faut aussi, en rapport avec ces nouvelles technologies,
mettre en avant la piraterie ; c'est un vrai problème ! Mais, à Bastia par
exemple, les représentants du cinéma américain ont voté contre les conclusions
pour le pluralisme culturel, au nom de la liberté de leur cinéma, qui possède
en Europe 85 % des programmes.
Oui, il y a des pirates et il faut les combattre, mais il y a aussi des
corsaires dont nous devons nous méfier, notamment sur les questions de
l'investissement et sur les questions de subventions, qui sont deux autres
manières de contourner les idées qui nous sont chères.
Pour conclure sur cette troisième idée, je dirai que j'attends beaucoup d'une
initiative internationale des Etats généraux de la culture qui auront lieu en
l'an 2000 sur le thème : la culture, l'humanité et les nouvelles technologies,
avec l'objectif de civiliser ces nouveaux mondes issus de l'oeuvre
civilisatrice et de faire valoir que le droit d'auteur, le droit moral et
patrimonial, droit de l'homme fondamental, est parfaitement compatible avec les
nouvelles technologies.
Je finis sur la quatrième idée. Toujours du point de vue de la culture,
certaines questions avancées par les artistes, longtemps presque seuls, sont
aujourd'hui portées dans des secteurs de la vie différents par d'autres
citoyens, organisés ou non. Je pense notamment aux membres des ONG, aux
agriculteurs, avec la confédération paysanne, aux salariés, avec l'association
pour la taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens,
l'ATTAC. Si leurs expressions vont dans le même sens, elles sont forcément
diversifiées. Ils ont intérêt à se rencontrer et, par exemple, après Seattle,
nous tiendrons à Aubervilliers un banquet des états généraux de la culture
réunissant paysans, artistes et salariés.
Il y a là une richesse du mouvement à dimension internationale qui veut que
l'OMC soit un construit social avec des régulations humaines et non un
mécanotechnico-financier avec une autorégulation vaine.
Permettez-moi, pour clore ce propos, de recourir à deux personnalités
aujourd'hui disparues. D'abord, Maurice Schumann : « La seule faute que le
destin ne pardonne pas au peuple est l'imprudence de mépriser les rêves. »
Ensuite, Federico Fellini : « Ce qui est le plus important pour l'homme
d'aujourd'hui, c'est de tenir bon, de ne pas laisser aller la tête sous l'eau,
mais surtout de savoir regarder au-delà du tunnel, en inventant, si besoin est,
un but de salut par notre imagination, notre volonté et, surtout, par notre
confiance. Je crois que, vue sous cet angle, l'activité des artistes est
aujourd'hui indispensable. »
C'est de tout cela qu'à Seattle je témoignerai.
(Applaudissements.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à seize
heures, sous la présidence de M. Paul Girod.)
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
3
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. Jean-Patrick Courtois.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
j'ai entendu dimanche soir, sur une chaîne télévisée, M. Jean-Pierre
Chevènement, ministre de l'intérieur, faire un commentaire sur les rapports des
commissions d'enquête de l'Assemblée nationale et du Sénat, et j'avoue avoir
été profondément choqué par les termes qu'il a employés en la circonstance.
Il a, en effet, fait état de fuites, de rapports rendus publics avant l'heure,
de divulgation irresponsable du nom d'un informateur du préfet Bonnet.
Je tiens d'abord à rendre hommage aux membres de la commission d'enquête du
Sénat, qui, pendant les six mois au cours desquels celle-ci s'est réunie, n'ont
fait aucune déclaration publique sur ses travaux, ainsi qu'aux fonctionnaires
de notre assemblée qui étaient placés auprès d'eux ; pendant ces six mois,
aucun document émanant de la commission n'a été remis aux médias, ce qui nous a
d'ailleurs été reproché.
Le rapport du Sénat a été rendu public mercredi dernier, après que le
président du Sénat lui-même en eut pris connaissance et après que notre
assemblée en eut été informée. Les règles qui s'appliquent en la matière ont
été scrupuleusement respectées, et je m'étonne que le ministre de l'intérieur
puisse faire un amalgame entre ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale - et
que, pour ma part, je juge scandaleux - et l'attitude du Sénat, qui s'est
montré parfaitement responsable puisque notre règlement a été observé à la
lettre.
S'agissant de l'indicateur dont le nom aurait été révélé et dont la vie se
trouverait ainsi menacée, je tiens à rappeler de manière solennelle que, dans
le rapport du Sénat, il ne figure d'autres noms que ceux qui ont été cités dans
le cadre des procédures judiciaires, et dont la presse a eu connaissance ; en
aucun cas, le Sénat ne pourrait donc être tenu pour responsable de la
divulgation du nom en question.
De même, eu égard au contrat moral passé avec les personnes qu'elle avait
convoquées, la commission d'enquête du Sénat, a décidé, à l'unanimité de ses
membres, de ne publier aucun des procès-verbaux des auditions auxquelles elle a
procédé.
Je vous prie donc, monsieur le secrétaire d'Etat, de bien vouloir considérer
que les règles de procédure applicables en l'espèce ont été strictement
respectées par le Sénat et de demander à l'ensemble des membres du
Gouvernement, en particulier à M. le Premier ministre, de ne pas faire
d'amalgame avec des rapports qui ont été publiés à des fins politiques, qui
ressemblent à des règlements de compte et qui ne sont pas acceptables pour la
démocratie.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Acte vous est donné, mon cher collègue, de ce rappel au règlement.
4
CONFÉRENCE MINISTÉRIELLE
DE L'ORGANISATION MONDIALE
DU COMMERCE
Suite du débat sur une déclaration
du Gouvernement
M. le président.
Nous poursuivons le débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur la
conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce à Seattle.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que la conférence des présidents a fixé
à trois heures le temps de parole réservé à tous ceux d'entre nous qui
souhaitaient intervenir dans ce débat. Dans la mesure où nous avons pris un
certain retard, j'invite les orateurs qui doivent encore s'exprimer à la plus
grande concision possible.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier.
Je vais m'efforcer d'accéder à votre souhait, monsieur le président.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la conférence de Seattle,
troisième du genre depuis la création de l'Organisation mondiale du commerce en
1995, sera un moment important pour les nouvelles négociations sur la
libéralisation du commerce mondial.
Je félicite vivement notre collègue Michel Souplet pour son excellent rapport,
fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, et je partage
pleinement la proposition tendant à faire de Seattle l'amorce d'un cycle de
négociations d'un style nouveau.
Il s'agit, en effet, de parvenir à un accord global de négociations, et non
plus à des accords sectoriels, pour aboutir à des solutions équilibrées et
profitables à tous les membres de l'OMC.
Les négociations doivent non pas se restreindre à l'agriculture et aux
services, mais aborder l'ensemble des sujets liés à la libéralisation du
commerce mondial : travail, environnement, sécurité alimentaire,
investissements, concurrence, finances, assurances, etc.
Cette conférence doit tirer les leçons des précédents cycles, qui avaient,
hélas ! vu essentiellement l'affrontement des Etats-Unis et de l'Union
européenne, délaissant les pays en voie de développement.
Il s'agit désormais d'imposer un jeu plus ouvert, afin que le progrès soit
partagé par tous. C'est pourquoi nous pouvons nous féliciter de la prochaine
entrée de la Chine dans l'OMC : il paraissait difficile de laisser de côté 20 %
de la population mondiale !
L'Union européenne dispose d'un poids considérable étant donné sa place
nouvelle sur l'échiquier international. C'est en valorisant son exemple, fondé
sur la prise en compte des différences et des intérêts de chacun de ses pays
membres, que l'Union européenne doit négocier à Seattle, de manière que le
prochain cycle considère justement et équitablement les approches de chacun des
adhérents de l'OMC.
Une attention particulière doit être portée aux pays les plus pauvres. Il
convient non seulement de favoriser leur expression démocratique au sein d'une
instance de « gouvernance mondiale », mais aussi et surtout de faciliter leur
intégration, qui est hautement nécessaire.
Nous le voyons chaque jour davantage, les conflits qui ensanglantent le monde,
qu'ils soient ethniques, religieux, culturels ou économiques, annihilent les
espoirs de développement des populations.
Il s'agit d'accorder une priorité à l'insertion des pays en voie de
développement dans les échanges commerciaux internationaux en tenant compte de
leurs particularismes, tout en opérant une distinction entre pays émergents et
pays les moins avancés, de façon à traiter les uns et les autres de manière
différenciée.
Le libéralisme absolu, sans frein, est une catastrophe pour les pays les moins
avancés, qui voient leurs matières premières brutes, c'est-à-dire leur unique
source de revenu, payées à vil prix.
C'est en facilitant leur intégration dans le concert des pays « riches » que
nous leur éviterons la spirale infernale vers le repli sur soi et la crispation
des différences. Il semble donc indispensable de leur accorder une
représentation démocratique équitable au sein de l'Organisation. Or,
actuellement, nombre de pays en voie de développement ne disposent pas du droit
de vote ou le partagent à plusieurs.
Nous nous posons constamment en « donneurs de leçons » du monde contemporain.
Quelle peut être notre crédibilité auprès de certains pays, notamment ceux du
Sud, si nous ne sommes pas capables de mettre en pratique nos principes
fondateurs au sein des instances décisionnaires mondiales ?
Le développement, comme le souligne le très bon rapport de la députée Béatrice
Marre, est une priorité pour aboutir à un monde multipolaire.
Ainsi que l'a affirmé récemment le ministre des affaires étrangères, « nous ne
pouvons accepter ni un monde politiquement unipolaire, ni un monde
culturellement uniforme, ni l'unilatéralisme de la seule hyperpuissance
américaine ». A cela, poursuivait fort justement M. Védrine, « nous opposons la
définition de la règle du jeu par la négociation et les procédures de règlement
multilatéral des différends ». Et il précisait encore, non moins justement : «
A l'uniformité, nous opposons le droit à la diversité et même sa nécessité.
»
Le nouveau cycle entend imposer une libéralisation du commerce mondial en
postulant que seule la liberté des échanges est facteur de progrès. Je
m'interroge sur l'esprit de cette libéralisation mondiale, sachant que l'OMC a
autorisé l'imposition de droits de douane de 100 % sur certains produits
européens en réaction au refus de l'Union d'importer de la viande aux
hormones.
Je m'interroge également sur l'avenir d'un secteur menacé par la
libéralisation du commerce mondial : la santé.
Les dépenses de santé explosent en Europe, en partie à cause du vieillissement
de la population, phénomène qui est appelé à s'accentuer au cours des décennies
prochaines. Or les négociations de Seattle pourraient conférer une position
hégémonique à des entreprises pharmaceutiques américaines et, à terme,
provoquer la destruction des systèmes européens de protection sociale.
Si ces négociations ne parviennent pas à définir des normes communes,
acceptées par tous et appliquées uniformément, les conséquences humaines,
sociales ou environnementales d'une mondialisation sans règles seront
désastreuses.
Il est nécessaire d'imposer des règles sociales minimales en matière de
commerce international parce que la justice sociale est fondamentale pour
assurer la paix universelle et une croissance économique durable.
Il convient également de renforcer les liens entre la libéralisation
commerciale et la protection de l'environnement et de confirmer le droit du
recours à des mesures restrictives fondées sur le principe de précaution quand
la santé des citoyens, la protection des consommateurs ou la préservation de
l'environnement le justifient.
Nous connaissons les conséquences de la mondialisation sur l'accroissement du
fossé entre pays riches et pays pauvres, mais aussi entre riches et pauvres
d'un même pays.
Ces écarts provoquent une exclusion irrémédiable des plus démunis et amènent
en retour une exacerbation des extrémismes de toute nature : politiques,
sociaux, ethniques, religieux. N'y a-t-il pas des exemples criants et récents
d'une exclusion sociale qui a été récupérée par l'intégrisme religieux et s'est
transformée très vite en guerre civile ?
On peut craindre l'effritement de notre « modèle social » européen, ainsi que
celui de la capacité de nos gouvernements, ou collectivement de notre Union, à
se faire entendre si les accords favorisent une plus grande libéralisation du
marché dépourvue de régulation.
Les prévisions de Marx, annonçant l'échec du capitalisme par ses
contradictions, seraient confirmées si nous n'imposions pas une régulation
pragmatique des lois du marché au lieu et place de leur seule application
brutale.
Il faut aussi que nous fassions prévaloir notre conception de la culture pour
que celle-ci ne soit pas un bien marchand comme les autres. La diversité
culturelle est menacée par l'uniformisation d'une production de masse. Réduites
à des marchandises, les expressions multiples de la création humaine sont
annulées, parce que n'est jugé recevable que ce qui se vend beaucoup et
rapidement.
La richesse de l'humanité est l'expression de la diversité des productions
culturelles, y compris celles qui sont minoritaires. L'imposition d'une
production unilatérale acquise aux valeurs marchandes risque, comme pour le
commerce, d'exacerber les particularismes et les extrémismes.
La culture procède le plus souvent du dialogue entre l'universel et le
particulier.
La reconnaissance des différences de chacun nous fait vivre dans un monde
d'acceptation de l'autre et de meilleure connaissance de soi : c'est la
condition d'une humanité riche de diversité.
En ce qui concerne, enfin, le volet agricole, il s'agit, en opposition avec
les partisans d'une remise en cause de la politique agricole commune réformée -
démantèlement de toute forme de soutien, libéralisation totale des échanges -,
d'adopter une attitude offensive. Il faut que les règles internationales
applicables au commerce des produits agricoles soient complétées et renforcées
sur certains points.
La reconnaissance du principe de multifonctionnalité de l'agriculture
européenne est un préalable pour le respect des espaces ruraux, pour la
protection de l'environnement, pour la qualité des produits et, indirectement,
pour l'emploi.
Il convient également de renforcer les normes de sécurité et de qualité des
aliments, ainsi que de proscrire certaines pratiques restrictives, telles les
modalités contestables de certaines formes d'aides alimentaires ou le recours
abusif aux crédits à l'exportation des produits agricoles.
Notre avenir social, culturel et économique en dépend. Nous devons défendre
nos acquis et nos conceptions du progrès, qui sont avant tout fondés sur le
bien-être humain.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, avec le groupe du Rassemblement démocratique social et européen, je
dis « oui » à Seattle, « oui » à l'Organisation mondiale du commerce, mais à la
condition impérative que la discussion soit globale et que soit mis en place un
système de régulation qui permette aux plus pauvres de ne pas toujours être
écrasés par les plus forts.
On entend dire que la mondialisation profite aux consommateurs et que c'est
donc globalement une très bonne chose. Je n'en suis pas si sûr, car le
consommateur est aussi un homme et la mondialisation fait peu de cas de
l'homme.
Les OPA monstrueuses auxquelles nous assistons depuis quelques années, en
simples spectateurs, et qui ont pour but de prendre le contrôle mondial d'un
secteur économique, ont des conséquences dramatiques sur la vie des hommes :
suppression de dizaines, de centaines, de milliers d'emplois, délocalisations,
vulnérabilité des salariés, notamment des cadres, plans sociaux en série avec
des mises à la retraite anticipées, parce qu'à cinquante-cinq ans, voire
quelquefois à cinquante ans, on n'est plus rentable.
Tout cela n'est pas bien pour l'homme. Tout cela est trop rapide, car les
Etats n'ont pas eu le temps de susciter et d'accompagner d'autres gisements
d'emplois.
M. le président.
Mon cher collègue, j'en suis désolé, mais vous devez conclure !
M. Jacques Pelletier.
Je conclus, monsieur le président !
Pourtant, ces gisements d'emplois existent, nous les voyons naître. Mais il
faudra encore de nombreuses années pour concevoir et aider la mutation de nos
économies et de nos sociétés.
Alors, n'allons pas trop vite dans cette course à la mondialisation et
n'oublions pas que les critères de cohésion et de justice sociales doivent
rester notre priorité absolue, aussi bien au sein de l'Union européenne qu'à
l'échelon de notre planète.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Marc.
M. François Marc.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'enjeu du prochain cycle des négociations de l'OMC sera d'apporter des
réponses aux questions qui préoccupent aujourd'hui les acteurs économiques et
l'opinion publique, en ce qui concerne aussi bien l'organisation des échanges
mondiaux que le meilleur contrôle des transactions, sans oublier la nécessaire
évolution de la transparence et de la démocratie dans la prise de décisions.
S'agissant de cet enjeu multiple, nous avons le sentiment que le mandat confié
aux représentants de l'Union européenne est aujourd'hui clairement affirmé :
nécessité d'un cycle global, multilatéral ; prise en compte, au-delà des
agrégats commerciaux, de tous les principaux paramètres du développement et des
échanges, notamment la propriété intellectuelle.
Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, attirer plus
particulièrement votre attention sur une question essentielle à mes yeux, celle
de la préservation des intérêts agricoles de la France.
Le rappel effectué le 21 octobre dernier par le Premier ministre et le
ministre de l'agriculture de la position française à l'abord des négociations
de Seattle est assez largement partagé dans le monde agricole.
Par ailleurs, il me paraît essentiel que l'Union européenne ait su dégager,
grâce aux accords de Berlin, un front uni entre Etats membres pour la défense
de la politique agricole commune renforcée. Si la PAC n'avait pas été réformée,
nos négociateurs se seraient présentés à l'ouverture des discussions en
position de faiblesse, privés de soutien politique et dépourvus d'un mandat
crédible de négociation. On peut simplement regretter que le Conseil européen
ne soit pas allé aussi loin que la France l'aurait souhaité, par exemple en
matière de dégressivité des aides.
Si l'on porte attention à ce qui s'est passé depuis l'Uruguay round, on ne
peut manquer de noter que les Américains ont, ces dernières années, renié leurs
engagements de façon permanente, alors que l'Europe a scrupuleusement respecté
les siens, qu'il s'agisse de l'accès au marché, des aides à l'exportation ou du
soutien des prix. Avec les mécanismes des
deficiency payments
et la
compensation des baisses de revenus des paysans, les Etats-Unis en sont
aujourd'hui arrivés à verser des aides publiques à l'agriculture supérieures de
50 % à celles qu'octroient les Européens.
Monsieur le secrétaire d'Etat, à la suite des récentes décisions de la PAC,
l'agriculture française est aujourd'hui confrontée à un processus d'adaptation
particulièrement exigeant. Conformément aux accords de Berlin, la colonne «
recettes » des producteurs agricoles a, en effet, été amputée de façon
spectaculaire : baisse des prix - moins 20 % pour la viande bovine et moins 15
% pour les produits laitiers - réduction du soutien global et forte diminution
des restitutions à l'exportation.
Certaines régions françaises vont subir de plein fouet ces pertes
considérables de recettes ; je pense, notamment, à la Bretagne - en ce qui
concerne, par exemple, sa spécialisation dans la filière du poulet « grand
export », cette seule production représente 31 000 emplois dans la région - qui
perçoit, à ce jour, 85 % des restitutions versées par l'Union européenne aux
exportateurs avicoles européens.
Pour ce qui est, par ailleurs, des filières laitière ou porcine, l'actualité
démontre, s'il en était besoin, que, faute d'un soutien européen à
l'exportation, la production française va se trouver confrontée à un risque
d'accentuation d'une crise profonde, dont nul ne sait aujourd'hui quel sera
l'aboutissement.
Pour ces évidentes raisons, la PAC réformée doit constituer la limite maximale
du mandat de négociation de la Commission européenne. Contrairement à ce que
réclament les Américains et le groupe de Cairns, il n'est pas imaginable de
voir l'Europe aller au-delà de ce qui a déjà été convenu au sein de la PAC
réformée.
L'Union européenne ne saurait renoncer à toute forme de restitutions aux
exportations : les ventes aux pays tiers constituent, en effet, un débouché
essentiel pour bon nombre de producteurs. L'interdiction totale de toute forme
de subvention obligerait les Etats membres à porter le taux de jachère à des
niveaux insupportables, à durcir le régime des quotas et à démanteler des pans
entiers de l'industrie agroalimentaire, par exemple la filière « volaille
d'exportation ».
Face à l'offensive prévisible des Américains pour réclamer la suppression du
dispositif de la « boîte bleue », les négociateurs européens devront développer
une stratégie de recherche d'alliances destinée à unir les efforts de tous ceux
qui ont intérêt à s'opposer avec fermeté aux pratiques déloyales ou détournées
des Etats-Unis.
Monsieur le secrétaire d'Etat, on ne peut, bien sûr, ignorer la préoccupation
généreuse de rééquilibrage du commerce agricole mondial en faveur des
producteurs des pays en voie de développement : c'est là une ambition louable à
laquelle on ne peut que souscrire.
La mise en oeuvre d'un tel rééquilibrage suppose toutefois, comme condition
préalable, que l'OMC dispose de moyens réels pour préserver ces pays en voie de
développement des appétits sans cesse grandissants des ultra-libéraux.
Il importe par ailleurs que, dans le court et le moyen termes, le modèle
agricole européen soit aidé à reconvertir ses pratiques grâce à la préservation
d'un dispositif financier susceptible de procurer aux agriculteurs des
conditions raisonnables de rémunération.
Il s'agit là, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, d'une
condition essentielle de l'adaptation réussie de l'Europe agricole aux
exigences d'un xxie siècle plus solidaire et plus généreux.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. François.
M. Philippe François.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales est accueilli, il
faut bien le dire, avec plus d'inquiétude que d'espoir par beaucoup de nos
concitoyens. Il est dans notre rôle de tenir compte de cette inquiétude
diffuse, qui porte sur la capacité de ce que l'on commence à appeler le «
modèle européen » à faire face à une ouverture commerciale accrue.
Il y a, bien sûr, le domaine social. La mondialisation des échanges et la
disparition des barrières commerciales paraissent nous placer devant un
redoutable dileme : ou bien remettre en cause notre système de protection
sociale, ou bien voir de nombreuses entreprises européennes délocaliser de plus
en plus tout ou partie de leurs activités.
Il y a également le domaine agroalimentaire, dont on a beaucoup parlé
aujourd'hui. Un accord s'est dégagé au sein de l'Union européenne sur la
reconnaissance du caractère multifonctionnel de l'agriculture européenne qui,
tout en se montrant compétitive, doit participer à l'aménagement équilibré du
territoire, en particulier dans les zones de montagne, doit contribuer à la
vitalité du monde rural et doit aussi, et surtout, répondre aux attentes des
consommateurs en matière de qualité des produits, de sécurité sanitaire et de
protection de l'environnement.
Il est clair que les entreprises agricoles ne peuvent accomplir ces diverses
tâches que leur assigne la collectivité sans bénéficier de soutiens publics
importants. Or, bien que les négociations n'aient pas officiellement débuté,
les soutiens européens à l'agriculture se trouvent d'ores et déjà sur la
sellette, comme s'ils constituaient le principal obstacle au développement du
commerce mondial.
De plus, la condamnation de la Communauté européenne par l'OMC dans l'affaire
du boeuf aux hormones a donné à nos concitoyens le sentiment que le principe de
précaution n'était pas suffisamment pris en compte.
Beaucoup craignent, par ailleurs, que les négociations n'entraînent une remise
en cause de l'« exception culturelle », ce qui conduirait à l'aggravation d'une
forme d'impérialisme dont nous sentons déjà, et depuis longtemps, les
effets.
Enfin, nombreux sont ceux qui s'inquiètent des effets de la mondialisation
accrue des échanges sur l'équilibre des sociétés, devant des phénomènes comme
l'ampleur des mouvements spéculatifs, la multiplication des paradis fiscaux, le
développement de la délinquance financière internationale, entre autres.
Bref, autour des négociations commerciales multilatérales se cristallisent les
inquiétudes sur l'avenir d'un « modèle européen » qui est fait, précisément, de
la recherche d'un équilibre entre l'économique et le social, l'ouverture et
l'identité, la productivité et l'environnement, le marché et la
redistribution.
Dans un tel contexte, l'OMC est une cible facile ; elle devient aisément le
symbole des aspects redoutables de la mondialisation.
Or, de toute évidence, il s'agit là, mes chers collègues, d'une grande
méprise. Certes, le fonctionnement de l'OMC est loin d'être parfait et de
meilleures garanties de transparence et d'impartialité doivent lui être
apportées, mais la création de l'OMC a constitué un progrès : elle a marqué le
succès du multilatéralisme, défendu par les Européens, contre l'unilatéralisme.
Ce sont les Européens, je vous le rappelle, qui sont à l'origine de l'OMC.
En réalité, loin d'être, comme on le dit parfois, l'instrument d'une
dérégulation à tout va, l'OMC est, au contraire, un organe régulateur,
puisqu'elle tend à garantir l'égalité de traitement entre tous.
Enfin, le système de l'OMC laisse aux Etats une marge de manoeuvre entre
l'attribution de compensations aux partenaires lésés ou la mise en
conformité.
Nous devons donc entrer dans les négociations de l'OMC sans complexes.
Je crois d'ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
exprimer le sentiment de beaucoup en disant que nous sommes las d'être les
perpétuels accusés des négociations commerciales.
C'est d'abord vrai de l'agriculture. En effet, si l'on tient compte des aides
directes dites « exceptionnelles », mais votées année après année, et des
divers encouragements à l'exportation, les soutiens à l'agriculture aux
Etats-Unis sont largement équivalents à ce qu'ils sont en Europe. Et il faut
beaucoup de mauvaise foi pour affirmer que les aides américaines, quant à
elles, relèvent de la fameuse « boîte verte » censée ne pas créer de
distorsions sur le commerce mondial, tandis que les aides européennes, et elles
seules, seraient au contraire source de distorsions.
Il est vrai que le
FAIR Act
américain a mis en place des aides directes
fondées notamment sur des références historiques par exploitation, donc sans
lien direct avec la production effective. Mais, en réalité, les producteurs
américains dont le revenu est ainsi soutenu peuvent écouler leur production à
un prix artificiellement bas. Et que dire du mécanisme du
marketing
loan,
qui garantit aux producteurs américains de percevoir la différence
entre le prix effectif et un prix de référence ? Grâce à la fixation d'un prix
de référence élevé pour le soja, les surfaces cultivées en soja aux Etats-Unis
se sont accrues de 25 %, entraînant une forte baisse des cours mondiaux.
N'est-ce pas là le type même d'une distorsion ?
L'Union européenne, quant à elle, a déjà engagé avec l'Agenda 2000 une
nouvelle réduction de fait de la préférence communautaire. Dans les
négociations qui vont s'ouvrir, nous n'avons aucune raison d'accepter de faire
figure, une fois de plus, de « mouton noir ». A qui veut-on faire croire que
l'adoption par l'Europe du type d'agriculture des Etats-Unis ou de l'Australie
ferait l'affaire du paysan algérien ou nigérien ? Peut-on dire sérieusement
qu'un dépeuplement encore accru de notre espace rural contribuerait au
développement des pays les moins avancés ?
M. Lucien Lanier.
Très bien !
M. Philippe François.
Je crois que nous devons aborder ces négociations avec détermination, car nos
priorités sont fondées.
Ainsi, vouloir faire appliquer le principe de précaution pour l'utilisation
des biotechnologies dans les produits alimentaires rencontre les préoccupations
de très nombreux consommateurs : au minimum, nous devons obtenir que le
consommateur puisse choisir grâce à un étiquetage approprié.
De même, nous sommes fondés à vouloir que le respect de normes sociales
minimales soit une des questions débattues dans le nouveau cycle. Pouvons-nous
être indifférents, par exemple, au fait que quelque 120 millions d'enfants dans
le monde travaillent à plein temps, se trouvant ainsi privés, entre autres
choses, de toute scolarité ?
Ceux qui prétendent qu'aborder de telles questions relève du protectionnisme
ont, en réalité, une attitude dangereuse. A force de déclarer que c'est être
protectionniste que de se préoccuper de sécurité sanitaire ou de lutte contre
l'exploitation de la main-d'oeuvre infantile, on finira par accréditer l'idée
que le protectionnisme est une bonne chose !
De même, de très nombreux pays me semblent prêts à admettre avec nous que les
productions culturelles ne peuvent être soumises au régime des marchandises.
Les Européens ne sont pas les seuls à tenir à la diversité culturelle et à
estimer qu'elle justifie un régime d'exception. Vous devez l'affirmer avec
force, monsieur le secrétaire d'Etat.
La cause que nous avons à plaider est bonne, et j'ajouterai que, s'il y a une
occasion à saisir pour affirmer l'existence de l'Europe sur la scène
internationale, c'est bien celle-là. Nous savons tous que la politique
extérieure et de sécurité commune se cherche encore, qu'elle n'en est qu'à ses
débuts. Mais, en matière commerciale, la situation est différente : la
Communauté existe depuis plus de quarante ans, et elle a forgé des intérêts
communs. Le moment est venu pour elle de s'affirmer comme un partenaire à part
entière, qui négocie sur un pied d'égalité.
Devons-nous accepter, par exemple, que l'administration américaine s'engage
dans les négociations sans la mise en place du
fast-track,
qui seul
permet que la négociation ne soit en permanence suspendue aux décisions du
Congrès américain ? Est-il acceptable que nous apprenions, tout d'un coup, que
les Etats-Unis se sont chargés de définir les conditions auxquelles la Chine
pourrait adhérer à l'OMC ?
Mais une approche plus offensive que par le passé des négociations
commerciales suppose aussi des objectifs bien définis et une vigilance des
autorités politiques.
Les travaux du Conseil de l'Union européenne ont, bien mieux que lors des
précédents cycles, précisé les objectifs européens. Je n'insisterai pas sur ces
objectifs, ayant le sentiment que la résolution adoptée par la commission des
affaires économiques du Sénat a mis l'accent sur tous les aspects
essentiels.
Je crois en revanche impératif d'insister sur la vigilance nécessaire des
autorités politiques. Que le Conseil définisse des objectifs justes et
suffisamment précis ne sert de rien si, ensuite, il n'assure pas un contrôle
effectif de la Commission européenne, qui négocie au nom des Quinze.
Nous avons tous en mémoire le compromis de Blair House, qui avait mis le
Conseil devant le fait accompli, et les efforts considérables qu'avait dû
déployer le gouvernement d'Edouard Balladur, après les élections de 1993, pour
obtenir que ce compromis soit rediscuté.
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est vrai !
M. Philippe François.
De telles situations ne doivent plus se reproduire. La Commission, livrée à
elle-même, aura toujours la tentation de conclure des accords au rabais parce
que son rôle institutionnel s'en trouve alors conforté. Si nous voulons que la
volonté du Conseil soit respectée, il faut que les gouvernements s'assurent en
permanence que la Commission rentre bien dans les limites de la mission qui lui
a été confiée.
Mais le devoir de vigilance ne s'impose pas seulement aux gouvernements, il
s'impose aussi aux parlements qui ont, sans sortir de leur rôle, à faire valoir
de manière régulière les préoccupations des populations qu'ils représentent.
A cet égard, il est très positif qu'une présence parlementaire ait été
organisée pour la conférence de Seattle. De même, je me réjouis que le Sénat
ait adopté le principe de la création d'un groupe de suivi des négociations,
associant la commission des affaires économiques et la délégation pour l'Union
européenne, principe que j'avais proposé la semaine dernière au président du
Sénat. Je suis persuadé que, lorsque les parlementaires exercent pleinement
leur mission de contrôle, ils pèsent d'un plus grand poids qu'on ne le croit.
Les négociateurs américains savent très bien mettre en avant les contraintes
que leur impose le Congrès ; pourquoi les négociateurs européens ne
pourraient-ils, eux aussi, faire valoir qu'il existe des parlements et des
opinions publiques en Europe ?
Pour conclure, je voudrais m'en tenir à un simple appel : n'entrons pas dans
cette négociation, comme nous avons eu tendance à le faire dans le passé, avec
pour principale volonté de limiter les dégâts. Nos préoccupations comme notre
conception du commerce international sont justes. Elles renvoient à une
démarche ambitieuse et positive qui peut être partagée par de nombreux pays.
M. le président.
Il vous faut conclure, mon cher collègue.
M. Philippe François.
Je termine, monsieur le président.
Je suis convaincu que, si nous faisons l'effort d'explication et de persuasion
nécessaire, nous pourrons aboutir à de vrais progrès dans la direction d'un
commerce international à la fois plus ouvert, mieux régulé, plus équilibré et
plus juste.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce
débat doit permettre au Gouvernement de mieux prendre en compte, par
l'intermédiaire de la représentation nationale, les attentes des Français lors
des prochaines négociations de l'Organisation mondiale du commerce.
Le Gouvernement a justement souhaité associer des parlementaires à la
délégation qui se rendra à Seattle ; je suis heureux d'y prendre part. Ce sera
une opportunité pour les élus de s'informer et de faire part aux collègues des
autres pays présents dans cette enceinte des inquiétudes et des espoirs de nos
concitoyens.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mon propos portera exclusivement sur le volet
agricole des négociations. Il sera toujours temps de confronter nos points de
vue dans un débat franco-français à l'occasion de la discussion du projet de
loi de finances pour 2000, mais, à Seattle, présentons un front uni.
Quel est l'enjeu de ces négociations pour l'agriculture ? La poursuite ou non
du modèle agricole européen. Comment trouver des points d'accord entre des
modèles d'agriculture expressions de deux philosophies économiques et sociales
différentes ou, du moins, affichées comme telles ?
D'une part, l'Union européenne défend principalement une agriculture
céréalière subventionnée, porteuse d'une vocation sociale et d'aménagement du
territoire. D'autre part, le groupe de Cairns, les Etats-Unis et certains pays
en voie de développement veulent la suppression des barrières douanières et des
aides dans un contexte de cours mondiaux.
Quelles sont les mesures indispensables au regard des structures et des coûts
pour que la France et l'Europe puissent participer à cette compétition à armes
égales ?
Pour ce qui est des structures, il est impossible pour la plupart des régions,
en particulier celles du Sud, d'atteindre la taille dite optimale de 600
hectares à 700 hectares sous peine de désertifier et de dévaster nos
campagnes.
C'est donc sur les coûts qu'il faut agir. En cas de suppression des barrières
douanières, la France et l'Europe subiraient de plein fouet une concurrence
fondée uniquement sur le prix. En effet, les coûts de production de nos
concurrents sont sans comparaison avec les coûts européens, en particulier
français. Seule une forte baisse des charges sociales accompagnée d'une baisse
du prix des intrants permettrait à nos agriculteurs d'être concurrentiels. Le
Gouvernement est-il prêt, monsieur le secrétaire d'Etat, à prendre les mesures
fiscales et de baisse des charges indispensables car vitales ?
Le processus de baisse continue des prix et des subventions, notamment dans le
cadre de l'Agenda 2000, a été extrêmement sévère pour nos agriculteurs. Ce sont
déjà des concessions très importantes faites à nos partenaires des pays
industrialisés ou en voie de développement.
Le Gouvernement a déclaré que les limites fixées à Berlin n'étaient pas
négociables : les agriculteurs comptent sur sa détermination.
Ils ne comprendraient pas, et ils auraient raison, qu'on ne défende pas le
caractère multifonctionnel du modèle agricole européen. Ils ne comprendraient
pas davantage qu'on ignore la sécurité alimentaire et l'environnement. Ils
comprendraient encore moins que l'on veuille une campagne sans paysans.
En conclusion, à Seattle comme ailleurs, l'agriculture ne saurait être traitée
comme n'importe quelle autre activité commerciale. La régulation des échanges
agricoles, indispensable au niveau mondial, doit se faire dans le respect des
identités régionales. C'est la condition de la réussite de ce nouveau cycle.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud.
« Réintroduire le règne du commercial dans des univers qui ont été construits,
peu à peu, contre lui, c'est mettre en péril les oeuvres les plus hautes de
l'humanité, l'art, la littérature et même la science. » Monsieur le président,
monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est ainsi qu'en octobre
dernier Pierre Bourdieu ouvrait la réunion annuelle des soixante-dix plus
grands dirigeants de l'audiovisuel mondial.
Chacun sait combien notre pays est attaché au principe de l'exception
culturelle dans les négociations internationales, qui, comme l'a très bien dit
Catherine Trautmann, n'est que le « moyen juridique d'atteindre l'objectif de
diversité culturelle ».
Le combat pour l'exception culturelle a été initié par la France en 1993, au
moment des négociations du GATS, l'accord général sur le commerce des services.
Comme l'a rappelé excellemment mon collègue Jacques Bellanger ce matin, les
oeuvres culturelles, le cinéma, les programmes de télévision, le livre ou, plus
généralement, les oeuvres de l'esprit ne sont en aucun cas de simples
marchandises et ne doivent pas être traitées comme des biens comme les
autres.
Les accords de Marrakech, en 1994, ont heureusement permis de maintenir en
dehors du périmètre des négociations commerciales les secteurs de la culture et
de l'audiovisuel. Concrètement, cela signifie que l'Union européenne et tous
les Etats membres restent libres de définir et de mettre en oeuvre
souverainement les instruments de leur politique culturelle et
audiovisuelle.
Seule la confirmation de l'exception culturelle dans les négociations de l'OMC
pourra permettre à l'Europe de défendre son industrie audiovisuelle et sa
création culturelle. Il ne s'agit en rien d'une attitude protectionniste : tous
les pays doivent rester ouverts aux cultures du monde, mais doivent aussi
pouvoir conserver une identité culturelle propre.
Or, l'identité culturelle de la majorité des Etats, et par là même la
diversité culturelle, se trouve menacée par ce que l'on peut appeler « un abus
de position dominante », pour ne pas dire la tentation hégémonique des
Américains. Les chiffres sont éloquents : le déficit des échanges de services
audiovisuels entre les Etats-Unis et l'Europe ne cesse de se creuser depuis dix
ans, passant de 2 milliards de dollars en 1988 à 6,5 milliards de dollars en
1998. La part de marché moyenne des films américains en salle oscille entre 54
% et 92 % en Europe, dont 70 % en France, alors que la part de marché du film
européen aux Etats-Unis n'est que de 3 %.
Faut-il rappeler que depuis les négociations du GATS et en particulier lors
des négociations de l'AMI l'année dernière, les cinéastes, les créateurs de
l'audiovisuel et, plus généralement, les artistes furent de tous les grands
combats en faveur de l'exception culturelle.
Une fois encore, samedi 20 novembre, dans le cadre du forum mondial des
cinéastes à Bastia, les vingt-trois pays présents, dont la France, la
Grande-Bretagne, le Canada et l'Australie, ont signé une déclaration demandant
à leurs gouvernements « de refuser tout accord qui limiterait la capacité des
Etats à réglementer et à soutenir les industries cinématographiques et
audiovisuelles ». Seuls les représentants des Etats-Unis n'ont pas signé cette
pétition, au motif que « l'exception culturelle constituerait un frein à la
libre expression du cinéma américain en Europe ». Au regard des chiffres, voilà
une position pour le moins paradoxale !
C'est pour se prémunir contre un risque d'uniformisation et de standardisation
de la création que les oeuvres de l'esprit doivent pouvoir continuer à
bénéficier d'un traitement d'exception.
Dans le secteur audiovisuel, l'Union européenne ne saurait revenir sur les
acquis de Marrakech : nous devons continuer à refuser tout engagement de
libéralisation de ce secteur et maintenir un régime de dérogations au principe
de la clause de la nation la plus favorisée.
Mon collègue et ami M. Marcel Vidal, rapporteur pour avis des crédits du
cinéma et du théâtre dramatique, souligne dans son rapport les dangers d'un
renoncement à l'exception culturelle : cela « interdirait les accords de
coproduction avec certains pays, ou encore l'instauration de quotas de
diffusion d'oeuvres selon leur origine, ou l'octroi de subventions sélectives
». C'est pourquoi l'Union européenne ne saurait accepter la remise en cause
d'outils d'aide à la création comme la directive Télévision sans Frontières,
Eurimages ou le programme Média.
Il serait également inadmissible d'autoriser la libéralisation du secteur
culturel. Dans le domaine musical par exemple, il nous faut continuer à
protéger les petits labels. Les quotas de diffusion de chansons françaises sont
également nécessaires à la promotion des jeunes talents et des nouvelles
productions dans notre pays. Quant aux services des musées, des bibliothèques
ou des archives, ils ne survivent - faut-il le rappeler ? - que grâce aux
subventions publiques.
Défendre la diversité culturelle s'avère d'autant plus nécessaire avec
l'avènement du numérique et le développement d'Internet.
Dans l'ère numérique, on compte aujourd'hui plus de 400 chaînes de télévision
européennes, alors qu'il y en avait seulement 150 en 1994, et le processus est
loin d'être terminé. Cette révolution technologique devrait logiquement donner
un vrai coup de fouet à la création européenne, à l'industrie européenne des
contenus, mais il n'est pas certain que ces nouveaux médias préféreront
valoriser des contenus nationaux ou européens.
Il y a plusieurs raisons à cela, que vous connaissez bien, mes chers
collègues.
Tout d'abord, les programmes américains, déjà largement amortis sur le
territoire national, se vendent en Europe à des prix défiant toute concurrence.
Pour toutes ces chaînes nouvelles, souvent dotées d'un faible budget, ils sont
évidemment plus attractifs.
Ensuite, le volume des productions européennes, même si de réels progrès ont
été faits ces dernières années, peut sembler insuffisant pour faire face aux
besoins de tous ces nouveaux « tuyaux », si vous m'autorisez cette facilité de
langage.
A cela s'ajoute enfin, et c'est à la fois une cause et un effet, la suprématie
de la langue anglaise, que ce soit dans les programmes audiovisuels et bien
plus encore dans les services proposés sur Internet.
On voit bien qu'il y a là un formidable défi à relever pour nos industries de
contenus du secteur de l'image ou des logiciels. Nous ne devons pas renoncer au
droit de soutenir nos créateurs et leur liberté de création par rapport au
marché mondial.
Quant au développement du commerce électronique, il constitue un enjeu
crucial. Les Etats-Unis tenteront sans doute de faire entrer les services
diffusés sur Internet, et plus particulièrement les services audiovisuels, dans
la catégorie des biens virtuels, des marchandises immatérielles. Les
transactions ne relèveraient plus alors du GATS en tant que services, mais du
GATT, ce qui durcirait les règles de libéralisation applicables.
La France et l'Union européenne soutiennent au contraire que le mode de
diffusion d'un service ne modifie en rien la nature de celui-ci : quel que soit
le support, un film ou un programme audiovisuel mis en ligne reste un film ou
un programme audiovisuel. C'est là le principe de neutralité technologique, qui
doit d'ailleurs être défendu lors du cycle du Millénaire.
Si nous ne parvenons pas à faire valoir ce point de vue dans les négociations,
il y a fort à parier que les Etats-Unis saisiront cette occasion pour
contourner l'exception culturelle et qu'une bonne partie de notre législation
n'y survivra pas.
Par ailleurs, la diffusion d'oeuvres de l'esprit sur Internet soulève d'autres
problèmes. Je pense notamment à la loi sur le prix unique du livre, en vigueur
dans quelques pays de l'Union européenne. Je pense également à la piraterie
qui, particulièrement dans le domaine de la musique, peut mettre en péril toute
la filière de la création. Je pense encore à l'offensive contre le droit
d'auteur et les droits voisins, à laquelle M. Jack Ralite faisait allusion ce
matin, avec le talent que chacun lui connaît. Peut-être pourrez-vous, monsieur
le secrétaire d'Etat, nous apporter quelques élements de réflexion sur ces
questions ?
Quoi qu'il en soit, si l'Union européenne parvient à faire acter l'exception
culturelle, nous savons bien que le combat pour la diversité des cultures ne
s'arrête pas là. Il nous faudra passer à une phase plus offensive. Il est en
effet nécessaire de mieux soutenir les industries de contenus nationaux et de
renforcer les aides financières à la production et à la diffusion en Europe.
En conclusion, je tiens à dire que la mondialisation est un fait et je
souhaite vivement qu'elle soit non pas une fatalité mais plutôt une chance pour
toutes les cultures du monde. Il appartient plus que jamais aux pouvoirs
publics de lutter contre l'homogénéisation et la standardisation des contenus,
de garantir le pluralisme, pour préserver et promouvoir la diversité des
identités culturelles. Nos sociétés ont besoin de vivre dans un imaginaire
vivant, diversifié, sans cesse renouvelé, accessible à tous les individus.
Pour ma part, je souhaite que l'article 27 de la Déclaration universelle des
droits de l'homme devienne une réalité : « Toute personne a le droit de prendre
part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de
participer aux progrès scientifiques et aux bienfaits qui en résultent. »
Comme vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, nous devons convaincre
l'ensemble des pays, parties à la négociation de l'OMC, que c'est l'intérêt de
tous. Nous serons au côté du Gouvernement pour l'appuyer dans sa volonté de ne
pas signer un accord qui ne respecterait pas l'exception culturelle.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur certaines travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. César.
M. Gérard César.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nul
n'ignore maintenant que parmi les sujets inscrits à Seattle pour l'agenda de ce
nouveau cycle figure notamment la reprise des négociations sur
l'agriculture.
M. Pascal Lamy, le commissaire européen qui mènera les négociations au nom de
l'Union européenne, vient de présenter les grands principes de la position
européenne sur ce dossier hautement sensible : prendre part à l'expansion du
commerce mondial en négociant un abaissement des barrières commerciales,
améliorer les possibilités d'accès au marché pour nos exportateurs, obtenir une
protection pour les produits communautaires dont la réputation de qualité est
liée à une origine ou à une indication géographique, substituer aux subventions
à l'exportation de nouvelles formes de soutien interne et donner à
l'agriculture des fonctions qui ne sont pas toutes des fonctions du marché mais
qui contribuent à l'environnement, à l'aménagement du territoire et à
l'équilibre du tissu social.
Force est de constater que ces principes, issus d'un premier compromis entre
tous les partenaires européens, sont aux antipodes de ceux qui ont été édictés
et présentés par les Etats-Unis et par le groupe de Cairns. En effet, ces
derniers souhaitent remettre en cause ce qui avait été accepté lors du dernier
cycle à Marrakech et exiger une suppression totale des subventions à
l'agriculture.
Il est clair que leur objectif principal et avoué est d'accroître leurs
opportunités commerciales en réduisant la protection et le soutien de
l'agriculture.
Devant ce constat, la négociation ne peut sérieusement démarrer que si la
France parvient à imposer la reconnaissance par nos partenaires et concurrents
du modèle agricole européen.
C'est bien ce modèle agricole, fondé, d'une part, sur la préférence
communautaire qu'il faut rappeler sans cesse, élément central de la politique
agricole commune, et, d'autre part, sur l'affirmation d'une stratégie
exportatrice, qui garantit la qualité de plus en plus affirmée des produits et
la sécurité alimentaire - c'est aussi la vocation de l'agriculture de nourrir
le monde par la qualité, la quantité, la régularité et la proximité - ainsi que
la survie et l'essor de nos secteurs agricoles et agroalimentaires.
Alors que l'agriculture européenne est d'ores et déjà entrée dans la
mondialisation des échanges, l'ouverture des marchés doit être considérée comme
un véritable défi collectif pour l'ensemble de nos partenaires européens.
C'est la raison pour laquelle l'Union européenne se doit de maintenir une
politique agricole spécifique, à l'instar des grands pays producteurs. Face à
la volatilité des cours mondiaux, elle se doit de jouer un rôle efficace dans
l'organisation et la régulation des marchés.
L'enjeu de ces négociations est donc bien économique, la France étant le
premier pays exportateur agroalimentaire en Europe et occupant la deuxième
place sur le plan mondial. Notre pays joue dans ces négociations l'avenir de sa
balance commerciale et doit se situer aux avant-postes de cette position
européenne offensive.
Par ailleurs, l'Union européenne doit être offensive pour obtenir la
protection internationale des produits français, les appellations d'origine
contrôlée, les AOC, les indications géographiques protégées, les IGP, ainsi que
pour obtenir l'extension à d'autres produits de la protection additionnelle
réservée aux vins et spiritueux.
J'observe malheureusement que la politique actuelle du Gouvernement en matière
agricole ne répond pas exactement à cet enjeu essentiel et vital pour
l'économie de notre pays. Pis encore, cette politique affaiblit la position
française à la veille de ces négociations dans le cadre de l'Organisation
mondiale du commerce.
Je pense ici tout particulièrement au projet de budget pour l'année 2000
relatif aux industries agroalimentaires. Il est en effet en baisse de 5
millions de francs pour la Sopexa, qui concerne la promotion des produits
agricoles français, et de 9 millions de francs pour la recherche appliquée aux
industries agroalimentaires.
Cette baisse est d'autant plus alarmante quand on sait que les Etats-Unis ont
débloqué, pour la promotion et le développement de leurs produits alimentaires,
des aides d'un montant de 2,3 milliards de dollars en 1993, puis 6 milliards de
dollars en 1999 ; aujourd'hui, 8 milliards de dollars sont budgétisés pour l'an
2000.
Je pense également au projet de budget du ministère de l'agriculture et de la
pêche pour l'année 2000, qui n'est pas prioritaire aux yeux du Gouvernement,
qui diminue de 0,5 % à structure constante et qui, surtout, est consacré
exclusivement aux contrats territoriaux d'exploitation. Ces derniers se voient
attribuer 950 millions de francs pour leur financement et ce sont autant de
crédits en moins en faveur des actions économiques, notamment pour
l'installation des jeunes agriculteurs, alors que la baisse du nombre de ces
installations prend une allure inquiétante, voire dramatique, dans certains
départements.
S'ajoutent à cette somme, de nouveau, 950 millions de francs d'aides
européennes toujours destinées à financer les contrats territoriaux
d'exploitation.
Ce sont donc près de 1,9 milliard de francs que le Gouvernement engage en
faveur de la mise en oeuvre et du développement de ces nouveaux outils
agricoles, considérés aujourd'hui par une grande majorité des acteurs agricoles
concernés comme des outils antiéconomiques et de véritables usines à gaz
s'agissant de leur mise en place.
Je pense, enfin, au programme de promotion des produits agroalimentaires
européens, d'un montant de 15 millions d'euros, qui est toujours bloqué devant
la Commission européenne et qui, pourtant, serait un véritable levier pour
l'Union européenne à la veille de la réunion de Seattle.
M. Jean Bizet.
C'est exact !
M. Gérard César.
Cette politique menée par le Gouvernement en matière agricole affaiblit donc
la position française dans ces négociations commerciales multilatérales.
Plus largement, ce constat est significatif d'un manque de stratégie
française. D'ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, je ne comprends pas
pourquoi M. Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, ne sera pas
présenté à Seattle, pour ces négociations qui représentent un rendez-vous
capital pour l'agriculture française, alors que d'autres ministres, pourtant
moins concernés, font partie de la délégation française.
Les négociateurs, qui, comme moi, veulent défendre le modèle français
d'exploitations familiales et les emplois dans le monde rural, pour une
agriculture forte et exportatrice, tout en respectant la sécurité alimentaire,
ne doivent pas céder à la facilité. Chacun de nous l'a dit aujourd'hui : les
négociateurs doivent faire preuve de fermeté pendant les négociations qui
risquent d'être longues et ardues. Il en va de nos intérêts agricoles, de nos
intérêts économiques et, bien sûr, de l'intérêt de la France.
(Très bien !
et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants. - M. Bernard Joly applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
lors des négociations de l'Uruguay round, ce n'est que
in extremis,
et
grâce à la position très ferme de la France, que l'Union européenne avait
obtenu d'exclure l'audiovisuel et les services culturels des secteurs sur
lesquels elle s'engageait à proposer des mesures de libéralisation dans les
limites de l'accord général sur le commerce des services.
Nous avions pu croire, alors, que nous avions réussi à faire comprendre et
admettre que les biens culturels n'étaient pas des marchandises comme les
autres, même si nous savions que cette « exclusion » - qui n'était pas vraiment
une exception - devrait être réexaminée lors de la nouvelle négociation du
millénaire.
Cependant, avant même cette échéance, à laquelle nous sommes confrontés
aujourd'hui, la malheureuse entreprise de l'AMI nous a démontré la fragilité de
l'avancée de 1993. Certes, la négociation de l'AMI a finalement capoté, en
grande partie, d'ailleurs, grâce à la mobilisation des créateurs et des
défenseurs de la spécificité culturelle. Mais il n'est guère rassurant
rétrospectivement de constater que nous étions alors engagés dans un processus
de négociation dont personne, apparemment, ne s'était avisé dès l'abord qu'il
mettait en péril l'ensemble des dispositifs nationaux et européens de soutien à
la création, les principes fondamentaux de la propriété littéraire et
artistique et jusqu'au droit de chaque Etat de protéger le pluralisme et
l'indépendance de la presse écrite et audiovisuelle. Vous comprendrez donc,
monsieur le secrétaire d'Etat, que nous souhaitions être assurés que l'on a
bien tiré les leçons de cette aventure.
Nous nous félicitons de voir que, depuis l'Uruguay round, nombre de pays nous
rejoignent dans notre combat pour la sauvegarde du droit à l'expression
culturelle et à la création. Mais le chemin sera long et semé d'embûches. Il ne
suffira pas, je le crains, de nous être présentés en bon ordre sur la ligne de
départ. Nous devrons rester sur nos gardes, faire preuve de vigilance et ne pas
nous cantonner dans une position uniquement défensive.
Nous paraissons aujourd'hui mieux préparés à défendre nos positions. Nous
sommes aussi, c'est l'essentiel, moins isolés que nous ne semblions l'être
voilà quelque années.
D'une part, le mandat donné par le conseil à la Commission donne clairement
mission de maintenir la position prise lors de l'accord de Marrakech.
D'autre part, d'autres pays nous accompagnent, ou nous ont rejoints, dans
notre combat pour la spécificité culturelle. Seuls dix-neuf pays ont fait des
offres de libéralisation dans le secteur des services audiovisuels. Nous avons
d'ailleurs pu constater l'écho que recevaient nos préoccupations dans le monde
francophone, mais aussi dans des Etats du continent américain, en Inde ou en
Australie.
Cela suffira-t-il ? Je n'en suis pas sûr. Nous voudrions aujourd'hui insister
auprès de vous, monsieur le secrétaire d'Etat, pour que le Gouvernement fasse
preuve à la fois de volontarisme et de vigilance.
Le volontarisme doit se manifester dans plusieurs directions.
Il faut d'abord poursuivre notre effort de démonstration. Nous répétons que
les biens et services culturels ne sont pas des marchandises comme les autres.
On connaît la formule. Nous avons raison, bien sûr, mais, comme le soulignait
déjà André Malraux, le cinéma est aussi une industrie. Et la réalité disparaît
souvent derrière les gigantesques enjeux économiques que représente, à l'heure
de la société de l'information et de l'explosion des moyens de communication,
le marché du cinéma, de l'audiovisuel, de la musique, des logiciels.
Peut-être devrions-nous rappeler plus clairement que ce qu'il importe de
préserver, ce qui doit échapper aux lois du commerce, de la concurrence, de la
rentabilité, ce sont les actes de création qui sont à l'origine de cette énorme
activité et ne pas les dissimuler derrière les enjeux économiques.
C'est le droit pour chaque pays, pour chaque créateur, de faire entendre sa
voix, d'exprimer le message dont il est porteur, qui reflète son histoire, sa
vision du monde, le génie propre de sa langue et de sa civilisation. En termes
de culture et de création, il n'y a pas d'« avantage comparatif », il n'y a pas
d'économies d'échelle. Et, peut-être, monsieur le secrétaire d'Etat,
ferions-nous mieux passer ce message dans la négociation de l'OMC si nous nous
efforcions d'abord d'en persuader l'ensemble de nos partenaires européens.
Pendant le second semestre de l'an 2000, première année du cycle du
Millénaire, c'est la France qui assumera la présidence de l'Union européenne.
Ne pourrions-nous mettre à profit cette coïncidence pour faire progresser les
politiques communautaires de soutien à la création, pour tenter de persuader la
Commission de ne pas envisager seulement le droit d'auteur comme une entrave à
la libre circulation, pour faire progresser, en somme, la promotion de la
diversité culturelle au sein même de l'Union européenne ?
Quant à notre devoir de vigilance, il doit notamment s'exercer, lors des
négociations, contre les risques de contournement de nos positions. Après Mme
Pourtaud, je veux évoquer, moi aussi, ce dossier.
Nous savons déjà, en effet, que les Etats-Unis s'efforceront de remettre en
cause nos positions sur la diversité culturelle en les cantonnant aux supports
traditionnels et en déplaçant le débat de la libéralisation sur les nouveaux
supports, dont ils souhaitent qu'ils soient couverts par l'accord sur le
commerce des marchandises et non pas par l'accord sur le commerce des
services.
Nous retrouvons là, en somme, le débat sur la convergence sur lequel la
Commission avait pris - on s'en souvient - des positions tout à fait
inquiétantes. L'accord de 1997 sur les télécommunications de base, en
consacrant le principe de la neutralité technologique, allait dans le sens de
la spécificité culturelle. Nous devons donc rappeler que ce principe constitue
une garantie essentielle pour toutes les industries de contenu et pour la lutte
contre le piratage.
Et à ce propos, monsieur le secrétaire d'Etat, j'espère que la Commission
défendra, au nom de l'Union européenne, la prise en compte des acquis des
traités OMPI, Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, de décembre
1996, qui, s'ils n'ont peut-être pas répondu à toutes les attentes, n'en
comportent pas moins des avancées positives en matière de protection du droit
d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.
Enfin, la France souhaite, comme l'Union européenne, que la négociation
permette l'élaboration, dans le cadre de l'OMC, de règles sécurisant les
investissements. Sur le principe, je l'avais déjà dit lors du débat que nous
avions eu sur l'AMI, on ne peut nier l'intérêt de définir, au plan
international, des règles susceptibles d'encadrer la libéralisation des
investissements. Mais encore faut-il écarter le risque que ces règles ne
permettent pas, elles aussi, de priver de toute portée nos dispositifs d'aides
à la création. Monsieur le secrétaire d'Etat, cette vigilance est d'autant plus
nécessaire que, dans le cadre de l'OMC, nous ne pourrons pas défendre
nous-mêmes nos intérêts.
J'emprunterai la fin de mon propos à un grand cinéaste de notre temps, Pier
Paolo Pasolini, qui, voilà près de vingt-cinq ans, nous mettait déjà en garde
de façon lucide, et, me semble-t-il, visionnaire, contre ce qu'il appelait « la
normalisation de la culture » pour conclure que ce nouveau modèle « ne se
contente plus d'un homme qui consomme mais prétend par surcroît que d'autres
idéologies que celle de la consommation sont inadmissibles ».
C'est pourquoi la voix de la France telle que nous la concevons doit apporter
à la froideur du calcul marchand ce supplément d'âme, cette vision éthique de
l'homme face à tout ce qui tend à l'uniformiser.
Il ne s'agit nullement d'un quelconque « repli », d'un intégrisme de la
différence, mais d'une quête, en fait, de l'universel, tel que nous le
concevons tous, un universel qui n'est pas l'exclusion des différences et
encore moins la sacralisation d'identités conçues comme irréductibles.
Cet universel que nous revendiquons ne peut s'exprimer qu'à travers une
diversité qu'il transcende sans pour autant l'abolir. Sa perspective, pour
reprendre une phrase elle aussi visionnaire du général de Gaulle, doit
promouvoir « la domination offerte à toutes les âmes sur toutes les matières
».
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, du RDSE, ainsi que sur certaines travées
socialistes.)
(M. Jacques Valade remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. François Huwart,
secrétaire d'Etat au commerce extérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Huwart,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je voudrais d'abord souligner la qualité des interventions,
notamment celles des deux présidents de commission qui ont, à mon sens, bien
présenté et résumé les enjeux de ces prochaines négociations commerciales
multilatérales.
Je ne suis pas étonné par la haute tenue politique de ce débat qui concerne un
sujet essentiel et de très grande actualité : comment conjuguer une plus grande
libéralisation des échanges, porteuse de croissance, avec la régulation
nécessaire de la mondialisation ?
J'ai constaté que dans les interventions des présidents de commission un
consensus quasi général se dégage sur le refus de la politique de la chaise
vide, sur le refus de la frilosité et du repli sur soi. Je me félicite de cette
attitude qui rejoint la mienne et celle du Gouvernement français pour lequel
l'OMC est le lieu nécessaire pour fixer des règles. C'est effectivement,
monsieur Baylet, le lieu du contrat social entre partenaires libres et
égaux.
Comme vous le soulignez, monsieur de Villepin, l'OMC a été conçue précisément
pour mettre en place un système de règles et de transparence dans les échanges
entre les nations et pour éviter les excès redoutés de la dérégulation.
M. Bellanger a indiqué, à juste titre, que, plus le monde se globalise, plus
il a besoin de règles. C'est précisément pour empêcher la loi de la jungle,
c'est-à-dire la domination des plus forts sur les plus faibles, que nous avons
défendu la création de l'OMC qui est l'un des éléments les plus positifs du
bilan du cycle de l'Uruguay.
M. Raffarin a critiqué l'absence de vision de la France sur la mondialisation.
Cette critique ne me paraît pas justifiée et je voudrais le rassurer. Nous
tenons au contraire un discours très clair sur le nécessaire équilibre qui doit
résulter des prochaines négociations entre les objectifs de poursuite de la
libéralisation et la nécessité de répondre aux nouvelles préoccupations de la
société civile qui ont été largement évoquées ce matin, en particulier les
questions environnementales, la sécurité des aliments, le respect de normes
sociales fondamentales et la défense de la diversité culturelle.
Plusieurs d'entre vous ont souhaité un cycle de négociations plus généreux et
plus attentif aux préoccupations des pays en voie de développement. M.
François-Poncet en indiquant qu'il faudrait prendre en compte les intérêts
légitimes, mais pas tous, des pays en voie de développement.
M. Bellanger a évoqué le « devoir de solidarité » en faveur des pays en voie
de développement, tandis que M. Souplet a plaidé pour une meilleure intégration
de ces derniers dans le système mondial.
Nous partageons ces objectifs. Nous soutenons le lancement d'une initiative
vis-à-vis des pays les moins avancés afin que l'ensemble des membres de l'OMC
s'engagent à leur offrir un accès en franchise de droits pour l'essentiel de
leurs produits avant la fin du prochain cycle.
L'Union européenne est en avance dans ce domaine. Nous devons entraîner nos
partenaires dans cette direction.
Par ailleurs, nous estimons indispensable de donner un cadre prévisible au
programme d'assistance technique mis en place par l'OMC. Nous souhaitons donc
inclure ces activités dans le budget régulier de l'OMC.
Enfin, nous souhaitons que soient effectivement mises en oeuvre l'ensemble des
dispositions relatives au traitement spécial et différencié et nous nous sommes
déclarés prêts à examiner, à la demande des pays en voie de développement, dans
le nouveau cycle de négociations, les questions ayant trait au fonctionnement
et à la mise en oeuvre des accords.
En ce qui concerne la position unie de l'Europe, plusieurs d'entre vous -
comme M. Gouteyron voilà encore un instant - ont souligné que l'Europe abordait
ces négociations de façon plus unie qu'elle ne l'avait apparemment été dans le
passé.
C'est une réalité et, comme l'ont souligné MM. Bizet et Baylet, c'est
effectivement notre force. Le négociateur européen, M. Pascal Lamy négocie sur
la base des conclusions qui ont été adoptées par le conseil « affaires
générales » du mois dernier et qui constituent très clairement son « mandat
».
Les ministres des quinze Etats membres seront à Seattle - j'y serai
personnellement - et ce seront eux qui diront
in fine
à la Commission
si le résultat des négociations est acceptable ou non. Je rappelle à cet égard
que tout ne sera bien évidemment pas réglé à Seattle. Si nous arrivons à nous
entendre sur le lancement d'un cycle de négociations, celles-ci dureront au
minimum trois ans. Comme me l'a rappelé ce matin M. Poniatowski, ma tâche ne
sera pas de trois jours, mais bien, en effet, de trois ans au moins ; j'en ai
parfaitement conscience.
Je confirme ce qu'a dit M. Bellanger, c'est-à-dire que nous ne sommes pas
prêts non plus « à concéder des remises en cause fondamentales de nos positions
à Seattle ».
Vous avez souligné à juste titre la nécessité d'être associés au processus de
cette négociation : comme je l'ai rappelé ce matin, ce souhait se concrétisera
par la présence de membres de la Haute Assemblée au sein de la délégation
française à Seattle. Je tiens à réaffirmer que, ainsi qu'il l'a fait avant
Seattle, le Gouvernement poursuivra après Seattle sa politique de transparence.
Je serais, bien sûr, moi-même à la disposition du Parlement pour poursuivre le
dialogue sur ce sujet.
Je vais maintenant essayer de répondre à un certain nombre de questions
spécifiques qui ont été posées et tout d'abord sur l'agriculture.
Je partage tout à fait l'analyse de Jean-Marc Pastor et de François Marc sur
le rôle spécifique de l'agriculture et sur les différentes fonctions qu'elle
remplit, sur ce que nous regroupons sous le thème de « multifonctionnalité de
l'agriculture ».
Comme je vous l'ai indiqué ce matin, l'idée de la multifonctionnalité
synthétise bien nos objectifs. Nous considérons, en effet, que l'agriculture ne
peut être, comme certains le souhaiteraient - en particulier les pays du groupe
de Cairns - banalisée.
Je suis également d'accord avec vous sur la nécessité de mettre tous - je dis
bien « tous » - les soutiens à l'agriculture sur la table des négociations.
Cela concerne en particulier, bien sûr, en particulier les crédits à
l'exportation, l'aide alimentaire, les monopoles d'Etat et d'autres formes
moins transparentes de soutien aux exportations.
M. Huchon a souligné que la réforme de la PAC et l'accord de Berlin
constituaient la base et le socle de la négociation pour l'Union européenne. Je
veux le confirmer à MM. de Montesquiou et César : c'est bien notre position.
Nous serons, comme il l'ont demandé, « attentifs et vigilants » de façon à
préserver le modèle d'agriculture européen. Et j'ai bien compris que c'était
aussi la préoccupation de M. François.
S'agissant de la propriété intellectuelle et des appellations d'origine, j'ai
bien noté la préoccupation, exprimée en particulier par Michel Souplet et
Hubert Haenel, de progresser dans le domaine des appellations d'origine. C'est
aussi notre souci : cela fait partie du mandat de l'Union européenne.
Les questions laissées de côté à la fin du cycle de l'Uruguay devront être
examinées plus à fond, par exemple le dépôt des brevets. Nous nous efforcerons
d'apporter des modifications supplémentaires à l'accord ADPIC - accord sur des
aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce - tout
en étant très attentifs à ne pas ainsi remettre en cause l'acquis du cycle
d'Uruguay.
J'ai bien noté, enfin, la préoccupation de M. Poniatowski sur les droits
d'auteur et, de façon plus générale, sur la propriété littéraire et
artistique.
J'en viens à un sujet qui nous a beaucoup occupés dans ce débat : la diversité
culturelle.
Je partage totalement l'analyse selon laquelle, comme Jack Ralite l'a
souligné, la culture n'est pas une marchandise comme les autres.
La France a obtenu la reconnaissance de cette réalité dans les conclusions qui
ont été adoptées par le Conseil des ministres européens au mois d'octobre.
M. Haenel a affirmé ce matin que le Gouvernement français avait « reculé » en
parlant maintenant de diversité culturelle au lieu d'exception culturelle. Je
crois sincèrement que le Gouvernement s'est déjà clairement exprimé et expliqué
sur cette question : la diversité culturelle est l'objectif visé, l'exception
culturelle est le moyen d'atteindre cet objectif à l'OMC. Je vous rappelle que
l'expression « exception culturelle » n'a jamais figurée en tant que telle dans
les accords de Marrakech !
C'est précisément parce que nous n'avons pas fait d'offre sur l'audiovisuel
dans le cadre de l'accord sur les services et que nous avons demandé des
dérogations à la clause de la nation la plus favorisée dans ce secteur que nous
pouvons parler d'exception.
Par conséquent, nous avons l'intention de continuer à ne pas traiter de
l'audiovisuel et des politiques culturelles au sein de l'OMC, afin de préserver
notre objectif qui est de sauvegarder la diversité culturelle. C'était aussi le
souhait de Mme Pourtaud, qui a excellement présenté cette problématique.
Quant aux normes sociales fondamentales du travail, plusieurs orateurs,
notamment M. Pelletier, qui y a consacré une part importante de son
intervention, ont souligné la nécessité de les promouvoir au sein de l'OMC.
Certains - je pense à M. Haenel - semblent penser que notre détermination a
faibli en ce domaine. Je puis vous assurer qu'il n'en est rien. Nous
rencontrons cependant clairement une difficulté pour progresser dans cette voie
: elle tient à la très forte opposition des pays en développement à toute
évocation de ce thème à l'OMC. La situation était d'ailleurs, vous vous en
souvenez sûrement, la même à Singapour.
Nous devons poursuivre sans relâche notre travail de persuasion vis-à-vis de
ces pays pour faire valoir que nous ne visons pas, en la matière, des objectifs
« néoprotectionnistes » ou protectionnistes déguisés.
En ce qui concerne le principe de précaution et l'environnement, Gérard Le Cam
a insisté sur l'importance de ce principe et de sa reconnaissance dans le cadre
des prochaines négociations.
Une approche de précaution est en réalité déjà possible à l'OMC dans le cadre
des accords dits SPS et OTC. Néanmoins, il nous faut rechercher une
reconnaissance plus générale du principe de précaution à l'OMC, ce qui peut
prendre différentes formes.
Il faut également mettre l'accent sur la déclinaison et l'approfondissement de
ce principe dans les enceintes appropriées - accords multilatéraux sur
l'environnement,
Codex alimentarius -
et veiller à leur bonne
articulation avec l'OMC.
Ces questions sont essentielles pour nous. Il est important également de ne
pas permettre que cela se retourne contre nous et qu'une utilisation abusive du
principe de précaution aboutisse, par exemple, à une remise en cause des
exportations de produits fabriqués à base de lait cru.
La question de la position des Etats-Unis a été abordée à plusieurs
reprises.
Vous avez soulevé, messieurs les présidents de commission ainsi que plusieurs
d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, cette question compte tenu de
l'absence de
fast track.
Comme vous le savez, l'absence de
fast track
n'empêche pas
juridiquement l'administration américaine de se lancer dans des négociations.
C'était d'ailleurs le cas pour les deux cycles précédents ! Néanmoins, nous
avons bien conscience que cette situation impose à l'administration américaine
de mettre le Congrès dans les dispositions de voter le
fast track
le
moment venu, même au détriment d'intérêts plus larges. Tel est bien le problème
!
C'est pourquoi l'administration américaine adopte un discours offensif sur
l'agriculture, européenne notamment. C'est pourquoi elle plaide également pour
un cycle réduit au minimum et concentré sur l'accès au marché.
Nous sommes bien conscients de cette réalité. C'est pourquoi, comme je le
rappelais tout à l'heure, il est hors de question de prénégocier à Seattle sur
le contenu de la négociation agricole.
De même façon, nous ne serons pas en mesure d'accepter à Seattle, il faut le
dire très clairement, un résultat médiocre et très en deçà de nos ambitions.
S'agissant de la question de l'adhésion de la Chine à l'OMC, plusieurs d'entre
vous - M. de Villepin, M. Haenel, M. Bizet - se sont interrogés sur ses
perspectives et ses conséquences. Nous ne pouvons, bien sûr, que nous féliciter
de ce qui constitue une étape importante avec la signature de l'accord entre la
Chine et les Etats-Unis en vue de l'adhésion chinoise à l'OMC.
Mais il s'agit maintenant que nous poursuivions, pour notre part -
c'est-à-dire pour ce qui concerne l'Union européenne -, nos propres
négociations bilatérales avec la Chine. Nous serons attentifs à ce que les
intérêts proprement communautaires soient pris en compte dans le résultat de
ces négociations, qui ne pourront de toute façon pas être conclues avant
Seattle, ni à Seattle même.
La volonté de la Chine d'adhérer à l'OMC est, en tout état de cause, une
réponse significative par rapport à ceux qui mettent en cause l'intérêt même
pour les pays en développement d'être membre de l'OMC.
La Chine, comme elle l'avait été lors du précédent cycle, sera présente à
Seattle comme observateur. La Commission européenne a cependant clairement
indiqué qu'elle ne serait pas en mesure de négocier et qu'elle ne le pourrait
pas avant la réunion de Seattle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais dire, en conclusion, qu'avec
vous je suis conscient que les négociations du prochain cycle ne sont pas
seulement un enjeu commercial mais qu'elles sont aussi un enjeu planétaire de
croissance mieux partagée, comme l'a indiqué M. Pelletier en exprimant sa
préoccupation envers les pays en voie de développement.
Dans ces négociations, nous devons être offensifs, fermes, sans complexe,
bref, ambitieux sans naïveté, d'autant plus qu'aujourd'hui encore à Genève nous
avons eu le sentiment que, décidément, nous n'avançons guère et que nous ne
disposerons pas de document de travail préalable à la réunion de Seattle
proprement dite.
La cohésion des positions européennes nous aidera cependant - avec la
convergence des points de vue dans notre pays, qui doit nous conforter au sein
de l'Europe - à ce que, dans la grande tradition de notre pays, l'universalisme
et les valeurs d'humanisme soient la réponse commune à la mondialisation.
(Applaudissements.)
M. le président.
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n°
86 et distribuée.
5
RÉPARTITION DES SIÈGES À L'ASSEMBLÉE
DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE
Adoption des conclusions
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 76,
1999-2000) de M. Lucien Lanier, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale, sur la proposition de loi organique (n° 471,
1998-1999) de M. Gaston Flosse et les membres du groupe du Rassemblement pour
la République tendant à améliorer le régime électoral applicable à la formation
de l'Assemblée de la Polynésie française.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes saisis d'une
proposition de loi organique concernant l'Assemblée de la Polynésie
française.
Déposée le 30 juin dernier sur le bureau du Sénat, ce texte comporte trois
articles.
L'article 1er modifie la composition et la formation de l'Assemblée
territoriale de la Polynésie française, quant au nombre et à la répartition des
sièges. Il s'agit du coeur même du sujet dont nous débattons aujourd'hui.
Quant aux articles 2 et 3, ils modifient le mode de scrutin et l'âge
d'éligibilité.
Pour mieux comprendre le sujet dont nous avons à débattre, il convient d'abord
de rappeler que la Polynésie française est sur le point de devenir un « pays
d'outre-mer », le seul jusqu'à présent si, bien entendu, le projet de loi
constitutionnel, qui fut voté en termes identiques par nos deux Assemblées -
et, pour le Sénat le 12 octobre dernier - est adopté par le Congrès, convoqué à
Versailles le 24 janvier prochain.
En ce sens, cette proposition de loi organique vient à son heure pour prendre
en compte les conséquences de la réalité démographique et géographique de ce
futur pays d'outre-mer.
Rappelons également que la Polynésie française est située à 18 000 kilomètres
de la métropole, au sein de 5,5 millions de kilomètres carrés d'océan, avec
seulement 4 200 kilomètres carrés de terres émergées réparties en 118 îles.
Elle présente une spécificité géographique évidente, à laquelle doit répondre
une spécificité politico-administrative adaptée à cette immense dispersion
insulaire et tenant compte de la diversité de ses composants, que la carte
jointe au rapport écrit qui vous a été distribué peut aider à comprendre.
Le statut de la Polynésie française, que nous avons voté en 1996, détermine
cinq archipels, constituant autant de circonscriptions électorales fort
différentes démographiquement et économiquement.
Au sein de ces archipels, on dénombre quarante-huit communes : les îles du
Vent comptent treize communes, dont la capitale, Papeete, à Tahiti ; les îles
Sous le Vent comptent sept communes, dont la plus connue est Bora-Bora ; les
îles Marquises comptent six communes, les îles Tuamotu et Gambier dix-sept et
les îles Australes cinq.
La répartition des sièges de l'Assemblée territoriale a périodiquement évolué
depuis sa création en 1946, en fonction des mouvements démographiques constatés
au cours de ces cinquante-trois dernières années. Or les dernières
modifications datent de 1985, voilà maintenant près de quinze ans, quinze ans
de transformations démographiques. Un ajustement paraît donc aujourd'hui
nécessaire, et même indispensable.
Les répartitions successives des sièges de l'Assemblée de la Polynésie
française entre les cinq circonscriptions ont tenu compte des quatre
recensements effectués respectivement en 1946, 1952, 1956 et 1983.
Dès lors, comment se présente aujourd'hui la réalité démographique ?
Les îles du Vent ont connu la plus forte poussée démographique, due en grande
partie à un phénomène bien connu : l'effet d'attraction de Papeete. Ainsi,
logiquement, cette circonscription a bénéficié, lors de chacune des révisions,
de la plus importante augmentation de sa représentation en sièges à l'Assemblée
de la Polynésie française.
En effet, en cinquante ans, sa population est passée de 29 438 à 162 686 âmes.
Elle représente près des trois quarts de la population totale de la Polynésie
française - environ 74 %. Le nombre de sièges de la circonscription est passé
de dix à vingt-deux.
Pendant la même période, les quatre autres circonscriptions ont connu une
évolution démographique plus linéaire, moins importante.
La population de la circonscription des îles Sous le Vent a plus que doublé ;
elle représente 12 % de la population globale actuelle. Les sièges de la
circonscription à l'Assemblée sont passés de cinq à huit.
La population de la circonscription des îles Tuamotu et Gambier a également
progressé ; elle représente actuellement 7 % de la population totale. Les
sièges de la circonscription ont été portés de deux à cinq, en proportion de
cet accroissement.
La population des îles Australes a également augmenté, de près de deux tiers ;
le nombre de sièges est ainsi passé de un à trois. Cette circonscription
représente actuellement 3 % de la population totale.
Enfin, la circonscription des îles Marquises a vu sa population multipliée par
2,7, pour atteindre aujourd'hui 3,7 % du total. Ses sièges sont passés de deux
à trois.
Ces statistiques, telles que résumées dans le tableau inclus dans le rapport
que j'ai cité, montrent bien qu'il existe une corrélation entre le poids
démographique des circonscriptions et leur représentation en sièges au sein de
l'Assemblée ; mais ce lien n'est pas exactement proportionnel, pour les raisons
spécifiques à la Polynésie française que j'ai précédemment indiquées, à savoir
l'éloignement, l'insularité, la diversité, dont on ne peut pas ne pas tenir
compte.
En tout état de cause, rien n'ayant été fait depuis 1985, un nouvel ajustement
du nombre de sièges et de leur répartition au sein de l'Assemblée est
nécessaire, en considération à la fois du principe constitutionnel de l'égalité
des suffrages et d'une application spécifique à la Polynésie française de ce
principe.
En effet, le Conseil constitutionnel a fait reposer la jurisprudence
garantissant l'égalité du suffrage sur trois critères : premièrement, la prise
en considération des évolutions démographiques ; deuxièmement, la prépondérance
du critère démographique pour la répartition des sièges ; troisièmement, la
possibilité de pondérer une telle répartition en considérant dans une mesure
convenable, les impératifs d'intérêt général.
Il nous faut donc tenir compte, pour un nouvel ajustement, des deux premiers
critères, traduction de la réalité institutionnelle, et du troisième, qui
évitera de marginaliser la représentation en sièges à l'Assemblée des quatre
circonscriptions autres que celle des îles du Vent, ce qui serait contraire à
l'indispensable cohésion de la Polynésie française, qui est bien l'impératif
d'intérêt général que prend en compte la jurisprudence définie par le Conseil
constitutionnel.
M. Gaston Flosse.
Très bien !
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
C'est aussi ce à quoi tend la proposition de loi qui nous est
soumise, à laquelle la commission des lois souhaite d'ailleurs apporter de
raisonnables modifications.
Quelles sont ces modifications ?
Tout d'abord, un ajustement plus important de la répartition des sièges entre
les cinq circonscriptions, qui fait l'objet de l'article 1er de la proposition,
article essentiel, je le répète, parce qu'il traite le fond du sujet.
La circonscription des îles du Vent - essentiellement Tahiti et Papeete -
regroupant 74,1 % de la population totale, se verrait attribuer 59,6 % des
sièges de l'Assemblée, soit vingt-huit sièges, au lieu des vingt-deux sièges
actuels.
La répartition des sièges entre les quatre autres circonscriptions demeurerait
inchangée afin d'éviter leur marginalisation.
Cette modification reconnaîtrait la poussée démographique des îles du Vent.
Elle aurait également pour effet de réduire l'écart maximum de représentation
entre les archipels, répondant ainsi aux normes définies par le Conseil
constitutionnel.
Enfin, l'augmentation de six du nombre total des sièges porterait à
quarante-sept le nombre des élus de l'Assemblée, pour une population de 220 000
habitants. Cela reste très raisonnable au regard des cinquante-quatre membres
du Congrès de la Nouvelle-Calédonie pour une population de seulement 197 000
habitants et, il faut le reconnaître, beaucoup moins dispersée que celle de la
Polynésie française.
Reste le mode de scrutin, prévu à l'article 2, qui constate que la loi du 19
janvier 1999, modifiant en métropole le mode d'élection des conseillers
régionaux, n'a pas été étendue, volontairement, à la Polynésie française. Le
mode de scrutin pour l'élection de l'Assemblée demeure donc celui qui est prévu
par la loi du 21 octobre 1952 et par l'article L. 338 du code électoral,
c'est-à-dire le scrutin de liste à la représentation proportionnelle à la plus
forte moyenne. L'article 2 procède donc à une simple clarification formelle,
mais il paraît dépourvu de lien réel avec le coeur du sujet, à savoir la
nouvelle répartition des sièges à l'Assemblée.
En conséquence, il paraît logique de réserver ce type d'ajustement à la
législation métropolitaine au débat à venir sur le futur projet de loi pour
l'outre-mer.
Enfin, l'article 3 de la proposition de loi organique tend à abaisser à
dix-huit ans révolus l'âge d'éligibilité à l'Assemblée de Polynésie française,
actuellement fixé à vingt et un ans.
Or, le Sénat, lors de l'examen des projets de loi organique et ordinaire
relatifs au cumul des mandats et des fonctions et à leurs conditions
d'exercice, a, à deux reprises, repoussé les dispositions introduites par
l'Assemblée nationale et tendant à abaisser à dix-huit ans l'âge d'éligibilité
des maires, des conseillers généraux et régionaux, et des parlementaires. Le
Sénat a préféré, en effet, ne pas traiter à la sauvette un tel sujet. Telle
était également la position de la commission des lois.
Nous proposons au Sénat de maintenir cette position et, ainsi, de ne pas
rouvrir ce débat à l'occasion d'une proposition qui traite essentiellement
d'une nouvelle répartition des sièges à l'Assemblée de la Polynésie française
entre les cinq circonscriptions électorales.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous propose, mes
chers collègues, d'adopter la proposition de loi organique, mais en un seul
article ainsi rédigé.
«
Article unique.
- L'article 1er de la loi du 21 octobre 1952,
relative à la composition du Gouvernement et à la formation de l'Assemblée de
la Polynésie française, est ainsi rédigé :
« Art. 1er. - L'Assemblée de la Polynésie française est composée de
quarante-sept membres élus pour cinq ans et rééligibles. Elle se renouvelle
intégralement.
« La Polynésie française est divisée en cinq circonscriptions électorales. Les
sièges sont répartis conformément au tableau ci-après :
« Iles du Vent : 28 sièges ;
« Iles Sous le Vent : 8 sièges ;
« Iles Tuamotu et Gambier : 5 sièges ;
« Iles Marquises : 3 sièges ;
« Iles Australes : 3 sièges ;
Total : 47 sièges. »
Telles sont les conclusions soumises à l'approbation du Sénat.
M. Gaston Flosse.
Très bien !
(M. Paul Girod remplace M. Jacques Valade au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, votre assemblée manifeste de nouveau
aujourd'hui l'intérêt qu'elle porte à la Polynésie française puisqu'elle débat
d'une « proposition de loi organique tendant à modifier la loi du 21 octobre
1952 pour rééquilibrer la répartition des sièges à l'Assemblée de la Polynésie
française ». Cette proposition est présentée par votre rapporteur, M. Lucien
Lanier, au nom de la commission des lois.
En raison - vous le savez peut-être - d'un déplacement prévu de longue date à
Bruxelles, où il accompagne les élus des régions ultrapériphériques, qui
rencontrent le président de la Commission, M. Prodi, M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer, m'a demandé de le remplacer pour ce débat.
M. Lucien Lanier a très clairement souligné les raisons qui motivent cette
proposition. Je présenterai la position du Gouvernement sur ce sujet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'initiative de votre commission des lois,
qui fait suite à une proposition de M. Gaston Flosse, a pour objet de
rééquilibrer, au sein de l'Assemblée de la Polynésie française, la
représentation de la circonscription électorale des îles du Vent. Cette
circonscription comprend les îles de Tahiti et de Moorea.
La modification de la répartition des sièges entre les cinq circonscriptions,
en particulier au profit de celle des îles du Vent, est souhaitée par tous.
Lors de son récent déplacement sur le territoire, Jean-Jack Queyranne a
recueilli un large consensus sur le principe de cette réforme.
Il est en effet indispensable que la démocratie représentative s'exerce en
Polynésie française dans le respect du principe consitutionnel d'égalité devant
le suffrage universel tout en assurant une juste représentation des différents
archipels.
Or, tel n'est pas le cas aujourd'hui.
La composition de l'Assemblée de la Polynésie française a, certes, évolué
depuis 1946, année où la Polynésie française est devenue un territoire
d'outre-mer. Mais cette évolution n'a pas suivi celle de la démographie.
La loi du 21 octobre 1952 avait fixé à vingt le nombre des membres de
l'Assemblée territoriale.
Les îles du Vent, avec dix sièges sur vingt, disposaient de 50 % des sièges,
alors que la population de cette circonscription électorale représentait 51,70
% de la population du territoire au recensement de 1946. C'était une
représentation équitable.
La loi du 26 juillet 1957 a porté à trente le nombre des membres de
l'Assemblée, dont seize pour les îles du Vent, soit 53,33 % des sièges, alors
que la population de cette circonscription était de 54,77 % de la population
totale.
Les recensements de 1962, 1971 et 1977 font apparaître une progression
constante de la population des îles du Vent par rapport à la population totale
: 58,89 % en 1962 ; 70,49 % en 1971 ; 73,80 % en 1977.
C'est seulement en 1985, par la loi du 18 décembre, que le nombre des
conseillers a été fixé à quarante et un, dont vingt-deux aux îles du Vent, soit
53,65 % des sièges, alors que cette circonscription électorale représentait
73,80 % de la population du territoire.
La répartition est actuellement la suivante : 22 conseillers pour les îles du
Vent, 8 pour les îles Sous le Vent, 3 pour les îles Australes, 3 pour les îles
Marquises et 5 pour les îles Tuamotu et Gambier.
Le pourcentage de la population des îles du Vent, qui comptent 164 953
habitants, par rapport à la population totale du territoire, qui est de 223 752
habitants, est resté stable depuis la loi de 1985. En effet, il était de 73,97
% au recensement de 1988 et de 73,72 % au recensement de 1996.
Cette analyse est éclairante : la circonscription des îles du Vent a, depuis
1946, une représentation correspondant à environ la moitié des sièges de
l'Assemblée territoriale, alors que son poids démographique est de 73 % de la
population totale depuis plus de vingt ans.
Il existe donc un déséquilibre manifeste au détriment de la représentation de
la population des îles du Vent.
Or, la nécessité de procéder à un rééquilibrage de la représentation des îles
du Vent est une exigence institutionnelle. La jurisprudence du Conseil
Constitutionnel est bien établie dans ce domaine : une assemblée doit être élue
sur des bases essentiellement démographiques.
Le législateur peut tenir compte d'impératifs précis d'intérêt général, dans
une mesure limitée, pour s'écarter d'une stricte proportionnalité entre la
population et le nombre de sièges de chaque circonscription, comme en attestent
les décisions n° 85-196 et 197 DC des 8 et 23 août 1985 et la décision n°
86-208 DC des 1er et 2 juillet 1986.
Toute modification doit donc tendre vers le respect d'une proportionnalité
entre la population et le nombre des élus.
Dès lors que l'objectif est clairement imposé, il s'agit de déterminer les
modalités d'un rééquilibrage respectant cette exigence constitutionnelle.
Deux propositions de loi organique ont été déposées.
Celle de M. Gaston Flosse vise à attribuer quatre sièges supplémentaires aux
îles du Vent qui en auraient donc vingt-six. L'assemblée comprendrait alors
quarante-cinq conseillers au lieu de quarante et un.
Une autre proposition de loi organique avait été déposée auparavant par M. le
député Emile Vernaudon. Elle concerve le nombre total de conseillers, tout en
augmentant la représentation des îles du Vent de vingt-deux à vingt-neuf élus.
Elle diminue en conséquence la représentation des quatres autres
circonscriptions électorales. Cette réforme permettrait de réduire très
sensiblement les écarts de population constatés.
La proposition de loi organique dont nous débattons aujourd'hui est celle de
M. Gaston Flosse, reprise et modifiée par le rapporteur de la commission des
lois. Elle porte à vingt-huit le nombre des conseillers des îles du Vent, soit
une progression de six sièges. La représentation des autres archipels n'est pas
modifiée. En conséquence, l'assemblée compterait quarante-sept conseillers. La
représentation des îles du Vent passerait de 53,66 % à 59,57 % des sièges pour
73,72 % de la population.
On pourrait aller plus loin vers le rééquilibrage en augmentant de façon plus
significative le nombre total des sièges de l'assemblée de la Polynésie. Cela
permettrait de réduire encore plus nettement les écarts entre les moyennes des
ciconscriptions et la moyenne territoriale.
Il importe en effet de concilier la nécessité de rééquilibrer la
représentation des îles du Vent sans pénaliser celle des archipels éloignés,
sous prétexte qu'ils sont plus faiblement peuplés.
Il convient en effet de tenir compte de la très grande diversité de ce
territoire, qui s'étend, sur une superficie égale à celle de l'Europe, d'Oslo
pour les Marquises à Bucarest pour les Gambier.
Les distances entre le chef-lieu du territoire et les archipels sont
considérables. C'est ainsi que l'île la plus au sud de la circonscription des
Australes, Rapa, est située à 1 200 kilomètres de Tahiti, que l'archipel des
Gambier est éloigné de 1 700 kilomètres et que l'île de Ua Pou aux Marquises
est à 1 500 kilomètres.
La possibilité reconnue par le Conseil constitutionnel de prendre en compte
des impératifs précis d'intérêt général va dans le sens d'une représentation
des archipels éloignés.
Cette prise en compte d'une géographie et d'un peuplement que l'on ne
rencontre que dans le Pacifique se justifie d'autant plus que la population de
certains archipels, ceux des îles Sous le Vent et des îles Tuamotu et Gambier,
connaît aujourd'hui une forte augmentation en raison du développement de
l'activité touristique et perlière notamment.
La loi du 5 février 1994 d'orientation pour le développement économique,
social et culturel de la Polynésie française a pour objectif un développement
mieux équilibré. Diminuer la représentation des archipels irait à l'encontre de
cette volonté de rééquilibrage.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la modification de la composition de
l'assemblée de la Polynésie française est aujourd'hui indispensable après de
très longues années de
statu quo.
Après ces observations qui portent sur le fond du texte, je ferai une remarque
sur la forme de la proposition.
Pour procéder à une modification de la répartition des sièges de conseiller à
l'assemblée de la Polynésie française, il est nécessaire d'utiliser la voie
législative organique comme cela vous est proposé. En effet, l'article 74,
deuxième alinéa de la Constitution, dispose que « les statuts des territoires
d'outre-mer sont fixés par des lois organiques qui définissent, notamment, les
compétences de leurs institutions propres, et modifiés dans la même forme après
consultation de l'assemblée territoriale intéressée ».
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 9 avril 1996, a précisé qu'ont
un caractère organique « les dispositions qui définissent les compétences des
institutions propres du territoire, les règles d'organisation et de
fonctionnement de ces institutions... ». Tel est bien le cas de la répartition
des sièges de l'assemblée territoriale entre les circonscriptions.
La consultation de l'assemblée de la polynésie française est également
obligatoire. Le Conseil constitutionnel sera automatiquement saisi du texte,
après son adoption par les deux assemblées. Il appréciera si la délibération de
l'assemblée de la Polynésie française du 27 mai 1999 vaut consultation pour
l'article unique de la proposition de la commission des lois.
Le voeu contenu dans cette délibération précise que la modification de
l'article 1er de la loi du 23 octobre 1952 qui pourrait être proposée devrait «
respecter le découpage et la répartition des sièges actuels à l'exception de la
circonscription des îles du Vent ».
La proposition qui vous est présentée est conforme à cet objectif, même s'il
existe une différence entre le voeu et la proposition en ce qui concerne le
nombre des sièges des îles du Vent, vingt-six au lieu de vingt-huit, et le
nombre total des sièges de l'assemblée, quarante-cinq au lieu de
quarante-sept.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l'actuelle assemblée de la Polynésie
française a été élue pour cinq ans le 12 mai 1996, Son mandat se terminera donc
en 2001. Le Gouvernement estime très souhaitable que la réforme sur la
répartition des sièges au sein de l'assemblée puisse s'appliquer dès cette
échéance électorale.
Il s'en remet à la sagesse du Sénat sur la proposition de votre rapporteur,
mais il estime que le nombre de conseillers territoriaux doit être augmenté de
manière significative.
Si aucune des propositions de loi organique déposées n'était votée rapidement,
le Gouvernement ferait une proposition de rééquilibrage dans le projet de loi
organique statutaire qui devrait être déposé au printemps prochain, après
l'adoption du projet de loi constitutionnelle par le Parlement, convoqué par le
Président de la République en Congrès le 24 janvier 2000.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs les indications que le
Gouvernement vous livre sur la base de la proposition de loi organique soumise
à la Haute Assemblée.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Flosse.
M. Gaston Flosse.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre
rapporteur vous a présenté de manière remarquable, comme à l'accoutumée,
l'objet, les raisons et les modalités de notre proposition de loi. Celle-ci,
comme vous le savez, fait écho à un voeu émis par l'assemblée de la Polynésie
française, qui a souhaité explicitement une modification dans la représentation
des cinq circonscriptions électorales existant en Polynésie.
Dans chacune de ces circonscriptions, le régime électoral est le scrutin de la
liste à la représentation proportionnelle. Les îles du Vent élisent vingt-deux
conseillers, les îles Sous le Vent huit, les îles Tuamotu et Gambier cinq, les
Marquises et les Australes trois chacune.
L'assemblée de la Polynésie française a souhaité que le nombre de conseillers
dans la circonscription des îles du Vent soit augmenté sans modification de la
représentation dans les autres circonscriptions.
Nous partageons ce point de vue et c'est ce que je souhaite vous expliquer.
Tout d'abord, je voudrais évoquer le cas des deux circonscriptions les plus
isolées, celle des Australes, distante de quelque 800 kilomètres de Tahiti, et
celle des Marquises, près de deux fois plus éloignée.
Peut-on imaginer de réduire une représentation qui n'est déjà que de trois
élus pour chacun de ces archipels ? Trois élus sur quarante et un conseillers à
l'assemblée de Polynésie ! Quelle personne sensée peut vouloir réduire ce
nombre à deux, sauf si son objectif est de bâillonner l'expression de leur
population ?
Je pense, mes chers collègues, que ce n'est pas dans notre assemblée qu'une
telle proposition pourrait voir le jour !
Mais il est vrai qu'une application brutale de la proportionnalité
démographique devrait conduire à une réduction du nombre d'élus de ces
archipels.
Fort heureusement, nous le savons bien ici, la démographie n'est pas le seul
critère retenu par le Conseil constitutionnel lorsqu'il a à connaître de lois
de répartition électorale. Le critère géographique, auquel le secrétaire d'Etat
à l'outre-mer a d'ailleurs fait explicitement référence lors de son audition
par la commission des lois, constitue, particulièrement pour la Polynésie
française, un élément essentiel à prendre en compte.
Ce critère s'applique pour les Marquises et les Australes, mais également pour
les îles Tuamotu et Gambier, dispersées sur environ 2 millions de kilomètres
carrés, près de quatre fois la superficie de la France, et représentées par
cinq conseillers à l'assemblée.
Pour cette seule raison, je n'imagine pas que l'on puisse réduire le nombre de
conseillers de cet archipel, mais ce n'est pas la seule.
En effet, la démographie s'inscrit dans une évolution dont je vais maintenant
vous parler et qui modifie les conclusions que l'on peut tirer d'une simple
photographie de la situation.
L'histoire démographique récente de la Polynésie française se décompose en
trois phases.
La première, de 1946 jusqu'au recensement de 1956, c'est-à-dire avant
l'installation du centre d'expérimentations nucléaires, se caractérise par une
relative stagnation dans la répartition de la population.
La deuxième est celle des contre-coups de « l'économie du nucléaire ».
L'émigration des archipels vers Tahiti, faible jusque-là, s'accélère, et la
population des îles du Vent passe, de 1956 à 1988, de 58 % à 74 % de la
population totale, celle des îles Sous le Vent de 20,2 % à 11,7 %, celle des
Tuamotu et Gambier de 13,3 % à 6,5 %, celle des Marquises de 5,4 % à 3,8 % et
celle des Australes de 5,4 % à 3,4 %.
Or, bien que cette période ait été caractérisée par des mouvements
démographiques considérables, le législateur n'a pas choisi de modifier la
représentation des circonscriptions, comme l'indiquait M. Lemoine lors des
débats devant notre assemblée en 1985.
La loi du 12 décembre 1985, en effet, ne changeait pas la proportion fixée par
la loi du 26 juillet 1957. C'est ainsi que les îles du Vent restaient au même
niveau de représentation au sein de l'assemblée de la Polynésie française, soit
53 %, alors qu'elles constituaient 74 % de la population.
Alors, mes chers collègues, devons-nous corriger intégralement aujourd'hui ce
que la loi de 1985 n'a pas cru devoir faire, au risque d'étouffer la voix des
archipels ? Je le pense d'autant moins que l'évolution démographique n'est
désormais plus la même.
Lorsque les élections de 1991 ont porté au pouvoir le gouvernement que j'ai
l'honneur de diriger en Polynésie française, un de nos soucis prioritaires,
outre l'indispensable redressement économique et financier qu'il fallait
conduire, a été de rééquilibrer le développement en faveur des archipels. Le
pacte de progrès lancé dès la fin de 1991, concrétisé par la loi d'orientation
et confirmé par le programme stratégique pour la Polynésie française, a donc
prévu dans tous les domaines un effort d'équipement sans précédent et des
incitations financières et fiscales au retour dans les îles.
Les efforts d'équipement se sont manifestés notamment par les nouveaux
aérodromes nécessaires au désenclavement, l'amélioration des routes et des
quais, une politique de logement social spécifique aux archipels, la
généralisation des télécommunications et de la télévision, l'implantation de
collèges et de lycées dans les îles les plus importantes.
Les ressources économiques ont été développées, comme la perliculture,
essentiellement dans les îles Tuamotu et Gambier, la pêche, l'agriculture et le
tourisme, en particulier au travers d'une petite hôtellerie familiale dont la
croissance a été extrêmement rapide.
Ces efforts ont commencé à porter leurs fruits, et l'évolution démographique
s'est infléchie. Du recensement de 1988 à celui de 1996, le poids des îles du
Vent a légèrement diminué, celui des îles Sous le Vent est passé de 11,7 % à
12,2 %, celui des Tuamotu et Gambier, de 6,5 % à 7 %. Seuls ceux des Australes
et des Marquises ont stagné. Mais les considérables travaux entrepris dans ces
deux derniers archipels et le début d'essor touristique que connaissent les
Marquises changent désormais cette situation.
Il me semble ainsi que la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui
concilie tous les impératifs que nous devons avoir présents à l'esprit.
En augmentant de six conseillers - c'est-à-dire deux de plus que ce qu'avait
souhaité l'assemblée de la Polynésie française - la représentation des îles du
Vent, elle la rééquilibre sans excès coûteux et, rendant compte des évolutions
passées, elle n'injurie pas l'avenir.
Mon groupe votera donc la proposition qui nous est présentée par notre
commission des lois et je souhaite que tous nos collègues s'y associent, sans
esprit partisan.
(Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, cher ami rapporteur, chers
collègues, à l'occasion de la séance mensuelle réservée, la majorité
sénatoriale a décidé d'inscrire la proposition de loi organique déposée sur le
bureau du Sénat le 30 juin dernier par notre excellent collègue M. Gaston
Flosse dont l'initiative parlementaire, au demeurant fort légitime, tend
essentiellement à ajuster la répartition des sièges attachés à chacune des
circonscriptions électorales afin d'améliorer le régime électoral applicable à
la formation de l'assemblée de la Polynésie française.
Par la voix de son rapporteur, notre excellent collègue M. Lucien Lanier, que
je tiens à féliciter pour la qualité du rapport qu'il nous a présenté, la
commission des lois a reconnu le bien-fondé de cette initiative parlementaire
tant il est vrai que la répartition actuelle des sièges ne correspond plus ni à
la spécificité polynésienne au regard de sa dispersion géographique, de
l'immensité de son territoire et de la démographie de chacun des archipels, ni
au strict respect du principe constitutionnel de l'égalité du suffrage,
principe constamment rappelé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et
applicable sur l'ensemble du territoire de la République.
Cette proposition de loi organique vient à son heure, a dit, à l'instant,
notre excellent rapporteur. Pour ma part, je dirai qu'elle est prématurée et
inadaptée.
Elle est prématurée, parce qu'elle aurait dû être débattue après l'adoption de
la réforme constitutionnelle par le Congrès qui se réunira le 24 janvier 2000,
précisément lors de la discussion des projets de loi organique et ordinaire
relatifs au statut d'autonomie renforcée de la Polynésie française.
Je suis d'ailleurs étonné que notre rapporteur adopte cette démarche pour
l'article 2 de cette proposition de loi organique en réservant l'examen de cet
article, à la discussion du futur projet de loi relatif au statut de la
Polynésie et qu'il ne le fasse pas pour le dispositif qui se trouve au coeur de
la proposition de loi dont nous débattons ce jour.
Enfin, je tiens à préciser que le respect du délai d'un an fixé par la loi de
1992 s'impose, cher ami rapporteur, autant pour la répartition des sièges que
pour le mode de scrutin.
Les réformes électorales ne sont pas des réformes mineures. Et, à l'instar de
ce qui a été accompli pour la Nouvelle-Calédonie, il aurait été bon d'ouvrir
une vaste concertation avec les autorités territoriales et les principales
forces vives du fenua, du territoire en langage polynésien, comme l'engagement
en a été pris.
J'ai encore quelques souvenirs de merveilleux séjours accomplis en compagnie
de M. Lucien Lanier en Polynésie, voilà quelques années !
La représentativité de la future assemblée polynésienne mérite que l'on se
donne le juste temps de la concertation.
Pour la complète information du Sénat, je me dois de rappeler que la
proposition de M. Gaston Flosse n'est que la reprise d'un voeu adopté par
l'assemblée du territoire. Cette proposition de loi organique apparaît comme la
réponse, en tout cas le contrepoint de celle qui a été déposée en mars 1999 à
l'Assemblée nationale par M. Emile Vernaudon, député, sur laquelle je
reviendrai.
Cette proposition de loi est inadaptée, car elle ne correspond pas aux
critères retenus par la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel et
du Conseil d'Etat. Le rapport rappelle celle-ci à la page 9 : « L'organe
délibérant d'une commune de la République doit être élu sur des bases
essentiellement démographiques résultant d'un recensement récent ». Pour la
Polynésie, il s'agit du recensement de 1996. Il est en outre précisé que les
considérations tenant compte d'autres impératifs d'intérêt général ne peuvent
cependant intervenir que dans une mesure limitée.
A l'aune de ces critères, le juge constitutionnel vérifie que « les écarts de
représentation entre les secteurs selon l'importance de leur population telle
qu'elle ressort du dernier recensement ne sont ni manifestement injustifiables
ni disproportionnés de manière excessive ».
Sans m'attarder sur le recensement de 1999, dont nous connaîtrons les
résultats dans quelques semaines, je considère que l'augmentation du nombre de
sièges pour les îles du Vent demeure disproportionnée et, dans mon esprit,
beaucoup trop faible au regard de la jurisprudence du Conseil
constitutionnel.
La Polynésie française constitue un territoire éclaté sur 118 îles ou îlots
dans cinq archipels. Ces archipels sont dispersés sur une superficie comparable
à celle de l'Europe, et on imagine aisément les difficultés de toutes natures -
M. Gaston Flosse a eu raison de les rappeler - qui en découlent pour la vie
quotidienne de nos compatriotes polynésiens et, surtout, pour leurs
représentants à l'assemblée du territoire.
A cette dispersion géographique naturelle s'ajoute une caractéristique de
nature démographique puisque, si la population s'accroît rapidement, elle se
concentre essentiellement dans les îles du Vent, singulièrement sur Tahiti,
accentuant les disparités démographiques entre les archipels.
Etendue du territoire, dispersion géographique, disparité démographique
constituent, entre autres, la spécificité, voire l'exception polynésienne.
Ces éléments particuliers avaient déjà justifié, en 1985, l'augmentation du
nombre de conseillers à l'assemblée du territoire de trente à quarante et un,
soit onze sièges de plus, ce qui n'avait pas paru excessif.
La situation a encore évolué en l'espace de quinze ans. Force est de
reconnaître que la répartition des sièges actuellement en vigueur ne respecte
plus le principe de l'égalité des suffrages rappelé par le juge
constitutionnel. Il était donc légitime que nos deux collègues parlementaires
polynésiens, MM. Emile Vernaudon et Gaston Flosse, cherchent à établir une
représentation plus juste et plus équitable de chacun des archipels au sein de
la future assemblée du pays d'outre-mer que deviendra dans quelques semaines la
Polynésie française.
L'inconvénient, à mes yeux, est que le respect du principe d'égalité est
relégué au second plan tant il est évident que la priorité est accordée à la
préférence que d'aucuns qualifieront de partisane quand d'autres parleront de
l'avantage politique que l'on peut en tirer.
Si la proposition de M. Emile Vernaudon paraît plus satisfaisante en ce
qu'elle respecte davantage les critères établis par la jurisprudence du Conseil
constitutionnel, elle minore et sous-représente gravement - j'insiste sur ce
mot - les archipels des Marquises, des Tuamotu et Gambier, des Australes et des
îles Sous le Vent.
M. Jean-Jacques Hyest.
Très bien !
M. Guy Allouche.
Et c'est là que le bât blesse.
M. Jean-Jacques Hyest.
Et voilà !
M. Guy Allouche.
La spécificité polynésienne commande - j'insiste sur ce terme - de ne pas
toucher à la représentation actuelle de ces archipels.
M. Gaston Flosse.
Bravo !
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
Très bien !
M. Guy Allouche.
Mais cette proposition procède de l'analyse politique de notre collègue
député. Sans pour autant la partager, loin s'en faut, je reconnais qu'elle
répond à une logique politique respectable.
La proposition de répartition des sièges de notre collègue sénateur procède
d'une autre finalité politique. Si louable soit-il, cher Gaston Flosse,
l'argument selon lequel toute forte augmentation du nombre des sièges
entraînerait des dépenses importantes ne résiste pas à une analyse sérieuse
car, s'il y a des économies de gestion à réaliser - et je suis persuadé qu'il y
a des gisements d'économies à exploiter - ce ne doit pas être au détriment du
respect de l'égalité des suffrages, qui a valeur constitutionnelle. Votre
crainte d'installer une assemblée délibérante pléthorique ne saurait vous
conduire à restreindre la juste représentativité de cette dernière.
En vérité, la logique politique de M. Gaston Flosse est plus subtile ; je
n'étonnerai personne en disant cela. Dans un système proportionnel à la plus
forte moyenne, plus on limite l'augmentation du nombre de sièges, plus on élève
le quotient électoral et plus on réduit la représentation des minorités.
C'est là la subtilité politique de M. Flosse !
M. Gaston Flosse.
Mais pas du tout !
M. Guy Allouche.
Cette modalité en apparence de technique électorale n'est rien d'autre qu'un
moyen légal de contenir la poussée de l'opposition polynésienne. C'est en tout
cas l'analyse que je fais.
M. Jean-Jacques Hyest.
Vous avez l'esprit un peu compliqué !
M. Guy Allouche.
Vous pouvez contester cette analyse, monsieur Hyest, mais au fond de vous-même
je vous entends dire que, après tout, ce n'est pas tout à fait faux.
(Sourires.)
M. Alain Joyandet.
Ce qui est redoutable, c'est qu'il le dit avec le sourire !
M. Guy Allouche.
Bien sûr, monsieur Joyandet. Entre nous, nous parlons librement et
cordialement !
Mes chers collègues, l'outre-mer connaît une évolution institutionnelle et
politique sans précédent grâce à l'approche volontariste et pragmatique du
gouvernement de Lionel Jospin. La Polynésie française s'inscrit naturellement
dans cette évolution, son avenir a besoin d'un regard nouveau. L'autonomie
renforcée va de pair avec le respect du pluralisme et la nécessaire mise en
place de contre-pouvoirs. L'analyse montre qu'une démocratie renforcée,
harmonieuse passe par une juste et équitable représentation des populations de
chaque archipel au sein de la future assemblée polynésienne, dont les pouvoirs
seront accrus en raison des compétences transférées et de sa capacité de voter
prochainement des « lois de pays » soumises au contrôle direct du Conseil
constitutionnel.
La correction apportée par notre rapporteur, M. Lucien Lanier, qui reconnaît
explicitement que la proposition de loi de M. Flosse est insuffisante, ne
répond toujours pas aux critères établis par la jurisprudence du juge
constitutionnel, qui s'applique - est-il besoin de le rappeler ? - sur
l'ensemble du territoire de la République. L'application de ces critères
conduit à affecter à l'archipel des îles du Vent trente-six sièges et non pas
vingt-huit, soit quatorze sièges de plus par rapport à la situation actuelle,
ce qui aboutirait à une assemblée de cinquante-cinq membres pour une population
de 220 000 habitants. Ce n'est pas excessif.
Je vous rappelle, pour mémoire, que le congrès de la Nouvelle-Calédonie compte
cinquante-quatre sièges et trois circonscriptions pour une population de 196
000 habitants et que la Corse, avec son statut particulier, dispose de
cinquante-quatre sièges et une seule circonscription pour 230 000 habitants.
Monsieur le rapporteur, je vous sais gré d'avoir rappelé les résultats du
recensement de 1996. Vous mettez l'accent sur le fait que les îles du Vent,
Papeete et Tahiti, représentent 75 % de la population, comme nous l'avons
constaté.
M. Gaston Flosse.
Exactement 74 % !
M. Guy Allouche.
Je vous le concède !
La simple logique arithmétique devrait conduire à attribuer au moins les trois
quarts des sièges,...
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
En métropole, oui !
M. Guy Allouche.
... mais, pour tenir compte de cette spécificité polynésienne, ma proposition
visant à affecter trente-six sièges est en deçà de cette logique, dont
l'application tendrait à aller jusqu'à quarante-deux sièges.
Par ailleurs, je rejoins tout à fait Gaston Flosse, qui recommande de ne pas
modifier les autres archipels, lesquels représentent un quart de la population
et conserveront, avec ma proposition visant à affecter trente-six sièges, plus
d'un tiers des sièges.
Ils seront donc surreprésentés par rapport aux îles du Vent.
Dois-je vous dire, mes chers collègues, qu'une erreur matérielle m'a empêché
de déposer, dans les délais impartis par la conférence des présidents, un
amendement que j'aurais souhaité présenter pour aller jusqu'à trente-six
sièges. Aussi, je lance presque une supplique à notre collègue rapporteur, M.
Lucien Lanier, et je lui demande de reprendre cette modification à son compte,
au nom de la commission, comme il en a le pouvoir, afin que le juge
constitutionnel considère que nous avons respecté sa jurisprudence.
Notre volonté, la vôtre comme la nôtre, en la circonstance, est en effet
d'être constructifs. Ce n'est pas parce que le Sénat aura voté une proposition
de loi organique de l'un des siens - et je ne peux que m'en féliciter - que ce
texte aura automatiquement force de loi. Avant même le contrôle de droit par le
Conseil constitutionnel de cette proposition de loi organique, ma conviction
profonde est que, si le Sénat vote ce que propose notre rapporteur au nom de la
commission des lois, nos collègues députés ne nous suivront pas.
Or je souhaite qu'ils nous suivent. C'est la raison pour laquelle je vous
demande de tenir compte de cette jurisprudence et de ses critères. Si nos
collègues députés ne nous suivent pas, ce n'est pas parce que ce texte vient du
Sénat ; c'est parce qu'ils vont mettre l'accent sur le non-respect de la
jurisprudence du juge constitutionnel. Aussi, j'insiste pour que la commission
des lois, par la voix de son rapporteur, tienne compte des remarques positives
que je formule.
Le groupe socialiste, au nom duquel j'ai l'honneur de m'exprimer, n'est animé
que par un seul souci, mes chers collègues : favoriser la réussite de
l'autonomie renforcée de la Polynésie française et son avenir économique, son
avenir social, son avenir culturel, maintenir et accroître dans les meilleures
conditions cette cohésion politique dans ce pays d'outre-mer que sera la
Polynésie dans quelques semaines.
Aussi, mes chers collègues, notre vote final tiendra-t-il compte des réponses
que, peut-être, le Gouvernement apportera à ma déclaration. J'attends avec
intérêt la réponse que délivrera notre rapporteur, au nom de la commission des
lois, à l'appel de l'article unique de la proposition de loi organique, avec
l'espoir que mes remarques seront prises en considérations
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. le
rapporteur et M. Flosse applaudissent également.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
M. le président.
«
Article unique. -
L'article 1er de la loi n° 52-1175 du 21 octobre
1952 relative à la composition et à la formation de l'Assemblée de la Polynésie
française est ainsi rédigé :
«
Art. 1er. -
L'Assemblée de la Polynésie française est composée de
quarante-sept membres élus pour cinq ans et rééligibles. Elle se renouvelle
intégralement.
« La Polynésie française est divisée en cinq circonscriptions électorales. Les
sièges sont répartis conformément au tableau ci-après :
Désignation des circonscriptions et nombre de sièges :
« Iles du Vent 28
« Iles-Sous-le-Vent 8
« Iles Tuamotu et Gambier 5
« Iles Marquises 3
« Iles Australes 3
« Total 47
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
L'article unique, qui est la seule proposition que la
commission des lois soumet à la Haute Assemblée, me permet de répondre à la
fois à notre collègue M. Allouche et à M. le ministre.
Monsieur Allouche, j'ai applaudi...
M. Guy Allouche.
J'ai remarqué !
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
... votre péroraison parce qu'au fond, en vous écoutant, je
me suis aperçu que nous étions d'accord.
Nous le serions même pleinement si vous ne commettiez une profonde erreur sur
votre façon d'appréhender la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
M. Jean-Jacques Hyest.
Voilà !
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
En effet, vous extrapolez la décision du Conseil
constitutionnel, vous la précédez, vous la lui dictez presque, ce qui n'est pas
tout à fait l'usage ! De plus, vous pensez que le Conseil constitutionnel
appliquera précisément sa jurisprudence comme en métropole.
Je tiens à vous rappeler qu'il y a trois critères, non seulement les deux
premiers sur lesquels vous vous appuyez, mais également un troisième, qui est
précisément l'intérêt général. C'est ce critère que vous avez parfaitement
développé dans le début de votre discours, dans la mesure où vous avez montré
l'insularité, la dispersion des îles,...
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh oui !
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
... l'éloignement de ces archipels perdus au milieu d'une
immensité de mer, car le Pacifique n'a aucun rapport avec le lac de Genève ou
simplement le bassin du Luxembourg !
M. Jean-Jacques Hyest.
Même la Méditerranée !
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
Je pense par conséquent que vous commettez une erreur
d'appréciation de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et je vais vous
dire pourquoi.
Compte tenu de ce qui a été développé, par vous comme par moi, en parfait
accord, d'ailleurs, sur la spécificité de la Polynésie française, la seule
variable d'ajustement est la modification de la répartition des sièges entre
les cinq circonscriptions naturelles telles qu'elles existent. Lors de la
dernière réunion de la commission des lois, vous aviez dit que, peut-être, cinq
circonscriptions n'étaient pas tout à fait ce qu'il fallait, vous référant à la
Nouvelle-Calédonie, mais, aujourd'hui, vous ne les avez pas remises en
cause.
L'essentiel est de ne pas marginaliser - vous l'avez vous-même soutenu avec
force - les archipels autres que ceux des îles du Vent, c'est-à-dire les
Marquises, les Tuamotu, les Gambier et les îles Australes. Il faut donc
maintenir la cohésion de l'ensemble polynésien, et, le Conseil constitutionnel
ne pourra pas ne pas prendre en compte cette cohésion de l'ensemble polynésien
en appliquant systématiquement les deux premiers critères de la jurisprudence.
Il existe une spécificité géographique - vous l'avez encore mieux dit que moi -
qui nous a véritablement surpris, nous qui ne connaissions pas, ou qui
connaissions mal, la Polynésie quand nous nous y rendîmes.
Effectivement, je suis tout à fait conscient que le Conseil constitutionnel
sera saisi automatiquement, puisqu'il s'agit d'une proposition de loi
organique, et j'en suis heureux. En effet, cela lui permettra peut-être
d'appliquer sa jurisprudence en fonction des critères qu'il a lui-même définis,
en fonction, en tout cas, du troisième.
Enfin, s'agissant des écarts de représentation - je réponds en même temps à M.
le secrétaire d'Etat - je tiens à dire que la répartition proposée permet
pratiquement de revenir à l'écart maximal qui avait été accepté par le
Parlement en 1985 pour la Polynésie française, c'est-à-dire un rapport de 2,66
entre les îles du Vent et les îles Australes, qui est l'archipel ayant connu la
plus faible progression démographique.
Cette répartition permet également de réduire à moins de 2 l'écart de
représentation entre, d'une part, les îles du Vent et les îles Sous le Vent et,
d'autre part, les îles du Vent et les îles Tuamotu et Gambier. Or la décision
du Conseil constitutionnel concernant la Nouvelle-Calédonie a censuré un
découpage consacrant un écart de représentation supérieur à 2 entre la région
de Nouméa et chacune des trois autres régions. Nous respectons donc
parfaitement les normes implicitement définies dans cette décision du Conseil
constitutionnel.
Enfin, le Conseil constitutionnel en la matière n'exerce qu'un contrôle de
l'erreur manifeste d'appréciation et n'a jamais fixé de critères arithmétiques.
Laissons-lui donc le soin de définir - il est mieux à même que nous de le faire
- la jurisprudence qui doit être suivie.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous avez déclaré que la solution du
problème qui est, pour moi, urgent peut attendre l'examen du nouveau statut.
Mais je crains que l'adoption définitive de ce dernier ne risque d'intervenir
trop tard compte tenu de la prochaine échéance électorale fixée à mai 2001.
C'est la raison pour laquelle vous avez été soutenu par notre éminent collègue
M. Allouche, mais je demande instamment au Gouvernement, au nom de la
commission des lois, d'inscrire la proposition de loi organique à l'ordre du
jour de l'Assemblée nationale. Vous avez eu tort, monsieur Allouche, de dire
qu'en tout état de cause l'Assemblée nationale ne prendra pas en compte
l'urgence de cette affaire. Ce n'est pas à vous de dicter à l'Assemblée
nationale ce qu'elle doit faire ou de brandir une majorité absolue qui ne
répondra peut-être pas à votre voeu.
L'intérêt général veut que cette affaire soit traitée le plus rapidement
possible et que l'on n'attende pas, pour en constater les résultats, qu'il soit
trop tard pour les élections de 2001.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'article unique de la proposition de loi.
M. Guy Allouche.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Les remarques de notre excellent rapporteur m'amènent à apporter les
précisions suivantes.
Tout d'abord, je n'ai pas dit qu'il fallait toucher aux archipels autres que
les îles du Vent. J'ai même précisé qu'avec ma proposition ces archipels
continueraient à être bien représentés puisque, au regard de leur population,
leur représentation irait au-delà des critères du juge constitutionnel. De
même, monsieur le rapporteur, je n'ai jamais dit, en commission, qu'il fallait
revenir sur les cinq circonscriptions ; elles existent, on les maintient.
Je suis sénateur et j'essaie de tenir simplement ma place : je n'ai aucune
injonction à adresser au Conseil constitutionnel ni à nos collègues députés.
Je ne sais pas ce que ceux-ci décideront mais puisque c'est aujourd'hui le
ministre des relations avec le Parlement qui est au banc du Gouvernement, en
remplacement de M. Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, je suis tenté de
lui demander de faire en sorte que cette proposition de loi soit très
rapidement inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Il y a en effet
des délais à respecter, et je souhaite que nos compatriotes polynésiens soient
très vite fixés sur la façon dont ils doivent préparer les prochaines élections
territoriales, afin qu'ils puissent prendre leurs dispositions. N'oublions pas
que, le 24 janvier prochain, nous allons presque unanimement, du moins je
l'espère, engager la Polynésie dans un processus nouveau.
C'est parce que je souhaite que les choses aillent vite et que nos collègues
députés ne s'arrêtent pas trop sur les critères, que je demande la prise en
compte de ma suggestion. Si nos collègues députés refusaient, nous reviendrions
à la case départ et nous prendrions du retard.
La logique arithmétique voudrait que l'on aille jusqu'à quarante-deux sièges,
mais ce n'est pas ce que je propose. Ce que je propose, c'est qu'on s'en tienne
à un nombre acceptable par tous, à savoir trente-six sièges.
Je le répète, en l'occurrence, le souci du groupe socialiste du Sénat est de
voir tout cela aboutir rapidement, de façon que nos compatriotes polynésiens,
notamment Gaston Flosse, avec l'ensemble de l'équipe qui l'entoure sur place,
disposent enfin d'un texte pour préparer les prochaines échéances. Cependant,
je crains que l'Assemblée nationale ne refuse de nous suivre dans notre
proposition.
J'ai cru comprendre que M. le rapporteur n'était pas prêt à accéder au souhait
que j'avais formulé. Toutefois, dans la mesure où le groupe socialiste ne
saurait s'opposer à cette réactualisation du nombre de sièges, je l'indique dès
à présent pour ne pas avoir à reprendre la parole, nous nous abstiendrons sur
l'ensemble de la proposition de loi.
M. Gaston Flosse.
C'est bien !
M. Guy Allouche.
Nous nous abstiendrons, et la navette fera son travail.
M. Gaston Flosse.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Flosse.
M. Gaston Flosse.
Nous avons suivi avec beaucoup d'intérêt la démonstration de Guy Allouche,
démonstration dans laquelle notre collègue a repris les termes de la
proposition de loi de M. Vernaudon. J'espère toutefois que la démarche de M.
Allouche n'est pas la même que celle de M. Vernaudon, lequel a déclaré
publiquement que, s'il demandait la modification de la répartition des membres
de l'Assemblée de Polynésie française, c'était, pour l'opposition au sein de
l'Assemblée de la Polynésie française, le seul moyen de battre Gaston Flosse
aux prochaines élections.
L'objectif de M. Vernaudon était donc purement politicien. J'espère que mon
ami Guy Allouche ne suit pas cette même logique.
M. Guy Allouche.
Non, non, non, trois fois non !
M. Gaston Flosse.
Je vous remercie, monsieur Allouche.
Cependant, lorsqu'on examine les chiffres que propose de retenir M. Vernaudon
et ceux que vous avancez, on arrive à peu près aux mêmes conclusions.
M. Vernaudon, dans sa proposition, enlevait sept sièges aux archipels et les «
transférait » aux îles du Vent. M. Allouche, qui connaît bien la Polynésie
française et qui est un fin politique, dit qu'il serait malvenu de supprimer
des sièges au titre de la représentation des archipels, mais il veut augmenter
la représentation des îles du Vent de quatorze sièges, ce qui, en pratique,
revient au même.
Bien sûr, dans toute sa démonstration, Guy Allouche n'évoque que le critère
démographique, parlant de logique mathématique. Mais il n'y a pas que cela ! Il
y a aussi le critère géographique et, d'une manière générale, l'aspect humain
du problème. Si l'on accordait trente-six conseillers aux îles du Vent et
seulement dix-neuf aux archipels, monsieur Allouche, on écraserait les
archipels, on les ferait complètement disparaître !
Je pense que la proposition du rapporteur est celle qui tient vraiment compte
de l'intérêt général et celui des archipels, sans négliger pour autant, bien
sûr, le critère démographique. J'espère donc que mon collègue et ami Guy
Allouche interviendra auprès de ses amis de l'Assemblée nationale, où il a
sûrement beaucoup d'influence, pour que la proposition de loi organique soit
adoptée dans les termes que va sans doute approuver le Sénat dans quelques
instants. En tout cas, je remercie le groupe socialiste de son abstention,
quand bien même j'aurais préféré qu'il vote dans le même sens que nous.
M. Michel Duffour.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour.
Notre groupe ne prendra pas part au vote.
Nous estimons en effet, nous aussi, que ce débat est prématuré. Cette attitude
ne résulte pas d'une analyse des propositions faites par M. Flosse. Nous
pensons simplement qu'une décision sur une nouvelle répartition des sièges au
sein de l'Assemblée territoriale de la Polynésie française ne devrait être
prise qu'après un débat approfondi, tel celui que nous aurons sur les nouveaux
statuts du territoire.
M. le rapporteur a fait état des positions du Conseil constitutionnel et, à
n'en pas douter, il convient de prendre en compte la spécificité de la
Polynésie française. Cependant, la décision récente du Conseil constitutionnel
sur la Nouvelle-Calédonie nous a malheureusement montré qu'il lui arrivait de
prendre bien peu en compte l'environnement dans lequel s'inscrivaient des
décisions.
C'est bien pourquoi nous pensons qu'un débat approfondi sur le futur statut
aurait été le bienvenu en préalable à notre discussion d'aujourd'hui.
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier,
rapporteur.
Je souhaite simplement que ce débat, qui n'est pas prématuré,
puisse rester empreint de la totale sérénité qui sied au travail du
législateur.
Intitulé
M. le président.
La commission des lois propose de rédiger comme suit l'intitulé de la
proposition de loi organique : « Proposition de loi organique tendant à
modifier la loi n° 52-1175 du 21 octobre 1952 pour rééquilibrer la répartition
des sièges à l'Assemblée de la Polynésie française. »
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique de la proposition de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public est de
droit.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du
règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n°
16:
Nombre de votants | 304 |
Nombre de suffrages exprimés | 221 |
Majorité absolue des suffrages | 112 |
Pour l'adoption | 221 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
6
INTERDICTION DES CANDIDATURES
MULTIPLES AUX ÉLECTIONS CANTONALES
Adoption des conclusions
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 62,
1999-2000) de M. Christian Bonnet, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale sur :
- la proposition de loi (n° 465, 1997-1998) de M. Bernard Joly visant à
généraliser l'interdiction des candidatures multiples aux élections ;
- la proposition de loi (n° 482, 1997-1998) de MM. Philippe Marini, Louis
Althapé, Jean Bernard, Mme Paulette Brisepierre, MM. Robert Calmejane,
Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Charles Ceccaldi-Raynaud, Gérard César,
Désiré Debavalaere, Daniel Eckenspieller, Bernard Fournier, Alain Gérard,
François Gerbaud, Daniel Goulet, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Bernard
Hugo, Roger Husson, Edmond Lauret, Guy Lemaire, Maurice Lombard, Paul Masson,
Jacques de Menou, Mme Nelly Olin, MM. Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Victor
Reux, Roger Rigaudière, Jean-Pierre Schosteck, Martial Taugourdeau et Alain
Vasselle portant diverses dispositions relatives aux élections municipales
cantonales et législatives ;
- la proposition de loi (n° 493, 1997-1998) de M. Michel Dreyfus-Schmidt et
des membres du groupe socialiste et apparentés tendant à interdire les
candidatures multiples aux élections cantonales ;
- la proposition de loi (n° 494, 1997-1998) de M. Michel Dreyfus-Schmidt et
des membres du groupe socialiste et apparentés relative à l'élection des
députés et à l'élection des conseillers généraux ;
- la proposition de loi (n° 548, 1997-1998) de MM. Georges Gruillot, Jean
Bizet, Robert Calmejane, Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Gérard César,
Désiré Debavalaere, Jacques Delong, Christian Demuynck, Charles Descours,
Michel Doublet, Bernard Fournier, Philippe de Gaulle, Alain Gérard, François
Gerbaud, Charles Ginésy, Daniel Goulet, Bernard Hugo, Jean-Paul Hugot, Roger
Husson, André Jourdain, Jean-François Le Grand, Pierre Martin, Paul Masson,
Jacques de Menou, Mme Nelly Olin, MM. Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Roger
Rigaudière, Jean-Pierre Schosteck et Martial Taugourdeau relative aux
conditions d'éligibilité des candidats aux élections cantonales et aux
déclarations de candidatures au deuxième tour des élections cantonales et
législatives.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les propositions de loi
dont nous sommes saisis témoignent toutes de l'ingéniosité de leurs auteurs
pour offrir des solutions de nature à corriger ce qu'ils estiment être soit des
lacunes, soit des défectuosités du code électoral.
Toutes ont trait aux conditions de présentation des différents scrutins.
Hormis celle de M. Pelletier, que j'évoquerai tout à l'heure et qui est
applicable à l'un et à l'autre tour, trois concernent le premier tour et trois
le second.
J'aborderai d'abord les trois propositions qui ont trait au premier tour.
Notre excellent collègue Bernard Joly a, le premier, - rendons à César ce qui
appartient à César ! - levé le lièvre de la fâcheuse possibilité laissée à des
candidats aux élections cantonales de se présenter dans plusieurs cantons. Il
a, le 11 juin 1998, déposé une proposition tendant à mettre fin à de telles
pratiques.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Le 2 juin 1998, et non le 11 juin !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Le 2 juin, en effet.
Il ne s'en est d'ailleurs pas tenu là puisqu'il a, d'un même mouvement,
proposé d'étendre non seulement aux cantonales mais également aux municipales,
dans les communes de moins de 3 500 habitants, l'interdiction des candidatures
multiples.
Il a en même temps souhaité instituer des peines d'amende en cas d'infraction
à cette interdiction.
Il ambitionne enfin de rendre inéligibles les membres non renouvelables d'une
assemblée lors d'un renouvellement partiel ou d'une élection partielle de cette
assemblée.
Une autre proposition, ciblée, elle, sur le seul scrutin départemental, émane
de M. Dreyfus-Schmidt et des membres de son groupe.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Proposition en date du 11 juin 1998 !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
En effet !
Elle vise à étendre aux élections cantonales l'interdiction de candidatures
multiples.
Concernant également le premier tour, une troisième proposition, qui date de
juillet 1998, est le fruit des réflexions de M. Georges Gruillot et de
plusieurs de ses collègues. Outre l'objet précédemment évoqué, elle vise à
exiger d'un candidat aux élections cantonales qu'il soit domicilié ou inscrit
au rôle des contributions directes dans le canton où il se présente.
Pour ce qui est des propositions relatives au second tour, nous y retrouverons
deux des protagonistes déjà nommés, MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Georges
Gruillot, mais aussi M. Philippe Marini.
M. Michel Dreyfus-Schmidt et les membres de son groupe souhaitent que soit
instituée, s'agissant des élections tant législatives que cantonales, la
limitation à un seul tour lorsque le candidat arrivé en seconde position se
retire et que le troisième ne remplit pas les conditions de seuil voulues pour
participer au second.
M. Georges Gruillot, qui n'est pas à court d'idées, estime, quant à lui, que,
pour les élections cantonales, seuls pourraient se maintenir les deux candidats
arrivés en tête après retrait éventuel d'un candidat plus favorisé, avec
suppression du seuil de 10 % des inscrits, et que, pour les élections
législatives, la même règle serait adoptée, avec maintien toutefois du seuil de
12,5 % des inscrits.
M. Philippe Marini, enfin, porte à 15 % des inscrits le seuil de recevabilité
des candidatures au second tour pour les législatives, les cantonales et les
municipales, avec la possibilité, pour le candidat arrivé en troisième
position, de se maintenir si l'un des deux premiers se retire. Il émet aussi le
voeu que soit portée de 5 % des suffrages exprimés à 10 % des inscrits la
possibilité pour une liste de fusionner avec d'autres.
J'ai la certitude que vous m'avez tous suivi sans peine dans ce dédale.
(Sourires.)
Les trois premiers textes ont un caractère relativement technique. En
revanche, les trois autres relèvent d'une ambition plus vaste et ils
aboutiraient, s'ils étaient retenus, à ébranler, sur des points majeurs,
l'architecture même du code électoral. Aussi vous inviterai-je à les aborder de
manière différente.
Interdire aux cantonales, comme elles le sont aux législatives, les
candidatures multiples me semble, comme à nos excellents collègues Bernard
Joly, Michel Dreyfus-Schmidt et Georges Gruillot, de nature à combler une
lacune du code électoral. Je vous proposerai donc l'adoption de cette mesure,
d'autant que, si elles ne sont pas nombreuses, ces candidatures sont en
augmentation depuis l'ouverture à un financement public des élections dans les
cantons de plus de 9 000 habitants.
Pour illustrer ce propos, sachez qu'en 1998, sur 3 850 cantons renouvelables,
on a pu constater vingt-neuf fois deux candidatures, huit fois de trois à cinq
candidatures, six fois douze candidatures et une fois vingt-huit
candidatures.
Pour autant, je ne suis partisan ni d'exiger une domiciliation au canton, car
le conseiller général est l'élu d'un département, ni d'étendre cette mesure aux
communes de moins de 3 500 habitants, ne serait-ce que parce que les
candidatures n'y sont pas enregistrées, ni de rendre inéligibles les membres
non renouvelables d'une assemblée lors d'une élection partielle, ni d'étendre
aux cantonales les peines d'amende prévues aux articles L. 169 à L. 171 du code
électoral pour les législatives.
L'approche pour les textes relatifs aux conditions d'organisation du second
tour sera différente. Il est vrai qu'à la différence de celles qui concernent
le premier tour, et tout en posant quelques problèmes non négligeables, elle
aboutirait, au détour des propositions n'ayant fait l'objet d'aucune réflexion
des formations politiques ni d'aucune concertation avec le Gouvernement, dans
une matière où la sensibilité est toujours très vive, et à l'approche d'une
succession d'échéances électorales importantes, à modifier assez sensiblement
l'architecture du code électoral.
J'ajouterai que la pluralité des formules contenues dans les propositions en
cause rend délicate la possibilité de se prononcer en toute clarté sur un
ensemble cohérent.
De surcroît, si chacune de ces formules a sa vertu propre, chacune suscite
aussi quelques interrogations.
La proposition de M. Dreyfus-Schmidt d'éviter un second tour aux législatives
comme aux cantonales paraît, de prime abord, séduisante.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Le premier mouvement est le bon !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Mais est-il vraiment nécessaire de légiférer à la marge
puisque le cas visé par notre collègue n'a intéressé que 32 cantons sur 3 856
renouvelables en 1998, 1 513 cantons ayant fait l'objet d'un second tour ?
De surcroît, les conditions suivantes devraient être réunies : un seul
candidat a satisfait à la condition du seuil, celui qui est arrivé en deuxième
position ne se maintient pas et le troisième n'est pas autorisé à se maintenir
par le code électoral.
Autrement dit, le résultat des élections dépendrait moins du vote des
électeurs que de la décision d'un candidat, sans préjudice du fait qu'il
faudrait attendre le mercredi suivant le premier tour à zéro heure une au moins
- pour les élections législatives, cela nous conduirait vraisemblablement à une
heure sensiblement plus avancée de la nuit - pour prononcer l'élection, et tous
les marchandages deviendraient alors possibles.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pas du tout !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
A titre d'exemple, un candidat pourrait se maintenir, mais ne
pas faire campagne et ne pas remettre de bulletin de vote à son nom le jour du
second tour. Pour utiliser un qualificatif dont on use beaucoup aujourd'hui, il
y aurait, en quelque sorte, un candidat « fictif ».
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est déjà le cas !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
La proposition de M. Gruillot est, elle, extrêmement
ambitieuse ; elle vise essentiellement à appliquer aux élections législatives
et cantonales la formule de l'élection présidentielle : seuls pourraient se
maintenir les deux candidats arrivés en tête, éventuellement après le retrait
de candidats plus favorisés.
Il y aurait, toutefois, une petite complication, à savoir que le seuil exigé
pour les cantonales - 10 % des inscrits - serait supprimé, mais celui des
législatives - 12,5 % des inscrits - serait maintenu.
Certes, on écarterait toute triangulaire, mais il s'agirait là d'une réforme
fondamentale, qui plus est, fondée sur une expérience limitée à six scrutins
présidentiels, ce qui rend délicate toute appréciation sur ce que pourraient
être les conséquences d'une telle transposition.
Tout aussi fondamentale serait l'innovation proposée par M. Marini : elle tend
à harmoniser, en les portant à 15 % des électeurs inscrits, les seuils, tant
pour les législatives que pour les cantonales et les municipales, et à relever
de 5 % des suffrages exprimés à 10 % des inscrits le minimum requis pour une
fusion des listes dans les communes de plus de 3 500 habitants.
On observera que, sur ce point, la tendance actuelle ne va pas dans ce sens,
même s'il est permis de le déplorer. En effet, pour les élections régionales
récentes, quand le Gouvernement souhaitait 10 % des suffrages exprimés pour le
maintien de la liste, finalement, l'Assemblée nationale a fait prévaloir 5 %,
et, quand le Gouvernement souhaitait 5 % des suffrages exprimés pour une fusion
de listes en vue du second tour, l'Assemblée nationale a fait prévaloir 3 %.
En conclusion, votre rapporteur vous propose un dispositif simple, clair et
qui comble une lacune évidente du code électoral : l'extension de
l'interdiction des candidatures multiples aux cantonales, comme le proposent
MM. Joly, Dreyfus-Schmidt et Gruillot.
Je me dois d'ajouter que, saisie par MM. Mercier et Trégouët d'un
sous-amendement à un amendement sur lequel elle avait émis un avis défavorable,
la commission vient de décider de reprendre ce sous-amendement à son compte,
car elle est parfaitement consciente qu'il s'agit d'un problème qui appelle une
solution. Nous pourrons certainement évoquer de nouveau cette question lorsque
l'article 2 viendra en discussion.
En revanche, la commission ne se sent pas en mesure de se hasarder à retenir,
s'agissant du second tour, une proposition plutôt qu'une autre, car elles
soulèvent toutes une question fondamentale qui nécessite une réflexion au sein
des formations politiques et une concertation avec le Gouvernement
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union
centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, la commission des lois a examiné cinq
propositions de loi en matière électorale portant sur la présentation des
candidatures à différents scrutins.
Je souhaite vous indiquer d'emblée que le Gouvernement a apprécié le sérieux
du travail de la commission des lois et est disposé à se rallier à la position
exprimée par M. Christian Bonnet.
Les propositions de loi de MM. Dreyfus-Schmidt et Joly tendent, toutes les
deux, à mettre fin à la possibilité de présenter des candidatures multiples aux
élections cantonales.
Le code électoral interdit aujourd'hui les candidatures multiples à toutes les
élections, sauf aux élections cantonales et aux élections municipales dans les
communes de moins de 3 500 habitants. Dans les petites communes, il n'y a pas
d'interdiction possible, puisqu'il n'y a pas d'acte de candidature formel et
obligatoire. Il reste donc le cas des élections cantonales.
Il faut bien dire que, jusqu'à ces dernières années, ces différences de
traitement entre scrutins pour les dépôts de candidature n'ont pas posé de
véritable problème. Comme la simple symétrie des dispositions du code électoral
entre les différents scrutins ne justifie pas, à elle seule, de légiférer, le
Gouvernement n'aurait pas été favorable à une évolution de la législation en la
matière si des éléments nouveaux n'étaient pas intervenus dans la période
récente.
Le premier de ces éléments est le financement public des campagnes
électorales. Depuis 1990, les candidats aux élections cantonales dans les
cantons de 9 000 habitants et plus peuvent recevoir des dons, déductibles des
revenus des donateurs, et doivent rendre un compte de campagne. Depuis la loi
du 19 janvier 1995, les dépenses électorales de ces mêmes candidats font
l'objet d'un remboursement forfaitaire par l'Etat égal à 50 % du plafond prévu
par la loi.
Par ailleurs, la même loi de 1995 a supprimé l'obligation de déposer un
cautionnement lors du dépôt des candidatures aux différents scrutins, y compris
aux élections cantonales.
Cette évolution législative va dans le sens d'une grande facilité accordée aux
candidats et justifie, pour maintenir le sérieux des candidatures, l'adoption
de mesures complémentaires interdisant les candidatures multiples.
C'est d'autant plus vrai que l'on a assisté, lors des dernières élections
cantonales, à des initiatives individuelles dont le développement pourrait
avoir des conséquences fâcheuses : on a ainsi constaté des dépôts de
candidatures simultanées d'une seule personne dans tous les cantons
renouvelables d'un même département ou même des dépôts de candidature de la
même personne dans deux départements. Au total, quarante-trois personnes se
sont présentées dans plusieurs cantons en 1998 et ces candidatures ont concerné
deux cent vingt et un cantons.
Le trouble reste limité, mais les nouvelles règles de financement pourraient
encourager le développement de tels comportements, qui sont de nature à générer
la confusion.
La démocratie n'est pas la loterie : il ne suffit pas de jouer un grand nombre
de fois pour augmenter ses chances. Mais le fait que certains candidats
adoptent ce comportement est de nature à brouiller les enjeux de l'élection et
à troubler les électeurs.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est favorable à l'interdiction des
candidatures multiples aux élections cantonales comme aux autres élections.
Au point de vue technique, le dispositif proposé par la commission des lois me
paraît très satisfaisant. Les candidatures multiples seront, comme pour les
autres élections, détectées lors de l'enregistrement des candidatures à la
préfecture. Les préfets refuseront l'enregistrement de la candidature d'une
personne qui s'est déjà présentée dans un autre canton. Les traitements
informatiques des candidatures permettront d'informer les préfets en cas de
dépôt d'une même candidature dans plusieurs départements, comme cela est d'ores
et déjà le cas pour les élections législatives.
C'est donc, en définitive, une amélioration qui est apportée au code électoral
par le texte en discussion.
S'agissant de l'article 2, qui évoque une difficulté réelle à l'occasion de
certaines fusions de cantons, je m'exprimerai tout à l'heure, lors de
l'examen des articles.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dirai
tout d'abord quelques mots sur la procédure.
Lorsqu'un sénateur dépose une proposition de loi grâce à la « niche
parlementaire » créée par la réforme constitutionnelle, il peut espérer que le
Sénat sera appelé à se prononcer sur ce texte, même, d'ailleurs, s'il
appartient à la minorité. Le bureau du Sénat a, en effet, considéré qu'il était
normal que, de temps à autre, une proposition de loi présentée par des
sénateurs minoritaires puisse venir en discussion dans le cadre de cette «
niche » parlementaire », comme nous l'appelons.
En vérité, la commission des lois nous fait aujourd'hui, qu'on me passe le
mauvais jeu de mots, une « niche », car le Sénat va se prononcer non pas sur
les propositions de loi que nous sommes plusieurs à avoir présentées, mais sur
les conclusions de la commission des lois.
M. le président.
C'est le règlement !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Effectivement ! Je souligne, précisément, cette anomalie du règlement : le
Sénat se trouve ainsi privé de la possibilité de se prononcer sur les
propositions de loi qui ont été retenues pour figurer à l'ordre du jour. Il est
vrai que cela fait bien longtemps ; certains disent qu'elles viennent en
discussion un peu tard et qu'il va y avoir beaucoup d'élections. Je précise
que, lorsque l'on a parlé de la proposition de loi du 2 juin, celle de Bernard
Joly, et de la proposition du 11 juin, celle du groupe socialiste - dont je
suis le premier signataire - on a omis de dire qu'il s'agissait du mois de juin
1998 !
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Et juillet 1998 pour M. Gruillot. C'est comme la grippe, une
véritable contagion !
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Bien sûr, car c'était immédiatement après des élections cantonales qui avaient
attiré notre attention ; je vais y revenir dans un instant.
Reste que, en l'état actuel des choses, je me sens frustré, car je n'ai même
pas à essayer de convaincre le Sénat du bien-fondé de l'une des deux
propositions de loi dont je suis le premier signataire, puisque le Sénat, en
tout état de cause, n'aura pas à se prononcer sur elles.
Monsieur le président, je pense qu'une modification du règlement serait à cet
égard la bienvenue car, autrement, il y a un déséquilibre par rapport à la
situation qui prévaut à l'Assemblée nationale.
M. le président.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, il vous est toujours possible de déposer une
proposition de résolution en ce sens, créant une chapelle dans la niche !
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, je vous remercie, mais vous le voyez, j'ai déjà
tellement de mal à obtenir qu'une de mes propositions vienne en discussion que
je préférerais que ce soit le bureau qui se saisisse de cette question. C'est
d'ailleurs pourquoi j'attire particulièrement votre attention, monsieur le
président, sur cette anomalie.
Je me contenterai donc d'explications sur les deux propositions de loi n°s 493
et 494.
En ce qui concerne la première, effectivement, lors des élections cantonales,
notamment en Haute-Saône, on a vu un même candidat se présenter à la fois à
Belfort-Nord et à Lure-Nord. J'ai trouvé cela anormal et cela m'a amené à
déposer une proposition de loi toute simple prévoyant, puisque, en général, les
candidatures multiples sont interdites, de les interdire en la matière.
M. le rapporteur nous disait que les cas de ce genre étaient peu nombreux,
mais, nous venons de le voir, il y en a de plus en plus et, de toute façon, n'y
aurait-il qu'un cas que cela demeurerait choquant.
J'avais pensé que la même idée était venue à notre collègue M. Joly pour la
même raison. En fait, un autre candidat s'était présenté dans deux cantons de
la Haute-Saône.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Deux fois deux !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Donc, notre attention avait été attirée par les mêmes élections.
Mes chers collègues, nous l'avons échappé belle. Il était temps qu'un vote
intervienne. On ne voit pas pourquoi, en effet, tel leader de tel ou tel
mouvement n'irait pas déposer sa candidature dans tous les coins de France !
Il faut rappeler tout de même que, si les candidatures multiples ont été
interdites aux législatives dès le siècle dernier, c'était contre le général
Boulanger, qui, précisément, usait de cette possibilité pour les législatives.
On l'a donc échappé belle !
Quoi qu'il en soit, il n'est jamais trop tard pour bien faire et je suis
heureux de constater que la commission et le Gouvernement sont d'accord sur ce
point.
Permettez-moi également deux mots d'explication sur la seconde proposition de
loi, qui ne sera pas soumise au vote du Sénat, mais qui résultait, elle aussi,
d'une observation de bon sens. Lorsqu'on lit dans la presse les comptes rendus
d'élection pour constater que M. Untel est élu avec 100 % des voix et
d'ailleurs, généralement, avec un nombre de suffrages très maigre par rapport à
celui des électeurs inscrits, on se dit que c'est ridicule. Et c'est ridicule,
d'une part, parce que cela coûte cher, - outre les frais de campagne, on
mobilise beaucoup de monde, non seulement les élus pour les bureaux de vote,
mais aussi les personnels pour organiser ces bureaux de vote, et tout cela pour
rien, puisque l'on est sûr que le seul candidat sera élu - d'autre part, parce
que ceux qui tiennent à faire leur devoir électoral doivent se déplacer et
peuvent en être gênés.
Bref, la solution la plus simple n'était pas, à mon avis, de changer les
règles ni de dire que le troisième pourrait se présenter si le deuxième ne se
présentait pas ou de modifier les taux, non, il s'agissait simplement de
considérer que, dès lors qu'il n'y a plus qu'un seul candidat, il n'y a pas de
raison de ne pas le déclarer élu d'autant que, bien souvent, il le sera
finalement avec plus de voix au premier tour qu'il n'en aurait obtenu au
second...
Que m'oppose-t-on à cela ? Je regrette de ne pas avoir eu l'occasion d'en
discuter plus longtemps avec vous, monsieur le rapporteur, mais vous me
répondez que cela n'empêcherait pas, dans certains cas, le candidat arrivé en
seconde position de déposer sa candidature, mais sans faire campagne. Ce serait
vraiment marginal. Rien n'empêche, aujourd'hui, que cela se produise !
Or, dans les trente-deux cas concernant les cantonales de 1998 et dans les
douze cas concernant les législatives de 1997 que vous citez dans votre
rapport, y en a-t-il un seul comme celui-là ? Je ne crois pas. Or c'était
d'ores et déjà possible.
Vous avez parlé de manoeuvre. Je ne vois pas de quelle manoeuvre il s'agit. Si
quelqu'un veut déposer sa candidature et ne pas la soutenir, tant pis ! Il sera
candidat tout de même, et il y aura peut-être des électeurs pour voter pour
lui. Mais les cas les plus fréquents, ceux qui sont choquants, ce sont ceux où
il n'y a plus qu'un seul candidat pour faire campagne !
La solution que nous proposions nous paraissait aussi simple que l'oeuf de
Colomb. La commission ne l'a pas considérée, le Sénat ne peut pas en délibérer
aujourd'hui, mais, faites-moi confiance, il aura à le faire !
(Sourires.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - Après le troisième alinéa de l'article L. 210-1 du code
électoral, il est inséré deux nouveaux alinéas ainsi rédigés :
« Nul ne peut être candidat dans plus d'un canton.
« Si le candidat fait, contrairement aux prescriptions de l'alinéa précédent,
acte de candidature dans plusieurs cantons, sa candidature n'est pas
enregistrée. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article additionnel après l'article 1er
M. le président.
Par amendement n° 1, M. de Broissia propose d'insérer, après l'article 1er, un
article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article L. 191 du code électoral est ainsi rédigé :
«
Art. L. 191.
- Chaque canton du département élit un membre du conseil
général ainsi qu'un suppléant appelé à le remplacer en cas de décès ou de
nomination à des fonctions incompatibles. »
« II. - Après le premier alinéa de l'article L. 210-1 du code électoral, il
est inséré trois alinéas ainsi rédigés :
« Cette déclaration doit également indiquer les nom, prénoms, date et lieu de
naissance, domicile et profession de la personne appelée à remplacer le
candidat élu en cas de vacance de siège. Elle doit être accompagnée de
l'acceptation écrite du remplaçant ; celui-ci doit remplir les conditions
d'éligibilité exigées des candidats.
« Nul ne peut figurer en qualité de remplaçant sur plusieurs déclarations de
candidatures.
« Nul ne peut être à la fois candidat et remplaçant de candidat. »
« III. - Au premier alinéa de l'article L. 221 du code électoral, le mot
"décès", est supprimé.
« IV. - Dans le même alinéa, les mots : ", L. 209 et L. 210" sont remplacés
par les mots : "et L. 209". »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 2, présenté par MM. Michel
Mercier et Trégouët, et tendant à compléter le texte présenté par le I de
l'amendement n° 1 pour l'article L. 191 du code électoral par deux alinéas
ainsi rédigés :
« Lorsqu'un nouveau canton est créé par la fusion de deux cantons et que les
anciens cantons n'appartiennent pas à la même série de renouvellement,
nonobstant ce fait il est procédé à une élection ouverte à tous les candidats
afin de pourvoir le siège du nouveau canton.
« Le conseiller général de l'ancien canton non renouvelable, s'il n'est pas
élu au siège du nouveau canton, achève son mandat jusqu'à son terme légal. »
La parole est à M. de Broissia, pour présenter l'amendement n° 1.
M. Louis de Broissia.
Je n'aurai sans doute pas le talent oratoire de notre collègue M. Michel
Dreyfus-Schmidt pour défendre les procédures qui ne permettent pas aux
parlementaires de profiter des niches que la réforme voulue par M. Séguin puis
adoptée par le Congrès nous a permis d'ouvrir. En tout état de cause, moi, en
tant que sénateur, je m'installe dans la « niche » que m'offre aujourd'hui la
discussion d'une proposition de loi relative à la réforme du mode électoral des
conseillers généraux et j'en profite, je ne le cache pas, pour « ressortir »
une proposition, que j'avais déposée il y a fort longtemps - il y a dix ou onze
ans - sur le bureau d'une autre assemblée. Tout le monde me disait à l'époque,
et tout le monde me dit depuis qu'elle était excellente. Mais il n'y avait
toujours pas de « niche » ! La niche étant aujourd'hui ouverte, je m'y installe
allègrement pour convaincre mes collègues de l'intérêt de cette proposition,
même si la commission a pu, pour des raisons que je comprends fort bien,
considérer qu'elle ne s'inscrivait pas dans la logique de la discussion
d'aujourd'hui.
M. le rapporteur l'a dit, il y a des lacunes et des imperfections dans le code
électoral. L'une d'elles est de taille : en dehors du Président de la
République, un seul élu dans la République, un seul, le conseiller général, ne
bénéficie ni d'un remplaçant ni d'un suppléant. Pour le Président de la
République, c'est par référendum que le peuple français a tranché : il n'a pas
de suppléant et il n'y a pas de vice-président de la République. En cas de
décès, l'intérim est assuré par le président du Sénat.
Le maire, dans un conseil municipal, a des adjoints et, lorsqu'il est empêché,
on sait bien, dans nos communes, lui trouver un successeur.
De même, le conseiller régional a un remplaçant automatique, puisque c'est le
suivant de liste. Le député a un suppléant élu, le sénateur aussi ; j'ai eu le
bonheur d'être élu sénateur voilà un an et j'ai une suppléante qui a été élue
au titre d'un « ticket ». Enfin, le député européen a un remplaçant
automatique.
Seul donc le conseiller général - je ne le compare pas au Président de la
République - n'a aucun suppléant désigné.
Je pense qu'il est temps de corriger cette bizarrerie de notre code électoral.
J'ai donc suggéré que, à l'occasion des renouvellements, chaque conseiller
général puisse faire équipe avec un suppléant, de telle sorte que la continuité
soit assurée : si un conseiller général décède, il est alors automatiquement
remplacé.
Le mandat de conseiller général est important et on a pu constater, dans de
nombreux conseils généraux, les difficultés auxquelles donne lieu la situation
législative actuelle. Au moment où l'on veut renouveler la démocratie locale -
et je crois profondément au statut du conseiller général élu par une population
et par un territoire qui se reconnaissent en lui - il est temps de modifier le
code électoral.
Je ne sais pas si le Sénat retiendra cette proposition. Elle me semble
cependant s'inscrire tout à fait dans la logique de cette niche parlementaire.
Je suis donc tout à fait déterminé à faire en sorte que, à cette occasion ou à
une autre à venir, cette anomalie extrêmement ancienne soit corrigée.
M. le président.
La parole est à M. Michel Mercier, pour présenter le sous-amendement n° 2.
M. Michel Mercier.
M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur ayant bien voulu
reprendre à leur compte, dans l'article 2, ce sous-amendement, je n'ai plus
qu'à le retirer, me réservant de parler sur l'article 2.
M. le président.
Le sous-amendement n° 2 est retiré.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 1 ?
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Je n'aurai pas l'hypocrisie de dire à notre excellent
collègue M. Louis de Broissia, comme tous ceux qui lui ont fait cet honneur par
le passé, combien sa proposition est intéressante. C'est que la commission des
lois est d'un avis quelque peu différent.
Nous vivons en effet sous la « dictature » des instituts de sondage et il
n'est pas mauvais que, de temps à autre, il y ait un coup de sonde grandeur
réelle !
Au demeurant, on nous raconte parfois que les taux de participation pour les
élections cantonales partielles sont faibles, ce qui est très exact dans les
cantons urbains. Il en va tout autrement dans les cantons ruraux et je ne
voudrais pas omettre quelques pourcentages de nature à vous éclairer sur
l'intérêt que les électeurs portent encore à des élections partielles.
Les élections cantonales partielles qui se sont déroulées entre octobre 1998
et octobre 1999 ont permis de constater des taux de participation élevés, avec
82,8 % à Montredon-Labessonnié, dans le Tarn, 81,6 % à Noroy-le-Bourg, en
Haute-Saône, 72,6 % à Lunas, dans l'Hérault, 68,2 % au Russey, dans le Doubs,
67,4 % à Nesle, dans la Somme, 66,5 % à Génolhac, dans le Gard et, il y a dix
jours, à Sainte-Geneviève-sur-Argence, dans l'Aveyron, 75,6 % au second
tour.
La commission des lois estime qu'il est intéressant de pouvoir disposer d'un
sondage d'opinion en grandeur réelle tout au long d'une année, à l'occasion
d'élections cantonales partielles. L'avis de la commission est donc
défavorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
L'institution de suppléants a
été prévue pour les députés et les sénateurs notamment en raison de
l'incompatibilité édictée par l'article 23 de la Constitution entre les
fonctions de membre du Gouvernement et l'exercice d'un mandat parlementaire. Or
aucune disposition homologue n'empêche un conseiller général de cumuler son
mandat avec des fonctions au sein de l'exécutif du département.
Par ailleurs, la création d'un suppléant du conseiller général n'irait pas
sans inconvénients. Outre qu'elle est étrangère à une tradition républicaine
plus que séculaire, ce qui, pour moi, n'est pas déterminant en raison de la
volonté de réforme de ce gouvernement, elle ne manquerait pas de porter
atteinte au lien personnel très fort qui existe, en particulier dans les
cantons ruraux, entre les électeurs et le conseiller général qu'ils ont
désigné.
La réforme proposée n'aurait pas toutes les vertus que lui prête l'auteur de
l'amendement en termes d'économies d'élections partielles, car le nombre de
celles-ci ayant lieu pour cause de décès représente sensiblement moins de la
moitié des élections cantonales partielles. En effet, les vacances provoquées
par des démissions consécutives à une option en cas de cumul prohibé des
mandats ne doivent pas permettre au suppléant de succéder au titulaire du
mandat, contrairement à ce que prévoit l'amendement. Un tel système permettrait
en effet à une personnalité connue de se faire élire dans le seul but de mettre
en place un « homme - ou une femme - de paille », sans audience réelle, en
contournant la législation limitant le cumul des mandats, ce qui constituerait
une tromperie à l'égard des électeurs.
Telles sont quelques-unes des raisons pour lesquelles le Gouvernement émet un
avis défavorable sur cet amendement.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Comme vient de le dire M. le ministre, l'institution de suppléants a
effectivement été prévue pour les députés et les sénateurs notamment en raison
de l'incompatibilité édictée par l'article 23 de la Constitution entre les
fonctions de membre du Gouvernement et l'exercice d'un mandat parlementaire.
En vérité, on pourrait s'interroger sur l'objet de cette incompatibilité.
C'est bien évidemment pour que l'exécutif supérieur puisse tenir ses ministres,
puisque quand on n'est plus ministre, on n'est plus non plus député ou
sénateur. Si M. de Broissia nous proposait une réforme constitutionnelle
tendant à supprimer les suppléants pour les parlementaires, je le suivrais. En
revanche, je ne puis accepter la création de suppléants pour les conseillers
généraux. Aussi, je voterai contre l'amendement.
M. Louis de Broissia.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. de Broissia.
M. Louis de Broissia.
Je ne suis absolument pas convaincu par la démonstration de M. le ministre. En
revanche, je suis beaucoup plus intéressé par l'argumentation de la
commission.
La démonstration du Gouvernement est d'une grande faiblesse. En effet, si l'on
invoque, comme l'a fait M. le ministre, une tradition multiséculaire, alors il
ne faut rien changer. Dans ces conditions, quel est le rôle du législateur ? En
l'occurrence, nous sommes réunis pour corriger - je reprends les propos de M.
le rapporteur - les lacunes et les défectuosités du code électoral. Aussi, ce
premier argument du Gouvernement ne doit pas être retenu.
Par ailleurs, et cela m'a choqué, je ne vous le cache pas, monsieur le
ministre, vous avez parlé d'homme ou de femme de paille. Cela n'est pas
correct.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est pour les cantons ruraux !
(Sourires.)
M. Louis de Broissia.
Ainsi, chaque fois qu'une personne a un suppléant, ce serait un homme ou une
femme de paille. Cela me gêne quelque peu. Je veux bien croire qu'un tel abus
de langage est dû à la discussion parlementaire et je vous pardonne. Votre
propos dénature l'esprit même de ma proposition.
Compte tenu de ma longue expérience de député, je puis vous dire que le lien
entre le député et ses électeurs dans une circonscription limitée n'est pas
affaibli par l'existence d'un suppléant. En mathématiques, c'est ce que l'on
appelle une démonstration par l'absurde. Aussi, je ne peux l'admettre.
Comme je l'ai déjà dit, je suis beaucoup plus intéressé par l'argumentation de
la commission. En effet, force est de reconnaître que les élections cantonales
partielles sont un baromètre de la démocratie locale. Toutefois, monsieur le
rapporteur, permettez-moi de vous le dire, vous vous êtes contredit vous-même.
En effet, vous avez affirmé qu'il faut se méfier des sondages mais vous avez
ajouté que les élections cantonales partielles sont des sondages. Or,
convenons-en, il s'agit de sondages très aléatoires puisqu'ils tiennent à la
mortalité des conseillers généraux.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela peut arriver !
M. Louis de Broissia.
Certes.
Selon moi, ce dispositif correspond à une anomalie de la démocratie. C'est
dans cet esprit que j'ai déposé cet amendement. Il ne s'agit pas de désigner un
homme de paille.
Monsieur le ministre, actuellement a lieu le congrès de l'Association des
maires de France. On va chercher des candidats pour les prochaines élections.
Dans des cantons ruraux il faudra préparer des candidats longtemps à l'avance,
car ils devront effectivement assumer leurs responsabilités. Je suis persuadé
qu'être suppléant est une bonne préparation pour exercer ces responsabilités,
comme être adjoint est une excellente préparation à la fonction de maire, et
j'en sais quelque chose.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il faut un suppléant pour le maire !
(M. Gérard Larcher remplace M. Paul Girod au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président
M. Alain Joyandet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet.
Je ne sais pas si notre collègue M. Louis de Broissia maintiendra son
amendement, mais la discussion à laquelle ce dernier a donné lieu est
intéressante. Cependant, nous sommes quelque peu gênés, malgré l'avis de la
commission et celui que le ministre a émis. En effet, je ne suis absolument pas
convaincu par les arguments que j'ai entendus.
Monsieur le rapporteur, tout à l'heure, vous nous avez fait l'honneur de citer
le département de la Haute-Saône, que M. Joly, le premier cosignataire de la
proposition de loi, et moi-même représentons dans cette enceinte. Dans ce
département, le conseil général comprend seize élus de la majorité et seize
élus de l'opposition. L'élection partielle à laquelle vous avez fait allusion
tout à l'heure était due non pas à un décès mais à une invalidation. Compte
tenu de la date à laquelle est intervenue celle-ci, le conseil général de notre
département a été présidé pendant plusieurs mois par un président d'âge. Ce
dernier a assuré l'exécutif de ce département alors qu'il était politiquement
minoritaire. Voilà la situation absurde dans laquelle nous nous sommes
trouvés.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Comment peut-on être minoritaire avec seize élus de la majorité et seize élus
de l'opposition ?
M. Alain Joyandet.
Seize moins un puisque l'invalidé appartenait à sa tendance.
Pendant les trois mois qui se sont écoulés jusqu'à l'élection du nouveau
conseiller général, nous avons eu un président qui a assuré l'exécutif, qui a
pris quotidiennement des décisions alors qu'il était politiquement
minoritaire.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Cela vaut mieux que d'en signer depuis sa prison !
M. Alain Joyandet.
En tout cas, il s'agit d'un véritable problème. C'est pourquoi l'instauration
de suppléants me semble une bonne idée. On y avait d'ailleurs déjà pensé depuis
un certain temps.
Vous avez parlé d'homme de paille, monsieur le ministre. Or, qu'avons-nous
constaté ces derniers temps ? Certaines têtes de liste, dans des grandes
villes, n'ont pas été maires dans les heures qui ont suivi l'élection. De même,
toutes les têtes de liste des dernières élections européennes ne siègent pas au
Parlement européen. Un certain nombre y siègent, d'autres y ont renoncé ou ne
s'y rendent jamais. Dans un certain nombre d'élections à la proportionnelle,
les têtes de liste - et c'est un véritable problème - ne siègent pas. Ces deux
arguments ne sont absolument pas convaincants.
Monsieur de Broissia, si vous retiriez votre amendement, cela nous arrangerait
beaucoup. En effet, il est difficile de voter contre cet amendement et contre
la commission. Je le répète : le problème que vous avez soulevé a conduit à une
discussion très intéressante.
M. Philippe Adnot.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot.
Je suivrai la commission. En effet, ce sujet n'a jamais posé de problème.
Lorsque quelque chose ne pose pas de problème, il ne faut pas y toucher !
M. le président.
Monsieur de Broissia, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?
M. Louis de Broissia.
Non, monsieur le président, je le retire.
M. le président.
L'amendement n° 1 est retiré.
Article 2
M. le président.
« Art. 2. - L'article L. 192 est complété par deux nouveaux alinéas ainsi
rédigés :
« Lorsqu'un nouveau canton est créé par la fusion de deux cantons et que les
anciens cantons n'appartiennent pas à la même série de renouvellement,
nonobstant ce fait il est procédé à une élection ouverte à tous les candidats
afin de pourvoir le siège du nouveau canton.
« Le conseiller général de l'ancien canton non renouvelable, s'il n'est pas
élu au siège du nouveau canton, achève son mandat jusqu'à son terme légal. »
Sur l'article, la parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier.
Je voudrais tout d'abord remercier la commission et M. le rapporteur d'avoir
repris le sous-amendement que M. Trégouët et moi-même avions déposé. Ils
permettront, je l'espère, à ce texte d'arriver à la vie juridique.
Le problème auquel nous souhaitons apporter une solution est complexe. Avec
votre permission, monsieur le président, je le présenterai en quelques mots au
Sénat.
Actuellement lorsque le Gouvernement, en se fondant sur les dispositions de
l'ordonnance de 1945, procède à un remodelage de la carte cantonale en créant
un nouveau canton par l'absorption de deux cantons n'appartenant pas à la même
série de renouvellement électoral, les règles relatives à la désignation de
l'élu du nouveau canton ont été, en l'absence de dispositions législatives
expresses, dégagées par la jurisprudence.
Les juridictions, tenues par la durée du mandat du conseiller général qui
n'appartient pas à la série renouvelable, ont été amenées à décider que le
conseiller général de l'ancien canton dont le mandat n'est pas achevé devient
l'élu du nouveau canton sans qu'il soit procédé à une élection et alors que
l'on repousse l'élection qui est prévue dans le canton renouvelable.
Le conseiller général sortant de l'ancien canton renouvelable ne peut pas
tenter sa chance auprès de ses électeurs ; il n'a même pas la faculté de se
présenter aux élections du nouveau canton trois ans plus tard. C'est ce qui
ressort des dispositions d'un arrêt de section du Conseil d'Etat, commune
d'Allos.
La situation ainsi créée n'est pas satisfaisante. D'un côté, il existe un vide
législatif ; de l'autre, le Conseil d'Etat essaie de pallier ce vide en
établissant des règles qui se rattachent à la législation en vigueur concernant
la durée du mandat d'un conseiller général.
Le texte qu'a bien voulu reprendre la commission est clair : lorsque la
création d'un nouveau canton répond à l'évolution démographique par
l'absorption de deux cantons qui n'appartiennent pas à la même série de
renouvellement des conseils généraux, il est procédé à une élection ouverte à
tous les candidats afin de pourvoir le siège du nouveau canton. On laisse aux
électeurs le choix de l'élu. On ne fait pas choisir ce conseiller général par
le préfet. Sont bien entendu conservés les droits du conseiller général de
l'ancien canton puisqu'il est prévu que le conseiller général de l'ancien
canton non renouvelable, s'il n'est pas élu au siège du nouveau canton, achève
son mandat jusqu'à son terme légal.
La situation que j'expose est un peu complexe. Elle ne se produit pas très
souvent, mais elle peut se produire. Il est bon, je crois, de profiter de
l'examen du présent texte pour apporter une solution démocratique à un problème
qui se pose de façon pratique.
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
En effet, monsieur le sénateur,
les fusions de cantons posent une difficulté réelle lorsque la date de
renouvellement n'est pas la même pour les cantons concernés.
Le Gouvernement partage votre souci de définir des règles propres à faire de
l'électeur le seul arbitre. Il va donc étudier dès à présent, à partir des
textes et de la jurisprudence du Conseil d'Etat, la possibilité de résoudre
cette difficulté en maintenant la durée du mandat de conseiller général élu
jusqu'à son terme.
Cette adaptation est nécessaire. Vous le comprenez, elle exige un travail qui
ne peut être mené à bien lors de la présente séance. Mais le Gouvernement
devrait être en mesure de proposer un dispositif convenable, que nous mettons à
l'étude, je le répète, dès aujourd'hui.
Pour l'heure, il s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Il s'agit d'une solution démocratique, qui est proposée pour
tenter de résoudre un problème d'une complexité diabolique, qui se pose
rarement mais qui risque de se poser véritablement dans le département du
Rhône.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
M. le président.
« Art. 3. - La présente loi est applicable à Mayotte. » -
(Adopté.)
Intitulé
M. le président.
La commission propose de rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de
loi : « Proposition de loi interdisant les candidatures multiples aux élections
cantonales ».
Il n'y a pas d'opposition ?...
L'intitulé est ainsi rédigé.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président.
Je constate que ce texte a été adopté à l'unanimité.
7
INSCRIPTION D'UN MAJEUR EN TUTELLE
SUR UNE LISTE ÉLECTORALE
Adoption des conclusions
de deux rapports d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 63,
1999-2000) de M. Christian Bonnet, fait au nom de la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale sur la proposition de loi (n° 185, 1998-1999) de M.
Jacques Pelletier, permettant au juge des tutelles d'autoriser un majeur sous
tutelle à être inscrit sur une liste électorale, et des conclusions du rapport
(n° 67, 1999-2000) de M. Christian Bonnet, fait au nom de la commission des
lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale sur la proposition de loi organique (n° 186,
1998-1999) de M. Jacques Pelletier relative à l'inéligibilité des majeurs sous
tutelle.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme je l'ai indiqué
précisément dans mon rapport écrit, la proposition de notre excellent collègue
M. Jacques Pelletier ne vise spécifiquement ni le premier tour ni le second
tour. Il est apparu à notre collègue qu'à l'interdiction faite au majeur en
tutelle de voter « manque une nuance eu égard à certaines situations
individuelles ».
Sans nul doute son expérience de médiateur de la République est-elle à
l'origine des présentes propositions de loi organique et ordinaire permettant,
dans certains cas, au juge des tutelles d'autoriser un majeur sous tutelle à
être inscrit sur une liste électorale sans pour autant le rendre éligible.
L'article 501 du code civil permet au juge, lors de l'ouverture d'une tutelle
ou postérieurement sur l'avis du médecin traitant, d'énumérer certains actes
que la personne en tutelle aura la capacité de faire, soit elle-même, soit avec
l'assistance du tuteur ou de la personne qui en tient lieu.
Cette possibilité de personnaliser la tutelle est fondée sur le fait que les
troubles ou les handicaps qui affectent les majeurs protégés n'exclut pas
nécessairement qu'ils puissent agir avec discernement dans certains
domaines.
Sans doute n'est-il pas inutile de préciser qu'il n'est pas fréquemment fait
application de la formule de la tutelle allégée, prévue par l'article 501 du
code civil.
Quoi qu'il en soit, la proposition de loi de notre collègue Jacques Pelletier
ne fait que reprendre la recommandation qu'il avait déjà faite en tant que
médiateur de la République, laquelle avait reçu, il n'est pas inutile de le
souligner, un avis favorable de principe du ministère de la justice.
Dans le même temps, c'est-à-dire en 1993, le Sénat avait adopté une
proposition de loi de notre collègue Claude Huriet qui s'inscrivait dans le
droit-fil de la préoccupation de la médiature.
Si notre collègue Jacques Pelletier la reprend, c'est parce qu'à l'époque
l'Assemblée nationale n'avait pas cru devoir lui réserver une suite favorable,
alors qu'il est aujourd'hui permis d'espérer qu'il en ira autrement.
La situation des personnes sous tutelle est en effet marquée aujourd'hui par
la contradiction existant entre la rigidité de l'article L. 5 du code électoral
et la souplesse de l'article 501 du code civil, qui ouvre la possibilité d'une
protection personnalisée.
La situation devient quasiment ubuesque, monsieur le ministre, à partir du
moment où l'on mêle à l'affaire le code de la santé publique et le code
rural.
L'article 326-3 du code de la santé publique emporte qu'une personne atteinte
de troubles mentaux et hospitalisée sans son consentement conserve la
possibilité d'exercer son droit de vote si elle n'est pas placée en tutelle.
Quant à l'article L. 223-19, troisième alinéa, du code rural, il prévoit
qu'une personne en tutelle peut être autorisée par le juge à recevoir - dans la
Nièvre ou ailleurs - un permis de chasse. Or chacun conviendra qu'il est moins
périlleux pour la collectivité d'autoriser une personne protégée à tenir entre
ses mains un bulletin de vote plutôt qu'un fusil !
Face à une telle situation, la proposition de notre collègue Jacques Pelletier
apparaît bienvenue, étant précisé qu'à la différence de ce qui est prévu par
l'article 501 du code civil la citoyenne ou le citoyen sous tutelle autorisé
par le juge à déposer un bulletin dans l'urne devra le faire bien évidemment
seul, sans « l'assistance du tuteur ou de la personne qui en tient lieu ».
Par ailleurs, l'inéligibilité des personnes concernées serait expressément
mentionnée, alors qu'elle résulte aujourd'hui automatiquement du fait qu'elles
ne peuvent s'inscrire sur une liste électorale.
Cette brève analyse achevée, une observation s'impose : à force d'accumuler
les textes dans un code et dans un autre sans s'assurer d'un minimum de
coordination, l'inflation législative donne naissance à des situations
aberrantes, comme celle à laquelle il vous est proposé, grâce à notre collègue
Jacques Pelletier, de mettre un terme aujourd'hui.
La proposition de loi ordinaire se doit, en la matière, d'être assortie d'une
proposition de loi organique. Celle-ci vise à inscrire dans l'article L.O. 130
du code électoral l'inéligibilité du majeur en tutelle pour l'élection des
parlementaires nationaux et européens.
Elle vise tout autant - dût-on en sourire, mais il est bon de prendre toutes
les précautions - l'inéligibilité de ces majeurs en tutelle pour l'élection du
Président de la République.
Il va de soi que votre rapporteur vous propose d'adopter les deux articles
consacrant cette inéligibilité sans y apporter quelque modification que ce
soit.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, l'article L. 2 du code électoral prévoit que
seuls sont électeurs les citoyens français jouissant de leurs droits civils et
politiques et n'étant dans aucun des cas d'incapacité prévus par la loi.
Le principe de l'incapacité des majeurs sous tutelle en matière de droit de
vote et d'éligibilité est sous-tendu par un triple objectif : protéger ces
personnes contre toute forme d'influence, garantir un vote personnel et secret,
n'élire que des personnes physiquement et psychologiquement capables d'assumer
leur mandat. Il s'agit, en réalité, de s'assurer de la sincérité du scrutin,
tant dans son déroulement que dans ses conséquences.
Ainsi, l'article L. 5 du code électoral interdit l'inscription sur les listes
électorales des majeurs en tutelle.
Le régime général qui s'applique au majeur sous tutelle connaît cependant des
assouplissements. Un majeur sous tutelle est une personne qui a besoin d'être
représentée d'une manière continue dans les actes de la vie civile, selon
l'article 492 du code civil. Il ne peut donc agir seul ni exprimer par lui-même
sa volonté.
Pour autant, l'article 501 du même code prévoit un dispositif de tutelle
allégée : sur avis du médecin traitant et avec l'appui constant du ministère
public à chaque étape de la procédure, le juge peut, à tout moment, énumérer
certains actes que la personne en tutelle aura la capacité de faire elle-même,
seule ou assistée.
La présente proposition de loi prévoit d'assouplir les dispositions du code
électoral applicables à ces personnes sous tutelle et relatives aux règles de
droit civil de la tutelle.
Elle s'inscrit dans une réflexion déjà ancienne, suggérée dès 1994 par le
sénateur Pelletier, alors médiateur de la République. Votée par le Sénat et
rejetée par l'Assemblée nationale compte tenu de l'incertitude pesant sur la
possibilité pour un majeur sous tutelle d'exercer en toute connaissance de
cause ses droits de citoyen, cette proposition de loi est de nouveau à l'ordre
du jour.
Aujourd'hui fondées sur l'article 501 du code civil pour ce qui concerne le
droit de vote - lequel prévoit une loi ordinaire et une loi organique destinées
à garantir le régime des inéligibilités qui s'impose aux majeurs sous tutelle
pour l'ensemble des scrutins locaux et nationaux, et mentionne expressément
l'inéligibilité de tous les majeurs sous tutelle - ces dispositions
apparaissent désormais complètes et cohérentes.
De fait, autoriser le juge des tutelles à permettre à celles des personnes non
dépourvues de discernement de voter revient à lui conférer un pouvoir
d'appréciation très large quant à leurs facultés corporelles ou mentales et
leurs capacités de discernement. En encadrant strictement cette faculté du juge
des tutelles par un
corpus
juridique précis, la proposition de loi
permet de concilier les droits civiques de l'individu et la singularité du
droit électoral.
Le Gouvernement, soucieux d'accompagner les évolutions visant à assouplir
autant que faire se peut le caractère absolu de certains dispositifs légaux,
notamment afin de favoriser l'expression de la citoyenneté, n'a pas
d'opposition de principe à cette proposition, à une remarque près : une
décision de tutelle allégée autorisant une personne à s'inscrire sur les listes
électorales ne doit en aucun cas contrevenir au principe selon lequel le vote
est personnel et secret. C'est pourquoi le juge des tutelles ne doit pouvoir
autoriser l'exercice du droit de vote qu'aux majeurs ayant la capacité, par
eux-même et seuls, d'exercer leur droit de vote, à l'exclusion de l'assistance
d'une tierce personne.
Ainsi, la précision apportée en ce sens par votre commission des lois à la
modification de l'article L. 5 du code électoral est d'une importance majeure
et le Gouvernement souscrit à cette rédaction.
On doit toutefois noter qu'un groupe de travail interministériel chargé de
proposer une réforme globale du régime des majeurs sous tutelle a été constitué
sur l'initiative du ministère de la justice, en juillet dernier. La question du
droit de vote de ces personnes fait naturellement partie des domaines de
réflexion de ce groupe, qui devrait rendre son rapport final en février
2000.
Le Gouvernement considère qu'il pourrait être utile d'attendre la publication
de ce rapport pour inscrire cette proposition de loi dans un ensemble de portée
plus générale, mais il est d'accord sur les principes énoncés dans les
conclusions de votre commission des lois et s'en remet à la sagesse du Sénat
sur la question du calendrier.
M. le président.
La parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l'ont
dit M. le rapporteur et M. le ministre, c'est dans le cadre de mes fonctions de
médiateur de la République que mon attention avait été appelée sur la situation
des majeurs en tutelle qui ne sont pas admis à exercer leur droit de vote.
En effet, à une personne âgée mise sous tutelle à sa demande qui m'avait saisi
de ce qu'elle considérait comme un dysfonctionnement de l'administration,
j'avais été contraint de répondre qu'en l'espèce les pouvoirs publics ne
faisaient qu'appliquer des dispositions législatives claires, dans le strict
respect de la jurisprudence.
Le code électoral prévoit en effet une interdiction générale d'inscription sur
une liste électorale à l'encontre de tous les majeurs en tutelle, qu'ils soient
incapables physiques dotés de toutes leurs facultés intellectuelles ou
incapables mentaux. Or les causes de mise sous tutelle sont très diverses et,
je l'ai dit, le majeur peut demander lui-même à être protégé.
En outre, le régime de la tutelle est susceptible de s'appliquer à des
personnes très différentes et concerne aussi bien un jeune handicapé physique
qu'une personne âgée, en passant par des malades atteints par des psychoses
limitées.
L'article 501 du code civil qui en résulte permet ainsi au juge, lors de
l'ouverture de la tutelle ou par un jugement postérieur pris sur avis du
médecin traitant, d'énumérer les actes que la personne en tutelle aura la
possibilité d'accomplir seule ou avec l'assistance de son tuteur.
Cet article du code civil ne précisant toutefois pas les types d'actes pour
lesquels une dérogation est possible, la jurisprudence a eu à s'interroger sur
l'éventualité d'une interaction entre l'interdiction générale posée en droit
public par le code électoral et la possibilité d'adaptation au principe de
réalité ouverte au juge en matière civile.
Or, dans une décision du 9 novembre 1982, la première chambre civile de la
Cour de cassation a finalement exclu toute possibilité de combinaison entre ces
deux dispositions législatives, ce qui fait qu'aujourd'hui il n'existe aucune
manière pour les majeurs en tutelle d'éviter la radiation des listes
électorales, même si leur médecin traitant et leur juge des tutelles y sont
favorables.
Cette rigueur de la loi m'avait paru tout à fait excessive, le majeur protégé
dont les capacités de raison ne sont pas atteintes pouvant légitimement
ressentir sa radiation des listes électorales comme une mesure vexatoire.
Aussi, si je n'ai pas été en mesure de trouver dans l'immédiat une solution
satisfaisante aux difficultés de ma correspondante, il m'a semblé opportun de
faire usage du pouvoir reconnu au médiateur de la République de formuler des
propositions de réforme, ce qui fut fait en 1994.
Considérant, en effet, que l'équité commande d'individualiser des mesures de
protection au sein de la tutelle et de ne pas recourir à des régimes par trop
rigides s'appliquant uniformément à des citoyens capables de remplir leur
devoir civique, je souhaitais, dans ma proposition de réforme, permettre au
juge des tutelles d'autoriser un majeur en tutelle à être inscrit sur une liste
électorale.
Après avoir rencontré, à l'époque, un accueil pour le moins frileux de la part
de la Chancellerie et du ministère de l'intérieur, j'ai relancé cette
proposition en 1996 et en 1997. A l'occasion de réunions interministérielles,
il est alors apparu que le Gouvernement était désormais ouvert à cette
disposition, pour autant qu'il soit bien précisé que, si le majeur en tutelle
peut être électeur, il ne pourra, en revanche, en aucun cas être éligible.
Cela a compliqué le problème, car les dispositions relatives à l'inégibilité
relèvent, pour partie, de la loi ordinaire et, pour partie, de la loi
organique.
Dès lors, le vecteur législatif permettant d'adopter facilement les
modifications nécessaires du code électoral ne pouvait facilement être
trouvé.
Vous vous souvenez sans doute, mes chers collègues, que, à la recherche d'une
solution, j'avais déposé, en octobre 1998, avec Paul Girod, Bernard Joly et
André Boyer, une série d'amendements sur les projets de loi ordinaire et
organique relatifs à la limitation du cumul des mandats électoraux et des
fonctions et à leurs conditions d'exercice.
Il me semblait en effet que ces deux textes, qui modifiaient le code
électoral, étaient les supports tout trouvés pour faire prospérer ma
proposition de réforme.
Or, rapportant la position de la commission des lois sur ces projets de loi,
M. le président Larché avait expliqué que l'attitude globale et générale de la
commission, qui souhaitait se consacrer uniquement aux dispositions ayant trait
à la question principale soulevée par les projets de loi, à savoir le cumul des
mandats, lui interdisait d'être favorable à ces amendements.
Insistant toutefois sur la raison formelle qui justifiait cette position, M.
Larché avait très aimablement invité les auteurs des amendements à élaborer des
propositions de loi sur le thème évoqué, s'engageant à ce que la commission les
rapporte dans les meilleurs délais et demande leur inscription à l'ordre du
jour de nos travaux.
Me rangeant à ce sage conseil, j'ai donc déposé ces textes le 2 février
dernier, et je veux remercier le président de la commission, son rapporteur,
tout comme mes collègues du groupe du Rassemblement démocratique et social
européen, d'avoir oeuvré pour que ces propositions arrivent aujourd'hui en
séance publique.
Je forme d'ailleurs le voeu que l'Assemblée nationale, le cas échéant « aidée
» par le Gouvernement, adopte rapidement ces textes, de manière à ce qu'ils
puissent être mis en oeuvre dès l'an prochain pour les élections
municipales.
S'agissant de l'Assemblée nationale, je crois utile de rappeler en quelques
mots le funeste destin qu'a connu la proposition de loi tendant à autoriser un
majeur en tutelle à être inscrit sur une liste électorale et à voter si le juge
l'y autorise, proposition que, sur l'initiative de notre ami Claude Huriet, le
Sénat avait adoptée le 16 juin 1994.
En effet, le 28 septembre suivant, conformément aux conclusions de son
rapporteur, la commission des lois de l'Assemblée nationale avait adopté la
question préalable, rejetant ainsi l'ensemble de la proposition de loi, sans
discussion.
Deux considérations avaient présidé à cette décision, considérations que je
crois d'ores et déjà utile de contester.
Il avait d'abord paru improbable aux députés, compte tenu des conditions
cumulatives nécessaires au placement sous tutelle, qu'un majeur placé sous ce
régime puisse être à même d'exercer en toute connaissance de cause ses droits
de citoyen.
Or, il doit être observé que l'article 501 du code civil permet précisément
d'individualiser le régime applicable à chaque majeur placé en tutelle.
Il autorise en effet le juge, à l'ouverture de la tutelle ou par un jugement
postérieur, à énumérer, sur l'avis du médecin traitant, certains actes que le
majeur aura la capacité de faire soit seul, soit avec l'assistance de son
tuteur ou de la personne qui en tient lieu.
Ainsi, le législateur a déjà admis qu'un majeur sous tutelle puisse
administrer ses biens ou en disposer, se marier, divorcer, conclure un contrat
de travail, percevoir un salaire, etc.
J'ai même relevé qu'un article du code rural dispose que le visa du permis de
chasser n'est pas accordé aux majeurs en tutelle, à moins qu'ils ne soient
autorisés à chasser par le juge des tutelles. Qu'un majeur sous tutelle puisse
avoir un permis de chasse mais non une carte d'électeur me paraît choquant.
(Sourires.)
Les députés avaient par ailleurs considéré que les spécificités du droit
électoral interdiraient par principe tout pouvoir d'appréciation au juge en
matière de capacité d'être électeur ou d'éligibilité, seule la loi définissant
elle-même les critères objectifs - conditions d'âge, nationalité, résidence,
incapacités, causes d'inéligibilité - encadrant ou limitant l'universalité du
suffrage. Ce second argument n'est pas plus recevable que le premier, et ce
pour deux raisons.
Tout d'abord, il convient de rappeler qu'avant 1968 la restriction au droit de
vote des personnes sous tutelle était décidée par le juge : il existait donc,
précisément, une interdiction judiciaire laissée à l'entière appréciation du
juge qui, si elle a été remplacée par une interdiction absolue, n'en altère pas
moins la théorie du rapporteur de l'Assemblée nationale quant à la « tradition
de principe » du droit électoral en la matière.
De plus, et surtout, l'article 6 du code électoral interdit l'inscription sur
la liste électorale, pendant le délai fixé par le jugement, de ceux auxquels
les tribunaux ont interdit le droit de vote et d'élection, par application des
lois qui autorisent cette interdiction ; on constate ainsi qu'il existe bien
une personnalisation de l'interdiction du droit de vote laissée à l'entière
appréciation du juge.
Au reste, je ne vois pas quelles raisons d'ordre public ou d'opportunité
pourraient s'opposer à la mesure préconisée par les deux propositions de loi
que nous examinons ce soir. L'inscription sur la liste électorale ne sera pas
un droit du majeur en tutelle ; elle résultera d'une décision de l'autorité
judiciaire prise après avis de l'autorité médicale.
Au-delà de cet encadrement très strict, le juge ne prendra pas une décision à
caractère pérenne et il pourra, naturellement, en tant que de besoin, la
rapporter.
Enfin, la loi exclura complètement que le majeur en tutelle puisse être
candidat à l'une quelconque des différentes élections politiques auxquelles il
pourrait voter.
Il me semble ainsi que toutes les précautions sont prises pour que
l'assouplissement que je préconise ne soit pas susceptible d'aboutir à des
excès ou à des situations absurdes qui affecteraient le caractère solennel du
vote.
Au contraire, tout comme hier, je vois aujourd'hui plusieurs avantages, sur le
plan des principes, à la disparition du régime d'interdiction absolue.
D'abord, pour le corps électoral lui-même, car il ne me paraît pas bon qu'il
puisse être amputé d'une de ses parties, aussi minime soit-elle, si elle
dispose des facultés de discernement indispensables au vote sincère et
serein.
Ensuite, pour ceux de nos concitoyens qui vivent, à juste titre, leur mise
sous tutelle comme une sanction civique ; ils n'en comprennent pas les
motivations.
Il me semble donc indispensable de supprimer cette sanction déguisée, qui
heurte le bon sens, va à l'encontre du principe de dignité des citoyens et
concerne des personnes dont, précisément, la fragilité impose que la solidarité
nationale leur accorde une attention particulière.
J'ajoute, pour finir, que, au-delà des principes, c'est aussi et surtout la
situation des individus qui m'importe, dans la réalité de leur vie
quotidienne.
A ce titre, je suis convaincu que, pour tous ceux des majeurs en tutelle qui
pourront, je l'espère, prochainement, se voir autorisés par le juge des
tutelles à être inscrits sur une liste électorale, la décision que nous allons
prendre aujourd'hui va être forte en symbole. En leur permettant de participer
aux élections qui ponctuent la vie politique nationale, elle les convaincra que
leur mise sous tutelle ne les exclut pas de notre collectivité, que les
représentants de la nation leur accordent autant d'importance qu'aux autres
citoyens et que leur voix pourra encore être entendue.
Je pense qu'ainsi c'est un formidable signe d'espoir que nous leur adresserons
et que leur handicap, leurs difficultés physiques, leur âge seront, peut-être,
un peu moins lourds à porter.
Dans cette perspective, c'est avec beaucoup de plaisir qu'avec le groupe du
RDSE je voterai les conclusions de la commission des lois sur ces deux
propositions de loi, qui permettent de donner satisfaction à la proposition que
j'avais élaborée, il y a cinq ans, en tant que Médiateur de la République.
Monsieur le ministre, je vous invite, avec votre collègue garde des sceaux,
ministre de la justice, à inciter les députés à se saisir rapidement de ces
propositions.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.
INSCRIPTION D'UN MAJEUR EN TUTELLE
SUR UNE LISTE ÉLECTORALE
M. le président.
Nous passons à la discussion des articles des conclusions du rapport sur la
proposition de loi permettant au juge des tutelles d'autoriser un majeur sous
tutelle à être inscrit sur une liste électorale.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - L'article L. 5 du code électoral est complété,
in fine,
par les mots : ", à moins qu'ils ne soient autorisés par le juge des
tutelles à exercer seuls le droit de vote selon la procédure définie à
l'article 501 du code civil". »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Articles 2 à 4
M. le président.
« Art. 2. - I. - Dans le texte de l'article L. 199 du code précité, la
référence : "L. 5," est supprimée.
« II. - L'article L. 200 du code précité est ainsi rédigé :
«
Art. L. 200. -
Les majeurs en tutelle ou en curatelle sont
inéligibles. » -
(Adopté.)
« Art. 3. - Le troisième alinéa (2°) de l'article L. 230 du code précité est
ainsi rédigé :
« 2° Les majeurs en tutelle ou en curatelle. » -
(Adopté.)
« Art. 4. - La présente loi est applicable à Mayotte.
« Les articles 1er et 3 sont applicables en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie
française.
« L'article 1er est applicable dans le territoire des îles Wallis-et-Futuna. »
-
(Adopté.)
Intitulé
M. le président.
La commission des lois propose de rédiger comme suit l'intitulé de la
proposition de loi : « Proposition de loi permettant au juge des tutelles
d'autoriser un majeur en tutelle à être inscrit sur une liste électorale. »
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
INÉLIGIBILITÉ D'UN MAJEUR EN TUTELLE
M. le président.
Nous passons à la discussion des articles des conclusions du rapport sur la
proposition de loi organique relative à l'inéligibilité des majeurs sous
tutelle.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - Le dernier alinéa (2°) de l'article L.O. 130 du code électoral
est ainsi rédigé :
« 2° Les majeurs en tutelle ou en curatelle. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Articles 2 et 3
M. le président.
« Art. 2. - I. - Dans le premier alinéa du II de l'article 3 de la loi n°
62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République
au suffrage universel :
« - les mots : "L. 5 à L. 7," sont remplacés par les mots : "L. 6, L. 7," ;
« - les mots : "L. 199, L. 200," sont supprimés.
« II. - Après le premier alinéa du II de cet article, il est inséré un nouvel
alinéa ainsi rédigé :
« Les articles L. 5, L. 199 et L. 200 du code précité sont applicables dans
leur rédaction en vigueur à la date de publication de la loi organique n° ...
du ... relative à l'inéligibilité des majeurs en tutelle. » -
(Adopté.)
« Art. 3. - I. - L'article 5 de la loi n° 52-1175 du 21 octobre 1952 relative
à la composition et à la formation de l'Assemblée territoriale de la Polynésie
française est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les majeurs en tutelle ou en curatelle sont inéligibles. »
« II. - Il est inséré dans la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 conférant aux
îles Wallis et Futuna le statut de territoire d'outre-mer un article 13-2-1
ainsi rédigé :
«
Art. 13-2-1.
- Les majeurs en tutelle ou en curatelle sont
inéligibles. »
« III. - Le I de l'article 195 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999
relative à la Nouvelle-Calédonie est complété par un nouvel alinéa (5°) ainsi
rédigé :
« 5° Les majeurs en tutelle ou en curatelle ».
- (Adopté.)
Intitulé
M. le président.
La commission des lois propose de rédiger comme suit l'intitulé de la
proposition de loi organique : « Proposition de loi organique relative à
l'inéligibilité des majeurs en tutelle ».
Il n'y a pas d'oppsition ?...
Il en est ainsi décidé.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi organique.
Je rappelle que, en application de l'article 59 du règlement, le scrutin
public est de droit.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du
règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n°
17:
Nombre de votants | 319 |
Nombre de suffrages exprimés | 319 |
Majorité absolue des suffrages | 160 |
Pour l'adoption | 319 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
M. Christian Bonnet, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur. Monsieur le ministre, permettez-moi de compter sur vous pour que, en votre qualité de ministre des relations avec le Parlement, vous fassiez en sorte que ces textes, qui viennent tous deux d'être adoptés à l'unanimité, et avec l'accord du Gouvernement, puissent être rapidement inscrits à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Le maximum sera fait, monsieur le rapporteur !
8
MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Le Gouvernement demande au
Sénat que l'ordre du jour de la séance de l'après-midi de demain, mercredi 24
novembre 1999, à quinze heures, débute par l'examen des quatre projets de loi
portant ratification des ordonnances relatives aux mesures législatives
nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer
et se poursuive par l'examen des propositions de loi relatives au régime local
d'assurance maladie complémentaire obligatoire des départements du Bas-Rhin, du
Haut-Rhin et de la Moselle applicable aux assurés des professions agricoles et
forestières.
M. le président.
Acte est donné de cette communication.
9
TEXTES SOUMIS EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution.
- Proposition de décision du Conseil accordant une garantie de la Communauté à
la Banque européenne d'investissement en cas de pertes résultant de prêts en
faveur de projets pour la reconstruction des régions de la Turquie frappées par
le séisme.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1339 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution.
- Proposition de décision du Conseil concernant la conclusion d'un accord
entre la Communauté européenne et le Royaume du Cambodge sur le commerce de
produits textiles.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1340 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution.
- Proposition de règlement du Conseil relatif aux contributions financières de
la Communauté au Fonds international pour l'Irlande.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1341 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution.
- Proposition de décision du Conseil concernant la mise sur le marché et
l'administration de la somatotropine bovine (BST) et abrogeant la décision n°
90/218/CEE du Conseil.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1342 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution.
- Lettre rectificative n° 4 à l'avant-projet pour 2000 - Section III -
Commission.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1343 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution.
- Proposition de règlement du Conseil relatif aux actions d'information dans
le domaine de la politique agricole commune.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-1344 et distribué.
10
DÉPÔT D'UN RAPPORT
M. le président.
J'ai reçu de M. Charles Descours, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au
nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les
dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 2000.
Le rapport sera imprimé sous le n° 85 et distribué.
11
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mercredi 24 novembre 1999 :
A neuf heures trente :
1. - Discussion de la question orale européenne avec débat de M. Hubert Haenel
à Mme le ministre de la jeunesse et des sports sur la politique européenne en
matière de sport (n° QE-6).
M. Hubert Haenel expose à Mme le ministre de la jeunesse et des sports que
l'arrêt « Bosman » de la Cour de justice des Communautés européennes a
profondément modifié les conditions dans lesquelles s'exercent certaines
activités sportives, avec le risque de compromettre les valeurs sportives et le
rôle social et éducatif du sport. Il souligne par ailleurs que l'efficacité de
la lutte contre le dopage paraît, dans certains cas, entravée par une
insuffisante harmonisation des pratiques au sein des Etats membres de l'Union
européenne. Il estime nécessaire, en conséquence, une reconnaissance dans le
droit européen de la spécificité des activités sportives et la mise en oeuvre
de mesures permettant de restaurer l'éthique du sport.
Observant que les réflexions menées à l'échelon européen n'ont guère eu
jusqu'à présent de suites concrètes, il demande quelles initiatives sont
envisagées par le Gouvernement pour favoriser la mise en place d'un cadre
européen plus protecteur des valeurs sportives.
La discussion de cette question orale européenne s'effectuera selon les
modalités prévues à l'article 83
ter
du règlement.
A quinze heures et, éventuellement, le soir :
2. - Discussion du projet de loi (n° 420, 1998-1999), adopté par l'Assemblée
nationale, portant ratification des ordonnances n° 98-522 du 24 juin 1998, n°
98-731 du 20 août 1998, n° 98-773 du 2 septembre 1998 prises en application de
la loi n° 98-145 du 6 mars 1998 portant habilitation du Gouvernement à prendre,
par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à
l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Rapport (n° 72, 1999-2000) de M. Jean-Louis Lorrain, fait au nom de la
commission des affaires sociales.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.
3. - Discussion du projet de loi (n° 421, 1998-1999), adopté par l'Assemblée
nationale, portant ratification des ordonnances n° 98-580 du 8 juillet 1998, n°
98-582 du 8 juillet 1998, n° 98-728 du 20 août 1998, n° 98-729 du 20 août 1998,
n° 98-730 du 20 août 1998, n° 98-732 du 20 août 1998, n° 98-774 du 2 septembre
1998 prises en application de la loi n° 98-145 du 6 mars 1998 portant
habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures
législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit
applicable outre-mer.
Rapport (n° 75, 1999-2000) de M. Jean-Jacque Hyest, fait au nom de la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.
4. - Discussion du projet de loi (n° 422, 1998-1999), adopté par l'Assemblée
nationale, portant ratification des ordonnances n° 98-524 du 24 juin 1998, n°
98-525 du 24 juin 1998, n° 98-581 du 8 juillet 1998, n° 98-775 du 2 septembre
1998 prises en application de la loi n° 98-145 du 6 mars 1998 portant
habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures
législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit
applicable outre-mer.
Rapport (n° 81, 1999-2000) de M. Henri Torre, fait au nom de la commission des
finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.
5. - Discussion du projet de loi (n° 423, 1998-1999), adopté par l'Assemblée
nationale, portant ratification des ordonnances n° 98-520 du 24 juin 1998, n°
98-521 du 24 juin 1998, n° 98-523 du 24 juin 1998, n° 98-526 du 24 juin 1998,
n° 98-776 du 2 septembre 1998, n° 98-777 du 2 septembre 1998 prises en
application de la loi n° 98-145 du 6 mars 1998 portant habilitation du
Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à
l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Rapport (n° 77, 1999-2000) de M. Jean Huchon, fait au nom de la commission des
affaires économiques et du plan.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.
La conférence des présidents a décidé qu'il serait procédé à une discussion
générale commune pour ces quatres projets de loi.
6. - Discussion des conclusions du rapport (n° 73, 1999-2000) de M. Jean-Louis
Lorrain, fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition
de loi (n° 494, 1998-1999) de MM. Joseph Ostermann, Daniel Eckenspieller,
Francis Grignon, Hubert Haenel, Jean-Louis Lorrain, Daniel Hoeffel et Philippe
Richert relative au régime local d'assurance maladie complémentaire obligatoire
des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle applicable aux
assurés des professions agricoles et forestières et la proposition de loi (n°
36, 1999-2000) de Mme Gisèle Printz et M. Roger Hesling relative au régime
local d'assurance maladie complémentaire obligatoire des départements du
Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle applicable aux assurés des profession
agricoles et forestières.
Aucun amendement à ces conclusions n'est plus recevable.
DÉLAI LIMITE POUR LES INSCRIPTIONS DE PAROLE
DANS LA DISCUSSION GÉNÉRALE
DU PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2000
Le délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale du
projet de loi de finances pour 2000 est fixé au mercredi 24 novembre 1999, à
dix-sept heures.
DÉLAI LIMITE POUR LE DÉPÔT DES AMENDEMENTS
AUX ARTICLES DE LA PREMIÈRE PARTIE
DU PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2000
Le délai limite pour le dépôt des amendements aux articles de la première
partie du projet de loi de finances pour 2000 est fixé au jeudi 25 novembre
1999, à douze heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Situation de l'enseignement bilingue français-breton
660.
- 19 novembre 1999. -
M. Pierre-Yvon Trémel
attire l'attention de
M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie
sur les moyens nécessaires à mettre en oeuvre pour faire face à la croissance
constatée de l'enseignement bilingue français-breton. Le souhait de 88 % des
habitants de Basse Bretagne de conserver la langue bretonne, l'avis favorable
de 80 % d'entre eux à son enseignement, sont des signes évidents de la volonté
des habitants de Bretagne de maintenir un élément essentiel de leur culture.
Dans la partie bretonnante, les 5 000 élèves des classes bilingues (public,
privé et Diwan) représentent 1,7 % de la population scolaire. Au rythme actuel
de 18 à 20 % d'augmentation annuelle des enfants dans les classes bilingues,
cette proportion sera vraisemblablement de 5 % en l'an 2005. Dès lors, il est
indispensable de prendre en compte les prévisions d'effectifs pour les années à
venir, et de créer ainsi des conditions favorables au développement de
l'enseignement bilingue, autant du point de vue de l'ouverture des classes que
du point de vue du recrutement et de la formation des enseignants. En ce qui
concerne l'école associative Diwan, il est utile de rappeler que son action est
complémentaire aux autres filières de l'enseignement bilingue, grâce notamment
à son système pédagogique par immersion. Malheureusement, son développement est
menacé par un statut mal adapté ; en témoigne la décision récente de M. le
préfet de la région Bretagne de porter devant la juridiction administrative une
délibération du conseil régional subventionnant la rénovation de bâtiments
municipaux de Carhaix, destinés notamment à l'accueil d'un lycée. Aussi, la
rentrée 2000-2001 se préparant dès à présent, l'association Diwan s'inquiète, à
juste titre, de son futur statut. En conséquence, il lui demande quelles
mesures il entend prendre pour répondre aux attentes des parents des filières
bilingues en matière d'ouverture de classes, de recrutement et de formation des
enseignants. Il lui demande également de bien vouloir lui faire un point de la
situation sur les négociations en cours avec l'association Diwan.
Développement des magasins d'usine
661.
- 19 novembre 1999. -
M. Jean-Pierre Raffarin
demande à
Mme le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à
l'artisanat
quelle est la politique de l'Etat quant au développement des magasins d'usine
en France.
Financement des travaux sur les routes nationales
dans la région Auvergnes
662.
- 24 novembre 1999. -
M. Guy Vissac
attire l'attention de
M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement
sur la nécessité pour la région Auvergne que soit maintenu le taux de
participation de l'Etat pour les travaux routiers du réseau national, et ce à
équivalence du dernier contrat de plan. Il lui rappelle que, tandis que se
négocient actuellement les crédits du futur contrat de plan Etat-région, le
taux de participation de l'Etat en faveur des travaux routiers du réseau
national atteindrait 50 %, laissant ainsi aux autres collectivités locales la
moitié du financement. Ceci est d'autant plus discutable que le réseau des
routes nationales relève uniquement de l'Etat. Il lui demande donc de lui
préciser les intentions du Gouvernement en la matière tout en lui rappelant
qu'une participation plus lourde de la région Auvergne dans ce secteur risque
de compromettre d'autres programmes d'équipement ou l'obligerait à revenir sur
sa résolution de maintenir les taux d'imposition actuels.
Problèmes de l'élevage ovin
663.
- 23 novembre 1999. -
M. René-Pierre Signé
souhaite faire partager à
M. le ministre de l'agriculture et de la pêche
son inquiétude et ses réflexions sur la situation très précaire de l'élevage
ovin, tout particulièrement celui qui est implanté dans la vaste zone du bassin
d'élevage de bovins allaitants. En effet, dans ces régions, l'élevage des ovins
fut, et reste dans une certaine mesure, surtout le fait d'éleveurs bovins à
l'herbe, qui trouvaient là une activité idéalement complémentaire à leur
spéculation principale. Nul n'ignore l'évolution désastreuse subie par cette
activité. De la concurrence néozélandaise, dès la fin des années 1970, à la
politique agricole commune de 1992, en passant par la trop faible organisation
de producteurs morcelés et par le changement des habitudes de consommation, les
causes du déclin sont aussi anciennes que multiples. Elles dépassent non
seulement le cadre de cette question, mais encore, hélas, les possibilités
d'une relance, aussi déterminée soit-elle. La concurrence entre les viandes
n'oppose désormais que la viande bovine, d'une part, le porc et la volaille,
d'autre part. L'agneau et le mouton semblent à présent voués à occuper une
frange non négligeable, mais néanmoins secondaire, du marché des produits
carnés. Cependant, plusieurs éléments positifs pour l'élevage ovin sont apparus
ces dernières années. La baisse continue des cours de l'agneau a conduit les
éleveurs à réduire leurs coûts, en inventant par exemple les bergeries tunnels
; elle a également accéléré l'émergence de filières de produits de qualité.
D'autre part, l'élevage d'ovins retrouve beaucoup de sa pertinence dans le
contexte des contrats territoriaux d'exploitation. En effet, cette production
permet de valoriser les surfaces herbagères sans recourir à l'extensification
quasi permanente dont on observe les effets pervers en élevage bovin allaitant.
Il revient aujourd'hui aux partenaires publics et professionnels d'explorer ces
pistes. Il souhaite donc connaître son point de vue sur les perspectives des
élevages mixtes d'ovins et de bovins allaitants. Il aimerait aussi savoir si
une action volontariste de l'Etat en vue d'encourager et d'accompagner la
relance de ce profil d'exploitations agricoles semble pertinente au
Gouvernement.
Taxe professionnelle de Pantin
664.
- 23 novembre 1999. -
Mme Danielle Bidard
attire l'attention de
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
sur le contentieux existant entre la ville de Pantin et son ministère,
concernant le versement de recettes de taxe professionnelle. En effet, dès
1992, la municipalité de Pantin a engagé une procédure judiciaire pour obtenir
le paiement des compensations prévues par la loi, suite à la réforme de la taxe
professionnelle et d'exonérations accordées aux entreprises. Le ministre du
budget accepte de verser la somme de 7,5 MF sur la base de l'évaluation des
services fiscaux, mais ne prend pas en compte l'actualisation de cette somme.
La ville a procédé à l'évaluation de son préjudice et l'a estimé à 20 MF de
l'époque soit 41 MF en francs d'aujourd'hui. Elle lui demande de restituer à la
ville de Pantin l'intégralité des compensations réactualisées auxquelles elle a
droit.
ANNEXES AU PROCÈS-VERBAL
de la séance
du mardi 23 novembre 1999
SCRUTIN (n° 16)
sur l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi organique
tendant à rééquilibrer la répartition des sièges à l'Assemblée de la Polynésie
française.
Nombre de votants : | 303 |
Nombre de suffrages exprimés : | 220 |
Pour : | 220 |
Contre : | 0 |
Le Sénat a adopté.
ANALYSE DU SCRUTIN
GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
N'ont pas pris part au vote :
16.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :
Pour :
17.
Abstentions :
5. _ MM. François Abadie, Jean-Michel Baylet, André
Boyer, Yvon Collin et Gérard Delfau.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. Paul Girod, qui présidait la
séance.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (99) :
Pour :
98.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. Christian Poncelet, président du
Sénat.
GROUPE SOCIALISTE (78) :
Abstentions :
78.
GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (52) :
Pour :
52.
GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (46) :
Pour :
46.
Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (7) :
Pour :
7.
Ont voté pour
Nicolas About
Philippe Adnot
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Denis Badré
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Michel Bécot
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Jean Boyer
Louis Boyer
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Philippe Darniche
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Jacques Donnay
Michel Doublet
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Hubert Durand-Chastel
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
Yann Gaillard
René Garrec
Jean-Claude Gaudin
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Francis Giraud
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Jean-Paul Hugot
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jarlier
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Kléber Malécot
André Maman
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Charles Pasqua
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jacques Pelletier
Jean Pépin
Jacques Peyrat
Alain Peyrefitte
Xavier Pintat
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Henri de Richemont
Philippe Richert
Yves Rispat
Jean-Jacques Robert
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Bernard Seillier
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Jean-Pierre Vial
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac
Abstentions
François Abadie
Guy Allouche
Bernard Angels
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Robert Badinter
Jean-Michel Baylet
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Marcel Bony
André Boyer
Yolande Boyer
Jean-Louis Carrère
Bernard Cazeau
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Michel Charzat
Yvon Collin
Gérard Collomb
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Gérard Delfau
Jean-Pierre Demerliat
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Claude Domeizel
Michel Dreyfus-Schmidt
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Claude Estier
Léon Fatous
Serge Godard
Jean-Noël Guérini
Claude Haut
Roger Hesling
Roland Huguet
Alain Journet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Dominique Larifla
Louis Le Pensec
André Lejeune
Claude Lise
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
François Marc
Marc Massion
Pierre Mauroy
Jean-Luc Mélenchon
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Paul Raoult
Roger Rinchet
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Michel Sergent
René-Pierre Signé
Simon Sutour
Michel Teston
Pierre-Yvon Tremel
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber
N'ont pas pris part au vote
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Danielle Bidard-Reydet
Nicole Borvo
Robert Bret
Michel Duffour
Guy Fischer
Thierry Foucaud
Gérard Le Cam
Pierre Lefebvre
Paul Loridant
Hélène Luc
Jack Ralite
Ivan Renar
Odette Terrade
Paul Vergès
N'ont pas pris part au vote
MM. Christian Poncelet, président du Sénat, et Paul Girod, qui présidait la
séance.
Les nombres annoncés en séance avaient été de :
Nombre de votants : | 304 |
Nombre de suffrages exprimés : | 221 |
Majorité absolue des suffrages exprimés : | 112 |
Pour l'adoption : | 221 |
Contre : | 0 |
Mais, après vérification, ces nombres ont été rectifiés conformément à la liste ci-dessus.
SCRUTIN (n° 17)
sur l'ensemble de la proposition de loi organique relative à l'inéligibilité
des majeurs en tutelle.
Nombre de votants : | 319 |
Nombre de suffrages exprimés : | 319 |
Pour : | 319 |
Contre : | 0 |
Le Sénat a adopté.
ANALYSE DU SCRUTIN
GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
Pour :
16.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :
Pour :
23.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (99) :
Pour :
97.
N'ont pas pris part au vote :
2. _ M. Christian Poncelet, président du
Sénat, et M. Gérard Larcher, qui présidait la séance.
GROUPE SOCIALISTE (78) :
Pour :
78.
GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (52) :
Pour :
52.
GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (46) :
Pour :
46.
Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (7) :
Pour :
7.
Ont voté pour
François Abadie
Nicolas About
Philippe Adnot
Guy Allouche
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Bernard Angels
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Robert Badinter
Denis Badré
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Jean-Michel Baylet
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Michel Bécot
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Claude Belot
Georges Berchet
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jean Besson
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
Marcel Bony
James Bordas
Didier Borotra
Nicole Borvo
Joël Bourdin
André Boyer
Jean Boyer
Louis Boyer
Yolande Boyer
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Robert Bret
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Jean-Louis Carrère
Auguste Cazalet
Bernard Cazeau
Charles Ceccaldi-Raynaud
Monique Cerisier-ben Guiga
Gérard César
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Michel Charzat
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Yvon Collin
Gérard Collomb
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Raymond Courrière
Roland Courteau
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Philippe Darniche
Marcel Debarge
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Bertrand Delanoë
Jean-Paul Delevoye
Gérard Delfau
Jacques Delong
Jean-Pierre Demerliat
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Dinah Derycke
Charles Descours
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
André Diligent
Claude Domeizel
Jacques Dominati
Jacques Donnay
Michel Doublet
Michel Dreyfus-Schmidt
Alain Dufaut
Michel Duffour
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Hubert Durand-Chastel
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Claude Estier
Hubert Falco
Léon Fatous
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Guy Fischer
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Thierry Foucaud
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
Yann Gaillard
René Garrec
Jean-Claude Gaudin
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Francis Giraud
Paul Girod
Serge Godard
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Louis Grillot
Georges Gruillot
Jean-Noël Guérini
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Claude Haut
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Roger Hesling
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Jean-Paul Hugot
Roland Huguet
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jarlier
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Journet
Alain Joyandet
Christian de La Malène
Philippe Labeyrie
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Dominique Larifla
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Gérard Le Cam
Jean-François Le Grand
Louis Le Pensec
Dominique Leclerc
Pierre Lefebvre
Jacques Legendre
André Lejeune
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Claude Lise
Paul Loridant
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Hélène Luc
Jacques Machet
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
Kléber Malécot
André Maman
François Marc
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Marc Massion
Paul Masson
Serge Mathieu
Pierre Mauroy
Jean-Luc Mélenchon
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Gérard Miquel
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Michel Moreigne
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Charles Pasqua
Jean-Marc Pastor
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jacques Pelletier
Guy Penne
Jean Pépin
Daniel Percheron
Jacques Peyrat
Alain Peyrefitte
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Xavier Pintat
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jack Ralite
Paul Raoult
Jean-Marie Rausch
Ivan Renar
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Henri de Richemont
Philippe Richert
Roger Rinchet
Yves Rispat
Jean-Jacques Robert
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Gérard Roujas
André Rouvière
Michel Rufin
Claude Saunier
Jean-Pierre Schosteck
Bernard Seillier
Michel Sergent
René-Pierre Signé
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Simon Sutour
Martial Taugourdeau
Odette Terrade
Michel Teston
Henri Torre
René Trégouët
Pierre-Yvon Tremel
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Paul Vergès
André Vezinhet
Jean-Pierre Vial
Marcel Vidal
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac
Henri Weber
N'ont pas pris part au vote
MM. Christian Poncelet, président du Sénat, et Gérard Larcher, qui présidait
la séance.
Les nombres annoncés en séance ont été reconnus, après vérification, conformes
à la liste de scrutin ci-dessus.