Séance du 9 novembre 1999
MÉDIATEUR DES ENFANTS
Adoption d'une proposition de loi
et d'une proposition de loi organique
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 76,
1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale, instituant un Médiateur des
enfants et de la proposition de loi organique (n° 77, 1998-1999), adoptée par
l'Assemblée nationale, relative à l'inéligibilité du médiateur des enfants.
[Rapport n° 43 (1999-2000).].
La conférence des présidents a décidé que ces deux propositions de loi
feraient l'objet d'une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse que la
proposition de loi présentée par MM. Laurent Fabius et Jean-Paul Bret
instituant un médiateur des enfants et votée à l'Assemblée nationale vienne
aujourd'hui devant le Sénat, soit moins d'un an après son examen en première
lecture au Palais-Bourbon, ce qui démontre l'intérêt que le Sénat porte aux
initiatives permettant de mieux assurer le respect des droits des mineurs.
Ce souci est d'ailleurs partagé par nos concitoyens, alors que nous allons
célébrer le dixième anniversaire de la convention internationale des droits de
l'enfant. En effet, selon une enquête d'opinion dont les résultats viennent
d'être présentés par l'UNICEF, 91 % des personnes interrogées se prononcent en
faveur de l'installation d'un médiateur des enfants qui serait susceptible de
suggérer des modifications législatives en faveur des droits des plus jeunes,
considérant par là même que les enfants sont encore aujourd'hui insuffisamment
écoutés.
Je note à cet égard que les préoccupations majeures exprimées par les Français
rejoignent les priorités que je m'efforce de défendre au sein de mon
département ministériel, à savoir protéger les enfants contre la violence et
l'exploitation sexuelle, leur assurer le meilleur état de santé et, enfin, leur
garantir de pouvoir aller à l'école et y réussir.
Aussi, avant de m'exprimer au nom du Gouvernement sur la proposition de loi
visant à renforcer l'action qui nous rassemble aujourd'hui, je souhaite vous
rappeler comment le renforcement des droits des enfants a guidé la politique
que j'ai menée en tant que ministre chargé de l'enseignement scolaire.
Depuis juin 1997, en effet, je me suis efforcée d'inscrire dans la réalité de
la vie des élèves le respect du droit à l'éducation, dont le principe est à la
fois affirmé par la convention internationale des droits de l'enfant, mais
également par la loi d'orientation du 10 juillet 1989.
D'abord, j'ai voulu m'attaquer à la violence sous toutes ses formes et, au
premier chef, celle qui paraît la plus injuste et la plus destructrice, je veux
parler de la pédophilie, en décidant de briser la loi du silence qui a trop
longtemps étouffé la parole de l'enfant.
Une importante instruction ministérielle de l'éducation nationale qui, pour la
première fois, employait le mot « pédophilie » a été diffusée dans toutes les
écoles et les collèges en fournissant des indications extrêmement précises et
concrètes sur la manière dont la communauté scolaire devait agir face à des
violences sexuelles commises sur des mineurs enfants à l'école mais aussi,
hélas ! le plus souvent dans le cercle familial, dans le double souci de la
protection de l'enfant et du respect de la présomption d'innocence de la
personne mise en cause.
Parallèlement, ont été multipliés les outils de prévention aussi bien par la
diffusion massive de programmes audiovisuels spécialement conçus que par la
remise à quatre millions d'écoliers du « passeport pour le pays de la prudence
». Renouvelée pour la troisième année consécutive, cette expérience a permis,
chez les enfants, la prise de parole et la levée de la loi du silence.
J'ai également souhaité lutter contre les phénomènes de racket, par une grande
campagne de lutte contre le racket, dans les collèges en particulier, grâce à
une brochure qui explique aux élèves la conduite à tenir quand on est victime
de cette violence ou qu'on est témoin de cette forme insidieuse de violence
fondée sur le rapport de forces, l'intimidation et la menace, vis-à-vis
desquels les enfants les plus jeunes, les plus faibles ou les plus démunis sont
des cibles faciles.
En outre, consciente que la lutte contre la loi du silence nécessitait une
attention particulière aux victimes, j'ai signé, le 9 mars 1999, une convention
avec l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation pour assurer aux
victimes, notamment aux élèves fragilisés par des infractions pénales, un
accompagnement psychologique et juridique qui s'inscrit dans la durée.
L'accès au droit pour les jeunes, le droit pour chaque élève de connaître ses
droits font partie de l'éducation à la citoyenneté.
J'ai ensuite entendu promouvoir le droit de l'enfant à la santé en mettant en
place, dès la rentrée de septembre 1997, un fonds social pour les cantines. En
effet, l'enquête d'opinion que j'ai citée tout à l'heure le montre, le premier
droit, le droit fondamental de l'enfant, c'est celui de manger à sa faim. Je
suis heureuse de souligner que, grâce à la mise en place de ce dispositif, les
chefs d'établissement voient aujourd'hui des enfants, dont les parents ne
pouvaient plus payer la cantine, revenir et manger à leur faim.
J'ai également veillé à ce qu'un effort budgétaire important porte sur la
création de postes d'infirmière, d'assistante sociale et de médecin scolaire,
puisque, en deux ans, 1 350 emplois ont été créés, pour ainsi garantir le droit
des enfants à la santé.
Enfin, toujours au nom du droit des enfants, je voudrais souligner le
renforcement de la lutte contre l'échec scolaire par la relance des zones
d'éducation prioritaires, par le développement sensible des classes relais au
collège, par la mise en place des comités d'éducation à la santé et à la
citoyenneté et, enfin, par le vote d'une proposition de loi, d'origine
sénatoriale, que j'ai soutenue et complétée, sur le renforcement du contrôle de
l'obligation scolaire. Cette loi qui a fait l'unanimité au Sénat mérite d'être
soulignée à l'occasion du présent débat puisque deux grands principes y ont été
réaffirmés par amendement gouvernemental : d'abord, le droit de l'enfant à
l'instruction, qui comprend non seulement l'acquisition des connaissances, mais
également l'épanouissement personnel et social de chaque élève, ce qui permet,
désormais, de renforcer notre lutte contre les sectes ; ensuite, la priorité
d'assurer cette instruction dans les établissements d'enseignement.
Ce nouveau dispositif permet, par des contrôles périodiques de l'éducation
nationale qui n'étaient pas possibles antérieurement, de mieux déceler, pour y
remédier, les situations des enfants privés d'une authentique instruction,
qu'ils soient embrigadés dans des mouvements sectaires, ou simplement coupés du
monde par les choix dangereux de leurs familles.
Il convient de rappeler que cette loi constitue d'ailleurs la transposition en
droit interne de l'article 29 de la convention internationale des droits de
l'enfant, qui détermine les normes minimales de l'éducation due aux enfants.
La proposition de loi soumise au Sénat s'inscrit donc, à mes yeux, dans la
continuité, tout en renforçant les dispositions déjà adoptées. Cela justifie
que nous soyons ambitieux sur le dispositif qui nous est présenté.
Cette proposition de loi issue des travaux de l'Assemblée nationale vise à
instituer un médiateur des enfants. Cette nouvelle autorité serait chargée de
recueillir les réclamations de mineurs ou de leurs représentants légaux qui
estiment qu'une administration n'a pas respecté les droits de l'enfant ou n'a
pas fonctionné conformément à sa mission de service public.
Je souhaite donc à présent vous faire part de quelques remarques concernant
cette proposition de loi, dont j'approuve pleinement, bien entendu, l'ambition
et la philosophie générale.
Tout d'abord, le développement de la médiation est une nécessité. Le
gigantisme de l'administration, le nombre de décisions rendues, la masse des
dossiers ne peuvent que susciter, ici ou là, certaines incompréhensions ou
certains dysfonctionnements.
La médiation permet non seulement d'éviter le face-à-face ou la confrontation
mais aussi de faire le lien entre les deux points de vue, de les rapprocher,
voire de les concilier.
Parfois, la réclamation est infondée : parfois, elle permet de mettre en
lumière une difficulté, voire un dysfonctionnement. L'intérêt qu'a constitué la
création, en 1973, du médiateur de la République, saisi, depuis cette date, au
niveau tant national que départemental, de 45 628 réclamations, est bien de
prouver son utilité et de permettre la recherche d'une plus grande équité dans
la relation entre les citoyens et les services publics.
En décembre 1998, M. Stasi, dans son rapport annuel au Président de la
République, écrivait ceci : « L'année écoulée apparaît exceptionnelle en ce qui
concerne tant le nombre que la nature des propositions de réforme qui ont été
satisfaites : une part significative d'entre elles concerne, en effet, les
personnes victimes de l'exclusion ; plusieurs autres mettent fin à des
situations qui étaient inéquitables et certaines clarifient ou simplifient
diverses procédures contribuant ainsi à l'amélioration toujours recherchée des
relations entre les services publics et les citoyens. »
Depuis le 1er décembre 1998, le ministre de l'éducation nationale s'est
d'ailleurs doté d'un médiateur chargé de recevoir les réclamations concernant
le fonctionnement du service public de l'éducation nationale dans les relations
avec les usagers et ses agents. Chaque rectorat est désormais doté d'un
médiateur.
Le bon fonctionnement du système éducatif implique une meilleure prise en
compte des aspirations des usagers, qu'il s'agisse des enseignants, des parents
d'élèves ou des élèves, et l'amélioration des relations sociales entre les
personnels et leur administration.
Le premier bilan d'activité sur les six premiers mois de l'année 1999 permet
de faire les observations suivantes : 800 dossiers ont été reçus par le
médiateur de l'éducation nationale et ses médiateurs académiques, 75 %
correspondent à des réclamations des personnels, 25 % émanent des parents
d'élèves ou des étudiants majeurs.
De fait, le médiateur de l'éducation nationale reçoit très peu de demandes
d'élèves mineurs. Je ne vois donc aucune objection à ce qu'un médiateur des
enfants reçoive les demandes des usagers du service public de l'éducation
nationale que sont les élèves.
Bref, il existe donc bien, au sein du système éducatif, un espace à conquérir,
celui de la réclamation individuelle des élèves mineurs ou de leurs
représentants légaux sur le respect des droits de l'enfant.
Par ailleurs, c'est ma deuxième remarque - la spécificité du médiateur des
enfants doit être réelle par rapport à celle du médiateur de la République.
La commission des lois du Sénat estime qu'il n'est pas souhaitable de créer
deux institutions concurrentes opérant dans le même domaine.
Je tiens à rendre hommage aux travaux de la commission, travaux qui
manifestent une volonté d'efficacité immédiate de la nouvelle institution,
cette dernière pouvant en effet profiter de l'expérience acquise par le
médiateur de la République. Je suis toutefois convaincue que le rattachement du
médiateur des enfants dans le cadre de la loi de 1973 ne répondrait que de
manière imparfaite aux attentes manifestées par les enfants et leurs
familles.
Il faut en effet, me semble-t-il, que le médiateur des enfants soit une entité
à part, clairement identifiable et réservée aux enfants, pour que ceux-ci le
considèrent comme un interlocuteur privilégié créé pour eux, à l'écoute de
leurs préoccupations, avec un fonctionnement administratif souple et
original.
Par ailleurs, le champ de compétences du médiateur des enfants est déjà, dans
le texte voté par l'Assemblée nationale, très différent de celui du médiateur
de la République, puisqu'il s'agit du non-respect des droits de l'enfant, ce
qui constitue une spécificité par rapport aux attributions propres du Médiateur
de la République, qui est uniquement chargé des dysfonctionnements entre les
usagers et l'administration.
Mais le respect des droits fondamentaux des enfants ne doit pas s'arrêter aux
structures administratives, car il est un principe universel et donc
indivisible.
J'en arrive à ma troisième remarque : l'extension du champ de compétences du
médiateur des enfants.
Pour être pleinement efficace, il m'apparaît nécessaire d'élargir le champ de
compétences du médiateur des enfants à l'ensemble des institutions dans
lesquelles les droits fondamentaux des enfants ne sont pas respectés. Je le
répète, je ne vois aucune objection à ce que l'extension de ce champ de
compétences couvre l'éducation nationale.
Il conviendrait alors de permettre au médiateur des enfants de se saisir des
réclamations visant aussi les personnes physiques ou morales de droit privé.
Dans le système éducatif, par exemple, ce sont tous les élèves des
établissements d'enseignement, qu'ils soient publics ou privés, qui pourraient
être bénéficiaires de cette extension.
Dans le domaine de l'action sociale, certains problèmes existent au sein
d'associations qui accueillent des enfants handicapés ou en difficulté placés
par l'autorité administrative, la justice ou leurs parents. Là aussi, il est
bien que le médiateur des enfants puisse être saisi de leurs difficultés.
Les enfants peuvent aussi être confrontés à des violations de leurs droits
face à des employeurs ou à des commerçants.
Enfin, même au sein de leur famille, les enfants peuvent rencontrer des
conflits mettant en cause leurs droits fondamentaux, comme la liberté
d'expression ou le droit à la dignité, sans que de tels manquements soient
toujours signalés et traités par les services de l'aide sociale à l'enfance des
conseils généraux.
J'en viens aux relations du médiateur des enfants avec les parents. Comme vous
le savez, la proposition de loi initiale ne prévoyait pas l'éventualité
d'assurer l'information des représentants légaux de l'enfant mineur ayant saisi
le médiateur des enfants.
A l'Assemblée nationale, j'ai soutenu avec force un amendement destiné à
remédier à cette lacune. En effet, à l'heure où le Gouvernement entend
responsabiliser les parents sur leur mission d'éducation, il apparaîtrait
paradoxal de les priver systématiquement d'une information sur les initiatives
de leurs enfants.
N'oublions pas, en effet, que les lois et les règlements prévoient
l'information, voire l'autorisation des parents pour la plupart des actes ou
des faits concernant leur enfant.
Toutefois, je ne puis méconnaître des situations fort délicates où des
adolescents, filles ou garçons, en rupture avec leurs familles, viendraient
rechercher un appui auprès du médiateur des enfants et où l'on pourrait
imaginer que l'envoi d'un avis aux représentants légaux serait de nature à
alimenter le conflit. Il faut donc donner au dispositif une certaine souplesse
et permettre en conséquence au médiateur des enfants d'aviser, s'il le juge
utile, les représentants légaux de la réclamation reçue de l'enfant mineur. A
cet égard, je m'interroge sur l'opportunité de la proposition de la commission
des lois de supprimer cette possibilité offerte au médiateur. Mais nous en
débattrons tout à l'heure.
Au terme de ces quelques remarques qui, j'espère, enrichiront le débat
d'aujourd'hui, j'ai le sentiment que nous oeuvrons ensemble à la création d'une
institution qui s'inscrit parfaitement dans l'esprit de la convention
internationale des droits de l'enfant dont nous allons célébrer dans quelques
jours le dixième anniversaire. Cette convention avait été votée à l'unanimité
par l'assemblée générale des Nations unies, tant il est vrai que les clivages
s'effacent devant l'intérêt de l'enfant. Je ne doute pas que nos travaux
d'aujourd'hui seront animés d'un même souffle constructif.
(Applaudissements
sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Madame la
ministre, chacun se félicite que siège au banc des ministres une personne qui
est doublement qualifiée pour défendre la position gouvernementale sur un texte
concernant les enfants : vous êtes en effet qualifiée pour ce faire de par vos
responsabilités au sein du Gouvernement, d'une part, de par votre qualité de
mère de famille nombreuse, de l'autre.
La protection des enfants - et qui ne s'en réjouirait ? - se situe aujourd'hui
à un rang privilégié dans les préoccupations des pays démocratiques, au moins.
Je dis « des pays démocratiques, au moins » car, s'agissant du vote unanime des
Nations unies, on peut s'interroger, surtout si l'on a vu hier le reportage
terrifiant concernant les enfants de Roumanie diffusé hier par TF 1, sur la
valeur de l'approbation donnée par certaines des membres ayant pris part à ce
scrutin.
Faut-il rappeler qu'une recommandation du Conseil de l'Europe invitait, dès
1990, les Etats membres à envisager de nommer un médiateur spécial pour les
enfants ?
Faut-il rappeler encore que, à l'occasion de la première journée des droits de
l'enfant au Sénat, en 1996, le président de la commission des lois, M. Jacques
Larché, évoquait « des droits proclamés, affirmés, mais qui doivent être
reconnus au quotidien » ? « C'est là, ajoutait-il, que l'effort du législateur
doit encore se manifester. »
N'est-ce pas ces jours-ci que paraît en librairie
Le Grand Livre des droits
de l'enfant ?
C'est dans ce contexte que le président de l'Assemblée nationale, après avoir
présidé lui-même une commission d'enquête parlementaire sur les droits de
l'enfant, a présenté une proposition de loi tendant à instituer un médiateur
des enfants, assortie, si l'on peut dire, d'une proposition de loi organique
visant à prévoir son inéligibilité.
Cette proposition de loi a été adoptée, après quelques modifications, par
l'Assemblée nationale.
La commission des lois du Sénat s'est souciée, pour sa part, d'apporter au
dispositif qui nous vient du Palais-Bourbon, à la veille du dixième
anniversaire de la convention de New York relative aux droits de l'enfant, des
aménagements de nature à en hâter la mise en oeuvre et à en accroître
l'efficacité.
Cette préoccupation, au demeurant, le président de l'Assemblée nationale la
partage : ne déclarait-il pas dans un entretien paru avant-hier dans le journal
Le Monde
: « Cette initiative est prioritaire. (...) Il serait
souhaitable de pouvoir la mettre en application sans attendre la réforme
d'ensemble du droit de la famille » ?
Aussi bien, partageant ce souci de célérité, la commission des lois vous
propose d'inscrire cette création dans la loi de référence de 1973, relative à
la médiation institutionnelle.
Le médiateur de la République a acquis, au fil des ans, une autorité que
personne, aujourd'hui, ne songe à lui consacrer. Il dispose d'une
administration qualifiée, bénéficiant de l'expérience de plusieurs
décennies.
C'est pourquoi, plutôt que de créer une nouvelle autorité indépendante, il
vous est proposé de placer le médiateur des enfants auprès du médiateur de la
République et d'assurer en quelque sorte ainsi l'unité de la médiation
institutionnelle.
Que personne ne s'y trompe. Il s'agit non pas de faire du médiateur des
enfants, personnalité « clairement identifiable », pour reprendre vos propres
termes, madame la ministre, une autorité de second rang, mais bien, je le
répète, de répondre à une double préoccupation de célérité dans la mise en
place et d'efficacité dans l'application.
Placer le médiateur des enfants auprès de la médiature de la République permet
de le rendre directement opérationnel. Le fait qu'il soit, tout comme le
médiateur de la République, nommé solennellement en conseil des ministres et,
secondairement, qu'il ne puisse, pas plus que le médiateur de la République,
briguer un mandat local dont il ne serait pas détenteur lors de son entrée en
fonctions le manifeste assez clairement.
Par ailleurs, contrairement, au médiateur de la République, dont la saisine
est subordonnée à l'intervention d'un parlementaire, le médiateur des enfants,
là encore « clairement identifiable », pourra être saisi directement par les
mineurs « intéressés » - la commission a cru indispensable l'ajout de ce
qualificatif - ou leurs représentants légaux.
Ce sera là une seconde exception au filtre parlementaire de la médiation,
s'ajoutant à celle qu'a déjà acceptée le Sénat au bénéfice d'un homologue
étranger du médiateur de la République.
Cette saisine directe du médiateur des enfants n'exclut d'ailleurs nullement
qu'un mineur puisse s'adresser à un parlementaire qui sera susceptible de
saisir le médiateur de la République.
Le médiateur des enfants bénéficiera, de surcroît, d'une faculté d'autosaisine
qui confortera son autorité.
Eviter au médiateur toute confusion de compétences et doter sans plus tarder
cette personnalité éminente des moyens de fonctionnement lui permettant de
remplir sa mission, tel est l'objectif poursuivi - que personne ne s'y trompe -
par la commission des lois.
Est-il besoin d'ajouter qu'au moment où s'élève un concert de protestations -
justifiées - contre la multiplication et la lourdeur des textes, toute
simplification est bienvenue dès lors qu'elle n'altère en rien - et tel est
bien le cas - l'intention du ou des auteurs d'un projet ou d'une proposition de
loi ?
C'est d'ailleurs dans cet esprit que, s'agissant des relations entre l'un et
l'autre médiateurs, la formule proposée à votre approbation, mes chers
collègues, privilégie la souplesse en considérant que la répartition des
réclamations entre les deux médiateurs, dans la mesure même où ces derniers
appartiendront à une institution unique, relèvera d'une pratique interne à la
médiature.
Les exemples de cette fâcheuse compétition de compétences, dont
l'administration française, vous le savez, madame le ministre, semble avoir le
secret, sont en effet trop nombreux pour que la commission vous propose
d'inscrire dans la loi des dispositions trop précises, susceptibles d'entraver
l'action de l'institution.
Telles sont, mes chers collègues, les idées directrices qui ont guidé la
commission des lois dans l'examen attentif auquel elle a procédé d'une
proposition dont elle a tenu à souligner à quel point elle lui apparaissait
bienvenue.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la convention
internationale sur les droits de l'enfant, dont nous célébrerons dans quelques
jours le dixième anniversaire, a réalisé une véritable révolution dans la
conception même des droits de l'enfant.
Si, en 1959, la déclaration des droits de l'enfant avait amorcé cette
reconnaissance en rappelant que l'enfant est un être humain qui réclame une
protection de par sa vulnérabilité et sa dépendance, la convention de New York
a définitivement gravé le cadre de ses droits, aussi bien civiques et
économiques que sociaux et culturels.
Doté d'un véritable statut juridique autonome, l'enfant devient une personne à
part entière. Sa parole doit être entendue sans qu'elle ait nécessairement à
passer par le filtre de ses géniteurs.
C'est bien évidemment dans ce cadre qu'il nous faut replacer la proposition de
loi qui nous est présentée aujourd'hui.
En 1991, le Conseil de l'Europe recommandait aux Etats de nommer un médiateur
spécial pour les enfants, qui pourrait les informer de leurs droits, les
conseiller, intervenir et, éventuellement, ester en justice en leur nom.
La commission d'enquête parlementaire sur les droits de l'enfant, présidée par
Laurent Fabius, a inscrit parmi les quarante propositions qu'elle a remises en
mai dernier l'instauration d'un médiateur des enfants. S'appuyant sur les
expériences norvégienne, suédoise et wallonne, cette commission a dessiné les
contours de la mission d'un médiateur des enfants.
Issue de ces travaux, la présente proposition de loi, dont les auteurs sont
MM. Laurent Fabius et Jean-Paul Bret, institue un médiateur des enfants,
autorité indépendante chargée de promouvoir les droits de l'enfant, de recevoir
les réclamations des mineurs, de les traiter et de proposer des améliorations
législatives.
Dans un sondage réalisé à la demande du journal
Le Monde
et de l'UNICEF
- vous l'avez rappelé, madame la ministre - 91 % des adultes interrogés se
prononcent en faveur d'une telle mesure. Ce plébiscite - 91 % ! - traduit à la
fois une extrême réactivité à la notion des droits de l'enfant mais aussi la
demande qui se fait de plus en plus jour chez nos concitoyens d'une véritable
médiation.
Cette culture de la médiation, qui nous était autrefois étrangère, est entrée
peu à peu dans notre vie sociale pour résoudre les conflits : je pense
notamment à la médiation pénale promue par Mme la garde des sceaux dans le
cadre de la réforme de la justice et au travail remarquable réalisé depuis 1994
par la médiatrice chargée de la question du port du voile à l'école.
Le médiateur des enfants sera tout d'abord chargé de promouvoir les droits de
l'enfant, car le premier droit de l'enfant, c'est de savoir qu'il a des
droits.
Le sondage paru dans
Le Monde
nous fournit à cet égard une information
intéressante : 60 % des personnes interrogées avouent ignorer l'existence de la
convention de New York. C'est manifestement au médiateur des enfants que
reviendra cette tâche d'information essentielle !
Il ne s'agira pas de convaincre de l'existence des droits de l'enfant : notre
culture a subi sur ce point une évolution majeure et il ne fait plus de doute
que les enfants ont des droits. Mais tout se passe encore comme si ces droits
n'étaient qu'une concession, comme s'ils n'avaient qu'une valeur déclaratoire
et n'étaient pas susceptibles de pouvoir être exercés pleinement et
concrètement.
Le médiateur des enfants sera la preuve vivante que ces droits existent, qu'on
peut les invoquer et les faire appliquer.
Je ne doute pas, madame la ministre, que le médiateur sera relayé dans cette
tâche par le personnel enseignant, déjà mobilisé pour l'enseignement de la
citoyenneté à l'école. On ne peut rêver, en effet, meilleure introduction à la
citoyenneté !
C'est en comprenant et en exerçant ses droits que l'enfant devient citoyen.
C'est en exprimant ses souhaits, ses revendications, c'est en dénonçant
l'injustice que l'enfant apprend la démocratie.
La liberté d'expression, la liberté d'association, la liberté de réunion,
inscrites aux articles 12, 13 et 15 de la convention de New York, ont ainsi
trouvé cette année en France une application concrète dans la charte sur la
démocratie lycéenne, dans laquelle il est prévu que ces libertés pourront
s'exercer pleinement au lycée, grâce, notamment, à l'institution d'un conseil
de la vie lycéenne dans chaque établissement.
C'est en permettant aux enfants et aux adolescents de construire ensemble des
règles de vie commune que nous leur préparons un meilleur avenir.
L'initiative prise l'année dernière par un collectif d'adolescents autour du
manifeste « Stop la violence ! » est révélatrice : elle montre que les
adolescents sont une force de proposition et peuvent mettre en place des
mécanismes citoyens valables pour l'ensemble de la société.
Promoteur des droits de l'enfant, le médiateur sera également chargé de
proposer des modifications législatives et réglementaires lorsqu'il lui
apparaîtra que leur application aboutit à des situations inéquitables.
Le groupe socialiste a souhaité élargir cette compétence en permettant au
médiateur des enfants de suggérer des mesures nouvelles et non plus seulement
correctrices.
Cette faculté devrait permettre au médiateur des enfants de jouer un rôle
d'impulsion dans la transcription en droit interne de la convention de New
York.
Un certain nombre d'initiatives ont été prises depuis l'adhésion de la France
à la convention internationale des droits de l'enfant, notamment au regard de
l'article 12, qui dispose que l'enfant doit avoir la possibilité d'être entendu
dans toute procédure judiciaire le concernant : institution du juge des
enfants, possibilité pour le mineur d'être entendu par le juge, reconnaissance
pour l'enfant âgé de plus de treize ans du droit à donner son accord pour
procéder à un changement de nom.
Le rapport de Mme Dekeuwer Desfossez, qui devrait servir de support à la
réforme du droit de la famille, propose de compléter cette mise en conformité
en supprimant le critère de discernement et d'affirmer la possibilité d'une
audition de l'enfant quel que soit son âge.
La réforme du droit de la famille devra mettre notre législation en adéquation
avec un certain nombre d'autres dispositions contenues dans la convention de
New York. Je pense notamment au problème difficile de la connaissance des
origines, droit reconnu par l'article 7 de la convention mais inapplicable en
France tant que notre pays organisera le secret autour de l'origine, tant qu'il
ne modifiera pas les textes relatifs à l'accouchement sous X et tant qu'il
autorisera la demande de secret sur l'identité des parents lors de
l'abandon.
Je pense aussi au droit de l'enfant, reconnu à l'article 9, d'avoir deux
parents et de conserver, quels que soient les aléas du couple, des relations
personnelles avec chacun d'entre eux. Cela passe par une meilleure organisation
de l'autorité parentale.
D'autres champs restent à explorer, des questions doivent être posées.
Peut-être reviendra-t-il au médiateur de les soulever.
Comment concilier, par exemple, la libre disposition de son corps avec le code
de déontologie médicale et les dispositions de la loi relative à l'interruption
volontaire de grossesse ? Les jeunes filles sont libres, en droit, de mener à
terme leur grossesse sans l'autorisation de leurs parents ; en revanche, elles
ne peuvent pas, en droit, décider seules de l'interrompre.
Sans revenir sur le conflit qui oppose la Cour de cassation au Conseil d'Etat,
il m'apparaît souhaitable que tous les efforts législatifs soient faits dans le
sens d'une mise en conformité complète de notre législation.
La France fait partie des quatre-vingt-onze pays qui ont ratifié cette
convention. Patrie des droits de l'homme, économiquement très avancée, elle ne
peut s'autoriser trop de réserves et doit montrer la voie.
La troisième mission du médiateur, sans doute celle qui requerra toute son
énergie - et la nôtre également lors de ce débat - sera d'instruire les
réclamations qui lui seront directement adressées par les mineurs ou par leurs
représentants légaux lorsque ceux-ci estimeront que les administrations de
l'Etat, les collectivités publiques ou territoriales ou tout autre organisme
investi d'une mission de service public n'auront pas respecté les droits de
l'enfant. La réclamation pourra également dénoncer un dysfonctionnement du
service public.
Il est également prévu que le médiateur des enfants pourra s'autosaisir.
L'objectif de cette proposition de loi est de donner la parole à l'enfant :
l'absence de filtre parlementaire et la dispense d'effectuer des démarches
préalables sont une manière de faciliter cette prise de parole par l'enfant.
Encore faut-il que celui-ci ait véritablement l'impression de s'adresser à une
autorité faite à sa mesure, à une autorité qui lui soit spécifique, qu'il
puisse reconnaître facilement.
Vous proposez, monsieur le rapporteur, au nom de la commission des lois, de
placer le médiateur des enfants auprès du médiateur de la République, parce
que, dites-vous, vous êtes favorable à l'unité de la médiation
institutionnelle.
Mais, si la fonction est comparable, la nature même de l'institution est
différente. Ce n'est pas la fonction qui diffère, c'est le public ! Et, parce
que ce public est différent, les domaines d'intervention le seront forcément,
et la manière d'intervenir également.
Il nous faut donc créer deux institutions, sans crainte d'un conflit de
compétences, les articles 5 et 6 de la proposition de loi permettant par
ailleurs une organisation intelligente et le transfert de dossiers lorsque la
réclamation relève manifestement de l'« autre » médiateur.
Je comprends vos réserves sur le plan pratique, et vos efforts pour que la
mise en place de la réforme soit plus efficace et plus rapide sont louables.
Mais, contrairement à ce que vous semblez croire, la simplification que vous
opérez altère l'intention des auteurs de la proposition de loi, intention qui
est, je le répète une nouvelle fois, de faciliter la prise de parole autonome
par l'enfant lui-même.
Je crains que votre proposition, monsieur le rapporteur, ne procède d'une
certaine réticence à voir l'enfant prendre dans la cité une place importante,
et surtout autonome.
M. Christian Bonnet,
rapporteur.
Pas du tout !
Mme Dinah Derycke.
Lorsque vous placez le médiateur des enfants auprès du médiateur de la
République, vous lui refusez, en quelque sorte, toute émancipation, vous le
placez un peu sous tutelle, parce que, pour vous, le droit des enfants devrait
découler du droit de tous.
Prôner l'unité et l'homogénéité revient à mettre entre parenthèses
l'importance d'une telle institution et la spécificité du public concerné.
C'est parce qu'il convient de repousser les limites toujours inconscientes
mises par les adultes - tous les adultes, quels qu'ils soient - à l'expression
et aux droits des enfants que le groupe socialiste a souhaité élargir la
mission du médiateur des enfants à la sphère privée, c'est-à-dire aux rapports
entre les enfants et les personnes physiques ou les personnes morales de droit
privé non investies d'une mission de service public, et aménager cette nouvelle
compétence.
L'objectif est d'affirmer la compétence universelle du médiateur des enfants
dans la défense et la promotion de leurs droits afin de rendre sa mission la
plus efficace possible et d'appliquer concrètement certaines dispositions de la
convention de New York.
En effet, si la plus grande partie des enfants sont accueillis puis scolarisés
dans des établissements relevant du service public, un certain nombre d'entre
eux le sont dans des établissements privés, crèches privées ou crèches
d'entreprises, écoles privées, écoles hors contrat, professionnelles ou non,
vous l'avez rappelé, madame la ministre.
Par ailleurs, un grand nombre des activités parascolaires sont dispensées par
des personnes morales de droit privé. C'est ainsi qu'une proposition de loi
actuellement en navette vise à mieux garantir les droits du jeune sportif,
notamment en cas de transfert d'un club à l'autre. L'intervention d'un
médiateur dans ce domaine pourrait être déterminante pour régler ce genre de
conflits !
Cette intervention pourrait également être fort utile pour les violations des
droits du mineur dans le monde du travail, car il n'est pas évident à un jeune
travailleur de moins de dix-huit ans de saisir la juridiction prud'homale ou de
demander l'intervention d'un inspecteur du travail. Or, nous le savons, les
droits des mineurs au travail sont souvent violés.
Il nous est donc apparu important de rendre la compétence du médiateur
universelle : les droits de l'enfant peuvent être méconnus et bafoués aussi
bien dans le privé que dans le public.
Il s'agit moins, mes chers collègues, de calquer l'institution du médiateur
des enfants sur celle du Médiateur de la République et de risquer, par là même,
de réduire son champ d'intervention que de répondre à l'objectif que nous nous
sommes fixé : promouvoir et défendre en tous lieux les droits de l'enfant.
L'instauration d'un médiateur des enfants fera naître une dynamique qui se
diffusera dans la sphère privée et dans nos politiques publiques, et nous nous
en félicitons.
Toutefois, si notre assemblée retenait les propositions de la commission, nous
ne pourrions voter le texte en l'état. En effet, le médiateur des enfants ne
fera naître cette dynamique hautement souhaitable qu'à la condition d'être
visible, connu et reconnu : cela passe par l'affirmation de son autonomie et
l'attribution des pouvoirs les plus larges possibles.
(Applaudissements sur
les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le jugement
que je porte sur la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui est
contrasté.
Si le principe de la création d'un médiateur des enfants me paraît excellent,
les modalités retenues me laissent perplexe, et je crains que les modifications
proposées par la commission des lois du Sénat qui constituent certes des
améliorations, ne permettent pas de remédier au principal défaut de la
proposition de loi, à savoir un manque d'ambition dans la définition des
missions du médiateur des enfants.
Je remercie la commission des lois et son rapporteur, notre excellent collègue
Christian Bonnet, de donner une compétence supplémentaire au médiateur de la
République en lui rattachant le médiateur des enfants. Cependant, je ne suis
pas sûr que cette louable intention représente la meilleure voie pour aboutir à
un projet consensuel entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Or, sur un tel
texte, qui ne constitue pas un sujet d'affrontement politique, je souhaite très
vivement que nous aboutissions à un accord entre nos deux assemblées.
Dans cet esprit, je ne voterai pas le texte tel qu'il a été modifié par la
commission, et je n'aurais, du reste, pas voté non plus la proposition de loi
initiale.
Je voudrais, en quelques minutes, esquisser devant vous, mes chers collègues,
ce qui pourrait devenir la base d'un texte transactionnel attribuant des
compétences plus larges au médiateur des enfants.
Je n'insisterai pas sur le caractère très positif de la création d'un
médiateur des enfants. Je dirai simplement que la tendance de fond qui consiste
à mieux prendre en compte et à mieux défendre les droits de l'enfant n'a pas
encore permis de parvenir, dans notre pays, à une situation satisfaisante. La
situation de l'enfant reste fragile, dans les pays pauvres comme dans notre
société, disait très justement hier soir le Président de la République.
De nombreux exemples nous montrent en particulier que la parole de l'enfant
n'est pas assez écoutée dans notre pays. C'est précisément la raison pour
laquelle la création d'un médiateur - je préfère de beaucoup pour ma part le
titre de « défenseur des enfants » - répond à une vraie demande sociale.
La question qu'il faut alors se poser est la suivante : à quoi doit servir un
défenseur des enfants ? La réponse des auteurs de la proposition de loi est
d'assigner à ce défenseur une mission d'intercession dans les litiges qui
peuvent opposer les enfants aux administrations, aux collectivités
territoriales et aux autres organismes chargés de gérer un service public.
Il est clair que les rédacteurs du texte se sont, sur ce point, directement
inspirés de la loi de 1973 créant le Médiateur de la République. J'y vois deux
inconvénients principaux.
En premier lieu, la compétence du défenseur des enfants est limitée à ce que
j'appellerai, dans un souci de simplification, la « sphère publique ». Or, on
peut se demander si c'est bien là qu'existe le principal déficit de médiation
dont peuvent souffrir les enfants. N'est-ce pas, au contraire, dans la « sphère
privée », c'est-à-dire dans les rapports des enfants avec les personnes
privées, physiques ou morales, que prennent naissance nombre de litiges
concernant les enfants ?
En second lieu, la limitation du champ de compétence du défenseur des enfants
aux réclamations relatives à un organisme public ou assimilé place ce médiateur
spécialisé en concurrence directe avec le « généraliste » qu'est le médiateur
de la République, et crée donc une situation particulièrement confuse. En
effet, les enfants ou leurs parents auront le choix entre deux médiateurs dont
les doctrines et les pratiques d'intervention ne seront pas harmonisées ni
coordonnées.
Par ailleurs, on peut se demander s'il est bien cohérent de créer de toutes
pièces, auprès du défenseur des enfants, une structure de médiation
institutionnelle qui existe déjà à la médiature de la République.
La solution prévue par la proposition de loi pour résoudre ce problème de
chevauchement de compétences est tout à fait inopérante, puisque le champ de
compétence du défenseur des enfants consitue un sous-ensemble de celui du
médiateur de la République. La commission des lois propose de régler cette
difficulté majeure en rattachant le défenseur des enfants au médiateur de la
République.
Certes, cette solution a le mérite de la simplicité et de la clarté, mais elle
ne permet pas, par définition, de remédier au caractère quelque peu étriqué de
la définition des compétences du défenseur des enfants. On pourrait inverser
les termes du raisonnement et faire valoir que l'autonomie du défenseur des
enfants ne peut se justifier que s'il se voit attribuer une mission
suffisamment différente de celle du médiateur de la République. Ainsi, j'ai
déjà évoqué la possibilité d'un élargissement du domaine d'intervention du
défenseur des enfants aux litiges de droit privé.
Cela étant, je crois qu'il faut aller encore au-delà et ne pas confiner le
défenseur des enfants dans une fonction d'intercession individuelle. Il y a
lieu de noter que les défenseurs pour enfants existant à l'étranger, notamment
en Norvège, en Suède et en Wallonie, sont toujours investis d'une large mission
de défense et de promotion collectives des droits des enfants, le médiateur
suédois étant même incompétent pour connaître des cas individuels. Les
dispositions relatives à la promotion collective des droits de l'enfant et aux
actions d'information sur ces droits prévus à l'article 4 de la proposition de
loi me paraissent, à cet égard, trop générales et trop imprécises.
Après avoir réfléchi à ces questions, à la lumière de mon expérience passée
avenue d'Iéna et après avoir recueilli l'avis autorisé de Bernard Stasi, actuel
médiateur de la République, j'estime que les deux orientations que je viens de
décrire - élargissement du domaine de l'intercession individuelle et
développement de la promotion collective des droits de l'enfant - pourraient
être mises en oeuvre dans les conditions suivantes.
Tout d'abord, le défenseur des enfants serait compétent pour recevoir toutes
les réclamations individuelles émanant d'enfants. Celles de ces réclamations
qui concerneraient une administration ou un service public seraient ensuite
transmises au médiateur de la République pour qu'il les instruise : le
défenseur des enfants serait informé du résultat de cette instruction et le
communiquerait à l'enfant concerné ou à ses parents.
Dans un tel dispositif, le défenseur des enfants, qui présente l'avantage de
pouvoir être saisi directement et sans que le requérant ait eu à effectuer des
démarches préalables auprès de l'organisme concerné, jouerait en quelque sorte
le rôle de « filtre » qui est celui des parlementaires dans la procédure de
saisine du médiateur de la République.
De plus, le schéma proposé préserverait l'unité de la médiation
institutionnelle, puisque toutes les démarches relatives à cette médiation
resteraient effectuées par les services du médiateur de la République, et
permettrait d'éviter le gaspillage qui résulterait de la constitution, auprès
du défenseur des enfants, d'équipes faisant strictement le même travail que les
collaborateurs du médiateur de la République. En revanche, lorsque le litige
soumis au défenseur des enfants concerne une personne physique ou morale de
droit privé, non investie d'une mission de service public, le défenseur des
enfants effectuera lui-même les médiations qu'il jugera nécessaires.
La médiation de droit privé ainsi mise en place constitue, au fond, un nouveau
métier à inventer. Cependant, si l'environnement juridique est différent, la
démarche à suivre ne l'est pas : il s'agira de prendre contact avec la personne
physique ou morale mise en cause par l'enfant, d'obtenir d'elle tous les
éclaircissements nécessaires et de parvenir, par la persuasion, à un règlement
raisonnable et équilibré du conflit.
Il est certes possible, mes chers collègues, de se montrer pessimiste sur les
chances de succès de telles médiations dans la sphère privée. Je souhaite
néanmoins insister sur le fait que le défenseur des enfants ne sera pas plus
démuni vis-à-vis de ses interlocuteurs que ne l'était le médiateur de la
République après sa création en 1973. Mon prédécesseur, M. Antoine Pinay, avait
« essuyé les plâtres » de la médiature et rencontré quelques difficultés au
début de sa mission, mais celles-ci se sont aplanies au fil des années.
Je n'ai pas besoin de vous rappeler que, sauf dans des cas très particuliers,
le médiateur de la République est également privé de tout pouvoir de coercition
sur les administrations et les services publics et qu'il ne peut compter que
sur sa force de conviction, laquelle est grande mais a tout de même ses
limites.
(M. le rapporteur sourit.)
Par ailleurs, il paraîtrait intéressant que le défenseur des enfants joue un
rôle d'orientation et de coordination dans le domaine de la protection de
l'enfance maltraitée.
Pour éviter tout malentendu, je précise tout de suite qu'il ne s'agit pas,
dans mon esprit, de remettre en cause les prérogatives actuelles de la
protection judiciaire de la jeunesse, des services de l'aide sociale à
l'enfance des conseils généraux et, bien sûr, des services de l'éducation
nationale.
En revanche, je souhaite par exemple que soit rattaché au défenseur des
enfants le service national d'écoute téléphonique de l'enfance maltraitée qui
gère le numéro vert « Allo enfance maltraitée ».
Ce rattachement me paraît constituer un bon moyen de remplir la coquille vide
que serait la mission d'un défenseur des enfants autonome. Il aurait également
pour grand avantage de permettre à celui-ci de disposer d'emblée d'un personnel
spécialement formé à l'écoute, voire au décryptage de la parole de l'enfant.
Ce rattachement n'aurait pas de conséquences sur les responsabilités
opérationnelles de la justice et des conseils généraux en matière de protection
de l'enfance maltraitée, puisque ce service, cofinancé par l'Etat et les
départements, joue un simple rôle d'orientation dans le traitement des plaintes
dont il est saisi.
On pourrait objecter à cette idée qu'il n'est pas sain de jouer au « meccano
institutionnel » en modifiant le rattachement d'un tel organisme. Je rappelle
cependant au Sénat qu'il a déjà recouru avec bonheur à un tel procédé. Dans un
domaine évidemment très différent, nous avons en effet choisi, à une certaine
époque, de donner de la substance à l'Agence française de sécurité sanitaire
des aliments en lui rattachant le Centre national d'études vétérinaires et
alimentaires, et ce rattachement, après avoir, dans un premier temps, provoqué
d'importants remous, a finalement été bien accepté par toutes les parties
intéressées.
S'agissant de la défense collective des droits des enfants, il me paraîtrait
opportun d'élargir le pouvoir de proposer des réformes conféré par la
proposition de loi au défenseur des enfants.
En effet, le texte adopté par l'Assemblée nationale permet seulement au
défenseur des enfants de proposer la modification des dispositions législatives
ou réglementaires relatives aux droits de l'enfant lorsque leur application
aboutit à des situations inéquitables. Or les éventuelles atteintes au droit de
l'enfant ne découlent pas seulement de l'application des textes relatifs
auxdits droits. Il me semblerait donc utile que le défenseur des enfants puisse
proposer la modification des dispositions législatives ou réglementaires de
toute nature, dès lors que leur application place un enfant dans une situation
inéquitable.
Il conviendrait également d'étendre ce pouvoir de proposition aux textes qui
portent atteinte aux droits de l'enfant.
J'estime en effet souhaitable de se référer aussi souvent que possible à cette
notion de droits de l'enfant, afin de conforter les avancées juridiques
considérables résultant de la convention internationale relative aux droits de
l'enfant du 20 novembre 1989, dite « convention de New York ».
De ce point de vue, le défenseur des enfants devrait non seulement exercer une
action « correctrice », c'est-à-dire visant à modifier les textes français ne
respectant pas complètement les prescriptions de la convention de New York,
mais également jouer un rôle d'« impulsion positive » dans la transcription en
droit interne de celles de ces stipulations qui sont dépourvues d'effet
direct.
Il me paraîtrait également intéressant que les observations de ce défenseur
soient jointes au rapport sur l'application de la convention de New York que le
Gouvernement français doit présenter chaque année au Parlement pour le 20
novembre, date de la journée mondiale des droits de l'enfant.
Le défenseur pourrait ainsi porter un regard critique sur les mesures que les
pouvoirs publics ont prises - ou se sont abstenus de prendre - pour garantir la
pleine application de ladite convention.
A cet égard, je me réjouis que la commision des lois ait choisi de se référer
aux droits de l'enfant reconnus par un engagement international régulièrement
ratifié ou approuvé, sans distinguer entre les engagements ayant un effet
direct et ceux qui n'en n'ont pas.
En effet, cette distinction qui figure dans le texte adopté par l'Assemblée
nationale aurait été très difficile à mettre en oeuvre pour plusieurs
raisons.
Premièrement, la notion d'effet direct ne s'apprécie généralement pas au plan
du traité lui-même, mais à celui de chacune de ses stipulations.
Deuxièmement, il peut exister des divergences d'appréciation entre les
juridictions suprêmes de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire sur le
caractère auto-exécutoire de telle ou telle stipulation d'un traité.
Troisièmement, une large partie de la doctrine estime que les dispositions
d'une convention internationale dépourvues d'effet direct ne sont pas pour
autant privées de toute portée juridique, de sorte que, même si elles ne créent
pas directement de droits dont un particulier peut se prévaloir, elles peuvent
cependant être invoquées à l'encontre d'une disposition réglementaire qui leur
serait contraire.
Je résumerai mon propos, mes chers collègues, en disant qu'il me paraît
possible d'enrichir considérablement le rôle confié au défenseur des enfants
par la proposition de loi. Je souhaitais vous faire part de mes réflexions sur
ce sujet en espérant que la présente lecture et surtout les lectures
ultérieures de ce texte permettront de progresser dans ce sens.
Il serait en effet tout à fait regrettable que le défenseur des enfants, qui
répond à mes yeux à un réel besoin social, soit perçu, faute d'une réflexion
préalable suffisamment approfondie, comme un « gadget institutionnel », et je
suis persuadé que nous parviendrons, en collaboration avec l'Assemblée
nationale, à conjurer ce risque.
Nous aurons ainsi permis de faire réellement avancer la cause des droits de
l'enfant, ce qui est, j'en suis sûr, notre objectif sur toutes les travées des
deux assemblées.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je serai bref
car beaucoup de choses ont déjà été dites, que je partage, notamment le
bien-fondé du médiateur des enfants. Je trouve, en effet, que partout dans le
monde, en France notamment, les enfants méritent de voir leurs droits défendus,
assurés et garantis.
Cela dit, je ferai quelques remarques sur le texte qui nous est présenté et je
porterai un jugement sur les propositions de la commission.
Un médiateur des enfants paraît une bonne chose mais, une fois de plus, nous
allons créer une autorité administrative indépendante. Nous avons une fâcheuse
tendance, à l'heure actuelle, pour résoudre les problèmes, à multiplier ces
autorités. Certaines, bien sûr, sont nécessaires, mais est-il bien utile, en
l'espèce, d'en créer une nouvelle alors qu'il en existe une, à savoir le
médiateur de la République, et que nous sommes face à des tâches de médiation
?
Aujourd'hui, nous créons le médiateur des enfants. C'est une première. Demain,
faudra-t-il créer le médiateur des apprentis, le médiateur des militaires, le
médiateur de l'enseignement supérieur, le médiateur des hôpitaux, etc. ? C'est
d'ailleurs, à mon avis, une voie normale et naturelle.
Nous devons donc réfléchir, peut être de façon plus approfondie, à la place
que doit tenir à l'avenir dans le fonctionnement de nos institutions la
médiation face à la décision de justice.
Mme Derycke a évoqué tout à l'heure la médiation pénale, bien qu'elle soit
d'une autre nature que la médiation dont il est question. Il est vrai que notre
pays a pris un certain retard en matière de médiation par rapport aux Etats
scandinaves, par rapport à la Grande-Bretagne, à l'Allemagne, pays où la
médiation est une pratique courante préliminaire, en règle générale, à tout
jugement.
Il serait bon, madame le ministre, de saisir Mme le garde des sceaux de ce
problème afin d'engager une réflexion approfondie au sein du Gouvernement quant
au rôle futur de la médiation dans nos rapports sociaux, et d'envisager
éventuellement le dépôt d'un projet de loi à ce sujet.
Ma deuxième remarque a trait à la lisibilité.
Ainsi que le rappelait tout à l'heure notre collègue M. Pelletier, il n'a pas
été facile au premier médiateur de la République de s'imposer. Maintenant, il
s'agit d'une institution confirmée, d'une institution reconnue que nos
concitoyens savent utiliser : ils viennent dans nos permanences pour nous
demander de saisir le médiateur de la République.
Cela a été long et vous avez rappelé, mon cher collègue, les difficultés qu'a
rencontrées le médiateur de la République à ses débuts lorsqu'il n'avait autour
de lui qu'une poignée de collaborateurs rapidement submergés sous le nombre des
plaintes et des demandes qui affluaient.
Aujourd'hui, nous disposons d'un réseau cohérent, notamment avec les
médiateurs départementaux qui jouent un rôle tout à fait remarquable.
Je ne souhaite pas au médiateur des enfants d'éprouver les mêmes difficultés
que celles qu'a connues le médiateur de la République à ses débuts : recherche
de locaux d'accueil et de collaborateurs indispensables. D'ailleurs, la
proposition de notre excellent rapporteur, vise justement à régler tous ces
problèmes en installant d'emblée le médiateur des enfants dans les locaux du
médiateur de la République et en lui permettant de bénéficier de son
personnel.
La lisibilité est fondamentale. Nos concitoyens aiment les lois claires et les
institutions transparentes, et je ne peux que les approuver. Comment
pourraient-ils s'y retrouver s'il y a deux médiateurs - un Médiateur de la
République et un médiateur des enfants - deux administrations et deux locaux
différents ? Je vous ai dit que nous n'en sommes qu'aux prémices ; il y aura
demain d'autres médiateurs spécialisés parce qu'ils seront nécessaires et parce
que cela participe de l'évolution normale de nos sociétés.
C'est la raison pour laquelle, d'un strict point de vue de la lisibilité, il
me paraît nécessaire de rattacher le médiateur des enfants au médiateur de la
République.
Mais j'irai maintenant un peu plus loin, et je m'adresse à vous, madame le
ministre. Ce texte est incomplet car il y manque une analyse préalable. Certes,
il part d'un très bon sentiment, que nous partageons tous, mais où se trouve
l'étude qui recenserait les recours éventuels des enfants auprès de ce
médiateur ? Dans quels domaines l'enfant va-t-il agir, va-t-il se sentir lésé
dans ses droits ?
J'ai essayé de réfléchir à la question. J'ai eu beaucoup de mal ;
heureusement, certains collègues m'ont aidé.
Tout d'abord, un secteur évident où, à mon avis, les recours des enfants
s'exerceront est celui de l'éducation nationale. Ce n'est pas la peine de
parler du public ou du privé, les établissements privés qui collaborent au
grand service public de l'éducation nationale sous forme de contrats sont
naturellement visés.
Dans cette optique, que deviendront non seulement le médiateur de l'éducation
nationale mais aussi les médiateurs des rectorats ? A quoi serviront-ils ?
Et puis - allons un peu plus loin - dans cette tâche de l'éducation nationale,
je crois qu'une mission s'imposera très vite, dès que la loi sera publiée,
celle de rendre obligatoire, le plus tôt possible auprès des enfants,
l'enseignement de l'institution du médiateur. Il faudra donc mobiliser les
enseignants à cette mission qui sera d'expliquer aux enfants ce qu'est le
médiateur des enfants, à quoi il servira, comment il sera saisi et ce qu'il
pourra faire pour régler les problèmes. C'est ici qu'un aspect pervers des
choses risque d'apparaître, et c'est la raison pour laquelle, madame le
ministre, je vous demande d'attacher une grande importance à mon propos. En
effet, les demandes des enfants adressées au médiateur, en matière d'éducation
nationale, risquent très vite de se transformer en dénonciations d'un certain
nombre d'enseignants. Et là, il faudra prévoir les réactions du corps
enseignant, associer les syndicats à cette démarche et faire en sorte qu'il ne
s'agisse pas d'une évaluation déguisée des enseignants par le biais de la
médiation. C'est un problème important, me semble-t-il, que je soulève ici et
auquel il va falloir réfléchir.
Le second recours au médiateur concernera, me semble-t-il, les placements
d'enfants : un enfant pourra se plaindre de la famille d'accueil dans laquelle
on l'aura placé, voire des conditions dans lesquelles il ressent son placement
auprès d'une association, ou d'une cellule, chargée d'accueillir les enfants en
difficulté ou en détresse.
Là encore, le même risque que celui que je viens de souligner peut apparaître.
Là encore il faudra associer tout à la fois les éducateurs, les foyers
d'accueil, les parents d'accueil à ce genre de démarche, faute de quoi ils
risquent de se sentir eux-mêmes menacés.
En effet - et c'est là le problème de notre société - nous connaissons les
droits des enfants dans la convention de New York, nous les partageons, nous
les acceptons et nous sommes prêts à les défendre mais, en contrepartie, quand
a-t-on énoncé les devoirs des uns et des autres à l'égard des enfants - je veux
parler des devoirs des parents, de ceux des éducateurs, de ceux qui accueillent
un apprenti, ou encore des devoirs d'un patron qui accueille un jeune mineur. A
quel moment a-t-on fixé et établi ces devoirs ? L'on ne peut pas défendre des
droits si en face on n'énonce pas des devoirs.
En outre - nous en avons discuté -, s'il existe des droits des enfants, que
nous sommes tous, bien sûr, prêts à défendre, n'y a-t-il pas aussi des devoirs
des enfants ? Le système éducatif ne doit-il pas aussi apprendre à l'enfant un
certain nombre de comportements ? Et là, on ne va pas créer un médiateur pour
défendre les droits des éducateurs menacés par les droits excessifs des
enfants.
Nous sommes donc là en présence de toute une logique qui m'interpelle : si je
me rallie à la proposition de notre rapporteur, je m'interroge toutefois sur le
point de savoir si nous avons mesuré toutes les conséquences de la création de
cette nouvelle institution. Je m'interroge sur les relations entre cette
institution et le système juridique et juridictionnel. Je m'interroge sur la
compatibilité d'un certain nombre de recours qui seront admis et sur d'autres
qui ne le seront pas. C'est ainsi que l'enfant ne pourra pas se plaindre auprès
du médiateur du fait que le juge aura attribué la garde au père plutôt qu'à la
mère - ou inversement - car ce sera une décision de justice.
J'en reviens enfin à ce que je disais tout à l'heure. Nous sommes entrés dans
une période de mutation de nos rapports sociaux qui nous impose d'intégrer le
phénomène de la médiation beaucoup plus largement que nous ne l'avons fait
jusqu'à maintenant.
Ce phénomène de la médiation, nous ne pourrons l'intégrer comme les sociétés
scandinaves qu'à la condition que nos mentalités et nos structures changent.
Or, nos mentalités et nos structures ne changeront que dans la mesure où
l'école nous aidera à les faire changer.
Ces remarques, qui ne sont en réalité que des interrogations, m'incitent à me
rallier intégralement au texte soutenu par la commission des lois.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il nous est
proposé aujourd'hui d'approuver une proposition de loi adoptée il y a
maintenant un an par l'Assemblée nationale. Reprenant une suggestion de la
commission parlementaire relative à la situation des droits de l'enfant en
France, cette proposition de loi vise à créer un médiateur des enfants.
Calquée sur le modèle du médiateur de la République, cette institution aura
pour mission de défendre et de faire prospérer les droits de l'enfant, en
particulier à l'égard des administrations.
Mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même, nous
approuvons sans réserve une telle démarche, qui va dans le sens des évolutions
contemporaines en faveur des droits des enfants. Ces évolutions délaissent,
fort heureusement, de plus en plus l'image de l'enfant « objet de droits » au
profit d'une appréhension plus positive et plus dynamique de l'enfant a « sujet
de droits ».
L'enfant est aujourd'hui à la fois un « sujet de protection », pour reprendre
le terme de la sociologue Irène Théry, mais aussi un « citoyen en devenir »
auquel il convient de donner les moyens d'être acteur de son autonomisation.
Cette double perception de l'enfant trouve son expression dans les
modifications législatives de la dernière décennie. Ces nouvelles dispositions
ont en effet progressivement consacré la possibilité pour l'enfant de faire
entendre sa voix dans les procédures le concernant, qu'il s'agisse de
l'autorité parentale, avec la loi de juillet 1987, du placement en détention
provisoire, avec les lois de juillet 1987 et de 1989, ou de l'enregistrement
télévisuel du témoignage d'un enfant abusé sexuellement, avec la loi de juin
1998. Nous espérons que cette évolution se poursuivra.
Le rapport de Mme Dekeuwer-Defossez sur la rénovation du droit de la famille
ouvre sur ce point de nouvelles perspectives, en suggérant notamment que
l'enfant soit, par principe, entendu dans les procédures de divorce. Nous
espérons que la prochaine refonte du droit de la famille amplifiera ce
mouvement et consacrera une meilleure prise en compte des intérêts de
l'enfant.
La Convention internationale des droits de l'enfant, signée à New York le 20
novembre 1989, a manqué de façon forte le début de la prise en compte
législative de cette nouvelle perception de l'« enfant citoyen ».
A l'occasion du dixième anniversaire de cette convention, nous pouvons revenir
sur les objectifs annoncés, mais aussi sur les efforts qui restent encore à
faire pour les atteindre. En effet, la conquête des droits de l'enfant, y
compris en France, est loin d'être achevée.
Nous pouvons ainsi constater que les réalités de la vie ne correspondent pas
toujours aux droits proclamés. On peut bien entendu citer la maltraitance dont
souffrent des milliers d'enfants et le triste record que détient la France pour
les suicides des jeunes. Mais force est également de constater que l'égalité
des chances devant le système éducatif reste fréquemment théorique, qu'un tiers
des enfants ne part jamais en vacances et que tous n'ont pas un accès
satisfaisant aux services de soins.
La misère économique, on le sait, laisse de nombreux enfants à la lisière de
la société et de l'accès aux droits. S'agissant plus précisément de la médecine
scolaire, comme vous le savez peut-être, les médecins scolaires sont
aujourd'hui en grève pour réclamer des postes supplémentaires. Comment peut-on
fêter en grande pompe la convention des droits de l'enfant et accepter
parallèlement qu'il n'y ait seulement qu'un médecin scolaire pour 7 000 élèves
?
Par ailleurs, il convient de noter que la proposition de créer une institution
indépendante chargée des droits de l'enfant a la faveur d'une large majorité
des Français. Ainsi, selon un sondage UNICEF-
Le Monde
, publié ce
week-end, que vous avez cité, madame la ministre, 91 % des adultes sont
favorables à la création d'une telle institution qui serait susceptible de
suggérer des modifications législatives en faveur des jeunes.
Deux questions se posent cependant quant à la création d'un médiateur des
enfants.
En premier lieu, on peut se demander en quoi la médiation institutionnelle
peut contribuer à concrétiser et pérenniser les principes énoncés dans la
convention internationale des droits de l'enfant.
Ce mode alternatif de règlement des conflits n'est certes pas familier à notre
tradition juridique. Néanmoins, la France s'y est ralliée de bon coeur, d'abord
dans les relations entre l'administration et les administrés et, plus
récemment, dans le domaine pénal ou social.
Dans le domaine des droits de l'enfant, il me semble que la médiation a un
rôle particulier à jouer.
D'abord, au regard de son objet même, « mettre d'accord, concilier, voire
réconcilier des personnes », la médiation contribue à « pacifier » les
relations sociales. Cette dimension nous apparaît essentielle, comme le
soulignait mon collègue M. Bernard Birsinger à l'Assemblée nationale. Les
enfants pourront ainsi faire « l'apprentissage d'une dimension importante de la
citoyenneté, le refus de l'arbitraire, le refus d'une violence faite par la
collectivité à un individu ou un groupe d'individus » par des voies autres que
conflictuelles.
Ensuite, le médiateur peut être un bon vecteur de changement des mentalités.
L'une des missions qui lui incombera sera en effet d'assurer la promotion des
droits de l'enfant et d'organiser des actions d'information.
Ce n'est d'ailleurs pas par hasard que certains pays européens se sont déjà
dotés de cette institution afin d'assurer une meilleure défense des droits de
l'enfant.
Dans cet esprit, nous étions invités par le Conseil de l'Europe à adopter une
telle démarche. La résolution n° 1121 en date du 1er février 1990 incitait en
effet les Etats membres à « nommer un médiateur spécial pour les enfants, qui
pourrait les informer de leurs droits, les conseiller, intervenir et
éventuellement ester en justice des poursuites en leur nom ». La proposition de
créer une institution chargée spécifiquement des droits de l'enfant semblait
ainsi recueillir la plus grande unanimité.
Pourtant, dès lors qu'il s'est agi de la « mettre en musique », des
divergences profondes sont apparues, de même que des interrogations sur
l'opportunité de mettre en place une médiation spécifique aux enfants.
En fin de compte, deux conceptions radicalement différentes dans leur principe
et leurs conclusions s'affrontent. Elles ne sont que la reprise d'un débat de
fond qui s'était déjà exprimé lors de la signature de la convention, en
1989.
Pour les uns, la question des droits de l'enfant ne doit pas être séparée « du
tout » que constitue celle des droits de l'homme. Les droits des enfants ne
sont qu'un des aspects des droits de l'homme et ils ne doivent pas faire
l'objet d'un traitement spécifique.
Telle est la position de la commission des lois du Sénat, qui se réclame de la
commission consultative des droits de l'homme. Tout en affichant une adhésion
au principe du médiateur des enfants, la commission nous propose... de ne pas
en créer ! L'institution qu'elle vise n'aurait de médiateur des enfants que le
nom, puisque, organiquement rattachée au médiateur de la République, elle
n'aurait pas d'autonomie propre.
Pour les autres, dont nous sommes, la question des droits de l'enfant relève
d'une problématique spécifique. Il convient, pour l'appréhender, de mettre en
place une institution spécialement et exclusivement chargée de cette question,
un véritable « porte-parole » des enfants dans lequel ils sont susceptibles de
se reconnaître.
C'est à cette condition, croyons-nous, qu'ils pourront se sentir réellement «
citoyens » en devenir, car écoutés et relayés. Cette dimension essentielle
serait opportunément renforcée par une ouverture de la saisine aux associations
créées par et pour les enfants. Nous pensons en particulier aux associations de
lycéens et de collégiens. Nous avons d'ailleurs déposé des amendements en ce
sens.
Cette approche nous semble confortée par le sondage publié dans
Le
Monde
qui nous montre combien les enfants ont une approche spécifique de
leurs droits, différente, en décalage avec celle de leurs parents.
Reste à demander si, comme l'ont soutenu certains, le « défenseur des enfants
» - M. le président Fabius nous suggère de le nommer ainsi pour éviter toute
confusion - ne risque pas d'entrer en concurrence avec le médiateur de la
République.
D'une part, médiateur des enfants et médiateur de la République opéreront dans
des champs d'actions différents : les enfants pour l'un, les adultes pour
l'autre ! D'autre part, des passerelles, des modes d'information réciproques
ont été prévus pour prévenir des saisines concurrentes. Les médiateurs se
communiqueront les réclamations qui entreraient dans le domaine de l'autre. De
plus, le médiateur des enfants informera le médiateur de la République des
dysfonctions constatées.
Les deux médiateurs ont donc vocation à être complémentaires et non
concurrents !
En proposant de rattacher le médiateur des enfants au médiateur de la
République, la commission des lois dénature complètement l'esprit du texte.
Sous prétexte de « faciliter et hâter sa création », elle nous propose en
réalité de la brader. Vous comprendrez, au vu de ces observations, que les
sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen se prononceront contre
les propositions de la commission. Nous choisissons au contraire de soutenir le
texte qui nous est transmis par l'Assemblée nationale.
Je souhaiterais enfin exprimer le voeu que le médiateur des enfants contribue
effectivement à une meilleure application de la convention de New York. Cela a
été rendu possible grâce à une proposition de M. Bernard Birsinger à
l'Assemblée nationale, par une référence directe à ce texte majeur.
La jurisprudence de la Cour de cassation, qui refuse, sans distinction aucune,
le caractère auto-exécutoire des dispositions de cette convention, est tout à
fait dommageable à l'extension des droits des enfants.
Mme Claire Brisset, membre de l'UNICEF, nous expliquait pourtant, il y a un
an, que, grâce à la convention de New York, les enfants sortaient enfin du
ghetto où les avaient confinés des siècles de « minorité ». Nous sommes
certainement nombreux à partager ce point de vue.
Avec cette proposition de loi relative au médiateur des enfants, nous avons
aujourd'hui, mes chers collègues, la responsabilité de mettre en place un
dispositif qui y contribuera, à condition de ne pas le dénaturer comme le
propose la commission des lois. C'est en tout cas ce que nos concitoyens
attendent.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?
...
La discussion générale commune est close.
PROPOSITION DE LOI