Séance du 9 novembre 1999
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 604, adressée à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la ministre, je voudrais, en préambule, vous rappeler le contenu de l'article 3 du protocole de Kyoto à la convention sur les changements climatiques, que vous connaissez parfaitement.
Trente-neuf pays, pour la plupart européens, mais aussi le Canada, les Etats-Unis et la Nouvelle-Zélande se sont engagés « à réduire le total des gaz à effet de serre d'au moins 5 % par rapport au niveau de 1990 à 2012 ». Chacune des parties s'engage à faire état des progrès réalisés et dont il pourra être fait preuve en 2005.
Notre pays est donc concerné, et c'est une bonne chose. Ma question est donc très simple, madame la ministre : à ce jour, où en sommes-nous ?
Il nous semble qu'un débat public s'impose, sous une autre forme que celle de la journée sans voiture, et beaucoup plus profond, car la situation s'aggrave. Confirmez-vous que, pour la seule année de 1998, les émissions de dioxyde de carbone - CO2 - ont cru en France de 5 % ?
Certains prétendent que le phénomène indiscutable de réchauffement de la terre serait l'un des responsables de cette situation. En tout cas, personne ne méconnaît ce phénomène. Au cours du siècle qui s'achève, le réchauffement a été de 0,6°. On prévoit qu'au cours du xxie siècle, si des mesures ne sont pas prises, l'accroissement pourrait être de 1,5° à 3°, avec toutes les conséquences que cela implique pour la vie sur terre.
Il est indéniable que climat et CO2 sont liés, mais ne confondons pas cause et effet : si l'action de l'homme est première, cela signifie que nous avons le pouvoir de maîtriser la situation.
Un des dirigeants de Greenspace, Bille Hare, lors de la réunion de Buenos Aires sur les réchauffements climatiques, commentait ainsi l'échec de la rencontre de 162 pays en 1995 : « L'épais brouillard du jargon a caché l'essentiel. Les émissions de gaz à effet de serre continuent de croître. » Il avait raison, et d'enchaîner aussitôt avec cette question : « Est-il possible de les diminuer ? » Je pense que oui car, dans certains secteurs, la stabilisation a pu intervenir.
De 1960 à 1973, la consommation d'énergie par habitant a fortement augmenté. Depuis 1973, elle s'est stabilisée, du fait des restructurations industrielles, de la recherche d'une plus grande efficacité énergétique, de la substitution de certaines sources d'énergie. En particulier, pour ce qui est de la production industrielle, on remarque une stabilisation globale de la pollution.
Les chiffres sont là. Au-delà d'une production de CO2 ayant progressé de 15 % en France depuis 1990, on observe une répartition qui doit guider votre politique : pour les transports, l'augmentation est de 26,9 %, pour le secteur tertiaire de 25,9 %, pour l'industrie de 7,1 % ; en ce qui concerne les particuliers, la diminution serait de 4,4 %.
Le fait que notre électricité soit à 80 % d'origine nucléaire a eu des résultats positifs quant à l'émission de CO2. Opposons donc le réalisme au fatalisme. Oui, on peut diminuer la production des six gaz à effet de serre !
Je renouvelle ma question, dont je sais qu'elle vous préoccupe, madame la ministre. Votre réponse est donc attendue. A la vraie question posée, votre politique offre-t-elle de vraies réponses ?
Quelles mesures autres que les journées sans voiture préconisez-vous ?
Je me permets d'avancer quelques idées.
Premièrement, pourquoi s'obstine-t-on à consacrer l'essentiel des crédits d'équipement aux voies routières, aux autoroutes, au bénéfice de la voiture individuelle, qui est responsable de près de la moitié de la pollution et au détriment des transports en commun ? Pourquoi 67 % de l'enveloppe budgétaire « transports » dans les contrats de plan reviennent-ils à la route ? Pour la région Midi-Pyrénées, le taux atteint 95 %.
Deuxièmement, pourquoi refuse-t-on l'examen d'un plan de réhabilitation et d'isolation phonique et thermique des logements, où des gains massifs d'économie d'énergie peuvent être faits ?
Troisièmement, pourquoi refusez-vous toute aide à la géothermie ? L'eau chaude sortant de terre est la seule énergie propre. Le Gouvernement refuse d'y appliquer le taux de TVA de 5,5 %, ce qui conduit les sites à fermer les uns après les autres : ils ne sont plus aujourd'hui qu'une trentaine, et l'équilibre financier se révèle impossible à atteindre ; avec un taux de 5,5 %, cela deviendrait possible. Pourquoi n'étudiez-vous pas un vaste plan d'utilisation de l'eau chaude présente tout autour de la Terre ?
Quatrièmement, pouvez-vous me dire quelles sont les conclusions des plans départementaux de déplacement urbains ? Une énergie folle a été parfois dépensée en réunions de concertation et d'information des citoyens, mais avec quels résultats ? La pâte semble avoir d'ailleurs fortement retombé.
Cinquièmement, pourquoi notre pays dépense-t-il dix fois moins que l'Espagne ou treize fois moins que l'Allemagne dans les énergies renouvelables, selon les chiffres de l'Agence internationale de l'énergie ?
Sixièmement, pourquoi laisse-t-on les constructeurs automobiles se désintéresser totalement de la fabrication de moteurs moins polluants, sous prétexte que cela coûterait cher ? Pourquoi n'encourage-t-on pas la recherche dans ce domaine, ainsi que des innovations comme le moteur à air comprimé ?
J'aimerais également que vous me disiez ce que vous pensez de la position des Etats-Unis, avec ses mécanismes de flexibilité et d'achat de droits à polluer. Vous prétendez qu'il convient de ne pas « diaboliser » l'attitude des Etats-Unis. Mais peut-on admettre que tout s'achèterait, même le droit à produire du gaz carbonique en quantité déraisonnable ?
Telles sont, madame la ministre, les quelques questions que je souhaitais évoquer. Il en est bien d'autres, mais les « pauvres » cinq minutes qui me sont imparties sont bien trop peu pour dessiner ce que j'appelle la « ligne Maginot anti-CO2 ».
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Madame la sénatrice, vous évoquez, à l'occasion d'une question sur la mise en oeuvre du protocole de Kyoto, une avalanche de sujets qui concernent une multitude de champs d'activité ministérielle, notamment celui de mon collègue de l'équipement, des transports et du logement, auquel je vous invite à reposer un certain nombre de vos questions parce que la cohérence du travail interministériel est évidemment en cause.
Pour ce qui est du protocole de Kyoto, la France s'est engagée, vous le savez, comme les autres pays industrialisés, à fournir des efforts importants pour maîtriser l'évolution de la pollution de la « bulle » européenne. Il s'agit de contribuer au respect des engagements communautaires de réduction des émissions de 8 %.
Conformément à l'article 4 du protocole de Kyoto, les Etats membres de l'Union européenne ont décidé de s'acquitter conjointement de cet engagement lors d'un Conseil de l'environnement de l'Union européenne qui s'est tenu en juin 1998, au cours duquel a été décidée une répartition de cet effort des Etats membres en fonction de leur niveau d'émission de 1990, de leur démographie et de leurs besoins de développement économique.
Pour ce qui concerne la France, il s'agit de stabiliser les émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et la période 2008-2012, tandis que, par exemple, l'Allemagne devra les réduire de 21 %, ce qu'elle devrait pouvoir faire sans difficulté compte tenu des réductions drastiques d'activité dans les länder de l'Est, et l'Espagne ne pas les augmenter de plus de 15 %, ce qui lui demandera des efforts sans doute très importants compte tenu de ses perspectives économiques et démographiques.
Stabiliser nos émissions nous demandera des efforts relativement plus modestes, du fait, notamment, des progrès déjà accomplis depuis le premier choc pétrolier et qui font de la France un des pays industrialisés dont la contribution à l'effet de serre est la plus faible.
Les chiffres que vous avez cités sont malheureusement exacts, le dérapage constaté étant largement lié au secteur des transports.
Comme vous le savez, le Gouvernement a demandé à la mission interministérielle de lutte contre l'effet de serre d'élaborer un nouveau programme de lutte contre le risque de changement climatique. Ce programme respecte complètement l'esprit et la lettre des engagements pris à Kyoto, à savoir que la majeure partie des efforts doit être consentie au niveau domestique par des politiques et des mesures coordonnées à l'échelon national et à l'échelon communautaire, le recours à des mécanismes de flexibilité n'étant que marginal.
Ces mécanismes de flexibilité sont complexes et, s'il ne s'agit pas tout à fait d'un « épais brouillard de jargon », ils peuvent être biaisés : dans l'esprit de certains, cela revient à ne pas consentir les efforts promis, qu'il s'agisse des échanges de carbone, du mécanisme de développement propre, à destination des pays en voie de développement, ou de la mise en oeuvre conjointe avec les pays de l'Est européen, avec les risques d'échanges d'émissions qui n'existent déjà plus, ce qu'on a appelé les échanges de hot air .
Le programme que prépare actuellement la mission interministérielle de lutte contre l'effet de serre devrait être prêt avant la fin du mois. Je l'ai en tout cas annoncé lors de la réunion de Bonn qui s'est tenue la semaine dernière. Il renforcera de manière importante les programmes précédents.
Je souhaite qu'il intègre une vaste panoplie de mesures concernant l'ensemble des secteurs concernés.
Madame la sénatrice, vous avez cité les secteurs des transports, de l'habitat et de l'énergie. J'ajouterai l'agriculture, qui est également concernée par l'augmentation des émissions.
Le programme devra combiner des mesures à caractère technique et réglementaire et diverses incitations économiques. Je pense notamment à la préparation de la taxe sur la consommation intermédiaire d'énergie que le Premier ministre a d'ores et déjà annoncée pour 2001.
Parfois, il s'agira de la signature d'accords volontaires. Je songe ici à l'accord conclu entre la Commission européenne et les constructeurs automobiles visant à la réduction des émissions de CO2 des véhicules neufs. Je pense également à la taxation de l'énergie qui est en cours de préparation sur le plan communautaire ; je rappelle que la France a transmis un mémorandum à ses partenaires européens pour essayer d'avancer dans ce domaine. Je souligne que cette réflexion évolue de façon très coordonnée entre les différents pays européens, dont certains ont déjà mis en place ce genre d'outil fiscal.
Bien sûr, il nous faudra veiller à ce que ces priorités se déclinent de façon cohérente dans le cadre des contrats de plan. Cette préoccupation implique une mobilisation interministérielle très lourde, mais aussi un souci de cohérence. En effet, ce sont parfois les mêmes qui me somment de faire en sorte que le programme interministériel de lutte contre l'effet de serre soit le plus ambitieux et le plus cohérent possible et qui, simultanément, exercent parfois un chantage direct à l'emploi ou invoquent le droit de se déplacer sans contrainte et la civilisation de la mobilité.
La prise de conscience doit donc être large. Au-delà des mesures autoritaires, nous devons veiller à animer un très important débat citoyen, favorisant l'information et la formation des citoyens, de manière qu'ils s'approprient, en quelque sorte, la recherche d'une maîtrise de l'effet de serre.
La France aura, à cet égard, un rôle majeur à jouer l'année prochaine puisqu'elle exercera la présidence de l'Union au moment où se tiendra la sixième conférence des parties à l'accord de Kyoto, qui devrait arrêter un dispositif plus concret de lutte contre l'effet de serre.
Je ne verrais que des avantages à ce que les parlementaires se mobilisent fortement à nos côtés pour que nous soyons plus efficaces et plus concrets dans la préparation de cette conférence.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la ministre, vos réponses sont lucides et démontrent votre pleine responsabilité face à une situation. Celle-ci appelle en effet, d'urgence, des décisions efficaces.
J'ai été conduite, ce matin, à élargir ma question et à vous soumettre des propositions, car la question écrite que j'avais déposée le 10 juin dernier est, à ce jour, restée sans réponse. J'ai pensé qu'il était utile que nous puissions en débattre ce matin.
Ce qui est en cause, ce sont les mesures concrètes que le Gouvernement, et certes pas seulement la ministre chargée de l'environnement, doit prendre. Bien entendu, ce n'est que par un ensemble de mesures qu'on pourra faire reculer les émissions de CO2.
Le Sénat va bientôt être amené à examiner le projet de loi de finances pour 2000. Ce serait l'occasion d'inclure quelques-unes de ces mesures. Pour ma part, je réitérerai alors, sous forme d'amendements, certaines de mes propositions, notamment en ce qui concerne la baisse de la TVA sur la géothermie.
AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE :
LIMITES ENTRE PAYS ET PARCS NATURELS RÉGIONAUX