Séance du 29 avril 1999
COUR PÉNALE INTERNATIONALE
Adoption d'un projet de loi constitutionnelle
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle (n°
302, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, insérant au titre VI de la
Constitution un article 53-2 et relatif à la Cour pénale internationale.
[Rapport n° 318 (1998-1999)].
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, alors que les signataires du statut de Rome
ont écrit, dans le préambule de celui-ci, qu'ils avaient « à l'esprit qu'au
cours de ce siècle, des millions d'enfants, de femmes et d'hommes ont été
victimes d'atrocités qui défient l'imagination et heurtent profondément la
conscience humaine », ce n'est pas seulement à l'esprit, hélas ! que nous avons
ces crimes, mais sous nos yeux, aujourd'hui même, au Kosovo.
Vous venez d'entendre le Premier ministre affirmer que le tribunal pénal
international devra être en mesure de sanctionner les agissements de tous les
criminels de guerre. Nous avons en effet indiqué à Mme Harbour, procureur
auprès du tribunal pénal de La Haye, qui doit se rendre à Paris la semaine
prochaine, que nous ferions tout ce qui est en notre pouvoir afin de lui
permettre de réunir, dans les formes requises, les témoignages des réfugiés
accueillis sur notre sol qui lui seront nécessaires pour commencer à bâtir ses
dossiers.
Dans le statut de Rome, les signataires ont indiqué qu'ils étaient conscients
du fait que tous les peuples sont unis par des liens étroits et que leurs
cultures forment un patrimoine commun. Que resterait-il de cette conscience si
la communauté internationale ne se donnait pas les moyens pratiques et
juridiques de mettre effectivement un terme à tout projet de destruction de la
diversité humaine ?
Quand les mêmes signataires du statut de Rome rappelaient qu'ils étaient
déterminés, dans l'intérêt des générations présentes et futures, à créer une
Cour pénale internationale permanente et indépendante, reliée au système des
Nations unies, ayant compétence à l'égard des crimes les plus graves qui
touchent l'ensemble de la communauté internationale, n'est-ce pas qu'ils
savaient que des actes comme le génocide des Arméniens de 1915 pourraient se
reproduire ; que des échanges de populations comme ceux qui eurent lieu entre
la Grèce et la Turquie après la guerre de 1923 pourraient se reproduire ; que
se reproduiraient également les exodes de la Seconde Guerre mondiale ; que les
millions de personnes déplacées des guerres de Bosnie, de Croatie et de Serbie
pourraient se trouver de nouveau sur les routes ?
A cet égard, le projet de cour pénale internationale, qui aura compétence pour
juger les crimes les plus graves qui se commettront à l'avenir, fait preuve
d'un pessimisme probablement lucide. Mais il montre aussi combien nous nous
sommes éloignés de l'idéal des Lumières, qui pariaient que, avec le progrès des
sciences et des arts, viendrait le progrès éthique, moral et politique.
Pourtant, de façon peut-être parodoxale, les signataires de la convention de
Rome ont montré aussi, semble-t-il, un singulier optimisme. En effet, ce qu'ils
ont également affirmé, c'est que les crimes les plus graves qui touchent
l'ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis et que
leur répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le
cadre national lorsque c'est possible et par le renforcement de la coopération
internationale lorsque cela ne l'est pas.
Vous connaissez tous les prémices de la Cour pénale internationale. C'est la
volonté de ne pas laisser impunis les grands criminels nazis et japonais qui
allait conduire à la mise en place des tribunaux militaires internationaux de
Nuremberg, par l'accord de Londres du 8 août 1945, et de Tokyo, par une
proclamation du commandant en chef MacArthur, le 19 janvier 1946.
Le projet de création d'une cour criminelle internationale permanente,
envisagé dès 1948, à l'article 10 de la convention sur la prévention et la
répression du crime de génocide, n'a pas pu voir le jour pour des raisons
historiques et politiques liées à la confrontation des blocs.
Mais c'est à l'instigation de la France, et particulièrement de Robert
Badinter, que le comité de juristes français, comprenant notamment Pierre
Truche et le professeur Pellet, est parvenu à faire adopter par le Conseil de
sécurité la création, en 1993, du tribunal pénal international pour
l'ex-Yougoslavie, qui avait alors pour mission de « juger les personnes
présumées responsables de violations graves du droit humanitaire international
commises depuis 1991 ».
Le tribunal pour le Rwanda, quant à lui, sera institué l'année suivante.
Il s'agissait, je le souligne, après des années d'effort, d'un événement
considérable parce que, pour la première fois depuis Nuremberg et Tokyo, les
auteurs de crimes internationaux allaient être jugés par des juridictions
vraiment internationales qui appliqueraient, non le droit de tel ou de tel
Etat, mais des règles définies internationalement.
Depuis 1948, année de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de
la convention sur le génocide, le droit humanitaire international n'avait cessé
de se développer, d'abord avec les quatre conventions de la Croix-Rouge de
1949, auxquelles se sont ajoutés les deux protocoles de 1977 et, plus
récemment, en 1984, par l'adoption de la convention des Nations unies contre la
torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants.
Avec la signature, à Rome, de la convention portant statut de la Cour pénale
internationale, la communauté internationale franchit un nouveau pas dans
l'affirmation d'un droit international sanctionné par une juridiction
internationale permanente qui aura une compétence universelle.
En ce sens, elle va bien au-delà de la création de juridictions
ad hoc
auxquelles certains membres des Nations unies pourraient opposer leur veto si
leurs intérêts étaient menacés. Surtout, comme l'écrit avec pertinence M. le
rapporteur, « seule une juridiction permanente et dotée de compétences
nécessaires peut constituer un facteur de dissuasion à l'encontre de ceux qui
seraient enclins à commettre des crimes contre l'humanité ou des crimes de
guerre ».
Voilà pour l'importance du texte dont nous allons, par la révision de la
Constitution, je l'espère, permettre d'autoriser la ratification.
Quel est le statut de la Cour, sa compétence, et quelle procédure est prévue
?
La définition de la compétence de la Cour pénale internationale est un point
essentiel du statut. Elle est d'abord
ratione materiae
, c'est-à-dire en
fonction du genre de crime.
A l'heure actuelle, quatre crimes et quatre seulement, entrent dans la
catégorie des crimes les plus graves parmi les plus graves pour lesquels la
Cour sera compétente : génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et
crimes d'agression.
Le génocide est défini à l'article 6 du statut comme un acte commis dans
l'intention de détruire un groupe national ethnique, racial ou religieux qu'il
s'agisse de meurtre, d'atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale, ou de
soumission intentionnelle à des conditions d'existence telles qu'elles
entraînent la destruction et, enfin, de mesures visant à entraver les
naissances ou à transférer des enfants d'un groupe à un autre.
Le crime contre l'humanité est défini par l'article 7 et mentionne un grand
nombre d'actes dans la mesure où ils sont commis dans le cadre d'une attaque
généralisée ou systématique contre une population civile, et en connaissance de
cette attaque bien entendu.
Le crime d'agression pour lequel la Cour n'a qu'une compétence virtuelle du
fait que les négociateurs n'ont pas pu se mettre d'accord sera défini par un
avenant qui sera a adopté lors d'une autre conférence.
Les crimes de guerre entrent également dans la compétence de la Cour, mais ils
seront soumis à un régime spécial du fait de l'article 124. En effet, cet
article permet à un Etat partie de décliner la compétence de la Cour, pendant
sept ans, pour les crimes de guerre qui seraient commis soit sur son
territoire, soit par ses ressortissants.
Il est donc possible de ne pas mettre en oeuvre les dispositions de l'article
12 du statut relatif à la compétence obligatoire de la Cour. C'est cette
disposition transitoire, adoptée sur l'initiative de la France, qui a permis un
accord général sur le statut de la Cour.
La définition des crimes de guerre au sens du statut est distincte de celles
des crimes contre l'humanité ou du génocide en ce sens qu'elle peut recouvrir
des actes isolés. Des plaintes sans fondement, teintés d'arrière-pensées
politiques et dont le seul objet serait d'embarrasser publiquement le pays
concerné, pourraient donc plus aisément être dirigées contre les personnels de
pays qui, comme le nôtre, sont engagés fréquemment sur des théâtres extérieurs,
notamment dans le cadre d'opérations de maintien de la paix.
Enfin, pour terminer sur ce sujet - provisoirement en tout cas, car nous y
reviendrons certainement dans la discussion - j'ajoute que le fait que la
France ait annoncé qu'elle ferait jouer l'article 124 n'est évidemment pas une
manière de permettre à nos militaires de commettre des crimes de guerre, pour
la bonne et simple raison que, si des personnels français devaient commettre de
tels crimes, ils seraient de toute façon traduits devant les tribunaux
français, puisque la Cour pénale internationale a seulement une compétence
complémentaire.
S'agissant de la procédure qui sera suivie devant la Cour pénale
internationale, je rappelle en premier lieu que la création de cette cour n'a
pas pour objectif de décharger les Etats de leurs responsabilités. La
convention de Rome a nécessairement une valeur préventive et incitative à
laquelle le principe de « complémentarité » donne toute sa force.
La juridiction internationale ne se substituera pas aux systèmes nationaux de
justice pénale ; elle viendra les suppléer lorsqu'ils n'auront pas pu, ou pas
voulu, connaître eux-mêmes des crimes relevant de la compétence de la Cour, qui
apparaît donc comme un système de sauvegarde, une garantie collective, contre
l'impunité des auteurs des crimes les plus graves.
Cependant, et parallèlement à cette responsabilité première qui est celle des
systèmes nationaux de justice pénale, notre responsabilité est aussi de
permettre au droit international d'avoir les moyens de pallier, dans certaines
hypothèses, les insuffisances des Etats défaillants ou des Etats malveillants.
Pour ce faire, il faut que les procédures applicables devant la Cour pénale
internationale soient à la fois efficaces, respectueuses des droits de l'homme
et représentatives de la diversité des cultures juridiques dans le monde.
S'agissant de l'efficacité, tout d'abord, je souligne que la saisine de la
Cour pourra être faite aisément, soit par un Etat partie, soit par le Conseil
de sécurité, soit par le procureur lui-même qui, destinataire d'une plainte
formée par une ou plusieurs victimes, pourra ouvrir une enquête après en avoir
obtenu l'autorisation auprès de la chambre préliminaire, organe juridictionnel
composé de trois juges de la Cour.
Pour remplir sa mission, le procureur pourra compter sur la coopération des
Etats parties, qui seront tenus de répondre à ses demandes d'assistance et de
lui remettre les personnes contre lesquelles des charges suffisantes auront été
réunies.
Pour ce qui est du respect des droits de la défense, toutes les garanties
procédurales inhérentes au procès pénal reconnues par les conventions
internationales relatives à la protection des droits de l'homme figurent dans
le statut de la Cour pénale internationale. Je ne les énumérerai pas, car les
signataires du statut n'en ont oublié aucune, comme l'a d'ailleurs confirmé le
Conseil constitutionnel dans la décision dont nous reparlerons dans un
instant.
S'agissant enfin du respect du nécessaire équilibre entre les différentes
cultures juridiques du monde, le trait principal et nouveau de la procédure
suivie devant la Cour pénale internationale est, en effet, son caractère
mixte.
A dominante accusatoire, inspirée par conséquent, du système anglo-saxon, elle
laisse cependant une place non négligeable à l'intervention des juges, en
particulier dans la phase préalable au procès. Si le procureur est le
personnage principal de la mise en état du procès pénal, la chambre
préliminaire occupe elle aussi, à ce stade, une place de premier plan,
puisqu'elle est chargée d'assurer une sorte de contrôle juridictionnel de
l'activité du procureur. Cette initiative, là encore, est extrêmement
importante pour la défense de notre culture juridique.
C'est, à mon sens, tout à l'honneur de la France d'avoir proposé et obtenu la
création de cette chambre préliminaire, qui permet de rééquilibrer la phase
préalable au procès et d'éviter que des personnes ne soient mises en accusation
sans que le caractère sérieux des charges réunies à leur encontre ait pu être
vérifié par un organe juridictionnel.
Je soulignerai maintenant la place faite aux victimes devant la Cour, car la
plus grande innovation du statut de la Cour pénale internationale est de leur
reconnaître certains droits.
Oubliées jusqu'à présent par la justice pénale internationale, elles
obtiennent enfin, dans ce statut, la place qui leur revient. Les dispositions
relatives à l'accès des victimes à la procédure internationale et à la
réparation de leur préjudice sont encore modestes, mais elles permettent de
placer l'individu au coeur de la justice internationale.
Ainsi, le droit international, qui est plus traditionnellement le droit des
Etats souverains, ouvre ses portes à de nouveaux sujets de droit.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le fait que 120 Etats se soient accordés
pour définir avec précision le génocide, les crimes contre l'humanité et les
crimes de guerre, pour dire qu'ils étaient imprescriptibles et affirmer que la
Cour avait une compétence obligatoire, est un événement fondamental de la
société internationale contemporaine.
Mais je ne voudrais pas, spécialement devant votre assemblée qui a constamment
le souci de réfléchir à la portée des décisions qui sont prises, dissimuler que
cet événement pose également des questions très complexes.
En effet, il va d'abord falloir que cette justice internationale puisse
déterminer un équilibre entre la souveraineté des Etats et les limitations à
cette souveraineté.
Dès lors que les Etats sont en cause - et ils le sont au premier chef lorsque
nous parlons des crimes contre l'humanité, des crimes de génocide, des crimes
de guerre ou d'agression - il y a toujours eu de très forts obstacles de nature
politique, mais aussi juridique, qui se sont opposés à toute possibilité de
juger au plan international les personnes par l'intermédiaire desquelles cet
Etat a agi. C'est d'ailleurs la raison principale pour laquelle il a fallu tant
de temps pour aboutir à une justice pénale internationale. L'Etat est toujours
venu s'interposer entre le droit international et les personnes privées.
Pour mettre fin à l'impunité des agents de l'Etat, du plus petit au plus
grand, sans que la qualité officielle de l'un ou de l'autre puisse s'y opposer,
il fallait qu'on puisse atteindre, au-delà de l'Etat, la personne privée auteur
d'un crime défini internationalement. Alors que l'Etat constituait un écran
opaque entre les victimes et le droit international, « le voile étatique »
pourra se déchirer dans les conditions que j'ai décrites et atteindre, au-delà
de l'Etat, la personne physique auteur du crime et la sanctionner.
Tout système juridique qui permet cela comporte nécessairement une limitation
de la souveraineté des Etats, même s'ils déclarent y consentir en vue de
l'organisation et de la défense de la paix, comme le proclame le XVe alinéa du
préambule de la Constitution de 1946. Ces limitations sont nécessaires à
l'édification d'un ordre juridique international qui peut contribuer à la
défense d'un certain nombre de principes fondamentaux de protection des droits
de l'homme sur lesquels repose la société internationale. Mais tout le problème
est évidemment de trouver un équilibre entre la souveraineté des Etats et
l'édification d'un ordre juridique qui transcende ces souverainetés.
Je prendrai deux exemples de ce délicat équilibre.
Je citerai d'abord la décision des lords anglais relative au général Pinochet,
qui est à cet égard exemplaire puisqu'en l'espèce le droit international
appréhende une personne privée en refusant la protection
ratione
materiae
ou
ratione personae
que lui assurait le manteau étatique de
ses anciennes fonctions.
Un tel événement est de nature à transformer le droit international en mettant
fin à l'immunité des personnes agissant ou ayant agi au nom de l'Etat. Dans
quelque lieu qu'ils se trouvent et à quelque moment que ce soit, les plus
grands criminels n'auront désormais aucun abri sûr.
C'est évidemment une des ambitions que réalise le statut de Rome puisque, sur
saisine du Conseil de sécurité, la Cour pourrait être compétente pour juger le
ressortissant d'un Etat non-partie d'un crime commis sur le territoire d'un
autre Etat également non partie.
Mais je voudrais également attirer l'attention sur la transformation du droit
international que l'on observe dans le cas du général Pinochet, parce que les
actes juridiques des juges nationaux ou internationaux ont des répercussions en
termes diplomatique et politique. Et, pour éviter ces répercussions, qui peut
dire qu'un Etat ne préférerait pas parfois expulser un criminel de guerre de
son territoire plutôt que de le juger ?
J'en viens au deuxième exemple : la combinaison des articles 17 du statut
relatif au principe de complémentarité et 20 relatif au principe
non bis in
idem
rend très improbable que la Cour puisse déclarer recevable une affaire
qui aurait déjà été jugée.
En cela, le statut de la Cour est respectueux des ordres juridiques nationaux.
Cependant, ce même article 20 autorise la Cour à se saisir d'une affaire déjà
jugée si la procédure avait pour objet de soustraire une personne à sa
responsabilité pénale.
Cette disposition est entièrement légitime car la gravité, la cruauté et
l'inhumanité de certains crimes n'autorisent en aucun cas qu'ils puissent faire
l'objet d'un oubli. Elle répond à l'idée qu'il ne peut y avoir de paix sans
justice, de réconciliation sans vérité et que, par conséquent, la raison d'Etat
ne peut jamais l'emporter sur l'Etat de droit.
Mais qui peut dire que, dans tous les cas, partout et toujours, il
conviendrait de sanctionner ? L'Afrique du Sud a exploré une autre voie en
mettant en oeuvre, par exemple, la commission « vérité de réconciliation »
prévue par la Constitution intérimaire de 1993.
Sur le plan des rapports entre la paix et la justice, le statut de la Cour
réalise un délicat compromis entre les exigences de l'une qui pourrait
commander l'oubli et celles de l'autre qui pourrait commander la vérité.
A cet égard, l'article 16 du statut, qui octroie au Conseil de sécurité des
Nations unies la faculté de demander à la Cour de surseoir aux enquêtes ou aux
poursuites engagées, a suscité de nombreuses critiques au motif qu'il est peu
souhaitable qu'une instance politique et interétatique ait à intervenir dans le
fonctionnement d'une juridiction. Mais je crois cette disposition
nécessaire.
Dans la mesure où cette demande du Conseil de sécurité se situe dans le cadre
du chapitre VII de la Charte des Nations unies, c'est-à-dire dans le contexte
d'une menace contre la paix, on peut comprendre qu'il y ait un intérêt
essentiel à ne pas judiciariser entièrement la vie politique internationale et
à faire toute sa place à la politique et à la diplomatie.
De la même façon, s'agissant du crime d'agression, la France a défendu une
position qui tend à préserver les prérogatives du Conseil de sécurité, premier
responsable, en vertu de la Charte, pour déterminer l'existence d'un acte
d'agression.
Telles sont les quelques questions qui me paraissent importantes et sur
lesquelles, naturellement, la Cour pénale internationale devra, par sa
pratique, instaurer un équilibre avec le Conseil de sécurité des Nations unies.
Tel qu'il a été négocié, le statut donne effectivement toutes ses chances à la
réalisation de ces équilibres. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement
est déterminé à ratifier dès que possible la convention de Rome.
Nous avons signé la convention le lendemain de son adoption, et nous aimerions
que tous les pays qui ont voté en faveur de ce texte - ils étaient cent vingt -
fassent de même très rapidement.
La ratification de ce traité, qui marquera l'attachement de la France aux
valeurs fondamentales que la Cour pénale internationale contribuera à défendre,
nécessite au préalable que notre Constitution soit modifiée, tant il est vrai
que le statut de Rome change certaines données traditionnelles du droit
français.
Je reviens donc maintenant aux raisons qui font qu'une révision
constitutionnelle s'impose.
Je rappelle que le Conseil constitutionnel a été saisi conjointement par le
Président de la République et le Premier ministre de la question de savoir si
l'autorisation de ratifier le traité dont je viens d'exposer les grandes lignes
devait être précédée d'une révision de la Constitution.
Pour répondre à cette question, le Conseil constitutionnel a confronté le
traité à trois séries de normes d'égale valeur constitutionnelle : d'abord, les
dispositions mêmes de la Constitution de 1958 ; ensuite, les principes de rang
constitutionnel en matière de droit pénal et de procédure pénale ; enfin, le
respect des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
Par décision du 22 janvier 1999, le Conseil a estimé que le traité qui lui
était soumis était conforme, à l'exception de certaines de ses stipulations.
Avant de détailler les points qui ont fait l'objet de déclarations
d'inconstitutionnalité, je voudrais faire quelques remarques.
Ma première remarque tient au fait que certaines stipulations ne posent pas de
problèmes constitutionnels.
Je crois important d'appeler votre attention sur le fait que les déclarations
de non-conformité à la Constitution ne traduisent aucune espèce de réserve de
la part de la haute juridiction à l'encontre du traité signé à Rome le 18
juillet dernier.
En effet, le Conseil constitutionnel a tenu à réaffirmer que le respect de la
souveraineté nationale ne fait pas obstacle au fait que, sur le fondement du
préambule de la Constitution de 1946, la France peut conclure des engagements
internationaux en vue de favoriser la paix et la sécurité du monde et d'assurer
le respect des principes généraux du droit public international.
Aucune disposition de notre loi fondamentale ne s'oppose à ce que la France
puisse signer et ratifier un traité qui prévoit en particulier la création
d'une juridiction internationale permanente destinée à protéger les droits
fondamentaux de la personne humaine, en sanctionnant les atteintes les plus
graves qui leur seraient portées.
Une telle prise de position montre bien que notre pays est ouvert au droit
international, comme le confirme le fait que le préambule de la Constitution de
1946 énonce que la République, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles
du droit international.
Celles-ci ne portent pas atteinte en elles-mêmes à la souveraineté nationale,
d'autant moins que le quinzième alinéa du même préambule dit clairement que, «
sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté
nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix ». Or tel est bien le
but de l'institution de la Cour pénale internationale.
A cet égard, je considère que la décision du Conseil constitutionnel est
extrêmement importante quand elle affirme que, eu égard à l'objet de la
convention de Rome, la clause de réciprocité n'a pas lieu de s'appliquer.
En effet, le fait que les autres Etats parties ne respecteraient pas les
obligations qui leur incombent ne saurait être un motif pour exonérer la France
des siennes, pour ne pas sanctionner les crimes les plus odieux.
Si la haute juridiction marque ainsi l'adhésion de la France au système du
droit international, en revanche, elle a souligné - comme elle l'avait déjà
fait dans ses décisions sur les traités européens - que, si les engagements
internationaux de la France contiennent une clause contraire à la Constitution,
il faut en effet procéder à une révision constitutionnelle avant de les
ratifier.
Qu'en est-il en l'espèce ? Comme le relève la décision du Conseil
constitutionnel, le traité portant statut de la Cour pénale internationale est
incompatible avec la Constitution sur trois points.
Ma deuxième remarque porte sur les stipulations incompatibles avec la
Constitution.
Il y a une incompatibilité entre le statut de Rome et les dispositions
constitutionnelles qui posent des règles spéciales de fond ou de compétence en
matière de responsabilité pénale du Président de la République, des membres du
Gouvernement ou du Parlement, dans la mesure où, comme je l'ai déjà fait
remarquer, le statut de Rome ne prévoit pas de régime spécial ou d'immunité
particulière pour ces personnes exerçant des fonctions législatives ou
exécutives.
Comme la Cour peut, au titre de l'article 27 du statut, exercer sa compétence
auprès de toute personne investie de fonctions officielles, il est incompatible
avec les régimes particuliers de responsabilité institués par les articles 26,
68 et 68-1 de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a estimé que, malgré le principe de subsidiarité et
de complémentarité, le transfert de compétence résultant de la convention au
profit du juge international dans les cas d'intervention d'une loi d'amnistie
ou d'application des règles nationales de prescriptions portait atteinte aux
conditions essentielles d'exercice de la souveraineté.
Dans le cas particulier de la France, une personne de nationalité française ne
pourrait être poursuivie devant la Cour pénale internationale à ce titre et ne
pourrait être condamnée que dans des circonstances tout à fait extraordinaires.
Il faudrait que les faits soient prescrits, qu'ils soient couverts par
l'amnistie ou que la justice française ait renoncé à poursuivre des crimes
graves.
Toutefois, en premier lieu, certains des crimes pour lesquels la Cour est
compétente sont également imprescriptibles en droit français. C'est le cas du
génocide et des autres crimes contre l'humanité.
En deuxième lieu, les lois d'amnistie françaises excluent généralement les
faits d'une extrême gravité.
Enfin, en troisième lieu, il y a lieu d'écarter évidemment l'hypothèse dans
laquelle le système judiciaire français renoncerait à poursuivre ou juger les
auteurs de crimes graves, à moins d'imaginer que notre pays cesse d'être un
Etat de droit.
Par conséquent, si l'hypothèse dans laquelle s'est placé le Conseil
constitutionnel est largement théorique et constitue le corollaire du contrôle
abstrait et
a priori
qu'il exerce, il faut partir de l'idée qu'il n'y a
pas d'atteinte réelle et sérieuse à la souveraineté du système judiciaire
français. Si, comme je le pense, la justice française exerce normalement ses
compétences, elle poursuivra évidemment les auteurs des crimes d'une extrême
gravité.
Enfin, bien que les pouvoirs que le procureur de la Cour pénale internationale
tient de l'article 99 soient exclusifs de tout recours à la contrainte, le
Conseil constitutionnel a jugé qu'il pouvait également être porté atteinte aux
conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté nationale. Il a jugé
que la possibilité donnée au procureur de recueillir directement sur le
territoire de l'Etat des dépositions de témoins et d'inspecter des sites ou des
lieux publics était trop vague au regard de la règle qui veut que les autorités
judiciaires françaises soient seules compétentes pour accomplir les actes
demandés par une autorité étrangère au titre de l'entraide judiciaire.
Ma troisième remarque porte sur les conséquences de cette décision.
Le Président de la République et le Gouvernement ont estimé que les obstacles
de nature constitutionnelle, au demeurant très limités, devaient être surmontés
afin que le Parlement puisse autoriser la ratification du statut de la Cour
pénale internationale et que le Président de la République puisse déposer les
instruments de ratification.
C'est la raison pour laquelle il vous est proposé de compléter le titre VI de
la Constitution relatif aux traités et accords internationaux par un article
53-2 nouveau, disposant que la République peut reconnaître la juridiction de la
Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le
18 juillet 1998. Ainsi, par une formule générale qui permet de répondre à
l'ensemble des motifs d'inconstitutionnalité relevés par le Conseil
constitutionnel, le Parlement pourra autoriser la ratification du statut de la
Cour pénale internationale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, par cette révision constitutionnelle, que
l'Assemblée nationale a déjà adoptée le 6 avril dernier à l'unanimité moins une
abstention, la France démontre qu'elle est déterminée à faire aboutir la mise
en place de la Cour pénale internationale permanente et qu'elle fera tout ce
qui est en son pouvoir - je tiens à le souligner - pour que soixante Etats au
moins ratifient la convention de Rome.
Cela ne sera pas facile. Il nous faudra, pour y parvenir, déployer des talents
de persuasion envers des Etats qui nous sont liés.
Parce qu'il remet en cause la nature humaine et les fondements mêmes de la
communauté internationale, le crime contre l'humanité doit être poursuivi et
sanctionné.
Parce qu'il dépasse les frontières, le crime contre l'humanité mérite une
réponse forte et coordonnée des systèmes nationaux et internationaux de justice
pénale.
A Rome, l'été dernier, après tant d'années d'attentes et d'espoirs déçus, nous
avons franchi le cap du possible et du probable pour entrer dans une phase
moins théorique et illusoire, où l'on s'efforcera enfin de concevoir et
d'appliquer différemment la place de la justice pénale internationale dans la
résolution des conflits les plus graves. Nous sommes ainsi passés de la
conception et de l'expérimentation à la construction.
Vous pouvez compter sur moi et sur le ministère dont j'assume aujourd'hui la
charge pour participer activement à cette construction.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen ainsi que sur les travées de l'Union centriste et du
RDSE).
(M. Gérard Larcher remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Robert Badinter,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Madame la
ministre, vous avez rappelé à juste titre que ce projet de loi constitue, dans
l'histoire de la justice internationale et de la lutte pour le châtiment des
grands criminels contre l'humanité, un moment essentiel, et je sais que, dans
cette entreprise, nous pouvons compter sur vous ; vous en avez déjà donné les
preuves. C'est donc avec une particulière satisfaction, je ne le dissimule pas,
que j'assume ce rapport.
Je me souviens d'ailleurs - c'est une continuité - qu'ici même, voilà trois
ans - c'était un autre garde des sceaux, votre prédécesseur - je rapportais
déjà, au nom de la commission des lois, sur les modifications nécessaires à
apporter à notre législation pour la mettre en conformité avec les exigences
nées de la création du tribunal pénal international pour le Rwanda.
A cette occasion, au nom de la commission unanime, j'avais fait savoir à votre
prédécesseur que nous souhaitions que la France contribue, autant qu'elle le
pourrait, à la naissance de la Cour pénale internationale, seule juridiction
permanente susceptible d'assurer la répression des criminels contre
l'humanité.
Nous sommes à la fin du siècle, on se plaît à le rappeler très souvent. Hier,
à la commission des lois, je ne résistais pas à la mélancolie de dire que le
siècle avait commencé, pour les juristes, à La Haye, avec une conférence sur la
résolution de tous les conflits par la conciliation et l'arbitrage. Nos
lointains prédécesseurs vivaient ainsi dans une vision irénique d'un droit
régnant sur les relations internationales.
Ce siècle que nous achevons, aura finalement été souillé par les crimes contre
l'humanité les plus sanglants, depuis le génocide arménien, le génocide
rwandais, jusqu'aux événements qui se déroulent presque sous nos yeux au
Kosovo.
Le crime contre l'humanité sous toutes ses formes a déshonoré ce siècle, et je
suis malheureusement convaincu que, pour les générations à venir, Auschwitz en
restera le terrible symbole.
Au moins, à la fin du siècle, assistons-nous à ce progrès judiciaire, décisif
à mon sens, que représente la naissance d'une Cour pénale internationale.
En quoi cela constitue-t-il un progrès ? D'abord, par rapport aux juridictions
antérieures qui ont vu le jour, par rapport à Nuremberg ou à Tokyo, parce que
ce n'est pas la justice des vainqueurs qui s'exerce sur les vaincus, même si
elle leur reconnaissait toutes les garanties du droit. Ensuite, par rapport au
tribunaux
ad hoc
pour la Yougoslavie et le Rwanda, parce qu'il s'agit
d'une institution permanente, qui, à ce titre, détient un pouvoir de
dissuasion, qu'une juridiction créée après les crimes, avec un objet limité,
dans un cas, pour une durée limitée, ne peut évidemment détenir.
Comme vous l'avez rappelé, madame le garde des sceaux, la Cour pénale
internationale a fait l'objet de ce traité qui porte son statut, lequel a été
voté l'année dernière à Rome, après bien des difficultés, par cent vingt pays,
ce qui est énorme, sept pays seulement, non des moindres malheureusement,
votant contre et vingt s'abstenant.
Nous en sommes aujourd'hui au premier stade. Nous savons, en effet, que cette
révision constitutionnelle ne prend son sens que par rapport à la ratification
de ce traité.
Elle est nécessaire, mais, vous avez eu raison de le rappeler, madame le garde
des sceaux, au coeur de la problématique, il y a évidemment l'analyse de la
portée des dispositions du traité.
Sur la Cour pénale internationale, vous avez dit l'essentiel ; je me bornerai
donc à rappeler certains points qui me paraissent particulièrement
importants.
S'agissant de l'organisation, indiscutablement, c'est la chambre préliminaire
qui doit retenir notre attention, dans la mesure où elle améliore, par rapport
au tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, les procédures
d'enquête.
S'agissant de la compétence sous toutes ses formes, et d'abord de la
compétence matérielle, vous l'avez rappelé, la Cour est compétente pour les
crimes les plus importants. Ainsi, le génocide, le crime contre l'humanité ou
le crime de guerre sont définis et précisés. J'ai d'ailleurs relevé que, dans
l'article 7 du traité, une disposition s'applique directement à ce qui se passe
en ce moment même au Kosovo, puisque sont visés « la déportation ou le
transfert forcé de populations ». Ainsi donc, la déportation ou le transfert
massif de populations civiles réalisés par la force et dans le cadre d'un plan
systématique, constituent, il n'est pas indifférent de le rappeler à cette
minute, un crime contre l'humanité.
Pour le crime d'agression, que vous avez heureusement qualifié de « virtuel »,
je m'interroge : le verrons-nous jamais sortir de sa virtualité ? On nous en
parle depuis si longtemps... Je le dis clairement, au nom de la commission,
nous ne considérons pas que ce soit le plus important pour l'avenir. Ce qui
compte, c'est le châtiment des criminels, et non la prise en compte des
responsabilités des Etats dans une sorte de forum international. Mais les trois
grands crimes que j'ai évoqués suffisent pour fonder la compétence
matérielle.
Je rappelle, car c'est également important, que cette compétence sera mise en
oeuvre, que les crimes soient commis dans le cadre d'un conflit international
ou dans le cadre d'un Etat au cours d'un conflit interne, comme c'est le cas en
ce moment.
Cette compétence ne prendra évidemment corps qu'à dater du moment où la Cour
aura été créée, c'est-à-dire lorsque les ratifications nécessaires seront
intervenues. Raison de plus, dirais-je, avec l'éminent rapporteur de la
commission des affaires étrangères, pour ne pas perdre de temps et pour donner
l'exemple !
M. André Dulait.
Très bien !
M. Robert Badinter,
rapporteur.
En ce qui concerne les compétences
ratione personae
et
ratione loci
de la Cour, comme aurait dit notre éminent collègue Jean
Foyer, c'est-à-dire compétence personnelle et compétence territoriale, elles
s'appliquent quand l'auteur présumé du crime est un national d'un des Etats
parties ou lorsque les crimes ont été commis sur le territoire d'un des Etats
parties.
Cela ne suffit pas, hélas ! à créer une compétence universelle, mais cela
marque aussi que c'est à la mesure des ratifications que le champ de compétence
territoriale s'étendra. Il est donc d'autant plus important - comme vous l'avez
souligné, invoquant à cet égard le concours actif du Gouvernement, ce dont nous
nous réjouissons - que nous suscitions le plus grand nombre de ratifications
possible dans le délai le plus bref possible.
Au-delà de ces compétences certaines, deux autres, que je qualifierai
d'éventuelles, sont prévues dans le traité. L'une est très importante, l'autre
s'explique par certaines circonstances de fait.
Je commence par la dernière, qui s'exerce dans le cas où un Etat non partie au
traité demande que des crimes qui ont été commis sur son territoire soient
jugés par la Cour pénale internationale. On pense à certains malheureux Etats
ravagés par des génocides et qui n'ont pas de système judiciaire leur
permettant de procéder par eux-mêmes au jugement des crimes contre l'humanité
dont ils ont été les victimes.
Quant à la première compétence, d'importance majeure, elle est déclenchée par
une résolution du Conseil de sécurité dans le cadre du chapitre VII de la
charte des Nations unies. Je pense que nous verrons sa mise en oeuvre dans les
circonstances les plus importantes. Je souligne qu'en l'occurrence la
compétence est enfin universelle.
Comme vous l'avez rappelé, madame, trois modes de saisine sont prévus : par
l'Etat partie ; par le Conseil de sécurité des Nations unies agissant dans le
cadre du chapitre VII de la charte ; enfin par le procureur.
Indiscutablement, le procureur sera le moteur le plus important de cette
juridiction. Il sera totalement indépendant et sa fonction sera considérable.
Il est vrai que ses initiatives seront contrôlées par une chambre préliminaire
composée de magistrats du siège. Ainsi, l'exercice de l'action et de l'enquête
par le procureur sera entouré de toutes les garanties nécessaires.
Comme l'a d'ailleurs souligné le Conseil constitutionnel, les autres règles de
procédure sont conformes à toutes les exigences requises pour le déroulement
d'un procès équitable.
Ce qui, à mon sens, dans cette procédure, constitue en effet une innovation -
je le rappelle avec plaisir au regard des efforts déployés par la délégation
française à Rome - c'est l'instauration de la chambre préliminaire. Vous avez
bien fait, madame le garde des sceaux, d'indiquer que l'on assistait là à la
naissance d'une sorte de procédure mixte qui emprunte beaucoup au système
accusatoire anglo-saxon - après tout, à l'audience, c'est ainsi chez nous
depuis lontemps - et qui, par ailleurs, introduit cette chambre et ce contrôle
des initiatives de la partie poursuivante, si importants à nos yeux.
Je rappelle que c'est à la suite de ce qui, à cet égard, avait été relevé au
sein du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et presque à la
demande des magistrats de cette institution que l'on a créé cette chambre
préliminaire. Cela est très important pour l'avenir, car je crois que naîtra
ainsi, notamment au sein de l'Union européenne, un modèle commun de procédure
pénale répondant à toutes les exigences du procès équitable.
En ce qui concerne les peines, je ne peux pas passer sous silence le fait que,
à Rome, on ait considéré que le châtiment des pires criminels, des criminels
contre l'humanité, devait être une peine de réclusion criminelle à perpétuité.
Cent vingt Etats ont voté cette disposition ; au regard de l'abolition de la
peine de mort, cela méritait d'être souligné.
En ce qui concerne les victimes, c'est en effet grâce à la France que l'on a
pu introduire des dispositions qui n'étaient pas indispensables au regard de la
conception générale du procès pénal et de la conception anglo-saxonne
notamment. Je n'ai pas besoin de rappeler que, s'agissant de crime contre
l'humanité, le nombre si élevé de victimes interdit, on le conçoit, le type
d'intervention que nous connaissons et qui convient s'agissant de victimes
individuelles. Peut-on imaginer ce qu'auraient été les constitutions de parties
civiles au procès de Nuremberg ! C'est l'humanité tout entière qui,
véritablement, était concernée.
Ces dispositions ne prennent, à mon sens, toute leur portée qu'au regard de
deux considérations.
La première a trait aux Etats eux-mêmes. Ce qui est construit dans ce nouvel
espace judiciaire, ce n'est pas une institution des Nations unies, c'est une
institution liée à l'ONU mais qui est l'expression de la souveraineté des Etats
se traduisant dans le cadre d'un traité.
Par conséquent, lorsqu'on regarde de près ce traité, on se rend compte, comme
il est indiqué d'ailleurs excellemment dans le rapport de la commission des
affaires étrangères, que nous sommes en présence d'un système, sinon de
subsidiarité, en tout cas de complémentarité. Autrement dit, il revient aux
Etats eux-mêmes de châtier les criminels contre l'humanité qui sont leurs
ressortissants. C'est seulement s'ils ne peuvent le faire, s'ils ne veulent pas
le faire ou, pis encore, s'ils essaient, par un simulacre de justice, de
dérober les responsables à la sanction, que la Cour pénale internationale
interviendra.
A cette obligation de châtiment s'ajoute l'obligation de coopération, sans
laquelle la lutte pour le châtiment des criminels contre l'humanité ne pourra
pas véritablement s'engager.
Il convient donc d'insister sur le rôle premier des Etats dans cette
entreprise de lutte contre l'impunité et sur le respect de leur souveraineté
essentielle qui en découle.
S'agissant du Conseil de sécurité, vous avez évoqué les réserves qu'avait
suscitées la clause du traité aux termes de laquelle le Conseil de sécurité
peut, par une résolution, demander pendant douze mois la suspension des
poursuites. Il est évident que, dans la pratique, cette hypothèse se réalisera
très peu souvent. Je rappelle que la France est membre permanent du Conseil de
sécurité. Par conséquent, la résolution en question devra être prise avec notre
accord et celui de tous les membres permanents du Conseil. Nous resterons donc
maîtres de la continuité des poursuites. Finalement, cette clause qui a suscité
une telle émotion ne me paraît pas devoir être, dans la pratique, autre chose
qu'une possibilité qui, dans certains cas pourra se révéler d'une certaine
utilité.
Voilà pour les rapports avec les Etats. Je ne reviendrai pas sur ce qui a été
évoqué à propos de l'article 124 sur ce point. La discussion relative à la
faculté laissée aux Etats de ne pas souscrire à la disposition concernant les
crimes de guerre s'inscrit davantage dans le cadre du débat de ratification que
dans celui de la révision constitutionnelle.
S'agissant de la révision constitutionnelle proprement dite, bien évidement,
nous nous en félicitons. Le Président de la République et le Premier ministre
ont saisi conjointement le Conseil constitutionnel, qui a rendu une décision,
longue, marquant à quel point la procédure suivie répondait à toutes les
exigences qui s'imposent à nous en matière de droit pénal et de procédure
pénale.
Il a relevé trois chefs de contrariété du traité à la Constitution. Tout le
monde s'y attendait s'agissant, en particulier des régimes spéciaux en matière
de procédure pénale et même d'immunité pénale aussi bien pour le Président de
la République que pour les membres du Gouvernement et pour les
parlementaires.
Il était évident que si l'on n'admettait pas la possibilité de poursuivre tel
ou tel responsable au plus haut niveau - là encore, nous ne pouvons que penser
à ce qui se passe actuellement dans les Balkans - le traité aurait perdu toute
portée et la Cour toute efficacité.
Mais il est évident aussi que cela impliquait une révision constitutionnelle.
C'est à celle-ci que nous procédons.
En ce qui concerne l'amnistie, vous avez dit, madame la ministre, ce qu'il
fallait en dire. Peut-on songer une seconde à amnistier le crime contre
l'humanité ? Peut-on songer une seconde à amnistier le génocide ? Je n'insiste
pas !
En ce qui concerne la prescription, le génocide et le crime contre l'humanité
sont déjà imprescriptibles. Nous en serons quittes pour modifier notre code
pénal, en fonction des infractions visées dans le traité.
Une inconstitutionnalité s'est ajoutée, celle qui est relative aux pouvoirs du
procureur indépendant, qui ne reçoit aucune instruction d'aucun Etat. Il peut
éventuellement, en cas d'urgence - on perçoit très bien l'intérêt de cette
faculté - se transporter dans l'un des Etats parties et demander à entendre un
témoin. Si ce dernier ne souhaite pas être entendu, il ne l'est pas. Le
procureur peut aussi visiter des sites et procéder à certaines constatations
matérielles. Là non plus, aucune voie d'exécution forcée n'est prévue.
Le Conseil constitutionnel a considéré qu'il y avait une atteinte aux
conditions essentielles d'exercice de la souveraineté. Dès lors, il convenait
de réviser la Constitution également sur ce point.
La voie choisie par le Président de la République et par le Gouvernement est
la bonne. Il est évident que nous n'allions pas reprendre chacun des articles
ou éventuellement procéder à des ajouts, notamment en ce qui concerne les
pouvoirs du procureur.
La seule façon convenable et rapide de procéder consistait, comme pour les
traités d'Amsterdam et de Maastricht, à recourir à un article unique.
La formulation retenue m'a laissé un instant perplexe : le terme « juridiction
» a un sens précis en droit international public. Peut-être aurait-on dû se
contenter de la compétence. Mais nous n'allons pas faire preuve d'un
perfectionnisme de la langue juridique qui risquerait, en l'occurrence, d'être
considéré comme excessif.
Il s'agit donc simplement de décider que la République reconnaît la
juridiction de la Cour pénale internationale dans son état, et sous réserve,
bien entendu, de ratification du traité. Cela implique que, en cas de révision
du traité, il appartiendra aux plus hautes instances de l'Etat ou aux
parlementaires de saisir à nouveau le Conseil constitutionnel. Nous verrons ce
qu'il en adviendra.
Telle est l'économie de cette révision constitutionnelle.
Je l'ai dit, la commission des lois, unanime, approuve entièrement ce projet
de révision, dont j'ai souligné l'importance.
Oui, c'est un progrès considérable. Je sais bien que cela ne répond pas à
toutes les attentes des organisations. Je sais bien qu'on aurait rêvé d'une
cour qui aurait joui de la compétence universelle. Je sais bien que l'article
124 a été beaucoup critiqué, y compris par moi-même. Il demeure que, par
rapport à ce que l'on souhaite depuis si longtemps, à savoir qu'il soit mis un
terme à l'impunité des criminels contre l'humanité, c'est bien une avancée que
nous devons saluer et à laquelle nous devons nous rallier.
Cela étant, cette avancée ne deviendra effective que si elle rallie le
concours des Etats. Sur ce point, nous devons tous, en particulier les
gouvernements de toutes les puissances, tirer la leçon de ce qui s'est passé à
propos du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
Si les puissances intéressées avaient fait preuve de toute la fermeté et
peut-être même de toute l'audace requises pour arrêter des criminels contre
l'humanité identifiés et localisés - je pense en particulier à Karadzic et à
Mladic, lequel est de retour sur le théâtre de ses sinistres exploits et à
nouveau « opérationnel » en ce sens qu'il continue de commettre des crimes
contre l'humanité - ceux qui sont aujourd'hui à l'oeuvre au Kosovo auraient su
que c'était leur sort personnel qui était en jeu, que, tôt ou tard, ils
auraient été amenés à devoir rendre des comptes devant la justice
internationale, avant de se retrouver là où ils doivent finir, c'est-à-dire
dans un établissement pénitentiaire, probablement à La Haye.
Cette dissuasion-là est une dissuasion personnelle d'une force considérable :
la crainte pour votre destin même, quand on vous demande de commettre des
crimes contre l'humanité, c'est tout autre chose que des frappes sur des
objectifs militaires, industriels ou politiques. C'est leur propre avenir même
que ces criminels savent en jeu au moment où ils se rendent coupables de leurs
exactions.
Je le dis, c'est de cette fermeté dans l'action que dépend l'avenir de la Cour
pénale internationale puisque, sans les Etats, elle sera désarmée. Pour le
reste, je fais confiance à ceux qui auront à mettre en oeuvre les pouvoirs qui
lui sont reconnus.
Nous savons qu'il y a une loi classique qui s'applique à toute juridiction.
Elle va jusqu'à la limite de ses pouvoirs. Il en ira de même pour la Cour
pénale internationale.
S'agissant de la mission de ceux qui auront à la faire fonctionner, c'est
assurément une des plus grandes qui se puisse concevoir parce que, vous l'avez
rappelé, madame la ministre, il n'y a pas de paix possible sans justice et,
pour les victimes, il n'y a pas d'apaisement possible sans justice.
Pour la conscience collective, mais particulièrement pour les victimes, à la
fin de ce siècle, il n'y a rien de plus intolérable que de penser que les
auteurs de ces crimes pourraient couler une vieillesse paisible, entourés des
leurs, de l'affection de leurs proches, de l'amitié de leurs voisins, alors que
les victimes, elles, resteraient seules avec leur malheur.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je n'avais pas,
primitivement, l'intention d'intervenir dans ce débat mais, à ne pas le faire,
j'aurais eu l'impression de manquer à un devoir, celui-ci consistant d'abord
pour moi à remercier notre rapporteur de l'excellence du travail qu'il a
accompli, au nom de notre commission, en présentant de manière extrêmement
éclairante un dossier singulièrement difficile. Pour des raisons que nous
comprenons, il est d'ailleurs allé au-delà de la stricte sécheresse juridique,
en évoquant la signification profonde de ce texte.
Il n'est pas anodin, mes chers collègues, que ce débat s'engage alors que le
siècle s'achève, un siècle qui s'est ouvert sur des espoirs de paix et de
progrès.
Le hasard a voulu que, feuilletant l'autre jour un vieux journal, je retrouve
la trace de cette chanson naïve que l'on avait fait composer pour le banquet de
clôture de l'Exposition universelle de 1900 : des paroles au caractère un peu
pompier, certes, mais chaleureuses, témoignant d'un profond espoir dans la
paix. On sait ce qu'il en a été !
Peut-être l'époque que nous venons de vivre s'inscrira-t-elle parmi les plus
noires de l'histoire de l'humanité. Mais, malgré les heures sombres qui
ponctuent cette histoire, demeure chez tous les hommes cette volonté de
parvenir à un état de paix juste et durable, c'est-à-dire à ce qui doit être
pour tous, selon la définition éternelle de saint Augustin, « la sécurité dans
l'ordre ».
Si l'on transpose les rapports entre les groupes sociaux et les individus aux
relations entre les nations, on constate que l'ordre international, comme
l'ordre social, ne peut être respecté qu'à une triple condition : il faut qu'il
existe une loi - ou un code - un juge et une force.
La loi, voilà longtemps que l'on s'efforce de l'établir, parce qu'on sait
qu'elle est nécessaire et parce qu'elle coïncide avec une aspiration
profondément ancrée dans le coeur des hommes. Hélas ! elle a été souvent
violée, et ces violations ont été trop souvent accomplies dans la plus totale
des impunités.
Des juges ont aussi été mis en place. Car on oublie qu'une première tentative
a vu le jour au lendemain de la Première Guerre mondiale. Tentative vite
abandonnée parce que cette guerre, dont on découvre maintenant qu'elle a été
tragiquement inutile, a été malgré tout une guerre classique : lors d'un
conflit qui mettait en présence des forces armées obéissant tout de même à une
sorte de code, l'horreur aura été finalement « acceptable ».
Le procès de Nuremberg, sans doute inévitable, sans doute nécessaire, n'a pas
été à l'abri de critiques strictement juridiques ; j'en discutais avec notre
rapporteur. Certes, les droits des coupables ont été respectés, mais il a fallu
poser, à la demande du procureur soviétique, le principe selon lequel l'excuse
de la réciprocité ne serait jamais admise.
Que peut-on espérer de cette cour que l'on veut mettre en place, après celle
que l'on vient de créer, à compétences matérielles réduites ?
Sa création implique pour nous de modifier, une fois de plus, notre
Constitution. Je me permets de dire au passage qu'il faudra bien trouver un
moyen qui nous permette d'aborder de manière globale les modifications de notre
loi fondamentale rendues nécessaires par les accords internationaux, de plus en
plus nombreux, auxquels la France entend légitimement souscrire.
Au-delà de la pertinence de son action, cette cour a pour moi une valeur
d'avertissement : faire savoir à l'avance que, dans une guerre ouverte ou dans
un conflit armé qui ne reçoit pas cette qualification juridique précise, tout
n'est pas possible. Et cet avertissement vaut également pour tous les
manquements à un ordre défini qui se produiraient à l'intérieur des frontières
d'une nation. C'est peut-être là la signification la plus importante de ce que
nous sommes en train d'accomplir.
S'agissant du conflit du Kosovo, permettez-moi de vous faire part d'une
remarque, selon moi intelligente, d'un auteur de politique fiction. Supposez,
disait-il en substance, que Hitler, démocratiquement élu, ait observé, en 1933
ou en 1935, un respect absolu de l'ordre international et déclaré que, tout en
respectant le traité de Versailles, il était souverain chez lui et entendait
simplement expulser les Allemands d'origine juive ou, le cas échéant, les
massacrer ; nous n'aurions rien pu faire. Or, si nous avons agi, c'est parce
que Hitler a eu, permettez-moi de le dire, l'imprudence de se livrer à une
aventure internationale au terme de laquelle il a été possible de le
sanctionner, lui et les siens.
L'exercice par un Etat de sa souveraineté nationale - et ce point me paraît
fondamental - est désormais encadré de deux façons : le droit est rappelé et,
compte tenu de l'existence d'un juge, la menace de la sanction plane.
Reste le troisième pilier auquel je faisais allusion, c'est-à-dire celui de
la force nécessaire. Pour que le juge soit saisi, pour que, le cas échéant, la
loi soit respectée, il faudra bien, sous une forme quelconque, doter la
souveraineté internationale de la force nécessaire.
Le xxe siècle n'aura pas été cette époque de paix et de progrès que l'on
espérait. Peut-être le xxie siècle le sera-t-il, grâce à ce que nous sommes en
train d'accomplir.
Nous avons cru, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, que la paix était
acquise. Ce que l'Afrique a vécu, l'existence d'Etats criminels dont on a
découvert les crimes après leur effondrement ou leur disparition, et contre
lesquels nous n'avons rien pu faire, et les événements qui se déroulent en
Europe montrent, s'il en était besoin, au-delà des intentions juridiques, la
difficulté de la tâche qui reste à accomplir.
La reconnaissance d'une loi, l'existence d'un juge et peut-être un jour la
force nécessaire dont sera dotée la souveraineté internationale permettront,
enfin, de voir se réaliser le voeu de saint-Augustin : la paix, c'est-à-dire la
sécurité dans l'ordre.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union
centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Othily.
M. Georges Othily.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, notre
débat de ce jour devrait théoriquement se limiter à l'examen des aspects
constitutionnels liés à la vraisemblable ratification du traité de Rome du 17
juillet 1998 portant création d'une Cour pénale internationale.
Nous savons en effet que certains aspects de cet engagement, contracté par les
délégués de cent vingt pays, ne sont pas conformes à notre loi fondamentale et
imposent donc sa révision.
Cela dit, il m'est difficile de ne pas anticiper sur l'objet même du traité,
et ce pour une raison bien simple : ou bien cet accord doit être approuvé, et
la révision constitutionnelle s'impose ; ou bien, à l'inverse, cet engagement
ne recueille pas notre adhésion, et ce projet de loi constitutionnelle devient
inopportun.
Je souhaite, dès à présent, faire savoir à la Haute Assemblée ainsi qu'au
Gouvernement que mon propos s'inscrira dans le cadre du premier terme de cette
alternative : celui de la nécessaire ratification du traité de Rome et de la
révision concomitante de la Constitution.
La justice pénale est, malgré de nombreuses tentatives, quasiment absente de
l'ordre international. Les rares percées du droit pénal au sein de l'histoire
contemporaine mondiale sont consécutives aux tragédies de la Seconde Guerre
mondiale avec les procès de Nuremberg et de Tokyo ou, plus récemment, aux
guerres de Bosnie et du Rwanda, avec la constitution de tribunaux
ad
hoc.
Ce mode opératoire, ponctuel et imposant, dans chaque cas, la réunion des
acteurs internationaux, n'est pas réellement satisfaisant, car il s'inscrit
dans le cadre d'une justice non pas pérenne, mais seulement occasionnelle.
Les juridictions internationales d'espèce constituent certes une avancée
substantielle, mais elles présentent toutefois l'inconvénient d'intervenir
a
posteriori,
c'est-à-dire après la commission des crimes qu'elles sont
amenées à juger, ce qui ôte tout caractère dissuasif à l'action pénale.
La création d'une Cour pénale internationale témoigne donc de la volonté,
exprimée par plus de cent vingt nations, de ne plus jamais laisser impunis les
crimes les plus graves.
Une actualité brûlante nous rappelle d'ailleurs quotidiennement que, sur notre
continent, à quelques kilomètres seulement de nos frontières, la barbarie est
toujours de ce monde.
Si maigre soit la consolation que pourrait, à l'heure actuelle, nous apporter
l'existence d'une telle Cour pénale internationale qui, bien évidemment,
n'aurait pas le pouvoir de mettre fin aux massacres orchestrés, je ressens
néanmoins une profonde satisfaction.
En effet, la création de cette juridiction hautement supérieure est un message
fort que les nations signataires adressent, pour la première fois, aux
malheureuses victimes d'agissements inqualifiables.
Désormais, nous pouvons leur dire que leurs souffrances ne resteront plus
impunies et qu'aucune exception de nationalité, de territorialité ou de
temporalité n'empêchera la justice des hommes de passer.
Paradoxalement, cet aboutissement, qui ne peut que nous réjouir, symbolise
aussi une renonciation
a priori,
dans la mesure où cet engagement
consacre avec fatalité l'existence, présente ou à venir, de situations
analogues à celle que nous connaissons, par exemple, au Kosovo.
En clair, cela signifie qu'au même instant la saisine de la future Cour pénale
internationale entérinera l'échec de la prévention diplomatique et des
dispositifs de négociation en faveur d'un retour à la paix.
Mon enthousiasme s'émousse quelque peu à la lecture de la liste des pays
signataires de ce traité de Rome ou, plus exactement, à l'énoncé du nom des
Etats ayant refusé de souscrire à cet engagement presque unanime, parmi
lesquels figurent, notamment, les Etats-Unis, la Chine, l'Inde et Israël.
Que le Président de la République et le Gouvernement n'interprètent pas mes
propos comme une critique - il s'agit plutôt de l'expression d'un désarroi -
mais je n'arrive pas à admettre, même si je le comprends, que nos échanges avec
Pékin se limitent à la vente d'Airbus.
Je sais que les plus hautes autorités de notre pays ont à coeur d'attirer
systématiquement l'attention des dirigeants chinois sur la question du respect
des droits de l'homme. Pourtant, nous devons, hélas ! constater que ces efforts
n'ont toujours pas porté leurs fruits.
Cela étant, et même si je le déplore, le refus chinois s'inscrit, si j'ose
dire, dans une tradition à laquelle nous sommes malheureusement habitués. C'est
pourquoi le refus américain me semble presque plus gênant.
Après les guerres du Golfe et de Bosnie, la crise du Kosovo nous donne un
nouvel exemple de la mainmise américaine sur l'ordre planétaire.
Il s'agit d'un véritable paradoxe que je ne parviens pas à saisir : l'action
militaire menée en ex-Yougoslavie ne pouvait être mise en place sans l'aval des
Etats-Unis ; parallèlement, l'action diplomatique menée dans le cadre de la
Cour pénale internationale n'a pu, quant à elle, être mise en place avec l'aval
de ce pays.
Je ne comprends pas l'attitude réservée qu'adoptent les Etats-Unis lorsqu'il
est question des droits de l'homme. Pourquoi cet Etat, pourtant imprégné de
valeurs qui ne nous sont pas étrangères, ne parvient-il pas à participer aux
objectifs que nous cherchons à atteindre ?
Pourquoi, par exemple, ce grand pays, pourtant si attaché à la notion
d'humanisme, persiste-t-il à appliquer la peine capitale alors que la plupart
des démocraties modernes ont adhéré au protocole additionnel à la Convention
internationale des droits de l'homme qui interdit ce châtiment ?
Mes chers collègues, si j'ai choisi d'évoquer le cas de la Chine et des
Etats-Unis, c'est pour une raison fort simple qui tient aux modes de saisine de
la future Cour pénale internationale.
Le traité prévoit, en effet, que cette juridiction fonctionnera dans le cadre
d'une étroite coopération entre les Etats parties et l'Organisation des Nations
unies.
C'est ainsi que la Cour pénale internationale pourra être saisie par un
signataire du texte ou par le Conseil de sécurité des Nations unies. Or, dans
cette dernière hypothèse, chacun songe évidemment au fait que sont membres
permanents du Conseil de sécurité, et disposent à ce titre d'un droit de veto,
la Chine et les Etats-Unis.
En résumé, cela signifie que ces deux pays, qui ont pourtant choisi de
demeurer en dehors du traité de Rome, parviendront néanmoins à encadrer
l'application d'un texte auquel ils sont étrangers : ainsi, une seule de leurs
voix aura plus d'écho que celles des cent vingt signataires de la
convention.
Ayant fait part de mon étonnement à propos de ces situations, je souhaite, à
présent, vous faire connaître mes réels motifs de satisfaction quant à la
présence à Rome de nombreux Etats dont je ne peux que saluer le courage de la
démarche.
Je pense, en effet, et vous le comprendrez très bien, à ces nombreux pays
d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique latine qui, malgré une faible expérience de la
démocratie, ont néanmoins choisi d'adhérer à cet engagement commun.
Je me réjouis de relever que certains d'entre eux, dont l'histoire récente
atteste pourtant de profondes hésitations quant au choix de leur régime
politique, ont cependant décidé d'agir à nos côtés en faveur d'une
reconnaissance internationale des droits de l'homme. En raison des liens
particuliers qui nous lient à ces Etats, la France ne peut que se féliciter de
la qualité d'une telle démarche.
En l'état des discussions, nous sommes amenés à nous prononcer sur un projet
de loi constitutionnelle qui, en réalité, ne pose guère de difficultés, le
Conseil constitutionnel ayant fait savoir que l'esprit du traité de Rome
n'était pas incompatible avec celui de notre loi fondamentale.
La rédaction qui nous est proposée par le Gouvernement, outre les aspects
pratiques qu'elle revêt, dans la mesure où elle permet d'éviter des réponses
ponctuelles aux objections du Conseil constitutionnel qui auraient pu être
difficiles à exprimer, traduit à mon sens, la volonté d'adhérer sans réserve à
la Cour pénale internationale dont l'existence sera désormais consacrée par
notre Constitution.
Mes chers collègues, il est de notre devoir de soutenir la création de cette
juridiction indispensable et d'apporter ainsi une nouvelle pierre à
l'élaboration du droit fondamental international.
Dût sa modestie en souffrir, je souhaite à cette occasion remercier notre
excellent rapporteur de la qualité de son travail et de la précision des
explications qu'il nous a apportées.
Mes pensées vont aussi vers ceux sans lesquels un tel édifice n'aurait
certainement jamais vu le jour et qui, grâce à leur détermination, sont
parvenus à faire comprendre aux nations qu'il était essentiel d'abandonner une
parcelle de leur souveraineté interne, et ce dans l'intérêt commun. Je veux
parler de François Mitterrand et de M. Boutros Boutros-Ghali.
S'inscrivant pleinement dans cette détermination, le groupe du Rassemblement
démocratique et social européen, unanime, apportera son soutien à ce projet de
loi constitutionnelle.
(Applaudissements sur les travées du RDSE et sur les travées socialistes,
ainsi que de l'Union centriste, du RPR et sur certaines travées des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous
avons pris l'habitude de ratifier un certain nombre de traités en deux temps :
le premier consiste à modifier la Constitution, le second à autoriser, par une
loi, la ratification. Il en résulte des débats décousus et incomplets. En
l'occurrence, nous avons en effet abordé à la fois la forme, la révision de la
Constitution, et le fond, c'est-à-dire le contenu même du traité. Les
magistraux exposés de Mme le garde des sceaux et de M. le rapporteur sur le
contenu du traité étaient bien sûr nécessaires pour nous éclairer et pour
justifier, dans une certaine mesure, l'intérêt de la révision
constitutionnelle. C'est sur ce premier point que je voudrais tout d'abord
m'arrêter.
En matière de révision constitutionnelle, nous avons pris de très mauvaises
habitudes. Qu'il s'agisse du traité de Maastricht, du traité de Schengen, du
traité d'Amsterdam et, maintenant, du traité de Rome, nous sommes amenés, à
chaque fois, à réviser la Constitution. Comme il s'agit de traités évolutifs,
chaque fois que nous les modifierons, que nous y ajouterons quelque chose, nous
devrons sans doute, après décision du Conseil constitutionnel, procéder à une
nouvelle révision constitutionnelle.
M. Emmanuel Hamel.
Et bientôt il n'y aura plus de France !
M. Guy Allouche.
Mais non, monsieur Hamel !
M. Patrice Gélard.
A ce rythme, notre Constitution risque de contenir plus de références aux
traités qu'au reste.
Madame le garde des sceaux, il est peut-être temps d'abandonner notre
conception du droit international issue du xixe siècle et d'envisager d'autres
formules en matière de ratification des traités. A cet égard, je vous suggère
de confier à la commission des lois du Sénat le soin de réfléchir à la
possibilité de faire figurer dans un article unique de la Constitution les
dispositions permettant de ratifier les traités qui comportent délégation de
compétence.
Cette formulation, à laquelle je n'ai pas encore suffisamment réfléchi,
pourrait être la suivante : « Les traités qui impliquent délégation de
souveraineté ne peuvent être ratifiés que par référendum ou au moyen d'une loi
organique. » C'est une possibilité ; il en est certainement d'autres. Nos
débats y gagneraient en clarté et les choses seraient plus simples.
En effet, la rédaction à laquelle la commission des lois s'est ralliée, sur
proposition de M. le rapporteur, est la suivante : « La République peut
reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions
prévues par le traité signé le 18 juillet 1998. » Cette formulation n'est pas
satisfaisante.
Mettons-nous dans la situation de chacun de nos concitoyens : il a bien
entendu sur sa table de nuit la Constitution, qu'il relit régulièrement
(sourires),
mais il n'aura pas le texte du traité du 18 juillet 1998. Il
ne saura pas ce qu'il y a dedans ; il devra faire une gymnastique
intellectuelle pour se renseigner et en connaître le contenu.
M. Emmanuel Hamel.
Il ne dormira plus !
M. Patrice Gélard.
Il y a là un vrai problème de démocratisation de notre droit, et cela me
permet d'en venir au deuxième point de mon intervention.
La lecture du traité de Rome est assez rocailleuse, c'est le moins que l'on
puisse dire. Le texte français est rédigé dans une langue bizarre ; mais les
textes russe ou anglais ne sont pas mieux lotis. Il s'agit en effet d'une sorte
de franglais dans lequel les mots n'ont pas l'acception habituelle qui est la
leur dans la langue française. Peut-être est-ce le résultat de la fatigue des
négociateurs ou de l'insuffisance de la connaissance de l'autre langue par nos
rédacteurs ? Je suis assez surpris par la médiocrité actuelle de la rédaction
des textes internationaux, qu'il s'agisse du traité de Rome ou des traités
européens rédigés dans une même langue. C'est une sorte de volapuk. Nous ne
faisons plus attention à la qualité de la rédaction des traités. A cet égard,
il faut réaliser un effort capital.
Le droit n'est compréhensible que lorsqu'il est clair, quand il est bien
écrit, quand il ne laisse pas la place à des interprétations. Or on ne peut,
hélas ! pas dire que le traité de Rome soit une merveille du genre.
De plus, les imperfections du texte ont une conséquence et une cause : notre
contamination, à l'échelon des juridictions internationales, par la pratique de
la
Common law,
selon laquelle les juges continuent de se réserver un
pouvoir d'appréciation et se satisfont de textes flous. Cette dérive est
d'abord apparue au sein des décisions de la Cour européenne des droits de
l'homme, puis de la Cour de Luxembourg. Je crains qu'elle ne soit aussi le fait
du tribunal pénal international.
A partir du moment où l'on est dans le domaine international, les choses
doivent être claires pour être comprises de la même façon par tous. Or la façon
dont est rédigé le traité, dont sont définis le génocide, le crime contre
l'humanité, les crimes de guerre n'est pas, au regard de notre tradition
juridique pénale, très satisfaisante.
Ce traité est une première étape, à partir de laquelle il sera sans doute
souhaitable d'adopter un code pénal international et un code de procédure
pénale international, à condition que nos diplomates fassent des efforts de
rédaction en revenant à une langue juridique, et non en utilisant une langue
que je qualifierai de langue mixte, où se mêlent le langage diplomatique, les
termes juridiques, et les formulations de convivialité.
Cette deuxième remarque me paraît avoir son importance.
J'en viens au troisième point de mon intervention, empiétant sur le débat qui
aura lieu lors de l'examen du projet de loi visant à autoriser la ratification
du traité. Compte tenu des excellents exposés liminaires du Gouvernement et de
la commission, je me contenterai de formuler quelques remarques.
D'abord, les dictateurs ne pourront plus faire de voyages internationaux dans
les années à venir.
(Marques d'approbation sur plusieurs travées.)
Tel ou tel homme d'Etat
non fréquentable ne pourra pas se rendre en visite d'Etat ou à une conférence
internationale sans prendre le risque d'être immédiatement arrêté sur
réquisition du procureur ou du Conseil de sécurité des Nations unies.
Nos chefs d'Etat y perdront peut-être en termes de tourisme, mais la moralité
internationale y gagnera. En revanche, il faudra protéger nos chefs d'Etat de
toutes poursuites arbitraires. Je me demande dans quelle mesure il ne faudra
pas établir une convention sur le statut des chefs d'Etat, pour leur éviter des
poursuites abusives dans les années à venir.
Plusieurs orateurs ont mentionné les crimes de guerre ou les génocides qui
sont commis à l'heure actuelle au Kosovo. Dans un conflit, il y a toujours deux
versions. Il ne faudrait pas, comme cela a été parfois le cas, qu'il y ait un
seul coupable. Mais il ne faudrait pas que, chaque fois qu'interviennent des
éléments de guerre, de violence, de génocide ou autre, les deux parties se
retrouvent systématiquement devant le tribunal, parce qu'il y aura eu des
victimes de part et d'autre.
Je m'interroge ensuite sur la façon dont seront ressenties les opérations de
maintien de l'ordre, par exemple, dans un pays où se produiront des troubles
dus à une minorité quelconque qui formulera telle ou telle revendication. Il ne
s'agit là que de simples interrogations. Je m'en remets naturellement à la
sagesse des Etats, du Conseil de sécurité, et, ultérieurement, à la sagesse des
juges. Je me demande tout de même si toutes les conséquences du traité ont été
examinées par les négociateurs.
Arrivé à ce stade, je ne peux que saluer le travail remarquable accompli par
les négociateurs français. Sans eux, il est vraisemblable que cette expérience
n'aurait pas pu aboutir. Sans eux, ce grand pas en avant dans quelque chose de
tout à fait nouveau n'aurait probablement pas pu être fait.
Ce traité, ce n'est pas une pierre de plus au dispositif de protection des
droits de l'homme et du citoyen ; ce n'est pas une meilleure protection
apportée aux victimes de tous les crimes abominables que notre siècle et les
siècles précédents ont connus ; c'est une véritable révolution ; c'est un
bouleversement qui appelle une modification en profondeur du comportement des
Etats et de leurs responsables.
Je l'ai dit tout à l'heure : désormais, aucun dictateur ne se sentira nulle
part à l'aise. En raison de la non-rétroactivité des dispositions du traité,
certains dictateurs ne seront pas concernés par le dispositif. Mais à l'avenir,
aucun dictateur ne connaîtra un moment de repos, aucun dictateur ne pourra se
sentir tranquille. A cette occasion, nous passerons du droit international des
Etats à un autre droit international, dans lequel l'Etat ne sera plus
totalement souverain.
Telles sont les quelques remarques que je voulais formuler.
Cela étant dit, je tiens à préciser que, à une très large majorité, les
membres du groupe du RPR voteront ce projet de loi constitutionnelle.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants,
ainsi que sur plusieurs travées de l'Union centriste.)
M. Emmanuel Hamel.
Vos réserves étaient très fortes et elles nous interpellent violemment !
M. le président.
La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, alors
que les célébrations du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle
des droits de l'homme sont encore si proches, les événements terribles de
l'ex-Yougoslavie démontrent, une nouvelle fois, que le fossé est large entre
les espoirs, les mots et la réalité.
Nous allons entamer l'ultime ligne droite d'un siècle bien sanglant.
L'émotion, l'horreur nous assaillent à la vision des centaines de milliers de
personnes déportées du Kosovo. La peur de la guerre, que l'on croyait révolue
dans notre Europe, rejaillit.
Cette proximité de l'indicible ne doit d'ailleurs pas nous faire oublier tous
ces autres lieux où le crime, la violence dominent, et ils sont, hélas !
nombreux.
C'est dans ce contexte que nous sommes amenés à débattre de l'instauration du
tribunal pénal international ou du moins, dans un premier temps, de
l'adaptation de notre Constitution pour permettre sa création.
Nous devons avoir une vision globale de l'objectif d'une justice
internationale.
Même si c'est dans la douleur, l'aspiration des peuples à la paix, l'émergence
de valeurs démocratiques font peu à peu leur chemin. Les violations cyniques
des droits fondamentaux de la personne humaine deviennent progressivement plus
intolérables à des millions de gens. Ce sentiment est général, et les
explosions de cruauté et de haine n'effacent pas cette tendance : rien ne
permet de désespérer des peuples, même si leurs dirigeants donnent souvent la
nausée.
Mes propos sont-ils un peu trop utopiques ?
Il est clair que le Cambodge, l'Afghanistan, la Sierra Leone, l'Afrique
australe, la Bosnie hier, le Kosovo aujourd'hui, nous rappellent que la
barbarie n'est pas éradiquée. Mais le monde devient un village, tout s'y
entremêle, et les dérives criminelles de dirigeants, factions ou clans seront
tôt ou tard jugées par leurs propres peuples.
La Cour pénale internationale apporte une ébauche de réponse à ces
préoccupations. Son instauration est donc très positive.
Les impatiences sont grandes, notamment chez les organisations non
gouvernementales, et elles se sont largement exprimées à Rome, l'été dernier.
La lenteur des procédures mises en mouvement irrite. L'horreur des situations
rend ces attitudes compréhensibles.
Il faut cependant rappeler que l'instauration d'une telle juridiction
internationale relève d'un long processus. Déjà, au début du siècle, l'idée
germait. C'est avec l'écroulement de l'URSS et la multiplication de conflits
locaux, théâtres d'atrocités et de violence inouïes, qu'un pas décisif a été
franchi pour la création d'une Cour pénale internationale.
Le processus est donc long et l'adhésion d'une grande majorité d'Etats n'est
pas, à ce jour, acquise.
Il s'agit d'un point crucial, selon nous. Comment envisager une juridiction
internationale si elle n'est reconnue que par une minorité d'Etats ?
Les organisations non gouvernementales jouent un rôle de premier plan. Loin de
moi l'idée de vouloir réduire leur place : elles sont sur les terrains
d'affrontements ; elles mobilisent des compétences ; elles suscitent les
dévouements. Il est donc très utile qu'elles soient considérées comme des
intermédiaires actifs entre la Cour et les Etats parties. Leur intervention et
leur responsabilité ne se substituent pas pour autant à celle des Etats. Je
suis sensible à l'argumentation développée par certains juristes, tel par
exemple, à M. Serge Sur.
Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Certes, cent vingt Etats ont voté pour la création de la Cour pénale
internationale. Mais déjà sept Etats ont voté contre - et pas des moindres
comme le disait M. le rapporteur - et vingt et un Etats se sont abstenus.
Pour ce qui est des deux étapes suivantes nécessaires, la route est loin
d'être dégagée.
L'attitude des Etats-Unis pèse négativement. Son refus incompréhensible,
puisqu'il reviendrait à la justice américaine de juger ses soldats ou ses
citoyens, ne peut que pousser des Etats à faire preuve de peu d'empressement de
leur côté.
Rappelons que, pour parvenir à la mise en place de la Cour pénale
internationale, il faut recueillir soixante ratifications. Nous pensons que
beaucoup d'efforts sont à faire - vous l'avez dit, madame la ministre - pour
convaincre suffisamment d'Etats de ratifier ce texte dans un délai raisonnable.
La déception serait trop grande si, durant des années et des années, la Cour
pénale internationale restait à l'état de projet.
M. le rapporteur a dit à juste raison que la Cour aurait un grand rôle
préventif. Je ne veux pas reprendre le scénario du pire. Mais songeons, face à
un drame surgissant sur notre planète en l'an 2005, que l'on soit encore à
regretter que la Cour n'ait pas vu le jour...
C'est dans cet environnement, au-delà des insatisfactions compréhensibles et
justifiées ici et là, que l'action du gouvernement de la France doit être
appréciée. Notre pays, on le sait, a été longtemps réticent.
Nous savons que la motivation de l'attitude de la France s'est fondée pour une
part sur la volonté de protéger nos militaires en action sur des territoires
extérieurs de toute contestation éventuelle de leurs actions. Nous reviendrons
probablement sur ce point lors de l'examen des articles de la loi au moment de
la ratification du traité. Mais cette attitude était bien peu confiante pour
l'avenir. Pourquoi faire douter des observateurs de notre volonté profonde de
vivre désormais avec les réalités nouvelles, alors que c'est bel et bien notre
intention ?
L'exigence d'une Cour pénale internationale s'est renforcée avec l'expérience
des tribunaux internationaux, constitués ces dernières années.
Le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et le tribunal
international pour le Rwanda ont marqué une avancée significative en matière de
juridiction internationale.
Je tiens cependant à faire une remarque sur l'un et l'autre.
S'agissant du tribunal relatif au Rwanda, ce sont les manques de moyens
criants qui me viennent à l'esprit. Si mes informations sont exactes, trente
personnes, dont dix-neuf détachées par les seuls Pays-Bas, sont à la
disposition de cette juridiction. Face à l'ampleur et à la complexité des faits
à examiner, ces moyens apparaissent tout de même quelque peu dérisoires.
Pour ce qui est du tribunal relatif à l'ex-Yougoslavie, mon interrogation est
plus fondamentale. Ce tribunal n'a-t-il pas été un peu le reflet d'un recul de
la solution politique ? Le recours ô combien nécessaire à la justice ne
pallie-t-il pas l'absence de règlement politique durable d'une situation ?
Autant la justice consolide la paix en créant les conditions de la
réconciliation, autant la justice internationale doit compléter les solutions
politiques et non s'y substituer. Je crois que c'est en termes clairs que le
Premier ministre nous a rappelé cette nécessité, cet après-midi, dans la
réponse qu'il a apportée aux orateurs sur le drame du Kosovo.
La définition des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale
internationale a été l'objet de négociations serrées afin de permettre
l'acceptation du statut pour le plus grand nombre.
Quatre séries de crimes seront concernées. Je n'évoquerai à cet égard que les
crimes d'agression, qui ne sont actuellement pas définis et qui feront l'objet
d'une prochaine négociation.
Cette question est de première importance quant à la répartition des rôles
entre Conseil de sécurité et Cour pénale internationale. Qui définira à
l'avenir les situations d'agression : le Conseil de sécurité ou la Cour pénale
internationale ? Vous avez répondu à cette interrogation, madame la
ministre.
Mais cette question est importante, car, à mon sens, elle permettra, une fois
résolue, de clarifier vraiment la place de la Cour pénale internationale dans
l'ordre institutionnel et, surtout, de créer les conditions d'un ordre
international plus juste et, si possible, plus consensuel.
Enfin, la dernière série de critiques ou réserves présentées par les
détracteurs de la Cour pénale internationale porte sur la remise en cause de
notre souveraineté.
Une lecture superficielle aurait pu le faire penser, mais les garde-fous
instaurés sont précis et ne permettent pas de telles interprétations. La
compétence de la Cour pénale internationale est subsidiaire à celle des
juridictions nationales.
Les questions liées à l'amnistie sont importantes. Elles mettent en lumière la
nécessité d'une étroite collaboration entre l'action de l'ONU et la Cour pénale
internationale. Quand faudra-t-il décider de poursuivre ou non, au risque de
déstabiliser une fragile réconciliation nationale ?
La situation de l'Afrique du Sud a été évoquée. C'est à mon avis un bon cas
d'école. Nous considérons, comme M. le rapporteur, que l'émoi suscité par la
possibilité accordée au Conseil de sécurité de surseoir à la procédure n'est
guère justifié.
J'ai évoqué l'ONU. Je souhaite, avant de conclure, m'arrêter quelque peu sur
le sujet.
L'ONU a été beaucoup critiquée. Les Etats-Unis pour leur part, on le sait,
supportent difficilement que leur statut d'hyperpuissance soit éventuellement
contesté par la société des Etats.
Le rôle de l'ONU depuis 1945 a pourtant été déterminant pour l'élaboration et
la généralisation de nouveaux concepts démocratiques. L'organisation a été
porteuse, durant des décennies, des droits fondamentaux, des droits des
peuples.
Ce fut - qui peut le nier ? - le lieu privilégié du dialogue entre Etats, de
l'expression de l'ensemble des nations, quelle que soit leur importance.
Une réforme de l'ONU est sans nul doute nécessaire pour aider à faire
respecter le droit international. Cette réforme doit, à notre sens, permettre
une réflexion sur le retour au premier plan de l'assemblée générale. La force
de l'ONU, c'est sa représentativité de la société internationale dans son
ensemble.
Sans détourner notre débat - telle n'est pas mon intention - comment ne pas
faire le lien entre l'attitude adoptée à l'égard de la constitution de la Cour
pénale internationale et le rejet du cadre légal de règlement des conflits que
constitue l'ONU ?
Si l'OTAN devait, demain, jouer le rôle que lui assigne la Maison-Blanche - ce
n'est pas, je le sais, le point de vue de notre gouvernement - quel serait le
poids de la future Cour pénale, alors que le principal pays du monde ne serait
pas un de ses Etats parties constitutifs ?
Nous approuvons, dans ce climat, la volonté des autorités françaises d'engager
la création de la juridiction internationale sur une base permettant de
rassembler largement.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront donc le
projet de révision de la Constitution, avec la ferme conviction que, pour
accompagner efficacement ce combat contre les crimes les plus graves et pour
assurer la sécurité internationale et sa représentation, l'ONU doit être
confortée.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. le
président de la commission et M. le rapporteur applaudissent également.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « conscient
que tous les peuples sont unis par des liens étroits et que leurs cultures
forment un patrimoine commun, ayant à l'esprit qu'au cours de ce siècle, des
millions d'enfants, de femmes et d'hommes ont été victimes d'atrocités qui
défient l'imagination et heurtent profondément la conscience humaine... ».
Ces quelques lignes extraites du préambule du traité de Rome du 18 juillet
1998 instituant la Cour pénale internationale marquent l'ambition d'un progrès
collectif fondamental dans la lutte contre l'impunité et la sanction des
violations des droits de l'homme.
La conférence diplomatique des plénipotentiaires des Nations unies, réunie du
15 juin au 17 juillet 1998, a parachevé la tâche historique qu'est la création
d'une « cour criminelle internationale » efficace, opérationnelle et
indépendante. Elle le sera vraiment si elle s'en donne les moyens et si les
Etats signataires coopèrent naturellement pour qu'il en soit ainsi. Le degré de
coopération sera garant de son efficacité.
Cette décision est l'un des pas les plus importants accompli dans la défense
des droits de l'homme depuis l'adoption de la Déclaration universelle des
droits de l'homme, il y a un demi-siècle.
Plus de cinquante après le procès de Nuremberg, les génocides, les exécutions
massives d'opposants politiques, les purifications et nettoyages ethniques, les
crimes contre l'humanité continuent de servir d'instrument politique dans de
nombreuses régions du globe. Il y avait absolument nécessité de renforcer le
système de la justice pénale internationale.
Cinquante ans après la signature de la Convention internationale contre le
génocide, qui voulait éviter que ne se reproduise plus jamais ce que le régime
nazi venait de faire subir au monde, la société internationale se dote d'un
instrument supposé sanctionner, mais aussi prévenir les crimes qui, par leurs
exceptionnelles gravité et monstruosité, heurtent la conscience universelle.
Avec la fin de la « guerre froide », qui avait en quelque sorte « congelé » la
création de cette Cour pénale internationale, le temps est enfin venu pour les
auteurs de génocides, de crimes contre l'humanité, de crimes de guerres, de
tomber sous le coup de sanctions pénales exemplaires, sanctions qui ne seront
jamais à la hauteur des crimes commis. M. Kofi Annan ne disait-il pas - et
comment ne pas l'approuver ? - le 18 juillet 1998, à Rome, que la création de
cette Cour pénale internationale est « un cadeau de l'espérance pour les
générations futures » ?
Ce siècle qui s'achève n'a pourtant pas manqué d'atrocités partout dans le
monde.
« Plus jamais ça » ! Lequel d'entre nous n'a-t-il cru en ce cri de douleur et
d'espoir lancé après l'holocauste ! Pourtant, un demi-siècle après la Shoah,
les mots de purification et de nettoyage ethniques font à nouveau partie,
depuis l'offensive serbe en Croatie et en Bosnie, de notre vocabulaire
quotidien. Des crimes contre l'humanité ont de nouveau été commis au coeur de
l'Europe, au nom d'idéologies aussi implacables que meurtrières. La tragédie du
Kosovo n'est pas non plus la première dans l'ex-Yougoslavie.
L'actualité donne à notre débat un éclairage cru et tout particulier. Il est
rarissime que l'actualité internationale colle de si près à un débat
parlementaire ! Qui osera dire encore - comme ce fut le cas il y a soixante ans
- « qu'il ne savait pas » ? Seuls ceux qui sont traditionnellement favorables à
ne rien faire, ou à laisser faire, qui acceptent de contempler les atrocités de
notre monde avec cynisme, peuvent s'en réjouir. Aux sceptiques, aux
réfractaires, disons simplement : « Regardez et écoutez ». Le drame du Kosovo
nous renvoie aux heures les plus noires de notre histoire contemporaine.
Il a fallu attendre le lendemain de la Première Guerre mondiale pour que
naisse l'idée d'une juridiction chargée de sanctionner pénalement les crimes de
guerre. L'ampleur des massacres, le génocide arménien, les destructions
considérables et, déjà, l'exigence de l'opinion publique, dont la pression sera
de plus en plus forte, ont favorisé la prise de conscience des dirigeants des
puissances alliées.
A la tragédie de la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale a
ajouté l'horreur absolue de l'holocauste. De nombreux criminels de guerre ont
été jugés par les tribunaux internationaux de Nuremberg et de Tokyo. Pour la
première fois, ces tribunaux ont défini précisément les crimes contre
l'humanité. L'instauration d'une justice pénale internationale s'est orientée
délibérément vers la répression, à l'échelle internationale, des crimes les
plus graves. Hélas ! cela n'a pas empêché la seconde partie de ce siècle de
renouer avec la barbarie. L'institution des tribunaux
ad hoc
pour juger
les crimes dans l'ex-Yougoslavie et au Rwanda a favorisé une nouvelle prise de
conscience politique pour aller vers la création d'une Cour pénale
internationale.
Mes chers collègues, osons dire que c'est le début d'une « justice sans
frontière ».
Cette Cour pénale internationale sera mieux à même de mener comme il couvient
la lutte contre l'impunité et pour la répression des grands responsables de
crimes contre l'humanité. Elle mettra fin, je l'espère, « à l'exercice criminel
de la souveraineté de l'Etat ». On mesurera, alors, que les criminels contre
l'humanité sont poursuivis au nom de la communauté internationale tout entière,
et que c'est elle qui demande justice. Cela répond à l'exigence première des
droits de l'homme, à leur universalité, à leur indivisibilité, car ils sont
ceux des êtres humains sur toute la terre. Et les criminels contre l'humanité,
parce qu'ils outragent, à travers la personne des victimes, l'humanité tout
entière, doivent être poursuivis au premier chef, au nom de la communauté
internationale. Ils sauront ainsi qu'ils auront à rendre compte de leurs actes
ignobles.
Le temps d'élever un nouveau rempart contre l'immunité et l'impunité est enfin
venu. Les temps judiciaires à venir ne seront plus, et ne devront plus être
cléments aux bourreaux et aux dictateurs, qui deviendront des justiciables à
vie, c'est-à-dire à tout moment, à tout âge, en tout pays, ou presque, puisque
le criminel d'un Etat non partie au traité qui se réfugie dans son pays pourra
encore échapper à des poursuites tant qu'il ne le quitte pas. Il sera donc
prisonnier chez lui. L'époque qui s'ouvre n'oubliera jamais ses propres
tourmenteurs.
La Cour pénale internationale ne sera pas un supertribunal mondial qui
pourrait se substituer à la justice nationale ou se saisir de ses affaires à sa
convenance. La justice nationale continue d'avoir la priorité. la Cour pénale
internationale ne sera compétente que lorsque les tribunaux nationaux
n'existent pas, ne sont pas capables ou refusent de poursuivre ces crimes.
Projet ambitieux, la création de la Cour pénale internationale concrétise des
droits universels. Elle permet de dépasser, sans pour autant l'ignorer, le
droit des Etats. Confrontés à la question de l'étendue de leurs pouvoirs, les
Etats signataires ont accepté de mettre en jeu ce qui définit une partie de
leur souveraineté. C'était une condition indispensable, car le respect absolu
de la souveraineté des Etats ne doit plus permettre de préserver l'impunité des
auteurs de crimes contre l'humanité. Nous savons que la sécurité internationale
et les droits de l'homme sont intrinsèquement liés, parce qu'ils associent la
souveraineté, la liberté et la sécurité des Etats à celles des hommes qui les
peuplent.
Pourrai-je ajouter que c'est encore une façon d'exercer sa pleine souveraineté
que d'accepter de se soumettre à la compétence d'une telle juridiction, l'Etat
ne renonçant jamais à sa souveraineté ?
La compétence de la Cour pénale internationale est limitée aux crimes les plus
graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale. Pour un pays
comme la France, nous pouvons dire qu'il n'y a pas d'atteinte réelle et
sérieuse à la souveraineté du système judiciaire français si, comme on le
pense, la justice française exerce normalement ses compétences en poursuivant
les auteurs de crimes d'une extrême gravité.
« Beaucoup d'Etats auraient aimé une cour investie de pouvoirs encore plus
importants, mais cela ne doit pas nous pousser à minimiser l'avancée capitale
qui a été réalisée », disait M. Kofi Annan.
La création de la Cour pénale internationale soulève, en effet, de nombreuses
interrogations, qui peuvent se résumer dans les propos de Mme Louise Arbour,
procureur près le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, selon
laquelle il ne faudrait pas que cette nouvelle institution se trouve moins bien
armée que les deux tribunaux
ad hoc.
Le point le plus violemment critiqué est la possibilité donnée à chaque Etat
signataire de se soustraire pendant sept ans, jusqu'à la révision du texte, aux
obligations du traité pour l'une des quatre catégories de crimes concernées :
les crimes de guerre.
La France, qui réclamait cette faculté de dérogation, a largement fait les
frais des critiques des représentants des organisations non
gouvernementales.
Madame la ministre, j'ai bien compris le sens de votre déclaration à
l'Assemblée nationale : « Si des personnels français civils ou militaires
devaient commettre des crimes de guerre, ils seraient de toute façon traduits
devant les tribunaux français. L'article 124 n'y changerait rien, puisque la
Cour pénale internationale est complémentaire des tribunaux nationaux. »
Reconnaissons cependant que cette disposition ne fait que repousser l'examen
d'un point important : la sanction des violations du droit international
humanitaire par les membres des forces de maintien de la paix.
Certes, nous sommes au stade de la modification constitutionnelle, et il est
fort probable que nous ayons à revenir sur ce point lors du débat de
ratification.
L'autonomie de la Cour pénale internationale fut l'un des grands débats lors
des négociations opposant les tenants d'une totale indépendance de la justice à
ceux qui défendaient les prérogatives du politique, au premier rang desquels
les membres permanents du Conseil de sécurité, dont la France.
L'article 16 du statut de la Cour octroie au Conseil de sécurité, dans les
limites d'un équilibre raisonnablement défini entre ses attributions et celles
de la Cour pénale internationale, la faculté de demander à la Cour de surseoir
pendant douze mois renouvelables aux enquêtes ou aux poursuites qu'elle a
engagées.
Cette disposition est pour le moins discutable et cette interférence est même
choquante, puisqu'elle revient à accorder au Conseil de sécurité la possibilité
d'empêcher quasi indéfiniment toute poursuite contre des personnes soupçonnées
de crimes relevant de la compétence de la Cour.
Je reconnais cependant que la portée pratique de l'article 16 du statut doit
être relativisée.
En effet, le Conseil de sécurité peut dès à présent agir pour que la Cour
pénale internationale n'engage pas de poursuites, compte tenu des prérogatives
que lui reconnaît le chapitre VII de la Charte des Nations unies.
En second lieu, ainsi que le précise M. Mario Bettati, professeur à
l'université Paris II, qui a été auditionné par la commission des affaires
étrangères, l'intervention du Conseil est plutôt favorable à la Cour : « Il
suffira qu'une seule voix d'un membre permanent soit hostile à une résolution
destinée à suspendre les poursuites, et le procureur pourra continuer à
travailler tranquillement. »
Madame la ministre. il est regrettable que cette disposition d'application
incertaine figure dans le statut car, en donnant l'impression que l'on pourrait
s'orienter vers une « jurisprudence à la carte », c'est l'indépendance de la
Cour et, par voie de conséquence, la fonction judiciaire même qui sont en
cause.
Les autres limites de l'indépendance du procureur concernent les poursuites
abusives fondées sur des arrière-pensées politiques.
Les deux Etats qui interviennent le plus à l'étranger, les Etats-Unis et la
France, ont tenu à se protéger, mais pour des raisons différentes. Certes, les
Etats-Unis n'ont pas signé le traité de Rome. Mais la France a demandé et
obtenu la mise en place d'une chambre préliminaire de juges chargée de trancher
en cas de contestation de la légitimité des poursuites. Cet aspect relève
davantage de la tradition judiciaire des pays latins que de la tradition
anglo-saxonne ; il s'agit d'éviter certaines dérives, tant accusatoires que
médiatiques.
M. Emmanuel Hamel.
Vous reconnaissez qu'il peut y avoir des dérives !
M. Guy Allouche.
Autre question de nature dialectique, bien que le choix du principe de
non-rétroactivité s'explique à la fois par des considérations pratiques mais
aussi en raison du fait que la création de la Cour pénale internationale n'a
pas pour objet la restitution de la mémoire, comment concilier le principe de
l'imprescriptibilité des crimes actuels et celui de la non-rétroactivité ?
La création de la Cour pénale internationale résulte d'un accord interétatique
très large. Sept pays s'y sont opposés, dont les Etats-Unis, pourtant
favorables à la mise en place des tribunaux pénaux internationaux. Ce pays ami
donne surtout l'impression de vouloir utiliser ces instances plus pour des
raisons politiques que pour la défense d'un idéal de justice.
Nous connaissons la conception très stricte des Etats-Unis en matière de
souveraineté. Ils souhaitent éviter, autant qu'il est possible, que des
ressortissants américains relèvent de juridictions autres qu'américaines. Nous
ne pouvons que regretter que ce grand pays, cette grande démocratie, s'exonère
de la justice universelle.
La France a progressivement cherché, par ses propositions, à réunir le plus
grand nombre de signataires. Le travail de la représentation française dans la
préparation du projet de création de la Cour pénale internationale doit être
salué. Notre pays a joué un rôle actif lors des travaux du comité préparatoire
des Nations unies chargé d'étudier les questions relatives à l'établissement de
cette nouvelle instance, en présentant un projet complet de statut dont les
délégations étrangères ont reconnu la qualité.
Réjouissons-nous également que la France ait signé le traité dès le lendemain
de l'adoption de la convention.
A ce stade de mon propos, mes chers collègues, je veux m'adresser à M. le
président de la commission des lois pour lui dire que je tiens personnellement
à le remercier d'avoir une nouvelle fois proposé à notre collègue Robert
Badinter de rapporter ce projet de loi. Vous l'aviez déjà fait précédemment, M.
Badinter l'a rappelé, avec un texte présenté par M. Toubon sur le Rwanda, et
vous avez eu raison d'assurer cette continuité en laissant à notre collègue le
soin de présenter au nom de la commission des lois - et, par voie de
conséquence, au nom du Sénat tout entier - ce rapport sur la création de la
Cour pénale internationale.
Monsieur le rapporteur, cher ami Robert Badinter, vous féliciter pour la
qualité de votre rapport serait certes juste, mais, à mes yeux, ce serait un
peu court.
Je me fais un devoir, et surtout un plaisir, de rappeler encore, car on ne le
dira jamais assez, quelle énergie et quels efforts considérables vous déployez
- et avec quelle constance, avec quelle farouche détermination ! - au service
du droit, de la justice universelle et du respect de la dignité humaine.
Votre action vous honore, certes. Mais, en cet instant, elle honore aussi le
Sénat tout entier et le Parlement français, car nous pouvons nous sentir fiers
de vous compter parmi nous.
Nul doute que nombreux sont ceux qui retiennent déjà et que plus nombreux
encore seront ceux qui retiendront que toute votre action, depuis de très
nombreuses années, s'inscrit dans le droit fil de l'action menée par
d'éminentes personnalités françaises, et notamment, pour n'en citer qu'une, par
le regretté René Cassin.
Moins de six mois après cette signature, le Président de la République
française et le Premier ministre ont saisi conjointement le Conseil
constitutionnel de la question de la compatibilité des dispositions du traité
avec la Constitution. Dans sa décision du 22 janvier dernier, le juge
constitutionnel a considéré que l'autorisation de ratifier le traité exigeait
une révision préalable de la Constitution.
Le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis ne répond pas point par
point aux décisions du Conseil ; il tend à inscrire dans la Constitution une
formule générale dont le choix mérite d'être approuvé.
En effet, afin de couvrir tous les cas d'inconstitutionnalité, il est apparu
préférable d'utiliser une formule plus large, et de faire référence à la
reconnaissance de la juridiction de la Cour pénale internationale. Le nouvel
article inséré dans la Constitution permet la ratification du traité de Rome et
l'adhésion de la France aux principes de paix et de justice défendus par la
Cour pénale internationale.
Madame la ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste du Sénat votera
avec honneur et enthousiasme ce projet de loi constitutionnelle. La France peut
s'enorgueillir d'être l'un des premiers pays à s'engager dans une procédure qui
la conduira à adhérer à un statut qu'elle a largement contribué à élaborer.
Seul le Sénégal nous a précédés dans la ratification du traité.
Cette volonté de la France, et de ses plus hautes instances, d'élargir le
champ de la justice universelle renforce sa position de leader en termes de
défense des droits de l'homme et des libertés sur la scène internationale. En
cela, la France demeure fidèle à son idéal et à ses valeurs.
La Cour pénale internationale va dans le sens de l'histoire, et l'idée de
créer une forme de menace permanente sur les criminels contre l'humanité est
fondamentalement liée à une idée de progrès.
Malgré ses imperfections, ou grâce à elles, le statut de la Cour pénale
internationale permettra de mettre en oeuvre le célèbre précepte de Pascal,
selon lequel il faut « mettre ensemble la justice et la force, et pour cela,
faire que ce qui est juste soit fort et que ce qui est fort soit juste ».
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Soucieux de laisser la parole à mon excellent collègue André Dulait, auteur
d'un remarquable rapport - M. Badinter l'a relevé - sur le statut de la Cour
pénale internationale, je serai bref.
La révision constitutionnelle est, à l'évidence, nécessaire. Elle ne pose pas
de problème. La décision du Conseil constitutionnel est surtout importante en
ce qu'elle indique qu'il n'y a pas réciprocité dans le cas qui nous occupe, les
autres considérantes visant les conditions nécessaires pour pouvoir ratifier le
statut de la Cour pénale internationale.
Les traités internationaux sont, bien entendu, toujours le fruit de compromis
: compromis entre un certain nombre d'Etats, mais aussi compromis
linguistiques.
Nous attachons beaucoup d'importance à la langue, une langue que, pour notre
part, nous ne savons pas toujours très bien défendre, d'ailleurs. Mais c'est
ainsi !
Or, en l'espèce, je constate que, globalement, le droit français - c'est
notamment vrai pour la chambre préliminaire - a profondément marqué le statut
de la Cour pénale internationale. Il convient de s'en réjouir.
Bien entendu, nombre de points de droit sont évoqués dans ce statut de la
Cour.
Tout le monde rêve d'une justice telle que tous les Caïn de la terre - Caïn
fut le premier à commettre un crime contre l'humanité ! - ne puissent trouver
de repos nulle part. Souhaitons qu'un jour cela puisse devenir une réalité !
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Dulait.
M. André Dulait.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, j'ai
eu effectivement l'opportunité de présenter récemment, au nom de la commission
des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, qui sera
naturellement saisie le moment venu - cela a été longuement évoqué - du projet
de loi autorisant la ratification de la convention de Rome portant création de
la Cour pénale internationale, un rapport d'information visant à approfondir
certains aspects de son statut.
En effet, la justice pénale internationale n'est pas sans conséquences sur le
fonctionnement de la société internationale. Quelle incidence la Cour pénale
internationale aura-t-elle sur les rapports entre justice pénale et paix, entre
justice pénale et souveraineté ? Quelles incidences auta-t-elle, enfin, sur
certaines questions militaires ?
Les crimes qui relèveront de la compétence de la Cour sont le plus souvent
commis dans des situations de conflits, internationaux ou non. Ils peuvent
également être perpétrés dans le cadre de régimes autoritaires exerçant à
l'égard de leurs opposants une répression massive, violente et systématique.
La Cour pénale internationale aura donc un rôle dissuasif ; elle interviendra
également pour accompagner des processus de pacification intérieurs ou
internationaux La Cour pénale internationale devra donc tenter, tout d'abord,
de concilier justice pénale et paix, ce qui ne va pas toujours de soi.
Ainsi les deux tribunaux pénaux
ad hoc
actuellement en exercice
sont-ils étroitement associés à un processus de pacification, qu'il soit
international - Dayton pour l'ex-Yougoslavie - ou national - pour le Rwanda.
Ils ont cependant été tous deux créés par une résolution du Conseil de sécurité
des Nation unies, et donc après une appréciation politique de sa part, même si
les droits de la défense ont pu être respectés dans une très large moyenne.
C'est d'ailleurs là une de leurs principales limites. On a pu dire qu'ils
symbolisaient ainsi une justice sélective, dans la mesure où ce qui a été
décidé pour le Rwanda ou l'ex-Yougoslavie ne l'a pas été - ou pas encore - pour
le Cambodge, le Congo démocratique et tant d'autres théâtres de conflits où ont
été commis des crimes particulièrement odieux.
Tel ne sera pas le risque encouru par la Cour pénale intenationale. Sa
compétence aura une vocation universelle, et elle aura surtout un caractère
permanent.
La justice pénale internationale peut-elle, par ailleurs, conforter ou, au
contraire, fragiliser la paix, en particulier dans des situations de conflit
intérieur ? Les démarches de réconciliation nationale conduites par certains
pays comme le Salvador ou, surtout, l'Afrique du Sud seront-elles encore
possibles dans l'avenir ?
Dans ce débat, certains considèrent légitimement que le retour à la démocratie
impose que toute la lumière soit faite sur les agissements d'une dictature,
afin d'éviter l'impunité et de respecter les victimes. D'un autre côté, les
amnisties pour de tels agissements sont parfois le prix à payer pour un retour
à la démocratie. L'exemple de l'Afrique du Sud est, à cet égard, tout à fait
significatif.
Pour préserver ces démarches de réconciliation, le statut de la Cour pénale
internationale n'oblige pas le procureur à ouvrir automatiquement une enquête
dès qu'il est saisi d'une plainte. Une disposition lui donne la possibilité,
dans certains cas, de renoncer à enquêter s'il estime qu'une telle action irait
à l'encontre des intérêts de la justice et des victimes. Même s'il n'allait pas
de soi de confier ainsi à un juge, dont la mission s'inscrit dans une logique
strictement judiciaire, la responsabilité de porter une appréciation politique,
cette disposition n'en constitue pas moins, à mon sens, une garantie
importante.
Dans la même logique, le statut prévoit aussi la possibilité pour le Conseil
de sécurité, prioritairement en charge de la paix et de la sécurité
internationale, d'exiger de la Cour qu'elle suspende, pour une durée de douze
mois renouvelable, une enquête qui risquerait de fragiliser un effort de paix.
Cette disposition a été parfois contestée, mais je crois qu'il s'agit d'une
mesure réaliste et utile.
On peut rappeler que, en sens inverse, lorsque le Conseil de sécurité saisit
la Cour, celle-ci a une compétence plus large que dans les deux autres modes de
saisine : elle peut ainsi intervenir même si l'Etat en cause n'est pas partie
au statut, quelle que soit la nationalité du suspect, quel que soit l'Etat sur
le territoire duquel le crime a été commis, le Conseil agissant alors en vertu
du chapitre VII de la Charte.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet équilibre
entre les prérogatives de la Cour, d'une part, et celles du Conseil de
sécurité, d'autre part, peut apparaître sastisfaisant. Au cours de la
négociation, plusieurs délégations avaient plaidé pour une totale indépendance
entre la Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité. Je crois que
cette indépendance aurait abouti
in fine
à diminuer la crédibilité de la
Cour elle-même.
Le rapport entre la justice pénale internationale et la souveraineté des Etats
constitue un autre aspect important du statut. La Cour pénale internationale ne
sera pas sans incidence - c'est l'objet même de notre débat - sur la
souveraineté des Etats. Ainsi, la règle de compétence de la Cour lui
permettrait-elle d'ouvrir une enquête sur une personne ressortissante d'un Etat
non partie accusée de crimes relevant de sa compétence, pour peu que l'Etat où
a été perpétré le crime soit partie à la convention de Rome. C'est la cause
principale, on le sait, du refus des Etats-Unis de souscrire au projet.
La Cour pourrait également se saisir d'une affaire alors même que le crime
commis aurait fait l'objet d'une amnistie dans le pays de son auteur, ou que ce
pays aurait prescrit le crime commis par cette personne. C'est l'un des points
relevés par le Conseil constitutionnel et qui fait l'objet de la réforme que
nous examinons aujourd'hui.
Enfin, la saisine de la Cour par le Conseil de sécurité, déjà évoquée, quelle
que soit alors la nationalité de l'auteur du crime ou l'Etat sur le territoire
duquel il a été commis, a été considérée par certains Etats - c'est le cas de
l'Inde - comme une atteinte à leur souveraineté et a entraîné leur refus
final.
La Cour requiert donc des Etats parties qu'ils acceptent certaines limitations
de souveraineté. Toutefois, en adhérant à la convention de Rome, ils ont
exprimé leur libre consentement à des concessions, somme toute limitées, et qui
s'inscrivent, il faut le rappeler, dans le cadre de la complémentarité entre la
Cour pénale internationale et les juridictions nationales.
Les Etats parties auront par ailleurs l'obligation de coopérer avec la Cour
dans l'exercice de sa mission. En effet, pas plus que les tribunaux spéciaux,
la Cour pénale internationale ne disposera en propre de l'appareil judiciaire
ou policier nécessaire à la conduite d'une enquête, à l'audition de témoins, au
ressemblement de preuves ou à l'arrestation de personnes soupçonnées de crimes.
Sans le concours des Etats, la Cour pénale internationale serait paralysée et
impuissante.
Les possibilités de réaction de la Cour face à la réticence d'un Etat à
coopérer avec elle semblent cependant peu contraignantes.
Si la Cour se heurte au refus d'un Etat de coopérer, elle peut ainsi faire «
remonter » la question à l'assemblée des Etats parties au statut, qui en prend
acte. Il est à craindre que les conséquences concrètes de cette procédure ne
soient guère incitatives.
Il en irait différemment si le refus de coopérer intervenait dans le cadre
d'une saisine par le Conseil de sécurité. Dans cette hypothèse, le constat de
carence remonterait au Conseil de sécurité, qui pourrait alors prendre des
mesures coercitives dans le cadre du chapitre VII de la Charte - ce sera, sans
doute, la procédure la plus efficace.
Un troisième point important concerne les rapports entre la Cour pénale
internationale et certaines questions liées au domaine militaire.
Nous avons tous à l'esprit les critiques portées contre des responsables
militaires de l'ONU lors de récents événements tragiques survenus en
ex-Yougoslavie. Pendant la négociation, certaines délégations voulaient
initialement inscrire dans le statut, pour ce qui concerne les crimes de
guerre, la notion de responsabilité pénale pour « omission », « non-assistance
à personne en danger », voire « négligence ». Une telle disposition aurait eu,
je crois, des conséquences négatives : ces forces sont en effet contraintes, de
par leurs règles d'engagement, et on peut le regretter, de ne recourir à la
force qu'en cas de légitime défense. Finalement, le statut ne prévoit,
opportunément, de responsabilité pénale que si l'intention de commettre le
crime est avérée.
Vient, ensuite, la clause de l'article 124, très contestée, de limitation
temporaire de la compétence de la Cour en ce qui concerne les crimes de guerre.
Cette disposition, dont la France a déjà indiqué qu'elle y aurait recours,
prévoit que, par déclaration spéciale, des Etats pourront, pendant une durée de
sept ans, ne pas accepter la compétence de la cour pour les crimes de guerre
les concernant.
Ce dispositif est en effet très critiqué. Qu'en est-il ? Ses détracteurs
considèrent que des garanties suffisantes figurent au statut, garanties qui
permettront d'éviter des plaintes abusives. Le Gouvernement reconnaît que ces
garanties existent - principe de complémentarité, rôle de la chambre
préliminaire, notamment - mais il est légitimement soucieux de bénéficier d'un
délai lui permettant d'en apprécier le bon fonctionnement. De fait, les
dommages politiques et mêmes militaires qui pourraient résulter, pour une
mission de maintien de la paix, de plaintes dénuées de fondement judiciaire
réel, fondées sur des arrière-pensées politiques et relayées pendant des
semaines par les médias, pourraient être considérables, voire irréparables.
Une dernière préoccupation pouvait concerner, enfin, le rôle des forces
multinationales dans l'arrestation de criminels, lorsqu'une telle force est
déployée sur un territoire donné, lors d'une opération de maintien de la paix.
En excluant le procès « par contumace », le statut ne laisse d'ailleurs de
choix qu'entre l'arrestation et l'impunité, cette dernière n'étant pas
acceptable. Or l'expérience de la SFOR démontre que les militaires sont parfois
réticents, en cas de défaillance de l'Etat, qui devrait y procéder, à effectuer
eux-mêmes l'arrestation, souvent délicate, de telles personnes. Ce genre
d'opérations peut en effet gravement dégénérer. L'avènement de la Cour pénale
internationale aurait pu conduire, dans le cadre de l'obligation de coopérer, à
ce que ce type de mission de police soit désormais explicitement et
systématiquement prévue pour les forces relevant de l'ONU. Cela n'aurait rendu
que plus complexe tant la possibilité de leur déploiement sur le territoire
d'un Etat donné que leur mission de pacification.
En réalité, en prévoyant, sur ce point, la possibilité d'accords spécifiques
entre la Cour pénale internationale et les organisations intergouvernementales
compétentes, le statut s'en remet aux mandats des forces qui seront définis,
comme à l'heure actuelle, par le Conseil de sécurité. C'est donc dans ce cadre
d'appréciation politique et militaire qu'il reviendra aux Etats de prendre
leurs responsabilités sur ces missions délicates.
Au total, je crois que le statut de cette Cour pénale internationale repose
sur un équilibre satisfaisant entre la nécessaire efficacité d'une justice
pénale internationale et le respect, tout aussi nécessaire, de la souveraineté
des Etats qui fonde la société internationale.
La longue négociation de la convention de Rome a été l'occasion de voir se
confirmer le rôle de premier plan tenu par les organisations non
gouvernementales dans l'élaboration de ce texte important. Elles auront par
ailleurs un rôle actif dans le fonctionnement même de la Cour par les
informations qu'elles pourront transmettre au procureur.
Il était en effet légitime que ces organisations, dont certaines d'entre elles
ont acquis sur le terrain, parfois au prix de grandes difficultés, une
expérience et une légitimité reconnues, soient associées à la définition de
normes destinées à promouvoir et à protéger le droit international humanitaire.
Après la convention d'Ottawa proscrivant l'usage des mines anti-personnel, la
convention créant la Cour pénale internationale illustre ce rôle d'« aiguillon
de la diplomatie » qu'elles jouent désormais sur la scène internationale.
Certains jugent ce développement avec réserves, considérant qu'étant, par
nature, dépourvues de légitimité politique, contrairement aux gouvernements qui
engagent des Etats, ces organisations s'efforceraient de promouvoir les
dispositions tendant à placer ceux-ci « sous contrôle ».
Il s'agit là d'une donnée nouvelle de la vie internationale à laquelle
gouvernements et parlements doivent être attentifs.
La Cour pénale internationale aura un effet dissuasif. Si, malgré tout, ce qui
est hélas ! à redouter, des crimes aussi graves que ceux qui relèvent de la
compétence de la Cour sont commis, chacun saura, du criminel à la victime, que
l'impunité ne sera plus aussi facile qu'auparavant.
Beaucoup reste encore à négocier pour que la Cour fonctionne dans de bonnes
conditions, mais notre pays a contribué positivement à ce que l'on aboutisse à
un texte qui ne soit pas déséquilibré au détriment des intérêts des Etats et
des principes qui régissent la société internationale.
Telles sont, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les remarques
que je souhaitais formuler. La suite dépend de notre volonté. Aujourd'hui, nous
allons nous prononcer sur le projet de loi constitutionnelle, ensuite nous
pourrons ratifier la convention. Alors il nous faudra entreprendre une démarche
de conviction de
lobbying
afin de convaincre les grands pays qui ne nous
ont pas encore suivis d'adhérer à ce texte.
Ainsi, la France, fidèle à son image de 1789, inscrira l'année 1999 dans les
grandes dates de son histoire.
(Applaudissements.)
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur le président, je veux tout d'abord remercier
les différents orateurs qui sont intervenus, et me féliciter une fois de plus
de la qualité du travail accompli par le Sénat, et en premier lieu - cela a été
souligné à juste titre - par le rapporteur de la commission des lois, M.
Badinter, et du soin avec lequel la commission des lois - son président en a
porté témoignage - a examiné ce texte dans tous ses détails et dans toutes ses
implications.
Je remercie à nouveau tous les orateurs qui, sur toutes ces travées, ont
exprimé une opinion très favorable à ce texte. Mais le chemin à parcourir est
encore long avant que cette Cour puisse effectivement voir le jour.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.).
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.