Séance du 23 mars 1999
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Modification de l'ordre du jour
(p.
1
).
Suspension et reprise de la séance (p. 2 )
3. Pacte civil de solidarité. - Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi (p. 3 ).
Vote sur l'ensemble (p. 4 )
MM. Alain Gournac, Robert Bret, Jean-Jacques Hyest, René Garrec, Bernard Joly,
Mme Dinah Derycke, MM. Bernard Seillier, Jacques Legendre, Philippe Marini,
rapporteur pour avis de la commission des finances ; Patrice Gélard, rapporteur
de la commission des lois ; Jacques Larché, président de la commission des
lois.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.
Suspension et reprise de la séance (p. 5 )
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
4.
Aménagement et développement durable du territoire.
- Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (p.
6
).
M. le président.
Discussion générale : Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du
territoire et de l'environnement ; MM. Jean François-Poncet, président de la
commission spéciale ; Gérard Larcher, rapporteur de la commission spéciale ;
Claude Belot, rapporteur de la commission spéciale ; Charles Revet, rapporteur
de la commission spéciale.
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
MM. Gérard Le Cam, Jacques Bellanger, Daniel Hoeffel, Mme Janine Bardou, MM. André Boyer, Jacques Oudin, Gérard Delfau, Mme Marie-Claude Beaudeau.
Suspension et reprise de la séance (p. 7 )
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
MM. Léon Fatous, Jean Huchon, Jean-Pierre Raffarin, Paul Girod, Alain Joyandet, Gérard Miquel, Pierre Hérisson, Jean Puech, André Vallet, Joseph Ostermann, Mme Yolande Boyer, MM. Philippe Richert, Pierre Laffitte, Jacques Legendre, Bernard Cazeau, Serge Franchis.
Demande de priorités et de réserve (p. 8 )
M. Gérard Larcher, rapporteur de la commission spéciale ; Mme le ministre.
Les priorités et la réserve sont ordonnées.
Renvoi de la suite de la discussion.
5.
Dépôt de projets de loi
(p.
9
).
6.
Transmission d'un projet de loi
(p.
10
).
7.
Dépôt d'une proposition de résolution
(p.
11
).
8.
Textes soumis en application de l'article 88-4 de la Constitution
(p.
12
).
9.
Ordre du jour
(p.
13
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à onze heures vingt.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le procès-verbal de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté.
2
MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR
M. le président.
M. le président du Sénat a reçu de M. le ministre des relations avec le
Parlement une lettre par laquelle le Gouvernement, en accord avec la commission
spéciale, demande que la discussion du projet de loi d'orientation pour
l'aménagement et le développement durable du territoire commence aujourd'hui à
seize heures et se poursuive le soir.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
L'ordre du jour de la séance de ce jour est modifié en conséquence.
Dans l'attente de Mme le garde des sceaux, qui siège actuellement au conseil
des ministres, nous allons suspendre la séance pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures vingt-cinq, est reprise à onze heures
quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
3
PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ
Suite de la discussion
et adoption d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi (n°
108, 1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration
d'urgence, relative au pacte civil de solidarité. [Rapport n° 258 (1998-1999)
et avis n° 261 (1998-1999).]
Mes chers collègues, je vous rappelle que nous avons achevé la discussion des
articles au cours de la séance du jeudi 18 mars 1999.
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je vous donne la
parole à M. Gournac, pour explication de vote.
M. Alain Gournac.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, notre
assemblée peut s'honorer d'avoir débattu avec sérieux et sérénité, en première
lecture, sur la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité.
Le Sénat s'est en cela distingué de l'Assemblée nationale. Il est vrai qu'en
cette affaire il était plus libre : il n'a pas eu à souffrir de l'insistance de
groupes de pression. La majorité plurielle de l'Assemblée nationale n'eut pas
cette tranquillité.
De gauche pour ses idées politiques, cette majorité plurielle a paru l'être
moins sur le sujet des moeurs, comme l'a écrit plaisamment un écrivain. Le 9
octobre, cette majorité plurielle montra qu'elle avait le courage de ses
opinions en restant chez elle ! Il fallut faire appel à la discipline de parti
pour quelle en changeât. Le droit à la différence ne put se faire reconnaître
que par une récusation de la conscience individuelle.
L'homosexualité continue, il est vrai, de déranger, quelle que soit la
formation politique à laquelle on appartient. Les intellectuels ne se sont
d'ailleurs pas beaucoup exprimés sur le sujet pendant ces derniers mois. Ils ne
le firent guère plus autrefois : Zola se déroba lorsqu'il lui fut demandé de
signer une pétition en faveur d'Oscar Wilde, condamné. Cela ne prouve rien,
sinon qu'il est préférable, en la matière, de laisser les clivages politiques
de côté.
Des dispositions législatives portant sur un thème aussi difficile auraient dû
être examinées dans un contexte plus large, d'autant qu'un groupe de travail
était chargé, à la Chancellerie, de proposer une réforme générale du droit de
la famille.
La mise en perspective des orientations et des solutions éventuelles permet
habituellement une meilleure appréciation des enjeux et des décisions à
prendre.
C'est pourquoi j'adhère pleinement au changement d'intitulé du texte proposé
par notre commission des lois et son excellent rapporteur, Patrice Gélard : «
Proposition de loi relative au mariage, au concubinage et aux liens de
solidarité ». C'est un titre qui traduit un changement radical de méthode et
aussi un changement de philosophie.
On ne peut pas remettre en cause, à l'aveuglette, le fonctionnement d'une
société. La nôtre est d'ailleurs suffisamment fragile pour mériter un peu plus
d'égards, un peu plus de prudence et de vigilance. On n'a pas le droit de
porter atteinte à l'institution du mariage, fondement de notre société
républicaine.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Claude Estier.
Personne n'y porte atteinte !
M. Alain Gournac.
Au nom des droits de l'homme et du droit à la différence, curieusement, le
PACS refuse subrepticement au mariage le droit d'être une institution claire,
distincte, différente.
M. Louis de Broissia.
Eh oui !
M. Alain Gournac.
Le Sénat a donc proposé un ensemble de solutions concrètes et de mesures
réalistes en faveur des couples hors mariage, qu'ils soient hétérosexuels ou
homosexuels, prenant ainsi en compte avec générosité la diversité des
situations de fait.
Mais surtout, il a opposé à l'hypocrisie ambiante une conviction républicaine
et une réflexion d'ensemble qui constituent une clarification : affirmation
dans le code civil de la liberté de la vie personnelle de chacun ; définition
du mariage comme union d'un homme et d'une femme célébrée par un officier de
l'état civil ;...
M. Claude Estier.
Ça c'est une grande découverte !
(Rires sur les travées
socialistes.)
M. Alain Gournac.
... suppression du PACS en tant que voie intermédiaire entre l'union libre et
le mariage, laissant de côté les concubins qui n'y souscriraient pas ; constat
dans la loi de l'existence du concubinage tant hétérosexuel qu'homosexuel ; et
renforcement des liens de solidarité grâce aux les mesures fiscales proposées
par notre rapporteur pour avis, Philippe Marini, et la commission des
finances.
Ferme et généreux, respectueux de la liberté individuelle et soucieux des
fondements de la République, le texte amendé par le Sénat apporte de vraies
solutions novatrices. C'est pourquoi je le voterai.
(Applaudissements sur
les travées du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines
travées de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le
texte sur lequel nous devons nous prononcer ce matin n'a aucun point commun
avec le PACS.
Pour vous, la majorité de droite, la démarche est claire : vous refusez la
reconnaissance officielle des couples homosexuels, laquelle devait pourtant
être la finalité même du PACS ainsi que l'aboutissement d'années de lutte
contre les discriminations subies par les homosexuels.
M. Dominique Braye.
C'est faux !
M. Louis de Broissia.
C'est comme à Aubagne !
M. Emmanuel Hamel.
On ne se cache pas derrière la famille !
M. Robert Bret.
Vous refusez de leur accorder des droits nouveaux leur permettant de vivre
mieux et d'avoir toute leur place dans notre société, d'être des citoyens et
des citoyennes à part entière.
M. Alain Gournac.
Cela n'a rien à voir !
M. Robert Bret.
Vous vous cachez derrière la famille, on vient encore de l'entendre, derrière
le mariage, pour refuser le PACS.
Je le redis : non, le PACS ne met pas en danger le mariage, puisque le PACS
s'adresse à des gens qui ne peuvent pas se marier ou encore à ceux qui ne
veulent pas ou plus se marier.
Non, le PACS ne menace pas la famille, puisque le PACS concerne les couples et
les couples seulement.
Les débats de la semaine dernière auront au moins eu le mérite de mettre en
évidence le fait que les couples non mariés - hétérosexuels et, surtout,
homosexuels - n'ont pas accès aujourd'hui à certains droits, n'ont pas de
statut et sont encore victimes de discriminations en tout genre.
Il était donc grand temps de prendre en compte, d'une part, la réalité des
nouveaux modes de vie - à savoir la vie à deux sans être mariés - et, d'autre
part, l'existence de l'homosexualité.
La société avance, porte un regard nouveau sur elle-même. Nous devons, en tant
que législateurs, avancer avec elle et ne laisser personne sur le bas-côté de
la route.
Le PACS devait ouvrir des droits nouveaux à ceux qui ne peuvent pas se marier,
ce que votre texte, accordant un statut pour le moins restrictif au
concubinage, ne permet plus.
C'est le cas, par exemple, pour l'extension de la qualité d'ayant droit, sans
condition de délai, au partenaire homosexuel, pour le droit à congé, pour le
droit des étrangers, pour la priorité de mutation des fonctionnaires et, enfin,
pour la continuation du contrat de location et le droit de reprise du
bailleur.
Quant aux règles d'imposition commune de transmission de patrimoine, elles ont
disparu dans votre texte.
Tous ces droits nouveaux, ouverts en contrepartie d'obligations, vous les avez
réduits comme peau de chagrin.
En refusant de définir clairement le concubinage comme étant le fait de deux
personnes « sans distinction de sexe », vous fermez la porte à un changement
nécessaire d'interprétation de la Cour de cassation, qui ne reconnaît pas
l'existence du concubinage entre deux personnes de même sexe.
M. Emmanuel Hamel.
Elle a raison !
M. Robert Bret.
Nous ne vous suivrons pas dans cette démarche conservatrice qui vous a permis,
au Sénat, tout en rognant le droit des homosexuels, d'éviter de sombrer dans
l'homophobie, pourtant sous-jacente.
Il s'agit, en fait, de votre part, d'une opération dilatoire et
politicienne.
Non seulement vous avez fait le choix de disserter de tout autre chose que du
PACS, mais vous avez joué, en outre, la montre et souhaité retarder la deuxième
lecture à l'Assemblée nationale.
Le Sénat, une nouvelle fois, n'en sortira pas grandi. Mais sachez que le PACS
sera adopté car, contrairement aux textes constitutionnels pour lesquels
l'accord du Sénat est nécessaire, s'agissant en l'occurrence d'une loi simple,
les députés de la majorité plurielle auront le dernier mot.
M. Jean Delaneau.
C'est nouveau ! Voilà une information !
M. Nicolas About.
Merci à un sénateur de le rappeler !
M. Robert Bret.
Ils rétabliront, en deuxième lecture, les articles sur le PACS que vous avez
supprimés.
Au surplus, le concubinage sans distinction de sexe sera, lui aussi, reconnu
dans le code civil.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
Pour notre part, bien évidemment, nous voterons contre le texte remanié
par la droite sénatoriale.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Louis de Broissia.
Vive Aubagne !
M. Nicolas About.
Vous devriez vous représenter à l'Assemblée nationale !
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, à l'issue de
nos travaux sur la proposition de loi « instituant » - j'utilise volontairement
ce terme - le pacte civil de solidarité, qui a été votée par la majorité
plurielle de l'Assemblée nationale, il y a lieu de faire le point sur un débat
qui est généralement resté digne, puisque chacun a pu entendre les arguments
des uns et des autres.
M. Louis de Broissia.
Sauf Mme le ministre, qui n'a pas toujours écouté !
M. Jean-Jacques Hyest.
Attendez !
Je crois que les débats de société doivent rester dignes. De plus, c'est dans
la tradition du Sénat.
En effet, certains ont estimé que la priorité devait être accordée au maintien
de l'institution familiale et qu'il ne fallait pas créer d'ambiguïté. D'autres
ont considéré qu'il convenait de trouver une solution à la situation difficile
que connaissent nombre de personnes.
S'il s'agit de supprimer une discrimination liée aux comportements personnels
et aux choix de vie des personnes, il nous est apparu, à l'issue de nos
travaux, que le PACS était inutile, juridiquement instable, comme on le dit
d'ailleurs de certains mélanges physiques - cela explosera à la tête de ses
promoteurs lorsque naîtront des contentieux - et dangereux pour les
cocontractants comme pour la société.
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest.
En effet, malgré les propos tenus par Mme le garde des sceaux, il ne s'agit
pas d'un nouveau type de contrat, puisque le PACS ne prévoit réellement aucune
obligation. S'il suffit d'informer le cocontractant de la rupture du PACS, où
sont les garanties ? En fait, on a simplement institué une répudiation par voie
d'huissier.
De surcroît, le PACS crée des inégalités fiscales qui ne se justifient
aucunement, des droits sans obligation. Il s'agit d'une nouveauté dans notre
système juridique, qui sera certainement considérée dans l'avenir comme une
monstruosité juridique.
En outre, nombre d'amendements des groupes socialiste ou communiste
contredisent les propos lénifiants de Mme le garde des sceaux. Un seul exemple
suffit : l'inscription du PACS en marge de l'état civil.
En fait, on a voulu instituer un sous-mariage, enregistré au greffe du
tribunal - ce qui est une novation dans la procédure civile - mais on n'a pas
osé aller jusqu'au bout de la logique.
La majorité du Sénat refuse le PACS non pas par rejet des homosexuels de la
société, mais parce qu'il crée la confusion face à un problème qui nécessite
des solutions concrètes, équitables et juridiquement reconnues.
D'ailleurs, pourquoi vouloir réglementer dans ce PACS le concubinage, dont les
conséquences juridiques sont parfaitement fixées par le droit ? Il suffit,
comme l'a fait adopter la commission des lois, de lever les obstacles
jurisprudentiels permettant d'étendre aux couples homosexuels le régime
applicable au concubinage. Le reste ne concerne que la vie privée des
personnes. Nombre de nos collègues ont, à juste titre, déploré qu'une confusion
puisse s'établir entre le mariage et le PACS, avec toutes les dérives que cela
pourrait faire naître dans l'avenir. Les propos de certains de ses promoteurs
ne sont d'ailleurs pas là pour nous rassurer.
C'est pourquoi nous estimons que la solution concrète et réelle apportée par
la majorité du Sénat aux problèmes que connaissent ceux qui vivent en couple,
sans distinction de sexe - certains auraient préféré qu'on l'inscrive dans la
loi, mais, en fait, c'est la même chose -...
M. Claude Estier.
Vous ne l'avez pas voulu !
Mme Dinah Derycke.
Pourquoi ne l'avez-vous pas fait !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Parce que ce n'est pas nécessaire
!
Mme Hélène Luc.
On est pour ou contre !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
On écrit la loi, pas un article de journal !
M. Jean-Jacques Hyest.
... et qui ne peuvent ou ne veulent contracter mariage, avec les mesures
fiscales et sociales d'accompagnement qui respectent le principe d'égalité, est
la plus adaptée. Cela est préférable à une construction symbolique et ambiguë,
que la plupart des juristes ont d'ailleurs dénoncée.
Le PACS est inapplicable et irréformable. Au lieu de vous acharner, mieux vaut
l'abandonner !
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest.
Le groupe de l'Union centriste, dans sa majorité, votera le texte qui résulte
de nos travaux. Toutefois, s'agissant d'une question qui touche à la conscience
de chacun, notre groupe tient à préserver la liberté de vote de tous ses
membres. A ce titre, certains collègues émettront un vote contre le PACS, bien
entendu, et les solutions de la gauche sénatoriale, mais aussi contre toutes
dispositions qui pourraient aboutir, à terme, à ériger en institution une
situation de fait qui n'a pas, à leurs yeux, à être introduite dans le droit
des personnes.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union
centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Garrec.
M. René Garrec.
Le texte que vous nous avez proposé, madame le ministre, était inapplicable
pour deux raisons : l'une est d'ordre juridique, l'autre est de nature
philosophique.
Sur le plan juridique, le projet de PACS n'était pas en accord avec les
ambitions affichées par ses auteurs et reprises par le Gouvernement. En effet,
ce texte souffrait de deux ambiguïtés : d'une part, il ne tranchait pas entre
la logique de la solidarité et celle du couple ; d'autre part, il créait une
confusion entre la situation des couples qui ne veulent pas se marier et celle
des couples qui ne peuvent pas se marier.
Il en résulte toute une série d'imprécisions et de difficultés d'application
que la commission et le rapporteur ont parfaitement exposées.
Sur le plan philosophique, il était clair que, derrière l'alibi de la
solidarité, le véritable objectif des auteurs du PACS était la reconnaissance
sociale du lien entre deux personnes de même sexe.
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. René Garrec.
Or cet objectif n'a été assumé ni par le Gouvernement ni par la majorité
plurielle : tout d'abord, le Gouvernement n'a pas présenté son projet de loi et
s'est retranché derrière le texte proposé par les députés, évitant au passage
l'examen et l'avis du Conseil d'Etat ; ensuite, la majorité plurielle a voté au
mois de décembre, à l'Assemblée nationale, le même texte que celui qu'elle
avait refusé d'examiner deux mois plus tôt en adoptant une exception
d'irrecevabilité.
Répondant au procès d'intention qui lui était fait, le Sénat n'a pas esquivé
le débat.
Au nom de la course à la modernité, le Sénat n'a pas manqué d'être attaqué,
avant même l'ouverture de la discussion sur le PACS, comme il l'avait déjà été
à propos de la parité. Nombreux à gauche se promettaient de démontrer que les
groupes de la majorité sénatoriale sont fermés à l'évolution de la société.
Le Sénat pouvait refuser le débat sur le PACS en adoptant une motion de
procédure, comme l'avait fait l'Assemblée nationale. En effet, les motifs ne
manquaient pas : premièrement, le non-respect des dispositions
constitutionnelles relatives au développement et à la stabilité de la famille,
ainsi qu'à la protection de l'enfant ; deuxièmement, l'existence de questions
plus urgentes à débattre et auxquelles le Gouvernement se garde bien d'apporter
des réponses ; enfin, troisièmement, l'opportunité d'attendre les conclusions
du groupe de travail qui réfléchit actuellement à l'évolution nécessaire de
l'ensemble du droit de la famille.
Mais nous pouvions aussi décider d'aborder ce problème de société sans céder
au modes et tenter d'y apporter une réponse cohérente.
Contre le choix du symbole et les effets d'annonce, le Sénat a fait le choix
du sérieux et du pragmatisme.
A la différence de l'Assemblée nationale, le débat au Sénat a permis d'aller
au fond du problème en posant clairement, je crois, les enjeux et les
conséquences de cette réforme. Les sénateurs Républicains et Indépendants, mais
aussi l'ensemble de la majorité sénatoriale l'ont fait en respectant la liberté
de vote et la sensibilité de chacun.
Sur un sujet aussi délicat, cette attitude nous paraît de loin préférable à
toute discipline qui conduirait à voter, pour des raisons politiques, un texte
que l'on réprouverait en conscience.
A l'issue d'un examen sérieux, je veux saluer à mon tour le travail de la
commission des lois et du rapporteur, notre collègue Patrice Gélard, qui
débouche sur des solutions pragmatiques.
M. Alain Gournac.
Bravo Gélard !
(Sourires.)
M. René Garrec.
En harmonisant les droits des concubins, le Sénat permet d'empêcher toute
discrimination en raison du mode de vie, et il apporte une réponse concrète à
des problèmes quotidiens.
Avec la définition du concubinage retenue par notre assemblée, la loi
s'interdit de porter tout jugement de valeur personnel sur le choix de mode de
vie et laisse à chacun le soin d'apporter une réponse d'ordre privé à un
problème qui doit rester du domaine privé.
Enfin, en précisant la définition du mariage, le Sénat souligne la spécificité
des droits ouverts aux couples mariés qui ne valent qu'en raison des
engagements et des devoirs contractés. C'est toute la différence avec le PACS
qui prévoyait les droits sans les devoirs.
C'est pourquoi le groupe des Républicains et Indépendants votera le texte
amélioré par les travaux du Sénat.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR ainsi que sur certaines travées de l'Union
centriste et du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rôle du
législateur est de donner un cadre de règles ancrées sur le respect des
principes fondateurs de la démocratie et sur celui de l'individu.
Toute société est porteuse d'avenir. Elle se projette en édictant un certain
nombre de conventions qui s'imposent à tous. Que ce soit dans nos modèles
avancés ou dans les sociétés dites traditionnelles, les conduites relatives à
l'union, base de la famille, sont codifiées. Elles sont indispensables à la
transmission des valeurs morales et culturelles à l'ensemble patrimonial.
Le mariage demeure le cadre institutionnalisé de la cellule constitutive. Que
chacun soit libre de sa vie personnelle et ait droit au respect de sa vie
privée et familiale est évident.
Mais justement, en fonction de cette liberté de choix, c'est en connaissance
de cause que l'on préfère l'union libre au mariage. Ainsi, certaines
conventions, certains devoirs sont-ils sciemment repoussés. Il faut donc
également admettre que l'on renonce à certains droits.
Or, on nous demande, malgré tout, d'aménager notre législation afin d'étendre
des dispositions réservées jusqu'alors à la famille, car c'est bien celle-ci
qu'il s'agit de protéger et non les couples.
M. Dominique Braye.
Très bien !
M. Bernard Joly.
Ainsi tombe l'argument d'accompagnement de l'évolution sociale.
C'est pour ces raisons que mon collègue Jacques Bimbenet et moi-même ne
souscrirons pas aux dispositions qui nous sont proposées, et que nous ne
prendrons pas part au vote.
Dans sa grande diversité, une grande majorité de notre groupe suivra la
commission des lois, une minorité et Jacques Pelletier suivront le
Gouvernement.
M. le président.
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je ne
vous étonnerai pas en vous disant que le groupe socialiste ne votera pas le
texte issu des travaux du Sénat.
Je veux m'adresser à nos collègues de la majorité sénatoriale. Vous n'avez pas
voulu du PACS.
M. Dominique Braye.
Non !
Mme Dinah Derycke.
J'ai vainement cherché ce qui vous gênait dans cette proposition. Est-ce parce
qu'elle est défendue par les couples homosexuels ? Vous vous défendez d'être
homophobes.
M. Dominique Braye.
Absolument !
Mme Dinah Derycke.
Est-ce parce qu'elle porte atteinte au mariage et à la famille, deux
institutions dont vous imaginez être les gardiens exclusifs ?
M. Dominique Braye.
C'est le cas, apparemment ! Nous le sommes de fait !
Mme Dinah Derycke.
Le PACS ne touche ni à la famille ni au mariage.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
C'est faux !
Mme Dinah Derycke.
Serait-ce, alors, pour des raisons strictement juridiques ? Je ne le crois
pas. Nous avons démontré que le projet était et reste amendable.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Vous n'avez rien démontré !
Mme Dinah Derycke.
Il faut donc chercher ailleurs les raisons de votre refus.
Le débat a montré les clivages nets, importants entre la majorité sénatoriale
et la gauche plurielle sur la conception même des rapports entre l'Etat, la loi
et la société.
La majorité sénatoriale se défie des évolutions sociétales. Pour elle, le
législateur doit arbitrer la vie privée des citoyens et en fixer les normes,
j'allais dire en fixer les bornes : le mariage, l'hétérosexualité.
M. Dominique Braye.
C'est tout le contraire !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Nous avons dit le contraire !
Mme Dinah Derycke.
La gauche, tenant compte des réalités, de l'évolution des moeurs et des
mentalités, pense qu'il est temps d'offrir à l'ensemble des citoyens plusieurs
choix possibles pour organiser leur vie.
Ce sont deux conceptions très différentes l'une de l'autre : la première est
frileuse, recroquevillée sur le passé, fermée au changement qui pourrait
détruire les valeurs qu'elle croit intangibles.
(Exclamations sur les
travées du RPR.)
La seconde, plus généreuse, plus moderne, parie sur l'avenir et sur la
perpétuation de ces mêmes valeurs sous des formes multiples. Le PACS est en
effet porteur de progrès social parce qu'il encourage la solidarité au sein du
couple.
(Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Alain Gournac.
Certainement pas !
Mme Dinah Derycke.
Cet engagement - il faut le redire - est assorti d'obligations et de devoirs,
et donc de droits.
Vous n'en avez pas voulu !
Vous nous avez accusés d'être manipulés par des groupes de pression,...
M. Dominique Braye.
Absolument !
Mme Dinah Derycke.
... particulièrement par des associations homosexuelles. Mes chers collègues,
je vous retourne la question : n'avez-vous pas été les otages du lobby
anti-PACS et de ses slogans homophobes ?
M. Alain Gournac.
Pas du tout !
M. Louis de Broissia.
Pour la famille !
Mme Dinah Derycke.
Vous voulez enterrer le PACS. Vous n'y arriverez pas parce que cette mesure
est juste, équitable et qu'elle ouvre un nouvel espace de liberté. Vous le
savez.
La crainte de vous voir traiter, une fois de plus, d'archaïques, de
ringards...
M. Dominique Braye.
Ce n'est pas vrai !
M. Louis de Broissia.
Cela ne nous fait pas peur ! On assume !
Mme Dinah Derycke.
... vous a amenés à imaginer un piège dans lequel vous pensiez nous faire
tomber.
Vous avez échoué à cause d'une grave erreur d'appréciation : nous sommes
attachés à voir voté le PACS, qui est un facteur de progrès social et une
avancée culturelle.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Culturelle ?
Mme Dinah Derycke.
Refuser purement et simplement le PACS vous semblait tactiquement dangereux ;
alors, vous avez bâti un nouveau dispositif.
Vous nous proposez, en fait, de ne rien changer. Qu'on en juge : vous précisez
dans le code civil que le mariage est l'union d'un homme et d'une femme !
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Dominique Braye.
Pas dans tous les pays !
Mme Dinah Derycke.
Tout le monde le savait !
(Rires.)
Nous ne sommes pas des naïfs. Nous connaissons tous les
arrière-pensées qui vous ont inspiré cette modification.
Ensuite, vous inscrivez le concubinage dans le même code civil comme étant
l'union de fait de deux personnes non unies par le mariage. Cela aussi, tout le
monde le savait !
Cette hardiesse qui, pensez-vous, devait diviser la gauche
(exclamations sur les travées du RPR)
et tuer le PACS ne nous posait pas
problème. Nous l'aurions retenue bien volontiers, en plus du PACS, si deux
conditions avaient été réunies : éviter de définir le concubinage de sorte
qu'aucun couple ne soit exclu des droits déjà prévus par le texte ou concédés
par la jurisprudence et mettre fin définitivement aux discriminations qui
subsistent pour les concubins homosexuels.
M. Dominique Braye.
On l'a fait !
Mme Dinah Derycke.
Aucune de ces conditions n'a été remplie : en réservant le concubinage aux
majeurs et célibataires, vous avez réussi le tour de force incroyable de créer
des concubins légaux et des concubins illégaux.
M. Dominique Braye.
Pas du tout ! Quelle mauvaise foi !
M. Patrice Gélard,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Mais c'est
invraisemblable !
Mme Dinah Derycke.
Est-ce bien raisonnable ?
De plus, en refusant d'écrire en toutes lettres que le concubinage concernait
tous les couples quel que soit leur sexe, vous avez pris le risque de renforcer
la jurisprudence discriminatoire de la Cour de cassation.
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Nicolas About.
Pas la Cour de cassation !
M. Bernard Piras.
Un peu de silence !
Mme Dinah Derycke.
Nous l'avons bien senti : il y avait là pour vous une barrière
infranchissable,...
M. Louis de Broissia.
Mais non !
Mme Dinah Derycke.
... et vous avez beau crier au complot, jurer que vous n'êtes pas homophobes,
personne ne vous accordera crédit.
Ce débat laisse un goût amer, celui du mensonge et de l'hypocrisie.
(Vives protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants. - Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Nicolas About.
C'est du terrorisme intellectuel !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
N'exagérez pas ! C'est une injure pour la majorité
sénatoriale ! C'est scandaleux !
M. Dominique Braye.
C'est honteux !
M. Nicolas About.
Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose !
Mme Dinah Derycke.
Comme mes collègues socialistes, je suis déçue par l'image négative que donne
à nouveau notre assemblée.
M. Dominique Braye.
Au contraire !
Mme Dinah Derycke.
Je suis déçue pour ces nombreux couples qui attendent qu'une nouvelle voie
leur soit ouverte entre le concubinage, simple situation de fait, et le
mariage, dont ils ne veulent pas ou qui ne veut pas d'eux.
M. Dominique Braye.
Leur vie privée, c'est leur vie privée !
Mme Dinah Derycke.
Je suis déçue surtout pour les femmes et les hommes homosexuels, qui
espéraient enfin être reconnus pour ce qu'ils sont : des citoyens à part
entière à qui la loi républicaine permet enfin de vivre leur amour au grand
jour.
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Alain Gournac.
Ça les regarde !
Mme Dinah Derycke.
Ces femmes et ces hommes ont longtemps été méprisés, rejetés, injuriés,
souvent humiliés et même persécutés. J'ose dire que votre vote, aujourd'hui,
leur inflige une blessure de plus.
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Hilaire Flandre.
Oh là là !
Mme Dinah Derycke.
A nouveau, vous les rejetez, à nouveau, vous les niez !
M. Nicolas About.
Terrorisme !
Mme Dinah Derycke.
Mais heureusement, ce vote n'est qu'une péripétie. Demain, le PACS, j'en suis
convaincue, entrera dans la réalité, entre le mariage et le concubinage.
Un sénateur socialiste.
C'est évident !
Mme Dinah Derycke.
Vous n'avez pas tué le PACS !
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous
sommes confrontés, avec ce texte sur la reconnaissance sociale à donner à
l'homosexualité, aux problèmes du lien social. L'homosexualité existe depuis
toujours. Je réprouve les vexations et les persécutions dont elle a pu faire
l'objet dans l'histoire.
Aujourd'hui, le problème ne peut pas être et ne doit pas être pour l'autorité
politique celui d'une mise en cause.
En revanche, pour le législateur, une double question se pose.
L'homosexualité peut-elle être fondatrice d'un lien social fondamental qui
aurait sa place à côté de la relation entre l'homme et la femme ? La réponse
est non, parce que le lien social fondamental repose exclusivement sur la
fécondité de l'amour échangé entre l'homme et la femme.
(Exclamations sur
les travées socialistes.)
Les relations sociales sont par ailleurs très
variées, mais aucune ne se situe sur le même plan que la relation fondatrice,
parce qu'aucune société ne peut exister et perdurer en reposant sur une simple
relation de solidarité, fût-elle en plus homosexuelle. Celle-ci ne peut donc
pas bénéficier d'une reconnaissance sociale analogue en dignité à celle de
l'amour de l'homme et de la femme, quelles que puissent être, par ailleurs,
l'intensité du contenu et la durée de la relation homosexuelle. Elle ne saurait
être fondatrice de socialisation. Seules la maternité et la paternité
conjointes le sont.
Le seconde question est celle du niveau de reconnaissance sociale dont peut
bénéficier l'homosexualité. Il s'agit là du registre de la référence
symbolique. La réponse dépend de l'atteinte que pourrait porter à l'équilibre
de la société une reconnaissance inadéquate. Personne ne peut la préciser avec
rigueur. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a risque, et qu'il n'est pas raisonnable
de jouer avec ce risque. Or c'est ce que fait le texte du Sénat avec l'entrée
de l'homosexualité dans le code civil. Ce n'est pas mépriser les personnes qui
vivent dans l'homosexualité que de refuser de faire de leur comportement une
institution, confondue avec celle du concubinage hétérosexuel.
Certes, le Sénat va rendre le mariage inaccessible aux homosexuels, en le
définissant comme l'union d'un homme et d'une femme. Mais en définissant
aussitôt après le concubinage comme l'union de deux personnes, il officialisera
dans le code civil deux formes juridiques de vie en couple : le mariage
hétérosexuel et le concubinage hétérosexuel ou homosexuel. Peut-on admettre
cela quand la socialisation est en cause ? Est-ce par cette proximité
symbolique que nous pourrons aider les jeunes à surmonter la crise de leur
adolescence ? Il ne s'agit en aucun cas d'instituer une police des moeurs.
Vous vous apprêtez à reconnaître une quasi-égalité en dignité entre le mariage
et l'homosexualité, sous prétexte que cette dernière constitue un fait de
société. Est-il raisonnable, ce faisant, de faciliter son prosélytisme en lui
fournissant des arguments pour l'entreprendre ? Or, je prétends que c'est ce
qu'autorise le texte que vous vous apprêtez à voter.
C'est pourquoi je voterai contre une proposition de loi qui reste, à mes yeux,
fondamentalement injuste à l'égard de la société et des familles, bien que
rejetant le PACS voté par l'Assemblée nationale. Ma position est donc inspirée
par une analyse diamétralement opposée à celle du groupe socialiste.
Les autres membres de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur
la liste d'aucun groupe voteront le texte proposé, sauf MM. Philippe Adnot et
Philippe Darniche, qui s'abstiendront.
(MM. Braye et Durand-Chastel
applaudissent.)
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les
débats qui se sont déroulés au sein de la Haute Assemblée ont démontré notre
volonté d'aborder ce texte avec la plus grande ouverture d'esprit et sans
porter de jugement de caractère moral.
Ce que nous avons voulu avant tout préserver, c'est l'intimité de la vie
privée des personnes, intimité qui a vocation à être non pas légalement
encadrée mais bien plutôt constitutionnellement protégée.
Parfaitement conscients de la nécessité de légiférer pour adapter la
législation actuelle à la réalité des situations humaines existantes - et,
madame le ministre, je souligne que nous n'avions pas attendu d'être saisis de
cette proposition de loi pour en être persuadés - nous considérions toutefois
qu'il était impératif que, sur un sujet aussi important, aucune place ne soit
laissée à l'improvisation. Or, la procédure retenue était la plus inadaptée, la
plus incohérente et la plus ambiguë.
M. Dominique Braye.
Absolument !
M. Jacques Legendre.
Je ne reviendrai pas sur les remarques fort pertinentes de M. le rapporteur
Patrice Gélard et de M. le rapporteur pour avis Philippe Marini...
M. Dominique Braye.
Bravo !
M. Jacques Legendre.
... qui ont su, tout au long des débats, mettre en évidence les défauts du
texte adopté par l'Assemblée nationale.
Malgré vos observations répétées, madame le ministre, les débats ont démontré
que le PACS n'était pas neutre, ni à l'égard de l'institution du mariage ni à
l'égard de ceux qui ne pourront bénéficier de ses avantages exorbitants et
injustifiés. C'est pour cela que nous ne pouvions l'accepter.
Le Sénat a proposé sa propre vision des solutions concrètes en faveur des
couples hors mariage, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels.
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Jacques Legendre.
Il a tenté de résoudre les problèmes très concrets rencontrés quotidiennement
par ces personnes, avec pour seul parti pris d'éviter toute inégalité, toute
discrimination entre les personnes, couples hétérosexuels ou homosexuels mais
aussi célibataires.
La reconnaissance légale du fait juridique du concubinage et les nouveaux
droits qui lui sont attachés permet ainsi de ne laisser personne sur le bord de
la route, sans pour autant porter, je le répète, de jugement moral.
M. Dominique Braye.
Très bien !
M. Jacques Legendre.
Elle permet aussi d'éviter la mise en place d'un statut hybride, le PACS,
impossible à améliorer sans en faire un clone du mariage, ce qui irait à
l'encontre des valeurs de notre société républicaine,...
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Très bien !
M. Jacques Legendre.
... fondée sur le mariage d'un homme et d'une femme.
Je tiens à remercier tout particulièrement les deux rapporteurs d'avoir su
proposer au Sénat des dispositions équilibrées et justes. Leur travail
remarquable, documenté et, surtout, élaboré après de très nombreuses auditions
qui ont permis à tous de s'exprimer, illustre la très haute qualité de
réflexion dont le Sénat a toujours su faire preuve, il faut le répéter
aujourd'hui.
Parce que ce texte va représenter un progrès significatif dans la vie
quotidienne de certains de nos concitoyens sans remettre en cause les grands
principes qui structurent notre société, le groupe du Rassemblement pour la
République le votera dans sa très grande majorité, tel qu'amendé par le Sénat.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame le
ministre, mes chers collègues,...
M. Jean-Louis Carrère.
Toujours « le », jamais « la » ministre !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Cher collègue, j'espère que vous respectez le droit
à la différence, y compris dans la manière dont les sénateurs dénomment les
ministres, quel que soit leur sexe !
(Applaudissements sur les travées du
RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants. - Exclamations
sur les travées socialistes.)
Mme Danièle Pourtaud.
C'est symbolique !
M. Jean-Louis Carrère.
Nos capacités sont limitées, vous le savez !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
J'espère, je le répète, que vous respectez le droit
à la liberté d'opinion et de dénomination et que vous ne voudriez pas, mes
chers collègues, nous enfermer dans ce que l'une des vôtres appelait tout à
l'heure des « avancées culturelles »,...
M. Claude Estier.
Nous ne voulons pas vous enfermer !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
... et que je considère pour ma part comme des
supposées avancées culturelles.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Libre à vous d'y entrer, et libre à nous de les
refuser !
(Bravo ! sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste. - Protestations sur les travées socialistes.)
M. Henri de Raincourt.
Vive la République !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Mes chers collègues, la commission des lois et la
commission des finances ont travaillé de concert. Nos propositions ont été
communes et reflètent une approche commune.
Je voudrais tout d'abord, au nom de la commission des finances et de son
président - qui ne peut assister à la présente séance puisqu'il nous auditionne
en ce moment même M. le ministre de l'intérieur au sujet du projet de loi sur
l'intercommunalité - témoigner de nos vifs remerciements à l'égard des membres
de la commission des lois, de son président et de son rapporteur.
Ce partenariat nous a permis, je le crois, d'accréditer la position propre du
Sénat dans cette délicate affaire.
MM. Alain Gournac et Dominique Braye.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Madame le ministre, nous vous avons certainement
surpris - pardon : surprise -...
(Rires et applaudissements sur les travées socialistes.)
Merci de vos
applaudissements, mes chers collègues !
M. Guy Fischer.
Il n'est jamais trop tard !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Nous avons surpris le Gouvernement par notre
approche, qui n'était pas précisément celle à laquelle, avec les milieux
bien-pensants - de votre côté
(M. le rapporteur pour avis désigne la gauche de l'hémicycle)
-
s'attendait.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Il s'attendait certainement à nous voir rejeter le tout en bloc...
M. Henri de Raincourt.
Il l'espérait !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
... sans rien proposer à la place.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Or vous avez pu constater, madame le ministre, que
telle n'a pas été notre démarche.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Dans nos rapports, vous avez pu constater - du
moins ceux qui se donnent la peine de les lire, et non pas ceux, bien sûr, qui
en ont une lecture quelque peu stalinienne
(Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.),...
Mme Hélène Luc.
Là, vous êtes vraiment à court d'arguments !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Je crois que c'est encore assez actuel, madame Luc
! Je n'ose me tourner vers notre président de séance et évoquer son
département...
M. Dominique Braye.
Aubagne !
M. Robert Bret.
Avec le Front national, tout à fait !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
... car il y a quand même quelques mauvais
souvenirs qui reviennent de cette triste époque de totalitarisme et de
conformisme général.
(Vives protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc.
C'est lamentable !
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est misérable !
M. Bernard Piras.
Voulez-vous que l'on évoque les affaires parisiennes, monsieur Marini ?
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Nous avons voulu, par notre démarche, affirmer le
rôle propre du Sénat, qui est notre maison à tous. J'espère que vous le direz
au même titre que moi !
(Les protestations redoublent sur les mêmes travées.)
M. Bernard Piras.
Et Paris ? Et le Ve arrondissement ?
M. Dominique Braye.
Aubagne !
Un sénateur socialiste.
En prison ?
M. Dominique Braye.
Non ! pas « en prison » : Aubagne !
(Brouhaha.)
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Le Sénat n'est pas l'Assemblée nationale, il n'est
pas élu de la même façon.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Il n'a pas la même représentativité.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Il n'est pas là pour doublonner l'Assemblée
nationale ni pour transmettre les mêmes messages.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Dominique Braye.
Bravo !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Avec le PACS, le mariage et le concubinage, nous
avons fait la preuve que, en examinant avec attention et avec un esprit
expérimental, sans intention moralisante,...
Mme Nicole Borvo.
Certes pas !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
... des sujets de cette difficulté, nous pouvions
apporter quelque chose de neuf dans le débat.
(Nouvelles protestations sur
les travées socialistes.)
M. Jean-Louis Carrère.
Vous croyez ce que vous dites ?
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Au demeurant, les explications de vote que nous
avons entendues le montrent bien : il faut aujourd'hui se situer par rapport à
ce que nous avons proposé et non pas seulement par rapport aux quelques
illusions qui ont été diffusées complaisamment au cours de ces derniers
mois.
Alors, oui, mes chers collègues, je crois que nous avons bien travaillé au
cours de cette première lecture - et en attendant la deuxième lecture : nous ne
sommes pas pressés dans cette affaire, nous voulons faire la meilleure
législation possible -...
Mme Nicole Borvo.
Ça !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
... et que nous avons eu raison de remplacer le
PACS...
Mme Nicole Borvo.
Par rien !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
... par ce texte sur le mariage, le concubinage et
les liens de solidarité.
Nous considérons très largement, dans cette assemblée, que l'avenir de ce pays
dépend de ses enfants...
M. Alain Gournac.
Oui !
M. Dominique Braye.
Bravo !
Mme Nicole Borvo.
Heureusement qu'il y avait déjà des enfant avant le mariage, monsieur Marini
!
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
... et de la manière dont ils sont élevés, donc de
la stabilité de leur cadre affectif,...
Mme Nicole Borvo.
Mais il y avait des enfants avant l'institution du mariage !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
... stabilité que seul un vrai couple, seule une
vraie famille peuvent leur apporter.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste. - Protestations sur les travées
socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Tel est, en effet, notre credo - s'il en faut un - et nous nous
reconnaissons largement dans cette volonté d'avancer vers une société qui soit
accueillante pour ses enfants, qui sache les revevoir, qui sache les éduquer,
qui sache leur donner en main toutes les chances nécessaires pour réussir dans
la vie. C'est bien cela notre message !
Pour autant, nous n'oublions pas que toutes sortes de relations existent dans
la vie d'aujourd'hui, et nous les avons quantifiées dans nos rapports :
effectivement, on compte 30 000 couples homosexuels en France
(Murmures sur les travées socialistes)
pour, si je ne m'abuse, 13
millions de personnes mariées. Mais nous respectons, nous, toutes les
différences. Ce n'est pas comme vous tout à l'heure !
(Exclamations sur les mêmes travées.)
Nous les respectons, et nous
acceptons d'observer les situations effectives pour mesurer les droits qui
doivent y correspondre. Voilà ce que nous avons tenté de faire !
Notre travail est assurément perfectible...
Mme Nicole Borvo.
Assurément !
M. Claude Estier.
Ça c'est sûr !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
... et, lors de la deuxième lecture, nous le
perfectionnerons sans doute, en temps utile et sans hâte excessive.
M. Jean-Louis Carrère.
Comme pour le budget !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Précisément, puisque vous parlez de budget, sans
doute sera-t-il nécessaire, mon cher collègue, que, lors de la prochaine
lecture, Mme le garde des sceaux soit accompagnée par M. le secrétaire d'Etat
au budget : peut-être celui-ci nous apportera-t-il alors des éléments de
réponse aux questions que nous avons posées et qui sont restées en l'air !
Ainsi, lorsque j'ai parlé d'un instrument d'optimisation fiscale, lorsque j'ai
diffusé des tableaux de chiffres pour expliquer ce que votre affaire va
rapporter à des gens qui n'en ont pas besoin, au mépris de toute équité sociale
(Protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen)
,...
M. Dominique Braye.
Bravo ! C'est la réalité des choses !
M. Robert Bret.
Des sous ! Des sous !
Mme Nicole Borvo.
Vous êtes « partageux », monsieur Marini ?
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
... nous n'avons reçu aucune réponse.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac.
La réalité les gêne !
M. Philippe Marini.
rapporteur pour avis.
J'espère, mes chers collègues, que cette réponse
interviendra lors de la deuxième lecture et que l'on répondra à nos préventions
à l'égard d'un levier aussi puissant d'optimisation fiscale.
Mais j'ai une bonne nouvelle à vous annoncer.
(Ah ! sur les travées
socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Louis Carrère.
Vous allez voter le PACS ?
(Sourires.)
Mme Hélène Luc.
Oui, vous allez le voter ? C'est en effet une bonne nouvelle !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Les services de la commission ont appris que le
service de la législation fiscale accepterait d'ici à la deuxième lecture de
calculer les incidence budgétaires de nos propositions.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis.
Cela arrive un peu tard pour la présente lecture,
mais nous pourrons ainsi étudier en profondeur le sujet sans avis préconçu lors
de la deuxième lecture.
J'en arrive à ma conclusion, mes chers collègues. Pour éviter tous les aspects
pervers, je n'ai parlé que des aspects financiers - puisque c'est le domaine de
compétence de la commission des finances - d'une affaire, le pacte civil de
solidarité, que vous avez voulue hautement politique et très éloignée de la
réalité de la vie quotidienne.
Pour toutes ces raisons, et pour aller dans le sens du réalisme qui est
proposé par nos commissions, je voterai le texte que nous avons élaboré. Je le
ferai, naturellement, en tant que rapporteur pour avis, mais je me permets en
toute amitié d'inciter très vivement le nombre le plus important possible de
nos collègues à s'associer à la démarche de raison de la majorité sénatoriale.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collègues, de ce débat intéressant et
profond, au cours duquel de très nombreux problèmes ont été abordés, je
voudrais essayer de tirer quelques conclusions.
La première m'est fournie par les quelques jours que j'ai passés, à la fin de
la semaine dernière et au début de cette semaine, sur le terrain, comme vous
tous sans doute : inaugurations, conférences, assemblées générales, foyers
d'anciens, bref, toute l'activité d'un parlementaire au moment où il n'est pas
au Sénat ou à l'Assemblée nationale. Tous ceux que j'ai rencontrés, actifs,
retraités, enseignants, étudiants, m'ont dit que nous avions raison et que
c'est dans cette voie que nous devions poursuivre.
M. Jean-Pierre Bel.
Nous n'avons pas vu les mêmes !
M. Robert Bret.
Et votre évêque aussi ?
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous avez fait la tournée des sacristies !
M. Marcel Debarge.
C'est petit, tout cela !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Si ! nous avons vu les mêmes, puisque même un député
socialiste me l'a dit !
(Vives exclamations sur les travées socialistes
ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Dominique Braye.
Nous pouvons tous dire la même chose !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Au demeurant, nous savons bien que nous avons raison, et à
ceux qui ont parlé tout à l'heure au nom de la majorité plurielle, je suis
obligé de dire qu'ils n'ont pas lu le rapport...
M. Alain Gournac.
Certainement !
Mme Nicole Borvo.
Nous ne savons pas lire, M. Marini nous l'a dit !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
... et qu'ils ont complètement oublié le dispositif fiscal
que nous avons mis en place et qui correspond presque entièrement aux
dispositions que contenait le PACS, à cela près qu'il ne crée aucune
discrimination, aucune inégalité : il ouvre à tous, et non pas à une minorité
qui bénéficierait d'un contrat exorbitant et totalement dérogatoire au droit
général de nos contrats, les mêmes avantages.
On nous a dit que le PACS était bien. Tel qu'il nous est proposé, il est
détestable, inutilisable, dangereux, et nous l'avons démontré.
Quant à ceux qui voulaient l'amender, le corriger, estimant que c'était
faisable, ils ont systématiquement proposé de le rapprocher du mariage.
Dès lors, la démonstration est faite et c'est celle que d'emblée nous avons
mise en évidence : entre le concubinage et le mariage, il n'y a pas la place
d'une troisième institution ou d'un troisième fait.
M. Hilaire Flandre.
C'est certain !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Ce n'est pas possible, parce que la mise en place du PACS
sera, comme la mauvaise monnaie chasse la bonne, une attaque en règle à l'égard
du mariage. Ce sera le résultat automatique ! Le choix que nous avons fait
était donc le seul possible.
M. Hilaire Flandre.
C'est normal !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
Je demande aux responsables de la majorité plurielle de se
référer avec attention au travail que nous avons réalisé et aux remarques que
nous avons portées à l'égard du texte.
Je ne suis pas hostile à l'institution d'un contrat. Nous l'avons d'ailleurs
prévu : nous avons tout prévu dans notre texte. Mais, par pitié,...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Pas de pitié !
M. Patrice Gélard,
rapporteur.
... ne créons pas cette monstruosité juridique.
J'en prends le pari : si, demain, l'Assemblée nationale adopte à nouveau le
PACS - ce qu'elle a parfaitement le droit de faire - ceux qui auront eu la
mauvaise idée de vouloir signer un tel contrat en reviendront bien vite et je
vous garantis que cette monstruosité juridique figurera en bonne place au musée
archéologique des monstres juridiques qui n'auraient jamais dû voir le jour
dans le cadre d'une assemblée parlementaire !
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Monsieur le président, madame « le »
garde des sceaux, mes chers collègues, je crois qu'en cet instant nous pouvons
tirer quelques leçons du débat qui vient de se dérouler et qui est en train de
se conclure.
Je dois dire que je suis frappé par deux comportements. En effet, si notre
majorité a, de manière vigoureuse et nécessaire, formulé un certain nombre de
critiques, et si nous avons dit ce qu'était notre pensée, en revanche, sur ces
travées
(M. le président de la commission des lois se tourne vers la gauche
de l'hémicycle)
et notamment de la bouche de certains, nous avons entendu
des propos qui étaient à la limite de l'injure.
M. Alain Gournac.
Oui !
M. Bernard Piras.
C'était réciproque !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Nous n'avons, nous, le sentiment ni
d'avoir commis un mensonge ni d'être hypocrites : nous avons fait ce que nous
croyions devoir faire, et nous l'avons fait en toute conscience.
M. Bernard Piras.
Nous aussi !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je ne vous conteste pas le droit de
faire ce que vous faites en cet instant, mais, au moins, ayez l'honnêteté, dans
le climat de cette assemblée, de reconnaître que ce que nous faisons peut être
inspiré par des motifs qui correspondent à ce que nous pensons nécessaire pour
notre société sans taxer obligatoirement le texte que nous allons adopter dans
quelques instants...
M. Alain Gournac.
Comme venant de la « droite réactionnaire », comme ils disent !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... comme le fruit d'un mensonge ou
d'une hypocrisie.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Marcel Debarge.
C'est réciproque ! Cela ne vient pas que d'un seul côté de l'hémicycle !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
J'ai fait la différence : j'ai parlé
de vigueur, et j'ai parlé d'insultes. Il n'y a eu aucune insulte de notre côté
!
M. Marcel Debarge.
Demandez à M. Braye !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et Dominique Braye ?
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
J'en viens maintenant à ce qui sera
la conclusion nécessaire de ce débat.
Nous allons voter un texte qui est le résultat du travail absolument
remarquable de nos deux rapporteurs. Mais nous savons, dans le même temps,
parce qu'on nous l'a dit, sur ces travées
(M. le président de la commission
des lois se tourne à nouveau vers la gauche de l'hémicycle)
avec une
certaine netteté - pour ne pas dire avec brutalité car nous avons de trop
bonnes relations personnelles - que la volonté de l'Assemblée nationale
l'emportera. Nous le savons !
Nous savons que le PACS sera voté par l'Assemblée nationale. Mais nous savons
également qu'il est inamendable. En effet, M. le rapporteur vous l'a
parfaitement démontré, pour l'amender et l'améliorer, il faut obligatoirement
aller dans le sens d'un rapprochement avec le mariage dont nous avons rappelé
le principe. Or vous savez très bien que cette voie est très difficile à
emprunter, et vous hésiterez peut-être, compte tenu des propos que tiendra tout
à l'heure Mme le garde des sceaux, à vous y engager.
Le PACS sera donc voté. Mais je vous mets en garde une fois de plus. Dans
cette assemblée, dans notre société en général, il a fallu, pour aborder
certains problèmes, le faire avec franchise, en évitant tout jugement moral et,
pour certains d'entre nous, en faisant un effort sur nous-mêmes ; cet effort,
nous l'avons souvent tous consenti pour résoudre le problème social auquel nous
étions confrontés.
Je comprends parfaitement que certains d'entre nous hésitent encore à
accomplir cette démarche qui nous est commune ; mais soyez persuadés que
vouloir imposer à une société des règles qui vont à l'encontre de ses
croyances, de ses pratiques et de ses habitudes fondamentales, vouloir imposer
un texte de cette nature ne donne jamais de bons résultats.
(Protestations sur les travées socialistes.)
M. Raymond Courrière.
Et la loi Veil !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Le PACS sera voté - ce sera notre
revanche, en quelque sorte - mais nous nous apercevrons - et vous vous
apercevrez - qu'il est absolument inapplicable. Vous nous aurez dispensés, au
moins, de vous faire cette bonne plaisanterie...
M. Jean-Louis Carrère.
On a déjà entendu cela avec les congés payés ! « Vous allez ruiner la France
», disait-on !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... que nous aurions pu vous faire
en adoptant le texte conforme. De ce fait, parce que nous avons le sentiment
que le travail accompli ici allait dans le sens de ce dont la société a besoin,
il est évident que c'est très largement, en ayant la conscience que la majorité
du Sénat a accompli son devoir, que nous voterons ce texte.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR,
ainsi que sur certaines de travées de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public, émanant, l'une, du groupe du
RPR et, l'autre, de la commission des lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n°
87:
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 311 |
Majorité absolue des suffrages | 156 |
Pour l'adoption | 195 |
Contre | 116 |
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux. (M. Mélenchon applaudit.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. A l'issue de la première lecture de cette proposition de loi au Sénat, je tiens à dire, monsieur le président de la commission des lois, que chacun, ici, a défendu ses convictions, avec vivacité quelquefois de part et d'autre, mais le sujet en valait la peine.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Pour notre part, nous n'avons pas proféré d'insultes !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En ce qui me concerne, je suis convaincue que le pacte civil de solidarité est un élément de modernisation de notre société et qu'il est compris beaucoup plus largement, monsieur le rapporteur, que vous voulez bien le dire.
J'ai eu exactement la même expérience que vous le week-end dernier ; j'ai rencontré nombre de personnes qui m'ont dit que le pacte civil de solidarité était une bonne chose ! Comme quoi, les appréciations sont relatives...
M. Hilaire Flandre. Nous ne fréquentons pas les mêmes milieux ! (Rires.)
Plusieurs sénateurs socialistes. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. C'est vrai !
Le pacte civil de solidarité constitue en effet, à mes yeux, la meilleure réponse à l'attente des quelque quatre millions à cinq millions de personnes qui vivent ensemble sans être mariées. C'est la reconnaissance sociale d'un corps de règles qui tend à organiser leur vie commune et leurs rapports avec les autres dans tous les aspects de la vie quotidienne.
Il ne me paraît pas concevable de faire produire des effets juridiques de cette nature en l'absence d'un engagement clairement affirmé des intéressés de vivre ensemble de manière durable.
C'est bien parce que le pacte civil de solidarité se projette dans l'avenir, qu'il est gage de stabilité, que le droit peut en appréhender les effets et qu'il n'est pas possible de donner des effets similaires au concubinage.
Cela dit, il n'est pas non plus légitime de s'abstenir d'appréhender juridiquement le concubinage dès lors que l'on a entrepris de légiférer sur la vie des couples hors mariage. Par conséquent, je ne suis pas insensible du tout à certains arguments qui ont été mis en avant en faveur d'une reconnaissance légale du concubinage.
Vous vous souvenez que, dès le début de la discussion, le Gouvernement s'est prononcé très clairement contre les discriminations frappant les concubins homosexuels. On pouvait penser, dans un premier temps, que la reconnaissance du pacte civil de solidarité pourrait constituer un gage de revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle considère que deux concubins ne peuvent être que de sexes différents, mais il est vrai que cette évolution n'est pas certaine.
Pour éviter toute difficulté d'interprétation ultérieure, il est en effet préférable que le principe de non-discrimination en fonction du comportement sexuel soit très clairement affiché. Encore faut-il évidemment que la définition ne prête à aucune confusion. Je ne puis, pour ma part, adhérer à la démarche et à la rédaction retenues par le Sénat, qui me paraissent à tout le moins ambiguës.
Je ne serai donc pas hostile à ce qu'à côté de la proposition de loi, et en plus du pacte civil de solidarité, on prenne en compte le concubinage pour mettre fin à toute discrimination. Mais, je tiens à le redire, les effets juridiques du premier et du second ne peuvent être comparables. C'est donc à deux niveaux très différents que les deux mécanismes pourraient coexister dans la proposition de loi.
Le Sénat vient de voter la suppression du PACS. Il n'a pas, je le regrette, adopté une rédaction claire et sans ambiguïté sur la non-discrimination à l'égard des concubins homosexuels. Au moins le Sénat a-t-il permis que ce débat ait lieu. Je considère que c'est un atout extrêmement important, et j'ai bon espoir, par conséquent, qu'à l'Assemblée nationale on puisse compléter utilement la proposition de loi sur le PACS, en l'améliorant certainement encore - elle le mérite - notamment par une disposition supprimant toute discrimination à l'égard des concubins homosexuels. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
M. le président. La séance est reprise.
4
AMÉNAGEMENT ET DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 203, 1998-1999)
d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et
portant modification de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour
l'aménagement et le développement du territoire, adopté par l'Assemblée
nationale, après déclaration d'urgence. [Rapport n° 272 (1998-1999).]
Mes chers collègues, au début de l'examen du projet de loi d'orientation,
d'aménagement et de développement durable du territoire, vous me permettrez de
marquer que, sur 320 amendements déposés, 206, soit les deux tiers, ont été
transmis au service de la séance par la voie électronique, que ce soit par
e-mail ou par notre réseau informatique.
Je tiens à remercier tout particulièrement les groupes qui, à l'instar du
service des commissions, ont bien voulu prêter leur concours à la modernisation
de nos méthodes de travail.
Il faut s'en féliciter. A quelques mois de l'an 2000, l'informatisation de la
chaîne des amendements est en bonne voie, et je souhaite que cet effort se
poursuive, pour la modernisation du fonctionnement de notre institution, bien
sûr, mais aussi pour démontrer à ceux qui pourraient en douter que le Sénat est
à la pointe du progrès.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Monsieur
le président, mesdames, messieurs les sénateurs, M. le Premier ministre avait
indiqué dans son discours de politique générale, le 19 juin 1997, que son
Gouvernement préparait un projet de loi visant à réformer la loi du 4 février
1995 afin de renouveler le cadre de la politique d'aménagement du territoire de
notre pays. Le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement durable du territoire que j'ai l'honneur de vous présenter
aujourd'hui concrétise cet engagement.
J'ai conscience, en venant présenter ce texte devant votre assemblée, de
m'adresser à un auditoire passionné, extrêmement averti de toutes les questions
qui touchent à l'aménagement du territoire. J'en tire la conviction que nos
débats seront exigeants et de qualité, animés par la volonté que nous avons
tous de donner à notre pays le cadre législatif dont il a besoin.
Le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable
du territoire sur lequel vous allez délibérer est un cadre dans lequel
viendront s'inscrire deux autres textes de loi qui vous seront présentés par M.
Chevènement et M. Zuccarelli, chacun traduisant les orientations que je vais
développer devant vous dans son domaine de compétences.
Avec le projet de loi d'orientation agricole que vous avez examiné il y a
quelques semaines, ces textes forment un ensemble cohérent. La loi
d'orientation agricole permettra une réorientatioon de la politique agricole
pour que celle-ci s'intéresse aux agriculteurs et aux territoires qu'ils
mettent en valeur et non plus seulement à la croissance du volume de la
production.
Le projet de loi de M. Chevènement fixera les modalités du développement de
l'intercommunalité en simplifiant le cadre existant et en donnant des moyens
renforcés aux communes et à leurs groupements.
Le projet de loi présenté par M. Emile Zuccarelli précisera les conditions de
l'intervention économique des collectivités locales.
Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui définit, quant à lui, les
orientations de la politique d'aménagement et de développement durable du
territoire ainsi que la stratégie et les moyens de la mise en oeuvre de cette
politique.
J'en viens au premier sujet : les objectifs de la politique d'aménagement et
de développement durable du territoire.
Toutes les politiques publiques ont un impact sur l'aménagement du territoire,
qu'elles portent sur la fiscalité, les transports, l'organisation des postes et
télécommunications, le logement, l'agriculture, l'environnement, la culture,
les aides au développement économique des entreprises, et j'en passe. Chaque
décision prise dans ces différents domaines conduit à un certain type
d'organisation du territoire.
Pourtant, le ministère dont j'ai la charge n'a pas vocation à corriger les
effets négatifs des autres politiques pour le développement du territoire. S'il
n'était que cela, sa mission serait dérisoire, tant les moyens financiers dont
il dispose sont limités au regard de la tâche à accomplir.
La politique d'aménagement du territoire, c'est d'abord un combat de tous les
jours pour mettre en cohérence toutes les politiques publiques au service d'un
développement réfléchi, maîtrisé, équilibré, de notre pays. Ce n'est donc
évidemment pas seulement à l'aune des crédits accordés par le Fonds national
d'aménagement du territoire ou de l'importance des primes d'aménagement du
territoire qu'il faut juger la politique du Gouvernement dans ce domaine. Ces
outils financiers ont bien sûr un rôle incitatif, mais ils sont de peu de poids
face à l'impact des décisions prises dans les autres domaines que je viens
d'évoquer.
La première responsabilité du Gouvernement est de mettre en cohérence
l'ensemble des politiques publiques qu'il maîtrise avec celles des
collectivités locales pour les faire converger vers les objectifs fixés
conjointement.
Il lui faut aussi avoir le souci d'assurer la cohérence entre les actions
nationales, qu'elles soient menées par l'Etat ou les collectivités
territoriales, et les politiques communautaires, qui représentent des
financements considérables et dont les réglementations ont un impact chaque
jour plus important sur notre vie quotidienne.
A quoi peut servir par exemple l'effort de tel ou tel Gouvernement pour
revitaliser les campagnes si, dans le même temps, la politique agricole
commune, avec des moyens financiers beaucoup plus importants, contribue à vider
celles-ci ?
C'est dire que l'aménagement du territoire est l'une des actions publiques les
plus difficiles à conduire, mais aussi l'une des plus nécessaires. Elle oblige
à évaluer en permanence la pertinence de l'action sectorielle de chacune des
administrations publiques en regard des objectifs politiques généraux
poursuivis par le Gouvernement.
Quels sont ces objectifs ? Il s'agit, tout d'abord, de travailler à une
société plus juste et plus solidaire. La politique d'aménagement et de
développement durable du territoire doit contribuer au renforcement de la
cohésion sociale, à la réduction des inégalités, à la lutte contre l'exclusion,
à l'intégration. De ce point de vue, je ne peux que partager l'affirmation de
votre commission spéciale qui, dans son rapport, affirme que l'être humain doit
être au coeur des préoccupations des politiques publiques.
Cela me conduit à faire une remarque : on ne peut pas tout attendre de la
politique d'aménagement du territoire. Les inégalités sont sociales avant
d'être territoriales. L'inégalité dans la répartition des revenus et du
patrimoine est du même ordre à Paris, à Guéret, à Lyon ou à Limoges.
Les problèmes rencontrés sur le territoire ne font souvent que traduire cette
inégalité sociale. Je prends un exemple : si le prix d'achat de l'immobilier
varie de 23 700 francs en moyenne pour un mètre carré dans le VIIe
arrondissement à Paris à 4 200 francs à Clichy-sous-Bois, et si les catégories
sociales qui habitent dans l'un ou l'autre endroit sont très différentes, cela
n'est dû principalement ni aux potentialités initiales intrinsèques de ces deux
territoires ni à leur ou plus ou moins grande proximité des zones de
prospérité.
La façon dont une société choisit de répartir la richesse entre les individus
qui la composent reste donc un des sujets politiques majeurs auxquels nous
sommes confrontés. La politique d'aménagement du territoire ne peut répondre
que de façon marginale à cette question.
Il s'agit cependant de tout faire pour ne pas ajouter l'inégalité territoriale
à l'inégalité sociale. L'inégalité entre les territoires est au coeur des
réflexions et des déclarations sur l'aménagement du territoire. Pourtant, la
réalité de cette inégalité n'est pas aussi simple à mesurer qu'il y paraît.
C'est pourtant bien de là qu'il faut partir si l'on veut agir.
Je vous propose d'examiner quelques outils qui pourraient nous permettre
d'appréhender de façon plus fine cette inégalité.
Si l'on mesure la situation respective des territoires à l'aune de leur
potentiel fiscal, les inégalités les plus fortes sont non pas entre les
régions, mais entre les communes. Le potentiel fiscal varie en effet de un à
vingt entre les communes. Cette situation est imputable à l'importance de la
taxe professionnelle dans les ressources fiscales des collectivités locales,
taxe qui représente en moyenne 50 % de l'ensemble des ressources fiscales
directes des collectivités.
La base moyenne de la taxe professionnelle était de 10 742 francs par habitant
en 1995, mais la moitié des communes françaises avaient une base inférieure à 2
000 francs par habitant.
Dix-sept départements concentrent la moitié des bases de taxe professionnelle.
Cette taxe expliquerait donc à elle seule 75 % des inégalités.
Face à cela, le Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle, le
FNPTP, représente moins de 5 % du produit de cette taxe et la dotation de
solidarité urbaine, à peine 2 %.
Les quatre taxes perçues par les collectivités locales ne représentent
toutefois que la moitié de leurs ressources, les autres étant largement des
ressources de transfert, au premier rang desquelles la dotation globale de
fonctionnement, la DGF, qui est le principal outil de péréquation entre les
communes riches et les communes pauvres. La part des dotations de péréquation
dans la DGF est passée de 6,3 milliards de francs en 1994 à 9,2 milliards en
1998.
La constitution des communautés d'agglomération mettant en commun leurs
ressources de taxe professionnelle pour traiter les problèmes des zones
urbaines à l'échelle qui convient sera un pas majeur dans la « péréquation
fiscale ».
Les inégalités de potentiel fiscal sont moins importantes à mesure que l'on
s'éloigne de l'échelon communal. Le potentiel fiscal entre les départements
varie de 1 à 6, celui des régions de 1 à 2,5.
Cette mesure de l'inégalité entre les territoires ne donne cependant qu'une
image imparfaite de la réalité. Il faudrait pouvoir mettre en regard des
ressources des collectivités locales les charges qu'elles supportent et
traduire cela dans un indice synthétique que tout le monde souhaite, mais qui
s'avère redoutablement complexe à bâtir.
Nous devons nous interroger sur la pertinence de cette approche des disparités
territoriales par la fiscalité. En effet, d'autres critères d'évaluation
éclairent ces disparités sous un jour différent.
Les inégalités de revenu disponible brut des ménages sont beaucoup moins
importantes que celles du potentiel fiscal. Ce revenu disponible brut des
ménages en Ile-de-France était supérieur de 26 % au reste du pays en 1996, et
l'écart entre les régions les plus riches et les régions les plus pauvres hors
Ile-de-France était de 19 %. Les transferts sociaux, notamment les retraites et
les minima sociaux, assurent le lissage des revenus entre les régions. Ils
représentent 30 % du revenu disponible brut des ménages en Ile-de-France, 44 %
dans le Limousin, 43 % en Languedoc-Roussillon ou 47 % en Corse.
Si l'on considère le PIB régional, c'est-à-dire la création de richesse, les
écarts sont alors plus importants. Quatre régions - Ile-de-France, Rhône-Alpes,
Provence-Alpes-Côte d'Azur et Nord - Pas-de-Calais - soit 40 % de la population
française, produisent 51 % du PIB national. Le PIB par habitant est supérieur
de 53 % en Ile-de-France à ce qu'il est dans le reste du pays.
En résumé, les écarts régionaux de revenu disponible brut des ménages se
réduisent, alors que les écarts dans la production de richesse et dans la
répartition des emplois stratégiques s'accentuent.
Une des responsabilités majeures de la politique d'aménagement du territoire
réside dans sa capacité à réduire ces inégalités économiques, et pas seulement
sociales, entre les territoires. La politique d'aménagement du territoire doit
permettre la mise en oeuvre d'actions structurelles en faveur des économies
régionales afin d'en améliorer la compétitivité et le dynamisme. Elle ne
saurait donc se résumer à la compensation des handicaps par le biais de
péréquation fiscale, ni au maintien des services publics dans les zones
difficiles. J'y reviendrai.
Le deuxième objectif est l'emploi.
L'efficacité de toutes les politiques publiques en fonction de la contribution
qu'elles apportent à la lutte contre le chômage est devenue un des critères
majeurs d'appréciation dans le choix des investissements publics.
La politique d'aménagement du territoire doit encourager la création d'emplois
sur tout le territoire et éviter la concentration et la spécialisation
excessive des zones d'emploi dans un certain type d'activité. Certaines régions
de tradition industrielle lourde semblent vouées à la reconversion dans des
activiés également fragiles et, pendant ce temps, d'autres bénéficient de la
localisation de la plupart des emplois très qualifiés.
Cette spécialisation apparaît destructrice non seulement pour les régions qui
sembleraient vouées à des activités vieillissantes, mais également pour celles
d'entre elles qui ne seraient pas bénéficiaires de cette polarisation des
emplois qualifiés.
De 1982 à 1990, l'agglomération parisienne a gagné 87 % des emplois dits «
stratégiques », ingénieurs et cadres dans les secteurs de pointe en
développement. Dans le même temps, 14 autres villes françaises ont connu une
augmentation de ce type d'emplois, tandis que 226 villes françaises en
perdaient. Or on sait que les avantages comparatifs des territoires dans nos
sociétés résident moins dans le coût de la main-d'oeuvre ou des matières
premières que dans leur capacité à élaborer des produits à haute valeur
ajoutée.
C'est donc en définitive le degré de qualification de la main-d'oeuvre, la
densité des réseaux d'échanges commerciaux - tant avec les clients qu'avec les
sous-traitants - et intellectuels - en termes de recherche et de promotion -
qui déterminent la position relative d'une région. Dire cela, c'est aussi dire
à quoi nous devrons nous attacher, Etat et collectivités territoriales, dans
les prochains contrats de plan.
La responsabilité de la politique d'aménagement et de développement durable du
territoire en matière d'emploi, c'est aussi de considérer qu'aucun espace n'est
condamné, et d'y encourager le développement local non seulement en instaurant
des discriminations positives liées à tel ou tel zonage, mais aussi en
finançant l'ingénierie des projets et en veillant à ce que les financements
croisés ne conduisent pas à diriger les financements de l'Etat prioritairement
vers les collectivités les plus riches.
C'est encore anticiper sur les évolutions économiques, l'explosion des
services du secteur des nouvelles technologies de l'information et de la
communication ou des biotechnologies, l'émergence des emplois dans les secteurs
liés à la sécurité des personnes et des biens. La qualité de l'environnement,
la qualité de la vie en général, doit être prise en compte. Nous devons nous y
préparer, mettre en place des dispositifs d'intelligence économique et sociale,
préparer un ancrage plus solide des activités sur un territoire mieux en phase
non seulement avec les potentialités de ce territoire, mais aussi avec les
attentes et les compétences des hommes et des femmes qui y vivent.
C'est, enfin, mettre en place une politique et un dispositif institutionnel
qui permettent d'attirer les investissements étrangers en France et de faire en
sorte qu'ils soient source de création d'emplois sur tout le territoire.
Troisième objectif : l'aménagement du territoire doit s'inscrire dans une
perspective de développement durable.
Tout le monde, bien sûr, est favorable au développement durable. C'est même
devenu un thème à la mode. La France a pris des engagements dans ce domaine à
l'occasion de diverses grandes conférences internationales. Mais, au fond,
qu'est-ce que cela veut dire ?
Commençons par évacuer les faux débats. Mon projet de loi ne vise pas à
défendre la « nature naturelle » - que vos rapporteurs ont apparemment cherchée
sans la trouver - contre « l'homme », dont nul n'a songé à oublier qu'il était
à la fois le sujet et l'objet de toute politique. Cette opposition abstraite et
artificielle entre l'homme et la nature a été dépassée depuis bien longtemps,
et tout le monde sait aujourd'hui que, depuis son apparition sur cette planète,
l'homme, qui est à bien des égards l'une des espèces vivantes les plus
inadaptées à la « nature naturelle » à laquelle il appartient pourtant, agit
pour maîtriser cette dernière et se transforme en la transformant.
Le développement durable ne se réduit pas à l'environnement, qui n'en
constitue qu'une des dimensions.
Le développement durable, c'est d'abord une conception patrimoniale du monde
dans lequel nous vivons. Un patrimoine collectif, ça s'utilise, ça se préserve,
ça se partage et ça se transmet dans des conditions qui permettent que la
nécessaire satisfaction de nos besoins d'aujourd'hui ne compromette pas celle
des générations futures. Cela est vrai pour l'eau, l'air, les sols, les
paysages et tout ce qui constitue non pas seulement notre « cadre de vie »,
mais en réalité les conditions mêmes de notre vie.
Mais c'est aussi à la durabilité de nos économies qu'il faut penser. Une
croissance économique qui ne permettrait pas de réduire les phénomènes
d'exclusion sociale, la concentration des richesses et des activités, et la
suppression des emplois peut-elle réellement être considérée comme durable ?
Le développement durable, c'est un mode de croissance de la société qui
garantisse à la fois les progrès économique, social et environnemental de la
société. Pour traduire ces préoccupations, il me semble qu'il faut adopter dans
l'ensemble de nos régions, à l'occasion de la négociation des prochains
contrats de plan, une méthode commune d'évaluation de la qualité des projets à
l'aune de ces trois préoccupations, ce qui nous amènera à privilégier des
projets plus riches d'utilité sociale que ceux que nous retenons
traditionnellement. Les projets d'investissement, la création de telle ou telle
infrastructure ne doivent pas être retenus sans un examen
a priori
des
alternatives possibles. Je dis bien examen
a priori,
car trop souvent la
concertation se limite à demander l'avis de la population après que les
décisions ont été réellement prises.
Il faut aussi recourir plus qu'on ne le fait aujourd'hui à l'expertise
contradictoire. L'avis des techniciens, des administrations en charge des
dossiers est bien entendu important, mais il doit être confronté à celui des
experts indépendants qui contribuent à éclairer les décideurs sur tous les
aspects des projets en cause.
Et puis, si l'on veut que la référence au développement durable ne soit pas
qu'une clause de style, il faut définir, en même temps que les projets, les
modalités d'évaluation et de suivi qui les accompagneront. Cette évaluation, ce
suivi doivent porter sur l'ensemble des domaines économique, social et
environnemental, et permettre une mise en oeuvre effective des principes de
précaution, de prévention et de responsabilité qui doivent s'imposer dans
toutes les prises de décision des pouvoirs publics.
Je suis convaincue que cette méthode et ces principes seront mis en oeuvre
avec d'autant plus de succès que les représentants de l'Etat dans les régions
auront à coeur d'organiser les débats publics nécessaires et d'associer les
citoyens, sous des formes adaptées, aux prises de décisions.
Quatrième objectif : la politique d'aménagement du territoire doit favoriser
l'émergence et la concrétisation de projets fondés sur la valorisation des
ressources plutôt que la compensation de handicaps.
La philosophie de l'aménagement du territoire a été longtemps dominée par les
idées de compensation entre zones riches et zones pauvres, de péréquations,
d'implantations autoritaires d'infrastructures ou d'équipements dans des
régions réputées « défavorisées ». C'est aussi l'idée qui domine à Bruxelles et
qui est traduite par les différents zonages avec lesquels vous avez dû vous
habituer à vivre.
Je ne conteste pas la nécessité de ce rééquilibrage entre les moyens des uns
et des autres. Mais si le rééquilibrage, notamment fiscal, est nécessaire, il
n'est pas suffisant. Une conception de l'aménagement du territoire qui s'en
tiendrait à ce seul principe conduirait à installer des zones entières dans ce
que j'appellerai « la culture du handicap ».
L'histoire nous a appris que le caractère favorisé ou handicapé d'une région
était relatif et pouvait évoluer dans le temps. Telle région hier prospère
grâce à ses mines de charbon s'est trouvée soudain handicapée et contrainte à
de douloureux efforts de reconversion, alors que des zones réputées enclavées
ont bénéficié de l'explosion du tourisme et se sont enrichies.
C'est pourquoi aucune région ne peut concevoir que son avenir réside
durablement dans des ressources provenant de la péréquation entre régions. Le
zonage du territoire communautaire ne constitue pas une fin en soi, pas plus
que le fait pour une région d'être incluse dans une zone ou plusieurs zones. La
délimitation de zones n'a d'intérêt que si elle permet pendant une période de
temps limitée d'accorder des moyens publics spécifiques pour mettre en place
les conditions d'un développement autonome des régions considérées. Dès lors
qu'un zonage recouvre une part trop importante du territoire, ou qu'il devient
pérenne, il manque son objectif.
C'est avec cette compréhension des choses que nous abordons les négociations
européennes sur la réforme des fonds structurels et la réforme des zonages qui
l'accompagnera. C'est aussi avec le souci de bien distinguer ce qui doit
relever de la nécessaire solidarité européenne, et ce qui incombe aux
solidarités nationales et locales. Nous ne pouvons pas tout attendre des
transferts nationaux ou communautaires ; ils sont là pour accompagner des
démarches, mais ils ne peuvent remplacer la prise en charge, par tous les
niveaux de décision, des responsabilités qui leur reviennent.
L'idée qui sous-tend le projet du Gouvernement est que l'Etat aidera
prioritairement ceux qui s'organisent pour élaborer un projet. L'Etat
récompensera le dynamisme, parce que, en faisant cela, les dépenses publiques
contribueront effectivement au développement de la richesse produite, à
l'occupation équilibrée du territoire, et pas simplement à la compensation de
retard de développement.
Je suis consciente que la capacité de mobilisation peut dépendre aussi des
moyens initiaux dont on dispose. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé, lors
du dernier comité interministériel de l'aménagement du développement du
territoire, le CIADT, de créer une section spéciale du Fonds national
d'aménagement et de développement du territoire destinée au financement de
l'ingénierie de projets.
Le cinquième et dernier objectif vise à favoriser l'intégration de la France
dans une Europe élargie.
La construction européenne, au-delà des péripéties qui peuvent l'affecter, est
riche non seulement d'opportunités, mais aussi de menaces pour notre pays.
S'agissant des opportunités, celle de participer à la construction d'un
ensemble économique et politique qui compte parmi les plus puissants et les
plus stables du monde constitue une chance appréciable.
Mais cet ensemble évolue, son centre de gravité économique et politique se
déplace vers « l'Europe médiane », et notre pays doit veiller tous spécialement
à ne pas être marginalisé dans le processus de croissance à venir. Nos régions
atlantiques et méditerranéennes doivent être des atouts dans une stratégie de
croissance française pensée à l'échelle internationale.
J'ai noté avec satisfaction que la commission proposait un certain nombre
d'amendements qui vont à la rencontre de ces préoccupations.
Ce projet de loi d'orientation doit être l'occasion d'affirmer nos ambitions
dans ce domaine, à quelques semaines du conseil informel des ministres chargés
de l'aménagement du territoire de l'Union européenne, qui devrait adopter le
schéma de développement des espaces communautaires.
L'aménagement du territoire n'étant pas une compétence communautaire, ce
schéma de développement ne sera qu'un cadre de référence, mais son adoption
devrait être suivie de rencontres régulières des ministres concernés par
l'aménagement du territoire pour évaluer la prise en compte de ces orientations
dans les politiques nationales, développer les coopérations interrégionales et
transfrontières, échanger les expériences.
Il ne suffit pas de fixer des objectifs, il faut aussi indiquer le chemin pour
y parvenir et les moyens à mettre en oeuvre.
Il s'agira de favoriser la coopération de tous les acteurs autour de
l'élaboration et de la mise en oeuvre de projets qui définissent un
territoire.
Je ne vous propose pas de bouleverser l'organisation administrative du pays,
de supprimer tel ou tel type de collectivité locale ou de redéfinir leurs
compétences respectives. Certains le regretteront, d'autres trouveront que ce
projet de loi va déjà trop loin. Quoi qu'il en soit, ce choix doit être
justifié.
La méthode que je vous propose avec ce projet de loi d'orientation repose sur
le triptyque suivant : un projet, un territoire, un contrat.
Un projet partagé est à l'origine de tout, parce que je suis convaincue que
l'aménagement du territoire ne se décrète pas, que le développement n'existe
pas sans volonté locale, que tout ne s'organise pas autour des principes
décidés par une autorité centrale.
C'est autour de ce projet, traduit dans une charte, de pays ou
d'agglomération, que s'organiseront les nouveaux espaces de l'action locale,
que se développeront les dynamiques territoriales. Ici également, je préfère
l'incitation à l'affirmation déclamatoire ou aux démarches technocratiques. Les
pays et les agglomérations naîtront des projets élaborés par des acteurs locaux
ayant envie de travailler ensemble, du contrat qu'ils passeront entre eux et
avec l'Etat et non de découpages administratifs établis sur des bases
statistiques.
Enfin, un contrat, signé dans le cadre des contrats de plan Etat-régions,
organisera l'action coordonnée entre les partenaires et définira les moyens à
mettre en oeuvre pour que le projet devienne réalité.
Tout cela, vous le voyez, se fera sans réforme institutionnelle majeure, les
pays et les agglomérations constituant non pas de nouvelles collectivités
territoriales, mais des espaces de projets, définis comme je viens de le faire,
avec une structuration un peu plus contraignante s'agissant des communautés
d'agglomérations.
Ce dispositif me semble adapté à la situation de nos institutions
aujourd'hui.
Il n'y a pas, contrairement à ce que l'on dit souvent, d'exception française
dans ce domaine. Tous les pays comparables de l'Union européenne comptent trois
niveaux d'administration territoriale. L'Allemagne compte 16 Lander, 452 Kreise
et 16 068 communes ; l'Italie est organisée en 20 régions, 95 provinces et 8
074 communes ; l'Espagne en 17 communautés autonomes, 50 provinces et 8 082
communes ; la Belgique, pourtant beaucoup plus petite, est divisée en 3
régions, 9 provinces et 596 communes.
Au fond, la spécificité de la situation françaie réside : dans l'émiettement
du tissu communal avec ses conséquences fiscales dont j'ai parlé tout à l'heure
; dans l'absence de hiérarchisation entre les différents niveaux
d'administration territoriale, le refus de toute tutelle d'une collectivité
locale sur une autre paraissant intangible ; dans le principe d'uniformité dans
les compétences et le statut des collectivités locales de même rang ; enfin,
dans le maintien d'une forte administration de l'Etat au niveau local,
corollaire des budgets relativement faibles des collectivités territoriales et
de leur faible liberté d'auto-organisation, mais aussi témoignage du rôle
important qu'il conserve, garant de la cohérence et de l'équité des priorités
retenues en matière d'aménagement du territoire.
Les schémas de services collectifs et les schémas régionaux d'aménagement du
territoire permettront de définir les stratégies communes des différents
acteurs dans les domaines où ils agissent en commun. Les contrats de plan
traduiront ces orientations dans des programmes d'action sur sept ans. Les
contrats de pays et d'agglomération permettront de surmonter les difficultés
liées à la trop petite taille de nos communes, et ce de façon librement
consentie, dans l'action et non au terme d'une démarche administrative.
Fallait-il aller plus loin et redéfinir les compétences respectives des
différentes collectivités territoriales ? C'est une question qui est posée en
permanence depuis les débuts de la décentralisation en 1982-1983. Le principe
posé, dès cette époque, était celui des « blocs de compétences ». Mais sitôt
posé, ce principe a peiné à se concrétiser et l'on a assisté à la segmentation
des compétences plutôt qu'à leur répartition en blocs. Au fond, cela n'est
peut-être pas le fruit du hasard, cela traduit simplement le fait qu'un même
sujet peut soulever des questions d'intérêt purement local, régional ou
national, suivant le cas. C'est typiquemenet le cas lorsqu'il est question
d'intervention économique.
Le rôle du Parlement n'est pas oublié. Le débat que nous ouvrons aujourd'hui
est un débat d'orientation sur la politique d'aménagement du territoire. Il
porte sur les objectifs et les méthodes, et ses conclusions seront traduites
dans les prochains contrats de plan. Le projet de loi tel qu'il vous est
présenté, amendé par l'Assemblée nationale, donne au Parlement un pouvoir de
contrôle et d'orientation de la politique d'aménagement du territoire comme il
n'en n'a encore jamais connu. Je dis cela pour m'en féliciter. Mais j'ajoute
immédiatement qu'il ne me paraît pas souhaitable d'aller au-delà, c'est-à-dire
jusqu'au vote des schémas des services collectifs par le Parlement. S'il
revient au Parlement de fixer les principes et les orientations comme vous
allez le faire et serez appelés à le faire de nouveau avant le renouvellement
des contrats de plan, il est, en revanche, de la compétence du Gouvernement de
mettre en oeuvre ces orientations.
Je propose un cadre favorable à l'élaboration et au développement des projets
que je viens d'évoquer : ce cadre, c'est celui des pays et des
agglomérations.
Les pays peuvent être définis très simplement comme des territoires de projet.
Il ne s'agit donc pas - je le redis - d'un nouvel échelon d'administration
territoriale ni d'une nouvelle collectivité locale. Ce qui définit le pays,
c'est bien son projet, traduit par une charte acceptée et signée par l'ensemble
des partenaires.
C'est donc un cadre très souple permettant d'unir des volontés sur des
territoires qui sont considérés par les acteurs eux-mêmes comme ayant une
cohérence suffisante. Ces projets, ces territoires et la concrétisation de leur
volonté seront accompagnés par l'Etat dans le cadre des contrats de plan
Etat-régions.
Le Gouvernement souhaite encourager le développement des pays sans faire
preuve du moindre dogmatisme. Je n'ai pas en tête un quadrillage de la France
en pays aux frontières établies. En revanche, je souhaite favoriser et
accompagner la création de pays, notamment en finançant l'ingénierie nécessaire
à l'élaboration de projets pour que nous passions de la phase expérimentale
ouverte par la loi Pasqua à « l'âge adulte » des pays, qui constitueront, dans
de nombreuses parties de notre territoire, l'outil permettant de traiter les
problèmes à la bonne échelle.
Les agglomérations correspondent à un niveau d'exigence supérieur. Elles ne
pourront être constituées que pour autant qu'il existe, dans un cadre
territorial donné, une agglomération centre de plus de 15 000 habitants et un
ensemble de communes avoisinantes qui, au total, regrouperont une population de
50 000 habitants au moins, dotées d'une taxe professionnelle unique dans le
cadre d'un établissement public de coopération intercommunale.
Ces agglomérations, elles aussi, auront la possibilité de passer des contrats
avec l'Etat en vue de la réalisation des objectifs qu'elles se seront fixés. Le
Gouvernement voit dans ces communautés d'agglomérations le cadre qui permettra
réellement de développer la politique de la ville dont nous avons besoin pour
faire face aux difficultés graves qui sont nées de l'urbanisation croissante
des populations. Ce que l'on baptise hâtivement « crise des banlieues » est, en
effet, une crise du développement urbain. On ne pourra la traiter qu'en
appréhendant cette réalité dans sa totalité, dans sa complexité, et en faisant
jouer effectivement les solidarités locales de projet dont je parlais tout à
l'heure.
Or, si l'intercommunalité s'est développée dans le monde rural, elle reste
embryonnaire dans les aires urbaines. Il est urgent de donner l'impulsion qui
permettra la mise en place de ces structures, indispensables à la maîtrise de
la croissance urbaine.
Les pays et les agglomérations seront, avec les régions, partenaires des
contrats de plan.
C'est une des principales novations introduites dans la négociation des
prochains contrats. Elle fait suite au rapport élaboré par M. Chérèque à la
demande du Gouvernement.
Les futurs contrats de plan Etat-régions comprendront donc deux volets : un
volet régional, qui touchera essentiellement aux infrastructures et aux
équipements d'intérêt régional, ainsi qu'aux projets dont la taille intéresse
l'ensemble de la région ; un volet territorial, qui visera à encourager le
développement et la concrétisation des projets des pays, des agglomérations et
des parcs naturels régionaux.
Cette conception des futurs contrats de plan découle très naturellement de ce
que j'ai dit tout à l'heure de la volonté du Gouvernement d'encourager le
développement local et la prise en main par les citoyens eux-mêmes des projets
qui assureront durablement l'existence et le développement des territoires
qu'ils occupent. La construction d'infrastructures est indispensable, mais elle
ne suffira pas demain, pas plus qu'elle n'a suffi hier à assurer le
développement harmonieux de tout le territoire. C'est pourquoi ce second volet,
le volet territorial des contrats de plan, est aussi important à mes yeux pour
les contrats à venir.
Pour qu'ils puissent voir le jour, encore faut-il laisser aux pays et aux
agglomérations le temps de se constituer et de travailler ; c'est pourquoi ils
disposeront de trois années pour élaborer leur projet et ils pourront signer
avec l'Etat des contrats de plan jusqu'en 2003.
Les schémas de services collectifs contribuent aussi à renouveler le cadre de
la planification territoriale à moyen terme.
Ces huit schémas de services remplaceront le schéma national d'aménagement du
territoire et les schémas sectoriels prévus par la loi du 4 février 1995.
Avec cette notion de « services collectifs », le Gouvernement veut inciter ses
administrations et l'ensemble de ses interlocuteurs à une réflexion autour des
huit grands thèmes retenus, en faisant en sorte qu'elle ne se limite pas à
l'examen des possibilités d'équipement en infrastructures de transport ou de
communication.
En défendant les schémas de services collectifs, le Gouvernement ne veut pas
dire que les infrastructures ne sont pas nécessaires ou que tous les besoins de
notre pays sont satisfaits ; ce serait là une présentation réductrice des
choses.
M. Gérard Larcher,
rapporteur de la commission spéciale.
C'est vrai !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
La
philosophie, pour reprendre le mot de la commission spéciale, des schémas de
services collectifs, c'est de commencer par favoriser l'expression des besoins
de la population par une concertation aussi large que possible. Cela fait, il
faudra hiérarchiser les besoins qui paraissent les plus prioritaires et
envisager les différents moyens de les satisfaire.
Il existe rarement une réponse unique à une situation donnée. C'est d'ailleurs
le rôle et la dignité du politique que d'effectuer des choix et de les assumer.
Encore faut-il que ces choix aient été faits après examen de toutes les
solutions possibles.
En d'autres termes, il ne s'agit pas de plaquer des solutions toutes faites,
qui ont été utilisées dans le passé pour répondre à des situations
particulières, il s'agit de dialoguer et d'innover. L'équation :
infrastructures de transport égale désenclavement, égale développement
économique est faussement rassurante. On pourrait citer de nombreux exemples de
zones à faible dynamisme démographique et économique bien que traversées par
des infrastructures de transport très complètes et très modernes ; je pense aux
plateaux de Bourgogne ou à la périphérie sud du Bassin parisien.
Inversement, on trouve des zones où population et activités sont dynamiques en
l'absence de métropole de proximité et de grandes infrastructures de transport.
La relation n'est donc pas aussi simple et beaucoup d'autres facteurs -
historiques, sociologiques, économiques - entrent en ligne de compte.
Il ne s'agit donc pas d'être pour ou contre les infrastructures ; il s'agit de
raisonner sur les investissements en fonction de leur interaction avec
l'environnement économique et humain, en prenant en compte tous les besoins à
satisfaire, tous les impacts des équipements projetés.
Le terrible bilan des accidents de la route en France en 1998 doit, par
exemple, nous conduire à nous interroger. Notre bilan dans ce domaine est
beaucoup plus mauvais que celui de nos partenaires européens d'importance
comparable, l'Allemagne, la Grande-Bretagne notamment. L'équipement autoroutier
étant au moins équivalent, voire meilleur en France, ce n'est pas dans la
transformation de l'ensemble des routes en autoroutes que se trouve la
réponse.
(Murmures sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
Il faut prévoir un ensemble de mesures allant des
équipements de sécurisation du réseau, qui ne sont pas toujours synonyme de
doublement des voies, mais peuvent être des chicanes et autres ralentisseurs
sur les points noirs, à l'action sur la vitesse des véhicules et le
comportement des automobilistes. La pondération entre les moyens attribués à
ces différentes actions est une question éminemment politique.
Les huit schémas de services collectifs prévus par le texte correspondent aux
domaines priviliégiés d'action conjointe entre l'Etat et les collectivités
locales. Ils correspondent également à des domaines d'intervention qui
nécessitent une collaboration interrégionale et une prise en compte des
politiques européennes.
Ces schémas de services seront élaborés dans le cadre d'un va-et-vient entre
l'échelon central et l'échelon décentralisé, de façon à permettre l'expression
la plus large des préoccupations et des besoins de la population française.
Le projet de loi d'orientation, d'aménagement et de développement durable du
territoire fixe également le cadre de l'évolution des services publics sur le
territoire dans les années qui viennent.
La répartition des services publics sur le territoire constitue bien entendu
un élément important de la politique d'aménagement du territoire, et l'Etat a
une responsabilité particulière en ce domaine.
Chacun en conviendra aisément, le « moratoire » décidé par le gouvernement de
M. Balladur ne pouvait constituer une réponse définitive aux questions
relatives à l'évolution des services publics sur notre territoire. Il
permettait, certes, d'éviter des décisions aux conséquences susceptibles d'être
difficilement réparables, pendant une période de réflexion. Mais il fallait, un
jour ou l'autre, aller plus loin.
C'est pourquoi la loi Pasqua avait prévu un certain nombre de dispositions
pour organiser la sortie du moratoire dans les départements. Nombre de ces
dispositions sont restées lettre morte, notamment celle qui prévoyait
l'élaboration de schémas départementaux d'évolution des services publics.
Les décisions du CIADT du mois de décembre et le projet de loi que je vous
soumets fixent les règles de cette évolution future. Les administrations
devront élaborer des plans pluriannuels d'évolution de leurs services. Elles
transmettront ces plans à la DATAR, qui les examinera et en vérifiera la
cohérence.
La DATAR conduira la concertation avec les préfets et vérifiera avec eux les
conséquences des programmes qui lui sont présentés dans l'ensemble des
départements. Les préfets, quant à eux, seront responsables de la conduite de
la concertation au niveau local sur les évolutions souhaitables du service
public.
Aucun service ne pourra être supprimé sans une étude d'impact préalable. Si un
désaccord apparaît entre une administration et les collectivités territoriales,
le préfet aura la possibilité d'introduire un recours suspensif auprès du
ministre concerné, après une phase de négociation, pour trouver une solution
satisfaisante pour tous.
Dans le même temps, je vous propose de retenir un certain nombre de
dispositions permettant de constituer des maisons de services publics, qui
pourront être un cadre satisfaisant permettant d'offrir un service de qualité
sur l'ensemble du territoire. Les conditions d'organisation de ces maisons de
services publics seront déterminées par voie conventionnelle, avec les
collectivités locales intéressées.
Le Gouvernement a également choisi de transposer partiellement, sans attendre,
la directive communautaire relative au service postal. S'il l'a fait, ce n'est
pas pour priver le Parlement d'un débat sur l'avenir de La Poste : celui-ci
aura lieu à l'occasion de la transposition de l'ensemble des dispositions de
cette directive. Mais il fallait fixer aussi vite que possible dans une loi les
dispositions permettant de préserver le rôle de La Poste dans l'exercice du
service public postal. Eu égard à l'importance de ce service dans l'aménagement
du territoire, ces dispositions trouvent ici légitimement leur place.
En conclusion, le Gouvernement vous demande d'approuver avec ce texte tendant
à réviser la loi du 4 février 1995, une réorientation de la politique
d'aménagement du territoire. La politique qui vous est proposée vise à
promouvoir le développement durable de tous les territoires. Elle est
sous-tendue par une vision renouvelée de l'action en faveur de l'égalité des
chances entre les territoires, qui ne passe pas exclusivement par la
péréquation de la fiscalité locale. Elle fait de l'emploi et du développement
local des priorités.
Parce qu'il ne suffit pas de proclamer des objectifs pour les concrétiser, je
vous propose une méthode : la mobilisation de toutes les énergies autour de
projets de territoire, l'engagement de chacun pour la réalisation de ces
projets étant précisé dans des contrats.
Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui sera, j'en suis sûre,
discuté avec passion dans cette assemblée. Il s'agit en effet d'un enjeu
essentiel pour notre société et d'une préoccupation quotidienne pour les élus
que vous êtes.
Ce projet ouvre la voie à une nouvelle méthode de planification et de
programmation de l'aménagement du territoire. C'est finalement dans une
conception plus démocratique, plus participative et plus ouverte de la société
qu'il faut chercher les innovations dont il est porteur.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jean François-Poncet,
président de la commission spéciale.
Monsieur le président, madame la
ministre, mes chers collègues, voilà quatre ans, le Sénat votait une loi qui
jetait, pour vingt-cinq ans, les bases d'une grande politique d'aménagement et
de développement du territoire. C'était la loi Pasqua, ou plus exactement la
loi Pasqua-Hoeffel. Ses principales dispositions - à défaut du texte tout
entier - furent adoptées à l'unanimité par notre assemblée.
Comme toute loi-cadre, elle était tributaire, pour son application, d'un
impressionnant arsenal de décrets et de circulaires. Il fallut deux années et
toute la persévérance de notre collègue Jean-Claude Gaudin pour mener la tâche
à bien. Et, comme les crédits nécessaires à une politique d'envergure ne furent
pas au rendez-vous, ce texte fondateur ne bénéficia ni du temps ni des moyens
qui lui auraient permis de marquer le territoire de son empreinte.
Vint 1997 : un gouvernement de gauche pouvait-il s'accommoder, dans un domaine
aussi important, d'un texte qu'il suffisait d'appliquer mais dont il n'avait
pas pris l'initiative ?
M. Gérard Delfau.
Il fallait le faire avant !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission spéciale.
Impensable ! Nouvelle majorité,
nouvelle loi !
Nous voici donc, aujourd'hui, deux ans plus tard, saisis d'un nouveau texte,
texte d'orientation lui aussi - mais on pourrait presque dire : d'intention -
qui exigera, pour être appliqué, le même nombre de décrets et de circulaires,
lesquels mettront le même laps de temps à voir le jour, tant est immuable le
cheminement des textes à travers les arcanes de notre bureaucratie
interministérielle.
M. Josselin de Rohan.
Nous les remplacerons avant !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission spéciale.
Rendons-nous à l'évidence : ce n'est
pas en votant tous les cinq ans une grande loi conçue pour vingt ans, mais
jamais appliquée, qu'on fera bouger les choses.
(Très bien ! sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Sur le
terrain, personne n'y croit plus. L'opinion est fatiguée de voir les majorités
se succéder et s'écrier, comme à l'opéra : « Marchons, marchons », alors que,
sur la scène, personne n'avance !
MM. Louis Souvet et Hilaire Flandre.
Très bien !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission spéciale.
Voilà pourquoi la commission
spéciale s'est refusé à faire oeuvre partisane. Elle n'a pas cherché à revenir
au texte de 1995, quels que soient pourtant ses mérites. Le texte dont nous
allons débattre ne sera utile que s'il dure. Et il ne sera durable, madame la
ministre, que si le Sénat, l'Assemblée nationale et le Gouvernement parviennent
à une rédaction commune. La commission spéciale le souhaite, dans l'intérêt de
l'aménagement du territoire. Ses amendements vont dans ce sens. Encore faut-il
que la loi fasse droit à des impératifs approuvés par tous : réduire les écarts
territoriaux, valoriser la situation centrale de la France en Europe
occidentale, faciliter la création d'emplois, accélérer la croissance.
Durable : j'ai lâché le mot ! C'est celui que vous avez entendu, madame la
ministre, inscrire au fronton de ce texte. La commission spéciale ne le récuse
pas. Bien au contraire, nous le faisons nôtre, et ce d'autant plus volontiers
que, de mémoire d'homme, aucun sénateur n'a jamais plaidé pour un développement
non durable.
M. Jacques Oudin.
Très bien !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission spéciale.
De même avez-vous entendu faire des
« pays », lancés par la loi de 1995, un des piliers de l'aménagement durable du
territoire de demain. Ces « pays » n'ont pas soulevé la moindre objection de
principe de la part de la commission. Au demeurant, nombre d'entre nous n'ont
attendu ni la loi de 1995 ni celle d'aujourd'hui pour en créer dans leur
département.
Quant à la suppression du schéma national d'aménagement du territoire, prévu
par le texte de 1995, nous la regrettons. Le schéma avait l'immense mérite
d'associer le Parlement à l'aménagement du territoire autrement qu'à travers
des déclarations d'intention. Mais la commission spéciale, dans un esprit de
conciliation, n'en proposera pas le rétablissement.
Enfin, la commission spéciale a reconnu que la notion de « service » pouvait
heureusement compléter celle de « schéma directeur ». Elle met, en effet,
utilement l'accent sur la finalité - transports, santé, culture, éducation -
des schémas directeurs et sur la nécessité - que personne ne contestera - de
veiller avant de créer des infrastructures nouvelles à la meilleure utilisation
des équipements existants.
Mes chers collègues, je devine votre inquiétude : peut-être vous demandez-vous
si la commission spéciale s'est contentée d'approuver le texte qui lui était
soumis.
M. Gérard Miquel.
Il n'y a aucun risque !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission spéciale.
Rassurez-vous ! En examinant les 85
amendements qu'elle a élaborés et en prenant connaissance des amendements
extérieurs qu'elle approuvera sans doute demain matin, vous constaterez que la
commission spéciale a considérablement enrichi et réorienté, quand cela était
nécessaire, le projet du Gouvernement amendé par l'Assemblée nationale.
Les trois rapporteurs de la commission spéciale, MM. Gérard Larcher, Claude
Belot et Charles Revet, vous exposeront dans un instant le contenu et la portée
de ces amendements. Je tiens à rendre hommage à leur remarquable travail, un
travail d'autant plus méritoire qu'ils n'ont disposé pour le réaliser que de
quelques jours, du fait du recours à la procédure d'urgence, malencontreusement
imposée par le Gouvernement pour un texte qui, plus que tout autre, exigeait
étude et réflexion. Je veux aussi remercier les administratrices et les
administrateurs qui les ont très efficacement assistés.
Les uns et les autres n'y seraient d'ailleurs pas arrivés si le Sénat n'avait,
depuis près de dix ans, peu à peu exploré tous les compartiments de ce vaste et
complexe sujet qu'est l'aménagement du territoire. Ce faisant, notre assemblée
a, petit à petit, constitué un important réservoir de données et de
propositions qui ont guidé les rapporteurs dans le choix de leurs
amendements.
Ces amendements, mes chers collègues, répondent principalement à deux grands
objectifs : équilibrer le texte qui nous est proposé et l'enrichir de
propositions concrètes.
Il s'agit d'abord d'établir un équilibre entre espace rural et espace
urbain.
Le Sénat, je tiens à le souligner, contrairement à certaines caricatures
malveillantes, n'est nullement l'apôtre d'un ruralisme dépassé.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Très bien !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission spéciale.
Mais le fait est que témoignages et
enquêtes l'ont convaincu que la « métropolisation », dont certains font la
tarte à la crème de l'aménagement du territoire, est un concept en voie d'être
dépassé dans les pays les plus avancés.
Tant aux Etats-Unis que chez nos voisins européens, l'espace rural fait de
plus en plus figure non pas de chef-d'oeuvre en péril, à sauver par affection
ou dévouement, mais de lieux d'une nouvelle modernité. Il s'agit non plus
seulement de protéger les espaces naturels, mais de développer les
potentialités nouvelles que leur ouvrent les technologies de communication et
les aspirations de la société post-industrielle.
L'équilibre est tout aussi nécessaire entre l'environnement et les
infrastructures, à commencer par les infrastructures de communication qui ont,
ici ou là, mauvaise réputation.
La commission s'est demandée si la France avait encore besoin de construire
des autoroutes. La réponse du directeur des routes, entendu par la commission,
a été sans ambiguïté : le trafic routier, qui a augmenté de 230 % au cours des
vingt-cinq dernières années, connaîtra une augmentation du même ordre, même si
elle est marginalement plus faible, au cours des vingt-cinq prochaines
années.
Quant aux efforts qu'il est impératif de consentir en faveur du transport
ferroviaire et de la navigation fluviale, qu'il faut, l'un et l'autre,
développer peut-être de façon prioritaire, ils permettront au mieux, en France
comme dans le reste de l'Europe, de conserver à ces modes la part de marché qui
est la leur aujourd'hui.
Un nouveau schéma autoroutier est-il finançable ? La réponse est, là aussi,
sans grande ambiguïté. Notre collègue Jacques Oudin vous le dira : le système
autoroutier peut générer, en son propre sein, les moyens nécessaires à son
développement, pour peu que les contraintes qui lui sont actuellement imposées
soient revues et mises en conformité avec les règles de concurrence européennes
et que des autoroutes a spécifications simplifiées - je me permets d'y insister
- soient mises en chantier pour assurer le désenclavement des espaces à faible
circulation.
Enfin, un équilibre doit être recherché entre le Gouvernement et le Parlement.
Il serait inacceptable que la représentation nationale ne soit appelée à se
prononcer que sur de grandes orientations, alors que les collectivités
territoriales seraient consultées sur l'application concrète des schémas
directeurs. Gérard Larcher proposera au Sénat de combler les lacunes du projet
de loi sur ce point.
Ce projet de loi ne répondra aux attentes qu'il suscite que s'il est très
largement complété.
La commission spéciale vous proposera une batterie de mesures nouvelles en
faveur de la création et de la transmission d'entreprises, dont les zones
fragiles dépendent, plus que tout autre, pour leur développement. A cet égard,
nous sommes reconnaissants à notre collègue Jean-Pierre Raffarin du travail
qu'il a réalisé avec d'autres collègues sénateurs.
La commission vous proposera également un dispositif relatif aux zones
périurbaines, oubliées de l'aménagement du territoire, bien qu'elles
accueillent 15 % de nos concitoyens.
Elle vous soumettra aussi une rédaction clarifiant les rôles respectifs du
département et de la région dans le domaine de l'économie, rédaction sur
laquelle se sont entendus, ô miracle ! nos collègues MM. Puech, Raffarin et
Delevoye, qui font tous les trois partie de la commission spéciale. Il s'agit,
me semble-t-il, d'un véritable pas en avant.
En revanche, la commission ne vous présentera aucun amendement sur le sujet,
pourtant central, de la péréquation entre collectivités riches et pauvres. Ne
vous en étonnez pas. Les dispositions passablement révolutionnaires contenues
dans le texte de 1995 ont été intégralement maintenues dans le projet de loi
qui nous est soumis. Cela me conduit, madame la ministre, à vous interroger sur
les intentions du Gouvernement : entend-il laisser ces dispositions au
frigidaire où elles gisent depuis 1995...
M. Gérard Delfau.
Comme le précédent gouvernement !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission spéciale.
... ou bien les mettra-t-il en
oeuvre ? Ces mesures ont-elles échappé à son couperet parce qu'elles sont en
harmonie avec ses convictions ou parce que la péréquation est un sujet dans
lequel il a choisi de ne pas s'aventurer ? Je pose la question, je n'y réponds
pas.
J'ai bien entendu, madame la ministre, ce que vous avez dit tout à l'heure.
Certes, la péréquation ne représente pas la solution à tous les problèmes de
l'aménagement du territoire, pas plus que les infrastructures. Le problème est
de savoir s'il peut y avoir aménagement du territoire sans infrastructures et
sans péréquation. Pour ma part, j'affirme que ce n'est pas possible.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE et de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Mes chers collègues, les meilleures lois ne valent que par les moyens
dégagés pour les mettre en oeuvre. Dans les années soixante, l'effort consenti,
sur instruction du général de Gaulle, donna à l'aménagement du territoire une
impulsion qu'il n'a, depuis lors, jamais retrouvée.
L'aménagement du territoire constituera-t-il, demain, pour le Gouvernement
actuel et pour ceux qui lui succéderont, une réelle priorité ou restera-t-il,
comme ce fut souvent le cas dans le passé, un thème de discours dominicaux ?
L'avenir le dira ! Ce qui est certain, c'est que le destin de la France en
Europe dépendra pour beaucoup de la prise de conscience par nos concitoyens
eux-mêmes de l'atout que représente pour notre pays la possession du territoire
le plus vaste, le plus beau et le mieux situé mais, hélas ! le plus négligé, de
l'Union européenne.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher, rapporteur.
M. Gérard Larcher,
rapporteur de la commission spéciale.
Monsieur le président, madame le
ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous sommes appelés à
discuter aujourd'hui se situe dans le fil de la loi Pasqua-Hoeffel que le Sénat
a adoptée voilà près de cinq ans. Ce texte doit donc s'inscrire dans la
continuité. La « durabilité » de nos lois est à ce prix. Ne doit-elle pas, elle
aussi, constituer un objectif permanent pour le législateur ?
Le texte qui nous est soumis aujourd'hui modifie partiellement la loi
d'orientation, reconnaissant que nombre de ses dispositions demeurent toujours
d'actualité.
Permettez-moi tout d'abord de rendre hommage à ceux qui ont contribué à
l'élaboration de cet texte fondateur, tout particulièrement à Charles Pasqua et
à Daniel Hoeffel.
(Très bien ! sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Votre projet de loi, madame le ministre, vise à réviser sur certains
points, à compléter sur d'autres, le texte de 1995. Cette réforme aurait pu
répondre aux attentes liées à l'application de la loi Pasqua-Hoeffel. Pourtant,
si ce texte satisfait certaines de ces attentes, il ne laisse pas de susciter
un certain nombre de regrets.
Tout d'abord, je regrette, comme le président de la commission spéciale, la
procédure d'urgence retenue par le Gouvernement pour un projet de loi
enregistré au mois de juillet 1998 et inscrit six mois plus tard à l'ordre du
jour du Parlement, qui n'a disposé que d'un délai de deux mois pour en débattre
alors que ses effets portent sur vingt ans.
Je regrette ensuite de voir le dialogue des deux assemblées « bridé » par le
Gouvernement, en raison peut-être de cette tendance générale à la
précipitation, que relève le dernier rapport du Conseil d'Etat.
Je sais que c'est une tentation assez généralement partagée par les diverses
sensibilités de notre pays, mais l'aménagement de notre territoire et le tracé
de ses perspectives d'évolution à vingt ans méritaient, à mon sens, qu'on donne
un peu de temps au temps.
Il est également regrettable que le Gouvernement ait jugé bon de transformer,
lors des comités interministériels pour l'aménagement et le développement du
territoire, les CIADT, de 1997 et 1998, les axes de la politique d'aménagement
du territoire, avant même d'avoir modifié la loi qui en fixe les principes. Ce
faisant, le Gouvernement n'aurait-il pas préjugé la décision du législateur
?
Je ne m'étendrai pas ici sur le contenu même du projet de loi qui nous est
soumis, ni sur le sens des amendements que vous soumettra la commission
spéciale et que son président vient de développer. Le rapport écrit qu'elle a
publié vous a, je l'espère, éclairé sur ces points.
A ce propos, permettez-moi de remercier, pour leur apport à ce travail, mes
collègues de la commission spéciale, tout particulièrement Jean
François-Poncet, président, Claude Belot, rapporteur, avec lequel nous avons
déjà beaucoup travaillé en 1994, et Charles Revet, rapporteur pour la première
fois dans cette assemblée et dont l'expérience nous a été fort utile.
Je m'attacherai, pour l'essentiel, à exposer les principes qui ont conduit les
réflexions de la commission spéciale et inspiré ses positions. Je mettrai tout
particulièrement en exergue l'importance des enjeux politiques que recèle
l'aménagement du territoire.
Pourquoi, en effet, les textes qui interviennent en ce domaine suscitent-ils
un tel intérêt et - vous l'avez dit, madame le ministre - une telle passion,
parfois, au Sénat ?
Selon moi, deux raisons en sont la cause : tout d'abord, ces textes se situent
directement au coeur du grand débat républicain sur l'égalité, débat qui est
cher aux Français ; ensuite, l'aménagement et le développement du territoire
suscitent beaucoup d'espoirs chez les citoyens et les élus locaux, espoirs
parfois déçus, le président de la commission le rappelait tout à l'heure.
Ces sujets d'importance méritent, en conséquence, un débat clair et serein.
C'est ce débat que nous souhaitons aujourd'hui pour le Sénat.
L'aménagement du territoire est au coeur du débat républicain sur l'égalité.
Pour fixer le cadre de notre discussion, il faut rappeler avec force cette
vérité parfois occultée.
Pourquoi l'aménagement du territoire suscite-t-il tant d'attentes ?
L'unité territoriale de la France constitue l'un des fondements de la
République. Rassemblé, sous la féodalité, par des allégeances personnelles au
suzerain, divisé, sous la monarchie absolue, par des droits divers et des
coutumes disparates, le territoire n'est réellement unifié que par les premiers
régimes constitutionnels et républicains.
Il est bel et bien le socle de l'Etat, l'une des composantes essentielles de
la République. Celle-ci entretient donc une relation particulièrement étroite
avec son territoire.
La Constitution du 3 septembre 1791 disposait d'ailleurs : « Le royaume est
indivisible, son territoire est distribué en départements. » Le terme «
distribué » a une importance fondamentale car il s'oppose au mot « divisé »,
qui aurait supposé une forme de fédéralisme. La France se conçoit elle-même non
pas comme un agrégat de « peuples » ou de territoires disparates, mais comme
une nation dont l'Hexagone et les départements et territoires d'outre-mer sont
le foyer.
Le général de Gaulle, qui s'est affirmé sur la grande scène de l'Histoire en
appelant à la reconquête physique du territoire national, a ensuite
profondément contribué à enraciner cette longue tradition dans les institutions
mêmes de la Ve République.
La contrepartie de cette indivisibilité de la République est la nécessaire
solidarité territoriale. On peut débattre de l'étendue et de la forme de cette
solidarité. Mais son principe ne peut être contesté sans toucher aux fondements
mêmes de l'Etat républicain, sans attenter aux valeurs qui fondent l'engagement
politique de la plupart des membres de notre Haute Assemblée.
« La France se nomme diversité » et toute la difficulté d'une politique
efficace d'aménagement du territoire est de conjuguer harmonieusement cette
pluralité, source de richesses et de dynamisme, avec la légitime aspiration des
citoyens et des territoires à une plus grande égalité des chances. Madame le
ministre, vous citiez tout à l'heure les différences de potentiel fiscal et
certains écarts qui s'accroissent : 1 à 20 entre les communes, 1 à 6 entre les
départements et 1 à 2,5 entre les régions.
La diversité des attentes des territoires est patente. D'ailleurs, pourrait-il
en être autrement dans un pays dont la densité de population varie de 5 à 500,
dont l'altitude va de 0 mètre à 4 807 mètres, dont le climat va du climat
atlantique au climat continental ?
Oui, cette diversité s'exprime aussi bien dans l'opinion publique qu'au
Parlement.
Dans l'opinion publique, les attentes des citoyens s'expriment vis-à-vis de
l'Etat, garant de la solidarité entre les territoires. Pour s'en convaincre, il
n'est que de voir les réactions au quotidien de nos concitoyens lorsque l'Etat
s'avère incapable de garantir la sûreté des biens et des personnes pour cause
de violences urbaines, voire la sécurité sur les routes nationales en raison de
chutes de rochers.
Au Parlement, les débats sur l'aménagement du territoire doivent traduire les
attentes de la population. Les travaux du Sénat ont d'ailleurs été l'une des
caisses de résonance de ces préoccupations. Je citerai quelques dates clés :
1991, la loi d'orientation pour la ville ; 1992, le rapport de la mission sur
l'espace rural, présidée déjà par M. Jean François-Poncet ; 1994, la mission
sur l'aménagement du territoire « Refaire la France » ; enfin, 1996, ici même,
le pacte de relance pour la ville. Tout cela, c'est aussi notre banque de
données, à partir de laquelle nous avons travaillé au cours de ce mois.
Dans ce débat, le Sénat, auquel l'article 24 de la Constitution a confié le
rôle de représenter les collectivités territoriales - monsieur le président du
Sénat, vous y faites ô combien ! référence - a pris et doit prendre une part
essentielle.
Je souhaite, ici, réaffirmer solennellement que c'est au Parlement que doit se
dérouler le débat sur l'aménagement du territoire. Votre commission spéciale,
mes chers collègues, vous proposera de réaffirmer son rôle et d'en tirer les
conséquences dans d'importants amendements.
Comment ne pas être choqué en voyant, dans un journal paraissant cet
après-midi même, la carte sur les zones éligibles à la prime d'aménagement du
territoire qu'on nous a refusée la semaine dernière et que l'on a montrée en
secret au Conseil national d'aménagement et de développement du territoire la
semaine dernière ?
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Philippe Richert.
Eh oui !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
N'est-ce pas mépriser la commission spéciale, n'est-ce pas
mépriser le Parlement que d'avoir à ouvrir un journal paraissant l'après-midi
pour recevoir enfin ce que nous demandions, ce qui me paraît, monsieur le
président du Sénat, un droit essentiel du Parlement : être informé par
l'exécutif quand celui-ci prépare un texte aussi important ?
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certains travées du
RDSE.)
Oui, le débat sur l'aménagement du territoire est, mes chers collègues,
une expression du débat français autour de l'égalité.
L'égalité est un objectif à atteindre bien plus qu'un acquis. C'est notre
débat national permanent, qui parfois nous oppose.
Cette aspiration à l'égalité est exprimée par nos concitoyens.
Elle se reflète dans l'aspiration des Français à bénéficier de services
publics dans des conditions égales sur tout le territoire. Les services publics
constituent, en effet, un des volets de la réponse de l'Etat républicain aux
aspirations égalitaires de nos concitoyens. Les services publics sont au coeur
de l'économie et des valeurs humanistes d'un dispositif qui assure une
cohérence territoriale reflétant l'unité du territoire et, au-delà, une
solidarité sociale sur laquelle se fonde la permanence de l'idée nationale.
Cette ambition se traduit tout particulièrement au niveau des moyens de
communication. Je ferai un peu d'histoire. La « postalisation » du territoire,
dans la première moitié du xixe siècle, en unifiant le tarif du timbre poste
avait pour objet de faciliter les échanges mais aussi de supprimer les
discriminations entre Français. Les chemins de fer qui ont facilité les
déplacements, les autoroutes qui ont amélioré le maillage en réseaux de
transports, la péréquation géographique des tarifs de télécommunications
participent de la même ambition et de la même nécessité.
Les décisions de maintien des services publics en zone rurale ou les
initiatives en faveur des services publics dans les quartiers en difficulté
traduisent la même quête de l'égalité. L'accès de tous aux services collectifs
doit demeurer une priorité, même si les conditions de cet accès doivent être
définies en fonction des réalités technologiques nouvelles. Telle est la
conviction de la commission spéciale.
Le Sénat a toujours eu une vision dynamique de la recherche de l'égalité.
C'est au Sénat, madame le ministre, qu'a été créé le concept, validé par le
Conseil constitutionnel, d'une « discrimination territoriale positive », en
refusant la fatalité de l'inégalité et en insistant, en la fondant sur la
péréquation, notamment financière. Il s'est aussi toujours refusé à opposer
ville et campagne, commune et agglomération, région et département, Europe et
nation. Il s'est toujours refusé à accepter la métropolisation qui serait
inéluctable et la désertification qui serait fatalité.
Il a, au contraire, constamment cherché à organiser leur complémentarité et
leur synergie.
Toutefois, cette aspiration à l'égalité n'est pas uniquement citoyenne : elle
s'exprime également parmi les collectivités territoriales.
Les rédacteurs des lois de décentralisation ont voulu que les collectivités
territoriales soient réellement indépendantes et que l'une d'entre elle ne
puisse exercer de tutelle sur une autre. Nous sommes d'ailleurs attachés à ce
principe qui trouve une nouvelle expression dans la notion de « collectivité
chef de file ».
Au Sénat plus qu'ailleurs, les revendications des collectivités pour davantage
d'égalité se sont fait sentir.
L'objectif de péréquation et de réduction des écarts de ressources manifeste
cette nécessité d'un équilibre entre les communes, les départements et les
régions, et c'est un Francilien qui vous parle.
Cette aspiration à l'égalité s'affirme enfin au niveau des territoires
eux-mêmes.
La diversité de la France justifie que l'on cherche à organiser un équilibre
dynamique entre les espaces eux-mêmes.
Cette recherche doit prioritairement viser à unir les territoires urbains et
les territoires ruraux, les territoires de montagne et les territoires
littoraux, la France métropolitaine et la France d'outre-mer, mais aussi les
régions en reconversion industrielles et les régions plus prospères.
La volonté de ces territoires de trouver de nouvelles formes d'organisation,
qui correspondent d'abord à des territoires de projet, se traduit aussi
aujourd'hui par la constitution des « agglomérations » et des « pays »,
lesquels permettent de créer de nouvelles formes de solidarité et de
complémentarité. Elle s'exprime par le tryptique « schémas, contrat, projet »,
cher au président Jean-Pierre Raffarin.
Vous avez souhaité, madame le ministre, prendre la mesure des attentes de la
population. Mais, pardonnez-moi de le dire, qui mieux que le Parlement est
fondé à exprimer ces besoins, sur lesquels je souhaite insister à présent ?
M. Jacques Oudin.
Très bien !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
La protection et le développement du territoire doivent
répondre aux attentes des citoyens, relayées par leurs élus, car la protection
et le développement du territoire peuvent aller de pair.
Oui, le territoire est le bien commun de la nation.
Le territoire est « le patrimoine commun de la nation » dont les collectivités
publiques sont, je le rappelle, « les gestionnaires et les garantes ». Cette
formule est déjà, en elle-même, une invitation à la « durabilité », puisqu'elle
mentionne la nation qui, élément intemporel, réunit les citoyens passés,
présents et futurs dans une communauté de destin.
C'est pourquoi la commission spéciale proposera d'inscrire dans la loi une
définition de la durabilité qui met en valeur l'équilibre dynamique entre la
préservation des ressources que nous avons reçues et que nous devrons
transmettre et la satisfaction des besoins actuels des citoyens.
De même, la commission spéciale a voulu compléter la notion de « schéma de
services » - M. le président Jean François-Poncet a évoqué ce point - par celle
« d'équipements » dont les besoins se font toujours sentir, notamment dans le
domaine des infrastructures, pour permettre à la fois le désenclavement de
territoires en difficulté et notre nécessaire cohésion avec l'Union européenne,
élément également essentiel de notre débat.
Madame le ministre, si l'on connaît des territoires - vous en avez cité, mais
il en est d'autres - traversés par des infrastructures qui ont peu ou n'ont pas
de développement économique, on n'en connaît pas vraiment qui ont une réelle
vitalité et qui restent enclavés !
La protection du territoire est, finalement, indissociable de sa mise en
valeur et de son développement. D'aucuns seraient-ils tentés d'opposer la
protection du territoire à sa mise en valeur et au développement ? Je suis
heureux de vous avoir entendue nous dire tout à l'heure qu'aucun territoire
n'était condamné à mort.
M. Paul Masson.
Bonne nouvelle !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Céder à la tentation serait commettre une erreur de méthode :
la protection et le développement vont de pair car, sans richesse, le
territoire périclite et, sans territoire, la richesse n'existe pas. Le
développement rural, comme la protection de l'environnement ont, d'ailleurs,
trop souvent pâti de la dissociation de ces deux exigences.
C'est pourquoi la commission spéciale a eu à coeur d'associer le développement
économique et la protection de l'environnement afin de favoriser l'activité
humaine dans les territoires ruraux et les espaces naturels.
Elle considère les territoires ruraux et les espaces naturels comme les deux
faces de la même médaille. L'un et l'autre sont à la fois distincts et
complémentaires.
Distincts, car les territoires ruraux sont des lieux de production et ont
vocation à un développement. Ils sont la source de richesse et d'activités. Une
des raisons d'être de la politique d'aménagement du territoire est, à cet
égard, précisément, d'éviter que la désertification de certaines campagnes ne
les conduise à redevenir des espaces dits naturels, non par ambition, mais par
abandon !
Complémentaires, car les espaces naturels sont l'un des atouts de l'espace
rural.
La commission spéciale estime, en effet, que la protection de l'environnement
peut être un facteur de développement même pour les territoires ruraux. Il est
d'ailleurs révélateur que, selon une étude de la Caisse des dépôts et
consignations, les parcs naturels régionaux aient été, dans les région rurales
où ils existent, à la source d'un certain nombre de créations d'emplois.
Oui, toutes les parties du territoire sont également dignes d'être protégées,
embellies mais aussi requalifées lorsque la négligence des hommes ou les
nécessités économiques d'une époque - je pense aux charbonnages - les ont
endommagées. Les zones urbaines, périurbaines ou rurales méritent une même
attention. Gardons-nous de ne penser qu'aux zones « naturelles » et
reconstruisons l'équilibre des zones « dénaturées » par les hommes
eux-mêmes.
De ce point de vue, il y avait un oubli dans le projet de loi initial que le
Sénat a souhaité réparer en créant un dispositif spécifique pour protéger les
espaces soumis à une forte pression foncière, notamment à proximité des villes,
et souvent abandonnés au laid et au précaire : combien d'entrées de villes -
notre collègue Ambroise Dupont nous l'a montré - ont-elles ainsi été sacrifiées
?
Enfin, je dirai un mot sur les attentes de nos citoyens, qui me paraissent à
la fois nombreuses et parfois contradictoires.
La politique d'aménagement du territoire repose avant tout sur une certaine
vision de l'homme, cher Charles Revet, comme fin ultime de toutes les
politiques publiques. C'est d'ailleurs l'objet de notre premier amendement que
de le situer au coeur du territoire.
A côté d'aspirations générales et légitimes à la protection ou au respect de
l'environnement, les Français manifestent le désir de trouver, où qu'ils soient
sur le territoire, un emploi, un logement, des réseaux de communication
routière, ferrée, téléphonique, un approvisionnement en eau et en énergie. En
bref, la possibilité de se déplacer comme ils le souhaitent, d'exercer leur
liberté de mouvement et de vivre à leur guise fait partie de la conception
qu'ils ont de leur liberté individuelle.
Nos concitoyens sont-ils assez sensibles aux sacrifices que la satisfaction de
ces besoins implique ? Le rôle de leurs représentants est de leur faire
comprendre la nécessité de réaliser des arbitrages, dans le cadre du principe
de « réalité ». Il revient au Parlement, dans son dialogue avec le
Gouvernement, d'opérer ces arbitrages. En effet, la « durabilité » n'est pas la
consécration de l'immobilisme ou l'institutionnalisation d'une certaine forme
de malthusianisme.
Dans une société aujourd'hui majoritairement urbaine, il faut montrer aux
Français que l'espace rural est non pas seulement un « paysage » en un lieu que
les urbains s'approprieraient pour se « recréer », mais aussi un lieu de vie et
de production. La forêt elle-même a été modelée et souvent sauvée par l'homme
alors que, « pour trop d'observateurs rétrospectifs, elle semble un don
spontané de la nature... »
M. Jean-Louis Carrère.
Songeons aux Landes !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
« ... ce qui n'est vrai qu'à moitié. La relative fixité des
lisières forestières de Louis XIV à nos jours risque d'être trompeuse ; rien
n'est immobile dans la longue durée ».
Je terminerai cette intervention en évoquant les élus locaux, qui, à mes yeux,
sont les médiateurs naturels de cette politique d'aménagement du territoire.
Dans un monde dont toutes les parties sont en concurrence, le territoire ne
saurait vivre si les hommes et les femmes qui y sont installés ne cherchent pas
à le développer. Dans ce combat permanent, les entreprises, l'Etat, ont un rôle
majeur à jouer.
Cependant, tout autant décisive pour l'avenir d'un territoire, d'un village ou
d'une ville m'apparaît l'action de ce demi-million de cadres-citoyens que sont
les élus locaux. S'ils ne se lèvent pas, les entreprises et les administrations
risquent fort de rester indifférentes aux réalités concrètes observées sur le
terrain. Les élus locaux sont les véritables entrepreneurs du territoire. C'est
pourquoi les périmètres géographiques dans lesquels les élus interviennent
doivent être adaptés aux exigences d'aujourd'hui et de demain. Faute de cela,
ces périmètres sans substance deviendraient une source de faiblesse. Je tiens,
sur ce sujet, à souligner une fois de plus l'apport de nos collègues Charles
Revet et Claude Belot, qui se sont montrés très attentifs à ces principes de
réalité et à cette question centrale, au cours de nos travaux.
Dans un monde où tout bouge, la compétition entre les Etats se jouera sur ce
qui bouge le moins : le territoire et les systèmes de solidarité collective
dont dépend la qualité du tissu social. Là sera aussi la force des nations du
xxie siècle.
C'est pour cette raison, mes chers collègues, que la politique d'aménagement
du territoire constitue - il faut toujours garder cette vérité présente à
l'esprit - l'un des facteurs déterminants de la compétitivité économique du
pays et le gage de son rayonnement. Le territoire est l'un des « avantages
comparatifs » de la France en Europe.
Alors que se constitue, peu à peu, un marché unique européen, cette politique
d'aménagement et de développement durable du territoire doit permettre de mieux
insérer notre économie dans les grands courants d'échanges transcontinentaux.
Elle doit faciliter les liaisons aussi bien avec le pôle méditerranéen, qui est
notre chance - nous oublions trop souvent notre lien avec le Sud - qu'avec
l'Europe lotharingienne de Francfort, Bâle et Milan ou qu'avec Saragosse et
Turin.
Le Gouvernement doit placer l'aménagement du territoire au coeur des
politiques publiques et poursuivre l'effort de désenclavement et d'équipement
du territoire français ainsi que celui qui est engagé en faveur des villes. Il
doit également veiller à préserver, dans ce domaine, le rôle du Parlement,
enceinte où doivent se décider, en concertation avec le Gouvernement, les
grands choix qui engageront la France pour les vingt ans à venir.
Que l'on prenne surtout garde à ne pas négliger d'associer à cette politique
tous les élus qui sont également les représentants de la démocratie. Il nous
revient de représenter de façon équitable chacune des sensibilités qu'ils
expriment. Tel est le fondement même de notre légitimité.
Qui pourrait croire en la France et à sa place en Europe sans avoir foi dans
sa diversité ? Qui pourrait croire au regain du territoire sans s'appuyer sur
le Sénat, qui en est l'expression naturelle ?
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
J'en terminerai, monsieur le président, en empruntant à
Fernand Braudel cette citation : « La France aura vécu sans fin, elle vit
encore entre le pluriel et le singulier : son pluriel, sa diversité vivace
comme le chiendent ; son singulier, sa tendance à l'unité, à la fois
spontanéité et volonté réfléchie. » Puissent la spontanéité et notre volonté
réfléchie contribuer à l'aménagement du territoire !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Belot, rapporteur.
M. Claude Belot,
rapporteur de la commission spéciale.
Quel bonheur de rajeunir de
quelques années
(sourires),
de se rappeler l'adoption à l'unanimité du texte ayant donné
naissance à la loi du 4 février 1995, après des jours et des nuits de
discussion, et de se retrouver, ardents, pleins d'espoir, madame le ministre,
en la cause que vous êtes aujourd'hui chargée de défendre ! Comme vous l'avez
compris en entendant les propos de Jean François-Poncet et de Gérard Larcher,
le Sénat n'entend en effet pas combattre vos intentions.
Vous avez sans doute bien fait de mettre au goût du jour un certain nombre de
concepts qui, lors des discussions ayant abouti au vote de la loi de 1995,
n'étaient pas encore adaptés. Nous avions alors fait émerger les pays, nous
raisonnions encore en termes d'infrastructures et non de schémas de services
collectifs, même si cette notion est sans doute un plus.
Dans cette réflexion et dans ce combat pour la France, j'avais la
responsabilité des affaires financières, dont je me permettrai de rappeler
l'enjeu.
Madame le ministre, vous nous avez dit tout à l'heure - c'est du moins ce que
j'ai cru comprendre - que la cause que vous défendiez était importante, mais
non fondamentale. Soyez assurée qu'elle est vraiment fondamentale.
En termes financiers, il nous faut avoir conscience du fait que notre pays est
l'un des rares à connaître une juxtaposition du vide et du trop-plein.
La France du vide coûte cher dans un pays fort heureusement attaché à la
notion du service public, à l'égalité des prix ; le Gouvernement et l'Etat ont
le devoir de faire fonctionner cette France du vide, même si les voitures
circulant sur les routes et les plis à distribuer sont peu nombreux. Certes,
les élus locaux se lamentent parfois sur la fermeture de telle ou telle école.
Mais, dans l'ensemble, cette France du vide fonctionne.
La France du trop-plein, celle des banlieues, coûte aussi très cher, car l'on
n'arrive pas à régler tous les problèmes sociaux que vous avez fort justement
évoqués, madame le ministre.
Le déséquilibre du territoire - j'en ai la conviction absolue et nous devons
tous en avoir conscience - explique à lui seul plusieurs points de prélèvements
obligatoires ; cela doit être évidemment corrigé. Un pays moderne a donc besoin
de mécanismes de correction. Rééquilibrer le territoire signifie non pas
uniquement mettre davantage de vie en Lozère et un peu moins dans Paris
intra-muros, mais aussi régler le problème des banlieues, qui, parisien à
l'origine, touche maintenant toutes les métropoles dès lors qu'elles atteignent
une certaine dimension.
Voilà l'enjeu ! Il n'est pas mince, d'autant plus que prospèrent sur ce
terreau certains ferments qui pourraient mettre en péril la démocratie. Il ne
faut donc pas plaisanter avec ce sujet. Vous défendez, madame le ministre, une
grande cause à laquelle il vous faut croire !
Pour ce qui est des affaires strictement financières, je rappellerai
simplement les propositions formulées par la commission voilà environ cinq
ans.
Elle avait affirmé, sur l'initiative de M. François-Poncet, un principe
fondateur, qui n'est pas dans les usages français, mais auquel elle avait
essayé de trouver une première application pour les régions : la péréquation.
Compte tenu du faible nombre des régions et du fait que la correction n'était
pas très importante, comme vous l'avez très justement rappelé, c'était ce qu'il
y avait de plus simple à faire. D'ailleurs, depuis, le dispositif ainsi
expérimenté fonctionne bien.
Le principe de la péréquation était le suivant : au terme de vingt ans - voyez
à quel point nous avions été prudents - il ne devait pas y avoir dans les
ressources des collectivités publiques de rapport supérieur à plus ou moins 20
%, ce qui signifie que tout le monde, au terme de ce délai, devait s'inscrire
dans le même ordre de grandeur, au même niveau.
Ce rapport est de 1 à 20 pour les communes, hélas ! ; il est de 2,5 pour les
régions ; pour les départements, c'est à peu près la même chose.
Je me permettrai de dire que vous avez semblé sous-estimer le problème des
régions, madame le ministre. En effet, celles qui sont à 2,5 au-dessus des
autres sont aussi celles qui ne paient pas leurs universités, leur TGV, leurs
routes. C'est encore un facteur aggravant, car les autres, quant à elles,
devront bien y passer ! Mais peu importe.
Depuis l'acte fondateur de la loi de 1995, personne n'a fait quoi que ce soit
en termes de péréquation. Ce matin, Jean-Pierre Chevènement, auditionné par la
commission des finances du Sénat, a expliqué qu'il y avait la dotation de
solidarité urbaine, la DSU, et la dotation de solidarité rurale, la DSR. C'est
un geste de bonne volonté, mais - il faut bien avoir le courage de le
reconnaître - ce n'est pas grand-chose !
Par conséquent, la péréquation est une intention. Vous nous répéterez sans
doute au cours du débat - vous l'avez déjà dit dans votre discours liminaire -
que vous êtes favorable à ce principe. Mais ce qu'il faut, madame le ministre,
c'est passer aux actes et mettre en place la péréquation.
Certes, nous avons conscience de l'ampleur de la tâche et de la difficulté de
votre combat à l'intérieur de certaines citadelles.
(Mme le ministre sourit.)
Tout cela est vrai. Nous avions rencontré les
responsables dans ces domaines lors de la préparation de la loi de 1995, et
avions constaté la difficulté à les amener à changer de logiciel de
fonctionnement.
Mais nous avons également observé les effets du mécanisme péréquateur mis en
place en Allemagne après l'unification de cette dernière : les régions
allemandes riches, notamment la Bavière et la Rhénanie, ont financé un fonds de
péréquation, ce qui a permis aux
Länder
de l'Est de bénéficier d'un
effort d'équipement considérable ; et, même si le processus n'est pas terminé,
cette mécanique en route aboutira, dans dix ans, à la disparition, en
Allemagne, de différences de revenus entre les principaux territoires, alors
que, à l'origine, les écarts de richesses étaient colossaux.
Madame le ministre, si la France, sous votre autorité, adoptait la même
attitude, nous ferions alors oeuvre utile, en changeant beaucoup de choses, non
seulement dans les territoires, sans doute, mais aussi dans la société
française, ce qui est notre objectif à tous.
Enfin, nous ne vous proposerons pas la création de nouveaux fonds, mais nous
vous demanderons seulement de faire fonctionner ceux qui existent.
Il faut souligner d'emblée que l'ensemble de ces fonds représentent
approximativement 1/2000e du PNB français. C'est certes mieux que rien, mais on
admettra que, pour un effort de développement et de rééquilibrage du territoire
- et de la société, vous avez eu raison d'introduire cette dimension - 1/2000e,
ce n'est pas grand-chose, et que d'autres choix seraient sans doute
possibles.
Le principal d'entre eux, qui représente l'essentiel - pratiquement 80 % des
crédits d'aménagement du territoire, soit approximativement 4 milliards de
francs - c'est le fonds d'intervention pour les transports terrestres et les
voies navigables. Toutefois, je vous mets en garde, madame le ministre, contre
une ambiguïté. Selon le directeur des routes, en effet, Bruxelles exige que
chaque autoroute ait sa propre rentabilité. Dans le cas inverse, il doit y
avoir ou subvention ou interdiction. Si vous suivez cette logique, madame le
ministre, vous ne pourrez donc plus prendre l'argent dans la caisse des
sociétés autoroutières sur les tronçons rentables pour le transposer sur le TGV
ou sur les voies navigables, alors que le TGV Est, notamment, est déjà assis,
précisément, sur une participation de ce fonds.
Donc, optons pour un discours clair : ou l'Europe dit blanc et il faut faire
blanc dans la loi, ou l'Europe dit noir et il faut faire noir, mais il ne faut
surtout pas utiliser le discours à sa guise, uniquement de la façon dont cela
vous arrange.
Ce que je vous dis là est très important car, si votre interprétation de la
pensée européenne est la bonne, le risque que je décris est plus que
sérieux.
Pour le reste, le Fonds national d'aménagement et de développement du
territoire, le FNADT, fonctionne avec une dotation d'un peu plus de 1 milliard
de francs en investissements. S'il avait davantage, ce serait parfait, mais il
fonctionne, il fait partie de ces dispositifs qui ont connu un début
d'application, même si le fonds des transports terrestres et des voies
navigables - j'y reviens - est utilisé pour des liaisons qui ne nous
paraissaient pas prioritaires et s'il s'est pratiquement dilué dans le budget
du ministère de l'équipement et des transports.
Pour ce qui est des autres fonds, force est de constater qu'ils ne
fonctionnent pas.
Le fonds de gestion de l'espace rural, le FGER, auquel sont consacrés des
chapitres très importants du projet de loi, n'est pas du tout alimenté cette
année. Et, les années précédentes, il n'a pas fonctionné, tout simplement parce
qu'il y a eu une dérive : ce fonds a été affecté - ce qui n'était pas du tout
dans l'esprit ni dans la lettre de son texte créateur - à des opérations menées
par les chambres d'agriculture, alors qu'il était théoriquement ouvert aux
collectivités locales. Dans ces conditions, comme les crédits n'étaient pas
consommés en fin d'année, on a supprimé ceux de l'année suivante et on en est
arrivé aujourd'hui à un fonctionnement nul.
Pour ce qui est du fonds de péréquation des transports aériens, le FPTA, le
système n'a pas fonctionné, alors qu'il était simple à mettre en oeuvre. Mais,
à partir du moment où l'on a voulu faire venir à Orly des lignes à faible
trafic - c'était structurel - dans une période où le créneau à Orly était un
bien rare, il a fallu faire des appels d'offres européens. La conséquence a été
immédiate : pas d'appel d'offres européen, pas d'éligibilité au fonds de
péréquation des transports aériens, ce qui signifie que l'on n'a pas changé
grand-chose. Ce système n'a pas fonctionné tout simplement parce que le pouvoir
réglementaire a formulé des demandes lourdes de conséquences, trop lourdes pour
que l'on se permette de renoncer à des lignes. Le choix s'est alors porté vers
le maintien des lignes vers La Rochelle, Chambéry ou d'autres lieux. On a
préféré préserver des lignes chères plutôt que de renoncer au transport
aérien.
Vous me permettrez d'ajouter que, dans la loi de finances pour 1999, on est
allé beaucoup plus loin, allant ainsi à l'encontre de l'esprit de la loi et du
souhait qui, je crois, vous anime : les passagers qui embarquaient dans les
petits aéroports ont été pénalisés, alors que ceux qui embarquaient dans les
grands aéroports ont été favorisés.
Il faut le savoir aussi, le Fonds national des entreprises n'a jamais été doté
à hauteur des problèmes qu'il avait à résoudre, et il n'a jamais eu aucune
efficacité : 200 millions de francs de dotation en cinq ans, c'est-à-dire rien.
Et, cette année, rien non plus.
Voilà. On pourrait écheniller tout le dispositif, mettre en exergue les
inquiétudes et les éléments décourageants, nous ne trouverions en tout cas
aucune trace de cette ardeur qui nous animait il y a cinq ans : cette ardeur,
nous ne l'avons pas trouvée dans l'administration française - ni la vôtre,
madame le ministre, ni la précédente, je le dis très honnêtement - pour
appliquer l'esprit des textes.
Je le répète, nous ne toucherons pas aux fonds, nous vous demanderons
seulement de les faire fonctionner, d'introduire quelques dispositions pour les
territoires fragiles. Dans certains cas, des législations exceptionnelles sont
en effet nécessaires, ne serait-ce que pour pouvoir bénéficier des mêmes
possibilités qu'ailleurs. Tel sera l'esprit des amendements qu'a déposés
Jean-Pierre Raffarin sur le capital-risque dans des zones fragiles, sur la
possibilité de mobilisation de l'épargne locale : tout cela nous semble bel et
bon et nous paraît utile.
Vous avez, par ailleurs, beaucoup évoqué la notion de pays, madame le
ministre, et vous avez eu raison.
Comme quelques autres ici, notamment le président François-Poncet, je suis
fondateur d'un pays. C'était en 1975 ! Au fil des années, nous avons amélioré
le système et, aujourd'hui, le département dont je préside le conseil général
est totalement couvert en pays. Cela fonctionne bien et nous essayons de mettre
en oeuvre des projets. C'est pourquoi, lorsque vous nous demandez de faire du
pays un territoire de projets, je pense qu'il s'agit d'une bonne idée et que
celle-ci est applicable. Et, à nos collègues qui pourraient être réticents, je
dis qu'ils ont bien tort.
Encore faut-il que la loi et les règlements ne contiennent pas de dispositions
qui empêchent l'optimisation de l'outil qui devra automatiquement supporter un
pays, qu'il s'agisse d'un syndicat mixte, d'une communauté de communes ou d'une
autre structure. Quoi qu'il en soit, dans cette France si diverse, avec
certains départements comptant 60 000 habitants quand d'autres en dénombrent
plusieurs millions, il est évident qu'on ne peut pas appliquer la même norme
partout. Ainsi, dire qu'un pays doit compter au maximum 60 000 habitants -
c'est ce que prévoit le texte pour le versement de la dotation de développement
rural - cela a du sens dans certaines zones, mais strictement aucun dans
d'autres. Cela oblige, au demeurant, les acteurs à des contorsions, à des «
saucissonnages » et à des pertes de temps et d'argent, ce qui n'est pas
l'objectif visé ici.
Madame le ministre, l'ardeur et l'espoir nous animent toujours autant. Ce que
nous attendons de vous, c'est que vous fassiez vivre cette politique
d'aménagement du territoire. Permettez-moi de vous dire en conclusion que c'est
possible, et que cela dépend en grande partie de vous.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Revet, rapporteur.
M. Charles Revet,
rapporteur de la commission spéciale.
Madame le ministre, vous soumettez
aujourd'hui à l'examen du Parlement - aujourd'hui du Sénat - un projet de loi
intitulé : « Projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement
durable du territoire ». Vous nous indiquez que cette démarche s'inscrit dans
une perspective à vingt ans, soit l'équivalent d'une génération. C'est dire,
s'il en était besoin, l'importance des décisions que nous allons prendre.
Un tel enjeu eût mérité plus de temps aux yeux de votre commission spéciale et
de vos rapporteurs : je pense spécialement à mes collègues Gérard Larcher, qui
a été le principal acteur de nos travaux, et Claude Belot, tout autant qu'aux
services de la commission, qui nous ont apporté un précieux concours.
Je tiens à dire ma satisfaction d'avoir participé aux travaux de cette
commission spéciale, monsieur le président François-Poncet, et à souligner le
travail constructif qui a été réalisé. J'en remercie particulièrement, encore
une fois, M. Gérard Larcher.
Nous discuterons, au fur et à mesure de l'examen des articles, des schémas que
vous nous proposez, madame le ministre, notamment pour la préparation des
futurs contrats de plan. Je pense, bien sûr, aux agglomérations et aux pays,
qui constituent pour vous aussi, je l'ai bien noté, des espaces de réflexion et
de projets. Cela sous-tend que les pays n'ont pas
a priori
vocation à
s'organiser pour assumer des maîtrises d'ouvrage ni à devenir un échelon
territorial supplémentaire.
S'agissant du projet de loi que vous nous soumettez, la première question que
l'on doit se poser, me semble-t-il, est la suivante : pour quoi et pour qui
aménager le territoire ?
Pour ma part, je préférerais inverser ces termes. En effet, si le « pour quoi
» est le constat qui justifie la démarche que l'on engage et le cahier des
charges à prendre en compte, le « pour qui » est la finalité que l'on donne à
l'action.
Le constat, il s'impose à nous : 80 % de la population vivent sur 20 % du
territoire. Dans le même temps, des pans entiers du territoire se
désertifient.
Mais le constat, c'est surtout une urbanisation où l'on a trop souvent oublié
ce qui aurait pourtant dû être la priorité : la place de l'homme. A cet égard,
je suis un peu surpris, je vous ne le cache pas, de constater que, dans votre
exposé des motifs, vous faites bien peu référence à cette finalité qu'est
l'homme. Mais vous venez, il est vrai, de l'évoquer voilà quelques instants
dans votre intervention.
Oui, madame le ministre, il faut réaménager le territoire, car le fait que 80
% de la population vivent sur 20 % du territoire, ce n'est pas une fatalité.
Que bientôt 10 % de la population soient au-dessous du niveau de pauvreté, ce
n'est pas une fatalité. La délinquance, la violence qui sont les conséquences
tout à la fois du chômage et de la « guettoïsation », ce n'est pas une
fatalité.
Bien sûr, dans la démarche que nous engageons, il faut prendre en compte ce
que j'appelle le cahier des charges, dans lequel nous devons inscrire la
mondialisation de l'économie et la construction de l'Europe. A cet égard,
madame le ministre, nous vous proposerons d'élargir les possibilités de
coopération transfrontalière.
Nous devons aussi prendre en compte la préservation de la faune et de la flore
et, dans cet esprit, les espaces naturels qui la conditionnent. Trouver un bon
équilibre entre le milieu urbain, le territoire rural et les espaces naturels,
tel est l'objectif que nous devons nous fixer.
Il me paraît important de réaffirmer qu'il n'y a pas incompatibilité entre la
présence de l'humain et la préservation de la nature. L'orientation que
voudraient certains consistant à agglomérer les hommes sur un espace réduit en
leur permettant d'aller s'oxygéner le temps des vacances ou le week-end n'est
pas la perspective que bon nombre d'entre nous envisagent.
A un moment où, tous, nous recherchons des axes de développement générateurs
d'emploi, une démarche volontariste de reconquête du territoire peut constituer
un enjeu tout à la fois économique, social et environnemental. Pour cela, il
faut de la volonté, et certainement du courage.
Une politique, cela se conduit ou se subit. La subir nous a menés à la
situation que nous connaissons ; la conduire, c'est offrir des perspectives
nouvelles à celles et à ceux qui nous en ont confié la mission.
Il y a, de la part de nos concitoyens, une aspiration forte à vivre autrement.
Je suis, madame le ministre, président de l'office public d'aménagement et de
construction de mon département qui gère 27 000 logements. Le constat est
simple : alors que j'ai des listes d'attente que je ne sais résorber dans les
villes moyennes, dans les bourgs ou dans les communes rurales, il existe, dans
certaines banlieues, des immeubles où l'on constate un taux de vacance
supérieur à 30 %.
Il faut que nous nous donnions les moyens de répondre aux attentes, en
restructurant en profondeur certains quartiers. Il faut, en quelque sorte,
recréer le village à la ville, ce qui implique de fortes restructurations. Dans
cet esprit, nous proposons d'ouvrir la possibilité de mettre en place, chaque
fois que nécessaire, des établissements publics fonciers nationaux, opérateurs
fonciers pour le compte des collectivités locales.
Dans le même temps, il faut que nous réfléchissions à la mise en place
d'outils plus adaptés en matière d'urbanisme. La commission créée à cet effet
par M. le président François-Poncet, et que préside notre collègue Pierre
Hérisson, fera, le moment venu, des propositions allant, je l'espère, dans le
sens d'une simplification.
Combien de fois les maires de nos communes sont-ils, pour quelques
constructions chaque année, confrontés à des blocages et à des interdictions
sur le bien-fondé desquels on est en droit de s'interroger ?
Engager une politique forte en matière de réhabilitation, de construction ou
de reconstruction de logements aura, bien sûr, une répercussion en matière
d'emploi.
Il faut aussi, dans cette démarche, prendre en compte l'aspiration de bon
nombre de nos concitoyens à accéder à la propriété.
Une politique de reconquête du territoire implique le maintien ou la
réimplantation des services de proximité publics ou privés, voire des deux
conjugués, mais aussi la revitalisation, chaque fois que possible, du transport
collectif. Combien de villes qui disposaient de lignes de tramway ou de
trolleybus les ont vu disparaître pour les recréer aujourd'hui sous une forme
plus moderne ! Un système similaire peut être imaginé en d'autres lieux du
territoire en s'appuyant sur des axes existants abandonnés, mais qui peuvent à
moindre coût être réactivés. Il est important de disposer de TGV et
d'autoroutes pour des déplacements rapides, mais les lignes secondaires, sous
des formes d'utilisation modernisées, de type navette, peuvent permettre un bon
maillage du territoire.
Enjeu économique, mais aussi enjeu social : il est évident qu'en créant un
cadre de vie différent on contribue à résoudre nombre de problèmes sociaux.
Reste l'environnement, dont nous savons qu'il vous est cher, madame le
ministre. Nous en sommes, croyez-le bien, tout autant préoccupés que vous.
La France est le pays du monde qui accueille le plus grand nombre de
touristes. Qu'est-ce qui attire autant les étrangers, sinon la richesse de ses
paysages, ses monuments, ses villes et ses villages où l'on retrouve tant de
diversité ? C'est l'oeuvre des hommes. Ce que nos aînés ont fait hier, nos
concitoyens sont capables de le préserver et de l'enrichir.
Madame le ministre, ce projet d'aménagement et de développement durable du
territoire que vous nous proposez, il nous faut, bien sûr, l'inscrire dans le
phénomène de mondialisation de l'économie, et il faut le faire en cohérence
avec la politique de construction de l'Europe.
Il nous faut concevoir des agglomérations structurées, prendre en compte les
territoires ruraux - l'agriculture, qui y est un acteur essentiel, mais aussi
tout ce qui fait le milieu rural - préserver les espaces naturels
indispensables pour un bon équilibre ; mais n'oublions pas, n'oublions jamais,
qu'aménager le territoire, c'est créer un cadre qui permet l'épanouissement de
l'homme.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jacques Valade remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 74 minutes ;
Groupe socialiste, 62 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 48 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 46 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 29 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en examinant
aujourd'hui le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement durable du territoire, puis, ultérieurement, le projet de loi sur
l'organisation urbaine et la simplification de la coopération intercommunale
et, enfin, celui sur l'intervention économique des collectivités locales, nous
ouvrons le champ d'une profonde recomposition, pour les vingt prochaines
années, de notre paysage institutionnel territorial.
Votre projet de loi, madame la ministre, s'il se limite à une révision
partielle de la loi du 4 février 1995, révèle néanmoins une nouvelle conception
de la politique d'aménagement du territoire : moins centralisée, moins
dirigiste et plus soucieuse d'intégrer les variables sociales et
environnementales dans le développement économique de l'ensemble du territoire
national.
A cet égard, notre groupe ne peut qu'approuver la volonté du Gouvernement de
remettre sur le métier, sans plus attendre, une loi comprenant de nombreuses
lacunes et incapable de répondre en des termes nouveaux aux exigences et aux
besoins des populations.
Il est vrai que cette loi n'avait été que très partiellement appliquée,
notamment le schéma national d'aménagement et de développement du territoire,
resté lettre morte, alors qu'il était présenté comme le dispositif central de
la réforme.
Dès lors, mes chers collègues, peut-on reprocher à ce même gouvernement de ne
pas avoir mis en oeuvre ce texte, combattu en son temps par la gauche, alors
que le gouvernement de M. Juppé n'a pas su, ou pas voulu, le faire ?
Mme Hélène Luc.
Eh oui !
M. Gérard Le Cam.
Le principal reproche que notre groupe formulait à l'encontre de la loi dite «
Pasqua » est qu'elle se fondait sur une approche libérale de la politique
d'aménagement du territoire, celle qui consiste à distribuer d'en haut, de
façon autoritaire, des points de croissance à telle ou telle partie du
territoire selon les retards de développement observés ou selon les stratégies
de compétition internationale.
De ce point de vue, à l'évidence, la loi de 1995 n'a pas su rompre avec une
approche pyramidale, sectorialisée et dirigiste de l'aménagement du territoire,
orientée de surcroît dans une optique de rendement maximal des territoires au
mépris de leurs spécificités, et des exigences nouvelles qui se manifestent en
termes de sécurité de l'emploi, de qualité de vie et de préservation des
équilibres écologiques et environnementaux.
Pour autant, l'Etat ne doit pas déserter le terrain de la gestion des espaces
et des projets locaux ; bien au contraire, il doit le réinvestir dans sa
globalité, dans le respect des compétences de nos institutions
territoriales.
Comment pourrions-nous, en effet, nous satisfaire d'une propension croissante
de l'Etat à se délester de plus en plus sur les collectivités locales,
abandonnées à leur propre sort, et n'intervenant que de façon ponctuelle dans
des situations d'urgence pour voler au secours des régions dévastées par les
restructurations industrielles, la désertification rurale ou la fermeture de
services publics de proximité ?
D'un Etat jadis omnipotent, décidant à la place des acteurs et des élus locaux
sans concertation ni consultation, nous serions passés à un Etat alibi d'un
système économique inscrit dans une logique libérale qui délocalise les
activités productives, accroît les inégalités sociales et, finalement,
assujettit les hommes et les décideurs locaux aux aléas de la mondialisation
financière.
A mon sens, la puissance publique, sans être le moteur de toute politique
d'aménagement du territoire, ne saurait se réduire à être la roue de secours
d'une machine sans conducteur lancée dans une course effrénée à la productivité
et la compétitivité internationale.
C'est pourquoi la mise en oeuvre d'une politique nationale d'aménagement et de
développement du territoire est indissociable de politiques publiques fortes,
ambitieuses pour notre pays et génératrices d'emplois, d'activités et de
cohésion sociale.
A cet égard, madame la ministre, ce projet de loi reste muet sur les moyens
que l'Etat devra mobiliser pour assurer la réalisation des schémas de services
collectifs et atteindre les objectifs ambitieux que vous vous êtes fixés.
Or, force est de constater que les collectivités locales n'auront pas, seules,
les moyens de leurs projets, si l'on ne prévoit pas d'engagement financier
supplémentaire.
Le principe de la création de fonds régionaux pour l'emploi et le
développement, adopté par l'Assemblée nationale sur l'initiative des députés
communistes, doit vous aider à poursuivre une vaste réforme des aides publiques
en faveur de la création d'emplois et des transferts de technologie vers les
petites entreprises, qui contribuent directement au développement économique
des territoires.
La mobilisation du système bancaire est nécessaire pour réorienter la
politique du crédit vers les investissements réellement productifs, sur la base
de projets de développement durable.
Aussi, ce que nous préconisons, c'est une logique inverse de celle qui a mené
notre pays à un vaste mouvement de privatisations et de resserrement des
crédits, qui n'a fait qu'accroître les déséquilibres socio-économiques et ce
que l'on nomme pudiquement la « fracture territoriale ».
C'est pourquoi, mes chers collègues, j'avoue m'interroger lorsque j'entends
certains de vos amis gloser sur le renoncement à toute stratégie nationale qui
caractériserait ce texte via l'abandon du schéma national d'aménagement et de
développement du territoire, le SNADT, alors que vous n'avez cessé d'organiser
le démantèlement de la maîtrise nationale de notre potentiel industriel et
commercial, et soutenu les abandons successifs de souveraineté.
Le remplacement du schéma national par les schémas de services collectifs
marque la volonté de ce gouvernement de mieux prendre en compte les besoins des
populations en valorisant les initiatives locales plutôt qu'une logique d'offre
centralisée qui répond davantage aux exigences des firmes multinationales qu'à
celles d'une réelle ambition d'occupation harmonieuse et équilibrée du
territoire.
A titre d'exemple, la stratégie du tout-TGV, dès lors qu'elle n'était pas
accompagnée des moyens de modernisation et de développement des lignes
classiques, a eu pour conséquence majeure de segmenter le territoire et de
marginaliser des régions entières.
Pour autant, la suppression du schéma national n'exclut pas la nécessité d'une
cohérence nationale entre les schémas de services collectifs et de leur
articulation avec les schémas régionaux.
A défaut d'être le seul et unique inspirateur de la politique d'aménagement du
territoire, l'Etat est seul à même de garantir l'unité nationale et l'égalité
des citoyens sur le territoire.
Cela passe par de nouvelles péréquations interrégionales mais aussi
intrarégionales permettant de réduire les écarts de richesse sur le territoire.
Cela passe aussi par la modernisation des services publics, accessibles à tous,
notamment aux plus défavorisés, et par une relance judicieuse et circonstanciée
des investissements publics, dans le cadre, notamment, des contrats de plan
Etat-régions.
De toute évidence, vingt-deux politiques régionales d'aménagement ne feront
jamais une politique nationale s'il n'existe pas une régulation et une mise en
cohérence des choix locaux, non pour brider les initiatives particulières, mais
pour valoriser et promouvoir les atouts de nos régions.
Cette nécessaire cohérence suppose, enfin, que le Parlement soit plus
étroitement associé aux projets de schémas de services collectifs.
A l'évidence, le texte initial méritait d'être remanié sur ce point, notamment
par l'examen d'un projet de loi fixant les orientations de la politique
d'aménagement du territoire et les conditions de leur mise en oeuvre dans les
schémas de services collectifs deux ans avant l'échéance des contrats de plan
Etat-régions.
Cependant, les premiers décrets d'application devant être adoptés avant le 31
décembre 1999, il me paraît difficile d'admettre que l'expression parlementaire
soit, en quelque sorte, mise entre parenthèses d'ici à 2004, dans le seul souci
d'accélérer la mise en oeuvre de ces schémas en articulation avec la nouvelle
génération de contrats de plan à partir de l'an 2000 jusqu'à 2006.
C'est pourquoi nous proposerons qu'une loi soit soumise au Parlement avant la
fin de l'année, sans ignorer cependant les difficultés de calendrier que cela
posera à notre administration.
La représentation nationale doit être en mesure de veiller à un meilleur
contrôle de la politique engagée par le Gouvernement sur des choix qui engagent
notre pays sur plusieurs décennies.
L'existence d'un cadre national cohérent quant à l'application des grands
choix stratégiques en matière d'occupation de l'espace suppose, enfin, que les
schémas de services ne préfigurent pas, à plus long terme, une intégration au
futur schéma de développement de l'espace communautaire, le SDEC.
Le respect du principe de subsidiarité est d'autant plus justifié dans ce
domaine que l'aménagement du territoire ne fait pas partie des compétences de
l'Union européenne.
Or, l'article 1er précise que la politique nationale d'aménagement du
territoire « participe à la construction de l'Union européenne » et l'article
2, que l'Etat est chargé d'assurer « la mise en cohérence de la politique
nationale d'aménagement du territoire avec celle mise en oeuvre dans le cadre
européen ».
S'il s'agit d'orienter nos territoires vers la prise en compte des options
libérales et fédérales de Bruxelles, nous ne pourrons souscrire à une telle
approche. Auquel cas, il nous faudrait assister à une recentralisation des
compétences vers la Commission de Bruxelles, engagée elle-même dans un dialogue
direct avec les exécutifs régionaux.
Sur ce point, madame la ministre, le texte est par trop ambigu et laisse
planer l'idée d'une Europe des régions, les régions étant elles-mêmes fédérées
en pays et en agglomérations.
D'aucuns rêvent ici d'une Europe intégrée dans laquelle des structures jugées
archaïques, tels le département, la commune, seraient vouées à disparaître pour
laisser place à des entités agglomérées dépourvues de tout contrôle
démocratique et taillées sur mesure pour affronter la compétition économique
mondialisée.
A la concentration des activités économiques viendraient se joindre, pour
mieux la servir, la concentration des pouvoirs politiques entre les mains de
quelques potentats locaux sans légitimité populaire réelle.
Le rôle pivot, désormais reconnu dans ce texte aux régions, ne doit pas
évincer le département qui contribue à l'aménagement du territoire en
favorisant la coopération entre collectivités communales et en assurant la
pérennité du lien social.
La structure départementale doit, à notre sens, être associée plus étroitement
à l'élaboration et à la mise en oeuvre des projets locaux.
A ce sujet, je me félicite des modifications apportées par l'Assemblée
nationale qui contribuent, bien qu'insuffisamment, à redonner sa place au
département.
S'agissant plus précisément des pays, il doit être possible de conforter
davantage encore l'implication des représentants du département pour ne pas
laisser au seul préfet de région le soin d'assurer la tutelle administrative de
ce qui doit demeurer, à nos yeux, un espace de réflexions et de projets aux
contours souples et évolutifs.
Certes, madame la ministre, ce texte n'affecte aucunement les prérogatives des
départements, mais en confortant le rôle de la région, d'une part, pour en
faire un véritable « chef de file » de la politique d'aménagement du
territoire, et en valorisant des structures supracommunales telles que les pays
ou les agglomérations, d'autre part, nul doute que cette institution issue de
deux siècles d'histoire sera marginalisée et cantonnée à un strict rôle social,
et, pour tout dire, humanitaire.
Comprenons-nous bien, il ne s'agit pas pour nous de défendre les départements
par archaïsme ou je ne sais quelle nostalgie ; si nous sommes tant attachés à
cette structure, c'est aussi parce qu'elle représente pour la plupart de nos
concitoyens un espace démocratique dans lequel ils se retrouvent et
s'identifient.
Si le département ne dispose pas du monopole de la pertinence en matière
d'aménagement du territoire, il n'en demeure pas moins vrai qu'il dispose
d'atouts incomparables dans la capacité à apporter des réponses adaptées aux
besoins des populations. Ce qu'il faut craindre, ce n'est pas tant de nouvelles
formes de coopération et de mise en commun des moyens et des objectifs entre
collectivités locales, mais bien plutôt la dilution des assemblées
démocratiquement élues au profit de structures intermédiaires dotées de
compétences sans cesse croissantes et sans que les citoyens n'aient de prise
réelle sur les choix qui leur seront imposés.
Là où votre texte, madame la ministre, semble quelque peu minorer le rôle et
les missions du département dans l'aménagement du territoire, le projet de loi
de M. Chevènement paraît, quant à lui, « resituer » la place de la commune.
C'est pourquoi le pays suscite dans nos rangs les plus vives inquiétudes s'il
devait être conçu comme le vecteur de regroupement des communes pour constituer
à terme une structure intercommunale à fiscalité propre et devenir un échelon
administratif supplémentaire, une pompe à compétences venant se substituer aux
échelons traditionnels et démocratiques.
Que dire par ailleurs des communautés d'agglomérations assimilées à de
véritables carcans administratifs qui contraignent plus qu'elles ne favorisent
une démarche volontaire et solidaire de coopération de la part des communes
?
Un empilement excessif de strates institutionnelles ne peut que contribuer à
éloigner les citoyens des décisions qui les concernent à un moment où le
désintéressement vis-à-vis de la chose publique s'accentue.
Il ne s'agit pas nécessairement d'avoir à choisir entre telle ou telle
institution. Nous n'échapperons pas en revanche à une clarification des
compétences et des prérogatives entre les instances élues qui organisent et
décident des projets à mettre en oeuvre et des structures intermédiaires
chargées de l'élaboration et du suivi de projets ciblés.
C'est dans un cadre constitué autour de la commune, du département et de la
région, à la fois stable et équilibré, que les projets de développement portés
au sein de pays ou d'agglomérations doivent se concevoir et se réaliser. C'est
cette conception que notre groupe défendra au cours de ces prochains jours.
Enfin, nous ne pouvons que regretter qu'un sort meilleur n'ait pas été réservé
aux services publics dans le cadre des schémas de services d'une part et parmi
les objectifs de la politique nationale d'aménagement du territoire, d'autre
part.
Je crois pourtant qu'un véritable débat aurait été nécessaire sur la place et
les missions des services publics qui, loin d'être une charge pour la société,
constituent des éléments structurants et novateurs dans le développement des
activités économiques en France.
Encore faut-il sortir d'une approche strictement comptable en ne laissant
d'autre alternative qu'entre le dépérissement des services publics ou la fuite
en avant vers les privatisations, comme le suggère d'ailleurs un amendement de
la commission spéciale qui vise ni plus ni moins à ouvrir au privé la gestion
des maisons de services publics.
Sur ce dernier point, M. Zuccarelli s'était engagé devant le Sénat, lors de
l'exeman du projet de loi relatif aux relations des citoyens avec les
administrations, sur l'absence de coût supplémentaire pesant sur les
collectivités locales, ainsi que sur la garantie de statut des agents mis à
disposition.
Il s'agit donc de traduire ces engagements dans l'article 22. Tel est le sens
des amendements que nous défendrons.
Dans le prolongement de la loi de lutte contre les exclusions, les maisons de
services publics doivent être considérées comme un complément, un « plus » pour
les usagers, notamment les plus défavorisés dont il convient de faciliter les
démarches. En aucun cas, ces maisons ne doivent venir se substituer aux
services existants avec des suppressions de postes et de crédits à la clé.
Compte tenu des contraintes budgétaires auxquelles sont soumises bon nombre de
collectivités locales, l'Etat doit s'engager, sur la base d'une convention
conclue avec les établissements publics concernés et les collectivités, à
compenser les charges résultant de la constitution de maisons de services
publics.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Gérard Le Cam.
Les services publics tiennent en France un rôle majeur, qu'il nous faut
garantir et amplifier si nous ne voulons pas que cette loi reste à l'état de
projet.
Aussi, la suppression d'un service public de proximité dans un village ou dans
un quartier urbain n'est pas seulement l'aveu d'un échec de notre société ;
c'est surtout une hypothèque sur l'avenir et le développement futur des zones
en voie de désertification ou d'isolement. En effet, ce sont bien souvent, mes
chers collègues, les investissements publics qui entraînent les investissements
privés et la création d'un service public qui amorce le redémarrage de
l'activité économique et de la création d'emplois. A cet égard, les services
publics jouent un rôle pilote dans l'intégration et l'unité du territoire.
Que l'on réfléchisse à de nouvelles formes de modernisation et d'adaptation
des services publics est certes nécessaire, si toutefois on ne remet pas en
cause les principes républicains et démocratiques qui caractérisent le service
public à la française.
La référence faite dans ce texte, à plusieurs reprises, à la notion diffuse de
« service universel » est, à tout point de vue, source d'inquiétude, dans la
mesure où cette conception, étrangère à notre droit, correspond à une vision
minimaliste et quasi résiduelle de la notion de service public.
L'introduction d'une partie de la directive postale européenne n'est pas
acceptable.
Un projet de loi de transposition de la directive était annoncé pour les mois
à venir. Nous demandons solennellement au Gouvernement de reporter l'examen de
cette disposition inscrite à l'article 15
bis.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Gérard Le Cam.
La précipitation dans ce domaine ne saurait nous exonérer d'une réflexion
approfondie et concertée sur l'avenir de La Poste à l'aube du prochain
siècle.
Les Français ne comprendraient pas qu'on décide, au détour d'un amendement, de
la définition d'un « service universel postal » dans le plus grand secret, sans
que les usagers ni même les salariés aient été tenus informés.
Nous proposerons, en conséquence, la suppression de cet article, qui ignore
par ailleurs - c'est un comble dans un texte de cette nature ! - la prise en
compte des territoires et des besoins des usagers.
Quel sera l'impact de cette loi d'aménagement durable du territoire, madame la
ministre, si chaque jour, chaque semaine, chaque mois, nos concitoyens
constatent le déménagement ? En Côtes-d'Armor, comme dans l'ensemble de la
Bretagne, les exemples ne manquent pas : fermeture de postes d'enseignants,
transformation des ZEP en REP en milieu rural, fermeture du centre de
télécommunications spatiales de Pleumeur-Bodou, fermeture de maternités,
restructuration des hôpitaux, généraux et psychiatriques, délocalisation de
l'aviculture... Je m'arrête là et reste persuadé qu'ailleurs c'est
identique.
M. Josselin de Rohan.
Est-ce le Gouvernement actuel qui fait tout cela ? C'est un affreux
Gouvernement !
(Sourires.)
M. Charles Revet,
rapporteur.
Quelle catastrophe ! Mais c'est l'expression de la vérité.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Cela ne nous empêche pas de dire ce que nous avons à dire !
M. Gérard Le Cam.
N'y aurait-il plus d'argent dans ce pays ? Ou plutôt, ces milliards de francs,
qui devraient servir à l'aménagement du territoire, s'en vont au service d'une
mondialisation toujours plus boulimique.
L'efficacité de cette loi et la confiance qu'elle pourra inspirer ne vaudront
que par le concret et le constatable ; il m'apparaît donc indispensable que les
tendances actuelles au déménagement par le vide que je viens de décrire soient
stoppées et inversées.
Le passage au Sénat de votre projet de loi, madame la ministre, doit nous
donner l'occasion d'approfondir et de compléter utilement les propositions
adoptées par les députés.
Cependant, au regard de certains amendements déposés par la commission
spéciale, il est à craindre un retour à la loi de 1995 sous une forme, certes
plus sophistiquée, mais inscrite dans une logique dirigiste et verticale fondée
sur une conception de l'aménagement du territoire assurant d'abord la
satisfaction des exigences économiques européennes et internationales au
détriment des considérations locales, sociales et environnementales.
En conclusion, notre groupe se situe dans une démarche constructive prenant
acte des avancées issues des travaux de l'Assemblée nationale, conscient aussi
des imperfections qui restent et des dérives possibles. Nous formulerons des
propositions cohérentes dans le souci d'améliorer le texte.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger.
Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes
chers collègues, la politique d'aménagement du territoire n'est pas une
novation dans notre pays. Très centralisée dès l'origine, à l'image des
structures administratives de la France, elle s'est affirmée par un
volontarisme très net et des étapes successives parfois contradictoires.
Dans un premier temps, priorité a été donnée à la reconstruction pour résoudre
la crise du logement née après la guerre, d'une progression de la démographie,
de l'industrialisation et de l'exode rural, et qui est à l'origine des
déséquilibres urbains unanimement dénoncés aujourd'hui.
Puis, il y eut une maîtrise de l'accroissement excessif de la région
parisienne et des grandes métropoles avec, à la fois, la création de villes
nouvelles et la déconcentration industrielle autoritaire menée par la DATAR.
La politique d'aménagement du territoire a marqué le pas vers le milieu de la
décennie soixante-dix avec le début de la crise économique et de la
paupérisation de l'Etat.
Enfin, elle a tenté de mieux prendre en compte, dans la dernière décennie, les
notions de qualité de vie, de développement équilibré de l'ensemble du
territoire, essayant, mais timidement, de replacer l'homme au centre des
dispositifs.
Les socialistes ont été des moteurs dans cette évolution. Les lois de
décentralisation ont transféré vers les collectivités locales une partie des
pouvoirs de l'Etat. Elles ont maintenu nos 36 000 communes,...
M. Charles Revet,
rapporteur.
C'est un bien !
M. Jacques Bellanger.
... ce qui fait de la France un cas particulier en Europe de l'Ouest.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Il faut le conserver !
M. Jacques Bellanger.
Les régions se sont vu reconnaître un rôle moteur dans l'aménagement du
territoire. La loi électorale a été modifiée pour les communes d'une certaine
importance, leur assurant ainsi la stabilité de gestion nécessaire à l'exercice
de leurs nouveaux pouvoirs tout en permettant la représentation des minorités.
Et ce n'est pas de notre fait si la même réforme n'a pu encore se faire à
l'échelon des régions où l'absence de majorité est parfois un élément
paralysant de l'aménagement du territoire. Enfin, les contrats de plan mis en
place par Michel Rocard ont institué la contractualisation des engagements de
l'Etat et des collectivités territoriales et une harmonisation dans le temps de
leurs projets.
Nous sommes fiers de ce bilan. Dans cette assemblée qui se veut à la fois
représentative du territoire et grand Conseil des communes de France, nous
avons la certitude d'avoir été acteurs de la politique d'aménagement du
territoire, mais, pour autant, cela ne signifie pas qu'il ne soit pas
aujourd'hui nécessaire de l'adapter, de la réformer, de progresser en fonction
de l'expérience et des nouvelles donnes nationales et internationales.
En 1995, le Sénat adoptait une nouvelle loi d'aménagement du territoire assez
éloignée, en matière de péréquation financière, des propositions de la mission
d'information du Sénat. De nombreux textes d'application n'ont pas été publiés
ou n'ont pas eu de suite. Nous avons eu l'occasion, le 10 décembre dernier, de
nous expliquer sur ce sujet. Je n'y reviendrai donc pas, sauf pour constater
avec satisfaction une tonalité assez différente dans les expressions de la
majorité sénatoriale.
Il était urgent de remodeler un dispositif législatif dont les dispositions
essentielles n'avaient pu être mises en oeuvre. Cela ne résulte pas de la
volonté des gouvernements de MM. Balladur ou Juppé ; ce n'est pas parce que le
texte de 1995 n'était pas l'oeuvre de sa majorité que le gouvernement de Lionel
Jospin nous propose non pas un texte nouveau, mais un texte amendé, mais tout
simplement, monsieur le président de la commission spéciale, parce que certains
choix ne pouvaient être mis en oeuvre.
Le Gouvernement a choisi d'en affirmer les principes dans le texte que nous
examinons aujourd'hui et de les décliner dans différents projets de loi que
nous aurons par la suite à examiner.
Il fallait affirmer, en premier lieu, la prise en compte de la dimension
européenne.
La nécessaire connexion de nos voies de communication est une évidence.
L'importance des fonds structurels européens dans les contrats de plan implique
une cohérence des zonages. L'introduction du concept européen de zonages
prioritaire ultra-périphérique doit prendre en compte les spécificités des
départements d'outre-mer. Les conséquences de l'environnement économique
international nous imposent de fonder notre réflexion sur un rééquilibrage des
territoires dans un cadre plus vaste que celui de notre pays.
En deuxième lieu, il fallait définir les territoires qui vont structurer la
vie des Français.
Les métropoles, d'abord, sont déjà les lieux inévitables de création des
nouvelles activités et des nouveaux services. Elles doivent pouvoir s'affirmer
pour structurer de façon équitable le territoire en dehors de l'agglomération
parisienne.
Les agglomérations regroupent déjà 80 % de la population et subissent
aujourd'hui de plein fouet la crise industrielle et la mutation vers une
société de services.
Enfin, les pays, dont la notion a été introduite par la loi de 1995, doivent
être précisées pour devenir de vrais territoires de projets. Ils pourront
maintenant contracter.
Cette notion de pays a été perçue par certains comme un échelon administratif
supplémentaire. C'est une erreur ! Nous n'envisageons même pas que le pays
puisse servir de base, comme dans la loi de 1995, à une nouvelle définition des
arrondissements.
Le pays est un espace de projet, proche du citoyen, particulièrement adapté
aux initiatives et aux réalités locales. Il ne pourra se développer utilement
qu'en accord avec les départements et les régions et, en tout cas, jamais
contre eux. La remise en cause des structures départementales et régionales
n'est pas à l'ordre du jour, pas plus d'ailleurs qu'une nouvelle définition de
leurs compétences.
En troisième lieu, il fallait affirmer une meilleure prise en compte des
besoins des collectivités locales et des citoyens.
Je répète une nouvelle fois que si le schéma national prévu par la loi de 1995
n'a pu voir le jour dans les délais prévus, c'est parce que la méthodologie de
son élaboration n'était pas tenable et qu'il ne fixait pas de priorité. Il
était trop éloigné de la réalité en voulant prendre en compte des demandes tous
azimuts non cadrées par des options stratégiques cohérentes.
Voilà pourquoi ce schéma est aujourd'hui remplacé par huit schémas de services
collectifs fixant les orientations stratégiques de l'Etat qui s'imposeront,
dans la concertation, aux schémas régionaux d'aménagement et de développement
du territoire et qui seront périodiquement déclinés dans les contrats de plan.
Cette proposition est l'un des éléments majeurs du projet de loi.
J'ajoute que la proposition avancée par la commission spéciale, et consistant
en fait à reprendre les cinq schémas modaux des transports de la loi de 1995,
nous paraît remettre en cause l'intermodalité des deux schémas de transport,
l'un pour les voyageurs et l'autre pour les marchandises. Et je suis étonné
que, sur ce point, le rapport de la commission suggère un tel retour en
arrière.
En ce qui concerne la notion de développement durable, nous savons aujourd'hui
qu'un développement économique sans contrôle peut compromettre le devenir de
nos sociétés. Il s'agit non pas d'une déification de la nature, mais tout
simplement de la reconnaissance d'un équilibre naturel difficile, que la
science elle-même a quelque difficulté à cerner.
Le principe de précaution doit donc être respecté, comme nous nous y sommes
d'ailleurs engagés, en particulier à l'échelon européen. C'est non pas une
politique de sanctuaire qui est proposée, mais la recherche d'un équilibre de
développement.
L'exemple de certains parcs naturels a d'ailleurs prouvé que des espaces en
difficulté pouvaient y trouver de nouvelles chances de développement
économique. Nous avons pris note du fait qu'en ce domaine la commission
spéciale supprime toute référence directe au développement durable dans
l'article 2 et, à l'article 20, les références au programme « Actions 21 »
adopté par la communauté internationale à Rio de Janeiro en 1992. Cela n'est
évidemment pas neutre.
Enfin, s'agissant de la démocratie représentative, nous sommes
particulièrement attachés à l'association des Français aux prises de décision
les concernant directement, ce qui est bien le cas de l'aménagement du
territoire. Voilà pourquoi l'association aux élus des partenaires sociaux et
des acteurs culturels et environnementaux nous paraît nécessaire. Nous sommes
donc satisfaits par les compositions du Conseil national d'aménagement du
territoire, des conférences régionales d'aménagement du territoire et des
conseils de développement des pays.
Là encore, les propositions de la commission nous paraissent plutôt
rétrogrades puisqu'elles suppriment carrément les conseils de développement et
rejettent les représentants associatifs dans un deuxième collège, ce qui ne
facilitera ni le dialogue ni le consensus.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Jacques Bellanger.
Nous notons qu'un sort particulier est réservé aux chambres consulaires !
M. Gérard Delfau.
Eh oui !
M. Jacques Bellanger.
L'Assemblée nationale a enrichi et clarifié le projet du Gouvernement. J'ai
parfois entendu critiquer la déclaration d'urgence qui affecte ce texte.
Pourtant, la majorité sénatoriale a pu prendre connaissance du projet de loi du
Gouvernement dès le 29 juillet 1998, et des modifications de l'Assemblée
nationale, le 9 février dernier. En revanche, nous n'avons été au courant des
amendements des rapporteurs que mercredi dernier. Cela ne nous a donc laissé
qu'un délai assez court pour étudier des textes dont nous nous ne nions ni le
sérieux ni la continuité idéologiques, ce qui nous inquiète d'ailleurs.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
C'est de la mauvaise foi !
M. Jacques Bellanger.
De prime abord ces propositions traduisent la volonté de revenir à l'esprit de
la loi de 1995 sans tenir compte des difficultés, voire des impossibilités
d'application de ce texte.
L'amendement présenté à l'article 10 et prévoyant l'adoption par la loi, sous
la forme d'un rapport annexé pouvant être amendé par le Parlement, des schémas
de services collectifs ensuite mis en oeuvre par décret du Gouvernement est un
bel exemple d'un type de mariage inédit ! La démocratie virtuelle est
instituée, puisque le Parlement pourra y présenter des demandes tous azimuts
dans un rapport annexé, qui n'a pas de force normative, mais que le
Gouvernement sera chargé de mettre en forme par décret. Voilà un très bon
exemple de responsabilité parlementaire !...
Comme nous sommes attachés aux principes posés par le projet de loi, nous
craignons de ne pouvoir accepter que très peu des modifications proposées. Nous
seront amenés à préciser nos positions lors de la discussion des articles.
Tout à l'heure, M. Belot a attiré notre attention sur le fait que nous aurions
des difficultés à poursuivre les constructions d'autoroutes du fait de la
disparition du système de l'adossement. Ma mémoire n'est pas excellente mais
sans doute pourrez-vous, madame la ministre, préciser quel gouvernement a
accepté, au niveau européen, ce nouveau système !
(Rires et applaudissements sur les travées socialistes, sur certaines travées
du RDSE, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 4
février 1995 n'était probablement pas parfaite, mais elle présentait quatre
mérites.
Tout d'abord, elle exprimait une politique volontariste, voulue par notre
collègue M. Charles Pasqua.
Ensuite, elle était fondée sur l'écoute du Parlement puisque ce texte n'avait
pas été déclaré d'urgence. Et comment ne pas rappeler, en cet instant, le rôle
considérable du Sénat qui a alors enrichi le projet de loi qui lui était soumis
?
Par ailleurs, cette loi était fondée sur une consultation approfondie de notre
pays, que nous avions sillonné, région par région.
Enfin, elle traçait des orientations cohérentes, je crois, et pour vingt ans,
de la politique d'aménagement du territoire.
Ce rappel étant fait, ma prise de position ne sera ni nostalgique ni négative,
l'important étant que la France définisse rapidement sa politique d'aménagement
du territoire pour les vingt ans à venir vis-à-vis de ses partenaires
européens.
Dans cet esprit, j'approuve la position de la commission spéciale du Sénat. Je
tiens, à cet égard, à rendre hommage à l'action et au volontarisme de nos
collègues MM. Gérard Larcher, Claude Belot et Charles Revet.
Le caractère constructif de leur proposition, leur volonté de trouver ensemble
les voies et moyens d'une politique nouvelle dans laquelle le Parlement serait
un partenaire à part entière constituent un élément important. En effet, on ne
peut pas façonner une politique d'aménagement du territoire sans y associer
réellement le Parlement.
En cet instant, je me bornerai à insister seulement sur trois aspects, à
savoir l'équilibre d'une politique d'aménagement du territoire, sa dimension
européenne et le rôle des collectivités territoriales.
Il convient tout d'abord de rechercher l'équilibre entre trois nécessités : le
développement économique, une politique dynamique de voies de communications et
le respect de l'environnement. Omettre l'un de ces trois facteurs porterait un
coup fatal à une politique réaliste de l'aménagement du territoire.
Viser le développement économique et améliorer les infrastructures sans
prendre en considération la donnée environnementale correspond à une vision
passéiste. Les collectivités territoriales démontrent d'ailleurs jour après
jour leur aptitude à insérer les grands équipements du territoire dans le
respect des données environnementales.
A contrario,
mener une politique de l'environnement sans développement
serait condamner le pays au déclin, y compris et surtout sur le plan de
l'emploi.
A ce propos, je voudrais insister sur les voies de communication.
Le schéma des services de transport doit être autre chose que la simple
consolidation de ce qui existe. Il faut créer les maillons manquants au niveau
européen s'agissant des autoroutes, du TVG, du réseau ferroviaire classique,
mais aussi des voies fluviales.
M. Charles Revet,
rapporteur.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
L'arc atlantique et la façade méditerranéenne doivent être solidement amarrés
à l'espace européen. Ils ne doivent pas risquer d'être marginalisés.
M. Charles Revet,
rapporteur.
Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel.
Les façades est et nord mais aussi sud-ouest de la France constituent des
zones de jonction qui ne doivent pas perdre le contact avec le centre de
gravité de l'Europe, centre qui se déplace de plus en plus vert l'Est.
Madame la ministre, j'ajouterai une remarque particulière à propos de la voie
fluviale, une remarque qui ne vous étonnera pas. Je respecte votre conception,
mais je tiens essentiellement à la mienne...
(Mme la ministre sourit.)
M. Charles Revet,
rapporteur.
C'est très bien !
M. Daniel Hoeffel.
... et je regrette que la voie fluviale soit mal aimée en France. Or, je suis
persuadé qu'elle n'est pas désuète et que plus l'espace de l'Union européenne
s'élargira, moins elle sera désuète.
Nous constatons que la liaison Rhin - Main - Danube dépasse les prévisions les
plus optimistes.
L'Allemagne est en train de mettre à grand gabarit la liaison Rhin - Elbe -
Oder. Lorsque l'on sait que les quantités de marchandises transportées, selon
des experts sérieux, doubleront dans les vingt à trente années à venir, il est
impensable qu'elles ne le soient que par la voie ferroviaire ou, surtout, que
par la voie routière ou autoroutière. La voie fluviale doit tenir sa place,
toute sa place, dans le développement de l'espace de notre pays.
M. Gérard Braun.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel.
Dans le domaine du transport, l'Europe occidentale ne pourra devenir un marché
unifié de marchandises et de services que si elle dispose de meilleures
liaisons internationales.
Ma seconde observation concerne l'insertion dans l'espace européen.
Vous avez évoqué, madame la ministre, la prochaine réunion des ministres de
l'aménagement du territoire pour élaborer le schéma de développement de
l'espace communautaire. C'est un élément important.
Un autre élément considérable est la politique régionale. Les fonds
structurels de l'Europe ont été un facteur important du développement
économique de nombreuses zones de notre pays. Leur rôle va encore s'accroître.
Aussi, dans la négociation difficile qui se déroulera cette année, je souhaite
que la France joue un rôle moteur.
Pour toutes ces raisons, notre politique d'aménagement du territoire doit
intégrer de plus en plus une vision européenne, et cela n'a rien à voir avec un
débat doctrinal sur la conception de l'Union européenne. C'est tout simplement
une réalité qui s'impose à nous.
Hier, l'Union européenne allait jusqu'à l'Elbe. Aujourd'hui, elle s'étend
jusqu'à l'Oder. Demain, elle jouxtera la Russie.
La France, qui était hier, avec le sillon rhénan, naturellement partie
prenante du développement de l'Europe occidentale, doit, grâce à une politique
dynamique de l'aménagement du territoire, rester en contact avec cet espace qui
s'élargit vers l'Est. Au sein de cet ensemble, les zones frontalières jouent et
joueront un rôle important.
A l'occasion de la discussion de la loi de 1995, nous avions eu, tant à
l'Assemblée nationale qu'au Sénat, un grand débat sur les atteintes éventuelles
d'une politique transfrontalière sur la souveraineté nationale. Heureusement,
la majorité des deux assemblées a su surmonter cet obstacle.
Ce n'est pas un problème de doctrine. C'est une réalité imposée par la
géographie et par la nature. Des voies ferrées ou des routes transfrontalières,
l'implantation de zones d'activité le long des frontières, la pollution qui ne
connaît pas de frontières sont autant d'éléments qui imposent que l'on porte
une attention réelle à la poursuite et au développement d'une politique
transfrontalière. A travers les programmes INTERREG, la politique des fonds
structurels peut donner un fondement concret à une telle politique
transfrontalière.
Je terminerai par les collectivités locales.
L'aménagement du territoire suppose l'intervention de l'Etat. Au passage, je
regrette que le schéma national d'aménagement et de développement du territoire
ait été supprimé. Il suppose une intervention tant des collectivités
territoriales que des acteurs économiques et sociaux.
Les collectivités territoriales - nous le savons, nous le vivons
quotidiennement - sont des cofinanceurs importants, en particulier les régions,
et plus encore les départements ! Elles doivent être aussi codécideurs. En
disant cela, je pense particulièrement au schéma de services collectifs de
l'enseignement supérieur et de la recherche.
Il faut cependant éviter toute confusion. Aussi est-il bon, madame la
ministre, que vous ayez repris l'idée de la collectivité chef de file pour
mettre un peu d'ordre dans un domaine où les financements croisés sont tels
qu'on ne sait plus, parfois, qui fait quoi !
Nous avions prévu la collectivité chef de file en 1995. Mais, depuis cette
date, nous avons attendu que cette notion soit précisée. Puisse cette
réanimation de la collectivité chef de file nous faire avancer sur la voie de
sa concrétisation.
Toujours à propos des collectivités, vous me permettrez un dernier mot sur les
pays. Tous ensemble, nous les avons voulus en 1995. Aujourd'hui, je dis oui au
pays espace de solidarité, mais non au pays amorce de collectivités
territoriales !
M. Charles Revet,
rapporteur.
Très bien ! Il faut le réaffirmer.
M. Daniel Hoeffel.
Il faut que les choses soient claires au départ afin d'éviter toute confusion.
Il est aussi nécessaire d'avoir une bonne coordination et une bonne
complémentarité entre le projet de loi que nous défendons aujourd'hui et le
projet de loi relatif à l'intercommunalité, qui viendra en discussion devant le
Sénat la semaine prochaine.
Là où le pays coïncide avec un établissement public de coopération
intercommunale, un EPCI, il n'y a évidemment pas de problème. Mais si le pays
s'intercale entre un EPCI et le département, veillons à ce qu'il ne porte pas,
du point de vue territorial, les germes d'un désordre structurel dont notre
pays n'a pas besoin !
C'est dans cet esprit que j'approuve les conclusions de la commission
spéciale. A travers ce débat, il s'agit pour l'essentiel de dégager les
fondements solides d'une politique d'aménagement du territoire stable,
échappant désormais aux fluctuations de tout genre, une politique qui intègre
la France dans son espace européen sans la marginaliser, une politique qui
associe les zones urbaines, périurbaines et rurales à cet effort. C'est cela la
vraie solidarité pour l'aménagement du territoire !
Le temps où s'opposaient une vision urbaine prétendument moderne et une vision
rurale prétendument passéiste est révolu ! Les anciens et les modernes sont
partout, mais pas forcément là où on le croit. Puissions-nous, enfin, tracer,
et cette fois-ci pour vingt ans, les contours d'une politique française
d'aménagement permettant à notre pays de tenir toute sa place au sein d'une
Europe en mouvement et d'y jouer, si possible, un rôle moteur, y compris en
matière d'aménagement du territoire.
(Très bien ! et applaudissements sur
les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants,
ainsi que sur certaines travées socialistes et du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Bardou.
Mme Janine Bardou.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour le Sénat
représentant les collectivités territoriales, l'aménagement du territoire est
une préoccupation majeure. La Haute Assemblée s'était d'ailleurs très largement
exprimée lors du vote de la loi Pasqua, nourrie des réflexions de la mission
sénatoriale que conduisait Jean François-Poncet ; je tenais à le rappeler
ici.
Aujourd'hui, votre Gouvernement, madame la ministre, a pris le parti de
réviser cette loi de 1995.
A notre avis, les modifications apportées en changent profondément l'esprit,
car ce sont à la fois une nouvelle organisation territoriale, comme l'affirme
le Gouvernement dans l'exposé des motifs, et une nouvelle vision du monde et de
la société qui nous sont proposées. Nous en prenons donc acte.
M'exprimant au nom du groupe des Républicains et Indépendants, je voudrais
vous faire part des interrogations et inquiétudes que suscite ce texte qui, à
notre avis, révèle une vision idéologique et inadaptée de l'aménagement de
notre territoire national.
Pour mener une bonne politique dans ce domaine, il ne faut pas recourir à une
approche trop théorique. Il faut prendre en compte tous les éléments
caractérisant notre territoire : l'espace, la diversité géographique, la
densité démographique et le nombre des communes.
La loi Pasqua-Hoeffel, lancée à l'occasion du CIAT de Mende en 1993 - je
tenais à le rappeler aussi - ne méritait certes pas les critiques qui lui ont
été adressées. Jugée trop « ruraliste » par certains, elle exprimait pourtant
une véritable philosophie politique qui était celle de la « reconquête du
territoire ». Née d'une démarche concertée, redonnant confiance à l'ensemble
des acteurs du territoire, elle était dépourvue de cette arrogance habituelle
de la technocratie d'Etat. Malheureusement, cela ne transparaît pas tout à fait
dans votre texte.
Votre projet traduit les orientations politiques tracées par les CIADT de
décembre 1997 et décembre 1998.
Les choix stratégiques retenus sont en rupture avec la politique précédente.
Cela est vrai sur plusieurs points.
Vous souhaitez ainsi consolider les systèmes urbains à vocation
internationale. Vous persistez à affirmer la prééminence du fait urbain au
détriment de la ruralité.
Nous ne constestons pas l'importance pour la France d'avoir, dans un ensemble
européen équilibré, des pôles urbains dynamiques et attractifs sur le plan
économique, notamment pour l'implantation des entreprises et le développement
des échanges. Il ne faudrait cependant pas que cela se fasse dans l'oubli du
reste du territoire.
Je sais bien que, pour vous, abandonner le Plan pour les espaces ruraux
signifie « dépasser les oppositions traditionnelles entre l'urbain et le rural,
le centre et la périphérie », qui ne rendraient plus compte des enjeux actuels
de proximité, de quotidienneté, de cohésion sociale. Je m'interroge à ce sujet
sur la capacité de votre nouvelle organisation à remplir de tels objectifs.
Vous faites confiance, pour y parvenir, à la nouvelle communauté
d'agglomération et au « pays ».
Ainsi, pour vous, le paysage administratif de l'aménagement du territoire
s'articule autour de l'Etat, de la région, de la communauté d'agglomération et
du pays.
Vous y voyez le moyen de « passer d'une logique de guichet à une logique de
projet ». Mais vous semblez surtout attachée à nier le fait communal et le fait
départemental dans leurs spécificités françaises. Cela ne nous semble pas
correspondre à la sociologie de notre pays.
Les faits sont souvent têtus et, comme l'a dit très justement à cette tribune
M. Pierre Mauroy lors d'un débat sur la décentralisation en novembre dernier :
« Le Premier ministre qui fera disparaître les conseil généraux n'est pas
encore né. » Nous en sommes bien sûr convaincus. Mais cela peut-il nous
rassurer pour autant ?
Votre méthode, en effet, nous inquiète. Les critiques sont d'ailleurs
nombreuses.
Fallait-il réviser aussi vite la loi Pasqua-Hoeffel ? Il convient d'être juste
sur son application, correctement réalisée dans la période qui a suivi sa
promulgation, compte tenu des circonstances politiques diverses des années 1995
à 1997.
Vos choix stratégiques se retrouvant dans plusieurs projets de loi présentant
une cohérence d'ensemble, certaines dispositions se complètent. Il nous est
donc difficile de légiférer dans de bonnes conditions.
Des textes complexes et importants pour notre vie locale, tels que les projets
relatifs aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations
ou à l'intercommunalité, sont examinés dans l'urgence, intercalés avec des
textes politiquement majeurs relatifs aux problèmes de société, tels que les
projets relatifs à la parité et au PACS.
Comment ainsi appréhender tous les effets de la loi ? Comment, par exemple, le
fait d'instituer des maisons de services publics ne revient-il pas à transférer
encore des charges sur les collectivités locales ?
Comment nier que le pays pourra devenir un jour un échelon administratif si on
lui donne les moyens de le devenir ? N'avez-vous pas vous-même affirmé, madame
la ministre, que ce n'était qu'un premier pas vers une expression plus
démocratique de ces communautés ? Cela me semble tout simplement constituer, à
terme, une discrète révolution institutionnelle en douceur.
A tout cela s'ajoute une méthode critiquable consistant à faire, sur le
terrain, comme si la loi était déjà votée. Nier l'utilité du Parlement me
semble très dangereux.
Enfin, notre position, expression d'une réflexion menée collectivement,
rejoint parfaitement les conclusions de notre commission spéciale sur de
nombreux points.
Je souhaite bien entendu, au nom de mon groupe, saluer l'excellent travail
effectué par nos trois rapporteurs, MM. Gérard Larcher, Charles Revet et Claude
Belot. Le choix de la commission spéciale, prôné par le président Jean
François-Poncet, a permis une vision transversale utile dans la continuité avec
la méthode antérieure retenue par le Sénat.
Nous nous réjouissons ainsi que le contrôle du Parlement sur la politique
d'aménagement du territoire ait pu être renforcé dans ce texte. La délégation
parlementaire est une heureuse initiative et nous approuvons l'élargissement de
ses possibilités d'action.
Il convient cependant de bien indiquer dans la loi que ses attributions
portent sur tous les schémas directeurs.
Nous sommes nombreux à déplorer l'abandon du plan pour le monde rural.
L'option retenue par le projet de loi de prévoir un schéma des espaces
naturels et ruraux nous semble dangereuse.
Elle concrétise en effet une confusion regrettable entre espaces naturels et
espaces ruraux, qui peut à terme aller à l'encontre du développement du monde
rural et de la reconquête du territoire national. Il nous paraît indispensable
de revenir à une conception plus dynamique et équilibrée de l'espace rural, qui
ne doit pas être réduit à des fonctions récréatives ou, comme je l'ai appris
grâce aux travaux de votre ministère, à des « lieux de production d'aménités
récréatives ».
(Sourires.)
J'avoue que je ne connaissais pas ce terme. Je suppose que
c'est la conception nouvelle de la récréation !
(Nouveaux sourires.)
Cet espace rural doit cependant pouvoir bénéficier de politiques de
développement économique.
Nous avions donc prôné l'inscription dans la loi d'un schéma spécifique pour
l'espace rural, reprenant les grands axes du plan préparé par notre collègue et
ami, l'ancien ministre Jean-Claude Gaudin. L'option finalement retenue par la
commission spéciale, mettant bien en exergue un schéma des territoires ruraux
et des espaces naturels, nous satisfait à la fois dans la méthode et dans le
contenu.
Nous restons en outre attachés à un schéma national de synthèse, comme
l'exposera plus en détail notre collègue Jean-Pierre Raffarin.
Etablir des schémas directeurs et de services, maintenir la loi sur les zones
de revitalisation rurale, favoriser l'implantation des entreprises dans
l'ensemble des territoires, tout cela concourt bien à la reconquête du
territoire que nous appelons de nos voeux.
Celle-ci passe aussi par la péréquation financière, principe que la commission
spéciale réaffirme avec vigueur et que le maintien de l'article 68 de la loi
Pasqua-Hoeffel conforte. Nous souhaiterions à cet égard, madame la ministre,
que vos services travaillent à la mise en oeuvre effective de cet article 68 et
que le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et celui de
l'intérieur établissent les simulations nécessaires.
Nous soutenons également les propositions de la commission spéciale sur la
notion de collectivité chef de file. Nous nous félicitons de l'accord obtenu
par nos collègues représentant les principales associations d'élus. C'est là un
bon travail à mettre au crédit de la Haute Assemblée.
S'agissant du pays, nous restons plus partagés, comme le souligneront quelques
amendements et interventions de mes collègues. Certains veulent des pays plus
forts, d'autres souhaiteraient conserver la plus grande souplesse possible, ce
qui pourrait passer en particulier par la simple association.
Les pays constitués depuis 1995 l'ont été avec l'accord, l'appui, la volonté
des partenaires institutionnels « traditionnels » que sont les communes, les
départements et les régions. Cette donnée demeurera. Le pays doit rester un
espace de projets, un creuset des initiatives locales.
S'agissant des transports, conserver l'idée de la loi de 1995 selon laquelle
aucune partie du territoire ne doit être située à plus de cinquante kilomètres
ou de quarante-cinq minutes d'automobile des infrastructures est indispensable
pour le désenclavement. Nous la soutiendrons avec force.
Nous défendrons également la place du département dans les procédures. Nous
veillerons à rappeler l'importance des compétences transférées par la
décentralisation, même si nous ne sommes pas hostiles à l'engagement d'une
réflexion tendant à revoir certaines répartitions. Sur ce point, notre mission
d'information sur la décentralisation nous aidera à y voir plus clair. Nous
insisterons enfin sur la nécessité de parfaire la déconcentration des services
de l'Etat, qui a malheureusement trop tendance à être oubliée.
Permettez-moi maintenant, madame la ministre, de dire quelques mots sur les
zones les plus fragiles de notre espace rural, y compris bien entendu les zones
de montagne, bien oubliées dans votre projet de loi, sinon pour souligner
l'intérêt que présentent leurs espaces naturels.
Loin de nous l'idée d'opposer la ville à la campagne, lieux d'échanges et de
solidarité qu'il faut sans doute conforter ; mais attendre de la ville qu'elle
féconde ces espaces me semble irréaliste.
La ville n'est pas seule à créer des richesses. Prédéterminer la place de
chacun, c'est ne pas laisser de place à la liberté d'entreprendre. Il est du
devoir de l'Etat d'y veiller. Pour ce faire, il faut réduire les inégalités les
plus profondes en garantissant la cohésion. C'est cette démarche qui manque à
votre projet et je le regrette.
Parler de handicap n'a jamais voulu dire manquer d'esprit d'imagination et
d'innovation. Nier cette réalité, c'est refuser de reconnaître l'utilité de ces
espaces dans leur réalité économique.
Quel que soit le territoire de notre pays, il doit avoir son propre
développement, sa propre dynamique, qui, même dans des zones de sous-densité,
enrichissent l'ensemble de notre communauté.
C'est dire l'inquiétude qu'a suscitée chez nous le schéma des espaces naturels
et ruraux dont j'ai eu l'occasion de parler il y a quelques instants !
Enfin, en conclusion, je dirai que, dans ce monde en pleine évolution, nous
avons conscience que notre société va vivre dans les prochaines années une
profonde mutation, que l'aménagement du territoire doit résolument prendre en
compte.
Aménager le territoire, c'est respecter les hommes, respecter leur choix de
vivre et de travailler sur le territoire qu'ils ont choisi, qu'il soit urbain
ou rural, et leur en donner les moyens.
Dans toutes les décisions d'organisation du territoire, qui concernent,
rappelons-le, l'ensemble des ministères, nous devons toujours avoir à l'esprit
que l'homme doit rester, comme l'a dit notre collègue Charles Revet, au centre
de cet aménagement et y trouver sa juste place.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. André Boyer.
M. André Boyer.
Vous nous proposez aujourd'hui, madame la ministre, une révision de la loi du
4 février 1995 qui se fonde sur une autre vision de l'aménagement et du
développement du territoire.
Recherche d'un nouvel équilibre entre l'Etat et les autres acteurs de
l'aménagement du territoire, préservation des espaces, nécessité de constituer
des territoires pertinents autour de projets, tels ont été les principes qui
ont guidé votre réflexion.
Les dispositions contenues dans ce projet de loi d'orientation couvrent un
champ très large. Je n'entrerai pas dans le détail de vos propositions -
d'autres le feront - souhaitant axer mon intervention sur la politique des
pays.
Votre texte, madame la ministre, contient beaucoup de mots aimables, de
concepts attachants et presque enjôleurs : le « projet », la « charte », la «
maison » et, pour n'en retenir qu'un, le « pays ».
Si présent dans la chanson française - « Cher pays de mon enfance ! »,
« O
mon païs ! » -
dépassant la réalité géographique de son origine bas latine
et grandissant dans nos coeurs lorsqu'on s'en éloigne, le pays exprime une
valeur identitaire forte. Qui ne se reconnaît dans un pays ? Qui ne retrouve
sans plaisir son « pays », sa « payse » ? Qui n'a pas dans sa cave son petit
vin de pays ? Pays de cocagne bien sûr, que l'on veut de connaissances et non
pas de chimères.
Ce mot-là, comme les autres, vous ne l'avez pas inventé, madame la ministre.
La loi du 4 février 1995 a habilement donné une existence légale à ces
territoires identitaires qui forment la France « plurielle » décrite par
Fernand Braudel. « La France est diversifiée, triomphe du pluriel, de
l'hétérogène, du jamais tout à fait semblable, du jamais tout à fait vu
ailleurs », écrivait-il dans son ouvrage
l'Identité de la France
. Nous
partageons de bonnes lectures, monsieur le rapporteur !
Ce concept a suscité l'intérêt, sinon l'enthousiasme, des élus locaux. Mais,
aujourd'hui, pays, comme d'autres mots en grammaire, fait un peu figure de faux
ami. Il nous rassure, certes ; il nous permet de dépasser l'esprit de clocher
et les rivalités entre communes, encore vivaces il n'y a pas si longtemps. Mais
l'imprécision des rôles, des méthodes et des financements engendre des doutes,
des craintes, voire des oppositions.
Nous sommes sur le terrain, entre communes, regroupements de communes et
contrôle de légalité préfectoral, confrontés à des difficultés de plus en plus
nombreuses. Le citoyen, comme l'élu, a besoin de voir clair dans la répartition
des compétences et des rôles exercés par les uns et les autres.
Sans modifier la philosophie générale de la politique des pays prévue par la
loi de 1995, votre projet de loi essaie d'apporter des éléments concrets pour
avancer, dans le cadre d'un territoire de projets, en introduisant la notion de
charte et de contractualisation.
Mais il reste de nombreuses interrogations. Dans un souci de clarification,
permettez-moi de vous poser quelques questions brèves et simples.
Les contrats de plan s'élaborent actuellement entre l'Etat et la région pour
la période 2000-2006. Dans la région Midi-Pyrénées, on nous dit que ce contrat
devrait être « bouclé » dans les trois mois. Comment alors les pays qui ne sont
pas encore constitués, et rares sont ceux qui sont déjà reconnus, pourront-ils
y inscrire leurs projets ?
Madame la ministre, peut-être pourrez-vous préciser ce que vous avez dit dans
votre propos introductif à ce sujet.
Dans l'hypothèse où il recouvre une entité géographique à cheval sur plusieurs
départements et même plusieurs régions, le pays pourra-t-il prétendre à
l'inscription de son projet aux contrats de plan de deux régions différentes
pour obtenir des financements ?
Quelle sera la place respective des pays et des agglomérations ? Le texte est
à cet égard extrêmement flou. Sans doute faut-il considérer les deux démarches
comme complémentaires, mais il faudra, à l'évidence, éviter que les
agglomérations n'étouffent les pays.
Si j'ai bien compris, le pays est un espace d'identité et de programmation
dessinant une supracommunalité et fédérant les EPCI - établissements publics de
coopération intercommunale - sur des projets transversaux. Comment va
s'organiser l'harmonisation des compétences entre des structures à vocation
aussi diverses que des SIVOM - syndicats intercommunaux à vocation multiple -,
des districts ou des communautés de communes ?
Cette dernière réflexion m'amène à poser une autre question : j'entendis dire
que le pays a vocation à faire faire ; si ce n'est donc le groupement d'intérêt
public ou le syndicat mixte constitué, qui assurera la maîtrise d'ourage des
projets définis en commun ?
Enfin, ma dernière question touche à l'ouverture du partenariat à la société
civile. Souhaitable et nécessaire, cette ouverture rencontre dans les faits de
nombreuses réticences. Divers arguments viennent, avec plus ou moins de
bonheur, conforter cette attitude de recul : l'absence de représentativité
élective des partenaires, hors les représentants consulaires, la règle du « qui
paye décide »...
Le projet de loi instaure un conseil de développement dans chaque pays. Quel
sera le mode de désignation ou d'élection de ce conseil ? Quelle sera la place
du monde socioprofessionnel et associatif dans le collège des élus ?
Je connais, madame la ministre, un pays en quête de reconnaissance et de label
depuis deux ans déjà. Vous l'avez célébré vous-même, l'an passé, comme faisant
partie de cette Mecanic Valley riche en entreprises de la machine-outil, du
façonnage des métaux et de la sous-traitance automobile et aéronautique. S'y
trouvent également un des premiers confituriers d'Europe et un autre, parmi les
plus grands. Voilà une illustration éloquente d'un développement économique
performant dans une zone rurale !
Ce pays réunit cinq cantons qui appartiennent depuis 1792 à un même district
regroupant 38 000 habitants au passé historique et culturel commun. Ses
collectivités locales - il y a un établissement public de coopération
intercommunale par canton - évoluent depuis trois ans dans un contrat de
terroir en partenariat avec la région et le conseil général. La charte de pays
a été rédigée. Je veux parler du pays de la vallée de la Dordogne lotoise,
entre le Causse à l'herbe rare et parfumée et l'Auvergne aux riches
frondaisons, dont Henry Miller disait : « Rien ne m'empêchera de croire que
cette grande et pacifique région est destinée à demeurer éternellement un lieu
saint pour l'homme et, lorsque la grand ville aura fini d'exterminer les
poètes, leurs successeurs trouveront ici refuge et berceau. Il se peut qu'un
jour la France cesse d'exister mais la Dordogne survivra comme les rêves dont
se nourrit l'âme humaine. »
(Très bien ! sur les travées socialistes, ainsi
que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Ce pays est beau, et nous le protégeons. Mais il n'est pas seulement figé en
des paysages et des châteaux ; il est aussi actif, vivant, porteur de projets
et d'actions. Donnez-nous les moyens de l'efficacité afin que nous puissions
continuer à y vivre en travaillant.
Ce pays, vous l'avez deviné, madame la ministre, c'est le mien. En y
retournant, après avoir bien sûr voté les textes proposés par vous-même, par M.
Emile Zuccarelli et par M. Jean-Pierre Chevènement, j'irai, comme beaucoup
d'entre nous, devant des maires pour leur en expliquer la portée. Je souhaite
pouvoir leur dire que nous avons forgé, au terme de nos discussions, avec cette
loi, un outil bien conçu, maniable et suffisamment précis, qui les aidera à
faire vivre notre territoire.
(Applaudissements sur les travées du RDSE
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, quatre ans
après la loi du 4 février 1995, était-il vraiment nécessaire de modifier
profondément notre approche de l'aménagement du territoire ?
Le texte de 1995 avait été élaboré après une concertation approfondie et il
avait fait l'objet d'un vaste consensus, comme l'a rappelé M. le président de
la commission spéciale.
Mais, dès l'été 1997, madame le ministre, vous estimiez que, si les Français
avaient changé de majorité politique, c'était bien pour changer de politique et
que l'aménagement du territoire n'échapperait pas à ce vent du changement.
Si l'on fait abstraction des déclarations d'intention et des dispositions
d'ordre secondaire, votre projet de loi modifie un aspect essentiel de notre
politique d'aménagement du territoire : il s'agit de la suppression des schémas
sectoriels, c'est-à-dire de ces politiques d'équipement dont la France s'est
dotée depuis plusieurs décennies.
Dans le domaine des infrastructures, notamment de transport, la réussite de
toute politique dépend de la pérennité de l'action, du maillage cohérent des
différents réseaux et de la pertinence de modalités de financement adaptées à
la lourdeur de ces investissements.
Que vous l'admettiez ou non, la demande de transport de notre société croît de
façon inéluctable.
L'échange est à la base même du développement économique et social : des
siècles d'histoire nous l'ont montré ; les décennies passées et toutes les
projections futures ont confirmé ces tendances profondes.
Le taux de croissance des échanges de personnes et de marchandises est
toujours supérieur à celui de la richesse nationale. La mondialisation n'a fait
qu'accentuer ce phénomène. La construction de l'espace européen a multiplié les
échanges entre nations voisines, et la France en a bénéficié plus que d'autres,
car elle se trouve située au coeur du dispositif des transports européens, à
quelques exceptions près.
Dès votre arrivée aux affaires, vous avez suspendu la réalisation du canal
Rhin-Rhône. Vous avez appelé de vos voeux un moratoire autoroutier, qui ne vous
a pas été accordé, mais qui se traduit par le gel ou le report de la
réalisation de plus de 1 200 kilomètres de liaisons autoroutières.
Le Sénat s'était ému de ce changement brutal et profond : l'excellent rapport
de notre commission d'enquête, remis en juin 1998, a fait une analyse
approfondie des secteurs autoroutier, ferroviaire et fluvial, en soulignant
l'impérieuse nécessité de poursuivre, quitte à l'adapter, une politique qui
répond à des besoins urgents. Cela, à l'évidence, ne vous a pas convaincue.
Ainsi, les schémas sectoriels concernant les routes et autoroutes, le réseau
ferré, le réseau fluvial, les ports et les aéroports seront remplacés par des
schémas dits « de services » dont, malheureusement, personne ne sait au juste
ce qu'ils recouvriront ni ce qu'ils comporteront.
A juste titre, la commission spéciale propose de réintroduire le mot «
équipements » dans la dénomination de ces schémas.
Il est certain qu'une meilleure utilisation des infrastructures existantes est
indispensable, mais il est également indéniable que nous avons besoin
d'équipements et d'aménagements nouveaux dans tous les domaines
d'infrastructures de transports.
Il est certain que notre préoccupation est de répondre au mieux à la demande
de la population et des agents économiques, mais il est inexact de dire que la
politique menée jusqu'à présent n'a été qu'une politique de l'offre éloignée
des besoins réels.
Il est certain qu'une meilleure coordination intermodale est un impératif,
mais il est illusoire de penser que l'intermodalité éliminera, comme par magie,
les insuffisances de capacité et pourra nous dispenser de poursuivre nos
efforts d'équipement.
Il est certain, enfin, qu'une meilleure insertion de tous ces aménagements
dans notre environnement correspond à une aspiration profonde de nos
concitoyens, mais il serait contraire à la vérité de ne pas mentionner les
efforts considérables engagés depuis une dizaine d'années pour mieux concilier
équipement et environnement.
A cet effet, nous avons voté la loi sur les paysages, la loi sur l'eau et la
loi sur l'air, pour ne citer que ces trois textes. Les contraintes que nous
avons imposées ont eu pour effet de majorer le coût de certains équipements :
par exemple, celui du kilomètre d'autoroute a augmenté de 40 % en cinq ans. Une
telle croissance était le prix à payer pour que nos concitoyens acceptent la
poursuite de notre effort d'équipement.
Nous n'y reviendrons pas, mais cette évolution me permet de souligner
l'incohérence qu'il y a à vouloir opposer « développement durable » et «
infrastructures d'équipement ». Ces infrastructures sont par nature durables et
soutiennent le développement. En revanche, il faut, c'est vrai, les rendre
supportables et acceptables par la population.
Une politique dynamique et cohérente d'infrastructures de transport est donc
indispensable. Elle doit s'appuyer sur une analyse sectorielle et mettre en
place, en même temps, une action intermodale, car chaque mode de transports
correspond à un besoin spécifique. Quoi que vous disiez, le chemin de fer ne
remplacera jamais la route en matière de liaisons interurbaines.
J'approuve donc les conclusions de la commission spéciale quand elle estime
qu'il convient de revenir aux schémas sectoriels, même si on les appelle
désormais « schémas d'équipements et de services ».
La France a besoin d'avoir une politique portuaire, car l'ensemble des ports
français n'atteint pas le tonnage du port de Rotterdam.
La France doit avoir des plates-formes aéroportuaires qui se situent aux
premières places du classement mondial.
La France ne saurait se désintéresser, comme l'a rappelé notre collègue Daniel
Hoeffel, de son réseau fluvial, même si son importance dans le système de
transport est faible.
La France, enfin, de par sa position géographique, est au coeur de l'Europe
des transports, plus particulièrement en ce qui concerne les liaisons
ferroviaires et autoroutières.
Cela dit, compte tenu de la croissance et de l'urgence des besoins, je
souhaiterais mettre l'accent sur l'impérieuse nécessité d'une politique
autoroutière audacieuse. Une telle politique n'aurait aucune justification si
elle n'était pas fondée sur des besoins évidents et croissants. Or telle est
bien la situation que nous connaissons, en France comme dans toute l'Europe.
La croissance du trafic routier, cela a été rappelé par le président Jean
François-Poncet, a augmenté de 230 % en vingt-cinq ans ; les taux
correspondants pour les quinze prochaines années varient entre 50 % et 100 %,
que ce soit pour les voyageurs ou les marchandises. Ces chiffres émanent des
études prospectives actuellement menées par la direction des routes. Ces études
font apparaître que la demande en matière de transport routier sera, quelles
que soient les hypothèses retenues, supérieure à la croissance, que, parmi les
modes de transport, la route en général a le plus fort taux d'augmentation,
tant pour les voyageurs que pour les marchandises, et enfin que, au sein de
l'ensemble routier, le taux de croissance du trafic des autoroutes concédées
sera le plus fort.
Il se trouve que, dans le domaine économique, les faits et les chiffres sont
têtus. Vous ne pouvez ni les ignorer ni les modifier. A la limite, on peut
seulement envisager d'infléchir les tendances. Mais, dans aucun pays développé,
la croissance du trafic routier n'a pu être ni ralentie ni inversée par le
développement d'autres modes de transport. La route est condamnée à sauver
seule la route.
Certes, il s'agit non pas d'engorger les agglomérations par un trafic routier
inutile, mais de les relier entre elles et de prévoir des voies de
contournement. A l'intérieur de celles-ci, comme pour certaines liaisons de
voyageurs à moyenne distance, le trafic ferré a un rôle majeur à jouer.
Nous sommes donc conduits à mener une politique active de développement de nos
infrastructures routières et autoroutières pour cinq raisons essentielles : la
mobilité accrue et la motorisation croissante de notre société ; les besoins
des entreprises, dont les modes de production développent les flux tendus ; la
volonté de nos régions d'être désenclavées et reliées aux principaux pôles
urbains ; l'aménagement d'un maillage autoroutier européen, car la France est
une des principales plaques tournantes autoroutières de l'Europe, les poids
lourds étrangers représentant 20 % de notre trafic autoroutier.
La cinquième raison est peut-être encore plus déterminante : c'est la
nécessité de renforcer la sécurité des usagers de la route, car le réseau
autoroutier, qui draine 18 % du trafic total, génère moins de 3 % des 8 000
tués constatés sur nos routes.
Nous ne pouvons pas prendre de décision à long terme dans ce domaine sans nous
rappeler constamment que des kilomètres d'autoroutes en moins, ce sont
malheureusement des morts en plus.
Dès votre arrivée aux affaires, vous avez commencé à critiquer notre système
autoroutier pour justifier les mesures de freinage engagées par le
Gouvernement.
Vous avez indiqué que la France était saturée d'autoroutes et que le trafic ne
justifiait plus d'investissements nouveaux : cela est inexact, puisque nous
sommes derrière l'Allemagne, l'Italie, le Benelux et que nous allons bientôt
être dépassés par l'Espagne, qui met actuellement en service 500 kilomètres
d'autoroutes par an.
Vous avez estimé que le système autoroutier était dans une situation
financière critique, alors que notre réseau concédé est non seulement équilibré
mais excédentaire de près de huit milliards de francs, avec un trafic moyen de
24 000 véhicules par jour, c'est-à-dire au-delà du point d'équilibre, qui se
situe à 23 000 véhicules par jour. Si la situation financière était celle que
vous décrivez, comment le système autoroutier pourrait-il financer le fonds
d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, le FITTVN,
et, par son intermédiaire, la voie ferrée et les voies navigables ?
Vous avez, enfin, dit que les réglementations européennes nous interdisaient
de maintenir le système actuel de concessions autoroutières. Il est exact qu'à
travers l'Europe nous avons voulu introduire davantage de transparence, de
concurrence et de clarté. Ces règles sont saines et il nous faut nous y
conformer. Cela nous imposera des changements. C'est pourquoi, pour ma part, je
proposerai, au cours de ce débat, une mutation profonde de notre dispositif
autoroutier.
En qualité de membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, je me
suis rendu trois fois à Bruxelles. J'y ai trouvé des interlocuteurs extrêmement
intéressés par le modèle autoroutier français, car il permet l'application du
principe de l'« utilisateur-payeur ». D'ailleurs, les autorités communautaires
étudient la possibilité de développer le péage électronique pour une meilleure
application de cette règle.
Pour ce qui est du fameux problème de l'adossement et de l'octroi des
nouvelles concessions, soyons clairs. Il faut que les conditions de concurrence
soient connues et affichées. Il faut que l'appréciation des différentes offres
puisse se faire dans la transparence. L'allongement éventuel d'une concession
doit pouvoir être comparé à une subvention équivalente. Mais il est
parfaitement possible que le système autoroutier puisse autofinancer les
avances remboursables nécessaires pour faire face au déséquilibre financier
temporaire de certaines sections nouvelles.
Puisque nous en sommes au chapitre financier, je voudrais attirer votre
attention et celle de mes collègues sur l'importance qui s'attache à une
définition précise des conditions de financement de nos grandes infrastructures
de transport.
Le principe de l'« utilisateur-payeur » doit être complété, dans le domaine de
l'aménagement du territoire, par celui de la solidarité nationale. Pour une
juste appréciation et des comparaisons exactes, il est cependant préférable de
connaître les ordres de grandeur et de les mesurer. A titre d'exemple, si un
kilomètre d'autoroute interurbaine coûte environ 50 millions de francs, 1 000
kilomètres reviennent donc à 50 milliards de francs, ce qui représente la
subvention annuelle de la collectivité nationale à l'ensemble du réseau
ferroviaire français.
L'enjeu du système de transport pour notre aménagement du territoire est
essentiel. Il en est de même pour les autres schémas. Dans ces conditions,
chacun comprendra que le Parlement ne saurait être exclu ni des débats ni des
décisions qui seront prises dans ce domaine. Les grands schémas d'aménagement
du territoire, quel que soit le nom qui leur sera donné, doivent être votés par
le Parlement et non pas décidés et modifiés par de simples décrets.
Nous avons attendu des années avant qu'une réforme de la Constitution permette
au Parlement de voter les lois de financement de la sécurité sociale. Il a
fallu des années avant que le Parlement, par le biais de l'article 88-4 de la
Constitution, puisse émettre des avis sur les actes communautaires à caractère
législatif.
Nous demandons donc dès maintenant que le Parlement puisse remplir pleinement
son rôle dans le domaine de l'aménagement et du développement de notre
territoire en débattant et en approuvant les schémas de services et
d'équipements. Ce sera la grande avancée démocratique que nous appelons de nos
voeux.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est un débat
utile, nécessaire même, que nous entamons aujourd'hui. Il permettra
d'actualiser la loi de 1995 sur l'aménagement et le développement du territoire
et de confirmer quelques-unes des innovations que celle-ci a introduites, comme
la notion de pays ou les schémas régionaux de services collectifs.
Ce débat a aussi le mérite de mettre au coeur de notre projet de civilisation
le concept de développement durable. Il s'agit là, certes, d'un concept encore
flou, mais qui ouvre des perspectives dans un monde où la croissance
démographique et les dégâts dus à l'activité humaine, notamment dans les pays
riches, risquent à terme de poser la question de la survie de l'humanité. C'est
à ce niveau-là aussi que le Sénat doit se situer.
Cette approbation générale de votre démarche, madame la ministre, se traduira
par les votes favorables que j'émettrai au fil de la discussion. Cependant,
elle n'exclut pas de solides réserves, que je voudrais maintenant esquisser.
S'agissant d'abord de la forme, le fait que le Gouvernement recoure à la
procédure d'urgence sur un texte relatif à l'aménagement du territoire est
étonnant. En effet, s'il est un sujet sur lequel il faut que le débat
parlementaire prenne son temps et multiplie les navettes, sans parler d'une
large concertation en amont, c'est bien celui-là. D'autant que l'on aborde, à
cette occasion, des domaines sensibles aux yeux des élus nationaux et locaux,
tels que l'organisation de la coopération intercommunale avec les pays et les
communautés d'agglomération et la place des services publics.
Ce texte touche à l'équilibre entre l'Etat et les collectivités territoriales,
sujet qui, depuis l'entrée en vigueur des lois de décentralisation, a suscité,
à bon droit, controverses et passion.
Oui, il fallait prendre son temps, et ce pour deux raisons.
D'abord, le texte qui nous arrive de l'Assemblée nationale est truffé de
surcharges et de pétitions de principe. C'est tout sauf un texte de loi concis,
précis, aisément transposable en décrets. Précisément, il manquera le système
des navettes pour lui donner densité et justesse.
Ensuite, je ne me retrouve pas vraiment dans l'hymne à la civilisation urbaine
que sous-tendent quelques-uns des principaux articles, pas plus que je ne me
retrouve dans une forme de ruralisme que cultive la majorité du Sénat.
Le rural n'est plus, sauf exception, cette zone agricole touchée par la
déprise et les friches, minée par le vieillissement de la population. Mais
l'urbain, c'est aussi les quartiers périphériques générateurs de violence, où
se perd l'état de droit ; ce sont les centres-villes qui se dépeuplent.
Beaucoup d'experts, de hauts fonctionnaires et quelques hommes politiques
croient s'en tirer en assénant que 80% de la population vivent dans les villes,
alors que cette assertion repose sur une interprétation contestable des
critères techniques de l'INSEE appliqués au recensement : est réputée urbaine
toute agglomération qui compte plus de 2000 habitants.
Ce faux débat occulte un fait que le recensement va confirmer : nos
concitoyens plébiscitent désormais un mode de vie urbain, dans un cadre de vie
rural ou de petites villes. Bref, on est loin du débat traditionnel qui tient
lieu de pensée unique en matière d'aménagement du territoire.
Telle est mon objection sur la forme ; vous voyez qu'elle débouche sur le
fond.
S'agissant de quelques-uns des choix concrets que vous nous proposez, mon
jugement sera beaucoup plus favorable. J'approuve votre conception des pays et
je regrette que l'Assemblée nationale l'ait rendue confuse et inutilement
compliquée. En revanche, je ne peux accepter que nos collègues de la majorité
du Sénat veuillent supprimer le « conseil de développement ».
Je me suis assez battu, y compris dans le débat sur la loi Pasqua ou à la tête
des comités de bassin d'emploi, afin que les partenaires socio-économiques et
la société civile soient associés à tout projet de développement territorial
pour ne pas me réjouir de cette avancée considérable que vous nous proposez,
madame la ministre. Il n'y aura pas de mobilisation de la population sans
l'instauration de cette forme de démocratie participative.
Je souhaite néanmoins que vous nous rassuriez, une fois encore, sur la nature
de l'intervention de l'Etat dans la mise en place de ces nouvelles formes de
solidarité à l'échelle d'une petite région. Confirmez-nous qu'il n'y a pas de «
découpage » préétabli dans les cartons de la DATAR et que le rôle du préfet se
bornera à « constater » la volonté de travailler ensemble des acteurs de
terrain. Tout autre démarche visant à forcer l'allure se retournerait contre
l'objectif poursuivi et constituerait une atteinte aux libertés communales, que
nous ne pourrions accepter.
S'agissant de l'épineux problème des schémas de services collectifs, vous
n'avez pas tort de souligner que le précédent gouvernement n'a pas su ou n'a
pas voulu mettre en place l'ambitieux « schéma national » prévu par la loi
Pasqua. Fallait-il pour autant en abandonner l'idée ? Faut-il, en outre,
écarter le Parlement de ce débat fondamental qu'est l'implantation de ces
services dont la nation attend une répartition équilibrée?
Je vois bien les risques de surenchères que vous redoutez. Pourtant, comment
expliquer la disparition de l'alinéa 2 de l'article 29 de la loi de 1995, qui
prévoyait une « compensation » financière du budget général aux missions fixées
par l'Etat aux entreprises publiques ? Vous connaissez mon engagement en faveur
des services publics et vous ne serez pas étonnée, madame la ministre, si je ne
vote pas, en l'état, ce texte.
Je suis également en désaccord s'agissant d'une « verrue », l'article 15
bis,
qui traite du « service universel postal ». Mais il est vrai que
cela ne relève pas de votre responsabilité.
Si n'est pas confirmé l'engagement de présenter très rapidement une loi
d'orientation sur le service public postal, je réitérerai mon incompréhension.
La Poste est en danger, et je connais trop les médecines ultralibérales que
certains préparent, y compris dans notre Haute Assemblée, pour ne pas prendre à
cette occasion toutes mes responsabilités.
Enfin, pour ce qui est des conditions financières du développement économique
équilibré des territoires, cette fois, mon avis est partagé. Mes collègues de
la majorité sénatoriale s'émeuvent de la minceur des propositions en la
matière. Mais ce sont eux qui ont accepté de fondre six fonds sectoriels en un
seul, le FNADT, dans la loi de 1995. Et ils s'étonnent aujourd'hui que Bercy
ait profité de leur naïveté pour obtenir des contractions de crédits.
D'ailleurs, depuis votre arrivée, au Gouvernement, est intervenu un
redressement, il faut vous en donner acte.
En outre, ils n'ont pu obtenir de leurs gouvernements la mise en place du
fonds destiné à la création d'entreprises dans les cantons ruraux en déclin,
malgré le vote du Parlement voilà quatre ans. Et ils voudraient aujourd'hui
remédier à ces carences en reprenant une partie des dispositifs prévus par la
proposition de loi Raffarin.
Si j'approuve l'intention et, pour partie, les idées, je m'interroge sur la
méthode. Ces dispositifs sont délicats à mettre en oeuvre ; leur compatibilité
avec les règles concernant la concurrence n'est pas facile ; leur insertion
dans les circuits de financement bancaire est problématique, sans parler de
l'effort de formation des hommes ou des femmes que cela suppose.
Bref, s'il est nécessaire de légiférer, il faut élaborer un texte spécifique.
Il appartient au Gouvernement de choisir la voie et le moment. D'ici là, le
débat qui aura lieu, et c'est heureux, dans notre assemblée aura éclairé son
opinion.
Je formulerai la même remarque à propos des articles traitant pêle-mêle du
POS, des chemins ruraux, voire des agences d'urbanisme, autant de sujets
sérieux qu'il faut traiter sérieusement.
En revanche, j'apprécie beaucoup la confirmation législative des « maisons des
services publics », auxquelles je crois.
Je constate également avec plaisir la disparition de la notion d'agence
postale communale, destinée à masquer un transfert indû de charges sur les
petites communes.
Je suis, surtout, très satisfait des articles qui rétablissent le lien entre
le schéma des transports de voyageurs et celui des transports de marchandises.
A cette occasion, la notion de « multimodal » devient l'orientation majeure, et
c'est un progrès considérable. C'est l'un des points sur lesquels le projet de
loi est le plus porteur d'avenir. Je formulerai la même approbation sur le
schéma de l'énergie qui ouvre la voie à des évolutions, fussent-elles
lentes.
Il reste le délicat problème de la péréquation et de la réduction des
inégalités territoriales. J'entends avec intérêt mes collègues de la majorité
sénatoriale regretter bruyamment le dispositif imaginé en 1995, sur proposition
du président François-Poncet. Mais c'est aux deux précédents gouvernements que
le reproche s'adresse.
Plus fondamentalement, ce qui compte, ce sont les mesures effectives de
péréquation des ressources, tout particulièrement pour ce qui est de la taxe
professionnelle. Sur ce sujet brûlant, je trouve les mêmes moins allant.
Pourtant, la question reste posée : le dispositif de la loi de finances de 1999
sur l'exonération de la part salariale, par ses effets indirects, ou la taxe
unique d'agglomération ne corrigera qu'à la longue des disparités choquantes
actuelles, et le temps presse.
Puisque s'exprime aujourd'hui à la tribune un miraculeux consensus, il vous
revient de pousser les feux, madame la ministre : il est urgent de remédier aux
inégalités criantes qui s'aggravent entre le bassin parisien et le reste de la
France et, au sein même de l'Ile-de-France, entre l'Est et l'Ouest, si vous me
permettez cette simplification un peu hâtive.
Proposez, par exemple, d'accroître la part du fonds de péréquation de la taxe
professionnelle dans le reversement aux collectivités territoriales, dont les
ressources sont inférieures à la moyenne nationale. Vous comblerez les voeux de
la commission spéciale et vous appliquerez l'esprit de la loi de 1995.
Comme vous le voyez, j'aborde ce débat sans
a priori
ni dogmatisme,
dans un état d'esprit globalement favorable. J'espère que de notre échange, au
sein de notre assemblée, sortira un texte dépouillé et plus net encore dans ses
orientations. Je soutiendrai, tout au long de ce débat, les orientations que
vous nous aurez données.
(Applaudissements sur les travées socialistes,
ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans
l'aménagement du territoire, la région d'Ile-de-France occupe une place
importante et souvent première. Il est vrai que, pour beaucoup de Français,
l'Ile-de-France serait riche, privilégiée, tentaculaire, focalisatrice de
talents, de modernité, de progression de population, et tout cela grâce à un
soutien excessif de l'Etat et au détriment des autres régions françaises.
Implicitement ou explicitement, cette vision a été celle des gouvernements qui
se sont succédé depuis la restructuration de la région parisienne, en 1967, en
huit départements. Elle a conduit au schéma directeur de la région
d'Ile-de-France, le SDRIF, aujourd'hui devenu archaïque, inadapté, constituant
un carcan au développement de l'Ile-de-France et privant le pays dans son
ensemble d'une partie de son savoir-faire et de l'activité qu'elle génère.
Ce SDRIF prévoyait un arrêt du développement démographique et organisait la
désindustrialisation, aidé en cela par la DATAR.
Les orientations retenues conduisaient à un transfert financier vers les
autres régions de France. Le montant des transferts sociaux de l'Ile-de-France
vers la province s'élève à plus de 150 milliards de francs par an.
L'Ile-de-France contribuait, à hauteur de 28 %, aux recettes de l'Etat, ne
recevant en retour que 19 % des investissements publics.
Madame la ministre, le SDRIF proposé par Michel Rocard en 1994 doit être
profondément modifié, pour éviter que la politique actuelle ne fasse régresser
l'Ile-de-France, avec le basculement de territoires dans la pauvreté et le
retard des institutions.
Ce danger est-il réel ? Notre analyse est-elle sérieuse ? Je souhaite
m'appuyer, précisément, sur l'analyse de M. Duport, préfet de région, qui prône
une stratégie radicalement nouvelle, avis que nous partageons, et que nous
retrouvons dans le document « Stratégie de l'Etat en Ile-de-France ».
Nous ne fondons pas notre position sur le but poursuivi : faire de
l'Ile-de-France la capitale ouest de l'Europe. Notre analyse s'attache, en
priorité, aux besoins de vie des onze millions de Franciliens.
Mais M. le préfet de région a raison lorsque ; constatant une forte croissance
du chômage, de la précarité et des disparités de revenus, l'existence de 1,5
million d'exclus, générant une dualisation territoriale renforcée, alarmante,
devenant le problème numéro un de l'Ile-de-France, il écrit ceci : « Cette
dualisation sociale est aggravée par une ségrégation résidentielle croissante
qui entraîne, sur l'ensemble de la région, l'apparition de poches localisées de
pauvreté, mais surtout qui provoque le décrochage de territoires dépassant de
loin l'échelle des cités et englobant le nord et l'est de l'agglomération et
les quartiers du centre et de l'est de Paris.
« Ces territoires, fortement touchés par la désindustrialisation et parfois
enclavés, présentent un tissu urbain dégradé, marqué par les friches
industrielles, la brutalité du paysage, la juxtaposition de zones
pavillonnaires et de grands ensembles, et les coupures urbaines dues aux
nombreuses infrastructures de transport mal insérées dans leur environnement.
»
Vous le noterez, nous ne sommes plus à constater l'existence de cités, de
villes, de quartiers marqués par le rejet, l'exclusion, le non-droit. Nous
définissons des territoires qui représentent le nord et l'est de
l'Ile-de-France, mais aussi - et c'est nouveau ! -, les quartiers du centre et
de l'est de Paris.
Cet ensemble de territoires représente près du quart de l'Ile-de-France.
Les communistes, qui se sont réunis le 11 décembre 1998 pour en débattre, ont
constaté que, en Ile-de-France, se côtoient la richesse la plus insolente, le
record de France d'assujettis à l'impôt sur les grandes fortunes et une
pauvreté insoutenable, le record du nombre des chômeurs, des précaires, des
RMIstes ».
C'est ce que constate également, madame la ministre, l'article 35 du projet de
loi qui nous est soumis, sur lequel nous reviendrons lors de la discussion des
articles en en proposant une autre rédaction.
Le deuxième alinéa de cet article dispose : « A titre transitoire, ces
nouvelles dispositions ne prendront effet qu'à la prochaine révision du schéma
directeur de la région d'Ile-de-France selon les modalités prévues au huitième
alinéa du présent article. »
Les objectifs que l'on cherche à atteindre sont donc de trois types : d'abord,
croissance urbaine et démographique ; ensuite, correction des disparités
spaciales, sociales et économiques, et nous ajoutons « culturelles », avec
coordination des offres de développement ; enfin, développement durable de la
région.
Mes chers collègues, en clair, cela signifie qu'il ne faut plus s'opposer à
l'accroissement de la population qui, par le jeu du renouvellement des
générations, pourra atteindre 14 millions d'habitants.
Cela signifie que la DATAR doit cesser d'organiser le départ des entreprises
des huit départements et de Paris.
Le nombre de chômeurs est de 580 000, dont 40 % se trouvent en
Seine-Saint-Denis et à Paris. Le nombre de salariés dans l'industrie s'élève à
747 000. Pour ne plus voir ces deux indicateurs se rapprocher, il convient de
conserver à l'Ile-de-France ses 62 000 établissements industriels, qui
représentent encore 15 % de l'emploi francilien, pourcentage qui ne doit plus
décroître.
Fabrication d'équipements électriques, électroniques, imprimerie,
aéronautique, chimie et métallurgie sont des branches à redévelopper ; il faut
aussi reconvertir l'armement et moderniser la recherche. Je voudrais insister
sur ce dernier point. Le rapport « SDRIF et université » visait à réduire la
part francilienne du nombre d'étudiants en France, objectif atteint,
pouvons-nous dire, puisque l'Ile-de-France accueille 25 % des étudiants
français contre 33 % en 1982. Entre 1985 et 1996, le nombre d'étudiants s'est
accru de 51 % en France et de 27 % en Ile-de-France. Depuis dix ans, les
universités de Paris et de la petite couronne ont été délaissées.
L'effort qui doit être accompli pour répondre à votre politique, madame la
ministre, est important, car les deux tiers du parc parisien sont à revoir.
Restaurants et logements universitaires, locaux sportifs, espaces culturels
appellent de sérieux investissements. Dans ce domaine également, il convient de
faire reculer les inégalités. Je pense notamment, à cet égard, aux universités
du Val-de-Marne, de la Seine-Saint-Denis et du centre de Paris qui accueillent
les étudiants vivant en zone urbaine sensible. J'en veux pour preuve le taux de
réussite au baccalauréat de l'académie de Créteil, qui est le plus faible de
France.
Quant à la recherche, l'Ile-de-France conserve encore un taux de 45 % de
l'activité française, mais sa part dans les brevets européens a diminué de 14 %
de 1990 à 1996.
On assiste à un vieillissement des équipes de recherche et des équipements. Le
pôle scientifique d'Orsay rencontre, vous le savez, des difficultés de
fonctionnement.
Je profite de ce constat pour noter que la part de la province ne bénéficie
nullement de cette baisse francilienne. La part des brevets de province a
baissé également de 3%. C'est donc bien la France tout entière qui est
pénalisée par la baisse de la recherche et de l'université franciliennes.
Emplois industriels, enseignement supérieur et recherche sont deux pôles
d'intervention pour regagner de nombreuses pertes et reculs économiques et
sociaux.
Mais la redynamique francilienne passe également par une politique nouvelle en
matière de transports collectifs et de logement.
En matière de logement, l'Ile-de-France est au premier rang des régions à
difficulté, avec 400 000 inscrits au fichier de ce que l'on appelle les «
cumuls/logements » ; 280 000 logements sont à réhabiliter, dont 118 000 à
Paris.
M. le préfet de région a raison de dire que la crise du logement est
l'obstacle majeur du développement de l'Ile-de-France.
Le SDRIF constituait un obstacle à la construction, à la réhabilitation de
logements. Il a été facteur d'aggravation de la situation : il a augmenté le
retard dans la constitution de 100 000 logements ; il a accentué les
déséquilibres, certaines communes ayant 70 % de résidence HLM, alors que
d'autres, comme les Hauts-de-Seine, en ont moins de 5 % ; l'Ile-de-France
compte 174 zones urbaines sensibles dégradées, parfois - vous le savez -
marginalisées ; les grands ensembles construits à partir des années cinquante
ont vieilli, sont partis parfois à la dérive, prêts à basculer dans la grande
pauvreté. Ils sont situés pour 52 % en petite couronne et pour 45 % en grande
couronne.
Mais, madame la ministre, l'évolution majeure est que le parc HLM est passé,
en vingt ans, du logement des salariés au logement des plus pauvres.
La résorption des zones d'habitats dégradés s'étendant sur de véritables
territoires est certainement le premier remède à trouver pour une
transformation urbaine où le logement social de qualité et accessible
retrouvera toute sa place, permettant ainsi la mixité.
L'Etat doit retrouver la voie du financement social alors même que l'Etat est
financé, pourrions-nous dire, par le logement social : 80 % des sommes payées
par les locataires servent à payer les emprunts, les taxes et les impôts.
Les transports collectifs, vous le savez, constituent un autre axe majeur
d'interventions. Leur amélioration appelle de nouveaux investissements dans les
domaines ferré, fluvial, et routier. La convergence sur Paris doit
s'accompagner de voies transversales de banlieue à banlieue. Des réalisations
comme l'Orbitale et les tangentielles sont des exemples de transports
circulaires à développer. Des financements nouveaux s'imposent, avec la réforme
du syndicat des transports parisiens, devenu archaïque et inefficace. La
solution réside non pas, comme certains le proposent, dans la mise en place
d'une vignette supplémentaire payée par les automobilistes, mais plutôt dans la
participation renforcée des entreprises à des investissements dont elles
profitent largement. Nous proposons aussi de supprimer les péages dans
l'ensemble des territoires franciliens.
L'article 35 du projet de loi évoque la nécessaire coordination ; cette
dernière doit s'opérer, selon nous, par la mise en place d'un plan de
transports urbains audacieux. Elle est nécessaire, tout comme la réduction du
coût des transports pour les usagers les plus fragilisés, tels les chômeurs.
Mes chers collègues, j'en viens à un point qui peut susciter un débat au
Sénat. Nous entendons dire parfois que le développement francilien pourrait se
faire au détriment du reste du territoire.
Je partage l'avis du Gouvernement : il faut effectivement équilibrer, enrichir
et développer l'Ile-de-France, mais - et j'apporterai une nuance à cet égard -
non pas exclusivement pour en faire la capitale de l'ouest de l'Europe, mais
bien plutôt parce qu'il s'agit d'un atout pour les Franciliens, pour la France,
et donc pour toutes les régions françaises, pour l'Europe et pour le monde.
Monsieur Gérard Larcher, je ne partage pas vos motivations d'élargissement du
territoire francilien au Bassin parisien. Personne ne conteste l'existence d'un
Bassin parisien en termes géographiques. Mais de là à lui donner un schéma
directeur, coordonnant les schémas départementaux directeurs de la Bourgogne,
du Centre, de la Champagne, des Ardennes, de la Haute-Normandie et de la
Picardie, c'est un pas que nous ne franchirons pas.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Vous avez tort !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Les réalités de vie, d'environnement, de priorités et de développement
demeurent spécifiques dans le cadre d'une politique nationale. Nous ne sommes
pas partisans d'une hypertrophie francilienne éloignant élus et collectivités
locales des secteurs d'analyse et du pouvoir de décision. Ce serait alors -
nous en sommes certains - au détriment des régions concernées.
Je rappelle qu'un meilleur équilibre territorial passe par une valorisation,
un épanouissement des atouts et des richesses de chaque région et de chaque
département. Une valorisation de chaque région suppose un développement
endogène, une rupture des oppositions entre une concentration de plus en plus
forte des parties urbaines et la désertification des campagnes.
Chaque région avec ses propres atouts doit s'épanouir et non devenir un simple
appendice marginalisé, servant de faire-valoir à l'Ile-de-France.
Je me demande d'ailleurs ce qu'en pensent les collègues de ces régions et
s'ils souhaitent une intégration francilienne.
Le développement de l'Ile-de-France doit être un atout pour les Franciliens ;
le refus de donner au SDRIF les moyens de développement a entraîné, c'est
certain, un affaiblissement de la région parisienne. La renforcer alors qu'elle
transfère une part de ses richesses vers le reste de la France ne peut que
servir les régions limitrophes mais aussi le reste de la France. J'ai noté
qu'un affaiblissement de la recherche francilienne s'est traduit par un
affaiblissement de la recherche française en général.
Madame la ministre, je voudrais également m'étonner de vos hésitations à
mettre en révision le SDRIF. Pourquoi attendre ? Surtout, pourquoi reporter à
vingt ans l'objectif d'un nouveau SDRIF, comme vous me l'avez indiqué ?
Le Gouvernement n'a pas donné, en 1994, les moyens nécessaires au SDRIF. Vous
le reconnaissez. Les effets ont alors conduit à cette évolution négative,
ségrégative de l'Ile-de-France au point d'en compromettre équilibre et
richesse.
Le SDRIF insuffisant, inadapté, a provoqué globalement un recul de
l'Ile-de-France. Une révision s'impose. Si l'on veut corriger ce recul, cette
révision est d'autant plus nécessaire que ce SDRIF inefficace avait été
repoussé par nombre d'entre nous. Les schémas locaux ont d'ailleurs tous en
commun l'objectif de pouvoir le contourner. Il faut savoir tirer au plus vite
les conclusions d'un échec évident.
Cette révision est complémentaire de l'aménagement que vous nous proposez,
madame la ministre. Son refus rendrait votre projet de loi sans aucun intérêt
pour l'Ile-de-France.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à
vingt-deux heures, sous la présidence de M. Jean Faure.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi d'orientation pour
l'aménagement et le développement durable du territoire.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Fatous.
M. Léon Fatous.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, cette année
sera marquée par le débat sur la loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement durable du territoire, qui pèsera, entre autres, sur la nouvelle
génération des contrats de plan Etat-région, auxquels nous sommes tous
également fort attachés.
Ce projet de loi d'orientation, déclaré d'urgence par le Gouvernement compte
tenu des contraintes de calendrier, n'opère pas une réécriture de la loi du 4
février 1995.
Je rappelle que, sur les quatre-vingt-huit articles que compte la loi de
février 1995, soixante-huit articles ne sont pas modifiés.
Au nom du groupe socialiste, je voudrais vous dire combien je me félicite que
la notion de développement durable soit érigée en principe fort de
l'aménagement du territoire : ce principe est notamment décliné dans les
articles consacrés à la politique des transports - articles 28, 29, 30 et 32 -
politique à laquelle, vous le savez, j'accorde beaucoup d'intérêt.
Le passage d'une logique d'offre à une logique de service a permis de proposer
huit schémas de service effectifs, parmi lesquels sont dissociés - et c'est
heureux - le schéma multimodal de transport de voyageurs et le schéma
multimodal de transports des marchandises. Ce dernier retiendra plus
particulièrement mon attention.
Il me paraît important de rappeler que ces schémas de service collectifs sont
élaborés dans une perspective à vingt ans et qu'ils prennent en compte les
projets d'aménagement communautaires, ce que la loi Pasqua avait négligé.
Pour m'en tenir aux deux schémas de transport, voyageurs et marchandises,
cette séparation constitue une innovation importante qui traduit la volonté du
Gouvernement de rééquilibrer le transport en faveur du fret, trop longtemps
négligé.
Il faut cependant éviter la mise en concurrence progressive des deux services
et favoriser leur complémentarité : l'un ne doit pas se développer au détriment
de l'autre.
Je sais que cette complémentarité est retenue, en principe, dans la définition
du cahier des charges publié en annexe de la circulaire du 17 juillet 1998
relative à la préparation des contrats de plan, mais je tenais à en rappeler
l'importance.
Cela étant, ma préoccupation porte davantage sur la concurrence route-fer pour
le transport des marchandises et des personnes.
Le déséquilibre accentué depuis dix ans en faveur du fret par voie routière et
autoroutière pose un réel problème pour la sécurité des usagers, pour
l'environnement et pour les finances publiques.
En tant que sénateur du Pas-de-Calais, département traversé par l'autoroute A
1 Lille-Paris, couloir nord-sud des échanges européens actuellement aux limites
de la saturation, je peux en mesurer les effets négatifs.
La modernisation et le développement du transport ferroviaire sont au coeur de
la politique alternative au « tout routier » qui a caractérisé la dernière
décennie.
Pour réussir cette mutation et pour obtenir l'adhésion des usagers et des
partenaires économiques, un certain nombre de conditions doivent être réunies,
qui nécessitent des moyens importants.
Il faut, à la fois, améliorer la qualité du service offert à la clientèle,
requalifier les gares et renforcer les infrastructures pour rendre
techniquement possible l'amélioration de l'offre de transport.
Réussir cette mutation, c'est aussi, en partenariat avec les autorités
organisatrices de transport et les collectivités locales compétentes,
développer l'intermodalité en rendant complémentaires des modes différents de
transport, ce qui nécessite également des équipements spécifiques.
Nous devons cependant garder à l'esprit le souci d'efficacité de la dépense
publique, en optimisant l'utilisation des réseaux et équipements existants.
En terme de stratégie, trois options me paraissent prioritaires.
L'une concerne l'axe nord-sud Lille-Paris-Lyon-Méditerranée, sur lequel il est
impératif de renforcer la fluidité. Pour cela, la suppression des points de
saturation, au niveau notamment de Lyon, de Nîmes et de Montpellier, est
capitale, la seule réponse possible étant d'envisager le contournement de ces
trois agglomérations.
La deuxième est relative à la nécessité d'aménager les axes est-ouest reliant
rapidement la façade Manche-Atlantique aux grands pôles européens.
La troisième concerne plus particulièrement la réalisation rapide de
plates-formes multimodales qui favoriseront la complémentarité et la
coopération entre modes, au niveau tant de l'exploitation des réseaux que de
leur extension.
A ce titre, il serait souhaitable que la plate-forme multimodale de Dourges,
dans le Nord - Pas-de-Calais, se réalise dans les plus brefs délais. Elle
répond, de par son positionnement géographique, à la préoccupation exprimée
dans le projet de loi d'orientation d'inclure la dimension européenne dans
notre réflexion. Elle répond également à une nécessité reconnue par l'ensemble
des collectivités de la région Nord - Pas-de-Calais et par tous les partenaires
économiques afin de permettre un rééquilibrage des modes de transport sur
l'ensemble du territoire national. Enfin, elle correspond parfaitement aux
objectifs visés à la fois dans le schéma régional de transport en cours
d'élaboration et au schéma de service collectif national.
Voilà, madame le ministre, les quelques remarques que je souhaitais présenter
à propos de l'un des aspects du projet de loi.
Pour le groupe socialiste, s'il apparaît nécessaire de poursuivre
l'amélioration du réseau routier et autoroutier, ne serait-ce qu'au titre de la
sécurité des usagers, nous devons rompre avec la logique du « tout routier »
pour le transport du fret. Mais nous devons également éviter que les corridors
européens se mettent en place uniquement par accords entre opérateurs
ferroviaires, ce qui pourrait conduire à ce qu'en 2015 les flux de transport
soient ailleurs que sur notre territoire.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Huchon.
M. Jean Huchon.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis près de
dix ans, la commission des affaires économiques et du Plan, sous l'impulsion de
son président, s'est passionnée pour l'aménagement du territoire.
Bordeaux, Poitiers, le 4 février 1995. Que de souvenirs, que de constats, que
de bonnes intentions exprimées, que de promesses faites, que de travaux
encouragés ; mais, au bout de tout cela, que de faux espoirs et que de
déceptions !
Notre pays, qui dispose d'espaces que beaucoup lui envient, a laissé depuis
quelques décennies se développer une situation aussi tragique que ridicule,
c'est-à-dire un territoire rural qui se désertifie de plus en plus et un tissu
urbain qui se congestionne et se caractérise par une prolifération des zones de
non-droit où a disparu toute vie civique et sociale.
Depuis quelques années, le Sénat a longuement observé cette situation de
fracture qui voit les zones urbaines s'asphyxier dans des problèmes sociaux et
démographiques quasi insolubles et les zones rurales se précipiter vers une
inexorable désertification.
Je souhaite que le texte que vous nous proposez aujourd'hui, madame la
ministre, contribue à inverser la tendance.
La loi de février 1995 était un instrument valable et prometteur, mais
pourquoi a-t-il fallu que les gouvernements successifs aient mis tant de
nonchalance, pour ne pas dire de mauvaise volonté, à appliquer un texte que
nous avions voté et qui nous donnait beaucoup d'espoirs ?
Le territoire est le patrimoine commun de la nation. C'est un bien précieux
que nous avons le devoir de ne pas laisser se dégrader et que nous devons
valoriser. Hélas ! le constat est désolant : 80 % de la population vivent sur
20 % du territoire et, si rien n'est fait, ce sera bien pire dans quelques
années.
Les remèdes, nous les connaissons un peu, mais ils n'ont jamais été appliqués
sérieusement.
Que faut-il pour inverser le processus de dégradation et assurer le retour
vers l'équilibre ?
Je vous propose deux actions de base. Premièrement, que des hommes sur le
terrain reprennent confiance et prennent en main leur avenir. Deuxièmement, que
l'Etat et le Gouvernement les comprennent et les accompagnent en leur donnant
de réels moyens d'actions.
Je reviens donc sur le premier point : les hommes. Disons-le tout net, les
maires et les équipes municipales doivent se sentir les moteurs et les
accompagnateurs du développement.
Bien sûr, la meilleure volonté, la plus grande détermination ne suffisent pas.
Il faut que l'Etat apporte l'organisation structurelle et les moyens
nécessaires à une action efficace.
Force est de constater que l'organisation actuelle de la fiscalité locale est
un frein extraordinaire à l'aménagement du territoire.
Aménager le territoire, c'est assurer l'égalité des chances. Il faut donc que
la participation de l'Etat sur le plan financier soit le plus rigoureusement et
le plus justement répartie sur la totalité de notre territoire. Hélas ! il
suffit d'être mêlé à la gestion locale pour constater qu'il n'en est rien.
Je ne veux pas vous agacer avec des chiffres, mais, pour avoir depuis très
longtemps travaillé abondamment sur ce sujet, sachez qu'ils démontrent de façon
éloquente les disparités énormes qui existent entre petites communes, villes
moyennes et grandes villes.
Ce problème de la fiscalité locale, notamment de la taxe professionnelle,
m'apparaît comme l'action prioritaire à mener. Vous en avez longuement parlé,
madame le ministre, et nos rapporteurs aussi. Je n'insisterai donc pas.
La réforme de la taxe professionnelle, en particulier, est urgente, même si le
lobby de ceux qu'elle favorise est puissant. La solidarité intercommunale n'est
pas forcément une vertu répandue ! Mais il faut que la loi corrige la situation
déséquilibrée que nous connaissons.
La péréquation fiscale prévue dans la loi de 1995 et appliquée chez nos
voisins d'Allemagne fédérale est un exemple dont nous pourrions nous inspirer !
En effet, le louable effort de décentralisation de la loi de 1982 a été
incomplet, car il a conforté les régions riches dans leur richesse et laissé
les régions les moins dotées à leur pauvreté.
La loi du 4 février 1995 avait ébauché timidement une péréquation progressive,
mais celle-ci n'a pas connu un début d'exécution, ce qui est bien dommage. Je
souhaite ardemment que la réforme des finances locales que nous examinerons
sous peu corriger cette situation inadmissible.
L'aménagement du territoire, c'est aussi le drainage de l'ensemble du
territoire par des équipements routiers et ferroviaires dignes d'un grand pays.
L'examen de la carte de notre territoire montre que, partout où le réseau
routier, autoroutier et ferroviaire est moderne, la croissance économique et
démographique suit rapidement. C'est pourquoi nous insistons auprès de vous,
madame la ministre, pour que le programme que vous avez suspendu soit repris.
Les voies de communication sont indispensables. Nombre d'entre elles ont été
réalisées, mais il reste beaucoup à faire.
Aménager le territoire, c'est aussi encourager l'occupation raisonnable et
raisonnée de l'espace ; en un mot, il convient que l'agriculture soit
solidement installée et qu'elle puisse s'exprimer dans des conditions
favorables. A cet égard, la loi d'orientation agricole comporte des éléments
intéressants, mais aussi des insuffisances quant aux moyens mis en oeuvre.
Quant aux négociations sur la PAC, on ne peut qu'être inquiet et redouter un
échec ou un mauvais accord, qui auraient des conséquences dramatiques sur
l'avenir de l'agriculture, et donc sur l'occupation du territoire.
A l'aube du xxie siècle, l'agriculture ne peut, à elle seule, occuper le
territoire ; mais, inversement, un milieu rural vivant et attractif ne peut se
passer d'une agriculture prospère.
Il faut également encourager l'emploi, à travers la création d'entreprises qui
fourniront le travail à une main-d'oeuvre que l'agriculture ne peut plus
utiliser. A ce sujet, des mesures de soutien déjà largement prévues dans la loi
de 1995 doivent être mises en application. Certaines régions françaises donnent
l'exemple. Il faut s'en inspirer, notamment en stimulant l'esprit d'entreprise,
qui n'est pas nécessairement favorisé par certaines méthodes d'assistance qui
anesthésient le goût de l'initiative et du risque.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Jean Huchon.
Espérons que le nouveau courant qui prévaut à l'éducation nationale, qui
semble entretenir des contacts de plus en plus fréquents avec les entreprises,
redonne à nos jeunes le goût de l'initiative économique.
Une autre action indispensable est le maintien des services publics. On
assiste trop fréquemment à des regroupements vers les centres des équipements
postaux, financiers et, plus récemment, à des gendarmeries. Ce sont de
véritables abandons du territoire. Tout cela est fort mal vécu par la
population, qui se sent frustrée, voire délaissée.
Dans ce domaine du maintien du service public en milieu diffus, madame la
ministre, nous sommes quelquefois traumatisés par des attitudes ou des
règlements qui peuvent paraître secondaires vus de Paris.
A cet égard, permettez-moi de sortir des considérations générales pour évoquer
brièvement un cas pratique d'aménagement, ou plutôt de non-aménagement du
territoire.
Je veux parler du parcours du combattant, des lourdeurs du système
bureaucratique, de la prééminence des intérêts particuliers et catégoriels sur
l'intérêt général qui accompagnent l'installation des pharmacies en milieu
rural.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Jean Huchon.
Qui oserait contester ici l'importance qui s'attache à garantir le droit égal
de tous les Français à bénéficier de services de santé ? Qui dénierait la
nécessité de leur offrir des services de proximité ?
Or, qu'observe-t-on dans de nombreuses zones rurales marquées par un
développement dynamique de l'activité économique, car cela existe ?
Dans des communes de 1 000 à 2 000 habitants où sont installés des maisons de
retraite, des foyers logement où certains bénéficient du maintien à domicile,
ceux qui n'ont plus les moyens de se déplacer sont obligés de se faire
transporter à plusieurs kilomètres faute d'une pharmacie à proximité.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Jean Huchon.
Je n'insisterai pas sur l'implantation des pharmacies - la réglementation date
d'ailleurs de Vichy - ni sur les conditions nécessaires à leur ouverture.
L'immense majorité des officines créées dans le cadre de la procédure
dérogatoire accordée par MM. les préfets sont immédiatement l'objet d'un
recours porté devant le tribunal administratif, si bien que ledit tribunal
administratif ordonne, bien sûr, la fermeture de l'officine nouvellement
ouverte.
C'est une situation ridicule dans laquelle seul n'est jamais pris en compte le
service du public, et notamment de ce public fragile, de ces clients
privilégiés que sont les générations qui ne peuvent plus se déplacer.
J'ai suffisamment de bons rapports avec mes nombreux amis pharmaciens, y
compris dans cet hémicycle, pour me permettre de leur dire ce que je pense et
pour leur demander un aménagement de cet énorme privilège corporatiste.
Le
numerus clausus
qui prévaut en France a été supprimé dans de
nombreux pays européens, notamment en Allemagne et en Angleterre, et, après
tout, la liberté qui existe en économie pourrait également exister dans ce
secteur d'activité !
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Jean Huchon.
Madame la ministre, depuis cet après-midi, de nombreux orateurs ont évoqué le
texte de votre projet de loi, qui prend en compte à la fois le dramatique
problème urbain et la déshérence du milieu rural défavorisé.
Je m'associe, bien sûr, aux propos qui ont été tenus. Je partage aussi votre
souci d'un environnement qui a parfois été malmené. Mais, de grâce ! s'il faut
prendre en compte largement la qualité de la vie, il faut aussi qu'une activité
économique digne de ce nom permette aux ruraux de vivre de leur travail.
L'espace français n'a pas vocation à devenir une réserve d'Indiens. De même,
nous devons tout faire pour que nos banlieues à problèmes redeviennent vivables
et humaines.
Vous prévoyez, pour asseoir votre loi, d'utiliser la structure régionale ;
c'est en effet le rôle de cette dernière de participer largement à la fonction
d'aménagement du territoire.
Vous attribuez, semble-t-il, au département un rôle plus réduit. Je crois que
c'est un tort, et nombre de mes collègues vous ont déjà dit ce qu'ils en
pensaient.
Vous voulez donner un rôle fondamental aux pays, et vous avez raison. J'en ai
fait l'expérience depuis vingt ans puisque, dans mon département, des élus
locaux et nationaux clairvoyants ont encouragé et provoqué la constitution, par
bassins d'emplois et par affinités, de regroupements spontanés qui sont devenus
de réels pays, c'est-à-dire des lieux de réflexion et d'élaboration de projets
débouchant sur des contrats.
Nous n'avons pas fait une structure supplémentaire. L'expérience des pays qui
a été la mienne m'a apporté la preuve que l'action a été fondamentale pour
fédérer les hommes et les structures. La réflexion qui a été menée par tous les
élus avec les divers échelons administratifs - Etat, région, département et,
éventuellement, Europe - pour faire une politique contractuelle imaginative et
novatrice a considérablement facilité l'intercommunalité.
Provoquer l'action volontariste des hommes sur le terrain est un premier
résultat. Mais il faut aussi, j'y reviens, que l'Etat accorde les moyens
nécessaires à une action significative.
Je vous ai dit, il y a quelques instants, tout le mal qu'on pouvait penser de
la fiscalité locale telle que nous la subissons.
J'aurais voulu que mon pays, dont j'étais le président, et qui compte 100 000
habitants, puisse disposer des mêmes possibilités financières qu'une ville de
100 000 habitants. Hélas ! ce n'était pas le cas, et ce n'est toujours pas le
cas. Le coefficient va de un à quatre, et c'est intenable.
C'est pourquoi il faut une remise à plat de la fiscalité locale, notamment de
la taxe professionnelle, dont on dit toujours le plus grand mal, mais qui
perdure allègrement en favorisant énormément ceux qui la perçoivent. La
prochaine loi sur les finances des collectivités locales est donc attendue avec
une grande impatience.
L'aménagement du territoire, il en a été tellement question, ces dernières
années, qu'après tant de discours, de promesses non tenues, de lois non
appliquées, le doute s'installe dans l'esprit de nos concitoyens.
La commission spéciale, qui a, hélas ! travaillé dans la précipitation pour
enrichir le texte qui nous est proposé, aurait souhaité une plus grande
sérénité et un peu plus de temps pour réfléchir et proposer des mesures qui
vont conditionner l'avenir des dix ou vingt prochaines années.
Nos trois amis rapporteurs, Gérard Larcher, Claude Belot et Charles Revet,
ont, avec leur connaissance du dossier et leur volonté de défendre l'intérêt
supérieur du pays, élaboré des amendements substantiels qui vont, nous
l'espérons tous, mettre en place un instrument législatif efficace. Qu'ils en
soient félicités et remerciés.
Espérons que la France, après avoir retrouvé un équilibre qu'elle n'a plus,
puisse tenir sa place dans une Europe digne de ce nom !
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux, moi
aussi, remercier le président de la commission spéciale, MM. Jean
François-Poncet, et nos trois rapporteurs, Gérard Larcher, Claude Belot et
Charles Revet, de nous avoir permis de faire un travail important dans
d'excellentes conditions.
Ce travail a également été passionnant, et ce sur un texte, madame la
ministre, qui, à vrai dire, est quelque peu déroutant. Dans le pays, souvent, à
son propos, on s'inquiète. Mais quand on y regarde de près, on se rend compte
que c'est principalement une affaire de sémantique.
Depuis la création de la DATAR, en 1963, depuis Olivier Guichard, on était un
peu habitué au vocabulaire « Guichard ». Au fond, c'est peut-être votre mérite
- de votre point de vue, pas du mien ! - de faire entrer le discours écologiste
dans les textes législatifs.
Votre victoire sur tous vos partenaires est donc sémantique. Il est clair que
le développement ne peut être que durable et que l'ensemble de la thématique
écologiste est présente dans ce texte d'un bout à l'autre. Comprenez, dès lors,
que l'on soit quelque peu dérouté !
Mais au fond, à y regarder de près, là encore, ce n'est pas si méchant qu'il y
paraît.
Ainsi, il est un certain nombre de points positifs, d'avancées significatives
que je veux relever parce que c'est, me semble-t-il, l'occasion de faire
progresser notre réflexion.
J'ai beaucoup apprécié, presque plus, d'ailleurs, dans votre discours
liminaire que dans votre texte, le fait que vous abordiez le débat en termes de
justice.
C'est vrai - vous l'avez souligné - c'est à l'intérieur d'un même territoire
que la problématique de la justice se pose, tant il est vrai qu'il ne faut pas
avoir cette vision sommaire qui consiste à opposer les territoires les uns aux
autres : les riches ont leurs pauvres, mais les pauvres ont leurs riches. Et
c'est à l'échelle du pays tout entier qu'il faut, à l'évidence, raisonner en
termes de justice.
Moi qui suis dans le camp des humanistes libéraux, j'apprécie que vous
répondiez à cette nécessité de justice par un besoin de liberté : vous
souhaitez libérer les énergies et vous faites de l'aménagement une liberté pour
atteindre la justice. Il y a là des points intéressants que je veux
souligner.
Il est en effet important de faire du développement la priorité. Dans le
concept d'aménagement du territoire, le développement venait en second, après
l'aménagement, bien sûr. Or, on voit bien aujourd'hui, que, dans un territoire
qui connaît des difficultés, qui a ses pauvres, qui a ses riches, il faut
absolument libérer le développement local, le développement endogène, l'énergie
locale, car c'est là le premier moteur de l'aménagement du territoire ; sans
développement, il ne peut pas y avoir d'aménagement. Il est donc important, je
le répète, d'accorder cette priorité au développement.
Quant à savoir si ce développement est durable - je rejoins, à cet égard, les
propos de M. Jean François-Poncet - si l'on peut vous faire plaisir en disant
qu'il l'est, disons-le : nous sommes contre le développement non durable !
Deuxième point très important : la logique du contrat. L'évolution
apparaissait déjà dans le texte de MM. Pasqua et Hoeffel, voire dans les
contrats de plan, depuis 1984.
Le contrat est l'outil majeur de l'aménagement du territoire, comme il l'a
été, il y a déjà quelques années, de la politique des entreprises face à la
compétition des pouvoirs : les arbitrages ont été rendus grâce à la politique
contractuelle.
Le contrat est le lieu de l'équilibre, le lieu où les volontés s'articulent.
Notamment dans ce pays, il est l'occasion pour l'Etat d'affirmer la cohérence
dont il est en charge et de s'adresser aux territoires pour les écouter et
faire en sorte qu'ils puissent libérer leur énergie.
Il est primordial de placer le contrat au coeur même des discussions. Nous
avons beaucoup travaillé cette question, et l'accord auquel nous sommes
parvenus - M. le président Jean François-Poncet a dit que c'était quasiment un
miracle - entre l'association des maires de France, l'assemblée des présidents
de conseils généraux et l'association des régions de France est, en fait, le
fruit du bons sens. Nous avons fait du contrat l'outil d'aménagement du
territoire.
Mais pour que le contrat soit transparent - car on voit bien que la faiblesse
du contrat, c'est l'opacité : qui fait quoi ? - il faut faire en sorte qu'il
soit lisible, et donc qu'il y ait un chef de file pour le citoyen et pour les
autres.
La définition du chef de file me paraît raisonnable. Tout le monde peut y
trouver son compte, et c'est pour le citoyen le moyen de voir que les
collectivités territoriales, les acteurs locaux, travaillent ensemble dans la
bonne direction et que chacun assume sa responsabilité vis-à-vis des autres.
La troisième avancée significative, c'est l'avenir du pays.
Sur le pays, on a entendu dire beaucoup de choses et, notamment, dans cette
assemblée, qu'il fragiliserait les départements. En fait, le pays ne fragilise
que les départements qui ne s'intéressent pas à lui. Quand un département
s'intéresse au pays, le pays renforce le département.
Il est clair que le pays est un espace de projet, un espace de dynamique.
Quand le département assume son rôle de cohérence - et il peut très bien le
faire ! - il n'a pas à avoir de complexes par rapport à la région. M. Belot l'a
dit et il l'a prouvé sur le terrain.
De très nombreux exemples montrent que, naturellement, si les pays sont
abandonnés, ils se tournent vers ceux qui s'intéressent à eux. C'est pourquoi
nous avons fait en sorte, au travers de nos amendements, que, à chaque fois que
le département veut jouer la carte de la cohérence avec les pays sur son
espace, il ait les possibilités juridiques de le faire.
Priorité au développement, logique de contrats, avenir du pays, mais aussi -
c'est très important - la région comme pivot de contractualisation.
Je suis bien obligé, dans cette assemblée, de dire un mot des régions, car, si
je ne le fais pas, je crains que personne n'en parle.
Je veux simplement souligner brièvement le fait que la région est un pivot de
la contractualisation ; mais la région à la française, c'est-à-dire une région
qui est à la fois décentralisation et déconcentration, qui est un espace de
négociation à l'intérieur duquel des partenariats clairs s'établissent.
Je crois que nous avons montré, madame la ministre, dans ce texte, et
probablement pour la première fois, que la guerre département-région n'aura pas
lieu parce qu'elle est absurde. Le talent consiste à mettre tout le monde en
spirale positive et donc à trouver les moyens d'un partenariat intelligent.
C'est ce que nous voulons faire à travers les amendements proposés par nos
rapporteurs.
Voilà donc les quatre avancées significatives.
Votre texte n'attend pas tout à fait la perfection, madame la ministre, mais
il pourrait s'en approcher si vous nous suiviez dans trois directions, qui sont
autant de progrès.
Premier progrès : élaborons, nous en avons déjà parlé, un projet français pour
l'aménagement de l'espace européen ; c'est très important.
Nous ne pouvons pas nous contenter de dire que l'aménagement du territoire
n'est pas une compétence européenne, donc que cela ne nous regarde pas, et,
ainsi, ne pas élaborer une stragégie.
Au contraire, nous devons concevoir une stratégie française de l'espace
européen ; nous devons définir la perception que nous en avons, notamment en
intégrant des périphéricités en Europe, car la cohésion économique et sociale
est aussi territoriale.
Nous devons trouver des alliés au sud comme au nord, et dans les pays qui sont
eux-mêmes périphériques à l'est. Il y a là une logique à définir. Il nous faut
une vision - je ne sais, madame la ministre, comment elle peut être intégrée
dans le projet de loi, mais vous avez défini quelques avancées - et trouver une
formule pour bien montrer que la France se doit d'assumer la cohérence entre
son aménagement du territoire et le SDEC, les bases ayant été brillamment
jetées par M. Hoeffel lors d'un sommet des ministres de l'aménagement du
territoire qui s'est tenu à Strasbourg.
Le deuxième progrès, c'est le schéma de synthèse. Nous n'en sommes pas très
loin. Certes, se déroule un débat théorique sur l'existence ou non d'un schéma
national. Vous, vous parlez de schéma de services. Nous, nous parlons de schéma
directeur. Vous avez une vision de la France à l'horizon 2020. Si nous
réunissons tous ces éléments, si nous en débattons au Parlement, nous ne sommes
pas très loin d'un schéma national.
Faisons la synthèse des outils existants. Débattons de la France à l'horizon
2020. Il est important de fixer des objectifs lointains. Faisons en sorte que
ce schéma de synthèse soit débattu au Parlement. Le CNADT ne peut pas être le
seul outil de concertation. Certes, il s'agit d'un club sympathique réunissant
des personnes très compétentes, mais il faut quand même que, sur un certain
nombre de dossiers - nous l'avons vu récemment avec la consultation sur la PAC
et les cartes d'aménagement du territoire - les élus soient consultés dans la
transparence et non pas au sein de comités qui sont créés et dans lesquels
toutes les forces ne sont guère représentées de manière équitable. Il est
important, je le répète, d'avoir un débat au Parlement sur ce schéma de
synthèse.
J'en arrive au troisième progrès à réaliser. Vous parlez de développement.
Comment fait-on aujourd'hui essentiellement du développement ? Comment
crée-t-on principalement de l'emploi ? On crée de l'emploi en créant des
entreprises. Les véritables emplois sont créés par les véritables entreprises.
Il ne peut y avoir d'aménagement du territoire sans création et développement
d'entreprises.
Sur ce point, votre texte pèche par sa faiblesse et des avancées s'imposent.
Ce serait un signal fort ; hors des débats idéologiques, cela montrerait que
nous comprenons que l'aménagement du territoire consiste à libérer des
énergies, notamment en créant des entreprises.
Nous proposons un volet relatif au développement économique avec des mesures
précises, concrètes, étudiées et expérimentées dans d'autres pays.
Nous souhaitons favoriser le capital de proximité, par le biais notamment de
fonds communs de placement de proximité sur la base des FCPI qui existent déjà,
de manière qu'une épargne puisse être collectée au niveau d'un territoire, d'un
département, d'une région pour être réinjectée dans des zones difficiles. A tel
endroit on a besoin de capital risque, à tel autre, de moyens financiers. Il ne
s'agit pas d'aller chercher la charité au bout du monde mais à l'intérieur du
territoire, de faire en sorte que ceux qui ont quelques moyens participent à la
vie de leur propre territoire et à l'oxygénation du développement local.
Nous proposerons également, par amendement, de développer les groupements
d'employeurs, les réseaux d'entreprises, etc. On sait bien, selon les grands et
beaux rapports de la DATAR, que la logique des districts et un certain nombre
d'autres logiques se développent aujourd'hui partout dans le monde.
Créons des réseaux d'entreprises, comme les groupements d'employeurs qui
permettent à des artisans, à des petites et moyennes entreprises de faire
preuve, en se regroupant, de solidarité active, fertile. Alors, les petits
artisans arriveront à échanger des heures, disposeront de salariés en commun ;
ils utiliseront cette souplesse dont ils ont besoin.
Le texte de MM. Pasqua et Hoeffel proposait un certain nombre d'avancées en
matière d'aides économiques que l'on pourrait essayer de développer.
Je sais bien que tout cela est difficile. J'avais, avec l'aide de la banque de
développement des PME, lancé une initiative importante sur les territoires qui
avait apporté de l'oxygène aux petites et moyennes entreprises.
Mais il y a sans doute encore d'autres mesures à développer. Avec Francis
Grignon et un certain nombre d'autres collègues, nous avons constitué un groupe
de travail auprès de Jean François-Poncet, pour mobiliser des idées. Nous
serons, au cours de ce débat, madame la ministre, à la disposition de tous pour
essayer de renforcer cette fertilité économique.
Mon dernier message sera pour vous demander - mais je sais que vous en êtes
capable - d'avoir vis-à-vis de la ruralité cette reconnaissance, cette
considération dont la ruralité a besoin, qui n'a rien à voir avec une charité
ou le sentiment que la ruralité est l'obsession des sénateurs, qui, parce
qu'ils représenteraient la France profonde et lointaine, n'ont que ce mot-là à
la bouche quand ils sont réunis.
Non, madame la ministre, sur ce terrain, nous voyons bien aujourd'hui une
reconnaissance rurale se développer, avec une vraie dynamique, de vraies idées,
de vrais réseaux Internet, de nouvelles technologies.
La ruralité est d'avant-garde aujourd'hui parce qu'elle est humaine, qu'elle
respecte les relations humaines, la convivialité.
Au fond, nous pensons qu'il y a sans doute, pour le prochain siècle, qui
cherche la place de l'homme dans ces espaces-là, peut-être quelques lignes
d'espoir à tirer.
Alors, madame la ministre, vous verrez que votre texte pourra faire en sorte
que la logique de développement l'emporte sur la logique de conservation.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà, quatre
ans, nous avons discuté d'une loi importante, sur laquelle j'avais émis
quelques réserves.
Madame la ministre, au-delà d'une observation liminaire, que je me permettrai
de vous livrer, je vous poserai une question et, à la limite, je vous ferai une
objurgation.
Mon observation de départ, c'est que notre pays présente une caractéristique
au sein de l'Europe occidentale, à savoir une certaine faiblesse de sa
population ramenée au kilomètre carré par rapport à celle de ses voisins.
De ce fait, les raisonnements fondés sur la taille de nos villes, les
considérant comme un éventuel réservoir de population au profit de nos
campagnes, risquent de trouver très rapidement leurs limites, car nos villes ne
sont pas si nombreuses et pas si grandes que cela.
Ainsi, l'agglomération parisienne, malgré l'hypertrophie qu'elle représente
par rapport à notre territoire et notre population, telle qu'elle est répartie,
n'est pas en soi totalement anormale par rapport aux autres grandes métropoles
européennes ou internationales.
Force est donc de constater que nous ne pouvons pas espérer revitaliser notre
territoire rural en dévitalisant nos villes, parce qu'elles ne sont déjà pas si
nombreuses et si grandes, et parce que leur caractéristique c'est d'être
géographiquement éloignées les unes des autres. Dans ces conditions, leur mise
en réseau n'est pas aussi simple à réaliser qu'à concevoir en théorie. Même à
l'heure de l'Internet, les choses ne sont pas évidentes.
Je n'ai pas senti, madame la ministre, dans votre texte, dans les
préoccupations qu'il exprime dans son exposé des motifs, ni même dans votre
discours, la prise en compte de cette caractéristique particulière de notre
territoire qui est à la source d'une grande partie des difficultés liées à son
aménagement, ne serait-ce que par le poids que représentent nos infrastructures
de communication par rapport à notre produit intérieur brut, et par rapport au
fait qu'il nous est plus difficile qu'à d'autres d'organiser les transports en
commun. En effet, nous avons besoin de répondre à des besoins de transports
individuels sur un tissu extraordinairement diffus. Par conséquent, les
réponses collectives ne sont pas aussi simples à mettre en place qu'on le
croit. C'était une observation générale.
Une question maintenant, madame le ministre : où est la cohérence dans
l'avalanche de textes qui nous arrivent et qui concernent tous, plus ou moins
directement ou indirectement, l'aménagement du territoire et la vie de nos
collectivités territoriales, dont nous sommes ici les représentants
constitutionnels ?
Je vise votre texte, tous les projets de M. Chevènement et le projet de
réforme de la taxe professionnelle. Où est la cohérence entre les uns qui
poussent vers une organisation fondée sur la taxe professionnelle et les autres
qui détruisent, limitent ou handicapent à terme l'efficacité de cet impôt ? Que
penser de vos propres orientations qui tendent à rassembler autour des villes
une ruralité dont on espère qu'elle sera complémentaire avec elles sans qu'on
discerne exactement quels sont les critères de rassemblement tels que vous les
souhaitez et quels sont les espaces ?
Vous avez dit tout à l'heure que l'aménagement du territoire ne se réduit pas
à la mutualisation de la taxe professionnelle. Mais c'est quand même cela
aussi. On ne peut pas à la fois vouloir une chose et son contraire. Il y a dans
tout cela une incohérence globale qui désoriente nombre d'entre nous.
J'en viens enfin à mon objurgation, qui tourne autour de la notion de pays.
Je ne suis certainement ni le premier, ni le dernier à le dire : madame la
ministre, le pays, dans une nation comme la nôtre, avec une population diffuse,
ne peut exister que s'il s'adapte sur le plan concret aux réalités locales, qui
sont extraordinairement diverses, c'est-à-dire s'il se met en place autour
d'initiatives voulues par les acteurs locaux, dans leur diversité.
Or je constate, dans le texte qu'a adopté l'Assemblée nationale et que vous
avez assez largement inspiré, une vue extraordinairement encadrée, juridique,
contraignante de la notion de pays, y compris avec la mise en place d'un
conseil de développement qu'il faudra consulter tout le temps, sans que l'on
sache exactement quelle est la structure adéquate, et qui est présenté comme
étant le point de passage obligé d'une contractualisation avec l'Etat. De
celle-ci, on ne nous dit pas quels sont les avantages, on ne voit pas très bien
quelles sont les contraintes, mais on sent très bien que tout cela sera
déterminé par une autorité dite supérieure et qui est, en l'espèce, celle des
préfets et des préfets de région.
Tout cela manque de souplesse et va à l'inverse de la vie réelle, vécue sur le
territoire. Nous n'arriverons à développer le territoire que si les initiatives
locales, les initiatives d'entrepreneurs, les initiatives de citoyens peuvent
se développer librement.
Votre texte, madame la ministre, compte tenu de vos familles de pensée,
m'étonne quelque peu. Vous avez une formation biologique ; j'en ai une moi
aussi. Nous savons tous deux que la biologie n'est pas contrôlable
a priori,
que la vie surgit là où on ne l'attend pas, qu'elle disparaît là où on ne
craignait même pas qu'elle s'en aille.
Laissons les initiatives locales se développer librement ! Confions les
structures informelles à celui qui sera le véritable porteur d'un projet, le
maître d'ouvrage ; maintenons la possibilité de contractualiser sous la
surveillance de l'administration, mais ne créons pas des échelons
supplémentaires nouveaux. L'organisation de notre territoire est déjà trop
complexe et trop riche en systèmes juridiques qui, en définitive, sont des
systèmes bloquants. Je crains que votre texte ne pèche par l'excès dans cette
direction, surtout en ce qui concerne l'article 19.
Pardonnez-moi d'avoir été un peu critique, mais je crois très honnêtement que,
si vous voulez contribuer au développement équilibré de notre territoire, il
est nécessaire de réintroduire énormément de souplesse à ce niveau-là. Dans le
cas contraire, nous allons vers du juridisme supplémentaire, des procès
supplémentaires, des difficultés supplémentaires et vraisemblablement des
stérilisations supplémentaires.
(Applaudissements sur les travées du RDSE,
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet.
Madame la ministre, vous avez, avec ce texte, l'ambition louable d'aménager
durablement le territoire français de façon à corriger les déséquilibres qui,
depuis des années, ont conduit à la situation actuelle - laquelle a d'ailleurs
été dénoncée précédemment par d'autres orateurs - à savoir que 80 % de la
population occupent seulement 20 % du territoire.
Les récentes manifestations de violence dans les banlieues ont rappelé, s'il
en était encore besoin, le désespoir dans lequel se trouve une grande partie de
notre jeunesse, concentrée dans les villes, sans perspective de travail ni
d'avenir.
Pourquoi en arrive-t-on à cette situation ? Pourquoi la délinquance nous
semble-t-elle accrue aujourd'hui par rapport à hier ? Pourquoi feignons-nous la
surprise alors que, depuis des dizaines d'années, des signaux d'alarme ont été
tirés, émanant de tous les bords politiques, et que rien n'a pu enrayer ce
phénomène croissant de concentration urbaine et de désertification rurale ?
Je n'ai pas, bien sûr, de réponse à ces interrogations, et je ne pense pas que
qui que ce soit puisse en apporter une de façon définitive. Je crois cependant
que des erreurs ont été commises, qui consistent à toujours penser qu'il faut
privilégier les zones de forte concentration de population, les villes et les
départements les plus peuplés au détriment des campagnes et des départements
les moins peuplés.
Or, madame le ministre - ce n'est pas l'élue franc-comtoise qui me contredira
- on vit bien mieux dans le reste de la France que dans les grandes villes,
notamment à Paris !
La loi du 4 février 1995 avait pour objet de tenter de remédier au
déséquilibre français grâce à l'élaboration d'un plan ambitieux d'aménagement
du territoire. Toutes les solutions qui, à l'époque, avaient été adoptées -
notamment grâce à l'excellent travail de notre Haute Assemblée - n'ont pas
porté leurs fruits. Mais peut-on rendre la loi responsable alors qu'on on ne
lui a pas laissé beaucoup le temps de prouver la pertinence des solutions
qu'elle apportait ?
Faisant table rase du passé, votre gouvernement souhaite réorienter
l'aménagement du territoire, et ce de façon durable. Vous avez eu raison,
madame le ministre, de le préciser car, à l'examen des dispositions contenues
dans votre projet de loi, on peut en effet se poser la question de la
durabilité.
En supprimant le schéma directeur national en matière d'infrastructures, en
voulant privilégier le transport multimodal sans pour autant prendre de
décision forte en ce domaine, en gelant les 1 500 kilomètres d'autoroutes
restant à construire, dont un barreau que vous connaissez bien, madame le
ministre, le Gouvernement va pénaliser durablement de nombreuses régions
françaises.
Je ne vois pas dans votre projet d'orientations fortes et nouvelles permettant
aux habitants des départements enclavés d'espérer des jours meilleurs. C'est
pourquoi je me permets d'insister sur l'urgence qu'il y a à définir de nouveaux
objectifs pour notre territoire et à donner des impulsions fortes, notamment en
direction de notre jeunesse. En effet, celle-ci aurait beaucoup à gagner à
vivre sur l'ensemble du territoire plutôt qu'à se concentrer dans les grandes
agglomérations. Il me semble qu'il manque notamment dans votre projet une
réelle volonté en matière de nouvelles technologies d'information et de
communication,...
M. Pierre Laffitte.
C'est vrai !
M. Alain Joyandet.
... phénomène historique et élément désormais incontournable du développement
du territoire.
Beaucoup de choses ayant été dites, et ne voulant pas me répéter, c'est
surtout sur cette question des nouvelles technologies que je me permettrai
d'insister. A plusieurs occasions, notamment lors de son discours prononcé à
Hourtin, M. Jospin s'est montré particulièrement volontaire dans ce domaine.
Le texte que vous nous présentez ne me semble malheureusement pas traduire ce
volontarisme. Il nous apparaît même un peu trop timoré. Aujourd'hui, il est
pourtant vital de réfléchir aux erreurs qui ont été commises dans le passé afin
de ne pas les reproduire. Aux régions qui ont été exclues du schéma directeur
national et qui se sont trouvées enclavées du fait de l'absence de dessertes
nationales satisfaisantes - et là je parle des autoroutes traditionnelles et
non plus des autoroutes de l'information - il faut aujourd'hui offrir une
seconde chance avec ces autoroutes de l'information, qui doivent passer
partout, madame le ministre, notamment dans les départements qui ne sont pas
desservis par les autoroutes terrestres. C'est dans cet esprit que nous serons
amenés à soutenir des amendements visant à donner à notre pays un plan
ambitieux en matière de nouvelles technologies d'information et de
communication.
Il ne s'agit nullement d'élaborer un second plan câble à l'échelle nationale.
Compte tenu de la rapidité avec laquelle les techniques évoluent, celui-ci
serait obsolète avant même d'avoir vu le jour. Il s'agit, au contraire, d'aider
à se connecter les collectivités qui sont restées en retrait des autoroutes de
l'information et de prendre des initiatives dans ce secteur.
La loi Fillon, qui autorise des expérimentations, a été une première ouverture
en matière de nouvelles technologies puisqu'elle a permis à un certain nombre
de projets de voir le jour et a favorisé le développement d'opérations très
intéressantes.
Cela dit, très peu nombreuses sont les collectivités qui ont eu les moyens
d'être des précurseurs dans ce domaine. Il nous semble qu'il est donc du rôle
de l'Etat de favoriser le développement des NTIC sur l'ensemble du
territoire.
Je voudrais attirer votre attention, madame le ministre, sur un point
particulièrement important : l'action des seules entreprises privées s'arrête
avec la rentabilité. Mes propos ne seront pas très libéraux, mais, lorsque
l'Etat abandonne aux grandes entreprises privées l'aménagement du territoire en
matière de NTIC, le résultat est le même que pour les autoroutes
traditionnelles ! C'est en tout cas ce que j'ai constaté sur le terrain.
Dans certains départements, on peut se connecter à Internet en quelques
instants grâce à des moyens tout à fait exceptionnels. Dans le même temps, dans
d'autres départements de France, il n'est toujours pas possible d'utiliser le
téléphone mobile. Pour des raisons de rentabilité, on installe les réseaux à
haut débit dans les départements à population dense. Dans les autres, hélas !
nous n'en sommes ni à Internet à haut débit, ni au téléphone mobile, ni même,
parfois encore, à la chaîne de télévision publique régionale !
Si l'Etat ne s'intéresse pas à ce phénomène, comme ce fut le cas pour les
voies de communication traditionnelles dans le cadre de l'aménagement du
territoire, nous assisterons au même phénomène pour les autoroutes de
l'information. Ainsi, dans un certain nombre de régions, qui sont pourtant
fantastiques et dans lesquelles il fait bon vivre, alors que les autoroutes de
l'information pourraient être, en quelque sorte, une seconde chance de
développement, nous assistons à une confirmation d'un aménagement du territoire
à deux vitesses !
Nous ne demandons pas tout à l'Etat, madame le ministre, d'autant qu'en la
matière les initiatives locales sont très nombreuses. Nous demandons simplement
davantage de souplesse et de transparence. Il faut donner à notre pays les
moyens d'affronter ces défis de demain, notamment en assouplissant la
réglementation existante.
Cet enjeu, qui est de taille, doit être évalué à sa juste mesure. Il y va de
l'avenir de notre jeunesse et de notre pays. On ne peut donc pas y rester
insensible. C'est pourquoi j'espère que vous saurez mesurer l'importance des
perspectives qui s'offrent à nous dans cette voie de la modernisation de notre
territoire et que vous prendrez les mesures qui permettront à certaines de nos
régions de saisir cette nouvelle chance.
Il faut rapidement inverser cette tendance fâcheuse qui conduit à privilégier
toujours les mêmes zones du territoire au détriment de toutes les autres, y
compris s'agissant des équipements de communication électronique. Madame le
ministre, j'espère que vous pourrez accueillir favorablement un certain nombre
des amendements que nous proposerons et que nous défendrons.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Très bien !
M. Alain Joyandet.
Nous devons prendre rapidement les décisions qui s'imposent afin de ne pas
perdre de temps - c'est urgent - et de ne pas rester en marge de ces autoroutes
de l'information. L'aménagement du territoire ne doit plus seulement se penser
en termes locaux, régionaux, voire nationaux. Il doit se concevoir beaucoup
plus largement, dans l'optique de la mondialisation des échanges. Ces nouvelles
technologies en sont un vecteur désormais incontournable. Nous devons donc
mettre à la disposition de nos concitoyens ces outils performants qui leur
permettront d'accéder au savoir, à l'information, et donc au développement
économique, et ce de n'importe quel point de notre pays.
(Applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Miquel.
M. Gérard Miquel.
En vous écoutant, madame la ministre, je me suis senti conforté dans mon
engagement militant au service du développement local.
Votre projet de loi s'inscrit aujourd'hui dans un vaste ensemble de réformes
qui, de manière directe ou indirecte, touchent à l'aménagement du
territoire.
Ces réformes, qui traduisent une volonté de développement durable, concourent
à la mise en oeuvre des priorités gouvernementales : l'emploi, la justice
sociale et la réduction des inégalités territoriales.
Pour atteindre ces objectifs, ce projet repose sur quatre choix stratégiques
d'aménagement durable au travers d'un maillage nouveau et plus pertinent : le
renforcement des pôles de développement à vocations européenne et
internationale ; le développement local des territoires au sein des pays ;
l'organisation d'agglomérations participant au développement des bassins de vie
et d'emploi ; enfin, le soutien aux territoires en difficulté.
Pour mettre en oeuvre ces orientations, huit schémas de services collectifs
constituant une part significative de l'ossature des futurs contrats de plan
Etat-région devront être adoptés. Ils seront définis selon des critères de
dimension structurante pour les territoires, de hiérarchisation territoriale
des interventions publiques et de cohérence avec les thèmes développés dans le
schéma de l'espace communautaire.
Je me bornerai, dans mon intervention, à ne traiter que des nouveaux
territoires de projets que sont les pays.
Les pays sont avant tout des territoires pertinents pour bâtir et faire
émerger des projets cohérents. Ils doivent reposer sur une forte participation
des acteurs locaux.
A ce stade de mon propos, je tiens à vous faire part de mon expérience
personnelle.
J'ai, depuis quatre ans, présidé aux destinées d'un pays regroupant 60
communes et 20 000 habitants, de sa phase de réflexion et d'émergence jusqu'à
sa mise en oeuvre opérationnelle et à sa structuration en syndicat mixte. Cette
démarche devrait nous permettre, notamment, de contractualiser dans le cadre du
prochain contrat de plan Etat-région 2000-2006.
Cette expérience confirme à mes yeux l'importance de la mise en place des
pays. Ils constituent des lieux privilégiés de démocratie participative et
favorisent l'expression de la créativité, de l'initiative, du dynamisme et de
la solidarité de nos concitoyens.
Les pays doivent être des structures souples où peuvent s'élaborer des projets
collectifs, individuels, intéressant tant le secteur public que le secteur
privé.
L'intérêt de cette démarche réside dans deux aspects essentiels.
Tout d'abord, la mobilisation des acteurs locaux dans l'élaboration du projet
global aboutit à l'appropriation du projet par l'ensemble du territoire. C'est
ce qui conditionne sa réussite.
Au cours de la période d'émergence du projet, plus de 400 acteurs locaux ont
participé à la définition et à l'enrichissement du contenu de notre charte de
développement. Cette phase de réflexion et d'animation préalable a été, pour
moi, un grand moment de satisfaction. J'ai vu des gens qui s'ignoraient
travailler ensemble et constater que, après tout, ce qui pouvait les opposer
était bien moins important que ce qui devait les réunir, c'est-à-dire un projet
de développement durable commun.
C'est cette approche collective et participative en amont de la mise en oeuvre
d'un pays qui fait qu'un territoire qui se dote d'un tel projet s'approprie
celui-ci et forge son identité et sa dynamique territoriale, et cela bien plus
que tel ou tel découpage autoritaire.
Le deuxième aspect essentiel de cette démarche réside, grâce à l'émergence du
pays, dans la création d'une structure souple - je l'ai déjà évoquée - qui doit
nous permettre de transgresser un certain nombre de lourdeurs et de rigidités,
tant administratives que politiques, qui freinent les actions de nos
territoires les moins organisés.
Je me félicite que, dans la procédure de reconnaissance des pays, l'Assemblée
nationale ait réaffirmé la nécessité de recueillir non seulement l'avis des
conseillers régionaux - dont l'aménagement du territoire est la vocation
première - mais aussi celui des conseillers généraux.
Le conseil général me semble, en effet, la collectivité locale de proximité la
mieux placée pour réfléchir, coordonner et animer la démarche territoriale des
pays. Sa place est prépondérante dans cette nouvelle organisation du
développement local dans nos campagnes. Son rôle est important dans la mise en
place des pays tant en matière de délimitation que dans l'organisation de la
démarche, mais aussi dans l'aide à l'émergence des structures maîtres
d'ouvrage.
Comme je l'ai dit précédemment, il est nécessaire de prendre en compte dans
ces structures les acteurs locaux, dont la présence aux côtés des élus est
nécessaire à la réussite d'un projet collectif.
Les conseils généraux, s'ils savent être les garants de cette nouvelle
organisation, devront également mettre en place des outils de niveau
départemental pouvant servir l'ensemble de ces territoires de projets. C'est
seulement à cette condition et avec cette volonté d'accompagner au plus près du
terrain l'émergence de ces pays que les conseils généraux prendront
naturellement leur place et qu'ils pourront mener une politique efficace
d'aménagement de leurs territoires.
Enfin, il me semble nécessaire de souligner que les opérations élaborées et
menées sur ces territoires sont et devront être transversales.
Le développement est économique, social et culturel, et ne peut être envisagé
que dans une vision globale.
Pour réussir notre grand projet d'aménagement du territoire, il faut bien sûr
des moyens et une volonté politique forte. Vous l'avez, madame la ministre, et
vous savez nous la faire partager.
Au demeurant, ces conditions sont nécessaires mais non suffisantes. Tout
repose sur notre capacité à mobiliser les femmes et les hommes de nos
territoires, seuls porteurs de dynamique et de progrès.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, toute
politique d'aménagement du territoire est un enjeu majeur, tant sur le plan
économique que sur le plan social. Elle procède d'une démarche volontariste de
reconquête et de développement équilibré et harmonieux du territoire. Elle ne
peut être conduite que de façon concertée entre l'Etat et toutes les
collectivités territoriales.
Le Sénat, représentant constitutionnel de ces collectivités, doit donc être
pour le Gouvernement, non pas un opposant sectaire, mais un véritable
partenaire. Ce partenariat impose une réalité : les orientations de la
politique d'aménagement du territoire ne peuvent pas être modifiées de manière
unilatérale par le Gouvernement.
En imposant au Parlement la procédure d'urgence, vous avez limité
volontairement le dialogue entre les deux chambres et lésé manifestement les
droits du Parlement, plus particulièrement ceux du Sénat, grand conseil des
communes de France.
Depuis des années, le Sénat s'efforce de contribuer à la cohésion territoriale
dans la mesure où il refuse l'opposition manichéenne entre le monde urbain et
le monde rural. Cette opposition, malheureusement, votre projet, madame la
ministre la pousse juqu'à la caricature. Oui, madame la ministre, nous sommes
loin de ce que nous pouvions imaginer comme mise en oeuvre de la loi de 1995
!
En ce qui nous concerne, nous sommes pour la parité villes-campagnes. Vous
semblez ignorer ce que tout le monde sait ici : le développement des espaces
ruraux est complémentaire du développement urbain. Le progrès et l'innovation
ne viennent pas forcément de la ville. Ne voir dans la société de demain que
l'incarnation et l'accomplissement d'une société urbaine est une dérive contre
laquelle le Sénat oppose depuis longtemps la vision d'un développement du
territoire plus équilibré.
Les espaces ruraux ont une potentialité de développement accentuée par
l'émergence des nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Notre objectif est bien de renverser une tendance dont les dysfonctionnements
vont croissant et sont de moins en moins bien maîtrisés. La concentration
urbaine montre aujourd'hui sa fragilité et ses limites. Trop souvent, la ville
garde son attrait et son éclat, et la civilisation semble s'arrêter sitôt qu'en
sont franchies les portes. C'est une fatalité à laquelle nous ne nous
abandonnerons pas.
Comment gérer excès de concentration urbaine et excès de consommation du
territoire ? Comment gérer l'avenir de l'espace rural à proximité des grandes
agglomérations qui considèrent ce dernier comme la réserve foncière de leur
développement ? Voilà deux grandes interrogations auxquelles vous ne répondez
pas dans votre projet.
Je suis convaincu que, par ses capacités d'expertise, la Haute Assemblée peut
contribuer à rééquilibrer le texte que vous nous soumettez. En effet, plus
qu'un projet affichant des orientations nouvelles, il démantèle les principes
affirmés en 1995. Il supprime les éléments permettant de renforcer la cohésion
du territoire. Il privilégie les zones urbaines au détriment des espaces ruraux
considérés comme des handicaps. Il ignore le département comme étant un acteur
privilégié de l'aménagement du territoire. Il ignore également le Parlement,
qui ne sera plus consulté sur l'élaboration des schémas. Enfin, il nie la
dimension européenne de l'aménagement du territoire, comme un certain nombre de
nos collègues l'ont souligné. Or, même s'il ne s'agit pas d'une compétence
européenne, je pense qu'il nous faut montrer qu'il ne peut y avoir aujourd'hui
de schémas sérieux sans que cette dimension soit prise en compte.
Enfin, je regrette que vous n'ayez pas laissé suffisamment de temps pour que
se concrétisent les objectifs ambitieux de la loi d'orientation de 1995. En
effet, vous ne vous bornez pas à effectuer une modification des orientations du
texte de 1995, vous bouleversez l'organisation territoriale en conférant à de
nouvelles structures que sont les pays et les agglomérations des missions
stratégiques d'aménagement et de développement local, et cela sans tenir compte
ni du partage des compétences ni des finances locales.
Je soutiens les orientations générales de la commission spéciale au sein de
laquelle j'ai l'honneur de sièger. Je profite de l'occasion qui m'est donnée
pour féliciter et remercier nos collègues Gérard Larcher, Claude Belot et
Charles Revet, qui, sous la présidence de M. Jean François-Poncet, ont conduit
une réflexion empreinte de réalisme et de bon sens, deux éléments qui manquent
cruellement dans votre texte, madame la ministre.
Malgré le temps limité qui lui a été laissé pour étudier le projet de loi et
pour formuler des propositions, cette commission a fait preuve d'une parfaite
maîtrise des enjeux de la politique d'aménagement et de développement du
territoire. Ainsi, la réintroduction du Parlement dans l'élaboration des
documents d'aménagement du territoire, le renforcement de la dimension
européenne du texte, la définition législative du rôle de la collectivité chef
de file, la volonté de mieux adapter l'approche des pays et des agglomérations
aux réalités locales, la protection des espaces périurbains et la lutte contre
la césure entre villes et campagnes sont autant de directions auxquelles je
souscris totalement.
Une carence du projet de loi me semble particulièrement critiquable, à savoir
l'absence de la dimension économique. Cela révèle, à mon sens, une conception
très limitée de l'aménagement du territoire. La croissance n'est-elle pas
essentielle à la création d'emplois ? Pourquoi ne pas avoir érigé cette
dernière au rang des priorités ? Fort heureusement, la commission spéciale
propose d'insérer dans le projet de loi un volet additionnel consacré au
développement économique des territoires.
Ainsi, j'approuve sans réserve les propositions de nos rapporteurs visant à
créer des fonds communs de placement de proximité afin de drainer l'épargne des
particuliers vers les entreprises installées dans les zones fragiles ou
incitant à la mise en réseau des entreprises au sein des territoires.
De la même façon, votre projet de loi, madame la ministre, oublie le rôle
moteur des technologies de l'information et des télécommunications dans
l'aménagement des territoires, plus particulièrement dans les secteurs
défavorisés. En plus des propositions de nos rapporteurs, je défendrai, dans la
discussion des articles, un amendement visant à permettre aux collectivités
locales d'assurer, avec une meilleure sécurité juridique, la mise à disposition
d'infrastructures câblées aux opérateurs de télécommunications. Il est tout à
fait essentiel que ces collectivités puissent être présentes dans ce domaine,
investir et offrir des services capables d'accroître ou d'accompagner leur
développement économique. Cette disposition s'inscrit dans le droit-fil de la
loi de réglementation des télécommunications. Elle va dans le sens d'une
ouverture de la concurrence et du respect du service public voulu par le
législateur.
Par ailleurs, j'approuve totalement la décision de la commission spéciale de
supprimer la transposition hâtive de la directive postale dans le projet de
loi. La Poste assume plus en France qu'ailleurs en Europe un rôle majeur de
service public, tant en ce qui concerne l'aménagement du territoire que
l'égalité d'accès de tous au service du courrier, et ce via une péréquation
tarifaire qui repose pour l'essentiel sur le marché des entreprises.
Toucher dès maintenant à cet équilibre risquerait d'aboutir à déplacer la
charge du service universel sur d'autres acteurs : collectivités locales et
contribuables. C'est pourquoi il semble indispensable de traiter ce problème de
manière séparée et sans précipitation afin de définir une vision stratégique
pour La Poste. Le choix du dépôt d'un projet de loi d'orientation postale dans
les six mois à compter de la promulgation du présent texte me paraît répondre à
cet impératif.
L'aménagement du territoire, madame la ministre, ne s'improvise pas. Le
remarquable travail de nos rapporteurs le démontre, si besoin en était. Je
voterai, bien entendu, le texte tel que propose de le modifier la commission
spéciale, en espérant que la voie de la sagesse et de la compétence l'emportera
sur celle de l'idéologie et d'une conception de la protection qui se ferait au
détriment d'un véritable développement durable.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Puech.
M. Jean Puech.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je
souhaiterais tout d'abord saluer à mon tour le travail de très grande qualité
réalisé par les rapporteurs, Gérard Larcher, Claude Belot et Charles Revet,
dans le cadre de la commission spéciale et sous la conduite du président de
celle-ci, Jean François-Poncet.
En effet, la volonté permanente qu'ils ont manifestée d'engager le Sénat dans
une démarche constructive et le caractère innovant de certaines de leurs
propositions nous permettent d'aborder la discussion au fond de ce projet de
loi dans les meilleures conditions.
Je les remercie également d'avoir voulu s'assurer, tout au long des travaux
préparatoires, d'un échange constant avec les principales associations d'élus
représentatives des trois niveaux de collectivités territoriales de plein
exercice : les régions, les départements et les communes. Qu'ils en soient
vivement remerciés. J'y ai été, personnellement, particulièrement sensible.
Une politique d'aménagement du territoire se définit au niveau national. Il
est certes essentiel que l'Etat témoigne, par des décisions fortes, d'une
volonté de s'engager pleinement et sur le long terme. Mais cette politique ne
peut évidemment, pour réussir, se priver de la force de l'implication des
acteurs locaux, qu'ils appartiennent au monde économique, social, associatif ou
qu'il s'agisse des acteurs publics, services de l'Etat, élus locaux et
collectivités territoriales.
Madame la ministre, vous avez voulu, dans votre projet de loi, fixer de
grandes orientations à une politique d'aménagement et de développement durable
du territoire avec des schémas de services collectifs. Parallèlement, vous avez
souhaité promouvoir une nouvelle organisation territoriale autour du concept
général de « territoires pertinents » - je vous cite avec les pays et les
agglomérations.
Dans cette organisation territoriale, vous n'aviez pas souhaité, dans un
premier temps, reconnaître de missions particulières aux départements. On vous
l'a beaucoup reproché, ici même, lors du débat du 10 décembre dernier, mais
aussi à l'Assemblée nationale. Vous avez été attentive à ces observations et
avez accepté que le texte soit rééquilibré. En effet, comment aurait-on pu
ignorer une réalité sociale, culturelle et économique forgée par 200 ans
d'histoire ?
Les députés ont voulu faire évoluer le texte pour tenir compte de la réalité
départementale. Je m'en suis félicité. La commission spéciale va plus loin en
proposant un mode opératoire permettant une répartition des rôles entre les
échelons régionaux, départementaux et communaux autour de la notion de
collectivité chef de file.
Cela traduit une réalité qui doit avoir aujourd'hui sa définition juridique.
J'y souscris chaleureusement avec mes collègues Jean-Pierre Raffarin et
Jean-Paul Delevoye.
En effet, de la même manière qu'on ne peut opposer ville et campagne pour
parvenir à plus de cohésion territoriale, on ne peut non plus opposer les
échelons territoriaux entre eux. Je sais gré aux rapporteurs d'avoir préféré
avancer sur le terrain de la complémentarité de nos actions. Les départements
sont des acteurs incontournables de l'aménagement du territoire, ils l'ont
montré et ils le montreront encore dans le cadre des prochains contrats de plan
et des projets qui seront engagés avec le soutien européen.
De nouveaux territoires sont donc promus : les agglomérations et les pays. Ils
se voient confier des missions d'aménagement du territoire et de développement
local. Au rang d'espaces de projets, voire de programmation, ils devront
s'assurer d'une démarche globale de l'ensembe des forces vives.
Concernant les agglomérations, chacun, je crois, reconnaît le caractère
structurant des villes, des aires urbaines. Chacun s'accorde sur la nécessité
de privilégier une approche globale au niveau d'une agglomération sur les plans
tant économique et social qu'institutionnel, car il faut pouvoir répondre au
phénomène d'exclusion et de ségrégation engendré par la conjugaison de facteurs
démographiques, économiques et sociaux. A cet égard les évolutions proposées en
matière d'intercommunalité urbaine vont, à mon avis, dans le bon sens, sous
réserve qu'elles soient bien précisées, c'est-à-dire bien maîtrisées.
De la même manière, la volonté de M. le ministre de la ville, que j'ai
rencontré encore ce matin, d'ouvrir la politique de la ville à de nouveaux
acteurs comme les conseils généraux pour y adosser de manière complémentaire
les politiques de droit commun et de repenser les échelles d'intervention à
trois niveaux - agglomérations, communes et quartiers - sont des orientations
tout à fait recevables. A partir des premières remontées que nous avons du
terrain, je crois pouvoir dire que les conseils généraux sont prêts à s'engager
activement dans cette voie. Ils sont d'autant plus prêts à le faire qu'ils y
sont déjà largement engagés.
Relever le défi d'une urbanisation jusqu'alors non maîtrisée et rendre
cohérente la politique de la ville sont deux objectifs qu'on doit soutenir.
Attelons-nous déjà à ces tâches essentielles avant de penser que, demain, la
ville, qu'on imagine pouvoir durablement féconder l'espace rural, assurera la
cohésion territoriale qui manquerait à notre pays !
On ne peut miser sur le seul effet de la métropolisation, vous l'avez bien
compris : ce serait admettre que nos espaces ruraux, qui représentent 80 % de
notre territoire, ne peuvent être reconquis. Plus on considérera que
l'urbanisation est partout inéluctable, plus elle sera difficile à maîtriser.
Or, comme l'ont bien démontré nos rapporteurs, le milieu rural est, au même
titre que l'aire urbaine, un lieu d'attractivité et de compétitivité. Encore
faut-il lui laisser la capacité de défendre et de promouvoir son territoire. En
assurant la complémentarité entre l'urbain, le périurbain et le rural, on
permet à l'espace rural de constituer une véritable alternative.
Dans cette complémentarité nécessaire apparaît le pays.
Le pays, dans lequel peut cohabiter une aire urbaine et des espaces ruraux,
doit demeurer un espace de projet. Il doit également être la résultante d'une
volonté partagée des élus locaux et promouvoir un projet de développement.
A cet égard, j'attire à nouveau votre attention, madame la ministre, sur les
tentations - c'est un euphémisme ! - de l'administration et des services de
l'Etat de se substituer à l'imagination des élus locaux pour l'émergence de ces
pays.
Le fait de vouloir donner corps au volet territorial du prochain contrat de
plan et d'instaurer une sorte de prime à l'organisation n'interdit pas, bien
entendu, aux services de l'Etat d'avoir de bonnes idées ! Pour autant, ce sont
les collectivités locales de plein exercice qui assureront, demain, la maîtrise
d'ouvrage de la plupart des projets ainsi que leur financement ; en outre, leur
mise en oeuvre se fera avec leurs élus locaux. Laissons donc les acteurs locaux
prendre les initiatives qui conviennent à la promotion de leur territoire. Ils
en sont pleinement capables.
Le pays trouvera son plein essor en restant ce qu'il doit être, c'est-à-dire
un espace de projet, et à condition que l'on évite de confondre les
responsabilités et les rôles de chacun des acteurs ; autrement dit, le pays ne
doit pas se substituer aux élus et aux acteurs locaux.
Madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs mois, les acteurs
locaux ont engagé une réflexion et un dialogue sur les contrats de plan. L'Etat
fait débattre les collectivités sur un projet de l'Etat en région. Les régions
préparent leurs orientations le plus souvent en liaison avec les autres
collectivités locales et les forces vives locales.
Il est essentiel d'admettre que les grandes collectivités infrarégionales
entendent participer à cette réflexion et contribuer à l'animation du projet
régional pour les prochaines années. Les départements assumeront, aux côtés des
régions, leur part de soutien au développement local et à l'action économique.
Cette implication est admise dans de nombreuses régions. Je souhaite que ce
principe soit généralisé.
A cet égard, la proposition de la commission spéciale tendant à donner une
traduction législative à la notion de « collectivité chef de file » ne peut que
favoriser cette généralisation.
Une autre proposition de la commission spéciale va également dans le bon sens,
celle qui vise à instituer dans les conférences régionales un collège « maîtres
d'ouvrages » à côté d'un collège consultatif représenté par les forces vives
locales ; j'y souscris pleinement.
En ce qui concerne l'activité économique, vouloir privilégier l'emploi dans
les prochains contrats de plan est un objectif que nos collectivités locales
partagent déjà depuis longtemps, voire depuis toujours, et l'évolution de leurs
budgets le montre bien. Elles orientent leurs actions vers des investissements
qui favorisent les activités créatrices d'emplois et l'innovation. Elles
assurent également la majeure partie du financement des équipements
indispensables à la vie sociale, économique, touristique et culturelle.
Aussi les propositions de la commission spéciale concernant l'activité
économique complètent-elles à mon avis très heureusement ce projet de loi.
Ayant à l'esprit la nécessité de favoriser l'émergence de projets plus
importants, je dirai quelques mots du renforcement de
l'interdépartementalité.
Pour ma part, je souhaiterais que le Sénat examine favorablement l'idée de
promouvoir une plus grande interdépartementalité, au service d'une cohésion
régionale renforcée.
L'interdépartementalité existe dans les textes. Dans les faits, elle est le
plus souvent limitée à des actions très ponctuelles. Or, pour favoriser une
plus grande culture de la coordination et donner une base véritable à une
complémentarité des politiques locales, il me paraît essentiel de relancer ce
concept d'interdépartementalité.
La possibilité qui serait offerte aux conseils généraux d'élaborer des schémas
interdépartementaux d'aménagement du territoire, en veillant à ce que ceux-ci
soient bien entendu en cohérence avec les schémas régionaux et interégionaux
existants, me paraît susceptible de favoriser la complémentarité des rôles et
des actions de nos collectivités.
Je souhaiterais aborder à mon tour la question de la nécessaire cohérence des
schémas de services collectifs que notre commission spéciale propose de
transformer en schémas d'équipements et de services.
Du fait de l'abandon d'un schéma national d'aménagement du territoire, il me
paraît délicat de laisser les huit schémas de services collectifs être décidés
par décret par les administrations centrales, fût-ce après une phase de
consultation régionale.
Pourquoi priver la représentation nationale d'une analyse globale et d'un
débat sur des orientations fixées pour l'horizon 2020, orientations qui vont
par ailleurs servir de cadre à la planification régionale et aux contrats de
plan ?
La capacité de l'Etat à organiser une lecture transversale et globale de
schémas est-elle le gage de leur pertinence ? Qui jugera, au niveau national,
de la qualité et des conditions du débat qui aura été organisé au niveau
régional ? Comment seront intégrés, à l'échelon national, les résultats de
cette consultation ? Qui en fera la synthèse ?
Voilà autant de questions que l'on peut poser, qui vous ont d'ailleurs déjà
été posées à l'Assemblée nationale et qui légitiment pleinement les
propositions de la commission spéciale en faveur d'une implication démocratique
du Parlement.
Enfin, permettez-moi, madame la ministre, pour conclure, d'évoquer la réforme
des fonds structurels, qui aura évidemment des conséquences très importantes en
termes d'aménagement du territoire.
Ce dossier est actuellement au centre de discussions européennes qui dépassent
évidemment le strict cadre de l'aménagement du territoire. Pour autant, nos
collectivités locales, vous le savez, ont besoin de beaucoup plus de
lisibilité.
Pensez-vous que les nouveaux programmes pourront effectivement démarrer au 1er
janvier 2000 ? Je le souhaite, mais cela me paraît bien incertain.
Par ailleurs, le Gouvernement ayant toujours misé sur une concomitance des
contrats de plan et des fonds structurels, comment comptez-vous pallier la
difficulté qui se présente ?
Telles sont, madame la ministre, les quelques réflexions que je souhaitais
vous livrer. Je vous remercie par avance des réponses que vous voudrez bien y
apporter.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les élus que
nous sommes, à 800 cents kilomètres de Paris, sont souvent étonnés des
décisions contradictoires prises par nos divers gouvernements.
Le schéma national d'aménagement du territoire devait être, selon la loi de
1995, le socle de la politique d'aménagement du territoire, définissant ses
orientations pour les vingt années à venir. Mais voilà que, arguant du fait que
ce schéma n'a pas pu être élaboré, le ministère décide de le remplacer par huit
schémas sectoriels !
Le schéma national qui avait été approuvé pour vingt ans par la représentation
nationale aura duré à peine quatre ans ! Il y a là quelque chose qu'il est
difficile d'expliquer aux élus locaux.
Ce schéma national avait fait l'objet d'une très large concertation avec
l'ensemble des élus locaux. Le moins qu'on puisse dire est que tel n'est pas le
cas de votre texte, madame la ministre : la plupart des élus locaux le
connaissent mal, voire ne le connaissent pas du tout.
Notre collègue Jean Puech a fait part tout à l'heure de son souhait de voir la
représentation nationale associée à la mise en place des schémas sectoriels.
Allant plus loin, je souhaite, pour ma part, que l'ensemble des élus locaux de
notre pays puissent faire valoir leur point de vue. Les maires peuvent
s'appuyer sur leur légitimité démocratique sur leur connaissance de la réalité
et des hommes pour conduire les actions réparatrices, prévenir les risques de
ségrégation, favoriser la mixité sociale et culturelle.
Il me semble aujourd'hui bien illusoire de croire en la réussite d'une
politique d'aménagement du territoire élaborée sans une réelle participation de
ceux qui sont, pour une large part, chargés de l'appliquer.
Je voudrais maintenant, madame la ministre, attirer votre attention sur le
problème des villes moyennes.
Pour peu que ces villes moyennes aient un passé, une histoire, une vie
antérieure, on sait quel attrait elles exercent sur la population. Aujourd'hui,
la plupart d'entre elles sont plébicitées.
Je suis de ceux qui regrettent que l'Etat supprime peu à peu les services
publics de ces villes moyennes. Voilà quelques années, a été conduite une
véritable politique de décentralisation de l'enseignement supérieur ; nous en
parlerons à nouveau lorsque le schéma sectoriel sera mis en place. Aujourd'hui,
cette politique semble abandonnée ou, tout au moins, largement freinée. Il
semble que l'on veuille concentrer sur les grandes métropoles l'ensemble de
l'enseignement supérieur dans notre pays.
Les petits hôpitaux des villes moyennes rencontrent également des difficultés.
Pourtant, l'hôpital public est une structure de proximité qui constitue l'un
des éléments majeurs d'une politique d'aménagement du territoire.
En qualité de présidents des structures hospitalières, les maires souhaitent
bénéficier d'une plus grande autonomie et qu'il soit procédé à des
consultations préalables par les agences régionales hospitalières, qui,
aujourd'hui, ne s'intéressent que très peu à leur point de vue.
Par ailleurs, les villes moyennes sont insuffisamment équipées en moyens de
transport ; elles sont trop souvent enclavées. Il est absolument nécessaire de
réaliser un effort d'aménagement.
S'agissant de la sécurité, de nombreux maires ont vu, avec stupéfaction, les
forces de sécurité de leur commune réduites au profit de plus grands centres.
Le Gouvernement est revenu, en partie, sur sa décision, mais je peux vous
assurer que cela demeure l'une des préoccupations importantes de l'aménagement
du territoire.
Un autre problème se pose. Il est peut-être moins important, mais il peut
avoir des conséquences très fortes pour les villes moyennes : il s'agit de la
diminution progressive de l'activité de ces succursales de la Banque de France.
Cela a des effets sur l'ensemble du système bancaire de ces villes et je
souhaite que l'on revienne sur un certain nombre de projets qui tendraient à
réduire fortement l'activité de ces succursales.
Je ne terminerai pas mon propos, madame la ministre, sans évoquer le cas de ma
région. Puisque je me trouve en face du ministre de l'aménagement du
territoire, je tiens à lui dire que, chez nous, nous ne sommes pas très
contents des décisions qui ont été prises concernant la Provence.
Nous considérons, en effet, que, peu à peu, on veut enclaver notre région. On
veut faire de Lyon le sud de la France, au détriment de tout le reste. En
supprimant le canal Rhin-Rhône, en arrêtant l'autoroute des Alpes, en
supprimant les percées alpines, on veut, semble-t-il, consciemment ou
inconsciemment - j'ose espérer que c'est inconscient ! - isoler complètement
une région.
J'ajouterai que l'aire marseillaise ne dispose aujourd'hui d'aucun schéma de
transport cohérent qui puisse être comparé avec celui dont bénéficie la région
parisienne. En matière culturelle, l'aide de l'Etat est des plus réduites pour
notre région ; chacun sait pourtant ce qu'elle représente pour notre pays.
Madame la ministre, nous vivons très mal l'isolement de notre région et un bon
aménagement du territoire ne peut oublier la région provençale.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann.
En janvier dernier, à l'Assemblée nationale, madame la ministre, vous
reprochiez à la loi de 1995 son caractère à la fois partiel et politiquement
orienté, deux défauts que votre projet de loi est censé corriger.
Or il me semble que ces deux défauts peuvent précisément être associés au
texte qui nous est proposé aujourd'hui, défauts qui conduisent à s'interroger
sur l'utilité de soumettre au Parlement un nouveau projet de loi.
Je bornerai mon propos à l'évocation de la politique d'aménagement de l'espace
rural qui constitue, à mon sens, une bonne illustration de ces deux
reproches.
Les mesures que vous proposez dans ce domaine sont, d'abord, politiquement
orientées.
Vous accusez la loi de 1995 d'être trop « ruraliste ». Ce jugement dépasse
sans doute la réalité. Mais, pis encore, vous tombez vous-même dans l'excès
inverse : votre politique est délibérément tournée vers les zones urbaines.
Ainsi, vous proposez de mettre l'accent sur les seules agglomérations et,
parallèlement, de supprimer l'article 61 de la loi de 1995 qui prévoyait une
loi spécifique pour le développement des zones rurales.
La logique qui vous anime est incompréhensible. S'il est certes temps
d'accorder toute leur place aux zones urbaines, qui accueillent 80 % de la
population, l'aménagement du territoire n'a-t-il pas toutefois pour objectif de
remédier aux déséquilibres, que ce soit à l'intérieur des agglomérations ou
entre zones rurales et urbaines ? Il n'est pas question d'opposer les unes aux
autres !
Il est, en effet, primordial de redynamiser nos campagnes, afin de limiter
l'exode rural et d'éviter ainsi une aggravation des difficultés liées au
développement urbain. C'est une question de bon sens !
Malheureusement, force est de constater que vous ne proposez aucune solution
précise ni au problème des banlieues ni aux faiblesses du monde rural.
La vision de l'homme, affirmée voilà quelques instants par notre excellent
rapporteur de la commission spéciale, M. Gérard Larcher, ne se retrouve point
dans ce texte.
La loi de 1995, complétée par le CIADT d'Auch, me paraissait plus équilibrée
sur ce point. Par conséquent, n'aurait-il été préférable d'appliquer la loi
Pasqua-Hoeffel et de mettre en oeuvre les objectifs d'Auch, plutôt que de
présenter un nouveau projet ? D'autant que notre pays doit tenir une position
forte et enracinée dans le temps pour faire face aux enjeux européens.
Faut-il rappeler que la réforme de la PAC et des fonds structurels risque de
nous conduire à une forte réduction des aides !
Refondre notre politique d'aménagement du territoire à un moment aussi crucial
ne me paraît donc nullement raisonnable, ce d'autant plus que vous le faites
dans la précipitation et, pis encore, sans concertation.
Une fois de plus, vous nous imposez une procédure d'urgence et vous nous
mettez devant le fait accompli, alors qu'il s'agit d'un texte qui devrait
conditionner l'aménagement du territoire pour vingt années.
Le Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire
n'a-t-il pas commencé à travailler à l'élaboration des schémas des services
collectifs en juin dernier ?
Le caractère hâtif et non concerté du projet de loi vous conduit à avoir une
vision partielle de l'aménagement de l'espace rural. En effet, par idéologie,
vous proposez non pas l'aménagement de l'espace rural, mais la protection et la
conservation des espaces naturels, au risque de sanctuariser le territoire.
Votre schéma des services collectifs des espaces naturels et ruraux ne vise
qu'à contrôler l'activité humaine, à l'encadrer et à la soumettre à des
objectifs de protection de la nature, alors que, pour lutter contre la
désertification, il convient au contraire de maintenir et de développer les
activités économiques et les services et de mener une véritable politique du
logement. Cela n'est pas incompatible, je l'affirme, avec la protection de la
nature.
L'espace rural ne doit pas devenir, à terme, un immense parc naturel
national.
Volontairement, par manque de temps, je n'aborderai ni le développement de
l'espace européen ni les politiques transfrontalières en zone rurale.
Vous oubliez trois composantes fondamentales de toute politique de
développement et d'aménagement de l'espace rural digne de ce nom.
Premièrement, le maintien des services, qu'ils soient publics ou privés, est
indispensable pour préserver et créer des activités, donc des emplois. C'est
pourquoi la suppression du moratoire sur la fermeture des services publics me
paraît regrettable. Demain, on assistera à la fermeture d'une classe, d'une
école. Ensuite, viendra la disparition du bureau de poste. Les établissements
financiers et l'épicerie sont déjà partis.
Vous enfoncez ainsi encore un peu plus les territoires ruraux en difficulté et
découragez les élus locaux, qui sont bien souvent contraints de pallier le
désengagement de l'Etat dans ce domaine.
La deuxième lacune du texte réside dans le fait qu'aucune mesure n'est prévue
en faveur de l'activité économique.
La campagne n'est pas seulement le territoire des agriculteurs. Pour lui
permettre de rester attractive, les collectivités locales se battent pour
attirer, mais aussi maintenir les entreprises sur leur territoire. Elles
gagneraient à être davantage soutenues. Peut-être la loi Zuccarelli nous
apportera-t-elle des réponses à cet égard.
Par ailleurs, le développement de l'activité et de l'emploi en milieu rural
passe également par le développement touristique. Le tourisme est et demeure,
en effet, l'un des rares secteurs dans lesquels les perspectives en matière
d'emploi sont plus qu'encourageantes : il crée ainsi 12 000 emplois par an et
pourrait en créer 30 000.
Le tourisme rural connaît en France un véritable engouement, mais, faute
d'adaptation, notre pays risque de perdre des parts de marché. Il convient donc
de rester vigilant et d'engager rapidement un effort de réhabilitation du parc
immobilier touristique rural et des établissements
d'hôtellerie-restauration.
Le dernier aspect du développement rural que je souhaite aborder est le
logement. Pour lutter contre sa désertification et préserver son attractivité
et son dynamisme économique, l'espace rural doit assurer pleinement sa fonction
résidentielle.
Or c'est souvent là que le bât blesse. Le milieu rural souffre d'un problème
de vacances de logements, de dégradation du bâti et d'inadaptation aux besoins.
Certes, des efforts financiers sont accomplis pour aider les propriétaires à
remettre leur logement sur le marché, mais ils sont malheureusement encore bien
trop faibles, notamment en ce qui concerne l'Agence nationale pour
l'amélioration de l'habitat, l'ANAH, afin de faire face aux besoins.
La clé du problème est non seulement d'ordre financier, mais aussi, et
surtout, d'ordre juridique.
Le droit de propriété doit être garanti par l'Etat. Or force est de constater
que c'est de moins en moins le cas, ce qui conduit les bailleurs à s'entourer
de précautions supplémentaires avant de louer leur bien. D'ailleurs, la récente
loi sur les exclusions ne va pas arranger les choses. La sélection se fait
ainsi, bien souvent, au détriment des plus démunis.
Permettez-moi, enfin, de regretter, en tant qu'élu alsacien, votre décision
d'abandonner officiellement le projet du canal Rhin-Rhône.
On ne peut, sans se contredire, à la fois limiter la construction de routes,
ne pas transférer le fret sur la voie d'eau et obliger parallèlement les
collectivités locales à financer partiellement les trains à grande vitesse. Les
contradictions sont trop flagrantes.
Par rapport aux différents points évoqués, votre projet de loi doit
évoluer.
En résumé, madame la ministre, en l'état, votre projet de loi n'est pas
acceptable. Par conséquent, je ne pourrai le voter que sous réserve de
l'acceptation par le Gouvernement des améliorations proposées par la commission
spéciale, dont je tiens à saluer l'excellent travail.
(Applaudissements sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Boyer.
Mme Yolande Boyer.
Madame la ministre, mon intervention portera sur trois aspects de votre projet
de loi.
Le premier aspect concerne le contexte dans lequel vous nous présentez cette
loi et la méthode que vous avez utilisée. Cette dernière me paraît
intéressante, car vous n'avez pas considéré que la loi Pasqua était bonne à
jeter aux orties. Vous avez adopté une attitude constructive en conservant
soixante-huit des quatre-vingt-huit articles qui la composaient.
Votre loi est significative mais, seule, elle n'a pas vraiment tout son
intérêt. Elle est au coeur d'un dispositif beaucoup plus vaste voulu par le
Premier ministre et affirmé dans sa déclaration de politique générale en juin
1997.
On retrouve, dans ce dispositif, plusieurs lois.
On y trouve d'abord la loi d'orientation agricole qui, par son innovation
majeure, le contrat territorial d'exploitation, manifeste la volonté de
protéger les territoires. Elle le fait sur la base d'un développement durable
et de démarches contractuelles directes entre les agriculteurs et l'Etat.
On y trouve aussi la loi sur les relations entre les citoyens et leurs
administrations, et la loi Zuccarelli à venir sur l'intervention économique des
collectivités locales.
Parallèlement, ce texte s'inscrit dans la discussion sur la nouvelle
génération des contrats de plan pour les années 2000-2006 et la réforme des
fonds européens. Contrairement à la loi Pasqua qui faisait l'impasse à cet
égard, elle s'inscrit également dans la dimension européenne.
Si j'ai pris le temps de citer cet ensemble de textes, c'est parce que je
considère, contrairement à M. Paul Girod qui s'est exprimé tout à l'heure, que
dix-sept ans après les lois de 1982, il s'agit d'une nouvelle étape
significative de la décentralisation.
Le deuxième aspect que je souhaite évoquer concerne la philosophie de ce
projet de loi à travers les principes qui le sous-tendent.
Je citerai rapidement quelques-uns de ces principes : la notion de
développement durable, la mise en place de nouveaux outils de planification, à
travers les schémas de services collectifs, la promotion des « pays » et des «
agglomérations » qui font vivre la solidarité entre territoires, et ce sans
remettre en cause le rôle des différentes collectivités et enfin, le
renforcement de la démocratie participative avec, notamment, la création du
conseil de développement.
J'ai rappelé que votre loi se trouve au coeur d'un dispositif. Mais au coeur
de votre loi se trouve l'article 19 qui crée la nouvelle organisation
territoriale, à travers les « agglomérations » et les « pays ».
C'est à cette dernière notion que je m'attacherai plus particulièrement dans
le troisième aspect de mon intervention en parlant des pays.
Dans le langage courant, le terme « pays » n'est pas neutre. En effet, on
parle de son pays lorsque l'on évoque sa région, sa commune, son département.
On est d'un terroir.
Même si cela peut paraître banal, je veux souligner que l'aménagement du
territoire et la construction d'un pays se font à partir et pour les hommes et
les femmes qui y vivent, à partir de leurs savoir-faire, de leur intelligence
et de leur expérience.
Une politique d'aménagement ne se résume pas à des découpages technocratiques
ou à des réflexions techniques. Elle doit être l'émanation des hommes et des
femmes qui vivent sur un territoire ayant son identité, sa langue parfois - et
en Bretagne, cela compte - et sa culture.
M. Pierre-Yvon Trémel.
Très bien !
Mme Yolande Boyer.
Le triptyque projet, périmètre, partenariat me semble adapté pour parler des
pays.
Passer d'une traditionnelle politique de guichet à une politique de projet est
une démarche essentielle. La richesse de la France réside dans la variété de
ses territoires ; il serait dangereux d'imaginer les futurs pays à l'image du
territoire où chacun d'entre nous vit, et de vouloir en faire un exemple pour
tous les autres. L'intérêt de la démarche, c'est bien cela : sur un territoire
pertinent, les acteurs concernés - élus, bien sûr, mais aussi représentants du
monde socioculturel, économique, associatif - créent leur projet de
développement.
Rappelons aussi que le pays n'est qu'un outil : il permet de concrétiser des
projets en respectant les divers échelons.
Certains ont parlé du département, d'autres de la région. Personnellement, je
souhaite évoquer la commune, qui demeure un milieu de vie irremplaçable, un
échelon de base de l'identité et de la citoyenneté, le premier relais de
l'appareil administratif, le lieu d'intégration et d'animation de la vie
collective.
Les élus et les acteurs du développement ont bien montré qu'ils savaient
s'organiser, et ce depuis de nombreuses années. J'en veux pour preuve la
création de structures telles que les parcs naturels régionaux, dont les
projets de développement sont fondés sur la valorisation et la protection du
patrimoine. Ils sont des outils d'aménagement et de développement durable du
territoire.
Je veux aussi évoquer les pays d'accueil touristique, structures qui me
tiennent particulièrement à coeur dans la mesure où j'en préside une dans ma
région.
Créés voilà plus de vingt ans, ces pays ont fait la preuve de leur efficacité.
Au nombre de 650, ils sont aujourd'hui, en France, une force qui compte plus de
6 500 communes, représentant plus de 6 millions d'habitants.
Utilisons ces savoir-faire, cette capacité de mobilisation des professionnels,
des associations, des chambres consulaires autour de l'économie touristique.
Prenons garde de ne pas détruire les dynamiques locales enclenchées depuis de
nombreuses années. Je me demande ce que deviendront ces pays d'accueil
lorsqu'ils ne correspondront pas au périmètre du nouveau pays. Ils ont parfois,
il est vrai, une dimension plus restreinte, mais qui correspond bien à une
entité de promotion touristique garante de leur efficacité.
Nous proposerons d'ailleurs un amendement visant à prendre en compte les
acquis des pays d'accueil touristique.
Enfin, je parlerai de ma région, la Bretagne, qui, comme les autres, a ses
spécificités. Son problème majeur est son éloignement des centres de décision,
sa position excentrée en Europe. Comme c'est le cas dans d'autres régions,
certains de ses territoires sont en voie de désertification. Ses spécificités,
y compris sa langue, doivent être prises en compte dans une politique
d'aménagement du territoire solidaire. Elus et acteurs du développement ont su
d'ores et déjà s'organiser en intercommunalité, en pays qui s'étendent sur
plusieurs départements, voire sur deux régions.
L'organisation du territoire doit se réaliser en garantissant l'égalité des
chances dans le respect des valeurs de la République.
Je dirai, pour conclure, que développement rural et développement urbain sont
une nécessité. Le Sénat représente les collectivités territoriales dans leur
ensemble. Il serait dangereux d'opposer villes et campagnes et d'oublier que
notre pays est constitué de territoires pour les hommes et les femmes qui y
vivent. Dans le débat qui s'ouvre, ayons toujours en tête que, au coeur du
projet que nous voulons construire, il y a l'être humain.
(Applaudissements
sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert.
A cette heure avancée de la nuit, je voudrais vous demander de m'excuser,
madame le ministre, si je n'analyse pas votre texte avec toutes les nuances qui
conviendraient et si je ne relève pas tous les points qui nous donnent
satisfaction.
J'apprécie l'évolution quant au ton et même quant au fond de vos derniers
propos par rapport à ceux que nous avions pu entendre avant l'examen de ce
texte par le Sénat. Ainsi, la disparition des diatribes contre les départements
ainsi qu'un certain nombre d'orientations nous font plutôt plaisir.
Si ce texte est certes porteur d'améliorations sensibles, que la commission va
essayer d'accentuer encore, il prête toutefois à la critique.
Depuis des décennies, notre pays affiche une politique d'aménagement du
territoire qui se veut l'outil essentiel pour remédier aux déséquilibres et
compenser, voire inverser, les tendances naturelles observées, ces dernières
étant, d'un côté, la concentration, de l'autre, la dévitalisation.
De longue date, la lutte à la fois contre cette concentration excessive des
activités, des moyens et des hommes autour de certains pôles et contre la
dévitalisation récurrente d'espaces entiers de notre territoire est une
priorité régulièrement affichée. Un organisme prestigieux, la DATAR, a même été
créé dans notre pays à cette fin et propose régulièrement des remèdes.
Or, regardons lucidement ce qui s'est produit et qui, d'ailleurs, se poursuit
: les territoires attractifs, en particulier l'Ile-de-France, accentuent encore
davantage la concentration démographique et celle des richesses. Par ailleurs,
la désertification de régions entières continue.
A partir de là, on peut se demander si cette tendance naturelle à la
concentration, d'un côté, et à la dévitalisation, de l'autre, peut être
enrayée.
En observant ce qui se passe dans d'autres pays, en particulier en Allemagne,
je répondrai par l'affirmative, mais à quatre conditions.
Première condition, il faut continuer à garder comme objectif l'équilibre du
territoire, et donc essayer d'offrir à tous ces pays et à leurs populations des
raisons d'espérer. La politique d'aménagement du territoire était le seul moyen
de s'opposer, de contrer la logique de concentration.
Or, si j'en crois ce projet de loi et, surtout, les commentaires qui ont
accompagné sa préparation, puis sa présentation devant les deux assemblées, le
Gouvernement a sonné la fin du temps où l'aménagement du territoire traitait
des grandes infrastructures et de la désertification rurale.
J'ai entendu de hauts responsables, évoquant ce projet de loi, dire que,
dorénavant, il s'agirait non plus de préparer à long terme d'hypothétiques
orientations en fonction de grandes infrastructures à mettre en place, mais de
répondre aux besoins immédiats, c'est-à-dire au déséquilibre, en particulier
dans les pourtours des villes, dans les quartiers sensibles.
Si je comprends ce besoin de s'occuper des difficultés des villes, en
particulier des quartiers sensibles, je crois cependant que le fait de
consacrer nos seuls moyens au rééquilibrage du territoire dans les zones
urbaines aboutirait à accentuer inéluctablement les déséquilibres déjà
constatés.
Je dis donc oui à la ville, mais à condition que les interventions qui s'y
font n'aboutissent pas à mettre à mal le milieu rural que je ne peux pas
considérer comme un simple interstice dévitalisé entre les zones urbaines,
entre les agglomérations.
Deuxième condition, il ne faut pas changer de cap tous les trois ou quatre
ans. Nous avions voté, voilà quelques années, une loi qui devait s'appliquer
pendant vingt ou vingt-cinq ans. Il nous est aujourd'hui proposé de voter une
nouvelle loi devant également s'appliquer pendant vingt ou vingt-cinq ans.
Si l'Allemagne, par exemple, comprend un maillage équilibré entre les grandes
villes, les grandes agglomérations dynamiques, les villes moyennes et le
territoire rural, c'est parce que, depuis des siècles, elle a fait preuve d'une
volonté d'aménager le territoire et n'a pas régulièrement changé d'option. En
opérant ce transfert, en réorientant notre philosophie, je crains que nous ne
portions préjudice à cette politique, qui, sans avoir donné tous ses fruits,
laissait espérer un nouvel équilibre.
Troisième condition, la politique d'aménagement du territoire ne suffit pas à
elle seule à instaurer les équilibres. Il est indispensable que toutes les
politiques contribuent à cet objectif, qu'il s'agisse, bien sûr, de la
fiscalité ou des infrastructures. Il est inconcevable de parler d'aménagement
du territoire sans évoquer les infrastructures qui permettent le désenclavement
- et que l'on ne nous dise pas le contraire ! - mais aussi la modernité, les
technologies modernes.
Je prendrai l'exemple de la recherche : durant les dix dernières années, un
rééquilibrage s'est opéré à cet égard entre Paris et un certain nombre de
régions françaises. On a constaté que, en Provence-Alpes-Côte d'Azur, en
Rhône-Alpes, voire en Alsace, la recherche avait été consolidée et que des
centres reconnus existaient maintenant. Or, que venons-nous d'entendre ? Le
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie nous a
expliqué que, pour la prochaine période, la priorité serait de nouveau accordée
à Paris, au bassin parisien, en raison du risque d'appauvrissement de la
recherche en Ile-de-France. Pourtant, nous savons bien que Paris continue de
concentrer la moitié de la recherche de notre pays.
Par conséquent, madame le ministre, à quoi bon discuter dans cette enceinte
d'aménagement du territoire si vos collègues font l'inverse dans les domaines
qui les concernent ? Il faut donc mener une politique cohérente.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
J'en viens à la quatrième condition. La politique d'aménagement du territoire
doit pouvoir aussi répondre au déséquilibre à l'intérieur d'un même
département, d'une même région, car il n'existe pas de région ou de département
totalement homogène. Je prendrai un exemple concret à cet égard.
On constate, en lisant la carte publiée par
Le Monde
, que le
département du Bas-Rhin est entouré d'un certain nombre de zones connaissant
des handicaps et correspondant au massif vosgien. Ce dernier, d'un côté, donne
sur l'Alsace, en particulier sur le Bas-Rhin. Comment pouvons-nous expliquer
que, demain, une politique d'aménagement du territoire, en particulier la prime
d'aménagement du territoire, bénéficie à nos départements voisins dans le
massif vosgien mais qu'aucune mesure ne soit disponible pour la partie se
trouvant du côté alsacien ? Il me paraît évident de pouvoir prendre en compte
cette spécificité. Nous devons donc regarder au plus près ce qui se passe à
l'intérieur d'un département ou d'une région.
Deux autres critères, que j'évoquerai très brièvement, me paraissent devoir
être pris en compte.
Premièrement, une telle politique, pour être efficace, doit bénéficier d'un
large consensus. A cet égard, j'apprécie l'approche de la commission spéciale,
qui n'a pas souhaité rejeter le texte du Gouvernement mais qui a cherché à
l'améliorer. Mais je vous remercie aussi, madame le ministre : si vous
souhaitez aller dans le même sens, vous nous trouverez tout à fait disposés à
conforter cette démarche.
Deuxièmement, la réforme des niveaux de collectivités d'administration est
indispensable pour que l'on puisse en obtenir les pleins effets.
En conclusion, nous sommes, sur ces travées, nombreux à estimer que l'Etat
doit arrêter sa politique d'intervention tous azimuts. Mais, s'il est un
secteur où l'interventionnisme doit être de règle, c'est bien l'aménagement du
territoire : nous devons être conscients que des enjeux majeurs sont en cause
et que la seule façon de relever les défis qui s'imposent à nous est d'agir
tous ensemble, de concentrer l'essentiel de nos forces là où nous en avons le
plus besoin.
Oui, la politique de l'Etat en matière d'aménagement du territoire doit être
une politique interventionniste. Nous comptons sur vous, madame la ministre,
pour accentuer les efforts dont ce texte est porteur. Vous pouvez compter sur
le Sénat pour vous aider à trouver les voies et moyens !
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'aménagement
et le développement durable du territoire que souhaitent la plupart des
Français, c'est indiscutablement un équilibre entre, d'une part, les centres
urbains - et plus particulièrement les centres urbains de taille humaine - et,
d'autre part, un espace rural vivant et actif.
L'avenir de nos grandes villes serait préoccupant s'il s'apparentait, même de
très loin, à ce qui s'est produit, par exemple, au Caire, à Lagos ou à Mexico,
où, dans des quartiers périphériques, au mieux construits à la hâte,
éventuellement pas construits du tout, se sont concentrées des populations
déracinées et vouées à l'exclusion.
Les villes ont besoin de qualité, de sécurité et d'attractivité, mais pas de
croissance incontrôlée. A cet égard, ma thèse personnelle est que l'avenir de
la ville est à la campagne, au moins pour partie.
Voilà quelques heures, se tenait, à l'Assemblée nationale, un débat sur un
thème évocateur : « Les villages à la conquête du monde ». Le délégué général
de la DATAR y déclarait avec conviction : « Nous avons la volonté et les moyens
d'aller dans ce sens. »
Depuis trente ans, personnellement, je suis passionné par le développement
local. J'y travaille avec un objectif important, la création de la croissance.
C'est ainsi que nous avons fait de Sophia-Antipolis un village à la conquête du
monde. Nous avons réussi, avec les forces vives des Alpes-Maritimes et l'appui
de la DATAR, à conjuguer dans une zone rurale écologie et haute technologie,
développement économique durable et qualité de vie. Demeuré agreste, le site
compte parmi les plus attractifs d'Europe. Notre village est à la conquête du
monde et veut continuer à l'être. Qui plus est, il génère environ 25 milliards
de francs de produit intérieur brut, dont 10 milliards de francs - et même un
peu plus - vont à l'Etat, aux collectivités locales et à la sécurité sociale,
ce qui n'est pas négligeable puisque cela représente quasiment la moitié de
l'économie des Alpes-Maritimes.
Voilà qui démontre que, si on le veut avec ténacité et continuité, on peut
faire des choses à l'extérieur des grandes villes.
Aujourd'hui, il est devenu plus facile, grâce aux progrès des techniques de la
communication, de développer une population active hors des grandes villes.
Cette évolution est nécessaire et c'est en ce sens que je dis que, comme le
souhaitent souvent les Français, l'avenir des villes est à la campagne, ainsi
que cela se fait ailleurs : aux Etats-Unis, par exemple, la population active
s'accroît plus vite en dehors des grandes villes et de leur banlieue qu'à
l'intérieur de celles-ci, notamment avec le télétravail, grâce au réseau de
télécommunications terrestes ou satellitaires.
Grâce aux nouvelles technologies, il est désormais possible de travailler
partout, de s'éduquer, de se distraire, et cette tendance se développe tous les
mois. L'extraordinaire capacité des nouvelles technologies permet ainsi, dans
chacun des grands colloques ou dans les grandes foires mondiales, de
s'apercevoir qu'un pas supplémentaire a encore été franchi : par exemple, les
petits téléphones portables pourront même intégrer des téléviseurs.
La reconquête de l'espace rural a lieu aussi en Grande-Bretagne, en Allemagne,
en Italie du nord, où les districts ruraux abritent des groupements de petites
entreprises qui attaquent avec succès le marché mondial.
Il est étonnant, au lendemain de la fête de l'Internet, qui s'est ouverte par
un discours du Premier ministre, de ne pas trouver dans ce projet de loi les
mesures concrètes d'appui qui s'imposent, par exemple pour inciter les
entreprises et les administrations à faciliter le télétravail de leurs employés
: une grande partie d'entre eux passent souvent 90 % de leur temps de travail
devant un ordinateur, ce qu'ils pourraient faire à distance.
Le projet de loi n'évoque pas non plus la téléformation ni la large diffusion
de la culture par les autoroutes de l'information, pas plus que la priorité
qu'il faudrait pourtant donner à l'implantation de logements d'actifs dans les
bourgs et les villages.
Mon département prépare actuellement une directive territoriale d'aménagement
et j'ai demandé que l'on introduise cette notion, car c'est un des handicaps au
développement du télétravail actuel et futur. Il faudrait donc mener une
réflexion intelligente pour que soient construites des habitations à loyer
modéré en dehors des quartiers périphériques des grandes villes. Cela
permettrait probablement d'éviter l'hyperconcentration et toutes ses
conséquences désagréables.
Au mépris d'une décision formelle prise par la commission supérieure du
service public des postes et télécommunications, il est question d'acter dans
la loi une certaine régression des fonctions postales en milieu rural pour
tenir compter d'une directive européenne. Je m'associe, puisque je fais partie
de cette commission, à cette décision formelle, qui a été évoquée auparavant à
cette tribune. En effet, je considère qu'au contraire les postiers pourraient
contribuer au nécessaire développement d'Internet en France, en se faisant les
ambassadeurs du développement des messageries électroniques pour tous. La
Poste, qui gère déjà les adresses postales de chacun, pourrait gérer des
adresses électroniques !
Pour synthétiser et caricaturer ma position, je crains que la loi n'admette un
scénario de l'inacceptable. Je crains que ne soit considéré comme prévisible et
normal le fait que des mégapoles avec leurs banlieues, où vivraient 80 % au
moins des habitants de notre pays, soient juxtaposées aux 80 %, restants du
territoire qui seraient transformés en une sorte de réserve naturelle pour les
populations autochtones. Je me souviens ainsi que, voilà quinze ans, à
l'occasion de l'un de mes premiers discours prononcé dans une petite bourgade
du haut pays des Alpes-Maritimes, le maire me demandait ce que serait l'avenir,
car il craignait que son territoire ne devienne une réserve d'Indiens. C'est
une question que se posent beaucoup de maires de régions rurales en
dévitalisation !
Nous ne pouvons pas admettre de ne pas leur donner au moins un espoir. Madame
la ministre, j'espère que vous contribuerez à leur donner cet espoir !
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici une
nouvelle fois amenés à débattre de l'aménagement du territoire.
Pourquoi ce nouveau débat ? Nous parlons cette fois-ci de développement «
durable » du territoire. Mais croyez-vous, madame la ministre, que votre
prédécesseur, M. Pasqua, ne se préoccupait pas lui aussi du développement
durable alors qu'il avait prévu de redessiner la France à l'horizon 2015 ?
Plutôt que d'affirmer ici une évidence - la nécessité d'un développement
durable -, vous auriez rendu, me semble-t-il, un plus grand service au pays en
garantissant le caractère durable de la grande loi Pasqua-Hoeffel.
Je ne suis pas original en exprimant ici ma désapprobation de la suppression
du schéma national d'aménagement du territoire mis en place par la loi de 1995
: vous lui avez préféré des schémas de service collectif.
Quelle que soit la qualité des travaux préparatoires à l'adoption de ces
schémas, chacun d'entre eux sera d'abord porteur de sa propre cohérence, de
celle de l'administration qui l'aura inspiré, même si les élus, les
collectivités ont, à un moment ou à un autre, l'occasion de donner leur
sentiment sur ces schémas.
Mais comment parvenir à la cohérence d'ensemble qui seule peut garantir un
aménagement du territoire harmonieux et porteur d'une volonté forte ? Je
l'avoue, j'ai là une inquiétude.
Je voudrais ici apporter un témoignage et faire preuve de préoccupations
concrètes. Elles sont celles d'un élu du plus peuplé des départements français,
le Nord, qui compte 2 500 000 habitants. J'y suis le rapporteur général de la
commission de coopération intercommunale et, de surcroît, président de la
première communauté de villes créée en France dès 1992.
Parlons d'abord des rapports entre l'urbain et le rural.
Il paraît que vous avez qualifié la loi précédente de « ruralo-ruraliste ». La
préoccupation portée au monde rural honore ses auteurs, et jamais le
qualificatif de « ruraliste » ne pourra me paraître offensant car, dans un pays
où 80 % de la population vivent sur 20 % du territoire, il y a fatalement des
zones peu peuplées qui appellent un traitement particulier, privilégié, une «
discrimination positive », comme on dit aujourd'hui.
Certains de mes collègues des départements les plus ruraux s'inquiètent du
manque de prise en compte de leurs difficultés dans votre texte. Je crois en
effet qu'ils ont raison.
Encore faut-il s'entendre sur le terme de « rural ». Il y a ce qu'on appelle
parfois le « rural profond », il y a aussi un monde rural proche de la ville,
vivant en symbiose avec elle, ce monde que les géographes appellent d'un mot
bien symbolique, le monde « rurbain. »
C'est ainsi que, dans ma communauté de villes qui rassemble dix-sept communes
dans une même structure, on trouve une ville de 34 000 habitants, mais aussi
dix communes authentiquement rurales de moins de 500 habitants, et que nous
faisons actuellement adopter simultanément un contrat d'agglomération et un
contrat de développement rural qui répondent ensemble aux besoins d'un
territoire mi-urbain mi-rural, mais lié par des solidarités fortes et
reconnues.
Il est vrai que les villes, les pôles urbains sont souvent des moteurs du
développement au service des territoires environnants. Nous le savons depuis
longtemps puisque nos «
pagus
», nos pays traditionnels, portent très
souvent un nom qui leur vient de leur ville centre, et ce tout naturellement
depuis des siècles.
Il faut donc non pas opposer la ville, son agglomération et le pays qu'elle
commande, mais, au contraire, construire le développement sur des bassins de
vie reconnus par la population, qui sait toujours, elle, quelle est la ville
qui rythme sa vie.
Vous avez raison d'insister sur la structuration des solidarités
d'agglomération. Nous en reparlerons bientôt, lors de l'examen du texte de M.
Chevènement.
Vous redécouvrez les vertus du pays, toujours très présent, sauf dans les très
grandes agglomérations. Mais pourquoi en faire le territoire d'un projet,
seulement le territoire d'un moment ? Ne serait-il pas plutôt l'esquisse d'une
organisation future qui se cherche encore ? Sa légitimité démocratique, il la
devra à la reconnaissance par la population de sa pertinence géographique et
des élus qui en ont la responsabilité. Pourquoi, en face de ces élus, hésiter à
affirmer qu'il pourra y avoir place dans l'avenir, pour un échelon déconcentré
des administrations de l'Etat ?
Vous ne parlez guère du département, non plus que de l'arrondissement, cette
entité profondément ressentie dans le milieu rural. Ils furent inventés,
définis, à la fin du xviiie siècle, de manière empirique. Laissez empiriquement
apparaître les entités administatives pertinentes du début du xixe siècle !
Donnez-vous dix ans, donnez-leur dix ans pour faire leurs preuves, pour
s'affirmer ! Osez le droit à l'expérimentation ! Dans ce domaine, votre texte
me semble singulièrement frileux, car trop respectueux des empilements
administratifs traditionnels.
Qui dit aménagement dit aussi traitement différencié, discrimination positive,
pour corriger les fractures dont est naturellement porteur le cours des
choses.
Le monde rural profond est fragile. Les banlieues s'embrasent. Mais l'avenir
n'est pas assuré non plus pour nos agglomérations moyennes.
L'avenir, c'est le tertiaire, dit-on souvent. J'habite dans une ville qui perd
ses emplois secondaires mais aussi ses emplois tertiaires parce que la
décroissance de la population ne favorise pas le développement du commerce,
parce que, dans une zone remarquablement desservie par les autoroutes mais mal
desservie par le TGV, celui qui ne bénéficie pas de la même qualité de desserte
est victime d'un handicap presque insurmontable. Pour desservir ladite zone, la
SNCF majore alors ses tarifs et, par conséquent, perd des clients. Les banques,
les administrations, les tribunaux, chacun avec sa logique, avec ses bonnes
raisons, veulent se concentrer, se réorganiser... ailleurs.
Comment vos schémas de services collectifs peuvent-ils rendre compte de cette
accumulation de décisions individuellement justifiées et collectivement
désastreuses ?
Je ne prétends pas lire dans l'avenir, mais je ne pense pas, madame le
ministre, que votre texte puisse être autre chose qu'une étape, à moins que
vous n'ayez la volonté de tenir le plus grand compte du remarquable travail qui
a été celui de la commission spéciale créée par le Sénat, qui a démontré, une
fois de plus - il convient de le souligner - la qualité de ses analyses et de
ses travaux.
Madame le ministre, je souhaite que nos débats aient un avenir, qu'ils servent
à quelque chose, qu'ils soient durables et que, grâce à l'apport du Sénat, nous
n'ayons pas bientôt à revenir sur votre loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de
loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire
était incontestablement un texte attendu ; non pas en raison du débat qu'il a
pu susciter préalablement à travers certains de ses objectifs, qui ont pu, un
temps, relancer la polémique entre monde urbain et monde rural, voire entre
régionalistes et départementalistes, mais parce qu'il fallait un complément
indispensable au grand mouvement de décentralisation lancé par les textes
fondateurs de 1982.
La loi Pasqua - on l'a rappelé ici - avait posé un certain nombre de
fondations, mais elle avait également - il faut bien le dire aussi - suscité,
dans sa mise en oeuvre, un certain nombre de déceptions, lenteur d'application
ou manque de moyens financiers ne paraissant pas être les seules raisons de sa
révision.
Aujourd'hui, vous nous présentez, madame la ministre, un projet de loi qui
constitue la colonne vertébrale d'un dispositif plus vaste qui, de l'Europe au
plus profond du monde rural, témoigne d'une volonté cohérente d'aménagement du
territoire à travers les différents textes qui nous sont proposés, ou qui vont
l'être dans les prochaines semaines, et qui vont de l'évolution de
l'intercommunalité aux zonages issus des fonds structurels européens.
Grâce à cette approche, grâce aussi à la qualité du travail fait par
l'Assemblée nationale, le texte que nous discutons aujourd'hui apparaît, sur
bien des points, équilibré et innovant.
Parce que nous sommes pour la plupart, ici, des élus locaux, nous savons à
quel point la réussite d'une politique de développement d'un territoire tient
au bon équilibre que l'on parvient à établir entre les différents ingrédients
de ce développement. Or, c'est sur le chemin de cet équilibre que la loi nous
invite à marcher.
L'équilibre institutionnel, tout d'abord.
On sait comment, en matière de gestion du territoire, peuvent s'opposer, par
tradition, les jacobins et les girondins. La loi nous invite à dépasser cette
opposition.
Elle réaffirme, tout d'abord, le rôle déterminant de la puissance publique,
qu'il s'agisse de l'Etat ou des collectivités locales, en matière d'aménagement
du territoire, et elle reconnaît à chaque échelon administratif un rôle
spécifique.
Elle va toutefois plus loin, car elle ouvre désormais le champ des projets de
développement local à l'ensemble des acteurs et, au-delà des élus, à la société
civile.
C'est ainsi qu'il faut comprendre le rôle dévolu aux pays et, à travers eux,
au conseil de développement - je regrette que celui-ci ait disparu dans les
propositions de la commission spéciale - qui, par leur réflexion et par la
concertation qu'ils permettent, viendront enrichir l'action des collectivités
publiques.
A l'équilibre institutionnel s'ajoute un équilibre dans la prise en compte des
facteurs du développement que sont l'économique, le social et
l'environnemental.
A cet égard, le projet de loi nous fait franchir un cap en ne s'en tenant plus
au seul objectif de la compétitivité économique.
Dans tout projet de développement, il convient désormais de prendre également
en compte la dimension sociale des problèmes - le développement ne vaut et ne
tient que s'il est partagé - ainsi que la dimension environnementale - le
développement ne vaut et ne tient que s'il ne conduit pas à la disparition des
ressources naturelles.
C'est donc à travers une grille complète et non pas uniquement marchande que
la loi d'orientation nous propose d'examiner les projets destinés à
l'enrichissement et à la croissance. Gageons que c'est là une condition
supplémentaire de réussite.
Ma seconde observation a trait au caractère novateur de cette loi. A nos yeux,
l'essentiel est là : la loi qui nous est proposée aborde la question de
l'aménagement du territoire sous un angle neuf et moderne. L'aménagement
durable, c'est, comme vous l'avez dit, madame la ministre, l'aménagement
réalisable, viable dans le temps et intégré à l'espace.
L'innovation présentée ne se résume pas à la méthode qu'elle propose ; elle
tient aussi aux objectifs qu'elle nous fixe. Elle ouvre, en particulier, une
nouvelle période de la programmation des investissements en nous faisant passer
de l'époque des structures à celle des services.
Nous sommes, aujourd'hui, sortis de la reconstruction, voire de la
modernisation sans discernement ; notre philosophie ne peut plus être celle des
seuls équipements.
Il faut, dans une vision beaucoup plus large, partir des besoins humains, qui
se sont complexifiés, et se demander de quels services autant que de quels
équipements nos concitoyens ont besoin.
Ce sera l'occasion de se préoccuper de la nécessité qu'il y a, pour réussir un
aménagement harmonieux du territoire, à construire des équipements, des routes,
mais aussi à développer des politiques actives en matière de culture, de santé,
d'enseignement supérieur, de recherche, etc., qui donnent tout leur sens aux
schémas de services collectifs, qui doivent déterminer les équipements.
Vous nous avez assuré, madame la ministre, que le Parlement serait associé à
la réflexion. Il lui reviendra aussi de vérifier que les engagements qui seront
pris seront compatibles avec les crédits que nous votons dans les lois de
finances.
Voilà ! Le projet de loi nous invite à réfléchir à un aménagement durable de
nos territoires. Mais parce qu'il s'agit d'une loi d'orientation, il faudra que
notre vigilance elle-même soit tout aussi durable.
C'est seulement à cette condition que nous redonnerons à notre politique
d'aménagement du territoire les moyens dont elle a parfois cruellement manqué :
les moyens matériels, certes - la péréquation des richesses ne sera pas l'un
des moindres - mais aussi les moyens humains, tant intellectuels que sociaux,
sans lesquels vous le savez bien -, toute entreprise, dans le monde
d'aujourd'hui, reste sans objet.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Franchis.
M. Serge Franchis.
Madame la ministre, alors que la loi de février 1995 d'orientation pour
l'aménagement du territoire n'a pas été totalement appliquée, loin de là, vous
croyez devoir remettre en cause son architecture trop « ruraliste », en mettant
plus particulièrement l'accent, dans votre texte, sur le renforcement des pôles
urbains et sur l'organisation des agglomérations.
Une telle approche devrait
a priori
séduire l'élu urbain que je suis.
Les difficultés sociales que connaissent près de 250 quartiers de nos villes
sont effectivement très préoccupantes. Elles ne nous autorisent pas, pour
autant, à laisser à l'abandon des pans entiers de notre territoire rural, en le
considérant essentiellement comme un patrimoine naturel à protéger.
Cette vision urbano-écologiste de l'aménagement du territoire va, en réalité,
à l'encontre d'un développement équilibré, alors que 425 cantons ruraux sont en
voie de désertification, et ce au moment où la réforme des fonds structurels
européens risque d'être moins favorable à la France que le régime qui lui est
actuellement appliqué. Le Gouvernement est peu disert sur ce sujet...
Certaines régions ne bénéficieront plus des crédits de l'objectif 1. D'autres,
comme le département de l'Yonne, en Puisaye-Forterre notamment, qui étaient
jusqu'alors éligibles à l'objectif 5 b, vont-elles bien, madame la ministre,
pouvoir bénéficier des volets agricole et industriel de l'objectif 2 ? Je
m'interroge à ce sujet.
En effet, selon le groupe d'études et de réflexion interrégional, la France
perdrait cinq milliards de francs par an de crédits des fonds structurels
européens, ce qui est considérable.
A cette inquiétude s'en ajoute une autre : comme l'a récemment souligné un
rapport de notre collègue Jean-Pierre Raffarin, certaines mesures envisagées
par la Commission de l'Union européenne, en entravant la liberté de choix des
zones de l'objectif 2 par les Etats membres, risquent de réduire la carte des
primes d'aménagement du territoire alors que cette carte est déjà très
sélective.
Quant à la loi spécifique au développement des zones rurales prévue en 1995,
elle ne verra pas le jour ; votre texte ne prévoit pas de véritable cadre de
développement pour les zones de revitalisation rurale ; le fonds de gestion de
l'espace rural n'est pratiquement plus doté financièrement ; les services
publics en milieu rural risquent d'être progressivement fermés et nous sommes
actuellement confrontés dans de nombreuses régions à des fermetures de classes.
Bref nos campagnes resteront sans doute belles, mais seront-elles encore
habitées et animées ?
N'oublions pas que si 80 % de la population est urbaine, 80 % du territoire
français demeure rural : nier cette réalité, ce serait mettre en place un
aménagement du territoire à deux vitesses, ce qui ne serait pas acceptable.
Ce qui m'a frappé aussi en examinant votre projet de loi est de voir à quel
point l'accent y est mis sur le rôle moteur de l'Etat en matière d'aménagement
du territoire, les collectivités territoriales étant reléguées à un simple rôle
d'accompagnement, alors qu'elles contribuent pourtant à la moitié du
financement des contrats de plan.
Ce retour en force de l'Etat est-il compatible avec l'esprit des lois de
décentralisation ?
Dans votre texte, la définition et la réalisation des choix statégiques en
matière d'aménagement du territoire relèveront, au premier chef, de l'Etat.
L'expérience nous prouve que, lorsque l'Etat veut s'occuper de tout, il s'en
occupe mal. De ce point de vue, je suis inquiet de constater à quel point son
rôle paraît prééminent dans la mise en oeuvre des huit schémas de services
collectifs, dans la préparation des contrats de plan Etat-régions et dans la
mise en oeuvre des directives territoriales d'aménagement.
Parmi les autres innovations de votre projet de loi figurent la consécration
des pays judicieusement créés par la loi de 1995, ainsi que le rôle essentiel
dévolu aux agglomérations. En effet, les communautés d'agglomérations
constituent, par ailleurs, la pierre angulaire du projet de loi sur
l'intercommunalité que le Sénat examinera prochainement.
Les pays pourraient donc désormais signer des contrats dans le cadre des
contrats de plan Etat-région mais à condition qu'ils s'organisent en syndicats
mixtes ou en établissements publics de coopération intercommunale.
Ainsi, à côté de nos 36 000 communes, des SIVU, des SIVOM, des communautés de
communes, des communautés d'agglomérations, des communautés urbaines, des
départements, des régions et de l'Etat, nous trouverons désormais des pays,
établissements publics, chaque échelon disposant de son administration, souvent
de sa fiscalité, de compétences propres et de la capacité à contracter avec les
autres, pour concourir, notamment, à des financements croisés.
Tout le monde se mêle à tout ! Cette énumération a de quoi donner le
tournis.
On ne peut donc que regretter que votre texte, plutôt que de favoriser une
clarification du rôle, du financement et des compétences des collectivités
territoriales, aille dans le sens d'un plus grand empilement administratif.
Pour toutes ces raisons, je ne saurais m'associer à votre projet de loi,
madame la ministre, que lorsqu'il aura été profondément enrichi et remanié -
avec votre compréhension - selon les propositions de la commission spéciale,
qui a effectué un excellent travail et qui a bien perçu l'essentiel des
problèmes évoqués à cette tribune.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste et du RPR.)
Demande de priorités et de réserve
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher, rapporteur.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Monsieur le président, en prévision de la suite de nos débats
et pour le bon déroulement de ceux-ci, la commission spéciale souhaite que,
demain, l'article 9 soit appelé par priorité avant l'article 3 ; que l'article
16 soit réservé jusqu'après l'examen de l'amendement n° 84, qui tend à insérer
un article additionnel après l'article 32 ; et que l'article 35 soit appelé par
priorité après l'article 24.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de priorités et de réserve
formulée par M. le rapporteur de la commission spéciale ?
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Le
Gouvernement n'y voit pas d'objection.
M. le président.
En conséquence, ces priorités et réserve sont de droit.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
5
DÉPÔT DE PROJETS DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant la
ratification de la convention relative à l'adhésion de la République
d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède à la convention
relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des
bénéfices d'entreprises associées.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 276, distribué et renvoyé à la
commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de
la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale
dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation
de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement
de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 277, distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation
de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement
de la République française et le Gouvernement du Royaume de Thaïlande.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 278, distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
6
TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI
M. le président.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par
l'Assemblée nationale, modifiant l'ordonnance n° 82-283 du 26 mars 1982 portant
création des chèques-vacances.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 275, distribué et renvoyé à la
commission des affaires sociales.
7
DÉPO^T D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION
M. le président.
J'ai reçu de M. Henri de Raincourt et des membres du groupe des Républicains
et Indépendants, une proposition de résolution tendant à créer une commission
d'enquête chargée de procéder à un examen approfondi du phénomène de la
déliquance des mineurs et de proposer des mesures de nature à y remédier.
La proposition de résolution sera imprimée sous le n° 279, distribuée et
renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
8
TEXTES SOUMIS EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
M. le président.
J'ai reçu, de M. le Premier ministre, le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de règlement (CE) du Conseil portant organisation commune des
marchés dans le secteur des produits de la pêche et de l'aquaculture.
Ce texte sera imprimé sous le n° E 1230 et distribué.
J'ai reçu, de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de règlement (CE) du Conseil modifiant l'annexe I du règlement
(CEE) n° 2658/87 du Conseil relatif à la nomenclature tarifaire et statistique
et au tarif douanier commun (plates-formes de forage).
Ce texte sera imprimé sous le n° E 1231 et distribué.
J'ai reçu, de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le
Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de règlement (CE) du Conseil modifiant l'annexe I du règlement
(CEE) n° 2658/87 du Conseil relatif à la nomenclature tarifaire et statistique
et au tarif douanier commun (chapitre 27).
Ce texte sera imprimé sous le n° E 1232 et distribué.
9
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mercredi 24 mars 1999, à quinze heures :
Suite de la discussion du projet de loi (n° 203, 1998-1999) d'orientation pour
l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification
de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration
d'urgence.
Rapport (n° 272, 1998-1999) de MM. Gérard Larcher, Claude Belot et Charles
Revet, fait au nom de la commission spéciale.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale de ce projet de loi
n'est plus recevable.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.
Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence,
relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale
(n° 220, 1998-1999).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
mercredi 31 mars 1999, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 30 mars 1999, à dix-sept
heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 24 mars 1999, à zéro heure
trente-cinq.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
ERRATUM
Au compte rendu intégral de la séance du 17 mars 1999
PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ
Dans l'intervention de M. Jean-Louis Lorrain, page 1542, 2e colonne,
avant-dernier alinéa, 3e ligne :
Au lieu de :
« ..., il serait légal. »,
Lire :
« ..., il serait létal. »
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Organismes de recherche et marchés publics
496.
- 19 mars 1999. -
Mme Nicole Borvo
attire l'attention de
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
sur les importantes difficultés que rencontrent les organismes de recherche en
matière de marchés publics. Ceux-ci se trouvent confrontés depuis 1999 à un
blocage complet de leurs achats de fournitures et équipements destinés aux
laboratoires. Toute commande doit depuis le 1er janvier 1999 se plier à la
règle : un produit, un fournisseur. Or, ce carcan administratif : 1) est unique
en Europe, 2) constitue un frein essentiel qui handicape sérieusement la
compétition avec les chercheurs anglo-saxons qui ne sont pas soumis à de telles
contraintes, 3) est la cause de ralentissements dans les progrès scientifiques
et médicaux et de pertes de brevets, 4) n'est pas compatible avec le
développement de sociétés de biotechnologies, 5) se traduit par des pertes
sèches sur le plan financier avec l'achat de matériel inadéquat et plus cher et
amène les chercheurs à rechercher des sources de financement qui ne passent pas
par les finances publiques, 6) a été conçu sans réelle concertation avec les
chercheurs et leurs représentants. Des mesures transitoires ont été prises mais
elles ne sont pas satisfaisantes car les même problèmes risquent de se
reproduire d'ici quelques mois. Plus grave encore semble être la modification
du code des marchés publics préconisée par le ministère des finances pour
résoudre le problème à plus long terme. En effet, le projet de décret déposé au
Conseil d'Etat visant à modifier l'article 76 du code des marchés publics ne
répond nullement aux besoins des laboratoires de recherche. La philosophie de
ce texte consiste à maintenir l'obligation de définir précisément, dès l'appel
d'offres initial, les caractéristiques techniques de tous les produits que
l'établissement se propose d'acheter. Ce contrôle des marchés sera complexe à
mettre en oeuvre ; il demandera plus de travail, pour les ordonnateurs, les
comptables et les chercheurs et a pour résultat de les empêcher de choisir les
fournitures les plus appropriées. Pour toutes ces raisons, elle lui demande
s'il compte faire évoluer la réglementation dans un sens qui permettrait aux
établissements de recherche de fonctionner normalement en tenant compte de la
spécificité de la recherche scientifique. Elle lui demande également quand le
Gouvernement compte entreprendre une réele concertation avec les chercheurs et
leurs représentants qui jusqu'à présent semble avoir fait défaut.
Horaires de fermeture des gares SNCF
497.
- 23 mars 1999. -
M. Yann Gaillard
attire l'attention de
M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement
sur les horaires de fermeture des gares SNCF. Il lui rappelle qu'à l'occasion
de la rencontre des élus champardennais, le 16 mars 1999, concernant la ligne
Paris-Bâle, il avait déjà évoqué cette question. En effet, les horaires de
fermeture des gares se font beaucoup trop tôt, souvent bien avant le dernier
train. La gare de Troyes (Aube), par exemple, ferme à 21 heures alors que le
dernier train est à 22 h 16. Il en résulte que les voyageurs qui attendent une
correspondance doivent patienter dans un petit hall, faisant office de salle
d'attente, assez inconfortable, notamment quand il fait froid. De plus, cette
absence de vie sociale en fait un espace livré aux populations marginales où
règne, il faut bien le dire, une certaine insécurité. Sans oublier les dégâts
matériels qui sont régulièrement constatés (banc cassé, vitres brisées...). Il
reste le buffet de la gare, mais lui aussi ferme tôt et les bars et restaurants
aux alentours ne tarderont pas à faire de même. On se retrouve dans une sorte
de
no man's land
qui ne fait qu'ajouter à l'insécurité urbaine. Il tient
à faire remarquer que ce problème n'est malheureusement pas spécifique à la
gare de Troyes et qu'il s'avère indispensable d'en tenir le plus grand compte.
Aussi, il lui demande s'il envisage, dans un souci d'amélioration du service
public, de repousser l'horaire de fermeture des gares, conformément aux
engagements qu'il avait pris lors de cette rencontre du 16 mars 1999.
ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL
de la séance du mardi 23 mars 1999
SCRUTIN (n° 87)
sur l'ensemble de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale,
relative au mariage, au concubinage et aux liens de solidarité.
Nombre de votants : | 316 |
Nombre de suffrages exprimés : | 310 |
Pour : | 194 |
Contre : | 116 |
Le Sénat a adopté.
ANALYSE DU SCRUTIN
GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
Contre :
16.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (22) :
Pour :
15.
Contre :
4. _ MM. Jean-Michel Baylet, André Boyer, Yvon Collin et
Jacques Pelletier.
N'ont pas pris part au vote :
3. _ MM. Jacques Bimbenet, Bernard Joly
et Georges Othily.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (99) :
Pour :
92.
Contre :
4. _ MM. Michel Caldaguès, François Gerbaud, Emmanuel Hamel
et Jean-Jacques Robert.
Abstentions :
2. _ MM. Philippe de Gaulle et Christian de La
Malène.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. Christian Poncelet, président du
Sénat.
GROUPE SOCIALISTE (78) :
Contre :
78.
GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (52) :
Pour :
43.
Contre :
7. _ MM. Maurice Blin, André Bohl, Jean Huchon, Alain
Lambert, Henri Le Breton, René Marquès et Michel Souplet.
Abstentions :
2. _ MM. Pierre Jarlier et Louis Mercier.
GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (47) :
Pour :
40.
Contre :
6. _ MM. Jean-Paul Bataille, Jean Boyer, Louis Boyer, Louis
Grillot, Guy Poirieux et Henri Revol.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. Jean-Claude Gaudin, qui présidait
la séance.
Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (7) :
Pour :
4.
Contre :
1. _ M. Bernard Seillier.
Abstentions :
2. _ MM. Philippe Adnot et Philippe Darniche.
Ont voté pour
François Abadie
Nicolas About
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Denis Badré
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Michel Barnier
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Michel Bécot
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jean Bizet
Paul Blanc
Annick Bocandé
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Gérard Delfau
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Michel Doublet
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Hubert Durand-Chastel
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
Yann Gaillard
René Garrec
Patrice Gélard
Alain Gérard
Charles Ginésy
Francis Giraud
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Georges Gruillot
Hubert Haenel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Daniel Hoeffel
Jean-Paul Hugot
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
André Jourdain
Alain Joyandet
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Jean-François Le Grand
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Kléber Malécot
André Maman
Philippe Marini
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Jacques Oudin
Charles Pasqua
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jean Pépin
Jacques Peyrat
Alain Peyrefitte
Xavier Pintat
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri de Richemont
Philippe Richert
Yves Rispat
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Raymond Soucaret
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac
Ont voté contre
Guy Allouche
Bernard Angels
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Robert Badinter
Jean-Paul Bataille
Jean-Michel Baylet
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Maurice Blin
André Bohl
Marcel Bony
Nicole Borvo
André Boyer
Jean Boyer
Louis Boyer
Yolande Boyer
Robert Bret
Michel Caldaguès
Jean-Louis Carrère
Bernard Cazeau
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Michel Charzat
Yvon Collin
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Jean-Pierre Demerliat
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Claude Domeizel
Michel Dreyfus-Schmidt
Michel Duffour
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Claude Estier
Léon Fatous
Guy Fischer
Thierry Foucaud
François Gerbaud
Serge Godard
Louis Grillot
Jean-Noël Guérini
Emmanuel Hamel
Claude Haut
Roger Hesling
Jean Huchon
Roland Huguet
Alain Journet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Alain Lambert
Dominique Larifla
Henri Le Breton
Gérard Le Cam
Louis Le Pensec
Pierre Lefebvre
André Lejeune
Claude Lise
Paul Loridant
Hélène Luc
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
François Marc
René Marquès
Marc Massion
Pierre Mauroy
Jean-Luc Mélenchon
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Jean-Marc Pastor
Jacques Pelletier
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Guy Poirieux
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Jack Ralite
Paul Raoult
Ivan Renar
Henri Revol
Roger Rinchet
Jean-Jacques Robert
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Bernard Seillier
Michel Sergent
Franck Sérusclat
René-Pierre Signé
Michel Souplet
Simon Sutour
Odette Terrade
Michel Teston
Pierre-Yvon Tremel
Paul Vergès
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber
Abstentions
MM. Philippe Adnot, Philippe Darniche, Philippe de Gaulle, Pierre Jarlier,
Christian de La Malène et Louis Mercier.
N'ont pas pris part au vote
MM. Jacques Bimbenet, Bernard Joly et Georges Othily.
N'ont pas pris part au vote
MM. Christian Poncelet, président du Sénat, et Jean-Claude Gaudin, qui
présidait la séance.
Les nombres annoncés en séance avaient été de :
Nombre de votants : | 317 |
Nombre de suffrages exprimés : | 311 |
Majorité absolue des suffrages exprimés : | 156 |
Pour l'adoption : | 195 |
Contre : | 116 |
Mais, après vérification, ces nombres ont été rectifiés conformément à la liste ci-dessus.