Séance du 23 mars 1999






SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Modification de l'ordre du jour (p. 1 ).

Suspension et reprise de la séance (p. 2 )

3. Pacte civil de solidarité. - Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi (p. 3 ).

Vote sur l'ensemble (p. 4 )

MM. Alain Gournac, Robert Bret, Jean-Jacques Hyest, René Garrec, Bernard Joly, Mme Dinah Derycke, MM. Bernard Seillier, Jacques Legendre, Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances ; Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois ; Jacques Larché, président de la commission des lois.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Suspension et reprise de la séance (p. 5 )

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

4. Aménagement et développement durable du territoire. - Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (p. 6 ).
M. le président.
Discussion générale : Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement ; MM. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale ; Gérard Larcher, rapporteur de la commission spéciale ; Claude Belot, rapporteur de la commission spéciale ; Charles Revet, rapporteur de la commission spéciale.

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE

MM. Gérard Le Cam, Jacques Bellanger, Daniel Hoeffel, Mme Janine Bardou, MM. André Boyer, Jacques Oudin, Gérard Delfau, Mme Marie-Claude Beaudeau.

Suspension et reprise de la séance (p. 7 )

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE

MM. Léon Fatous, Jean Huchon, Jean-Pierre Raffarin, Paul Girod, Alain Joyandet, Gérard Miquel, Pierre Hérisson, Jean Puech, André Vallet, Joseph Ostermann, Mme Yolande Boyer, MM. Philippe Richert, Pierre Laffitte, Jacques Legendre, Bernard Cazeau, Serge Franchis.

Demande de priorités et de réserve (p. 8 )

M. Gérard Larcher, rapporteur de la commission spéciale ; Mme le ministre.
Les priorités et la réserve sont ordonnées.
Renvoi de la suite de la discussion.

5. Dépôt de projets de loi (p. 9 ).

6. Transmission d'un projet de loi (p. 10 ).

7. Dépôt d'une proposition de résolution (p. 11 ).

8. Textes soumis en application de l'article 88-4 de la Constitution (p. 12 ).

9. Ordre du jour (p. 13 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à onze heures vingt.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le procès-verbal de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté.

2

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le ministre des relations avec le Parlement une lettre par laquelle le Gouvernement, en accord avec la commission spéciale, demande que la discussion du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire commence aujourd'hui à seize heures et se poursuive le soir.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
L'ordre du jour de la séance de ce jour est modifié en conséquence.
Dans l'attente de Mme le garde des sceaux, qui siège actuellement au conseil des ministres, nous allons suspendre la séance pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures vingt-cinq, est reprise à onze heures quarante-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

3

PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ

Suite de la discussion
et adoption d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi (n° 108, 1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relative au pacte civil de solidarité. [Rapport n° 258 (1998-1999) et avis n° 261 (1998-1999).]
Mes chers collègues, je vous rappelle que nous avons achevé la discussion des articles au cours de la séance du jeudi 18 mars 1999.

Vote sur l'ensemble



M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je vous donne la parole à M. Gournac, pour explication de vote.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, notre assemblée peut s'honorer d'avoir débattu avec sérieux et sérénité, en première lecture, sur la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité.
Le Sénat s'est en cela distingué de l'Assemblée nationale. Il est vrai qu'en cette affaire il était plus libre : il n'a pas eu à souffrir de l'insistance de groupes de pression. La majorité plurielle de l'Assemblée nationale n'eut pas cette tranquillité.
De gauche pour ses idées politiques, cette majorité plurielle a paru l'être moins sur le sujet des moeurs, comme l'a écrit plaisamment un écrivain. Le 9 octobre, cette majorité plurielle montra qu'elle avait le courage de ses opinions en restant chez elle ! Il fallut faire appel à la discipline de parti pour quelle en changeât. Le droit à la différence ne put se faire reconnaître que par une récusation de la conscience individuelle.
L'homosexualité continue, il est vrai, de déranger, quelle que soit la formation politique à laquelle on appartient. Les intellectuels ne se sont d'ailleurs pas beaucoup exprimés sur le sujet pendant ces derniers mois. Ils ne le firent guère plus autrefois : Zola se déroba lorsqu'il lui fut demandé de signer une pétition en faveur d'Oscar Wilde, condamné. Cela ne prouve rien, sinon qu'il est préférable, en la matière, de laisser les clivages politiques de côté.
Des dispositions législatives portant sur un thème aussi difficile auraient dû être examinées dans un contexte plus large, d'autant qu'un groupe de travail était chargé, à la Chancellerie, de proposer une réforme générale du droit de la famille.
La mise en perspective des orientations et des solutions éventuelles permet habituellement une meilleure appréciation des enjeux et des décisions à prendre.
C'est pourquoi j'adhère pleinement au changement d'intitulé du texte proposé par notre commission des lois et son excellent rapporteur, Patrice Gélard : « Proposition de loi relative au mariage, au concubinage et aux liens de solidarité ». C'est un titre qui traduit un changement radical de méthode et aussi un changement de philosophie.
On ne peut pas remettre en cause, à l'aveuglette, le fonctionnement d'une société. La nôtre est d'ailleurs suffisamment fragile pour mériter un peu plus d'égards, un peu plus de prudence et de vigilance. On n'a pas le droit de porter atteinte à l'institution du mariage, fondement de notre société républicaine. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Claude Estier. Personne n'y porte atteinte !
M. Alain Gournac. Au nom des droits de l'homme et du droit à la différence, curieusement, le PACS refuse subrepticement au mariage le droit d'être une institution claire, distincte, différente.
M. Louis de Broissia. Eh oui !
M. Alain Gournac. Le Sénat a donc proposé un ensemble de solutions concrètes et de mesures réalistes en faveur des couples hors mariage, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels, prenant ainsi en compte avec générosité la diversité des situations de fait.
Mais surtout, il a opposé à l'hypocrisie ambiante une conviction républicaine et une réflexion d'ensemble qui constituent une clarification : affirmation dans le code civil de la liberté de la vie personnelle de chacun ; définition du mariage comme union d'un homme et d'une femme célébrée par un officier de l'état civil ;...
M. Claude Estier. Ça c'est une grande découverte ! (Rires sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac. ... suppression du PACS en tant que voie intermédiaire entre l'union libre et le mariage, laissant de côté les concubins qui n'y souscriraient pas ; constat dans la loi de l'existence du concubinage tant hétérosexuel qu'homosexuel ; et renforcement des liens de solidarité grâce aux les mesures fiscales proposées par notre rapporteur pour avis, Philippe Marini, et la commission des finances.
Ferme et généreux, respectueux de la liberté individuelle et soucieux des fondements de la République, le texte amendé par le Sénat apporte de vraies solutions novatrices. C'est pourquoi je le voterai. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte sur lequel nous devons nous prononcer ce matin n'a aucun point commun avec le PACS.
Pour vous, la majorité de droite, la démarche est claire : vous refusez la reconnaissance officielle des couples homosexuels, laquelle devait pourtant être la finalité même du PACS ainsi que l'aboutissement d'années de lutte contre les discriminations subies par les homosexuels.
M. Dominique Braye. C'est faux !
M. Louis de Broissia. C'est comme à Aubagne !
M. Emmanuel Hamel. On ne se cache pas derrière la famille !
M. Robert Bret. Vous refusez de leur accorder des droits nouveaux leur permettant de vivre mieux et d'avoir toute leur place dans notre société, d'être des citoyens et des citoyennes à part entière.
M. Alain Gournac. Cela n'a rien à voir !
M. Robert Bret. Vous vous cachez derrière la famille, on vient encore de l'entendre, derrière le mariage, pour refuser le PACS.
Je le redis : non, le PACS ne met pas en danger le mariage, puisque le PACS s'adresse à des gens qui ne peuvent pas se marier ou encore à ceux qui ne veulent pas ou plus se marier.
Non, le PACS ne menace pas la famille, puisque le PACS concerne les couples et les couples seulement.
Les débats de la semaine dernière auront au moins eu le mérite de mettre en évidence le fait que les couples non mariés - hétérosexuels et, surtout, homosexuels - n'ont pas accès aujourd'hui à certains droits, n'ont pas de statut et sont encore victimes de discriminations en tout genre.
Il était donc grand temps de prendre en compte, d'une part, la réalité des nouveaux modes de vie - à savoir la vie à deux sans être mariés - et, d'autre part, l'existence de l'homosexualité.
La société avance, porte un regard nouveau sur elle-même. Nous devons, en tant que législateurs, avancer avec elle et ne laisser personne sur le bas-côté de la route.
Le PACS devait ouvrir des droits nouveaux à ceux qui ne peuvent pas se marier, ce que votre texte, accordant un statut pour le moins restrictif au concubinage, ne permet plus.
C'est le cas, par exemple, pour l'extension de la qualité d'ayant droit, sans condition de délai, au partenaire homosexuel, pour le droit à congé, pour le droit des étrangers, pour la priorité de mutation des fonctionnaires et, enfin, pour la continuation du contrat de location et le droit de reprise du bailleur.
Quant aux règles d'imposition commune de transmission de patrimoine, elles ont disparu dans votre texte.
Tous ces droits nouveaux, ouverts en contrepartie d'obligations, vous les avez réduits comme peau de chagrin.
En refusant de définir clairement le concubinage comme étant le fait de deux personnes « sans distinction de sexe », vous fermez la porte à un changement nécessaire d'interprétation de la Cour de cassation, qui ne reconnaît pas l'existence du concubinage entre deux personnes de même sexe.
M. Emmanuel Hamel. Elle a raison !
M. Robert Bret. Nous ne vous suivrons pas dans cette démarche conservatrice qui vous a permis, au Sénat, tout en rognant le droit des homosexuels, d'éviter de sombrer dans l'homophobie, pourtant sous-jacente.
Il s'agit, en fait, de votre part, d'une opération dilatoire et politicienne.
Non seulement vous avez fait le choix de disserter de tout autre chose que du PACS, mais vous avez joué, en outre, la montre et souhaité retarder la deuxième lecture à l'Assemblée nationale.
Le Sénat, une nouvelle fois, n'en sortira pas grandi. Mais sachez que le PACS sera adopté car, contrairement aux textes constitutionnels pour lesquels l'accord du Sénat est nécessaire, s'agissant en l'occurrence d'une loi simple, les députés de la majorité plurielle auront le dernier mot.
M. Jean Delaneau. C'est nouveau ! Voilà une information !
M. Nicolas About. Merci à un sénateur de le rappeler !
M. Robert Bret. Ils rétabliront, en deuxième lecture, les articles sur le PACS que vous avez supprimés.
Au surplus, le concubinage sans distinction de sexe sera, lui aussi, reconnu dans le code civil. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Pour notre part, bien évidemment, nous voterons contre le texte remanié par la droite sénatoriale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Louis de Broissia. Vive Aubagne !
M. Nicolas About. Vous devriez vous représenter à l'Assemblée nationale !
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, à l'issue de nos travaux sur la proposition de loi « instituant » - j'utilise volontairement ce terme - le pacte civil de solidarité, qui a été votée par la majorité plurielle de l'Assemblée nationale, il y a lieu de faire le point sur un débat qui est généralement resté digne, puisque chacun a pu entendre les arguments des uns et des autres.
M. Louis de Broissia. Sauf Mme le ministre, qui n'a pas toujours écouté !
M. Jean-Jacques Hyest. Attendez !
Je crois que les débats de société doivent rester dignes. De plus, c'est dans la tradition du Sénat.
En effet, certains ont estimé que la priorité devait être accordée au maintien de l'institution familiale et qu'il ne fallait pas créer d'ambiguïté. D'autres ont considéré qu'il convenait de trouver une solution à la situation difficile que connaissent nombre de personnes.
S'il s'agit de supprimer une discrimination liée aux comportements personnels et aux choix de vie des personnes, il nous est apparu, à l'issue de nos travaux, que le PACS était inutile, juridiquement instable, comme on le dit d'ailleurs de certains mélanges physiques - cela explosera à la tête de ses promoteurs lorsque naîtront des contentieux - et dangereux pour les cocontractants comme pour la société.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest. En effet, malgré les propos tenus par Mme le garde des sceaux, il ne s'agit pas d'un nouveau type de contrat, puisque le PACS ne prévoit réellement aucune obligation. S'il suffit d'informer le cocontractant de la rupture du PACS, où sont les garanties ? En fait, on a simplement institué une répudiation par voie d'huissier.
De surcroît, le PACS crée des inégalités fiscales qui ne se justifient aucunement, des droits sans obligation. Il s'agit d'une nouveauté dans notre système juridique, qui sera certainement considérée dans l'avenir comme une monstruosité juridique.
En outre, nombre d'amendements des groupes socialiste ou communiste contredisent les propos lénifiants de Mme le garde des sceaux. Un seul exemple suffit : l'inscription du PACS en marge de l'état civil.
En fait, on a voulu instituer un sous-mariage, enregistré au greffe du tribunal - ce qui est une novation dans la procédure civile - mais on n'a pas osé aller jusqu'au bout de la logique.
La majorité du Sénat refuse le PACS non pas par rejet des homosexuels de la société, mais parce qu'il crée la confusion face à un problème qui nécessite des solutions concrètes, équitables et juridiquement reconnues.
D'ailleurs, pourquoi vouloir réglementer dans ce PACS le concubinage, dont les conséquences juridiques sont parfaitement fixées par le droit ? Il suffit, comme l'a fait adopter la commission des lois, de lever les obstacles jurisprudentiels permettant d'étendre aux couples homosexuels le régime applicable au concubinage. Le reste ne concerne que la vie privée des personnes. Nombre de nos collègues ont, à juste titre, déploré qu'une confusion puisse s'établir entre le mariage et le PACS, avec toutes les dérives que cela pourrait faire naître dans l'avenir. Les propos de certains de ses promoteurs ne sont d'ailleurs pas là pour nous rassurer.
C'est pourquoi nous estimons que la solution concrète et réelle apportée par la majorité du Sénat aux problèmes que connaissent ceux qui vivent en couple, sans distinction de sexe - certains auraient préféré qu'on l'inscrive dans la loi, mais, en fait, c'est la même chose -...
M. Claude Estier. Vous ne l'avez pas voulu !
Mme Dinah Derycke. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Parce que ce n'est pas nécessaire !
Mme Hélène Luc. On est pour ou contre !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. On écrit la loi, pas un article de journal !
M. Jean-Jacques Hyest. ... et qui ne peuvent ou ne veulent contracter mariage, avec les mesures fiscales et sociales d'accompagnement qui respectent le principe d'égalité, est la plus adaptée. Cela est préférable à une construction symbolique et ambiguë, que la plupart des juristes ont d'ailleurs dénoncée.
Le PACS est inapplicable et irréformable. Au lieu de vous acharner, mieux vaut l'abandonner !
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. Le groupe de l'Union centriste, dans sa majorité, votera le texte qui résulte de nos travaux. Toutefois, s'agissant d'une question qui touche à la conscience de chacun, notre groupe tient à préserver la liberté de vote de tous ses membres. A ce titre, certains collègues émettront un vote contre le PACS, bien entendu, et les solutions de la gauche sénatoriale, mais aussi contre toutes dispositions qui pourraient aboutir, à terme, à ériger en institution une situation de fait qui n'a pas, à leurs yeux, à être introduite dans le droit des personnes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Garrec.
M. René Garrec. Le texte que vous nous avez proposé, madame le ministre, était inapplicable pour deux raisons : l'une est d'ordre juridique, l'autre est de nature philosophique.
Sur le plan juridique, le projet de PACS n'était pas en accord avec les ambitions affichées par ses auteurs et reprises par le Gouvernement. En effet, ce texte souffrait de deux ambiguïtés : d'une part, il ne tranchait pas entre la logique de la solidarité et celle du couple ; d'autre part, il créait une confusion entre la situation des couples qui ne veulent pas se marier et celle des couples qui ne peuvent pas se marier.
Il en résulte toute une série d'imprécisions et de difficultés d'application que la commission et le rapporteur ont parfaitement exposées.
Sur le plan philosophique, il était clair que, derrière l'alibi de la solidarité, le véritable objectif des auteurs du PACS était la reconnaissance sociale du lien entre deux personnes de même sexe.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. René Garrec. Or cet objectif n'a été assumé ni par le Gouvernement ni par la majorité plurielle : tout d'abord, le Gouvernement n'a pas présenté son projet de loi et s'est retranché derrière le texte proposé par les députés, évitant au passage l'examen et l'avis du Conseil d'Etat ; ensuite, la majorité plurielle a voté au mois de décembre, à l'Assemblée nationale, le même texte que celui qu'elle avait refusé d'examiner deux mois plus tôt en adoptant une exception d'irrecevabilité.
Répondant au procès d'intention qui lui était fait, le Sénat n'a pas esquivé le débat.
Au nom de la course à la modernité, le Sénat n'a pas manqué d'être attaqué, avant même l'ouverture de la discussion sur le PACS, comme il l'avait déjà été à propos de la parité. Nombreux à gauche se promettaient de démontrer que les groupes de la majorité sénatoriale sont fermés à l'évolution de la société.
Le Sénat pouvait refuser le débat sur le PACS en adoptant une motion de procédure, comme l'avait fait l'Assemblée nationale. En effet, les motifs ne manquaient pas : premièrement, le non-respect des dispositions constitutionnelles relatives au développement et à la stabilité de la famille, ainsi qu'à la protection de l'enfant ; deuxièmement, l'existence de questions plus urgentes à débattre et auxquelles le Gouvernement se garde bien d'apporter des réponses ; enfin, troisièmement, l'opportunité d'attendre les conclusions du groupe de travail qui réfléchit actuellement à l'évolution nécessaire de l'ensemble du droit de la famille.
Mais nous pouvions aussi décider d'aborder ce problème de société sans céder au modes et tenter d'y apporter une réponse cohérente.
Contre le choix du symbole et les effets d'annonce, le Sénat a fait le choix du sérieux et du pragmatisme.
A la différence de l'Assemblée nationale, le débat au Sénat a permis d'aller au fond du problème en posant clairement, je crois, les enjeux et les conséquences de cette réforme. Les sénateurs Républicains et Indépendants, mais aussi l'ensemble de la majorité sénatoriale l'ont fait en respectant la liberté de vote et la sensibilité de chacun.
Sur un sujet aussi délicat, cette attitude nous paraît de loin préférable à toute discipline qui conduirait à voter, pour des raisons politiques, un texte que l'on réprouverait en conscience.
A l'issue d'un examen sérieux, je veux saluer à mon tour le travail de la commission des lois et du rapporteur, notre collègue Patrice Gélard, qui débouche sur des solutions pragmatiques.
M. Alain Gournac. Bravo Gélard ! (Sourires.)
M. René Garrec. En harmonisant les droits des concubins, le Sénat permet d'empêcher toute discrimination en raison du mode de vie, et il apporte une réponse concrète à des problèmes quotidiens.
Avec la définition du concubinage retenue par notre assemblée, la loi s'interdit de porter tout jugement de valeur personnel sur le choix de mode de vie et laisse à chacun le soin d'apporter une réponse d'ordre privé à un problème qui doit rester du domaine privé.
Enfin, en précisant la définition du mariage, le Sénat souligne la spécificité des droits ouverts aux couples mariés qui ne valent qu'en raison des engagements et des devoirs contractés. C'est toute la différence avec le PACS qui prévoyait les droits sans les devoirs.
C'est pourquoi le groupe des Républicains et Indépendants votera le texte amélioré par les travaux du Sénat. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rôle du législateur est de donner un cadre de règles ancrées sur le respect des principes fondateurs de la démocratie et sur celui de l'individu.
Toute société est porteuse d'avenir. Elle se projette en édictant un certain nombre de conventions qui s'imposent à tous. Que ce soit dans nos modèles avancés ou dans les sociétés dites traditionnelles, les conduites relatives à l'union, base de la famille, sont codifiées. Elles sont indispensables à la transmission des valeurs morales et culturelles à l'ensemble patrimonial.
Le mariage demeure le cadre institutionnalisé de la cellule constitutive. Que chacun soit libre de sa vie personnelle et ait droit au respect de sa vie privée et familiale est évident.
Mais justement, en fonction de cette liberté de choix, c'est en connaissance de cause que l'on préfère l'union libre au mariage. Ainsi, certaines conventions, certains devoirs sont-ils sciemment repoussés. Il faut donc également admettre que l'on renonce à certains droits.
Or, on nous demande, malgré tout, d'aménager notre législation afin d'étendre des dispositions réservées jusqu'alors à la famille, car c'est bien celle-ci qu'il s'agit de protéger et non les couples.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Bernard Joly. Ainsi tombe l'argument d'accompagnement de l'évolution sociale.
C'est pour ces raisons que mon collègue Jacques Bimbenet et moi-même ne souscrirons pas aux dispositions qui nous sont proposées, et que nous ne prendrons pas part au vote.
Dans sa grande diversité, une grande majorité de notre groupe suivra la commission des lois, une minorité et Jacques Pelletier suivront le Gouvernement.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je ne vous étonnerai pas en vous disant que le groupe socialiste ne votera pas le texte issu des travaux du Sénat.
Je veux m'adresser à nos collègues de la majorité sénatoriale. Vous n'avez pas voulu du PACS.
M. Dominique Braye. Non !
Mme Dinah Derycke. J'ai vainement cherché ce qui vous gênait dans cette proposition. Est-ce parce qu'elle est défendue par les couples homosexuels ? Vous vous défendez d'être homophobes.
M. Dominique Braye. Absolument !
Mme Dinah Derycke. Est-ce parce qu'elle porte atteinte au mariage et à la famille, deux institutions dont vous imaginez être les gardiens exclusifs ?
M. Dominique Braye. C'est le cas, apparemment ! Nous le sommes de fait !
Mme Dinah Derycke. Le PACS ne touche ni à la famille ni au mariage.
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. C'est faux !
Mme Dinah Derycke. Serait-ce, alors, pour des raisons strictement juridiques ? Je ne le crois pas. Nous avons démontré que le projet était et reste amendable. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Vous n'avez rien démontré !
Mme Dinah Derycke. Il faut donc chercher ailleurs les raisons de votre refus.
Le débat a montré les clivages nets, importants entre la majorité sénatoriale et la gauche plurielle sur la conception même des rapports entre l'Etat, la loi et la société.
La majorité sénatoriale se défie des évolutions sociétales. Pour elle, le législateur doit arbitrer la vie privée des citoyens et en fixer les normes, j'allais dire en fixer les bornes : le mariage, l'hétérosexualité.
M. Dominique Braye. C'est tout le contraire !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Nous avons dit le contraire !
Mme Dinah Derycke. La gauche, tenant compte des réalités, de l'évolution des moeurs et des mentalités, pense qu'il est temps d'offrir à l'ensemble des citoyens plusieurs choix possibles pour organiser leur vie.
Ce sont deux conceptions très différentes l'une de l'autre : la première est frileuse, recroquevillée sur le passé, fermée au changement qui pourrait détruire les valeurs qu'elle croit intangibles. (Exclamations sur les travées du RPR.)
La seconde, plus généreuse, plus moderne, parie sur l'avenir et sur la perpétuation de ces mêmes valeurs sous des formes multiples. Le PACS est en effet porteur de progrès social parce qu'il encourage la solidarité au sein du couple. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Alain Gournac. Certainement pas !
Mme Dinah Derycke. Cet engagement - il faut le redire - est assorti d'obligations et de devoirs, et donc de droits.
Vous n'en avez pas voulu !
Vous nous avez accusés d'être manipulés par des groupes de pression,...
M. Dominique Braye. Absolument !
Mme Dinah Derycke. ... particulièrement par des associations homosexuelles. Mes chers collègues, je vous retourne la question : n'avez-vous pas été les otages du lobby anti-PACS et de ses slogans homophobes ?
M. Alain Gournac. Pas du tout !
M. Louis de Broissia. Pour la famille !
Mme Dinah Derycke. Vous voulez enterrer le PACS. Vous n'y arriverez pas parce que cette mesure est juste, équitable et qu'elle ouvre un nouvel espace de liberté. Vous le savez.
La crainte de vous voir traiter, une fois de plus, d'archaïques, de ringards...
M. Dominique Braye. Ce n'est pas vrai !
M. Louis de Broissia. Cela ne nous fait pas peur ! On assume !
Mme Dinah Derycke. ... vous a amenés à imaginer un piège dans lequel vous pensiez nous faire tomber.
Vous avez échoué à cause d'une grave erreur d'appréciation : nous sommes attachés à voir voté le PACS, qui est un facteur de progrès social et une avancée culturelle.
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Culturelle ?
Mme Dinah Derycke. Refuser purement et simplement le PACS vous semblait tactiquement dangereux ; alors, vous avez bâti un nouveau dispositif.
Vous nous proposez, en fait, de ne rien changer. Qu'on en juge : vous précisez dans le code civil que le mariage est l'union d'un homme et d'une femme !
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Dominique Braye. Pas dans tous les pays !
Mme Dinah Derycke. Tout le monde le savait ! (Rires.) Nous ne sommes pas des naïfs. Nous connaissons tous les arrière-pensées qui vous ont inspiré cette modification.
Ensuite, vous inscrivez le concubinage dans le même code civil comme étant l'union de fait de deux personnes non unies par le mariage. Cela aussi, tout le monde le savait !
Cette hardiesse qui, pensez-vous, devait diviser la gauche (exclamations sur les travées du RPR) et tuer le PACS ne nous posait pas problème. Nous l'aurions retenue bien volontiers, en plus du PACS, si deux conditions avaient été réunies : éviter de définir le concubinage de sorte qu'aucun couple ne soit exclu des droits déjà prévus par le texte ou concédés par la jurisprudence et mettre fin définitivement aux discriminations qui subsistent pour les concubins homosexuels.
M. Dominique Braye. On l'a fait !
Mme Dinah Derycke. Aucune de ces conditions n'a été remplie : en réservant le concubinage aux majeurs et célibataires, vous avez réussi le tour de force incroyable de créer des concubins légaux et des concubins illégaux.
M. Dominique Braye. Pas du tout ! Quelle mauvaise foi !
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Mais c'est invraisemblable !
Mme Dinah Derycke. Est-ce bien raisonnable ?
De plus, en refusant d'écrire en toutes lettres que le concubinage concernait tous les couples quel que soit leur sexe, vous avez pris le risque de renforcer la jurisprudence discriminatoire de la Cour de cassation. (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Nicolas About. Pas la Cour de cassation !
M. Bernard Piras. Un peu de silence !
Mme Dinah Derycke. Nous l'avons bien senti : il y avait là pour vous une barrière infranchissable,...
M. Louis de Broissia. Mais non !
Mme Dinah Derycke. ... et vous avez beau crier au complot, jurer que vous n'êtes pas homophobes, personne ne vous accordera crédit.
Ce débat laisse un goût amer, celui du mensonge et de l'hypocrisie. (Vives protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Nicolas About. C'est du terrorisme intellectuel !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. N'exagérez pas ! C'est une injure pour la majorité sénatoriale ! C'est scandaleux !
M. Dominique Braye. C'est honteux !
M. Nicolas About. Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose !
Mme Dinah Derycke. Comme mes collègues socialistes, je suis déçue par l'image négative que donne à nouveau notre assemblée.
M. Dominique Braye. Au contraire !
Mme Dinah Derycke. Je suis déçue pour ces nombreux couples qui attendent qu'une nouvelle voie leur soit ouverte entre le concubinage, simple situation de fait, et le mariage, dont ils ne veulent pas ou qui ne veut pas d'eux.
M. Dominique Braye. Leur vie privée, c'est leur vie privée !
Mme Dinah Derycke. Je suis déçue surtout pour les femmes et les hommes homosexuels, qui espéraient enfin être reconnus pour ce qu'ils sont : des citoyens à part entière à qui la loi républicaine permet enfin de vivre leur amour au grand jour. (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Gournac. Ça les regarde !
Mme Dinah Derycke. Ces femmes et ces hommes ont longtemps été méprisés, rejetés, injuriés, souvent humiliés et même persécutés. J'ose dire que votre vote, aujourd'hui, leur inflige une blessure de plus. (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Hilaire Flandre. Oh là là !
Mme Dinah Derycke. A nouveau, vous les rejetez, à nouveau, vous les niez !
M. Nicolas About. Terrorisme !
Mme Dinah Derycke. Mais heureusement, ce vote n'est qu'une péripétie. Demain, le PACS, j'en suis convaincue, entrera dans la réalité, entre le mariage et le concubinage.
Un sénateur socialiste. C'est évident !
Mme Dinah Derycke. Vous n'avez pas tué le PACS ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes confrontés, avec ce texte sur la reconnaissance sociale à donner à l'homosexualité, aux problèmes du lien social. L'homosexualité existe depuis toujours. Je réprouve les vexations et les persécutions dont elle a pu faire l'objet dans l'histoire.
Aujourd'hui, le problème ne peut pas être et ne doit pas être pour l'autorité politique celui d'une mise en cause.
En revanche, pour le législateur, une double question se pose.
L'homosexualité peut-elle être fondatrice d'un lien social fondamental qui aurait sa place à côté de la relation entre l'homme et la femme ? La réponse est non, parce que le lien social fondamental repose exclusivement sur la fécondité de l'amour échangé entre l'homme et la femme. (Exclamations sur les travées socialistes.) Les relations sociales sont par ailleurs très variées, mais aucune ne se situe sur le même plan que la relation fondatrice, parce qu'aucune société ne peut exister et perdurer en reposant sur une simple relation de solidarité, fût-elle en plus homosexuelle. Celle-ci ne peut donc pas bénéficier d'une reconnaissance sociale analogue en dignité à celle de l'amour de l'homme et de la femme, quelles que puissent être, par ailleurs, l'intensité du contenu et la durée de la relation homosexuelle. Elle ne saurait être fondatrice de socialisation. Seules la maternité et la paternité conjointes le sont.
Le seconde question est celle du niveau de reconnaissance sociale dont peut bénéficier l'homosexualité. Il s'agit là du registre de la référence symbolique. La réponse dépend de l'atteinte que pourrait porter à l'équilibre de la société une reconnaissance inadéquate. Personne ne peut la préciser avec rigueur. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a risque, et qu'il n'est pas raisonnable de jouer avec ce risque. Or c'est ce que fait le texte du Sénat avec l'entrée de l'homosexualité dans le code civil. Ce n'est pas mépriser les personnes qui vivent dans l'homosexualité que de refuser de faire de leur comportement une institution, confondue avec celle du concubinage hétérosexuel.
Certes, le Sénat va rendre le mariage inaccessible aux homosexuels, en le définissant comme l'union d'un homme et d'une femme. Mais en définissant aussitôt après le concubinage comme l'union de deux personnes, il officialisera dans le code civil deux formes juridiques de vie en couple : le mariage hétérosexuel et le concubinage hétérosexuel ou homosexuel. Peut-on admettre cela quand la socialisation est en cause ? Est-ce par cette proximité symbolique que nous pourrons aider les jeunes à surmonter la crise de leur adolescence ? Il ne s'agit en aucun cas d'instituer une police des moeurs.
Vous vous apprêtez à reconnaître une quasi-égalité en dignité entre le mariage et l'homosexualité, sous prétexte que cette dernière constitue un fait de société. Est-il raisonnable, ce faisant, de faciliter son prosélytisme en lui fournissant des arguments pour l'entreprendre ? Or, je prétends que c'est ce qu'autorise le texte que vous vous apprêtez à voter.
C'est pourquoi je voterai contre une proposition de loi qui reste, à mes yeux, fondamentalement injuste à l'égard de la société et des familles, bien que rejetant le PACS voté par l'Assemblée nationale. Ma position est donc inspirée par une analyse diamétralement opposée à celle du groupe socialiste.
Les autres membres de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe voteront le texte proposé, sauf MM. Philippe Adnot et Philippe Darniche, qui s'abstiendront. (MM. Braye et Durand-Chastel applaudissent.)
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les débats qui se sont déroulés au sein de la Haute Assemblée ont démontré notre volonté d'aborder ce texte avec la plus grande ouverture d'esprit et sans porter de jugement de caractère moral.
Ce que nous avons voulu avant tout préserver, c'est l'intimité de la vie privée des personnes, intimité qui a vocation à être non pas légalement encadrée mais bien plutôt constitutionnellement protégée.
Parfaitement conscients de la nécessité de légiférer pour adapter la législation actuelle à la réalité des situations humaines existantes - et, madame le ministre, je souligne que nous n'avions pas attendu d'être saisis de cette proposition de loi pour en être persuadés - nous considérions toutefois qu'il était impératif que, sur un sujet aussi important, aucune place ne soit laissée à l'improvisation. Or, la procédure retenue était la plus inadaptée, la plus incohérente et la plus ambiguë.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Jacques Legendre. Je ne reviendrai pas sur les remarques fort pertinentes de M. le rapporteur Patrice Gélard et de M. le rapporteur pour avis Philippe Marini...
M. Dominique Braye. Bravo !
M. Jacques Legendre. ... qui ont su, tout au long des débats, mettre en évidence les défauts du texte adopté par l'Assemblée nationale.
Malgré vos observations répétées, madame le ministre, les débats ont démontré que le PACS n'était pas neutre, ni à l'égard de l'institution du mariage ni à l'égard de ceux qui ne pourront bénéficier de ses avantages exorbitants et injustifiés. C'est pour cela que nous ne pouvions l'accepter.
Le Sénat a proposé sa propre vision des solutions concrètes en faveur des couples hors mariage, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Jacques Legendre. Il a tenté de résoudre les problèmes très concrets rencontrés quotidiennement par ces personnes, avec pour seul parti pris d'éviter toute inégalité, toute discrimination entre les personnes, couples hétérosexuels ou homosexuels mais aussi célibataires.
La reconnaissance légale du fait juridique du concubinage et les nouveaux droits qui lui sont attachés permet ainsi de ne laisser personne sur le bord de la route, sans pour autant porter, je le répète, de jugement moral.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Jacques Legendre. Elle permet aussi d'éviter la mise en place d'un statut hybride, le PACS, impossible à améliorer sans en faire un clone du mariage, ce qui irait à l'encontre des valeurs de notre société républicaine,...
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Jacques Legendre. ... fondée sur le mariage d'un homme et d'une femme.
Je tiens à remercier tout particulièrement les deux rapporteurs d'avoir su proposer au Sénat des dispositions équilibrées et justes. Leur travail remarquable, documenté et, surtout, élaboré après de très nombreuses auditions qui ont permis à tous de s'exprimer, illustre la très haute qualité de réflexion dont le Sénat a toujours su faire preuve, il faut le répéter aujourd'hui.
Parce que ce texte va représenter un progrès significatif dans la vie quotidienne de certains de nos concitoyens sans remettre en cause les grands principes qui structurent notre société, le groupe du Rassemblement pour la République le votera dans sa très grande majorité, tel qu'amendé par le Sénat. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues,...
M. Jean-Louis Carrère. Toujours « le », jamais « la » ministre !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Cher collègue, j'espère que vous respectez le droit à la différence, y compris dans la manière dont les sénateurs dénomment les ministres, quel que soit leur sexe ! (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants. - Exclamations sur les travées socialistes.)
Mme Danièle Pourtaud. C'est symbolique !
M. Jean-Louis Carrère. Nos capacités sont limitées, vous le savez !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. J'espère, je le répète, que vous respectez le droit à la liberté d'opinion et de dénomination et que vous ne voudriez pas, mes chers collègues, nous enfermer dans ce que l'une des vôtres appelait tout à l'heure des « avancées culturelles »,...
M. Claude Estier. Nous ne voulons pas vous enfermer !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. ... et que je considère pour ma part comme des supposées avancées culturelles.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Libre à vous d'y entrer, et libre à nous de les refuser ! (Bravo ! sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - Protestations sur les travées socialistes.)
M. Henri de Raincourt. Vive la République !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Mes chers collègues, la commission des lois et la commission des finances ont travaillé de concert. Nos propositions ont été communes et reflètent une approche commune.
Je voudrais tout d'abord, au nom de la commission des finances et de son président - qui ne peut assister à la présente séance puisqu'il nous auditionne en ce moment même M. le ministre de l'intérieur au sujet du projet de loi sur l'intercommunalité - témoigner de nos vifs remerciements à l'égard des membres de la commission des lois, de son président et de son rapporteur.
Ce partenariat nous a permis, je le crois, d'accréditer la position propre du Sénat dans cette délicate affaire.
MM. Alain Gournac et Dominique Braye. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Madame le ministre, nous vous avons certainement surpris - pardon : surprise -... (Rires et applaudissements sur les travées socialistes.) Merci de vos applaudissements, mes chers collègues !
M. Guy Fischer. Il n'est jamais trop tard !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Nous avons surpris le Gouvernement par notre approche, qui n'était pas précisément celle à laquelle, avec les milieux bien-pensants - de votre côté (M. le rapporteur pour avis désigne la gauche de l'hémicycle) - s'attendait. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Il s'attendait certainement à nous voir rejeter le tout en bloc...
M. Henri de Raincourt. Il l'espérait !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. ... sans rien proposer à la place.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Or vous avez pu constater, madame le ministre, que telle n'a pas été notre démarche.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Dans nos rapports, vous avez pu constater - du moins ceux qui se donnent la peine de les lire, et non pas ceux, bien sûr, qui en ont une lecture quelque peu stalinienne (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.),...
Mme Hélène Luc. Là, vous êtes vraiment à court d'arguments !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Je crois que c'est encore assez actuel, madame Luc ! Je n'ose me tourner vers notre président de séance et évoquer son département...
M. Dominique Braye. Aubagne !
M. Robert Bret. Avec le Front national, tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. ... car il y a quand même quelques mauvais souvenirs qui reviennent de cette triste époque de totalitarisme et de conformisme général. (Vives protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc. C'est lamentable !
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est misérable !
M. Bernard Piras. Voulez-vous que l'on évoque les affaires parisiennes, monsieur Marini ?
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Nous avons voulu, par notre démarche, affirmer le rôle propre du Sénat, qui est notre maison à tous. J'espère que vous le direz au même titre que moi ! (Les protestations redoublent sur les mêmes travées.)
M. Bernard Piras. Et Paris ? Et le Ve arrondissement ?
M. Dominique Braye. Aubagne !
Un sénateur socialiste. En prison ?
M. Dominique Braye. Non ! pas « en prison » : Aubagne ! (Brouhaha.)
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Le Sénat n'est pas l'Assemblée nationale, il n'est pas élu de la même façon.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Il n'a pas la même représentativité.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Il n'est pas là pour doublonner l'Assemblée nationale ni pour transmettre les mêmes messages.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Dominique Braye. Bravo !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Avec le PACS, le mariage et le concubinage, nous avons fait la preuve que, en examinant avec attention et avec un esprit expérimental, sans intention moralisante,...
Mme Nicole Borvo. Certes pas !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. ... des sujets de cette difficulté, nous pouvions apporter quelque chose de neuf dans le débat. (Nouvelles protestations sur les travées socialistes.)
M. Jean-Louis Carrère. Vous croyez ce que vous dites ?
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Au demeurant, les explications de vote que nous avons entendues le montrent bien : il faut aujourd'hui se situer par rapport à ce que nous avons proposé et non pas seulement par rapport aux quelques illusions qui ont été diffusées complaisamment au cours de ces derniers mois.
Alors, oui, mes chers collègues, je crois que nous avons bien travaillé au cours de cette première lecture - et en attendant la deuxième lecture : nous ne sommes pas pressés dans cette affaire, nous voulons faire la meilleure législation possible -...
Mme Nicole Borvo. Ça !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. ... et que nous avons eu raison de remplacer le PACS...
Mme Nicole Borvo. Par rien !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. ... par ce texte sur le mariage, le concubinage et les liens de solidarité.
Nous considérons très largement, dans cette assemblée, que l'avenir de ce pays dépend de ses enfants...
M. Alain Gournac. Oui !
M. Dominique Braye. Bravo !
Mme Nicole Borvo. Heureusement qu'il y avait déjà des enfant avant le mariage, monsieur Marini !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. ... et de la manière dont ils sont élevés, donc de la stabilité de leur cadre affectif,...
Mme Nicole Borvo. Mais il y avait des enfants avant l'institution du mariage !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. ... stabilité que seul un vrai couple, seule une vraie famille peuvent leur apporter. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - Protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Tel est, en effet, notre credo - s'il en faut un - et nous nous reconnaissons largement dans cette volonté d'avancer vers une société qui soit accueillante pour ses enfants, qui sache les revevoir, qui sache les éduquer, qui sache leur donner en main toutes les chances nécessaires pour réussir dans la vie. C'est bien cela notre message !
Pour autant, nous n'oublions pas que toutes sortes de relations existent dans la vie d'aujourd'hui, et nous les avons quantifiées dans nos rapports : effectivement, on compte 30 000 couples homosexuels en France (Murmures sur les travées socialistes) pour, si je ne m'abuse, 13 millions de personnes mariées. Mais nous respectons, nous, toutes les différences. Ce n'est pas comme vous tout à l'heure ! (Exclamations sur les mêmes travées.) Nous les respectons, et nous acceptons d'observer les situations effectives pour mesurer les droits qui doivent y correspondre. Voilà ce que nous avons tenté de faire !
Notre travail est assurément perfectible...
Mme Nicole Borvo. Assurément !
M. Claude Estier. Ça c'est sûr !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. ... et, lors de la deuxième lecture, nous le perfectionnerons sans doute, en temps utile et sans hâte excessive.
M. Jean-Louis Carrère. Comme pour le budget !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Précisément, puisque vous parlez de budget, sans doute sera-t-il nécessaire, mon cher collègue, que, lors de la prochaine lecture, Mme le garde des sceaux soit accompagnée par M. le secrétaire d'Etat au budget : peut-être celui-ci nous apportera-t-il alors des éléments de réponse aux questions que nous avons posées et qui sont restées en l'air ! Ainsi, lorsque j'ai parlé d'un instrument d'optimisation fiscale, lorsque j'ai diffusé des tableaux de chiffres pour expliquer ce que votre affaire va rapporter à des gens qui n'en ont pas besoin, au mépris de toute équité sociale (Protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen) ,...
M. Dominique Braye. Bravo ! C'est la réalité des choses !
M. Robert Bret. Des sous ! Des sous !
Mme Nicole Borvo. Vous êtes « partageux », monsieur Marini ?
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. ... nous n'avons reçu aucune réponse. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac. La réalité les gêne !
M. Philippe Marini. rapporteur pour avis. J'espère, mes chers collègues, que cette réponse interviendra lors de la deuxième lecture et que l'on répondra à nos préventions à l'égard d'un levier aussi puissant d'optimisation fiscale.
Mais j'ai une bonne nouvelle à vous annoncer. (Ah ! sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Louis Carrère. Vous allez voter le PACS ? (Sourires.)
Mme Hélène Luc. Oui, vous allez le voter ? C'est en effet une bonne nouvelle !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Les services de la commission ont appris que le service de la législation fiscale accepterait d'ici à la deuxième lecture de calculer les incidence budgétaires de nos propositions.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Cela arrive un peu tard pour la présente lecture, mais nous pourrons ainsi étudier en profondeur le sujet sans avis préconçu lors de la deuxième lecture.
J'en arrive à ma conclusion, mes chers collègues. Pour éviter tous les aspects pervers, je n'ai parlé que des aspects financiers - puisque c'est le domaine de compétence de la commission des finances - d'une affaire, le pacte civil de solidarité, que vous avez voulue hautement politique et très éloignée de la réalité de la vie quotidienne.
Pour toutes ces raisons, et pour aller dans le sens du réalisme qui est proposé par nos commissions, je voterai le texte que nous avons élaboré. Je le ferai, naturellement, en tant que rapporteur pour avis, mais je me permets en toute amitié d'inciter très vivement le nombre le plus important possible de nos collègues à s'associer à la démarche de raison de la majorité sénatoriale. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, de ce débat intéressant et profond, au cours duquel de très nombreux problèmes ont été abordés, je voudrais essayer de tirer quelques conclusions.
La première m'est fournie par les quelques jours que j'ai passés, à la fin de la semaine dernière et au début de cette semaine, sur le terrain, comme vous tous sans doute : inaugurations, conférences, assemblées générales, foyers d'anciens, bref, toute l'activité d'un parlementaire au moment où il n'est pas au Sénat ou à l'Assemblée nationale. Tous ceux que j'ai rencontrés, actifs, retraités, enseignants, étudiants, m'ont dit que nous avions raison et que c'est dans cette voie que nous devions poursuivre.
M. Jean-Pierre Bel. Nous n'avons pas vu les mêmes !
M. Robert Bret. Et votre évêque aussi ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous avez fait la tournée des sacristies !
M. Marcel Debarge. C'est petit, tout cela !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Si ! nous avons vu les mêmes, puisque même un député socialiste me l'a dit ! (Vives exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Dominique Braye. Nous pouvons tous dire la même chose !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Au demeurant, nous savons bien que nous avons raison, et à ceux qui ont parlé tout à l'heure au nom de la majorité plurielle, je suis obligé de dire qu'ils n'ont pas lu le rapport...
M. Alain Gournac. Certainement !
Mme Nicole Borvo. Nous ne savons pas lire, M. Marini nous l'a dit !
M. Patrice Gélard, rapporteur. ... et qu'ils ont complètement oublié le dispositif fiscal que nous avons mis en place et qui correspond presque entièrement aux dispositions que contenait le PACS, à cela près qu'il ne crée aucune discrimination, aucune inégalité : il ouvre à tous, et non pas à une minorité qui bénéficierait d'un contrat exorbitant et totalement dérogatoire au droit général de nos contrats, les mêmes avantages.
On nous a dit que le PACS était bien. Tel qu'il nous est proposé, il est détestable, inutilisable, dangereux, et nous l'avons démontré.
Quant à ceux qui voulaient l'amender, le corriger, estimant que c'était faisable, ils ont systématiquement proposé de le rapprocher du mariage.
Dès lors, la démonstration est faite et c'est celle que d'emblée nous avons mise en évidence : entre le concubinage et le mariage, il n'y a pas la place d'une troisième institution ou d'un troisième fait.
M. Hilaire Flandre. C'est certain !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Ce n'est pas possible, parce que la mise en place du PACS sera, comme la mauvaise monnaie chasse la bonne, une attaque en règle à l'égard du mariage. Ce sera le résultat automatique ! Le choix que nous avons fait était donc le seul possible.
M. Hilaire Flandre. C'est normal !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je demande aux responsables de la majorité plurielle de se référer avec attention au travail que nous avons réalisé et aux remarques que nous avons portées à l'égard du texte.
Je ne suis pas hostile à l'institution d'un contrat. Nous l'avons d'ailleurs prévu : nous avons tout prévu dans notre texte. Mais, par pitié,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Pas de pitié !
M. Patrice Gélard, rapporteur. ... ne créons pas cette monstruosité juridique.
J'en prends le pari : si, demain, l'Assemblée nationale adopte à nouveau le PACS - ce qu'elle a parfaitement le droit de faire - ceux qui auront eu la mauvaise idée de vouloir signer un tel contrat en reviendront bien vite et je vous garantis que cette monstruosité juridique figurera en bonne place au musée archéologique des monstres juridiques qui n'auraient jamais dû voir le jour dans le cadre d'une assemblée parlementaire ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Monsieur le président, madame « le » garde des sceaux, mes chers collègues, je crois qu'en cet instant nous pouvons tirer quelques leçons du débat qui vient de se dérouler et qui est en train de se conclure.
Je dois dire que je suis frappé par deux comportements. En effet, si notre majorité a, de manière vigoureuse et nécessaire, formulé un certain nombre de critiques, et si nous avons dit ce qu'était notre pensée, en revanche, sur ces travées (M. le président de la commission des lois se tourne vers la gauche de l'hémicycle) et notamment de la bouche de certains, nous avons entendu des propos qui étaient à la limite de l'injure.
M. Alain Gournac. Oui !
M. Bernard Piras. C'était réciproque !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Nous n'avons, nous, le sentiment ni d'avoir commis un mensonge ni d'être hypocrites : nous avons fait ce que nous croyions devoir faire, et nous l'avons fait en toute conscience.
M. Bernard Piras. Nous aussi !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je ne vous conteste pas le droit de faire ce que vous faites en cet instant, mais, au moins, ayez l'honnêteté, dans le climat de cette assemblée, de reconnaître que ce que nous faisons peut être inspiré par des motifs qui correspondent à ce que nous pensons nécessaire pour notre société sans taxer obligatoirement le texte que nous allons adopter dans quelques instants...
M. Alain Gournac. Comme venant de la « droite réactionnaire », comme ils disent !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... comme le fruit d'un mensonge ou d'une hypocrisie. (Bravo ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Marcel Debarge. C'est réciproque ! Cela ne vient pas que d'un seul côté de l'hémicycle !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. J'ai fait la différence : j'ai parlé de vigueur, et j'ai parlé d'insultes. Il n'y a eu aucune insulte de notre côté !
M. Marcel Debarge. Demandez à M. Braye !
M. Jean-Luc Mélenchon. Et Dominique Braye ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. J'en viens maintenant à ce qui sera la conclusion nécessaire de ce débat.
Nous allons voter un texte qui est le résultat du travail absolument remarquable de nos deux rapporteurs. Mais nous savons, dans le même temps, parce qu'on nous l'a dit, sur ces travées (M. le président de la commission des lois se tourne à nouveau vers la gauche de l'hémicycle) avec une certaine netteté - pour ne pas dire avec brutalité car nous avons de trop bonnes relations personnelles - que la volonté de l'Assemblée nationale l'emportera. Nous le savons !
Nous savons que le PACS sera voté par l'Assemblée nationale. Mais nous savons également qu'il est inamendable. En effet, M. le rapporteur vous l'a parfaitement démontré, pour l'amender et l'améliorer, il faut obligatoirement aller dans le sens d'un rapprochement avec le mariage dont nous avons rappelé le principe. Or vous savez très bien que cette voie est très difficile à emprunter, et vous hésiterez peut-être, compte tenu des propos que tiendra tout à l'heure Mme le garde des sceaux, à vous y engager.
Le PACS sera donc voté. Mais je vous mets en garde une fois de plus. Dans cette assemblée, dans notre société en général, il a fallu, pour aborder certains problèmes, le faire avec franchise, en évitant tout jugement moral et, pour certains d'entre nous, en faisant un effort sur nous-mêmes ; cet effort, nous l'avons souvent tous consenti pour résoudre le problème social auquel nous étions confrontés.
Je comprends parfaitement que certains d'entre nous hésitent encore à accomplir cette démarche qui nous est commune ; mais soyez persuadés que vouloir imposer à une société des règles qui vont à l'encontre de ses croyances, de ses pratiques et de ses habitudes fondamentales, vouloir imposer un texte de cette nature ne donne jamais de bons résultats. (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Raymond Courrière. Et la loi Veil !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Le PACS sera voté - ce sera notre revanche, en quelque sorte - mais nous nous apercevrons - et vous vous apercevrez - qu'il est absolument inapplicable. Vous nous aurez dispensés, au moins, de vous faire cette bonne plaisanterie...
M. Jean-Louis Carrère. On a déjà entendu cela avec les congés payés ! « Vous allez ruiner la France », disait-on !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... que nous aurions pu vous faire en adoptant le texte conforme. De ce fait, parce que nous avons le sentiment que le travail accompli ici allait dans le sens de ce dont la société a besoin, il est évident que c'est très largement, en ayant la conscience que la majorité du Sénat a accompli son devoir, que nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines de travées de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public, émanant, l'une, du groupe du RPR et, l'autre, de la commission des lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 87:

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 311
Majorité absolue des suffrages 156
Pour l'adoption 195
Contre 116

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux. (M. Mélenchon applaudit.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. A l'issue de la première lecture de cette proposition de loi au Sénat, je tiens à dire, monsieur le président de la commission des lois, que chacun, ici, a défendu ses convictions, avec vivacité quelquefois de part et d'autre, mais le sujet en valait la peine.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Pour notre part, nous n'avons pas proféré d'insultes !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En ce qui me concerne, je suis convaincue que le pacte civil de solidarité est un élément de modernisation de notre société et qu'il est compris beaucoup plus largement, monsieur le rapporteur, que vous voulez bien le dire.
J'ai eu exactement la même expérience que vous le week-end dernier ; j'ai rencontré nombre de personnes qui m'ont dit que le pacte civil de solidarité était une bonne chose ! Comme quoi, les appréciations sont relatives...
M. Hilaire Flandre. Nous ne fréquentons pas les mêmes milieux ! (Rires.)
Plusieurs sénateurs socialistes. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. C'est vrai !
Le pacte civil de solidarité constitue en effet, à mes yeux, la meilleure réponse à l'attente des quelque quatre millions à cinq millions de personnes qui vivent ensemble sans être mariées. C'est la reconnaissance sociale d'un corps de règles qui tend à organiser leur vie commune et leurs rapports avec les autres dans tous les aspects de la vie quotidienne.
Il ne me paraît pas concevable de faire produire des effets juridiques de cette nature en l'absence d'un engagement clairement affirmé des intéressés de vivre ensemble de manière durable.
C'est bien parce que le pacte civil de solidarité se projette dans l'avenir, qu'il est gage de stabilité, que le droit peut en appréhender les effets et qu'il n'est pas possible de donner des effets similaires au concubinage.
Cela dit, il n'est pas non plus légitime de s'abstenir d'appréhender juridiquement le concubinage dès lors que l'on a entrepris de légiférer sur la vie des couples hors mariage. Par conséquent, je ne suis pas insensible du tout à certains arguments qui ont été mis en avant en faveur d'une reconnaissance légale du concubinage.
Vous vous souvenez que, dès le début de la discussion, le Gouvernement s'est prononcé très clairement contre les discriminations frappant les concubins homosexuels. On pouvait penser, dans un premier temps, que la reconnaissance du pacte civil de solidarité pourrait constituer un gage de revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation, laquelle considère que deux concubins ne peuvent être que de sexes différents, mais il est vrai que cette évolution n'est pas certaine.
Pour éviter toute difficulté d'interprétation ultérieure, il est en effet préférable que le principe de non-discrimination en fonction du comportement sexuel soit très clairement affiché. Encore faut-il évidemment que la définition ne prête à aucune confusion. Je ne puis, pour ma part, adhérer à la démarche et à la rédaction retenues par le Sénat, qui me paraissent à tout le moins ambiguës.
Je ne serai donc pas hostile à ce qu'à côté de la proposition de loi, et en plus du pacte civil de solidarité, on prenne en compte le concubinage pour mettre fin à toute discrimination. Mais, je tiens à le redire, les effets juridiques du premier et du second ne peuvent être comparables. C'est donc à deux niveaux très différents que les deux mécanismes pourraient coexister dans la proposition de loi.
Le Sénat vient de voter la suppression du PACS. Il n'a pas, je le regrette, adopté une rédaction claire et sans ambiguïté sur la non-discrimination à l'égard des concubins homosexuels. Au moins le Sénat a-t-il permis que ce débat ait lieu. Je considère que c'est un atout extrêmement important, et j'ai bon espoir, par conséquent, qu'à l'Assemblée nationale on puisse compléter utilement la proposition de loi sur le PACS, en l'améliorant certainement encore - elle le mérite - notamment par une disposition supprimant toute discrimination à l'égard des concubins homosexuels. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.

4

AMÉNAGEMENT ET DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 203, 1998-1999) d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence. [Rapport n° 272 (1998-1999).]
Mes chers collègues, au début de l'examen du projet de loi d'orientation, d'aménagement et de développement durable du territoire, vous me permettrez de marquer que, sur 320 amendements déposés, 206, soit les deux tiers, ont été transmis au service de la séance par la voie électronique, que ce soit par e-mail ou par notre réseau informatique.
Je tiens à remercier tout particulièrement les groupes qui, à l'instar du service des commissions, ont bien voulu prêter leur concours à la modernisation de nos méthodes de travail.
Il faut s'en féliciter. A quelques mois de l'an 2000, l'informatisation de la chaîne des amendements est en bonne voie, et je souhaite que cet effort se poursuive, pour la modernisation du fonctionnement de notre institution, bien sûr, mais aussi pour démontrer à ceux qui pourraient en douter que le Sénat est à la pointe du progrès.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, M. le Premier ministre avait indiqué dans son discours de politique générale, le 19 juin 1997, que son Gouvernement préparait un projet de loi visant à réformer la loi du 4 février 1995 afin de renouveler le cadre de la politique d'aménagement du territoire de notre pays. Le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui concrétise cet engagement.
J'ai conscience, en venant présenter ce texte devant votre assemblée, de m'adresser à un auditoire passionné, extrêmement averti de toutes les questions qui touchent à l'aménagement du territoire. J'en tire la conviction que nos débats seront exigeants et de qualité, animés par la volonté que nous avons tous de donner à notre pays le cadre législatif dont il a besoin.
Le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire sur lequel vous allez délibérer est un cadre dans lequel viendront s'inscrire deux autres textes de loi qui vous seront présentés par M. Chevènement et M. Zuccarelli, chacun traduisant les orientations que je vais développer devant vous dans son domaine de compétences.
Avec le projet de loi d'orientation agricole que vous avez examiné il y a quelques semaines, ces textes forment un ensemble cohérent. La loi d'orientation agricole permettra une réorientatioon de la politique agricole pour que celle-ci s'intéresse aux agriculteurs et aux territoires qu'ils mettent en valeur et non plus seulement à la croissance du volume de la production.
Le projet de loi de M. Chevènement fixera les modalités du développement de l'intercommunalité en simplifiant le cadre existant et en donnant des moyens renforcés aux communes et à leurs groupements.
Le projet de loi présenté par M. Emile Zuccarelli précisera les conditions de l'intervention économique des collectivités locales.
Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui définit, quant à lui, les orientations de la politique d'aménagement et de développement durable du territoire ainsi que la stratégie et les moyens de la mise en oeuvre de cette politique.
J'en viens au premier sujet : les objectifs de la politique d'aménagement et de développement durable du territoire.
Toutes les politiques publiques ont un impact sur l'aménagement du territoire, qu'elles portent sur la fiscalité, les transports, l'organisation des postes et télécommunications, le logement, l'agriculture, l'environnement, la culture, les aides au développement économique des entreprises, et j'en passe. Chaque décision prise dans ces différents domaines conduit à un certain type d'organisation du territoire.
Pourtant, le ministère dont j'ai la charge n'a pas vocation à corriger les effets négatifs des autres politiques pour le développement du territoire. S'il n'était que cela, sa mission serait dérisoire, tant les moyens financiers dont il dispose sont limités au regard de la tâche à accomplir.
La politique d'aménagement du territoire, c'est d'abord un combat de tous les jours pour mettre en cohérence toutes les politiques publiques au service d'un développement réfléchi, maîtrisé, équilibré, de notre pays. Ce n'est donc évidemment pas seulement à l'aune des crédits accordés par le Fonds national d'aménagement du territoire ou de l'importance des primes d'aménagement du territoire qu'il faut juger la politique du Gouvernement dans ce domaine. Ces outils financiers ont bien sûr un rôle incitatif, mais ils sont de peu de poids face à l'impact des décisions prises dans les autres domaines que je viens d'évoquer.
La première responsabilité du Gouvernement est de mettre en cohérence l'ensemble des politiques publiques qu'il maîtrise avec celles des collectivités locales pour les faire converger vers les objectifs fixés conjointement.
Il lui faut aussi avoir le souci d'assurer la cohérence entre les actions nationales, qu'elles soient menées par l'Etat ou les collectivités territoriales, et les politiques communautaires, qui représentent des financements considérables et dont les réglementations ont un impact chaque jour plus important sur notre vie quotidienne.
A quoi peut servir par exemple l'effort de tel ou tel Gouvernement pour revitaliser les campagnes si, dans le même temps, la politique agricole commune, avec des moyens financiers beaucoup plus importants, contribue à vider celles-ci ?
C'est dire que l'aménagement du territoire est l'une des actions publiques les plus difficiles à conduire, mais aussi l'une des plus nécessaires. Elle oblige à évaluer en permanence la pertinence de l'action sectorielle de chacune des administrations publiques en regard des objectifs politiques généraux poursuivis par le Gouvernement.
Quels sont ces objectifs ? Il s'agit, tout d'abord, de travailler à une société plus juste et plus solidaire. La politique d'aménagement et de développement durable du territoire doit contribuer au renforcement de la cohésion sociale, à la réduction des inégalités, à la lutte contre l'exclusion, à l'intégration. De ce point de vue, je ne peux que partager l'affirmation de votre commission spéciale qui, dans son rapport, affirme que l'être humain doit être au coeur des préoccupations des politiques publiques.
Cela me conduit à faire une remarque : on ne peut pas tout attendre de la politique d'aménagement du territoire. Les inégalités sont sociales avant d'être territoriales. L'inégalité dans la répartition des revenus et du patrimoine est du même ordre à Paris, à Guéret, à Lyon ou à Limoges.
Les problèmes rencontrés sur le territoire ne font souvent que traduire cette inégalité sociale. Je prends un exemple : si le prix d'achat de l'immobilier varie de 23 700 francs en moyenne pour un mètre carré dans le VIIe arrondissement à Paris à 4 200 francs à Clichy-sous-Bois, et si les catégories sociales qui habitent dans l'un ou l'autre endroit sont très différentes, cela n'est dû principalement ni aux potentialités initiales intrinsèques de ces deux territoires ni à leur ou plus ou moins grande proximité des zones de prospérité.
La façon dont une société choisit de répartir la richesse entre les individus qui la composent reste donc un des sujets politiques majeurs auxquels nous sommes confrontés. La politique d'aménagement du territoire ne peut répondre que de façon marginale à cette question.
Il s'agit cependant de tout faire pour ne pas ajouter l'inégalité territoriale à l'inégalité sociale. L'inégalité entre les territoires est au coeur des réflexions et des déclarations sur l'aménagement du territoire. Pourtant, la réalité de cette inégalité n'est pas aussi simple à mesurer qu'il y paraît. C'est pourtant bien de là qu'il faut partir si l'on veut agir.
Je vous propose d'examiner quelques outils qui pourraient nous permettre d'appréhender de façon plus fine cette inégalité.
Si l'on mesure la situation respective des territoires à l'aune de leur potentiel fiscal, les inégalités les plus fortes sont non pas entre les régions, mais entre les communes. Le potentiel fiscal varie en effet de un à vingt entre les communes. Cette situation est imputable à l'importance de la taxe professionnelle dans les ressources fiscales des collectivités locales, taxe qui représente en moyenne 50 % de l'ensemble des ressources fiscales directes des collectivités.
La base moyenne de la taxe professionnelle était de 10 742 francs par habitant en 1995, mais la moitié des communes françaises avaient une base inférieure à 2 000 francs par habitant.
Dix-sept départements concentrent la moitié des bases de taxe professionnelle. Cette taxe expliquerait donc à elle seule 75 % des inégalités.
Face à cela, le Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle, le FNPTP, représente moins de 5 % du produit de cette taxe et la dotation de solidarité urbaine, à peine 2 %.
Les quatre taxes perçues par les collectivités locales ne représentent toutefois que la moitié de leurs ressources, les autres étant largement des ressources de transfert, au premier rang desquelles la dotation globale de fonctionnement, la DGF, qui est le principal outil de péréquation entre les communes riches et les communes pauvres. La part des dotations de péréquation dans la DGF est passée de 6,3 milliards de francs en 1994 à 9,2 milliards en 1998.
La constitution des communautés d'agglomération mettant en commun leurs ressources de taxe professionnelle pour traiter les problèmes des zones urbaines à l'échelle qui convient sera un pas majeur dans la « péréquation fiscale ».
Les inégalités de potentiel fiscal sont moins importantes à mesure que l'on s'éloigne de l'échelon communal. Le potentiel fiscal entre les départements varie de 1 à 6, celui des régions de 1 à 2,5.
Cette mesure de l'inégalité entre les territoires ne donne cependant qu'une image imparfaite de la réalité. Il faudrait pouvoir mettre en regard des ressources des collectivités locales les charges qu'elles supportent et traduire cela dans un indice synthétique que tout le monde souhaite, mais qui s'avère redoutablement complexe à bâtir.
Nous devons nous interroger sur la pertinence de cette approche des disparités territoriales par la fiscalité. En effet, d'autres critères d'évaluation éclairent ces disparités sous un jour différent.
Les inégalités de revenu disponible brut des ménages sont beaucoup moins importantes que celles du potentiel fiscal. Ce revenu disponible brut des ménages en Ile-de-France était supérieur de 26 % au reste du pays en 1996, et l'écart entre les régions les plus riches et les régions les plus pauvres hors Ile-de-France était de 19 %. Les transferts sociaux, notamment les retraites et les minima sociaux, assurent le lissage des revenus entre les régions. Ils représentent 30 % du revenu disponible brut des ménages en Ile-de-France, 44 % dans le Limousin, 43 % en Languedoc-Roussillon ou 47 % en Corse.
Si l'on considère le PIB régional, c'est-à-dire la création de richesse, les écarts sont alors plus importants. Quatre régions - Ile-de-France, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d'Azur et Nord - Pas-de-Calais - soit 40 % de la population française, produisent 51 % du PIB national. Le PIB par habitant est supérieur de 53 % en Ile-de-France à ce qu'il est dans le reste du pays.
En résumé, les écarts régionaux de revenu disponible brut des ménages se réduisent, alors que les écarts dans la production de richesse et dans la répartition des emplois stratégiques s'accentuent.
Une des responsabilités majeures de la politique d'aménagement du territoire réside dans sa capacité à réduire ces inégalités économiques, et pas seulement sociales, entre les territoires. La politique d'aménagement du territoire doit permettre la mise en oeuvre d'actions structurelles en faveur des économies régionales afin d'en améliorer la compétitivité et le dynamisme. Elle ne saurait donc se résumer à la compensation des handicaps par le biais de péréquation fiscale, ni au maintien des services publics dans les zones difficiles. J'y reviendrai.
Le deuxième objectif est l'emploi.
L'efficacité de toutes les politiques publiques en fonction de la contribution qu'elles apportent à la lutte contre le chômage est devenue un des critères majeurs d'appréciation dans le choix des investissements publics.
La politique d'aménagement du territoire doit encourager la création d'emplois sur tout le territoire et éviter la concentration et la spécialisation excessive des zones d'emploi dans un certain type d'activité. Certaines régions de tradition industrielle lourde semblent vouées à la reconversion dans des activiés également fragiles et, pendant ce temps, d'autres bénéficient de la localisation de la plupart des emplois très qualifiés.
Cette spécialisation apparaît destructrice non seulement pour les régions qui sembleraient vouées à des activités vieillissantes, mais également pour celles d'entre elles qui ne seraient pas bénéficiaires de cette polarisation des emplois qualifiés.
De 1982 à 1990, l'agglomération parisienne a gagné 87 % des emplois dits « stratégiques », ingénieurs et cadres dans les secteurs de pointe en développement. Dans le même temps, 14 autres villes françaises ont connu une augmentation de ce type d'emplois, tandis que 226 villes françaises en perdaient. Or on sait que les avantages comparatifs des territoires dans nos sociétés résident moins dans le coût de la main-d'oeuvre ou des matières premières que dans leur capacité à élaborer des produits à haute valeur ajoutée.
C'est donc en définitive le degré de qualification de la main-d'oeuvre, la densité des réseaux d'échanges commerciaux - tant avec les clients qu'avec les sous-traitants - et intellectuels - en termes de recherche et de promotion - qui déterminent la position relative d'une région. Dire cela, c'est aussi dire à quoi nous devrons nous attacher, Etat et collectivités territoriales, dans les prochains contrats de plan.
La responsabilité de la politique d'aménagement et de développement durable du territoire en matière d'emploi, c'est aussi de considérer qu'aucun espace n'est condamné, et d'y encourager le développement local non seulement en instaurant des discriminations positives liées à tel ou tel zonage, mais aussi en finançant l'ingénierie des projets et en veillant à ce que les financements croisés ne conduisent pas à diriger les financements de l'Etat prioritairement vers les collectivités les plus riches.
C'est encore anticiper sur les évolutions économiques, l'explosion des services du secteur des nouvelles technologies de l'information et de la communication ou des biotechnologies, l'émergence des emplois dans les secteurs liés à la sécurité des personnes et des biens. La qualité de l'environnement, la qualité de la vie en général, doit être prise en compte. Nous devons nous y préparer, mettre en place des dispositifs d'intelligence économique et sociale, préparer un ancrage plus solide des activités sur un territoire mieux en phase non seulement avec les potentialités de ce territoire, mais aussi avec les attentes et les compétences des hommes et des femmes qui y vivent.
C'est, enfin, mettre en place une politique et un dispositif institutionnel qui permettent d'attirer les investissements étrangers en France et de faire en sorte qu'ils soient source de création d'emplois sur tout le territoire.
Troisième objectif : l'aménagement du territoire doit s'inscrire dans une perspective de développement durable.
Tout le monde, bien sûr, est favorable au développement durable. C'est même devenu un thème à la mode. La France a pris des engagements dans ce domaine à l'occasion de diverses grandes conférences internationales. Mais, au fond, qu'est-ce que cela veut dire ?
Commençons par évacuer les faux débats. Mon projet de loi ne vise pas à défendre la « nature naturelle » - que vos rapporteurs ont apparemment cherchée sans la trouver - contre « l'homme », dont nul n'a songé à oublier qu'il était à la fois le sujet et l'objet de toute politique. Cette opposition abstraite et artificielle entre l'homme et la nature a été dépassée depuis bien longtemps, et tout le monde sait aujourd'hui que, depuis son apparition sur cette planète, l'homme, qui est à bien des égards l'une des espèces vivantes les plus inadaptées à la « nature naturelle » à laquelle il appartient pourtant, agit pour maîtriser cette dernière et se transforme en la transformant.
Le développement durable ne se réduit pas à l'environnement, qui n'en constitue qu'une des dimensions.
Le développement durable, c'est d'abord une conception patrimoniale du monde dans lequel nous vivons. Un patrimoine collectif, ça s'utilise, ça se préserve, ça se partage et ça se transmet dans des conditions qui permettent que la nécessaire satisfaction de nos besoins d'aujourd'hui ne compromette pas celle des générations futures. Cela est vrai pour l'eau, l'air, les sols, les paysages et tout ce qui constitue non pas seulement notre « cadre de vie », mais en réalité les conditions mêmes de notre vie.
Mais c'est aussi à la durabilité de nos économies qu'il faut penser. Une croissance économique qui ne permettrait pas de réduire les phénomènes d'exclusion sociale, la concentration des richesses et des activités, et la suppression des emplois peut-elle réellement être considérée comme durable ?
Le développement durable, c'est un mode de croissance de la société qui garantisse à la fois les progrès économique, social et environnemental de la société. Pour traduire ces préoccupations, il me semble qu'il faut adopter dans l'ensemble de nos régions, à l'occasion de la négociation des prochains contrats de plan, une méthode commune d'évaluation de la qualité des projets à l'aune de ces trois préoccupations, ce qui nous amènera à privilégier des projets plus riches d'utilité sociale que ceux que nous retenons traditionnellement. Les projets d'investissement, la création de telle ou telle infrastructure ne doivent pas être retenus sans un examen a priori des alternatives possibles. Je dis bien examen a priori, car trop souvent la concertation se limite à demander l'avis de la population après que les décisions ont été réellement prises.
Il faut aussi recourir plus qu'on ne le fait aujourd'hui à l'expertise contradictoire. L'avis des techniciens, des administrations en charge des dossiers est bien entendu important, mais il doit être confronté à celui des experts indépendants qui contribuent à éclairer les décideurs sur tous les aspects des projets en cause.
Et puis, si l'on veut que la référence au développement durable ne soit pas qu'une clause de style, il faut définir, en même temps que les projets, les modalités d'évaluation et de suivi qui les accompagneront. Cette évaluation, ce suivi doivent porter sur l'ensemble des domaines économique, social et environnemental, et permettre une mise en oeuvre effective des principes de précaution, de prévention et de responsabilité qui doivent s'imposer dans toutes les prises de décision des pouvoirs publics.
Je suis convaincue que cette méthode et ces principes seront mis en oeuvre avec d'autant plus de succès que les représentants de l'Etat dans les régions auront à coeur d'organiser les débats publics nécessaires et d'associer les citoyens, sous des formes adaptées, aux prises de décisions.
Quatrième objectif : la politique d'aménagement du territoire doit favoriser l'émergence et la concrétisation de projets fondés sur la valorisation des ressources plutôt que la compensation de handicaps.
La philosophie de l'aménagement du territoire a été longtemps dominée par les idées de compensation entre zones riches et zones pauvres, de péréquations, d'implantations autoritaires d'infrastructures ou d'équipements dans des régions réputées « défavorisées ». C'est aussi l'idée qui domine à Bruxelles et qui est traduite par les différents zonages avec lesquels vous avez dû vous habituer à vivre.
Je ne conteste pas la nécessité de ce rééquilibrage entre les moyens des uns et des autres. Mais si le rééquilibrage, notamment fiscal, est nécessaire, il n'est pas suffisant. Une conception de l'aménagement du territoire qui s'en tiendrait à ce seul principe conduirait à installer des zones entières dans ce que j'appellerai « la culture du handicap ».
L'histoire nous a appris que le caractère favorisé ou handicapé d'une région était relatif et pouvait évoluer dans le temps. Telle région hier prospère grâce à ses mines de charbon s'est trouvée soudain handicapée et contrainte à de douloureux efforts de reconversion, alors que des zones réputées enclavées ont bénéficié de l'explosion du tourisme et se sont enrichies.
C'est pourquoi aucune région ne peut concevoir que son avenir réside durablement dans des ressources provenant de la péréquation entre régions. Le zonage du territoire communautaire ne constitue pas une fin en soi, pas plus que le fait pour une région d'être incluse dans une zone ou plusieurs zones. La délimitation de zones n'a d'intérêt que si elle permet pendant une période de temps limitée d'accorder des moyens publics spécifiques pour mettre en place les conditions d'un développement autonome des régions considérées. Dès lors qu'un zonage recouvre une part trop importante du territoire, ou qu'il devient pérenne, il manque son objectif.
C'est avec cette compréhension des choses que nous abordons les négociations européennes sur la réforme des fonds structurels et la réforme des zonages qui l'accompagnera. C'est aussi avec le souci de bien distinguer ce qui doit relever de la nécessaire solidarité européenne, et ce qui incombe aux solidarités nationales et locales. Nous ne pouvons pas tout attendre des transferts nationaux ou communautaires ; ils sont là pour accompagner des démarches, mais ils ne peuvent remplacer la prise en charge, par tous les niveaux de décision, des responsabilités qui leur reviennent.
L'idée qui sous-tend le projet du Gouvernement est que l'Etat aidera prioritairement ceux qui s'organisent pour élaborer un projet. L'Etat récompensera le dynamisme, parce que, en faisant cela, les dépenses publiques contribueront effectivement au développement de la richesse produite, à l'occupation équilibrée du territoire, et pas simplement à la compensation de retard de développement.
Je suis consciente que la capacité de mobilisation peut dépendre aussi des moyens initiaux dont on dispose. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé, lors du dernier comité interministériel de l'aménagement du développement du territoire, le CIADT, de créer une section spéciale du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire destinée au financement de l'ingénierie de projets.
Le cinquième et dernier objectif vise à favoriser l'intégration de la France dans une Europe élargie.
La construction européenne, au-delà des péripéties qui peuvent l'affecter, est riche non seulement d'opportunités, mais aussi de menaces pour notre pays.
S'agissant des opportunités, celle de participer à la construction d'un ensemble économique et politique qui compte parmi les plus puissants et les plus stables du monde constitue une chance appréciable.
Mais cet ensemble évolue, son centre de gravité économique et politique se déplace vers « l'Europe médiane », et notre pays doit veiller tous spécialement à ne pas être marginalisé dans le processus de croissance à venir. Nos régions atlantiques et méditerranéennes doivent être des atouts dans une stratégie de croissance française pensée à l'échelle internationale.
J'ai noté avec satisfaction que la commission proposait un certain nombre d'amendements qui vont à la rencontre de ces préoccupations.
Ce projet de loi d'orientation doit être l'occasion d'affirmer nos ambitions dans ce domaine, à quelques semaines du conseil informel des ministres chargés de l'aménagement du territoire de l'Union européenne, qui devrait adopter le schéma de développement des espaces communautaires.
L'aménagement du territoire n'étant pas une compétence communautaire, ce schéma de développement ne sera qu'un cadre de référence, mais son adoption devrait être suivie de rencontres régulières des ministres concernés par l'aménagement du territoire pour évaluer la prise en compte de ces orientations dans les politiques nationales, développer les coopérations interrégionales et transfrontières, échanger les expériences.
Il ne suffit pas de fixer des objectifs, il faut aussi indiquer le chemin pour y parvenir et les moyens à mettre en oeuvre.
Il s'agira de favoriser la coopération de tous les acteurs autour de l'élaboration et de la mise en oeuvre de projets qui définissent un territoire.
Je ne vous propose pas de bouleverser l'organisation administrative du pays, de supprimer tel ou tel type de collectivité locale ou de redéfinir leurs compétences respectives. Certains le regretteront, d'autres trouveront que ce projet de loi va déjà trop loin. Quoi qu'il en soit, ce choix doit être justifié.
La méthode que je vous propose avec ce projet de loi d'orientation repose sur le triptyque suivant : un projet, un territoire, un contrat.
Un projet partagé est à l'origine de tout, parce que je suis convaincue que l'aménagement du territoire ne se décrète pas, que le développement n'existe pas sans volonté locale, que tout ne s'organise pas autour des principes décidés par une autorité centrale.
C'est autour de ce projet, traduit dans une charte, de pays ou d'agglomération, que s'organiseront les nouveaux espaces de l'action locale, que se développeront les dynamiques territoriales. Ici également, je préfère l'incitation à l'affirmation déclamatoire ou aux démarches technocratiques. Les pays et les agglomérations naîtront des projets élaborés par des acteurs locaux ayant envie de travailler ensemble, du contrat qu'ils passeront entre eux et avec l'Etat et non de découpages administratifs établis sur des bases statistiques.
Enfin, un contrat, signé dans le cadre des contrats de plan Etat-régions, organisera l'action coordonnée entre les partenaires et définira les moyens à mettre en oeuvre pour que le projet devienne réalité.
Tout cela, vous le voyez, se fera sans réforme institutionnelle majeure, les pays et les agglomérations constituant non pas de nouvelles collectivités territoriales, mais des espaces de projets, définis comme je viens de le faire, avec une structuration un peu plus contraignante s'agissant des communautés d'agglomérations.
Ce dispositif me semble adapté à la situation de nos institutions aujourd'hui.
Il n'y a pas, contrairement à ce que l'on dit souvent, d'exception française dans ce domaine. Tous les pays comparables de l'Union européenne comptent trois niveaux d'administration territoriale. L'Allemagne compte 16 Lander, 452 Kreise et 16 068 communes ; l'Italie est organisée en 20 régions, 95 provinces et 8 074 communes ; l'Espagne en 17 communautés autonomes, 50 provinces et 8 082 communes ; la Belgique, pourtant beaucoup plus petite, est divisée en 3 régions, 9 provinces et 596 communes.
Au fond, la spécificité de la situation françaie réside : dans l'émiettement du tissu communal avec ses conséquences fiscales dont j'ai parlé tout à l'heure ; dans l'absence de hiérarchisation entre les différents niveaux d'administration territoriale, le refus de toute tutelle d'une collectivité locale sur une autre paraissant intangible ; dans le principe d'uniformité dans les compétences et le statut des collectivités locales de même rang ; enfin, dans le maintien d'une forte administration de l'Etat au niveau local, corollaire des budgets relativement faibles des collectivités territoriales et de leur faible liberté d'auto-organisation, mais aussi témoignage du rôle important qu'il conserve, garant de la cohérence et de l'équité des priorités retenues en matière d'aménagement du territoire.
Les schémas de services collectifs et les schémas régionaux d'aménagement du territoire permettront de définir les stratégies communes des différents acteurs dans les domaines où ils agissent en commun. Les contrats de plan traduiront ces orientations dans des programmes d'action sur sept ans. Les contrats de pays et d'agglomération permettront de surmonter les difficultés liées à la trop petite taille de nos communes, et ce de façon librement consentie, dans l'action et non au terme d'une démarche administrative.
Fallait-il aller plus loin et redéfinir les compétences respectives des différentes collectivités territoriales ? C'est une question qui est posée en permanence depuis les débuts de la décentralisation en 1982-1983. Le principe posé, dès cette époque, était celui des « blocs de compétences ». Mais sitôt posé, ce principe a peiné à se concrétiser et l'on a assisté à la segmentation des compétences plutôt qu'à leur répartition en blocs. Au fond, cela n'est peut-être pas le fruit du hasard, cela traduit simplement le fait qu'un même sujet peut soulever des questions d'intérêt purement local, régional ou national, suivant le cas. C'est typiquemenet le cas lorsqu'il est question d'intervention économique.
Le rôle du Parlement n'est pas oublié. Le débat que nous ouvrons aujourd'hui est un débat d'orientation sur la politique d'aménagement du territoire. Il porte sur les objectifs et les méthodes, et ses conclusions seront traduites dans les prochains contrats de plan. Le projet de loi tel qu'il vous est présenté, amendé par l'Assemblée nationale, donne au Parlement un pouvoir de contrôle et d'orientation de la politique d'aménagement du territoire comme il n'en n'a encore jamais connu. Je dis cela pour m'en féliciter. Mais j'ajoute immédiatement qu'il ne me paraît pas souhaitable d'aller au-delà, c'est-à-dire jusqu'au vote des schémas des services collectifs par le Parlement. S'il revient au Parlement de fixer les principes et les orientations comme vous allez le faire et serez appelés à le faire de nouveau avant le renouvellement des contrats de plan, il est, en revanche, de la compétence du Gouvernement de mettre en oeuvre ces orientations.
Je propose un cadre favorable à l'élaboration et au développement des projets que je viens d'évoquer : ce cadre, c'est celui des pays et des agglomérations.
Les pays peuvent être définis très simplement comme des territoires de projet. Il ne s'agit donc pas - je le redis - d'un nouvel échelon d'administration territoriale ni d'une nouvelle collectivité locale. Ce qui définit le pays, c'est bien son projet, traduit par une charte acceptée et signée par l'ensemble des partenaires.
C'est donc un cadre très souple permettant d'unir des volontés sur des territoires qui sont considérés par les acteurs eux-mêmes comme ayant une cohérence suffisante. Ces projets, ces territoires et la concrétisation de leur volonté seront accompagnés par l'Etat dans le cadre des contrats de plan Etat-régions.
Le Gouvernement souhaite encourager le développement des pays sans faire preuve du moindre dogmatisme. Je n'ai pas en tête un quadrillage de la France en pays aux frontières établies. En revanche, je souhaite favoriser et accompagner la création de pays, notamment en finançant l'ingénierie nécessaire à l'élaboration de projets pour que nous passions de la phase expérimentale ouverte par la loi Pasqua à « l'âge adulte » des pays, qui constitueront, dans de nombreuses parties de notre territoire, l'outil permettant de traiter les problèmes à la bonne échelle.
Les agglomérations correspondent à un niveau d'exigence supérieur. Elles ne pourront être constituées que pour autant qu'il existe, dans un cadre territorial donné, une agglomération centre de plus de 15 000 habitants et un ensemble de communes avoisinantes qui, au total, regrouperont une population de 50 000 habitants au moins, dotées d'une taxe professionnelle unique dans le cadre d'un établissement public de coopération intercommunale.
Ces agglomérations, elles aussi, auront la possibilité de passer des contrats avec l'Etat en vue de la réalisation des objectifs qu'elles se seront fixés. Le Gouvernement voit dans ces communautés d'agglomérations le cadre qui permettra réellement de développer la politique de la ville dont nous avons besoin pour faire face aux difficultés graves qui sont nées de l'urbanisation croissante des populations. Ce que l'on baptise hâtivement « crise des banlieues » est, en effet, une crise du développement urbain. On ne pourra la traiter qu'en appréhendant cette réalité dans sa totalité, dans sa complexité, et en faisant jouer effectivement les solidarités locales de projet dont je parlais tout à l'heure.
Or, si l'intercommunalité s'est développée dans le monde rural, elle reste embryonnaire dans les aires urbaines. Il est urgent de donner l'impulsion qui permettra la mise en place de ces structures, indispensables à la maîtrise de la croissance urbaine.
Les pays et les agglomérations seront, avec les régions, partenaires des contrats de plan.
C'est une des principales novations introduites dans la négociation des prochains contrats. Elle fait suite au rapport élaboré par M. Chérèque à la demande du Gouvernement.
Les futurs contrats de plan Etat-régions comprendront donc deux volets : un volet régional, qui touchera essentiellement aux infrastructures et aux équipements d'intérêt régional, ainsi qu'aux projets dont la taille intéresse l'ensemble de la région ; un volet territorial, qui visera à encourager le développement et la concrétisation des projets des pays, des agglomérations et des parcs naturels régionaux.
Cette conception des futurs contrats de plan découle très naturellement de ce que j'ai dit tout à l'heure de la volonté du Gouvernement d'encourager le développement local et la prise en main par les citoyens eux-mêmes des projets qui assureront durablement l'existence et le développement des territoires qu'ils occupent. La construction d'infrastructures est indispensable, mais elle ne suffira pas demain, pas plus qu'elle n'a suffi hier à assurer le développement harmonieux de tout le territoire. C'est pourquoi ce second volet, le volet territorial des contrats de plan, est aussi important à mes yeux pour les contrats à venir.
Pour qu'ils puissent voir le jour, encore faut-il laisser aux pays et aux agglomérations le temps de se constituer et de travailler ; c'est pourquoi ils disposeront de trois années pour élaborer leur projet et ils pourront signer avec l'Etat des contrats de plan jusqu'en 2003.
Les schémas de services collectifs contribuent aussi à renouveler le cadre de la planification territoriale à moyen terme.
Ces huit schémas de services remplaceront le schéma national d'aménagement du territoire et les schémas sectoriels prévus par la loi du 4 février 1995.
Avec cette notion de « services collectifs », le Gouvernement veut inciter ses administrations et l'ensemble de ses interlocuteurs à une réflexion autour des huit grands thèmes retenus, en faisant en sorte qu'elle ne se limite pas à l'examen des possibilités d'équipement en infrastructures de transport ou de communication.
En défendant les schémas de services collectifs, le Gouvernement ne veut pas dire que les infrastructures ne sont pas nécessaires ou que tous les besoins de notre pays sont satisfaits ; ce serait là une présentation réductrice des choses.
M. Gérard Larcher, rapporteur de la commission spéciale. C'est vrai !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. La philosophie, pour reprendre le mot de la commission spéciale, des schémas de services collectifs, c'est de commencer par favoriser l'expression des besoins de la population par une concertation aussi large que possible. Cela fait, il faudra hiérarchiser les besoins qui paraissent les plus prioritaires et envisager les différents moyens de les satisfaire.
Il existe rarement une réponse unique à une situation donnée. C'est d'ailleurs le rôle et la dignité du politique que d'effectuer des choix et de les assumer. Encore faut-il que ces choix aient été faits après examen de toutes les solutions possibles.
En d'autres termes, il ne s'agit pas de plaquer des solutions toutes faites, qui ont été utilisées dans le passé pour répondre à des situations particulières, il s'agit de dialoguer et d'innover. L'équation : infrastructures de transport égale désenclavement, égale développement économique est faussement rassurante. On pourrait citer de nombreux exemples de zones à faible dynamisme démographique et économique bien que traversées par des infrastructures de transport très complètes et très modernes ; je pense aux plateaux de Bourgogne ou à la périphérie sud du Bassin parisien.
Inversement, on trouve des zones où population et activités sont dynamiques en l'absence de métropole de proximité et de grandes infrastructures de transport. La relation n'est donc pas aussi simple et beaucoup d'autres facteurs - historiques, sociologiques, économiques - entrent en ligne de compte.
Il ne s'agit donc pas d'être pour ou contre les infrastructures ; il s'agit de raisonner sur les investissements en fonction de leur interaction avec l'environnement économique et humain, en prenant en compte tous les besoins à satisfaire, tous les impacts des équipements projetés.
Le terrible bilan des accidents de la route en France en 1998 doit, par exemple, nous conduire à nous interroger. Notre bilan dans ce domaine est beaucoup plus mauvais que celui de nos partenaires européens d'importance comparable, l'Allemagne, la Grande-Bretagne notamment. L'équipement autoroutier étant au moins équivalent, voire meilleur en France, ce n'est pas dans la transformation de l'ensemble des routes en autoroutes que se trouve la réponse. (Murmures sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.) Il faut prévoir un ensemble de mesures allant des équipements de sécurisation du réseau, qui ne sont pas toujours synonyme de doublement des voies, mais peuvent être des chicanes et autres ralentisseurs sur les points noirs, à l'action sur la vitesse des véhicules et le comportement des automobilistes. La pondération entre les moyens attribués à ces différentes actions est une question éminemment politique.
Les huit schémas de services collectifs prévus par le texte correspondent aux domaines priviliégiés d'action conjointe entre l'Etat et les collectivités locales. Ils correspondent également à des domaines d'intervention qui nécessitent une collaboration interrégionale et une prise en compte des politiques européennes.
Ces schémas de services seront élaborés dans le cadre d'un va-et-vient entre l'échelon central et l'échelon décentralisé, de façon à permettre l'expression la plus large des préoccupations et des besoins de la population française.
Le projet de loi d'orientation, d'aménagement et de développement durable du territoire fixe également le cadre de l'évolution des services publics sur le territoire dans les années qui viennent.
La répartition des services publics sur le territoire constitue bien entendu un élément important de la politique d'aménagement du territoire, et l'Etat a une responsabilité particulière en ce domaine.
Chacun en conviendra aisément, le « moratoire » décidé par le gouvernement de M. Balladur ne pouvait constituer une réponse définitive aux questions relatives à l'évolution des services publics sur notre territoire. Il permettait, certes, d'éviter des décisions aux conséquences susceptibles d'être difficilement réparables, pendant une période de réflexion. Mais il fallait, un jour ou l'autre, aller plus loin.
C'est pourquoi la loi Pasqua avait prévu un certain nombre de dispositions pour organiser la sortie du moratoire dans les départements. Nombre de ces dispositions sont restées lettre morte, notamment celle qui prévoyait l'élaboration de schémas départementaux d'évolution des services publics.
Les décisions du CIADT du mois de décembre et le projet de loi que je vous soumets fixent les règles de cette évolution future. Les administrations devront élaborer des plans pluriannuels d'évolution de leurs services. Elles transmettront ces plans à la DATAR, qui les examinera et en vérifiera la cohérence.
La DATAR conduira la concertation avec les préfets et vérifiera avec eux les conséquences des programmes qui lui sont présentés dans l'ensemble des départements. Les préfets, quant à eux, seront responsables de la conduite de la concertation au niveau local sur les évolutions souhaitables du service public.
Aucun service ne pourra être supprimé sans une étude d'impact préalable. Si un désaccord apparaît entre une administration et les collectivités territoriales, le préfet aura la possibilité d'introduire un recours suspensif auprès du ministre concerné, après une phase de négociation, pour trouver une solution satisfaisante pour tous.
Dans le même temps, je vous propose de retenir un certain nombre de dispositions permettant de constituer des maisons de services publics, qui pourront être un cadre satisfaisant permettant d'offrir un service de qualité sur l'ensemble du territoire. Les conditions d'organisation de ces maisons de services publics seront déterminées par voie conventionnelle, avec les collectivités locales intéressées.
Le Gouvernement a également choisi de transposer partiellement, sans attendre, la directive communautaire relative au service postal. S'il l'a fait, ce n'est pas pour priver le Parlement d'un débat sur l'avenir de La Poste : celui-ci aura lieu à l'occasion de la transposition de l'ensemble des dispositions de cette directive. Mais il fallait fixer aussi vite que possible dans une loi les dispositions permettant de préserver le rôle de La Poste dans l'exercice du service public postal. Eu égard à l'importance de ce service dans l'aménagement du territoire, ces dispositions trouvent ici légitimement leur place.
En conclusion, le Gouvernement vous demande d'approuver avec ce texte tendant à réviser la loi du 4 février 1995, une réorientation de la politique d'aménagement du territoire. La politique qui vous est proposée vise à promouvoir le développement durable de tous les territoires. Elle est sous-tendue par une vision renouvelée de l'action en faveur de l'égalité des chances entre les territoires, qui ne passe pas exclusivement par la péréquation de la fiscalité locale. Elle fait de l'emploi et du développement local des priorités.
Parce qu'il ne suffit pas de proclamer des objectifs pour les concrétiser, je vous propose une méthode : la mobilisation de toutes les énergies autour de projets de territoire, l'engagement de chacun pour la réalisation de ces projets étant précisé dans des contrats.
Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui sera, j'en suis sûre, discuté avec passion dans cette assemblée. Il s'agit en effet d'un enjeu essentiel pour notre société et d'une préoccupation quotidienne pour les élus que vous êtes.
Ce projet ouvre la voie à une nouvelle méthode de planification et de programmation de l'aménagement du territoire. C'est finalement dans une conception plus démocratique, plus participative et plus ouverte de la société qu'il faut chercher les innovations dont il est porteur. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà quatre ans, le Sénat votait une loi qui jetait, pour vingt-cinq ans, les bases d'une grande politique d'aménagement et de développement du territoire. C'était la loi Pasqua, ou plus exactement la loi Pasqua-Hoeffel. Ses principales dispositions - à défaut du texte tout entier - furent adoptées à l'unanimité par notre assemblée.
Comme toute loi-cadre, elle était tributaire, pour son application, d'un impressionnant arsenal de décrets et de circulaires. Il fallut deux années et toute la persévérance de notre collègue Jean-Claude Gaudin pour mener la tâche à bien. Et, comme les crédits nécessaires à une politique d'envergure ne furent pas au rendez-vous, ce texte fondateur ne bénéficia ni du temps ni des moyens qui lui auraient permis de marquer le territoire de son empreinte.
Vint 1997 : un gouvernement de gauche pouvait-il s'accommoder, dans un domaine aussi important, d'un texte qu'il suffisait d'appliquer mais dont il n'avait pas pris l'initiative ?
M. Gérard Delfau. Il fallait le faire avant !
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Impensable ! Nouvelle majorité, nouvelle loi !
Nous voici donc, aujourd'hui, deux ans plus tard, saisis d'un nouveau texte, texte d'orientation lui aussi - mais on pourrait presque dire : d'intention - qui exigera, pour être appliqué, le même nombre de décrets et de circulaires, lesquels mettront le même laps de temps à voir le jour, tant est immuable le cheminement des textes à travers les arcanes de notre bureaucratie interministérielle.
M. Josselin de Rohan. Nous les remplacerons avant !
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Rendons-nous à l'évidence : ce n'est pas en votant tous les cinq ans une grande loi conçue pour vingt ans, mais jamais appliquée, qu'on fera bouger les choses. (Très bien ! sur les travées du RPR et de l'Union centriste.) Sur le terrain, personne n'y croit plus. L'opinion est fatiguée de voir les majorités se succéder et s'écrier, comme à l'opéra : « Marchons, marchons », alors que, sur la scène, personne n'avance !
MM. Louis Souvet et Hilaire Flandre. Très bien !
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Voilà pourquoi la commission spéciale s'est refusé à faire oeuvre partisane. Elle n'a pas cherché à revenir au texte de 1995, quels que soient pourtant ses mérites. Le texte dont nous allons débattre ne sera utile que s'il dure. Et il ne sera durable, madame la ministre, que si le Sénat, l'Assemblée nationale et le Gouvernement parviennent à une rédaction commune. La commission spéciale le souhaite, dans l'intérêt de l'aménagement du territoire. Ses amendements vont dans ce sens. Encore faut-il que la loi fasse droit à des impératifs approuvés par tous : réduire les écarts territoriaux, valoriser la situation centrale de la France en Europe occidentale, faciliter la création d'emplois, accélérer la croissance.
Durable : j'ai lâché le mot ! C'est celui que vous avez entendu, madame la ministre, inscrire au fronton de ce texte. La commission spéciale ne le récuse pas. Bien au contraire, nous le faisons nôtre, et ce d'autant plus volontiers que, de mémoire d'homme, aucun sénateur n'a jamais plaidé pour un développement non durable.
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. De même avez-vous entendu faire des « pays », lancés par la loi de 1995, un des piliers de l'aménagement durable du territoire de demain. Ces « pays » n'ont pas soulevé la moindre objection de principe de la part de la commission. Au demeurant, nombre d'entre nous n'ont attendu ni la loi de 1995 ni celle d'aujourd'hui pour en créer dans leur département.
Quant à la suppression du schéma national d'aménagement du territoire, prévu par le texte de 1995, nous la regrettons. Le schéma avait l'immense mérite d'associer le Parlement à l'aménagement du territoire autrement qu'à travers des déclarations d'intention. Mais la commission spéciale, dans un esprit de conciliation, n'en proposera pas le rétablissement.
Enfin, la commission spéciale a reconnu que la notion de « service » pouvait heureusement compléter celle de « schéma directeur ». Elle met, en effet, utilement l'accent sur la finalité - transports, santé, culture, éducation - des schémas directeurs et sur la nécessité - que personne ne contestera - de veiller avant de créer des infrastructures nouvelles à la meilleure utilisation des équipements existants.
Mes chers collègues, je devine votre inquiétude : peut-être vous demandez-vous si la commission spéciale s'est contentée d'approuver le texte qui lui était soumis.
M. Gérard Miquel. Il n'y a aucun risque !
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Rassurez-vous ! En examinant les 85 amendements qu'elle a élaborés et en prenant connaissance des amendements extérieurs qu'elle approuvera sans doute demain matin, vous constaterez que la commission spéciale a considérablement enrichi et réorienté, quand cela était nécessaire, le projet du Gouvernement amendé par l'Assemblée nationale.
Les trois rapporteurs de la commission spéciale, MM. Gérard Larcher, Claude Belot et Charles Revet, vous exposeront dans un instant le contenu et la portée de ces amendements. Je tiens à rendre hommage à leur remarquable travail, un travail d'autant plus méritoire qu'ils n'ont disposé pour le réaliser que de quelques jours, du fait du recours à la procédure d'urgence, malencontreusement imposée par le Gouvernement pour un texte qui, plus que tout autre, exigeait étude et réflexion. Je veux aussi remercier les administratrices et les administrateurs qui les ont très efficacement assistés.
Les uns et les autres n'y seraient d'ailleurs pas arrivés si le Sénat n'avait, depuis près de dix ans, peu à peu exploré tous les compartiments de ce vaste et complexe sujet qu'est l'aménagement du territoire. Ce faisant, notre assemblée a, petit à petit, constitué un important réservoir de données et de propositions qui ont guidé les rapporteurs dans le choix de leurs amendements.
Ces amendements, mes chers collègues, répondent principalement à deux grands objectifs : équilibrer le texte qui nous est proposé et l'enrichir de propositions concrètes.
Il s'agit d'abord d'établir un équilibre entre espace rural et espace urbain.
Le Sénat, je tiens à le souligner, contrairement à certaines caricatures malveillantes, n'est nullement l'apôtre d'un ruralisme dépassé.
M. Jean-Pierre Raffarin. Très bien !
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. Mais le fait est que témoignages et enquêtes l'ont convaincu que la « métropolisation », dont certains font la tarte à la crème de l'aménagement du territoire, est un concept en voie d'être dépassé dans les pays les plus avancés.
Tant aux Etats-Unis que chez nos voisins européens, l'espace rural fait de plus en plus figure non pas de chef-d'oeuvre en péril, à sauver par affection ou dévouement, mais de lieux d'une nouvelle modernité. Il s'agit non plus seulement de protéger les espaces naturels, mais de développer les potentialités nouvelles que leur ouvrent les technologies de communication et les aspirations de la société post-industrielle.
L'équilibre est tout aussi nécessaire entre l'environnement et les infrastructures, à commencer par les infrastructures de communication qui ont, ici ou là, mauvaise réputation.
La commission s'est demandée si la France avait encore besoin de construire des autoroutes. La réponse du directeur des routes, entendu par la commission, a été sans ambiguïté : le trafic routier, qui a augmenté de 230 % au cours des vingt-cinq dernières années, connaîtra une augmentation du même ordre, même si elle est marginalement plus faible, au cours des vingt-cinq prochaines années.
Quant aux efforts qu'il est impératif de consentir en faveur du transport ferroviaire et de la navigation fluviale, qu'il faut, l'un et l'autre, développer peut-être de façon prioritaire, ils permettront au mieux, en France comme dans le reste de l'Europe, de conserver à ces modes la part de marché qui est la leur aujourd'hui.
Un nouveau schéma autoroutier est-il finançable ? La réponse est, là aussi, sans grande ambiguïté. Notre collègue Jacques Oudin vous le dira : le système autoroutier peut générer, en son propre sein, les moyens nécessaires à son développement, pour peu que les contraintes qui lui sont actuellement imposées soient revues et mises en conformité avec les règles de concurrence européennes et que des autoroutes a spécifications simplifiées - je me permets d'y insister - soient mises en chantier pour assurer le désenclavement des espaces à faible circulation.
Enfin, un équilibre doit être recherché entre le Gouvernement et le Parlement. Il serait inacceptable que la représentation nationale ne soit appelée à se prononcer que sur de grandes orientations, alors que les collectivités territoriales seraient consultées sur l'application concrète des schémas directeurs. Gérard Larcher proposera au Sénat de combler les lacunes du projet de loi sur ce point.
Ce projet de loi ne répondra aux attentes qu'il suscite que s'il est très largement complété.
La commission spéciale vous proposera une batterie de mesures nouvelles en faveur de la création et de la transmission d'entreprises, dont les zones fragiles dépendent, plus que tout autre, pour leur développement. A cet égard, nous sommes reconnaissants à notre collègue Jean-Pierre Raffarin du travail qu'il a réalisé avec d'autres collègues sénateurs.
La commission vous proposera également un dispositif relatif aux zones périurbaines, oubliées de l'aménagement du territoire, bien qu'elles accueillent 15 % de nos concitoyens.
Elle vous soumettra aussi une rédaction clarifiant les rôles respectifs du département et de la région dans le domaine de l'économie, rédaction sur laquelle se sont entendus, ô miracle ! nos collègues MM. Puech, Raffarin et Delevoye, qui font tous les trois partie de la commission spéciale. Il s'agit, me semble-t-il, d'un véritable pas en avant.
En revanche, la commission ne vous présentera aucun amendement sur le sujet, pourtant central, de la péréquation entre collectivités riches et pauvres. Ne vous en étonnez pas. Les dispositions passablement révolutionnaires contenues dans le texte de 1995 ont été intégralement maintenues dans le projet de loi qui nous est soumis. Cela me conduit, madame la ministre, à vous interroger sur les intentions du Gouvernement : entend-il laisser ces dispositions au frigidaire où elles gisent depuis 1995...
M. Gérard Delfau. Comme le précédent gouvernement !
M. Jean François-Poncet, président de la commission spéciale. ... ou bien les mettra-t-il en oeuvre ? Ces mesures ont-elles échappé à son couperet parce qu'elles sont en harmonie avec ses convictions ou parce que la péréquation est un sujet dans lequel il a choisi de ne pas s'aventurer ? Je pose la question, je n'y réponds pas.
J'ai bien entendu, madame la ministre, ce que vous avez dit tout à l'heure. Certes, la péréquation ne représente pas la solution à tous les problèmes de l'aménagement du territoire, pas plus que les infrastructures. Le problème est de savoir s'il peut y avoir aménagement du territoire sans infrastructures et sans péréquation. Pour ma part, j'affirme que ce n'est pas possible. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mes chers collègues, les meilleures lois ne valent que par les moyens dégagés pour les mettre en oeuvre. Dans les années soixante, l'effort consenti, sur instruction du général de Gaulle, donna à l'aménagement du territoire une impulsion qu'il n'a, depuis lors, jamais retrouvée.
L'aménagement du territoire constituera-t-il, demain, pour le Gouvernement actuel et pour ceux qui lui succéderont, une réelle priorité ou restera-t-il, comme ce fut souvent le cas dans le passé, un thème de discours dominicaux ? L'avenir le dira ! Ce qui est certain, c'est que le destin de la France en Europe dépendra pour beaucoup de la prise de conscience par nos concitoyens eux-mêmes de l'atout que représente pour notre pays la possession du territoire le plus vaste, le plus beau et le mieux situé mais, hélas ! le plus négligé, de l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher, rapporteur.
M. Gérard Larcher, rapporteur de la commission spéciale. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous sommes appelés à discuter aujourd'hui se situe dans le fil de la loi Pasqua-Hoeffel que le Sénat a adoptée voilà près de cinq ans. Ce texte doit donc s'inscrire dans la continuité. La « durabilité » de nos lois est à ce prix. Ne doit-elle pas, elle aussi, constituer un objectif permanent pour le législateur ?
Le texte qui nous est soumis aujourd'hui modifie partiellement la loi d'orientation, reconnaissant que nombre de ses dispositions demeurent toujours d'actualité.
Permettez-moi tout d'abord de rendre hommage à ceux qui ont contribué à l'élaboration de cet texte fondateur, tout particulièrement à Charles Pasqua et à Daniel Hoeffel. (Très bien ! sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Votre projet de loi, madame le ministre, vise à réviser sur certains points, à compléter sur d'autres, le texte de 1995. Cette réforme aurait pu répondre aux attentes liées à l'application de la loi Pasqua-Hoeffel. Pourtant, si ce texte satisfait certaines de ces attentes, il ne laisse pas de susciter un certain nombre de regrets.
Tout d'abord, je regrette, comme le président de la commission spéciale, la procédure d'urgence retenue par le Gouvernement pour un projet de loi enregistré au mois de juillet 1998 et inscrit six mois plus tard à l'ordre du jour du Parlement, qui n'a disposé que d'un délai de deux mois pour en débattre alors que ses effets portent sur vingt ans.
Je regrette ensuite de voir le dialogue des deux assemblées « bridé » par le Gouvernement, en raison peut-être de cette tendance générale à la précipitation, que relève le dernier rapport du Conseil d'Etat.
Je sais que c'est une tentation assez généralement partagée par les diverses sensibilités de notre pays, mais l'aménagement de notre territoire et le tracé de ses perspectives d'évolution à vingt ans méritaient, à mon sens, qu'on donne un peu de temps au temps.
Il est également regrettable que le Gouvernement ait jugé bon de transformer, lors des comités interministériels pour l'aménagement et le développement du territoire, les CIADT, de 1997 et 1998, les axes de la politique d'aménagement du territoire, avant même d'avoir modifié la loi qui en fixe les principes. Ce faisant, le Gouvernement n'aurait-il pas préjugé la décision du législateur ?
Je ne m'étendrai pas ici sur le contenu même du projet de loi qui nous est soumis, ni sur le sens des amendements que vous soumettra la commission spéciale et que son président vient de développer. Le rapport écrit qu'elle a publié vous a, je l'espère, éclairé sur ces points.
A ce propos, permettez-moi de remercier, pour leur apport à ce travail, mes collègues de la commission spéciale, tout particulièrement Jean François-Poncet, président, Claude Belot, rapporteur, avec lequel nous avons déjà beaucoup travaillé en 1994, et Charles Revet, rapporteur pour la première fois dans cette assemblée et dont l'expérience nous a été fort utile.
Je m'attacherai, pour l'essentiel, à exposer les principes qui ont conduit les réflexions de la commission spéciale et inspiré ses positions. Je mettrai tout particulièrement en exergue l'importance des enjeux politiques que recèle l'aménagement du territoire.
Pourquoi, en effet, les textes qui interviennent en ce domaine suscitent-ils un tel intérêt et - vous l'avez dit, madame le ministre - une telle passion, parfois, au Sénat ?
Selon moi, deux raisons en sont la cause : tout d'abord, ces textes se situent directement au coeur du grand débat républicain sur l'égalité, débat qui est cher aux Français ; ensuite, l'aménagement et le développement du territoire suscitent beaucoup d'espoirs chez les citoyens et les élus locaux, espoirs parfois déçus, le président de la commission le rappelait tout à l'heure.
Ces sujets d'importance méritent, en conséquence, un débat clair et serein. C'est ce débat que nous souhaitons aujourd'hui pour le Sénat.
L'aménagement du territoire est au coeur du débat républicain sur l'égalité. Pour fixer le cadre de notre discussion, il faut rappeler avec force cette vérité parfois occultée.
Pourquoi l'aménagement du territoire suscite-t-il tant d'attentes ?
L'unité territoriale de la France constitue l'un des fondements de la République. Rassemblé, sous la féodalité, par des allégeances personnelles au suzerain, divisé, sous la monarchie absolue, par des droits divers et des coutumes disparates, le territoire n'est réellement unifié que par les premiers régimes constitutionnels et républicains.
Il est bel et bien le socle de l'Etat, l'une des composantes essentielles de la République. Celle-ci entretient donc une relation particulièrement étroite avec son territoire.
La Constitution du 3 septembre 1791 disposait d'ailleurs : « Le royaume est indivisible, son territoire est distribué en départements. » Le terme « distribué » a une importance fondamentale car il s'oppose au mot « divisé », qui aurait supposé une forme de fédéralisme. La France se conçoit elle-même non pas comme un agrégat de « peuples » ou de territoires disparates, mais comme une nation dont l'Hexagone et les départements et territoires d'outre-mer sont le foyer.
Le général de Gaulle, qui s'est affirmé sur la grande scène de l'Histoire en appelant à la reconquête physique du territoire national, a ensuite profondément contribué à enraciner cette longue tradition dans les institutions mêmes de la Ve République.
La contrepartie de cette indivisibilité de la République est la nécessaire solidarité territoriale. On peut débattre de l'étendue et de la forme de cette solidarité. Mais son principe ne peut être contesté sans toucher aux fondements mêmes de l'Etat républicain, sans attenter aux valeurs qui fondent l'engagement politique de la plupart des membres de notre Haute Assemblée.
« La France se nomme diversité » et toute la difficulté d'une politique efficace d'aménagement du territoire est de conjuguer harmonieusement cette pluralité, source de richesses et de dynamisme, avec la légitime aspiration des citoyens et des territoires à une plus grande égalité des chances. Madame le ministre, vous citiez tout à l'heure les différences de potentiel fiscal et certains écarts qui s'accroissent : 1 à 20 entre les communes, 1 à 6 entre les départements et 1 à 2,5 entre les régions.
La diversité des attentes des territoires est patente. D'ailleurs, pourrait-il en être autrement dans un pays dont la densité de population varie de 5 à 500, dont l'altitude va de 0 mètre à 4 807 mètres, dont le climat va du climat atlantique au climat continental ?
Oui, cette diversité s'exprime aussi bien dans l'opinion publique qu'au Parlement.
Dans l'opinion publique, les attentes des citoyens s'expriment vis-à-vis de l'Etat, garant de la solidarité entre les territoires. Pour s'en convaincre, il n'est que de voir les réactions au quotidien de nos concitoyens lorsque l'Etat s'avère incapable de garantir la sûreté des biens et des personnes pour cause de violences urbaines, voire la sécurité sur les routes nationales en raison de chutes de rochers.
Au Parlement, les débats sur l'aménagement du territoire doivent traduire les attentes de la population. Les travaux du Sénat ont d'ailleurs été l'une des caisses de résonance de ces préoccupations. Je citerai quelques dates clés : 1991, la loi d'orientation pour la ville ; 1992, le rapport de la mission sur l'espace rural, présidée déjà par M. Jean François-Poncet ; 1994, la mission sur l'aménagement du territoire « Refaire la France » ; enfin, 1996, ici même, le pacte de relance pour la ville. Tout cela, c'est aussi notre banque de données, à partir de laquelle nous avons travaillé au cours de ce mois.
Dans ce débat, le Sénat, auquel l'article 24 de la Constitution a confié le rôle de représenter les collectivités territoriales - monsieur le président du Sénat, vous y faites ô combien ! référence - a pris et doit prendre une part essentielle.
Je souhaite, ici, réaffirmer solennellement que c'est au Parlement que doit se dérouler le débat sur l'aménagement du territoire. Votre commission spéciale, mes chers collègues, vous proposera de réaffirmer son rôle et d'en tirer les conséquences dans d'importants amendements.
Comment ne pas être choqué en voyant, dans un journal paraissant cet après-midi même, la carte sur les zones éligibles à la prime d'aménagement du territoire qu'on nous a refusée la semaine dernière et que l'on a montrée en secret au Conseil national d'aménagement et de développement du territoire la semaine dernière ? (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Philippe Richert. Eh oui !
M. Gérard Larcher, rapporteur. N'est-ce pas mépriser la commission spéciale, n'est-ce pas mépriser le Parlement que d'avoir à ouvrir un journal paraissant l'après-midi pour recevoir enfin ce que nous demandions, ce qui me paraît, monsieur le président du Sénat, un droit essentiel du Parlement : être informé par l'exécutif quand celui-ci prépare un texte aussi important ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certains travées du RDSE.)
Oui, le débat sur l'aménagement du territoire est, mes chers collègues, une expression du débat français autour de l'égalité.
L'égalité est un objectif à atteindre bien plus qu'un acquis. C'est notre débat national permanent, qui parfois nous oppose.
Cette aspiration à l'égalité est exprimée par nos concitoyens.
Elle se reflète dans l'aspiration des Français à bénéficier de services publics dans des conditions égales sur tout le territoire. Les services publics constituent, en effet, un des volets de la réponse de l'Etat républicain aux aspirations égalitaires de nos concitoyens. Les services publics sont au coeur de l'économie et des valeurs humanistes d'un dispositif qui assure une cohérence territoriale reflétant l'unité du territoire et, au-delà, une solidarité sociale sur laquelle se fonde la permanence de l'idée nationale.
Cette ambition se traduit tout particulièrement au niveau des moyens de communication. Je ferai un peu d'histoire. La « postalisation » du territoire, dans la première moitié du xixe siècle, en unifiant le tarif du timbre poste avait pour objet de faciliter les échanges mais aussi de supprimer les discriminations entre Français. Les chemins de fer qui ont facilité les déplacements, les autoroutes qui ont amélioré le maillage en réseaux de transports, la péréquation géographique des tarifs de télécommunications participent de la même ambition et de la même nécessité.
Les décisions de maintien des services publics en zone rurale ou les initiatives en faveur des services publics dans les quartiers en difficulté traduisent la même quête de l'égalité. L'accès de tous aux services collectifs doit demeurer une priorité, même si les conditions de cet accès doivent être définies en fonction des réalités technologiques nouvelles. Telle est la conviction de la commission spéciale.
Le Sénat a toujours eu une vision dynamique de la recherche de l'égalité. C'est au Sénat, madame le ministre, qu'a été créé le concept, validé par le Conseil constitutionnel, d'une « discrimination territoriale positive », en refusant la fatalité de l'inégalité et en insistant, en la fondant sur la péréquation, notamment financière. Il s'est aussi toujours refusé à opposer ville et campagne, commune et agglomération, région et département, Europe et nation. Il s'est toujours refusé à accepter la métropolisation qui serait inéluctable et la désertification qui serait fatalité.
Il a, au contraire, constamment cherché à organiser leur complémentarité et leur synergie.
Toutefois, cette aspiration à l'égalité n'est pas uniquement citoyenne : elle s'exprime également parmi les collectivités territoriales.
Les rédacteurs des lois de décentralisation ont voulu que les collectivités territoriales soient réellement indépendantes et que l'une d'entre elle ne puisse exercer de tutelle sur une autre. Nous sommes d'ailleurs attachés à ce principe qui trouve une nouvelle expression dans la notion de « collectivité chef de file ».
Au Sénat plus qu'ailleurs, les revendications des collectivités pour davantage d'égalité se sont fait sentir.
L'objectif de péréquation et de réduction des écarts de ressources manifeste cette nécessité d'un équilibre entre les communes, les départements et les régions, et c'est un Francilien qui vous parle.
Cette aspiration à l'égalité s'affirme enfin au niveau des territoires eux-mêmes.
La diversité de la France justifie que l'on cherche à organiser un équilibre dynamique entre les espaces eux-mêmes.
Cette recherche doit prioritairement viser à unir les territoires urbains et les territoires ruraux, les territoires de montagne et les territoires littoraux, la France métropolitaine et la France d'outre-mer, mais aussi les régions en reconversion industrielles et les régions plus prospères.
La volonté de ces territoires de trouver de nouvelles formes d'organisation, qui correspondent d'abord à des territoires de projet, se traduit aussi aujourd'hui par la constitution des « agglomérations » et des « pays », lesquels permettent de créer de nouvelles formes de solidarité et de complémentarité. Elle s'exprime par le tryptique « schémas, contrat, projet », cher au président Jean-Pierre Raffarin.
Vous avez souhaité, madame le ministre, prendre la mesure des attentes de la population. Mais, pardonnez-moi de le dire, qui mieux que le Parlement est fondé à exprimer ces besoins, sur lesquels je souhaite insister à présent ?
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. Gérard Larcher, rapporteur. La protection et le développement du territoire doivent répondre aux attentes des citoyens, relayées par leurs élus, car la protection et le développement du territoire peuvent aller de pair.
Oui, le territoire est le bien commun de la nation.
Le territoire est « le patrimoine commun de la nation » dont les collectivités publiques sont, je le rappelle, « les gestionnaires et les garantes ». Cette formule est déjà, en elle-même, une invitation à la « durabilité », puisqu'elle mentionne la nation qui, élément intemporel, réunit les citoyens passés, présents et futurs dans une communauté de destin.
C'est pourquoi la commission spéciale proposera d'inscrire dans la loi une définition de la durabilité qui met en valeur l'équilibre dynamique entre la préservation des ressources que nous avons reçues et que nous devrons transmettre et la satisfaction des besoins actuels des citoyens.
De même, la commission spéciale a voulu compléter la notion de « schéma de services » - M. le président Jean François-Poncet a évoqué ce point - par celle « d'équipements » dont les besoins se font toujours sentir, notamment dans le domaine des infrastructures, pour permettre à la fois le désenclavement de territoires en difficulté et notre nécessaire cohésion avec l'Union européenne, élément également essentiel de notre débat.
Madame le ministre, si l'on connaît des territoires - vous en avez cité, mais il en est d'autres - traversés par des infrastructures qui ont peu ou n'ont pas de développement économique, on n'en connaît pas vraiment qui ont une réelle vitalité et qui restent enclavés !
La protection du territoire est, finalement, indissociable de sa mise en valeur et de son développement. D'aucuns seraient-ils tentés d'opposer la protection du territoire à sa mise en valeur et au développement ? Je suis heureux de vous avoir entendue nous dire tout à l'heure qu'aucun territoire n'était condamné à mort.
M. Paul Masson. Bonne nouvelle !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Céder à la tentation serait commettre une erreur de méthode : la protection et le développement vont de pair car, sans richesse, le territoire périclite et, sans territoire, la richesse n'existe pas. Le développement rural, comme la protection de l'environnement ont, d'ailleurs, trop souvent pâti de la dissociation de ces deux exigences.
C'est pourquoi la commission spéciale a eu à coeur d'associer le développement économique et la protection de l'environnement afin de favoriser l'activité humaine dans les territoires ruraux et les espaces naturels.
Elle considère les territoires ruraux et les espaces naturels comme les deux faces de la même médaille. L'un et l'autre sont à la fois distincts et complémentaires.
Distincts, car les territoires ruraux sont des lieux de production et ont vocation à un développement. Ils sont la source de richesse et d'activités. Une des raisons d'être de la politique d'aménagement du territoire est, à cet égard, précisément, d'éviter que la désertification de certaines campagnes ne les conduise à redevenir des espaces dits naturels, non par ambition, mais par abandon !
Complémentaires, car les espaces naturels sont l'un des atouts de l'espace rural.
La commission spéciale estime, en effet, que la protection de l'environnement peut être un facteur de développement même pour les territoires ruraux. Il est d'ailleurs révélateur que, selon une étude de la Caisse des dépôts et consignations, les parcs naturels régionaux aient été, dans les région rurales où ils existent, à la source d'un certain nombre de créations d'emplois.
Oui, toutes les parties du territoire sont également dignes d'être protégées, embellies mais aussi requalifées lorsque la négligence des hommes ou les nécessités économiques d'une époque - je pense aux charbonnages - les ont endommagées. Les zones urbaines, périurbaines ou rurales méritent une même attention. Gardons-nous de ne penser qu'aux zones « naturelles » et reconstruisons l'équilibre des zones « dénaturées » par les hommes eux-mêmes.
De ce point de vue, il y avait un oubli dans le projet de loi initial que le Sénat a souhaité réparer en créant un dispositif spécifique pour protéger les espaces soumis à une forte pression foncière, notamment à proximité des villes, et souvent abandonnés au laid et au précaire : combien d'entrées de villes - notre collègue Ambroise Dupont nous l'a montré - ont-elles ainsi été sacrifiées ?
Enfin, je dirai un mot sur les attentes de nos citoyens, qui me paraissent à la fois nombreuses et parfois contradictoires.
La politique d'aménagement du territoire repose avant tout sur une certaine vision de l'homme, cher Charles Revet, comme fin ultime de toutes les politiques publiques. C'est d'ailleurs l'objet de notre premier amendement que de le situer au coeur du territoire.
A côté d'aspirations générales et légitimes à la protection ou au respect de l'environnement, les Français manifestent le désir de trouver, où qu'ils soient sur le territoire, un emploi, un logement, des réseaux de communication routière, ferrée, téléphonique, un approvisionnement en eau et en énergie. En bref, la possibilité de se déplacer comme ils le souhaitent, d'exercer leur liberté de mouvement et de vivre à leur guise fait partie de la conception qu'ils ont de leur liberté individuelle.
Nos concitoyens sont-ils assez sensibles aux sacrifices que la satisfaction de ces besoins implique ? Le rôle de leurs représentants est de leur faire comprendre la nécessité de réaliser des arbitrages, dans le cadre du principe de « réalité ». Il revient au Parlement, dans son dialogue avec le Gouvernement, d'opérer ces arbitrages. En effet, la « durabilité » n'est pas la consécration de l'immobilisme ou l'institutionnalisation d'une certaine forme de malthusianisme.
Dans une société aujourd'hui majoritairement urbaine, il faut montrer aux Français que l'espace rural est non pas seulement un « paysage » en un lieu que les urbains s'approprieraient pour se « recréer », mais aussi un lieu de vie et de production. La forêt elle-même a été modelée et souvent sauvée par l'homme alors que, « pour trop d'observateurs rétrospectifs, elle semble un don spontané de la nature... »
M. Jean-Louis Carrère. Songeons aux Landes !
M. Gérard Larcher, rapporteur. « ... ce qui n'est vrai qu'à moitié. La relative fixité des lisières forestières de Louis XIV à nos jours risque d'être trompeuse ; rien n'est immobile dans la longue durée ».
Je terminerai cette intervention en évoquant les élus locaux, qui, à mes yeux, sont les médiateurs naturels de cette politique d'aménagement du territoire.
Dans un monde dont toutes les parties sont en concurrence, le territoire ne saurait vivre si les hommes et les femmes qui y sont installés ne cherchent pas à le développer. Dans ce combat permanent, les entreprises, l'Etat, ont un rôle majeur à jouer.
Cependant, tout autant décisive pour l'avenir d'un territoire, d'un village ou d'une ville m'apparaît l'action de ce demi-million de cadres-citoyens que sont les élus locaux. S'ils ne se lèvent pas, les entreprises et les administrations risquent fort de rester indifférentes aux réalités concrètes observées sur le terrain. Les élus locaux sont les véritables entrepreneurs du territoire. C'est pourquoi les périmètres géographiques dans lesquels les élus interviennent doivent être adaptés aux exigences d'aujourd'hui et de demain. Faute de cela, ces périmètres sans substance deviendraient une source de faiblesse. Je tiens, sur ce sujet, à souligner une fois de plus l'apport de nos collègues Charles Revet et Claude Belot, qui se sont montrés très attentifs à ces principes de réalité et à cette question centrale, au cours de nos travaux.
Dans un monde où tout bouge, la compétition entre les Etats se jouera sur ce qui bouge le moins : le territoire et les systèmes de solidarité collective dont dépend la qualité du tissu social. Là sera aussi la force des nations du xxie siècle.
C'est pour cette raison, mes chers collègues, que la politique d'aménagement du territoire constitue - il faut toujours garder cette vérité présente à l'esprit - l'un des facteurs déterminants de la compétitivité économique du pays et le gage de son rayonnement. Le territoire est l'un des « avantages comparatifs » de la France en Europe.
Alors que se constitue, peu à peu, un marché unique européen, cette politique d'aménagement et de développement durable du territoire doit permettre de mieux insérer notre économie dans les grands courants d'échanges transcontinentaux. Elle doit faciliter les liaisons aussi bien avec le pôle méditerranéen, qui est notre chance - nous oublions trop souvent notre lien avec le Sud - qu'avec l'Europe lotharingienne de Francfort, Bâle et Milan ou qu'avec Saragosse et Turin.
Le Gouvernement doit placer l'aménagement du territoire au coeur des politiques publiques et poursuivre l'effort de désenclavement et d'équipement du territoire français ainsi que celui qui est engagé en faveur des villes. Il doit également veiller à préserver, dans ce domaine, le rôle du Parlement, enceinte où doivent se décider, en concertation avec le Gouvernement, les grands choix qui engageront la France pour les vingt ans à venir.
Que l'on prenne surtout garde à ne pas négliger d'associer à cette politique tous les élus qui sont également les représentants de la démocratie. Il nous revient de représenter de façon équitable chacune des sensibilités qu'ils expriment. Tel est le fondement même de notre légitimité.
Qui pourrait croire en la France et à sa place en Europe sans avoir foi dans sa diversité ? Qui pourrait croire au regain du territoire sans s'appuyer sur le Sénat, qui en est l'expression naturelle ?
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.
M. Gérard Larcher, rapporteur. J'en terminerai, monsieur le président, en empruntant à Fernand Braudel cette citation : « La France aura vécu sans fin, elle vit encore entre le pluriel et le singulier : son pluriel, sa diversité vivace comme le chiendent ; son singulier, sa tendance à l'unité, à la fois spontanéité et volonté réfléchie. » Puissent la spontanéité et notre volonté réfléchie contribuer à l'aménagement du territoire ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Belot, rapporteur.
M. Claude Belot, rapporteur de la commission spéciale. Quel bonheur de rajeunir de quelques années (sourires), de se rappeler l'adoption à l'unanimité du texte ayant donné naissance à la loi du 4 février 1995, après des jours et des nuits de discussion, et de se retrouver, ardents, pleins d'espoir, madame le ministre, en la cause que vous êtes aujourd'hui chargée de défendre ! Comme vous l'avez compris en entendant les propos de Jean François-Poncet et de Gérard Larcher, le Sénat n'entend en effet pas combattre vos intentions.
Vous avez sans doute bien fait de mettre au goût du jour un certain nombre de concepts qui, lors des discussions ayant abouti au vote de la loi de 1995, n'étaient pas encore adaptés. Nous avions alors fait émerger les pays, nous raisonnions encore en termes d'infrastructures et non de schémas de services collectifs, même si cette notion est sans doute un plus.
Dans cette réflexion et dans ce combat pour la France, j'avais la responsabilité des affaires financières, dont je me permettrai de rappeler l'enjeu.
Madame le ministre, vous nous avez dit tout à l'heure - c'est du moins ce que j'ai cru comprendre - que la cause que vous défendiez était importante, mais non fondamentale. Soyez assurée qu'elle est vraiment fondamentale.
En termes financiers, il nous faut avoir conscience du fait que notre pays est l'un des rares à connaître une juxtaposition du vide et du trop-plein.
La France du vide coûte cher dans un pays fort heureusement attaché à la notion du service public, à l'égalité des prix ; le Gouvernement et l'Etat ont le devoir de faire fonctionner cette France du vide, même si les voitures circulant sur les routes et les plis à distribuer sont peu nombreux. Certes, les élus locaux se lamentent parfois sur la fermeture de telle ou telle école. Mais, dans l'ensemble, cette France du vide fonctionne.
La France du trop-plein, celle des banlieues, coûte aussi très cher, car l'on n'arrive pas à régler tous les problèmes sociaux que vous avez fort justement évoqués, madame le ministre.
Le déséquilibre du territoire - j'en ai la conviction absolue et nous devons tous en avoir conscience - explique à lui seul plusieurs points de prélèvements obligatoires ; cela doit être évidemment corrigé. Un pays moderne a donc besoin de mécanismes de correction. Rééquilibrer le territoire signifie non pas uniquement mettre davantage de vie en Lozère et un peu moins dans Paris intra-muros, mais aussi régler le problème des banlieues, qui, parisien à l'origine, touche maintenant toutes les métropoles dès lors qu'elles atteignent une certaine dimension.
Voilà l'enjeu ! Il n'est pas mince, d'autant plus que prospèrent sur ce terreau certains ferments qui pourraient mettre en péril la démocratie. Il ne faut donc pas plaisanter avec ce sujet. Vous défendez, madame le ministre, une grande cause à laquelle il vous faut croire !
Pour ce qui est des affaires strictement financières, je rappellerai simplement les propositions formulées par la commission voilà environ cinq ans.
Elle avait affirmé, sur l'initiative de M. François-Poncet, un principe fondateur, qui n'est pas dans les usages français, mais auquel elle avait essayé de trouver une première application pour les régions : la péréquation. Compte tenu du faible nombre des régions et du fait que la correction n'était pas très importante, comme vous l'avez très justement rappelé, c'était ce qu'il y avait de plus simple à faire. D'ailleurs, depuis, le dispositif ainsi expérimenté fonctionne bien.
Le principe de la péréquation était le suivant : au terme de vingt ans - voyez à quel point nous avions été prudents - il ne devait pas y avoir dans les ressources des collectivités publiques de rapport supérieur à plus ou moins 20 %, ce qui signifie que tout le monde, au terme de ce délai, devait s'inscrire dans le même ordre de grandeur, au même niveau.
Ce rapport est de 1 à 20 pour les communes, hélas ! ; il est de 2,5 pour les régions ; pour les départements, c'est à peu près la même chose.
Je me permettrai de dire que vous avez semblé sous-estimer le problème des régions, madame le ministre. En effet, celles qui sont à 2,5 au-dessus des autres sont aussi celles qui ne paient pas leurs universités, leur TGV, leurs routes. C'est encore un facteur aggravant, car les autres, quant à elles, devront bien y passer ! Mais peu importe.
Depuis l'acte fondateur de la loi de 1995, personne n'a fait quoi que ce soit en termes de péréquation. Ce matin, Jean-Pierre Chevènement, auditionné par la commission des finances du Sénat, a expliqué qu'il y avait la dotation de solidarité urbaine, la DSU, et la dotation de solidarité rurale, la DSR. C'est un geste de bonne volonté, mais - il faut bien avoir le courage de le reconnaître - ce n'est pas grand-chose !
Par conséquent, la péréquation est une intention. Vous nous répéterez sans doute au cours du débat - vous l'avez déjà dit dans votre discours liminaire - que vous êtes favorable à ce principe. Mais ce qu'il faut, madame le ministre, c'est passer aux actes et mettre en place la péréquation.
Certes, nous avons conscience de l'ampleur de la tâche et de la difficulté de votre combat à l'intérieur de certaines citadelles. (Mme le ministre sourit.) Tout cela est vrai. Nous avions rencontré les responsables dans ces domaines lors de la préparation de la loi de 1995, et avions constaté la difficulté à les amener à changer de logiciel de fonctionnement.
Mais nous avons également observé les effets du mécanisme péréquateur mis en place en Allemagne après l'unification de cette dernière : les régions allemandes riches, notamment la Bavière et la Rhénanie, ont financé un fonds de péréquation, ce qui a permis aux Länder de l'Est de bénéficier d'un effort d'équipement considérable ; et, même si le processus n'est pas terminé, cette mécanique en route aboutira, dans dix ans, à la disparition, en Allemagne, de différences de revenus entre les principaux territoires, alors que, à l'origine, les écarts de richesses étaient colossaux.
Madame le ministre, si la France, sous votre autorité, adoptait la même attitude, nous ferions alors oeuvre utile, en changeant beaucoup de choses, non seulement dans les territoires, sans doute, mais aussi dans la société française, ce qui est notre objectif à tous.
Enfin, nous ne vous proposerons pas la création de nouveaux fonds, mais nous vous demanderons seulement de faire fonctionner ceux qui existent.
Il faut souligner d'emblée que l'ensemble de ces fonds représentent approximativement 1/2000e du PNB français. C'est certes mieux que rien, mais on admettra que, pour un effort de développement et de rééquilibrage du territoire - et de la société, vous avez eu raison d'introduire cette dimension - 1/2000e, ce n'est pas grand-chose, et que d'autres choix seraient sans doute possibles.
Le principal d'entre eux, qui représente l'essentiel - pratiquement 80 % des crédits d'aménagement du territoire, soit approximativement 4 milliards de francs - c'est le fonds d'intervention pour les transports terrestres et les voies navigables. Toutefois, je vous mets en garde, madame le ministre, contre une ambiguïté. Selon le directeur des routes, en effet, Bruxelles exige que chaque autoroute ait sa propre rentabilité. Dans le cas inverse, il doit y avoir ou subvention ou interdiction. Si vous suivez cette logique, madame le ministre, vous ne pourrez donc plus prendre l'argent dans la caisse des sociétés autoroutières sur les tronçons rentables pour le transposer sur le TGV ou sur les voies navigables, alors que le TGV Est, notamment, est déjà assis, précisément, sur une participation de ce fonds.
Donc, optons pour un discours clair : ou l'Europe dit blanc et il faut faire blanc dans la loi, ou l'Europe dit noir et il faut faire noir, mais il ne faut surtout pas utiliser le discours à sa guise, uniquement de la façon dont cela vous arrange.
Ce que je vous dis là est très important car, si votre interprétation de la pensée européenne est la bonne, le risque que je décris est plus que sérieux.
Pour le reste, le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire, le FNADT, fonctionne avec une dotation d'un peu plus de 1 milliard de francs en investissements. S'il avait davantage, ce serait parfait, mais il fonctionne, il fait partie de ces dispositifs qui ont connu un début d'application, même si le fonds des transports terrestres et des voies navigables - j'y reviens - est utilisé pour des liaisons qui ne nous paraissaient pas prioritaires et s'il s'est pratiquement dilué dans le budget du ministère de l'équipement et des transports.
Pour ce qui est des autres fonds, force est de constater qu'ils ne fonctionnent pas.
Le fonds de gestion de l'espace rural, le FGER, auquel sont consacrés des chapitres très importants du projet de loi, n'est pas du tout alimenté cette année. Et, les années précédentes, il n'a pas fonctionné, tout simplement parce qu'il y a eu une dérive : ce fonds a été affecté - ce qui n'était pas du tout dans l'esprit ni dans la lettre de son texte créateur - à des opérations menées par les chambres d'agriculture, alors qu'il était théoriquement ouvert aux collectivités locales. Dans ces conditions, comme les crédits n'étaient pas consommés en fin d'année, on a supprimé ceux de l'année suivante et on en est arrivé aujourd'hui à un fonctionnement nul.
Pour ce qui est du fonds de péréquation des transports aériens, le FPTA, le système n'a pas fonctionné, alors qu'il était simple à mettre en oeuvre. Mais, à partir du moment où l'on a voulu faire venir à Orly des lignes à faible trafic - c'était structurel - dans une période où le créneau à Orly était un bien rare, il a fallu faire des appels d'offres européens. La conséquence a été immédiate : pas d'appel d'offres européen, pas d'éligibilité au fonds de péréquation des transports aériens, ce qui signifie que l'on n'a pas changé grand-chose. Ce système n'a pas fonctionné tout simplement parce que le pouvoir réglementaire a formulé des demandes lourdes de conséquences, trop lourdes pour que l'on se permette de renoncer à des lignes. Le choix s'est alors porté vers le maintien des lignes vers La Rochelle, Chambéry ou d'autres lieux. On a préféré préserver des lignes chères plutôt que de renoncer au transport aérien.
Vous me permettrez d'ajouter que, dans la loi de finances pour 1999, on est allé beaucoup plus loin, allant ainsi à l'encontre de l'esprit de la loi et du souhait qui, je crois, vous anime : les passagers qui embarquaient dans les petits aéroports ont été pénalisés, alors que ceux qui embarquaient dans les grands aéroports ont été favorisés.
Il faut le savoir aussi, le Fonds national des entreprises n'a jamais été doté à hauteur des problèmes qu'il avait à résoudre, et il n'a jamais eu aucune efficacité : 200 millions de francs de dotation en cinq ans, c'est-à-dire rien. Et, cette année, rien non plus.
Voilà. On pourrait écheniller tout le dispositif, mettre en exergue les inquiétudes et les éléments décourageants, nous ne trouverions en tout cas aucune trace de cette ardeur qui nous animait il y a cinq ans : cette ardeur, nous ne l'avons pas trouvée dans l'administration française - ni la vôtre, madame le ministre, ni la précédente, je le dis très honnêtement - pour appliquer l'esprit des textes.
Je le répète, nous ne toucherons pas aux fonds, nous vous demanderons seulement de les faire fonctionner, d'introduire quelques dispositions pour les territoires fragiles. Dans certains cas, des législations exceptionnelles sont en effet nécessaires, ne serait-ce que pour pouvoir bénéficier des mêmes possibilités qu'ailleurs. Tel sera l'esprit des amendements qu'a déposés Jean-Pierre Raffarin sur le capital-risque dans des zones fragiles, sur la possibilité de mobilisation de l'épargne locale : tout cela nous semble bel et bon et nous paraît utile.
Vous avez, par ailleurs, beaucoup évoqué la notion de pays, madame le ministre, et vous avez eu raison.
Comme quelques autres ici, notamment le président François-Poncet, je suis fondateur d'un pays. C'était en 1975 ! Au fil des années, nous avons amélioré le système et, aujourd'hui, le département dont je préside le conseil général est totalement couvert en pays. Cela fonctionne bien et nous essayons de mettre en oeuvre des projets. C'est pourquoi, lorsque vous nous demandez de faire du pays un territoire de projets, je pense qu'il s'agit d'une bonne idée et que celle-ci est applicable. Et, à nos collègues qui pourraient être réticents, je dis qu'ils ont bien tort.
Encore faut-il que la loi et les règlements ne contiennent pas de dispositions qui empêchent l'optimisation de l'outil qui devra automatiquement supporter un pays, qu'il s'agisse d'un syndicat mixte, d'une communauté de communes ou d'une autre structure. Quoi qu'il en soit, dans cette France si diverse, avec certains départements comptant 60 000 habitants quand d'autres en dénombrent plusieurs millions, il est évident qu'on ne peut pas appliquer la même norme partout. Ainsi, dire qu'un pays doit compter au maximum 60 000 habitants - c'est ce que prévoit le texte pour le versement de la dotation de développement rural - cela a du sens dans certaines zones, mais strictement aucun dans d'autres. Cela oblige, au demeurant, les acteurs à des contorsions, à des « saucissonnages » et à des pertes de temps et d'argent, ce qui n'est pas l'objectif visé ici.
Madame le ministre, l'ardeur et l'espoir nous animent toujours autant. Ce que nous attendons de vous, c'est que vous fassiez vivre cette politique d'aménagement du territoire. Permettez-moi de vous dire en conclusion que c'est possible, et que cela dépend en grande partie de vous. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Revet, rapporteur.
M. Charles Revet, rapporteur de la commission spéciale. Madame le ministre, vous soumettez aujourd'hui à l'examen du Parlement - aujourd'hui du Sénat - un projet de loi intitulé : « Projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire ». Vous nous indiquez que cette démarche s'inscrit dans une perspective à vingt ans, soit l'équivalent d'une génération. C'est dire, s'il en était besoin, l'importance des décisions que nous allons prendre.
Un tel enjeu eût mérité plus de temps aux yeux de votre commission spéciale et de vos rapporteurs : je pense spécialement à mes collègues Gérard Larcher, qui a été le principal acteur de nos travaux, et Claude Belot, tout autant qu'aux services de la commission, qui nous ont apporté un précieux concours.
Je tiens à dire ma satisfaction d'avoir participé aux travaux de cette commission spéciale, monsieur le président François-Poncet, et à souligner le travail constructif qui a été réalisé. J'en remercie particulièrement, encore une fois, M. Gérard Larcher.
Nous discuterons, au fur et à mesure de l'examen des articles, des schémas que vous nous proposez, madame le ministre, notamment pour la préparation des futurs contrats de plan. Je pense, bien sûr, aux agglomérations et aux pays, qui constituent pour vous aussi, je l'ai bien noté, des espaces de réflexion et de projets. Cela sous-tend que les pays n'ont pas a priori vocation à s'organiser pour assumer des maîtrises d'ouvrage ni à devenir un échelon territorial supplémentaire.
S'agissant du projet de loi que vous nous soumettez, la première question que l'on doit se poser, me semble-t-il, est la suivante : pour quoi et pour qui aménager le territoire ?
Pour ma part, je préférerais inverser ces termes. En effet, si le « pour quoi » est le constat qui justifie la démarche que l'on engage et le cahier des charges à prendre en compte, le « pour qui » est la finalité que l'on donne à l'action.
Le constat, il s'impose à nous : 80 % de la population vivent sur 20 % du territoire. Dans le même temps, des pans entiers du territoire se désertifient.
Mais le constat, c'est surtout une urbanisation où l'on a trop souvent oublié ce qui aurait pourtant dû être la priorité : la place de l'homme. A cet égard, je suis un peu surpris, je vous ne le cache pas, de constater que, dans votre exposé des motifs, vous faites bien peu référence à cette finalité qu'est l'homme. Mais vous venez, il est vrai, de l'évoquer voilà quelques instants dans votre intervention.
Oui, madame le ministre, il faut réaménager le territoire, car le fait que 80 % de la population vivent sur 20 % du territoire, ce n'est pas une fatalité. Que bientôt 10 % de la population soient au-dessous du niveau de pauvreté, ce n'est pas une fatalité. La délinquance, la violence qui sont les conséquences tout à la fois du chômage et de la « guettoïsation », ce n'est pas une fatalité.
Bien sûr, dans la démarche que nous engageons, il faut prendre en compte ce que j'appelle le cahier des charges, dans lequel nous devons inscrire la mondialisation de l'économie et la construction de l'Europe. A cet égard, madame le ministre, nous vous proposerons d'élargir les possibilités de coopération transfrontalière.
Nous devons aussi prendre en compte la préservation de la faune et de la flore et, dans cet esprit, les espaces naturels qui la conditionnent. Trouver un bon équilibre entre le milieu urbain, le territoire rural et les espaces naturels, tel est l'objectif que nous devons nous fixer.
Il me paraît important de réaffirmer qu'il n'y a pas incompatibilité entre la présence de l'humain et la préservation de la nature. L'orientation que voudraient certains consistant à agglomérer les hommes sur un espace réduit en leur permettant d'aller s'oxygéner le temps des vacances ou le week-end n'est pas la perspective que bon nombre d'entre nous envisagent.
A un moment où, tous, nous recherchons des axes de développement générateurs d'emploi, une démarche volontariste de reconquête du territoire peut constituer un enjeu tout à la fois économique, social et environnemental. Pour cela, il faut de la volonté, et certainement du courage.
Une politique, cela se conduit ou se subit. La subir nous a menés à la situation que nous connaissons ; la conduire, c'est offrir des perspectives nouvelles à celles et à ceux qui nous en ont confié la mission.
Il y a, de la part de nos concitoyens, une aspiration forte à vivre autrement. Je suis, madame le ministre, président de l'office public d'aménagement et de construction de mon département qui gère 27 000 logements. Le constat est simple : alors que j'ai des listes d'attente que je ne sais résorber dans les villes moyennes, dans les bourgs ou dans les communes rurales, il existe, dans certaines banlieues, des immeubles où l'on constate un taux de vacance supérieur à 30 %.
Il faut que nous nous donnions les moyens de répondre aux attentes, en restructurant en profondeur certains quartiers. Il faut, en quelque sorte, recréer le village à la ville, ce qui implique de fortes restructurations. Dans cet esprit, nous proposons d'ouvrir la possibilité de mettre en place, chaque fois que nécessaire, des établissements publics fonciers nationaux, opérateurs fonciers pour le compte des collectivités locales.
Dans le même temps, il faut que nous réfléchissions à la mise en place d'outils plus adaptés en matière d'urbanisme. La commission créée à cet effet par M. le président François-Poncet, et que préside notre collègue Pierre Hérisson, fera, le moment venu, des propositions allant, je l'espère, dans le sens d'une simplification.
Combien de fois les maires de nos communes sont-ils, pour quelques constructions chaque année, confrontés à des blocages et à des interdictions sur le bien-fondé desquels on est en droit de s'interroger ?
Engager une politique forte en matière de réhabilitation, de construction ou de reconstruction de logements aura, bien sûr, une répercussion en matière d'emploi.
Il faut aussi, dans cette démarche, prendre en compte l'aspiration de bon nombre de nos concitoyens à accéder à la propriété.
Une politique de reconquête du territoire implique le maintien ou la réimplantation des services de proximité publics ou privés, voire des deux conjugués, mais aussi la revitalisation, chaque fois que possible, du transport collectif. Combien de villes qui disposaient de lignes de tramway ou de trolleybus les ont vu disparaître pour les recréer aujourd'hui sous une forme plus moderne ! Un système similaire peut être imaginé en d'autres lieux du territoire en s'appuyant sur des axes existants abandonnés, mais qui peuvent à moindre coût être réactivés. Il est important de disposer de TGV et d'autoroutes pour des déplacements rapides, mais les lignes secondaires, sous des formes d'utilisation modernisées, de type navette, peuvent permettre un bon maillage du territoire.
Enjeu économique, mais aussi enjeu social : il est évident qu'en créant un cadre de vie différent on contribue à résoudre nombre de problèmes sociaux.
Reste l'environnement, dont nous savons qu'il vous est cher, madame le ministre. Nous en sommes, croyez-le bien, tout autant préoccupés que vous.
La France est le pays du monde qui accueille le plus grand nombre de touristes. Qu'est-ce qui attire autant les étrangers, sinon la richesse de ses paysages, ses monuments, ses villes et ses villages où l'on retrouve tant de diversité ? C'est l'oeuvre des hommes. Ce que nos aînés ont fait hier, nos concitoyens sont capables de le préserver et de l'enrichir.
Madame le ministre, ce projet d'aménagement et de développement durable du territoire que vous nous proposez, il nous faut, bien sûr, l'inscrire dans le phénomène de mondialisation de l'économie, et il faut le faire en cohérence avec la politique de construction de l'Europe.
Il nous faut concevoir des agglomérations structurées, prendre en compte les territoires ruraux - l'agriculture, qui y est un acteur essentiel, mais aussi tout ce qui fait le milieu rural - préserver les espaces naturels indispensables pour un bon équilibre ; mais n'oublions pas, n'oublions jamais, qu'aménager le territoire, c'est créer un cadre qui permet l'épanouissement de l'homme. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jacques Valade remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 74 minutes ;
Groupe socialiste, 62 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 48 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 46 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 29 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en examinant aujourd'hui le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, puis, ultérieurement, le projet de loi sur l'organisation urbaine et la simplification de la coopération intercommunale et, enfin, celui sur l'intervention économique des collectivités locales, nous ouvrons le champ d'une profonde recomposition, pour les vingt prochaines années, de notre paysage institutionnel territorial.
Votre projet de loi, madame la ministre, s'il se limite à une révision partielle de la loi du 4 février 1995, révèle néanmoins une nouvelle conception de la politique d'aménagement du territoire : moins centralisée, moins dirigiste et plus soucieuse d'intégrer les variables sociales et environnementales dans le développement économique de l'ensemble du territoire national.
A cet égard, notre groupe ne peut qu'approuver la volonté du Gouvernement de remettre sur le métier, sans plus attendre, une loi comprenant de nombreuses lacunes et incapable de répondre en des termes nouveaux aux exigences et aux besoins des populations.
Il est vrai que cette loi n'avait été que très partiellement appliquée, notamment le schéma national d'aménagement et de développement du territoire, resté lettre morte, alors qu'il était présenté comme le dispositif central de la réforme.
Dès lors, mes chers collègues, peut-on reprocher à ce même gouvernement de ne pas avoir mis en oeuvre ce texte, combattu en son temps par la gauche, alors que le gouvernement de M. Juppé n'a pas su, ou pas voulu, le faire ?
Mme Hélène Luc. Eh oui !
M. Gérard Le Cam. Le principal reproche que notre groupe formulait à l'encontre de la loi dite « Pasqua » est qu'elle se fondait sur une approche libérale de la politique d'aménagement du territoire, celle qui consiste à distribuer d'en haut, de façon autoritaire, des points de croissance à telle ou telle partie du territoire selon les retards de développement observés ou selon les stratégies de compétition internationale.
De ce point de vue, à l'évidence, la loi de 1995 n'a pas su rompre avec une approche pyramidale, sectorialisée et dirigiste de l'aménagement du territoire, orientée de surcroît dans une optique de rendement maximal des territoires au mépris de leurs spécificités, et des exigences nouvelles qui se manifestent en termes de sécurité de l'emploi, de qualité de vie et de préservation des équilibres écologiques et environnementaux.
Pour autant, l'Etat ne doit pas déserter le terrain de la gestion des espaces et des projets locaux ; bien au contraire, il doit le réinvestir dans sa globalité, dans le respect des compétences de nos institutions territoriales.
Comment pourrions-nous, en effet, nous satisfaire d'une propension croissante de l'Etat à se délester de plus en plus sur les collectivités locales, abandonnées à leur propre sort, et n'intervenant que de façon ponctuelle dans des situations d'urgence pour voler au secours des régions dévastées par les restructurations industrielles, la désertification rurale ou la fermeture de services publics de proximité ?
D'un Etat jadis omnipotent, décidant à la place des acteurs et des élus locaux sans concertation ni consultation, nous serions passés à un Etat alibi d'un système économique inscrit dans une logique libérale qui délocalise les activités productives, accroît les inégalités sociales et, finalement, assujettit les hommes et les décideurs locaux aux aléas de la mondialisation financière.
A mon sens, la puissance publique, sans être le moteur de toute politique d'aménagement du territoire, ne saurait se réduire à être la roue de secours d'une machine sans conducteur lancée dans une course effrénée à la productivité et la compétitivité internationale.
C'est pourquoi la mise en oeuvre d'une politique nationale d'aménagement et de développement du territoire est indissociable de politiques publiques fortes, ambitieuses pour notre pays et génératrices d'emplois, d'activités et de cohésion sociale.
A cet égard, madame la ministre, ce projet de loi reste muet sur les moyens que l'Etat devra mobiliser pour assurer la réalisation des schémas de services collectifs et atteindre les objectifs ambitieux que vous vous êtes fixés.
Or, force est de constater que les collectivités locales n'auront pas, seules, les moyens de leurs projets, si l'on ne prévoit pas d'engagement financier supplémentaire.
Le principe de la création de fonds régionaux pour l'emploi et le développement, adopté par l'Assemblée nationale sur l'initiative des députés communistes, doit vous aider à poursuivre une vaste réforme des aides publiques en faveur de la création d'emplois et des transferts de technologie vers les petites entreprises, qui contribuent directement au développement économique des territoires.
La mobilisation du système bancaire est nécessaire pour réorienter la politique du crédit vers les investissements réellement productifs, sur la base de projets de développement durable.
Aussi, ce que nous préconisons, c'est une logique inverse de celle qui a mené notre pays à un vaste mouvement de privatisations et de resserrement des crédits, qui n'a fait qu'accroître les déséquilibres socio-économiques et ce que l'on nomme pudiquement la « fracture territoriale ».
C'est pourquoi, mes chers collègues, j'avoue m'interroger lorsque j'entends certains de vos amis gloser sur le renoncement à toute stratégie nationale qui caractériserait ce texte via l'abandon du schéma national d'aménagement et de développement du territoire, le SNADT, alors que vous n'avez cessé d'organiser le démantèlement de la maîtrise nationale de notre potentiel industriel et commercial, et soutenu les abandons successifs de souveraineté.
Le remplacement du schéma national par les schémas de services collectifs marque la volonté de ce gouvernement de mieux prendre en compte les besoins des populations en valorisant les initiatives locales plutôt qu'une logique d'offre centralisée qui répond davantage aux exigences des firmes multinationales qu'à celles d'une réelle ambition d'occupation harmonieuse et équilibrée du territoire.
A titre d'exemple, la stratégie du tout-TGV, dès lors qu'elle n'était pas accompagnée des moyens de modernisation et de développement des lignes classiques, a eu pour conséquence majeure de segmenter le territoire et de marginaliser des régions entières.
Pour autant, la suppression du schéma national n'exclut pas la nécessité d'une cohérence nationale entre les schémas de services collectifs et de leur articulation avec les schémas régionaux.
A défaut d'être le seul et unique inspirateur de la politique d'aménagement du territoire, l'Etat est seul à même de garantir l'unité nationale et l'égalité des citoyens sur le territoire.
Cela passe par de nouvelles péréquations interrégionales mais aussi intrarégionales permettant de réduire les écarts de richesse sur le territoire. Cela passe aussi par la modernisation des services publics, accessibles à tous, notamment aux plus défavorisés, et par une relance judicieuse et circonstanciée des investissements publics, dans le cadre, notamment, des contrats de plan Etat-régions.
De toute évidence, vingt-deux politiques régionales d'aménagement ne feront jamais une politique nationale s'il n'existe pas une régulation et une mise en cohérence des choix locaux, non pour brider les initiatives particulières, mais pour valoriser et promouvoir les atouts de nos régions.
Cette nécessaire cohérence suppose, enfin, que le Parlement soit plus étroitement associé aux projets de schémas de services collectifs.
A l'évidence, le texte initial méritait d'être remanié sur ce point, notamment par l'examen d'un projet de loi fixant les orientations de la politique d'aménagement du territoire et les conditions de leur mise en oeuvre dans les schémas de services collectifs deux ans avant l'échéance des contrats de plan Etat-régions.
Cependant, les premiers décrets d'application devant être adoptés avant le 31 décembre 1999, il me paraît difficile d'admettre que l'expression parlementaire soit, en quelque sorte, mise entre parenthèses d'ici à 2004, dans le seul souci d'accélérer la mise en oeuvre de ces schémas en articulation avec la nouvelle génération de contrats de plan à partir de l'an 2000 jusqu'à 2006.
C'est pourquoi nous proposerons qu'une loi soit soumise au Parlement avant la fin de l'année, sans ignorer cependant les difficultés de calendrier que cela posera à notre administration.
La représentation nationale doit être en mesure de veiller à un meilleur contrôle de la politique engagée par le Gouvernement sur des choix qui engagent notre pays sur plusieurs décennies.
L'existence d'un cadre national cohérent quant à l'application des grands choix stratégiques en matière d'occupation de l'espace suppose, enfin, que les schémas de services ne préfigurent pas, à plus long terme, une intégration au futur schéma de développement de l'espace communautaire, le SDEC.
Le respect du principe de subsidiarité est d'autant plus justifié dans ce domaine que l'aménagement du territoire ne fait pas partie des compétences de l'Union européenne.
Or, l'article 1er précise que la politique nationale d'aménagement du territoire « participe à la construction de l'Union européenne » et l'article 2, que l'Etat est chargé d'assurer « la mise en cohérence de la politique nationale d'aménagement du territoire avec celle mise en oeuvre dans le cadre européen ».
S'il s'agit d'orienter nos territoires vers la prise en compte des options libérales et fédérales de Bruxelles, nous ne pourrons souscrire à une telle approche. Auquel cas, il nous faudrait assister à une recentralisation des compétences vers la Commission de Bruxelles, engagée elle-même dans un dialogue direct avec les exécutifs régionaux.
Sur ce point, madame la ministre, le texte est par trop ambigu et laisse planer l'idée d'une Europe des régions, les régions étant elles-mêmes fédérées en pays et en agglomérations.
D'aucuns rêvent ici d'une Europe intégrée dans laquelle des structures jugées archaïques, tels le département, la commune, seraient vouées à disparaître pour laisser place à des entités agglomérées dépourvues de tout contrôle démocratique et taillées sur mesure pour affronter la compétition économique mondialisée.
A la concentration des activités économiques viendraient se joindre, pour mieux la servir, la concentration des pouvoirs politiques entre les mains de quelques potentats locaux sans légitimité populaire réelle.
Le rôle pivot, désormais reconnu dans ce texte aux régions, ne doit pas évincer le département qui contribue à l'aménagement du territoire en favorisant la coopération entre collectivités communales et en assurant la pérennité du lien social.
La structure départementale doit, à notre sens, être associée plus étroitement à l'élaboration et à la mise en oeuvre des projets locaux.
A ce sujet, je me félicite des modifications apportées par l'Assemblée nationale qui contribuent, bien qu'insuffisamment, à redonner sa place au département.
S'agissant plus précisément des pays, il doit être possible de conforter davantage encore l'implication des représentants du département pour ne pas laisser au seul préfet de région le soin d'assurer la tutelle administrative de ce qui doit demeurer, à nos yeux, un espace de réflexions et de projets aux contours souples et évolutifs.
Certes, madame la ministre, ce texte n'affecte aucunement les prérogatives des départements, mais en confortant le rôle de la région, d'une part, pour en faire un véritable « chef de file » de la politique d'aménagement du territoire, et en valorisant des structures supracommunales telles que les pays ou les agglomérations, d'autre part, nul doute que cette institution issue de deux siècles d'histoire sera marginalisée et cantonnée à un strict rôle social, et, pour tout dire, humanitaire.
Comprenons-nous bien, il ne s'agit pas pour nous de défendre les départements par archaïsme ou je ne sais quelle nostalgie ; si nous sommes tant attachés à cette structure, c'est aussi parce qu'elle représente pour la plupart de nos concitoyens un espace démocratique dans lequel ils se retrouvent et s'identifient.
Si le département ne dispose pas du monopole de la pertinence en matière d'aménagement du territoire, il n'en demeure pas moins vrai qu'il dispose d'atouts incomparables dans la capacité à apporter des réponses adaptées aux besoins des populations. Ce qu'il faut craindre, ce n'est pas tant de nouvelles formes de coopération et de mise en commun des moyens et des objectifs entre collectivités locales, mais bien plutôt la dilution des assemblées démocratiquement élues au profit de structures intermédiaires dotées de compétences sans cesse croissantes et sans que les citoyens n'aient de prise réelle sur les choix qui leur seront imposés.
Là où votre texte, madame la ministre, semble quelque peu minorer le rôle et les missions du département dans l'aménagement du territoire, le projet de loi de M. Chevènement paraît, quant à lui, « resituer » la place de la commune.
C'est pourquoi le pays suscite dans nos rangs les plus vives inquiétudes s'il devait être conçu comme le vecteur de regroupement des communes pour constituer à terme une structure intercommunale à fiscalité propre et devenir un échelon administratif supplémentaire, une pompe à compétences venant se substituer aux échelons traditionnels et démocratiques.
Que dire par ailleurs des communautés d'agglomérations assimilées à de véritables carcans administratifs qui contraignent plus qu'elles ne favorisent une démarche volontaire et solidaire de coopération de la part des communes ?
Un empilement excessif de strates institutionnelles ne peut que contribuer à éloigner les citoyens des décisions qui les concernent à un moment où le désintéressement vis-à-vis de la chose publique s'accentue.
Il ne s'agit pas nécessairement d'avoir à choisir entre telle ou telle institution. Nous n'échapperons pas en revanche à une clarification des compétences et des prérogatives entre les instances élues qui organisent et décident des projets à mettre en oeuvre et des structures intermédiaires chargées de l'élaboration et du suivi de projets ciblés.
C'est dans un cadre constitué autour de la commune, du département et de la région, à la fois stable et équilibré, que les projets de développement portés au sein de pays ou d'agglomérations doivent se concevoir et se réaliser. C'est cette conception que notre groupe défendra au cours de ces prochains jours.
Enfin, nous ne pouvons que regretter qu'un sort meilleur n'ait pas été réservé aux services publics dans le cadre des schémas de services d'une part et parmi les objectifs de la politique nationale d'aménagement du territoire, d'autre part.
Je crois pourtant qu'un véritable débat aurait été nécessaire sur la place et les missions des services publics qui, loin d'être une charge pour la société, constituent des éléments structurants et novateurs dans le développement des activités économiques en France.
Encore faut-il sortir d'une approche strictement comptable en ne laissant d'autre alternative qu'entre le dépérissement des services publics ou la fuite en avant vers les privatisations, comme le suggère d'ailleurs un amendement de la commission spéciale qui vise ni plus ni moins à ouvrir au privé la gestion des maisons de services publics.
Sur ce dernier point, M. Zuccarelli s'était engagé devant le Sénat, lors de l'exeman du projet de loi relatif aux relations des citoyens avec les administrations, sur l'absence de coût supplémentaire pesant sur les collectivités locales, ainsi que sur la garantie de statut des agents mis à disposition.
Il s'agit donc de traduire ces engagements dans l'article 22. Tel est le sens des amendements que nous défendrons.
Dans le prolongement de la loi de lutte contre les exclusions, les maisons de services publics doivent être considérées comme un complément, un « plus » pour les usagers, notamment les plus défavorisés dont il convient de faciliter les démarches. En aucun cas, ces maisons ne doivent venir se substituer aux services existants avec des suppressions de postes et de crédits à la clé.
Compte tenu des contraintes budgétaires auxquelles sont soumises bon nombre de collectivités locales, l'Etat doit s'engager, sur la base d'une convention conclue avec les établissements publics concernés et les collectivités, à compenser les charges résultant de la constitution de maisons de services publics.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Gérard Le Cam. Les services publics tiennent en France un rôle majeur, qu'il nous faut garantir et amplifier si nous ne voulons pas que cette loi reste à l'état de projet.
Aussi, la suppression d'un service public de proximité dans un village ou dans un quartier urbain n'est pas seulement l'aveu d'un échec de notre société ; c'est surtout une hypothèque sur l'avenir et le développement futur des zones en voie de désertification ou d'isolement. En effet, ce sont bien souvent, mes chers collègues, les investissements publics qui entraînent les investissements privés et la création d'un service public qui amorce le redémarrage de l'activité économique et de la création d'emplois. A cet égard, les services publics jouent un rôle pilote dans l'intégration et l'unité du territoire.
Que l'on réfléchisse à de nouvelles formes de modernisation et d'adaptation des services publics est certes nécessaire, si toutefois on ne remet pas en cause les principes républicains et démocratiques qui caractérisent le service public à la française.
La référence faite dans ce texte, à plusieurs reprises, à la notion diffuse de « service universel » est, à tout point de vue, source d'inquiétude, dans la mesure où cette conception, étrangère à notre droit, correspond à une vision minimaliste et quasi résiduelle de la notion de service public.
L'introduction d'une partie de la directive postale européenne n'est pas acceptable.
Un projet de loi de transposition de la directive était annoncé pour les mois à venir. Nous demandons solennellement au Gouvernement de reporter l'examen de cette disposition inscrite à l'article 15 bis.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Gérard Le Cam. La précipitation dans ce domaine ne saurait nous exonérer d'une réflexion approfondie et concertée sur l'avenir de La Poste à l'aube du prochain siècle.
Les Français ne comprendraient pas qu'on décide, au détour d'un amendement, de la définition d'un « service universel postal » dans le plus grand secret, sans que les usagers ni même les salariés aient été tenus informés.
Nous proposerons, en conséquence, la suppression de cet article, qui ignore par ailleurs - c'est un comble dans un texte de cette nature ! - la prise en compte des territoires et des besoins des usagers.
Quel sera l'impact de cette loi d'aménagement durable du territoire, madame la ministre, si chaque jour, chaque semaine, chaque mois, nos concitoyens constatent le déménagement ? En Côtes-d'Armor, comme dans l'ensemble de la Bretagne, les exemples ne manquent pas : fermeture de postes d'enseignants, transformation des ZEP en REP en milieu rural, fermeture du centre de télécommunications spatiales de Pleumeur-Bodou, fermeture de maternités, restructuration des hôpitaux, généraux et psychiatriques, délocalisation de l'aviculture... Je m'arrête là et reste persuadé qu'ailleurs c'est identique.
M. Josselin de Rohan. Est-ce le Gouvernement actuel qui fait tout cela ? C'est un affreux Gouvernement ! (Sourires.)
M. Charles Revet, rapporteur. Quelle catastrophe ! Mais c'est l'expression de la vérité.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Cela ne nous empêche pas de dire ce que nous avons à dire !
M. Gérard Le Cam. N'y aurait-il plus d'argent dans ce pays ? Ou plutôt, ces milliards de francs, qui devraient servir à l'aménagement du territoire, s'en vont au service d'une mondialisation toujours plus boulimique.
L'efficacité de cette loi et la confiance qu'elle pourra inspirer ne vaudront que par le concret et le constatable ; il m'apparaît donc indispensable que les tendances actuelles au déménagement par le vide que je viens de décrire soient stoppées et inversées.
Le passage au Sénat de votre projet de loi, madame la ministre, doit nous donner l'occasion d'approfondir et de compléter utilement les propositions adoptées par les députés.
Cependant, au regard de certains amendements déposés par la commission spéciale, il est à craindre un retour à la loi de 1995 sous une forme, certes plus sophistiquée, mais inscrite dans une logique dirigiste et verticale fondée sur une conception de l'aménagement du territoire assurant d'abord la satisfaction des exigences économiques européennes et internationales au détriment des considérations locales, sociales et environnementales.
En conclusion, notre groupe se situe dans une démarche constructive prenant acte des avancées issues des travaux de l'Assemblée nationale, conscient aussi des imperfections qui restent et des dérives possibles. Nous formulerons des propositions cohérentes dans le souci d'améliorer le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la politique d'aménagement du territoire n'est pas une novation dans notre pays. Très centralisée dès l'origine, à l'image des structures administratives de la France, elle s'est affirmée par un volontarisme très net et des étapes successives parfois contradictoires.
Dans un premier temps, priorité a été donnée à la reconstruction pour résoudre la crise du logement née après la guerre, d'une progression de la démographie, de l'industrialisation et de l'exode rural, et qui est à l'origine des déséquilibres urbains unanimement dénoncés aujourd'hui.
Puis, il y eut une maîtrise de l'accroissement excessif de la région parisienne et des grandes métropoles avec, à la fois, la création de villes nouvelles et la déconcentration industrielle autoritaire menée par la DATAR.
La politique d'aménagement du territoire a marqué le pas vers le milieu de la décennie soixante-dix avec le début de la crise économique et de la paupérisation de l'Etat.
Enfin, elle a tenté de mieux prendre en compte, dans la dernière décennie, les notions de qualité de vie, de développement équilibré de l'ensemble du territoire, essayant, mais timidement, de replacer l'homme au centre des dispositifs.
Les socialistes ont été des moteurs dans cette évolution. Les lois de décentralisation ont transféré vers les collectivités locales une partie des pouvoirs de l'Etat. Elles ont maintenu nos 36 000 communes,...
M. Charles Revet, rapporteur. C'est un bien !
M. Jacques Bellanger. ... ce qui fait de la France un cas particulier en Europe de l'Ouest.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il faut le conserver !
M. Jacques Bellanger. Les régions se sont vu reconnaître un rôle moteur dans l'aménagement du territoire. La loi électorale a été modifiée pour les communes d'une certaine importance, leur assurant ainsi la stabilité de gestion nécessaire à l'exercice de leurs nouveaux pouvoirs tout en permettant la représentation des minorités. Et ce n'est pas de notre fait si la même réforme n'a pu encore se faire à l'échelon des régions où l'absence de majorité est parfois un élément paralysant de l'aménagement du territoire. Enfin, les contrats de plan mis en place par Michel Rocard ont institué la contractualisation des engagements de l'Etat et des collectivités territoriales et une harmonisation dans le temps de leurs projets.
Nous sommes fiers de ce bilan. Dans cette assemblée qui se veut à la fois représentative du territoire et grand Conseil des communes de France, nous avons la certitude d'avoir été acteurs de la politique d'aménagement du territoire, mais, pour autant, cela ne signifie pas qu'il ne soit pas aujourd'hui nécessaire de l'adapter, de la réformer, de progresser en fonction de l'expérience et des nouvelles donnes nationales et internationales.
En 1995, le Sénat adoptait une nouvelle loi d'aménagement du territoire assez éloignée, en matière de péréquation financière, des propositions de la mission d'information du Sénat. De nombreux textes d'application n'ont pas été publiés ou n'ont pas eu de suite. Nous avons eu l'occasion, le 10 décembre dernier, de nous expliquer sur ce sujet. Je n'y reviendrai donc pas, sauf pour constater avec satisfaction une tonalité assez différente dans les expressions de la majorité sénatoriale.
Il était urgent de remodeler un dispositif législatif dont les dispositions essentielles n'avaient pu être mises en oeuvre. Cela ne résulte pas de la volonté des gouvernements de MM. Balladur ou Juppé ; ce n'est pas parce que le texte de 1995 n'était pas l'oeuvre de sa majorité que le gouvernement de Lionel Jospin nous propose non pas un texte nouveau, mais un texte amendé, mais tout simplement, monsieur le président de la commission spéciale, parce que certains choix ne pouvaient être mis en oeuvre.
Le Gouvernement a choisi d'en affirmer les principes dans le texte que nous examinons aujourd'hui et de les décliner dans différents projets de loi que nous aurons par la suite à examiner.
Il fallait affirmer, en premier lieu, la prise en compte de la dimension européenne.
La nécessaire connexion de nos voies de communication est une évidence. L'importance des fonds structurels européens dans les contrats de plan implique une cohérence des zonages. L'introduction du concept européen de zonages prioritaire ultra-périphérique doit prendre en compte les spécificités des départements d'outre-mer. Les conséquences de l'environnement économique international nous imposent de fonder notre réflexion sur un rééquilibrage des territoires dans un cadre plus vaste que celui de notre pays.
En deuxième lieu, il fallait définir les territoires qui vont structurer la vie des Français.
Les métropoles, d'abord, sont déjà les lieux inévitables de création des nouvelles activités et des nouveaux services. Elles doivent pouvoir s'affirmer pour structurer de façon équitable le territoire en dehors de l'agglomération parisienne.
Les agglomérations regroupent déjà 80 % de la population et subissent aujourd'hui de plein fouet la crise industrielle et la mutation vers une société de services.
Enfin, les pays, dont la notion a été introduite par la loi de 1995, doivent être précisées pour devenir de vrais territoires de projets. Ils pourront maintenant contracter.
Cette notion de pays a été perçue par certains comme un échelon administratif supplémentaire. C'est une erreur ! Nous n'envisageons même pas que le pays puisse servir de base, comme dans la loi de 1995, à une nouvelle définition des arrondissements.
Le pays est un espace de projet, proche du citoyen, particulièrement adapté aux initiatives et aux réalités locales. Il ne pourra se développer utilement qu'en accord avec les départements et les régions et, en tout cas, jamais contre eux. La remise en cause des structures départementales et régionales n'est pas à l'ordre du jour, pas plus d'ailleurs qu'une nouvelle définition de leurs compétences.
En troisième lieu, il fallait affirmer une meilleure prise en compte des besoins des collectivités locales et des citoyens.
Je répète une nouvelle fois que si le schéma national prévu par la loi de 1995 n'a pu voir le jour dans les délais prévus, c'est parce que la méthodologie de son élaboration n'était pas tenable et qu'il ne fixait pas de priorité. Il était trop éloigné de la réalité en voulant prendre en compte des demandes tous azimuts non cadrées par des options stratégiques cohérentes.
Voilà pourquoi ce schéma est aujourd'hui remplacé par huit schémas de services collectifs fixant les orientations stratégiques de l'Etat qui s'imposeront, dans la concertation, aux schémas régionaux d'aménagement et de développement du territoire et qui seront périodiquement déclinés dans les contrats de plan. Cette proposition est l'un des éléments majeurs du projet de loi.
J'ajoute que la proposition avancée par la commission spéciale, et consistant en fait à reprendre les cinq schémas modaux des transports de la loi de 1995, nous paraît remettre en cause l'intermodalité des deux schémas de transport, l'un pour les voyageurs et l'autre pour les marchandises. Et je suis étonné que, sur ce point, le rapport de la commission suggère un tel retour en arrière.
En ce qui concerne la notion de développement durable, nous savons aujourd'hui qu'un développement économique sans contrôle peut compromettre le devenir de nos sociétés. Il s'agit non pas d'une déification de la nature, mais tout simplement de la reconnaissance d'un équilibre naturel difficile, que la science elle-même a quelque difficulté à cerner.
Le principe de précaution doit donc être respecté, comme nous nous y sommes d'ailleurs engagés, en particulier à l'échelon européen. C'est non pas une politique de sanctuaire qui est proposée, mais la recherche d'un équilibre de développement.
L'exemple de certains parcs naturels a d'ailleurs prouvé que des espaces en difficulté pouvaient y trouver de nouvelles chances de développement économique. Nous avons pris note du fait qu'en ce domaine la commission spéciale supprime toute référence directe au développement durable dans l'article 2 et, à l'article 20, les références au programme « Actions 21 » adopté par la communauté internationale à Rio de Janeiro en 1992. Cela n'est évidemment pas neutre.
Enfin, s'agissant de la démocratie représentative, nous sommes particulièrement attachés à l'association des Français aux prises de décision les concernant directement, ce qui est bien le cas de l'aménagement du territoire. Voilà pourquoi l'association aux élus des partenaires sociaux et des acteurs culturels et environnementaux nous paraît nécessaire. Nous sommes donc satisfaits par les compositions du Conseil national d'aménagement du territoire, des conférences régionales d'aménagement du territoire et des conseils de développement des pays.
Là encore, les propositions de la commission nous paraissent plutôt rétrogrades puisqu'elles suppriment carrément les conseils de développement et rejettent les représentants associatifs dans un deuxième collège, ce qui ne facilitera ni le dialogue ni le consensus.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Jacques Bellanger. Nous notons qu'un sort particulier est réservé aux chambres consulaires !
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Jacques Bellanger. L'Assemblée nationale a enrichi et clarifié le projet du Gouvernement. J'ai parfois entendu critiquer la déclaration d'urgence qui affecte ce texte. Pourtant, la majorité sénatoriale a pu prendre connaissance du projet de loi du Gouvernement dès le 29 juillet 1998, et des modifications de l'Assemblée nationale, le 9 février dernier. En revanche, nous n'avons été au courant des amendements des rapporteurs que mercredi dernier. Cela ne nous a donc laissé qu'un délai assez court pour étudier des textes dont nous nous ne nions ni le sérieux ni la continuité idéologiques, ce qui nous inquiète d'ailleurs.
M. Gérard Larcher, rapporteur. C'est de la mauvaise foi !
M. Jacques Bellanger. De prime abord ces propositions traduisent la volonté de revenir à l'esprit de la loi de 1995 sans tenir compte des difficultés, voire des impossibilités d'application de ce texte.
L'amendement présenté à l'article 10 et prévoyant l'adoption par la loi, sous la forme d'un rapport annexé pouvant être amendé par le Parlement, des schémas de services collectifs ensuite mis en oeuvre par décret du Gouvernement est un bel exemple d'un type de mariage inédit ! La démocratie virtuelle est instituée, puisque le Parlement pourra y présenter des demandes tous azimuts dans un rapport annexé, qui n'a pas de force normative, mais que le Gouvernement sera chargé de mettre en forme par décret. Voilà un très bon exemple de responsabilité parlementaire !...
Comme nous sommes attachés aux principes posés par le projet de loi, nous craignons de ne pouvoir accepter que très peu des modifications proposées. Nous seront amenés à préciser nos positions lors de la discussion des articles.
Tout à l'heure, M. Belot a attiré notre attention sur le fait que nous aurions des difficultés à poursuivre les constructions d'autoroutes du fait de la disparition du système de l'adossement. Ma mémoire n'est pas excellente mais sans doute pourrez-vous, madame la ministre, préciser quel gouvernement a accepté, au niveau européen, ce nouveau système ! (Rires et applaudissements sur les travées socialistes, sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 4 février 1995 n'était probablement pas parfaite, mais elle présentait quatre mérites.
Tout d'abord, elle exprimait une politique volontariste, voulue par notre collègue M. Charles Pasqua.
Ensuite, elle était fondée sur l'écoute du Parlement puisque ce texte n'avait pas été déclaré d'urgence. Et comment ne pas rappeler, en cet instant, le rôle considérable du Sénat qui a alors enrichi le projet de loi qui lui était soumis ?
Par ailleurs, cette loi était fondée sur une consultation approfondie de notre pays, que nous avions sillonné, région par région.
Enfin, elle traçait des orientations cohérentes, je crois, et pour vingt ans, de la politique d'aménagement du territoire.
Ce rappel étant fait, ma prise de position ne sera ni nostalgique ni négative, l'important étant que la France définisse rapidement sa politique d'aménagement du territoire pour les vingt ans à venir vis-à-vis de ses partenaires européens.
Dans cet esprit, j'approuve la position de la commission spéciale du Sénat. Je tiens, à cet égard, à rendre hommage à l'action et au volontarisme de nos collègues MM. Gérard Larcher, Claude Belot et Charles Revet.
Le caractère constructif de leur proposition, leur volonté de trouver ensemble les voies et moyens d'une politique nouvelle dans laquelle le Parlement serait un partenaire à part entière constituent un élément important. En effet, on ne peut pas façonner une politique d'aménagement du territoire sans y associer réellement le Parlement.
En cet instant, je me bornerai à insister seulement sur trois aspects, à savoir l'équilibre d'une politique d'aménagement du territoire, sa dimension européenne et le rôle des collectivités territoriales.
Il convient tout d'abord de rechercher l'équilibre entre trois nécessités : le développement économique, une politique dynamique de voies de communications et le respect de l'environnement. Omettre l'un de ces trois facteurs porterait un coup fatal à une politique réaliste de l'aménagement du territoire.
Viser le développement économique et améliorer les infrastructures sans prendre en considération la donnée environnementale correspond à une vision passéiste. Les collectivités territoriales démontrent d'ailleurs jour après jour leur aptitude à insérer les grands équipements du territoire dans le respect des données environnementales.
A contrario, mener une politique de l'environnement sans développement serait condamner le pays au déclin, y compris et surtout sur le plan de l'emploi.
A ce propos, je voudrais insister sur les voies de communication.
Le schéma des services de transport doit être autre chose que la simple consolidation de ce qui existe. Il faut créer les maillons manquants au niveau européen s'agissant des autoroutes, du TVG, du réseau ferroviaire classique, mais aussi des voies fluviales.
M. Charles Revet, rapporteur. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. L'arc atlantique et la façade méditerranéenne doivent être solidement amarrés à l'espace européen. Ils ne doivent pas risquer d'être marginalisés.
M. Charles Revet, rapporteur. Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel. Les façades est et nord mais aussi sud-ouest de la France constituent des zones de jonction qui ne doivent pas perdre le contact avec le centre de gravité de l'Europe, centre qui se déplace de plus en plus vert l'Est.
Madame la ministre, j'ajouterai une remarque particulière à propos de la voie fluviale, une remarque qui ne vous étonnera pas. Je respecte votre conception, mais je tiens essentiellement à la mienne... (Mme la ministre sourit.)
M. Charles Revet, rapporteur. C'est très bien !
M. Daniel Hoeffel. ... et je regrette que la voie fluviale soit mal aimée en France. Or, je suis persuadé qu'elle n'est pas désuète et que plus l'espace de l'Union européenne s'élargira, moins elle sera désuète.
Nous constatons que la liaison Rhin - Main - Danube dépasse les prévisions les plus optimistes.
L'Allemagne est en train de mettre à grand gabarit la liaison Rhin - Elbe - Oder. Lorsque l'on sait que les quantités de marchandises transportées, selon des experts sérieux, doubleront dans les vingt à trente années à venir, il est impensable qu'elles ne le soient que par la voie ferroviaire ou, surtout, que par la voie routière ou autoroutière. La voie fluviale doit tenir sa place, toute sa place, dans le développement de l'espace de notre pays.
M. Gérard Braun. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Dans le domaine du transport, l'Europe occidentale ne pourra devenir un marché unifié de marchandises et de services que si elle dispose de meilleures liaisons internationales.
Ma seconde observation concerne l'insertion dans l'espace européen.
Vous avez évoqué, madame la ministre, la prochaine réunion des ministres de l'aménagement du territoire pour élaborer le schéma de développement de l'espace communautaire. C'est un élément important.
Un autre élément considérable est la politique régionale. Les fonds structurels de l'Europe ont été un facteur important du développement économique de nombreuses zones de notre pays. Leur rôle va encore s'accroître. Aussi, dans la négociation difficile qui se déroulera cette année, je souhaite que la France joue un rôle moteur.
Pour toutes ces raisons, notre politique d'aménagement du territoire doit intégrer de plus en plus une vision européenne, et cela n'a rien à voir avec un débat doctrinal sur la conception de l'Union européenne. C'est tout simplement une réalité qui s'impose à nous.
Hier, l'Union européenne allait jusqu'à l'Elbe. Aujourd'hui, elle s'étend jusqu'à l'Oder. Demain, elle jouxtera la Russie.
La France, qui était hier, avec le sillon rhénan, naturellement partie prenante du développement de l'Europe occidentale, doit, grâce à une politique dynamique de l'aménagement du territoire, rester en contact avec cet espace qui s'élargit vers l'Est. Au sein de cet ensemble, les zones frontalières jouent et joueront un rôle important.
A l'occasion de la discussion de la loi de 1995, nous avions eu, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, un grand débat sur les atteintes éventuelles d'une politique transfrontalière sur la souveraineté nationale. Heureusement, la majorité des deux assemblées a su surmonter cet obstacle.
Ce n'est pas un problème de doctrine. C'est une réalité imposée par la géographie et par la nature. Des voies ferrées ou des routes transfrontalières, l'implantation de zones d'activité le long des frontières, la pollution qui ne connaît pas de frontières sont autant d'éléments qui imposent que l'on porte une attention réelle à la poursuite et au développement d'une politique transfrontalière. A travers les programmes INTERREG, la politique des fonds structurels peut donner un fondement concret à une telle politique transfrontalière.
Je terminerai par les collectivités locales.
L'aménagement du territoire suppose l'intervention de l'Etat. Au passage, je regrette que le schéma national d'aménagement et de développement du territoire ait été supprimé. Il suppose une intervention tant des collectivités territoriales que des acteurs économiques et sociaux.
Les collectivités territoriales - nous le savons, nous le vivons quotidiennement - sont des cofinanceurs importants, en particulier les régions, et plus encore les départements ! Elles doivent être aussi codécideurs. En disant cela, je pense particulièrement au schéma de services collectifs de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Il faut cependant éviter toute confusion. Aussi est-il bon, madame la ministre, que vous ayez repris l'idée de la collectivité chef de file pour mettre un peu d'ordre dans un domaine où les financements croisés sont tels qu'on ne sait plus, parfois, qui fait quoi !
Nous avions prévu la collectivité chef de file en 1995. Mais, depuis cette date, nous avons attendu que cette notion soit précisée. Puisse cette réanimation de la collectivité chef de file nous faire avancer sur la voie de sa concrétisation.
Toujours à propos des collectivités, vous me permettrez un dernier mot sur les pays. Tous ensemble, nous les avons voulus en 1995. Aujourd'hui, je dis oui au pays espace de solidarité, mais non au pays amorce de collectivités territoriales !
M. Charles Revet, rapporteur. Très bien ! Il faut le réaffirmer.
M. Daniel Hoeffel. Il faut que les choses soient claires au départ afin d'éviter toute confusion. Il est aussi nécessaire d'avoir une bonne coordination et une bonne complémentarité entre le projet de loi que nous défendons aujourd'hui et le projet de loi relatif à l'intercommunalité, qui viendra en discussion devant le Sénat la semaine prochaine.
Là où le pays coïncide avec un établissement public de coopération intercommunale, un EPCI, il n'y a évidemment pas de problème. Mais si le pays s'intercale entre un EPCI et le département, veillons à ce qu'il ne porte pas, du point de vue territorial, les germes d'un désordre structurel dont notre pays n'a pas besoin !
C'est dans cet esprit que j'approuve les conclusions de la commission spéciale. A travers ce débat, il s'agit pour l'essentiel de dégager les fondements solides d'une politique d'aménagement du territoire stable, échappant désormais aux fluctuations de tout genre, une politique qui intègre la France dans son espace européen sans la marginaliser, une politique qui associe les zones urbaines, périurbaines et rurales à cet effort. C'est cela la vraie solidarité pour l'aménagement du territoire !
Le temps où s'opposaient une vision urbaine prétendument moderne et une vision rurale prétendument passéiste est révolu ! Les anciens et les modernes sont partout, mais pas forcément là où on le croit. Puissions-nous, enfin, tracer, et cette fois-ci pour vingt ans, les contours d'une politique française d'aménagement permettant à notre pays de tenir toute sa place au sein d'une Europe en mouvement et d'y jouer, si possible, un rôle moteur, y compris en matière d'aménagement du territoire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées socialistes et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Bardou.
Mme Janine Bardou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour le Sénat représentant les collectivités territoriales, l'aménagement du territoire est une préoccupation majeure. La Haute Assemblée s'était d'ailleurs très largement exprimée lors du vote de la loi Pasqua, nourrie des réflexions de la mission sénatoriale que conduisait Jean François-Poncet ; je tenais à le rappeler ici.
Aujourd'hui, votre Gouvernement, madame la ministre, a pris le parti de réviser cette loi de 1995.
A notre avis, les modifications apportées en changent profondément l'esprit, car ce sont à la fois une nouvelle organisation territoriale, comme l'affirme le Gouvernement dans l'exposé des motifs, et une nouvelle vision du monde et de la société qui nous sont proposées. Nous en prenons donc acte.
M'exprimant au nom du groupe des Républicains et Indépendants, je voudrais vous faire part des interrogations et inquiétudes que suscite ce texte qui, à notre avis, révèle une vision idéologique et inadaptée de l'aménagement de notre territoire national.
Pour mener une bonne politique dans ce domaine, il ne faut pas recourir à une approche trop théorique. Il faut prendre en compte tous les éléments caractérisant notre territoire : l'espace, la diversité géographique, la densité démographique et le nombre des communes.
La loi Pasqua-Hoeffel, lancée à l'occasion du CIAT de Mende en 1993 - je tenais à le rappeler aussi - ne méritait certes pas les critiques qui lui ont été adressées. Jugée trop « ruraliste » par certains, elle exprimait pourtant une véritable philosophie politique qui était celle de la « reconquête du territoire ». Née d'une démarche concertée, redonnant confiance à l'ensemble des acteurs du territoire, elle était dépourvue de cette arrogance habituelle de la technocratie d'Etat. Malheureusement, cela ne transparaît pas tout à fait dans votre texte.
Votre projet traduit les orientations politiques tracées par les CIADT de décembre 1997 et décembre 1998.
Les choix stratégiques retenus sont en rupture avec la politique précédente. Cela est vrai sur plusieurs points.
Vous souhaitez ainsi consolider les systèmes urbains à vocation internationale. Vous persistez à affirmer la prééminence du fait urbain au détriment de la ruralité.
Nous ne constestons pas l'importance pour la France d'avoir, dans un ensemble européen équilibré, des pôles urbains dynamiques et attractifs sur le plan économique, notamment pour l'implantation des entreprises et le développement des échanges. Il ne faudrait cependant pas que cela se fasse dans l'oubli du reste du territoire.
Je sais bien que, pour vous, abandonner le Plan pour les espaces ruraux signifie « dépasser les oppositions traditionnelles entre l'urbain et le rural, le centre et la périphérie », qui ne rendraient plus compte des enjeux actuels de proximité, de quotidienneté, de cohésion sociale. Je m'interroge à ce sujet sur la capacité de votre nouvelle organisation à remplir de tels objectifs.
Vous faites confiance, pour y parvenir, à la nouvelle communauté d'agglomération et au « pays ».
Ainsi, pour vous, le paysage administratif de l'aménagement du territoire s'articule autour de l'Etat, de la région, de la communauté d'agglomération et du pays.
Vous y voyez le moyen de « passer d'une logique de guichet à une logique de projet ». Mais vous semblez surtout attachée à nier le fait communal et le fait départemental dans leurs spécificités françaises. Cela ne nous semble pas correspondre à la sociologie de notre pays.
Les faits sont souvent têtus et, comme l'a dit très justement à cette tribune M. Pierre Mauroy lors d'un débat sur la décentralisation en novembre dernier : « Le Premier ministre qui fera disparaître les conseil généraux n'est pas encore né. » Nous en sommes bien sûr convaincus. Mais cela peut-il nous rassurer pour autant ?
Votre méthode, en effet, nous inquiète. Les critiques sont d'ailleurs nombreuses.
Fallait-il réviser aussi vite la loi Pasqua-Hoeffel ? Il convient d'être juste sur son application, correctement réalisée dans la période qui a suivi sa promulgation, compte tenu des circonstances politiques diverses des années 1995 à 1997.
Vos choix stratégiques se retrouvant dans plusieurs projets de loi présentant une cohérence d'ensemble, certaines dispositions se complètent. Il nous est donc difficile de légiférer dans de bonnes conditions.
Des textes complexes et importants pour notre vie locale, tels que les projets relatifs aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ou à l'intercommunalité, sont examinés dans l'urgence, intercalés avec des textes politiquement majeurs relatifs aux problèmes de société, tels que les projets relatifs à la parité et au PACS.
Comment ainsi appréhender tous les effets de la loi ? Comment, par exemple, le fait d'instituer des maisons de services publics ne revient-il pas à transférer encore des charges sur les collectivités locales ?
Comment nier que le pays pourra devenir un jour un échelon administratif si on lui donne les moyens de le devenir ? N'avez-vous pas vous-même affirmé, madame la ministre, que ce n'était qu'un premier pas vers une expression plus démocratique de ces communautés ? Cela me semble tout simplement constituer, à terme, une discrète révolution institutionnelle en douceur.
A tout cela s'ajoute une méthode critiquable consistant à faire, sur le terrain, comme si la loi était déjà votée. Nier l'utilité du Parlement me semble très dangereux.
Enfin, notre position, expression d'une réflexion menée collectivement, rejoint parfaitement les conclusions de notre commission spéciale sur de nombreux points.
Je souhaite bien entendu, au nom de mon groupe, saluer l'excellent travail effectué par nos trois rapporteurs, MM. Gérard Larcher, Charles Revet et Claude Belot. Le choix de la commission spéciale, prôné par le président Jean François-Poncet, a permis une vision transversale utile dans la continuité avec la méthode antérieure retenue par le Sénat.
Nous nous réjouissons ainsi que le contrôle du Parlement sur la politique d'aménagement du territoire ait pu être renforcé dans ce texte. La délégation parlementaire est une heureuse initiative et nous approuvons l'élargissement de ses possibilités d'action.
Il convient cependant de bien indiquer dans la loi que ses attributions portent sur tous les schémas directeurs.
Nous sommes nombreux à déplorer l'abandon du plan pour le monde rural.
L'option retenue par le projet de loi de prévoir un schéma des espaces naturels et ruraux nous semble dangereuse.
Elle concrétise en effet une confusion regrettable entre espaces naturels et espaces ruraux, qui peut à terme aller à l'encontre du développement du monde rural et de la reconquête du territoire national. Il nous paraît indispensable de revenir à une conception plus dynamique et équilibrée de l'espace rural, qui ne doit pas être réduit à des fonctions récréatives ou, comme je l'ai appris grâce aux travaux de votre ministère, à des « lieux de production d'aménités récréatives ». (Sourires.) J'avoue que je ne connaissais pas ce terme. Je suppose que c'est la conception nouvelle de la récréation ! (Nouveaux sourires.)
Cet espace rural doit cependant pouvoir bénéficier de politiques de développement économique.
Nous avions donc prôné l'inscription dans la loi d'un schéma spécifique pour l'espace rural, reprenant les grands axes du plan préparé par notre collègue et ami, l'ancien ministre Jean-Claude Gaudin. L'option finalement retenue par la commission spéciale, mettant bien en exergue un schéma des territoires ruraux et des espaces naturels, nous satisfait à la fois dans la méthode et dans le contenu.
Nous restons en outre attachés à un schéma national de synthèse, comme l'exposera plus en détail notre collègue Jean-Pierre Raffarin.
Etablir des schémas directeurs et de services, maintenir la loi sur les zones de revitalisation rurale, favoriser l'implantation des entreprises dans l'ensemble des territoires, tout cela concourt bien à la reconquête du territoire que nous appelons de nos voeux.
Celle-ci passe aussi par la péréquation financière, principe que la commission spéciale réaffirme avec vigueur et que le maintien de l'article 68 de la loi Pasqua-Hoeffel conforte. Nous souhaiterions à cet égard, madame la ministre, que vos services travaillent à la mise en oeuvre effective de cet article 68 et que le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et celui de l'intérieur établissent les simulations nécessaires.
Nous soutenons également les propositions de la commission spéciale sur la notion de collectivité chef de file. Nous nous félicitons de l'accord obtenu par nos collègues représentant les principales associations d'élus. C'est là un bon travail à mettre au crédit de la Haute Assemblée.
S'agissant du pays, nous restons plus partagés, comme le souligneront quelques amendements et interventions de mes collègues. Certains veulent des pays plus forts, d'autres souhaiteraient conserver la plus grande souplesse possible, ce qui pourrait passer en particulier par la simple association.
Les pays constitués depuis 1995 l'ont été avec l'accord, l'appui, la volonté des partenaires institutionnels « traditionnels » que sont les communes, les départements et les régions. Cette donnée demeurera. Le pays doit rester un espace de projets, un creuset des initiatives locales.
S'agissant des transports, conserver l'idée de la loi de 1995 selon laquelle aucune partie du territoire ne doit être située à plus de cinquante kilomètres ou de quarante-cinq minutes d'automobile des infrastructures est indispensable pour le désenclavement. Nous la soutiendrons avec force.
Nous défendrons également la place du département dans les procédures. Nous veillerons à rappeler l'importance des compétences transférées par la décentralisation, même si nous ne sommes pas hostiles à l'engagement d'une réflexion tendant à revoir certaines répartitions. Sur ce point, notre mission d'information sur la décentralisation nous aidera à y voir plus clair. Nous insisterons enfin sur la nécessité de parfaire la déconcentration des services de l'Etat, qui a malheureusement trop tendance à être oubliée.
Permettez-moi maintenant, madame la ministre, de dire quelques mots sur les zones les plus fragiles de notre espace rural, y compris bien entendu les zones de montagne, bien oubliées dans votre projet de loi, sinon pour souligner l'intérêt que présentent leurs espaces naturels.
Loin de nous l'idée d'opposer la ville à la campagne, lieux d'échanges et de solidarité qu'il faut sans doute conforter ; mais attendre de la ville qu'elle féconde ces espaces me semble irréaliste.
La ville n'est pas seule à créer des richesses. Prédéterminer la place de chacun, c'est ne pas laisser de place à la liberté d'entreprendre. Il est du devoir de l'Etat d'y veiller. Pour ce faire, il faut réduire les inégalités les plus profondes en garantissant la cohésion. C'est cette démarche qui manque à votre projet et je le regrette.
Parler de handicap n'a jamais voulu dire manquer d'esprit d'imagination et d'innovation. Nier cette réalité, c'est refuser de reconnaître l'utilité de ces espaces dans leur réalité économique.
Quel que soit le territoire de notre pays, il doit avoir son propre développement, sa propre dynamique, qui, même dans des zones de sous-densité, enrichissent l'ensemble de notre communauté.
C'est dire l'inquiétude qu'a suscitée chez nous le schéma des espaces naturels et ruraux dont j'ai eu l'occasion de parler il y a quelques instants !
Enfin, en conclusion, je dirai que, dans ce monde en pleine évolution, nous avons conscience que notre société va vivre dans les prochaines années une profonde mutation, que l'aménagement du territoire doit résolument prendre en compte.
Aménager le territoire, c'est respecter les hommes, respecter leur choix de vivre et de travailler sur le territoire qu'ils ont choisi, qu'il soit urbain ou rural, et leur en donner les moyens.
Dans toutes les décisions d'organisation du territoire, qui concernent, rappelons-le, l'ensemble des ministères, nous devons toujours avoir à l'esprit que l'homme doit rester, comme l'a dit notre collègue Charles Revet, au centre de cet aménagement et y trouver sa juste place. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. André Boyer.
M. André Boyer. Vous nous proposez aujourd'hui, madame la ministre, une révision de la loi du 4 février 1995 qui se fonde sur une autre vision de l'aménagement et du développement du territoire.
Recherche d'un nouvel équilibre entre l'Etat et les autres acteurs de l'aménagement du territoire, préservation des espaces, nécessité de constituer des territoires pertinents autour de projets, tels ont été les principes qui ont guidé votre réflexion.
Les dispositions contenues dans ce projet de loi d'orientation couvrent un champ très large. Je n'entrerai pas dans le détail de vos propositions - d'autres le feront - souhaitant axer mon intervention sur la politique des pays.
Votre texte, madame la ministre, contient beaucoup de mots aimables, de concepts attachants et presque enjôleurs : le « projet », la « charte », la « maison » et, pour n'en retenir qu'un, le « pays ».
Si présent dans la chanson française - « Cher pays de mon enfance ! », « O mon païs ! » - dépassant la réalité géographique de son origine bas latine et grandissant dans nos coeurs lorsqu'on s'en éloigne, le pays exprime une valeur identitaire forte. Qui ne se reconnaît dans un pays ? Qui ne retrouve sans plaisir son « pays », sa « payse » ? Qui n'a pas dans sa cave son petit vin de pays ? Pays de cocagne bien sûr, que l'on veut de connaissances et non pas de chimères.
Ce mot-là, comme les autres, vous ne l'avez pas inventé, madame la ministre. La loi du 4 février 1995 a habilement donné une existence légale à ces territoires identitaires qui forment la France « plurielle » décrite par Fernand Braudel. « La France est diversifiée, triomphe du pluriel, de l'hétérogène, du jamais tout à fait semblable, du jamais tout à fait vu ailleurs », écrivait-il dans son ouvrage l'Identité de la France . Nous partageons de bonnes lectures, monsieur le rapporteur !
Ce concept a suscité l'intérêt, sinon l'enthousiasme, des élus locaux. Mais, aujourd'hui, pays, comme d'autres mots en grammaire, fait un peu figure de faux ami. Il nous rassure, certes ; il nous permet de dépasser l'esprit de clocher et les rivalités entre communes, encore vivaces il n'y a pas si longtemps. Mais l'imprécision des rôles, des méthodes et des financements engendre des doutes, des craintes, voire des oppositions.
Nous sommes sur le terrain, entre communes, regroupements de communes et contrôle de légalité préfectoral, confrontés à des difficultés de plus en plus nombreuses. Le citoyen, comme l'élu, a besoin de voir clair dans la répartition des compétences et des rôles exercés par les uns et les autres.
Sans modifier la philosophie générale de la politique des pays prévue par la loi de 1995, votre projet de loi essaie d'apporter des éléments concrets pour avancer, dans le cadre d'un territoire de projets, en introduisant la notion de charte et de contractualisation.
Mais il reste de nombreuses interrogations. Dans un souci de clarification, permettez-moi de vous poser quelques questions brèves et simples.
Les contrats de plan s'élaborent actuellement entre l'Etat et la région pour la période 2000-2006. Dans la région Midi-Pyrénées, on nous dit que ce contrat devrait être « bouclé » dans les trois mois. Comment alors les pays qui ne sont pas encore constitués, et rares sont ceux qui sont déjà reconnus, pourront-ils y inscrire leurs projets ?
Madame la ministre, peut-être pourrez-vous préciser ce que vous avez dit dans votre propos introductif à ce sujet.
Dans l'hypothèse où il recouvre une entité géographique à cheval sur plusieurs départements et même plusieurs régions, le pays pourra-t-il prétendre à l'inscription de son projet aux contrats de plan de deux régions différentes pour obtenir des financements ?
Quelle sera la place respective des pays et des agglomérations ? Le texte est à cet égard extrêmement flou. Sans doute faut-il considérer les deux démarches comme complémentaires, mais il faudra, à l'évidence, éviter que les agglomérations n'étouffent les pays.
Si j'ai bien compris, le pays est un espace d'identité et de programmation dessinant une supracommunalité et fédérant les EPCI - établissements publics de coopération intercommunale - sur des projets transversaux. Comment va s'organiser l'harmonisation des compétences entre des structures à vocation aussi diverses que des SIVOM - syndicats intercommunaux à vocation multiple -, des districts ou des communautés de communes ?
Cette dernière réflexion m'amène à poser une autre question : j'entendis dire que le pays a vocation à faire faire ; si ce n'est donc le groupement d'intérêt public ou le syndicat mixte constitué, qui assurera la maîtrise d'ourage des projets définis en commun ?
Enfin, ma dernière question touche à l'ouverture du partenariat à la société civile. Souhaitable et nécessaire, cette ouverture rencontre dans les faits de nombreuses réticences. Divers arguments viennent, avec plus ou moins de bonheur, conforter cette attitude de recul : l'absence de représentativité élective des partenaires, hors les représentants consulaires, la règle du « qui paye décide »...
Le projet de loi instaure un conseil de développement dans chaque pays. Quel sera le mode de désignation ou d'élection de ce conseil ? Quelle sera la place du monde socioprofessionnel et associatif dans le collège des élus ?
Je connais, madame la ministre, un pays en quête de reconnaissance et de label depuis deux ans déjà. Vous l'avez célébré vous-même, l'an passé, comme faisant partie de cette Mecanic Valley riche en entreprises de la machine-outil, du façonnage des métaux et de la sous-traitance automobile et aéronautique. S'y trouvent également un des premiers confituriers d'Europe et un autre, parmi les plus grands. Voilà une illustration éloquente d'un développement économique performant dans une zone rurale !
Ce pays réunit cinq cantons qui appartiennent depuis 1792 à un même district regroupant 38 000 habitants au passé historique et culturel commun. Ses collectivités locales - il y a un établissement public de coopération intercommunale par canton - évoluent depuis trois ans dans un contrat de terroir en partenariat avec la région et le conseil général. La charte de pays a été rédigée. Je veux parler du pays de la vallée de la Dordogne lotoise, entre le Causse à l'herbe rare et parfumée et l'Auvergne aux riches frondaisons, dont Henry Miller disait : « Rien ne m'empêchera de croire que cette grande et pacifique région est destinée à demeurer éternellement un lieu saint pour l'homme et, lorsque la grand ville aura fini d'exterminer les poètes, leurs successeurs trouveront ici refuge et berceau. Il se peut qu'un jour la France cesse d'exister mais la Dordogne survivra comme les rêves dont se nourrit l'âme humaine. » (Très bien ! sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Ce pays est beau, et nous le protégeons. Mais il n'est pas seulement figé en des paysages et des châteaux ; il est aussi actif, vivant, porteur de projets et d'actions. Donnez-nous les moyens de l'efficacité afin que nous puissions continuer à y vivre en travaillant.
Ce pays, vous l'avez deviné, madame la ministre, c'est le mien. En y retournant, après avoir bien sûr voté les textes proposés par vous-même, par M. Emile Zuccarelli et par M. Jean-Pierre Chevènement, j'irai, comme beaucoup d'entre nous, devant des maires pour leur en expliquer la portée. Je souhaite pouvoir leur dire que nous avons forgé, au terme de nos discussions, avec cette loi, un outil bien conçu, maniable et suffisamment précis, qui les aidera à faire vivre notre territoire. (Applaudissements sur les travées du RDSE ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, quatre ans après la loi du 4 février 1995, était-il vraiment nécessaire de modifier profondément notre approche de l'aménagement du territoire ?
Le texte de 1995 avait été élaboré après une concertation approfondie et il avait fait l'objet d'un vaste consensus, comme l'a rappelé M. le président de la commission spéciale.
Mais, dès l'été 1997, madame le ministre, vous estimiez que, si les Français avaient changé de majorité politique, c'était bien pour changer de politique et que l'aménagement du territoire n'échapperait pas à ce vent du changement.
Si l'on fait abstraction des déclarations d'intention et des dispositions d'ordre secondaire, votre projet de loi modifie un aspect essentiel de notre politique d'aménagement du territoire : il s'agit de la suppression des schémas sectoriels, c'est-à-dire de ces politiques d'équipement dont la France s'est dotée depuis plusieurs décennies.
Dans le domaine des infrastructures, notamment de transport, la réussite de toute politique dépend de la pérennité de l'action, du maillage cohérent des différents réseaux et de la pertinence de modalités de financement adaptées à la lourdeur de ces investissements.
Que vous l'admettiez ou non, la demande de transport de notre société croît de façon inéluctable.
L'échange est à la base même du développement économique et social : des siècles d'histoire nous l'ont montré ; les décennies passées et toutes les projections futures ont confirmé ces tendances profondes.
Le taux de croissance des échanges de personnes et de marchandises est toujours supérieur à celui de la richesse nationale. La mondialisation n'a fait qu'accentuer ce phénomène. La construction de l'espace européen a multiplié les échanges entre nations voisines, et la France en a bénéficié plus que d'autres, car elle se trouve située au coeur du dispositif des transports européens, à quelques exceptions près.
Dès votre arrivée aux affaires, vous avez suspendu la réalisation du canal Rhin-Rhône. Vous avez appelé de vos voeux un moratoire autoroutier, qui ne vous a pas été accordé, mais qui se traduit par le gel ou le report de la réalisation de plus de 1 200 kilomètres de liaisons autoroutières.
Le Sénat s'était ému de ce changement brutal et profond : l'excellent rapport de notre commission d'enquête, remis en juin 1998, a fait une analyse approfondie des secteurs autoroutier, ferroviaire et fluvial, en soulignant l'impérieuse nécessité de poursuivre, quitte à l'adapter, une politique qui répond à des besoins urgents. Cela, à l'évidence, ne vous a pas convaincue.
Ainsi, les schémas sectoriels concernant les routes et autoroutes, le réseau ferré, le réseau fluvial, les ports et les aéroports seront remplacés par des schémas dits « de services » dont, malheureusement, personne ne sait au juste ce qu'ils recouvriront ni ce qu'ils comporteront.
A juste titre, la commission spéciale propose de réintroduire le mot « équipements » dans la dénomination de ces schémas.
Il est certain qu'une meilleure utilisation des infrastructures existantes est indispensable, mais il est également indéniable que nous avons besoin d'équipements et d'aménagements nouveaux dans tous les domaines d'infrastructures de transports.
Il est certain que notre préoccupation est de répondre au mieux à la demande de la population et des agents économiques, mais il est inexact de dire que la politique menée jusqu'à présent n'a été qu'une politique de l'offre éloignée des besoins réels.
Il est certain qu'une meilleure coordination intermodale est un impératif, mais il est illusoire de penser que l'intermodalité éliminera, comme par magie, les insuffisances de capacité et pourra nous dispenser de poursuivre nos efforts d'équipement.
Il est certain, enfin, qu'une meilleure insertion de tous ces aménagements dans notre environnement correspond à une aspiration profonde de nos concitoyens, mais il serait contraire à la vérité de ne pas mentionner les efforts considérables engagés depuis une dizaine d'années pour mieux concilier équipement et environnement.
A cet effet, nous avons voté la loi sur les paysages, la loi sur l'eau et la loi sur l'air, pour ne citer que ces trois textes. Les contraintes que nous avons imposées ont eu pour effet de majorer le coût de certains équipements : par exemple, celui du kilomètre d'autoroute a augmenté de 40 % en cinq ans. Une telle croissance était le prix à payer pour que nos concitoyens acceptent la poursuite de notre effort d'équipement.
Nous n'y reviendrons pas, mais cette évolution me permet de souligner l'incohérence qu'il y a à vouloir opposer « développement durable » et « infrastructures d'équipement ». Ces infrastructures sont par nature durables et soutiennent le développement. En revanche, il faut, c'est vrai, les rendre supportables et acceptables par la population.
Une politique dynamique et cohérente d'infrastructures de transport est donc indispensable. Elle doit s'appuyer sur une analyse sectorielle et mettre en place, en même temps, une action intermodale, car chaque mode de transports correspond à un besoin spécifique. Quoi que vous disiez, le chemin de fer ne remplacera jamais la route en matière de liaisons interurbaines.
J'approuve donc les conclusions de la commission spéciale quand elle estime qu'il convient de revenir aux schémas sectoriels, même si on les appelle désormais « schémas d'équipements et de services ».
La France a besoin d'avoir une politique portuaire, car l'ensemble des ports français n'atteint pas le tonnage du port de Rotterdam.
La France doit avoir des plates-formes aéroportuaires qui se situent aux premières places du classement mondial.
La France ne saurait se désintéresser, comme l'a rappelé notre collègue Daniel Hoeffel, de son réseau fluvial, même si son importance dans le système de transport est faible.
La France, enfin, de par sa position géographique, est au coeur de l'Europe des transports, plus particulièrement en ce qui concerne les liaisons ferroviaires et autoroutières.
Cela dit, compte tenu de la croissance et de l'urgence des besoins, je souhaiterais mettre l'accent sur l'impérieuse nécessité d'une politique autoroutière audacieuse. Une telle politique n'aurait aucune justification si elle n'était pas fondée sur des besoins évidents et croissants. Or telle est bien la situation que nous connaissons, en France comme dans toute l'Europe.
La croissance du trafic routier, cela a été rappelé par le président Jean François-Poncet, a augmenté de 230 % en vingt-cinq ans ; les taux correspondants pour les quinze prochaines années varient entre 50 % et 100 %, que ce soit pour les voyageurs ou les marchandises. Ces chiffres émanent des études prospectives actuellement menées par la direction des routes. Ces études font apparaître que la demande en matière de transport routier sera, quelles que soient les hypothèses retenues, supérieure à la croissance, que, parmi les modes de transport, la route en général a le plus fort taux d'augmentation, tant pour les voyageurs que pour les marchandises, et enfin que, au sein de l'ensemble routier, le taux de croissance du trafic des autoroutes concédées sera le plus fort.
Il se trouve que, dans le domaine économique, les faits et les chiffres sont têtus. Vous ne pouvez ni les ignorer ni les modifier. A la limite, on peut seulement envisager d'infléchir les tendances. Mais, dans aucun pays développé, la croissance du trafic routier n'a pu être ni ralentie ni inversée par le développement d'autres modes de transport. La route est condamnée à sauver seule la route.
Certes, il s'agit non pas d'engorger les agglomérations par un trafic routier inutile, mais de les relier entre elles et de prévoir des voies de contournement. A l'intérieur de celles-ci, comme pour certaines liaisons de voyageurs à moyenne distance, le trafic ferré a un rôle majeur à jouer.
Nous sommes donc conduits à mener une politique active de développement de nos infrastructures routières et autoroutières pour cinq raisons essentielles : la mobilité accrue et la motorisation croissante de notre société ; les besoins des entreprises, dont les modes de production développent les flux tendus ; la volonté de nos régions d'être désenclavées et reliées aux principaux pôles urbains ; l'aménagement d'un maillage autoroutier européen, car la France est une des principales plaques tournantes autoroutières de l'Europe, les poids lourds étrangers représentant 20 % de notre trafic autoroutier.
La cinquième raison est peut-être encore plus déterminante : c'est la nécessité de renforcer la sécurité des usagers de la route, car le réseau autoroutier, qui draine 18 % du trafic total, génère moins de 3 % des 8 000 tués constatés sur nos routes.
Nous ne pouvons pas prendre de décision à long terme dans ce domaine sans nous rappeler constamment que des kilomètres d'autoroutes en moins, ce sont malheureusement des morts en plus.
Dès votre arrivée aux affaires, vous avez commencé à critiquer notre système autoroutier pour justifier les mesures de freinage engagées par le Gouvernement.
Vous avez indiqué que la France était saturée d'autoroutes et que le trafic ne justifiait plus d'investissements nouveaux : cela est inexact, puisque nous sommes derrière l'Allemagne, l'Italie, le Benelux et que nous allons bientôt être dépassés par l'Espagne, qui met actuellement en service 500 kilomètres d'autoroutes par an.
Vous avez estimé que le système autoroutier était dans une situation financière critique, alors que notre réseau concédé est non seulement équilibré mais excédentaire de près de huit milliards de francs, avec un trafic moyen de 24 000 véhicules par jour, c'est-à-dire au-delà du point d'équilibre, qui se situe à 23 000 véhicules par jour. Si la situation financière était celle que vous décrivez, comment le système autoroutier pourrait-il financer le fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables, le FITTVN, et, par son intermédiaire, la voie ferrée et les voies navigables ?
Vous avez, enfin, dit que les réglementations européennes nous interdisaient de maintenir le système actuel de concessions autoroutières. Il est exact qu'à travers l'Europe nous avons voulu introduire davantage de transparence, de concurrence et de clarté. Ces règles sont saines et il nous faut nous y conformer. Cela nous imposera des changements. C'est pourquoi, pour ma part, je proposerai, au cours de ce débat, une mutation profonde de notre dispositif autoroutier.
En qualité de membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, je me suis rendu trois fois à Bruxelles. J'y ai trouvé des interlocuteurs extrêmement intéressés par le modèle autoroutier français, car il permet l'application du principe de l'« utilisateur-payeur ». D'ailleurs, les autorités communautaires étudient la possibilité de développer le péage électronique pour une meilleure application de cette règle.
Pour ce qui est du fameux problème de l'adossement et de l'octroi des nouvelles concessions, soyons clairs. Il faut que les conditions de concurrence soient connues et affichées. Il faut que l'appréciation des différentes offres puisse se faire dans la transparence. L'allongement éventuel d'une concession doit pouvoir être comparé à une subvention équivalente. Mais il est parfaitement possible que le système autoroutier puisse autofinancer les avances remboursables nécessaires pour faire face au déséquilibre financier temporaire de certaines sections nouvelles.
Puisque nous en sommes au chapitre financier, je voudrais attirer votre attention et celle de mes collègues sur l'importance qui s'attache à une définition précise des conditions de financement de nos grandes infrastructures de transport.
Le principe de l'« utilisateur-payeur » doit être complété, dans le domaine de l'aménagement du territoire, par celui de la solidarité nationale. Pour une juste appréciation et des comparaisons exactes, il est cependant préférable de connaître les ordres de grandeur et de les mesurer. A titre d'exemple, si un kilomètre d'autoroute interurbaine coûte environ 50 millions de francs, 1 000 kilomètres reviennent donc à 50 milliards de francs, ce qui représente la subvention annuelle de la collectivité nationale à l'ensemble du réseau ferroviaire français.
L'enjeu du système de transport pour notre aménagement du territoire est essentiel. Il en est de même pour les autres schémas. Dans ces conditions, chacun comprendra que le Parlement ne saurait être exclu ni des débats ni des décisions qui seront prises dans ce domaine. Les grands schémas d'aménagement du territoire, quel que soit le nom qui leur sera donné, doivent être votés par le Parlement et non pas décidés et modifiés par de simples décrets.
Nous avons attendu des années avant qu'une réforme de la Constitution permette au Parlement de voter les lois de financement de la sécurité sociale. Il a fallu des années avant que le Parlement, par le biais de l'article 88-4 de la Constitution, puisse émettre des avis sur les actes communautaires à caractère législatif.
Nous demandons donc dès maintenant que le Parlement puisse remplir pleinement son rôle dans le domaine de l'aménagement et du développement de notre territoire en débattant et en approuvant les schémas de services et d'équipements. Ce sera la grande avancée démocratique que nous appelons de nos voeux. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est un débat utile, nécessaire même, que nous entamons aujourd'hui. Il permettra d'actualiser la loi de 1995 sur l'aménagement et le développement du territoire et de confirmer quelques-unes des innovations que celle-ci a introduites, comme la notion de pays ou les schémas régionaux de services collectifs.
Ce débat a aussi le mérite de mettre au coeur de notre projet de civilisation le concept de développement durable. Il s'agit là, certes, d'un concept encore flou, mais qui ouvre des perspectives dans un monde où la croissance démographique et les dégâts dus à l'activité humaine, notamment dans les pays riches, risquent à terme de poser la question de la survie de l'humanité. C'est à ce niveau-là aussi que le Sénat doit se situer.
Cette approbation générale de votre démarche, madame la ministre, se traduira par les votes favorables que j'émettrai au fil de la discussion. Cependant, elle n'exclut pas de solides réserves, que je voudrais maintenant esquisser.
S'agissant d'abord de la forme, le fait que le Gouvernement recoure à la procédure d'urgence sur un texte relatif à l'aménagement du territoire est étonnant. En effet, s'il est un sujet sur lequel il faut que le débat parlementaire prenne son temps et multiplie les navettes, sans parler d'une large concertation en amont, c'est bien celui-là. D'autant que l'on aborde, à cette occasion, des domaines sensibles aux yeux des élus nationaux et locaux, tels que l'organisation de la coopération intercommunale avec les pays et les communautés d'agglomération et la place des services publics.
Ce texte touche à l'équilibre entre l'Etat et les collectivités territoriales, sujet qui, depuis l'entrée en vigueur des lois de décentralisation, a suscité, à bon droit, controverses et passion.
Oui, il fallait prendre son temps, et ce pour deux raisons.
D'abord, le texte qui nous arrive de l'Assemblée nationale est truffé de surcharges et de pétitions de principe. C'est tout sauf un texte de loi concis, précis, aisément transposable en décrets. Précisément, il manquera le système des navettes pour lui donner densité et justesse.
Ensuite, je ne me retrouve pas vraiment dans l'hymne à la civilisation urbaine que sous-tendent quelques-uns des principaux articles, pas plus que je ne me retrouve dans une forme de ruralisme que cultive la majorité du Sénat.
Le rural n'est plus, sauf exception, cette zone agricole touchée par la déprise et les friches, minée par le vieillissement de la population. Mais l'urbain, c'est aussi les quartiers périphériques générateurs de violence, où se perd l'état de droit ; ce sont les centres-villes qui se dépeuplent.
Beaucoup d'experts, de hauts fonctionnaires et quelques hommes politiques croient s'en tirer en assénant que 80% de la population vivent dans les villes, alors que cette assertion repose sur une interprétation contestable des critères techniques de l'INSEE appliqués au recensement : est réputée urbaine toute agglomération qui compte plus de 2000 habitants.
Ce faux débat occulte un fait que le recensement va confirmer : nos concitoyens plébiscitent désormais un mode de vie urbain, dans un cadre de vie rural ou de petites villes. Bref, on est loin du débat traditionnel qui tient lieu de pensée unique en matière d'aménagement du territoire.
Telle est mon objection sur la forme ; vous voyez qu'elle débouche sur le fond.
S'agissant de quelques-uns des choix concrets que vous nous proposez, mon jugement sera beaucoup plus favorable. J'approuve votre conception des pays et je regrette que l'Assemblée nationale l'ait rendue confuse et inutilement compliquée. En revanche, je ne peux accepter que nos collègues de la majorité du Sénat veuillent supprimer le « conseil de développement ».
Je me suis assez battu, y compris dans le débat sur la loi Pasqua ou à la tête des comités de bassin d'emploi, afin que les partenaires socio-économiques et la société civile soient associés à tout projet de développement territorial pour ne pas me réjouir de cette avancée considérable que vous nous proposez, madame la ministre. Il n'y aura pas de mobilisation de la population sans l'instauration de cette forme de démocratie participative.
Je souhaite néanmoins que vous nous rassuriez, une fois encore, sur la nature de l'intervention de l'Etat dans la mise en place de ces nouvelles formes de solidarité à l'échelle d'une petite région. Confirmez-nous qu'il n'y a pas de « découpage » préétabli dans les cartons de la DATAR et que le rôle du préfet se bornera à « constater » la volonté de travailler ensemble des acteurs de terrain. Tout autre démarche visant à forcer l'allure se retournerait contre l'objectif poursuivi et constituerait une atteinte aux libertés communales, que nous ne pourrions accepter.
S'agissant de l'épineux problème des schémas de services collectifs, vous n'avez pas tort de souligner que le précédent gouvernement n'a pas su ou n'a pas voulu mettre en place l'ambitieux « schéma national » prévu par la loi Pasqua. Fallait-il pour autant en abandonner l'idée ? Faut-il, en outre, écarter le Parlement de ce débat fondamental qu'est l'implantation de ces services dont la nation attend une répartition équilibrée?
Je vois bien les risques de surenchères que vous redoutez. Pourtant, comment expliquer la disparition de l'alinéa 2 de l'article 29 de la loi de 1995, qui prévoyait une « compensation » financière du budget général aux missions fixées par l'Etat aux entreprises publiques ? Vous connaissez mon engagement en faveur des services publics et vous ne serez pas étonnée, madame la ministre, si je ne vote pas, en l'état, ce texte.
Je suis également en désaccord s'agissant d'une « verrue », l'article 15 bis, qui traite du « service universel postal ». Mais il est vrai que cela ne relève pas de votre responsabilité.
Si n'est pas confirmé l'engagement de présenter très rapidement une loi d'orientation sur le service public postal, je réitérerai mon incompréhension. La Poste est en danger, et je connais trop les médecines ultralibérales que certains préparent, y compris dans notre Haute Assemblée, pour ne pas prendre à cette occasion toutes mes responsabilités.
Enfin, pour ce qui est des conditions financières du développement économique équilibré des territoires, cette fois, mon avis est partagé. Mes collègues de la majorité sénatoriale s'émeuvent de la minceur des propositions en la matière. Mais ce sont eux qui ont accepté de fondre six fonds sectoriels en un seul, le FNADT, dans la loi de 1995. Et ils s'étonnent aujourd'hui que Bercy ait profité de leur naïveté pour obtenir des contractions de crédits. D'ailleurs, depuis votre arrivée, au Gouvernement, est intervenu un redressement, il faut vous en donner acte.
En outre, ils n'ont pu obtenir de leurs gouvernements la mise en place du fonds destiné à la création d'entreprises dans les cantons ruraux en déclin, malgré le vote du Parlement voilà quatre ans. Et ils voudraient aujourd'hui remédier à ces carences en reprenant une partie des dispositifs prévus par la proposition de loi Raffarin.
Si j'approuve l'intention et, pour partie, les idées, je m'interroge sur la méthode. Ces dispositifs sont délicats à mettre en oeuvre ; leur compatibilité avec les règles concernant la concurrence n'est pas facile ; leur insertion dans les circuits de financement bancaire est problématique, sans parler de l'effort de formation des hommes ou des femmes que cela suppose.
Bref, s'il est nécessaire de légiférer, il faut élaborer un texte spécifique. Il appartient au Gouvernement de choisir la voie et le moment. D'ici là, le débat qui aura lieu, et c'est heureux, dans notre assemblée aura éclairé son opinion.
Je formulerai la même remarque à propos des articles traitant pêle-mêle du POS, des chemins ruraux, voire des agences d'urbanisme, autant de sujets sérieux qu'il faut traiter sérieusement.
En revanche, j'apprécie beaucoup la confirmation législative des « maisons des services publics », auxquelles je crois.
Je constate également avec plaisir la disparition de la notion d'agence postale communale, destinée à masquer un transfert indû de charges sur les petites communes.
Je suis, surtout, très satisfait des articles qui rétablissent le lien entre le schéma des transports de voyageurs et celui des transports de marchandises. A cette occasion, la notion de « multimodal » devient l'orientation majeure, et c'est un progrès considérable. C'est l'un des points sur lesquels le projet de loi est le plus porteur d'avenir. Je formulerai la même approbation sur le schéma de l'énergie qui ouvre la voie à des évolutions, fussent-elles lentes.
Il reste le délicat problème de la péréquation et de la réduction des inégalités territoriales. J'entends avec intérêt mes collègues de la majorité sénatoriale regretter bruyamment le dispositif imaginé en 1995, sur proposition du président François-Poncet. Mais c'est aux deux précédents gouvernements que le reproche s'adresse.
Plus fondamentalement, ce qui compte, ce sont les mesures effectives de péréquation des ressources, tout particulièrement pour ce qui est de la taxe professionnelle. Sur ce sujet brûlant, je trouve les mêmes moins allant. Pourtant, la question reste posée : le dispositif de la loi de finances de 1999 sur l'exonération de la part salariale, par ses effets indirects, ou la taxe unique d'agglomération ne corrigera qu'à la longue des disparités choquantes actuelles, et le temps presse.
Puisque s'exprime aujourd'hui à la tribune un miraculeux consensus, il vous revient de pousser les feux, madame la ministre : il est urgent de remédier aux inégalités criantes qui s'aggravent entre le bassin parisien et le reste de la France et, au sein même de l'Ile-de-France, entre l'Est et l'Ouest, si vous me permettez cette simplification un peu hâtive.
Proposez, par exemple, d'accroître la part du fonds de péréquation de la taxe professionnelle dans le reversement aux collectivités territoriales, dont les ressources sont inférieures à la moyenne nationale. Vous comblerez les voeux de la commission spéciale et vous appliquerez l'esprit de la loi de 1995.
Comme vous le voyez, j'aborde ce débat sans a priori ni dogmatisme, dans un état d'esprit globalement favorable. J'espère que de notre échange, au sein de notre assemblée, sortira un texte dépouillé et plus net encore dans ses orientations. Je soutiendrai, tout au long de ce débat, les orientations que vous nous aurez données. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans l'aménagement du territoire, la région d'Ile-de-France occupe une place importante et souvent première. Il est vrai que, pour beaucoup de Français, l'Ile-de-France serait riche, privilégiée, tentaculaire, focalisatrice de talents, de modernité, de progression de population, et tout cela grâce à un soutien excessif de l'Etat et au détriment des autres régions françaises.
Implicitement ou explicitement, cette vision a été celle des gouvernements qui se sont succédé depuis la restructuration de la région parisienne, en 1967, en huit départements. Elle a conduit au schéma directeur de la région d'Ile-de-France, le SDRIF, aujourd'hui devenu archaïque, inadapté, constituant un carcan au développement de l'Ile-de-France et privant le pays dans son ensemble d'une partie de son savoir-faire et de l'activité qu'elle génère.
Ce SDRIF prévoyait un arrêt du développement démographique et organisait la désindustrialisation, aidé en cela par la DATAR.
Les orientations retenues conduisaient à un transfert financier vers les autres régions de France. Le montant des transferts sociaux de l'Ile-de-France vers la province s'élève à plus de 150 milliards de francs par an.
L'Ile-de-France contribuait, à hauteur de 28 %, aux recettes de l'Etat, ne recevant en retour que 19 % des investissements publics.
Madame la ministre, le SDRIF proposé par Michel Rocard en 1994 doit être profondément modifié, pour éviter que la politique actuelle ne fasse régresser l'Ile-de-France, avec le basculement de territoires dans la pauvreté et le retard des institutions.
Ce danger est-il réel ? Notre analyse est-elle sérieuse ? Je souhaite m'appuyer, précisément, sur l'analyse de M. Duport, préfet de région, qui prône une stratégie radicalement nouvelle, avis que nous partageons, et que nous retrouvons dans le document « Stratégie de l'Etat en Ile-de-France ».
Nous ne fondons pas notre position sur le but poursuivi : faire de l'Ile-de-France la capitale ouest de l'Europe. Notre analyse s'attache, en priorité, aux besoins de vie des onze millions de Franciliens.
Mais M. le préfet de région a raison lorsque ; constatant une forte croissance du chômage, de la précarité et des disparités de revenus, l'existence de 1,5 million d'exclus, générant une dualisation territoriale renforcée, alarmante, devenant le problème numéro un de l'Ile-de-France, il écrit ceci : « Cette dualisation sociale est aggravée par une ségrégation résidentielle croissante qui entraîne, sur l'ensemble de la région, l'apparition de poches localisées de pauvreté, mais surtout qui provoque le décrochage de territoires dépassant de loin l'échelle des cités et englobant le nord et l'est de l'agglomération et les quartiers du centre et de l'est de Paris.
« Ces territoires, fortement touchés par la désindustrialisation et parfois enclavés, présentent un tissu urbain dégradé, marqué par les friches industrielles, la brutalité du paysage, la juxtaposition de zones pavillonnaires et de grands ensembles, et les coupures urbaines dues aux nombreuses infrastructures de transport mal insérées dans leur environnement. »
Vous le noterez, nous ne sommes plus à constater l'existence de cités, de villes, de quartiers marqués par le rejet, l'exclusion, le non-droit. Nous définissons des territoires qui représentent le nord et l'est de l'Ile-de-France, mais aussi - et c'est nouveau ! -, les quartiers du centre et de l'est de Paris.
Cet ensemble de territoires représente près du quart de l'Ile-de-France.
Les communistes, qui se sont réunis le 11 décembre 1998 pour en débattre, ont constaté que, en Ile-de-France, se côtoient la richesse la plus insolente, le record de France d'assujettis à l'impôt sur les grandes fortunes et une pauvreté insoutenable, le record du nombre des chômeurs, des précaires, des RMIstes ».
C'est ce que constate également, madame la ministre, l'article 35 du projet de loi qui nous est soumis, sur lequel nous reviendrons lors de la discussion des articles en en proposant une autre rédaction.
Le deuxième alinéa de cet article dispose : « A titre transitoire, ces nouvelles dispositions ne prendront effet qu'à la prochaine révision du schéma directeur de la région d'Ile-de-France selon les modalités prévues au huitième alinéa du présent article. »
Les objectifs que l'on cherche à atteindre sont donc de trois types : d'abord, croissance urbaine et démographique ; ensuite, correction des disparités spaciales, sociales et économiques, et nous ajoutons « culturelles », avec coordination des offres de développement ; enfin, développement durable de la région.
Mes chers collègues, en clair, cela signifie qu'il ne faut plus s'opposer à l'accroissement de la population qui, par le jeu du renouvellement des générations, pourra atteindre 14 millions d'habitants.
Cela signifie que la DATAR doit cesser d'organiser le départ des entreprises des huit départements et de Paris.
Le nombre de chômeurs est de 580 000, dont 40 % se trouvent en Seine-Saint-Denis et à Paris. Le nombre de salariés dans l'industrie s'élève à 747 000. Pour ne plus voir ces deux indicateurs se rapprocher, il convient de conserver à l'Ile-de-France ses 62 000 établissements industriels, qui représentent encore 15 % de l'emploi francilien, pourcentage qui ne doit plus décroître.
Fabrication d'équipements électriques, électroniques, imprimerie, aéronautique, chimie et métallurgie sont des branches à redévelopper ; il faut aussi reconvertir l'armement et moderniser la recherche. Je voudrais insister sur ce dernier point. Le rapport « SDRIF et université » visait à réduire la part francilienne du nombre d'étudiants en France, objectif atteint, pouvons-nous dire, puisque l'Ile-de-France accueille 25 % des étudiants français contre 33 % en 1982. Entre 1985 et 1996, le nombre d'étudiants s'est accru de 51 % en France et de 27 % en Ile-de-France. Depuis dix ans, les universités de Paris et de la petite couronne ont été délaissées.
L'effort qui doit être accompli pour répondre à votre politique, madame la ministre, est important, car les deux tiers du parc parisien sont à revoir. Restaurants et logements universitaires, locaux sportifs, espaces culturels appellent de sérieux investissements. Dans ce domaine également, il convient de faire reculer les inégalités. Je pense notamment, à cet égard, aux universités du Val-de-Marne, de la Seine-Saint-Denis et du centre de Paris qui accueillent les étudiants vivant en zone urbaine sensible. J'en veux pour preuve le taux de réussite au baccalauréat de l'académie de Créteil, qui est le plus faible de France.
Quant à la recherche, l'Ile-de-France conserve encore un taux de 45 % de l'activité française, mais sa part dans les brevets européens a diminué de 14 % de 1990 à 1996.
On assiste à un vieillissement des équipes de recherche et des équipements. Le pôle scientifique d'Orsay rencontre, vous le savez, des difficultés de fonctionnement.
Je profite de ce constat pour noter que la part de la province ne bénéficie nullement de cette baisse francilienne. La part des brevets de province a baissé également de 3%. C'est donc bien la France tout entière qui est pénalisée par la baisse de la recherche et de l'université franciliennes.
Emplois industriels, enseignement supérieur et recherche sont deux pôles d'intervention pour regagner de nombreuses pertes et reculs économiques et sociaux.
Mais la redynamique francilienne passe également par une politique nouvelle en matière de transports collectifs et de logement.
En matière de logement, l'Ile-de-France est au premier rang des régions à difficulté, avec 400 000 inscrits au fichier de ce que l'on appelle les « cumuls/logements » ; 280 000 logements sont à réhabiliter, dont 118 000 à Paris.
M. le préfet de région a raison de dire que la crise du logement est l'obstacle majeur du développement de l'Ile-de-France.
Le SDRIF constituait un obstacle à la construction, à la réhabilitation de logements. Il a été facteur d'aggravation de la situation : il a augmenté le retard dans la constitution de 100 000 logements ; il a accentué les déséquilibres, certaines communes ayant 70 % de résidence HLM, alors que d'autres, comme les Hauts-de-Seine, en ont moins de 5 % ; l'Ile-de-France compte 174 zones urbaines sensibles dégradées, parfois - vous le savez - marginalisées ; les grands ensembles construits à partir des années cinquante ont vieilli, sont partis parfois à la dérive, prêts à basculer dans la grande pauvreté. Ils sont situés pour 52 % en petite couronne et pour 45 % en grande couronne.
Mais, madame la ministre, l'évolution majeure est que le parc HLM est passé, en vingt ans, du logement des salariés au logement des plus pauvres.
La résorption des zones d'habitats dégradés s'étendant sur de véritables territoires est certainement le premier remède à trouver pour une transformation urbaine où le logement social de qualité et accessible retrouvera toute sa place, permettant ainsi la mixité.
L'Etat doit retrouver la voie du financement social alors même que l'Etat est financé, pourrions-nous dire, par le logement social : 80 % des sommes payées par les locataires servent à payer les emprunts, les taxes et les impôts.
Les transports collectifs, vous le savez, constituent un autre axe majeur d'interventions. Leur amélioration appelle de nouveaux investissements dans les domaines ferré, fluvial, et routier. La convergence sur Paris doit s'accompagner de voies transversales de banlieue à banlieue. Des réalisations comme l'Orbitale et les tangentielles sont des exemples de transports circulaires à développer. Des financements nouveaux s'imposent, avec la réforme du syndicat des transports parisiens, devenu archaïque et inefficace. La solution réside non pas, comme certains le proposent, dans la mise en place d'une vignette supplémentaire payée par les automobilistes, mais plutôt dans la participation renforcée des entreprises à des investissements dont elles profitent largement. Nous proposons aussi de supprimer les péages dans l'ensemble des territoires franciliens.
L'article 35 du projet de loi évoque la nécessaire coordination ; cette dernière doit s'opérer, selon nous, par la mise en place d'un plan de transports urbains audacieux. Elle est nécessaire, tout comme la réduction du coût des transports pour les usagers les plus fragilisés, tels les chômeurs.
Mes chers collègues, j'en viens à un point qui peut susciter un débat au Sénat. Nous entendons dire parfois que le développement francilien pourrait se faire au détriment du reste du territoire.
Je partage l'avis du Gouvernement : il faut effectivement équilibrer, enrichir et développer l'Ile-de-France, mais - et j'apporterai une nuance à cet égard - non pas exclusivement pour en faire la capitale de l'ouest de l'Europe, mais bien plutôt parce qu'il s'agit d'un atout pour les Franciliens, pour la France, et donc pour toutes les régions françaises, pour l'Europe et pour le monde.
Monsieur Gérard Larcher, je ne partage pas vos motivations d'élargissement du territoire francilien au Bassin parisien. Personne ne conteste l'existence d'un Bassin parisien en termes géographiques. Mais de là à lui donner un schéma directeur, coordonnant les schémas départementaux directeurs de la Bourgogne, du Centre, de la Champagne, des Ardennes, de la Haute-Normandie et de la Picardie, c'est un pas que nous ne franchirons pas.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Vous avez tort !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Les réalités de vie, d'environnement, de priorités et de développement demeurent spécifiques dans le cadre d'une politique nationale. Nous ne sommes pas partisans d'une hypertrophie francilienne éloignant élus et collectivités locales des secteurs d'analyse et du pouvoir de décision. Ce serait alors - nous en sommes certains - au détriment des régions concernées.
Je rappelle qu'un meilleur équilibre territorial passe par une valorisation, un épanouissement des atouts et des richesses de chaque région et de chaque département. Une valorisation de chaque région suppose un développement endogène, une rupture des oppositions entre une concentration de plus en plus forte des parties urbaines et la désertification des campagnes.
Chaque région avec ses propres atouts doit s'épanouir et non devenir un simple appendice marginalisé, servant de faire-valoir à l'Ile-de-France.
Je me demande d'ailleurs ce qu'en pensent les collègues de ces régions et s'ils souhaitent une intégration francilienne.
Le développement de l'Ile-de-France doit être un atout pour les Franciliens ; le refus de donner au SDRIF les moyens de développement a entraîné, c'est certain, un affaiblissement de la région parisienne. La renforcer alors qu'elle transfère une part de ses richesses vers le reste de la France ne peut que servir les régions limitrophes mais aussi le reste de la France. J'ai noté qu'un affaiblissement de la recherche francilienne s'est traduit par un affaiblissement de la recherche française en général.
Madame la ministre, je voudrais également m'étonner de vos hésitations à mettre en révision le SDRIF. Pourquoi attendre ? Surtout, pourquoi reporter à vingt ans l'objectif d'un nouveau SDRIF, comme vous me l'avez indiqué ?
Le Gouvernement n'a pas donné, en 1994, les moyens nécessaires au SDRIF. Vous le reconnaissez. Les effets ont alors conduit à cette évolution négative, ségrégative de l'Ile-de-France au point d'en compromettre équilibre et richesse.
Le SDRIF insuffisant, inadapté, a provoqué globalement un recul de l'Ile-de-France. Une révision s'impose. Si l'on veut corriger ce recul, cette révision est d'autant plus nécessaire que ce SDRIF inefficace avait été repoussé par nombre d'entre nous. Les schémas locaux ont d'ailleurs tous en commun l'objectif de pouvoir le contourner. Il faut savoir tirer au plus vite les conclusions d'un échec évident.
Cette révision est complémentaire de l'aménagement que vous nous proposez, madame la ministre. Son refus rendrait votre projet de loi sans aucun intérêt pour l'Ile-de-France. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Jean Faure.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Fatous.
M. Léon Fatous. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, cette année sera marquée par le débat sur la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, qui pèsera, entre autres, sur la nouvelle génération des contrats de plan Etat-région, auxquels nous sommes tous également fort attachés.
Ce projet de loi d'orientation, déclaré d'urgence par le Gouvernement compte tenu des contraintes de calendrier, n'opère pas une réécriture de la loi du 4 février 1995.
Je rappelle que, sur les quatre-vingt-huit articles que compte la loi de février 1995, soixante-huit articles ne sont pas modifiés.
Au nom du groupe socialiste, je voudrais vous dire combien je me félicite que la notion de développement durable soit érigée en principe fort de l'aménagement du territoire : ce principe est notamment décliné dans les articles consacrés à la politique des transports - articles 28, 29, 30 et 32 - politique à laquelle, vous le savez, j'accorde beaucoup d'intérêt.
Le passage d'une logique d'offre à une logique de service a permis de proposer huit schémas de service effectifs, parmi lesquels sont dissociés - et c'est heureux - le schéma multimodal de transport de voyageurs et le schéma multimodal de transports des marchandises. Ce dernier retiendra plus particulièrement mon attention.
Il me paraît important de rappeler que ces schémas de service collectifs sont élaborés dans une perspective à vingt ans et qu'ils prennent en compte les projets d'aménagement communautaires, ce que la loi Pasqua avait négligé.
Pour m'en tenir aux deux schémas de transport, voyageurs et marchandises, cette séparation constitue une innovation importante qui traduit la volonté du Gouvernement de rééquilibrer le transport en faveur du fret, trop longtemps négligé.
Il faut cependant éviter la mise en concurrence progressive des deux services et favoriser leur complémentarité : l'un ne doit pas se développer au détriment de l'autre.
Je sais que cette complémentarité est retenue, en principe, dans la définition du cahier des charges publié en annexe de la circulaire du 17 juillet 1998 relative à la préparation des contrats de plan, mais je tenais à en rappeler l'importance.
Cela étant, ma préoccupation porte davantage sur la concurrence route-fer pour le transport des marchandises et des personnes.
Le déséquilibre accentué depuis dix ans en faveur du fret par voie routière et autoroutière pose un réel problème pour la sécurité des usagers, pour l'environnement et pour les finances publiques.
En tant que sénateur du Pas-de-Calais, département traversé par l'autoroute A 1 Lille-Paris, couloir nord-sud des échanges européens actuellement aux limites de la saturation, je peux en mesurer les effets négatifs.
La modernisation et le développement du transport ferroviaire sont au coeur de la politique alternative au « tout routier » qui a caractérisé la dernière décennie.
Pour réussir cette mutation et pour obtenir l'adhésion des usagers et des partenaires économiques, un certain nombre de conditions doivent être réunies, qui nécessitent des moyens importants.
Il faut, à la fois, améliorer la qualité du service offert à la clientèle, requalifier les gares et renforcer les infrastructures pour rendre techniquement possible l'amélioration de l'offre de transport.
Réussir cette mutation, c'est aussi, en partenariat avec les autorités organisatrices de transport et les collectivités locales compétentes, développer l'intermodalité en rendant complémentaires des modes différents de transport, ce qui nécessite également des équipements spécifiques.
Nous devons cependant garder à l'esprit le souci d'efficacité de la dépense publique, en optimisant l'utilisation des réseaux et équipements existants.
En terme de stratégie, trois options me paraissent prioritaires.
L'une concerne l'axe nord-sud Lille-Paris-Lyon-Méditerranée, sur lequel il est impératif de renforcer la fluidité. Pour cela, la suppression des points de saturation, au niveau notamment de Lyon, de Nîmes et de Montpellier, est capitale, la seule réponse possible étant d'envisager le contournement de ces trois agglomérations.
La deuxième est relative à la nécessité d'aménager les axes est-ouest reliant rapidement la façade Manche-Atlantique aux grands pôles européens.
La troisième concerne plus particulièrement la réalisation rapide de plates-formes multimodales qui favoriseront la complémentarité et la coopération entre modes, au niveau tant de l'exploitation des réseaux que de leur extension.
A ce titre, il serait souhaitable que la plate-forme multimodale de Dourges, dans le Nord - Pas-de-Calais, se réalise dans les plus brefs délais. Elle répond, de par son positionnement géographique, à la préoccupation exprimée dans le projet de loi d'orientation d'inclure la dimension européenne dans notre réflexion. Elle répond également à une nécessité reconnue par l'ensemble des collectivités de la région Nord - Pas-de-Calais et par tous les partenaires économiques afin de permettre un rééquilibrage des modes de transport sur l'ensemble du territoire national. Enfin, elle correspond parfaitement aux objectifs visés à la fois dans le schéma régional de transport en cours d'élaboration et au schéma de service collectif national.
Voilà, madame le ministre, les quelques remarques que je souhaitais présenter à propos de l'un des aspects du projet de loi.
Pour le groupe socialiste, s'il apparaît nécessaire de poursuivre l'amélioration du réseau routier et autoroutier, ne serait-ce qu'au titre de la sécurité des usagers, nous devons rompre avec la logique du « tout routier » pour le transport du fret. Mais nous devons également éviter que les corridors européens se mettent en place uniquement par accords entre opérateurs ferroviaires, ce qui pourrait conduire à ce qu'en 2015 les flux de transport soient ailleurs que sur notre territoire. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Huchon.
M. Jean Huchon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis près de dix ans, la commission des affaires économiques et du Plan, sous l'impulsion de son président, s'est passionnée pour l'aménagement du territoire.
Bordeaux, Poitiers, le 4 février 1995. Que de souvenirs, que de constats, que de bonnes intentions exprimées, que de promesses faites, que de travaux encouragés ; mais, au bout de tout cela, que de faux espoirs et que de déceptions !
Notre pays, qui dispose d'espaces que beaucoup lui envient, a laissé depuis quelques décennies se développer une situation aussi tragique que ridicule, c'est-à-dire un territoire rural qui se désertifie de plus en plus et un tissu urbain qui se congestionne et se caractérise par une prolifération des zones de non-droit où a disparu toute vie civique et sociale.
Depuis quelques années, le Sénat a longuement observé cette situation de fracture qui voit les zones urbaines s'asphyxier dans des problèmes sociaux et démographiques quasi insolubles et les zones rurales se précipiter vers une inexorable désertification.
Je souhaite que le texte que vous nous proposez aujourd'hui, madame la ministre, contribue à inverser la tendance.
La loi de février 1995 était un instrument valable et prometteur, mais pourquoi a-t-il fallu que les gouvernements successifs aient mis tant de nonchalance, pour ne pas dire de mauvaise volonté, à appliquer un texte que nous avions voté et qui nous donnait beaucoup d'espoirs ?
Le territoire est le patrimoine commun de la nation. C'est un bien précieux que nous avons le devoir de ne pas laisser se dégrader et que nous devons valoriser. Hélas ! le constat est désolant : 80 % de la population vivent sur 20 % du territoire et, si rien n'est fait, ce sera bien pire dans quelques années.
Les remèdes, nous les connaissons un peu, mais ils n'ont jamais été appliqués sérieusement.
Que faut-il pour inverser le processus de dégradation et assurer le retour vers l'équilibre ?
Je vous propose deux actions de base. Premièrement, que des hommes sur le terrain reprennent confiance et prennent en main leur avenir. Deuxièmement, que l'Etat et le Gouvernement les comprennent et les accompagnent en leur donnant de réels moyens d'actions.
Je reviens donc sur le premier point : les hommes. Disons-le tout net, les maires et les équipes municipales doivent se sentir les moteurs et les accompagnateurs du développement.
Bien sûr, la meilleure volonté, la plus grande détermination ne suffisent pas. Il faut que l'Etat apporte l'organisation structurelle et les moyens nécessaires à une action efficace.
Force est de constater que l'organisation actuelle de la fiscalité locale est un frein extraordinaire à l'aménagement du territoire.
Aménager le territoire, c'est assurer l'égalité des chances. Il faut donc que la participation de l'Etat sur le plan financier soit le plus rigoureusement et le plus justement répartie sur la totalité de notre territoire. Hélas ! il suffit d'être mêlé à la gestion locale pour constater qu'il n'en est rien.
Je ne veux pas vous agacer avec des chiffres, mais, pour avoir depuis très longtemps travaillé abondamment sur ce sujet, sachez qu'ils démontrent de façon éloquente les disparités énormes qui existent entre petites communes, villes moyennes et grandes villes.
Ce problème de la fiscalité locale, notamment de la taxe professionnelle, m'apparaît comme l'action prioritaire à mener. Vous en avez longuement parlé, madame le ministre, et nos rapporteurs aussi. Je n'insisterai donc pas.
La réforme de la taxe professionnelle, en particulier, est urgente, même si le lobby de ceux qu'elle favorise est puissant. La solidarité intercommunale n'est pas forcément une vertu répandue ! Mais il faut que la loi corrige la situation déséquilibrée que nous connaissons.
La péréquation fiscale prévue dans la loi de 1995 et appliquée chez nos voisins d'Allemagne fédérale est un exemple dont nous pourrions nous inspirer ! En effet, le louable effort de décentralisation de la loi de 1982 a été incomplet, car il a conforté les régions riches dans leur richesse et laissé les régions les moins dotées à leur pauvreté.
La loi du 4 février 1995 avait ébauché timidement une péréquation progressive, mais celle-ci n'a pas connu un début d'exécution, ce qui est bien dommage. Je souhaite ardemment que la réforme des finances locales que nous examinerons sous peu corriger cette situation inadmissible.
L'aménagement du territoire, c'est aussi le drainage de l'ensemble du territoire par des équipements routiers et ferroviaires dignes d'un grand pays. L'examen de la carte de notre territoire montre que, partout où le réseau routier, autoroutier et ferroviaire est moderne, la croissance économique et démographique suit rapidement. C'est pourquoi nous insistons auprès de vous, madame la ministre, pour que le programme que vous avez suspendu soit repris. Les voies de communication sont indispensables. Nombre d'entre elles ont été réalisées, mais il reste beaucoup à faire.
Aménager le territoire, c'est aussi encourager l'occupation raisonnable et raisonnée de l'espace ; en un mot, il convient que l'agriculture soit solidement installée et qu'elle puisse s'exprimer dans des conditions favorables. A cet égard, la loi d'orientation agricole comporte des éléments intéressants, mais aussi des insuffisances quant aux moyens mis en oeuvre.
Quant aux négociations sur la PAC, on ne peut qu'être inquiet et redouter un échec ou un mauvais accord, qui auraient des conséquences dramatiques sur l'avenir de l'agriculture, et donc sur l'occupation du territoire.
A l'aube du xxie siècle, l'agriculture ne peut, à elle seule, occuper le territoire ; mais, inversement, un milieu rural vivant et attractif ne peut se passer d'une agriculture prospère.
Il faut également encourager l'emploi, à travers la création d'entreprises qui fourniront le travail à une main-d'oeuvre que l'agriculture ne peut plus utiliser. A ce sujet, des mesures de soutien déjà largement prévues dans la loi de 1995 doivent être mises en application. Certaines régions françaises donnent l'exemple. Il faut s'en inspirer, notamment en stimulant l'esprit d'entreprise, qui n'est pas nécessairement favorisé par certaines méthodes d'assistance qui anesthésient le goût de l'initiative et du risque.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Jean Huchon. Espérons que le nouveau courant qui prévaut à l'éducation nationale, qui semble entretenir des contacts de plus en plus fréquents avec les entreprises, redonne à nos jeunes le goût de l'initiative économique.
Une autre action indispensable est le maintien des services publics. On assiste trop fréquemment à des regroupements vers les centres des équipements postaux, financiers et, plus récemment, à des gendarmeries. Ce sont de véritables abandons du territoire. Tout cela est fort mal vécu par la population, qui se sent frustrée, voire délaissée.
Dans ce domaine du maintien du service public en milieu diffus, madame la ministre, nous sommes quelquefois traumatisés par des attitudes ou des règlements qui peuvent paraître secondaires vus de Paris.
A cet égard, permettez-moi de sortir des considérations générales pour évoquer brièvement un cas pratique d'aménagement, ou plutôt de non-aménagement du territoire.
Je veux parler du parcours du combattant, des lourdeurs du système bureaucratique, de la prééminence des intérêts particuliers et catégoriels sur l'intérêt général qui accompagnent l'installation des pharmacies en milieu rural.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Jean Huchon. Qui oserait contester ici l'importance qui s'attache à garantir le droit égal de tous les Français à bénéficier de services de santé ? Qui dénierait la nécessité de leur offrir des services de proximité ?
Or, qu'observe-t-on dans de nombreuses zones rurales marquées par un développement dynamique de l'activité économique, car cela existe ?
Dans des communes de 1 000 à 2 000 habitants où sont installés des maisons de retraite, des foyers logement où certains bénéficient du maintien à domicile, ceux qui n'ont plus les moyens de se déplacer sont obligés de se faire transporter à plusieurs kilomètres faute d'une pharmacie à proximité.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Jean Huchon. Je n'insisterai pas sur l'implantation des pharmacies - la réglementation date d'ailleurs de Vichy - ni sur les conditions nécessaires à leur ouverture. L'immense majorité des officines créées dans le cadre de la procédure dérogatoire accordée par MM. les préfets sont immédiatement l'objet d'un recours porté devant le tribunal administratif, si bien que ledit tribunal administratif ordonne, bien sûr, la fermeture de l'officine nouvellement ouverte.
C'est une situation ridicule dans laquelle seul n'est jamais pris en compte le service du public, et notamment de ce public fragile, de ces clients privilégiés que sont les générations qui ne peuvent plus se déplacer.
J'ai suffisamment de bons rapports avec mes nombreux amis pharmaciens, y compris dans cet hémicycle, pour me permettre de leur dire ce que je pense et pour leur demander un aménagement de cet énorme privilège corporatiste.
Le numerus clausus qui prévaut en France a été supprimé dans de nombreux pays européens, notamment en Allemagne et en Angleterre, et, après tout, la liberté qui existe en économie pourrait également exister dans ce secteur d'activité !
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Jean Huchon. Madame la ministre, depuis cet après-midi, de nombreux orateurs ont évoqué le texte de votre projet de loi, qui prend en compte à la fois le dramatique problème urbain et la déshérence du milieu rural défavorisé.
Je m'associe, bien sûr, aux propos qui ont été tenus. Je partage aussi votre souci d'un environnement qui a parfois été malmené. Mais, de grâce ! s'il faut prendre en compte largement la qualité de la vie, il faut aussi qu'une activité économique digne de ce nom permette aux ruraux de vivre de leur travail. L'espace français n'a pas vocation à devenir une réserve d'Indiens. De même, nous devons tout faire pour que nos banlieues à problèmes redeviennent vivables et humaines.
Vous prévoyez, pour asseoir votre loi, d'utiliser la structure régionale ; c'est en effet le rôle de cette dernière de participer largement à la fonction d'aménagement du territoire.
Vous attribuez, semble-t-il, au département un rôle plus réduit. Je crois que c'est un tort, et nombre de mes collègues vous ont déjà dit ce qu'ils en pensaient.
Vous voulez donner un rôle fondamental aux pays, et vous avez raison. J'en ai fait l'expérience depuis vingt ans puisque, dans mon département, des élus locaux et nationaux clairvoyants ont encouragé et provoqué la constitution, par bassins d'emplois et par affinités, de regroupements spontanés qui sont devenus de réels pays, c'est-à-dire des lieux de réflexion et d'élaboration de projets débouchant sur des contrats.
Nous n'avons pas fait une structure supplémentaire. L'expérience des pays qui a été la mienne m'a apporté la preuve que l'action a été fondamentale pour fédérer les hommes et les structures. La réflexion qui a été menée par tous les élus avec les divers échelons administratifs - Etat, région, département et, éventuellement, Europe - pour faire une politique contractuelle imaginative et novatrice a considérablement facilité l'intercommunalité.
Provoquer l'action volontariste des hommes sur le terrain est un premier résultat. Mais il faut aussi, j'y reviens, que l'Etat accorde les moyens nécessaires à une action significative.
Je vous ai dit, il y a quelques instants, tout le mal qu'on pouvait penser de la fiscalité locale telle que nous la subissons.
J'aurais voulu que mon pays, dont j'étais le président, et qui compte 100 000 habitants, puisse disposer des mêmes possibilités financières qu'une ville de 100 000 habitants. Hélas ! ce n'était pas le cas, et ce n'est toujours pas le cas. Le coefficient va de un à quatre, et c'est intenable.
C'est pourquoi il faut une remise à plat de la fiscalité locale, notamment de la taxe professionnelle, dont on dit toujours le plus grand mal, mais qui perdure allègrement en favorisant énormément ceux qui la perçoivent. La prochaine loi sur les finances des collectivités locales est donc attendue avec une grande impatience.
L'aménagement du territoire, il en a été tellement question, ces dernières années, qu'après tant de discours, de promesses non tenues, de lois non appliquées, le doute s'installe dans l'esprit de nos concitoyens.
La commission spéciale, qui a, hélas ! travaillé dans la précipitation pour enrichir le texte qui nous est proposé, aurait souhaité une plus grande sérénité et un peu plus de temps pour réfléchir et proposer des mesures qui vont conditionner l'avenir des dix ou vingt prochaines années.
Nos trois amis rapporteurs, Gérard Larcher, Claude Belot et Charles Revet, ont, avec leur connaissance du dossier et leur volonté de défendre l'intérêt supérieur du pays, élaboré des amendements substantiels qui vont, nous l'espérons tous, mettre en place un instrument législatif efficace. Qu'ils en soient félicités et remerciés.
Espérons que la France, après avoir retrouvé un équilibre qu'elle n'a plus, puisse tenir sa place dans une Europe digne de ce nom ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux, moi aussi, remercier le président de la commission spéciale, MM. Jean François-Poncet, et nos trois rapporteurs, Gérard Larcher, Claude Belot et Charles Revet, de nous avoir permis de faire un travail important dans d'excellentes conditions.
Ce travail a également été passionnant, et ce sur un texte, madame la ministre, qui, à vrai dire, est quelque peu déroutant. Dans le pays, souvent, à son propos, on s'inquiète. Mais quand on y regarde de près, on se rend compte que c'est principalement une affaire de sémantique.
Depuis la création de la DATAR, en 1963, depuis Olivier Guichard, on était un peu habitué au vocabulaire « Guichard ». Au fond, c'est peut-être votre mérite - de votre point de vue, pas du mien ! - de faire entrer le discours écologiste dans les textes législatifs.
Votre victoire sur tous vos partenaires est donc sémantique. Il est clair que le développement ne peut être que durable et que l'ensemble de la thématique écologiste est présente dans ce texte d'un bout à l'autre. Comprenez, dès lors, que l'on soit quelque peu dérouté !
Mais au fond, à y regarder de près, là encore, ce n'est pas si méchant qu'il y paraît.
Ainsi, il est un certain nombre de points positifs, d'avancées significatives que je veux relever parce que c'est, me semble-t-il, l'occasion de faire progresser notre réflexion.
J'ai beaucoup apprécié, presque plus, d'ailleurs, dans votre discours liminaire que dans votre texte, le fait que vous abordiez le débat en termes de justice.
C'est vrai - vous l'avez souligné - c'est à l'intérieur d'un même territoire que la problématique de la justice se pose, tant il est vrai qu'il ne faut pas avoir cette vision sommaire qui consiste à opposer les territoires les uns aux autres : les riches ont leurs pauvres, mais les pauvres ont leurs riches. Et c'est à l'échelle du pays tout entier qu'il faut, à l'évidence, raisonner en termes de justice.
Moi qui suis dans le camp des humanistes libéraux, j'apprécie que vous répondiez à cette nécessité de justice par un besoin de liberté : vous souhaitez libérer les énergies et vous faites de l'aménagement une liberté pour atteindre la justice. Il y a là des points intéressants que je veux souligner.
Il est en effet important de faire du développement la priorité. Dans le concept d'aménagement du territoire, le développement venait en second, après l'aménagement, bien sûr. Or, on voit bien aujourd'hui, que, dans un territoire qui connaît des difficultés, qui a ses pauvres, qui a ses riches, il faut absolument libérer le développement local, le développement endogène, l'énergie locale, car c'est là le premier moteur de l'aménagement du territoire ; sans développement, il ne peut pas y avoir d'aménagement. Il est donc important, je le répète, d'accorder cette priorité au développement.
Quant à savoir si ce développement est durable - je rejoins, à cet égard, les propos de M. Jean François-Poncet - si l'on peut vous faire plaisir en disant qu'il l'est, disons-le : nous sommes contre le développement non durable !
Deuxième point très important : la logique du contrat. L'évolution apparaissait déjà dans le texte de MM. Pasqua et Hoeffel, voire dans les contrats de plan, depuis 1984.
Le contrat est l'outil majeur de l'aménagement du territoire, comme il l'a été, il y a déjà quelques années, de la politique des entreprises face à la compétition des pouvoirs : les arbitrages ont été rendus grâce à la politique contractuelle.
Le contrat est le lieu de l'équilibre, le lieu où les volontés s'articulent. Notamment dans ce pays, il est l'occasion pour l'Etat d'affirmer la cohérence dont il est en charge et de s'adresser aux territoires pour les écouter et faire en sorte qu'ils puissent libérer leur énergie.
Il est primordial de placer le contrat au coeur même des discussions. Nous avons beaucoup travaillé cette question, et l'accord auquel nous sommes parvenus - M. le président Jean François-Poncet a dit que c'était quasiment un miracle - entre l'association des maires de France, l'assemblée des présidents de conseils généraux et l'association des régions de France est, en fait, le fruit du bons sens. Nous avons fait du contrat l'outil d'aménagement du territoire.
Mais pour que le contrat soit transparent - car on voit bien que la faiblesse du contrat, c'est l'opacité : qui fait quoi ? - il faut faire en sorte qu'il soit lisible, et donc qu'il y ait un chef de file pour le citoyen et pour les autres.
La définition du chef de file me paraît raisonnable. Tout le monde peut y trouver son compte, et c'est pour le citoyen le moyen de voir que les collectivités territoriales, les acteurs locaux, travaillent ensemble dans la bonne direction et que chacun assume sa responsabilité vis-à-vis des autres.
La troisième avancée significative, c'est l'avenir du pays.
Sur le pays, on a entendu dire beaucoup de choses et, notamment, dans cette assemblée, qu'il fragiliserait les départements. En fait, le pays ne fragilise que les départements qui ne s'intéressent pas à lui. Quand un département s'intéresse au pays, le pays renforce le département.
Il est clair que le pays est un espace de projet, un espace de dynamique. Quand le département assume son rôle de cohérence - et il peut très bien le faire ! - il n'a pas à avoir de complexes par rapport à la région. M. Belot l'a dit et il l'a prouvé sur le terrain.
De très nombreux exemples montrent que, naturellement, si les pays sont abandonnés, ils se tournent vers ceux qui s'intéressent à eux. C'est pourquoi nous avons fait en sorte, au travers de nos amendements, que, à chaque fois que le département veut jouer la carte de la cohérence avec les pays sur son espace, il ait les possibilités juridiques de le faire.
Priorité au développement, logique de contrats, avenir du pays, mais aussi - c'est très important - la région comme pivot de contractualisation.
Je suis bien obligé, dans cette assemblée, de dire un mot des régions, car, si je ne le fais pas, je crains que personne n'en parle.
Je veux simplement souligner brièvement le fait que la région est un pivot de la contractualisation ; mais la région à la française, c'est-à-dire une région qui est à la fois décentralisation et déconcentration, qui est un espace de négociation à l'intérieur duquel des partenariats clairs s'établissent.
Je crois que nous avons montré, madame la ministre, dans ce texte, et probablement pour la première fois, que la guerre département-région n'aura pas lieu parce qu'elle est absurde. Le talent consiste à mettre tout le monde en spirale positive et donc à trouver les moyens d'un partenariat intelligent. C'est ce que nous voulons faire à travers les amendements proposés par nos rapporteurs.
Voilà donc les quatre avancées significatives.
Votre texte n'attend pas tout à fait la perfection, madame la ministre, mais il pourrait s'en approcher si vous nous suiviez dans trois directions, qui sont autant de progrès.
Premier progrès : élaborons, nous en avons déjà parlé, un projet français pour l'aménagement de l'espace européen ; c'est très important.
Nous ne pouvons pas nous contenter de dire que l'aménagement du territoire n'est pas une compétence européenne, donc que cela ne nous regarde pas, et, ainsi, ne pas élaborer une stragégie.
Au contraire, nous devons concevoir une stratégie française de l'espace européen ; nous devons définir la perception que nous en avons, notamment en intégrant des périphéricités en Europe, car la cohésion économique et sociale est aussi territoriale.
Nous devons trouver des alliés au sud comme au nord, et dans les pays qui sont eux-mêmes périphériques à l'est. Il y a là une logique à définir. Il nous faut une vision - je ne sais, madame la ministre, comment elle peut être intégrée dans le projet de loi, mais vous avez défini quelques avancées - et trouver une formule pour bien montrer que la France se doit d'assumer la cohérence entre son aménagement du territoire et le SDEC, les bases ayant été brillamment jetées par M. Hoeffel lors d'un sommet des ministres de l'aménagement du territoire qui s'est tenu à Strasbourg.
Le deuxième progrès, c'est le schéma de synthèse. Nous n'en sommes pas très loin. Certes, se déroule un débat théorique sur l'existence ou non d'un schéma national. Vous, vous parlez de schéma de services. Nous, nous parlons de schéma directeur. Vous avez une vision de la France à l'horizon 2020. Si nous réunissons tous ces éléments, si nous en débattons au Parlement, nous ne sommes pas très loin d'un schéma national.
Faisons la synthèse des outils existants. Débattons de la France à l'horizon 2020. Il est important de fixer des objectifs lointains. Faisons en sorte que ce schéma de synthèse soit débattu au Parlement. Le CNADT ne peut pas être le seul outil de concertation. Certes, il s'agit d'un club sympathique réunissant des personnes très compétentes, mais il faut quand même que, sur un certain nombre de dossiers - nous l'avons vu récemment avec la consultation sur la PAC et les cartes d'aménagement du territoire - les élus soient consultés dans la transparence et non pas au sein de comités qui sont créés et dans lesquels toutes les forces ne sont guère représentées de manière équitable. Il est important, je le répète, d'avoir un débat au Parlement sur ce schéma de synthèse.
J'en arrive au troisième progrès à réaliser. Vous parlez de développement. Comment fait-on aujourd'hui essentiellement du développement ? Comment crée-t-on principalement de l'emploi ? On crée de l'emploi en créant des entreprises. Les véritables emplois sont créés par les véritables entreprises. Il ne peut y avoir d'aménagement du territoire sans création et développement d'entreprises.
Sur ce point, votre texte pèche par sa faiblesse et des avancées s'imposent. Ce serait un signal fort ; hors des débats idéologiques, cela montrerait que nous comprenons que l'aménagement du territoire consiste à libérer des énergies, notamment en créant des entreprises.
Nous proposons un volet relatif au développement économique avec des mesures précises, concrètes, étudiées et expérimentées dans d'autres pays.
Nous souhaitons favoriser le capital de proximité, par le biais notamment de fonds communs de placement de proximité sur la base des FCPI qui existent déjà, de manière qu'une épargne puisse être collectée au niveau d'un territoire, d'un département, d'une région pour être réinjectée dans des zones difficiles. A tel endroit on a besoin de capital risque, à tel autre, de moyens financiers. Il ne s'agit pas d'aller chercher la charité au bout du monde mais à l'intérieur du territoire, de faire en sorte que ceux qui ont quelques moyens participent à la vie de leur propre territoire et à l'oxygénation du développement local.
Nous proposerons également, par amendement, de développer les groupements d'employeurs, les réseaux d'entreprises, etc. On sait bien, selon les grands et beaux rapports de la DATAR, que la logique des districts et un certain nombre d'autres logiques se développent aujourd'hui partout dans le monde.
Créons des réseaux d'entreprises, comme les groupements d'employeurs qui permettent à des artisans, à des petites et moyennes entreprises de faire preuve, en se regroupant, de solidarité active, fertile. Alors, les petits artisans arriveront à échanger des heures, disposeront de salariés en commun ; ils utiliseront cette souplesse dont ils ont besoin.
Le texte de MM. Pasqua et Hoeffel proposait un certain nombre d'avancées en matière d'aides économiques que l'on pourrait essayer de développer.
Je sais bien que tout cela est difficile. J'avais, avec l'aide de la banque de développement des PME, lancé une initiative importante sur les territoires qui avait apporté de l'oxygène aux petites et moyennes entreprises.
Mais il y a sans doute encore d'autres mesures à développer. Avec Francis Grignon et un certain nombre d'autres collègues, nous avons constitué un groupe de travail auprès de Jean François-Poncet, pour mobiliser des idées. Nous serons, au cours de ce débat, madame la ministre, à la disposition de tous pour essayer de renforcer cette fertilité économique.
Mon dernier message sera pour vous demander - mais je sais que vous en êtes capable - d'avoir vis-à-vis de la ruralité cette reconnaissance, cette considération dont la ruralité a besoin, qui n'a rien à voir avec une charité ou le sentiment que la ruralité est l'obsession des sénateurs, qui, parce qu'ils représenteraient la France profonde et lointaine, n'ont que ce mot-là à la bouche quand ils sont réunis.
Non, madame la ministre, sur ce terrain, nous voyons bien aujourd'hui une reconnaissance rurale se développer, avec une vraie dynamique, de vraies idées, de vrais réseaux Internet, de nouvelles technologies.
La ruralité est d'avant-garde aujourd'hui parce qu'elle est humaine, qu'elle respecte les relations humaines, la convivialité.
Au fond, nous pensons qu'il y a sans doute, pour le prochain siècle, qui cherche la place de l'homme dans ces espaces-là, peut-être quelques lignes d'espoir à tirer.
Alors, madame la ministre, vous verrez que votre texte pourra faire en sorte que la logique de développement l'emporte sur la logique de conservation. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà, quatre ans, nous avons discuté d'une loi importante, sur laquelle j'avais émis quelques réserves.
Madame la ministre, au-delà d'une observation liminaire, que je me permettrai de vous livrer, je vous poserai une question et, à la limite, je vous ferai une objurgation.
Mon observation de départ, c'est que notre pays présente une caractéristique au sein de l'Europe occidentale, à savoir une certaine faiblesse de sa population ramenée au kilomètre carré par rapport à celle de ses voisins.
De ce fait, les raisonnements fondés sur la taille de nos villes, les considérant comme un éventuel réservoir de population au profit de nos campagnes, risquent de trouver très rapidement leurs limites, car nos villes ne sont pas si nombreuses et pas si grandes que cela.
Ainsi, l'agglomération parisienne, malgré l'hypertrophie qu'elle représente par rapport à notre territoire et notre population, telle qu'elle est répartie, n'est pas en soi totalement anormale par rapport aux autres grandes métropoles européennes ou internationales.
Force est donc de constater que nous ne pouvons pas espérer revitaliser notre territoire rural en dévitalisant nos villes, parce qu'elles ne sont déjà pas si nombreuses et si grandes, et parce que leur caractéristique c'est d'être géographiquement éloignées les unes des autres. Dans ces conditions, leur mise en réseau n'est pas aussi simple à réaliser qu'à concevoir en théorie. Même à l'heure de l'Internet, les choses ne sont pas évidentes.
Je n'ai pas senti, madame la ministre, dans votre texte, dans les préoccupations qu'il exprime dans son exposé des motifs, ni même dans votre discours, la prise en compte de cette caractéristique particulière de notre territoire qui est à la source d'une grande partie des difficultés liées à son aménagement, ne serait-ce que par le poids que représentent nos infrastructures de communication par rapport à notre produit intérieur brut, et par rapport au fait qu'il nous est plus difficile qu'à d'autres d'organiser les transports en commun. En effet, nous avons besoin de répondre à des besoins de transports individuels sur un tissu extraordinairement diffus. Par conséquent, les réponses collectives ne sont pas aussi simples à mettre en place qu'on le croit. C'était une observation générale.
Une question maintenant, madame le ministre : où est la cohérence dans l'avalanche de textes qui nous arrivent et qui concernent tous, plus ou moins directement ou indirectement, l'aménagement du territoire et la vie de nos collectivités territoriales, dont nous sommes ici les représentants constitutionnels ?
Je vise votre texte, tous les projets de M. Chevènement et le projet de réforme de la taxe professionnelle. Où est la cohérence entre les uns qui poussent vers une organisation fondée sur la taxe professionnelle et les autres qui détruisent, limitent ou handicapent à terme l'efficacité de cet impôt ? Que penser de vos propres orientations qui tendent à rassembler autour des villes une ruralité dont on espère qu'elle sera complémentaire avec elles sans qu'on discerne exactement quels sont les critères de rassemblement tels que vous les souhaitez et quels sont les espaces ?
Vous avez dit tout à l'heure que l'aménagement du territoire ne se réduit pas à la mutualisation de la taxe professionnelle. Mais c'est quand même cela aussi. On ne peut pas à la fois vouloir une chose et son contraire. Il y a dans tout cela une incohérence globale qui désoriente nombre d'entre nous.
J'en viens enfin à mon objurgation, qui tourne autour de la notion de pays.
Je ne suis certainement ni le premier, ni le dernier à le dire : madame la ministre, le pays, dans une nation comme la nôtre, avec une population diffuse, ne peut exister que s'il s'adapte sur le plan concret aux réalités locales, qui sont extraordinairement diverses, c'est-à-dire s'il se met en place autour d'initiatives voulues par les acteurs locaux, dans leur diversité.
Or je constate, dans le texte qu'a adopté l'Assemblée nationale et que vous avez assez largement inspiré, une vue extraordinairement encadrée, juridique, contraignante de la notion de pays, y compris avec la mise en place d'un conseil de développement qu'il faudra consulter tout le temps, sans que l'on sache exactement quelle est la structure adéquate, et qui est présenté comme étant le point de passage obligé d'une contractualisation avec l'Etat. De celle-ci, on ne nous dit pas quels sont les avantages, on ne voit pas très bien quelles sont les contraintes, mais on sent très bien que tout cela sera déterminé par une autorité dite supérieure et qui est, en l'espèce, celle des préfets et des préfets de région.
Tout cela manque de souplesse et va à l'inverse de la vie réelle, vécue sur le territoire. Nous n'arriverons à développer le territoire que si les initiatives locales, les initiatives d'entrepreneurs, les initiatives de citoyens peuvent se développer librement.
Votre texte, madame la ministre, compte tenu de vos familles de pensée, m'étonne quelque peu. Vous avez une formation biologique ; j'en ai une moi aussi. Nous savons tous deux que la biologie n'est pas contrôlable a priori, que la vie surgit là où on ne l'attend pas, qu'elle disparaît là où on ne craignait même pas qu'elle s'en aille.
Laissons les initiatives locales se développer librement ! Confions les structures informelles à celui qui sera le véritable porteur d'un projet, le maître d'ouvrage ; maintenons la possibilité de contractualiser sous la surveillance de l'administration, mais ne créons pas des échelons supplémentaires nouveaux. L'organisation de notre territoire est déjà trop complexe et trop riche en systèmes juridiques qui, en définitive, sont des systèmes bloquants. Je crains que votre texte ne pèche par l'excès dans cette direction, surtout en ce qui concerne l'article 19.
Pardonnez-moi d'avoir été un peu critique, mais je crois très honnêtement que, si vous voulez contribuer au développement équilibré de notre territoire, il est nécessaire de réintroduire énormément de souplesse à ce niveau-là. Dans le cas contraire, nous allons vers du juridisme supplémentaire, des procès supplémentaires, des difficultés supplémentaires et vraisemblablement des stérilisations supplémentaires. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Joyandet.
M. Alain Joyandet. Madame la ministre, vous avez, avec ce texte, l'ambition louable d'aménager durablement le territoire français de façon à corriger les déséquilibres qui, depuis des années, ont conduit à la situation actuelle - laquelle a d'ailleurs été dénoncée précédemment par d'autres orateurs - à savoir que 80 % de la population occupent seulement 20 % du territoire.
Les récentes manifestations de violence dans les banlieues ont rappelé, s'il en était encore besoin, le désespoir dans lequel se trouve une grande partie de notre jeunesse, concentrée dans les villes, sans perspective de travail ni d'avenir.
Pourquoi en arrive-t-on à cette situation ? Pourquoi la délinquance nous semble-t-elle accrue aujourd'hui par rapport à hier ? Pourquoi feignons-nous la surprise alors que, depuis des dizaines d'années, des signaux d'alarme ont été tirés, émanant de tous les bords politiques, et que rien n'a pu enrayer ce phénomène croissant de concentration urbaine et de désertification rurale ?
Je n'ai pas, bien sûr, de réponse à ces interrogations, et je ne pense pas que qui que ce soit puisse en apporter une de façon définitive. Je crois cependant que des erreurs ont été commises, qui consistent à toujours penser qu'il faut privilégier les zones de forte concentration de population, les villes et les départements les plus peuplés au détriment des campagnes et des départements les moins peuplés.
Or, madame le ministre - ce n'est pas l'élue franc-comtoise qui me contredira - on vit bien mieux dans le reste de la France que dans les grandes villes, notamment à Paris !
La loi du 4 février 1995 avait pour objet de tenter de remédier au déséquilibre français grâce à l'élaboration d'un plan ambitieux d'aménagement du territoire. Toutes les solutions qui, à l'époque, avaient été adoptées - notamment grâce à l'excellent travail de notre Haute Assemblée - n'ont pas porté leurs fruits. Mais peut-on rendre la loi responsable alors qu'on on ne lui a pas laissé beaucoup le temps de prouver la pertinence des solutions qu'elle apportait ?
Faisant table rase du passé, votre gouvernement souhaite réorienter l'aménagement du territoire, et ce de façon durable. Vous avez eu raison, madame le ministre, de le préciser car, à l'examen des dispositions contenues dans votre projet de loi, on peut en effet se poser la question de la durabilité.
En supprimant le schéma directeur national en matière d'infrastructures, en voulant privilégier le transport multimodal sans pour autant prendre de décision forte en ce domaine, en gelant les 1 500 kilomètres d'autoroutes restant à construire, dont un barreau que vous connaissez bien, madame le ministre, le Gouvernement va pénaliser durablement de nombreuses régions françaises.
Je ne vois pas dans votre projet d'orientations fortes et nouvelles permettant aux habitants des départements enclavés d'espérer des jours meilleurs. C'est pourquoi je me permets d'insister sur l'urgence qu'il y a à définir de nouveaux objectifs pour notre territoire et à donner des impulsions fortes, notamment en direction de notre jeunesse. En effet, celle-ci aurait beaucoup à gagner à vivre sur l'ensemble du territoire plutôt qu'à se concentrer dans les grandes agglomérations. Il me semble qu'il manque notamment dans votre projet une réelle volonté en matière de nouvelles technologies d'information et de communication,...
M. Pierre Laffitte. C'est vrai !
M. Alain Joyandet. ... phénomène historique et élément désormais incontournable du développement du territoire.
Beaucoup de choses ayant été dites, et ne voulant pas me répéter, c'est surtout sur cette question des nouvelles technologies que je me permettrai d'insister. A plusieurs occasions, notamment lors de son discours prononcé à Hourtin, M. Jospin s'est montré particulièrement volontaire dans ce domaine.
Le texte que vous nous présentez ne me semble malheureusement pas traduire ce volontarisme. Il nous apparaît même un peu trop timoré. Aujourd'hui, il est pourtant vital de réfléchir aux erreurs qui ont été commises dans le passé afin de ne pas les reproduire. Aux régions qui ont été exclues du schéma directeur national et qui se sont trouvées enclavées du fait de l'absence de dessertes nationales satisfaisantes - et là je parle des autoroutes traditionnelles et non plus des autoroutes de l'information - il faut aujourd'hui offrir une seconde chance avec ces autoroutes de l'information, qui doivent passer partout, madame le ministre, notamment dans les départements qui ne sont pas desservis par les autoroutes terrestres. C'est dans cet esprit que nous serons amenés à soutenir des amendements visant à donner à notre pays un plan ambitieux en matière de nouvelles technologies d'information et de communication.
Il ne s'agit nullement d'élaborer un second plan câble à l'échelle nationale. Compte tenu de la rapidité avec laquelle les techniques évoluent, celui-ci serait obsolète avant même d'avoir vu le jour. Il s'agit, au contraire, d'aider à se connecter les collectivités qui sont restées en retrait des autoroutes de l'information et de prendre des initiatives dans ce secteur.
La loi Fillon, qui autorise des expérimentations, a été une première ouverture en matière de nouvelles technologies puisqu'elle a permis à un certain nombre de projets de voir le jour et a favorisé le développement d'opérations très intéressantes.
Cela dit, très peu nombreuses sont les collectivités qui ont eu les moyens d'être des précurseurs dans ce domaine. Il nous semble qu'il est donc du rôle de l'Etat de favoriser le développement des NTIC sur l'ensemble du territoire.
Je voudrais attirer votre attention, madame le ministre, sur un point particulièrement important : l'action des seules entreprises privées s'arrête avec la rentabilité. Mes propos ne seront pas très libéraux, mais, lorsque l'Etat abandonne aux grandes entreprises privées l'aménagement du territoire en matière de NTIC, le résultat est le même que pour les autoroutes traditionnelles ! C'est en tout cas ce que j'ai constaté sur le terrain.
Dans certains départements, on peut se connecter à Internet en quelques instants grâce à des moyens tout à fait exceptionnels. Dans le même temps, dans d'autres départements de France, il n'est toujours pas possible d'utiliser le téléphone mobile. Pour des raisons de rentabilité, on installe les réseaux à haut débit dans les départements à population dense. Dans les autres, hélas ! nous n'en sommes ni à Internet à haut débit, ni au téléphone mobile, ni même, parfois encore, à la chaîne de télévision publique régionale !
Si l'Etat ne s'intéresse pas à ce phénomène, comme ce fut le cas pour les voies de communication traditionnelles dans le cadre de l'aménagement du territoire, nous assisterons au même phénomène pour les autoroutes de l'information. Ainsi, dans un certain nombre de régions, qui sont pourtant fantastiques et dans lesquelles il fait bon vivre, alors que les autoroutes de l'information pourraient être, en quelque sorte, une seconde chance de développement, nous assistons à une confirmation d'un aménagement du territoire à deux vitesses !
Nous ne demandons pas tout à l'Etat, madame le ministre, d'autant qu'en la matière les initiatives locales sont très nombreuses. Nous demandons simplement davantage de souplesse et de transparence. Il faut donner à notre pays les moyens d'affronter ces défis de demain, notamment en assouplissant la réglementation existante.
Cet enjeu, qui est de taille, doit être évalué à sa juste mesure. Il y va de l'avenir de notre jeunesse et de notre pays. On ne peut donc pas y rester insensible. C'est pourquoi j'espère que vous saurez mesurer l'importance des perspectives qui s'offrent à nous dans cette voie de la modernisation de notre territoire et que vous prendrez les mesures qui permettront à certaines de nos régions de saisir cette nouvelle chance.
Il faut rapidement inverser cette tendance fâcheuse qui conduit à privilégier toujours les mêmes zones du territoire au détriment de toutes les autres, y compris s'agissant des équipements de communication électronique. Madame le ministre, j'espère que vous pourrez accueillir favorablement un certain nombre des amendements que nous proposerons et que nous défendrons.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Très bien !
M. Alain Joyandet. Nous devons prendre rapidement les décisions qui s'imposent afin de ne pas perdre de temps - c'est urgent - et de ne pas rester en marge de ces autoroutes de l'information. L'aménagement du territoire ne doit plus seulement se penser en termes locaux, régionaux, voire nationaux. Il doit se concevoir beaucoup plus largement, dans l'optique de la mondialisation des échanges. Ces nouvelles technologies en sont un vecteur désormais incontournable. Nous devons donc mettre à la disposition de nos concitoyens ces outils performants qui leur permettront d'accéder au savoir, à l'information, et donc au développement économique, et ce de n'importe quel point de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Miquel.
M. Gérard Miquel. En vous écoutant, madame la ministre, je me suis senti conforté dans mon engagement militant au service du développement local.
Votre projet de loi s'inscrit aujourd'hui dans un vaste ensemble de réformes qui, de manière directe ou indirecte, touchent à l'aménagement du territoire.
Ces réformes, qui traduisent une volonté de développement durable, concourent à la mise en oeuvre des priorités gouvernementales : l'emploi, la justice sociale et la réduction des inégalités territoriales.
Pour atteindre ces objectifs, ce projet repose sur quatre choix stratégiques d'aménagement durable au travers d'un maillage nouveau et plus pertinent : le renforcement des pôles de développement à vocations européenne et internationale ; le développement local des territoires au sein des pays ; l'organisation d'agglomérations participant au développement des bassins de vie et d'emploi ; enfin, le soutien aux territoires en difficulté.
Pour mettre en oeuvre ces orientations, huit schémas de services collectifs constituant une part significative de l'ossature des futurs contrats de plan Etat-région devront être adoptés. Ils seront définis selon des critères de dimension structurante pour les territoires, de hiérarchisation territoriale des interventions publiques et de cohérence avec les thèmes développés dans le schéma de l'espace communautaire.
Je me bornerai, dans mon intervention, à ne traiter que des nouveaux territoires de projets que sont les pays.
Les pays sont avant tout des territoires pertinents pour bâtir et faire émerger des projets cohérents. Ils doivent reposer sur une forte participation des acteurs locaux.
A ce stade de mon propos, je tiens à vous faire part de mon expérience personnelle.
J'ai, depuis quatre ans, présidé aux destinées d'un pays regroupant 60 communes et 20 000 habitants, de sa phase de réflexion et d'émergence jusqu'à sa mise en oeuvre opérationnelle et à sa structuration en syndicat mixte. Cette démarche devrait nous permettre, notamment, de contractualiser dans le cadre du prochain contrat de plan Etat-région 2000-2006.
Cette expérience confirme à mes yeux l'importance de la mise en place des pays. Ils constituent des lieux privilégiés de démocratie participative et favorisent l'expression de la créativité, de l'initiative, du dynamisme et de la solidarité de nos concitoyens.
Les pays doivent être des structures souples où peuvent s'élaborer des projets collectifs, individuels, intéressant tant le secteur public que le secteur privé.
L'intérêt de cette démarche réside dans deux aspects essentiels.
Tout d'abord, la mobilisation des acteurs locaux dans l'élaboration du projet global aboutit à l'appropriation du projet par l'ensemble du territoire. C'est ce qui conditionne sa réussite.
Au cours de la période d'émergence du projet, plus de 400 acteurs locaux ont participé à la définition et à l'enrichissement du contenu de notre charte de développement. Cette phase de réflexion et d'animation préalable a été, pour moi, un grand moment de satisfaction. J'ai vu des gens qui s'ignoraient travailler ensemble et constater que, après tout, ce qui pouvait les opposer était bien moins important que ce qui devait les réunir, c'est-à-dire un projet de développement durable commun.
C'est cette approche collective et participative en amont de la mise en oeuvre d'un pays qui fait qu'un territoire qui se dote d'un tel projet s'approprie celui-ci et forge son identité et sa dynamique territoriale, et cela bien plus que tel ou tel découpage autoritaire.
Le deuxième aspect essentiel de cette démarche réside, grâce à l'émergence du pays, dans la création d'une structure souple - je l'ai déjà évoquée - qui doit nous permettre de transgresser un certain nombre de lourdeurs et de rigidités, tant administratives que politiques, qui freinent les actions de nos territoires les moins organisés.
Je me félicite que, dans la procédure de reconnaissance des pays, l'Assemblée nationale ait réaffirmé la nécessité de recueillir non seulement l'avis des conseillers régionaux - dont l'aménagement du territoire est la vocation première - mais aussi celui des conseillers généraux.
Le conseil général me semble, en effet, la collectivité locale de proximité la mieux placée pour réfléchir, coordonner et animer la démarche territoriale des pays. Sa place est prépondérante dans cette nouvelle organisation du développement local dans nos campagnes. Son rôle est important dans la mise en place des pays tant en matière de délimitation que dans l'organisation de la démarche, mais aussi dans l'aide à l'émergence des structures maîtres d'ouvrage.
Comme je l'ai dit précédemment, il est nécessaire de prendre en compte dans ces structures les acteurs locaux, dont la présence aux côtés des élus est nécessaire à la réussite d'un projet collectif.
Les conseils généraux, s'ils savent être les garants de cette nouvelle organisation, devront également mettre en place des outils de niveau départemental pouvant servir l'ensemble de ces territoires de projets. C'est seulement à cette condition et avec cette volonté d'accompagner au plus près du terrain l'émergence de ces pays que les conseils généraux prendront naturellement leur place et qu'ils pourront mener une politique efficace d'aménagement de leurs territoires.
Enfin, il me semble nécessaire de souligner que les opérations élaborées et menées sur ces territoires sont et devront être transversales.
Le développement est économique, social et culturel, et ne peut être envisagé que dans une vision globale.
Pour réussir notre grand projet d'aménagement du territoire, il faut bien sûr des moyens et une volonté politique forte. Vous l'avez, madame la ministre, et vous savez nous la faire partager.
Au demeurant, ces conditions sont nécessaires mais non suffisantes. Tout repose sur notre capacité à mobiliser les femmes et les hommes de nos territoires, seuls porteurs de dynamique et de progrès. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, toute politique d'aménagement du territoire est un enjeu majeur, tant sur le plan économique que sur le plan social. Elle procède d'une démarche volontariste de reconquête et de développement équilibré et harmonieux du territoire. Elle ne peut être conduite que de façon concertée entre l'Etat et toutes les collectivités territoriales.
Le Sénat, représentant constitutionnel de ces collectivités, doit donc être pour le Gouvernement, non pas un opposant sectaire, mais un véritable partenaire. Ce partenariat impose une réalité : les orientations de la politique d'aménagement du territoire ne peuvent pas être modifiées de manière unilatérale par le Gouvernement.
En imposant au Parlement la procédure d'urgence, vous avez limité volontairement le dialogue entre les deux chambres et lésé manifestement les droits du Parlement, plus particulièrement ceux du Sénat, grand conseil des communes de France.
Depuis des années, le Sénat s'efforce de contribuer à la cohésion territoriale dans la mesure où il refuse l'opposition manichéenne entre le monde urbain et le monde rural. Cette opposition, malheureusement, votre projet, madame la ministre la pousse juqu'à la caricature. Oui, madame la ministre, nous sommes loin de ce que nous pouvions imaginer comme mise en oeuvre de la loi de 1995 !
En ce qui nous concerne, nous sommes pour la parité villes-campagnes. Vous semblez ignorer ce que tout le monde sait ici : le développement des espaces ruraux est complémentaire du développement urbain. Le progrès et l'innovation ne viennent pas forcément de la ville. Ne voir dans la société de demain que l'incarnation et l'accomplissement d'une société urbaine est une dérive contre laquelle le Sénat oppose depuis longtemps la vision d'un développement du territoire plus équilibré.
Les espaces ruraux ont une potentialité de développement accentuée par l'émergence des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Notre objectif est bien de renverser une tendance dont les dysfonctionnements vont croissant et sont de moins en moins bien maîtrisés. La concentration urbaine montre aujourd'hui sa fragilité et ses limites. Trop souvent, la ville garde son attrait et son éclat, et la civilisation semble s'arrêter sitôt qu'en sont franchies les portes. C'est une fatalité à laquelle nous ne nous abandonnerons pas.
Comment gérer excès de concentration urbaine et excès de consommation du territoire ? Comment gérer l'avenir de l'espace rural à proximité des grandes agglomérations qui considèrent ce dernier comme la réserve foncière de leur développement ? Voilà deux grandes interrogations auxquelles vous ne répondez pas dans votre projet.
Je suis convaincu que, par ses capacités d'expertise, la Haute Assemblée peut contribuer à rééquilibrer le texte que vous nous soumettez. En effet, plus qu'un projet affichant des orientations nouvelles, il démantèle les principes affirmés en 1995. Il supprime les éléments permettant de renforcer la cohésion du territoire. Il privilégie les zones urbaines au détriment des espaces ruraux considérés comme des handicaps. Il ignore le département comme étant un acteur privilégié de l'aménagement du territoire. Il ignore également le Parlement, qui ne sera plus consulté sur l'élaboration des schémas. Enfin, il nie la dimension européenne de l'aménagement du territoire, comme un certain nombre de nos collègues l'ont souligné. Or, même s'il ne s'agit pas d'une compétence européenne, je pense qu'il nous faut montrer qu'il ne peut y avoir aujourd'hui de schémas sérieux sans que cette dimension soit prise en compte.
Enfin, je regrette que vous n'ayez pas laissé suffisamment de temps pour que se concrétisent les objectifs ambitieux de la loi d'orientation de 1995. En effet, vous ne vous bornez pas à effectuer une modification des orientations du texte de 1995, vous bouleversez l'organisation territoriale en conférant à de nouvelles structures que sont les pays et les agglomérations des missions stratégiques d'aménagement et de développement local, et cela sans tenir compte ni du partage des compétences ni des finances locales.
Je soutiens les orientations générales de la commission spéciale au sein de laquelle j'ai l'honneur de sièger. Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour féliciter et remercier nos collègues Gérard Larcher, Claude Belot et Charles Revet, qui, sous la présidence de M. Jean François-Poncet, ont conduit une réflexion empreinte de réalisme et de bon sens, deux éléments qui manquent cruellement dans votre texte, madame la ministre.
Malgré le temps limité qui lui a été laissé pour étudier le projet de loi et pour formuler des propositions, cette commission a fait preuve d'une parfaite maîtrise des enjeux de la politique d'aménagement et de développement du territoire. Ainsi, la réintroduction du Parlement dans l'élaboration des documents d'aménagement du territoire, le renforcement de la dimension européenne du texte, la définition législative du rôle de la collectivité chef de file, la volonté de mieux adapter l'approche des pays et des agglomérations aux réalités locales, la protection des espaces périurbains et la lutte contre la césure entre villes et campagnes sont autant de directions auxquelles je souscris totalement.
Une carence du projet de loi me semble particulièrement critiquable, à savoir l'absence de la dimension économique. Cela révèle, à mon sens, une conception très limitée de l'aménagement du territoire. La croissance n'est-elle pas essentielle à la création d'emplois ? Pourquoi ne pas avoir érigé cette dernière au rang des priorités ? Fort heureusement, la commission spéciale propose d'insérer dans le projet de loi un volet additionnel consacré au développement économique des territoires.
Ainsi, j'approuve sans réserve les propositions de nos rapporteurs visant à créer des fonds communs de placement de proximité afin de drainer l'épargne des particuliers vers les entreprises installées dans les zones fragiles ou incitant à la mise en réseau des entreprises au sein des territoires.
De la même façon, votre projet de loi, madame la ministre, oublie le rôle moteur des technologies de l'information et des télécommunications dans l'aménagement des territoires, plus particulièrement dans les secteurs défavorisés. En plus des propositions de nos rapporteurs, je défendrai, dans la discussion des articles, un amendement visant à permettre aux collectivités locales d'assurer, avec une meilleure sécurité juridique, la mise à disposition d'infrastructures câblées aux opérateurs de télécommunications. Il est tout à fait essentiel que ces collectivités puissent être présentes dans ce domaine, investir et offrir des services capables d'accroître ou d'accompagner leur développement économique. Cette disposition s'inscrit dans le droit-fil de la loi de réglementation des télécommunications. Elle va dans le sens d'une ouverture de la concurrence et du respect du service public voulu par le législateur.
Par ailleurs, j'approuve totalement la décision de la commission spéciale de supprimer la transposition hâtive de la directive postale dans le projet de loi. La Poste assume plus en France qu'ailleurs en Europe un rôle majeur de service public, tant en ce qui concerne l'aménagement du territoire que l'égalité d'accès de tous au service du courrier, et ce via une péréquation tarifaire qui repose pour l'essentiel sur le marché des entreprises.
Toucher dès maintenant à cet équilibre risquerait d'aboutir à déplacer la charge du service universel sur d'autres acteurs : collectivités locales et contribuables. C'est pourquoi il semble indispensable de traiter ce problème de manière séparée et sans précipitation afin de définir une vision stratégique pour La Poste. Le choix du dépôt d'un projet de loi d'orientation postale dans les six mois à compter de la promulgation du présent texte me paraît répondre à cet impératif.
L'aménagement du territoire, madame la ministre, ne s'improvise pas. Le remarquable travail de nos rapporteurs le démontre, si besoin en était. Je voterai, bien entendu, le texte tel que propose de le modifier la commission spéciale, en espérant que la voie de la sagesse et de la compétence l'emportera sur celle de l'idéologie et d'une conception de la protection qui se ferait au détriment d'un véritable développement durable. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Puech.
M. Jean Puech. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaiterais tout d'abord saluer à mon tour le travail de très grande qualité réalisé par les rapporteurs, Gérard Larcher, Claude Belot et Charles Revet, dans le cadre de la commission spéciale et sous la conduite du président de celle-ci, Jean François-Poncet.
En effet, la volonté permanente qu'ils ont manifestée d'engager le Sénat dans une démarche constructive et le caractère innovant de certaines de leurs propositions nous permettent d'aborder la discussion au fond de ce projet de loi dans les meilleures conditions.
Je les remercie également d'avoir voulu s'assurer, tout au long des travaux préparatoires, d'un échange constant avec les principales associations d'élus représentatives des trois niveaux de collectivités territoriales de plein exercice : les régions, les départements et les communes. Qu'ils en soient vivement remerciés. J'y ai été, personnellement, particulièrement sensible.
Une politique d'aménagement du territoire se définit au niveau national. Il est certes essentiel que l'Etat témoigne, par des décisions fortes, d'une volonté de s'engager pleinement et sur le long terme. Mais cette politique ne peut évidemment, pour réussir, se priver de la force de l'implication des acteurs locaux, qu'ils appartiennent au monde économique, social, associatif ou qu'il s'agisse des acteurs publics, services de l'Etat, élus locaux et collectivités territoriales.
Madame la ministre, vous avez voulu, dans votre projet de loi, fixer de grandes orientations à une politique d'aménagement et de développement durable du territoire avec des schémas de services collectifs. Parallèlement, vous avez souhaité promouvoir une nouvelle organisation territoriale autour du concept général de « territoires pertinents » - je vous cite avec les pays et les agglomérations.
Dans cette organisation territoriale, vous n'aviez pas souhaité, dans un premier temps, reconnaître de missions particulières aux départements. On vous l'a beaucoup reproché, ici même, lors du débat du 10 décembre dernier, mais aussi à l'Assemblée nationale. Vous avez été attentive à ces observations et avez accepté que le texte soit rééquilibré. En effet, comment aurait-on pu ignorer une réalité sociale, culturelle et économique forgée par 200 ans d'histoire ?
Les députés ont voulu faire évoluer le texte pour tenir compte de la réalité départementale. Je m'en suis félicité. La commission spéciale va plus loin en proposant un mode opératoire permettant une répartition des rôles entre les échelons régionaux, départementaux et communaux autour de la notion de collectivité chef de file.
Cela traduit une réalité qui doit avoir aujourd'hui sa définition juridique. J'y souscris chaleureusement avec mes collègues Jean-Pierre Raffarin et Jean-Paul Delevoye.
En effet, de la même manière qu'on ne peut opposer ville et campagne pour parvenir à plus de cohésion territoriale, on ne peut non plus opposer les échelons territoriaux entre eux. Je sais gré aux rapporteurs d'avoir préféré avancer sur le terrain de la complémentarité de nos actions. Les départements sont des acteurs incontournables de l'aménagement du territoire, ils l'ont montré et ils le montreront encore dans le cadre des prochains contrats de plan et des projets qui seront engagés avec le soutien européen.
De nouveaux territoires sont donc promus : les agglomérations et les pays. Ils se voient confier des missions d'aménagement du territoire et de développement local. Au rang d'espaces de projets, voire de programmation, ils devront s'assurer d'une démarche globale de l'ensembe des forces vives.
Concernant les agglomérations, chacun, je crois, reconnaît le caractère structurant des villes, des aires urbaines. Chacun s'accorde sur la nécessité de privilégier une approche globale au niveau d'une agglomération sur les plans tant économique et social qu'institutionnel, car il faut pouvoir répondre au phénomène d'exclusion et de ségrégation engendré par la conjugaison de facteurs démographiques, économiques et sociaux. A cet égard les évolutions proposées en matière d'intercommunalité urbaine vont, à mon avis, dans le bon sens, sous réserve qu'elles soient bien précisées, c'est-à-dire bien maîtrisées.
De la même manière, la volonté de M. le ministre de la ville, que j'ai rencontré encore ce matin, d'ouvrir la politique de la ville à de nouveaux acteurs comme les conseils généraux pour y adosser de manière complémentaire les politiques de droit commun et de repenser les échelles d'intervention à trois niveaux - agglomérations, communes et quartiers - sont des orientations tout à fait recevables. A partir des premières remontées que nous avons du terrain, je crois pouvoir dire que les conseils généraux sont prêts à s'engager activement dans cette voie. Ils sont d'autant plus prêts à le faire qu'ils y sont déjà largement engagés.
Relever le défi d'une urbanisation jusqu'alors non maîtrisée et rendre cohérente la politique de la ville sont deux objectifs qu'on doit soutenir.
Attelons-nous déjà à ces tâches essentielles avant de penser que, demain, la ville, qu'on imagine pouvoir durablement féconder l'espace rural, assurera la cohésion territoriale qui manquerait à notre pays !
On ne peut miser sur le seul effet de la métropolisation, vous l'avez bien compris : ce serait admettre que nos espaces ruraux, qui représentent 80 % de notre territoire, ne peuvent être reconquis. Plus on considérera que l'urbanisation est partout inéluctable, plus elle sera difficile à maîtriser. Or, comme l'ont bien démontré nos rapporteurs, le milieu rural est, au même titre que l'aire urbaine, un lieu d'attractivité et de compétitivité. Encore faut-il lui laisser la capacité de défendre et de promouvoir son territoire. En assurant la complémentarité entre l'urbain, le périurbain et le rural, on permet à l'espace rural de constituer une véritable alternative.
Dans cette complémentarité nécessaire apparaît le pays.
Le pays, dans lequel peut cohabiter une aire urbaine et des espaces ruraux, doit demeurer un espace de projet. Il doit également être la résultante d'une volonté partagée des élus locaux et promouvoir un projet de développement.
A cet égard, j'attire à nouveau votre attention, madame la ministre, sur les tentations - c'est un euphémisme ! - de l'administration et des services de l'Etat de se substituer à l'imagination des élus locaux pour l'émergence de ces pays.
Le fait de vouloir donner corps au volet territorial du prochain contrat de plan et d'instaurer une sorte de prime à l'organisation n'interdit pas, bien entendu, aux services de l'Etat d'avoir de bonnes idées ! Pour autant, ce sont les collectivités locales de plein exercice qui assureront, demain, la maîtrise d'ouvrage de la plupart des projets ainsi que leur financement ; en outre, leur mise en oeuvre se fera avec leurs élus locaux. Laissons donc les acteurs locaux prendre les initiatives qui conviennent à la promotion de leur territoire. Ils en sont pleinement capables.
Le pays trouvera son plein essor en restant ce qu'il doit être, c'est-à-dire un espace de projet, et à condition que l'on évite de confondre les responsabilités et les rôles de chacun des acteurs ; autrement dit, le pays ne doit pas se substituer aux élus et aux acteurs locaux.
Madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs mois, les acteurs locaux ont engagé une réflexion et un dialogue sur les contrats de plan. L'Etat fait débattre les collectivités sur un projet de l'Etat en région. Les régions préparent leurs orientations le plus souvent en liaison avec les autres collectivités locales et les forces vives locales.
Il est essentiel d'admettre que les grandes collectivités infrarégionales entendent participer à cette réflexion et contribuer à l'animation du projet régional pour les prochaines années. Les départements assumeront, aux côtés des régions, leur part de soutien au développement local et à l'action économique. Cette implication est admise dans de nombreuses régions. Je souhaite que ce principe soit généralisé.
A cet égard, la proposition de la commission spéciale tendant à donner une traduction législative à la notion de « collectivité chef de file » ne peut que favoriser cette généralisation.
Une autre proposition de la commission spéciale va également dans le bon sens, celle qui vise à instituer dans les conférences régionales un collège « maîtres d'ouvrages » à côté d'un collège consultatif représenté par les forces vives locales ; j'y souscris pleinement.
En ce qui concerne l'activité économique, vouloir privilégier l'emploi dans les prochains contrats de plan est un objectif que nos collectivités locales partagent déjà depuis longtemps, voire depuis toujours, et l'évolution de leurs budgets le montre bien. Elles orientent leurs actions vers des investissements qui favorisent les activités créatrices d'emplois et l'innovation. Elles assurent également la majeure partie du financement des équipements indispensables à la vie sociale, économique, touristique et culturelle.
Aussi les propositions de la commission spéciale concernant l'activité économique complètent-elles à mon avis très heureusement ce projet de loi.
Ayant à l'esprit la nécessité de favoriser l'émergence de projets plus importants, je dirai quelques mots du renforcement de l'interdépartementalité.
Pour ma part, je souhaiterais que le Sénat examine favorablement l'idée de promouvoir une plus grande interdépartementalité, au service d'une cohésion régionale renforcée.
L'interdépartementalité existe dans les textes. Dans les faits, elle est le plus souvent limitée à des actions très ponctuelles. Or, pour favoriser une plus grande culture de la coordination et donner une base véritable à une complémentarité des politiques locales, il me paraît essentiel de relancer ce concept d'interdépartementalité.
La possibilité qui serait offerte aux conseils généraux d'élaborer des schémas interdépartementaux d'aménagement du territoire, en veillant à ce que ceux-ci soient bien entendu en cohérence avec les schémas régionaux et interégionaux existants, me paraît susceptible de favoriser la complémentarité des rôles et des actions de nos collectivités.
Je souhaiterais aborder à mon tour la question de la nécessaire cohérence des schémas de services collectifs que notre commission spéciale propose de transformer en schémas d'équipements et de services.
Du fait de l'abandon d'un schéma national d'aménagement du territoire, il me paraît délicat de laisser les huit schémas de services collectifs être décidés par décret par les administrations centrales, fût-ce après une phase de consultation régionale.
Pourquoi priver la représentation nationale d'une analyse globale et d'un débat sur des orientations fixées pour l'horizon 2020, orientations qui vont par ailleurs servir de cadre à la planification régionale et aux contrats de plan ?
La capacité de l'Etat à organiser une lecture transversale et globale de schémas est-elle le gage de leur pertinence ? Qui jugera, au niveau national, de la qualité et des conditions du débat qui aura été organisé au niveau régional ? Comment seront intégrés, à l'échelon national, les résultats de cette consultation ? Qui en fera la synthèse ?
Voilà autant de questions que l'on peut poser, qui vous ont d'ailleurs déjà été posées à l'Assemblée nationale et qui légitiment pleinement les propositions de la commission spéciale en faveur d'une implication démocratique du Parlement.
Enfin, permettez-moi, madame la ministre, pour conclure, d'évoquer la réforme des fonds structurels, qui aura évidemment des conséquences très importantes en termes d'aménagement du territoire.
Ce dossier est actuellement au centre de discussions européennes qui dépassent évidemment le strict cadre de l'aménagement du territoire. Pour autant, nos collectivités locales, vous le savez, ont besoin de beaucoup plus de lisibilité.
Pensez-vous que les nouveaux programmes pourront effectivement démarrer au 1er janvier 2000 ? Je le souhaite, mais cela me paraît bien incertain.
Par ailleurs, le Gouvernement ayant toujours misé sur une concomitance des contrats de plan et des fonds structurels, comment comptez-vous pallier la difficulté qui se présente ?
Telles sont, madame la ministre, les quelques réflexions que je souhaitais vous livrer. Je vous remercie par avance des réponses que vous voudrez bien y apporter. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les élus que nous sommes, à 800 cents kilomètres de Paris, sont souvent étonnés des décisions contradictoires prises par nos divers gouvernements.
Le schéma national d'aménagement du territoire devait être, selon la loi de 1995, le socle de la politique d'aménagement du territoire, définissant ses orientations pour les vingt années à venir. Mais voilà que, arguant du fait que ce schéma n'a pas pu être élaboré, le ministère décide de le remplacer par huit schémas sectoriels !
Le schéma national qui avait été approuvé pour vingt ans par la représentation nationale aura duré à peine quatre ans ! Il y a là quelque chose qu'il est difficile d'expliquer aux élus locaux.
Ce schéma national avait fait l'objet d'une très large concertation avec l'ensemble des élus locaux. Le moins qu'on puisse dire est que tel n'est pas le cas de votre texte, madame la ministre : la plupart des élus locaux le connaissent mal, voire ne le connaissent pas du tout.
Notre collègue Jean Puech a fait part tout à l'heure de son souhait de voir la représentation nationale associée à la mise en place des schémas sectoriels. Allant plus loin, je souhaite, pour ma part, que l'ensemble des élus locaux de notre pays puissent faire valoir leur point de vue. Les maires peuvent s'appuyer sur leur légitimité démocratique sur leur connaissance de la réalité et des hommes pour conduire les actions réparatrices, prévenir les risques de ségrégation, favoriser la mixité sociale et culturelle.
Il me semble aujourd'hui bien illusoire de croire en la réussite d'une politique d'aménagement du territoire élaborée sans une réelle participation de ceux qui sont, pour une large part, chargés de l'appliquer.
Je voudrais maintenant, madame la ministre, attirer votre attention sur le problème des villes moyennes.
Pour peu que ces villes moyennes aient un passé, une histoire, une vie antérieure, on sait quel attrait elles exercent sur la population. Aujourd'hui, la plupart d'entre elles sont plébicitées.
Je suis de ceux qui regrettent que l'Etat supprime peu à peu les services publics de ces villes moyennes. Voilà quelques années, a été conduite une véritable politique de décentralisation de l'enseignement supérieur ; nous en parlerons à nouveau lorsque le schéma sectoriel sera mis en place. Aujourd'hui, cette politique semble abandonnée ou, tout au moins, largement freinée. Il semble que l'on veuille concentrer sur les grandes métropoles l'ensemble de l'enseignement supérieur dans notre pays.
Les petits hôpitaux des villes moyennes rencontrent également des difficultés. Pourtant, l'hôpital public est une structure de proximité qui constitue l'un des éléments majeurs d'une politique d'aménagement du territoire.
En qualité de présidents des structures hospitalières, les maires souhaitent bénéficier d'une plus grande autonomie et qu'il soit procédé à des consultations préalables par les agences régionales hospitalières, qui, aujourd'hui, ne s'intéressent que très peu à leur point de vue.
Par ailleurs, les villes moyennes sont insuffisamment équipées en moyens de transport ; elles sont trop souvent enclavées. Il est absolument nécessaire de réaliser un effort d'aménagement.
S'agissant de la sécurité, de nombreux maires ont vu, avec stupéfaction, les forces de sécurité de leur commune réduites au profit de plus grands centres. Le Gouvernement est revenu, en partie, sur sa décision, mais je peux vous assurer que cela demeure l'une des préoccupations importantes de l'aménagement du territoire.
Un autre problème se pose. Il est peut-être moins important, mais il peut avoir des conséquences très fortes pour les villes moyennes : il s'agit de la diminution progressive de l'activité de ces succursales de la Banque de France. Cela a des effets sur l'ensemble du système bancaire de ces villes et je souhaite que l'on revienne sur un certain nombre de projets qui tendraient à réduire fortement l'activité de ces succursales.
Je ne terminerai pas mon propos, madame la ministre, sans évoquer le cas de ma région. Puisque je me trouve en face du ministre de l'aménagement du territoire, je tiens à lui dire que, chez nous, nous ne sommes pas très contents des décisions qui ont été prises concernant la Provence.
Nous considérons, en effet, que, peu à peu, on veut enclaver notre région. On veut faire de Lyon le sud de la France, au détriment de tout le reste. En supprimant le canal Rhin-Rhône, en arrêtant l'autoroute des Alpes, en supprimant les percées alpines, on veut, semble-t-il, consciemment ou inconsciemment - j'ose espérer que c'est inconscient ! - isoler complètement une région.
J'ajouterai que l'aire marseillaise ne dispose aujourd'hui d'aucun schéma de transport cohérent qui puisse être comparé avec celui dont bénéficie la région parisienne. En matière culturelle, l'aide de l'Etat est des plus réduites pour notre région ; chacun sait pourtant ce qu'elle représente pour notre pays.
Madame la ministre, nous vivons très mal l'isolement de notre région et un bon aménagement du territoire ne peut oublier la région provençale. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. En janvier dernier, à l'Assemblée nationale, madame la ministre, vous reprochiez à la loi de 1995 son caractère à la fois partiel et politiquement orienté, deux défauts que votre projet de loi est censé corriger.
Or il me semble que ces deux défauts peuvent précisément être associés au texte qui nous est proposé aujourd'hui, défauts qui conduisent à s'interroger sur l'utilité de soumettre au Parlement un nouveau projet de loi.
Je bornerai mon propos à l'évocation de la politique d'aménagement de l'espace rural qui constitue, à mon sens, une bonne illustration de ces deux reproches.
Les mesures que vous proposez dans ce domaine sont, d'abord, politiquement orientées.
Vous accusez la loi de 1995 d'être trop « ruraliste ». Ce jugement dépasse sans doute la réalité. Mais, pis encore, vous tombez vous-même dans l'excès inverse : votre politique est délibérément tournée vers les zones urbaines. Ainsi, vous proposez de mettre l'accent sur les seules agglomérations et, parallèlement, de supprimer l'article 61 de la loi de 1995 qui prévoyait une loi spécifique pour le développement des zones rurales.
La logique qui vous anime est incompréhensible. S'il est certes temps d'accorder toute leur place aux zones urbaines, qui accueillent 80 % de la population, l'aménagement du territoire n'a-t-il pas toutefois pour objectif de remédier aux déséquilibres, que ce soit à l'intérieur des agglomérations ou entre zones rurales et urbaines ? Il n'est pas question d'opposer les unes aux autres !
Il est, en effet, primordial de redynamiser nos campagnes, afin de limiter l'exode rural et d'éviter ainsi une aggravation des difficultés liées au développement urbain. C'est une question de bon sens !
Malheureusement, force est de constater que vous ne proposez aucune solution précise ni au problème des banlieues ni aux faiblesses du monde rural.
La vision de l'homme, affirmée voilà quelques instants par notre excellent rapporteur de la commission spéciale, M. Gérard Larcher, ne se retrouve point dans ce texte.
La loi de 1995, complétée par le CIADT d'Auch, me paraissait plus équilibrée sur ce point. Par conséquent, n'aurait-il été préférable d'appliquer la loi Pasqua-Hoeffel et de mettre en oeuvre les objectifs d'Auch, plutôt que de présenter un nouveau projet ? D'autant que notre pays doit tenir une position forte et enracinée dans le temps pour faire face aux enjeux européens.
Faut-il rappeler que la réforme de la PAC et des fonds structurels risque de nous conduire à une forte réduction des aides !
Refondre notre politique d'aménagement du territoire à un moment aussi crucial ne me paraît donc nullement raisonnable, ce d'autant plus que vous le faites dans la précipitation et, pis encore, sans concertation.
Une fois de plus, vous nous imposez une procédure d'urgence et vous nous mettez devant le fait accompli, alors qu'il s'agit d'un texte qui devrait conditionner l'aménagement du territoire pour vingt années.
Le Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire n'a-t-il pas commencé à travailler à l'élaboration des schémas des services collectifs en juin dernier ?
Le caractère hâtif et non concerté du projet de loi vous conduit à avoir une vision partielle de l'aménagement de l'espace rural. En effet, par idéologie, vous proposez non pas l'aménagement de l'espace rural, mais la protection et la conservation des espaces naturels, au risque de sanctuariser le territoire.
Votre schéma des services collectifs des espaces naturels et ruraux ne vise qu'à contrôler l'activité humaine, à l'encadrer et à la soumettre à des objectifs de protection de la nature, alors que, pour lutter contre la désertification, il convient au contraire de maintenir et de développer les activités économiques et les services et de mener une véritable politique du logement. Cela n'est pas incompatible, je l'affirme, avec la protection de la nature.
L'espace rural ne doit pas devenir, à terme, un immense parc naturel national.
Volontairement, par manque de temps, je n'aborderai ni le développement de l'espace européen ni les politiques transfrontalières en zone rurale.
Vous oubliez trois composantes fondamentales de toute politique de développement et d'aménagement de l'espace rural digne de ce nom.
Premièrement, le maintien des services, qu'ils soient publics ou privés, est indispensable pour préserver et créer des activités, donc des emplois. C'est pourquoi la suppression du moratoire sur la fermeture des services publics me paraît regrettable. Demain, on assistera à la fermeture d'une classe, d'une école. Ensuite, viendra la disparition du bureau de poste. Les établissements financiers et l'épicerie sont déjà partis.
Vous enfoncez ainsi encore un peu plus les territoires ruraux en difficulté et découragez les élus locaux, qui sont bien souvent contraints de pallier le désengagement de l'Etat dans ce domaine.
La deuxième lacune du texte réside dans le fait qu'aucune mesure n'est prévue en faveur de l'activité économique.
La campagne n'est pas seulement le territoire des agriculteurs. Pour lui permettre de rester attractive, les collectivités locales se battent pour attirer, mais aussi maintenir les entreprises sur leur territoire. Elles gagneraient à être davantage soutenues. Peut-être la loi Zuccarelli nous apportera-t-elle des réponses à cet égard.
Par ailleurs, le développement de l'activité et de l'emploi en milieu rural passe également par le développement touristique. Le tourisme est et demeure, en effet, l'un des rares secteurs dans lesquels les perspectives en matière d'emploi sont plus qu'encourageantes : il crée ainsi 12 000 emplois par an et pourrait en créer 30 000.
Le tourisme rural connaît en France un véritable engouement, mais, faute d'adaptation, notre pays risque de perdre des parts de marché. Il convient donc de rester vigilant et d'engager rapidement un effort de réhabilitation du parc immobilier touristique rural et des établissements d'hôtellerie-restauration.
Le dernier aspect du développement rural que je souhaite aborder est le logement. Pour lutter contre sa désertification et préserver son attractivité et son dynamisme économique, l'espace rural doit assurer pleinement sa fonction résidentielle.
Or c'est souvent là que le bât blesse. Le milieu rural souffre d'un problème de vacances de logements, de dégradation du bâti et d'inadaptation aux besoins. Certes, des efforts financiers sont accomplis pour aider les propriétaires à remettre leur logement sur le marché, mais ils sont malheureusement encore bien trop faibles, notamment en ce qui concerne l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, l'ANAH, afin de faire face aux besoins.
La clé du problème est non seulement d'ordre financier, mais aussi, et surtout, d'ordre juridique.
Le droit de propriété doit être garanti par l'Etat. Or force est de constater que c'est de moins en moins le cas, ce qui conduit les bailleurs à s'entourer de précautions supplémentaires avant de louer leur bien. D'ailleurs, la récente loi sur les exclusions ne va pas arranger les choses. La sélection se fait ainsi, bien souvent, au détriment des plus démunis.
Permettez-moi, enfin, de regretter, en tant qu'élu alsacien, votre décision d'abandonner officiellement le projet du canal Rhin-Rhône.
On ne peut, sans se contredire, à la fois limiter la construction de routes, ne pas transférer le fret sur la voie d'eau et obliger parallèlement les collectivités locales à financer partiellement les trains à grande vitesse. Les contradictions sont trop flagrantes.
Par rapport aux différents points évoqués, votre projet de loi doit évoluer.
En résumé, madame la ministre, en l'état, votre projet de loi n'est pas acceptable. Par conséquent, je ne pourrai le voter que sous réserve de l'acceptation par le Gouvernement des améliorations proposées par la commission spéciale, dont je tiens à saluer l'excellent travail. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Boyer.
Mme Yolande Boyer. Madame la ministre, mon intervention portera sur trois aspects de votre projet de loi.
Le premier aspect concerne le contexte dans lequel vous nous présentez cette loi et la méthode que vous avez utilisée. Cette dernière me paraît intéressante, car vous n'avez pas considéré que la loi Pasqua était bonne à jeter aux orties. Vous avez adopté une attitude constructive en conservant soixante-huit des quatre-vingt-huit articles qui la composaient.
Votre loi est significative mais, seule, elle n'a pas vraiment tout son intérêt. Elle est au coeur d'un dispositif beaucoup plus vaste voulu par le Premier ministre et affirmé dans sa déclaration de politique générale en juin 1997.
On retrouve, dans ce dispositif, plusieurs lois.
On y trouve d'abord la loi d'orientation agricole qui, par son innovation majeure, le contrat territorial d'exploitation, manifeste la volonté de protéger les territoires. Elle le fait sur la base d'un développement durable et de démarches contractuelles directes entre les agriculteurs et l'Etat.
On y trouve aussi la loi sur les relations entre les citoyens et leurs administrations, et la loi Zuccarelli à venir sur l'intervention économique des collectivités locales.
Parallèlement, ce texte s'inscrit dans la discussion sur la nouvelle génération des contrats de plan pour les années 2000-2006 et la réforme des fonds européens. Contrairement à la loi Pasqua qui faisait l'impasse à cet égard, elle s'inscrit également dans la dimension européenne.
Si j'ai pris le temps de citer cet ensemble de textes, c'est parce que je considère, contrairement à M. Paul Girod qui s'est exprimé tout à l'heure, que dix-sept ans après les lois de 1982, il s'agit d'une nouvelle étape significative de la décentralisation.
Le deuxième aspect que je souhaite évoquer concerne la philosophie de ce projet de loi à travers les principes qui le sous-tendent.
Je citerai rapidement quelques-uns de ces principes : la notion de développement durable, la mise en place de nouveaux outils de planification, à travers les schémas de services collectifs, la promotion des « pays » et des « agglomérations » qui font vivre la solidarité entre territoires, et ce sans remettre en cause le rôle des différentes collectivités et enfin, le renforcement de la démocratie participative avec, notamment, la création du conseil de développement.
J'ai rappelé que votre loi se trouve au coeur d'un dispositif. Mais au coeur de votre loi se trouve l'article 19 qui crée la nouvelle organisation territoriale, à travers les « agglomérations » et les « pays ».
C'est à cette dernière notion que je m'attacherai plus particulièrement dans le troisième aspect de mon intervention en parlant des pays.
Dans le langage courant, le terme « pays » n'est pas neutre. En effet, on parle de son pays lorsque l'on évoque sa région, sa commune, son département. On est d'un terroir.
Même si cela peut paraître banal, je veux souligner que l'aménagement du territoire et la construction d'un pays se font à partir et pour les hommes et les femmes qui y vivent, à partir de leurs savoir-faire, de leur intelligence et de leur expérience.
Une politique d'aménagement ne se résume pas à des découpages technocratiques ou à des réflexions techniques. Elle doit être l'émanation des hommes et des femmes qui vivent sur un territoire ayant son identité, sa langue parfois - et en Bretagne, cela compte - et sa culture.
M. Pierre-Yvon Trémel. Très bien !
Mme Yolande Boyer. Le triptyque projet, périmètre, partenariat me semble adapté pour parler des pays.
Passer d'une traditionnelle politique de guichet à une politique de projet est une démarche essentielle. La richesse de la France réside dans la variété de ses territoires ; il serait dangereux d'imaginer les futurs pays à l'image du territoire où chacun d'entre nous vit, et de vouloir en faire un exemple pour tous les autres. L'intérêt de la démarche, c'est bien cela : sur un territoire pertinent, les acteurs concernés - élus, bien sûr, mais aussi représentants du monde socioculturel, économique, associatif - créent leur projet de développement.
Rappelons aussi que le pays n'est qu'un outil : il permet de concrétiser des projets en respectant les divers échelons.
Certains ont parlé du département, d'autres de la région. Personnellement, je souhaite évoquer la commune, qui demeure un milieu de vie irremplaçable, un échelon de base de l'identité et de la citoyenneté, le premier relais de l'appareil administratif, le lieu d'intégration et d'animation de la vie collective.
Les élus et les acteurs du développement ont bien montré qu'ils savaient s'organiser, et ce depuis de nombreuses années. J'en veux pour preuve la création de structures telles que les parcs naturels régionaux, dont les projets de développement sont fondés sur la valorisation et la protection du patrimoine. Ils sont des outils d'aménagement et de développement durable du territoire.
Je veux aussi évoquer les pays d'accueil touristique, structures qui me tiennent particulièrement à coeur dans la mesure où j'en préside une dans ma région.
Créés voilà plus de vingt ans, ces pays ont fait la preuve de leur efficacité. Au nombre de 650, ils sont aujourd'hui, en France, une force qui compte plus de 6 500 communes, représentant plus de 6 millions d'habitants.
Utilisons ces savoir-faire, cette capacité de mobilisation des professionnels, des associations, des chambres consulaires autour de l'économie touristique.
Prenons garde de ne pas détruire les dynamiques locales enclenchées depuis de nombreuses années. Je me demande ce que deviendront ces pays d'accueil lorsqu'ils ne correspondront pas au périmètre du nouveau pays. Ils ont parfois, il est vrai, une dimension plus restreinte, mais qui correspond bien à une entité de promotion touristique garante de leur efficacité.
Nous proposerons d'ailleurs un amendement visant à prendre en compte les acquis des pays d'accueil touristique.
Enfin, je parlerai de ma région, la Bretagne, qui, comme les autres, a ses spécificités. Son problème majeur est son éloignement des centres de décision, sa position excentrée en Europe. Comme c'est le cas dans d'autres régions, certains de ses territoires sont en voie de désertification. Ses spécificités, y compris sa langue, doivent être prises en compte dans une politique d'aménagement du territoire solidaire. Elus et acteurs du développement ont su d'ores et déjà s'organiser en intercommunalité, en pays qui s'étendent sur plusieurs départements, voire sur deux régions.
L'organisation du territoire doit se réaliser en garantissant l'égalité des chances dans le respect des valeurs de la République.
Je dirai, pour conclure, que développement rural et développement urbain sont une nécessité. Le Sénat représente les collectivités territoriales dans leur ensemble. Il serait dangereux d'opposer villes et campagnes et d'oublier que notre pays est constitué de territoires pour les hommes et les femmes qui y vivent. Dans le débat qui s'ouvre, ayons toujours en tête que, au coeur du projet que nous voulons construire, il y a l'être humain. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert. A cette heure avancée de la nuit, je voudrais vous demander de m'excuser, madame le ministre, si je n'analyse pas votre texte avec toutes les nuances qui conviendraient et si je ne relève pas tous les points qui nous donnent satisfaction.
J'apprécie l'évolution quant au ton et même quant au fond de vos derniers propos par rapport à ceux que nous avions pu entendre avant l'examen de ce texte par le Sénat. Ainsi, la disparition des diatribes contre les départements ainsi qu'un certain nombre d'orientations nous font plutôt plaisir.
Si ce texte est certes porteur d'améliorations sensibles, que la commission va essayer d'accentuer encore, il prête toutefois à la critique.
Depuis des décennies, notre pays affiche une politique d'aménagement du territoire qui se veut l'outil essentiel pour remédier aux déséquilibres et compenser, voire inverser, les tendances naturelles observées, ces dernières étant, d'un côté, la concentration, de l'autre, la dévitalisation.
De longue date, la lutte à la fois contre cette concentration excessive des activités, des moyens et des hommes autour de certains pôles et contre la dévitalisation récurrente d'espaces entiers de notre territoire est une priorité régulièrement affichée. Un organisme prestigieux, la DATAR, a même été créé dans notre pays à cette fin et propose régulièrement des remèdes.
Or, regardons lucidement ce qui s'est produit et qui, d'ailleurs, se poursuit : les territoires attractifs, en particulier l'Ile-de-France, accentuent encore davantage la concentration démographique et celle des richesses. Par ailleurs, la désertification de régions entières continue.
A partir de là, on peut se demander si cette tendance naturelle à la concentration, d'un côté, et à la dévitalisation, de l'autre, peut être enrayée.
En observant ce qui se passe dans d'autres pays, en particulier en Allemagne, je répondrai par l'affirmative, mais à quatre conditions.
Première condition, il faut continuer à garder comme objectif l'équilibre du territoire, et donc essayer d'offrir à tous ces pays et à leurs populations des raisons d'espérer. La politique d'aménagement du territoire était le seul moyen de s'opposer, de contrer la logique de concentration.
Or, si j'en crois ce projet de loi et, surtout, les commentaires qui ont accompagné sa préparation, puis sa présentation devant les deux assemblées, le Gouvernement a sonné la fin du temps où l'aménagement du territoire traitait des grandes infrastructures et de la désertification rurale.
J'ai entendu de hauts responsables, évoquant ce projet de loi, dire que, dorénavant, il s'agirait non plus de préparer à long terme d'hypothétiques orientations en fonction de grandes infrastructures à mettre en place, mais de répondre aux besoins immédiats, c'est-à-dire au déséquilibre, en particulier dans les pourtours des villes, dans les quartiers sensibles.
Si je comprends ce besoin de s'occuper des difficultés des villes, en particulier des quartiers sensibles, je crois cependant que le fait de consacrer nos seuls moyens au rééquilibrage du territoire dans les zones urbaines aboutirait à accentuer inéluctablement les déséquilibres déjà constatés.
Je dis donc oui à la ville, mais à condition que les interventions qui s'y font n'aboutissent pas à mettre à mal le milieu rural que je ne peux pas considérer comme un simple interstice dévitalisé entre les zones urbaines, entre les agglomérations.
Deuxième condition, il ne faut pas changer de cap tous les trois ou quatre ans. Nous avions voté, voilà quelques années, une loi qui devait s'appliquer pendant vingt ou vingt-cinq ans. Il nous est aujourd'hui proposé de voter une nouvelle loi devant également s'appliquer pendant vingt ou vingt-cinq ans.
Si l'Allemagne, par exemple, comprend un maillage équilibré entre les grandes villes, les grandes agglomérations dynamiques, les villes moyennes et le territoire rural, c'est parce que, depuis des siècles, elle a fait preuve d'une volonté d'aménager le territoire et n'a pas régulièrement changé d'option. En opérant ce transfert, en réorientant notre philosophie, je crains que nous ne portions préjudice à cette politique, qui, sans avoir donné tous ses fruits, laissait espérer un nouvel équilibre.
Troisième condition, la politique d'aménagement du territoire ne suffit pas à elle seule à instaurer les équilibres. Il est indispensable que toutes les politiques contribuent à cet objectif, qu'il s'agisse, bien sûr, de la fiscalité ou des infrastructures. Il est inconcevable de parler d'aménagement du territoire sans évoquer les infrastructures qui permettent le désenclavement - et que l'on ne nous dise pas le contraire ! - mais aussi la modernité, les technologies modernes.
Je prendrai l'exemple de la recherche : durant les dix dernières années, un rééquilibrage s'est opéré à cet égard entre Paris et un certain nombre de régions françaises. On a constaté que, en Provence-Alpes-Côte d'Azur, en Rhône-Alpes, voire en Alsace, la recherche avait été consolidée et que des centres reconnus existaient maintenant. Or, que venons-nous d'entendre ? Le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie nous a expliqué que, pour la prochaine période, la priorité serait de nouveau accordée à Paris, au bassin parisien, en raison du risque d'appauvrissement de la recherche en Ile-de-France. Pourtant, nous savons bien que Paris continue de concentrer la moitié de la recherche de notre pays.
Par conséquent, madame le ministre, à quoi bon discuter dans cette enceinte d'aménagement du territoire si vos collègues font l'inverse dans les domaines qui les concernent ? Il faut donc mener une politique cohérente. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
J'en viens à la quatrième condition. La politique d'aménagement du territoire doit pouvoir aussi répondre au déséquilibre à l'intérieur d'un même département, d'une même région, car il n'existe pas de région ou de département totalement homogène. Je prendrai un exemple concret à cet égard.
On constate, en lisant la carte publiée par Le Monde , que le département du Bas-Rhin est entouré d'un certain nombre de zones connaissant des handicaps et correspondant au massif vosgien. Ce dernier, d'un côté, donne sur l'Alsace, en particulier sur le Bas-Rhin. Comment pouvons-nous expliquer que, demain, une politique d'aménagement du territoire, en particulier la prime d'aménagement du territoire, bénéficie à nos départements voisins dans le massif vosgien mais qu'aucune mesure ne soit disponible pour la partie se trouvant du côté alsacien ? Il me paraît évident de pouvoir prendre en compte cette spécificité. Nous devons donc regarder au plus près ce qui se passe à l'intérieur d'un département ou d'une région.
Deux autres critères, que j'évoquerai très brièvement, me paraissent devoir être pris en compte.
Premièrement, une telle politique, pour être efficace, doit bénéficier d'un large consensus. A cet égard, j'apprécie l'approche de la commission spéciale, qui n'a pas souhaité rejeter le texte du Gouvernement mais qui a cherché à l'améliorer. Mais je vous remercie aussi, madame le ministre : si vous souhaitez aller dans le même sens, vous nous trouverez tout à fait disposés à conforter cette démarche.
Deuxièmement, la réforme des niveaux de collectivités d'administration est indispensable pour que l'on puisse en obtenir les pleins effets.
En conclusion, nous sommes, sur ces travées, nombreux à estimer que l'Etat doit arrêter sa politique d'intervention tous azimuts. Mais, s'il est un secteur où l'interventionnisme doit être de règle, c'est bien l'aménagement du territoire : nous devons être conscients que des enjeux majeurs sont en cause et que la seule façon de relever les défis qui s'imposent à nous est d'agir tous ensemble, de concentrer l'essentiel de nos forces là où nous en avons le plus besoin.
Oui, la politique de l'Etat en matière d'aménagement du territoire doit être une politique interventionniste. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour accentuer les efforts dont ce texte est porteur. Vous pouvez compter sur le Sénat pour vous aider à trouver les voies et moyens ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'aménagement et le développement durable du territoire que souhaitent la plupart des Français, c'est indiscutablement un équilibre entre, d'une part, les centres urbains - et plus particulièrement les centres urbains de taille humaine - et, d'autre part, un espace rural vivant et actif.
L'avenir de nos grandes villes serait préoccupant s'il s'apparentait, même de très loin, à ce qui s'est produit, par exemple, au Caire, à Lagos ou à Mexico, où, dans des quartiers périphériques, au mieux construits à la hâte, éventuellement pas construits du tout, se sont concentrées des populations déracinées et vouées à l'exclusion.
Les villes ont besoin de qualité, de sécurité et d'attractivité, mais pas de croissance incontrôlée. A cet égard, ma thèse personnelle est que l'avenir de la ville est à la campagne, au moins pour partie.
Voilà quelques heures, se tenait, à l'Assemblée nationale, un débat sur un thème évocateur : « Les villages à la conquête du monde ». Le délégué général de la DATAR y déclarait avec conviction : « Nous avons la volonté et les moyens d'aller dans ce sens. »
Depuis trente ans, personnellement, je suis passionné par le développement local. J'y travaille avec un objectif important, la création de la croissance. C'est ainsi que nous avons fait de Sophia-Antipolis un village à la conquête du monde. Nous avons réussi, avec les forces vives des Alpes-Maritimes et l'appui de la DATAR, à conjuguer dans une zone rurale écologie et haute technologie, développement économique durable et qualité de vie. Demeuré agreste, le site compte parmi les plus attractifs d'Europe. Notre village est à la conquête du monde et veut continuer à l'être. Qui plus est, il génère environ 25 milliards de francs de produit intérieur brut, dont 10 milliards de francs - et même un peu plus - vont à l'Etat, aux collectivités locales et à la sécurité sociale, ce qui n'est pas négligeable puisque cela représente quasiment la moitié de l'économie des Alpes-Maritimes.
Voilà qui démontre que, si on le veut avec ténacité et continuité, on peut faire des choses à l'extérieur des grandes villes.
Aujourd'hui, il est devenu plus facile, grâce aux progrès des techniques de la communication, de développer une population active hors des grandes villes.
Cette évolution est nécessaire et c'est en ce sens que je dis que, comme le souhaitent souvent les Français, l'avenir des villes est à la campagne, ainsi que cela se fait ailleurs : aux Etats-Unis, par exemple, la population active s'accroît plus vite en dehors des grandes villes et de leur banlieue qu'à l'intérieur de celles-ci, notamment avec le télétravail, grâce au réseau de télécommunications terrestes ou satellitaires.
Grâce aux nouvelles technologies, il est désormais possible de travailler partout, de s'éduquer, de se distraire, et cette tendance se développe tous les mois. L'extraordinaire capacité des nouvelles technologies permet ainsi, dans chacun des grands colloques ou dans les grandes foires mondiales, de s'apercevoir qu'un pas supplémentaire a encore été franchi : par exemple, les petits téléphones portables pourront même intégrer des téléviseurs.
La reconquête de l'espace rural a lieu aussi en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie du nord, où les districts ruraux abritent des groupements de petites entreprises qui attaquent avec succès le marché mondial.
Il est étonnant, au lendemain de la fête de l'Internet, qui s'est ouverte par un discours du Premier ministre, de ne pas trouver dans ce projet de loi les mesures concrètes d'appui qui s'imposent, par exemple pour inciter les entreprises et les administrations à faciliter le télétravail de leurs employés : une grande partie d'entre eux passent souvent 90 % de leur temps de travail devant un ordinateur, ce qu'ils pourraient faire à distance.
Le projet de loi n'évoque pas non plus la téléformation ni la large diffusion de la culture par les autoroutes de l'information, pas plus que la priorité qu'il faudrait pourtant donner à l'implantation de logements d'actifs dans les bourgs et les villages.
Mon département prépare actuellement une directive territoriale d'aménagement et j'ai demandé que l'on introduise cette notion, car c'est un des handicaps au développement du télétravail actuel et futur. Il faudrait donc mener une réflexion intelligente pour que soient construites des habitations à loyer modéré en dehors des quartiers périphériques des grandes villes. Cela permettrait probablement d'éviter l'hyperconcentration et toutes ses conséquences désagréables.
Au mépris d'une décision formelle prise par la commission supérieure du service public des postes et télécommunications, il est question d'acter dans la loi une certaine régression des fonctions postales en milieu rural pour tenir compter d'une directive européenne. Je m'associe, puisque je fais partie de cette commission, à cette décision formelle, qui a été évoquée auparavant à cette tribune. En effet, je considère qu'au contraire les postiers pourraient contribuer au nécessaire développement d'Internet en France, en se faisant les ambassadeurs du développement des messageries électroniques pour tous. La Poste, qui gère déjà les adresses postales de chacun, pourrait gérer des adresses électroniques !
Pour synthétiser et caricaturer ma position, je crains que la loi n'admette un scénario de l'inacceptable. Je crains que ne soit considéré comme prévisible et normal le fait que des mégapoles avec leurs banlieues, où vivraient 80 % au moins des habitants de notre pays, soient juxtaposées aux 80 %, restants du territoire qui seraient transformés en une sorte de réserve naturelle pour les populations autochtones. Je me souviens ainsi que, voilà quinze ans, à l'occasion de l'un de mes premiers discours prononcé dans une petite bourgade du haut pays des Alpes-Maritimes, le maire me demandait ce que serait l'avenir, car il craignait que son territoire ne devienne une réserve d'Indiens. C'est une question que se posent beaucoup de maires de régions rurales en dévitalisation !
Nous ne pouvons pas admettre de ne pas leur donner au moins un espoir. Madame la ministre, j'espère que vous contribuerez à leur donner cet espoir ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici une nouvelle fois amenés à débattre de l'aménagement du territoire.
Pourquoi ce nouveau débat ? Nous parlons cette fois-ci de développement « durable » du territoire. Mais croyez-vous, madame la ministre, que votre prédécesseur, M. Pasqua, ne se préoccupait pas lui aussi du développement durable alors qu'il avait prévu de redessiner la France à l'horizon 2015 ?
Plutôt que d'affirmer ici une évidence - la nécessité d'un développement durable -, vous auriez rendu, me semble-t-il, un plus grand service au pays en garantissant le caractère durable de la grande loi Pasqua-Hoeffel.
Je ne suis pas original en exprimant ici ma désapprobation de la suppression du schéma national d'aménagement du territoire mis en place par la loi de 1995 : vous lui avez préféré des schémas de service collectif.
Quelle que soit la qualité des travaux préparatoires à l'adoption de ces schémas, chacun d'entre eux sera d'abord porteur de sa propre cohérence, de celle de l'administration qui l'aura inspiré, même si les élus, les collectivités ont, à un moment ou à un autre, l'occasion de donner leur sentiment sur ces schémas.
Mais comment parvenir à la cohérence d'ensemble qui seule peut garantir un aménagement du territoire harmonieux et porteur d'une volonté forte ? Je l'avoue, j'ai là une inquiétude.
Je voudrais ici apporter un témoignage et faire preuve de préoccupations concrètes. Elles sont celles d'un élu du plus peuplé des départements français, le Nord, qui compte 2 500 000 habitants. J'y suis le rapporteur général de la commission de coopération intercommunale et, de surcroît, président de la première communauté de villes créée en France dès 1992.
Parlons d'abord des rapports entre l'urbain et le rural.
Il paraît que vous avez qualifié la loi précédente de « ruralo-ruraliste ». La préoccupation portée au monde rural honore ses auteurs, et jamais le qualificatif de « ruraliste » ne pourra me paraître offensant car, dans un pays où 80 % de la population vivent sur 20 % du territoire, il y a fatalement des zones peu peuplées qui appellent un traitement particulier, privilégié, une « discrimination positive », comme on dit aujourd'hui.
Certains de mes collègues des départements les plus ruraux s'inquiètent du manque de prise en compte de leurs difficultés dans votre texte. Je crois en effet qu'ils ont raison.
Encore faut-il s'entendre sur le terme de « rural ». Il y a ce qu'on appelle parfois le « rural profond », il y a aussi un monde rural proche de la ville, vivant en symbiose avec elle, ce monde que les géographes appellent d'un mot bien symbolique, le monde « rurbain. »
C'est ainsi que, dans ma communauté de villes qui rassemble dix-sept communes dans une même structure, on trouve une ville de 34 000 habitants, mais aussi dix communes authentiquement rurales de moins de 500 habitants, et que nous faisons actuellement adopter simultanément un contrat d'agglomération et un contrat de développement rural qui répondent ensemble aux besoins d'un territoire mi-urbain mi-rural, mais lié par des solidarités fortes et reconnues.
Il est vrai que les villes, les pôles urbains sont souvent des moteurs du développement au service des territoires environnants. Nous le savons depuis longtemps puisque nos « pagus », nos pays traditionnels, portent très souvent un nom qui leur vient de leur ville centre, et ce tout naturellement depuis des siècles.
Il faut donc non pas opposer la ville, son agglomération et le pays qu'elle commande, mais, au contraire, construire le développement sur des bassins de vie reconnus par la population, qui sait toujours, elle, quelle est la ville qui rythme sa vie.
Vous avez raison d'insister sur la structuration des solidarités d'agglomération. Nous en reparlerons bientôt, lors de l'examen du texte de M. Chevènement.
Vous redécouvrez les vertus du pays, toujours très présent, sauf dans les très grandes agglomérations. Mais pourquoi en faire le territoire d'un projet, seulement le territoire d'un moment ? Ne serait-il pas plutôt l'esquisse d'une organisation future qui se cherche encore ? Sa légitimité démocratique, il la devra à la reconnaissance par la population de sa pertinence géographique et des élus qui en ont la responsabilité. Pourquoi, en face de ces élus, hésiter à affirmer qu'il pourra y avoir place dans l'avenir, pour un échelon déconcentré des administrations de l'Etat ?
Vous ne parlez guère du département, non plus que de l'arrondissement, cette entité profondément ressentie dans le milieu rural. Ils furent inventés, définis, à la fin du xviiie siècle, de manière empirique. Laissez empiriquement apparaître les entités administatives pertinentes du début du xixe siècle ! Donnez-vous dix ans, donnez-leur dix ans pour faire leurs preuves, pour s'affirmer ! Osez le droit à l'expérimentation ! Dans ce domaine, votre texte me semble singulièrement frileux, car trop respectueux des empilements administratifs traditionnels.
Qui dit aménagement dit aussi traitement différencié, discrimination positive, pour corriger les fractures dont est naturellement porteur le cours des choses.
Le monde rural profond est fragile. Les banlieues s'embrasent. Mais l'avenir n'est pas assuré non plus pour nos agglomérations moyennes.
L'avenir, c'est le tertiaire, dit-on souvent. J'habite dans une ville qui perd ses emplois secondaires mais aussi ses emplois tertiaires parce que la décroissance de la population ne favorise pas le développement du commerce, parce que, dans une zone remarquablement desservie par les autoroutes mais mal desservie par le TGV, celui qui ne bénéficie pas de la même qualité de desserte est victime d'un handicap presque insurmontable. Pour desservir ladite zone, la SNCF majore alors ses tarifs et, par conséquent, perd des clients. Les banques, les administrations, les tribunaux, chacun avec sa logique, avec ses bonnes raisons, veulent se concentrer, se réorganiser... ailleurs.
Comment vos schémas de services collectifs peuvent-ils rendre compte de cette accumulation de décisions individuellement justifiées et collectivement désastreuses ?
Je ne prétends pas lire dans l'avenir, mais je ne pense pas, madame le ministre, que votre texte puisse être autre chose qu'une étape, à moins que vous n'ayez la volonté de tenir le plus grand compte du remarquable travail qui a été celui de la commission spéciale créée par le Sénat, qui a démontré, une fois de plus - il convient de le souligner - la qualité de ses analyses et de ses travaux.
Madame le ministre, je souhaite que nos débats aient un avenir, qu'ils servent à quelque chose, qu'ils soient durables et que, grâce à l'apport du Sénat, nous n'ayons pas bientôt à revenir sur votre loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire était incontestablement un texte attendu ; non pas en raison du débat qu'il a pu susciter préalablement à travers certains de ses objectifs, qui ont pu, un temps, relancer la polémique entre monde urbain et monde rural, voire entre régionalistes et départementalistes, mais parce qu'il fallait un complément indispensable au grand mouvement de décentralisation lancé par les textes fondateurs de 1982.
La loi Pasqua - on l'a rappelé ici - avait posé un certain nombre de fondations, mais elle avait également - il faut bien le dire aussi - suscité, dans sa mise en oeuvre, un certain nombre de déceptions, lenteur d'application ou manque de moyens financiers ne paraissant pas être les seules raisons de sa révision.
Aujourd'hui, vous nous présentez, madame la ministre, un projet de loi qui constitue la colonne vertébrale d'un dispositif plus vaste qui, de l'Europe au plus profond du monde rural, témoigne d'une volonté cohérente d'aménagement du territoire à travers les différents textes qui nous sont proposés, ou qui vont l'être dans les prochaines semaines, et qui vont de l'évolution de l'intercommunalité aux zonages issus des fonds structurels européens.
Grâce à cette approche, grâce aussi à la qualité du travail fait par l'Assemblée nationale, le texte que nous discutons aujourd'hui apparaît, sur bien des points, équilibré et innovant.
Parce que nous sommes pour la plupart, ici, des élus locaux, nous savons à quel point la réussite d'une politique de développement d'un territoire tient au bon équilibre que l'on parvient à établir entre les différents ingrédients de ce développement. Or, c'est sur le chemin de cet équilibre que la loi nous invite à marcher.
L'équilibre institutionnel, tout d'abord.
On sait comment, en matière de gestion du territoire, peuvent s'opposer, par tradition, les jacobins et les girondins. La loi nous invite à dépasser cette opposition.
Elle réaffirme, tout d'abord, le rôle déterminant de la puissance publique, qu'il s'agisse de l'Etat ou des collectivités locales, en matière d'aménagement du territoire, et elle reconnaît à chaque échelon administratif un rôle spécifique.
Elle va toutefois plus loin, car elle ouvre désormais le champ des projets de développement local à l'ensemble des acteurs et, au-delà des élus, à la société civile.
C'est ainsi qu'il faut comprendre le rôle dévolu aux pays et, à travers eux, au conseil de développement - je regrette que celui-ci ait disparu dans les propositions de la commission spéciale - qui, par leur réflexion et par la concertation qu'ils permettent, viendront enrichir l'action des collectivités publiques.
A l'équilibre institutionnel s'ajoute un équilibre dans la prise en compte des facteurs du développement que sont l'économique, le social et l'environnemental.
A cet égard, le projet de loi nous fait franchir un cap en ne s'en tenant plus au seul objectif de la compétitivité économique.
Dans tout projet de développement, il convient désormais de prendre également en compte la dimension sociale des problèmes - le développement ne vaut et ne tient que s'il est partagé - ainsi que la dimension environnementale - le développement ne vaut et ne tient que s'il ne conduit pas à la disparition des ressources naturelles.
C'est donc à travers une grille complète et non pas uniquement marchande que la loi d'orientation nous propose d'examiner les projets destinés à l'enrichissement et à la croissance. Gageons que c'est là une condition supplémentaire de réussite.
Ma seconde observation a trait au caractère novateur de cette loi. A nos yeux, l'essentiel est là : la loi qui nous est proposée aborde la question de l'aménagement du territoire sous un angle neuf et moderne. L'aménagement durable, c'est, comme vous l'avez dit, madame la ministre, l'aménagement réalisable, viable dans le temps et intégré à l'espace.
L'innovation présentée ne se résume pas à la méthode qu'elle propose ; elle tient aussi aux objectifs qu'elle nous fixe. Elle ouvre, en particulier, une nouvelle période de la programmation des investissements en nous faisant passer de l'époque des structures à celle des services.
Nous sommes, aujourd'hui, sortis de la reconstruction, voire de la modernisation sans discernement ; notre philosophie ne peut plus être celle des seuls équipements.
Il faut, dans une vision beaucoup plus large, partir des besoins humains, qui se sont complexifiés, et se demander de quels services autant que de quels équipements nos concitoyens ont besoin.
Ce sera l'occasion de se préoccuper de la nécessité qu'il y a, pour réussir un aménagement harmonieux du territoire, à construire des équipements, des routes, mais aussi à développer des politiques actives en matière de culture, de santé, d'enseignement supérieur, de recherche, etc., qui donnent tout leur sens aux schémas de services collectifs, qui doivent déterminer les équipements.
Vous nous avez assuré, madame la ministre, que le Parlement serait associé à la réflexion. Il lui reviendra aussi de vérifier que les engagements qui seront pris seront compatibles avec les crédits que nous votons dans les lois de finances.
Voilà ! Le projet de loi nous invite à réfléchir à un aménagement durable de nos territoires. Mais parce qu'il s'agit d'une loi d'orientation, il faudra que notre vigilance elle-même soit tout aussi durable.
C'est seulement à cette condition que nous redonnerons à notre politique d'aménagement du territoire les moyens dont elle a parfois cruellement manqué : les moyens matériels, certes - la péréquation des richesses ne sera pas l'un des moindres - mais aussi les moyens humains, tant intellectuels que sociaux, sans lesquels vous le savez bien -, toute entreprise, dans le monde d'aujourd'hui, reste sans objet. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Franchis.
M. Serge Franchis. Madame la ministre, alors que la loi de février 1995 d'orientation pour l'aménagement du territoire n'a pas été totalement appliquée, loin de là, vous croyez devoir remettre en cause son architecture trop « ruraliste », en mettant plus particulièrement l'accent, dans votre texte, sur le renforcement des pôles urbains et sur l'organisation des agglomérations.
Une telle approche devrait a priori séduire l'élu urbain que je suis. Les difficultés sociales que connaissent près de 250 quartiers de nos villes sont effectivement très préoccupantes. Elles ne nous autorisent pas, pour autant, à laisser à l'abandon des pans entiers de notre territoire rural, en le considérant essentiellement comme un patrimoine naturel à protéger.
Cette vision urbano-écologiste de l'aménagement du territoire va, en réalité, à l'encontre d'un développement équilibré, alors que 425 cantons ruraux sont en voie de désertification, et ce au moment où la réforme des fonds structurels européens risque d'être moins favorable à la France que le régime qui lui est actuellement appliqué. Le Gouvernement est peu disert sur ce sujet...
Certaines régions ne bénéficieront plus des crédits de l'objectif 1. D'autres, comme le département de l'Yonne, en Puisaye-Forterre notamment, qui étaient jusqu'alors éligibles à l'objectif 5 b, vont-elles bien, madame la ministre, pouvoir bénéficier des volets agricole et industriel de l'objectif 2 ? Je m'interroge à ce sujet.
En effet, selon le groupe d'études et de réflexion interrégional, la France perdrait cinq milliards de francs par an de crédits des fonds structurels européens, ce qui est considérable.
A cette inquiétude s'en ajoute une autre : comme l'a récemment souligné un rapport de notre collègue Jean-Pierre Raffarin, certaines mesures envisagées par la Commission de l'Union européenne, en entravant la liberté de choix des zones de l'objectif 2 par les Etats membres, risquent de réduire la carte des primes d'aménagement du territoire alors que cette carte est déjà très sélective.
Quant à la loi spécifique au développement des zones rurales prévue en 1995, elle ne verra pas le jour ; votre texte ne prévoit pas de véritable cadre de développement pour les zones de revitalisation rurale ; le fonds de gestion de l'espace rural n'est pratiquement plus doté financièrement ; les services publics en milieu rural risquent d'être progressivement fermés et nous sommes actuellement confrontés dans de nombreuses régions à des fermetures de classes. Bref nos campagnes resteront sans doute belles, mais seront-elles encore habitées et animées ?
N'oublions pas que si 80 % de la population est urbaine, 80 % du territoire français demeure rural : nier cette réalité, ce serait mettre en place un aménagement du territoire à deux vitesses, ce qui ne serait pas acceptable.
Ce qui m'a frappé aussi en examinant votre projet de loi est de voir à quel point l'accent y est mis sur le rôle moteur de l'Etat en matière d'aménagement du territoire, les collectivités territoriales étant reléguées à un simple rôle d'accompagnement, alors qu'elles contribuent pourtant à la moitié du financement des contrats de plan.
Ce retour en force de l'Etat est-il compatible avec l'esprit des lois de décentralisation ?
Dans votre texte, la définition et la réalisation des choix statégiques en matière d'aménagement du territoire relèveront, au premier chef, de l'Etat.
L'expérience nous prouve que, lorsque l'Etat veut s'occuper de tout, il s'en occupe mal. De ce point de vue, je suis inquiet de constater à quel point son rôle paraît prééminent dans la mise en oeuvre des huit schémas de services collectifs, dans la préparation des contrats de plan Etat-régions et dans la mise en oeuvre des directives territoriales d'aménagement.
Parmi les autres innovations de votre projet de loi figurent la consécration des pays judicieusement créés par la loi de 1995, ainsi que le rôle essentiel dévolu aux agglomérations. En effet, les communautés d'agglomérations constituent, par ailleurs, la pierre angulaire du projet de loi sur l'intercommunalité que le Sénat examinera prochainement.
Les pays pourraient donc désormais signer des contrats dans le cadre des contrats de plan Etat-région mais à condition qu'ils s'organisent en syndicats mixtes ou en établissements publics de coopération intercommunale.
Ainsi, à côté de nos 36 000 communes, des SIVU, des SIVOM, des communautés de communes, des communautés d'agglomérations, des communautés urbaines, des départements, des régions et de l'Etat, nous trouverons désormais des pays, établissements publics, chaque échelon disposant de son administration, souvent de sa fiscalité, de compétences propres et de la capacité à contracter avec les autres, pour concourir, notamment, à des financements croisés.
Tout le monde se mêle à tout ! Cette énumération a de quoi donner le tournis.
On ne peut donc que regretter que votre texte, plutôt que de favoriser une clarification du rôle, du financement et des compétences des collectivités territoriales, aille dans le sens d'un plus grand empilement administratif.
Pour toutes ces raisons, je ne saurais m'associer à votre projet de loi, madame la ministre, que lorsqu'il aura été profondément enrichi et remanié - avec votre compréhension - selon les propositions de la commission spéciale, qui a effectué un excellent travail et qui a bien perçu l'essentiel des problèmes évoqués à cette tribune. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)

Demande de priorités et de réserve



M. Gérard Larcher,
rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher, rapporteur.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Monsieur le président, en prévision de la suite de nos débats et pour le bon déroulement de ceux-ci, la commission spéciale souhaite que, demain, l'article 9 soit appelé par priorité avant l'article 3 ; que l'article 16 soit réservé jusqu'après l'examen de l'amendement n° 84, qui tend à insérer un article additionnel après l'article 32 ; et que l'article 35 soit appelé par priorité après l'article 24.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de priorités et de réserve formulée par M. le rapporteur de la commission spéciale ?
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Le Gouvernement n'y voit pas d'objection.
M. le président. En conséquence, ces priorités et réserve sont de droit.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

5

DÉPÔT DE PROJETS DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant la ratification de la convention relative à l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède à la convention relative à l'élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d'entreprises associées.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 276, distribué et renvoyé à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 277, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Thaïlande.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 278, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

6

TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI

M. le président. J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, modifiant l'ordonnance n° 82-283 du 26 mars 1982 portant création des chèques-vacances.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 275, distribué et renvoyé à la commission des affaires sociales.

7

DÉPO^T D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION

M. le président. J'ai reçu de M. Henri de Raincourt et des membres du groupe des Républicains et Indépendants, une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête chargée de procéder à un examen approfondi du phénomène de la déliquance des mineurs et de proposer des mesures de nature à y remédier.
La proposition de résolution sera imprimée sous le n° 279, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

8

TEXTES SOUMIS EN APPLICATION
DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION

M. le président. J'ai reçu, de M. le Premier ministre, le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de règlement (CE) du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits de la pêche et de l'aquaculture.
Ce texte sera imprimé sous le n° E 1230 et distribué.
J'ai reçu, de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de règlement (CE) du Conseil modifiant l'annexe I du règlement (CEE) n° 2658/87 du Conseil relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (plates-formes de forage).
Ce texte sera imprimé sous le n° E 1231 et distribué.
J'ai reçu, de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
Proposition de règlement (CE) du Conseil modifiant l'annexe I du règlement (CEE) n° 2658/87 du Conseil relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (chapitre 27).
Ce texte sera imprimé sous le n° E 1232 et distribué.

9

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 24 mars 1999, à quinze heures :
Suite de la discussion du projet de loi (n° 203, 1998-1999) d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence.
Rapport (n° 272, 1998-1999) de MM. Gérard Larcher, Claude Belot et Charles Revet, fait au nom de la commission spéciale.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale de ce projet de loi n'est plus recevable.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.

Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale (n° 220, 1998-1999).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 31 mars 1999, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 30 mars 1999, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 24 mars 1999, à zéro heure trente-cinq.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





ERRATUM

Au compte rendu intégral de la séance du 17 mars 1999

PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ

Dans l'intervention de M. Jean-Louis Lorrain, page 1542, 2e colonne, avant-dernier alinéa, 3e ligne :
Au lieu de : « ..., il serait légal. »,
Lire : « ..., il serait létal. »



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Organismes de recherche et marchés publics

496. - 19 mars 1999. - Mme Nicole Borvo attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les importantes difficultés que rencontrent les organismes de recherche en matière de marchés publics. Ceux-ci se trouvent confrontés depuis 1999 à un blocage complet de leurs achats de fournitures et équipements destinés aux laboratoires. Toute commande doit depuis le 1er janvier 1999 se plier à la règle : un produit, un fournisseur. Or, ce carcan administratif : 1) est unique en Europe, 2) constitue un frein essentiel qui handicape sérieusement la compétition avec les chercheurs anglo-saxons qui ne sont pas soumis à de telles contraintes, 3) est la cause de ralentissements dans les progrès scientifiques et médicaux et de pertes de brevets, 4) n'est pas compatible avec le développement de sociétés de biotechnologies, 5) se traduit par des pertes sèches sur le plan financier avec l'achat de matériel inadéquat et plus cher et amène les chercheurs à rechercher des sources de financement qui ne passent pas par les finances publiques, 6) a été conçu sans réelle concertation avec les chercheurs et leurs représentants. Des mesures transitoires ont été prises mais elles ne sont pas satisfaisantes car les même problèmes risquent de se reproduire d'ici quelques mois. Plus grave encore semble être la modification du code des marchés publics préconisée par le ministère des finances pour résoudre le problème à plus long terme. En effet, le projet de décret déposé au Conseil d'Etat visant à modifier l'article 76 du code des marchés publics ne répond nullement aux besoins des laboratoires de recherche. La philosophie de ce texte consiste à maintenir l'obligation de définir précisément, dès l'appel d'offres initial, les caractéristiques techniques de tous les produits que l'établissement se propose d'acheter. Ce contrôle des marchés sera complexe à mettre en oeuvre ; il demandera plus de travail, pour les ordonnateurs, les comptables et les chercheurs et a pour résultat de les empêcher de choisir les fournitures les plus appropriées. Pour toutes ces raisons, elle lui demande s'il compte faire évoluer la réglementation dans un sens qui permettrait aux établissements de recherche de fonctionner normalement en tenant compte de la spécificité de la recherche scientifique. Elle lui demande également quand le Gouvernement compte entreprendre une réele concertation avec les chercheurs et leurs représentants qui jusqu'à présent semble avoir fait défaut.

Horaires de fermeture des gares SNCF

497. - 23 mars 1999. - M. Yann Gaillard attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement sur les horaires de fermeture des gares SNCF. Il lui rappelle qu'à l'occasion de la rencontre des élus champardennais, le 16 mars 1999, concernant la ligne Paris-Bâle, il avait déjà évoqué cette question. En effet, les horaires de fermeture des gares se font beaucoup trop tôt, souvent bien avant le dernier train. La gare de Troyes (Aube), par exemple, ferme à 21 heures alors que le dernier train est à 22 h 16. Il en résulte que les voyageurs qui attendent une correspondance doivent patienter dans un petit hall, faisant office de salle d'attente, assez inconfortable, notamment quand il fait froid. De plus, cette absence de vie sociale en fait un espace livré aux populations marginales où règne, il faut bien le dire, une certaine insécurité. Sans oublier les dégâts matériels qui sont régulièrement constatés (banc cassé, vitres brisées...). Il reste le buffet de la gare, mais lui aussi ferme tôt et les bars et restaurants aux alentours ne tarderont pas à faire de même. On se retrouve dans une sorte de no man's land qui ne fait qu'ajouter à l'insécurité urbaine. Il tient à faire remarquer que ce problème n'est malheureusement pas spécifique à la gare de Troyes et qu'il s'avère indispensable d'en tenir le plus grand compte. Aussi, il lui demande s'il envisage, dans un souci d'amélioration du service public, de repousser l'horaire de fermeture des gares, conformément aux engagements qu'il avait pris lors de cette rencontre du 16 mars 1999.




ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL
de la séance du mardi 23 mars 1999


SCRUTIN (n° 87)



sur l'ensemble de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au mariage, au concubinage et aux liens de solidarité.

Nombre de votants : 316
Nombre de suffrages exprimés : 310
Pour : 194
Contre : 116

Le Sénat a adopté.

ANALYSE DU SCRUTIN


GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
Contre : 16.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (22) :

Pour : 15.
Contre : 4. _ MM. Jean-Michel Baylet, André Boyer, Yvon Collin et Jacques Pelletier.
N'ont pas pris part au vote : 3. _ MM. Jacques Bimbenet, Bernard Joly et Georges Othily.

GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (99) :

Pour : 92.
Contre : 4. _ MM. Michel Caldaguès, François Gerbaud, Emmanuel Hamel et Jean-Jacques Robert.
Abstentions : 2. _ MM. Philippe de Gaulle et Christian de La Malène.
N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Christian Poncelet, président du Sénat.

GROUPE SOCIALISTE (78) :

Contre : 78.

GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (52) :

Pour : 43.
Contre : 7. _ MM. Maurice Blin, André Bohl, Jean Huchon, Alain Lambert, Henri Le Breton, René Marquès et Michel Souplet.

Abstentions : 2. _ MM. Pierre Jarlier et Louis Mercier.

GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (47) :

Pour : 40.
Contre : 6. _ MM. Jean-Paul Bataille, Jean Boyer, Louis Boyer, Louis Grillot, Guy Poirieux et Henri Revol.

N'a pas pris part au vote : 1. _ M. Jean-Claude Gaudin, qui présidait la séance.


Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (7) :
Pour : 4.
Contre : 1. _ M. Bernard Seillier.
Abstentions : 2. _ MM. Philippe Adnot et Philippe Darniche.

Ont voté pour


François Abadie
Nicolas About
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Pierre André
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Denis Badré
José Balarello
René Ballayer
Janine Bardou
Michel Barnier
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Michel Bécot
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jean Bizet
Paul Blanc
Annick Bocandé
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Jean-Guy Branger
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Louis de Broissia
Guy-Pierre Cabanel
Robert Calmejane
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Gérard Cornu
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Charles de Cuttoli
Xavier Darcos
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Robert Del Picchia
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Gérard Delfau
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Gérard Deriot
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Michel Doublet
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Jean-Léonce Dupont
Hubert Durand-Chastel
Daniel Eckenspieller
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Michel Esneu
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
André Ferrand
Hilaire Flandre
Gaston Flosse
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yves Fréville
Yann Gaillard
René Garrec
Patrice Gélard
Alain Gérard
Charles Ginésy
Francis Giraud
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Francis Grignon
Georges Gruillot
Hubert Haenel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Daniel Hoeffel
Jean-Paul Hugot
Jean-François Humbert
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
André Jourdain
Alain Joyandet
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Patrick Lassourd
Robert Laufoaulu
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Jean-François Le Grand
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Serge Lepeltier
Marcel Lesbros
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Kléber Malécot
André Maman
Philippe Marini
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Jean-Luc Miraux
Louis Moinard
René Monory
Aymeri de Montesquiou
Georges Mouly
Bernard Murat
Philippe Nachbar
Paul Natali
Lucien Neuwirth
Philippe Nogrix
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Jacques Oudin
Charles Pasqua
Lylian Payet
Michel Pelchat
Jean Pépin
Jacques Peyrat
Alain Peyrefitte
Xavier Pintat
Bernard Plasait
Jean-Marie Poirier
Ladislas Poniatowski
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri de Richemont
Philippe Richert
Yves Rispat
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Raymond Soucaret
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy


Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Guy Vissac

Ont voté contre


Guy Allouche
Bernard Angels
Henri d'Attilio
Bertrand Auban
François Autain
Robert Badinter
Jean-Paul Bataille
Jean-Michel Baylet
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Jean-Pierre Bel
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Maurice Blin
André Bohl
Marcel Bony
Nicole Borvo
André Boyer
Jean Boyer
Louis Boyer
Yolande Boyer
Robert Bret
Michel Caldaguès
Jean-Louis Carrère
Bernard Cazeau
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Michel Charzat
Yvon Collin
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Jean-Pierre Demerliat
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Claude Domeizel
Michel Dreyfus-Schmidt
Michel Duffour
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Claude Estier
Léon Fatous
Guy Fischer
Thierry Foucaud
François Gerbaud
Serge Godard
Louis Grillot
Jean-Noël Guérini
Emmanuel Hamel
Claude Haut
Roger Hesling
Jean Huchon
Roland Huguet
Alain Journet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Roger Lagorsse
Alain Lambert
Dominique Larifla
Henri Le Breton
Gérard Le Cam
Louis Le Pensec
Pierre Lefebvre
André Lejeune
Claude Lise
Paul Loridant
Hélène Luc
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
François Marc
René Marquès
Marc Massion
Pierre Mauroy
Jean-Luc Mélenchon
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Jean-Marc Pastor
Jacques Pelletier
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean-Claude Peyronnet
Jean-François Picheral
Bernard Piras
Jean-Pierre Plancade
Guy Poirieux
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Jack Ralite
Paul Raoult
Ivan Renar
Henri Revol
Roger Rinchet
Jean-Jacques Robert
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Bernard Seillier
Michel Sergent
Franck Sérusclat
René-Pierre Signé


Michel Souplet
Simon Sutour
Odette Terrade
Michel Teston
Pierre-Yvon Tremel
Paul Vergès
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber

Abstentions


MM. Philippe Adnot, Philippe Darniche, Philippe de Gaulle, Pierre Jarlier, Christian de La Malène et Louis Mercier.

N'ont pas pris part au vote


MM. Jacques Bimbenet, Bernard Joly et Georges Othily.

N'ont pas pris part au vote


MM. Christian Poncelet, président du Sénat, et Jean-Claude Gaudin, qui présidait la séance.


Les nombres annoncés en séance avaient été de :
Nombre de votants : 317
Nombre de suffrages exprimés : 311
Majorité absolue des suffrages exprimés : 156
Pour l'adoption : 195
Contre : 116

Mais, après vérification, ces nombres ont été rectifiés conformément à la liste ci-dessus.