Séance du 16 mars 1999







M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Luc pour explication de vote.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes amis Danielle Bidard-Reydet et Michel Duffour ont fort bien expliqué la position des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen.
Notre débat d'aujourd'hui s'est déroulé dans un contexte européen de tensions politiques fortes.
De nombreux orateurs ont dit à quel point la démission de M. Oskar Lafontaine, puis celle de la Commission européenne, qui s'est faite d'un seul bloc, soulignent les graves menaces qui pèsent sur l'Europe.
La démission de M. Lafontaine symbolise la pression formidable du libéralisme sur les forces de progrès.
La chute de la Commission, quant à elle, est le résultat tardif, mais logique, d'une construction européenne oubliant la démocratie.
Pourtant, l'Europe est une nécessité. La mise en commun des immenses potentiels de notre continent constitue un atout formidable pour affronter les défis du XXIe siècle, réduire le chômage, aller vers le plein emploi, permettre l'épanouissement des femmes et des hommes, participer au développement du monde.
Une chose est sûre : l'Europe, qui est une réalité forte, ne peut progresser sans démocratie et sans progrès social. Or, la démocratie est une idée qui, pour le moment, n'imprègne pas la construction européenne, loin s'en faut.
Prenons l'exemple de la Commission. Vous êtes nombreux, mesdames, messieurs les sénateurs, à affirmer que cette institution ne fait que proposer et que le Conseil des ministres européen prend les décisions. Or, dans les faits, d'une part, son quasi-monopole d'initiative lui confère un pouvoir considérable et un moyen de pression fort sur les ministres, et, d'autre part, dans un certain nombre de domaines, comme celui de la concurrence, ce qui n'est pas rien, la Commission cumule le pouvoir d'initiative et de décision.
Le traité d'Amsterdam modifie à la marge les rapports entre le Parlement européen et la Commission. La réalité demeure la même : ni sur le plan horizontal, ni sur le plan vertical, le contrôle démocratique n'est assuré entre les parlements nationaux et la Commission.
La Commission et ses dix-sept mille fonctionnaires doivent être placés - c'est urgent - sous la responsabilité des peuples et de leurs représentants. Ils ne peuvent pas continuer à travailler sans contrôle des citoyens.
Comment, dans ces conditions, accepter de voter ce traité d'Amsterdam qui prend un sacré coup de vieux après la démission collective d'hier, laquelle reflète - n'en doutons pas - un très grand malaise.
Ce traité est celui de l'adaptation des institutions à une Europe placée sous la coupe des marchés financiers, alors que l'aspiration des peuples lie intimement progrès social et avancée démocratique.
Ce n'est pas la Banque centrale européenne qui doit faire l'Europe en jouant sur les paramètres financiers. Ce sont les peuples qui doivent être les moteurs de cette Europe que nous voulons pleinement citoyenne, en intervenant de manière décisive pour l'emploi, pour la formation, pour la santé et la protection sociale comme pour toutes les grandes questions qui préoccupent nos concitoyens, la jeunesse en particulier, et nos voisins.
Nous sentons bien, alors que des forces de progrès sont au gouvernement dans de nombreux pays européens, que l'heure est importante en matière de choix économiques et sociaux.
La France, son peuple, ont un grand rôle à jouer pour réorienter l'Europe vers l'épanouissement humain. L'expérience allemande montre bien qu'il faut prendre de vitesse les marchés financiers pour imposer, avec les citoyens, d'autres choix que ceux qui privilégient une infime minorité.
Continuer à privatiser ne constitue pas, par exemple, un signe favorable. Cette stratégie ne rompt pas avec une logique qui favorise les intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général.
Nous participerons activement, dans les mois qui viennent - un grand débat aura lieu à l'occasion des élections européennes - à faire grandir l'idée que changement et progrès social, rupture avec le libéralisme, nécessitent de nouveaux choix pour l'Europe.
Tel est le sens de notre importante proposition visant à substituer au pacte de stabilité, véritable carcan monétariste, un pacte pour l'emploi et la croissance qui doit être le signe que la volonté des peuples européens qui ont manifesté leur désir de changement sera entendue.
Mes chers collègues, monsieur le ministre, la démocratie c'est - je le crois profondément - instaurer une relation permanente entre représentant et représenté, entre centres de décisions et populations afin de permettre la conformité des choix électoraux et des politiques menées.
Construire l'Europe sans la démocratie, c'est la détruire. Les événements d'hier l'attestent. Il faut démocratiser l'institution européenne dans son ensemble, donner beaucoup plus de poids au Parlement européen et créer des organismes qui permettent de contrôler véritablement cette Commission.
Vous l'avez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront contre la ratification du traité d'Amsterdam qui est le symbole d'une Europe sclérosée.
Nous travaillons avec toutes les catégories de citoyens à réaliser une Europe de progrès. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. de La Malène.
M. Christian de La Malène, Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai voté contre la réforme de la Constitution, je vais donc, logiquement, voter contre le traité qui nous est soumis.
En effet, hormis le regret de me séparer de certains de mes amis, je n'ai trouvé aucun argument nouveau qui puisse me conduire à prendre aujourd'hui une position différente d'hier.
En matière de construction européenne, ce traité tourne le dos à toutes les préoccupations françaises, presque continûment réaffirmées, gouvernement après gouvernement.
Il fallait au moins un début de pouvoir politique : il n'y en a pas trace.
Il fallait aller vers plus de légitimité et plus de démocratie : c'est plutôt le contraire.
Il fallait ouvrir la possibilité d'avancer à ceux qui souhaiteraient le faire : les coopérations renforcées sont verrouillées.
Il fallait, enfin et surtout, améliorer et rebâtir les institutions : leurs défauts sont aggravés.
Et si, par hasard, les arguments me manquaient, la lecture des journaux, des déclarations et des débats à l'Assemblée nationale pourrait m'en fournir à foison. Elle est instructive, cette lecture. On n'y trouve à longueur de colonnes et de discours que réticences, regrets, inquiétudes. Mais d'enthousiasme et de satisfaction, pour ainsi dire jamais.
Les arguments positifs raisonnables semblant faire singulièrement défaut, que reste-t-il alors ?
Il y a bien sûr, comme toujours quand il s'agit de l'Europe, la politique intérieure avec ses impératifs et ses solidarités, jamais reconnus mais toujours pesants.
Il y a la peur de la crise, comme si ce n'était pas grâce à elle que les plus durs obstacles ont été surmontés.
Il y a, enfin et surtout, la résignation.
Politique intérieure, peur de la crise, résignation, le Gouvernement a sans doute senti que c'était un peu court. Il a voulu rassurer et montrer sa détermination, soulignant et avouant par là même les insuffisances du traité, d'où un article supplémentaire dans le projet de loi.
Ce texte est habile, mais il est aussi fondamentalement ambigu. C'est un ferme avertissement adressé aux autres, mais il est de « principe » et l'on se réserve prudemment à soi-même le soin d'apprécier la densité de la réponse.
Mesdames, messieurs, j'ai toujours pensé que le combat européen était, pour la France, une chose très sérieuse, peut-être la plus sérieuse.
J'y ai consacré une grande partie d'une vie politique très longue et j'ai siégé de très longues années au Parlement européen. J'ai appris qu'il ne suffit pas de lire, comme on le fait maintenant, en haut d'un texte les mots « Europe... Europe », pour qu'il soit utile. J'ai appris aussi que la voie de la facilité, celle du plus petit commun dénominateur ne mène jamais nulle part. Mais j'ai retenu surtout que, pour progresser dans la réalité et dans la durée, il fallait un objectif clair et un objectif ambitieux, soutenus, l'un et l'autre, par beaucoup de ténacité et beaucoup de volonté. Je n'ai trouvé ni ceux-là ni celles-ci dans le traité qui nous est soumis aujourd'hui. (Applaudissements sur certaines travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel. Monsieur le président, je vous remercie de donner la parole à un sénateur inconnu, après tant d'orateurs célèbres, président de commission, ministres ou anciens ministres, je vous prie de m'excuser si, du fait de l'émotion que j'éprouve en cette heure historique, tragique, pour la France, j'ai des mots qui blesseront peut-être certains.
Monsieur le ministre, vous l'avez dit vous-même, c'est une date historique. Mais, dans l'histoire, il est des heures tragiques.
Nous avons derrière nous, Français, quinze cents ans d'histoire. Comment un peuple comme le nôtre, dont l'histoire est marquée de tant de dates, de victoires mais aussi de défaites d'où est ressurgie, par la volonté nationale, une France ressaisie, comment ce peuple qui fut ce qu'il fut, accepterait-il, aujourd'hui, en raison de la mondialisation et au motif que l'Europe est un continent dont nous faisons partie, d'abandonner sa souveraineté et de poursuivre la construction d'une Europe qui le détruit ?
C'est aujourd'hui, symbole important, la démission de la Commission européenne. Saluons ce geste, mais analysons les causes de cette démission.
L'Europe qui se construit - c'est vrai et ce n'est pas un argument de discours sur les tréteaux électoraux ! - c'est l'Europe de l'argent dominée par le pouvoir monétaire de la Banque centrale européenne. La France s'est défait de sa souveraineté en matière monétaire. C'est une Europe où l'argent domine ; c'est une Europe où, progressivement, la volonté nationale de faire face, par ses moyens, aux possibilités du rayonnement de la France dans le monde est progressivement abandonnée.
Non seulement la souveraineté monétaire est déjà perdue, mais la politique étrangère et de sécurité commune en est à ses débuts.
Mes chers collègues, la France a-t-elle le droit d'abandonner son droit personnel de rester elle-même ? Pourquoi confier à un autre la responsabilité, vis-à-vis du monde, de représenter la politique étrangère d'une petite France qui serait perdue dans un magma ?
Alors, je le sais bien, certains d'entre vous pensent que la France n'étant plus que ce qu'elle est, 60 millions d'habitants dans un monde peuplé de près de 6 milliards d'individus, avec un produit intérieur brut qui est l'un des plus forts du monde par rapport au nombre d'habitants, mais qui est faible eu égard aux grandes masses que sont la Chine et les Etats-Unis, cette France, qui n'est plus qu'elle-même, travaillée par tous ces risques de dissensions qu'entraîne l'insécurité, cette France ne peut plus, seule, résoudre ses problèmes. Il faut qu'elle délègue à d'autres le soin de gérer son présent et son avenir. C'est une démission tragique !
Ce que j'espère, c'est que les perspectives que vous avez annoncées, monsieur le ministre, nous ne les verrons pas, et que dans ce peuple se lèvera progressivement la volonté - révolutionnaire, il le faut - de briser cette mécanique qui tue l'âme de la France.
Renan avait dit que la nation, c'est une âme, un principe spirituel. La politique que vous conduisez détruit la France.
Le mercredi 3 mars, Vaclav Havel, qui était ici, parlait d'une Europe spirituelle, d'une Europe de l'esprit. Où est-elle dans cette construction mécanique que vous nous proposez ?
Que la France redevienne elle-même ! Qu'elle construise l'Europe, mais en coopérant avec les autres, ce qui veut dire en restant elle-même et en n'allant pas, en matière de coopération, au-delà de ce que lui dicte la conception qu'elle a de son intérêt national.
N'oublions pas, mes chers collègues, le rayonnement qui pourrait encore être le nôtre dans le monde si nous nous ressaisissions, si, dans la volonté de coopérer avec d'autres, nous choisissions de multiplier nos possibilités d'agir de façon autonome, parce que nous sommes nous-mêmes, parce que nous avons derrière nous quinze cents ans d'histoire et qu'il serait dramatique que l'entrée dans le troisième millénaire soit pour la France, parce qu'elle confirmerait ces odieux traités de Maastricht et d'Amsterdam, la décision de ne plus faire partie de ce monde du troisième millénaire. (Applaudissements sur certaines travées du RPR et du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je mettrai moins de passion que mon collègue Emmanuel Hamel, mais je puis vous dire que les membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen sont conscients du moment historique que nous vivons.
Nous parvenons à la fin de la procédure de ratification du traité d'Amsterdam. Les membres de notre groupe seront unanimes à approuver le projet de loi autorisant la ratification de ce traité, comme ils ont déjà voté unanimement les deux articles qui le constituent.
Certes, le traité peut être jugé de différentes façons. Mais je crois qu'il ne mérite ni l'opprobre ni la passion. J'estime qu'il est une étape utile, bien que de portée limitée, sur la route longue et difficile de la construction européenne.
Il n'est plus nécessaire en cet instant d'insister sur ses points forts, sur ses insuffisances. Cependant, monsieur le ministre, en approuvant ce traité, nous avons tout de même quelques observations à faire.
J'en présenterai trois, qui montrent l'urgence qu'il y a à réformer les institutions de l'Union européenne, et cela, bien sûr, avant les négociations d'adhésion pour l'élargissement, et même le plus rapidement possible. Il faut organiser sans retard une véritable démocratie européenne, à défaut de quoi l'élan européen auquel nous sommes fidèlement attachés s'éteindra dans le peuple français.
Je commencerai par la Commission européenne.
Il n'est pas bon de mêler les derniers événements au débat. Certes, il y a des défaillances ; certes, elles ont été rendues publiques, en pleine transparence, et la Commission tout entière, avec dignité, a démissionné. Je crois que cette dignité et que ce processus sont la marque d'un esprit démocratique et non de je ne sais quel esprit autocratique. Il y a là, de la part de la Commission, un acte de courage, et je rends hommage à Jacques Santer... (Murmures sur les travées du RPR.)
M. Michel Caldaguès et Louis Souvet. Ah non ! N'exagérons pas !
M. Guy Cabanel. Si ! Je rends hommage à l'homme qui a mené cette opération de clarification.
M. Dominique Braye. Il aurait pu avoir le courage de le faire avant !
M. Guy Cabanel. Ensuite, si nous voulons parvenir à une véritable démocratie européenne, nous ne devons pas oublier aujourd'hui le processus de désignation des députés européens par les Français. Il nous faut, dès le lendemain du scrutin du 13 juin, rechercher un consensus avec nos partenaires de l'Union européenne afin de définir des modalités de scrutin qui rapprocheraient les députés européens de nos concitoyens des quinze pays de l'Union européenne.
Si cette recherche, qui pourrait durer une année, ne débouchait sur rien, il nous appartiendrait d'élaborer une nouvelle loi électorale française pour que les circonscriptions locales soient basées sur les régions et les interrégions, et de le faire sans plus tarder afin de ne pas nous laisser surprendre par l'arrivée progressive du nouveau scrutin de 2004.
C'est à ce prix que des liens plus étroits existeront entre nos concitoyens et leurs députés à Strasbourg, et cela dans l'intérêt même de la compréhension d'une difficile et laborieuse construction de l'Union européenne.
Enfin - beaucoup en ont déjà parlé - nous devons nous inspirer de l'extraordinaire message que Václav Havel a délivré au Sénat le mercredi 3 mars.
Dans ce message, je vois deux éléments.
D'abord, pour le Parlement européen, le bicaméralisme résoudrait l'essentiel des problèmes constitutionnels communautaires, tels que le nombre des membres de la Commission et sa composition, la représentation de tous les Etats de l'Union après l'élargissement et le resserrement des liens avec les Parlements nationaux. Rien ne serait plus dangereux qu'un Parlement européen qui déciderait sans véritable contact, sans véritable lien avec les Parlements nationaux.
Ensuite, vous avez dit, monsieur le ministre, que M. Vaclav Havel avait parlé d'une « constitution ». Mais il ne faut pas se tromper sur les termes mêmes qu'a employés le Président de la République tchèque. Il a parlé d'une loi fondamentale simple et compréhensible par tous. C'est là aussi une démarche qui me paraît très importante car, sans une loi fondamentale simple et compréhensible qui remplacerait ces traités complexes, ces traités à relent technocratique, ces traités qui manquent parfois de transparence, nous n'aurons pas l'adhésion populaire que nous souhaitons pour l'Union européenne.
Il nous faut aller vite. Il nous faut clarifier cette situation et ne pas laisser se développer un malentendu entre les instances européennes et les peuples des quinze pays de l'Union. C'est cette Union européenne à laquelle le groupe du Rassemblement démocratique et social européen est très attaché. Nous souhaitons sa réussite pleine et entière pour tous les Européens, et nous le souhaitons du fond du coeur ! (Applaudissements sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Estier. M. Claude Estier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme je l'ai dit ce matin dans la discussion générale, rien, parmi les dispositions du traité d'Amsterdam, ne nous paraît aller à l'encontre de l'idée que nous nous faisons de l'Europe, et cela en dépit des insuffisances mêmes du traité, à côté des avancées incontestables.
Le débat que nous avons eu aujourd'hui, coïncidant avec la crise provoquée par la démission de la Commission européenne, a mis en relief le fait que la réforme des institutions de l'Union n'est pas seulement une question d'ambition, c'est aussi une nécessité absolue.
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Claude Estier. Le traité d'Amsterdam n'a pas rempli, c'est vrai, la mission qui lui était assignée de réformer l'Union pour préparer les institutions européennes aux futurs élargissements. Mais l'article 2, que nous venons de voter, est aussi bien pour le Gouvernement que pour le Parlement, l'expression de notre volonté de rendre l'Europe plus démocratique et plus forte pour affronter les défis du xxie siècle.
Malgré ces insuffisances, nous pensons que la dynamique de la construction européenne, engagée voilà plus de quarante ans, est toujours à l'oeuvre. L'élaboration de ce traité et son contenu montrent combien il est encore plus important aujourd'hui de rassembler nos volontés.
Déterminé à soutenir toute initiative allant dans le sens d'une Europe plus politique et plus sociale, le groupe socialiste, à une exception près, votera la ratification du traité d'Amsterdam. (Applaudissements sur les travées socialistes).
M. le président. La parole est à M. Ceccaldi-Raynaud.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers amis, M. le ministre a déclaré que le traité d'Amsterdam corrigeait celui de Maastricht. Il nous avait dit, lors d'un précédent débat : « Amsterdam sort de Maastricht ». C'est ce jour-là, monsieur le ministre, que vous aviez raison, et non pas aujourd'hui.
La cohérence, c'est de considérer que les deux traités sont issus l'un de l'autre, qu'ils sont complémentaires. Rien ne vient corriger le traité initial, en tout cas sur l'essentiel. Or qu'est-ce que l'essentiel ?
On a donné beaucoup d'arguments pour ou contre. Que le traité lui-même ait été légèrement amélioré par le gouvernement actuel, je ne le conteste même pas. Vous avez engagé un effort dans ce sens, monsieur le ministre.
Mais la question, la vraie, celle qui se pose depuis le rejet de la Communauté européenne de défense, la CED, sur proposition de Mendès-France, celle qui se pose depuis 1943, alors que Jean Monnet s'opposait déjà à de Gaulle pour le remplacer par Giraud - Giraud dont on connaît les attaches avec Vichy - cette question essentielle de la patrie d'un côté, de la fédération de l'autre, n'est pas réglée.
Certes, je constate un progrès dans les mots qui nous vient, hélas ! des socialistes, qui parlent en termes un peu contradictoires de fédération d'Etats, et d'Etats unis ou d'états souverains - je n'ai pas retenu l'expression exacte -...
M. Claude Estier. D'Etats nations !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. C'est une formulation qui évite de trancher la grande question, mais qui constitue néanmoins, pour moi, un progrès par rapport à ceux qui l'ont tranchée, depuis longtemps, en faveur du fédéralisme, d'une fédération des régions, c'est-à-dire en faveur d'une disparition progressive des Etats nations.
Puisque, mesdames, messieurs du groupe socialiste, vous vous autorisez, à juste titre, à citer de temps en temps de Gaulle, qui fait partie du patrimoine de la nation tout entière, m'autoriserez-vous à citer Jaurès, qui disait : « Les pauvres n'ont rien ; ils n'ont que la patrie. » ? (M. Christian de La Malène applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collèques, permettez-moi, tout d'abord, de féliciter notre rapporteur, M. Xavier de Villepin, pour son travail fécond, qui va nous aider à vivre ce moment historique. Comme lui-même nous a incités à le faire et comme nos collègues Pierre Fauchon et Denis Badré l'ont déclaré au cours de leurs interventions, le groupe de l'Union centriste votera donc le projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam.
Quelle aventure que celle qui fut engagée par ces hommes d'exception que furent Jean Monnet, Robert Schuman, le général de Gaulle, Konrad Adenauer, et beaucoup d'autres restés dans l'ombre, qui décidèrent, après tant de haines, de souffrances, de guerres, de se tendre la main !
Il nous faut nous replacer dans le contexte de cette époque, vaincre nos égoïsmes, savoir écouter l'autre afin de prévoir l'avenir des hommes et des femmes en jetant les bases essentielles de la construction de notre Europe.
Le président Valéry Giscard d'Estaing disait : « La France représente 1 % de la population du monde. »
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Et alors !
M. Jacques Machet. Combien l'Europe représente-t-elle ?
L'acte que nous accomplissons aujourd'hui constitue une solide étape, représente un maillon très important pour l'avenir de la construction d'une Europe forte dans un monde difficile, pour installer la paix et la liberté, s'accepter différents mais complémentaires. Le Kosovo nous montre aujourd'hui, s'il en était besoin, combien ces valeurs sont fragiles.
Soyons humbles et responsables ! Ce fut le message délivré par M. Vaclav Havel en notre assemblée.
Si, par moments, la construction européenne nous semble trop longue, il nous faut relativiser, mes chers collègues, en considérant les difficultés que nous avons parfois à mettre en place l'intercommunalité. Or l'Europe, c'est une grande intercommunalité !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis fier du vote positif de l'Union centriste, qui constitue un acte de foi en l'avenir. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Robert.
M. Jean-Jacques Robert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis depuis des années, tout naturellement, un Européen convaincu et passionné, mais je veux que la France soit représentée, défendue, protégée par ceux qui s'expriment en notre nom.
Notre place en Europe doit être forte. Or, depuis des années, nos gouvernements successifs n'ont pas toujours écouté la représentation nationale, ne l'ont pas toujours tenue informée. De plus, et plus souvent encore, ils n'ont pas été entendus au Conseil des ministres et, moins encore, par la Commission, son organe d'exécution.
Les exemples abondent où nous nous demandons chaque fois si nous avons été représentés : de compromis en compromis, de transaction en transaction, nous abandonnons, l'une après l'autre, sans contrepartie, des parcelles de notre souveraineté. Nous ne savons pas dire non. Quelle satisfaction que le pouvoir de dire non !
Et pourtant c'est possible ; le Royaume-Uni l'a fait, qui a dit non à l'euro entre autres.
M. Claude Estier. Et qui le regrette maintenant.
M. Jean-Jacques Robert. Qui, aujourd'hui, lui en veut d'avoir pensé d'abord à son intérêt ? Il est toujours à égalité avec ses partenaires et avec nous.
Nous, céderons-nous sur la PAC - je rappelle que le commissaire Fischler a ridiculisé notre ministre sur son intervention - comme nous avons cédé sur l'énergie, les transports, la sécurité, la Banque centrale et sur d'innombrables textes concernant notre vie de tous les jours où nous allons de surprise en contrariété face aux directives inconsidérément acceptées et, de ce fait, imposées ?
Nous avons laissé faire la Commission, qui est non pas le « gouvernement de l'Europe », comme on veut le dire, mais une réunion de fonctionnaires désignés pour appliquer les décisions du Conseil des ministres.
Le traité d'Amsterdam transférera sur le champ les compétences et fera prendre en charge les procédures quotidiennes de notre vie par la Commission au lieu du Conseil des ministres.
Cela est très grave, surtout à la lumière des événements de la nuit dernière, qui sont la preuve, si besoin en était, que le Conseil des ministres n'a pas contrôlé son exécutif : la Commission. De son côté, celle-ci a perdu le contrôle de ses fonctionnaires et de ses collaborateurs. Quel gâchis ! Quelle leçon de modestie pour les orgueils de la pensée unique européenne à la technocratie dominante et quel motif pour un retour à une saine et naturelle démocratie !
Si, avant-hier, vous faisant confiance, comme j'en étais tenté, j'avais choisi de voter la ratification du traité, je ne le ferai sûrement plus aujourd'hui car je vois très clairement qu'il est imprudent de déléguer tant de souveraineté à un tel magma européen incontrôlé et, plus encore, incontrôlable ; nous venons de le vivre en direct. Je vote contre la ratification du traité pour préserver, avec mon coeur, mon idéal de la France et de l'Europe. (Très bien et applaudissements sur certaines travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Barnier.
M. Michel Barnier. Je tiens tout d'abord à remercier M. le président de la commission des affaires étrangères pour la manière dont il a conduit les débats en commission et dont il a rapporté le texte en séance publique, aujourd'hui.
Je remercie également M. le ministre de son écoute et pour les réponses approfondies qu'il nous a apportées tout à l'heure.
Mes chers collègues, nous vivons un moment historique, a-t-on entendu ici et là, tout à l'heure. C'est peut-être le cas ; de toute façon, ce moment est important et grave.
La France est, en effet, le dernier pays parmi les Quinze, le Sénat, la dernière assemblée parlementaire à se prononcer sur ce traité, ce qui me donne l'occasion de rappeler - mais c'est aujourd'hui une évidence - que tous ceux qui ont fait part de leur position avant nous, quelle que soit leur sensibilité, l'ont fait, en conscience et en toute responsabilité, en faveur de la ratification.
Au moment où je m'exprime, après plusieurs de mes collègues et amis du groupe du Rassemblement pour la République, vous aurez compris, monsieur le ministre, mes chers collègues, que nous n'avons pas tous le même sentiment sur ce traité. S'agissant du sujet important qu'est l'Europe, le groupe du Rassemblement pour la République présente - ce qu'il partage, monsieur le ministre, avec votre majorité gouvernementale - un caractère pluriel.
Néanmoins, dans une grande majorité, comme les votes qui viennent de se dérouler l'ont prouvé, les membres de notre groupe vont approuver ce traité. Ils le feront avec réalisme, avec volontarisme et, comme vous pourrez le constater dans les temps qui viennent, remplissant en cela leur rôle de parlementaires nationaux avec vigilance. Ils le feront aussi dans un climat de confiance envers le chef de l'Etat.
Nous allons voter un traité utile, je l'ai dit ce matin, pour ce qu'il contient, au nom de l'Europe sociale et humaine, de protocole social, de mesures pour l'emploi et pour la sécurité des citoyens.
Quoi qu'on en dise, je répète avec force, notamment parce que je suis élu d'un département limitrophe d'une frontière et que je sais comment fonctionnent les frontières souveraines ou dites souveraines aujourd'hui, que, face à des menaces de nature internationale, face à des réseaux qui utilisent les frontières et les différences de législation, face à la drogue, aux mafias, à la criminalité internationale, il nous faut apporter des réponses communes et, dans certaines conditions, une réponse communautaire.
Et puis, ce traité apporte les premiers outils de cette politique étrangère commune et, un jour, je l'espère, de cette défense commune qui font tant défaut à la crédibilité de l'Europe aujourd'hui.
C'est donc un traité utile, mais - et je l'ai dit avec l'expérience de négociateur qui fut la mienne - c'est un traité insuffisant. Il y manque, en effet, une volonté politique. Et, en l'absence de cette volonté politique, qui sera rassemblée à l'avenir, je l'espère, monsieur le ministre, la réforme des institutions, dont l'actualité de cette nuit prouve s'il en avait été besoin l'urgence et l'importance, fait défaut.
Cette réforme devra porter sur la Commission elle-même, en obéissant à un impératif que je veux affirmer avec force : pour fonctionner, l'Union a besoin d'une Commission forte, crédible, qui remplisse avec plus de rigueur et de transparence ses fonctions, qui consistent à préparer, à proposer et à exécuter.
Au demeurant, soyons objectifs et justes à l'égard de la Commission : à l'égard de celle qui s'en va et qui a fait - c'est le cas de beaucoup de ses membres - un travail utile dans des conditions parfois difficiles - et je pense en l'occurrence à la mise en place de la monnaie unique - mais aussi à l'égard de la Commission en général. J'ai été tenté de rappeler tout à l'heure à mon collègue et ami Charles Pasqua, que je respecte malgré nos différences, que la Commission met en oeuvre des décisions du Conseil des ministres même si elle les a proposées : pas une seule fois en quarante ans, la Commission n'a mis en oeuvre une directive, ces fameux projets de lois européens, sans que le gouvernement de notre pays, qu'il soit de droite ou de gauche, ait approuvé préalablement les textes en question.
En conséquence, ne disons pas toujours : « C'est la faute de Bruxelles. » Il est trop facile de rejeter la faute sur les autres. Quand la technostructure prend le pouvoir, c'est que les politiques lui ont laissé le pouvoir.
M. Gérard Braun. Très bien !
M. Dominique Braye. C'est vrai !
M. Jean-Paul Emorine. Tout à fait !
M. Michel Barnier. En cherchant bien, mes chers collègues, en ne cherchant même pas très longtemps, on trouverait de la technocratie ailleurs qu'à Bruxelles.
Quoi qu'il en soit, la réforme doit porter sur la Commission, sur le système de vote et sur le fonctionnement du Conseil des ministres. Elle doit aussi renforcer cette institution essentielle qu'est le Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement parce que c'est là que résident la légitimité démocratique et l'impulsion politique.
Cher collègue Hamel, permettez-moi de vous dire avant de conclure qu'il n'y a pas, d'un côté, des sénateurs inconnus et, d'un autre côté, des sénateurs anciens ministres. Nous somme tous à égalité dans cet hémicycle, quelles qu'aient été nos responsabilités, et il est important que nous nous respections les uns et les autres, comme je respecte l'opinion différente qui a été exprimée tout à l'heure par certains de mes amis du groupe du RPR.
Pour moi, le choix n'est pas entre la France et l'Europe. La France et l'Europe vont ensemble et elles sont toujours allées ensemble. L'alternative se situe entre une Europe indépendante, souveraine, qui se donne les moyens de maintenir, parfois de recréer une souveraineté européenne et une Europe sous influence américaine. Telle est ma conviction.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Michel Barnier. J'en ai presque terminé, monsieur le président.
Plutôt que d'exception française, je préfère parler d'ambition française. Depuis Schuman et Monnet, en passant par le général de Gaulle et tous ceux qui l'ont suivi, jusqu'à Jacques Chirac, la construction de l'Europe politique a toujours été une ambition française, et notre pays doit continuer de nourrir cette ambition.
Parce que le traité d'Amsterdam constitue une étape, et seulement une étape, vers la construction de cette Europe politique, dans sa majorité, le groupe du RPR approuvera ce texte. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RPR ainsi que sur celles des Républicains et indépendants, de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier. Mes chers collègues, je voudrais d'abord rendre hommage au président de notre assemblée, au président de la commission, rapporteur de ce texte, ainsi qu'à chacune et à chacun d'entre vous pour l'atmosphère de respect réciproque qui a prévalu au cours de nos travaux. Ce n'est certes pas chose inhabituelle au Sénat mais peut-être le sujet sensible abordé aujourd'hui rendait-il plus fragile le climat dans lequel nous avons coutume de débattre.
Le traité d'Amsterdam poursuit une construction européenne selon des modalités à tel point controversées qu'aucun orateur n'en a fait l'éloge sans réserve.
Une certaine forme de gêne est clairement perceptible, indépendamment même de la coïncidence étonnante avec la démission de la Commission européenne. Je me demande si une partie de cette gêne ne provient pas de la conscience confuse de transferts de compétences qu'on n'ose plus exercer dans le cadre national. Il s'agirait moins de transferts assumés que de responsabilités en déshérence.
Mais pourquoi le courage politique apparaîtrait-il miraculeusement à l'étage supérieur, alors que c'est au coeur de la conscience nationale qu'il a sa source ?
Je crois également percevoir une grave et profonde discordance entre la structure même des institutions européennes et l'ambition d'une Europe politique démocratique. Qui n'en a conscience, particulièrement en ce jour ? De nombreux orateurs l'ont évoquée.
L'ambition européenne sous-tendue par le traité d'Amsterdam est, selon moi, assortie d'un système institutionnel incapable de l'assumer techniquement et politiquement dans des conditions de fiabilité suffisantes, et cela avant même tout nouvel élargissement. Il faudrait donc réformer les institutions avant de confier à des organes inadaptés des compétences qui les accableront, en n'offrant, dans les conditions actuelles, que deux perspectives : celle de la crise chronique et celle de la servitude généralisée et volontaire que La Boétie, puis Tocqueville avaient déjà annoncée.
C'est pourquoi je ne souhaite pas la ratification d'un traité qui, à mes yeux, procède à l'inverse du cheminement qu'il conviendrait de suivre et blesse durablement et la République et l'Europe. (MM. de La Malène et Flandre applaudissent.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 83:

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 313
Majorité absolue des suffrages 157
Pour l'adoption 271
Contre 42

En conséquence, le projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam est définitivement adopté.
M. Emmanuel Hamel. Vote funeste !

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