Séance du 16 mars 1999
RATIFICATION DU TRAITÉ D'AMSTERDAM
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 250, 1998-1999),
adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité
d'Amsterdam modifiant le traité sur l'Union européenne, les traités instituant
les Communautés européennes et certains actes connexes. [Rapport n° 259
(1998-1999).]
M. Emmanuel Hamel.
Faut-il commencer la discussion compte tenu de la démission de la Commission
européenne ? Ne conviendrait-il pas de la différer, de réfléchir ?
M. le président.
Monsieur Hamel, vous n'avez pas la parole ! Dans la discussion générale, la
parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué chargé des affaires européennes.
Monsieur le président,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement vous
soumet aujourd'hui le projet de loi autorisant la ratification du traité
d'Amsterdam. Nous abordons ainsi la dernière étape d'un processus qui a
démarré, il y a plus d'un an, avec la saisine conjointe, par le Président de la
République et le Premier ministre, du Conseil constitutionnel.
Les travaux qui ont contribué à préparer ce débat ont été d'une excellente
qualité et je tiens à remercier le président de la commission des affaires
étrangères, M. de Villepin, qui est aussi le rapporteur de ce projet de loi. Je
crois pouvoir dire que nous avons travaillé en étroite et parfaite
collaboration, comme cela avait déjà été le cas lors du débat sur la révision
constitutionnelle. Je tiens à souligner combien j'ai appprécié l'esprit
coopératif et constructif dans lequel se sont déroulés nos travaux.
Le traité d'Amsterdam est une étape de la construction européenne,...
M. Emmanuel Hamel.
De la destruction de la France !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
... une étape annoncée par le traité de Maastricht, qui
disposait, dans son article N, qu'une conférence des représentants des
gouvernements des Etats membres serait convoquée en 1996 pour examiner les
dispositions du traité à modifier.
Je ne rappellerai pas le long processus qui a conduit à l'adoption de ce
traité : la mise en place du groupe Westendorp en juin 1995, composé des
représentants personnels des ministres des affaires étrangères, puis la
conférence intergouvernementale proprement dite, qui s'est déroulée de mars
1996 jusqu'au 17 juin 1997, et enfin, le 2 octobre 1997, à Amsterdam, la
signature du traité par les ministres des affaires étrangères.
Aujourd'hui, tous les Etats membres, sauf la France, ont ratifié le traité. Il
est donc temps que notre pays achève, à son tour, cette procédure, afin de
permettre l'entrée en vigueur de ce traité.
M. Emmanuel Hamel.
Ne nous pressons pas de faire le mal !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Certes, le traité d'Amsterdam n'a pas toute la force ni
toute la portée qu'il aurait dû avoir si les objectifs fixés à l'origine de la
conférence intergouvernementale avaient pu être atteints. Amsterdam n'est pas -
nous pouvons le regretter, sur toutes les travées - le traité fondateur de
l'Europe politique et sociale que nous voulons construire. Ses lacunes sont
importantes, j'y reviendrai tout à l'heure.
Toutefois, malgré ses défauts, le traité d'Amsterdam marque une étape positive
de la construction européenne. Il s'inscrit dans la suite logique du traité sur
l'Union européenne, qu'il corrige et complète, et il intervient à la veille
d'une évolution profonde de l'Union : celle-ci aura, demain, après
l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale, un autre visage.
Cette année 1999 est décisive à plus d'un titre.
En premier lieu, l'euro vient d'être mis en place dans des conditions
satisfaisantes, plus conformes, en tout cas, à notre vision politique et
économique que ce que nous pouvions espérer il y a deux ans. Nous pouvons être
satisfaits du résultat : l'euro, instrument au service de la croissance et de
l'emploi, s'est fait sur une base large ; il n'est pas surévalué.
Un Conseil de l'euro, l'« Euro-Onze », a été mis en place. Il sera
l'interlocuteur de la Banque centrale européenne et le moteur de la
coordination indispensable des politiques économiques en Europe. Bref, il
constituera, me semble-t-il, l'amorce d'un « gouvernement économique ». En
effet, pour nous, encore une fois, l'euro n'est pas une fin en soi ; c'est un
outil indispensable à la croissance et à l'emploi.
En second lieu, l'année 1999 est décisive au regard des réformes que l'Union
doit mener à bien dans les domaines du fonctionnement et du financement de ses
politiques communes. La négociation de l'Agenda 2000 est, après l'euro et avant
l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam, le second temps fort de cette année
pour l'Union européenne.
Il s'agit d'une négociation difficile et complexe.
Tout d'abord, la négociation est difficile compte tenu des positions de départ
des Etats membres et de l'attachement très fort, parfaitement légitime au
demeurant, de beaucoup d'entre eux à leurs intérêts nationaux ; je veux vous
rassurer : c'est le cas de la France, vous le savez.
Ensuite, la négociation est complexe en raison du nombre de questions qui
composent l'Agenda 2000. On parle essentiellement de la PAC ; c'est normal,
elle représente presque la moitié des dépenses en jeu. Mais il y a aussi les
fonds structurels et les ressources propres. Il est indispensable - telle est
en tout cas la position du Président de la République et du Gouvernement - de
traiter l'ensemble et de ne rien conclure de manière séparée. A l'heure où je
vous parle, il est clair que rien n'est conclu. Une telle attitude ne pourrait
que rendre encore plus difficile la recherche d'une solution globale.
Dans cette affaire, la volonté de la France est d'aider la présidence
allemande. Le nouveau gouvernement allemand, en place depuis moins de six mois,
a la tâche difficile. Raison de plus pour nous de tout faire pour l'aider à
parvenir à un accord, à Berlin, les 24 et 25 mars prochains, surtout dans le
contexte actuel.
C'est pourquoi, après avoir rencontré, à plusieurs reprises au cours des
dernières semaines, mon homologue allemand, Günther Verheugen, j'envisage de me
rendre, dans les prochains jours, chez d'autres de nos partenaires, en
particulier en Espagne et au Portugal.
D'ici au Conseil européen de Berlin, le calendrier de rencontres de la
présidence sera très dense. Le chancelier Gerhard Schröder achèvera ainsi,
vendredi prochain à Paris, sa tournée des capitales, où il rencontrera,
ensemble, ce qui est un signe de l'unité de la France sur cette affaire, le
Président de la République et le Premier ministre. Cette tournée devrait lui
permettre d'évaluer les marges de manoeuvre de chaque Etat membre dans la
perspective d'un compromis final.
Dimanche prochain, les ministres des affaires étrangères et les ministres des
affaires européennes se réuniront en conclave avant le Conseil Affaires
générales de lundi. Puis se tiendra le Conseil européen extraordinaire, les 24
et 25 mars, et j'ai bon espoir, malgré les questions qui demeurent en suspens,
que nous parviendrons à un accord. J'ajoute que le climat actuel, qui fait la
une des médias, rend encore plus nécessaire un succès à Berlin.
Derrière tout cela se trouve la perspective de l'élargissement. Lancé en 1998,
ce processus va prendre, dans les prochains mois, un tour nouveau. Nous allons,
en effet, aborder maintenant les chapitres difficiles et entrer, peu à peu,
dans le vif de la négociation.
Je constate que les choses progressent plutôt vite et bien, même s'il reste à
chacun des candidats beaucoup de travail et d'efforts importants à fournir.
Nous les y aidons. Nous devons le faire plus encore, nous Français, si nous
voulons préparer correctement l'Union européenne de demain.
Et puis, bien sûr, au mois de juin, auront lieu les élections européennes,
porteuses d'espoir, à un moment où notre volonté est de rapprocher l'Europe de
ses citoyens, de donner à ceux-ci les moyens et le goût de mieux participer à
la construction européenne.
Voilà, brossé à très grands traits, le contexte dans lequel s'inscrit
l'exercice de ratification que nous allons, je l'espère, je le crois, je le
sais, achever aujourd'hui.
En autorisant la ratification de ce traité, nous donnerons à l'Union
européenne la possibilité de franchir une étape qui, sans avoir une portée
historique majeure, a tout de même - j'y insiste - un sens et une utilité. Il
convient de prendre toute la mesure de cette étape, d'en apprécier les forces
et les faiblesses, sans illusions ni critiques excessives, « ni excès
d'honneur, ni indignité », comme le rappelle le président de Villepin dans son
rapport. D'ailleurs, sans nous concerter, nous avons utilisé la même formule,
puisque je l'avais moi-même évoquée à la tribune de l'Assemblée nationale.
Nous devons également voir comment cela peut nous permettre de mieux préparer
l'avenir. En effet, comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner à plusieurs
reprises devant vous, le traité d'Amsterdam, malgré ses limites, a son
importance, parce qu'il marque l'amorce d'un tournant : d'une part, certaines
tendances ont pu être corrigées - je pense, naturellement, au domaine de
l'emploi ; d'autre part, des compléments ont été apportés aux chapitres sur
lesquels le traité de Maastricht ne donnait pas à l'Union des instruments
suffisants pour réaliser les ambitions qu'elle s'était assignées.
Tout d'abord, en quoi le traité d'Amsterdam permet-il la correction de
tendances qui nous semblaient négatives pour l'Europe ? Essentiellement, parce
qu'il contrebalance la dimension fortement monétaire - certains ont pu dire «
monétariste » - et financière du traité de 1992. Vous savez, en effet, que le
traité d'Amsterdam comporte un chapitre nouveau entièrement consacré à
l'emploi, à la coordination et au suivi des politiques nationales dans ce
domaine, et au développement d'une stratégie commune européenne. L'union
monétaire est ainsi clairement rééquilibrée, stabilité économique et lutte pour
l'emploi étant mises politiquement sur le même pied.
Permettez-moi de rappeler que, parallèlement au bouclage de la négociation du
traité, nous avons pu faire adopter un texte complémentaire au pacte de
stabilité et de croissance, de même valeur, et qui le rééquilibrait : ce fut la
résolution sur la croissance et l'emploi du Conseil européen d'Amsterdam.
Ce qu'il faut retenir avant tout de cette démarche, c'est la dynamique qu'elle
a enclenchée et qui trouve aujourd'hui son plein épanouissement avec
l'initiative, qui doit prendre corps sous la présidence allemande, d'un pacte
européen pour l'emploi.
C'est grâce à cette dynamique nouvelle que nous avons pu mettre en oeuvre par
anticipation les dispositions du traité d'Amsterdam relatives à l'emploi, tenir
un sommet exclusivement centré sur ce sujet, dès novembre 1997, à Luxembourg,
et consacrer depuis lors cette priorité européenne pour l'emploi.
Les délais de ratification, pour un texte de ce niveau, sont toujours longs -
nous le voyons bien aujourd'hui - et nous ne pouvons donc que nous féliciter
d'avoir pu, sans attendre, mettre à profit les nouveaux instruments créés par
le traité.
C'est dans le même esprit qu'il convient de situer, pour les apprécier, les
dispositions du traité dans le domaine social.
L'avancée majeure est évidemment, grâce au changement d'orientation décidé par
le gouvernement britannique, à l'époque nouveau, de Tony Blair, l'intégration
du protocole social dans le traité, dont les dispositions sur le rapprochement
des législations et sur le dialogue social est complété par de nouvelles
dispositions permettant au Conseil d'adopter, à la majorité qualifiée - c'est
important - des mesures de lutte contre l'exclusion sociale ainsi que des
dispositions visant à assurer l'application du principe d'égalité des chances
et d'égalité de traitement.
A cet égard, la volonté d'aller vers une Europe plus respectueuse des droits
fondamentaux des citoyens est partout présente dans ce traité. Elle se traduit
par un renforcement des dispositions relatives aux droits de l'homme et aux
libertés fondamentales, de la clause de non-discrimination et du principe
d'égalité entre hommes et femmes, ainsi que des droits sociaux fondamentaux.
L'Europe, après Amsterdam, sera aussi une Europe plus attentive aux attentes
en matière de santé et d'environnement, grâce à des dispositions plus
contraignantes pour les Etats, et donc plus protectrices pour les individus.
Le nouvel article relatif aux services publics - l'article 7 D - participe de
la même ambition : il consacre la place des services publics au rang des
valeurs communes de l'Union, et reconnaît leur rôle particulier dans la
cohésion sociale et territoriale de l'Europe et des Etats membres. C'était pour
nous, pour le Gouvernement, pour la France un objectif essentiel.
Et puis, le traité d'Amsterdam comporte de nombreuses autres dispositions,
qu'il convient plutôt de lire comme des compléments au traité de Maastricht :
c'est tout ce qui concerne la politique étrangère et de sécurité commune, la
PESC ; c'est le troisième pilier ; ce sont aussi, malgré les lacunes, quelques
petits progrès dans le domaine institutionnel. Je vais évoquer brièvement ces
questions.
En instituant, à Maastricht, une politique étrangère et de sécurité commune,
les Etats membres de l'Union avaient commencé à lever les limitations qui
freinaient la coopération politique, créée par l'Acte unique. C'était un pas
décisif, mais - nous l'avons constaté bien vite avec le conflit de
l'ex-Yougoslavie - encore très insuffisant.
Le traité d'Amsterdam s'efforce d'aller plus loin, il va plus loin, puisqu'il
donne à la PESC un visage et une voix, nous savons aujourd'hui que ce haut
représentant, Mme ou M. PESC, sera une personnalité politique, et il est
absolument nécessaire que ce soit le cas. En outre, cette personnalité, qui
sera désignée en juin prochain, à Cologne, disposera, pour agir, d'instruments
et de structures nouveaux, que nous souhaitons les plus performants possible.
Je pense notamment à la définition de stratégies communes, qui permettront,
dans les zones géographiques prioritaires - la Russie, les Balkans bien sûr, la
Méditerranée à la demande de la France - d'avoir une vision globale et de
mobiliser tous les instruments de la Communauté et des Etats membres.
(M. Hamel s'exclame.)
Monsieur Hamel, je peux vous rassurer : la
diplomatie française ne se fondera pas intégralement dans la politique
étrangère et de sécurité commune.
M. Emmanuel Hamel.
Pas intégralement mais en partie ! Nous cessons d'être nous-mêmes !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Il s'agit de commencer à lui donner une identité.
Parallèlement, le traité ouvre des perspectives de progrès dans le domaine de
la défense européenne. Il faudra aussi, je crois, les utiliser pleinement. Ce
sera difficile, il ne faut pas nous le cacher. Mais des signes encourageants
sont là, inconstestablement. Je pense en particulier à la déclaration
franco-britannique adoptée, l'automne dernier, à Saint-Malo, qui insiste sur le
développement de moyens opérationnels européens, naturellement articulés avec
ceux de l'OTAN, mais pouvant être mis en oeuvre - et c'est fondamental - même
si les Etat-Unis ne souhaitent pas s'engager militairement. Les récentes
déclarations du Premier ministre Tony Blair montrent qu'il y a une vraie
volonté du gouvernement britannique d'aller plus loin dans cette voie. D'autres
partenaires semblent avancer avec nous dans ce sens, je pense notamment à
l'Allemagne - c'est très important - mais aussi aux Pays-Bas. Autant de signes
positifs que l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam nous permettra peut-être
de traduire par des initiatives concrètes.
L'autre grand domaine dans lequel le traité d'Amsterdam apporte des
compléments substantiels, c'est celui de la sécurité intérieure, avec des
progrès réels dans le secteur des affaires intérieures et de la justice.
Là encore, si le traité de Maastricht avait le mérite d'inscrire ces
questions, tout à fait essentielles, au rang des questions d'intérêt commun, il
n'avait pas permis l'adoption de procédures et d'instruments efficaces. Dans ce
domaine, dont l'importance majeure est aujourd'hui reconnue, la réalité nous a,
en quelque sorte, rattrapés, mettant en lumière la nécessité, pour faire face à
des phénomènes d'une ampleur nouvelle, de recourir à des procédures plus
ambitieuses.
Ce sujet a déjà fait l'objet de nombreux débats devant le Parlement, puisque
ce sont les dispositions relatives à la politique en matière d'asile, de visas
et d'immigration qui ont rendu nécessaire la révision de la Constitution,
préalable à la ratification qui nous occupe aujourd'hui. Puisque cette
discussion approfondie est très récente et puisqu'elle a pris devant le Sénat
une qualité particulière, je n'y reviendrai pas dans le détail maintenant. Nous
pourrons bien sûr le faire, si vous le souhaitez, au cours du débat.
Je rappellerai simplement qu'avec le traité d'Amsterdam les Etats membres se
sont donné pour objectif la mise en place d'un espace de liberté, de sécurité
et de justice. Je rappelle aussi que, pour ce faire, le traité prévoit, d'une
part, l'application de la méthode communautaire aux politiques en matière
d'asile, de visas et d'immigration, d'autre part, un renforcement très
substantiel de la coopération policière et judiciaire pénale. Enfin, ces
dispositions seront complétées par celles de la convention de Schengen, dont
chacun reconnaît aujourd'hui les acquis, et qui seront intégrées au traité.
Je terminerai naturellement cette présentation du traité d'Amsterdam par les
questions institutionnelles.
Nous avons évoqué, lors de nos précédents débats, les avancées, limitées mais
réelles, du nouveau traité dans le sens d'une Europe plus démocratique, grâce
au renforcement des pouvoirs législatifs du Parlement européen et à une
meilleure association des Parlements nationaux aux travaux de l'Union. Sur ce
point, d'ailleurs, la révision constitutionnelle a été l'occasion de traduire
ce souci dans nos procédures nationales, par une révision substantielle de
l'article 88-4.
L'autre apport de ce traité sur le plan institutionnel, c'est la
reconnaissance des coopérations renforcées, à l'intérieur du schéma
institutionnel commun.
Ces coopérations renforcées ou différenciées, c'est-à-dire la possibilité
d'actions d'avant-garde à quelques-uns à l'intérieur de l'Union, sont, en
effet, la seule réponse possible aux défis de l'Europe de demain, qui comptera
vingt, vingt-cinq et, un jour sans doute, trente membres, voire davantage. Les
défis de cette Europe à trente - appelons-là ainsi - sont ceux du nombre et de
l'hétérogénéité. En effet, si l'appartenance à l'Europe constitue bien le
ciment commun d'un édifice européen qui deviendra plus diversifié, le degré
d'adhésion au projet européen lui-même ne sera peut-être pas équivalent tout de
suite, dans toutes ses composantes, pour tous les Etats membres, d'où ce besoin
de coopérations plus spécifiques.
Il faut donc, si nous voulons ne rien perdre de ce qui fait la spécificité du
projet européen, trouver les outils qui donneront de la souplesse à l'édifice,
sans rien céder sur la cohérence d'ensemble, sans freiner la dynamique
intégratrice, fondée sur la solidarité des politiques communes. L'Europe de
demain ne doit pas être une Europe à la carte, « une Europe self-service » pour
reprendre la formulation de M. Jacques Delors ; elle doit au contraire
s'organiser autour d'un coeur, d'un groupe de pays leaders. C'est le sens des
coopérations renforcées.
Mais un tel dispositif ne saurait fonctionner efficacement tant que nous
n'aurons pas mené à bien l'autre volet, majeur, de la réforme institutionnelle,
ce que l'on appelle désormais les « reliquats » d'Amsterdam. Il s'agit des
trois questions qui figurent dans la déclaration que nous avons, en même temps
que le traité, signée avec nos partenaires belges et italiens. Ces trois
questions sont le format de la Commission, l'extension du vote à la majorité
qualifiée et, dans ce cadre, la repondération des voix au sein du Conseil.
Ce sont là trois lacunes fondamentales du traité d'Amsterdam. Nous les avons
soulignées d'emblée et vous avez également exprimé, dès septembre 1997, votre
préoccupation à cet égard.
Depuis lors, vous le savez, les autorités françaises ne sont pas restées
inactives. Ce sujet a été évoqué sans relâche auprès des Etats membres de
l'Union européenne, mais aussi auprès des pays candidats à l'élargissement.
Tous nos partenaires, c'est essentiel, ont maintenant admis la nécessité de
reprendre la réflexion sur ces trois points, nécessité que les pays candidats
comprennent maintenant clairement. La présidence allemande s'est donc engagée à
présenter, en juin prochain, à Cologne, une proposition de calendrier et de
méthode pour mener à bien cette réforme.
En effet, il est plusieurs manières possibles de préparer et de conduire une
telle réforme : charger une personnalité, ou bien plusieurs - une sorte de
comité de sages - de faire un rapport au Conseil indiquant l'état des
réflexions et des positions ; on pourrait aussi imaginer de désigner des
représentants personnels des chefs d'Etat et de Gouvernement, à l'instar de ce
qui a été fait dans un autre cadre. Peu importe la manière. Nous faisons
confiance à la présidence allemande. Nous souhaitons, pour notre part, ne pas
perdre de temps, et c'est là l'élément essentiel. Nous pourrions ainsi
conclure, si cette démarche efficace est retenue, avant la fin de l'an 2000,
c'est-à-dire sous la présidence française, pour laquelle ce pourrait être une
des tâches essentielles, une des ambitions importantes.
Cet enjeu institutionnel est, je le sais, fondamental pour le Sénat. Le
Gouvernement a donc tenu l'engagement qu'il avait pris et que j'ai déjà eu
l'occasion de confirmer devant vous à plusieurs reprises. Le projet de loi qui
vous est soumis est assorti d'un amendement gouvernemental, car, vous le savez,
le règlement des assemblées n'autorise pas d'amendements parlementaires aux
projets de loi de ratification. Cet amendement, adopté par l'Assemblée
nationale, introduit un article additionnel qui réaffirme l'exigence d'une
réforme institutionnelle avant le prochain élargissement.
M. Aymeri de Montesquiou.
Très bien !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
L'élaboration de ce texte a fait l'objet de larges
consultations et je sais qu'il a recueilli une très large majorité au sein de
la commission des affaires étrangères du Sénat.
J'ose en déduire que sa rédaction agréera à la Haute Assemblée, car elle est
sans ambiguïté : il faut une réforme préalable à l'élargissement. Mais comme
vous l'avez sans doute aussi noté, tout en manifestant notre détermination,
nous avons veillé à marquer que notre attitude envers l'élargissement est
totalement positive.
Voilà pour ce qui concerne l'article 2. Je ne prétendrais pas que ce texte est
parfait, mais il me semble pourtant difficile de faire beaucoup mieux. Ou, pour
paraphraser Eugène Delacroix, je dirai que si l'expérience nous apprend,
d'abord, qu'il faut beaucoup corriger - et nous l'avons fait - elle nous
apprend, ensuite, qu'il ne faut pas trop corriger - nous ne pouvons guère le
faire davantage. De toute façon, vous le savez bien, pour des raisons que j'ai
rappelées tout à l'heure, notre marge de manoeuvre en la manière est très
limitée.
J'ai donc bon espoir que le Sénat saura, comme sa commission des affaires
étrangères, se reconnaître dans le texte de cet article additionnel.
Si tel est bien le cas, je vous invite à donner votre accord, avec autant de
force que lors de la révision constitutionnelle, à l'entrée en vigueur du
traité d'Amsterdam. L'Assemblée nationale a ouvert la voie en autorisant la
ratification par 447 voix pour et 75 voix contre. Je ne doute pas que le Sénat
saura relever le défi par une majorité encore plus significative !
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. Emmanuel Hamel.
Funeste espoir !
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Xavier de Villepin,
président et rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre,
mes chers collègues, nous voici enfin saisis du projet de loi autorisant la
ratification du traité d'Amsterdam. Je dis : « enfin » car, vous le savez, la
France sera, après la Grèce, le dernier pays à ratifier ce texte.
Tout n'a-t-il pas déjà été dit sur le traité, au moment, notamment, du débat
sur la révision constitutionnelle ? Ce débat, certes, a été l'occasion de
traiter un point majeur : le passage éventuel à la majorité qualifiée pour les
questions liées à la circulation des personnes.
A se concentrer sur ce seul aspect, on aurait pu croire que les négociateurs
du traité avaient montré beaucoup d'audace. Il ne faut pas céder à cette erreur
d'optique, car le traité pèche plus par défaut que par excès. En effet, il n'a
fait qu'effleurer la question, pourtant fondamentale, de la réforme des
institutions, dont la démission collective de la Commission, la nuit dernière,
illustre encore la nécessité. Vous en êtes témoin, monsieur le ministre, le
Sénat et sa commission des affaires étrangères, sur une longue période, n'ont
cessé d'insister sur la réforme des institutions de l'Europe.
M. Emmanuel Hamel.
Compte tenu de la démission de la Commission, nous devrions arrêter le débat,
pour réfléchir !
M. Robert Bret.
Sage proposition !
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
Merci de votre conseil, monsieur Hamel.
M. Michel Caldaguès.
Monsieur le rapporteur, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
Je vous en prie, monsieur Caldaguès.
M. le président.
La parole est à M. Caldaguès, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Michel Caldaguès.
Je voulais simplement dire que, au sein de la commission des affaires
étrangères, tout le monde n'a pas prôné le renforcement des pouvoirs de la
Commission,...
M. Emmanuel Hamel.
Ah ! que non !
M. Michel Caldaguès.
... qui est un des aspects du traité d'Amsterdam. Je tenais à faire cette mise
au point au moment où la Commission donne le spectacle de son incapacité à
maîtriser les pouvoirs, à mon sens trop étendus, qui lui ont été consentis.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur.
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
Monsieur Caldaguès, vous parlez bien sûr de la Commission de
Bruxelles, et non de la commission des affaires étrangères.
M. Michel Caldaguès.
Certes !
M. le président.
Tout le monde avait compris, monsieur de Villepin.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Ne vous défendez pas, monsieur le président de la commission !
(Sourires.)
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
Monsieur le ministre, vous pourrez, j'espère, préciser votre
analyse des derniers événements et les enseignements que vous en tirez.
Aussi, me semble-t-il, le débat d'aujourd'hui doit désormais se concentrer sur
ce thème essentiel pour l'avenir de la construction européenne. L'introduction
d'un article additionnel sous la forme d'un amendement gouvernemental,
rappelant la nécessité de réformer les institutions avant la conclusion des
négociations d'adhésion, doit contribuer à recentrer le débat sur ce point
décisif.
Aussi, après un examen des forces et des faiblesses du traité d'Amsterdam, je
souhaiterais commenter l'article additionnel introduit par le Gouvernement à la
suite notamment de la demande que nous avions formulée au nom de la commission
des affaires étrangères. J'évoquerai ensuite les voies et moyens possibles
d'une réforme des institutions.
Quelles sont les forces et les faiblesses du traité ?
Je ne voudrais pas revenir ici sur le détail des dispositions d'un texte dont
il a été dit à plusieurs reprises qu'il ne brillait pas par sa transparence.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
C'est le moins qu'on puisse dire !
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
Les rapports parlementaires ainsi que vos explications,
monsieur le ministre, ont apporté les éclairages nécessaires.
Je souhaiterais, pour ma part, porter une appréciation d'ensemble sur le
traité. Ce texte présente des avancées qui ne sont pas négligeables. Une large
part de ces acquis sont d'ailleurs à mettre au crédit des négociateurs
français, M. Barnier notamment que je tiens à saluer ici, auxquels il faut
rendre un juste hommage. Mais le traité est le fruit d'un compromis qui est
décevant sur bien des points, d'où des lacunes graves qu'il faut souligner.
Une évaluation d'ensemble du traité me conduira à passer en revue les quatres
grands volets de ce texte.
S'agissant tout d'abord de la mise en place progressive d'un espace de libre
circulation des personnes, je relèverai deux progrès réels.
En premier lieu, l'application éventuelle, dans un délai de cinq ans, du vote
à la majorité qualifiée pour les questions liées à la libre circulation des
personnes permettra de régler avec plus d'efficacité des problèmes qui se
posent désormais à l'échelle de l'Union européenne tout entière.
M. Emmanuel Hamel.
Il y en a d'autres !
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
Des garde-fous existent, qu'il s'agisse de l'unanimité
requise au sein du Conseil pour le passage à la communautarisation dans le
délai de cinq ans ou encore du respect de la souveraineté des Etats pour le
maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure.
L'intégration de l'acquis de Schengen à l'Union européenne constitue une autre
avancée. Elle simplifiera un dispositif passablement complexe et permettra de
faire bénéficier l'Union européenne des acquis indéniables réalisés par les
Etats membres de l'espace Schengen en matière de contrôle des frontières
extérieures. Un lien indispensable est ainsi posé entre liberté de circulation
et sécurité.
Toutefois, les modalités du partage de l'acquis de Schengen entre le premier
pilier, communautaire, et le troisième pilier, intergouvernemental, soulèvent
encore des incertitudes que vous pourrez peut-être, monsieur le ministre,
contribuer à dissiper.
J'évoquerai deux progrès, certes, mais aussi deux inquiétudes.
Ma première inquiétude porte sur la multiplication des statuts dérogatoires
consentis au Royaume-Uni, à l'Irlande et au Danemark. Cette participation à la
carte n'est pas seulement source de complexité. Elle décrédibilise aussi la
position de l'Union européenne à l'égard des pays candidats à l'adhésion qui
sont tenus, comme c'est d'ailleurs souhaitable, d'accepter l'intégralité de
l'acquis communautaire.
Par ailleurs - c'est un autre élément de déception - rien n'a vraiment été
fait pour progresser dans la voie d'un espace judiciaire européen que nous
sommes nombreux à appeler de nos voeux. L'application du vote à la majorité
qualifiée n'aurait-elle pas permis en particulier d'aller plus loin dans le
domaine essentiel de la lutte contre le trafic des stupéfiants qui, à mes yeux,
représente une priorité pour l'Union européenne ?
M. Pierre Fauchon.
Très juste !
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
Le deuxième volet essentiel du traité d'Amsterdam est
consacré à la politique étrangère et de sécurité commune, la PESC.
Je ferai état, sur ce chapitre, de deux évolutions positives : d'une part, la
mise en place d'une unité de planification et d'alerte rapide, qui permet
d'amorcer très en amont la concertation nécessaire, et, d'autre part,
l'institution d'un haut représentant pour la PESC, dans la mesure où le sommet
de Vienne de décembre dernier a posé le principe de la nomination d'une
personnalité politique à ce poste. La représentation de l'Union européenne sur
la scène internationale devrait s'en trouver renforcée.
Deux autres aspects du traité appellent un commentaire plus réservé.
Tout d'abord, la mise en oeuvre de coopérations renforcées, désormais permise
par le traité, a été exclue pour la PESC, alors même qu'elle en constituait le
domaine d'élection.
Par ailleurs, rien n'a vraiment progressé dans le domaine de la sécurité
européenne.
Une observation générale doit toutefois tempérer ces appréciations. En effet,
en matière de politique étrangère et de défense, la volonté politique importe
davantage que la lettre d'un traité. Or, de ce point de vue, les récentes
initiatives franco-britanniques, qu'il s'agisse de la déclaration commune de
Saint-Malo sur la sécurité européenne ou encore de la concertation entreprise
dans le conflit du Kosovo, ont levé un coin d'espoir. Cette voie doit être
aujourd'hui confirmée.
J'aborderai maintenant le troisième volet du traité, à savoir les politiques
communes.
Il faut, dans ce domaine, se féliciter de l'intégration du protocole social au
traité, après la levée de l'opposition britannique, ainsi que de la création
d'un nouveau titre sur l'emploi.
On peut, certes, s'interroger sur la portée pratique de ces dispositions.
Elles ont du moins pour mérite d'ouvrir la politique communautaire sur des
sujets plus proches des préoccupations des citoyens. Cela n'est pas indifférent
au moment où l'Europe tend parfois à susciter plus de défiance que
d'enthousiasme.
Enfin, la dernière mais aussi la plus importante des questions à l'ordre du
jour de la Conférence intergouvernementale, la réforme institutionnelle,
constitue aussi la principale source de déception. Le traité d'Amsterdam n'a en
fait apporté sur ce plan que deux modifications : d'une part, une extension de
la procédure de codécision, qui associe à parité le Parlement européen et le
Conseil dans la procédure de décision et d'autre part, la mise en place des
coopérations renforcées. Or, ces deux mesures, pourtant limitées, suscitent
bien des incertitudes.
L'extension de la codécision ne soulève pas en elle-même d'objection de
principe. Toutefois, elle a pour effet de faire du Parlement européen la seule
institution qui sorte renforcée du traité d'Amsterdam, compte tenu du
statu
quo
observé à l'égard du Conseil et de la Commission. Ainsi, il faut bien
le reconnaître, elle a favorisé plus la faculté d'empêcher que la capacité
d'initiative, comme cela aurait été pourtant souhaitable.
Les coopérations renforcées devraient, quant à elles, permettre à certains
Etats désireux d'aller de l'avant, sur des domaines déterminés, de s'associer,
tout en respectant le cadre institutionnel de l'Union européenne. A cet égard,
cette formule représentait une véritable alternative à l'extension du vote à la
majorité qualifiée qui avait été refusée à Amsterdam. Les conditions
excessivement rigoureuses définies pour la mise en oeuvre d'une coopération
renforcée, ainsi que la possibilité pour tout Etat de s'y opposer,
affaiblissent beaucoup ce nouvel instrument.
Par ailleurs, le protocole sur les institutions joint au traité d'Amsterdam
reporte à des échéances lointaines et bien incertaines la nécessité d'une
réforme.
J'en viens maintenant à l'analyse de l'article additionnel qu'a introduit le
Gouvernement dans le projet de loi autorisant la ratification du traité.
La formule - vous l'avez dit monsieur le ministre - revêt un caractère
exceptionnel. En fait, si, formellement, cet article 2 émane du Gouvernement,
il répond, dans les faits, à une initiative du Parlement.
Qu'il me soit permis de revenir rapidement sur les origines de l'article
additionnel. Au lendemain de la négociation d'Amsterdam, nous étions nombreux à
exprimer notre déception et notre inquiétude pour l'avenir de l'Europe.
Fallait-il alors rejeter le traité ?
M. Emmanuel Hamel.
Oui !
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
Nous aurions dû, alors, renoncer aux quelques avancées
contenues dans ce texte. La France aurait pris la responsabilité d'ouvrir une
crise majeure en Europe,...
M. Emmanuel Hamel.
Il y a des crises nécessaires !
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
... sans aucune garantie de provoquer le choc salutaire à
même de décider nos partenaires à discuter d'un texte plus ambitieux.
Mais nous ne pouvions pas davantage nous résigner à approuver le texte en
l'état et à consentir ainsi à l'abaissement des ambitions de l'Europe.
Entre un rejet injustifié et une « approbation-résignation », il fallait
trouver, pour le Parlement, le moyen de réaffirmer la nécessité de procéder à
une réforme profonde des institutions, avant l'élargissement.
J'avais ainsi été conduit à plaider, au nom de la commission des affaires
étrangères, pour l'adjonction d'un article additionnel qui, compte tenu du
cadre étroit réservé au droit d'amendement parlementaire s'agissant des projets
de loi de ratification, aurait été présenté par le Gouvernement. D'autres voix
éminentes s'étaient élevées dans ce sens. Le Gouvernement nous a entendus, et
je m'en réjouis. Je vois, aujourd'hui, quatre raisons de donner notre
approbation à l'article additionnel tel qu'il résulte du vote de l'Assemblée
nationale.
Tout d'abord, l'article, comme je l'avais demandé, a fait l'objet d'une
concertation avec le Parlement. C'est d'ailleurs devant la commission des
affaires étrangères du Sénat, monsieur le ministre, que vous avez d'abord
présenté le texte du projet d'amendement gouvernemental. La rédaction qui a été
finalement retenue s'est largement inspirée des observations des
parlementaires.
Ensuite, le texte de l'article 2 réalise un équilibre satisfaisant entre des
exigences parfois difficiles à concilier. D'une part, il engage le Gouvernement
devant le Sénat et l'Assemblée nationale tout en lui laissant la liberté
nécessaire sur la façon de conduire la négociation internationale. Le
gouvernement auquel vous appartenez est tenu d'agir, monsieur le ministre, mais
il ne doit pas recevoir un mandat contraignant qui ne serait conforme ni à
l'esprit de nos institutions ni aux nécessités propres à une négociation
internationale qui requiert pragmatisme et souplesse. Par ailleurs, l'article
additionnel rappelle la nécessité de conduire une réforme institutionnelle
avant les adhésions tout en évitant, dans la forme, une stricte «
conditionnalité » qui aurait pu blesser, gêner les pays candidats à
l'adhésion.
La troisième raison qui conduit la commission des affaires étrangères à
proposer une adoption conforme de ce texte trouve son origine dans le souci
d'éviter de nouveaux débats devant les deux assemblées, débats qui seraient
source de délais supplémentaires pour une ratification qui n'a déjà, à nos yeux
- nous l'avons dit souvent, monsieur le ministre - que trop tardé.
Enfin, il est clair que cet article additionnel ne représente qu'une étape
dans un processus où l'essentiel se jouera dans le déroulement de la
négociation à venir avec nos partenaires de l'Union européenne. Il y aurait
donc quelque paradoxe à faire de cet article un point de fixation et à retarder
le passage à l'étape décisive que représente la préparation de la réforme.
Regardons donc vers l'avenir. La réflexion sur les contours possibles de la
réforme institutionnelle est aujourd'hui ouverte. Le Parlement doit y avoir ses
parts. Vous me permettez de conclure mon propos par quelques observations sur
ce thème.
A mon sens, la réforme nécessaire doit s'articuler autour d'un double objectif
: l'efficacité, d'abord, car il s'agit de faire fonctionner une Union élargie ;
la légitimité, ensuite, car il faut également combler un fossé qui s'est creusé
entre l'Europe les citoyens.
M. Emmanuel Hamel.
A juste titre !
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
La recherche de l'efficacité passe d'abord, je crois, par une
extension du vote à la majorité qualifiée qui, pour le premier pilier, devrait
devenir la règle. La majorité qualifiée pourrait en particulier s'appliquer
dans le domaine de l'harmonisation fiscale afin d'éviter la pratique du dumping
fiscal. L'Allemagne paraît s'être ralliée à cette évolution.
M. Emmanuel Hamel.
Supprimez les parlements, pendant que vous y êtes !
M. Xavier de Villepin,
rapporteur.
Où en sommes-nous nous-mêmes ? Vous pourrez peut-être,
monsieur le ministre, nous apporter les précisions nécessaires.
L'extension de la majorité qualifiée suppose toutefois une révision de la
pondération des voix au sein du Conseil. Il convient de prendre une plus juste
mesure du critère démographique et de revenir vers un système proche de
l'équilibre qui prévalait pour l'Europe des douze.
Il faut encore favoriser - j'insiste sur ce point ! - une réorganisation de la
Commission afin d'éviter l'émiettement actuel des responsabilités, qui est sans
doute l'une des causes majeures de la crise institutionnelle qui s'est ouverte
cette nuit et des nombreux dysfonctionnements constatés en son sein. Ne
l'oublions pas, la construction européenne a besoin d'une Commission forte, qui
doit être contrôlée avec efficacité.
L'organisation du travail du Conseil mérite aussi réflexion. Songeons que,
dans le scénario d'un élargissement maximal, la présentation au sein du Conseil
de la position de chaque Etat, qui est de règle, réclamerait à elle seule
quatre heures !
On doit enfin chercher à assouplir les règles relatives à la mise en oeuvre
des coopérations renforcées telles qu'elles ont été posées par le traité
d'Amsterdam. Le principe des coopérations renforcées pourrait s'appliquer aux
questions de politique étrangère et de sécurité commune. L'expérience de
Schengen a en effet montré que, à six ou sept, on va plus loin, plus vite
aussi, qu'à quinze ou vingt. Et les avancées enregistrées suscitent alors de
nouvelles adhésions. C'est, je crois, ce modèle pragmatique de construction
enropéenne qu'il convient de suivre.
La légitimité doit constituer l'autre volet essentiel de la réforme. Elle
suppose une mise en oeuvre concrète du principe de subsidiarité.
N'est-il pas temps, en effet, de délimiter domaine par domaine les questions
qui relèvent de la compétence communautaire et celles qu'il revient aux Etats
de traiter ?
Elle passe ensuite par une plus grande association des parlements nationaux à
la politique menée à Bruxelles. A cet égard, l'élargissement du champ
d'application de l'article 88-4 de notre Constitution à la suite de la dernière
réforme constitutionnelle représente une avancée certaine.
Enfin, nous devons, je crois, revoir dans un sens plus positif notre attitude
vis-à-vis du Parlement européen. Cette institution connaît, après Amsterdam,
une extension de son rôle. Dans ce contexte, l'éparpillement de la
représentation française constitue un handicap certain.
Quels moyens utiliser pour faire aboutir cette réforme institutionnelle ? Il
importe d'abord, en amont, d'éviter le mécanisme trop lourd de la conférence
intergouvernementale et de confier le travail préparatoire à des personnalités
européennes incontestables.
La France doit élargir le cercle de ses soutiens. Rien ne se fera sans
l'Allemagne, et vous pourrez peut-être, monsieur le ministre, nous indiquer
quel est l'état des discussions entre nos deux pays.
En conclusion, le traité présente d'indéniables avancées, mais aussi des
lacunes évidentes.
L'introduction d'un article additionnel permet de corriger de manière
partielle la déception liée à l'absence de réforme institutionnelle
d'ampleur.
Le vote du projet de loi de ratification ne représente qu'une étape. Dans la
période décisive qui s'ouvre désormais, le Parlement, fidèle à la mission de «
veille » qui lui revient dans les affaires européennes, devra s'assurer de la
détermination et de la capacité du Gouvernement à convaincre nos partenaires de
la nécessité de procéder à une véritable réforme du fonctionnement de
l'Union.
Avec l'article additionnel, le Gouvernement s'engage devant nous. Et cet
engagement prend un relief d'autant plus fort que les négociations sur la
réforme institutionnelle pourraient être conclues sous présidence française
avant la fin de l'an 2000.
Ainsi, avec la vigilance qui s'impose, la commission des affaires étrangères
vous invite, mes chers collègues, à voter le projet de loi autorisant la
ratification du traité d'Amsterdam tel qu'il a été adopté par l'Assemblée
nationale.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et sur les
travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RPR et des Républicains
et Indépendants.)
M. Emmanuel Hamel.
Par certains membres de l'Assemblée nationale seulement !
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Barnier.
M. Michel Barnier.
Monsieur le ministre, je commencerai mon propos là où vous avez terminé le
vôtre. Il me semble que l'actualité le justifie et que nos discours, ce matin,
ne peuvent être tout à fait les mêmes, compte tenu de la crise extrêmement
grave...
M. Emmanuel Hamel.
Et il y en aura d'autres !
M. Michel Barnier.
... que nous avons connue cette nuit dans l'histoire de la construction
européenne, qui pourtant en a connu beaucoup d'autres.
S'agissant de la décision inédite, prise en commun par les vingt commissaires
européens, de démissionner, je veux simplement dire, pour avoir eu l'honneur et
la chance de travailler au coeur des institutions européennes et pour avoir
défendu auprès de la Commission les projets et les idées françaises à la place
qui est la vôtre aujourd'hui, monsieur le ministre, que cette décision est un
acte de dignité collective et un acte de responsabilité.
M. Aymeri de Montesquiou.
C'est vrai !
M. Michel Barnier.
Je pense qu'il ne pouvait en aller autrement si l'on se souvient de ce que
doit être et de ce que doit rester la Commission européenne dans l'esprit et
dans la lettre du traité fondateur de Rome et des traités qui l'ont complété
depuis.
La Commission doit être et doit rester une institution collégiale et non une
structure intergouvernementale. Elle doit être et doit rester le creuset où se
préparent et s'exécutent, avec transparence et avec une rigueur qui a
quelquefois manqué, les politiques communautaires décidées par le Conseil et
contrôlées par le Parlement européen.
J'ai, comme vous tous, mes chers collègues, reçu hier - est-ce un signe ? - le
bulletin hebdomadaire de la Commission européenne, qui rappelle en quoi le
traité d'Amsterdam élargit le rôle de cette instance : il y est indiqué que la
Commission disposera
de facto,
à l'issue de la ratification de ce
traité, d'une capacité d'initiative accrue.
M. Emmanuel Hamel.
Hélas !
M. Michel Barnier.
Elle pourra mettre en oeuvre de nouvelles politiques, notamment en matière
d'emploi et de santé,...
M. Michel Caldaguès.
Belle perspective !
M. Emmanuel Hamel.
Il faut réduire son rôle au lieu de l'encourager !
M. Michel Barnier.
... sans oublier l'intégration dans le traité des accords de Schengen, qui
augmentent ses domaines d'intervention. Mais certains évoqueront ce point après
moi.
Selon ce bulletin, le rôle du président de la Commission sera également
renforcé. Bien sûr, les commissaires continueront à être nommés par les Etats
membres, mais ce sera désormais « en commun accord » avec le président de la
Commission, ce dernier ayant dorénavant le pouvoir de refuser la nomination de
certaines personnes au poste de commissaire européen. En outre, le président de
la Commission pourra procéder en cours de mandat à une redistribution des
portefeuilles des commissaires.
M. Emmanuel Hamel.
C'est de l'impérialisme !
M. Michel Barnier.
Voilà ce que contient le traité d'Amsterdam, dont la ratification nous est
demandée aujourd'hui.
Tous ces éléments expliquent davantage encore pourquoi, compte tenu de son
rôle névralgique, la Commission européenne doit être et doit rester une
institution collégiale et, surtout, une institution incontestable et respectée.
N'est-elle pas la gardienne des traités, la gardienne de l'intérêt général
européen ?
Monsieur le ministre, mes chers collègues, si, par la force de l'actualité,
nous parlons de la Commission, c'est toutefois, comme vient de le dire M. le
président de Villepin, tout le système institutionnel européen qui est
aujourd'hui en cause. Dans les mois qui viennent, ce système doit être remis à
plat et faire l'objet d'une réflexion politique à laquelle, monsieur le
ministre, je vous le confirme, notre Haute Assemblée participera pour vous
apporter sa contribution.
Le système institutionnel européen doit faire l'objet d'une réforme qui a été
- c'est vrai - manquée à Amsterdam faute d'une volonté politique suffisante et
commune des quinze gouvernements européens, gouvernements dont la majorité
appartenait alors d'ores et déjà, je le rappelle sans malice, au camp
social-démocrate.
M. Aymeri de Montesquiou.
Sans malice !
M. Michel Barnier.
Sans malice, parce que c'est la vérité !
S'il faut rechercher une responsabilité dans cet échec de la réforme
institutionnelle, elle est largement partagée par ces quinze gouvernements.
Instruit par l'expérience, mes chers collègues, et quel qu'ait été mon travail
personnel dans cette négociation - M. de Villepin a bien voulu le rappeler - je
n'ai naturellement à ce titre aucune leçon ni même aucun conseil à donner.
Peut-être me permettrai-je cependant, dans ma responsabilité de parlementaire,
d'exprimer quelques souhaits.
Mon premier souhait, monsieur le ministre, est que vous ne laissiez pas la
future conférence intergouvernementale qui sera un jour ou l'autre convoquée
statuer sur autre chose que sur les institutions. Raymond Barre a dit un jour -
et il a, lui aussi, une certaine expérience en la matière ! - que l'Union ne
peut pas faire bien plus d'une chose à la fois. Ainsi, que la future
négociation sur les institutions ne s'occupe que de cette question, et
peut-être aura-t-elle alors l'occasion de réussir là où nous avons échoué !
Fixons-nous comme objectif de réunir cette conférence intergouvernementale et
de réussir cette réforme dès que nous serons sortis des négociations et des
turbulences liées à l'Agenda 2000, à la réforme et à la défense de la politique
agricole commune, à la réforme des fonds structurels et du budget - sans parler
des secousses liées à la mise en place d'une nouvelle Commission et d'un
nouveau Parlement européen au mois de juin - tel est mon premier souhait.
Dans le prolongement de ce qu'a dit M. Xavier de Villepin, monsieur le
ministre, mon deuxième souhait est que l'ambition de cette réforme
institutionnelle ne se résume pas aux trois seuls points durs que l'on étudie
habituellement et qui sont en cours de discussion.
La réforme de la Commission est un sujet d'actualité : cette dernière doit
demeurer, je le dis à nouveau, une institution collégiale, avec des
commissaires assumant des responsabilités clairement définies pour pouvoir
diriger réellement et effectivement leur administration.
Quant au nouveau système de vote, il se décompose en deux points que
j'aborderai dans l'ordre qui me paraît s'imposer.
D'abord, il s'agit de la pondération des voix, clé du nouveau système de vote.
En effet, il faut rappeler, sans vouloir humilier les petits Etats, qui, en
tant qu'Etats, comptent autant que les autres, que l'actuel système de vote
n'est pas juste : le Luxembourg, avec 300 000 habitants, pèse deux voix dans le
vote au sein du Conseil, alors que l'Allemagne, avec 90 millions d'habitants,
pèse dix voix. Non seulement ce n'est pas juste, mais je dirai même que ce
n'est pas conforme à l'équilibre démocratique. Il faut donc repondérer les voix
pour tenir compte davantage des populations, des citoyens, des contributions
budgétaires, sans humilier, je le répète, les Etats plus modestes.
Ensuite, il s'agit de la nécessaire extension, souhaitée par M. le président
de la commission des affaires étrangères, la pratique du vote à la majorité
qualifiée, dès l'instant où cette majorité qualifiée sera plus juste.
Tels sont les sujets qui sont en discussion depuis bien longtemps.
Monsieur le ministre, la France doit cependant avoir l'ambition d'aller
au-delà, dans cette négociation institutionnelle. Elle doit, par exemple,
conforter le rôle du Conseil européen, qui est l'élément principal des
institutions européennes parce qu'il est le lieu de l'impulsion politique.
C'est là que se trouvent les chefs d'Etat et de gouvernement. Il est donc aussi
le lieu de la légitimité démocratique.
Mon idée serait - est-ce naïf ou trop idéaliste ? - qu'à la faveur de cette
réforme on puisse décider que le président du Conseil européen soit nommé ou
choisi par ses pairs pour une durée plus longue que les six mois du tourniquet
qui prévaut actuellement dans les institutions européennes.
Il convient aussi de réformer le fonctionnement de ce même Conseil, qui, nous
le savons bien, n'est pas correct, en particulier le fonctionnement du Conseil
affaires générales. Peut-être pourrait-on instituer un Conseil affaires
européennes. Peut-être encore - pourquoi pas ? - décider que chaque
gouvernement serait désormais représenté à Bruxelles de manière permanente par
un ministre proche du Premier ministre, afin de faire remonter le niveau de
discussion et de négociation au plan politique.
Il faut renforcer les coopérations, notamment faciliter - c'est contenu dans
le traité d'Amsterdam - les coopérations renforcées, pour la mise en oeuvre
desquelles il ne faudrait plus faire de l'unanimité une règle absolue et
systématique.
J'ajouterai, à mon tour, que cette réforme des institutions doit être
l'occasion, pour que les citoyens y comprennent enfin quelque chose, pour
qu'ils « s'y retrouvent », de clairement définir - je sais bien que c'est un
exercice difficile ! - d'une part, ce dont l'Union doit s'occuper pour
qu'ensemble nous soyons plus forts et plus efficaces et, d'autre part, ce dont
l'Union ne doit pas, ou plus, s'occuper parce que cela peut être mieux fait,
plus près du terrain et des gens, par les Etats, voire par les collectivités
territoriales.
Certains sujets - je pense au système de protection sociale, à l'éducation, à
une grande partie de la fiscalité - qui touchent aux familles, aux personnes,
doivent rester de manière définitive et clairement dite de la compétence de
chaque pays et ne pas faire l'objet de je ne sais quelle négociation ou prise
de décision à l'échelon communautaire.
M. Emmanuel Hamel.
Tout doit être géré comme cela !
M. Michel Barnier.
Monsieur le ministre, j'approuve votre intention de donner à la prochaine
présidence française cette ambition de conclure elle-même...
M. Emmanuel Hamel.
... sa destruction !
M. Michel Barnier.
... cette réforme institutionnelle. C'est une belle ambition, et, vous le
savez bien, c'est non pas d'arrogance mais d'imagination, de doigté, de
volonté, d'esprit commun qu'il faudra faire preuve durant cette période.
Je sais que, sous l'autorité du Président de la République et du Gouvernement,
la diplomatie française en est capable. Je sais aussi que, sur ce terrain de la
politique, de la réforme des institutions, de l'ambition de cette Europe
politique, l'action de la France est attendue, voire espérée.
A propos des institutions, je tiens à faire deux remarques complémentaires
sous forme de regrets.
D'abord, à titre personnel, après avoir été en colère, je ne comprends
toujours pas pourquoi, quelques mois avant les élections européennes, alors que
nous en avions le temps, nous n'avons pas su changer le mode de scrutin pour
l'élection des députés européens français.
Nous allons donc voter, le 13 juin prochain, en faveur de listes nationales
fabriquées - on le voit en ce moment - par les partis politiques, c'est-à-dire
loin des gens, à qui l'on demandera simplement d'approuver ce que les partis
auront préparé.
Je vous donne rendez-vous dans cinq ans, mes chers collègues. Nous
constaterons alors, parce qu'il ne peut pas en être autrement avec ce système,
que les députés européens seront restés loin des citoyens, qu'ils ne pourront
pas rendre de comptes, qu'ils n'auront pas de territoire en charge.
Je ne vous fais pas de reproche, monsieur le ministre. Vous avez travaillé,
comme moi, à un nouveau système, que le Premier ministre avait approuvé et que
le Président de la République avait soutenu. Il a manqué une volonté politique,
notamment à l'Assemblée nationale. Je veux dire, en cet instant, que je le
regrette. Mais nous y reviendrons.
Mon second regret, que j'exprime au nom du groupe du RPR, c'est que, par
habilité, par trop grande prudence, dans le souci d'aller vite, vous n'ayez pas
eu suffisamment le souci, il y a quelques semaines, d'écouter et d'entendre les
propositions que notre groupe vous a faites pour améliorer l'information du
Parlement national et son association à la politique européenne. J'avais
pourtant essayé de vous convaincre que c'était l'intérêt non seulement du
Gouvernement mais aussi de la politique européenne elle-même de ne plus être
conduite comme s'il s'agissait seulement de politique étrangère.
Quand on parle de la chasse - nous allons en reparler un jour prochain - quand
on parle de la monnaie, quand on parle de la politique agricole commune, quand
on parle des transports, on ne parle pas, on ne parle plus, de politique
étrangère, on parle de la vie quotidienne des citoyens !
Voilà pourquoi le déficit démocratique, dont on parle tant,...
M. Emmanuel Hamel.
Et qui s'aggrave !
M. Michel Barnier.
... dont on va tant parler aux élections européennes, commence ici.
M. Michel Caldaguès.
Très juste !
M. Michel Barnier.
C'est ici qu'il faut commencer à le réduire en mieux associant, en mieux
informant les parlementaires que nous sommes, qui, ensuite, relaieront,
expliqueront, diffuseront.
M. Michel Caldaguès.
On a fait le contraire !
M. Charles Pasqua.
On n'en prend pas le chemin !
M. Michel Barnier.
J'étais sûr que Charles Pasqua m'entendrait sur ce point.
M. Charles Pasqua.
Ne me confondez pas avec Michel Caldaguès, mon cher collègue !
(Sourires.)
M. Michel Barnier.
S'agissant de l'idée d'une veille constitutionnelle, j'ai, voilà quelques
jours, lors d'une réunion de la délégation des affaires européennes, soulevé le
problème du caractère anticonstitutionnel du futur statut des députés
européens.
Voilà un exemple qui prouve que nous devrions disposer, au niveau du Parlement
et du Gouvernement, d'une veille constitutionnelle sur les actes ou les projets
communautaires.
Nous devrions aussi renforcer l'information et aller plus loin dans
l'application de l'article 88-4 et, enfin, soumettre à un débat, puis à un
vote, la décision grave que vous ou votre successeur, monsieur le ministre,
aurez à prendre, dans cinq ans, lorsqu'il s'agira de décider de communautariser
la politique de sécurité des citoyens.
Au total, mes chers collègues, vous le comprenez bien, en évoquant cette
réforme institutionnelle, notre idée n'est pas que l'on retarde
l'élargissement, ou plutôt la réunion de l'Europe, et l'accueil des pays de
l'Europe centrale, orientale et baltique, qui sont à notre porte et à qui nous
avons fait la promesse de les accueillir, mais bien plutôt de faire en sorte
que cet élargissement réussisse, qu'il ne soit pas un marché de dupes.
M. Emmanuel Hamel.
Il l'est !
M. Michel Barnier.
En effet, les deux grands risques que fait courir cet élargissement, si l'on
n'y prend garde, c'est, d'une part, que l'Union ne fonctionne plus du tout,
alors qu'elle fonctionne déjà mal à quinze faute de cette réforme
institutionnelle, et, d'autre part, que l'Union, comme le souhaitent un certain
nombre de Français mais aussi, à côté de nous, des Anglo-Saxons, se résume à un
grand marché, à une grande zone de libre-échange.
Souvenez-vous de ce qu'a dit Vaclav Havel à cette tribune, il y a quelques
jours. Il a dit son espoir que, une fois dans l'Union, on ne fasse pas que du
commerce, mais que l'on sache aussi faire de la politique.
M. Emmanuel Hamel.
Pour se libérer du pouvoir capitaliste !
M. Michel Barnier.
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, le groupe du RPR, dans sa majorité,
approuve le texte de l'article additionnel proposé par le Gouvernement,
conformément à ce que le Parlement, Assemblée nationale et Sénat, avait
souhaité.
Enfin, monsieur le ministre, sans insister sur ce traité d'Amsterdam à propos
duquel tout a déjà été dit et bien dit, j'ajouterai que nous sommes nombreux à
ne pas vouloir nous résoudre à l'idée que l'on ne ferait que du commerce au
sein de l'Union européenne et qu'au fond le seul cadre où l'on ferait de la
politique serait celui de l'OTAN.
Nous sommes là au coeur du sujet. Nous voulons que l'Europe soit souveraine,
que l'Europe soit européenne, pour reprendre le mot du général de Gaulle.
(M. Emmanuel Hamel s'exclame.)
Nous ne nous résignerons jamais à ce
qu'elle reste sous influence américaine, à ce que, sans qu'on puisse le leur
reprocher puisque c'est leur attitude historique, les Américains continuent à
venir faire chez nous leur politique avec notre argent.
M. Nicolas About.
Il faut rester indépendant !
M. Emmanuel Hamel.
Vous oubliez le plan Marshall !
M. Michel Barnier.
Monsieur le ministre, le traité d'Amsterdam nous offre de nouveaux outils pour
construire cette Europe politique ; M. Xavier de Villepin les a rappelés. Ces
outils doivent être utilisés ; dès l'instant où ce traité sera ratifié, nous en
disposerons.
Le traité comporte également des avancées utiles en ce qui concerne les droits
de l'homme, la parité, la santé, l'environnement, la reconnaissance de la
spécificité de nos départements et territoires d'outre-mer - vous ne l'avez pas
dit, et je veux le rappeler - la reconnaissance des missions de service public.
Sur ce dernier point, je me souviens, chers collègues de l'opposition
sénatoriale, de la détermination du Président de la République et du Premier
ministre, Alain Juppé, qui ont exigé que la France obtienne cette
reconnaissance dans le traité.
Je citerai aussi, au titre des avancées utiles, le fait d'avoir conforté le
siège du Parlement européen à Strasbourg et celui d'avoir mis l'homme au coeur
du projet européen au travers du chapitre social.
Voilà des avancées, nombreuses, plus nombreuses qu'on ne l'a dit, qui
justifient que l'on ratifie ce traité !
J'évoquerai enfin deux grands sujets. Le premier concerne la sécurité des
citoyens. Il faut mener en commun la lutte contre les menaces communes :
réseaux de pédophilie, drogue, mafias, criminalité organisée. Ce sont des
menaces non plus locales est nationales mais internationales contre lesquelles
il faut lutter ensemble. C'est cela que signifie le traité d'Amsterdam.
Le second grand sujet concerne, les outils de la politique étrangère commune.
Il faut avoir une stratégie commune envers la Russie, les Balkans, la Turquie,
le Maghreb, tout ce qui nous entoure. Ne feignons pas de croire que tout ce qui
se passe autour de nous peut nous laisser indifférents : soixante-dix jeunes
soldats français sont morts en Bosnie ; nous dépensons aujourd'hui 3,5
milliards de francs par an pour participer au maintien de la paix dans les
Balkans. Nous ne pouvons pas être et nous ne sommes d'ailleurs pas
indifférents, comme le prouve la détermination de la France et de votre
gouvernement, monsieur le ministre, à régler la question du Kosovo, sous
l'autorité du chef de l'Etat.
Mes chers collègues, ce traité, que je connais bien, est utile, mais il est
insuffisant. Il faut le ratifier pour ce qu'il contient. Il faut aussi
l'expliquer, comme vous avez commencé de le faire, monsieur le ministre, dans
la presse et par votre action. Il faut aussi le dépasser et préparer les
prochaines étapes de cette Europe politique.
C'est dans cet esprit de réalisme, de vigilance parlementaire et, enfin, de
volontarisme, que notre groupe, dans sa grande majorité, approuvera ce projet
de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam.
En agissant ainsi, nous sommes solidaires, ce qui ne vous étonnera pas,
monsieur le ministre, de l'action du chef de l'Etat, M. Jacques Chirac. Nous
sommes aussi en accord avec le message qu'il nous a récemment adressé et avec
l'action qui est la sienne depuis plus de trois ans, pour que l'Union
européenne s'engage vers la construction de cette communauté humaine mais aussi
de cette puissance politique pour laquelle nous continuerons d'agir et de nous
battre.
(Applaudissements sur certaines travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, du RDSE et sur quelques travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout le
monde en convient, le traité d'Asmterdam ne constitue pas un grand projet
porteur au regard des avancées européennes. Ratifions-le une fois pour toutes
et passons à l'étape suivante !
Mais, pour ratifier un texte, il faut lui reconnaître quelques mérites : j'en
citerai quatre, qui sont loin d'être négligeables.
Premièrement, l'innovation essentielle est la communautarisation des matières
liées à la circulation des personnes, qui permet les transferts de compétences
nécessaires. Il s'agit de définir en commun les dispositions relatives aux
frontières intérieures et extérieures, aux politiques de visas, d'asile et
d'immigration, décisions qui intéressent directement la vie quotidienne des
citoyens européens.
Dans ces domaines, l'action isolée des Etats est devenue de plus en plus
difficile à maîtriser et il s'avérait indispensable d'établir un partage de
souveraineté efficace, avec condition de réciprocité des autres Etats
participants. La pleine souveraineté des Etats est d'ailleurs très largement
réduite en raison de l'interdépendance de fait entre tous les Etats par suite
du développement considérable des communications et des transports et de
l'intensification des pressions migratoires au sud comme à l'est de l'Europe,
notamment.
L'intégration des accords de Schengen à l'Union européenne prouve également
que l'on peut expérimenter un processus à plusieurs Etats membres avant d'en
faire la règle commune. Cette méthode pragmatique pourrait certainement être
appliquée à d'autres domaines novateurs.
Une deuxième avancée du traité d'Amsterdam est la présence d'un nouveau
chapitre sur l'emploi, indiquant, pour la première fois, que « l'emploi est une
question d'intérêt commun et que les Etats membres coordonnent leur action dans
ce domaine au sein du Conseil ».
Il s'agit d'encourager l'établissement de politiques nationales favorables à
l'emploi et de les coordonner au niveau européen, l'objectif étant d'aboutir à
un pacte européen pour l'emploi, au même titre qu'il existe un pacte de
stabilité et de croissance. La création d'un comité consultatif de l'emploi
chargé de formuler des avis et de suivre l'évolution de la situation dans les
Etats membres et dans la Communauté constitue un progrès dans le fonctionnement
des institutions européennes.
Le troisième aspect important du traité est l'accroissement significatif des
prérogatives du Parlement européen. S'agissant de la seule institution
démocratique dans tous les rouages européens, il faut s'en féliciter.
La procédure de codécision entre le Parlement et le Conseil européen est
étendue à tous les domaines dans lesquels le Conseil statue à la majorité
qualifiée - excepté pour la politique agricole commune et la politique
commerciale commune - ainsi qu'à quelques domaines où le Conseil statue à
l'unanimité. Le Parlement européen peut donc rejeter définitivement un texte,
et le Conseil et le Parlement sont désormais placés à égalité.
Cette extension du rôle du Parlement va dans le sens d'une construction
européenne plus proche des citoyens. Mais il conviendra, lors de la réforme
future des institutions, d'élargir encore le rôle législatif et le pouvoir
d'initiative du Parlement au détriment de la Commission européenne, afin
notamment de rééquilibrer la séparation des pouvoirs entre le législatif et
l'exécutif, qui est la règle dans toute démocratie se respectant. Les
Parlements nationaux devraient être mieux associés aux décisions européennes,
une avancée est d'ailleurs prévue dans le traité d'Amsterdam et la délégation
européenne du Sénat est des plus attentives à cet égard.
Quant au pouvoir réel du Parlement européen, il serait plus reconnu en France
si nos députés à Strasbourg étaient plus présents et, surtout, plus unis au
niveau des décisions, notre pays souffrant de l'éparpillement de ses élus et
des décisions franco-françaises au détriment de l'efficacité et de notre image
dans l'Union. A moins de trois mois des élections européennes, il est important
d'en être conscients pour y remédier.
J'en viens à la quatrième avancée notable du traité d'Amsterdam : le volet
concernant la politique étrangère et de défense commune se voit doté
d'instruments plus performants et d'une ambition politique plus affirmée.
Deux raisons majeures poussent à l'optimisme en ce domaine : d'une part, le
revirement spectaculaire des Anglais, qui ont admis, au sommet de Saint-Malo,
la nécessité de doter l'Union européenne d'une défense militaire commune ;
d'autre part, la création d'un haut représentant pour la PESC, innovation qui
donnera une identification, un visage à l'Europe pour sa politique étrangère, à
condition toutefois que ce haut représentant ait de l'autorité et un profil
politique, à condition qu'il ne s'agisse pas d'un haut fonctionnaire de plus à
la Commission de Bruxelles.
Enfin, il n'est pas besoin de déplorer à nouveau l'absence de réforme
institutionnelle, qui était pourtant l'objectif principal du traité
d'Amsterdam. Tirons les leçons de l'échec et interrogeons-nous sur le choix de
la procédure d'une conférence intergouvernementale qui a prouvé son incapacité
à aboutir. Comme l'a écrit notre rapporteur, l'expérience montre que les
avancées européennes les plus importantes ont été initiées par des groupes
ad hoc
. Dans ces conditions, ne conviendrait-il pas de réfléchir à une
autre méthode que la conférence intergouvernementale. Qu'en pensez-vous,
monsieur le ministre ?
Le texte de ratification qui nous est présenté, avec l'article additionnel que
le Gouvernement a bien voulu introduire à la demande du Parlement - c'est un
modèle de concertation - est satisfaisant, car il inscrit la volonté française
de procéder à la réforme préalablement à l'élargissement.
Cette disposition renforce la position de la France au sein de l'Union. Notre
pays, très volontariste à cet égard, pourra ainsi jouer un rôle moteur dans la
prochaine réforme des institutions. Plus que tout autre Etat membre nous
craignons en effet la dilution de l'Union dans un marché économique toujours
plus grand, mais dépourvu de vision et de valeurs de civilisation, qui sont
l'essence même de notre destinée européenne.
Je voterai donc pour la ratification du traité d'Amsterdam, renforcé de cet
article additionnel.
(Applaudissements sur certaines travées du RPR, des
Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux mois
après le Congrès du Parlement consacré à la révision de la Constitution, le
Sénat, après l'Assemblée nationale, est saisi de la ratification du traité
d'Amsterdam.
Le problème, pour les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen,
est de savoir si ce traité correspond à la construction d'une Union européenne
répondant aux espoirs des différents peuples qui la composent, espoir de
dignité et d'épanouissement, de progrès économiques et sociaux, dans un espace
de paix, espoir de participer à l'élaboration et au suivi des décisions.
Force est de constater que le traité d'Amsterdam est loin de répondre à ces
préoccupations.
Mon ami M. Michel Duffour interviendra d'ailleurs pour présenter une motion
d'irrecevabilité développant cette contradiction essentielle entre le traité
d'Amsterdam et la démocratie, valeur fondatrice de la République française.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
L'Europe, déjà évoquée comme terre d'abondance dans la mythologie et la
littérature gréco-romaine, est une idée forte et porteuse d'une dynamique
positive.
Traversée d'un passé commun meurtrier, elle porte, par la variété des peuples
et des ressources qui la composent, d'immenses potentialités de richesse pour
elle-même et l'ensemble de la planète. Elle est un appel aux rencontres, aux
échanges d'expériences, aux coopérations multiples dans un but simple et clair
: la correction des inégalités et l'amélioration de la vie des hommes dans un
avenir de paix.
Nous faisons clairement le choix de cette Europe, de cet espace de
codéveloppement de nations décidant souverainement de partager leurs efforts et
leurs destins.
Cette image stimulante ne correspond pas - il s'en faut de beaucoup - au vécu
des populations.
Ce qui grandit, c'est l'inquiétude du lendemain, la peur du chômage, des
emplois précaires, des menaces pour l'éducation, la santé et les retraites. Ce
qui frappe, ce sont les stratégies des grands groupes, qui sont uniquement
préoccupés par l'accroissement de leurs profits financiers et qui, de
délocalisations en restructuration et en fusions-absorptions, rejettent, en
Europe comme dans le monde, des milliers de travailleurs dans le désespoir et
la pauvreté.
Les chiffres sont là : aujourd'hui, on compte quelques 18 millions de chômeurs
et près de 60 millions de pauvres dans les pays de l'Union européenne, qui sont
pourtant parmi les pays les plus riches du monde.
Cette réalité n'est nullement le fruit d'une quelconque fatalité. Elle est au
contraire la conséquence d'une logique libérale implacable qui conduit à la
baisse le coût du travail pour accroître la rentabilité financière.
Aujourd'hui, l'Union européenne est intégrée dans la mondialisation capitaliste
avec une circulation accélérée et accrue des capitaux spéculatifs, une
déréglementation des services publics et une réduction des dépenses
publiques.
Le résultat de cette logique du traité de Maastricht est malheureusement
vérifiable concrètement sur le terrain. Hier, c'était la fermeture de l'usine
Renault de Vilvorde ; demain, ce sera la suppression de 12 000 postes par le
groupe français de télécommunication Alcatel, dont les effectifs sont, pour un
tiers, en France, et dont les bénéfices sont en forte hausse. Je pourrais
malheureusement multiplier les exemples. Chacun perçoit de plus en plus
clairement qu'une progression des bénéfices financiers et des actions en bourse
s'accompagne de toujours plus de licenciements.
Ce qui est vrai pour les entreprises l'est également pour le système bancaire.
Ainsi, la volonté de fusionner la BNP avec la Société générale et Paribas, dans
l'optique de construire la première banque d'Europe, voire du monde, se
traduira non pas par des créations d'emplois mais, sans doute, par toujours
plus de licenciements.
Quant aux décisions de privatisation du Crédit lyonnais et de modification des
caisses d'épargne, elles contribuent grandement à conforter ou introduire une
exigence accrue de rentabilité financière, pourtant responsable de tant de
gâchis humains.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen estiment qu'il faut
remettre en cause les fondements de la construction européenne, qui sont soumis
aux critères dominants de la monnaie et de la finance.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Le récent exemple de la démission de M. Lafontaine en est une parfaite
illustration.
M. Lafontaine a tenté d'obtenir une baisse des taux d'intérêts pour faciliter
l'activité économique des entreprises publiques ou privées et favoriser ainsi
la formation, la création d'emplois et la hausse des salaires. La campagne
menée contre lui par les grands banquiers et la Banque centrale européenne a
démontré, s'il en était besoin, leur puissance.
La démission de M. Lafontaine et la satisfaction des milieux financiers
internationaux soulignent clairement la difficulté de mettre en oeuvre une
politique de progrès dans le cadre de l'organisation monétaire de l'Europe
aujourd'hui. Elle souligne également le rôle de la Banque centrale européenne,
qui revendique son indépendance face aux pouvoirs politiques, mais qui refuse,
dans le même temps, d'accepter des pouvoirs politiques indépendants d'elle.
L'emploi est, selon nous, au coeur de cette nécessaire réorientation
progressiste.
Nous saluons les efforts faits durant la dernière période, à compter du sommet
de Luxembourg, pour replacer l'emploi parmi les priorités de l'Europe. Il faut
toutefois constater que ces efforts, notamment ceux du Gouvernement français,
n'ont pas encore produit d'effets significatifs pour compenser les suppressions
massives d'emplois.
A Luxembourg, sur l'initiative de la France, la lutte contre le chômage est
devenue un axe de la politique européenne, mais pas sur le même plan que la
réalisation de l'Union économique et monétaire. En effet, l'adoption des «
lignes directrices pour l'emploi » n'est pas contraignante, elle n'est pas
assortie de sanctions, alors que les critères de convergence prévoient des
sanctions financières très lourdes pour les Etats.
La priorité est toujours celle de la satisfaction des marchés financiers.
M. Fauret, chargé de conférence à l'université Panthéon-Sorbonne, a bien
résumé, selon moi, la situation en déclarant : « Le dispositif pour l'emploi
arrêté à Amsterdam nous semble participer davantage de l'incantation ou de la
méthode Coué que de l'innovation audacieuse, potentiellement de nature à
résoudre le problème du chômage en Europe. »
L'employabilité, la flexibilité et la rentabilité restent les maîtres mots de
la politique sociale européenne.
Est-il étonnant, dans ces conditions, que M. Balladur, lors de l'examen du
traité par les députés, pousse les feux en exigeant « l'assouplissement des
conditions de travail » ?
L'emploi, problème numéro un en Europe, mais ne constituant pas l'actuelle
priorité, exige donc un changement de cap radical.
Un autre objectif du traité d'Amsterdam était d'engager une réforme
institutionnelle en vue du prochain élargissement européen. A ce jour, compte
tenu des différences d'appréciation, il y a peu d'évolution, et l'amendement
proposé par le Gouvernement n'a qu'un caractère assez formel.
La réussite de cet élargissement se fondera d'abord sur la pleine
participation des peuples. Le fossé qui s'élargit entre les citoyens et les
centres de pouvoirs européens constitue, nombre d'entre nous le constatent, un
obstacle majeur au développement de l'Europe.
Faire vivre le projet européen, l'élargir à d'autres pays, nécessite de revoir
le rapport entre nation et Europe, entre citoyen et pouvoir. Il faut réaffirmer
que la souveraineté, conçue comme une liberté pour chaque peuple de choisir son
destin, est inaliénable. Si nous sommes, bien entendu, conscients de la
nécessité de partager des responsabilités d'ordre économique, monétaire et
politique, celles-ci doivent être décidées, maîtrisées et réversibles, ce qui
implique, selon nous, de maintenir un droit de veto au Conseil des ministres
européens.
L'intervention citoyenne et le rôle des parlements nationaux doivent retrouver
une place décisive.
Ce contrôle doit être partagé avec le Parlement européen. Il est en effet
nécessaire de modifier la situation actuelle, dans laquelle quelque 400 comités
d'exécution ne comprenant aucun élu ont en charge le suivi des décisions de la
Commission, hors de tout contrôle public et parlementaire.
Le traité d'Amsterdam permet-il d'avancer d'une manière positive vers une
Europe, facteur de paix et de stabilité ?
L'OTAN assure une emprise grandissante sur notre continent. Force héritée d'un
passé que l'on croyait révolu, cet organisme reste une force de guerre.
L'Europe s'avère encore incapable de construire une politique de sécurité
fondée sur une démarche de paix et de démilitarisation.
Le traité d'Amsterdam ne répond certainement pas aux enjeux et laisse libre
cours, de fait, à la domination américaine sur le continent européen.
Je noterai également l'extrême faiblesse du traité d'Amsterdam au regard du
besoin de coopération internationale pour le développement.
L'Europe constitue certes une puissance économique formidable, mais elle agit
de manière insuffisante face aux souffrances qui s'abattent sur l'immense
majorité de l'humanité, notamment sur les pays du pourtour méditerranéen, mais
aussi sur les peuples qui ne se relèvent pas des déséquilibres instaurés jadis
par le colonialisme.
Des forces montent en Europe pour s'opposer au libéralisme, ainsi que
l'attestent de nombreuses luttes. Ni Maastricht ni Amsterdam ne répondent aux
enjeux du XXIe siècle.
A la question : « a-t-on besoin de l'Europe ? », les communistes répondent
affirmativement. Nous disons oui à des politiques et à des institutions
communes au service d'un projet commun. Nous réaffirmons, sans aucune
ambiguïté, notre volonté europrogressiste, mais l'Europe a besoin de
changements significatifs pour se dégager des contraintes des critères
financiers. La confrontation des idées est tout à fait salutaire, notamment sur
les thèmes de l'Europe et de la démocratie, de l'Europe et des objectifs
sociaux, de l'Europe et de la paix.
L'Europe et la démocratie, c'est aujourd'hui l'opacité la plus épaisse.
L'Europe se construit sans la participation des citoyens, ce qui explique leur
euroscepticisme. La démocratisation des institutions européennes est donc une
question clé, quel que soit le nombre des pays concernés. Les citoyens doivent
prendre leur place dans la construction européenne, en participant notamment à
des référendums précédés de débats nationaux sur toutes les questions
importantes.
Mais nous devons aussi penser à la revitalisation du rôle du « Comité
économique et social européen », au sein duquel siègent des membres des mondes
syndical, patronal et associatif, et qui pourrait avoit le droit de suspendre
une décision aux conséquences contestables.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Il faut également promouvoir une intervention politique dans des secteurs
aujourd'hui indépendants, qu'il s'agisse de la Banque centrale européenne, de
la Commission et de la Cour de justice, dont les arrêts sont sans appel. Les
derniers événements qui sont liés à la Commission et qui ont été soulignés ce
matin par plusieurs collègues montrent d'ailleurs l'importance de telles
réformes.
De même, il faut trouver une articulation juste entre le respect des
souverainetés nationales de chaque pays et le partage des responsabilités à
l'échelon européen.
J'en viens à l'Europe et aux objectifs sociaux. Après le passage à l'euro et à
la veille de l'élargissement, nous devons corriger le déficit en cette matière.
L'organisation d'états généraux pour l'Europe sociale permettrait de conforter
les acquis jugés positifs, d'identifier les obstacles liés à la logique
libérale et de réfléchir collectivement à des investissements répondant aux
besoins de la population.
On nous parle souvent du pacte pour l'emploi, mais sans référence aux moyens
financiers et politiques. Pourquoi ne pas traduire en objectifs précis et
contraignants, comme c'est le cas pour les critères financiers de Maastricht,
les lignes directrices trop vagues adoptées par le Conseil européen de
Luxembourg en décembre 1997 ?
L'important est de faire reculer la mise en concurrence des travailleurs.
Plusieurs dossiers doivent avancer, notamment l'établissement d'un salaire
minimum dans chaque pays, d'un haut niveau de protection sociale, d'une
revalorisation des services publics et d'une réduction de la durée du travail à
trente-cinq heures sans diminution de salaire et avec création d'emplois.
Ces grands axes sociaux mobilisateurs nécessitent des financements importants
impliquant une autre utilisation de l'argent et aussi une dissuasion des
placements financiers et de la spéculation. Nous ne pourrons évacuer plus
longtemps les propositions de taxation de mouvements de capitaux.
L'Europe et la paix : c'est un acquis de l'Union européenne à préserver, mais
aussi à étendre. Je pense particulièrement à la solution politique du conflit
entre Serbes et Albanais du Kosovo.
Préserver la paix à l'intérieur de l'Europe implique la correction des
inégalités de développement entre pays, mais aussi entre régions, d'où
l'importance des mesures de solidarité comme la PAC ou les fonds
structurels.
Préserver la paix, c'est rapprocher les peuples et notamment leur jeunesse
grâce au développement de bourses, du type de celles qui sont disponibles dans
le cadre du programme ERASMUS, mais qui sont aujourd'hui notoirement
insuffisantes.
Préserver la paix, c'est aussi respecter et promouvoir les droits de l'homme
dans les domaines politique, économique, social et culturel, et ce non
seulement dans tous les Etats de l'Union, mais aussi dans tous les pays du
monde.
Enfin, nous ne pensons pas que l'OTAN soit facteur de paix et la volonté de
renforcer son rôle est plutôt la traduction d'une volonté fortement hégémonique
des Etats-Unis. Alors, pourquoi ne pas revaloriser le rôle de l'OSCE,
fortifiant le rôle de l'Europe ?
En conclusion, oui, l'Europe est riche en potentialités. Nous allons
travailler, avec tous ceux qui le souhaitent, à les transformer en actes
concrets. Aujourd'hui, le traité d'Amsterdam, englué dans les critères
financiers, ne répond pas à l'attente des peuples. Nous serons donc amenés à
voter contre sa ratification.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Emmanuel Hamel.
Et vous aurez raison !
M. le président.
La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat va
dans quelques heures ratifier le traité d'Amsterdam. Ainsi sera achevée la
procédure parlementaire.
Il reste que la France aura été le dernier des quinze pays membres de l'Union
européenne à décider cette ratification, ce qui peut s'expliquer par le fait
qu'il a fallu, chez nous, contrairement à la plupart de nos partenaires,
procéder en deux temps avec une révision préalable de la Constitution. Celle-ci
ayant été acquise le 18 janvier dernier à Versailles à une très forte majorité,
le vote que nous allons émettre aujourd'hui en est la suite logique.
L'objectif assigné au traité d'Amsterdam signé le 20 octobre 1997 était de
créer les conditions politiques et institutionnelles nécessaires pour permettre
à l'Union européenne de se développer tout en renforçant ses acquis.
Sans revenir sur le premier débat que nous avons eu à l'occasion de la
révision constitutionnelle, il s'agit aujourd'hui de nous demander ce qu'est,
et surtout ce que peut être, la construction européenne avec le traité
d'Amsterdam.
Ce traité a été signé en pleine phase de transition de l'Europe : mise en
place de la monnaie unique, préparation de l'élargissement, préparation des
réformes des politiques de l'Union, recherche de réponses à apporter aux
processus de mondialisation, réflexion plus générale sur la place de l'Union
sur la scène internationale, d'un point de vue aussi bien politique, social
qu'économique et financier.
Que les choses soient bien claires : pour nous le traité d'Amsterdam ne
constitue qu'une étape, mais une étape indispensable.
Si l'on se penche sur ce demi-siècle de travail commun pour la constitution
d'une véritable union européenne, tout traité de transition qu'il est, le
traité d'Amsterdam est et sera nécessaire à la poursuite de la construction
européenne. Déjà il permet, par le constat de ses insuffisances et de ses
points positifs, un examen critique qui permet de rebondir et de relancer la
dynamique, de tester la volonté européenne des Etats membres. Il n'est pas
fondateur, mais régénérateur, et il devrait contribuer à circonscrire ce que
l'on veut vraiment faire en Europe, pour l'Europe et pour ses citoyens.
Je voudrais souligner d'abord ce qui constitue à nos yeux les principales
avancées du traité d'Amsterdam.
En premier lieu, ce traité marque un pas certain dans le sens d'une Europe
plus respectueuse des droits fondamentaux de ses citoyens. Il consacre comme
fondements et valeurs de l'Union les principes de démocratie, de respect des
droits de l'homme, des libertés fondamentales et de l'Etat de droit. Il
renforce la lutte contre toutes les formes de discriminations.
Ce qui prend un caractère de véritable nouveauté, c'est la création d'un
mécanisme de sanction à caractère politique si une violation grave et
persistante des droits fondementaux par un Etat membre est constatée, allant
jusqu'à la suspension de certains des droits de l'Etat concerné.
En deuxième lieu, l'Europe se veut aussi plus proche des préoccupations de ses
citoyens.
L'emploi devient un des objectifs fondamentaux de l'Union. En devenant
priorité politique commune, la lutte pour l'emploi contribue à réorienter la
construction européenne dans le sens de la solidarité et de la justice sociale.
Depuis la signature du traité d'Amsterdam, une volonté politique commune s'est
dégagée pour mettre progressivement sur un même plan l'emploi et la stabilité
budgétaire liée à la mise en place de la monnaie unique.
De plus, les bases d'une politique sociale de l'Union ont été lancées avec
l'intégration du protocole social dans le traité.
Mon amie et collègue Marie-Madeleine Dieulangard développera dans un moment
ces acquis essentiels pour nous socialistes.
Les services publics sont élevés au rang des valeurs communes. Leur rôle est
reconnu en tant que facteur de cohésion sociale et territoriale de l'Union.
S'agissant de la santé publique, les dispositions ont été renforcées dans le
sens de la protection des consommateurs.
L'environnement, désormais inscrit dans les objectifs généraux de l'Union,
doit être pris en compte dans l'ensemble des politiques menées par l'Union
européenne à travers, notamment, la notion de développement durable.
En troisième lieu, si le traité de Maastricht a été le traité de la monnaie
unique, le traité d'Amsterdam peut être considéré comme celui de l'espace de
liberté, de sécurité et de justice.
Ce chapitre nous a déjà largement occupés lors de la révision
constitutionnelle, qui a permis de souligner l'importance des nouvelles
possibilités de mener des politiques en matière d'asile, de visas et
d'immigration. Un lien étroit a été, cette fois-ci, établi entre libre
circulation des personnes et sécurité intérieure.
Faut-il, une fois encore, souligner les avantages d'un exercice commun des
politiques en matière de libre circulation des personnes, qui sont
indispensables à la concrétisation d'un véritable espace européen de liberté,
de justice et de sécurité ?
L'intégration des acquis de Schengen est, dans cette perspective, essentiel.
Véritable acquis de l'Union, c'est l'intégration d'un mécanisme qui a fait ses
preuves.
Enfin, avec la communautarisation de la coopération judiciaire civile et le
renforcement de la coopération en matière pénale, une voie est aujourd'hui
ouverte vers la constitution d'un espace judiciaire européen.
Un véritable espace de liberté est donc dessiné dans ce traité, qui fait
aujourd'hui partie de l'identité européenne. C'est la conjugaison d'une
garantie de sécurité aux frontières de l'Union et du processus d'harmonisation
des politiques liées à la libre circulation des personnes qui contribue
fortement à renforcer la sécurité des citoyens.
Je relèverai enfin au chapitre des évolutions positives les dispositions
relatives à la politique étrangère et de sécurité commune avec la mise en place
d'une unité de planification et d'alerte rapide, ainsi que l'institution d'un
haut représentant pour la PESC, poste qui devrait revenir à une personnalité
politique.
Ainsi, comme on le voit, ce traité contient de nombreuses potentialités et
offre des possibilités d'action certaines.
Faut-il pour autant s'en satisfaire ? Je réponds tout de suite que ces
dispositions demeurent à nos yeux insuffisantes. Elles le sont non seulement au
regard des ambitions affichées à l'origine, mais surtout compte tenu de la
nécessité même de réformer l'Union afin de revitaliser sa dynamique
intégratrice et d'assurer de bonnes conditions politiques et institutionnelles
pour un nouvel élargissement.
Le principal échec est donc bien celui de la réforme des institutions qui a
été à peine ébauchée.
Certes, la complexité institutionnelle a été réduite, mais de façon très
insuffisante.
Quelques avancées, cependant, sont à noter : dans le sens d'une plus grande
efficacité des décisions, avec l'extension de la majorité qualifiée à de
nouveaux domaines ; dans le sens d'un fonctionnement plus démocratique, avec le
renforcement des pouvoirs législatifs du Parlement européen, à travers
notamment l'extension de la codécision ; dans le sens d'une plus grande
efficacité des politiques, avec l'introduction de la possibilité d'engager des
coopérations renforcées.
Ce dernier mécanisme est encore ambigu : c'est un facteur d'intégration
puisqu'il permet aux Etats membres qui se sentent prêts de pousser plus avant
leur coopération et la coordination de leurs politiques ; c'est aussi un outil
de cohésion dans un certain sens, puisqu'il permettra à l'avenir d'éviter la
multiplication des exceptions, en particulier dans la perspective de
l'élargissement à de nouveaux pays qui doivent reprendre l'ensemble de l'acquis
communautaire ; mais c'est également s'agit de l'un vecteur potentiel de
l'organisation à terme d'une Europe à plusieurs vitesses.
En tout état de cause, ce système de coopération renforcée ne doit pas être un
substitut à une véritable réforme des institutions.
D'autres avancées du traité d'Amsterdam vont dans le sens d'une plus grande
transparence, avec la perspective d'une meilleure association des Parlements
nationaux au processus communautaire, et dans le sens d'une plus grande
légitimité démocratique, avec le renforcement des pouvoirs de la Cour de
justice, en particulier dans la protection des droits fondamentaux et
individuels.
Malgré le consensus dégagé sur la nécessité d'une réforme, aucun compromis
satisfaisant pour l'ensemble des Etats membres n'a pu être trouvé jusqu'à
présent pour régler la vraie question de l'efficacité et de la cohérence du
fonctionnement des institutions à travers, essentiellement, la réforme du mode
de prise de décision.
A ce propos, je voudrais souligner à nouveau que, contrairement à ce que
certains affirment, la procédure de la majorité qualifiée est beaucoup plus
favorable à la France, pays volontariste en matière européenne, que ne l'est
l'unanimité. Cette procédure évite en effet toute possibilité de veto d'un seul
pays. La majorité qualifiée améliore aussi la qualité des décisions, qui
risquent moins d'être prises selon le plus petit dénominateur commun.
C'est l'efficacité dans une union élargie qui importe avant tout, ce qui
suppose notamment - cela a déjà été dit, je me bornerai à le résumer - une
repondération des voix au sein du Conseil et une nouvelle composition de la
Commission européenne.
Il est évident que ce dernier problème trouve aujourd'hui une actualité toute
particulière, qui doit nous amener à réfléchir non seulement sur la composition
de la Commission, mais également sur son fonctionnement et sur les conditions
d'exercice de ses pouvoirs.
M. Michel Barnier.
Très bien !
M. Claude Estier.
D'une façon générale, il s'agit de faire en sorte que le prochain
élargissement n'affaiblisse pas les institutions surtout s'il se traduit par
une augmentation du nombre des petits pays.
C'est pourquoi nous ne pouvons que nous féliciter de l'adjonction par le
Gouvernement - lui seul pouvait le faire ; mais il l'a fait, M. de Villepin l'a
rappelé tout à l'heure, en concertation étroite avec le Parlement - d'un
article 2, qui donne encore plus de force à la déclaration que la France a
signée avec la Belgique et l'Italie, soulignant la nécessité pour l'Union de
réaliser, avant la conclusion des premières négociations d'adhésion, une
réforme de ses institutions qui lui permette de poursuivre la conduite de ses
politiques, conformément à ses objectifs de paix, de prospérité et de
solidarité, tout en accueillant de nouveaux membres.
Afin que le fonctionnement des institutions de l'Union soit, comme le prévoit
cet article 2, plus démocratique et plus efficace, nous soutenons en
particulier l'extension de la majorité qualifiée à tous les domaines
susceptibles de contribuer à la lutte pour l'emploi.
Nous examinerons avec attention les premières propositions que la présidence
allemande soumettra au Conseil européen de Cologne en juin prochain.
Nous sommes favorables à la mise en place d'un comité des sages, qui puisse
préparer dans de bonnes conditions cette réforme majeure qui pourrait être
adoptée sous la présidence française au cours du second semestre 2000, comme
vous venez, monsieur le ministre, d'en exprimer l'espoir et comme nous
l'espérons tous.
En attendant, il serait souhaitable que, dès à présent, soient examinées les
possibilités d'amélioration du fonctionnement des institutions sans même qu'une
modification du traité soit nécessaire. Nous soutiendrons toute initiative qui
irait dans ce sens. En particulier, nous encourageons le gouvernement français
dans sa volonté que le budget européen permette de développer réellement les
potentialités du traité qui puissent se mesurer à l'aune de la création
d'emplois.
Mes chers collègues, je dirai en conclusion que, au regard des actions déjà
entreprises, le traité d'Amsterdam permet l'enclenchement d'une nouvelle
dynamique. Si ses dispositions sont insuffisantes, aucune d'entre elles n'est
cependant inacceptable.
Notre défi aujourd'hui consiste à approfondir et à dépasser les dispositions
d'Amsterdam. Un grand pas a déjà été fait dans ce sens depuis juin 1997, en
particulier dans le domaine de l'emploi.
Avancer vers une union plus politique, rechercher plus encore la convergence
entre l'approche économique et l'approche politique de la construction
européenne, faire de l'Europe un véritable espace de croissance, de liberté et
de justice, tels sont et demeurent nos objectifs. Au-delà du traité
d'Amsterdam, sachons mobiliser nos énergies pour les atteindre !
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines
travées de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la
réforme de la Constitution, le débat et le vote de ce jour sur le traité
d'Amsterdam sont à la fois une formalité et une minute de vérité.
Formalité, puisque l'accord du Parlement ne fait pas de doute et que la
médiocrité du contenu même du traité lui évite du moins de prêter le flanc à
aucune critique majeure, si ce n'est celle que provoque son insuffisance
même.
Minute de vérité, parce que cette insuffisance, placée sous la lumière vive et
cruelle de l'actualité - particulièrement en ce jour - autorise et rend même
nécessaire une critique qui atteigne non seulement les dispositions du traité -
ou son manque de dispositions ! - mais, à travers elles, les questions de fond
qu'il n'a pas su résoudre et les questions de méthode.
Je m'en tiendrai ici à trois brèves réflexions, laissant à mon collègue M.
Denis Badré le soin de présenter tout à l'heure une analyse d'ensemble.
Ma première réflexion sera pour remercier la commission des affaires
étrangères et son rapporteur de l'excellent travail accompli, qui a le mérite
rare de dégager clairement les acquis - pour autant qu'il y en ait...
M. Emmanuel Hamel.
Ils sont rares !
M. Pierre Fauchon.
... et les insuffisances, hélas beaucoup plus lourdes, du traité.
Le rapport de la commission a également le mérite de mettre en lumière les
atermoiements, les contradictions, en particulier en ce qui concerne les
coopérations renforcées, les lacunes sur les institutions, comme sur la
PESC.
Il a peut-être plus encore le mérite de mettre le doigt sur la cause de toutes
ces malfaçons, qui réside dans cette méthode des conférences
intergouvernementales, dont il faut bien constater que ce traité marque les
limites dès lors qu'il s'agit d'imaginer et d'innover. Or, justement, il
s'agissait d'imaginer et d'innover !
Je puis d'autant plus souscrire aux conclusions de ce rapport qu'elles
reprennent largement celles qui ont été exprimées précédemment par la
délégation pour les affaires européennes dans un texte que j'avais eu l'honneur
de soumettre à son approbation à l'époque de notre regretté et excellent ami et
collègue, M. Genton.
Plusieurs sénateurs sur diverses travées.
Il est toujours en vie !
M. Pierre Fauchon.
Je qualifie M. Genton de « regretté collègue » en tant qu'il a cessé d'être
membre du Sénat ! Il est certes bien vivant et va publier incessamment ses
mémoires, si ce n'est déjà fait, mémoires fort intéressants d'ailleurs.
M. Emmanuel Hamel.
Nous les lirons avec intérêt !
M. Pierre Fauchon.
Ma deuxième réflexion concerne le deuxième pilier, c'est-à-dire la politique
extérieure et de sécurité commune.
A la lumière des événements les plus récents, il est permis de penser que la
création tant d'un poste de « haut représentant », si haut soit-il dans le
vocabulaire, que d'une « unité de planification et d'alerte rapide », si rapide
soit-elle dans le vocabulaire, ne saurait être présentée comme autre chose
qu'un aménagement technique dont il n'est même pas sûr qu'elle constituera une
amélioration réelle, étant donné l'absence de coordination avec la
Commission.
Sont tout autrement significatifs dans ce domaine la reconnaissance de
l'abstention constructive, dans des conditions pour le moins ambiguës, vous
l'avez souligné, et le fait que ce domaine ne peut donner lieu à des
coopérations renforcées. On voit bien, dès lors, qu'il ne s'est dégagé aucune
volonté politique réelle. L'organisation de l'actuelle conférence sur le
Kosovo, dont on peut se féliciter, montre tout à la fois que les Européens ne
sont pas incapables d'agir sur les événements qui les concernent, quand ils le
veulent, mais qu'une telle action ne parvient pas à s'inscrire dans le cadre de
l'Union, ce qui en limite inévitablement l'autorité et les moyens.
Ainsi se trouve posé, comme cela été fait excellemment par M. de Villepin, le
problème même des coopérations renforcées, qui doit être au coeur de nos
réflexions et dont l'importance est de plus en plus évidente au fur et à mesure
que, d'une part, les Européens, ou du moins certains d'entre eux, reprennent
conscience de leurs responsabilités dans un monde qui ne saurait se soumettre à
un
leadership
unique et que, d'autre part, la multiplication des membres
de l'Union tend à en faire une zone commune d'échanges et de gestion, placée
sous le signe du libéralisme, d'un libéralisme assez irresponsable mais
dépourvu de conscience et de volonté politique claire.
Ma troisième et dernière réflexion portera sur le problème des
institutions.
A juste titre, le second article proposé met l'accent sur la double
préoccupation de les rendre plus efficaces et plus démocratiques.
On a dit beaucoup de choses excellentes sur ce sujet. Je me permettrai surtout
de suggérer d'ajouter à ses termes celui de « clarté ». En effet, le premier
défaut des institutions européennes est peut-être, d'abord et avant tout,
l'absence de clarté : absence de clarté dans les responsabilités qui sont
tellement entremêlées, souvent sous le beau nom de « codécisions », que l'on se
trouve en présence d'une confusion et non d'une séparation des pouvoirs, ce qui
est contraire aussi bien à l'efficacité qu'à la démocratie.
Le conflit actuel entre le Parlement et la Commission est à cet égard plein
d'enseignements. N'est-ce pas une situation étrange que celle d'un Parlement
qui envisage de censurer une Commission qu'il ne nomme pas à proprement parler,
même s'il en approuve la nomination, qui se demande s'il va procéder à des
censures individuelles ou collectives, qui porte sa critique sur des points de
gestion assez mineurs, il faut bien le dire, à l'égard desquels la censure, me
semble-t-il, appartiendrait plutôt au Conseil européen qu'au Parlement ?
Généralement, les exécutifs qui peuvent être censurés sont ceux qui
représentent les majorités des parlements, qui sont issus de ces majorités et
qui en ont au départ reçu la confiance. En l'occurrence, tel n'est pas le cas,
même s'il existe une sorte de vote d'investiture.
Enfin, si le Parlement a la faculté de censurer, il ne peut pas être dissous.
Or, dans une démocratie moderne, il convient que le législatif, qui dispose du
pouvoir de censure, soit aussi menacé de dissolution de la part de l'exécutif,
pouvoir qui, dans la théorie pourrait appartenir au Conseil européen.
On voit bien que nous sommes dans un système qui « coince », si j'ose employer
cette expression, et qui n'est pas satisfaisant.
Une autre absence de clarté, tout aussi importante, réside dans les règles de
jeu dont la complexité est encore aggravée par le traité d'Amsterdam. La seule
lecture de ce traité est en elle-même une redoutable épreuve. Peu nombreux sont
ceux qui ont la capacité d'intégrer tout ce qu'il contient.
M. Emmanuel Hamel.
C'est en effet incompréhensible.
M. Pierre Fauchon.
Ce n'est pas incompréhensible pour l'ensemble de nos collègues, mais c'est
difficile à intégrer. On comprend ligne par ligne mais, quand on essaie de
raccorder toutes les données, on s'aperçoit que l'on est devant un buisson
d'épines impénétrable. L'ensemble des institutions européennes donne
l'impression d'être un fourré impénétrable qui décourage et irrite des gens
comme notre excellent collègue, et je le comprends quelquefois.
M. Emmanuel Hamel.
Ah !
M. Pierre Fauchon.
Surtout, cela révolte les citoyens européens que l'on voudrait par ailleurs
rendre conscients et fiers de leur oeuvre commune.
Dès lors, il apparaît de plus en plus clairement que la question de
constitution d'une Union européenne digne de ce nom se trouve posée et qu'elle
ne cessera de grandir au fil d'une actualité toujours plus riche.
A cet égard, vient immédiatement à l'esprit un problème de procédure. En
effet, les plus ardents, les plus résolus rêvent - et j'en entends de plus en
plus souvent parler - d'une sorte d'assemblée constituante, à l'image de la
convention de Philadelphie, fondatrice des Etats-Unis d'Amérique. Mais on ne
peut alors s'empêcher de penser à un autre congrès, le Parlement de Francfort
de 1848, qui s'est perdu dans les méandres des débats parlementaires. Nous
devons donc être attentifs à ces deux leçons de l'histoire, en nous souvenant
que c'est le Parlement de Francfort qui est l'exemple le plus proche de
nous.
Je serais pour ma part - mais cela est strictement personnel - plus enclin à
souhaiter que le Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement s'attaque à ce
sujet, sans doute avec le concours d'autres institutions, notamment le
Parlement européen et les parlements nationaux, mais en imprimant à la démarche
- et les institutions de la Ve République nous l'ont appris - ce que seul un
exécutif volontaire peut apporter de clarté et de cohérence.
D'ailleurs, d'une manière générale, j'ai tendance à penser - et les événements
de cette nuit me confortent dans cette opinion - que ce qui manque le plus à
l'Europe, au-delà des problèmes de pondération des voix, de majorité, de nombre
de commissaires notamment, c'est un exécutif fort, donc nécessairement
concentré. Ce peut-être une personne, ce peut-être un collège restreint, mais
cet exécutif doit être capable de surmonter les particularismes, de dépasser
les intérêts particuliers et catégoriels pour dégager une politique telle que
les citoyens de nos vieilles nations et beaucoup d'autres dans le monde - ils
sont nombreux, et nous en rencontrons à chacun de nos voyages - puissent penser
avec confiance et avec fierté : l'Europe est de retour !
C'est dans cet esprit que les membres du groupe de l'Union centriste voteront
le projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam.
(Applaudissements sur certaines travées de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Bordas.
M. James Bordas.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe
des Républicains et Indépendants considère la construction européenne comme
essentielle pour l'avenir de la France. Cependant, elle a souvent été mal
expliquée et parfois mal comprise. Elle a pu donner l'impression de se faire
pour les peuples, mais sans eux.
Il est vrai que certaines décisions prises à Bruxelles peuvent paraître
lointaines et mal adaptées à nos spécificités nationales et locales.
Aussi ne doit-on pas être surpris d'entendre certaines remarques et
interrogations touchant à la préservation de notre identité, à notre
indépendance, à nos traditions.
Quelles garanties comporte le traité d'Amsterdam ? Nous devons répondre à ces
préoccupations et apporter des apaisements.
Ainsi, l'absence de réforme profonde des institutions européennes ne doit pas
dissimuler certaines avancées démocratiques comme l'élargissement de la
procédure de codécision ou le renforcement du contrôle du Parlement européen
sur la Commission de Bruxelles.
De plus, le traité permet de réaliser certains progrès en ce qui concerne la
politique étrangère et de sécurité commune, la PESC, même si beaucoup reste à
faire dans ce domaine.
A ce sujet, j'adhère totalement à ce qu'a dit mon collègue Jean-Paul Emin lors
du débat organisé sur cette question au Sénat, le 11 février dernier.
La conférence de Rambouillet est porteuse de nouveaux espoirs pour le Kosovo.
Son existence a déjà représenté un premier progrès pour l'Europe. L'approbation
du projet d'accord par les Kosovars, hier, à Paris, en est un autre.
Ces progrès montrent que la conviction et la solidarité européenne peuvent
donner des résultats. Mais le volontarisme ne doit pas nous conduire au
triomphalisme. Nous devons avoir conscience des limites d'une PESC à la
maturation lente, aux objectifs souvent trop ambitieux et aux résultats parfois
décevants.
Si le traité d'Amsterdam renforce la politique étrangère, il devra encore
franchir certains obstacles majeurs, comme les divergences des Etats membres en
matière de stratégie et d'objectifs diplomatiques et militaires.
L'Europe doit se construire politiquement avant de s'affirmer
diplomatiquement. La PESC ne peut qu'être le prolongement extérieur de l'Europe
politique. Elle ne peut réussir sans elle.
Je souhaite également évoquer le volet emploi du traité d'Amsterdam, qui a été
mis en oeuvre par anticipation et auquel nous attachons une attention toute
particulière. L'emploi doit, en effet, constituer l'une des priorités des
actions conduites au niveau européen.
La Commission de Bruxelles a proposé plusieurs lignes directrices pour les
politiques de l'emploi des Etats membres. Je rappellerai simplement que la
délégation pour l'Union européenne et la commission des affaires sociales de
notre assemblée se sont prononcées sur ces propositions en décembre dernier.
Beaucoup reste à faire dans ce domaine, même si le traité d'Amsterdam apporte,
là encore, quelques améliorations.
Ce traité contient, par ailleurs, certaines avancées, certes limitées, en
matière de droits fondamentaux et de non-discrimination, de reconnaissance des
missions de service public, de protection de l'environnement, de santé publique
et de politique commerciale.
Il intègre, enfin, l'acquis de Schengen dans le cadre de l'Union européenne.
Celle-ci pourra ainsi bénéficier d'une coopération en matière de sécurité et de
libre circulation qui, malgré ses limites, a montré son intérêt et ses
qualités.
Le traité d'Amsterdam n'est donc pas négligeable. Il doit être considéré non
pour ce qu'il aurait dû être, mais pour ce qu'il est : un pas dans la bonne
direction, malgré quelques divergences qui constituent autant de « pièges »
dans lesquels il faudra éviter de tomber. Quatorze Etats l'ont ratifié. La
France est la dernière à le faire.
La décision du Conseil constitutionnel du 31 décembre 1997 nous a imposé un
processus en deux étapes. La réforme de la Constitution que nous avons adoptée
à Versailles, le 18 janvier dernier, en constitue la première.
Je sais que certains de nos collègues auraient souhaité que nous allions plus
loin, notamment en ce qui concerne le contrôle du Parlement. Mais le véritable
enjeu n'est pas l'extension du champ d'application de l'article 88-4, même si
celle-ci est un point positif. En effet, elle ne règle pas le problème
fondamental de la place des parlements nationaux dans le processus de décision
communautaire.
M. Michel Barnier.
Très bien !
M. James Bordas.
Or là est le véritable enjeu politique. L'important n'est pas de parler ; il
faut être entendu.
C'est non pas le nombre de résolutions qui compte, mais la manière dont elles
sont prises en compte.
M. Michel Barnier.
Exactement !
M. James Bordas.
L'article 2 du projet de loi que nous examinons aujourd'hui permet à la France
d'exprimer sa détermination de voir réaliser des progrès substantiels dans la
voie de la réforme des institutions de l'Union européenne avant que s'engagent
les premières négociations d'adhésion.
Cet article ne revêt aucun caractère normatif ni contraignant et il doit
plutôt être interprété comme un message politique à l'intention de l'opinion
publique et comme un message diplomatique en direction de nos partenaires.
En tant que parlementaires, nous devons l'interpréter comme un appel à prendre
plus d'initiatives. Nous ne devons pas laisser les diplomates décider seuls de
l'avenir institutionnel de l'Europe et donc, indirectement, de notre propre
avenir.
La méthode intergouvernementale a montré ses limites et nous pouvons craindre
que la nouvelle CIG, à l'origine de laquelle devrait se trouver le Conseil
européen de Cologne, en juin prochain, ne conduise aux mêmes échecs que par le
passé.
C'est à nous, parlementaires, de prendre des initiatives en la matière. A cet
égard, les parlements nationaux doivent s'imposer pour pouvoir être en position
de force lors de la future réforme des institutions de l'Union. Ils doivent non
pas attendre que l'on pense à eux, mais gagner leur place dans le concert
européen, afin d'obtenir une réelle influence sur les décisions qui sont prises
à ce niveau.
La création d'une représentation permanente du Sénat à Bruxelles constituera
un premier pas en ce sens, mais il faudra aller plus loin encore.
Le groupe des Républicains et Indépendants défend une vision libérale et
démocratique de l'Europe. Ce choix transcende le clivage entre défenseurs de la
souveraineté nationale et partisans du fédéralisme. Il signifie que l'Europe
doit faire vivre ensemble, de manière harmonieuse, la diversité des peuples et
des Etats qui la composent. Il implique également une réforme des institutions
européennes sur la base d'un principe de subsidiarité mieux compris et d'un
contrat qui préciserait clairement les droits et les obligations des
institutions nationales et européennes.
Cette réforme devra notamment concerner la Commission européenne, dont la
démission, hier soir, doit nous amener à réfléchir sur son rôle...
M. Emmanuel Hamel.
En le réduisant !
M. James Bordas.
... et sur son fonctionnement. Elle devra aussi donner aux parlements
nationaux la place qu'ils méritent, celle qui leur revient au nom des peuples
qu'ils représentent.
C'est de cette manière que l'Europe pourra relever les défis qui l'attendent :
consolidation de l'euro, achèvement de l'Union économique et monétaire,
financement futur des politiques communes, harmonisation sociale et fiscale,
élargissement...
C'est dans cette perspective que nous devons considérer le traité d'Amsterdam,
qui ne constitue qu'une étape dans le long processus de la construction
européenne.
C'est la raison pour laquelle le groupe des Républicains et Indépendants
approuvera le projet de loi qui nous est proposé aujourd'hui.
(Applaudissements sur certaines travées des Républicains et Indépendants et
du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'aborde ce
débat en ayant en mémoire l'excellent plaidoyer en faveur de la construction
européenne prononcé ici même par le président Vaclav Havel et, comme vous tous,
je suis sous le coup de la démission collective de la commission qui vient
d'intervenir.
C'est la raison pour laquelle je ne peux m'empêcher de penser, en dépit de
l'excellent rapport de M. de Villepin, dans lequel tout était dit, que la
ratification du traité d'Amsterdam ne fera que modestement avancer l'oeuvre
entreprise depuis un demi-siècle. Mais je ne suis guère étonné qu'à l'occasion
de ce débat chacun souhaite réaffirmer ses convictions favorables ou opposées à
l'Europe, afin de prendre date, bien que la dernière révision
constitutionnelle, votée à une très large majorité par le Congrès, rende
quelque peu dépassé l'inventaire détaillé des éléments positifs et négatifs du
traité d'Amsterdam.
Intervenant au nom de mes collègues du Rassemblement démocratique et social
européen, je souhaite présenter quatre brèves observations et formuler un
voeu.
Ma première observation concerne l'acquis éventuel du traité que nous devons
ratifier, à savoir le renforcement de la coopération en matière de libre
circulation des personnes et l'évolution vers une politique commune intégrant
les acquis de Schengen. C'est pour moi un progrès, car il est cohérent d'aller
vers une définition à la majorité qualifiée, dans cinq ans, des politiques
d'immigration, d'asile et de contrôles aux frontières.
L'évolution du monde, le développement rapide des mafias de toutes espèces et
l'attraction qu'exerce de plus en plus sur tous les déshérités d'Afrique et
d'Asie le niveau de vie et d'emploi de l'espace européen sont incontournables.
Il faudra que l'évolution engagée par le traité se poursuive en matière pénale
et policière. Quelle que soit la dimension de l'Union européenne, que nous
soyons quinze, vingt ou vingt-cinq Etats, il est inconcevable que la sécurité
des frontières et la répression d'un certain nombre de crimes et délits ne
soient pas traitées en commun. A cet égard, le traité va dans la bonne
direction.
La deuxième observation que je tiens à présenter va plutôt en sens inverse.
Rien, en effet, dans le traité et dans les protocoles qui l'accompagnent ne
prévoit les conséquences de la mise en place de l'euro. S'il est question de
l'Europe sociale - cela a été beaucoup évoqué dans les interventions
précédentes - rien n'est dit sur les conséquences qu'il va falloir tirer de la
création d'une monnaie unique en matière de fiscalité, de politique budgétaire
et de financement de la protection sociale. D'ailleurs, j'ai noté que, au cours
du débat à l'Assemblée nationale, certains orateurs hostiles à la poursuite de
la construction européenne ont fait de la monnaie unique et du rôle de la
Banque centrale européenne la cible de leurs interventions et déploré le
caractère trop monétariste de cette avancée.
Il convient, monsieur le ministre, que vous soyez plus explicite sur ce point
essentiel et que vous nous disiez, suffisamment à l'avance, ce que le
Gouvernement proposera pendant la présidence française pour consolider cette
étape importante. Comment mieux coordonner les politiques budgétaires et
fiscales ? Comment aborder le choc des années 2010 en matière de retraites dans
l'ensemble des pays européens ? Comment faciliter la création d'entreprises
tournées vers les nouvelles technologies ? Comment financer à la fois - c'est
la grande interrogation - les politiques communes, les conséquences de
l'élargissement et l'effort de coopération vis-à-vis des pays émergents sans
surcharger les contribuables européens ? C'est sur ces points, monsieur le
ministre, que le Gouvernement est attendu.
En troisième lieu, le traité d'Amsterdam est, à mon avis, trop timide sur la
mise en oeuvre du principe de subsidiarité. Il est pourtant essentiel, aussi
bien pour démocratiser davantage les institutions européennes que pour donner
du poids au Parlement européen et aux parlements nationaux, de donner un
contenu précis à ce principe. Comme l'ont proposé MM. Giscard d'Estaing et
Balladur, il serait utile d'« élaborer un véritable code des réglementations
européennes précisant à chacun ses droits, ses compétences et ses devoirs ».
Sinon - c'est le risque que nous courons, mes chers collègues - ce sont les
juridictions qui définiront, chacune à sa manière et selon ses traditions, les
bases juridiques qu'il conviendra de respecter. Certes, la pratique de la
décentralisation à la française n'est peut être pas le modèle absolu à proposer
à nos partenaires. Mais si l'on veut rendre la construction européenne plus
lisible et donc mieux acceptée, il est nécessaire de s'orienter dans cette
voie.
Ma quatrième observation sera pour apporter le soutien de mon groupe à
l'amendement introduit par le Gouvernement au texte même de la ratification du
traité. Rejoignant la déclaration franco-italo-belge sur le « préalable
institutionnel à l'élargissement » et résultant d'un large consensus qui, comme
l'a rappelé très justement M. de Villepin, au nom de la commission des affaires
étrangères, dépasse les clivages politiques traditionnels, cette disposition
exprime clairement la position de tous ceux qui redoutent un dysfonctionnement
des institutions européennes. Le Gouvernement, en proposant ce texte, a pris un
engagement : nous serons vigilants quant à sa matérialisation.
Cependant, il est clair que les incidents de la nuit dernière apportent un
éclairage sur ce point. Pour ma part, j'y vois non pas une crise grave, mais la
prise de conscience par le Parlement européen de son rôle en matière de
contrôle de la Commission. J'y vois aussi la nécessité, pour les membres de la
Commission, de contrôler leurs administrations, et de ne pas simplement se
comporter comme des dirigeants désincarnés appelés à sanctionner ce qui leur
est proposé par leurs services. Par ailleurs, l'aspect collectif de la
Commission doit prendre plus d'importance.
Il me semble, monsieur le ministre, que le Gouvernement français pourrait
saisir l'occasion de cette crise pour faire des propositions. En effet, on ne
saurait laisser subsister une vacance de l'ensemble des institutions
européennes. Peut-être cette crise permettra-t-elle d'accélérer la réforme des
institutions, à laquelle nous sommes tous attachés ?
M. Aymeri de Montesquiou.
Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade.
J'en arrive au voeu que je souhaite présenter pour conclure mon intervention,
même si, je le sais, il ne ralliera pas une très large majorité.
M. Serge Vinçon.
Sait-on jamais ?
(Sourires.)
M. Jean-Pierre Fourcade.
Comme l'a dit M. François Bayrou à l'Assemblée nationale et ainsi que l'a
proposé ici même le président Vaclav Havel, le traité d'Amsterdam devrait
marquer la fin de la construction de l'Europe par le biais des traités.
Mes chers collègues, chacun ici est attaché à la politique agricole commune,
même si nous sommes soucieux de préserver les souverainetés nationales. Cette
fantastique contradiction, qui traverse tout le paysage politique français, me
paraît toujours quelque peu amusante. Nous avons fait suffisamment de progrès,
nous avons mis en oeuvre suffisamment de politiques communes pour pouvoir
envisager la préparation d'une constitution européenne écrite de manière
lisible et compréhensible par tous.
Il est sûrement utopique de faire une telle proposition aujourd'hui, mais le
passage de négociations complexes conduites par des experts prudents à
l'élaboration d'une véritable Constitution marquera, pour nos concitoyens comme
pour les autres Européens, un véritable changement. Dimension politique,
subsidiarité et Constitution, tels sont les trois élements majeurs d'une
avancée de la politique européenne, à laquelle, pour ma part, j'apporterai mon
entier soutien.
L'Europe est riche de mécanismes, d'institutions, de systèmes. Notre objectif
essentiel doit être de lui donner un sens et une dimension politique. C'est
pour les jeunes générations que nous travaillons, c'est pour elles que nous
tenons à dépasser les objectifs, parfois jugés trop monétaristes, pour leur
proposer demain des emplois compétitifs et une responsabilité politique à
l'échelle du continent européen.
L'entrée réussie de l'euro et l'échec renouvelé au Kosovo indiquent les deux
bornes de la construction européenne. Elles marquent le chemin qui nous reste à
accomplir. C'est pourquoi mes collègues du groupe du Rassemblement démocratique
et social européen apporteront leurs suffrages au projet de loi autorisant la
ratification du traité d'Amsterdam.
(Applaudissements sur certaines travées
du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. -
Mme Dieulangard applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi qui nous réunit aujourd'hui, adopté par l'Assemblée nationale, et
autorisant la ratification du traité d'Amsterdam, représente un enjeu
considérable pour notre pays.
Nous le savons, le traité d'Amsterdam, signé le 17 juin 1997, doit, pour
entrer en application, être préalablement ratifié par chacun des pays de
l'Union européenne, sans exception. A l'heure actuelle, tous les pays membres
l'ont effectivement ratifié, à l'exception de la France. Singulière situation
pour notre pays qui veut être le moteur de l'Europe. Peut-être est-ce la marque
de sa prudence ? Maintenant, mes chers collègues, faisons parler la raison et
autorisons la ratification du traité d'Amsterdam qui ouvre une nouvelle page de
l'histoire de l'Europe en affirmant l'ambition de la France.
Le traité d'Amsterdam est l'aboutissement de la Conférence
intergouvernementale prévue par le traité de Maastricht, de façon à le
remplacer. Ce dernier, rappelons-le, instaurait l'Union européenne le 7 février
1992. Il reposait sur trois piliers, le premier étant constitué des Communautés
européennes, le deuxième concernant la politique étrangère et de sécurité, le
troisième la justice et les affaires intérieures.
L'objectif du traité d'Amsterdam est de consolider ces trois piliers. Ses
apports se situent dans quatre domaines : placer l'emploi et les droits des
citoyens au coeur de l'Union ; supprimer les dernières entraves à la libre
circulation et renforcer la sécurité ; permettre à l'Europe de mieux faire
entendre sa voix dans les affaires internationales, en simplifiant les
procédures de décision dans ce domaine ; enfin, rendre plus efficace
l'architecture de l'Union en vue de son élargissement.
Le traité d'Amsterdam démontre la volonté de prendre en compte les fortes
demandes sociales qui sont exprimées par les citoyens. Avec vingt millions de
chômeurs dans l'Union européenne, le chômage constitue le problème économique
et sociale le plus préoccupant. Il représente en effet un véritable fléau à la
fois humain et économique. Humain d'abord, si l'on considère la perte de
reconnaissance sociale qu'il représente et les répercussions sur la cellule
familiale qui, je ne peux m'empêcher de le rappeler, est la base de notre
société.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Serge Vinçon.
Economique ensuite, dans la mesure où il est un fardeau pour les finances
publiques.
Plus que jamais, l'Union européenne doit jouer un rôle moteur en matière de
politique de l'emploi et de lutte contre le chômage. Le traité d'Amsterdam lui
en donne les compétences. A titre d'exemple, je citerai celle qui prévoit la
mise en place d'une coordination des politiques de l'emploi, avec, en
particulier, l'adoption par le Conseil de lignes directrices annuelles dont les
Etats membres de l'Union européenne sont invités à tenir compte.
Tous ici nous sommes persuadés que l'Europe ne peut se permettre de regarder
les Etats-Unis gérer les crises à sa place, encore moins de subir éternellement
l'hégémonie américaine en matière de défense. Dans ce domaine également le
traité d'Amsterdam met en place des outils permettant de faire naître, enfin
pourrions-nous dire, cette politique européenne et de sécurité commune que nous
appelons de nos voeux. En effet, il prévoit notamment la possibilité de définir
pour les Quinze des stratégies communes par le biais du Conseil européen. Cette
décision ne pourra être prise qu'à l'unanimité, mais les Etats qui le
souhaitent pourront adopter une attitude d'abstention constructive. Il crée,
par ailleurs, une unité de planification et d'alerte rapide, capable de donner
les analyses communes et les impulsions nécessaires à la PESC. Il dote enfin
l'Union européenne d'un haut représentant pour la politique étrangère, qui
travaillera à la cohérence diplomatique et à la mise en oeuvre des stratégies
communes.
Afin que l'Union européenne puisse disposer en propre d'une double capacité à
décider et à agir et participer activement à l'équilibre géopolitique de la
planète, il est urgent de donner à la politique européenne et de sécurité
commune toute sa crédibilité. Ainsi, l'Europe pourra non seulement prévenir les
conflits, mais également être un acteur majeur et incontournable sur la scène
internationale. C'est bien évidemment l'une des raisons pour lesquelles la
ratification du traité d'Amsterdam s'impose.
C'est dans le domaine de la sécurité, de la justice et de la liberté de
circulation dans un espace sans frontières que le traité d'Amsterdam présente
les avancées les plus importantes. La réforme prévue doit permettre une mise en
commun des moyens et des expériences dans ces domaines, afin d'améliorer et de
coordonner l'efficacité des politiques nationales.
Le traité prévoit l'unanimité comme seule modalité de décision, au moins
pendant cinq ans, pour les questions relatives au droit d'asile, à
l'immigration, à la libre circulation et à la coopération policière et
judiciaire. Aucune décision ne peut être adoptée contre l'avis d'un Etat, même
si celui-ci est isolé dans son refus. Passé le délai de cinq ans, le Conseil
peut prendre des décisions à la majorité qualifiée. Disons-le sans ambages,
nous regrettons que l'amendement déposé par le groupe du Rassemblement pour la
République lors du débat sur la révision constitutionnelle n'ait pas été
retenu.
M. Michel Caldaguès.
Très bien !
M. Serge Vinçon.
Il donnait au Parlement l'occasion de prendre toute sa place pour légitimer le
Gouvernement dans sa décision de passer ou non à la majorité qualifiée. Ce vote
solennel aurait traduit la volonté du peuple français exprimée à travers ses
représentants. Il aurait eu non pas seulement une portée symbolique, mais bien
une dimension politique incontestable et utile, j'en suis sûr, pour le
Gouvernement.
M. Michel Caldaguès.
On ne saurait mieux dire !
M. Emmanuel Hamel.
Alors, il faut voter « non » !
M. Serge Vinçon.
Néanmoins, nous ne pouvons pas imaginer qu'un gouvernement, quel qu'il soit,
fasse fi, à cette date, de l'avis du Parlement qui, de toute façon, pourra
provoquer un débat sur le sujet.
L'Union européenne est à un tournant crucial de son histoire. Après
l'instauration de l'euro, il lui reviendra, dans les prochaines années, de
gagner le pari de l'élargissement à l'Europe centrale et orientale. Pour y
parvenir, elle doit réformer ses institutions, tant il est vrai que
l'élargissement ne peut se faire au détriment du processus d'intégration.
L'Union européenne, nous le savons, fonctionne déjà difficilement à quinze, et
ne pourra en aucun cas remplir correctement ses missions avec deux fois plus
d'Etats membres si ses institutions et mécanismes ne sont pas réformés. Le
Président de la République le répète sans cesse : une réforme institutionnelle
est indispensable avant tout élargissement. Comment imaginer qu'il ne soit pas
impératif de modifier la pondération des voix au Conseil des ministres ? Si
cette réforme institutionnelle n'était pas accomplie, l'Europe risquerait une
véritable paralysie.
Il est rassurant de constater que le traité d'Amsterdam a su prévoir une
situation aussi délicate. En effet, un protocole spécial y stipule qu'au moins
un an avant que le nombre d'Etats membres n'excède vingt une nouvelle
conférence intergouvernementale se réunira afin de procéder à une révision
d'ensemble du fonctionnement des institutions. L'article additionnel rappelle
cette exigence du Président de la République.
Adopter le projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam est
une nécessité tant il est vrai que, aujourd'hui, enjeu national et enjeu
européen sont en permanence étroitement liés, tant il est vrai, également, que
l'engagement national et l'engagement européen sont indissociables, tant il est
vrai, enfin, que l'avenir de la France et l'avenir de l'Europe ne font
qu'un.
En 1958, le général de Gaulle a été l'un des artisans les plus énergiques de
la construction de l'Europe en permettant à la France de participer à la
Communauté économique européenne dès son origine et conformément au traité de
Rome signé un an plus tôt. En 1968, et toujours sous la présidence du général
de Gaulle, l'Union douanière décidée élimine les droits de douane
intra-communautaire. En 1972, alors que Georges Pompidou est au pouvoir, la CEE
s'élargit au Danemark, à l'Irlande et au Royaume-Uni.
En 1986, le Premier ministre, Jacques Chirac, autorise la constitution d'un
grand marché grâce à l'Acte unique européen. Enfin, sous la présidence de
Jacques Chirac, l'euro a été mis en vigueur. La France fait partie des onze
pays sélectionnés grâce à l'excellente gestion économique et financière entamée
par Edouard Balladur et poursuivie par Alain Juppé.
Si je rappelle ces faits, c'est pour indiquer, d'une part, que la France a été
présente dans chaque étape décisive de la construction européenne et, d'autre
part, que les gaullistes ont pris une place éminente et détermimante dans les
décisions importantes. Il convient de rappeler également, par souci
d'objectivités l'action de Valéry Giscard d'Estaing, alors Président de la
République, au sommet de Paris, en 1974, pour favoriser l'élection au suffrage
universel du Parlement européen.
Le Président de la République nous a invités, le 2 mars dernier, à autoriser
la ratification du traité d'Amsterdam, en déclarant notamment ceci : « Le
destin de la France n'a jamais été de se replier sur son hexagone. Il est au
contraire de se projeter vers l'extérieur et de faire vivre et partager ses
idéaux ».
Nous avons compris son message : nous ne devons pas nous complaire dans
l'examen des lacunes passées ou dans un diagnostic aussi vain qu'inutile des
insuffisances à venir de l'Europe, nous devons nous donner les moyens de
remédier à ses carences et multiplier ses atouts de façon qu'elle réponde aux
besoins de la France, à ses réalités humaines en même temps qu'à sa vocation
d'incarner un modèle culturel, politique et social qui lui soit propre. C'est
enfin parce que nous faisons confiance au Président de la République que nous
approuvons ce projet de loi.
(Applaudissements sur certaines travées du RPR,
des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment
rapprocher les citoyens de l'Union européenne en construction ? C'est un des
défis, et non des moindres, que dut relever la conférence intergouvernementale
qui devait aboutir à la signature du traité d'Amsterdam.
Un tel doute existentiel, quarante ans après la signature du traité de Rome,
pourrait prêter à sourire s'il n'était révélateur d'un certain malaise qui a
fini par caractériser la perception qu'ont les citoyens de l'évolution de
l'Union européenne. Ceux-ci, dans leur diversité, manifestent tantôt un
désintérêt pour des décisions qu'ils jugent trop lointaines et peu lisibles,
tantôt une méfiance, voire une hostilité. Et pourtant, ils adhèrent en grande
majorité au projet aussi révolutionnaire et ambitieux qu'est la monnaie unique
tout en déplorant parfois, en matière de politique étrangère, ce qu'ils
percoivent comme une paralysie des partenaires européens dans les conflits qui
éclatent à nos portes.
En effet, durant plus de trente ans, la concrétisation de la dimension sociale
de l'Europe fut occultée par l'édification d'un grand marché unique, voire
instrumentalisée à son profit, inspirée trop exclusivement par une logique de
marché et de compétitivité.
Or cette tendance demeure : ainsi, dans le projet de directive sur la
consultation et l'information des travailleurs que nous venons d'examiner au
sein de la délégation pour l'Union européenne, le dialogue social est, certes,
au coeur du dispositif ; mais c'est pour mieux le replacer dans le cadre du
renforcement de la compétitivité de nos entreprises et de l'accompagnement des
mutations que seront amenés à connaître les salariés.
Nulle part n'est évoqué le simple respect de règles de démocratie au sein de
l'entreprise alors que cela fait également partie intégrante du modèle social
européen que nous entendons défendre et promouvoir, face à des références
venues d'outre-Atlantique, ou dans la perspective de l'élargissement à nos
voisins de l'Europe centrale et orientale.
Le traité d'Amsterdam va-t-il apporter des progrès en termes de lutte contre
le chômage, contre les exclusions ?
M. Emmanuel Hamel.
Non !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Il n'est qu'une étape - vous l'avez rappelé, monsieur le ministre - mais il
devrait permettre, sur ces points, de rééquilibrer la construction européenne
en contrebalançant le poids des objectifs économiques et monétaires au profit
d'un projet plus citoyen dont on sait qu'il est conditionné par la réalisation
d'objectifs de cohésion sociale.
Cette entreprise repose pour l'essentiel sur le volontarisme politique de
nouvelles équipes, telles que celles qui ont été élues au cours de ces trois
dernières années.
Ainsi, dès juin 1997, au cours du sommet d'Amsterdam, Lionel Jospin a souhaité
mobiliser ses partenaires par le biais de la résolution sur la croissance et
l'emploi afin de démontrer que les objectifs de l'Union européenne ne se
résument pas aux seuls préceptes du pacte de stabilité.
Mais c'est surtout la décision commune d'anticiper la mise en oeuvre des
nouvelles dispositions du traité relatives au volet emploi qui est la plus
significative de cette volonté des gouvernements.
Parvenir à un niveau élevé de l'emploi est tout d'abord érigé au rang
d'objectif prioritaire de l'Union européenne. A cette fin, la démarche retenue
par les Etats membres repose sur deux orientations fondamentales : la
coordination des politiques nationales, d'une part, la prise en compte de
l'effet sur l'emploi de l'ensemble des politiques européennes, d'autre part.
Cette stratégie contourne le débat classique sur la nature
intergouvernementale ou supranationale des politiques engagées à l'échelon
européen ; elle s'appuie sur l'idée que l'efficacité de politiques nationales
peut également dépendre de convergences organisées entre partenaires
européens.
Cette stratégie n'est pas totalement nouvelle puisque le sommet d'Essen, en
1994, avait permis d'expérimenter des mécanismes de coordination.
Claude Estier a déjà eu l'occasion d'exprimer la déception des sénateurs
socialistes qu'un tel consensus ait été obtenu sans augmenter le poids
budgétaire de cette politique.
En effet, les actions d'encouragement que le Conseil peut désormais définir à
la majorité qualifiée, en codécision avec le Parlement européen, et qui
devraient permettre de faciliter l'échange d'informations et de soutenir des
projets pilotes seront à la fois limitées dans le temps - cinq ans au maximum -
et dans leur niveau d'engagement financier. En effet, ce financement est imputé
sous la rubrique 3 des perspectives financières qui représentent 6 % environ du
budget communautaire.
Les lignes directrices pour l'emploi qu'arrête chaque année le Conseil, à la
majorité qualifiée, sont l'instrument privilégié de cette nouvelle politique.
Elles sont élaborées par la Commission, après une vaste consultation du
Parlement européen, du comité économique et social et du comité des régions ;
elles sont fondées sur l'examen des situations et des politiques nationales.
La procédure organisée pour ces lignes directrices peut s'apparenter à celle
qui a été adoptée pour le suivi des politiques macro-économiques.
En effet, un pays qui prendrait trop de distance avec ces lignes directrices
encourt le risque de se voir rappeler à l'ordre par ses partenaires, au travers
de recommandations.
Mais le parallèle s'arrête là, car ces recommandations ne sont ni rendues
publiques ni assorties de sanctions. Par ailleurs, le comité de l'emploi, qui
sera la cheville ouvrière de ce système, ne dispose pas de la même latitude que
le comité monétaire.
Il reste donc bien des pierres, dont certaines angulaires, à apporter à cet
édifice.
Les dix-neuf lignes directrices qui ont été définies pour 1998 s'articulent
autour de quatre grands axes : l'amélioration de la capacité d'insertion
professionnelle, le développement de l'esprit d'entreprise, l'encouragement à
la capacité d'adaptation des entreprises et des travailleurs, ainsi que le
renforcement des politiques en faveur de l'égalité des chances.
Les lignes directrices pour 1999 se fondent sur ces mêmes objectifs-cadres.
Je reviendrai brièvement sur le plan d'action national qu'a présenté Martine
Aubry pour l'année dernière et qui en est la traduction concrète.
Ainsi, la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions a mis en
place des mécanismes qui concourent à l'amélioration de l'insertion
professionnelle de deux catégories particulièrement vulnérables : les jeunes et
les adultes en chômage de longue durée.
Il s'agit du programme TRACE, ou trajet d'accès à l'emploi, du contrat de
qualification pour adulte et du « nouveau départ » qui est proposé à tout
chômeur de longue durée.
Par ailleurs, le nouveau système d'avances remboursables pour les jeunes ou
les bénéficiaires de minima sociaux, le soutien à l'innovation technologique
pour les cadres et les chercheurs participent à la politique d'encouragement à
la création d'entreprises.
La Commission a procédé, en juin dernier, à un bilan à mi-parcours des
différents plans nationaux. Elle a d'ailleurs salué la démarche suivie par le
gouvernement français.
Elle a regretté, en revanche, que la question de la conciliation de la vie
professionnelle et familiale ne soit pas suffisamment appréhendée.
Le gouvernement français a souhaité, dans un premier temps, faire un état des
lieux de l'ensemble des problèmes que soulevait cette légitime aspiration
qu'ont de plus en plus de salariés et que vivent avec une acuité particulière
les femmes.
Mme Majnoni d'Intignano a communiqué son rapport la semaine dernière. Le
Parlement aura prochainement l'occasion de se saisir de ses réflexions et nous
pourrons travailler autour de propositions concrètes qui ne devront pas
concerner seulement les femmes.
Je souhaite revenir également sur une suggestion formulée en 1998, mais aussi
en 1999 : le nécessaire développement de l'emploi dans les services.
En effet, le Premier ministre, Lionel Jospin, a obtenu, en décembre dernier,
que la baisse de la TVA sur les services à forte intensité de main-d'oeuvre
fasse l'objet d'une directive afin d'expérimenter, sur les trois ans, la
création d'emplois dans les secteurs tels que l'aide à domicile, mais aussi les
travaux de réparation et de rénovation. Il s'agit à la fois d'exploiter le
gisement d'emplois que représentent ces différentes activités et de combattre
les circuits parallèles qui échappent à la légalité. Cette initiative démontre
que la fiscalité peut-être orientée dans un sens plus ciblé sur l'emploi.
Convient-il, dans le cadre de ce volet emploi social, de fixer des objectifs
quantifiés, à l'image de ce qui existe en matière de convergence économique
?
La question s'était déjà posée lors de la négociation du traité de Maastricht
; elle a resurgi au cours des discussions sur le traité d'Amsterdam ; elle
demeure, alors que les partenaires européens esquissent ce qui sera le pacte
européen pour l'emploi.
Rappelons tout d'abord que certains objectifs sont déjà assortis d'une sorte
d'obligation de résultat, ainsi que d'un calendrier. C'est le cas des
dispositifs consacrés aux « nouveaux départs » que doivent mettre en place les
pouvoirs publics à destination des chômeurs de longue durée ou des jeunes. Il
est également demandé que le nombre de chômeurs bénéficiant d'une formation
soit augmenté de 20 %.
Toutefois, nos marchés du travail demeurent très différents. Le chômage est en
baisse en Europe avec un taux moyen de 9,6 %, il frappe tout de même plus de 16
millions de personnes, et les situations sont disparates : l'Espagne compte
encore plus de 17 % de chômeurs alors que les Pays-Bas n'en ont que 3,6 %.
Ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le souligner au cours d'une récente
réunion de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, la reprise de
l'emploi en France se traduit, par exemple, par une forte augmentation des
missions d'intérim, alors même que l'Italie vient à peine d'autoriser cette
organisation de travail atypique.
Il faut cependant noter qu'un accord est intervenu entre partenaires sociaux
sur un encadrement minimum des contrats à durée déterminée. Toutefois, les
législations du travail demeurent globalement très différentes et, pour
l'heure, il n'est pas question - et on peut probablement le regretter - de se
lancer dans une entreprise de rapprochement de ces législations.
Le traité d'Amsterdam réaffirme par ailleurs la nécessité d'intégrer dans
l'ensemble des politiques communautaires la préoccupation de l'emploi.
A cet égard, nous avons souvent rappelé notre attachement à voir se
concrétiser le projet de grands travaux en matière d'infrastructures et de
télécommunications qu'avait souhaité lancer Jacques Delors. Cette initiative
s'est heurtée aux réticences de certains Etats membres en raison de son coût.
Certaines pistes telles que l'emprunt peuvent être toutefois explorées.
D'autres secteurs d'activité aussi prometteurs que les technologies de
l'information ont également besoin d'un soutien important de l'Union
européenne, qui viendrait conforter des entreprises européennes disposant
d'atouts évidents.
Permettez-moi une remarque sur cette orientation : alors qu'il a été prévu que
le Conseil Ecofin s'associe aux travaux du Conseil affaires sociales dès lors
qu'il s'agit de fixer les lignes directrices en matière d'emploi, la réciproque
n'est pas reconnue et les ministres des affaires sociales ne participent pas
aux rencontres de leurs collègues en charge de l'économie lorsque ceux-ci
statuent sur les grandes orientations économiques.
Cette question de procédure, apparemment anodine, est, me semble-t-il,
paradoxale au regard des objectifs proclamés.
J'en viens maintenant au volet de la politique sociale.
L'innovation réside, selon moi, dans trois faits majeurs. Avant tout, le
traité d'Amsterdam procède à une « validation », voire à une légitimation de
différents textes clés pour le développement d'une politique sociale en Europe.
Je pense, bien sûr, à l'intégration du protocole social annexé au traité de
Maastricht, mais aussi à la charte sociale européenne de Turin de 1961, ou à la
charte sociale des droits sociaux de 1989.
Au Conseil, l'unanimité reste requise, par exemple, pour les questions
relatives à la sécurité sociale, aux ressortissants des pays tiers, au droit de
grève. La majorité qualifiée s'applique, en revanche, pour les questions
d'hygiène et de sécurité, d'information et de consultation des travailleurs, ou
d'égalité des chances entre les femmes et les hommes. Il faut noter, sur ce
dernier point, que les actions de discrimination positive s'adressent non plus
aux seules femmes, mais aux représentants du sexe sous-représenté dans une
activité professionnelle.
La lutte contre l'exclusion sociale, qui avait été quelque peu paralysée par
le refus des gouvernements britannique et allemand de débloquer les programmes
de lutte contre la pauvreté, trouve également un ancrage dans le nouveau traité
d'Amsterdam.
C'est sur les questions relevant de la majorité qualifiée que la procédure de
codécision avec le Parlement européen s'appliquera. Cette avancée devrait
contribuer à remédier au déficit démocratique qui a caractérisé le
fonctionnement des institutions européennes pendant de trop longues années.
Enfin, le renforcement de la dimension sociale de l'Union européenne passe
également par les services d'intérêt général. Alors que leur existence avait
été régulièrement remise en cause lors des précédentes initiatives, largement
inspirées par une doctrine ultra-libérale, ils voient leur rôle pleinement
reconnu ; ils figurent parmi les valeurs communes de l'Union et concourent à la
« promotion de la cohésion sociale et territoriale ».
Le récent débat sur la modernisation d'EDF, les mesures adoptées pour le
maintien de l'approvisionnement des populations les plus vulnérables, la
nécessité d'assurer un approvisionnement sur tout le territoire, tout cela a
permis de démontrer que de telles exigences étaient au coeur du service public,
même après l'ouverture du marché à la concurrence.
Je terminerai en rappelant qu'un traité, tout comme une loi, ne vaut que par
la manière dont on le fait vivre.
Nous avons mis l'emploi au coeur des priorités européennes, et nous
continuerons à le faire. Cette proclamation solennelle ne fait pas l'impasse
sur les initiatives qui ont été développées ces dernières années ; elle met en
exergue, toutefois, la façon dont cette exigence avait été reléguée au second
plan de la construction européenne.
Nous avons des outils à notre disposition. Ils sont relativement modestes,
mais ils s'inscrivent parfaitement dans la démarche des stratégies communes
qu'ont entendu privilégier les gouvernements.
Nous avons la volonté politique de relier union économique et lutte contre le
chômage ; cette stratégie anime d'ailleurs, selon les derniers échos, les
propositions qui figureront prochainement dans le cadre du pacte européen pour
l'emploi, dont vous pourrez peut-être nous parler, monsieur le ministre.
C'est pour ces différentes raisons que les sénateurs socialistes ratifieront
le traité d'Amsterdam.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
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