Séance du 17 décembre 1998
M. le président. « Art. 1er. - I. - A l'article 88-2 de la Constitution, les mots : "ainsi qu'à la détermination des règles relatives au franchissement des frontières extérieures des Etats membres de la Communauté européenne" sont supprimés.
« II. - Il est ajouté à ce même article un alinéa ainsi rédigé :
« Sous la même réserve et selon les modalités prévues par le traité instituant la Communauté européenne, dans sa rédaction résultant du traité signé le 2 octobre 1997, peuvent être consentis les transferts de compétences nécessaires à la détermination des règles relatives à la libre circulation des personnes et aux domaines qui lui sont liés. »
Sur l'article, la parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Beaucoup a déjà été dit dans cette discussion sur les transferts de souveraineté nationale. Je ne reviendrai pas sur les arguments développés par mes amis Michel Duffour et Marie-Claude Beaudeau, qui ont démontré en quoi les abandons de souveraineté dans le cadre de la construction européenne actuelle constitueraient de mauvais coups pour les peuples européens.
Ma présente intervention aura pour unique objet de pointer du doigt un débat qui nous semble fortement porteur de dissimulation, voire d'hypocrisie, je veux dire la distinction entre transfert de compétence et transfert de souveraineté.
Il serait, à mon sens, tout à l'honneur de notre assemblée d'éclairer notre pays sur ce débat, d'apparence extrêmement technique, mais en fait lourd de conséquences pour l'avenir de la France.
Alors que chacun parle de la souveraineté nationale, la Constitution dans ses articles 88-1 et 88-2 n'évoque que les seules compétences. Pourtant comme l'indiquait M. Larché dans son excellent rapport de 1992, il existe « une différence fondamentale de nature entre l'exercice en commun de certaines compétences étatiques et un transfert pur et simple de la souveraineté nationale ». Pour M. Larché, le transfert de compétences et leur mise en commun n'implique pas transfert de souveraineté. Comment expliquez-vous, chers collègues, que le débat porte, au sein tant du Conseil constitutionnel que du Parlement, sur la portée même du transfert de souveraineté ?
M. le doyen Georges Vedel nous rappelle qu'aucun traité n'est irréversible. Or, nombreux sont ceux qui ne jurent aujourd'hui que par l'irréversibilité du processus de Maastricht et d'Amsterdam. Comme on le dit communément, il est temps d'appeler un chat un chat. Ce qui nous est proposé constitue non pas seulement un transfert de compétences, mais bien un transfert de souveraineté sur lequel le peuple devrait être consulté.
Il faut cesser de brouiller les pistes, de noyer le poisson. Ce qui nous est proposé aujourd'hui, c'est de transférer le pouvoir du peuple français de décider de telle ou telle question au profit d'une entité, l'Europe, qui, aujourd'hui, ne fonctionne pas sur les principes élémentaires de démocratie.
C'est en lien avec ces réflexions que nous proposons, à l'occasion de l'examen de cet article, d'insérer une référence au contenu même du compromis de Luxembourg, principe qui constitue l'ultime recours de la souveraineté nationale. Ce principe - je le rappelle - permet, quand la majorité qualifiée est prévue, de demander l'application de la règle de l'unanimité lorsqu'un pays estime des intérêts très importants en cause.
En conclusion, je souhaite que notre débat éclaire les Français.
Rien ne doit être dissimulé. Or nous avons parfois l'impression que, volontairement ou involontairement, la réalité des traités n'est révélée qu'une fois leur ratification intervenue, mais il est alors trop tard.
M. le président. Par amendement n° 5, MM. de Rohan, Barnier, Gélard et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent de compléter le texte présenté par le II de l'article 1er pour le second alinéa de l'article 88-2 de la Constitution par la phrase suivante : « Lorsque ces modalités laissent à l'appréciation du Conseil de l'Union européenne la décision de ne plus statuer à l'unanimité, le Gouvernement ne peut donner son accord à une telle décision qu'en vertu d'une loi ».
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Michel Barnier, Paul Masson et moi-même avons déjà présenté nos amendements à l'occasion de la discussion générale.
Il convient maintenant de justifier cet amendement n° 5, qui prévoit l'intervention obligatoire du Parlement lors du passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée en conditionnant la décision à l'adoption d'une loi.
L'article 88-2, dans sa rédaction actuelle, n'ouvre qu'une faculté : il dispose en effet que les transferts de compétences « peuvent être consentis » et non pas qu'ils « doivent être consentis ». Cela laisse donc la place à une liberté certaine non seulement du Gouvernement, qui jugera de l'opportunité de la décision, mais aussi, selon nous, du Parlement. En effet, et, sur ce point, personne n'a répondu à notre argumentation - ni M. le rapporteur, ni le Gouvernement - le traité n'impose en aucun cas une formule particulière de ratification. Le constituant qui doit modifier la Constitution demeure totalement libre de faire ce qu'il veut pour précisément mettre notre Constitution en harmonie avec les nouvelles exigences du traité.
Les arguments développés par M. le rapporteur et par Mme le garde des sceaux n'emportent absolument pas ma conviction. Il faut bien souligner que, dans ce domaine, nous restons libres. La meilleure preuve en est que nos partenaires européens, tels que l'Autriche, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et l'Allemagne, pour ne citer qu'eux, ont institué des procédures qui associent, à tous les stades, leur Parlement à la mise en place du traité d'Amsterdam.
Nous serions donc pratiquement le seul Etat à continuer comme par le passé. Une fois le traité ratifié, tout est terminé. Le Parlement n'a plus rien à faire. Il n'a plus qu'à regarder ce qui se passera à Bruxelles ou ailleurs.
Nous devons, comme nos partenaires européens, être associés à cette construction européenne. Et nous ne pouvons l'être que par une loi. Or, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux et M. le ministre nous ont tous trois affirmé qu'en tout état de cause le Gouvernement demanderait au Parlement une discussion, une résolution, un vote au moment où l'on passera de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée.
Pourquoi ne pas l'inscrire puisque nous sommes tous d'accord pour associer le Parlement ? Voilà qui solenniserait quelque peu le déroulement de cette construction européenne et renforcerait justement les liens qui existent entre le Parlement, la nation et le Gouvernement en ce domaine.
Une multitude d'arguments nous ont été opposés. En réalité, il n'y en a qu'un seul : on veut faire vite : on veut faire voter un texte conforme parce que l'on veut démontrer que les Français sont les meilleurs Européens de la terre. Est-ce ainsi qu'on travaille ? Le travail vite fait est rarement bon. Je suggère plutôt que nous prenions notre temps, que nous réfléchissons, que nous étudiions les conséquences.
On ne peut plus, au stade actuel de la construction européenne, continuer comme par le passé en utilisant exclusivement les arguments du droit international public. La construction de l'Europe ne relève pas de celui-ci. Elle mérite plus d'égards ; elle mérite que le Parlement soit associé.
Nous demandons simplement que, au moment du passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée, le Parlement soit associé à la décision. Est-ce trop demander ? Faut-il à tout prix sauter tout de suite dans l'inconnu ? (« Très bien ! » et applaudissements sur certaines travées du RPR.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. J'ai déjà eu l'occasion, dans mon exposé général, d'expliquer les raisons pour lesquelles la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, tout en comprenant d'ailleurs l'esprit qui le sous-tend.
La question ne peut être résolue en disant simplement qu'il s'agit d'une question de politique étrangère, de traités qui relèvent donc du Gouvernement. Il existe en effet une nouvelle catégorie juridique à laquelle nous ne sommes pas habitués ou du moins qui n'a pas encore de contours bien définis : il s'agit de celle des actes qui, même s'ils résultent des traités, revêtent une telle importance dans notre droit interne qu'ils sont à la fois des actes de droit interne et des actes de droit externe. Il en résulte un véritable problème.
J'ai expliqué les raisons pour lesquelles l'habilitation parlementaire ne me semblait pas être une réponse adéquate. Sans revenir sur ce que j'ai déjà dit, je formulerai deux réflexions.
Tout d'abord, n'exagérons rien, cher monsieur Gélard. Il ne faut pas dire que nous nous en remettons à l'intergouvernemental. En effet, il s'agit uniquement du passage d'un système de vote à un autre, passage qui ne peut intervenir qu'après une période de cinq ans. Pendant ces cinq années, un certain nombre de mesures seront adoptées et le passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée servira d'argument de négociation. Il est difficile d'imaginer la façon dont les choses évolueront mais il n'y aura pas un vide pendant cinq ans puis, soudain, une avalanche de textes.
L'essentiel, ce sont les décisions qui seront prises soit à l'unanimité pendant ces cinq ans, soit à la majorité qualifiée après cette période. Mais ces décisions-là, nous ne les ignorerons pas. En effet, elles feront l'objet de directives, qu'il faudra transposer dans notre droit interne et dès lors nous en connaîtrons. Ces directives porteront sur le fond de la question et non sur les modalités de la décision. Dans la mesure où elles modifieront nécessairement notre législation, nous devrons les transposer et, alors, nous en débattrons. Il y aura des lois de transposition en droit interne qui pourront être soumises au Conseil constitutionnel. Nous retrouverons donc là le processus de contrôle dont nous ne sommes pas privés, je me permets de le souligner, contrairement à ce que vous avez affirmé tout à l'heure.
Enfin, je formulerai une dernière réflexion qui dépasse un peu le cadre de ce débat, mais il n'est pas interdit de réfléchir de manière un peu prospective.
Il est vrai que se pose un problème de participation du législatif à l'échelon européen. Nous n'avons pas de raison de laisser le Gouvernement prendre des décisions sur des questions qui, dans notre tradition constitutionnelle comme dans celle de toutes les démocraties, relèvent du domaine législatif.
Comme un intervenant l'a très justement souligné hier, ce n'est pas par un retour aux différentes législations nationales que cette carence législative sera assumée à l'échelon européen. Elle le sera dans le cadre de la codécision, qui est loin d'être parfaite en ce sens qu'elle pose le problème de la participation d'un véritable Parlement européen au sein duquel la représentation française serait élue dans des conditions plus satisfaisantes du point de vue démocratique.
Comme il est de règle dans tous les ensembles plurinationaux - je n'irai pas jusqu'à dire dans tous les ensembles de type fédéral ; gardons-nous des querelles de mots - une chambre serait destinée à la représentation des Etats.
Au fur et à mesure que, par le deuxième et le troisième pilier, nous étendons les compétences de l'Europe à des questions qui sont par nature législatives, je suis de ceux qui pensent que le moment vient de réfléchir à la mise en place de cette seconde assemblée. Un peu à l'instar du Bundesrat allemand - je ne pense pas au Sénat américain - cette chambre représenterait non pas les gouvernements, qui siègent déjà au sein du Conseil des ministres, mais les parlements. Par leur délégation à cette assemblée, ces derniers seraient effectivement et concrètement associés dans le cadre d'une codécision qui aurait alors toute sa portée avec, d'une part, une assemblée représentant les peuples et, d'autre part, une assemblée représentant les Etats et leurs traditions propres. Ainsi, il serait donné satisfaction à une préoccupation qui me paraît en elle-même légitime, même si la solution proposée a fait l'objet d'un vote, je le rappelle, défavorable de la part de la commission des lois.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je me suis longuement exprimée dans mon discours introductif sur la position qu'a défendue M. Gélard.
Il propose de subordonner à l'adoption d'une loi la décision que prendra, dans cinq ans, le gouvernement français de passer à la procédure de la majorité qualifiée et de la codécision. Si nous révisons aujourd'hui la Constitution, c'est précisément parce que le traité ne prévoit pas une procédure particulière.
Par conséquent, si nous subordonnions au vote d'une loi l'action du Gouvernement dans cinq ans, nous rendrions totalement inutile et inopérante la révision que vous vous apprêtez à approuver aujourd'hui.
Les décisions que le Parlement est amené à prendre doivent être cohérentes. C'est pourquoi je suis opposée à cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5.
M. Pierre Lefebvre. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Nous ne voterons pas cet amendement présenté par le groupe du RPR.
Bien entendu, comme nous l'avons dit et répété, nous sommes favorables au renforcement du rôle du Parlement et au respect de la souveraineté nationale.
Nous ne pouvons pas pour autant accepter la démarche des auteurs de cet amendement qui, tout en acceptant le traité d'Amsterdam et le décalage persistant entre les peuples, leurs représentants et les centres de décision qu'il entérine, proposent de réintroduire la compétence du Parlement sur un point et un seul.
Nous estimons que la restauration des pouvoirs des parlements nationaux doit être globale ; elle ne doit pas porter sur un seul point alors que, par ailleurs, le train des abandons de souveraineté avance.
Nous ne voterons donc pas un amendement qui, sans être inintéressant, loin s'en faut, ne se démarque aucunement de la logique de fond du traité d'Amsterdam.
La réalité, c'est que les auteurs de cet amendement ont déjà décidé de voter ce projet de révision, de ratifier le traité. Quoi d'étonnant à cela puisque l'un d'entre eux figure au nombre des signataires du traité ?
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Lors de mon intervention hier soir, j'ai déjà eu l'occasion d'expliquer en quoi une telle proposition ne me paraissait pas conforme à l'équilibre traditionnel de notre Constitution. M. le rapporteur, tout comme Mme le garde des sceaux a excellemment démontré ce qu'il en était du passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée.
Je ne reprendrai pas les explications juridiques. Mais chacun se demande comment les choses vont concrètement se passer. Dans cinq ans, la décision sera éventuellement prise à l'unanimité - par conséquent, une voix suffira pour s'y opposer - de passer au système de la codécision et à la majorité qualifiée.
M. Gélard soutient que le Parlement doit autoriser le Gouvernement à prendre cette décision. Cela est absolument contradictoire avec l'article 52 de la Constitution concernant les pouvoirs du Président de la République, qui négocie et conclut les traités - ce qui signifie, en clair, que c'est là son domaine réservé - ainsi qu'avec l'article 20 de la Constitution relatif aux pouvoirs du Gouvernement qui, lui, détermine et conduit la politique de la nation.
Vous demandez au Parlement de voter une loi. Cela signifie que la majorité politique de l'Assemblée nationale adoptera une loi contraignant le Gouvernement, lequel, par définition, est en harmonie avec sa majorité. A quel moment peut-on imaginer une rupture d'harmonie ? Si cela se produisait, ce serait fatal au Gouvernement qui se permettrait d'agir ainsi contre sa majorité. Telle est la réalité. Pourquoi voulez-vous vous engager dans cette voie ? J'avoue ne pas comprendre.
De surcroît, vous voulez faire figurer dans notre Constitution la nécessité de demander au Parlement, c'est-à-dire en fait à la majorité de l'Assemblée nationale, une autorisation préalable. Non, cela ne s'est jamais produit dans nos Constitutions républicaines...
M. Jean Chérioux. Et les autres constitutions ?
M. Robert Badinter. Vous voulez parler des constitutions des autres Etats de l'Union ? Le Bundestag donne un avis.
M. Jean Chérioux. Monsieur Badinter, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Robert Badinter. Je vous en prie, mon cher collègue.
M. le président. La parole est à M. Chérioux, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean Chérioux. Mon cher collègue, vous êtes en train d'évoquer le passé. Or, nous sommes confrontés à un problème nouveau, celui de la construction européenne. On se réfère à une constitution qui a été élaborée avant la création de l'Europe, à une époque où n'existaient que la législation interne et les traités.
Maintenant, un nouveau droit est élaboré par les institutions européennes. En conséquence, nous avons besoin de nouvelles structures constitutionnelles pour y faire face. En effet, nous ne pourrons pas rester avec un système de ratification des traités alors que, en réalité, la législation européenne interfère avec la législation nationale. C'est là le fond du problème.
Vous pouvez dire que tel n'est pas l'esprit de la Constitution c'était vrai à l'époque, mais elle a besoin d'être mise à jour.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Badinter.
M. Robert Badinter. Je réponds toujours avec plaisir dans ces cas-là, car la réponse est simple. Lisez le texte de l'amendement ! Il ne vise ni à transférer une sorte de pouvoir législatif ni à envisager la création d'une législation dérivée à laquelle participerait le Parlement français.
Son objet est beaucoup plus simple : il s'agit d'un acte unique. Il s'agit d'une décision qui relève substantiellement du Président de la République et du Gouvernement. Et le Parlement devrait autoriser le Gouvernement à prendre une position dans le cadre d'une négociation internationale ? C'est absolument contraire à la lettre des articles 52 et 20. De plus, notre système parlementaire n'a jamais prévu de donner un mandat impératif à un Gouvernement de prendre une décision ou une position dans une négociation internationale. Cela ne se conçoit pas, pas plus dans ce domaine que dans aucun autre.
Evoquons ce qui se passe à l'étranger.
En Allemagne, au Bundestag, c'est un avis. C'est la même chose que ce que nous faisons par nos résolutions. A l'évidence, aucun gouvernement ne prendra le risque de s'exposer sans avoir préalablement recueilli, au cours d'un débat ou à l'occasion d'une résolution, un assentiment de la part de sa majorité. Revenons tout de même à ce qu'est la pratique réelle du Parlement et de ses rapports avec le Gouvernement.
En Espagne, c'est un avis. Je sais bien que les Britanniques ont d'autres vues, mais, pardonnez-moi de le dire, dans le cadre européen, ce n'est pas exactement notre modèle. Quant à l'Allemagne et au Bundesrat, je rappelle que c'est seulement dans le cas où il s'agit des intérêts vitaux des Länder que, pour des raisons constitutionnelles que l'on comprend, en vertu de l'article 22, paragraphe I, de la Loi fondamentale, le Gouvernement est tenu. Mais c'est lié à la structure fédérale allemande. Même les Espagnols n'en ont pas besoin. Cette disposition, je n'en vois pas l'utilité, mais j'en vois à coup sûr les inconvénients.
M. Michel Caldaguès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès. M. Michel Caldaguès. Depuis le début de ce débat, nous avons entendu nombre d'interventions hautement qualifiées des éminents juristes que la Haute Assemblée se plaît à compter en son sein.
S'agissant de celles qui ont exprimé le point de vue du Gouvernement et de sa majorité, peut-être ne les ai-je pas écoutées assez attentivement, mais je me pose une question. Le fait que, à Amsterdam, les gouvernements se soient donné la faculté de différer leur décision définitive jusqu'à l'expiration d'une période de cinq ans n'appelle aucune observation, et est considéré comme parfaitement justifié et normal. Dès lors, pourquoi les parlements ne pourraient-ils user de la même faculté et pour quelle raison cette possibilité fait-elle crier au scandale et à la volonté d'affaiblir l'Europe ? Je ne comprends pas, sauf à ce que l'on se refuse à franchir le premier pas, ou plutôt le deuxième, car l'article 88-4 est tout de même important, sauf donc à se refuser à franchir le deuxième pas important de la protection, et même de l'exaltation des droits du Parlement dans l'Europe nouvelle. Rendez-vous dans cinq ans, mes chers collègues ! Croyez-moi, ces droits du Parlement occuperont alors vos préoccupations ! Pourquoi se dérober au moment où cette occasion nous est offerte ?
Mais je voudrais aller plus loin, tout en respectant le temps de parole qui m'est imparti.
Ici, un certain nombre d'entre nous ont, aux yeux des Européens les plus convaincus, des antécédents un peu chargés, et j'en suis.
M. René-Pierre Signé. Vous n'êtes pas le seul !
M. Michel Caldaguès. Nous avions envisagé, très positivement, de voter la ratification, et j'en suis encore. Il y avait diverses raisons à cela.
D'abord, le peuple français a tranché. Il a arrêté une orientation pour l'Europe, de peu, mais il l'a fait. Il y avait aussi, pour nous, ce que j'appellerai des raisons de solidarité au plus haut niveau et on me comprendra. Il y avait également le réalisme, parce que l'Europe est en train de se faire ; on ne tourne pas le dos à ce qui se fait. Donc, notre évolution avait le sens d'une convergence.
Ayant siégé pendant plusieurs années à la délégation du Sénat pour l'Union européenne, je garde, je dois le dire, le meilleur souvenir de cette convergence qui s'est installée d'année en année. J'ai été très surpris de constater que les oppositions devenaient de moins en moins fortes.
Aussi, j'espérais que l'effort de convergence, en ce qui nous concerne, serait reconnu. Mais ce que je comprends de l'attitude de ceux vers lesquels nous convergions, c'est que le consensus, en fait, leur est indifférent. Ils n'en ont pas besoin et ils nous le font savoir en rejetant dans les ténèbres les amendements que nous déposons. Nous avons, nous aussi, le droit de défendre nos convictions et les amendements que nous déposons ne font aucunement grief à l'Europe. Je défie quiconque de prouver le contraire.
Je ne comprends pas leurs raisons. Je ne vois pas où est la fibre européenne dans cette façon de se comporter. J'essaie d'imaginer quelles sont les véritables raisons à l'arrière-plan. Ce que je sais, en tout cas, c'est qu'elles font bon marché des efforts de conviction et de réalisme que je viens d'évoquer. Si l'Europe ne vaut pas un effort pour favoriser le consensus, alors que vaut-elle, mes cher collègues ? Voilà quel est, à l'heure actuelle, mon état d'esprit, surtout après le vote qui vient d'intervenir sur la francophonie. Certes, l'amendement qui avait été déposé ne pouvait pas tout résoudre, mais songez à ce que peut être la portée d'un vote négatif comme celui-ci. Elle est très grave ! M. Jean-Jacques Hyest. Ce n'est pas nouveau !
M. Charles Pasqua. Si vous êtes content...
M. Michel Caldaguès. Mes chers collègues, tout ce que je viens de dire méritait d'être dit. Je tenais en effet à vous expliquer pourquoi les attitudes que j'ai évoquées conduiront un certain nombre d'entre nous à modifier leur vote sur l'ensemble, les uns émettant un vote négatif et les autres ne s'associant pas à la révision constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Philippe Adnot. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet amendement revêt, à mes yeux, une extrême importance. Un certain nombre d'arguments ont été développés et je pense que chacun a été sincère dans ses explications. Pour ma part, cet amendement représente en quelque sorte un garde-fou d'une grande importance pour l'avenir. En effet, il laisse ouvertes toutes les possibilités, mais il garantit que nous resterons très attentifs.
Je tiens à dire que si cet amendement n'était pas adopté, je ne voterais pas la révision constitutionnelle. (Applaudissements sur plusieurs travées du RPR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe du RPR et, l'autre, du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 58:
Nombre de votants | 302 |
Nombre de suffrages exprimés | 302 |
Majorité absolue des suffrages | 152 |
Pour l'adoption | 102 |
Contre | 200 |
Par amendement n° 10, Mme Luc, MM. Duffour et Bret, Mmes Beaudeau et Bidard-Reydet, M Bécart, Mme Borvo, MM. Fischer, Foucaud, Le Cam, Lefebvre, Loridant, Ralite, Renar et Mme Terrade proposent de compléter in fine l'article 1er par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - Il est ajouté à ce même article un alinéa ainsi rédigé :
« La France peut lorsqu'elle estime ses intérêts essentiels mis en cause s'opposer au recours à la procédure de la majorité qualifiée pour l'adoption d'une décision. »
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Mes chers collègues, cet amendement vise à inscrire, dans la Constitution même, le principe adopté en janvier 1966 par le Conseil des communautés européennes, habituellement dénommé « compromis de Luxembourg ».
Il s'agit de permettre à un pays membre d'invoquer la règle de l'unanimité, plutôt que celle de la majorité qualifiée, lorsqu'il considère qu'un intérêt très important ou essentiel est en cause.
Certains diront que vouloir inscrire un tel principe dans la Constitution est déraisonnable, voire fantaisiste.
Permettez-moi, pour couper court à de telles critiques, de vous citer une nouvelle fois, monsieur le président Larché.
En 1992, lors de votre rapport sur la révision relative au traité de Maastricht, vous indiquiez : « On aurait certes pu envisager de faire figurer les dispositions du compromis de Luxembourg dans la Constitution. Cette démarche apparaît toutefois inutile, du fait que l'aménagement de Luxembourg est toujours en vigueur et peut, le cas échéant, produire pleinement ses effets dans l'ordre juridique communautaire. »
Ce raisonnement était empreint d'une grande sagesse en 1992.
En 1998, la situation est-elle si différente ?
Nous devons nous prononcer, aujourd'hui avec la révision, demain avec la ratification, sur un traité qui modifie « l'ordre juridique communautaire » auquel vous faisiez référence, monsieur Larché.
La modification de cet ordre juridique se trouve notamment dans les pouvoirs nouveaux conférés à la Cour de justice européenne. Qui peut contester ici, chers collègues, à la lecture du traité lui-même, que, demain, la Cour de justice pourra statuer sur tout différend entre Etats membres concernant l'interprétation ou l'exécution des actes adoptés par le Conseil.
Et surtout, selon le protocole n° 7 joint au traité, la Cour de justice sera, de fait, le juge du principe de subsidiarité.
Pourra-t-on toujours, au nom du compromis de Luxembourg, constituer un arbitrage de la Cour de justice ?
Le doute est pour le moins permis, mes chers collègues.
Nous estimons donc nécessaire de réaffirmer avec force le dernier recours de la souveraineté que constitue cet accord en l'inscrivant dans la Constitution. Ce sera le moyen le plus sûr de rappeler à l'intérieur de nos frontières, comme à l'extérieur, la pérennité de ces dispositions.
En conclusion, je tiens à répéter avec force qu'affirmer haut et fort la nécessité vitale pour les peuples européens, pour notre peuple, de préserver son droit d'action à l'égard de la construction européenne n'est en rien contradictoire avec l'idée même d'une telle construction.
L'Europe de progrès, l'Europe sociale, l'Europe culturelle ne se développera pas si les droits élémentaires des peuples ne sont pas respectés.
Mes chers collègues, ne laissons pas ce combat pour la souveraineté de notre pays, pour le pouvoir du peuple aux mains de ceux qui haïssent les idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité.
L'amendement que nous vous proposons d'adopter à présent vise à affirmer l'attachement fondamental du Sénat au respect de la souveraineté nationale. (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission des lois s'est prononcée contre cet amendement. Elle considère en effet que le compromis de Luxembourg, qui est un principe tout à fait important en matière de négociation politique, doit, pour conserver sa véritable efficacité, garder ce caractère de principe ; il ne faut donc y toucher que d'une manière très discrète.
Une inscription dans notre droit positif de ce principe ne pourrait avoir, à notre avis, que des effets tout à fait regrettables et aboutirait d'ailleurs à en atténuer la vertu.
Rappelons-nous aussi que le négociateur et le signataire des traités est le Président de la République, élu au suffrage universel, et donc au même niveau de légitimité que nous. Nous pouvons donc sans doute faire confiance au Président de la République pour apprécier, en son âme et conscience et en fonction des responsabilités qui sont les siennes, quand les intérêts supérieurs de la France sont en cause. Laissons-lui cette marge de liberté et de responsabilité ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pierre Moscovici, ministre délégué. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement, précisément parce que le compromis de Luxembourg est un principe de négociation politique.
Je rappelle la nature de ce compromis : dès 1966, il s'agissait d'un accord sur le désaccord qui ne faisait pas obstacle à la poursuite des discussions.
Je crois donc que ce serait un contre-sens que de vouloir codifier ce principe, et qu'il serait infondé de l'introduire dans le traité ou dans la Constitution.
J'ajoute que ce compromis de Luxembourg est aussi une arme de dissuasion, et que la dissuasion n'est jamais meilleure que si l'on ne s'en sert pas ou si on le fait par surprise. Cette arme a été utilisée pour la dernière fois en 1989, par le Danemark, et la France avait menacé de l'utiliser en 1992, lors des négociations commerciales agricoles entre les Etats-Unis et l'Europe.
Le Premier ministre Pierre Bérégovoy avait réaffirmé, lors du débat de révision constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht, l'attachement de la France au compromis de Luxembourg en ces termes : « S'agissant du compromis de Luxembourg, clarifions les intentions des uns et des autres. La France n'a jamais renoncé et ne renoncera pas au droit de protéger, en cas de crise grave, ses intérêts fondamentaux. Demeure donc l'engagement mutuel des Etats de continuer à chercher un accord entre tous quand l'unanimité n'aura pas été recueillie et que l'application de la règle majoritaire mettrait en cause des intérêts jugés vitaux par l'un d'entre eux. »
C'est d'ailleurs dans un esprit analogue à celui du compromis de Luxembourg qu'ont été rédigées les dispositions du traité d'Amsterdam en matière de politique étrangère et de sécurité commune, la PESC, qui sont tout à fait spécifiques à ce deuxième pilier.
Bref, avant comme après Amsterdam, le compromis de Luxembourg demeure. Nous n'avons pas l'intention d'y renoncer, mais je crois que ce serait l'affaiblir que de l'évoquer hors de propos, à tout propos ou, encore, de l'inscrire dans la Constitution.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 10, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2