Séance du 10 décembre 1998
AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
Suite d'un débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
Nous reprenons le débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur
l'aménagement du territoire.
La parole est à M. Raoult.
M. Paul Raoult.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, l'aménagement
et le développement harmonieux du territoire national figurent parmi les
grandes préoccupations de nos concitoyens.
Devant les déséquilibres territoriaux et sociaux, devant la poursuite de la
concentration des hommes et des activités dans les grandes villes, face au
risque de déprise agricole et de désertification de certaines zones rurales,
une seule interrogation s'impose : comment agir efficacement pour maîtriser les
recompositions territoriales en cours ? Comment veiller à un équilibre
territorial qui assure l'égalité d'accès de tous les citoyens à la culture, à
la formation, à l'information et au développement économique ?
Et pourtant, la politique d'aménagement du territoire ne peut pas être
simplement et uniquement curative, avec pour seule vocation de rectifier les
déséquilibres issus d'un développement lié à une économie de marché. Elle doit
aussi être, par définition, une politique en amont, elle doit nécessairement
être préventive.
Les années soixante et soixante-dix ont connu une politique d'aménagement du
territoire tournée vers la redistribution des richesses par les réseaux de
villes, les villes nouvelles, les grandes infrastructures de transport, la
charte rurale, les plans d'aménagement rural, les centres républicains d'action
rurale et sociale et les parcs naturels nationaux et régionaux.
Cette politique a eu quelques effets bénéfiques. Mais elle a connu des
difficultés quant à sa mise en oeuvre dans la période de crise économique et
surtout de crise sociale qui s'est traduite par la montée du chômage, depuis
les années 1974-1980.
Libéralisation économique et privatisation, qui sont les réponses à la crise
dans toutes les grandes économies capitalistes, ont conduit à la mise entre
parenthèses de la politique d'aménagement du territoire au-delà des mots et des
incantations oratoires. Les fractures territoriales se sont aggravées, avec des
concentrations urbaines de plus en plus coûteuses, des dégradations de
l'environnement de plus en plus fortes.
Les ruptures économiques dans des secteurs comme la sidérurgie, l'industrie
charbonnière ou le textile ont conduit à une marginalisation de certaines
régions et à des reconversions territoriales extrêmement difficiles et
douloureuses.
La loi Pasqua, qui avait fait naître de grandes espérances ici ou là, a échoué
par manque de moyens et de volonté politique, ne serait-ce que parce que les
décrets d'application n'ont pas été publiés très rapidement. Retards et
hésitations ont fait de la loi Pasqua une coquille vide.
M. Adrien Gouteyron.
C'est faux !
M. Paul Raoult.
Aujourd'hui, le temps est venu de réagir. Le calendrier offre des opportunités
de réformes ambitieuses avec l'élaboration des prochains contrats de plan
Etat-région, la réforme des fonds structurels européens, le projet de loi
d'orientation agricole, le projet de loi sur l'intercommunalité et
l'organisation urbaine.
Votre projet de loi pour l'aménagement et le développement durable du
territoire doit marquer notre volonté de veiller à un équilibre ville-campagne.
Ces deux mondes ne peuvent plus, ne doivent plus s'opposer. Par nécessité, ils
doivent développer des complémentarités.
Le projet de loi doit aussi marquer une meilleure collaboration entre
l'intervention de l'Etat et celle des collectivités territoriales, qui sont
désormais plus impliquées dans l'élaboration des mesures à prendre. Les
prochains contrats de plan Etat-région devront en être une illustration
concrète.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Paul Raoult.
Madame le ministre, votre projet de loi doit assurer, sur le plan national, un
bon maillage du territoire en agglomérations et en pays. Cela nécessite de
trouver de nouvelles modalités de coopération autour des tissus de solidarité
qui naissent.
Nombre d'élus se posent cependant la question de la taille pertinente que
doivent atteindre les pays. La notion de pays reste floue, évasive ou
indéterminée.
Des questions restent en suspens. Qu'en est-il de la superposition des pays
avec des structures intercommunales ? Quelles relations les pays doivent-ils
avoir avec l'Etat, avec la région, dans la démarche de contractualisation et de
programmation ? Nous attendons des précisions dans ce domaine.
Dans la perspective d'un développement durable et d'une meilleure
qualification des territoires, il faut rendre compatibles la croissance, la
cohésion sociale et la protection des paysages.
Le territoire est non pas un simple support de développement économique, mais
un facteur de développement en soi. Il doit être considéré dans ses dimensions
économiques, culturelles, sociales et écologiques.
En sauvegardant la qualité du milieu, on créera un vrai potentiel de
développement durable qui tienne compte des besoins des entreprises sans mettre
en péril l'avenir des ressources naturelles. Il faut ménager la nature pour
mieux aménager le territoire.
Votre projet de loi doit engager aussi une forte et vraie participation
collective des citoyens à l'élaboration des territoires. C'est un impératif.
Il convient de mettre en oeuvre plus de concertation, de consultations des
citoyens. Auparavant, la démarche a été trop technocratique, l'intervention
trop sectorielle. Il faut un aménagement démocratique et décentralisé.
Si nous mettons en oeuvre ces outils, l'opposition ville-campagne tendra à
disparaître. Si la politique de pays et d'agglomérations se précise et
s'affirme, on pourra effectivement passer d'une politique de guichets à une
politique de projets de territoires cohérente et efficace.
Les pistes de développement doivent désormais se concevoir en synergie avec la
ville.
Dans le monde rural, le bourg-centre doit être le pivot de l'aménagement du
territoire. Il rend des services à la zone rurale, et vice versa. Le bassin de
vie dessine ainsi le lieu de nouvelles solidarités de proximité. C'est l'aire
de chalandise des équipements de base à partir de laquelle il convient de
maîtriser la programmation des nouveaux équipements. Ainsi peut naître une
volonté locale qui intégrera l'ensemble des schémas de services collectifs :
transports, santé, enseignement, énergie, espaces naturels, information et
culture.
A titre d'exemple, dans le département du Nord, quatre-vingt-seize bassins de
vie ont été recensés, soixante-cinq sont organisés autour de bourgs-centres qui
structurent le milieu rural.
Le département du Nord, qui passe pour être un département urbain, vit aussi
au rythme de la ruralité sur les trois quarts de son territoire. Donner une
chance de développement à ces espaces, c'est construire une nouvelle politique
d'aménagement du territoire qui contrebalance judicieusement la concentration
urbaine, dite « naturelle » et anarchique.
L'Etat doit réfléchir avec les collectivités territoriales sur la nécessaire
territorialisation de ses actions.
Cette dimension a été trop souvent oubliée. Les aides publiques ne doivent pas
avoir comme seul critère le développement de la production. C'est vrai dans
l'industrie comme dans l'agriculture. C'est l'esprit des contrats de
développement rural, du CTE en agriculture, du fonds de gestion des milieux
naturels, de la mise en oeuvre des documents d'objectifs Natura 2000 pour
préserver les écosystèmes.
Mais il faut fortifier, consolider le partenariat. Les acteurs locaux doivent
prendre en charge leur destin et décider des orientations pour leur
territoire.
Il est vrai que l'Etat garde des prérogatives fortes dans les politiques
sectorielles - transports, agriculture, environnement - dans les politiques de
solidarité, par la fiscalité, la redistribution, la péréquation, et à travers
sa politique de coordination des services publics.
On le voit donc, l'Etat continue de jouer un rôle, ne serait-ce que par des
projets éventuels de fermeture de classes, de bureaux de poste, de gendarmerie,
de zones d'éducation prioritaire, de circonscriptions scolaires.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Paul Raoult.
Il est vrai que, dans ce domaine, nous nous posons aussi des questions. Je
peux témoigner, en tant qu'élu local, que lorsqu'on nous annonce, dans la même
semaine, la suppression d'une gendarmerie, de deux ZEP rurales ou d'une
circonscription scolaire, la barque nous paraît un peu lourdement chargée et
tout cela semble manquer de coordination.
Alors, de grâce ! Que les hauts fonctionnaires n'ignorent plus les
conséquences de leurs décisions au niveau territorial, et n'oublient jamais que
la concertation avec les élus est nécessaire et obligatoire !
M. Raymond Courrière.
Elle est oubliée !
M. Paul Raoult.
Il faut améliorer et mieux prendre en compte, j'insiste aussi sur cet aspect
des choses, le rôle de l'Union européenne dans l'aménagement du territoire.
Ses soutiens financiers sont très importants : ils sont six fois plus élevés
que le seul budget du ministère de l'aménagement du territoire. La réforme des
fonds structurels devrait permettre de recentrer son intervention sur trois
objectifs et trois politiques d'initiative communautaire.
Des inquiétudes se font jour. Il faut certainement mieux coordonner notre
politique nationale et la politique européenne. Il y a eu et il existe encore
trop de dysfonctionnements qui ont conduit à une non-consommation des crédits
européens, ce qui est très dommageable.
Le flou sur l'éligibilité ou la non-éligibilité n'a fait qu'aggraver la
situation.
A ce sujet, je suis scandalisé de constater, dans le secteur des trois
arrondissements du département du Nord qui a l'avantage d'être situé en
objectif 1, une non-consommation des crédits par manque de coordination entre
les services de l'Europe, de l'Etat et des collectivités territoriales.
A l'avenir, il conviendra de mieux réfléchir sur cette coordination, qui est
nécessaire pour une utilisation plus efficace des crédits.
Il faut engager la réflexion en termes de méthode, de mobilisation publique,
de mutualisation des fonds et de pertinence des échelles d'intervention.
Madame le ministre, je vous sais capable de relever ce défi ; vous ne devez
pas nous décevoir car, localement, les attentes sont fortes.
Il faut passer de l'incantation à l'action, du désenchantement à l'espoir
vrai, par le refus du laissez-faire, pour plus de justice territoriale.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Huchon.
M. Jean Huchon.
Réalité ou serpent de mer ? L'aménagement du territoire a, depuis plusieurs
années, nourri les discours dominicaux de beaucoup d'hommes politiques. Et
voici qu'aujourd'hui, madame le ministre, nous ajoutons quelques pages à cette
frénésie oratoire.
Que de constats, que de bonnes intentions, que de promesses, que de travaux
mais, au bout de tout cela, que de faux espoirs et que de déceptions...
Notre pays, qui dispose d'espaces que beaucoup lui envient, a laissé depuis
quelques décennies se développer une situation aussi tragique que ridicule,
c'est-à-dire un territoire rural qui se désertifie de plus en plus et un tissu
urbain en cours de congestion qui se caractérise par des centaines de quartiers
urbains dépourvus de toute vie civique ou vie sociale, sans parler de l'Etat de
droit.
Depuis quelques années, la commission des affaires économiques et du Plan du
Sénat a longuement observé et réfléchi sur cette situation de fracture en
raison de laquelle, à côté de problèmes urbains quasi insolubles, se
développent des zones rurales où la population diminue et où les villages
dépérissent ; en un mot, la désertification progresse.
Allons-nous continuer de laisser faire ? Certes, des efforts ont été
entrepris. La loi de février 1995 était un instrument valable et prometteur.
Mais pourquoi les gouvernements successifs ont-ils mis tant de nonchalance -
pour ne pas dire plus - à appliquer un texte que nous avions voté et qui nous
donnait beaucoup d'espoir ?
Le territoire est le patrimoine commun de la nation. C'est un bien précieux
que nous avons le devoir de ne pas laisser se dégrader, mais que nous devons au
contraire valoriser.
Hélas ! le constat est désolant : 80 % de la population occupe 20 % du
territoire et, si rien n'est fait, ce sera bien pis dans quelques années !
Les remèdes, nous les connaissons, mais ils n'ont jamais été appliqués
sérieusement. Que faut-il pour inverser le processus de dégradation et pour
assurer le retour de notre pays vers une situation équilibrée ? Il faut tout
d'abord que, sur le terrain, les hommes reprennent confiance et prennent en
main leur avenir, et, ensuite, que l'Etat et le Gouvernement les comprennent et
les accompagnent en leur accordant des moyens. Ce sont deux actions très
simples.
Ce n'est pas au cours d'une intervention de quelques minutes qu'il me sera
possible d'exposer en détail ce qui devrait être prévu et organisé dans le
prochain projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement
durable du territoire. Je me limiterai par conséquent à quelques points
précis.
Je commencerai par les hommes qui, sur le terrain, sont en charge de leur
destin et du destin de leur pays. Disons-le tout net : les maires et les
équipes municipales doivent se sentir les moteurs et les accompagnateurs du
développement, ce qui n'est pas toujours le cas. Certes, la meilleure volonté
et la plus grande détermination ne suffisent pas. L'Etat doit aussi leur donner
les moyens nécessaires à une action efficace.
Force est de constater que l'organisation actuelle de la fiscalité locale est
un frein extraordinaire à l'aménagement du territoire. Aménager le territoire,
c'est assurer l'égalité des chances. Pour y parvenir, la participation
financière de l'Etat doit être la plus rigoureuse et la plus justement répartie
sur la totalité de notre territoire.
Hélas ! il suffit d'être mêlé à la gestion locale pour constater qu'il n'en
est rien. Je ne veux pas vous agacer avec des chiffres, mais, compte tenu de
l'expérience qui est la mienne depuis plusieurs années, je ne peux m'empêcher
de vous rappeler que le budget de fonctionnement d'une commune de moins de
mille habitants est, par habitant, deux, trois, voire quatre fois moins élevé
que celui d'une ville, et cela du fait de la différence des dotations,
différence qui peut être vertigineuse ! Madame le ministre, les chiffres, dans
ce domaine, démontrent que tous les Français ne sont pas également traités.
Ce problème de la fiscalité est grave. L'une des premières actions à mener est
la réforme de la fiscalité locale, notamment de la taxe professionnelle, qui
engendre des disparités insoutenables. Cette dernière réforme est une urgence,
même si le lobby de ceux qu'elle favorise est puissant et si la solidarité
intercommunale n'est pas une vertu très répandue.
La péréquation fiscale telle qu'elle est prévue dans la Constitution de nos
voisins allemands est un exemple dont il faudrait s'inspirer, car les louables
efforts accomplis grâce à la loi de décentralisation de 1982 ont été
incomplets. En effet, les régions riches ont été confortées dans leur richesse,
voire leur opulence, et les régions moins dotées ne sont pas sorties de leur
pauvreté.
La loi du 4 février 1995 avait permis d'ébaucher une timide péréquation qui
devait être progressive, mais dont l'exécution n'a jamais débuté ! Je sais
qu'il est bien difficile, là encore, de faire admettre une juste solidarité
!
Aménager le territoire, c'est aussi drainer sur l'ensemble du territoire des
équipements routiers et ferroviaires dignes d'un grand pays. Nous constatons
que là où les réseaux routier, autoroutier ou ferroviaire sont modernes,
croissances économique et démographique suivent rapidement. C'est pourquoi nous
insistons auprès de vous, madame le ministre, afin que le programme que, hélas
! vous avez suspendu soit repris.
Aménager le territoire, c'est encore encourager une occupation raisonnable et
raisonnée de l'espace, afin que l'agriculture, solidement implantée, bénéficie
de conditions favorables.
Nous travaillons ces jours-ci sur le projet de loi d'orientation agricole. Il
comporte des éléments intéressants, mais, hélas ! insuffisants. Nous tenterons
donc de l'améliorer grâce à des amendements sérieux qui, je l'espère,
enrichiront le texte.
A l'aube du xxie siècle, l'agriculture ne peut à elle seule occuper tout le
territoire, mais, inversement, un milieu rural vivant ne peut se passer d'une
agriculture prospère.
Il faut également encourager la création d'entreprises, qui fourniront du
travail à une main-d'oeuvre libérée par l'agriculture. Les mesures
d'encouragement qui ont été largement prévues dans la loi de 1995 doivent être
appliquées. Certaines régions françaises donnent l'exemple. Il faut s'en
inspirer, notamment en stimulant un esprit d'entreprise qui n'est pas toujours
favorisé par des méthodes d'assistance anesthésiant le goût de l'initiative et
du risque. Espérons que le nouveau courant qui prévaut à l'éducation nationale,
et qui tend à favoriser des contacts de plus en plus fréquents entre les
entreprises et les jeunes, redonnera à ces derniers le goût de prendre des
initiatives sur le plan économique.
Le maintien de services publics est une autre action indispensable. On a trop
fréquemment tendance à regrouper vers des centres les équipements postaux et
financiers, voire, plus récemment, les gendarmeries ; mes chers collègues en
ont parlé longuement. C'est dramatique pour les habitants qui se sentent
frustrés et, pour tout dire, délaissés. Nons comptons sur vous, madame le
ministre, pour corriger cette tendance, qui nous agace beaucoup !
Vous nous avez annoncé que le projet de loi d'orientation pour l'aménagement
et le développement durable du territoire, évoqué par de nombreux orateurs,
remodèlera la loi de 1995, défendue par MM. Pasqua et Hoeffel, et prendra en
compte à la fois le dramatique problème urbain et celui de la déshérence du
milieu rural défavorisé.
Je m'associe, bien sûr, aux remarques qui ont été faites et aux questions qui
ont été posées. Toutefois, le souci environnemental qui est le vôtre, et qui
est, j'en suis sûr, partagé non seulement par tous les parlementaires que nous
sommes, mais aussi par tous les élus et par le peuple français lui-même, ne
doit pas toujours être forcément l'objectif principal. En effet, si la qualité
de la vie, qui est le souci de tous, demande un environnement agréable, elle
exige aussi ce qui conditionne une vie normale, à savoir une économie saine.
Pour asseoir votre texte, vous prévoyez de vous appuyer sur la structure
régionale, qui, de par sa fonction constitutionnelle, est chargée de
l'aménagement.
Vous prévoyez de conforter l'influence des agglomérations, le milieu rural
étant, semble-t-il, moins cher à votre coeur.
De plus, vous semblez attribuer aux départements un rôle mineur, ce que nombre
de mes collègues ont dénoncé ce matin.
Par ailleurs, vous voulez promouvoir les pays. C'est une louable intention qui
va permettre à un modeste parlementaire de province de vous faire part de son
expérience de vingt ans dans un département où des élus clairvoyants, tant
départementaux que nationaux, ont encouragé la constitution, par bassin
d'emploi et par affinités, des regroupements spontanés, au nombre de sept et
équivalents à ce qu'on appelle des pays, qui fonctionnent bien, et cela depuis
quinze ou vingr ans ! Ils sont tout simplement organisés sous forme de
syndicats mixtes regroupant les communes et les syndicats de communes.
J'ai ainsi eu l'honneur de présider et de faire vivre pendant vingt ans
l'équivalent d'un pays formé de 6 cantons, 65 communes et 104 000 habitants,
Par principe, les villes du département ne sont pas intégrées dans les pays,
contrairement à votre texte, dans lequel vous prévoyez d'articuler les pays
autour des villes. Nous vivons donc avec les villes dans des pays qui ne sont
pas autour de ces dernières. Notre crainte était en effet que le milieu rural,
une fois satellisé, vassalisé, en un mot transformé en une force d'appoint
servant à financer les investissements collectifs de la ville-centre, n'ait
plus la possibilité de faire valoir son point de vue face à des autorités
urbaines politiquement puissantes et techniquement organisées.
Depuis vingt ans, notre action s'est déployée dans tous les domaines.
Sur le plan économique, nous sommes venus en aide à l'artisanat, à
l'industrie, etc.
Sur le plan du logement, des structures légères ont été créées pour aider les
gens à réhabiliter l'habitat ; c'est ainsi que 7 000 logements ont été
améliorés.
Sur le plan agricole, nous avons avant tout le monde - avant l'Etat, avant les
agences de bassin - favorisé la mise aux normes des bâtiments d'élevage et
réhabilité - opérations qui vont vous être sympathiques - les bocages, grâce à
la réimplantation de haies.
Sur les plans culturel, touristique et sportif, enfin, nous avons incité les
associations à travailler activement, le syndicat mixte ayant investi dans des
équipements importants : une salle de spectacles, une salle de sport de haut
niveau et un stade olympique.
Tout ce travail positif est le résultat d'une action spontanée et volontariste
des élus locaux - rien, en effet, n'a été imposé - et d'un creuset de
collaborations intercommunales. Tous les cantons, tous les SIVOM ont été
transformés en communautés de communes.
Le problème, madame la ministre, c'est que ce pays de 100 000 habitants, qui,
à mon sens, devrait être traité comme une ville au nombre équivalent
d'habitants, ne dispose, si l'on additionne tous les budgets des diverses
instances, que de 4 000 francs par habitant, soit moitié moins que la ville
voisine, sous-préfecture, qui dispose, elle, de plus de 8 000 francs par
habitant !
C'est la clé de l'aménagement du territoire ! Comme je vous l'ai dit au début
de mon propos, la volonté des hommes de terrain doit être accompagnée d'un
soutien financier de l'Etat à la hauteur !
Madame la ministre, oui aux pays, mais aux pays non contraints et
volontairement établis ! L'expérience de mon département est là pour prouver
que c'est possible. Et de grâce ! que les citoyens ruraux qui peuplent ces pays
soient traités comme des citoyens à part entière.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Madame la ministre, les régions seraient bien ingrates de ne pas reconnaître
vos efforts pour les conforter !
M. Gérard Larcher.
Tout à fait !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Je crois qu'il fallait que ce fût dit dans cette assemblée.
Moi qui suis favorable à l'équilibre départements-région, je suis obligé de
parler des régions pour respecter l'équilibre
(Sourires).
En effet, après avoir entendu, ce matin et jusqu'à
maintenant, des voix autorisées pour montrer l'importance du département, ce
qui était une nécessité, il me faut maintenant rappeler la modernité de la
région !
De ce point de vue, je me réjouis tout à fait de certaines parties du projet
que vous proposerez prochainement au Parlement, comme je me réjouis
profondément et sincèrement du grand discours politique prononcé récemment par
le Président de la République à Rennes.
Les régions sont modernes ! Une étude très intéressante de l'Observatoire
interrégional du politique de la Fondation nationale des sciences politiques
fait la même enquête tous les ans depuis une dizaine d'années dans chacune des
régions, ce qui nous permet de comparer le fait régional dans le temps et dans
l'espace.
Cette enquête montre que les citoyens, malgré toutes les difficultés
politiques liées au fait régional, adhérent à l'idée de région. Ainsi, 59 % des
Français pensent que les régions ont un projet et, pour 77 % d'entre eux, ces
projets régionaux vont dans le bon sens, dans la bonne direction, celle de
leurs attentes.
Quand on leur demande s'il faut développer la politique de décentralisation et
de régionalisation, 50 % d'entre eux sont favorables et 26 % sont contre.
Si l'on prend une terre difficile comme la Corse, qui a pourtant un statut
régional avancé, ils sont encore plus favorables, puisque 69 % d'entre eux
demandent plus de régionalisation !
Cela signifie que l'idée de région est vraiment une idée moderne, malgré les
difficultés liées au fait régional.
D'ailleurs, dans
Le Monde
d'hier soir, on pouvait lire que, face à la
crise du système éducatif, les Français sont favorables à la proximité et à
l'intervention des collectivités locales : 70 % d'entre eux pensent que les
départements et les régions font bien leur travail dans le domaine de
l'éducation.
Bref, le fait régional est un fait moderne. Il est bon que, dans ses
réflexions, Mme la ministre de l'environnement appréhende la région comme un
espace suffisamment grand pour être stratégique et suffisamment petit pour être
humain et valoriser la proximité.
Compte tenu du peu de temps qui m'est imparti, je me limiterai à poser deux
questions à Mme la ministre.
Premièrement, quel est le projet français pour l'espace européen ? On ne peut
plus dire, aujourd'hui, comme de nombreux technocrates - au sein de structures
qui ne sont d'ailleurs plus maintenant dirigées par des technocrates -, que
l'aménagement du territoire n'est pas une compétence européenne. Que fait
l'Europe avec ses fonds structurels si ce n'est de l'aménagement du territoire
?
M. Gérard Cornu.
Tout à fait !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Vous devriez lire avec attention le rapport du Sénat sur l'avenir des fonds
structurels européens dans le cadre d'Agenda 2000. Il fait état du projet
français de réforme de ces fonds sur le plan de l'aménagement du territoire
européen. Dans cette logique-là, la recherche d'alliés pour notre pays est une
priorité. Dans une Europe à six, la France est centrale ; dans une Europe à
vingt-cinq, elle est périphérique.
Nous, gens de l'ouest, gens du Finistère, nous sommes la périphérie de la
périphérie. Peut-être cette idée française de périphéricité, pouvons-nous la
faire partager aux Espagnols, aux Grecs, aux Italiens et même au Royaume-Uni.
Nous avons une vision à leur proposer.
Je dois dire que je souscris tout à fait aux propos qu'a tenus M. Hoeffel ce
matin, au cours d'une intervention de haute tenue. Pour la première fois, j'ai
entendu définir ce que pouvait être cette chance de la périphéricité.
Il s'agirait, au fond, de transformer la périphérie en ouverture, d'en faire
un atout. En opérant la promotion de ce projet au sein de l'Union européenne,
la France peut délivrer un message qui à la fois intéresse l'Europe et défende
ses propres intérêts.
Deuxième question : quelle est la nouvelle méthode de l'aménagement du
territoire ? Quelle est la méthode Voynet pour l'aménagement du territoire de
l'avenir ?
Nous voyons bien que vous affirmez trois valeurs : la stratégie - on peut dire
le schéma - le contrat et le projet. Ces trois valeurs sont utiles, et il
conviendra de bien les préciser. Il faudra aussi expliquer à M. Allègre qu'il
est difficile de passer un contrat avant d'avoir fait un schéma, qu'il est bien
difficile de mener des actions si l'on n'a pas bâti la stratégie.
Bâtissons donc d'abord les stratégies, faisons en sorte que les collectivités
locales aient leur projet départemental, leur projet régional, qu'avant de
s'engager dans les contrats, elles définissent leurs ambitions et que l'Etat
fasse de même.
Personnellement, je ne suis pas contre des schémas de service. Mais il faut
que le schéma précède le contrat, sinon tout est ambigu et manque de
transparence pour le citoyen.
La stratégie est très importante, et l'Etat doit bien définir la sienne.
Plusieurs orateurs l'ont dit ce matin : il n'est pas question que, dans
l'aménagement du territoire, l'Etat ne joue pas son rôle. Je rappelle que, dans
le joli mot de « DATAR », il y a « aménagement du territoire » et « action
régionale », qui sont deux fonctions distinctes et complémentaires. La
stratégie doit être développée et par le territoire et par l'Etat pour tracer
l'avenir.
Quant au contrat, qui doit-être postérieur au schéma - c'est pour cela que,
dans le calendrier actuel, nous devons faire en sorte que le premier semestre
de 1999 soit celui des schémas et le second semestre celui des contrats - c'est
un élément très important de l'aménagement du territoire moderne.
Quand nous sommes dans des systèmes complexes - Edgar Morin l'a dit avant les
autres - seule la politique contractuelle permet de gérer cette complexité. Il
faut la gérer avec tous les partenaires : avec les départements, avec les
régions et l'ensemble des acteurs.
Le contrat, c'est ce qui peut être moderne aujourd'hui ; pourquoi ? Parce que
l'Etat, dans le contrat, affirme la cohérence nationale et que, sans cohérence
nationale, il n'y a pas d'aménagement du territoire. La région n'est pas une
portion de nation. C'est un échelon de décision. Il appartient donc à l'Etat
d'affirmer cette cohérence par sa volonté contractuelle.
Ce matin, M. Delevoye parlait de péréquation ; c'est, dans le contrat, que
l'on peut valoriser la péréquation et tenir compte des ambitions
territoriales.
A cette fin, il faut mettre tous les acteurs - et la commission régionale
telle qu'elle est définie me paraît parfaitement adapté - mettre tous les
exécutifs locaux à égalité autour d'une table, sans hiérarchie les uns par
rapport aux autres, de manière à construire un vrai partenariat ; c'est, je
crois, très important.
Il faut donc une stratégie, des contrats, mais aussi des projets.
L'action régionale implique la recherche de projets et sur ce point, madame le
ministre, vous ne devez pas détacher le dossier de la création d'entreprises de
l'aménagement du territoire. En effet, faire de l'aménagement du territoire en
dehors de la notion de création d'entreprises, c'est fragiliser la fonction
même d'aménagement du territoire. Il faut repartir à la conquête de ce dossier,
car nous avons besoin d'initiatives nouvelles pour valoriser la création
d'entreprises.
Certes, aujourd'hui, les solidarités sont importantes, mais il faut de la
création : de la création d'activités, de projets économiques, sociaux,
culturels. C'est peut-être la fonction moderne de l'aménagement du territoire
que d'être un lien fertile. C'est cela qui doit nous rassembler. Nous sommes à
la recherche d'une nouvelle fertilité : comment faire jaillir de nos
territoires cette richesse nouvelle qui s'appelle « le projet » ?
Nous devons donc faire en sorte de construire les outils d'accompagnement des
projets pour rendre notre territoire plus fécond.
Nous, élus, à quoi servons-nous ? Nous injectons du lien, notamment pour
rendre plus fertiles les réseaux, les échanges entre ici une association, là un
groupement d'employeurs, là des réseaux d'entreprises, là des réseaux d'élus,
de communautés de communes, des réseaux départementaux, des réseaux régionaux,
afin de favoriser cette fonction de création.
Au moment où l'on va franchir l'an 2000, la priorité nationale devrait être la
création. Nous n'avons pas assez de richesses pour assurer la pérennité du
niveau de vie des Français. Il faut donc créer, créer encore. C'est
l'aménagement du territoire qui est à l'origine de cette fonction de création,
certes, mais cela en stimulant la solidarité, en tissant ce lien qui fédère les
créateurs. Ce qui peut nous rassembler, c'est la recherche du lien fertile !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Besse.
M. Roger Besse.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les éminents
collègues qui se sont succédé à cette tribune ont indiqué avec talent tous les
aspects du futur projet de loi sur l'aménagement du territoire. Compte tenu du
temps qui m'est imparti et afin d'éviter des redondances, je me bornerai, pour
ma part, à aborder un aspect plus spécifique de ce projet de loi en attirant
l'attention de Mme la ministre sur les zones de montagne.
Nous avons tous chanté en un temps « que la montagne est belle » !
Hélas ! nous déchantons en lisant, au fil des jours, la chronique d'une mort
annoncée et en la vivant souvent au quotidien sur le terrain.
Par sa géographie physique, économique et humaine, la montagne se situe en
première ligne des zones les plus sensibles et les plus fragiles.
Ses handicaps naturels conduisent à l'isolement, à l'enclavement, à la
désertification, à l'affaiblissement des structures avec, pour corollaire, de
lourdes conséquences socio-économiques.
Certes, ces difficultés inhérentes au relief, au climat, à l'altitude ne
facilitent ni le développement, ni l'aménagement. Nous le savons tous.
Et pourtant, nous, élus et habitants des zones de montagne, confrontés au
quotidien à ces graves problèmes, nous refusons de nous soumettre à la fatalité
du déclin.
En effet, nous le disons haut et fort, la montagne est un territoire vivant,
nanti d'une forte identité, essentiel à l'équilibre de la société moderne.
La montagne est un espace de qualité : qualité des hommes d'abord, dont le
caractère est façonné à l'image rude de notre terre, qualité des sites,
ensuite, qualité des produits, cette qualité si recherchée, si convoitée par le
monde actuel.
Mais ce territoire vivant, encore faut-il qu'il soit vivable, que les hommes
et les femmes puissent y trouver un travail susceptible de leur procurer un
revenu décent, qu'ils puissent se former, se cultiver, se distraire, en un mot,
vivre dignement.
D'ailleurs, la DATAR, sous l'égide de son délégué général, M. Jean-Louis
Guigou, que j'ai plaisir à saluer, vient d'éditer une carte des territoires
vécus.
Cette carte, très parlante, est pleinement révélatrice de la situation des
zones de montagne dont elle prouve, plus qu'un long discours, l'acuité des
problèmes. Avez-vous pris le temps, madame la ministre, de la consulter ?
L'armature des territoires ruraux les plus défavorisés et menacés de
désertification a besoin d'être irriguée, « fécondée », pour reprendre l'un de
vos termes, madame la ministre. Mais ce terme n'est-il pas antinomique avec une
politique souvent stérilisante, laissant peu d'espoir pour l'avenir de ces
territoires trop souvent oubliés ?
Je me refuse à penser que vous, madame la ministre, qui êtes l'élue d'un pays
de moyenne montagne, au lieu de prendre en compte les graves problèmes de ces
vastes zones, vous fassiez porter vos efforts et vos espoirs, en toute
priorité, sur les zones urbanisées.
L'Etat doit assurer une juste péréquation. Il doit encourager les plus
dynamiques, les plus performants et, dans le même temps, aider les plus faibles
afin de ne pas les laisser au bord du chemin. C'est sa mission, c'est aussi, à
mon sens, votre devoir.
Les élus nationaux que nous sommes n'ignorent rien des difficultés urbaines,
mais, en qualité de ministre de l'aménagement du territoire, votre rôle est de
veiller à son développement harmonieux afin que la fracture territoriale ne
vienne pas s'ajouter à la fracture sociale et même civique que nous ressentons
maintenant.
Certes, nous approchons à grands pas de l'an 2000, et nous devons nous rendre
à l'évidence que rien ne sera plus jamais comme avant, mais nous savons aussi
que « ceux qui oublient leur passé sont souvent condamnés à le revivre ».
Cette mutation implique une prise de conscience et une réaction.
D'ailleurs, il suffit de constater à quel point se mobilisent les maires et
leurs concitoyens lorsqu'un plan gouvernemental, forcément centralisé, dessine
la fermeture des services.
Tout récemment, lors du congrès de l'association des maires de France, le
Premier ministre a annoncé la fin du moratoire de 1993 sur les fermetures des
services publics en milieu rural et la mise au point d'un nouveau dispositif de
pilotage tenant compte des mouvements de population.
Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour subodorer que le milieu rural
profond, et
a fortiori
les zones de montagne, feront les frais de ce
dispositif.
En effet, à côté des services publics, qui aident à l'organisation et au
maillage des territoires, ce sont maintenant les services de proximité qui
semblent visés.
En application de critères, de ratios technocratiques qui ne tiennent aucun
compte de la réalité sociologique de nos territoires, c'est ici un hôpital, là
une maternité, ailleurs encore une école qui, périodiquement, sont menacés de
disparition.
Alors les citoyens, désorientés, désabusés, déçus, mais pas encore résignés,
manifestent leur mécontentement jusqu'à descendre dans la rue, ce qui est
contraire à leur habitude de modération.
Les élus locaux, solidaires et unanimes, meurtris dans leur éthique, montent
aussi au créneau pour défendre un principe d'équité de traitement entre tous
les citoyens.
Au nom du principe d'égalité devant le service public, leur plaidoyer a pour
finalité de ne pas éradiquer les services de proximité.
Ils défendent leurs gares et leurs trains de voyageurs, leurs bureaux de
poste, leurs classes primaires ou élémentaires, leurs guichets d'organismes
sociaux, leurs perceptions, leurs tribunaux, en un mot tout ce qui représente à
leurs yeux la permanence de l'Etat.
Nul ne pourra nier que ces services sont des points d'ancrage pour conserver
son emploi au pays, pour avoir le droit d'y vivre, d'y survivre, et ce en
sécurité.
Voilà que, maintenant, ce sont les brigades de gendarmerie qui deviennent la
cible d'un redéploiement voulu par le ministère de l'intérieur au bénéfice des
zones urbaines.
En l'absence de toute concertation, cette mesure mal préparée, mal présentée,
est ressentie comme un abandon.
Les gendarmeries sont le symbole, en zone rurale, de l'existence de l'ordre
républicain.
Elles concourent à la sécurité, mais également à la vie sociale de nos petites
communes. Ce sont souvent elles qui permettent le maintien d'une classe ou
d'une association.
D'autre part, nous le savons tous, les techniques délinquantes s'habituent à
toutes les situations. La fermeture des gendarmeries générera un déplacement de
la délinquance, des trafics de drogue et de l'immigration clandestine, des
grands centres vers les communes rurales livrées à elles-mêmes.
Ainsi, au lieu de résoudre le problème, on l'aura tout simplement déplacé.
Lors de sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997, M. Jospin avait
annoncé ses résolutions en matière de sécurité : « Toute personne vivant sur le
territoire de la République a droit à la sécurité. On ne peut accepter une
société dans laquelle il y aurait, d'un côté, des quartiers protégés et, de
l'autre, des zones de non-droit. »
Nous ne pouvons qu'espérer de la part du Premier ministre que promesse soit
tenue en matière de parole donnée.
S'agissant de l'aménagement du territoire en zones de montagne, comment ne pas
évoquer rapidement le rôle déterminant de l'agriculture ?
Que deviendront nos villages, notre environnement, nos paysages, le jour où
les petites exploitations condamnées se seront fondues dans de grands ensembles
et où des territoires entiers, aujourd'hui cultivés et entretenus, seront
abandonnés ou gagnés par la forêt ?
En effet, la désertification appelle la désertification, et je ne pense pas
que les contrats territoriaux d'exploitation soient de nature à changer
fondamentalement cette situation, alors même que l'on dénie aux agriculteurs de
nos zones la fonction fondamentale de producteurs pour les reléguer au rang de
« jardiniers de la nature » ou de « cantonniers du xxie siècle ».
Leur raison d'être, la noblesse de leur métier, c'est de travailler pour
nourrir leurs semblables.
C'est le sens de la récente manifestation qui a regroupé vingt-deux
départements composant le grand Massif central à Clermont-Ferrand, ce massif,
hélas ! bien peu central - semble-t-il - au regard des préoccupations de nos
gouvernants.
Madame la ministre, puissiez-vous, malgré l'énorme difficulté de la tâche qui
vous est confiée, devenir, au poste qui est le vôtre, le chef d'orchestre d'une
symphonie pastorale, sans cacophonie pour autant, avec les villes et les
banlieues !
Puissiez-vous devenir le garant de l'aménagement du territoire et de sa
cohésion ! Cela signifie que vous vous montriez capable d'imposer une
concertation, une cohérence à toutes les mesures fractionnelles prises par
chaque ministère, indépendamment les uns des autres, mesures qui ont toutes
pour finalité la propagation de cette sorte de leucémie qui, jour après jour,
mine les zones de montagne.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor.
Permettez-moi, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues,
avant d'aborder le thème qui nous occupe aujourd'hui, de regretter vivement que
ceux qui ont souhaité la tenue de ce débat sur l'aménagement du territoire ne
soient pas présents.
(Applaudissements.)
En revanche, madame la
ministre, je tiens à vous remercier d'avoir accepté de vous y prêter.
Mon intervention s'inscrit dans le droit-fil des propos qui ont été tenus par
mes collègues du groupe socialiste, M. Bellanger, qui a évoqué plus
particulièrement la politique de l'aménagement du territoire dans ses liens
avec la politique de la ville, et M. Raoult, qui s'est attaché aux questions
intéressant le monde rural, et notamment le rôle des bourgs.
Mon intervention ne prend donc son sens que si elle est intégrée dans
l'analyse d'ensemble que mes collègues du groupe socialiste et moi-même avons
essayé de « mettre en musique ».
J'évoquerai essentiellement, pour ma part, l'aménagement du territoire du
point de vue du monde rural et, plus spécifiquement, du monde agricole.
Ayant organisé dans mon département, la semaine dernière, un colloque de deux
jours pour le compte de l'Association des maires de France, l'ANDAFAR et le
groupe « monde rural », je ne peux pas résister à l'envie de vous rendre
compte, madame la ministre, de nos « cogitations ». Vous étiez excellemment
représentée à ce colloque par votre conseiller M. Hennebique, et je tiens à
vous en remercier ; je sais quelle volonté est la vôtre d'écouter toutes les
propositions et de mettre en oeuvre toutes celles qui vont dans le bon sens.
A propos de l'aménagement du territoire, le constat qui s'impose peut
malheureusement se résumer en deux mots : quel gâchis !
Au cours des trente dernières années, nous n'avons cessé d'entasser des hommes
les uns sur les autres, au point de faire perdre à l'individu son identité, son
origine, sa famille, son savoir-faire parfois. Les mégapoles ont enflé au fur
et à mesure que s'étendaient les banlieues, devenues des lieux terribles,
parfois sans âme, sans vie réelle, et où règnent trop souvent l'insécurité et
la délinquance.
On voudrait nous faire croire que personne n'y peut rien et que tout cela est
lié au non-emploi : cette approche fataliste de la gestion des hommes me
révolte quand de vastes espaces ruraux peuvent constituer une réponse, fût-elle
partielle, à certains des problèmes sociaux qui se posent aujourd'hui. Le
prochain millénaire verra peut-être l'ouverture du monde rural apporter une
solution au drame social que nous vivons aujourd'hui ; encore faut-il donner au
monde rural les moyens nécessaires.
Des hommes et des femmes sans repères, sans objectifs, parfois sans
appartenance à une communauté de vie, c'est bien ce qu'il y a de pire. Nous,
responsables, nous ne pouvons continuer à offrir cette seule perspective à nos
concitoyens.
L'évolution des façons de produire et la mondialisation, paraît-il,
uniformisent, banalisent tout au point de façonner, avec le temps, des êtres
sans odeur et sans couleur.
Je voudrais, madame la ministre, en prendre un exemple qui pourra vous
paraître trivial dans ce débat sérieux, mais qui n'est est pas moins
significatif.
Si je vous invite à prendre un repas, les yeux fermés, dans un de ces hôtels
de grandes chaînes internationales, je crains fort que vous ne puissiez savoir
si vous êtes à Melbourne, à Singapour, à Bonn ou ailleurs, tant y est forte la
banalisation des mets.
Or nous avons, nous, dans notre pays, cette chance d'abriter des traditions
culinaires très diversifiées. Si je vous conduis, toujours les yeux fermés,
mais cette fois en Alsace, dans le Périgord ou en Provence, je suis persuadé
qu'un simple « coup de nez » vous suffira à deviner où vous vous trouvez. Parce
que, dans votre assiette, outre des aliments et leurs saveurs propres, il y
aura l'intelligence d'hommes et de femmes qui, de génération en génération, ont
su assimiler des savoir-faire.
Dans la notion d'aménagement du territoire, il existe un axe fort, celui de
l'identité locale, qu'il faut entretenir et développer. Toute politique qui
irait à l'encontre de cette approche irait aussi à l'encontre d'une authentique
démarche de développement local et d'aménagement du territoire.
Selon cette conception de l'aménagement du territoire, celui-ci ne se réduit
pas à des textes qui découpent des zones géographiques ou qui superposent des
structures juridiques sous prétexe que le système précédent était moins bon ;
derrière les textes, il y a aussi, tout simplement, des hommes et des femmes
porteurs de savoir-faire, d'identité, qui sont de véritables vecteurs de rêve
et de cadre de vie ; ce sont des vecteurs modestes, certes, mais bien réels.
Quoi qu'il en soit, il est impératif de les protéger pour qu'ils puissent être
demain des partenaires, parmi d'autres, dans le maintien d'une zone d'accueil
en milieu rural, facteur essentiel d'équilibre social dans notre pays.
De cela découle une stratégie d'aménagement du territoire telle que ces zones,
au-delà des cités et des villes, puissent perdurer et offrir des espaces
d'accueil.
Cela suppose un soutien clair apporté aux services publics - thème déjà
longuement évoqué ici - mais aussi la reconnaissance, dans certains cas, de
services privés d'utilité publique. Le boulanger, qui offre un service privé, a
parfois aussi une vocation d'utilité publique. Je crois que vous devriez faire
passer ce message, madame le ministre, parce que, dans vos administrations,
tout le monde ne le comprend pas toujours.
Les schémas directeurs que vous proposez témoignent de votre bonne volonté,
mais je reste un peu perplexe quant à leur efficacité, et je rejoins ce qu'a
dit mon collègue Roger Besse à ce sujet.
Bien sûr, il faut souhaiter l'accès de tous aux nouvelles technologies.
Cependant, en cette matière, l'évolution est si rapide qu'il est difficile de
tracer des perspectives à plus de dix-huit mois ou deux ans. Dès lors, des
schémas pour les vingt ans à venir me laissent assez sceptique. Seuls les
schémas routiers sont, me semble-t-il, compatibles avec le long terme.
Dans votre projet de loi vous proposez des structures qui sont autant de
moyens : l'agglomération pour les zones urbaines, le pays pour les zones
rurales. La loi sur l'intercommunalité viendra, par la suite, compléter
l'ensemble de ce dispositif.
Ce texte m'inspire plusieurs remarques.
Premièrement, le développement local du territoire doit bien fixer des
objectifs locaux, c'est entendu, mais il doit également définir ses acteurs.
Selon moi, les acteurs, ce sont non seulement les élus mais aussi les
socioprofessionnels locaux, ainsi que les membres des associations qui
participent directement au développement local et à l'aménagement du
territoire.
Or le dispositif tel qu'il est présenté fait abstraction de cet ensemble et de
ces divers échelons. C'est regrettable, car responsabiliser le plus grand
nombre possible d'acteurs permettrait peut-être aussi de créer un autre climat
de confiance à l'échelon local ; et nous en avons besoin !
Les élus, seuls, ne peuvent que tracer les grandes lignes ; il faut qu'ils
soient accompagnés par d'autres partenaires.
Peut-on imaginer une coopération intégrant toutes ces composantes ?
Deuxièmement, je m'interroge également sur les moyens proposés. S'agissant des
agglomérations, je ne suis pas sûr que le critère de population, qui est sans
doute le plus simple à gérer, soit suffisant. Je pense qu'il conviendrait d'y
ajouter le critère de la fonction de la commune ; mon collègue Jacques
Bellanger a évoqué ce point ce matin.
Par exemple, dans certains départements une commune de 15 000 habitants a une
fonction de chef-lieu et elle doit supporter la totalité des services que cela
implique. Une telle commune mérite d'être soutenue spécifiquement. A l'inverse,
une ville de 50 000 ou même 100 000 habitants qui n'a pas cette fonction, ne
subissant pas les mêmes charges et contraintes, n'aura pas les mêmes
besoins.
A partir de ce constat, la notion d'agglomération devrait pouvoir être modulée
en fonction du rôle de telle ou telle collectivité par rapport à son
environnement.
Troisièmement, madame la ministre, faites en sorte que les aides aillent à
celui qui en a la plus besoin.
Le doublement global de l'aide de l'Etat en direction des agglomérations me
paraît un peu exagéré. Le choix entre l'agglomération et la communauté de
communes devrait dépendre des missions de la structure intercommunale vis-à-vis
de son environnement ; la solution qui semble actuellement retenue à cet égard
n'est pas satisfaisante.
Quatrièmement, enfin, n'y a-t-il pas un danger à ajouter encore une structure
intercommunale dans le dispositif français ? Ne créons-nous pas une nouvelle «
armée mexicaine » ! Après avoir supprimé la royauté, la République
n'inventerait-elle pas aujourd'hui toute une série de petits baronnets ?
Attention ! tout cela manque de lisibilité et, dans cet imbroglio que vous
créez, la République française a plus que jamais a besoin d'un Etat fort, aux
missions clairement définies, fort à l'extérieur, par rapport à l'Europe et à
la mondialisation, fort à l'intérieur, dans sa capacité d'harmonisation. Ce
n'est pas incompatible, me semble-t-il, avec une démarche de déconcentration
des moyens dans les régions et les départements, lesquels semblent oubliés dans
le texte.
Mais il ne faut pas, non plus, oublier la commune, c'est-à-dire la structure
la plus proche de nos concitoyens, en prise directe avec le peuple, l'organe
rassurant qui permet une vraie stabilité. L'Etat et la commune ont permis à la
République de franchir toutes les crises depuis deux cents ans. Ne mettons pas
à mal ce couple, seule expression vraiment républicaine et démocratique ; en
effet, les structures intercommunales n'émanent pas du suffrage universel, même
si la coopération raisonnée et l'intercommunalité restent nécessaires.
Partant de là, les pays qui, dans leur esprit, permettent une structuration
informelle de cadrage, d'orientation locale sont une nécessité. Le danger
serait de transformer ces pays, dès 2003, en une intercommunalité obligatoire,
un étage supplémentaire de l'imbroglio, qui prendrait un pouvoir au détriment
des représentants du peuple élus au suffrage universel.
En revanche, les conventions entre les structures permettraient d'avancer à
l'intérieur même du pays, celui-ci pouvant conserver l'image d'un espace local
cohérent, dans lequel élus et acteurs locaux définiraient leurs grandes lignes
de programmation, en liaison étroite avec la loi d'orientation agricole, qui me
semble constituer un élément indispensable.
Quelqu'un, bien avant moi, a recommandé d'aller à l'idéal sans oublier le
réel. Oui, à trop vouloir bien faire, on risque de déstabiliser l'édifice.
C'est la modeste conclusion que je voudrais vous soumettre, madame. Votre forte
volonté de bien faire dans le cadre d'un hymne à la modernité doit permettre de
renforcer le socle républicain mais non le déstabiliser.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au même titre
que tous les intervenants qui m'ont précédé à cette tribune, je me réjouis que,
après l'examen du projet de budget de l'environnement, une nouvelle occasion
nous soit donnée d'évoquer l'avenir de notre territoire, un territoire auquel,
élus ou simples citoyens, issus de villes ou de zones rurales, nous sommes tous
très attachés.
Bien sûr, il importe, si l'on veut être efficace et surtout crédible, que ce
débat général soit plus que le simple enregistrement de voeux pieux. Il doit
être le reflet d'une véritable volonté politique, le reflet de la volonté du
Gouvernement d'être à l'écoute des représentants des collectivités locales que
nous sommes, nous qui connaissons bien les problèmes d'aménagement et de
développement du territoire pour y être confrontés chaque fois que nous
quittons cet hémicycle pour endosser nos habits d'élus locaux.
Nul, ici, n'ignore que l'avenir de tous sera en grande partie lié aux lignes
de force de la loi d'orientation et d'aménagement durable du territoire.
Celle-ci dessinera notre cadre de vie tant collectif qu'individuel pour les
décennies à venir.
Il nous appartient donc de faire en sorte que le tableau soit le plus
harmonieux possible, que sa perspective soit maîtrisée. Notre responsabilité
est grande, dès lors que beaucoup de choses dépendent des choix qui seront
arrêtées ; nous n'avons pas droit à l'erreur.
Les orientations retenues par le Gouvernement lors du conseil interministériel
d'aménagement du territoire, le CIAT, du 15 décembre 1997 ont servi de cadre à
la définition de certains choix stratégiques. Elles font reposer le maillage du
territoire sur l'organisation d'agglomérations, organisation qui est fondée sur
la solidarité dans la répartition des activités, des services, de la fiscalité
locale, et notamment de la taxe professionnelle. Ce maillage concerne également
le développement local au sein de pays. En tout cas, c'est ainsi que vous
énoncez les choses dans l'article 2 du projet de loi.
Cette nouvelle organisation territoriale devrait être encouragée par la mise
en place d'une politique contractuelle à l'occasion des prochains contrats de
plan Etat-région.
A ce stade de la réflexion, je souhaite formuler certaines observations.
La première concerne le caractère sélectif de cette contractualisation. Si
j'ai bien compris vos intentions madame la ministre, seuls certains pays et
agglomérations qui seront désormais reconnus au niveau régional seront
éligibles aux contrats de plan Etat-région.
Qu'adviendra-t-il, dans ces conditions, des pays ou des agglomérations qui
seront refusés ou qui ne pourront en aucun cas bénéficier des financements de
l'Etat et de la région ? Avez-vous prévu un dispositif contractuel de
substitution ? Si tel est le cas, comment s'assurer d'un développement
harmonieux pour tous ?
La deuxième observation concerne le contenu des projets de territoire.
Nous sommes nombreux à nous interroger sur les critères et objectifs qui
prévaudront : ceux de l'Etat ou ceux de la région ? Je ne vous cacherai pas
que, pour ma part - et je ne doute pas que beaucoup dans cet hémicycle me
rejoignent sur ce point - je suis favorable à une décentralisation accrue,
seule à même de répondre efficacement aux préoccupations du terrain.
Si la définition du cadre général d'une politique d'aménagement du territoire
incombe à l'Etat, qui est le seul à même d'avoir une vision nationale cohérente
du territoire, il ne fait pas de doute que des objectifs de développements
fixés à un niveau plus décentralisé sont le seul gage d'un aménagement adapté
et durable.
Or nous assistons aujourd'hui de plus en plus à ce qui pourrait s'apparenter à
une « recentralisation rampante » des pouvoirs par l'administration.
Il est plus que temps de clarifier les compétences de chacun et de fixer les
instances de décision au niveau le plus approprié. C'est un voeu cher à nombre
d'élus locaux, croyez-moi, madame la ministre. De la volonté du Gouvernement à
apporter de vraies solutions à ce problème crucial dépendra en grande partie la
décision de nombre d'élus locaux de continuer à s'investir ou non dans la vie
publique. Bientôt, si nous n'y prenons garde, nos communes deviendront
exsangues faute de premier magistrat pour les gérer.
Après ces dix-huit mois d'inertie pendant lesquels il vous semblait urgent
d'attendre, urgent de ne pas appliquer la loi Pasqua, au motif que vous vouliez
l'adapter, nous voilà fixés sur le cadre général de votre projet de loi
d'orientation. Madame la ministre, le rôle structurel que vous accordez aux
villes ne me semble pas de nature à oeuvrer en faveur du désenclavement du
monde rural ; je l'ai déjà dit à cette même tribune voilà une quinzaine de
jours. Vous me pardonnerez d'enfoncer ainsi le clou, mais je crois qu'il est
plus que temps que vous réalisiez combien la fracture territoriale est béante.
Nous ne pouvons plus attendre. Aménager le territoire, c'est anticiper,
prévoir.
Est-ce pourtant ce que vous faites en décidant de supprimer le moratoire sur
la fermeture des services publics ? Nous sommes parfaitement conscients que
certaines évolutions, certains redéploiements sont inévitables. Mais, pour
autant, il vous appartient de ne pas oublier le droit de chaque citoyen à
disposer de services publics de qualité et la nécessité que cela s'effectue
dans la concertation. Il s'agit d'une marque élémentaire de respect envers ceux
qui résident dans les zones concernées.
Je souhaite aborder maintenant un projet qui concerne au plus haut point le
département que je représente, l'Eure-et-Loir - tout à l'heure, mon
prédécesseur a parlé d'aménagements qui étaient difficiles à réaliser en vingt
ans : il s'agit du projet d'un troisième aéroport.
Je rappelle pour mémoire que, le 5 juin 1996, le Gouvernement a décidé de
retenir le site de Beauvilliers, situé au sud-ouest de Paris et à une vingtaine
de kilomètres au sud-est de Chartres, pour y construire le nouvel aéroport
international du Bassin parisien. L'objectif était, je le rappelle, de retenir
un site en dehors de l'Ile-de-France, afin d'anticiper la saturation, à moyen
terme, des aéroports d'Orly et de Roissy.
Nul doute qu'un tel projet présente à la fois des avantages et des
inconvénients. Certes, il devrait permettre de rééquilibrer le territoire, de
le dynamiser en suscitant des développements économiques, en favorisant
l'emploi et les initiatives. Mais l'installation d'un tel équipement doit aussi
impérativement être accompagné des mesures indispensables à la maîtrise des
développements. Il importe d'éviter absolument les erreurs du passé, celles
dont pâtissent précisément, aujourd'hui, les riverains des deux aéroports du
bassin parisien en termes de prévention contre les nuisances sonores, de
préservation du cadre de vie...
A l'annonce de cette décision, les acteurs économiques du territoire concerné
ont, comme il se doit, intégré cette perspective dans leur plan de
développement. A nous, élus, il est revenu le soin, tant en amont qu'en aval du
projet, d'informer le plus grand nombre, de lever les inquiétudes, de soutenir
les habitants concernés par l'emprise foncière et de proposer des solutions
appropriés.
C'est à proprement parler un choix concret d'aménagement du territoire qui
nous engage pour plus de vingt ans. Or, aujourd'hui, nous sommes dans
l'incapacité la plus totale de donner la moindre indication, tant aux élus
locaux et aux acteurs économiques, qu'à la population locale, sur la
faisabilité du projet.
Des terrains sont, semble-t-il, sur le point d'être gelés, et pourtant nous ne
sommes sûrs de rien. Nous ignorons à quel saint nous vouer : est-ce à celui qui
préside à votre destinée - plus exactement à la vôtre en tant que ministre de
l'environnement, vous l'avez bien compris, madame la ministre - ou bien est-ce
à celui qui préside à la destinée de votre collègue des transports ?
Peut-on raisonnablement élaborer un projet régional d'aménagement du
territoire sans tenir compte de l'hypothèse du troisième aéroport pour notre
département et, au-delà, pour notre région ? La question de Beauvilliers - vous
vous en doutez - pèsera forcément à un moment ou à un autre sur les choix
régionaux.
Quelle est la lisibilité du projet, madame la ministre ? Est-il raisonnable de
penser que la zone va être gelée, peut-être en pure perte ? Qu'adviendra-t-il
alors de ce périmètre ? Certes, la décision appartient à l'Etat, mais maintenir
l'ambiguïté fait prendre un risque important à toute décision future.
Il n'est pas de pire cas de figure, lorsqu'il est question de dessiner
l'avenir d'un territoire, que de ne pas avoir connaissance de tous les
paramètres, et celui-ci est d'importance ! Là encore, croyez-moi, gérer un
territoire, une commune, un département, une région dans un tel climat
d'incertitude n'est pas aisé.
A l'heure ou les instances concernées réfléchissent à l'élaboration du
prochain contrat de plan Etat-régions il serait pour le moins nécessaire d'être
fixé sur le devenir de l'infrastructure aéroportuaire, afin d'être en mesure de
définir et d'envisager les grands équipements de la région, qu'il s'agisse de
routes, d'autoroutes, ou de lignes ferroviaires.
Qu'en est-il, madame la ministre ? Vous n'avez pas répondu à ma question
lorsque je vous l'ai posée au moment de l'examen du budget de votre ministère.
Nous avons le droit de savoir !
Je poursuivrai sur un autre plan : la question des voies de communication.
Il me paraît véritablement dangereux, en termes d'aménagement harmonieux et
durable de notre territoire, de persister à entretenir l'opposition entre le
rail et la route. Il importe, au contraire, que les transports de demain
fassent l'objet d'un rééquilibrage entre la route et le rail : il s'agit là
d'un réel enjeu de la société !
Encourager la complémentarité et l'intermodalité me semble, à cet égard,
essentiel. Encore faut-il, si vous me permettez cette parenthèse, que la grève
ne devienne pas le préalable systématique à toutes négociations sociales au
sein de la SNCF ! Sinon, les entreprises vont être, pour des raisons
financières évidentes, contraintes de modifier leur fret, donc de recourir
encore plus au transport par route. Ainsi, dans notre région, le Centre, qui
est une région de transit par excellence, les poids lourds seront encore plus
nombreux sur les grands axes, l'accidentologie encore plus élevée et les
agglomération toujours plus saturées.
Je conclurai mes propos, madame la ministre, en réaffirmant notre volonté et
la nécessité de s'orienter vers une vraie décentralisation - il en va de la
survie de notre démocratie locale - et vers une politique d'aménagement du
territoire véritablement soucieuse de l'équilibre national, seule preuve pour
nos concitoyens que toute justice n'a pas disparu et que le Gouvernement a le
souci de tous et de chacun.
(Applaudissement sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Monsieur
le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite de ce débat qui
a été pour moi l'occasion de vous présenter les intentions du Gouvernement et,
sans doute avant tout, de vous écouter avec attention.
Ce débat a été, pour l'essentiel, une succession d'interventions préparées et
les échanges n'ont peut-être pas été aussi nourris que nous aurions pu le
souhaiter les uns et les autres. Je ne doute pas que nous ayons d'autres
possibilités d'échanges dans le cadre d'une commission ou d'un groupe de
travail. Je m'y prêterai bien volontiers, même si, évidemment, j'aurais aimé
qu'à l'intérêt historique du Sénat pour l'aménagement du territoire réponde une
assistance un peu plus nombreuse. Chacun, je l'imagine, a de bonnes raisons de
ne pas être présent au moment où se clôt cette discussion.
Vous me permettrez de faire un certain nombre de réflexions préalables avant
de répondre à vos sollicitations.
Tout d'abord, il me semble, je le dis avec beaucoup d'humilité, que nous
sommes tous imprégnés d'un certain nombre de sensations, de sentiments, de
convictions en matière d'aménagement du territoire. J'ai perçu, dans vos
interventions, à la fois une aspiration à l'évolution et une crainte devant
cette évolution.
Tant de choses ont déjà été dites, tant de discours dominicaux ont déjà été
consacrés, comme l'a dit M. Huchon, à l'aménagement du territoire. Tant de
débats passionnés, tant d'effets d'annonce, tant d'espoirs déçus, nous invitent
à la modestie, à l'humilité et nous conduisent à réexaminer l'impact
territorial des politiques qui ont été menées.
Comme l'a souligné ce matin M. François-Poncet, le Sénat se méfie des modes et
des phrases toutes faites. Il a même été un peu cruel en insinuant qu'un tel
procédé pouvait parfois dissimuler le vide de la pensée ; c'est vrai ! Mais
puisque, pour vous comme pour moi, le développement durable réside dans le
souci d'allier la performance économique et la création d'emplois, la qualité
du milieu et la préservation de ressources ainsi que dans l'acceptation par les
populations de l'équilibre des territoires, qui pourrait y être hostile ?
Personne ne souhaite un développement précaire qui supprime les emplois et
accentue les inégalités territoriales.
Dans le même temps, nous utilisons couramment des mots dont nous n'avons pas
réellement évalués les conséquences sur le territoire. On emploie ainsi
volontiers les mots « désenclavement », « performance » et « compétitivité »
sans se rendre compte que l'infrastructure qui désenclave un territoire est
aussi celle qui peut conduire une jeunesse déboussolée à le quitter si elle ne
s'accompagne pas de créations d'emplois.
Notre approche, parfois trop quantitative, doit s'accompagner d'une évaluation
qualitative très fine. Je n'ai pas de l'aménagement du territoire une approche
malthusienne, comme le craignait ce matin M. Lambert. J'ai, au contraire, une
approche responsable. Oui il est nécessaire, avant de songer à de nouvelles
infrastructures ou à de nouveaux équipements, d'entretenir et d'utiliser au
mieux ceux qui existent déjà en les rendant complémentaires. Oui, il est
nécessaire de ne pas mettre en péril certaines activités en prétendant en
privilégier d'autres qui ne sont pas forcément plus utiles ni plus créatives
d'emplois.
Ce discours, qui semble théorique, va devenir très concret : qui ici
prétendrait, par exemple, que le tourisme en Bretagne ou que la conchyliculture
doivent être sacrifiés au profit du développement de l'élevage porcin ?
Personne. Et pourtant, combien d'activités sont-elles justifiées par des
discours à courte vue qui ne prennent pas en compte les conséquences dans tous
les domaines de l'implantation ou de la disparition d'activités dans d'autres
zones ?
Au-delà des postures guerrières et des discours volontaristes, il faut faire
un peu d'autocritique, évaluer ce qui fonctionne et revenir à une lecture plus
modeste des politiques susceptibles d'être appliquées sur le territoire. M.
Puech l'a fait d'une certaine façon ce matin en reconnaissant, s'agissant, par
exemple, de la politique de la ville, que notre incapacité à maîtriser une
urbanisation anarchique et la concentration de populations toujours plus
nombreuses dans les villes s'accompagnait de désagréments, d'inégalités et
d'injustices que nul n'est réellement en situation de maîtriser aujourd'hui.
L'aggravation des inégalités entre les régions et en leur sein, le «
déménagement » du territoire, en dépit des centaines de milliards de francs qui
ont été investis pour financer de grands équipements et de grandes
infrastructures, telle est la réalité.
Je souhaite donc aujourd'hui qu'on puisse rompre avec cette tradition
d'aménagement du territoire et prendre en compte, par exemple, les conséquences
dramatiques de la politique agricole commune. A coups de milliards de francs,
elle a provoqué en effet la disparition de centaines de milliers de paysans,
l'augmentation constante de la taille des exploitations, la dégradation des
milieux et la désertification de pans entiers du territoire.
Je souhaite également qu'on puisse évaluer le coût de la banalisation des
paysages et des lieux. Je pense, par exemple, aux entrées de nos villes, qui
sont dégradées non pas uniquement par des panneaux publicitaires, mais aussi
par des zones commerciales sinistres et immenses. Je songe aussi au bétonnage
du littoral. Je pense encore, trente ans après à la construction de complexes
immobiliers, aux friches touristiques du littoral languedocien ou aux communes
de montagne qui se sont engagées à grands frais dans le tourisme de neige dans
des régions très difficiles.
Un certain discours guerrier de défense des zones rurales ou des zones de
montagne n'est guère compatible avec la poursuite de ces politiques. Je
souhaite, pour ma part, qu'on puisse les réorienter et reconnaître, par
exemple, que le contrat territorial d'exploitation est peut-être la première
occasion qui nous est donnée depuis des décennies de réconcilier la production
de biens alimentaires de qualité, l'entretien des milieux naturels, l'emploi,
la dynamique locale et l'aménagement du territoire.
Dès lors, si l'on ne donne pas à ces contrats territoriaux d'exploitation les
moyens nécessaires, il sera sans doute inutile de tenir un débat du même type
dans quelques années pour déplorer la poursuite de la désertification et
l'incapacité manifeste du ministre chargé de l'aménagement du territoire à y
remédier.
M. Jean-Marc Pastor.
Très bien !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
J'ai noté,
mais sans doute le constat vaut-il pour chacun d'entre nous, des attentes
contradictoires et des interprétations inconciliables.
M. Gérard Larcher, par exemple, m'a reproché ce matin de n'avoir évoqué les
villes que dans un seul article, l'article 20. C'est apparemment déjà trop pour
ceux qui ont vu dans cet unique article un intolérable symptôme de l'abandon
des zones rurales. Telle n'est pas mon intention, monsieur Cornu. Il est
absolument indispensable non pas d'opposer les villes et les campagnes, mais de
reconstruire, comme l'a dit ce matin M. Bellanger, des liens, des synergies
entre les villes et les campagnes.
Il est indispensable de susciter des dynamiques, d'appliquer les textes
existants sur le terrain.
Certains m'ont reproché ce matin de ne pas parler suffisamment des
départements. J'y reviendrait tout à l'heure, pour m'en défendre, bien
évidemment.
Certains m'ont également reproché de ne pas prendre suffisamment en compte
l'inscription du territoire national dans le territoire européen. Pourtant, et
c'est presque une façon humoristique de répondre à cette inquiétude, la loi
d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire dite « loi
Pasqua » n'évoquait qu'à trois reprises, et encore sous la forme de l'adjectif
« européen », la construction européenne. La référence à la construction
européenne figure, en revanche, à neuf reprises dans le projet de loi que je
vous présenterai et qui est pourtant trois fois plus court. Ce texte,
d'ailleurs, prendra en compte la cohérence du territoire national et les
dynamiques transfrontalières.
J'ai également noté dans vos interventions une certaine nostalgie du débat sur
la loi Pasqua. A cet égard, il est permis de se demander rétrospectivement s'il
s'agissait d'une vaste et utile consultation. Il ne s'agissait pas vraiment
d'une concertation puisqu'elle n'a pas permis de parvenir à un consensus.
Le débat a permis de mettre toutes les idées sur la table, ce qui était déjà
beaucoup, et de sortir des cénacles habituels des professionnels liés à
l'aménagement du territoire. Il a suscité de l'intérêt et des espoirs. Il a
montré aux citoyens que l'aménagement du territoire ne consistait pas seulement
à tracer des traits sur les cartes mais qu'il pouvait avoir des conséquences
dans leur vie quotidienne. Le résultat est nécessairement quelque peu mitigé,
parce que ces espoirs n'ont pas été satisfaits. Je ne crois pas nécessaire de
rouvrir ce débat. Les idées qui ont été mises sur la table ne sont pas si
anciennes et elles sont très riches.
J'ai souhaité modestement amélioré la loi en maintenant ce qui fonctionnait,
en mettant en oeuvre ce qui ne l'avait pas été, en abondant les fonds qui ne
l'avaient pas été - je n'aurai pas la cruauté de faire la liste, comme M.
Bellanger, tous les points qui faisaient défaut - en remaniant ce qui s'est
avéré relever de l'effet d'annonce, de l'incantation, de l'auto-suggestion,
voire de l'invraisemblable.
Bref, j'ai souhaité passer du discours aux actes.
M. François-Poncet a déclaré ce matin que tout allait pour le mieux, que
l'essentiel des textes d'application avaient été pris, excepté quelques
broutilles. Il a, je crois, fait référence aux officines de pharmacies. On en
était loin ! S'il est exact que la plupart des décrets d'application prévus par
le texte ont été publiés dans les mois qui ont suivi l'adoption de la loi, les
mesures les plus importantes sont restées sans suite.
Ainsi, le schéma national d'aménagement et de développement du territoire
devait être présenté, en vertu de l'article 2, dans un délai d'un an au
Parlement. Comment pouvez-vous me reprocher de ne pas l'avoir fait en dix-huit
mois, alors que, pendant deux ans et demi, le gouvernement précédent ne l'avait
pas fait et que tout le monde, y compris M. Jean-Claude Gaudin, lors de la
passation de pouvoir le 4 juin 1997, reconnaissait que les exercices successifs
d'application étaient insuffisants, frustrants et ne répondaient en tout cas
pas à ce qui figurait dans la loi ?
Je ne dresserai pas la liste de tous les points qui ont été évoqués. Je
rappellerai simplement que nombre d'articles renvoyaient à des textes
ultérieurs. S'agissant de la clarification des compétences, des mécanismes de
péréquation, de la réforme des finances locales ou de la simplification de la
coopération intercommunale, nous n'avons pas le mode d'emploi concret qui
aurait permis à ces politiques d'être opérationnelles.
Je souhaite maintenant entrer dans le vif du sujet. Le schéma que j'adopterai
n'est peut-être pas le meilleur, mais il est difficile de prendre des notes en
écoutant les orateurs. Je répondrai donc successivement de manière thématique à
certaines de vos préoccupations. Je dois d'ailleurs reconnaître que j'en
partage certaines.
Il en est ainsi, par exemple, du rôle du Parlement sur lequel je conclurai
tout à l'heure mon intervention. Nous n'avons pas encore trouvé la bonne
formule dans ce domaine.
S'agissant, tout d'abord, des départements et des pays, il a souvent été dit
que le projet de loi que je présenterai au Parlement au début de l'année 1999
ne reconnaissait pas au département toute sa place.
Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, de ne pas partager cette
analyse. En effet, à une exception près, nous avons conservé systématiquement
ce que prévoyait la loi Pasqua s'agissant des directives territoriales
d'aménagement prévues à l'article 4, des schémas régionaux et de la conférence
régionale d'aménagement du territoire prévus à l'article 6 ainsi que des
dispositions des articles 22, 26 et 28 et j'en passe. Le mot « département »
est loin de figurer une ou deux fois au hasard dans des phrases sans portée,
comme l'a dit ce matin M. Jean François-Poncet.
Quoi qu'il en soit, je m'étonne que des personnes aussi soucieuses de la
prééminence du département aient laissé passer dans la loi Pasqua la menace qui
figurait dans la deuxième partie de l'article 24 : « Il est tenu compte de
l'existence des pays pour l'organisation des services de l'Etat et la
délimitation des arrondissements. »
Comme l'ont souligné nombre d'entre vous, le pays ne doit pas devenir un
échelon administratif supplémentaire. Il ne se substitue ni à la commune, ni
aux structures de coopération intercommunale, ni au département. Le pays est un
espace de projet ; il vaudra par la cohérence du projet et par celle de son
périmètre.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Exact !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Il doit
recouvrir une zone cohérente d'un point de vue géographique ou au regard des
dynamiques locales. Il ne doit certainement pas être utilisé pour redéfinir les
limites des arrondissements. Je me réjouis que la révision de la loi me donne
l'occasion de supprimer ce petit membre de phrase qui vous avait sans doute
échappé.
Je ne souhaite donc nullement minorer la place du département, mais je suis
soucieuse d'une clarification des compétences car je perçois une certaine
incohérence entre votre forte aspiration à cette clarification et votre désir
qu'aucune collectivité ne soit oubliée, quel que soit le thème abordé dans la
loi.
La région, et ce sont les lois de décentralisation qui le précisent, est chef
de file en matière d'aménagement du territoire. Il lui revient d'organiser une
concertation avec les collectivités locales de rang infrarégional et de prendre
en compte leurs observations, leurs projets et leurs suggestions.
Concernant les agglomérations, certains d'entre vous ont souligné que le
Gouvernement entendait reconnaître leurs efforts en matière d'organisation en
leur donnant la possibilité de procéder à une contractualisation dans le cadre
du volet territorial des contrats de plan mais aussi de bénéficier de dotations
de fonctionnement plus attractives. Mais ces possibilités sont assorties de
contraintes fortes, telles que la taxe professionnelle unique à l'échelle de
l'agglomération et une très large intégration des compétences. Je pense
notamment à la compétence en matière de transports publics qui correspond à
l'une des inquiétudes premières des grandes agglomérations soucieuses de la
cohérence d'un réseau de transports publics.
J'ai entendu également vos inquiétudes sur les seuils nécessaires à la
constitution d'une agglomération et sur le problème de la démocratie au sein
des agglomérations.
En ce qui concerne les seuils, je partage les remarques que vous avez
formulées ici même. Ces seuils sont sans doute insuffisants pour garantir une
réelle dynamique urbaine. Il est vrai qu'une petite ville de 15 000 habitants
avec de nombreuses très petites communes environnantes a vocation plutôt à
devenir un pays qu'une agglomération, si le projet se nourrit de la réflexion
commune.
S'agissant de l'élection des conseils d'agglomération au suffrage universel,
j'y suis favorable, ce qui ne sera une surprise pour personne ici. Je crois
savoir que le Gouvernement n'y est pas hostile sur le principe, mais il a
considéré que cette disposition était peut-être hâtive au moment où se
mettaient en place les agglomérations.
Je ne doute pas que vos suggestions, vos remarques et l'intervention du
Président de la République soient l'occasion de rouvrir ce débat au sein de la
majorité gouvernementale et parlementaire, mais aussi, bien entendu, dans les
assemblées élues. Ce débat mérite d'être mené dans toutes ses dimensions et, si
vous me le permettez, d'être étendu à la question de la gouvernance des
intercommunalités au sens large.
M. Jacques Bellanger.
Très bien !
M. Gérard Larcher.
Tout à fait !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
J'en viens
aux services publics. On ne trouvera ni un député, ni un sénateur, ni un
ministre pour minorer l'importance de ces services dans notre pays. Ce matin,
Mme Heinis a fait une jolie démonstration. Nous savons bien comment peuvent se
constituer les cercles vicieux : moins d'habitants, moins d'activités, d'où
moins de services, d'où moins d'habitants, moins d'activités, etc.
Reconnaissons-le, en général, ce ne sont pas les services publics qui partent
les premiers. La baisse de la dynamique locale est souvent la première étape.
Les services publics, c'est ce qui demeure quand tout le reste a disparu,...
M. Roger Besse.
Pas forcément !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
... d'où
le désespoir des élus lorsque la disparition du service public met le doigt en
même temps sur la disparition dudit service et sur la dégradation des activités
au sein d'un territoire. C'est un cercle vicieux. Finalement, il n'est pas très
intéressant de savoir comment les choses ont commencé. Mais je ne peux partager
l'idée selon laquelle le service public doit être utilisé pour permettre
artificiellement de maintenir de la vie, une école ou une association, comme M.
Besse l'a dit tout à l'heure. C'est une conséquence heureuse des activités du
service, mais il faut que le service réponde en priorité aux besoins des gens,
et donc qu'il soit adapté en conséquence.
M. Cornu m'a accusée de vouloir sortir du moratoire. Vous le savez, monsieur
le sénateur, le
statu quo
fige les inégalités et tout le monde a
toujours su qu'il faudrait un jour sortir du moratoire. D'ailleurs, l'article
29 de la loi Pasqua a été fait à cet effet.
Il semblerait que le décret d'application ait été quasiment impossible à
rédiger. C'est pourquoi nous avons souhaité mettre au point un dispositif pour
sortir de ce moratoire, et je le détaillerai dans quelques instants.
Auparavant, je dirai qu'il est difficile de s'en tenir à une définition
étroite des services publics. J'ai beaucoup aimé, je l'avoue, votre plaidoyer,
monsieur Pastor, pour que l'on parle de façon plus large des services rendus au
public. Ce matin, l'un d'entre vous a évoqué le problème des assurances ou des
services bancaires. Vous avez vous-même évoqué le problème des boulangeries. Je
suis, pour ma part, très attachée aux épiceries à la fois dans les quartiers
des villes, qui souvent n'en ont pas, et dans les petites communes rurales.
M. Jean-Marc Pastor.
C'est pareil !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Ces petits
commerces ne rendent pas seulement des services d'appoint à ceux qui disposent
d'un véhicule automobile, ils rendent aussi des services de proximité au
quotidien à tous ceux qui n'ont pas un tel véhicule, et qui représentent tout
de même près de 40 % de la population dans les zones rurales, ce que l'on
ignore trop souvent.
M. Jean-Marc Pastor.
Tout à fait !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Nous
devrons être extrêmement attentif à la cohérence de nos discours. J'ai du mal à
tenir le discours suivant : « moins de fonctionnaires, moins de prélèvements
sur les usagers, moins de charges pour les entreprises, moins de déficits
publics et plus de services, et le maintien du
statu quo
» alors que la
répartition de la population a tellement évolué.
M. Gérard Larcher.
Il faut une organisation différente !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Quel est
le dispositif envisagé par le Gouvernement et qui sera présenté de façon plus
précise lors du Comité interministériel pour l'aménagement et le développement
du territoire, le CIADT, du 15 décembre prochain ?
Il s'agira de faire en sorte que toute réorganisation territoriale des
services publics s'inscrive pour chaque administration ou service concerné dans
le cadre d'un projet global, pluriannuel, tenant compte des évolutions
démographiques, économiques et sociales. Chaque projet de réorganisation fera
l'objet d'un recensement, par l'instance chargée de recueillir l'information,
et d'une communication au préfet.
Chaque réorganisation devra être précédée d'une concertation locale organisée
par le préfet sur la base d'une étude d'impact réalisée par l'administration
concernée. Cette étude devra concerner les conditions dans lesquelles le
service public sera rendu et la réorganisation du service. Elle devra aussi
faire apparaître l'objet de la mesure envisagée, l'intérêt des populations
desservies, les conséquences économiques et sociales du projet, notamment en
termes d'emplois, et les mesures d'accompagnement envisagées. Ces
réorganisations devront respecter un calendrier indiquant clairement les phases
de la procédure envisagée, prévoyant obligatoirement un délai de concertation
locale de six mois à compter de la saisine du préfet.
J'insisterai également sur la mise en place de compensations.
Quand les entreprises sont amenées à fermer, l'Etat et les entreprises
prévoient, souvent, des phases de reconversion mobilisant des fonds de
compensation. Il sera nécessaire de procéder également ainsi pour les services
publics.
Ainsi, les services publics qui ferment ou réduisent de manière significative
leur implantation devront contribuer financièrement aux mesures
d'accompagnement qui permettront aux territoires de faire face aux conséquences
de la fermeture ou de la réduction.
MM. Raffarin et Hoeffel ont évoqué les fonds structurels. J'ai été surprise
que vous n'ayez pas été plus nombreux à le faire. A l'heure actuelle, c'est,
selon moi, un sujet essentiel. Une partie importante des fonds mobilisés au
titre de l'aménagement du territoire émane en effet des fonds structurels.
Nous sommes en train de négocier l'Agenda 2000. Quand je dis « nous », c'est
non pas la ministre de l'aménagement du territoire, mais le ministre des
affaires étrangères qui négocie, dans le cadre du conseil « affaires générales
». Il me paraît essentiel que nous fassions entendre la voix des territoires et
la voix des élus qui les représentent, pour que les fonds structurels ne soient
pas la variable d'ajustement de l'équation.
La volonté, affirmée par tous les membres de l'Union, de limiter les dépenses
du budget communautaire malgré l'élargissement conduira à un arbitrage entre
les deux principaux chapitres de dépenses : la politique agricole commune et
les fonds structurels. Nous devons donc défendre ces fonds. Nous sommes un peu
plus fragiles pour le faire puisqu'une partie d'entre eux ne sont pas
suffisamment consommés.
Au-delà de l'invocation de la lourdeur des procédures communautaires,...
M. Jean-Marc Pastor.
Françaises, surtout !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
... nous
devons regarder nos propres limites, nos propres faiblesses.
Manque de coordination, comme l'a dit tout à l'heure M. Raoult, entre
l'Europe, l'Etat et les collectivités locales, manque de rigueur dans la
méthode, défaut dans la mutualisation des expériences : il nous faut, comme
vous l'avez dit, relever ce défi, nous assurer que les procédures de mise en
oeuvre sur le terrain, une fois les fonds délégués au préfet, ne sont pas d'une
lourdeur excessive, et ne témoignent pas avant tout du génie bureaucratique
national.
Les critères de zonage vont être modifiés. Ils conduiront à exclure certaines
zones qui sont aujourd'hui bénéficiaires d'actions jusqu'alors financées par
des crédits communautaires. Je ne suis pas en mesure aujourd'hui de vous dire
quelle sera l'ampleur de cette réduction. Ce sera une réalité pour tous les
pays de la Communauté, qui est liée à la volonté de maîtrise du budget
communautaire alors qu'il faut financer l'élargissement.
La discussion sur les critères de zonage est donc essentielle. Ce matin, l'un
d'entre vous a cité des éléments du rapport Auroux. Aux termes de celui-ci,
plusieurs dizaines de zonages - trente-quatre ou trente-cinq - coexistent sur
le même territoire de la région Rhône-Alpes. Aussi, je souhaite qu'à la
diminution du nombre des objectifs et des programmes communautaires réponde une
simplification des zonages à l'échelon national, pour nous permettre d'être
plus objectifs et plus rigoureux. La multiplication des critères d'attribution
et des zonages laisse énormément de place à l'arbitraire politique, voire
politicien, et je souhaite autant que possible échapper à cet écueil.
J'espère que nous parviendrons à une programmation commune et cohérente de ces
deux types de crédits : d'une part, les crédits communautaires et, d'autre
part, les crédits qui seront mobilisés dans le cadre des contrats de plan à
l'échelon national.
Je me réjouis de ce que la date du 1er janvier 2000 soit l'occasion d'une mise
en cohérence des calendriers. Le choix de prolonger d'un an les contrats de
plan Etat-région avait été longuement constesté, je n'y reviens pas. Il nous
donne au moins l'occasion de repartir au 1er janvier 2000 d'une façon cohérente
à l'échelon européen, national, régional et territorial.
Nombre d'entre vous ont contesté le fait que le Gouvernement ait déclaré
l'urgence sur le projet de loi. M. François-Poncet et d'autres orateurs ont
craint qu'il ne s'agisse, pour moi, de la tentation, affreuse, de priver le
Parlement d'un débat. Je voudrais vous convaincre du contraire. D'ailleurs, ma
présence ici témoigne de ma volonté d'aller jusqu'au fond des choses avec
vous.
Pour autant, les contraintes du calendrier sont importantes, terrifiantes. M.
Raffarin nous a demandé d'être cohérents dans notre démarche, à savoir d'abord
réfléchir à la stratégie, ensuite, contractualiser et, enfin, décliner les
projets sur le territoire. J'entends m'y tenir.
Ainsi la première moitié de l'année 1999 sera-t-elle consacrée à la fois à la
discussion de la stratégie de l'Etat, d'une part, et des régions, d'autre part,
et à l'élaboration stratégique des schémas de services collectifs.
La seconde partie de l'année devrait permettre la négociation proprement dite
entre l'Etat et les régions, dans la perspective des contrats de plan, et
l'élaboration des schémas de services collectifs eux-mêmes, après la phase de
discussion sur la stratégie, sans oublier, bien sûr, la réforme des fonds
structurels, à laquelle j'ai fait allusion tout à l'heure.
Je voudrais aussi que la discussion sur les schémas de services et la
discussion sur les contrats de plan soient l'occasion, pour nous, de penser non
seulement projets, mais aussi conditions de réussite des projets et moyens de
l'accompagnement des projets. Comme plusieurs d'entre vous l'ont dit, ces
moyens sont essentiellement de la matière grise, du lien entre les gens, de
l'échange d'expériences, de la formation et de la mobilisation d'énergies
locales.
Cela n'a évidemment rien à voir avec l'approche du
small is beautiful
ou du
very small is very beautiful
. Il s'agit de répondre au souci
de faire ce qui est nécessaire là où c'est nécessaire. On continuera à faire
des infra-structures de transport là où ce sera nécessaire et on se donnera les
moyens de la réussite des projets de développement local là où ils répondront
aux besoins de la population et au diagnostic que nous faisons de l'état des
territoires.
J'ai le sentiment de n'avoir pas répondu à toutes vos questions, d'avoir omis,
ou passé sous silence, des points sur lesquels nous aurons l'occasion de
débattre de nouveau longuement, qu'il s'agisse du rôle respectif des
collectivités territoriales, de la place respective des pays et des parcs
naturels régionaux, ou de tel ou tel point précis que vous avez abordé.
En conclusion, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je
tiens à dire que je suis à votre disposition pour un débat plus approfondi en
commission ou en groupe de travail. J'espère que nous pourrons améliorer la loi
Pasqua, garder ce qui était efficace et ce qui peut le devenir encore. J'espère
aussi que nous pourrons être dans les meilleures conditions pour signer les
prochains contrats de plan, avec la conviction d'avoir fait en sorte que chaque
collectivité territoriale, reconnue et respectée, joue pleinement son rôle pour
un aménagement du territoire qui ne soit pas seulement un discours
incantatoire.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le
numéro 110 et distribuée.
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