Séance du 26 novembre 1998
M. le président. La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne vous surprendrai pas en vous indiquant que six des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe voteront ces articles de la première partie du projet de loi de finances, et qu'un seul ne les votera pas. Nous les voterons pour les raisons que nous avons indiquées dans la discussion générale et qu'il n'est pas utile de rappeler maintenant.
Monsieur le secrétaire d'Etat, l'exercice auquel se livre le Sénat vous rend service. (Sourires.) Il est, en effet, tellement plus fréquent que les parlementaires en veuillent toujours plus ! Or vous avez devant vous une assemblée qui fait tout son possible pour maîtriser la dépense publique.
Si nous procédons de la sorte, c'est parce que nous sommes persuadés que c'est nous qui, ainsi, défendons le mieux l'emploi. Je vais vous en donner un petit exemple.
Le Sénat a supprimé la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, taxe que vous proposiez d'instituer pour en regrouper cinq autres, mais dont vous profitiez de la création pour augmenter le taux de 50 % et générer ainsi 613 millions de francs d'impôt, soit la suppression, en valeur, de 3 000 emplois. En supprimant cette TGAP, nous avons donc favorisé la création de 3 000 emplois !
Je pense que le Sénat s'est livré au seul exercice qui permette véritablement de créer des emplois. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 1999, dont nous venons d'achever l'examen des articles de la première partie, est marqué par des choix prudents, en matière tant de recettes que de dépenses.
Dans un contexte économique et financier caractérisé par de grandes incertitudes, le Gouvernement a choisi la modération, tout en demeurant attaché à une ambition de croissance de 2,7 %.
J'ai bien entendu les remarques de la majorité sénatoriale sur les conséquences de la crise financière, en particulier en Asie, sur notre économie. Je partage ses inquiétudes. L'un de nos éminents collègues nous a expliqué que cette crise financière était à mettre sur le compte du surendettement des économies asiatiques. C'est en grande partie vrai. Mais oserais-je rappeler à la majorité sénatoriale les éloges dont elle ne tarissait pas pour la dérégulation en général, toujours et partout, et pour les économies libérales au point de parler de « modèle de développement » ? Or, aujourd'hui, le Japon tente de sauver son système bancaire de la banqueroute par un plan de relance et une prise en charge par l'Etat, c'est-à-dire par le contribuable, de plus de 2 000 milliards de francs de créances douteuses.
Mais revenons à la France et au projet de loi de finances pour 1999.
Ce budget manifeste de profonds changements par rapport à la démarche des gouvernements précédents en ce qu'il inscrit dans de nombreux domaines une volonté de relance économique et une plus grande justice fiscale et sociale.
La baisse des droits de mutation, l'exonération de la TVA sur les terrains à bâtir pour les particuliers, la réduction de la TVA sur les travaux de rénovation dans les logements sociaux, l'accroissement du crédit d'impôt pour l'entretien des logements sont autant de moyens objectifs pour relancer l'activité économique.
De même, le rééquilibrage de la fiscalité en faveur des salariés, après des années de douceur réservée aux détenteurs de grosses fortunes, est un objectif auquel notre groupe souscrit totalement.
Les grands ministères voient leurs crédits progresser de manière significative, ce qui est de nature à renforcer l'autorité et l'efficacité de l'Etat et de ses services publics, notamment dans les banlieues et dans les campagnes.
Le groupe communiste républicain et citoyen comprend la prudence du Gouvernement dans des conditions internationales, il est vrai, difficiles. Mais justement, monsieur le secrétaire d'Etat, nous aurions souhaité, et tel était le sens de plusieurs de nos amendements, une utilisation plus audacieuse de l'outil budgétaire.
L'objectif est bien de renforcer la vigueur de notre croissance par la relance de la demande pour accélérer la création d'emplois et résorber la fracture sociale.
Dans le cadre de l'objectif - partagé - de relance, nous avons présenté et défendu un certain nombre d'amendements tendant à trouver de nouvelles ressources, par une fiscalité plus juste entre le capital et le travail. Nous avons ainsi proposé un abaissement sensible de la TVA pesant sur certains produits alimentaires : on nous a expliqué que nos propositions n'étaient pas « euro-compatibles ».
Je tiens à dénoncer la mainmise de plus en plus importante de la Commission européenne sur ces questions, qui tend à réduire sensiblement le rôle des parlements nationaux dans la discussion des projets de loi de finances. Mais nous aurons très prochainement l'occasion de revenir sur cette question de souveraineté lors du congrès de Versailles, à l'occasion de la révision constitutionnelle en vue de la ratification du traité d'Amsterdam.
Nous regrettons la rigidité du Gouvernement et l'opposition de la majorité sénatoriale à notre amendement visant à prendre en compte les cotisations mutualistes dans la détermination du revenu net imposable des salariés.
Outre le problème qu'elle pose en termes de solidarité, cette disposition, si elle avait été adoptée, aurait permis de diminuer significativement la pression qui pèse sur les budgets sociaux des collectivités territoriales, qu'il s'agisse des départements ou des communes.
Les entreprises n'ont pas été absentes de nos préoccupations, puisque nous avons déposé un amendement relatif aux comptes pour le développement industriel, les CODEVI, et à l'usage des fonds correspondants, qui selon nous, doivent permettre de développer l'emploi dans les entreprises.
Notre groupe a également fait preuve de son sens des responsabilités et a montré son souci de bonne gestion en défendant des amendements visant à accroître les ressources de l'Etat. Je pense, notamment, au relèvement de l'impôt de solidarité sur la fortune et à l'intégration d'un certain nombre d'éléments nouveaux dans l'assiette de cet impôt. Nous avons constaté, hélas ! que la majorité sénatoriale s'opposait à cette mesure.
En proposant un budget d'économie, la majorité sénatoriale a montré qu'elle manquait de mémoire, de coordination et de cohérence.
Elle a manqué de mémoire sur la question de la baisse des prélèvements, en omettant de rappeler son soutien massif et sans faille, en 1995, à l'alourdissement de la TVA, pour près de 200 milliards de francs.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et les comptes économiques de la nation. Pourquoi ne l'avez-vous pas baissée ?
M. Paul Loridant. Elle a manqué de coordination en demandant la réduction du déficit bubgétaire et du nombre de fonctionnaires quand, dans le même temps, à l'Assemblée nationale, M. Yves Fromion, membre du groupe du RPR, protestait contre l'insuffisance des crédits de la défense, quand M. Philippe Séguin jugeait scandaleuse la baisse des crédits des affaires étrangères et de la coopération et lorsque l'ensemble de vos collègues demandaient avec force une augmentation des crédits alloués à l'agriculture. Je pourrais citer d'autres exemples.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Vous n'avez pas trouvé d'exemples ici, vous allez les chercher à l'Assemblée nationale !
M. Paul Loridant. La majorité sénatoriale a manqué de cohérence en soutenant l'idée d'une réduction des crédits pour le financement des emplois-jeunes alors même que nombre de collègues mettent en oeuvre ce dispositif dans les collectivités dont ils sont les élus.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Nous respectons la loi !
M. Paul Loridant. Je ferai quelques observations à propos des collectivités territoriales.
Permettez-moi ici, messieurs, mesdames les membres de la majorité sénatoriale, de rappeler quelques faits.
Vous avez, à la demande pressante du gouvernement de l'époque, voté en 1993 à la fois la réforme de la dotation globale de fonctionnement, l'abaissement du niveau de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée grevant les investissements, ou encore la réduction de la dotation de compensation de la taxe professionnelle.
Cela n'a pas empêché, bien entendu, ceux des membres de la majorité exerçant, par ailleurs, des responsabilités dans des associations nationales ou départementales d'élus locaux de traduire les inquiétudes desdits élus locaux.
Dois-je rappeler le florilège des mesures qui ont été adoptées entre la loi de finances pour 1993 et le printemps 1997, notamment la suppression de la franchise postale et le fameux pacte de stabilité entre l'Etat et les collectivités locales dont l'une des conséquences a été de finir de déconnecter la dotation de compensation de la taxe professionnelle de la réalité de l'allégement transitoire de 16 % et, surtout, de réduire les concours aux collectivités locales ?
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. On recommence la discussion générale !
M. Michel Mercier. On recommence tout !
M. Paul Loridant. Est-ce à dire que, sur ce dossier, nous nous sommes satisfaits des propositions du Gouvernement ? Monsieur le secrétaire d'Etat, nous les trouvons insuffisantes.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Ah bon !
M. Paul Loridant. Si nous apprécions le remplacement du pacte de stabilité par un pacte de solidarité et de croissance...
M. Alain Lambert, président de la commission de finances. Un contrat !
M. Paul Loridant. ... permettant d'intégrer des éléments de croissance dans le calcul des dotations, nous estimons que l'intégration de seulement 20 % du surplus de croissance n'est pas suffisante au regard de l'évolution prévisible des charges des collectivités locales.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Donc, vous êtes d'accord avec nous !
M. Paul Loridant. De même, si nous partageons l'idée de réformer l'assiette de la taxe professionnelle afin de favoriser l'emploi, nous regrettons la solution retenue par le Gouvernement. Elle se traduira par une perte d'autonomie fiscale pour les collectivités locales et risque d'avoir un effet limité sur l'emploi.
M. Michel Mercier. Eh oui !
M. Paul Loridant. Cette réforme appelle deux remarques de notre groupe.
Tout d'abord, nous estimons que le coût exorbitant de cette mesure, pour une efficacité non démontrée, est de nature à réduire considérablement les marges budgétaires, déjà faibles, du Gouvernement pour les prochaines années.
Ensuite, le mécanisme retenu pour dédommager les collectivités locales de cette perte de ressources fiscales, en l'occurrence la compensation, ne nous convient pas, les conditions de son actualisation et de sa pérennité n'étant pas, selon nous, réunies.
M. René Ballayer. Très bien !
M. Paul Loridant. Nous regrettons que les amendements présentés par le groupe communiste républicain et citoyen et tendant à remplacer la compensation par le dégrèvement n'aient pas trouvé le soutien du Gouvernement.
L'attitude de la majorité sénatoriale, tout au long de la discussion de cette première partie du projet de loi de finances, a relevé de l'autisme politique...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout ce qui est excessif est insignifiant !
M. Paul Loridant. ... et de choix idéologiques.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Pas vous, pas ça !
Mme Hélène Luc. Si !
M. Paul Loridant. Les modifications que vous avez apportées, 10 milliards de francs de recettes en moins, dont 4,5 milliards de francs sur l'ISF et 1 milliard de francs sur l'avoir fiscal, n'ont, bien sûr, rien à voir avec des choix idéologiques, mais elles sont destinées aux détenteurs de capitaux.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est pour le bien de la France !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est un dessin animé !
M. Paul Loridant. Rien ne semble pouvoir ébranler ses dogmes libéraux battus en brèche un peu partout dans le monde : la majorité sénatoriale persiste à proposer, année après année, sans aucune cohérence avec elle-même, des remèdes qui achèvent le patient, au lieu de le soigner.
Naturellement, nous ne voterons pas cette première partie de la loi de finances, car la majorité sénatoriale l'a modifiée dans un sens qui ne nous satisfait pas et parce que nous appartenons à une majorité plurielle qui entend rester fidèle aux engagements pris devant le peuple. C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, vous pouvez toujours compter sur notre soutien (Exclamations sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants)...
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est vraiment très contradictoire !
M. Paul Loridant. ... même si nous trouvons que de temps à autre vous n'allez pas assez loin. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur plusieurs travées socialistes.)
M. Jean-Jacques Hyest. On est contre tout mais on vous soutient ! (Sourires.)
Mme Hélène Luc. Nous allons dire aux lycéens que vous supprimez 4,3 milliards de francs !
M. René Ballayer. La majorité plurielle, ça coûte cher !
M. le président. La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je ne reprendrai pas les arguments que j'ai développés lors de la discussion générale pour démontrer que ce projet de budget était bon pour notre pays et pour l'idée même que nous nous faisons de l'équité fiscale.
Le débat qui nous a réunis durant une semaine a été long, argumenté et de qualité.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. C'est vrai !
M. Bernard Angels. Il a été à la hauteur des enjeux qui nous étaient présentés, et je m'en félicite.
Sur un certain nombre de sujets, notre groupe a obtenu satisfaction et nous avons été sensibles au fait que le Gouvernement a été à l'écoute de nos observations. Je tiens à vous en remercier, monsieur le secrétaire d'Etat.
Nous espérons que les orientations demandées en matière de TVA pourront déboucher sur des négociations positives avec nos partenaires européens et apprécions de pouvoir prochainement en faire le point grâce au prochain rapport que nous avons demandé.
De même, il était important que le dispositif en matière de TVA sur les terrains à bâtir soit complété.
L'éligibilité au FCTVA des biens de section, la mesure sur les départements et territoires d'outre-mer, les dispositions sur les associations intermédiaires, sur la Corse sont autant de mesures votées sur notre initiative, et dont nous pouvons nous féliciter.
Je m'arrêterai un instant sur l'un des rares articles sur lequel aucune solution n'a pu être trouvée dans cet hémicycle. Vous l'avez compris, monsieur le secrétaire d'Etat, je veux parler du régime concernant les micro-entreprises. Nous continuons à penser que cette mesure ne répond pas à ce qui nous paraît nécessaire pour les petites entreprises.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Ah ça !
M. Bernard Angels. Cette mesure risque d'empêcher leur développement et d'entraîner un accroissement du travail au noir. (M. le rapporteur général fait un signe d'assentiment.)
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Bernard Angels. Nous redoutons également que ce dispositif n'entraîne une distorsion de concurrence.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Le bâtiment !
M. Bernard Angels. A l'occasion de la navette parlementaire, nous vous demandons, monsieur le secrétaire d'Etat, d'oeuvrer pour aboutir à une solution plus équilibrée.
C'est pourquoi, à défaut de reprendre notre proposition de modification du seuil de 500 000 francs, nous vous suggérons de permettre aux petites entreprises qui ont une forte valeur ajoutée et qui n'ont pas une activité de négoce pur de relever du régime applicable aux prestataires de services.
S'agissant de la réforme de la compensation de la taxe professionnelle et de l'extension de la taxe sur les bureaux, nous regrettons que la position radicale de la majorité sénatoriale n'ait pu permettre d'améliorer ces dispositifs qui, selon nous, méritaient de l'être. Nous sommes néanmoins certains que, là également, les réponses appropriées pourront être trouvées au cours de la navette parlementaire.
De manière générale, la majorité sénatoriale s'est efforcée de démontrer qu'il y avait place pour un budget alternatif. Elle ne nous a pas convaincus.
Mme Nelly Olin. Ah !
M. Bernard Angels. L'exercice était, il est vrai, fort difficile, face à un budget équilibré et dont les priorités sont clairement identifiées : l'emploi et la justice sociale.
Compte tenu des nombreuses mesures introduites par la majorité sénatoriale et qui ont dénaturé le projet de loi de finances,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Amélioré !
M. Bernard Angels. ... en matière, notamment, d'impôt sur le revenu, d'impôt de solidarité sur la fortune et d'avoir fiscal, nous ne pouvons, vous le comprenez aisément, adopter le texte qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur plusieurs travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous arrivons donc au terme de débats très denses, portant sur des sujets aussi divers que la fiscalité locale, la politique familiale, la taxation du patrimoine ou la TVA.
Force est de constater que les propositions faites par la majorité sénatoriale sur la stratégie budgétaire globale sont profondément différentes de celles qui sont soutenues par le Gouvernement.
A cet égard, le groupe de l'Union centriste votera, évidemment, la version largement corrigée par le Sénat de cette première partie du projet de loi de finances.
Les propositions alternatives de la commission des finances et de la majorité sénatoriale sont, en effet, à la fois courageuses et lucides : courageuses, car elles font preuve de rigueur sur les recettes comme sur les dépenses ; lucides, parce qu'elles tiennent compte des aléas que comporte actuellement la conjoncture économique mondiale.
Les prévisions de l'OCDE, rendues publiques la semaine dernière, sont à cet égard significatives : les 2,4 % de croissance évoqués pour la France sont inférieurs de 0,3 % aux prévisions du budget.
L'INSEE, pour sa part, estime que la croissance de l'investissement industriel pourrait être nulle en 1999, ce qui, là encore, fragilise le scénario d'une croissance de 2,7 % retenu par Bercy.
Sans jouer les Cassandre, il est du devoir des opposants que nous sommes de dire la vérité aux Français sur les incertitudes de l'avenir.
Cependant, il nous appartient également de présenter des propositions crédibles : c'est le cas du projet de budget alternatif présenté par le Sénat.
Quel est exactement l'enjeu budgétaire des mois à venir ? Pour 1998, et peut-être pour l'année prochaine, notre pays va bénéficier d'une certaine marge financière générée par les gains de croissance. Le Gouvernement suggère la règle des trois tiers, des tiers d'ailleurs très inégaux, comme aurait pu l'écrire Pagnol. Par ordre d'importance, il s'agirait, en premier lieu, d'augmenter la dépense publique, puis, éventuellement, de réduire le déficit et, enfin, de baisser les impôts ! A contrario, par souci de prudence face aux aléas conjoncturels et dans la perspective très prochaine de l'entrée de notre pays dans la zone euro, le Sénat juge préférable de concentrer l'effort budgétaire sur la réduction du déficit et de la dette, tout en votant une douzaine de milliards de francs d'allégements d'impôts par rapport au projet de budget initial.
Que ce soit sur le quotient familial, sur l'impôt sur les sociétés ou sur l'élargissement de l'assiette de la taxe sur les bureaux en Ile-de-France, les propositions du Gouvernement n'étaient pas acceptables, et la Haute Assemblée a donc souhaité les supprimer.
En ralliant même au-delà des travées de la majorité sénatoriale, nous avons eu également le souci d'améliorer les dispositions régissant les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales. Ainsi en est-il de l'évolution des dotations, de la limitation des transferts de charges, des modalités de la compensation de la réforme de la taxe professionnelle ou de l'exonération de TVA sur les terrains à bâtir.
Enfin, s'agissant, précisément, de la TVA, nous prenons acte de la volonté exprimée par le secrétaire d'Etat au budget de négocier à l'échelon européen des réductions de taux ciblées au bénéfice de secteurs particulièrement créateurs d'emplois.
Il me reste à féliciter la commission des finances, son président, Alain Lambert, et son rapporteur général, Philippe Marini, pour la très grande qualité du travail effectué.
M. René Ballayer. Très bien !
M. Philippe Nogrix. Sous réserve de l'ensemble de ces observations, le groupe de l'Union centriste votera donc la première partie du projet du budget pour 1999, telle qu'elle a été amendée par le Sénat. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Lachenaud. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Jean-Philippe Lachenaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je suis le dernier orateur inscrit dans les explications de vote sur la première partie du projet de loi de finances. Or, selon le proverbe, le dernier qui parle a toujours raison (Murmures sur de nombreuses travées), mais je crains que le proverbe ne s'applique pas en la circonstance. Au demeurant, selon un autre proverbe, tout le monde ayant déjà trop parlé, le dernier orateur n'est absolument pas écouté. C'est peut-être plutôt ce qui me menace. (Nouveaux murmures sur les mêmes travées.)
Mme Maryse Bergé-Lavigne. Mais non !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Après plus d'une semaine passée jour et nuit en votre compagnie, monsieur le secrétaire d'Etat,...
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. C'était un plaisir !
M. Jean-Philippe Lachenaud. ... ainsi qu'en celle de vos collaborateurs, de M. le président de la commission des finances, de M. le rapporteur général et de nos collègues, quel bilan pouvons-nous tirer de cette discussion ?
Premièrement, quelle est la qualité du dialogue qui s'est engagé au cours de la semaine ? J'y viendrai dans un instant.
Deuxièmement, avons-nous obtenu des réponses satisfaisantes aux questions fondamentales que nous avons posées ? La réponse est non.
Troisièmement, les membres du groupe des Républicains et Indépendants voteront-ils le projet de budget tel qu'il a été modifié par la commission des finances ? La réponse est oui, car nous allons en effet voter ce « budget alternatif ».
S'agissant de la qualité du dialogue, elle fut constamment présente au cours de la semaine écoulée. Je voudrais, à cet égard, rendre hommage au travail effectué par la commission des finances, par son président et par son rapporteur général et relever le sérieux de la collaboration des services de la commission. Je veux aussi vous remercier de la qualité des réponses que vous avez apportées, monsieur le secrétaire d'Etat, aux questions que nous avons légitimement formulées, et je n'oublierai pas non plus le travail des collaborateurs qui vous ont assisté.
Certes - et je m'adresse là plus particulièrement à l'opposition - les échanges ont été passionnés : quelques soirées ont été animées. Mais soyez tous assurés qu'il n'y a jamais eu, dans l'expression parfois vive de mes propos, la moindre animosité de ma part à l'égard de quiconque.
Il faut reconnaître que, dans ce dialogue, des solutions originales ont été élaborées.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Ça, pour être originales !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Mais, monsieur le secrétaire d'Etat, ce n'était pas du « bricolage », et encore moins de l'« équarrissage ».
Mme Nelly Olin. Très bien !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Cette expression a dû vous échapper !
C'est ainsi que, pour ce qui concerne la réforme fiscale, par exemple, nous avons mis au point des solutions originales positives, plusieurs des orateurs qui m'ont précédé l'ont rappelé.
Il en fut ainsi du régime fiscal des mutations de terrains. Nous étions attachés à cet objectif et nous avons trouvé une formulation juridique et financière adéquate.
Ce fut aussi le cas du régime des successions en Corse, avec la disposition républicaine que nous avons adoptée, comme l'a rappelé tout à l'heure M. le rapporteurgénéral.
En matière d'utilisation des équipements sportifs, la Haute Assemblée a élaboré, avec toute la compétence qui lui est reconnue, un texte qui encadre de manière très stricte, avec les notions de bail et de délégation de service public, la mise en oeuvre d'un taux réduit de TVA.
Nous avons donc été efficaces dans notre travail d'élaboration des dispositifs fiscaux.
Mais vous me permettrez de vous dire que ce bon dialogue nous laisse quand même un sentiment d'insatisfaction, qui est d'abord dû au fait que notre marge de choix, de proposition et de contreproposition a été très étroite.
Nous avons par ailleurs le sentiment que, ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de le dire, vos propositions en matière fiscale n'étaient pas complètement finalisées et que vous aviez l'intention d'en réserver la primeur - même s'il ne s'agit pas de Beaujolais - à l'Assemblée nationale. Cela nous a rendu la tâche un peu plus difficile, notamment s'agissant de la taxe générale sur les activités polluantes ou de la taxe en matière de locaux dans la région d'Ile-de-France. Ce ne sont pas tout à fait d'excellentes conditions de travail pour la Haute Assemblée !
Ce qui nous a surpris, aussi, c'est que, lorsque nous exprimions des réalités, elles n'étaient pas reconnues par le Gouvernement. Une sorte d'irréalisme a ainsi enveloppé cette première partie de la discussion budgétaire, et cet irréalisme nous a stupéfiés.
Si nous disons que la conjoncture est beaucoup plus incertaine que vous le prétendez - c'est pourtant écrit tous les jours dans les journaux ! - c'est une réalité dont il faut tenir compte ! Si nous disons qu'il y a dans votre budget un soutien excessif des emplois administratifs et para-administratifs par rapport aux emplois marchands, c'est une réalité, qu'il faut reconnaître ! Si nous disons qu'il y a une dérive des dépenses publiques qui va au-delà de l'inflation, c'est une réalité !
Nous sommes donc surpris de constater cet irréalisme, ce refus de reconnaître la réalité qui est la marque de ce gouvernement.
Nous n'avons eu, en guise de réponse, que la langue de bois, dans une construction financière qui date de six mois. Mais la conjoncture a changé, depuis ! Il aurait donc dû en être tenu compte.
J'en viens aux questions fondamentales que nous avons posées au cours de cette discussion et qui, toutes, ont entraîné une réponse négative.
Le budget est-il adapté à la conjoncture actuelle ? Non !
Le budget assure-t-il une maîtrise et un équilibre satisfaisants ? Non !
La réforme fiscale est-elle bien engagée ? Non !
Je vais développer brièvement (Murmures sur les travées socialistes) ces trois éléments, mais en les prenant dans un ordre inverse.
S'agissant de la réforme fiscale, trois chantiers ont été engagés avec l'accord de la commission des finances et de la Haute Assemblée : le chantier écologique, le chantier de la taxe professionnelle, le chantier du patrimoine.
Aujourd'hui, ce ne sont plus des chantiers, mais un champ de mines. En effet, après tout ce que nous avons entendu, après tant d'incertitudes et de contradictions, il ne reste véritablement pas grand-chose de la réforme fiscale, tant votre méthode est inappropriée. Vous auriez dû constituer des groupes de travail, réfléchir, et ne pas lancer une réforme fiscale dans ces conditions : alors qu'au mois de juin, lors du débat d'orientation budgétaire, nous n'avions obtenu aucune réponse à nos interrogations sur la réforme fiscale, voici qu'au mois de septembre une réforme fiscale sort du chapeau de la direction générale des impôts. Les services de Bercy sont certes parfaitement compétents, mais leur réforme ne correspond pas à la réalité économique et sociale de notre pays.
Dans tous les domaines, c'est malheureusement l'échec, qu'il s'agisse du régime fiscal de la micro-entreprise ou de la fiscalité écologique. Il manque une fiscalité pour la France qui gagne, une fiscalité pour les jeunes, une fiscalité pour les entreprises, une fiscalité pour les cadres,...
M. Jean-Pierre Demerliat. Une fiscalité pour les riches !
M. Jean-Philippe Lachenaud. ... une fiscalité pour ceux qui investissent, une fiscalité pour ceux qui vont exporter à l'étranger la technologie et l'intelligence françaises.
Où est le chantier permettant de construire une fiscalité dynamique pour l'investissement, pour l'entreprise, pour l'économie française et sa capacité d'exportation ? Nous vous invitons à le lancer, monsieur le secrétaire d'Etat, et nous sommes prêts à une coopération dans ce domaine. Il faut en effet véritablement concevoir et mettre en place une fiscalité au service du dynamisme économique.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Jean-Philippe Lachenaud. L'équilibre ? N'en parlons pas ! Il n'y a pas d'équilibre : trop de dépenses, trop de déficit, et un déficit qui, de surcroît, finance le fonctionnement.
Sur ce dernier point, comment pouvez-vous vous contenter de dire que cette obligation s'applique aux collectivités locales, mais pas à l'Etat ?
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Ainsi que le rapport général de M. Marini le soulignait très nettement, l'exemple étranger montre bien que les autres pays s'astreignent à cette discipline qui consiste à ne pas financer le fonctionnement par le déficit.
Nous, nous disons que, même si ce n'est pas interdit par la loi et si le fonctionnement inclut sans doute des investissements nécessaires pour l'avenir, notamment en matière d'éducation - nous ne le contestons pas - il n'en reste pas moins que financer le fonctionnement par un déficit excessif est inacceptable, de même qu'est inacceptable le fait de ne pas stabiliser le déficit.
M. Claude Estier. Ne dites pas cela après ce qu'a fait M. Balladur !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Vous n'allez pas dire pendant des années et des années que nous n'avons pas agi du temps de M. Juppé ni du temps de M. Balladur ! Assumez vos responsabilités !
M. Michel Mercier. Très bien !
Mme Nelly Olin. Vous avez été au pouvoir pendant quatorze ans !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Quoi qu'il en soit,...
M. le président. Monsieur Lachenaud, permettez-moi de vous rappeler que vous disposiez de dix minutes. Or vous en êtes à la onzième ! Veuillez conclure, s'il vous plaît.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Serais-je l'ouvrier de la onzième heure ? (Sourires.)
Mais je conclus, monsieur le président.
Hier, M. Baverez publiait un éditorial dans un quotidien du soir ; le matin même, paraissait un article dans les Echos ; la semaine dernière, M. Christian de Boissieu signait un article dans le Monde . Tous sont parvenus à la même conclusion : le budget que vous nous proposez aujourd'hui est inadapté à la conjoncture.
M. Claude Estier. Vous disiez déjà cela l'an dernier !
M. Michel Mercier. C'était déjà vrai !
M. Hilaire Flandre. Et cela reste vrai !
M. Alain Vasselle. Vous persévérez dans l'erreur !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Nous souhaitons la croissance, nous souhaitons une croissance durable et créatrice d'emplois. Mais, quand la conjoncture change, n'est-ce pas une politique aveugle, une politique de l'autruche que de ne pas le reconnaître ? Les meilleurs experts parlent de « coup de froid », de « nuages sombres » sur l'investissement, d'une croissance réduite.
M. le président. Il vous faut maintenant conclure, monsieur Lachenaud !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Le budget alternatif que nous présentons est un budget de responsabilité. A M. Strauss-Kahn, qui nous reprochait d'agir en contradiction avec l'ordonnance de 1959 et sans respecter l'article 40, nous répondons que nous proposons un budget alternatif et de responsabilité qui comporte un moindre déficit, une moindre croissance des dépenses, tout en respectant l'ordonnance de 1959 - c'est une règle qui s'applique à tous les députés, à tous les sénateurs et au Gouvernement - et la Constitution. Nous voulons ainsi donner un signal fort à tous ceux - collectivités locales, entreprises, citoyens - qui pensent à l'avenir et à l'investissement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Monsieur Lachenaud, permettez-moi de vous faire remarquer que vous avez su capter l'attention de vos collègues pendant treize minutes !
M. Jean-Philippe Lachenaud. J'en suis tout à fait désolé, monsieur le président.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la première partie du projet de loi de finances pour 1999.
Je rappelle que, en application des articles 47 bis et 59 du règlement, il est procédé de droit à un scrutin public ordinaire lors du vote sur l'ensemble de la première partie du projet de loi de finances de l'année.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 14:
Nombre de votants | 313 |
Nombre de suffrages exprimés | 310 |
Majorité absolue des suffrages | 156 |
Pour l'adoption | 212 |
Contre | 98 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Mme Hélène Luc. Il a adopté des réductions de crédits !
M. le président. Mes chers collègues, nous abordons maintenant l'examen de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 1999.
Services du Premier ministre
I. - SERVICES GÉNÉRAUX