Séance du 26 novembre 1998
M. le président. « Art. 36. _ Il est institué au profit du budget général de l'Etat un prélèvement exceptionnel de cinq milliards de francs au total sur le fonds commun de réserve et de garantie et le fonds de solidarité et de modernisation des caisses d'épargne et de prévoyance, gérés par le Centre national des caisses d'épargne et de prévoyance. Ce prélèvement, effectué le 30 juin 1999, est sans incidence sur le résultat fiscal et le résultat comptable de ces fonds. Le recouvrement, le contentieux, les garanties et les sanctions relatifs à ce prélèvement sont régis par les règles applicables en matière de taxe sur les salaires. »
Sur l'article, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'article 36 du présent projet de loi de finances porte sur une question déjà maintes fois examinée, celle de la procédure des recettes d'ordre par prélèvements sur divers fonds gérés par des établissements financiers à vocation publique.
Ce mode de financement de l'action de l'Etat a été largement utilisé depuis 1984, et je dois d'ailleurs faire observer que l'ancienne majorité parlementaire en a fait un usage abondant, notamment à l'occasion des collectifs de fin d'année pour lesquels existait, ces dernières années, la tentation, si j'ose dire, de « racler les fonds de tiroir » pour atteindre les objectifs fixés en matière de déficit.
On se souvient que plusieurs dizaines de milliards de francs ont été ainsi distraits des fonds de réserve des caisses d'épargne, ou encore que se sont généralisés les prélèvements tardifs, spontanés ou exceptionnels, des entreprises publiques, de la Caisse des dépôts et consignations ou de la Banque de France, destinés à combler opportunément quelques trous.
Nous avons une nouvelle illustration de la mise en oeuvre de cette procédure avec l'article 36.
Nous nous interrogeons sur l'opportunité de cette mesure, et ce pour plusieurs raisons.
La première tient à sa légitimité même.
Le recours à cette disposition serait motivé, nous dit-on, par la volonté de récupérer une partie des sommes qui ont été inscrites en 1984 dans les fonds propres des caisses d'épargne pour alimenter le Fonds commun de réserve et de garantie et le Fonds de solidarité et de modernisation du réseau des caisses d'épargne.
On peut d'ailleurs s'étonner que cette dotation en capital, qui a été utilisée pour acquérir des titres de dette publique en attendant l'affectation requise par principe, fasse aujourd'hui l'objet d'une sorte de retour en direction des caisses de l'Etat.
Cet étonnement trouve d'ailleurs aussi son origine dans le fait que le ministre de l'économie de l'époque, M. Delors, a spécifié - je cite ici le rapport de notre collègue M. le rapporteur général - que « cette dotation, qui revêt un caractère tout à fait exceptionnel, est constituée une fois pour toutes par prélèvement sur le fonds de réserve et de garantie des caisses d'épargne. Il appartient désormais au réseau de la gérer et de mettre en place les moyens de son alimentation régulière ». Il est également précisé que le transfert de fonds - et donc non pas le prêt - sera réputé effectué au 1er janvier 1984.
Dans les faits, nous sommes donc en présence d'une opération pour le moins discutable.
Les caisses d'épargne, tenues à certaines règles prudentielles - et c'est le sens de l'existence des fonds de réserve et de garantie - se sont vu imposer une sorte d'auto-apport en capital qui a ensuite été utilisé par l'Etat pour financer son propre déficit et dont le reversement, aujourd'hui, serait une sorte de réduction, a posteriori, des taux d'intérêt grevant les obligations assimilables du Trésor émises depuis 1984.
On observera également que ce prélèvement intervient alors que se pose la question du devenir du réseau des caisses d'épargne suite au rapport Douyère et dans un contexte de fortes pressions de l'Association française des banques pour mettre un terme à la spécificité de notre réseau.
Nous ne sommes pas partisans, par conséquent, de l'imputation sur les fonds propres des caisses d'épargne des sommes prévues à l'article 36.
Nous ne sommes pas plus partisans d'ailleurs du prélèvement que la commission des finances souhaite opérer sur les réserves du fonds de financement du logement.
Si l'on doit en effet constater des excédents de trésorerie dans l'ensemble des activités du réseau des caisses d'épargne, nous inclinons à penser qu'il conviendrait peut-être de leur laisser toute faculté d'user de ces excédents pour adapter leur politique de prêts en fonction des marges de réduction de taux qu'ils ne manqueraient pas d'offrir.
C'est donc, mes chers collègues, sous le bénéfice de ces observations que nous ne voterons pas cet article 36, ni d'ailleurs, monsieur le rapporteur général, l'amendement n° I-40 de la commission des finances.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est dommage !
M. le président. Sur l'article 36, je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° I-46, M. Bourdin propose de rédiger ainsi cet article :
« Il est institué, pour 1999, au profit du budget général de l'Etat, un prélèvement exceptionnel de cinq milliards de francs sur les avoirs en or de la Banque de France. »
Par amendement n° I-40, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose de rédiger ainsi l'article 36 :
« Une somme de 2,5 milliards de francs prélevée sur les avoirs de trésorerie des réserves d'épargne logement de la Caisse nationale d'épargne est dévolue à l'Etat en 1999. »
L'amendement n° I-46 est-il soutenu ?...
La parole est à M. le rapporteur général, pour défendre l'amendement n° I-40.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans quelques semaines ou quelques mois - je ne sais pas exactement quand ? - le Sénat va être saisi d'un projet de loi tendant notamment à refonder, en quelque sorte, le réseau des caisses d'épargne, ou plus exactement à définir les nouvelles modalités statutaires et économiques d'exercice de ses activités.
En avant-première de cette nouvelle définition, en cadau de joyeux avènement pour ce groupe qui va devoir être compétitif par rapport à tous les autres, on nous propose, à l'article 36, un prélèvement de 5 milliards de francs sur ses fonds propres.
Je veux vous indiquer les raisons qui, du point de vue de la commission, s'opposent à l'acceptation d'un tel dispositif.
Le Gouvernement estime - c'est ce qu'il nous dit - que ce prélèvement ne serait que le remboursement d'une dotation exceptionnelle versée aux fonds centraux du réseau des caisses d'épargne en 1984. Dans le rapport écrit, la commission des finances, me semble-t-il, fait justice de cette interprétation des choses en rappelant en particulier, avec beaucoup de détails, les indications données par le ministre de l'économie et des finances de l'époque, M. Jacques Delors, et elle cite les correspondances qui émanent de ce dernier et permettent de dire que, sur le plan juridique, la dotation de 1984 n'est pas un prêt remboursable.
Cette dotation est prévue par l'article 4 de la loi du 1er juillet 1983 portant réforme des caisses d'épargne et de prévoyance.
Sur le plan patrimonial, elle a été prélevée sur le fonds de réserve et de garantie des caisses d'épargne, centralisé à la Caisse des dépôts et consignations, mais alimenté par les profits des sommes collectées par les caisses d'épargne au titre du Livret A.
Il faut par ailleurs rappeler que les fonds centraux dont il s'agit figurent bien dans la comptabilité patrimoniale du groupe des caisses d'épargne en fonds propres. Or, comment aurait-on pu comptabiliser en fonds propres et faire certifier par les commissaires au compte, au cours de toutes les années successives, cette prise de position comptable s'il s'agissait, monsieur le secrétaire d'Etat, non pas de fonds propres, mais d'une dette ?
Affirmer qu'il s'agissait d'un remboursement revient à dire que les bilans établis ont été inexacts, que les commissaires aux comptes ont engagé leur responsabilité professionnelle en n'indiquant pas la nature exacte de ces sommes. Si c'était une dette à l'égard de l'Etat, elle devrait être comptabilisée comme une dette ; or nous savons que ce ne fut pas le cas.
Voilà pour l'aspect juridique et pour l'aspect comptable. J'insiste sur ce dernier aspect, car les caisses d'épargne présentent un bilan consolidé pour lequel beaucoup d'efforts ont été réalisés et qui, aujourd'hui, les place à un niveau d'information financière tout à fait comparable à celui des grandes banques qui interviennent sur les marchés. De plus, l'écriture que l'on nous propose - j'insiste sur ce point, mes chers collègues - jette le doute sur la qualité de la gestion et la qualité de l'information financière. Cela n'est pas acceptable.
Enfin, sur le plan économique, qui est évidemment essentiel, un tel prélèvement sur les fonds propres des caisses ne contribuera pas à préparer comme il le faudrait ces dernières au choc concurrentiel qu'elles vont subir, ce qui risque d'entamer la crédibilité du réseau au moment même où il faut lui donner toutes ses chances de réussite.
Pour le montant de ce prélèvement, des chiffres divers ont été agités, puisque le Gouvernement a souhaité l'établir d'abord à 10 milliards de francs, puis à 8 milliards de francs avant de décider qu'il serait de 5 milliards de francs.
Faut-il commencer par une telle ponction avant même de savoir les stratégies, les modes de direction, les objectifs produits, les ambitions d'un groupe qui a certainement un grand avenir dans la vie financière de notre pays et de l'Europe ?
Les caisses d'épargne, nous aurons l'occasion d'en reparler, constituent une grande chance pour le système financier français compte tenu d'un niveau de capitalisation élevé.
Les fonds propres globaux du groupe s'élèvent actuellement à environ 65 milliards de francs, desquels il faut sans doute déduire les provisions à pratiquer en contrepartie des charges de retraites qui doivent être prévues. Il va néanmoins rester 45 milliards de francs, voire 50 milliards de francs au minimum de fonds propres qu'il faut mobiliser dans l'intérêt de l'économie nationale et de la capacité compétitive concurrentielle des caisses d'épargne.
En effet, si vous voulez donner de nouveaux statuts aux caisses d'épargne, c'est bien pour qu'elles puissent lutter à armes égales dans un monde financier qui se concentre sans cesse davantage et dans lequel cette institution doit continuer à vivre et à se développer en préservant, au moins pour une part, sa spécificité, ce qui fait la valeur de son fonds de commerce et son attrait pour les épargnants. Une caisse d'épargne, c'est une banque, certes, mais c'est en même temps autre chose qu'il faut respecter et en faire un atout de plus pour le développement de l'activité.
Mes chers collègues, la commission des finances ne peut pas accepter ce prélèvement de 5 milliards de francs avant tout examen du statut, des objectifs et de la stratégie du groupe des caisses d'épargne. Nous vous en proposons donc la suppression.
Toutefois, comme nous voulons participer à l'effort du Gouvernement de financement des charges publiques et l'aider à maintenir le déficit public dans des limites acceptables, nous avons trouvé une petite ressource, sans originalité particulière, monsieur le secrétaire d'Etat, car vous-même et vos prédécesseurs nous avez appris que, de ce côté-là, il est de temps en temps des possibilités que l'on doit utiliser à bon escient. Il s'agit d'un prélèvement de 2 milliards de francs de plus que ce que vous prévoyez sur la trésorerie de l'épargne logement de la Caisse nationale d'épargne...
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est très mauvais !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Laissez-moi terminer, madame Beaudeau !
M. Guy Fischer. Mais Mme Beaudeau a raison !
M. Philippe Marini, rapporteur général. La Caisse nationale d'épargne est bien distincte des caisses d'épargne et de prévoyance. Il existe en ce domaine une règle prudentielle que nous avons toujours appliquée et à laquelle nous veillons scrupuleusement au Sénat ; c'est le maintien de la réserve à 2 % des encours de crédits. Dès lors que l'on se tient dans cette limite, et c'est ce que nous avons fait vis-à-vis des fonds d'épargne gérés par la Caisse des dépôts et consignations de manière constante, il n'y a pas de risques financiers. Les 2 milliards de francs peuvent donc être prélevés.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je veux répondre à la fois aux remarques de Mme Beaudeau et aux critiques de M. le rapporteur général.
Pourquoi le Gouvernement a-t-il proposé ce dispositif et pour quelles raisons la solution de rechange défendue par M. le rapporteur général dans le cadre de son budget alternatif n'est-elle pas bonne ?
Le dispositif du Gouvernement - cela a été rappelé et l'argumentation est convaincante - consiste à demander le remboursement d'une dotation de 3 milliards de francs qui avait été versée en 1984 par l'Etat aux caisses d'épargne. Nous nous sommes effectivement demandé comment nous allions actualiser cette dette.
M. Douyère, dans son rapport, a cité le chiffre de 8,5 milliards de francs. Le Gouvernement a indexé cette dette sur le taux de l'inflation, ce qui, vous en conviendrez, est une indexation minimale, et parvient ainsi à cette fameuse somme de 5 milliards de francs.
J'indique à Mme Beaudeau, tout comme à M. le rapporteur général, que ce prélèvement n'affecte nullement la solidité financière des caisses d'épargne, car le ratio de solvabilité, qui s'établira après ce prélèvement à 16 %, restera bien supérieur au ratio moyen des établissements bancaires français, qui est de 10 %.
Puisque M. le rapporteur général m'y a invité dans sa longue et précise intervention, j'indique que la réforme des caisses d'épargne qui vous sera soumise l'an prochain a deux objectifs.
Le premier consiste à donner aux caisses d'épargne les moyens de remplir pleinement leurs missions d'intérêt général auxquelles le Gouvernement est particulièrement attaché, à savoir le financement du logement social - de ce point de vue, le Gouvernement, contrairement à d'autres, ne veut pas banaliser le livret A - et la participation à la mise en place du fonds de réserve pour les retraites prévu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, ce qui, pour le Gouvernement et pour la majorité qui le soutient, est une façon de consolider les régimes de retraite par répartition que de grands intérêts privés souhaiteraient écorner.
Le second objectif de cette réforme - et il faut rendre hommage à M. Douyère qui a beaucoup contribué à ce dispositif - est de moderniser et d'adapter les caisses d'épargne à un paysage bancaire en pleine évolution de façon à leur assurer le brillant avenir dont a parlé M. le rapporteur général.
Tel est le dispositif gouvernemental, il est bon. Pourquoi celui que M. le rapporteur général a proposé est-il mauvais ?
Il s'agit d'effectuer un prélèvement sur les réserves de l'épargne logement de la caisse nationale d'épargne. Evidemment, des précédents existent. Des prélèvements considérables ont été opérés en 1996 et 1997. Ils ont été nettement moindres en 1998 et, dans le projet de budget, ils s'élèveraient seulement à 500 millions de francs, ce qui représente une somme très faible.
Monsieur le rapporteur général, vous proposez un prélèvement de 2,5 milliards de francs. Je regrette de vous dire que, s'il était adopté par la Haute Assemblée, on descendrait en dessous du seuil de sécurité minimal jugé souhaitable par la commission de surveillance de la Caisse des dépôts fixé à 2 %, pour arriver à 1,6 %.
Il ne me semble pas bon de porter ainsi atteinte à la santé de l'épargne logement, d'autant qu'il faut garder, comme Mme Beaudeau l'a indiqué, une marge de manoeuvre suffisante dans la mesure où les dépôts enregistrés sur les plans d'épargne logement ont beaucoup crû au cours des récentes années.
Je demande donc le rejet de l'amendement présenté par M. le rapporteur général, le dispositif élaboré par le Gouvernement étant infiniment préférable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-40.
M. Marc Massion. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Massion.
M. Marc Massion. Je ne reviendrai pas sur l'historique qu'a rappelé M. le secrétaire d'Etat.
Je remarque que personne ne remet en cause le principe du prélèvement. Selon M. le rapporteur général, la proposition de la commission des finances serait meilleure parce que le prélèvement serait moins important que celui qui est suggéré par M. le secrétaire d'Etat. Or, ce dernier vient de faire apparaître, de façon très claire, les dangers du prélèvement proposé par la commission.
Monsieur le rapporteur général, le prélèvement que vous proposez, nettement moins important, réduit encore un peu plus les recettes dans le budget alternatif que vous nous soumettez.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il en a été tenu compte !
M. Marc Massion. C'est pourquoi nous voterons contre l'amendement de la commission.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-40, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 36 est ainsi rédigé.
Article 36 bis