Séance du 12 novembre 1998
FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
POUR 1999
Discussion d'un projet de loi
M. le président
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 50, 1998-1999) de
financement de la sécurité sociale pour 1999, adopté par l'Assemblée nationale.
[Rapport n° 58 (1998-1999) et avis n° 56 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, il n'est nul besoin d'insister sur
l'attachement des Français à notre système de protection sociale ; chacun
d'entre nous en est conscient.
La sécurité sociale est notre patrimoine collectif. Son avenir est pour nous
un enjeu majeur. Elle protège les Français, elle les relie entre eux et les
garantit contre les aléas de la vie, cette protection constituant un important
vecteur d'intégration sociale.
Nous devons tout mettre en oeuvre pour en assurer la pérennité sachant
qu'aujourd'hui des risques existent, lorsque l'équilibre n'est pas atteint et
lorsque certains espèrent mettre en place un autre système fondé sur
l'assurance privée. Je crois - en tout cas je l'espère - qu'une grande majorité
de cette assemblée ne se résout pas à cette perspective et souhaite que nous
trouvions ensemble les solutions de nature à assurer la pérennisation de notre
système de sécurité sociale.
L'avenir de la sécurité sociale exige, année après année, un vrai débat et je
me réjouis que, pour la troisième fois - pour la deuxième fois en ce qui me
concerne plus particulièrement - un débat ait lieu au Parlement sur ce sujet
d'une si grande importance. J'espère que nous parviendrons, dans le climat le
plus paisible possible, à trouver les meilleures garanties d'existence de ce
système.
C'est dans cet esprit que, depuis un an et demi, nous avons essayé d'aborder
sans
a priori
ni tabou ce problème de la sécurité sociale, en décidant
de conserver les outils qui avaient été mis en place, en en faisant évoluer
certains et en en mettant d'autres en place lorsqu'ils nous apparaissaient plus
justes et plus efficaces ou tout simplement lorsqu'ils n'existaient pas.
Nous avons la conviction profonde que la consolidation de la sécurité sociale
exige d'inscrire ces réformes dans la durée. Cela signifie que les résultats ne
sont pas obligatoirement pour demain et que nous devons avoir la volonté de
progresser tout en gardant le souci de l'équilibre par des mécanismes qui le
permettent, année après année.
Face à la situation donnée, il nous faut rester modestes tout en faisant
preuve d'une totale détermination. En tout cas, nous devons choisir une méthode
qui nous permette de travailler avec l'ensemble des acteurs de la santé,
c'est-à-dire, au-delà des acteurs de la politique hospitalière ou de la
politique médicale proprement dits, avec les Français eux-mêmes. Tel est
l'objectif des états généraux de la santé, dont M. Kouchner sera amené à parler
dans quelque temps.
Si ce dialogue est nécessaire, le temps est néanmoins compté : le dialogue et
la concertation ne doivent pas empêcher la mise en place de réformes
structurelles d'envergure, si nous souhaitons atteindre les objectifs que nous
nous sommes fixés.
Une concertation préalable à des réformes de fond, à la mise en place des
outils structurels, telle est la méthode que le Gouvernement a choisi de
suivre.
A ce propos, j'évoquerai la branche famille, dans laquelle cette méthode a été
employée cette année de manière significative.
Ne l'oublions pas : la branche famille accusait l'année dernière un déficit de
12 milliards de francs et, si nous avions dû appliquer en les termes la loi de
1994, elle aurait supporté un déficit supplémentaire de 10 milliards de francs.
Aujourd'hui, elle vous est présentée avec 3 milliards de francs d'excédents.
Ce résultat, nous le devons à la négociation et à la concertation menées
pendant un an et qui ont abouti à la conférence de la famille présidée par M.
le Premier ministre. Cette manière de procéder nous a permis de respecter un
engagement pris devant vous : le retour à l'universalité des allocations
familiales, tout en gardant l'objectif que s'était fixé le Gouvernement
d'impulser plus de justice et de solidarité dans la branche famille. Ainsi, le
retour des allocations familiales sans condition de ressources est accompagné
de la réforme du quotient familial dont vous débattrez lors de l'examen du
projet de loi de finances pour 1999.
Je le répète, ce dossier est particulièrement exemplaire de la méthode : pour
préparer cette conférence de la famille, nous avons travaillé pendant un an en
concertation avec les associations familiales et les organisations syndicales,
avec l'aide d'une députée, Mme Gillot. Nous avons ainsi pu définir une
politique familiale que je crois ambitieuse et rénovée et qui s'articule autour
de trois objectifs : assurer plus de justice, faciliter la vie quotidienne des
familles et conforter les parents dans leur rôle éducatif.
Je ne reviens pas sur le débat, parfois difficile, que nous avons eu sur le
rôle de la famille. Je crois que nous sommes tous d'accord pour reconnaître le
caractère majeur de ce rôle dans l'éducation des enfants, dans l'exercice de la
vie collective, l'appréhension des valeurs, la découverte de la solidarité.
Nous savons tous que la famille doit jouer un rôle essentiel et que les parents
qui ne peuvent pas l'assumer doivent être aidés pour remplir l'ensemble de
leurs responsabilités.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Plusieurs mesures importantes
ont été annoncées au sein de la conférence de la famille, et vous les
retrouverez dans ce projet de loi de financement. Il s'agit : de l'extension de
l'allocation de rentrée scolaire à toutes les familles d'un enfant, y compris à
celles qui ne touchent pas de prestations familiales - 350 000 familles vont
être concernées ; de la non-prise en compte des majorations pour âge dans le
calcul du RMI ; de la revalorisation des aides au logement ; de l'augmentation
des moyens accordés à l'action sociale des caisses d'allocations familiales, et
ce dans le double objectif d'aider les communes les plus pauvres à mettre en
place des modes de garde collectifs et des lieux d'écoute et d'accueil des
parents éprouvant des difficultés dans leur rôle éducatif.
A ces mesures, il faut ajouter la mise en place de la délégation
interministérielle à la famille, qui travaille actuellement sur la prochaine
conférence de la famille autour de trois objectifs : une meilleure adéquation
entre la vie professionnelle et la vie familiale ; la place des grands enfants
au coeur de la famille ; les différents modes de garde.
Ainsi, en un an, nous avons pu non seulement rétablir l'équilibre, mais encore
avancer fortement dans l'élaboration d'une politique favorable aux familles.
En ce qui concerne la branche maladie, nous nous sommes engagés dans la même
démarche en reprenant le dialogue avec les organisations syndicales de
médecins, même si ce n'est pas toujours facile, avec le monde hospitalier et
avec les usagers du service de la santé.
Je le répète, nous avons pris ce dossier sans
a priori
. Je crois que,
finalement, l'important est d'arriver à mettre en place les outils structurels
qui permettront au système d'évoluer de façon à mieux servir la santé de nos
concitoyens tout en obtenant une meilleure allocation des ressources, ce qui
lui permettra d'atteindre un équilibre qu'il n'a pas pu trouver depuis de
nombreuses années.
Nous avons ainsi travaillé sur plusieurs outils essentiels en vue de faire
évoluer ce système de santé.
Il s'agit tout d'abord d'obtenir une meilleure information des médecins et de
leur assurer la meilleure formation possible.
S'agissant de leur information, nous avons, en particulier, pris le dossier de
l'informatisation à bras le corps. Aujourd'hui, 50 % des médecins sont
informatisés. Ils ont compris que, dans l'esprit du Gouvernement,
l'informatisation n'était en rien un instrument de coercition, visant à les
contrôler individuellement, mais qu'elle était un outil d'information, un moyen
d'aide au diagnostic et à la prescription, qu'elle leur permettait de
participer à la veille épidémiologique et de suivre les dossiers des malades
grâce au réseau de santé.
Le réseau « santé sociale » est maintenant en place et les premiers logiciels
seront installés d'ici à la fin de l'année.
Je suis convaincue que l'ensemble des médecins percevront tous les avantages
de cette informatisation et que, dans quelques mois, la proportion des médecins
informatisés sera beaucoup plus importante.
Pour ce qui est de la formation, je dirai simplement - Bernard Kouchner y
reviendra - que, lorsque nous avons pris nos fonctions, la réforme de la
formation médicale continue était bloquée du fait d'une opposition entre les
syndicats de médecins et que nous menons actuellement des discussions sur ce
sujet.
Pour avancer en matière de santé, il faut aussi que nous puissions disposer de
statistiques fiables et établies dans des conditions de parfaite
transparence.
Nous avons donc demandé à l'inspection générale des affaires sociale
d'examiner l'ensemble des statistiques relatives aux dépenses de santé.
J'espère que nous parviendrons, dans les semaines à venir, à obtenir des
statistiques région par région, type de médecins, par type de médecins
ventilant honoraires et prescriptions. Ainsi, chaque union régionale de
médecins sera en mesure de suivre précisément les évolutions des dépenses de
santé concernant sa région et d'intervenir lorsque des dérapages se produisent.
En effet, des médecins peuvent avoir une pratique qui n'est pas conforme à la
bonne pratique ; des médecins peuvent également avoir besoin d'être conseillés
par d'autres.
Je me réjouis que l'ensemble des syndicats de médecins nous aient demandé un
renforcement du rôle des unions régionales de médecins pour pouvoir pratiquer
une auto-évaluation. Bien entendu, cela n'enlève rien au nécessaire contrôle de
la CNAM sur les pratiques inacceptables : je pense à des médecins qui
effectuent quarante visites par jour ou qui font systématiquement revenir leurs
malades la semaine suivante.
C'est bien grâce à cette responsabilisation individuelle, - information,
formation - mais aussi par une plus grande responsabilisation collective des
médecins que nous parviendrons à faire avancer le système.
En même temps, nous devons nous efforcer de faire adopter à notre système de
santé des modes de fonctionnement prenant mieux en compte le malade, prenant
aussi mieux en compte certaines pathologies, et ce à un coût moindre. C'est
l'objet de la mise en réseau autour du médecin référent, des filières entre les
médecins généralistes et les médecins spécialistes, mais aussi des coopérations
qui commencent à se nouer entre la médecine de ville et l'hôpital.
Le présent projet de loi de financement confère précisément une reconnaissance
à ces modes d'organisation en réseau ou en filières autour du patient ou d'une
pathologie. Cela permettra d'ailleurs aussi d'instituer des modes de
rémunération différents lorsque les partenaires conventionnels le
souhaiteront.
En effet, c'est bien par le biais d'une politique conventionnelle, qui est
pour nous un outil majeur, que le système de santé doit évoluer. Je souligne
que ce texte donne, au demeurant, à la politique conventionnelle des pouvoirs
complémentaires par rapport à ce que prévoyait notre législation jusqu'à
présent.
De même, il nous semble que la démographie médicale doit faire l'objet d'une
maîtrise concertée.
Le système d'incitation à la cessation d'activité, le MICA, avait été mis en
place, mais il était très coûteux, ce qui nous a conduits à en modifier les
règles. Il devrait être possible d'aller plus loin, en le réservant aux régions
et aux spécialités qui sont excédentaires. Mais c'est aux partenaires
conventionnels d'en décider ; nous proposons de leur donner cette possibilité
dans la loi.
Pour accompagner toutes ces innovations, nous avons prévu la création d'un
fonds d'aide à la qualité des soins en ville, qui sera doté de 500 millions de
francs en 1999. Ainsi seront assurés, dans le cadre de la politique
conventionnelle, le suivi des innovations ainsi que celui des expérimentations,
qui sont d'ailleurs de plus en plus nombreuses.
J'en viens à l'hôpital.
Nous avons la conviction - et je pense que vous la partagez - de disposer d'un
des meilleurs systèmes hospitaliers du monde, qu'il s'agisse des personnels ou
des équipements. Pour autant, des évolutions importantes doivent encore être
accomplies.
Notre système hospitalier doit en effet, tout comme la médecine de ville,
s'adapter en permanence aux besoins de santé, prendre en compte les nouvelles
pathologies mais aussi tirer les conséquences des nouvelles techniques
médicales. Une opération de la cataracte ne nécessite plus aujourd'hui qu'une
journée d'hospitalisation, alors qu'elle en exigeait cinq voilà seulement un an
; nous devons en tirer les conséquences. Et ce n'est qu'un exemple parmi
beaucoup d'autres.
Depuis un an, nous nous efforçons de promouvoir une politique hospitalière
fondée sur notre connaissance des besoins de la population, région par région :
les conférences régionales de santé, ainsi que le recours à des indicateurs
plus précis, nous permettent justement de mieux les connaître.
Nous raisonnons par bassin de vie, c'est-à-dire par bassin de circulation de
la population. Nous essayons de faire en sorte que l'offre hospitalière soit de
la meilleure qualité possible, tout en évitant les gâchis et les doublons.
Nous considérons que, dans chaque région, dans chaque bassin de vie, on doit
trouver des services de haute technologie, permettant d'affronter les
pathologies les plus graves. Il faut faire le tri entre les maladies
susceptibles d'être traitées dans des structures de proximité, c'est-à-dire
pour l'essentiel les maladies chroniques, et les affections qui, pour des
raisons de sécurité et de qualité, méritent d'être prises en charge par des
hôpitaux centraux, lesquels doivent voir leurs capacités d'innovation
confortées.
C'est ainsi que nous travaillons à la révision des schémas régionaux
d'organisation de la santé. Celle-ci fait l'objet d'une grande concertation
avec le milieu hospitalier, mais aussi avec les élus. C'est ce qui se passe
dans toutes les régions françaises, à une ou deux exceptions près, qui ne sont
d'ailleurs pas acceptables. C'est ainsi que nous pourrons faire évoluer
l'hôpital.
Cette année, 2 900 lits ont été fermés. Pour la première fois, il s'agit de
vrais lits et non pas de lits autorisés non réalisés. Actuellement, 330
établissements sont en cours de réorganisation. Je me réjouis que le secteur
public et le secteur privé accroissent leur coopération, montrant qu'ils sont
capables de réfléchir ensemble à partir des besoins de santé de la
population.
Il nous faut aussi travailler à l'amélioration des statuts des personnels
lorsque cela est nécessaire. La concertation avec certains personnels
hospitaliers est en voie d'achèvement et nous a d'ores et déjà permis
d'annoncer une amélioration très appréciable de la situation statutaire des
aides soignantes et de la rémunération des gardes. Nous n'ignorons pas pour
autant qu'il reste des problèmes majeurs à traiter, tel celui des
urgentistes.
Toujours en ce qui concerne l'hôpital, un des objectifs principaux que nous
nous fixons pour cette année est l'accroissement de la péréquation entre les
régions. Nous avons, en particulier, décidé de faire en sorte que les trois
régions les moins bien dotées et les départements d'Ile-de-France ou les
hôpitaux d'Ile-de-France les moins bien dotés puissent rattraper, en cinq ans,
leur retard par rapport à la moyenne. Cela se traduit dans la clef de
répartition de l'ONDAM, l'objectif national des dépenses d'assurance
maladie.
J'en arrive au médicament.
Nous connaissons tous les données : nous consommons trop de médicaments. Or,
nous le savons bien, ce n'est pas la longueur de l'ordonnance qui fait la
qualité des soins. Au contraire, la surconsommation d'antibiotiques dans notre
pays, par exemple, entraîne une incapacité à combattre certains germes.
Je crois que les Français sont de plus en plus convaincus de cette réalité, et
j'espère que les états généraux, qui devront notamment diffuser cette
information, achèveront de les convaincre.
Quelle politique de fond souhaitons-nous mener concernant le médicament ?
Tout d'abord, nous essayons de travailler par classes thérapeutiques pour
fixer à la fois le prix des médicaments et leur taux de remboursement à l'aune
de leur effet médical.
On ne peut pas parler de politique du médicament à propos de ce que l'on s'est
contenté de faire pendant de nombreuses années dans notre pays : des
négociations bilatérales avec chaque laboratoire ne permettant que d'augmenter
un prix par ci, de retirer un produit du marché par là. Ce n'est pas ainsi que
nous aurons une politique du médicament digne de ce nom !
Nous devons partir de l'effet médical et intégrer la politique du médicament
dans la politique de la santé et la politique économique. Nous devons retrouver
une cohérence à l'intérieur des classes thérapeutiques.
C'est ce qui nous a amenés, Bernard Kouchner et moi-même, à annoncer au mois
de juillet que nous serions appelés à demander des ristournes à l'industrie
pharmaceutique. Notre démarche s'appuie donc sur la réflexion quant à l'effet
médical du médicament, quant aux différences de prix et de taux de
remboursement à travers les mêmes classes, et aussi sur le fait qu'un certain
nombre d'accords ou conventions, relatifs aux volumes et aux prix, n'avaient
pas été respectés par les laboratoires.
Je pense que cette politique a été comprise puisque nous avons pu signer un
accord avec tous les laboratoires, à l'exception d'un seul. Ainsi, 99,8 % de la
somme que nous espérions récupérer au bénéfice de la sécurité sociale seront
effectivement récupérés. Mais il faut surtout voir là l'amorce d'une nouvelle
politique de fond en direction de l'industrie pharmaceutique.
Je tiens à préciser que certains laboratoires ont signé alors même que, avec
la clause de remboursement qui aurait été maintenue si nous n'étions pas
parvenus à un accord, ils auraient payé beaucoup moins. Cela signifie bien que
les laboratoires ont compris notre volonté de mettre en place - de façon, bien
sûr, conventionnelle - une véritable politique du médicament dans notre
pays.
Nous souhaitons également développer de façon significative le médicament
générique. Nous avons publié au mois de juillet un document majeur qui permet
au médicament générique de couvrir aujourd'hui la moitié des classes
thérapeutiques et, dans ce projet de loi, nous proposons la substitution à
l'intérieur d'un groupe générique, substitution que pourra réaliser le
pharmacien.
Vous le voyez, dans tous ces domaines, médecine de ville, hôpital, médicament,
il s'agit pour nous de mettre en place des politiques structurelles qui
permettront à la fois de mieux soigner mais aussi de moins dépenser, puisque
tel est bien notre double objectif.
Bien sûr, ces politiques ne porteront vraiment leurs fruits qu'au bout d'un
certain temps. Mais, d'ici là, nous n'avons pas le droit de laisser dériver la
sécurité sociale, car elle est une garantie pour tous. Nous sommes trop
attachés à l'assurance maladie pour admettre de la voir en péril du fait de son
déficit.
Aussi proposons-nous dans ce projet de loi un nouveau système de régulation
économique, qui nous paraît à la fois plus juste et plus simple que le système
précédent, et qui a aussi l'avantage de ne pas traiter que des médecins,
puisqu'il s'applique également à l'industrie pharmaceutique.
Dans l'état actuel du texte, sont prévus des rendez-vous, après quatre mois,
puis après huit mois, qui doivent nous permettre de trouver des solutions avec
les professionnels de santé, la CNAM et les syndicats de médecins, pour ce qui
concerne la médecine de ville, avec le comité économique de médicament, pour ce
qui concerne l'industrie pharmaceutique. On pourra ainsi mettre un terme aux
dérives qui seront alors éventuellement constatées.
L'ensemble des acteurs du système de santé seront donc amenés à assumer toutes
leurs responsabilités vis-à-vis de l'assurance maladie.
La clause de régulation ne doit être qu'un serre-file, pour le cas où les
politiques structurelles ne porteraient pas leurs fruits, ou encore pour le cas
où les rendez-vous interannuels ne donnent pas les résultats escomptés.
Cela dit, nous espérons que ce dispositif sera seulement transitoire, comptant
sur les politiques structurelles pour nous permettre, à terme, d'atteindre
l'équilibre.
Pour ce qui est de l'évolution des dépenses maladie en 1999, nous essayons de
la modérer tout en tenant compte des besoins. Nous devons rester prudents. Nous
avons vu, au début de l'année 1998, comment la poursuite de l'accélération
amorcée à la fin de 1996, mais aussi des événements comme l'épidémie de grippe,
le développement des trithérapies en ville, ainsi que la reprise de la
croissance avaient entraîné un développement des dépenses de santé.
Cependant, même s'il y a des besoins nouveaux à prendre en compte, nous ne
devons pas laisser ces dépenses déraper.
Le taux d'évolution des dépenses maladie qui vous est proposé, à savoir 2,6 %,
est supérieur à celui de l'année dernière, qui était de 2,27 %, mais inférieur
à la prévision de croissance de l'économie, qui devrait atteindre 3,8 % en
1999.
D'ailleurs, si nous avions dû prendre le taux d'évolution de la croissance en
valeur, ce sont 7 milliards de francs supplémentaires qui auraient été
nécessaires pour l'assurance maladie.
Ce taux d'évolution des dépenses de santé prend donc en compte l'évolution des
besoins, mais respecte l'impératif de rigueur auquel nous sommes tenus, en
attendant que la politique structurelle qui est actuellement en discussion ou
déjà mise en place avec les partenaires conventionnels produise tous ses
effets.
J'en arrive maintenant à la branche vieillesse.
La méthode que j'ai évoquée et qui consiste à instaurer une concertation avant
de prendre une décision reste valable s'agissant de la politique des retraites.
Ainsi, comme vous le savez, le Premier ministre a confié une mission de
concertation au Commissariat général du Plan, lequel a déjà dressé un bilan, ce
qui était nécessaire pour que soit prise en compte la réalité du régime général
et des régimes spéciaux, à savoir le montant des retraites, celui des
contributions que chacun avait pu apporter, mais aussi le niveau des salaires.
Nous pourrons ainsi établir une comparaison très claire des avantages et des
inconvénients de ces différents systèmes de retraite et faire, à partir des
évolutions démographiques attendues, les prévisions les plus justes
possibles.
Le diagnostic fait actuellement l'objet d'une concertation approfondie avec
les partenaires concernés. J'espère que nous aboutirons au plus large consensus
possible et que nous pourrons, à partir du mois de février et sur la base des
scénarios proposés par le Commissariat général du Plan, lancer un véritable
débat public.
A propos, je souhaite répéter ici ce que j'ai déjà dit à l'Assemblée nationale
: j'espère que, sur ce sujet majeur qu'est le problème des retraites, dont
l'acuité sera très grande à partir de 2005, nous serons capables de travailler
tous ensemble, quelles que soient les sensibilités politiques, sous une forme
que le Premier ministre choisira mais en tout cas de la manière la plus ouverte
possible, pour trouver les solutions que les Français attendent. Une chose est
sûre : le Gouvernement souhaite d'abord consolider le système de retraite par
répartition.
A cet effet, et ceci a valeur de symbole, nous avons décidé de créer, dès
cette année, un fonds de réserve pour les retraites, auquel nous avons affecté
les deux milliards de francs qui, sans cela, auraient pu apparaître comme un
excédent de la sécurité sociale. En outre, nous avons d'ores et déjà annoncé
que d'autres fonds alimenteraient cette réserve, car il est bien évident qu'un
montant de deux milliards de francs n'est pas à la hauteur de l'enjeu.
Cependant, encore fallait-il mettre en place ce fonds dès maintenant.
De la même manière, nous avons souhaité maintenir cette année le pouvoir
d'achat des retraités, puisque le montant des retraites progressera de 0,7 %
environ. En outre, un coup de pouce complémentaire est prévu pour le minimum
vieillesse et les pensions de réversion, qui augmenteront de 2 %.
Par ailleurs, le Gouvernement a émis le souhait d'engager une réflexion sur la
création de fonds de retraite à long terme qui soient négociés et collectifs.
Ils devront être ouverts à tous et non pas seulement à ceux qui en ont
aujourd'hui les moyens, afin que chacun puisse préparer l'avenir de sa
retraite.
Nous avons également clarifié les dispositifs d'aide à domicile, lesquels
jouent, nous le savons, un rôle très important vis-à-vis des personnes âgées et
des handicapés. A cet égard, j'ai été amenée un peu tardivement - j'ai prié
l'Assemblée nationale de m'en excuser - à proposer, à partir d'un rapport dont
j'avais annoncé la publication ici même l'année dernière, une exonération
totale des charges patronales de sécurité sociale pour les associations
prestataires. Cette disposition est gagée, dans une large mesure, par un
plafonnement à quinze heures par semaine des services d'aide à domicile ouvrant
droit à des exonérations de charges sociales en faveur des employeurs âgés de
plus de soixante-dix ans. Il faut savoir que seuls 10 % de ces derniers
dépassent ce plafond, mais qu'ils représentent néanmoins 50 % des heures
exonérées. Il s'agit là, bien évidemment, d'employeurs qui disposent de moyens
suffisants. En instaurant cette mesure, nous souhaitons également inciter
davantage de personnes âgées à recourir à des associations d'aide à domicile,
lesquelles devront nécessairement se montrer professionnelles. A cet égard,
nous avons engagé une réflexion sur ces métiers de la dépendance, qui devront
être exercés aussi bien à domicile qu'en établissement.
Voilà ce que je souhaitais vous indiquer, mesdames, messieurs les sénateurs,
s'agissant de notre politique de la vieillesse et des retraites.
Avant de conclure, j'ajouterai que nous avons souhaité améliorer la sécurité
au travail et la prise en charge des maladies professionnelles. Comme je m'y
étais engagée l'année dernière, nous avons réduit le montant des cotisations «
accident maladie » pour prendre en compte l'évolution positive constatée ces
trois dernières années. Mais je dois dire que, avec le retour de la croissance,
nous enregistrons malheureusement à nouveau cette année une augmentation du
nombre des accidents du travail.
Nous avons surtout souhaité améliorer de façon très importante la prise en
compte des maladies professionnelles, en garantissant mieux les droits des
victimes, en acceptant d'ouvrir de façon moins restrictive un certain nombre de
dossiers, en calculant le délai de prescription de manière plus favorable à la
victime et en reconsidérant l'ensemble des dossiers des victimes de
l'amiante.
Par ailleurs, nous allons améliorer la réparation des maladies
professionnelles, tout en complétant les tableaux définissant celles-ci.
J'en terminerai en évoquant la réforme des cotisations patronales. L'année
dernière, comme vous vous en souvenez sans doute, nous avions commencé à
modifier l'assiette des ressources de la sécurité sociale en transférant les
cotisations salariales vers la CSG, ce qui a permis d'apporter 21 milliards de
francs complémentaires à l'assurance maladie. J'avais alors indiqué que
j'espérais pouvoir mettre en oeuvre cette année, dans ce même projet de loi de
financement, une première étape de la réforme des cotisations patronales. Cela
n'a malheureusement pas été possible, pour la simple raison suivante : la
quasi-totalité des organisations syndicales et les organisations patronales
approuvent, si je les en crois, l'objectif de définir, comme nous nous y sommes
engagés, un mode de financement plus juste, plus pérenne et plus favorable à
l'emploi s'agissant des cotisations patronales de sécurité sociale, mais nous
n'avons pas réussi à nous mettre d'accord, dans le délai qui nous était
imparti, sur les modalités. Je compte, immédiatement après le vote de la loi,
reprendre cette concertation, et le Gouvernement a d'ailleurs accepté un
amendement de l'Assemblée nationale prévoyant qu'un projet de loi sera présenté
au Parlement au cours du premier semestre de 1999. Cette réforme, qui répond à
un souci de justice sociale, est nécessaire si nous voulons continuer à
améliorer la situation de l'emploi. En tout état de cause, je pense que nous
arriverons à tenir ce délai.
En conclusion, le projet de loi vise à assurer l'équilibre des comptes de la
sécurité sociale l'année prochaine. Les mesures de redressement prises en 1997
permettent d'expliquer les trois quarts de la réduction du déficit, qui est
passé de 33 milliards de francs à 13 milliards de francs, cette réduction étant
due à la croissance à hauteur de 6 milliards de francs. J'espère que nous
continuerons, grâce aux politiques structurelles que nous mettons en place, à
obtenir des résultats positifs pour l'ensemble des branches de la sécurité
sociale.
Comme vous pouvez le constater, mesdames, messieurs les sénateurs, nous
poursuivrons dans cette voie avec la même détermination et le même
volontarisme. Je crois que les Français sont très attachés à la sécurité
sociale, qui non seulement les protège des risques de la vie, mais constitue en
outre une facette essentielle de notre modèle social. S'il m'arrive parfois de
l'entendre encore brocarder, je pense que peu nombreux sont ceux qui persistent
à le faire aujourd'hui dans notre pays, et cela me réjouit.
Quand on parle d'Europe sociale - avec plus de force aujourd'hui qu'hier -
c'est aussi de notre système de protection sociale, garant de la cohésion
sociale, qu'il s'agit. J'ai voulu aujourd'hui indiquer au Sénat comment nous
espérons faire cette année un pas de plus en direction de sa pérennisation.
J'espère que, au-delà de nos différences et des divergences politiques qui
peuvent nous séparer, nous parviendrons au moins à nous rassembler autour de
cet objectif.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Monsieur le président, messieurs les
rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que Mme Martine Aubry et
moi-même vous proposons cette année, au travers de ce projet de loi, c'est rien
de moins que d'engager un changement de culture au sein de notre système de
soins et de créer les conditions de son entrée dans le xxie siècle, en
proposant enfin des objectifs de santé publique, en orientant, en fonction de
priorités clairement identifiées, l'utilisation des moyens que la collectivité
consacre à la santé, en privilégiant la qualité des soins, en prévenant les
risques et les maladies, et enfin en associant les usagers aux évolutions du
système de soins.
Nous vous proposons de rompre avec une conception exclusivement curative et
d'ouvrir la voie à la prévention. Nous voulons que la France se dote d'un
véritable système de soins, moderne, ouvert et associant dans une
complémentarité nécessaire pratiques préventives et pratiques curatives. Nous
voulons ainsi mieux répondre aux besoins de santé des Français, notamment en ce
qui concerne les pathologies liées aux comportements, aux conduites à risques
et à l'environnement.
Le rapport du Haut Comité de santé publique, que vous avons rendu public voilà
quelques semaines, confirme cette nécessité, comme d'ailleurs les débats que
nous avons menés avec vous au sein de la commission des affaires sociales. Ce
rapport, à partir d'une analyse des principaux indicateurs de santé sur les
quatre dernières années, met en évidence des évolutions contrastées.
Permettez-moi de revenir quelques instants sur ces constats.
Tout d'abord, de mauvais résultats témoignent de l'insuffisance de la
prévention : je veux parler ici de l'évolution du nombre des cancers du poumon
- un décès sur neuf est dû au tabac, soit 60 000 décès directement liés au
tabagisme dans notre pays - et des médiocres résultats obtenus en matière de
dépistage des cancers féminins.
A propos du tabac, il ne faut pas craindre de faire la lumière sur ses
méfaits, car la France est l'un des derniers pays au monde à se masquer
certaines évidences. Il faut dire la vérité malgré les groupes de pression,
malgré les idées reçues, les refus et les cécités volontaires. Il faut lancer
des campagnes d'information à destination des médecins, qui comptent 34 % de
fumeurs dans leurs rangs, ne plus accepter la cigarette dans les lieux
publics...
M. Emmanuel Hamel.
Spécialement dans les hôpitaux, où l'on fume comme ailleurs !
M. le président.
Je vous en prie, monsieur Hamel !
Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'Etat, ne vous laissez pas
distraire.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
M. Hamel a fait une remarque judicieuse, mais puisque
vous m'invitez à ne pas me laisser distraire, monsieur le président, je ne la
relèverai pas.
De bons résultats ont aussi été obtenus, bien entendu. Je rappellerai ainsi
que notre pays vient au deuxième rang mondial, après le Japon, en termes de
durée de la vie. Les choses ne vont donc pas si mal. Un autre bon résultat
tient à la baisse substantielle de la mortalité infantile, enregistrée grâce à
la prévention de la mort subite du nourrisson. Cette politique a été mise en
oeuvre voilà six ans et mes successeurs l'ont poursuivie, ce dont je me
félicite. D'autres indicateurs s'améliorent également : j'évoquerai la
diminution du nombre des décès dus aux accidents de la vie courante et, dans
une moindre mesure, l'atténuation de la fréquence et de la gravité des
accidents du travail ou la baisse sensible de la morbidité
cardio-vasculaire.
Il demeure cependant impératif, je le répète, de rééquilibrer notre système de
santé en mettant davantage l'accent sur la prévention.
En outre, notre système a favorisé les comportements inflationnistes et n'a
pas suffisamment organisé le travail en commun des différents professionnels
sanitaires et sociaux. Bien au contraire, il les a souvent dressés les uns
contre les autres.
Ce sont ces travers que nous vous proposons de corriger cette année, ou tout
au moins de commencer à corriger. A cette fin, quatre innovations sont prévues
par ce texte.
La première innovation consiste à faire prendre en charge les actes de
dépistage par l'assurance maladie, au même titre que les actes de soins.
L'article 15 du projet de loi qui vous est soumis définit ainsi un nouveau
cadre juridique et financier pour le développement des programmes de
dépistage.
On connaît, par exemple, les bénéfices attendus des programmes organisés de
dépistage des cancers. Il faut, pour les obtenir, que l'ensemble de la
population puisse avoir accès à ceux-ci. Or seuls certains départements ont mis
en place de tels programmes qui, pour être efficaces, supposent une démarche de
qualité. Il faut mettre fin à ce double système qui laisse coexister un
dépistage organisé répondant à des procédures d'assurance qualité mais ne
touchant qu'une fraction de la population et un dépistage spontané s'inscrivant
hors des programmes d'assurance qualité et ne faisant l'objet d'aucun suivi.
Mmes Marie-Claude Beaudeau et Hélène Luc.
C'est une vraie question !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Le dispositif que nous vous proposons repose sur
quelques principes simples : tous les professionnels pourront participer à ces
programmes dès lors qu'ils s'engagent à respecter les critères de qualité ; les
examens et les tests de dépistage seront pris en charge à 100 %, afin de lever
les obstacles financiers qui privent les personnes les plus vulnérables d'un
suivi de qualité ; ces programmes seront financés dans les mêmes conditions que
les autres prestations légales de l'assurance maladie, c'est-à-dire qu'ils
seront suivis, évalués et généralisés à l'ensemble du territoire.
La deuxième innovation, c'est qu'il sera désormais possible, dans le cadre
conventionnel, d'envisager d'autres modes de rémunération que le paiement à
l'acte, qu'il s'agisse d'activités curatives ou d'actions de santé publique et
de prévention, et sans que ces activités relèvent nécessairement, comme par un
reste de frilosité, d'une simple expérience.
Maintenir en ville le paiement à l'acte comme seul mode de rémunération
n'autorise pas une prise en charge qui tienne compte de la spécificité de
certaines pathologies ou de la situation dans laquelle se trouvent certaines
personnes.
C'est pourquoi il est nécessaire de diversifier les modes de rémunération. Il
faut valoriser ces activités non curatives, alors que les modes de rémunération
actuels ont conduit à privilégier les actes techniques. Nous voulons faire des
médecins de véritables acteurs de santé publique. Ils sont prêts à le faire,
mais ils n'y ont jamais été suffisamment encouragés, ni par leur formation - et
Mme Aubry a dit tout à l'heure combien il est difficile de faire aboutir ce
chantier, mais nous nous y employons - ni par leur mode de rémunération, ni par
l'organisation d'un système de santé trop cloisonné.
Je prendrai un exemple : si l'on veut développer la prise en charge
ambulatoire de la douleur chronique rebelle ou des soins palliatifs - pour ma
part, je préfère parler de « soins d'accompagnement » - il faut développer des
réseaux et proposer un forfait. En effet, s'agissant de la douleur chronique
rebelle, la première consultation, sans doute, mais les suivantes aussi
nécessitent une attention et un temps passé auprès du malade d'environ une
heure.
M. Lucien Neuwirth.
C'est vrai !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Comment se contenter d'un paiement à l'acte ?
Troisième innovation : il sera possible, pour les partenaires conventionnels,
de mettre en place d'autres modes d'exercice libéral que l'exercice solitaire
que nous connaissons depuis toujours. Notre culture médicale est très
profondément imprégnée d'une révérence sans partage au fameux colloque
singulier. Il faut que nous évoluions sur ce point, bien entendu sans remettre
en question le meilleur de cette tradition. C'est assurément une condition
importante d'une meilleure prise en charge, qui - faut-il le rappeler ? - est
la base même de la pratique quotidienne à l'hôpital, où échange des
informations, convergence des compétences et remise en question collective
permanente construisent l'excellence, sans paiement à l'acte, je le signale.
Coordination des soins par le médecin généraliste, comme l'avait prévu la
précédente convention, mais aussi développement des réseaux de soins vont
pouvoir se renforcer.
Vous nous avez souvent entendu parler de réseaux, mesdames, messieurs les
sénateurs. Il s'agit non pas d'une incantation, mais d'une réalité à laquelle
nous souhaitons, par ce projet de loi, donner une base légale et que nous
soutiendrons par des aides financières. C'est le malade, et non le médecin, qui
sera au coeur des réseaux qui pourront associer l'ensemble des professionnels
de santé, et avant tout les médecins, quel que soit leur mode d'exercice. Le
malade pourra s'y mouvoir, mais les médecins seront priés de s'y déplacer.
C'est ainsi que nous organisons la prise en charge des cancers au sein de
réseaux avec un dossier médical unique pour le patient, avec des protocoles de
soins visant à la prise en charge du malade dès le diagnostic pour garantir
l'égalité des chances face à la maladie. Les structures accessibles à l'hôpital
seront harmonisées en trois niveaux.
Quatrième innovation : il est créé un fonds pour la qualité des soins de
ville.
Je n'insisterai pas sur l'intérêt d'un tel dispositif. Nous le créons, comme
nous l'avons fait pour les hôpitaux l'an dernier, dans le scepticisme général,
mais les projets qui nous ont été ensuite proposés ont rempli très vite notre
escarcelle. Chaque jour, nous recevons des lettres de remerciements pour cette
prise en charge.
Le fonds pour la qualité des soins en ville permettra de financer
l'élaboration de références de bonne pratique par les professionnels,
l'élaboration de normes, de protocoles, mais aussi et surtout les réseaux de
soins qui ne relèveront pas du cadre conventionnel et les applications
relatives à la qualité des soins sur le réseau santé social. Comment, en effet,
créer un de ces réseaux sans un peu d'aide ? Il n'est pas question d'imposer
quoi que ce soit. Un réseau ne se crée ni arbitrairement ni autoritairement. Il
faut toutefois au moins un secrétariat et un certain nombre d'aides pour que ce
réseau fonctionne.
J'en suis convaincu, voilà quatre grandes innovations qui marqueront
durablement notre système de santé.
Ces quatre innovations sont au service d'une politique de santé centrée sur
quelques objectifs qui constituent les priorités que nous nous sommes
assignées, Mme Martine Aubry et moi-même.
Le premier, c'est la sécurité sanitaire et la qualité des soins.
Nos concitoyens ne veulent pas dépendre du hasard dans le choix d'un médecin,
d'une équipe, d'un établissement auxquels ils ne font plus une confiance
aveugle.
Dans le même temps, cette légitime revendication s'accompagne d'une meilleure
acceptation du principe de transparence par les professionnels eux-mêmes.
Là aussi, les mentalités et les perceptions évoluent.
Depuis un an, nous avons répondu à cette préoccupation de sécurité et de
qualité des soins.
Il s'agit d'abord, grâce à vous, de la loi du 1er juillet 1998, qui renforce
l'organisation de la sécurité sanitaire.
Il s'agit ensuite des normes de sécurité que nous élaborons en étroite
concertation avec les professionnels. Nous l'avons fait récemment pour la
périnatalité non pour détruire les petites structures, mais pour les
harmoniser, leur donner une perspective, un avenir. Voilà quelques jours, j'ai
répondu sur ce point à l'un d'entre vous. Nous mettrons en oeuvre les normes
qui s'appliquent aux urgences. Nous travaillons à celles qui concernent les
activités de réanimation.
Lorsque 15 % à 20 % seulement des grossesses à risques sont prises en charge
dans des structures adaptées, cela fait courir des risques à la mère comme à
l'enfant. Lorsque dans un hôpital il existe dix-huit sites opératoires sur des
lieux différents, il est plus difficile de respecter les normes, notamment en
matière d'effectifs, pour que la sécurité soit assurée. C'est pourquoi on ne
peut séparer l'exigence de sécurité de la politique de recomposition
hospitalière que nous menons. L'une implique nécessairement l'autre. Cela veut
dire non pas qu'il faut fermer les hôpitaux - c'est très rarement le cas - mais
qu'il faut, au contraire, répartir autrement les activités et renforcer les
complémentarités. Tel est le sens de la démarche suivie dans chaque région, qui
se traduira dans les nouveaux schémas régionaux de l'organisation sanitaire. Ce
sont non pas des couperets qui tombent brutalement, mais des adaptations
réfléchies que nous mettons en oeuvre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous n'avons pas à rougir de nos hôpitaux,
au contraire. Le niveau moyen reste admirable. Je m'en rends compte, comme
vous-mêmes, chaque semaine, lors de mes déplacements et la comparaison avec
bien des hôpitaux de pays voisins le confirme.
Cette exigence de qualité et de sécurité, on la perçoit de plus en plus
clairement à l'hôpital. Elle va se poser dans les mêmes termes en médecine de
ville, sous la pression de l'opinion publique, sous la pression du juge, si
nous ne prenons pas les devants. C'est pourquoi la qualité des soins
ambulatoires est un axe majeur de notre politique. Le fonds que nous créons y
contribuera.
Le deuxième grand axe de notre action, ce sont les priorités de santé
publique.
Le dépistage et l'accès à la prise en charge de l'hépatite C constituent notre
première priorité de santé publique pour 1999.
On estime à 600 000 le nombre de nos concitoyens qui sont contaminés par
l'hépatite C. Or, seulement environ un tiers de ces personnes sont d'ores et
déjà dépistées, alors que les progrès thérapeutiques permettent de limiter
l'évolution de cette hépatite vers des formes graves et que les bithérapies
donnent, vous avez pu le lire très récemment dans la presse, des résultats
encourageants.
A partir des recommandations des experts, nous mettons en oeuvre un programme
sur quatre ans pour être en mesure de dépister l'ensemble des malades et de
favoriser leur accès aux traitements.
Dans le même temps, nous développerons les actions de prévention, en
particulier la sensibilisation des sujets à risque, comme les usagers des
drogues, et le renforcement de l'hygiène hospitalière.
Notre deuxième priorité de santé publique, conforme, là aussi, aux enjeux
identifiés par le Haut Comité de santé publique et la Conférence nationale de
santé, c'est le dépistage des cancers, dans le nouveau cadre que j'ai évoqué
voilà un instant.
En 1999, ces programmes de dépistage seront mis en place pour les cancers
féminins avec l'objectif d'éviter, chaque année, 1 000 décès provoqués par le
cancer de l'utérus et 600 décès provoqués par le cancer du sein. Puis, nous
nous attaquerons - avant la fin de l'année prochaine, je l'espère - au
dépistage du cancer colorectal.
Notre troisième priorité de santé publique, c'est la santé des jeunes. Il
s'agit, pour nous, d'une préoccupation majeure.
Progression de la précarité, difficultés d'insertion dans une société toujours
plus compétitive, disparition des grandes aventures collectives sont autant de
facteurs qui développent chez beaucoup de jeunes une véritable souffrance, qui
s'exprime à travers le suicide, la violence ou l'usage de substances toxiques,
licites ou illicites.
Il nous faut travailler sur les souffrances psychiques des jeunes qui sont à
l'origine de ces conduites à risque, avec les jeunes naturellement. Un groupe
de travail est actuellement à l'oeuvre au ministère et rendra très
prochainement, je l'espère, ses conclusions.
Je souhaite que le secteur psychiatrique participe à la prise en charge de
cette souffrance, en allant soutenir, informer et former les intervenants
sociaux qui travaillent auprès des adolescents.
Il nous faudra également restaurer ou créer une capacité d'hospitalisation
suffisante en pédopsychiatrie et créer des consultations adaptées à destination
des adolescents.
En matière de suicide des jeunes, l'objectif, dans une première étape, avec un
groupe de spécialistes, est de faire passer, en trois ans, le nombre des
suicides en dessous de 10 000 par an, chiffre qui demeure effrayant.
Quant au tabac, permettez-moi de m'y attarder à nouveau un instant : 35 % des
jeunes âgés de douze à dix-huit ans fument. Les crédits publics de lutte contre
le tabagisme ont été portés de 20 millions de francs en 1997 à 50 millions de
francs en 1998 ; c'est plus, mais ce n'est pas assez. Ces crédits servent à
financer une grande campagne d'incitation au sevrage tabagique en direction du
grand public et des professionnels. Elle a déjà connu un succès.
Cette campagne sera poursuivie et développée en 1999.
En matière de lutte contre l'alcoolisme qui, bien sûr, ne concerne pas
seulement les jeunes, il nous faut parachever le transfert des centres
d'hygiène alimentaire et d'alcoologie dans le secteur médico-social. La loi de
lutte contre les exclusions les a déjà intégrés dans le dispositif
médico-social. La loi de financement de la sécurité sociale assurera leur
financement dans le cadre de l'ONDAM. Ces deux mesures leur permettront de
travailler plus facilement et plus efficacement.
Notre quatrième priorité, c'est la lutte contre la douleur et le développement
des soins d'accompagnement.
Vous le savez, nous attachons une importance toute particulière à
l'amélioration de la prévention et de la prise en charge de la douleur, et au
renforcement des soins d'accompagnement. Demain, aura lieu à l'UNESCO, une
grande rencontre sur la douleur de l'enfant. Il n'est plus acceptable que la
douleur - son expression, sa prévention, son traitement - soit encore autant
négligée en France.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Nous mettons en oeuvre, dans ce domaine, un programme
ambitieux sur trois ans, qui intègre des mesures pour améliorer les soins
d'accompagnement. Je citerai, entre autres mesures, le carnet à l'entrée pour
que les patients n'hésitent pas à se plaindre des douleurs, la suppression du
carnet à souches, la facilité octroyée aux infirmières et aux infirmiers de
prescrire les antalgiques majeurs afin de ne pas avoir à chercher le médecin
que l'on ne peut pas joindre la nuit quand on a besoin de lui.
(M. Gournac
fait un signe d'assentiment.)
Je citerai aussi la réglette, l'inscription
de la douleur sur la pancarte située au pied du lit du malade, la formation.
M. Emmanuel Hamel.
Voilà un progrès !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
C'est un progrès verbal ! Encore faut-il le mettre en
oeuvre !
M. Emmanuel Hamel.
Eh bien, faites-le, sinon n'en parlez pas !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Nous mettons en oeuvre ce programme, qui comporte
aussi des mesures relatives aux soins d'accompagnement. Je souhaite que nous
puissions développer dans notre pays une nouvelle approche et un nouveau rituel
de la fin de vie. Je m'en suis déjà longuement expliqué avec certains d'entre
vous qui travaillent à nos côtés.
Cependant, tous ces efforts n'ont de sens que dans une perspective qui
constitue le fondement de notre politique : permettre au malade de prendre
toute sa place au coeur du système de soin et, au-delà, permettre à l'usager,
l'information l'y poussant, de devenir l'acteur central du système de santé.
C'est par les malades que l'on fait évoluer le système de santé, que l'on
transforme les mentalités, y compris médicales. Le sida nous l'a montré. Etre
un citoyen au coeur du système de santé, c'est pouvoir être impliqué dans les
décisions concernant sa propre vie ; mais au-delà, c'est pouvoir également
peser sur les choix majeurs auxquels est confronté notre système.
C'est la raison d'être des états généraux de la santé, qui ont débuté depuis
plusieurs semaines, à travers de multiples initiatives locales que nous
soutenons. Nous vous demandons, mesdames, messieurs les sénateurs, de nous en
proposer. Déjà plus de quarante-cinq réunions majeures ont eu lieu ; cinquante
se tiendront d'ici à la fin du mois.
Nous avons voulu que le premier temps de cette vaste implication des Français
dans la réflexion sur leur système de santé se nourrisse des multiples
initiatives des élus locaux, des responsables syndicaux ou associatifs. Des
manifestations se déroulent et se dérouleront à travers la France. La diversité
des thèmes retenus illustre la démarche des états généraux : « Evaluation des
soins psychiatriques » à Besançon, « Bâtiment et santé » à Nantes, « Alcool et
ses dangers » à Angers, « Prise en charge de la douleur » à Vannes et au Mans.
Voilà quelques initiatives parmi d'autres.
Nous engageons désormais le second temps des états généraux. Dans les grandes
villes de province, les thèmes retenus par le comité de pilotage national sont
discutés au cours de forums pour lesquels des jurys citoyens sont constitués
par la presse locale ainsi que sur l'initiative d'associations et de
professionnels.
De nombreuses autres réunions sont organisées, à l'instigation des comités
régionaux des états généraux.
Nous voulons que, grâce aux états généraux, s'engage une véritable dynamique
d'appropriation des enjeux de santé par les Français pendant la durée de ces
états généraux, mais aussi au-delà. Les états généraux doivent être le
déclencheur de cette dynamique, de ce mouvement en marche vers « la démocratie
sanitaire » que Martine Aubry et moi-même appelons de nos voeux.
Pour conclure, je dirai, mesdames, messieurs les sénateurs, que politique de
santé publique et politique de l'assurance maladie devraient enfin trouver une
véritable cohérence. Des moyens au service d'objectifs et une politique de
santé qui prend pleinement en compte la nécessité de la prévention, qui met
l'accent sur la qualité des soins et qui vise à placer non plus le médecin,
mais l'usager au coeur du système, au côté du médecin,...
M. Lucien Neuwirth.
C'est ce qu'il faut !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
... telle est l'ambition des mesures contenues dans ce
projet de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, ambition que
nous voulons ardemment vous faire partager.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du groupe communiste républicain et citoyen, du RDSE et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Delaneau, président de la commission des affaires sociales,
en remplacement de M. Charles Descours, rapporteur de la commission des
affaires sociales pour les équilibres financiers généraux et l'assurance
maladie.
M. Descours, président du groupe d'amitié France-Mexique, a été invité à ce
titre à accompagner M. le Président de la République française, qui se rend en
Amérique latine en visite officielle. Telle est la raison de son absence
aujourd'hui. Mais il participera à nos travaux lors de la discussion des
articles du projet de loi.
M. Jean Delaneau,
président de la commission des affaires sociales, en remplacement de M.
Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et
l'assurance maladie.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur
le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour la troisième fois depuis la
réforme constitutionnelle de 1996, le Parlement est saisi d'un projet de loi de
financement de la sécurité sociale. J'ai constaté avec satisfaction que
l'ensemble des forces politiques avait salué, lors du débat à l'Assemblée
nationale, les progrès pour la démocratie et la transparence que constitue
désormais ce rendez-vous annuel.
La première partie de mon propos sera consacrée aux équilibres financiers
généraux et la seconde à l'assurance maladie.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 est marqué
par la perspective d'un retour à l'équilibre des comptes sociaux. Le
Gouvernement s'en félicite.
Pourtant, à l'examen, ce projet de loi de financement nous semble fragile dans
ses équilibres, inabouti dans ses analyses et peu cohérent dans ses
propositions.
Tout d'abord, l'équilibre des comptes sociaux pour 1999 nous semble fragile,
et ce en raison de trois caractéristiques.
Première caractéristique, il repose sur des prévisions économiques optimistes.
Naturellement, madame la ministre, la commission des affaires sociales ne
prétend pas détenir la vérité en matière de prévisions économiques. Mais elle
se réfère aux travaux des experts et, en premier lieu, à ceux de la commission
des finances du Sénat, dont la pertinence et la qualité sont connues depuis
longtemps.
Tout d'abord, la prévision de croissance de 2,7 % du PIB en volume est
volontariste ; le Gouvernement ne l'a quasiment pas modifiée depuis le début de
l'été en dépit du développement de la crise financière internationale, même si
la récente prévision de l'OCDE, l'organisation de coopération et de
développement économiques, à 2,6 % paraît la conforter.
Par ailleurs, l'évolution des prix à la consommation - plus 1,3 % - nous
paraît surprenante au regard tant du rythme atteint à la fin de 1998 - plus 0,3
%, sur les neuf premiers mois de l'année - que des prévisions des instituts de
conjoncture, plus proches de 0,9 %.
Or, les prévisions de recettes dépendent tout autant, et peut-être davantage,
de cette prévision d'inflation élevée que du taux de croissance en volume.
Enfin, la croissance en valeur retenue pour la masse salariale - plus 4,3 % -
paraît forte. Certes, madame la ministre, la croissance française, grâce aux
allégements de charges sociales sur les bas salaires décidés par MM. Edouard
Balladur et Alain Juppé, est désormais plus riche en emplois.
(Sourires sur
les travées socialistes ainsi qu'au banc du Gouvernement.)
M. Claude Estier.
C'est merveilleux !
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
Il suffit désormais de 1,5 % de croissance pour créer des
emplois, quand il fallait plus de 2 % au début des années quatre-vingt-dix.
M. Claude Estier.
Je me demande pourquoi on a dissous l'Assemblée nationale !
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
C'est l'évolution du salaire moyen par tête - 2,5 % en 1999
contre 2,2 % en 1998 - qui nous paraît surévaluée. Les accords signés dans le
cadre des 35 heures montrent que la modération salariale est leur condition
sine qua non.
M. Dominique Strauss-Kahn déclarait ainsi récemment, dans
une revue américaine, que « les salariés devront accepter des restrictions
salariales ».
Vous objectez, madame la ministre, que l'opposition avait tenu le même
discours l'année dernière.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est vrai !
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
Vous avez eu effectivement raison de croire en la croissance
de la masse salariale pour 1998, la croissance pour 1997 ayant été
sous-évaluée.
Mais le grief que la commission des affaires sociales fait au projet du
Gouvernement est moins de retenir une hypothèse optimiste de croissance, dont
nous espérons tous la réalisation - cela montrerait en effet que notre pays va
tout à fait bien - que de ne pas en tirer toutes les conséquences : présenter
des comptes qui ne sont à l'équilibre que de l'épaisseur d'un trait revient à
se priver de toute marge d'erreur pour 1999 et de toute marge de manoeuvre pour
les années suivantes.
Je rappellerai qu'un point de croissance de la masse salariale en moins
représente une perte de recettes de 12 milliards de francs, dont 9 milliards de
francs pour le seul régime général.
La deuxième caractéristique de cet équilibre est d'être atteint par un
surcroît de recettes.
En trois ans, de 1997 à 1999, le retour à l'équilibre des comptes sociaux a
été obtenu au prix d'efforts considérables demandés aux contribuables. Il y a
effectivement peu de « prélèvement supplémentaire » dans le projet de loi de
financement pour 1999, ce dont il convient de se féliciter. Mais l'effet
mécanique des dispositions de redressement des deux premières lois de
financement joue à plein.
Des recettes supérieures de 5,5 milliards de francs aux prévisions sont
apparues en 1998. Malheureusement, ces plus-values de recettes n'ont que
partiellement compensé le dérapage des dépenses, qui s'élève à 7 milliards de
francs et qui est imputable principalement à certains atermoiements du
Gouvernement concernant l'assurance maladie. La prévision d'un déficit du
régime général de 13,3 milliards de francs en 1998 n'est pas un bon résultat ;
si les dépenses avaient été maîtrisées, le déficit aurait pu s'établir à 5
milliards de francs.
La troisième caractéristique de cet équilibre est de ne pas traduire un
assainissement de l'ensemble des branches.
L'équilibre affiché n'est qu'algébrique et recouvre des « plus » et des «
moins » : les excédents de la branche famille, pour 2,9 milliards de francs, et
de la branche accidents du travail, pour 1,3 milliard de francs, masquent le
déficit de la branche vieillesse, qui s'élève à 3,9 milliards de francs, tandis
que la branche maladie est, « par construction », en équilibre dès lors que son
déficit est automatiquement ramené à zéro par l'affectation des excédents de
CSG.
La séparation des branches qui, depuis 1994, fonde la clarification et le
redressement des comptes sociaux est incompatible avec un équilibre global et
apparent masquant la persistance d'un lourd déficit de l'assurance
vieillesse.
Ensuite, le projet de loi n'est guère cohérent dans ses propositions, et je
donnerai deux exemples à cet égard.
Madame la ministre, vous avez déclaré à propos de l'assurance vieillesse, lors
du débat à l'Assemblée nationale, que, « en attendant les conclusions des
travaux du Plan, le Gouvernement s'est engagé dans deux voies ». Il y a quelque
contradiction à attendre... tout en s'engageant. Il n'est pas surprenant que
les deux voies en question soient elles-mêmes contradictoires.
D'ailleurs, voilà quelques minutes, la même ambiguïté est apparue dans votre
propos : pratiquement dans la même phrase, vous avez dit que ce projet de loi
de financement de la sécurité sociale apportait des réponses structurelles
lourdes et importantes, et vous avez fait état des réflexions engagées dans le
cadre des différentes études en cours pour mettre en place des réformes
structurelles ! Le Gouvernement convient lui-même que la création d'un fonds
de réserve pour les retraites par répartition est avant tout une mesure
symbolique : il s'agit d'affirmer la nécessité de constituer des réserves pour
conforter les régimes de retraite par répartition qui affronteront le choc
démographique de 2005.
Mais il se sent dès lors autorisé à décider une revalorisation exceptionnelle
des pensions qui aggrave le déficit 1999 de la caisse nationale d'assurance
vieillesse.
Le message consistant à affirmer simultanément le souci - au demeurant
légitime, mais au prix de déficits accrus - de faire participer dès aujourd'hui
les retraités aux « fruits de la croissance » et la nécessité impérieuse de
constituer des réserves pour payer les pensions de demain apparaît ainsi
singulièrement brouillé ! M. Alain Vasselle, rapporteur pour l'assurance
vieillesse, reviendra naturellement sur ce point.
Un second exemple d'incohérence est fourni par les dispositions relatives à la
famille et à la vieillesse.
La branche famille, excédentaire, ne bénéficie que du minimum légal de
revalorisation des prestations. La progression des pensions fait l'objet d'un «
coup de pouce », alors que la branche vieillesse est fortement déficitaire. Ce
traitement paradoxal sera étudié par M. Jacques Machet, rapporteur pour la
famille.
Enfin, ce projet de loi est inabouti.
Rarement le Parlement n'aura été sollicité par autant d'annonces de réformes
qui, toutes, doivent aboutir en 1999, mais dont aucune ne figure, sous une
forme achevée, dans le texte qui nous est soumis : avenir des retraites - cette
réforme nous a été promise pour très bientôt et je pense que la commission des
affaires sociales pourra entendre l'auteur du rapport au mois de décembre
prochain - réforme de l'assiette des cotisations patronales, couverture maladie
universelle, réforme des aides à domicile, toutes questions que M. Alain
Vasselle abordera.
Sur la réforme de l'assiette des cotisations patronales, le choix a été fait
de demander un rapport de plus. M. Malinvaud nous a expliqué, lors de son
audition par la commission des affaires sociales, que son rapport n'était pas
celui qui correspondait à la demande du Parlement. En effet, il a effectué une
analyse économique des cotisations patronales, sans s'intéresser au financement
de la sécurité sociale. Nous retenons du rapport Malinvaud la nécessité d'un
allégement des charges sociales sur les bas salaires, à travers un barème
pérenne. Le Sénat avait voté une proposition de loi en ce sens, le 30 juin
dernier, un mois avant la publication de ce rapport. Mais la baisse des charges
ne peut pas tenir lieu de politique de financement de la sécurité sociale.
Nous devons tirer les conclusions de la réforme de la CSG sur les cotisations
salariales, ainsi que de l'instauration à venir de la couverture maladie
universelle. La réforme du financement de la sécurité sociale reste
inachevée.
Ce caractère inabouti et décevant du projet de loi nous donne le sentiment,
madame la ministre, que vous devrez revoir votre projet en cours d'année.
Si les réformes que vous comptez entreprendre dans les toutes prochaines
semaines ou les tout prochains mois, dont personne ne conteste l'urgence, ont
des effets sur l'année 1999, il serait particulièrement malvenu que le
Parlement n'en soit pas saisi. Si elles n'entrent en vigueur qu'en l'an 2000,
nous ne pourrons alors que déplorer le temps perdu et regretter que ce projet
de loi soit peut-être - mais nous ne le souhaitons pas - celui des « occasions
manquées ».
En outre, il ne serait guère acceptable qu'une nouvelle fois le Parlement ne
soit saisi d'une modification des conditions de l'équilibre qu'à l'occasion de
la seule ratification en fin d'année d'un décret majorant le plafond de recours
à l'emprunt par les régimes de sécurité sociale.
S'agissant des orientations relatives aux équilibres généraux, la commission a
tenu à rappeler deux grands principes, mis à mal par le Gouvernement : la
clarification des relations financières entre l'Etat et la sécurité sociale, et
la séparation comptable des branches.
La loi du 25 juillet 1994 a posé le principe fondateur de la compensation
intégrale aux régimes de sécurité sociale des exonérations de charges sociales
décidées par l'Etat. Ce principe est fondamental, même s'il ne vaut que pour
les exonérations décidées après l'entrée en vigueur de cette loi : plus de 17
milliards de francs restent ainsi à la charge de la sécurité sociale.
Pour la commission des affaires sociales, ce principe doit s'appliquer aux
exonérations de cotisations dans le cadre de la loi d'orientation et
d'incitation à la réduction du temps de travail. Votre argumentation, madame la
ministre, d'une prétendue neutralité en raison des « retours » pour la sécurité
sociale, ne nous convainc pas. Le Gouvernement avait en effet annoncé qu'il
introduirait dans le présent projet de loi une mesure de compensation qui ne
serait que partielle. Certes, il ne l'a pas fait, mais il n'a pas non plus,
semble-t-il, renoncé à prendre une telle mesure en cours d'année.
Nous proposerons donc de réaffirmer explicitement ce principe dans le projet
de loi. Nous avons en effet constaté, lors des auditions en commission, que les
présidents des caisses étaient dans une incertitude totale,...
M. Michel Caldaguès.
Eh oui !
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
... les uns s'appuyant sur l'absence de dispositif
dérogatoire dans le projet de loi pour estimer que la compensation serait
intégrale, les autres relevant que le rapport de la commission des comptes de
la sécurité sociale avait établi l'hypothèse d'une compensation partielle.
La compensation doit, selon nous, s'appliquer également aux dispositifs
antérieurs à la loi de 1994, dont le taux d'exonération est fortement majoré :
il en est ainsi de l'exonération pour les associations d'aide à domicile, qui
est portée de 30 % à 100 %. Ces exonérations doivent être compensées à hauteur
de la majoration du taux d'exonération.
La compensation doit s'appliquer, enfin, aux dispositifs antérieurs à la loi
de 1994, que le Gouvernement proroge, en les modifiant de surcroît. Si tel
n'était pas le cas, l'esprit sinon la lettre de la loi serait détourné.
L'Etat fait également supporter des charges de trésorerie importantes à la
sécurité sociale : les remboursements peuvent être tardifs, comme celui de la
majoration de l'allocation de rentrée scolaire, qui est l'une des causes du
décret du 26 août 1998 relevant le plafond de trésorerie du régime général.
Contraindre l'Etat à la neutralité de ses opérations en trésorerie avec la
sécurité sociale, telle est l'une des raisons qui nous a conduits à proposer un
amendement de suppression de l'article 34 tendant à ratifier ce décret, l'autre
raison étant le souci de donner un coup d'arrêt à une pratique fâcheuse qui
s'instaure et qui n'est d'ailleurs pas le propre de ce gouvernement : modifier
systématiquement par voie réglementaire l'une des dispositions normatives
importantes des lois de financement.
Le second grand principe posé par la loi du 25 juillet 1994 est celui de la
séparation comptable des branches. Il convient de réaffirmer, face à
l'équilibre proposé - qui n'est qu'un équilibre d'affichage - que ce principe
doit être intangible.
Nous devons être également attentifs aux transferts entre branches.
M. Jacques Machet,
rapporteur de la commission des affaires sociales pour la famille.
Ah
!
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
Nous ne pouvons enfin, madame la ministre, qu'être inquiets
quand vous annoncez que le fonds de réserve pour les retraites serait alimenté
par « les excédents de la sécurité sociale ».
M. Michel Caldaguès.
Bien sûr !
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
Or, selon les projections annexées au projet de loi de
financement, la seule branche à afficher des excédents dans les années à
venir...
M. Alain Vasselle,
rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance
vieillesse.
C'est la branche famille !
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
... est la branche famille,...
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
... ce qui montre d'ailleurs que la mise sous condition de
ressources des allocations familiales n'était pas justifée par des
considérations financières.
M. Michel Caldaguès.
Ni comptables, d'ailleurs !
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
S'il se confirmait que ces excédents devaient être
confisqués, il serait particulièrement grave pour notre pays que la politique
familiale soit ainsi sacrifiée.
Pour conclure ces considérations sur les équilibres financiers généraux,
permttez-moi d'avancer une réflexion à plus long terme.
Abordant l'examen de la troisième loi de financement depuis la réforme
constitutionnelle de 1996, la commission a constaté que ladite réforme
constituait un progrès considérable et l'amorce d'une évolution profonde.
Elle a constaté également que cet instrument était perfectible. Elle entend,
en conséquence, constituer un groupe de travail chargé de proposer une
amélioration de la présentation des lois de financement et, au-delà d'une
multiplication vaine des annexes, de la qualité et de la cohérence des
informations fournies au Parlement.
Comme l'y a invité son président, notre assemblé donne ainsi une illustration
supplémentaire de sa capacité d'analyse et de proposition.
Je vais maintenant évoquer la situation de l'assurance maladie et les
dispositions du projet de loi qui la concernent.
Mon propos comprendra trois points : j'évoquerai d'abord le dérapage des
dépenses d'assurance maladie en 1998 et les sanctions financières décidées au
cours de l'été ; j'aborderai ensuite la situation de l'hôpital, totalement
oublié par le projet de loi, même si M. le secrétaire d'Etat nous en a
longuement parlé tout à l'heure et si, sur bien des points, nous nous
rejoignons en la matière ; enfin, j'évoquerai les mesures du projet de loi qui
concernent les médecins libéraux et l'industrie pharmaceutique et qui mettent
en place des mécanismes de régulation comptable se traduisant par des sanctions
financières.
L'ONDAM de 1997 avait été fixé à 600,2 milliards de francs par la première loi
de financement de la sécurité sociale, en progression de 1,7 % par rapport à
1996, soit un taux assez strict. Grâce - pourquoi ne pas le dire ? - à la
réforme entreprise par le Premier ministre Alain Juppé, cet objectif a été
respecté, le taux d'évolution des dépenses n'ayant été que de 1,5 %.
Les résultats ne seront probablement pas aussi bons en 1998, bien que
l'objectif national de dépenses d'assurance maladie se soit vu accorder un taux
de progression plutôt généreux de 2,27 %. En effet, dès les premiers mois de
l'année, le dérapage a été significatif, notamment pour les médecins libéraux,
dont le total des dépenses remboursables a évolué de 3,7 %.
La publication de ces chiffres a entraîné, aux mois de juin et de juillet, des
mesures concernant les chirurgiens-dentistes, ainsi que la présentation d'un
plan d'économies d'environ 3 milliards de francs.
Ainsi, dès le 26 juin 1998, le Gouvernement a reporté, par arrêté, une mesure
de revalorisation de la nomenclature de chirurgie dentaire, pourtant prévue par
la convention des chirurgiens dentistes signée par l'assurance maladie et
approuvée par arrêté ministériel. J'aimerais, madame la ministre, que vous nous
indiquiez les modalités selon lesquelles la Caisse nationale d'assurance
maladie des travailleurs salariés a été consultée sur ces mesures.
Une seconde mesure a concerné les radiologues. Le 11 août 1998, un arrêté a
ainsi baissé de 13,5 % la valeur de la lettre clé Z 1. Le Gouvernement a
annoncé qu'il entendait « récupérer » 450 millions de francs et a donc consenti
à caractériser cette baisse de « temporaire ». Là aussi, j'aimerais, madame la
ministre, que vous nous donniez des précisions.
Ainsi, à quelle date les 450 millions de francs seront-ils récupérés ? Si
l'objectif de dépenses des spécialistes n'est pas respecté, les radiologues
seront-ils appelés à payer une contribution financière comme les autres
spécialistes ? En d'autres termes, devront-ils payer deux fois ?
Mais l'essentiel des économies a été demandé à l'industrie pharmaceutique. Il
convient, à cet égard, d'observer que cette industrie, qui représente environ
15 % des dépenses de l'assurance maladie, sera appelée à financer à hauteur des
deux tiers le plan d'économies gouvernemental.
Afin de récupérer 1,5 milliard de francs, le Gouvernement a menacé les
industriels d'une taxe, inscrite à l'article 26 du projet de loi. Mais, les
laboratoires ayant accepté de payer par conventions, cet article a été retiré
en première lecture à l'Assemblée nationale.
Malgré ce plan d'économies, l'ONDAM de 1998 sera probablement dépassé. Au
total, en fin d'année, la dérive par rapport à l'objectif serait d'environ 6
milliards de francs.
La commission des affaires sociales estime regrettable que les décisions les
plus importantes du Gouvernement en matière d'assurance maladie se soient
résumées, depuis son entrée en fonction, à des pénalités financières infligées
aux professionnels et aux industriels de santé, sanctionnant un dérapage des
dépenses que, par son abstention, voire par certaines déclarations
ministérielles, ce même gouvernement avait contribué à favoriser.
J'en viens maintenant à la situation de l'hôpital.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale est quasiment muet sur
l'hôpital public, qui constitue pourtant l'enjeu principal pour l'avenir du
système de santé et de l'assurance maladie.
Ce silence pourrait être compris comme un hommage à la perfection des
dispositions de l'ordonnance du 24 avril 1996 portant réforme de
l'hospitalisation publique et privée. Il reflète malheureusement l'absence de
politique hospitalière du Gouvernement et son souci, malgré l'urgence des
enjeux, de mettre l'accent sur une réflexion prospective que nous ne récusons
pas, mais qui devrait venir en accompagnement d'un certain nombre de mesures
que nous considérons comme urgentes : des groupes de travail vont ainsi être
chargés de réfléchir à l'ensemble de la politique hospitalière.
Bien entendu, nous sommes favorables à ce travail de réflexion et de
concertation, et nous en avons connu beaucoup d'exemples, sous bien des
gouvernements ! Or, si l'on peut encourager de telles méthodes quand elles
constituent un prétexte à l'action, on ne peut le faire lorsqu'il s'agit
simplement d'un prétexte à l'inaction ou à l'attente ou quand les résultats ne
sont pas, ensuite, utilisés.
L'exemple du dossier des praticiens hospitaliers montre ainsi malheureusement
que, même lorsque la réflexion a eu lieu, le Gouvernement ne semble pas décidé
à agir, encore que vous ayez annoncé un certain nombre de mesures. Peut-être
pourrez-vous les préciser, madame la ministre.
Il convient également de regretter le retard pris pour mettre en place les
outils de la réforme Juppé, comme l'accréditation ou la contractualisation
entre hôpitaux et agences régionales.
Enfin, le Gouvernement ne semble pas utiliser les marges disponibles pour
favoriser les restructurations. Ainsi, l'objectif de dépenses hospitalières
pour 1999 sera fixé à 2,5 %. Si cette progression était utilisée pour financer
les restructurations, ce ne serait pas contestable ; mais on constate que,
parallèlement, pas un centime des 300 millions de francs que nous avions votés
pour le fonds d'accompagnement social des restructurations n'a encore été
utilisé.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Quoi ? Oh !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Tout a été utilisé !
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
Nous en discuterons certainement chiffres en main !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Ce sont des projets : ils sont en cours !
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
Nous constatons, par ailleurs, que le projet de loi de
finances revoit à la baisse, pour 1999, les autorisations de programme du fonds
d'aide aux investissements de restructuration hospitalière. C'est pourquoi la
commission vous proposera de procéder à un abattement d'un milliard de francs
sur l'ONDAM et d'affecter cette somme au fonds de modernisation hospitalière,
ce qui, je pense, vous conviendra parfaitement.
J'évoquerai maintenant les principales dispositions du projet de loi, qui se
résument, une fois de plus, à de nouvelles contributions à la charge des
laboratoires pharmaceutiques et des médecins libéraux.
En ce qui concerne l'industrie pharmaceutique, les articles 24 et 25 du projet
de loi, dans leur rédaction actuelle - que nous tenterons d'améliorer - mettent
fin à toute politique conventionnelle du médicament au lieu de l'améliorer.
L'Assemblée nationale, qui a très sensiblement modifié le texte du
Gouvernement, semble en effet lui préférer un dispositif purement comptable,
aux termes duquel tout dérapage des dépenses entraîne la taxation du chiffre
d'affaires.
La politique conventionnelle n'est maintenue que pour la forme : en effet, aux
termes des amendements adoptés par l'Assemblée nationale, les entreprises
peuvent être soumises à une taxation importante de l'évolution de leur chiffre
d'affaires alors même qu'elles ont respecté à la lettre tous leurs engagements
conventionnels. Je souhaiterais connaître, madame la ministre, votre point de
vue sur ce sujet.
Je vous proposerai évidemment de modifier ce dispositif et j'espère que nous
pourrons trouver, cette semaine ou dans le cours de l'examen du projet de loi,
une nouvelle rédaction plus conforme aux intérêts de l'assurance maladie et de
l'industrie.
Pour les médecins libéraux, les articles 21 et 22 du projet, qui mettent en
place un mécanisme de taxation permanent et une taxation spécifique pour 1998,
occupent cinq pages et demie du projet de loi.
Le Gouvernement propose d'abord au Parlement de créer, pour 1998, une taxation
applicable en cas de dépassement des objectifs d'évolution des dépenses fixés
par le règlement conventionnel minimal. Il n'en définit ni le seuil de
déclenchement, ni le taux, ni les modalités de calcul, qui seront déterminés
par un décret en Conseil d'Etat. Dans ces conditions, la commission vous
proposera de ne pas accepter cet article.
Le projet de loi tend, par ailleurs, à instituer un mécanisme permanent de
régulation des dépenses qui ne fera que pérenniser la pratique inaugurée en
1998 - vous avez d'ailleurs eu un échange à ce sujet avec M. Barrot à
l'Assemblée nationale, en reconnaissant que vous n'aviez pas mis vous-même ce
système en place - avec des lettres clés flottant en cours d'année et des
reversements collectifs en fin d'année.
Ainsi, des médecins ayant accepté de signer une convention et ayant déterminé
au début de l'année avec les caisses un objectif de dépenses médicales et des
tarifs pour l'année pourraient voir ces tarifs baisser au bout des quatre
premiers mois de l'année, puis une nouvelle fois au bout de huit mois, sans
pour autant que soit écartée la perspective d'une contribution en fin
d'année.
A supposer que ce mécanisme de régulation des dépenses médicales constitue, en
fait, la traduction d'une politique des revenus des médecins, force est de
constater que les salariés du secteur public ou privé ne voient pas fluctuer
ainsi les déterminants de la rémunération de leur activité.
Certes, le mécanisme de reversement établi par l'ordonnance dite « Juppé »
posait problème, nous en convenons. Mais, alors que le Gouvernement souhaite
aller jusqu'au bout de la régulation comptable et collective que ce dispositif
comportait, la commission vous proposera au contraire d'aller jusqu'au bout de
l'individualisation de la responsabilité des médecins à laquelle il faisait
aussi appel.
Ainsi, tirant les leçons du passé, nous vous proposerons d'instituer un
mécanisme simple, médicalisé et efficace de maîtrise des dépenses.
Garantissant le respect des objectifs tout en organisant l'amélioration des
pratiques médicales individuelles et collectives, il répond au double souci de
favoriser la qualité des soins dont bénéficient les Français et d'en limiter le
coût.
Il tourne le dos à ce que nous appelons, peut-être de façon impertinente, les
« usines à gaz comptables » inventées par le projet de loi et que nous ne
pouvons accepter.
Vous ne réussirez pas, madame la ministre, à maîtriser durablement la dépense
sans les médecins, et je sais que vous en êtes convaincue. Vous pourrez
toujours les menacer de multiples taxes, d'augmenter de 10 000 francs ou de 20
000 francs, chaque année, leurs cotisations sociales, je crains que vous ne
parveniez qu'à provoquer une radicalisation qui, si elle s'accompagnait d'un
fléchissement de la croissance, et donc d'un déficit accru de l'assurance
maladie, ne manquerait pas de faire voler en éclats le contrat social qui fonde
notre protection sociale.
En conclusion, je rappelle que, l'an dernier, l'imagination créatrice du
Gouvernement s'était concentrée sur la définition de nouveaux prélèvements ou
l'augmentation de prélèvements sur les assurés sociaux. Cette année, ce sont
les professionnels de santé qui seront mis à contribution. Il nous faut refuser
cette logique et faire des propositions pour l'avenir plus conformes aux
intérêts des assurés et des professionnels de santé.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Lesquelles ?
M. Jean Delaneau,
rapporteur.
Vous les découvrirez, madame la ministre, lors de l'examen
des amendements que nous avons déposés.
C'est donc à cette tâche que s'est livrée la commission des affaires sociales,
qui proposera de nombreux amendements importants à ce projet de loi.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Guy Allouche remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Machet, rapporteur.
M. Jacques Machet,
rapporteur de la commission des affaires sociales pour la famille.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, pas d'hypocrisie et recherche de l'objectivité : tels sont les
principes qui me guideront.
Madame la ministre, dans votre intervention, fort longue, vous avez abordé en
premier le thème de la famille, alors que ce n'est pas votre responsabilité
principale. Je tenais à vous en remercier.
Le débat sur le volet relatif à la branche famille du projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 1999 s'engage dans un climat
apparemment plus serein que celui de l'année dernière. Le Sénat ne peut que
s'en féliciter.
Le Gouvernement est en effet revenu sur la mise sous condition de ressources
des allocations familiales, que notre Haute Assemblée avait refusée avec
vigueur. Cette décision, qui confirme
a posteriori
les analyses
formulées par le Sénat lors de l'examen du projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 1998, a permis une reprise du dialogue avec les
différentes parties prenantes de la politique familiale.
J'examinerai, tout d'abord, la situation financière de la branche famille,
avant d'analyser les principales mesures prévues ou intégrées dans le projet de
loi de financement de la sécurité sociale pour 1999.
La branche famille devrait être excédentaire en 1999. Alors qu'elle
connaissait, depuis 1994, des déficits importants, les comptes prévisionnels
pour 1998 et 1999 font apparaître une nette amélioration de la situation : la
branche devrait être déficitaire de 1 milliard de francs en 1998 et
excédentaire de 4 milliards de francs en 1999, avant les mesures figurant dans
le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
S'agissant de l'évolution récente des différentes prestations, deux éléments
sont particulièrement notables : d'une part, la fin de la montée en charge de
la loi relative à la famille ; d'autre part, l'impact des mesures prises à
l'occasion de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998.
La loi du 25 juillet 1994 relative à la famille devait avoir un coût total
estimé à 9,3 milliards de francs à la fin de l'année 1998 ; le chiffre final
devrait être plutôt proche de 15,2 milliards de francs, soit un surcoût de près
de 6 milliards de francs par rapport aux prévisions initiales. Cependant, il
apparaît que la montée en charge de cette loi est maintenant achevée depuis
1997.
Le surcoût induit par la loi relative à la famille témoigne, à l'évidence, du
succès que cette dernière a rencontré, succès dont il convient de se
féliciter.
La mise sous condition de ressources des allocations familiales s'est traduite
par une économie sur les dépenses de 3,8 milliards de francs en 1998. Cette
mesure a véritablement changé la nature de la politique familiale : en 1997,
les prestations familiales versées sous condition de ressources représentaient
65 % du total des prestations familiales ; en 1998, cette proportion est tombée
à 22 %. On ne saurait mieux justifier
a posteriori
les craintes émises
par le Sénat de voir de la sorte la politique familiale se transformer en une
politique d'aide sociale.
D'un point de vue financier, la mise sous condition de ressources des
allocations familiales n'était pas véritablement nécessaire ; elle apparaît
avant tout comme une mesure idéologique visant à écarter certaines familles du
bénéfice de la politique familiale.
Sans la mise sous condition de ressources des allocations familiales, le
déficit tendanciel pour 1999 aurait été de 1 milliard de francs, soit une
situation proche de l'équilibre. Pour les années 2000 et 2001, le solde de la
branche serait devenu excédentaire.
Il était donc possible, d'une part, de se dispenser de cette mesure en
1998,...
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Jacques Machet,
rapporteur.
... d'autre part, de l'abandonner en 1999 sans prévoir pour
autant une nouvelle forme de pénalisation des familles par l'abaissement du
plafond du quotient familial.
Le Gouvernement n'a, en effet, pas renoncé à opérer un prélèvement de 4
milliards de francs sur les familles.
Afin de masquer le recul politique que constituait l'abandon du critère de
ressources pour les allocations familiales, il a décidé une autre mesure à
caractère fortement idéologique : l'abaissement du plafond du quotient
familial, prévu dans le projet de loi de finances pour 1999.
L'abaissement de ce plafond devrait rapporter 3,9 milliards de francs au
budget de l'Etat. Afin d'établir un lien financier entre le surcroît de
dépenses pour la branche famille entraîné par le retour à l'universalité des
allocations familiales et le surplus de recettes fiscales dont bénéfiera
l'Etat, il a été décidé que le budget de l'Etat prendrait à sa charge
l'allocation de parent isolé, l'API, qui représente un montant de dépenses
annuel de 4,3 milliards de francs pour la branche famille.
Le rapporteur que je suis est amené à formuler deux remarques.
D'une part, rien ne garantit la pérennité de la prise en charge de l'API par
l'Etat. Compte tenu des excédents prévisionnels futurs de la branche famille,
il pourrait être tentant pour l'Etat - cela est déjà arrivé ! - de revenir sur
cet engagement et de faire supporter de nouveau à la branche famille le poids
financier de cette prestation. L'Etat conserverait, parallèlement, le bénéfice
du surplus de recettes fiscales engendré par l'abaissement du plafond du
quotient familial.
D'autre part, cette prise en charge pose un véritable problème de principe.
Rien ne justifie, en effet, le financement par l'Etat de l'API, qui constitue
précisément une reconnaissance de la fonction parentale. Le choix de la prise
en charge de cette prestation par l'Etat apparaît purement circonstanciel et ne
répond à aucune raison de fond.
Ce montage financier introduit, en outre, une confusion supplémentaire dans
les missions et les modalités de financement de la branche famille.
Les différentes mesures prévues ou intégrées dans le projet de loi de
financement de la sécurité sociale réduisent très légèrement l'excédent
prévisionnel de la branche famille, qui devrait finalement s'établir à 2,87
milliards de francs. La branche serait également excédentaire de 4,8 milliards
de francs en 2000 et de 8,3 milliards de francs en 2001.
La perspective d'excédents structurels de la branche famille pourrait susciter
certaines tentations. Aussi votre rapporteur souhaite-t-il formuler une mise en
garde, mes chers collègues. Il serait inacceptable que ces excédents servent à
combler d'éventuels déficits futurs des autres branches de la sécurité sociale.
Il ne serait pas davantage convenable que ces excédents aillent alimenter le
fonds de réserve pour les retraites créé par le présent projet de loi.
Le Gouvernement mène, en réalité, une politique familiale en trompe-l'oeil.
Il n'est pas nécessaire, je crois, de rappeler les raisons qui ont conduit la
Haute Assemblée à s'opposer vigoureusement à la mise sous condition de
ressources des allocations familiales.
Le choix annoncé par le Gouvernement, lors de la conférence de la famille du
12 juin dernier, de renoncer à cette réforme - trois mois seulement après
l'entrée en vigueur effective de la mesure ! - confirme
a posteriori
le
bien-fondé et la pertinence des analyses formulées par la commission des
affaires sociales.
M. Alain Vasselle
rapporteur.
Eh oui !
M. Jacques Machet,
rapporteur.
On ne peut cependant que regretter que le Sénat n'ait pas été
entendu plus tôt,...
M. Alain Gournac.
C'est dommage !
M. Jacques Machet,
rapporteur.
... lors des débats sur le projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 1998 - n'est-ce pas, monsieur Fourcade ?
Cette mesure s'est traduite par la perte des allocations familiales pour 350
000 familles et par une diminution de leur montant pour 35 000 autres.
Ces chiffres ne peuvent, à eux seuls, rendre compte des conséquences morales
et psychologiques pour les familles de ces modifications répétées et
contradictoires de la législation sur les allocations familiales.
De surcroît, la suppression de cette condition de ressources ne constitue pas,
pour les familles, un simple retour à la situation antérieure à 1998.
M. Alain Gournac.
Eh non !
M. Jacques Machet,
rapporteur.
En effet, cette mesure s'accompagne de l'abaissement du
plafond du quotient familial, qui entraînera une augmentation de l'impôt sur le
revenu pour 500 000 familles. Mais les familles concernées ne s'en apercevront
que dans six mois !
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Jacques Machet,
rapporteur.
En contrepartie, seules certaines de ces familles
retrouveront le bénéfice des allocations familiales.
L'abaissement du plafond du quotient familial porte un coup sévère à la
politique fiscale en faveur des familles, menée depuis la Libération, en 1945.
Quelle année pour les familles françaises !
Le système du quotient familial ne fournit en soi aucune aide, aucun avantage
aux familles ; il garantit seulement que le poids de l'impôt est équitablement
réparti entre des familles de taille différente mais de niveau de vie
équivalent, selon un principe d'équité horizontale.
La diminution du plafond du quotient familial est une réforme injuste. A
revenu primaire identique, les familles ont toujours un niveau de vie inférieur
à celui des couples sans enfant et des célibataires.
Fallait-il, par conséquent, sans vouloir dresser les uns contre les autres,
choisir de faire porter sur les seules familles une augmentation de la pression
fiscale ? Pourquoi augmenter l'impôt des familles avec enfants en épargnant les
couples et célibataires sans enfant de même niveau de vie ?
Parallèlement, le Gouvernement envisage de faire voter par le Parlement la
proposition de loi relative au pacte civil de solidarité, le PACS, qui
permettrait à tout couple de concubins déclarant partager leur revenu de
bénéficier du quotient conjugal. Il serait particulièrement malvenu madame la
ministre, qu'une telle mesure soit financée par une augmentation des impôts
prélevés sur les familles.
Depuis 1945, le principe du quotient familial n'a jamais été remis en cause,
bien que l'avantage fiscal en résultant ait été plafonné. Il ne faudrait pas
que, par l'abaissement du plafond, il devienne progressivement une coquille
vide.
La suppression de la mise sous condition de ressources des allocations
familiales apparaissait comme la correction d'une erreur. Il est regrettable
que la correction de cette erreur se fasse au prix d'une nouvelle erreur au
détriment des familles.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
Parmi les mesures annoncées lors de la conférence de la famille du 12
juin dernier, certaines sont indéniablement positives et méritent d'être
saluées. Je pense notamment à l'extension du bénéfice de l'allocation de
rentrée scolaire aux familles d'un enfant, au relèvement de dix-neuf à vingt
ans de l'âge limite d'ouverture du droit aux prestations familiales et à
l'augmentation très importante des moyens accordés à l'action sociale de la
branche famille, et je vous en remercie.
Je regrette cependant que le Gouvernement ait choisi de financer ces mesures
par des économies sur d'autres prestations, au moment même où la branche
famille est excédentaire.
On ne peut ainsi que déplorer que le Gouvernement ait choisi d'économiser 870
millions de francs en 1999 et 1,8 milliard de francs en année pleine en
reculant de dix à onze ans et de quinze à seize ans les majorations pour âge
des allocations familiales. Cette mesure, qui concernera un nombre important de
familles, semble très contestable.
Enfin, le Gouvernement a prévu une revalorisation modeste - 0,71 % - de la
base mensuelle des allocations familiales, la BMAF, qui conditionne l'évolution
de la plupart des prestations familiales.
Loin de moi l'idée de monter les uns contre les autres, mais force est de
constater que les pensions de retraite seront, quant à elles, revalorisées de
1,2 %. Tant mieux pour les retraités ! Le Gouvernement donne un petit coup de
pouce aux retraites et il accroît encore les dépenses d'une branche déficitaire
; parallèlement, il refuse tout effort supplémentaire en faveur des familles,
alors que la branche famille enregistre un excédent important.
Il s'agit d'un choix politique inquiétant et très révélateur du peu d'intérêt
accordé par le Gouvernement au renouvellement des générations, pourtant si
nécessaire à l'équilibre futur de nos régimes de retraite par répartition.
Il apparaît à l'examen que la politique familiale du Gouvernement semble
n'avoir pour seule finalité que de maintenir la branche famille en excédent. Si
cela est bien, ce n'est pas suffisant ! Au moment où une proposition de loi
relative au pacte civil de solidarité vient fragiliser l'institution
familiale,...
M. Gilbert Chabroux.
Mais non !
M. Alain Vasselle,
rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance
vieillesse.
Mais si !
M. Alain Gournac.
Fragiliser, exactement !
M. Jacques Machet,
rapporteur.
... il est regrettable de constater que notre pays manque
toujours d'une politique familiale ambitieuse à la hauteur des enjeux, aux yeux
de votre rapporteur, mes chers collègues, si importante pour l'équilibre de
notre société.
C'est sur cette affirmation de foi que je conclus cette intervention, en vous
remerciant, monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, de votre particulière attention.
M. le président.
La parole est à M. Vasselle, rapporteur.
M. Alain Vasselle,
rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance
vieillesse.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans mon rapport sur le projet de loi
de financement de la sécurité sociale de 1998, j'avais souligné que
l'adaptation de nos régimes de retraites aux évolutions démographiques était
l'un des chantiers les plus difficiles des prochaines années. J'avais regretté
que l'année 1998 se présentât à cet égard comme une année perdue.
Un an plus tard, le débat consacré au volet assurance vieillesse du projet de
loi de financement de la sécurité sociale s'ouvre dans une certaine
confusion.
Soucieux de repousser des décisions difficiles, impopulaires, mais pourtant
inéluctables, le Gouvernement subordonne toute réforme d'ampleur à la
publication du diagnostic sur les retraites qu'il a demandé au Commissariat
général du Plan, dirigé par M. Charpin, dont Mme le ministre nous a parlé dans
son intervention liminaire, voilà quelques instants.
Pourtant, sans attendre les conclusions de cette étude, le Gouvernement remet
en cause l'indexation des pensions sur les prix qui constituait, je le
rappelle, mes chers collègues, l'un des fondements de la réforme de 1993,
initiée sous le gouvernement de M. Balladur.
En outre, conscient de l'absence pour la deuxième année consécutive
d'initiatives en matière de retraite, le Gouvernement crée un fonds de réserve
pour les retraites dont la finalité et les modalités de financement restent -
c'est le moins que l'on puisse dire - particulièrement floues.
Parallèlement, le Gouvernement multiplie les effets d'annonce en inscrivant
dans ses orientations l'abrogation de la loi du 25 mars 1997 créant les plans
d'épargne retraite, qu'il avait, il est vrai, refusé d'appliquer - il suffit
pour s'en convaincre de lire les débats de l'Assemblée nationale, n'est-ce pas,
monsieur Fischer ? - et décide la mise en place, dès 1999, d'un nouveau système
d'épargne-retraite par capitalisation.
Ce vaste « rideau de fumée », si je suis me permettre cette expression, qui
traduit surtout un embarras du pouvoir politique à la perspective de réformes
difficiles, ne doit cependant pas masquer la réalité.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 ne parvient
pas à ramener le régime général à l'équilibre - celui-ci restera durablement
déficitaire - et ne résout en rien les problèmes immédiats.
S'agissant de l'avenir des régimes de retraite, la création impromptue d'un
fonds de réserve n'apporte qu'une réponse dérisoire aux besoins futurs. Les
véritables réformes ne sont quant à elles toujours pas engagées.
A l'évidence, la politique du Gouvernement en matière de retraite consiste
essentiellement à gagner du temps.
Les différents régimes d'assurance vieillesse connaissent des situations
contrastées.
J'esquisserai, tout d'abord, un tableau assez général de la situation des
principaux régimes avant d'analyser le contenu du projet de loi de financement
de la sécurité sociale pour 1999.
Après avoir connu un déficit de 5,2 milliards de francs en 1997, puis de 5,6
milliards de francs en 1998, la branche vieillesse du régime général restera
déficitaire en 1999. Le déficit tendanciel du régime général atteindrait 6
milliards de francs en 1999 et le déficit prévisionnel après la loi de
financement de la sécurité sociale s'établirait à 3,8 milliards de francs.
Les régimes de base des personnes non salariées - ORGANIC, CANCAVA, CNAVPL -
sont équilibrés grâce, pour les deux premiers, à un apport du produit de la
contribution sociale de solidarité des sociétés, la fameuse C3S.
Les régimes complémentaires de salariés - AGIRC et ARRCO - enregistrent les
effets très positifs des accords du 25 août 1996.
Pour l'ARRCO, les exercices 1998 et 1999 devraient se solder par des excédents
de 7,3 milliards de francs et de 14,2 milliards de francs. Le déficit de
l'AGIRC devrait, quant à lui, se réduire, passant de 2,3 milliards de francs en
1998 à 1,7 milliard de francs en 1999.
S'agissant des régimes spéciaux de retraite, je souhaiterais attirer tout
particulièrement votre attention sur la situation financière préoccupante de la
CNRACL.
Je tiens, au nom de la commission des affaires sociales, à dénoncer, une
nouvelle fois, la situation absurde à laquelle conduit le mécanisme de la
surcompensation : la CNRACL connaît aujourd'hui des difficultés financières,
dont témoigne la reconduction, dans le projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 1999, d'un plafond d'avance de trésorerie de 2,5
milliards de francs, alors même que le résultat technique du régime est
excédentaire de 17 milliards de francs par an.
J'ai eu un débat sur ce point avec le président de la CNRACL, M. Domeizel : il
s'avère que ce mécanisme est complètement inopérant. Par ailleurs, M. Fourcade,
lorsqu'il était président de la commission des affaires sociales, n'a cessé de
marteler chaque année les difficultés qu'entraînait pour cette caisse la
surcompensation.
Je donnerai simplement quelques chiffres pour vous éclairer, si besoin était,
sur le sujet : les prélèvements cumulés sur la CNRACL ont représenté 127
milliards de francs de 1974 à 1999 au titre de la compensation généralisée et
102 milliards de francs de 1985 à 1999 au titre de la surcompensation puisque
c'est en 1985 qu'elle a été mise en oeuvre puis maintenue, il faut d'ailleurs
le reconnaître, par les gouvernements successifs.
M. Claude Domeizel.
Tous les gouvernements !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
La situation de la CNRACL appelle, me semble-t-il, une
réforme urgente. Je suis persuadé que, sur ce point, M. Domeizel, qui
interviendra tout à l'heure dans la discussion générale, ne pourra que soutenir
les propos que je viens de tenir et qu'un consensus se dégagera au moins sur ce
dossier.
La situation des autres régimes spéciaux reste difficile à appréhender.
Toutefois, s'agissant du régime des pensions civiles et militaires de l'Etat,
le taux de cotisation implicite, calculé à partir d'un compte fictif équilibré
intégrant à la fois les charges des pensions et celles qui résultent des
mécanismes de compensation, est passé de 45,28 % en 1995 à 47,62 % en 1998.
On mesure ainsi l'effort consenti par l'Etat employeur pour assurer le
paiement des pensions des fonctionnaires retraités. Cette dépense représente
une charge croissante pour le budget de l'Etat, donc pour les contribuables,
susceptible à terme, à elle seule, de remettre en cause le redressement des
finances publiques.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne parvient pas à
ramener à l'équilibre la branche vieillesse du régime général.
Le déficit pour 1999 n'est réduit de moitié - il passe de 6 milliards de
francs à 3,8 milliards de francs - que par un expédient non renouvelable, à
savoir un versement exceptionnel du fonds de solidarité vieillesse à la CNAVTS
à concurrence de 2,9 milliards de francs, au titre de validation des périodes
de chômage dans les départements d'outre-mer en 1994, 1995 et 1996.
Le déficit de la caisse s'en trouve réduit d'autant mais il s'agit d'un fusil
à un coup qu'on ne retrouvera pas l'année prochaine.
Cette opération de régularisation vient fort à propos pour le Gouvernement qui
trouve là un expédient bienvenu pour réduire de manière artificielle le déficit
de la branche vieillesse en 1999.
Parallèlement, le Gouvernement décide de revaloriser - M. Delaneau l'a rappelé
tout à l'heure - de 1,2 % les pensions de retraite en 1999, soit 0,5 % de plus
que ce qu'exigeait la stricte indexation sur les prix instaurée par la loi du
22 juillet 1993.
Cette mesure généreuse s'avère cependant coûteuse : elle entraînera une
augmentation de 1,81 milliard de francs des dépenses de la branche vieillesse
du régime général en 1999. Ses répercussions financières se feront également
sentir les années suivantes.
On soulignera également, comme vient de le faire avec pertinence notre
collègue Jacques Machet, que ce coup de pouce ne profite pas aux familles qui
devront, elles, se contenter d'une augmentation de 0,71 % des prestations
familiales.
M. Alain Gournac.
Ah !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Le Gouvernement consent un effort important en faveur des
retraites et accroît encore les dépenses d'une branche déficitaire. Il refuse,
en revanche, tout effort supplémentaire en faveur des familles alors que la
branche famille est en excédent.
Ainsi, vous avez, d'un côté, une branche vieillesse déficitaire, mais qui va
augmenter ses dépenses, donc accentuer le déficit structurel de la branche pour
les années futures et qui consent une valorisation au-delà de ce que la loi de
1993 avait prévu - en effet, aux termes de la loi, l'augmentation devrait être
de 0,7 %, comme pour les familles - et, de l'autre côté vous avez une branche
famille avec un excédent de 3 milliards de francs, à laquelle on offre une
augmentation seulement de 0,7 point, c'est-à-dire qu'elle ne bénéficiera pas du
même effort que celui que l'on accorde à la branche vieillesse.
M. Claude Domeizel.
Vous êtes contre la revalorisation des retraites ?
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Le Gouvernement me répondra certainement que les années
antérieures la CSG, la CRDS, notamment ont pesé sur le pouvoir d'achat des
retraités...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Exactement !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Il s'agissait certes de mesures impopulaires prises par les
gouvernements précédents, mais qui étaient nécessaires pour redresser la
branche vieillesse, même si l'équilibre n'a pas été atteint.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Et la ponction de 12 milliards
de francs sur la famille ?
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Madame le ministre, vous avez déclaré devant la commission
des affaires sociales que la réforme Balladur permettra d'économiser simplement
deux milliards de francs. Je vous réponds qu'il s'agit, en fait, non pas de
deux milliards de francs, mais de deux cents milliards de francs à l'horizon
2010, selon les comptes que l'on a effectués,
Conséquence logique des choix gouvernementaux : la branche vieillesse du
régime général devrait être encore déficitaire de 4,8 milliards de francs en
2000 et de 2,3 milliards de francs en 2001, malgré des hypothèses
macro-économiques optimistes, comme l'a déjà souligné M. Delaneau.
La persistance de ces déficits est d'autant plus préoccupante que la branche
vieillesse bénéficie aujourd'hui d'une situation démographique
exceptionnellement favorable, résultant de l'arrivée à l'âge de la retraite des
classes creuses d'avant-guerre.
Ces déficits répétés et permanents amènent à s'interroger sur la signification
que peut dès lors revêtir la constitution concomitante de « réserves » pour les
retraites. Il est en effet quelque peu paradoxal de tenter de constituer des
réserves pour l'avenir alors que les déficits accumulés alourdissent la dette
qui pèse sur les générations futures.
En outre, le projet de loi n'apporte pas de véritable réponse aux autres
problèmes immédiats.
La réforme de l'assurance veuvage qu'il prévoit paraît insuffisante eu égard
aux besoins des personnes atteintes par le drame du veuvage et aux excédents
structurels que connaît le fonds national de l'assurance veuvage.
La réforme des aides à domicile, si elle est positive, est pour le moins
hâtive et, à l'évidence, inachevée. A ce sujet, Mme la ministre s'est excusée
de l'initiative prise à l'Assemblée nationale.
Certes, la Haute Assemblée ne peut qu'être favorable à l'exonération totale
des cotisations sociales patronales accordées aux associations d'aides à
domicile. Nous avions d'ailleurs déposé des amendements en ce sens, comme Mme
Dieulangard a bien voulu le rappeler en commission des affaires sociales. Il
nous paraît en revanche très contestable de financer cette mesure par le
plafonnement drastique des exonérations dont bénéficient les personnes âgées de
plus soixante-dix ans...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Votre raisonnement est
totalement incohérent.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
... même si Mme la ministre a cru bon de souligner que seules
seraient touchées les personnes âgées considérées comme les plus aisées.
Autrement dit, c'est toujours la même politique, qui consiste à taxer les
familles que l'on considère comme riches en leur demandant de faire un effort
supplémentaire. Pourtant, un examen plus approfondi de la situation de chacune
d'entre elles conduirait certainement à relativiser l'appréciation.
S'agissant de l'avenir des régimes de retraite, le Gouvernement subordonne
toute réforme d'ampleur à la publication du nouveau diagnostic sur les
retraites demandé au Commissariat général du Plan, dirigé par M. Charpin.
Nous attendons donc avec intérêt les résultats de cette étude. Je me demande
cependant s'il était vraiment nécessaire d'établir une nouvelle investigation
sur les retraites, trois ans à peine après la publication du rapport intitulé «
Les perspectives à long terme des retraites », en 1995.
Dès cette date, les problèmes structurels étaient largement connus et nombre
de rapports ont été consacrés à ce sujet. Je pense qu'ils étaient suffisants
pour permettre au Gouvernement, dès sa prise de fonctions, de proposer très
rapidement des mesures structurelles.
Ce rapport de 1995 était, à mon avis, suffisamment clair. Il a notamment mis
en lumière l'ampleur des déséquilibres futurs de nos régimes de retraites.
Dès 1995, on savait en effet que les besoins de financement annuels du seul
régime général seraient de 55,4 milliards de francs en 2010 et de 107 milliards
de francs en 2015, soit, à cette date, l'équivalent de 4,3 points de cotisation
supplémentaires.
Pour les fonctionnaires civils, le besoin de financement était dès lors évalué
à 56 milliards de francs en 2010 et à 80,2 milliards de francs en 2015.
Si l'on additionne les besoins de financement annuels, pour 2015, des
différents régimes étudiés par ce rapport - régime général, fonctionnaires
civils, CNRACL, SNCF, ARRCO, AGIRC, les exploitants agricoles - on obtient un
total de 330 milliards de francs. Or cette étude ne porte, pour l'essentiel,
que sur une partie des régimes de salariés. Les besoins de financement totaux
de l'ensemble des régimes de retraite en 2015 seront donc supérieurs à ce
chiffre.
A la lumière de cette étude, les effets de la réforme de 1993 apparaissent
très positifs, mais insuffisants. Les économies liées à cette réforme, y
compris la création du Fonds de solidarité vieillesse, permettront, je
l'affirme et le répète, de réduire le déficit de 200 milliards de francs à
l'horizon 2010.
Face à ces difficultés prévisibles, la création par le projet de loi d'un
fonds de réserve pour les retraites n'apporte qu'une réponse tout à fait
dérisoire aux besoins futurs.
Le Gouvernement a indiqué que ce fonds serait, dans l'immédiat, alimenté à
hauteur de 2 milliards de francs par un prélèvement sur les excédents de la
contribution sociale de solidarité des sociétés et du fonds de solidarité
vieillesse. Cette somme correspond à un jour de versement de prestations
vieillesse de notre pays, il faut le savoir.
Le Gouvernement a également évoqué - mais sans s'engager formellement - une
éventuelle affectation du produit de la cession des parts représentatives de
droits de propriété sur les caisses d'épargne, à hauteur de 15 milliards de
francs environ, à l'occasion de la réforme annoncée des caisses d'épargne.
Il a également mentionné la possibilité d'une affectation des « excédents
futurs de la sécurité sociale », ce qui nous semble aujourd'hui plutôt utopique
si l'on tient compte des chiffres.
M. Alain Gournac.
C'est le moins qu'on puisse dire.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Les sommes affectées cette année au fonds de réserve et les
éventuels compléments évoqués par le Gouvernement représentent un montant
dérisoire par rapport aux besoins futurs et n'apparaissent décidément pas à la
hauteur des enjeux.
Les besoins, on l'a vu, sont énormes.
Pour que le fonds de réserve apporte, par les revenus financiers qu'il
dégagera, une réponse crédible aux besoins futurs, il faudra en effet atteindre
très rapidement un montant d'encours global colossal, évalué, selon les
hypothèses des experts - la fourchette est large ! - entre 4 000 et 9 000
milliards de francs, soit l'équivalent du produit intérieur brut de notre
pays.
Pour alimenter ce fonds, l'éventualité d'une surcotisation n'est pas exclue,
semble-t-il, par le Gouvernement. Je me demande cependant si les actifs
accepteront de bonne grâce une surcotisation qui constituerait indéniablement
une augmentation des prélèvements obligatoires.
La création de ce fonds soulève, en outre - j'y ai fait allusion au début de
mon propos - d'autres interrogations qui n'ont pas encore reçu de réponse :
quel sera l'horizon de placement et, par conséquent, quels seront les supports
financiers de ce fonds de réserve ? Qui sera chargé de la gestion de ce fonds ?
Selon quelles modalités de contrôle ?
M. Alain Gournac.
On ne sait pas !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Sur toutes ces questions, nous n'avons pas pu obtenir de
réponse précise jusqu'à aujourd'hui. Elles sont reportées à plus tard.
La décision de créer ce fonds de réserve revêt donc une dimension
essentiellement symbolique et politique. Le Gouvernement craignait
manifestement, à mon sens, de se faire accuser d'attentisme sur la question des
retraites. Il a souhaité prendre une initiative à l'occasion du projet de loi
de financement de la sécurité sociale pour 1999. Ce contexte explique le
caractère quelque peu précipité de cette décision dont les modalités et les
finalités restent encore très incertaines.
Mes chers collègues, les membres de la commission des affaires sociales
n'entendent pas, pour autant, condamner le principe d'un tel fonds de réserve.
Je relève simplement que le Gouvernement n'est pas en mesure de présenter
aujourd'hui un dispositif cohérent et crédible et que son projet apparaît comme
manifestement inachevé.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Où est le vôtre ?
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Avec la création de ce fonds de réserve, le Gouvernement
prend le risque de susciter des espoirs vite déçus. Il y aurait, en effet, un
grand péril à ce que nos compatriotes soient amenés à considérer que ce fonds
résoudra les difficultés futures des régimes de retraite. A l'évidence, ce type
de fonds de réserve ne peut constituer à lui seul une solution réaliste aux
déséquilibres futurs de nos régimes de retraite.
Je regrette par conséquent que des réformes indispensables soient encore
repoussées. Je pense notamment à la réforme des régimes spéciaux de retraite et
à la création de fonds de pension. Beaucoup ont essayé, mais personne n'est
allé jusqu'au bout de la réforme nécessaire - il faut le reconnaître - et ce
quels que soient les gouvernements.
La réforme des régimes spéciaux constitue, chacun en a conscience, un sujet
délicat. Cependant, les perspectives de ces régimes ne sont pas plus favorables
que celles du régime général.
Il est par conséquent indispensable d'engager sans tarder une réflexion en
profondeur sur la nature, les conditions d'équilibre et l'avenir de ces
régimes. La première étape d'une réforme pourrait être l'institution d'un
régime de retraite des fonctionnaires de l'Etat.
La commission des affaires sociales considère que l'introduction d'un
complément de retraite par capitalisation, sous la forme de fonds de pension,
est également une réforme indispensable.
Le Gouvernement - M. Delaneau l'a rappelé tout à l'heure - semble aujourd'hui
se rallier à cette position. Je ne peux que m'en féliciter.
En effet, si le Gouvernement a annoncé à l'Assemblée nationale, à l'occasion
du débat sur le présent projet de loi, l'abrogation prochaine de la loi du 25
mars 1997 créant les plans d'épargne-retraite, il a également fait savoir qu'il
déposerait, en 1999, un projet de loi instituant un nouveau dispositif
d'épargne-retraite par capitalisation, qui semble s'apparenter fortement aux
fonds de pension que l'actuelle majorité refusait il y a peu. Il semblerait que
ce soit blanc bonnet et bonnet blanc.
M. Alain Gournac.
Exactement !
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
A plus long terme, enfin, la question de l'allongement de la
durée de la vie active devra nécessairement être abordée. Des mesures ont été
prises sur le plan réglementaire par M. Balladur en son temps. Cet allongement
permettrait d'éviter que le vieillissement de la population ne se traduise par
des déficits considérables ou par une forte augmentation des cotisations
sociales.
Le principal obstacle à cet allongement de la durée de la vie active, il faut
le reconnaître, réside dans le fonctionnement du marché du travail, qui exclut
de manière de plus en plus prématurée les personnes les plus âgées. La France a
ainsi pour caractéristique de présenter à la fois le plus faible taux
d'activité avant vingt-cinq ans et après cinquante-cinq ans, et la plus forte
réduction de l'activité aux âges élevés.
L'allongement de la durée d'activité suppose bien évidemment un changement des
mentalités et la création d'un marché du travail pour les salariés âgés, avec
l'encouragement du travail à temps partiel ou à temps choisi. Les gouvernements
successifs ont pris des initiatives dans ce sens, mais il faudra faire plus.
Telles sont les réflexions qu'ont inspirées à la commission des affaires
sociales les dispositions relatives à l'assurance vieillesse de ce projet de
loi. Nous présenterons, bien évidemment, un certain nombre d'amendements pour
corriger ce texte, afin qu'il s'approche le plus possible de ce que nous sommes
en droit d'attendre.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame la
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes au
moins tous d'accord sur un point : notre système de protection sociale est un
acquis essentiel de la nation. Créée par le général de Gaulle, élargie,
améliorée et généralisée par la Ve République, notre solidarité sociale est
actuellement menacée, car son équilibre financier n'est pas garanti à terme.
C'est là que nos opinions commencent à diverger.
Nos concitoyens sont tous concernés par la conservation et la préservation de
leur système de protection sociale, auquel ils consacrent des sommes
importantes et croissantes.
La France se caractérise par un niveau de prélèvements sociaux parmi les plus
élevés des pays développés. Ces prélèvements sont passés de 16 % du produit
intérieur brut en 1970 à 21 % en 1980 et 23 % en 1990, pour atteindre un
maximum de 25,4 % en 1993. Ils se sont depuis stabilisés aux environs de 25,2 %
du PIB.
Les prélèvements sociaux représentent désormais 47,7 % du total des
prélèvements obligatoires, les prélèvements de l'Etat n'en représentent plus
que 33,5 % Cet écart doit commencer à vous faire réfléchir.
Dans un espace économique ouvert, où la circulation des hommes et des capitaux
est libre, à l'heure des critères de convergence, ce pôle de haute pression des
charges sociales qu'est la France n'est pas neutre pour notre compétitivité
économique, et donc pour l'emploi. En outre, le financement de la sécurité
sociale a aussi changé de nature. Il repose de plus en plus largement sur des
ressources d'origine fiscale.
Le montant des impôts et taxes affectés à la sécurité sociale devrait s'élever
à 438,6 milliards de francs en 1999, soit une progression de 8,8 % par rapport
à 1998. L'essentiel est constitué par la CSG, dont le produit s'établirait à
352 milliards de francs, en progression de 11,4 % par rapport à 1998. Au total,
les ressources fiscales affectées à la sécurité sociale représentent 21 % du
budget social.
A ces recettes fiscales directement affectées, il convient cependant d'ajouter
les concours budgétaires de l'Etat, qui atteignent 212,3 milliards de francs
pour 1999, en progression de 4,3 % par rapport à 1998. Au total, ce sont près
de 34 % des ressources sociales, soit plus du tiers, qui proviennent des
produits fiscaux.
J'estime que les ressources de la sécurité sociale ont atteint désormais un
niveau suffisant pour assurer toutes les missions de solidarité que s'assigne
la nation, à la condition d'être toutefois mieux gérées. Des économies
substantielles peuvent être réalisées, grâce à des redéploiements de moyens.
Encore faut-il avoir le courage d'analyser lucidement tous les
dysfonctionnements de notre système de protection sociale, de cerner clairement
les enjeux futurs, comme l'ont fait avant moi mes collègues rapporteurs, de
renoncer aux mesures partielles, ponctuelles et inefficaces, qui se sont
régulièrement succédé pendant près de vingt ans, et d'engager, enfin ! des
réformes de fond.
Telle était l'approche du plan de réforme lancé en novembre 1995 par M. Alain
Juppé. Les principes de ce plan sont toujours d'actualité : impliquer le
Parlement - nous en sommes à la troisième loi de financement de la sécurité
sociale - remédier aux problèmes à long terme, maîtriser les dépenses, associer
et responsabiliser tous les acteurs.
Le Gouvernement actuel a critiqué les orientations de son prédécesseur. C'est
son droit, mais il ne propose rien d'autre. Il refuse de poursuivre des
politiques reposant sur une vision de long terme, alors que des pans entiers du
système de protection sociale sont perturbés, telles les branches famille et
maladie, ou menacés, telle la branche vieillesse ; les rapporteurs qui m'ont
précédé à cette tribune l'ont dit.
Après les critiques que la commission des finances avait formulées sur le
projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998 et qui se sont
révélées exactes, je ne vous cacherai pas, madame la ministre, que je suis déçu
par le projet de loi de financement que vous défendez aujourd'hui devant notre
assemblée.
Tout d'abord, ce projet de loi est encore présenté cette année en
encaissements et en décaissements. Or, vous savez qu'un tel système comptable
est non seulement complexe, mais aussi totalement inadapté. Comme l'ont
souligné la Cour des comptes et la Commission des comptes de la sécurité
sociale, vous n'êtes pas en mesure d'avoir des comptes clairs, fiables et
consolidés du système de protection sociale. Aucune des promesses qui ont été
faites au Parlement sur ce point n'ont été tenues à ce jour.
J'espère que votre engagement de passer l'an prochain à une présentation en
droits constatés sera tenu. Il n'est pas nécessaire d'insister sur le progrès
que constitue la comptabilité en droits constatés en termes de clarté et de
sincérité.
Le présent projet de loi de financement repose sur des prévisions
tendancielles. Celles-ci font état d'un retour du régime général à un léger
excédent de 300 millions de francs en 1999. Pour l'ensemble des régimes de
base, l'excédent serait de 3,3 milliards de francs.
Cette prévision est essentielle. Selon le rapport économique et financier
annexé au projet de loi de finances, l'excédent total des administrations de
sécurité sociale est estimé à 0,15 point de PIB l'an prochain. Ce pourcentage
correspond à un montant de 13 milliards de francs. Le déficit budgétaire
n'étant réduit que marginalement, c'est du redressement des comptes sociaux que
dépend la qualification de la France pour la monnaie unique. Cette prévision
apparaît totalement irréaliste à votre commission des finances. Au vu des
chiffres que vient de citer Alain Vasselle, notamment les centaines de
milliards de francs qui seront nécessaires pour parvenir à terme à l'équilibre,
je crois que cette opinion est fondée.
En effet, la prévision générale de croissance qui sous-tend le projet de loi
de financement de la sécurité sociale est identique à celle du projet de loi de
finances. Elle appelle les mêmes réserves. Mais je n'aborderai pas ici le débat
que nous aurons dans quelques jours avec votre collègue ministre de l'économie
et des finances.
Je rappellerai simplement que les comptes sociaux sont particulièrement
sensibles à la conjoncture. La prévision essentielle porte sur l'évolution de
la masse salariale. L'hypothèse d'une progression de 4,3 % en 1999 apparaît peu
vraisemblable en raison non seulement du taux de croissance, mais aussi de la
modération salariale qui accompagnera la réduction du temps de travail. Vous ne
nous avez malheureusement présenté aucune simulation sur les conséquences de
l'application de la législation sur les 35 heures et l'évolution de la masse
salariale. Je rappelle qu'un point de masse salariale en moins égale 9
milliards de francs de recettes en moins pour le régime général.
Je formule une réserve encore plus forte relative aux dépenses d'assurance
maladie. Les comptes tendanciels reposent sur l'hypothèse d'une progression des
dépenses d'assurance maladie qui ne se situerait pas dans le prolongement de
1998, soit 3,4 %, mais qui serait calée sur l'ONDAM fixé pour 1999, soit 2,6 %.
Je crains que vous ne confondiez ainsi évolution tendancielle et objectif
volontariste.
Si je considère l'équilibre général du projet de loi de financement de la
sécurité sociale, je ne suis pas plus rassuré. Vous utilisez les marges de
manoeuvre conjoncturelles procurées par la croissance pour financer des
dépenses structurelles en courant le risque d'une dégradation brutale du solde
de la sécurité sociale si la croissance n'est pas au rendez-vous.
S'agissant des recettes, la mesure principale consiste dans la réaffectation
de 5,6 milliards de francs d'excédents de contribution sociale de solidarité
des sociétés, ou C3S, qui iront au fonds de solidarité vieillesse, le FSV. Ces
recettes supplémentaires permettront au FSV de financer des dépenses nouvelles
au profit de la branche vieillesse et d'alimenter un fonds de réserve des
retraites sur lequel je reviendrai, mais qui a longuement été commenté par
notre collègue Alain Vasselle. J'observe que ce changement d'affectation de la
C3S s'effectue aux dépens du BAPSA, et donc indirectement du budget de l'Etat
qui l'équilibre. Tout cela, à l'évidence, manque de cohérence et de clarté.
Les autres mesures relatives aux recettes n'ont pas pour objet de procurer
d'importantes ressources supplémentaires, et il faut s'en féliciter, à
l'exception toutefois d'un amendement tabac qui a été introduit par l'Assemblée
nationale et qui pose d'ailleurs de sérieux problèmes.
Certaines de ces mesures relatives aux recettes n'ont pas recueilli un avis
favorable de la part de votre commission des finances.
La rectification proposée de la taxe sur les premix ne suffira pas à rendre
cette dernière conforme au droit communautaire.
L'exonération totale de cotisations sociales pour les associations d'aide à
domicile correspond - c'est vrai - à un souhait de votre commission des
finances, mais elle est gagée sur un contingentement contestable du nombre
d'heures exonérées.
La ponction sur les trésoreries de fonds divers destinée à combler le déficit
du fonds de l'allocation temporaire d'invalidité des agents des collectivités
locales est une mesure qui paraît à la fois improvisée et critiquable.
Enfin, le relèvement du droit de consommation sur les tabacs, qui est censé
procurer une recette supplémentaire de 1 milliard de francs, peut s'avérer
contre-productive. En effet, une hausse impromptue de la fiscalité sur le tabac
remettrait en cause l'accord intervenu entre les fabricants et le Gouvernement.
Je vous rappelle que l'article 25 du projet de loi de finances prévoit déjà un
relèvement du minimum de perception sur les cigarettes brunes.
L'accord prévoit en outre une augmentation des prix à la production en 1999,
qui procurera une recette identique de 1 milliard de francs. La rupture de
l'accord risque de déclencher une guerre des prix, qui serait néfaste en termes
à la fois de santé publique et de rendement fiscal. J'ajoute que les
différences constatées entre les prix français et ceux des autres pays
européens, à l'heure de l'Internet et des livraisons gratuites, vont nous
amener à une situation que vous n'avez peut-être pas examinée avec suffisamment
d'attention, mais qui risque de rendre la mesure partiellement, voire
totalement inefficace.
S'agissant maintenant des dépenses, le Gouvernement engage 5,4 milliards de
dépenses nouvelles nettes, financées par le dynamisme espéré de la C3S et de la
CSG.
Pour la branche famille, la principale mesure est la suppression du plafond
des allocations familiales, d'un coût de 4,7 milliards de francs. La commission
des finances y est d'autant plus favorable qu'elle était opposée, comme les
autres commissions d'ailleurs, au plafonnement des allocations décidé l'an
dernier. Toutefois, je souligne que cette mesure illustre parfaitement
l'absence de politique à long terme de votre Gouvernement sur la politique
familiale. Le coût du déplafonnement est compensé par le transfert à l'Etat du
financement de l'allocation de parent isolé, l'API, soit une charge budgétaire
nouvelle de 4,2 milliards de francs.
Mais cette budgétisation de l'API est financée par un abaissement de 16 380 à
11 000 francs du plafond du quotient familial, que la commission des finances
n'estime pas justifié et, sur ce point, elle rejoint la commission des affaires
sociales. Il n'y a aucune raison de faire payer aux familles le déplafonnement
des allocations qui leur a été imposé l'an dernier. Logiquement, le quotient
familial doit avoir un effet redistributif horizontal et non pas vertical,
c'est-à-dire en fonction du nombre des enfants et non pas en fonction du niveau
de revenu.
Pour la branche maladie, les dépenses nouvelles sont moindres. J'approuve les
500 millions de francs qui seront consacrés au dépistage organisé du cancer. En
examinant dernièrement les financements consacrés à la lutte contre le cancer,
j'ai constaté que cette politique souffre d'un défaut d'organisation qui nuit
gravement à son efficacité. Je présenterai sur ce sujet un rapport mercredi
prochain.
Sans être défavorable au principe de la création d'un fonds pour la qualité
des soins de ville, doté de 500 millions de francs, j'estime que celui-ci
devrait être inclus dans l'ONDAM.
Pour la branche vieillesse, comme l'a dit Alain Vasselle tout à l'heure,
l'essentiel des dépenses nouvelles consiste dans les 2 milliards de francs qui
seront consacrés au « coup de pouce » donné aux pensions, qui seront
revalorisées de 1,2 % au lieu de 0,7 %, revalorisation calée sur la hausse des
prix. Permettez-moi de vous dire, madame la ministre, que je ne trouve pas très
responsable de distribuer ainsi du pouvoir d'achat aux retraités, alors que
l'assurance vieillesse reste lourdement déficitaire et qu'en moyenne les
revenus des retraités sont devenus largement supérieurs à ceux des actifs.
Quant à la branche accidents du travail, j'approuve bien entendu la diminution
du taux des cotisations que j'avais déjà demandée l'an dernier. Mais je
regrette qu'elle ne soit pas aussi importante que les marges de manoeuvre
l'auraient permis. En effet, l'excédent de la branche devrait continuer de
s'accroître en 1999 pour atteindre 1,9 milliard de francs. Cela est tout à fait
anormal, alors que les comptes doivent être équilibrés et qu'il s'agit d'un
élément non négligeable de la compétitivité des entreprises.
J'en viens maintenant au dispositif de régulation du système de soins, qui est
modifié sur plusieurs points par le projet de loi de financement.
J'estime, madame la ministre, que vous avez une responsabilité majeure dans le
dérapage des dépenses d'assurance maladie en 1998. Les chiffres montrent que
l'accélération du rythme des dépenses date de l'été 1997. Pendant un an, avec
M. le secrétaire d'Etat, vous n'avez eu de cesse de récuser la réforme Juppé et
de dénoncer la « maîtrise comptable » des dépenses. J'affirme, au contraire,
que la maîtrise comptable des dépenses d'assurace maladie est légitime et
nécessaire, et qu'elle va de pair avec la maîtrise médicalisée. C'est une
condition de la qualité des soins, car il ne peut y avoir de qualité sans une
certaine contrainte. Les partenaires sociaux les plus responsables l'admettent
et le disent, comme la CNAMTS ou la Mutualité française.
En tout cas, votre message de laxisme a visiblement été entendu. Alors que le
premier ONDAM fixé à 1,7 % pour 1997 a été mieux que respecté, puisque l'on a
fait moins, l'ONDAM pour 1998, pourtant fixé à 2,3 %, devrait être dépassé de
quelque 6 milliards de francs, soit une hausse effective de 3,4 %. L'ONDAM pour
1999 devrait être fixé à 2,6 %.
Je résume : 1,7 %, 2,3 %, 2,6 %, en trois ans. Voilà une courbe ascendante qui
illustre votre conception de la maîtrise des dépenses.
De surcroît, vous avez du mal à reprendre en main ce dérapage, car tous les
instruments de la régulation apparaissent aujourd'hui en panne ou en retard.
L'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé n'est toujours pas
opérationnelle.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Parlons-en !
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Parlons-en en effet. Nous attendons vos
explications.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Elle n'existait pas quand nous
sommes arrivés !
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Le programme de médicalisation du système
d'information n'est pas encore généralisé. La mise à jour de la nomenclature
comme le codage des actes sont toujours à l'étude. Les agences régionales n'ont
pas les directives ni le soutien politique qui leur est nécessaire.
L'informatisation du système de santé, qui conditionne l'efficacité de tous
les autres instruments de régulation, n'avance pas. La carte Vitale 1 est
toujours en phase expérimentale, tandis que la phase d'entrée en vigueur de la
carte Vitale 2, celle qui sera essentielle à la maîtrise des soins, est
reportée. Si les médecins s'équipent en micro-ordinateurs - et ils s'équipent
rapidement - il manque encore les logiciel qui leur seraient utiles.
Les partenaires sociaux gestionnaires de l'assurance maladie commencent à
donner des signes de lassitude face à l'inaction de l'Etat. Ils s'interrogent
sur la signification de leur participation. Le MEDEF, le Mouvement des
entreprises françaises, qui a succédé au CNPF, a annoncé que, dans ces
conditions, il envisageait sérieusement de se retirer de ce dispositif de
partenariat.
Le projet de loi de financement fixe l'ONDAM à 629,8 milliards de francs pour
1999, ce qui correspond, je l'ai dit, à un taux d'augmentation de 2,6 % par
rapport à l'ONDAM de 1998.
Cependant, si le non-respect de l'ONDAM en 1998 se confirmait, la progression
de l'ONDAM en 1999 ne serait plus que de 1,6 % par rapport aux dépenses
réalisées. Les objectifs, mes chers collègues, pourraient même être négatifs
pour les postes qui dérapent le plus en 1998. Tout cela est totalement
irréaliste.
Je constate avec regret, madame le ministre, qu'aujourd'hui vous n'apparaissez
en mesure ni de faire respecter globalement l'ONDAM ni de contrôler les
transferts de dépenses entre les différentes enveloppes qui le composent. Toute
la crédibilité du dispositif s'en trouve amoindrie.
Le projet de loi de financement propose de pérenniser le mécanisme du
reversement demandé aux médecins en cas de dépassement de l'ONDAM. Je regrette
cependant que vous fassiez, à cette occasion, disparaître les éléments de
régionalisation et d'individualisation du reversement.
Le projet de loi de financement propose également d'instaurer un mécanisme de
reversement pour les laboratoires pharmaceutiques, qui jouerait si les dépenses
de médicaments augmentaient plus vite que l'ONDAM. La commission des finances
n'y est pas favorable. D'abord, parce que les progrès de la médecine peuvent
justifier une progression des dépenses de médicaments plus rapide que
l'ensemble des dépenses de santé - or, un médicament, théoriquement, sert à
soigner. Ensuite, parce que ce mécanisme de reversement vide de son sens la
politique conventionnelle conduite par le comité économique du médicament, qui
repose sur des engagements prix-volumes des laboratoires.
La France, chacun le sait, bat des records de consommation médicamenteuse,
tandis que son industrie pharmaceutique, on le sait moins, perd du terrain dans
la compétition internationale. Seule une politique conventionnelle adéquate
serait de nature à enrayer cette spirale.
Inadéquat au système de soins, votre projet de loi de financement est
insuffisant pour les retraites. Je ne ferai qu'évoquer rapidement ce point,
Alain Vasselle ayant fait une analyse tout à fait remarquable du dispositif
existant.
Si nous sommes d'accord sur son principe, le fonds de réserve proposé apparaît
comme un dispositif en trompe-l'oeil. Certes, le principe de « répartition
provisionnée » dont il procède est supposé cumuler les avantages de la
répartition avec ceux de la capitalisation.
Toutefois, sa dotation initiale de 2 milliards de francs est loin d'être à la
mesure du problème, même si elle devait être complétée par le produit de la
cession des caisses d'épargne. Le rapport du conseil d'analyse économique, qui
préconise la mise en place de ce fonds, évalue le flux annuel de recettes
nécessaires pour l'alimenter à 45 milliards de francs. Par ailleurs, le texte
proposé ne définit ni les ressources, ni les missions, ni les modalités de
gestion du fonds. Voilà qui fait quand même beaucoup !
Tout cela semble relever de l'improvisation et de la volonté de reporter les
décisions de fond à des échéances futures non précisées. Sous prétexte de
consultations complémentaires, vous repoussez encore les réformes structurelles
nécessaires. Le retard pris dans la mise en place des fonds d'épargne de
retraite, dont le principe n'est plus contesté, est particulièrement
regrettable.
Enfin, je voudrais évoquer les plafonds de trésorerie fixés par le projet de
loi de financement pour certains régimes de sécurité sociale.
Le plafond de trésorerie du régime général avait été fixé à 20 milliards de
francs pour 1998, mais il a dû être relevé par décret à 31 milliards de francs
en cours d'année. Le projet de loi demande au Parlement de ratifier ce décret.
Or, le dépassement du plafond initial résulte surtout de la décision prise par
le Gouvernement de majorer l'allocation de rentrée scolaire. En effet, la CNAF
doit en faire l'avance jusqu'à son remboursement par l'Etat. A notre avis, il
serait temps de gérer l'allocation de rentrée scolaire de manière tant soit peu
prévisible et cohérente.
Par ailleurs, le projet de loi de financement prévoit un plafond de trésorerie
de 2,5 milliards de francs pour la CNRACL. L'autorisation d'endettement ainsi
donnée à ce régime n'est pas acceptable. Mes collègues de la commission des
finances et moi-même l'avions dénoncé l'année dernière. Je réitère mes
protestations cette année.
En dépit d'un déficit prévisionnel de 2 milliards de francs, la CNRACL est
structurellement excédentaire. Seule l'importance des transferts de
compensation à sa charge, qui représentent 19 milliards de francs, soit 40 % de
ses prestations, explique son déficit.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Eh oui, bien sûr !
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Il serait absurde qu'elle s'endette pour financer
ces transferts. Là encore, le Gouvernement temporise et reporte la réforme
nécessaire des régimes spéciaux qui sont liés par la surcompensation.
La commission des finances s'oppose vigoureusement à cette mesure et demande
au Gouvernement de présenter au Parlement un projet sérieux de réforme et
d'équilibre à long terme de la CNRACL. Cela suppose une remise à plat de tous
les régimes spéciaux de fonctionnaires qui sont liés par la surcompensation.
Nous savons que cela est difficile, mais nous sommes persuadés que c'est
nécessaire.
M. Alain Vasselle,
rapporteur.
Très bien !
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Pour conclure, je souhaite évoquer la caisse
d'amortissement de la dette sociale, la CADES, dont j'ai l'honneur de présider
le conseil de surveillance, bien qu'elle ne figure pas dans le champ des lois
de financement de la sécurité sociale, ou plutôt, précisément parce qu'elle n'y
figure pas. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, elle constitue un outil
vertueux pour le remboursement d'une dette qui ne l'est pas.
L'existence même d'un endettement dans un système de protection sociale fondé
sur la répartition est financièrement une aberration. On ne dira jamais avec
assez de force que la CADES n'a pas vocation à accueillir tous les déficits
futurs de la sécurité sociale. Or je crains que nous n'entrions dans une telle
spirale. Les orientations du Gouvernement ne me paraissent pas garantir que ces
déficits ne réapparaîtront pas à brève échéance.
Ainsi, mes chers collègues, considérant les défauts et les lacunes du projet
de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, la commission des
finances - vous n'en serez pas étonnés - lui a émis un avis globalement très
défavorable.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
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