Séance du 10 novembre 1998
M. le président. La parole est à M. About, auteur de la question n° 339, adressée à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Nicolas About. Madame le garde des sceaux, le 25 février dernier, le Sénat a adopté en première lecture les conclusions de la commission des lois sur ma proposition de loi qui vise à modifier le régime actuel des prestations compensatoires, lequel engendre depuis 1975 un nombre incalculable d'injustices, tant pour les débiteurs que pour les héritiers, à qui revient la charge de la dette au moment de la succession.
On croit souvent que ce sont les héritiers issus d'un remariage qui font les frais d'un tel système. Ce n'est pas toujours le cas. En effet, un homme marié depuis vingt-quatre ans et père de plusieurs enfants vient d'être condamné par le tribunal de grande instance de Nanterre à payer un capital de 350 000 francs à la seconde épouse de son père, au titre de l'article 276-2 du code civil. Enfant unique issu du premier mariage de son père, il avait été abandonné sans ressources par ce dernier, lui-même parti refaire sa vie. Au moment du décès de son père, il a, comme de juste, réclamé la succession. Or il se voit aujourd'hui contraint par les tribunaux d'assumer la charge de la dette que son père avait contractée avec une deuxième épouse, dont il ignorait jusqu'à l'existence. Il faut dire que son père s'était par la suite remarié et avait divorcé deux fois.
La succession est pourtant un droit pour tous les héritiers. Trouvez-vous normal que ce droit soit amputé pour certains du simple fait que leur géniteur a contracté ultérieurement des alliances qui ne les concernent en rien ?
Le plus choquant dans cette affaire est sans doute le déséquilibre financier introduit par la loi entre les deux parties : d'un côté, les héritiers de droit qui sont condamnés à verser un capital - je dis bien condamnés - tout en ayant charge de famille alors que, du vivant de leur père, ils n'ont reçu aucune aide ; de l'autre, la deuxième épouse qui reçoit le capital, alors qu'elle a déjà retiré des avantages matrimoniaux de son union sous la forme de biens immobiliers et qu'elle touche, de surcroît, la pension de réversion de son ex-mari.
Madame le garde des sceaux, à la lumière de cet exemple profondément injuste, pouvez-vous nous indiquer quel avenir vous comptez réserver au texte portant réforme des prestations compensatoires, adopté ici même en février dernier et que nombre de nos concitoyens appellent de leurs voeux ?
En clair, quand sera-t-il inscrit à l'ordre du jour prioritaire de l'Assemblée nationale ?
Certes, la semaine dernière, au Palais-Bourbon, vous vous êtes clairement prononcée en faveur de la suppression du principe de la transmissibilité de la rente aux héritiers. Mais, aujourd'hui, l'ensemble des dispositions de ce texte présentent un caractère d'urgence.
Enfin, si vous préférez légiférer dans le cadre d'un autre texte plus large concernant la famille ou le divorce, quand sera-t-il inscrit à l'ordre du jour du Parlement ?
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, vous évoquez les difficultés - réelles et nombreuses, en effet - que pose le régime juridique des prestations compensatoires versées en cas de divorce, plus particulièrement la question de leur transmissibilité aux héritiers du conjoint débiteur.
Lors de la discussion qui a eu lieu ici même, au Sénat, le 25 février dernier, vous avez, avec M. Pagès, présenté les propositions de lois dont vous étiez les auteurs et vous avez posé la question d'un aménagement de la transmissibilité de la prestation compensatoire. La discussion a eu lieu et, c'est vrai, nous n'avons pas pu dégager de solution.
La loi du 1er juillet 1975, je dois le rappeler, a entendu mettre fin au contentieux très abondant qu'avait suscité le versement des pensions alimentaires. Elle avait institué la prestation compensatoire, qui en diffère profondément, avec l'idée que ce devrait être un forfait indemnitaire versé pour compenser, dans toute la mesure du possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des conjoints.
En instituant la prestation compensatoire, le législateur a voulu que les effets pécuniaires du divorce soient réglés une fois pour toutes lors du prononcé de celui-ci. C'est pourquoi la prestation doit, en principe, être versée en capital. Ce n'est qu'à titre subsidiaire qu'une rente peut-être allouée.
Il est vrai qu'en pratique les rentes sont majoritairement accordées, parce qu'il n'est pas à la portée de tout le monde de verser une prestation compensatoire en une seule fois. Ces rentes ne sont pas, en principe, révisables, sauf si l'absence de révision devrait avoir pour l'un des conjoints des conséquences d'une exceptionnelle gravité.
Elles constituent de surcroît une dette du patrimoine de l'ex-conjoint qui en est redevable. C'est ainsi que la prestation compensatoire, comme toutes les obligations de ce type, est transmissible aux héritiers, dans la mesure où ils n'ont pas renoncé à la succession. Ces héritiers peuvent être aussi bien les enfants communs du couple qui a divorcé que ceux qui sont issus d'une union précédente ou d'une union suivante.
L'exemple que vous citez, même s'il n'est que l'application des règles de droit commun de la transmission des patrimoines, n'en est pas moins très révélateur des difficultés que peut poser, dans le contexte socio-économique actuel, le caractère transmissible de la prestation compensatoire.
Le Gouvernement, quant à lui, avait déposé lors de la discussion des propositions de loi dont M. Pagès et vous-même êtes les auteurs, un amendement prévoyant l'intransmissibilité de la prestation tout en préservant la possibilité, pour les parties elles-mêmes ou le juge, d'en décider autrement lorsque les circonstances de l'espèce le justifient, car il peut toujours y avoir des exceptions.
Le débat n'est donc pas tranché sur ce point et, dans l'attente de la discussion à l'Assemblée nationale, j'ai demandé de poursuivre les réflexions en la matière au groupe de travail sur les réformes envisageables dans le droit de la famille, présidé par Mme Dekeuwer-Defossez et que j'ai installé le 31 août dernier. Je lui ai demandé de me faire parvenir ses conclusions pour le mois de juin 1999.
Sans préjuger les conclusions de ce groupe de travail, dont je vous rendrai compte du déroulement des réflexions, ainsi qu'à M. Pagès, je crois que nous devons nous garder de toute solution maximaliste.
L'intransmissibilité, posée en principe absolu, pourrait conduire à des situations difficilement supportables pour le créancier, notamment quand il s'agit d'une personne âgée qui s'est consacrée exclusivement pendant de longues années à l'éducation des enfants et se trouve sans revenu autre que la rente accordée.
M. Nicolas About. Tout à fait !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Quant à la déductibilité de la pension de reversion, il s'agit également d'une question délicate. En effet, si la pension de reversion et la prestation compensatoire différent par leur nature et leur objet, la première constituant un droit dérivé, celui du conjoint prédécédé, dû en raison de la communauté de vie ayant existé entre les époux, il est exact qu'il peut paraître choquant de voir l'ex-épouse disposer d'un revenu plus important que celui dont elle bénéficiait du vivant du débiteur de la rente.
Cet aspect fera également l'objet d'un examen dans le cadre du groupe de travail sur la famille. Ce groupe de travail, je le répète, me remettra ses conclusions au mois de juin prochain. Je compte ensuite ouvrir une concertation approfondie avec les parlementaires qui le souhaiteront, de tous les groupes politiques, naturellement, de façon que nous puissions aboutir à des propositions de modifications de notre droit sur la question du divorce en général, sur la question de la prestation compensatoire en particulier et, plus largement, sur la question du droit de la famille, notamment du droit des enfants.
M. René-Pierre Signé. Bravo !
M. Nicolas About. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. About.
M. Nicolas About. Madame le ministre, je vous remercie de votre réponse ; je partage les réflexions que vous venez de développer et je suis confiant quant à l'action que vous allez conduire en ce domaine.
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