Séance du 28 octobre 1998
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi organique, la parole est à M. Hyest pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, il était utile d'écrémer le texte adopté par l'Assemblée nationale d'un certain nombre de dispositions qui ne concernaient pas le fond du débat, et cela a d'ailleurs été reconnu sur toutes les travées.
De temps en temps ont lieu des périodes de purification. On en a connu sous d'autres majorités. Je me rappelle que lors de l'examen des lois sur le financement des partis politiques et des campagnes électorales, on a tellement fait de purification que l'on n'est plus capable d'appliquer les textes. Tout le monde est bien gêné et cela devient d'une rare stupidité !
Cela se produit lorsque l'on pense que l'opinion publique est sensible. Mais rien n'est pire que de faire des lois de circonstance !
L'opinion publique a, paraît-il, décidé que tout ce qui relevait de la participation des parlementaires à des exécutifs locaux était tout à fait répréhensible, qu'il valait mieux être des députés ou des sénateurs éthérés plutôt que sur le terrain.
Néanmoins, le problème se pose de savoir si, à l'avenir, on pourra effectivement exercer à la fois un mandat parlementaire et des mandats exécutifs locaux lourds. Si la décentralisation se fait jusqu'au bout, ce que nous souhaitons - et nous aurons un débat sur ce sujet la semaine prochaine - si l'on assure aussi aux élus locaux un véritable statut leur permettant d'exercer à temps plein leur mandat, je crois que la question pourra être réexaminée.
Le texte qui va sans doute être voté par le Sénat, notamment l'article 4, qui est le plus important, va permettre de faire réfléchir l'ensemble des parlementaires qui ne peuvent pas se contenter de nous dire que le Sénat est conservateur, mais qui doivent prendre leurs responsabilités aussi.
De plus, comme un certain nombre de débats vont s'ouvrir, tant sur la décentralisation que sur le statut des élus, ce texte constitue, je crois, une bonne position d'attente permettant de continuer à réfléchir à ce problème important.
De toute façon, je pense que, dans notre pays, non seulement les médias, mais l'opinion publique évolueront.
Les parlementaires se consacreront davantage à leur mandat, surtout si l'on réforme les méthodes, si nous devenons un vrai parlement, c'est-à-dire un parlement qui ne soit pas soumis forcément, comme on le voit régulièrement, à une majorité ou à un gouvernement.
Notre Constitution, qui était prévue pour un régime parlementaire - il est vrai qu'elle a été aménagée au fil des années -, a néanmoins permis au Gouvernement de s'arroger sans cesse plus de pouvoirs, ne laissant plus au Parlement que sa mission de contrôle.
Pour tous ces motifs, je pense qu'il est sage, aujourd'hui, de voter le texte tel qu'il a été amendé par la commission des lois. Bien entendu, un certain nombre de nos collègues souhaitent que l'on aille plus loin dans la limitation du cumul des mandats. C'est une réflexion que nous devons avoir, mais il n'est interdit à personne de donner le bon exemple, ...
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest ... en commençant par s'appliquer à soi-même les règles que l'on voudrait imposer aux autres.
Pour les parlementaires, c'est aussi une question d'éthique personnelle de savoir s'ils peuvent accomplir effectivement les mandats divers qu'ils acquièrent ou qu'ils ont initialement reçus. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. La loi du 30 décembre 1985 avait permis de supprimer certains excès en matière de « compatibilité de mandats », formule qu'avec le rapporteur je préfère de beaucoup à celle de cumul, entachée d'une connotation péjorative.
Fallait-il aller plus loin ? La question se pose. Bien évidemment, l'opinion publique, souvent abusée par des manoeuvres démagogiques, s'est enflammée, dit-on, contre l'accumulation d'un trop grand nombre de mandats par un même élu.
Il n'est pas sûr que l'opinion publique ait toujours été bien informée et qu'elle n'ait pas confondu cumul des mandats et cumul de rémunérations.
M. Alain Vasselle. C'est vrai !
M. Patrice Gélard. Il n'est pas évident que l'opinion publique ait été informée sur l'inexistence toujours plus pesante d'un véritable statut de l'élu local.
Il n'est pas évident que l'opinion publique soit suffisamment au courant de notre véritable système de décentralisation, qui impose en fait un partenariat entre l'élu et les organisations, administrations locales et nationales, assurant ainsi une bonne communication entre les deux échelons.
Il est vrai que sur ce texte qui nous est aujourd'hui soumis, la Haute Assemblée dispose des mêmes pouvoirs que l'Assemblée nationale, puisqu'il s'agit d'une loi organique concernant les députés comme les sénateurs. C'est notre Constitution.
Il n'est pas bon de répéter que la Haute Assemblée se livre dans ce domaine à des blocages. Nous ne bloquons rien ! Nous n'exerçons que nos pouvoirs, et encore, en la circonstance le Sénat, sur ce projet de loi, se veut mesuré, attentif au bon fonctionnement des institutions et ouvert à la modernisation.
La position du groupe du RPR est claire, pour la plus grande majorité de ses membres. Nous proposons en effet la compatibilité entre un mandat national et un mandat exécutif local. Nombreux sont ceux, au sein de notre groupe - ce n'est pas la majorité, bien évidemment - qui regrettent que le Sénat ait atténué le dispositif pour les communes de moins de 3 500 habitants. Il y a là une ouverture pour une navette ultérieure.
Le sénateur, le député, le maire, le président d'une assemblée locale sont des éléments fondamentaux de notre vie politique. Ils servent les régions, les départements, les communes, comme leur expérience de terrain enrichit leur travail de législateurs.
Si l'on ne veut pas que nos deux chambres deviennent des chambres de technocrates coupées des réalités, coupées du terrain, il faut permettre aux élus nationaux de garder le contact avec ces réalités quotidiennes, alors même qu'ils traitent de grandes questions d'intérêt général, à moins de changer complètement notre système constitutionnel et de faire en sorte que la décentralisation devienne une véritable décentralisation, voire un fédéralisme. Nous en sommes loin.
Tant que nous restons dans la logique des institutions qui sont les nôtres, nous devons pouvoir maintenir ce que nous avons proposé. C'est là respecter un équilibre qui ne peut qu'emporter l'adhésion du groupe du RPR. C'est la raison pour laquelle nous voterons le texte modifié par les amendements proposés par notre rapporteur. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains Indépendants.)
M. Michel Duffour. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Dans son exposé, tout à l'heure à la tribune, M. Braye, ironisant sur le parti communiste français, a vu des « contorsions » dans notre attitude. Je tiens à lui dire qu'il faut prendre grand soin des arguments des uns et des autres, y compris de ceux de ses adversaires, et suivre les raisonnements qu'ils tiennent.
Je rappelle à la Haute Assemblée, vous l'avez noté, que nous sommes en plein accord avec l'esprit du texte gouvernemental sur le non-cumul des mandats.
Mon collègue M. Robert Bret a indiqué hier que ce projet de loi organique, évidemment détaché d'autres aspects institutionnels, nous semblait limité dans ses effets, puisque nous souhaitons aussi que le débat ait lieu sur les modes de scrutin, sur le fonctionnement du Parlement et sur le statut de l'élu.
Mais l'esprit même du texte nous convient pleinement. Nous pensons que la tâche de parlementaire est une tâche lourde qui demande et demandera de plus en plus de temps à ceux qui l'effectueront.
Au sein même de la majorité du Sénat, M. Christian Poncelet, dans son discours d'investiture, a par exemple insisté sur la volonté de la Haute Assemblée de multiplier les commissions d'enquête.
Nous réfléchissons, les uns et les autres, aux liens nouveaux à instaurer entre les assemblées parlementaires et les institutions européennes.
Tout cela représente un travail considérable et demande donc, de la part du législateur, beaucoup de temps disponible.
Est-il possible de mener cette tâche à bien sans un ancrage local ? Nous pensons que les décideurs, et encore plus les décideurs politiques, doivent être au contact de la réalité quotidienne, d'où la nécessité d'un ancrage. Dans le projet de loi, tel qu'il a été présenté par le Gouvernement, cela n'est évidemment pas exclu, mais le texte insiste fortement sur la possibilité, pour le parlementaire, de détenir des mandats locaux.
Et tout ne tourne pas seulement autour de l'exécutif. Il est tout à fait possible d'être un fin connaisseur de la réalité locale, d'être au contact de ceux qui vous entourent, sans exercer la première fonction au niveau de la région, du département ou de de la commune.
Bien évidemment, nous souhaitons que la discussion se poursuive. Nous insistons auprès du Gouvernement pour que l'esprit du texte soit conservé ; cela nous paraît tout à fait essentiel.
Par conséquent, nous voterons contre la proposition présentée par M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Peyrefitte.
M. Alain Peyrefitte. J'en demande pardon à mes amis de groupe et à mes amis de la majorité sénatoriale mais, en conscience, je ne peux pas émettre le vote qu'ils se disposent à émettre eux-mêmes.
La loi de 1985 représentait un pas dans la bonne direction, un pas important : elle préparait les esprits à un changement de nos moeurs politiques, qui était nécessaire.
Treize ans après, les esprits sont mûrs, les esprits ont évolué, et il n'est plus souhaitable, me semble-t-il, de trouver des accommodements pour retarder le jour où sera supprimé non pas le cumul des mandats, mais le cumul des fonctions.
Ce qui est important, ce n'est pas que l'on puisse être simultanément parlementaire et conseiller municipal, conseiller général ou conseiller régional ; cela ne présente aucun inconvénient. En revanche, ce qui présente un inconvénient sérieux, c'est le cumul des fonctions de parlementaire et de président d'un exécutif local.
M. Jacques Chaumont. Très bien !
M. Alain Peyrefitte. Le cumul des fonctions est une fâcheuse exception française. Parlez-en à des parlementaires anglais, allemands, italiens ou scandinaves : ils n'en reviennent pas !
M. Guy Allouche. Très bien !
M. Alain Peyrefitte. C'est une étrange spécialité de notre pays dont, me semble-t-il, nous n'avons pas lieu de nous féliciter.
Nos collègues étrangers estiment spontanément que la séparation des pouvoirs exige, en corollaire, la séparation du niveau national et du niveau local.
Cherchez bien : il n'y a pas de démocratie au sens où on l'entend en Occident, de démocratie véritablement représentative et décentralisée qui accepte, comme nous le faisons, cette multiplicité de fonctions.
Tant que le cumul des fonctions n'est pas interdit par la loi, il est obligatoire dans les faits.
M. Guy Allouche. Eh oui !
M. Alain Peyrefitte. En effet, le parlementaire qui n'exercerait pas un mandat local serait en position d'infériorité par rapport à son concurrent qui, à l'élection suivante, pourrait bénéficier du rayonnement que lui apporte un tel mandat.
La question est donc simple : nous sommes prisonniers d'un système qui se soutient par lui-même indéfiniment tant que la loi ne l'interdit pas. C'est ainsi que nous confondons les niveaux local et national et que nous confondons les missions.
Bien sûr, il est naturel qu'un mandat local conduise à un mandat national, qu'un mandat moins important conduise à un mandat plus important. C'est ce que l'on appelait, dans la Rome antique, au temps de la République, le cursus honorum. Mais à partir du moment où un mandat national est acquis, il n'est pas logique, il n'est pas naturel de ne pas se contenter d'un mandat électif local comme celui de conseiller municipal, de conseiller général ou de conseiller régional et de vouloir, en plus, disposer de ce puissant moyen d'action qu'est la présidence d'un exécutif.
En 1958, souvenez-vous, lors de l'élaboration de la Constitution, la classe politique s'était fortement émue de l'article 23, qui disposait que l'on ne pourrait pas à la fois être membre du gouvernement et parlementaire. On disait que c'était absolument contraire aux principes mêmes de la République. Or c'est tout à fait entré dans les moeurs ; depuis lors, personne ne s'en indigne et tout le monde a trouvé que l'existence des suppléants était fort utile.
Le fait qu'une fonction exécutive locale soit exercée par un parlementaire signifie que l'administration ou le cabinet de celui-ci fait à sa place ce qu'il devrait faire, c'est-à-dire prend les décisions à sa place.
M. Guy Allouche. Très juste !
M. Alain Peyrefitte. Si ce parlementaire est à Paris pour légiférer et, mes chers collègues, pour contrôler le Gouvernement, ...
M. Guy Allouche. Tout à fait !
M. Alain Peyrefitte. ... ce que l'on oublie trop souvent et ce que le Parlement ne fait pas suffisamment, si donc il est à Paris pour faire son travail de parlementaire, il ne peut pas être en même temps sur place pour diriger un exécutif local.
Voilà pourquoi je pense que le cumul des mandats est un moyen de perpétuer chez nous le phénomène bureaucratique, puisque l'on finit par donner à des fonctionnaires des responsabilités pour lesquelles ils ne sont pas faits et que devraient seuls assumer les élus.
Ce raisonnement, puis-je le rappeler, que j'ai exposé opiniâtrement depuis vingt-cinq ans dans nombre de travaux et ouvrages, notamment dans Le Mal français, en 1976, ce raisonnement donc, chers collègues et amis, ne perd aucunement sa valeur à mes yeux à partir du moment où il est pris en charge par un gouvernement que, d'ordinaire, je combats.
Voilà pourquoi je vais devoir, à mon grand regret, voter contre le texte présenté par la commission des lois. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RPR et du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes et celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Bien entendu, nous voterons également contre le texte issu des travaux de notre assemblée.
Nous sommes effectivement favorables à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions. Cela correspond à une aspiration forte de nos concitoyens.
Il s'agit de réhabiliter l'image des hommes politiques, suspectés par l'opinion publique de vouloir concentrer dans les mêmes mains toujours plus de pouvoirs, mais aussi toujours plus d'indemnités, plus de rémunérations et plus de moyens. (Protestations sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Je ne dis pas que c'est la réalité, je dis comment nos citoyens la ressentent !
M. Henri de Richemont. C'est parce que vous la présentez comme telle !
M. Alain Vasselle. Le traitement est plafonné !
Mme Dinah Derycke. Le projet du Gouvernement devait permettre un renouvellement des élus en même temps que leur féminisation ; le prochain projet de loi organique sur la parité nous fournira l'occasion d'avancer dans cette dernière voie.
Après tant d'années de pratique du cumul, tant d'années de concentration des pouvoirs et de centralisation de notre système politique, sans doute avons-nous tous des difficultés à imaginer un autre mode de fonctionnement de notre démocratie. Cependant, notre mode de fonctionnement actuel, comme le disait à l'instant M. Peyrefitte est tout à fait exceptionnel, et, dans les autres pays d'Europe, on a l'habitude de ne pas confondre les différentes fonctions !
Si nous avons beaucoup de mal à nous projeter dans un avenir dans lequel il n'y aurait plus de cumul des mandats, c'est peut-être de notre part un manque d'imagination quant à ce que pourrait être le rôle du parlementaire, rôle qui consiste bien sûr à voter la loi - c'est le premier rôle du parlementaire comme le rappelle sans cesse M. Guy Allouche - mais également à contrôler l'application de la loi ; et aussi, et cela serait sans doute très souhaitable, à susciter des réformes, notamment dans le domaine des droits sociaux.
Le projet de loi n'interdisait pas l'ancrage local des parlementaires puisqu'il leur permettait d'être en même temps conseiller municipal, conseiller général ou conseiller régional. Mais, de toute façon, il nous faudra modifier notre conception de l'ancrage local et ne pas la limiter aux seuls mandats électoraux. L'ancrage d'un parlementaire peut également se faire par une participation à la vie quotidienne de nos concitoyens. En effet, le décalage entre les citoyens et les hommes politiques vient peut-être aussi du fait que, occupés par leurs diverses fonctions, ces derniers ne sont pas suffisamment impliqués dans la vie concrète. L'ancrage d'un parlementaire peut très bien être assuré par la présidence d'associations, soit locales, soit nationales, qui travaillent sur le terrain. Nous devrons donc, à terme, faire ce travail d'imagination, la limitation du cumul des mandats étant inéluctable, qu'on le veuille ou non, pour définir un nouveau rôle du parlementaire qui soit plus près des préoccupations de chacun.
Ainsi, ce projet de loi qui visait au renouvellement de la classe politique, au renouvellement de la vie politique, allait même jusqu'à promouvoir le renouveau de l'homme politique. Voilà pourquoi nous voterons contre ce qu'il est devenu après son passage dans notre assemblée.
Bien entendu, nous espérons qu'après les différentes discussions, les différentes navettes, nos collègues de la majorité sénatoriale voteront enfin le texte tel qu'il avait été déposé. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Arnaud.
M. Philippe Arnaud. Je serai bref, monsieur le président, car tout a été dit. A l'occasion de ce débat, de nombreux arguments ont été développés, y compris d'ailleurs certains arguments fallacieux, qu'il serait dangereux, me semble-t-il, de trop répéter.
Il faut en effet cesser de faire croire à nos concitoyens que l'un des moteurs - voire le moteur essentiel - qui guiderait l'action des élus est leur propre intérêt. Cela est très dangereux pour la démocratie. (Murmures sur les travées socialistes.)
A mon avis, il conviendrait d'éviter de mettre en avant ce type d'arguments, qui ne sont pas fondés mais dont, vous le savez très bien, la presse se régale.
Pour ma part, je suis très gêné dans cette affaire, car j'ai des convictions personnelles, qui n'engagent pas mes collègues, mais que j'ai, alors que je ne suis pas en fin de carrière, déjà mises en pratique.
Ainsi, je suis pour la limitation des cumuls de fonctions, notamment des grandes fonctions exécutives régionales et départementales, qui me semblent effectivement incompatibles avec un mandat parlementaire.
En revanche, je suis foncièrement, de par mon expérience, très attaché à ce que les parlementaires aient un ancrage dans la vie locale de façon à nouer en permanence un lien direct avec un échelon d'administration locale.
Un tel lien direct permet au législateur d'expérimenter lui-même un certain nombre de dispositions qu'il est amené à voter, et cela me paraît, une bonne manière de garantir la démocratie.
Par voie de conséquence, je ne peux pas approuver le projet gouvernemental modifié par l'Assemblée nationale dont le contenu est excessif, outrancier, caricatural. Il donne peut-être satisfaction à l'opinion publique, mais il n'a pas grand sens.
Je ne peux pas non plus accepter le texte issu de nos débats, parce qu'il rétablit la possibilité de cumul d'un mandat parlementaire avec la fonction de président de conseil général ou de président de conseil régional.
Aussi, pour être cohérent avec moi-même, mes chers collègues, je m'abstiendrai, étant entendu que mon abstention n'est pas une fuite, un manque de courage. Je m'abstiendrai tout simplement parce que je sais que le débat continue avec l'Assemblée nationale, que la navette va jouer son rôle, et que nous reviendront des propositions plus conformes aux réalités, empreintes d'un plus grand pragmatisme.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Je voudrais tout d'abord, monsieur le président, mes chers collègues, saluer le courage de la position défendue par notre collègue Alain Peyrefitte, en lui faisant toutefois remarquer que cette position n'est pas du tout celle du Gouvernement. D'ailleurs, si l'on souhaitait le suivre, c'est d'un autre projet de loi qu'il faudrait débattre.
Si j'ai salué le courage d'Alain Peyrefitte, c'est parce que je sais combien il est difficile d'adopter une position singulière au sein d'un groupe, je ne peux en faire autant pour ce qui est du groupe socialiste, tant il est vrai que, au cours de ce débat, aussi bien lors de la discussion générale que pendant la discussion des articles, nous n'avons eu droit, du côté du parti du Premier ministre, qu'à un monologue de M. Guy Allouche.
M. François Autain. C'est parce qu'il est le meilleur !
M. Dominique Braye. Je n'en ai été que plus heureux d'entendre l'explication de vote de Mme Dinah Derycke, voilà quelques instants.
Je m'attendais pourtant à un tir groupé de la part de nos collègues socialistes contre la position de la majorité sénatoriale. Or M. Guy Allouche est finalement le seul à avoir pris la défense de ce projet de loi.
Il y a tout de même là quelque chose d'un peu choquant, surtout lorsqu'on songe au manque de courage politique des députés socialistes, qui sont tous venus nous dire qu'ils comptaient sur le Sénat pour revenir sur le texte qu'avait adopté la majorité de l'Assemblée nationale.
Permettez-moi de vous faire part d'une petite anecdote. Un député socialiste maire d'une ville importante de Seine-Saint-Denis - il ne s'appelle ni M. Lebrun, ni M. Legris, ni M. Leblond (Sourires) - m'a communiqué la comptabilité des heures de présence des députés dans l'hémicycle du Palais-Bourbon selon qu'ils sont simplement députés ou également maires. Il en ressort que les députés-maires sont plus présents que ceux qui ne sont pas maires !
Je répète que c'est un député-maire socialiste de Seine-Saint-Denis qui a porté ce fait à ma connaissance. C'est dire combien ce projet de loi organique est soutenu par les membres de la majorité gouvernementale !
Non, vraiment, lorsque des dispositions aussi importantes pour notre société sont débattues, on est en droit d'attendre de chacun qu'il fasse preuve d'un peu plus de courage politique dans l'expression de ses véritables positions (Protestations sur les travées socialistes), au lieu d'attendre du Sénat qu'il assume toutes les responsabilités.
Pour ma part, je voterai le projet de loi organique tel qu'il est issu des travaux du Sénat, sur proposition de la commission des lois, en espérant que la navette le fera encore un peu évoluer dans le sens que M. Gélard a indiqué tout à l'heure.
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Comme je l'ai dit hier dans la discussion générale, je ne partage pas l'opinion de ceux qui pourfendent d'avance le cumul d'un exécutif local et d'un mandat parlementaire.
De nombreuses comparaisons ont été faites avec des exemples étrangers. Or, en cette affaire, plus que jamais comparaison n'est pas raison.
A l'étranger, le non-cumul, lorqu'il est observé, n'est qu'une coutume politique parmi d'autres. Les pays en question ne connaissent pas, en particulier, le système d'administration hypercentralisée qui est le nôtre. On n'y trouve pas ce représentant, ô combien puissant, du pouvoir central qu'est le préfet. On n'y trouve pas un corps préfectoral fort de son unité, de sa cohésion, dont la capacité à influencer le pouvoir local ne peut être équilibrée que par l'existence de responsables locaux qui ont en même temps des responsabilités nationales.
Par ailleurs, il est des pays dans lesquels l'interdiction du cumul de fonctions professionnelles avec l'exercice du mandat parlementaire est autrement plus durement observée que chez nous, spécialement pour les professions qui dépendent de la fonction publique.
Ce n'est certainement pas dans les pays que l'on nous présente comme des exemples à suivre que l'on aurait une Assemblée nationale composée dans la même proportion de fonctionnaires en disponibilité ou, pis, en détachement, susceptibles de retrouver leur poste et de reprendre le fil de leur carrière aussitôt que, battus ou renonçant, ils auront quitté l'assemblée parlementaire dans laquelle ils siègent.
Nos assemblées parlementaires ont bel et bien besoin de l'expérience de personnes qui exercent aussi des responsabilités complètes à l'échelon local.
En revanche, la commission envisage, semble-t-il, de limiter les cumuls de fonctions exécutives dans le projet de loi ordinaire, et c'est là le point essentiel des discussions en cours.
Voilà pourquoi je voterai le projet de loi organique tel qu'il résulte de nos travaux.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. En vérité, je n'avais pas prévu d'intervenir à ce stade du débat. J'avais chargé notre collègue Mme Dinah Derycke d'expliquer notre vote, ce qu'elle a fait excellemment. Mais je ne veux pas priver l'un des nôtres du plaisir de m'entendre à nouveau. (Sourires.)
Bien sûr, nous sommes favorables au projet du Gouvernement. Vous l'aurez d'ailleurs noté, chers collègues, nous nous sommes abstenus sur l'élimination de ce que d'aucuns appellent les « scories » ajoutées par l'Assemblée nationale.
Dès lors, à l'évidence, nous ne pouvons approuver le texte qui a été mis au point par la commission et que, selon toute vraisemblance, la majorité de la Haute Assemblée va adopter.
Il n'est pas dans mes habitudes de profiter de l'intervention de l'un des nôtres pour l'opposer au reste de son groupe ; je trouve cela discourtois.
M. Alain Joyandet. Alors, il ne faut pas le faire !
M. Guy Allouche. Hier, j'ai évoqué un rapport de M. Olivier Guichard datant de 1976. Dans ce rapport, M. Guichard disait déjà que, le jour où la France serait moins centralisée, il faudrait abandonner le cumul d'un mandat parlementaire et de fonctions exécutives.
Je relève que notre collègue M. Alain Peyrefitte, à l'instant, n'a pas dit autre chose. Et pourtant, chacun sait que, sur mille et un points, nous divergeons ! Il reste que M. Peyrefitte s'est situé dans le droit-fil d'une tradition qui, au demeurant, n'est pas la mienne.
Les travaux préparatoires de la Constitution de 1958 font apparaître que le général de Gaulle non seulement ne voulait pas que les ministres soient parlementaires mais souhaitait même - et je parle ici sous le contrôle de fidèles du général - qu'ils ne soient pas maires. Certes, pour éviter les conflits, on n'est pas allé jusque-là, mais, dans l'esprit du fondateur de la Ve République, la fonction ministérielle excluait l'exercice de toute autre fonction parce que la vocation d'un membre du Gouvernement est de s'intéresser au sort du pays tout entier et non à celui de telle commune ou de tel territoire.
Moi, je ne fais pas le procès de ceux qui ont cumulé plusieurs mandats. Ils se sont inscrits dans un contexte politique, et il n'y a pas à leur jeter la pierre. Je le répète, tant que, juridiquement, le cumul n'est pas interdit, il est politiquement obligatoire.
Mais, à partir du moment où nous prenons la décision d'y mettre un terme, progressivement, suivant le processus amorcé en 1985, on peut aborder le siècle qui va s'ouvrir avec une nouvelle pratique.
J'ajoute, à l'intention du porte-parole - si j'en crois ses mots - du groupe du RPR, que le groupe socialiste a fait un choix en me désignant comme le principal orateur. En commission des lois, nous avons été plusieurs à intervenir. Pour des raisons de temps, notamment, et eu égard au fait que j'ai eu l'occasion de m'intéresser de plus près à certaines questions, j'ai été désigné comme principal orateur. Ce n'est pas la première fois que notre groupe procède ainsi et vous aurez encore souvent l'occasion de constater que, sur des débats bien précis, nous ne désignons qu'un seul orateur.
Monsieur Braye, laissez donc le groupe socialiste gérer ses affaires comme bon lui semble. Moi, je ne me mêle pas de ce qui se passe dans votre groupe ; je m'en garde bien ! Sachez seulement que, chez nous, les choses se passent très démocratiquement. A cet égard, nous pourrions même donner des leçons à d'autres ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel. Ayant siégé, compte tenu de la mauvaise organisation de nos travaux, en commission de neuf heures trente à douze heures cinquante-cinq, puis au sein de la délégation pour l'Union européenne de quinze heures à dix-huit heures cinquante-cinq, je n'ai pas suivi le débat. Je ne pourrai donc pas prendre part au vote qui va suivre.
M. le président. La parole est à M. Louis Boyer.
M. Louis Boyer. Le groupe des Républicains et Indépendants, dans sa grande majorité, votera ce texte tel qu'il a été amendé par le Sénat, sur proposition du rapporteur.
En effet, nous pensons que, si des réformes étaient éventuellement nécessaires, le Gouvernement, pour sa part, est allé beaucoup trop loin. Les positions qu'a défendues notre rapporteur représentent un juste milieu entre le statu quo et des mesures définies dans la précipitation, dont on n'a peut-être pas bien mesuré tous les effets.
Certaines assertions proférées au cours de ce débat m'ont, personnellement, beaucoup étonné. Ainsi, on nous a dit que, si un parlementaire n'était plus que titulaire de son mandat de député ou de sénateur, il pourrait l'exercer pleinement. Mais, à simplement regarder les travées de cette assemblée, j'ai pu constater que certains de nos collègues qui n'exercent que leur mandat de sénateur n'étaient pas nécessairement les plus présents dans l'hémicycle, alors que d'autres, qui exercent un autre mandat, éventuellement important, étaient au contraire très présents. Il convient donc de ne pas porter des appréciations hâtives.
En fin de compte, je ne crois pas que ce texte assurera une plus grande présence sur les travées du Sénat, ni d'ailleurs, a contrario, dans les assemblées locales.
Telle est la réflexion toute personnelle que je souhaitais ajouter à l'explication de vote de mon groupe. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques Larché, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Larché, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans mon propos liminaire, je vous annonçais que le débat que nous abordions revêtirait une certaine importance. Au moment où nous allons le conclure, nous pouvons constater qu'il en a bien été ainsi. En tout cas, il a été fort suivi et, à certains moments, extrêmement vivant.
Ce débat a même parfois suscité des manifestations assez vives, sur telle ou telle travée, les unes répondant aux autres, mais cela est dans l'ordre des choses. Cela montre que chacun a défendu ses convictions, avec beaucoup de franchise et d'honnêteté.
Chez certains de nos collègues s'est fait jour l'idée selon laquelle une sorte de parlement idéal - si tant est qu'il puisse exister un parlement idéal ! - relativement déconnecté de la réalité locale, remplirait mieux son rôle de législateur.
Pour d'autres, dont moi, il apparaît au contraire que la pratique française relevait d'une tradition, voire d'une véritable culture, telle que cette relation avec la base qui nous désigne, nous donne une vision verticale nous permettant de saisir l'ensemble de la réalité française, qui nous est chère à tous, et d'opérer nos choix en fonction de l'appréciation que nous portons sur cette réalité.
En tout cas, nous venons de vivre un exemple intéressant de la façon dont l'absence de mandat local permettrait une assiduité particulièrement remarquable... Il se trouve, de ce fait, qu'un certain nombre d'arguments qui avaient été parfaitement développés dans le cours du débat ont été repris in fine.
Nous avons notamment fait justice, comme M. Paul Girod, de cette prétendue exception française. Car cette exception française n'existe pas. Nous savons tous que les pays latins ont très souvent des pratiques fort proches des nôtres. Pour ma part, je n'ai jamais constaté chez nos collègues européens ou autres l'étonnement qu'ils manifesteraient en se demandant comment nous parvenons à accomplir cet exercice cumulé de mandats que nous ne jugeons pas incompatibles.
Ce débat a été digne et riche. Chacun pense, bien sûr, qu'il détient la vérité. Certains parient sur l'avenir et, nous, nous parions sur une tradition, que nous entendons maintenir. Qu'en sera-t-il demain ? Je n'en sais rien. L'Assemblée nationale va-t-elle s'ancrer dans ses positions ? Va-t-elle, au contraire, être tentée de s'ouvrir au dialogue ?
En tout cas, le Sénat a démontré qu'il n'abordait pas ce débat dans un esprit marqué de préjugés. Nous avons « décortiqué » le texte et nous l'avons allégé de dispositions introduites par l'Assemblée nationale mais dont l'utilité ne nous paraissait pas évidente.
Le débat a commencé. Nous n'avons pas présenté de motion tendant à opposer la question préalable. Pour ma part, j'exprime un regret personnel : peut-être notre décision aurait-elle été plus claire si nous avions accepté dans toutes ses conséquences le principe de la détention par un parlementaire d'un seul mandat exécutif ? Le Sénat en a décidé autrement.
Cependant, je suis persuadé que l'opinion publique, dont on préjuge beaucoup trop la décision, comprendra ce que nous entendons faire et qu'elle l'appréciera. (M. Arthuis applaudit.)
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat. Je serai beaucoup plus concis que je ne l'envisageais, compte tenu de ce qui a été dit lors des explications de vote, non seulement par les orateurs des groupes qui soutiennent le Gouvernement, mais aussi par les membres de la majorité sénatoriale, notamment M. Peyrefitte. En me référant à leurs propos, je ne veux ni diviser, ni opposer, ni annexer qui que ce soit.
En entendant M. Peyrefitte, nous avons trouvé confirmation des propos tenus, dans son intervention introductive, par mon collègue M. Jean-Jack Queyranne, ministre de l'intérieur par intérim. Il indiquait alors que l'approche du Gouvernement n'était en rien dogmatique, qu'elle recherchait, au contraire, réalisme et équilibre, avec le souci de revivifier notre démocratie et de répondre à une aspiration de nos concitoyens.
Si la Haute Assemblée veut bien prendre en compte le plus largement possible ce préambule, ce cadrage de la réflexion, cela permettra de convenir que le texte auquel vous êtes parvenus constitue, eu égard aux besoins et à la nécessité du présent et de l'avenir, un pas trop petit pour satisfaire le Gouvernement au regard des objectifs qu'il cherche à atteindre.
Je prends acte du travail accompli par la commission et du grand nombre de sénateurs qui sont intervenus au cours du débat. Cependant, à la veille du troisième millénaire, il faut, pour être en phase avec les attentes de l'opinion et les exigences des citoyens les plus informés, accepter l'équilibre qui vous est proposé, car il répond au besoin d'ancrage local que vous souhaitez tous préserver.
Cet ancrage local ne doit pas être exclusivement institutionnel. Un parlementaire aura toujours la possibilité d'être conseiller municipal, conseiller général ou conseiller régional, voire vice-président de conseil général ou régional, ou adjoint. Cela signifie que nous ne cherchons pas à établir une séparation entre la vie politique nationale et l'exercice des responsabilités locales.
Mais d'autres formes d'ancrage permettent de découvrir la réalité vécue par nos concitoyens. Bien souvent, cette connaissance nous manque lorsque nos mandats nous absorbent trop. Je pense, en particulier, à toute la richesse que constitue la vie associative, pilier très fort de notre démocratie, à laquelle elle donne son oxygène, sa respiration. Il faut aussi essayer de la valoriser.
A ce titre, les limitations du cumul des mandats telles qu'elles étaient proposées par le projet de loi initial autorisait, me semble-t-il, cette disponibilité qu'il faut savoir se ménager pour ne pas être, avec le temps, coupé de la réalité.
Le Gouvernement, au terme de ce débat, remercie celles et ceux qui y ont participé. Il apprécie que des analyses fortes et pertinentes aient été présentées d'une manière très franche et hors de tout clivage. Il souhaite que, dans la suite de la discussion, la Haute Assemblée puisse, à partir d'un approfondissement de ses analyses et sans a priori , accepter une avancée nettement plus marquée que celle qu'elle a retenue en première lecture. (Applaudissement sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 2:
Nombre de votants | 318 |
Nombre de suffrages exprimés | 296 |
Majorité absolue des suffrages | 149 |
Pour l'adoption | 194 |
Contre | 102 |
La discussion de projet de la loi relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice est renvoyée à la prochaine séance.
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