Séance du 20 octobre 1998







M. le président. La parole est à M. Delevoye, auteur de la question n° 319, adressée à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Jean-Paul Delevoye. Madame le secrétaire d'Etat, ma question porte sur le commerce infraeuropéen.
Certes, nous sommes tous convaincus que le marché européen est aujourd'hui un facteur très important de la croissance par la consommation interne. Mais il n'empêche que nous devons réfléchir à l'harmonisation des réglementations afin d'éviter les distorsions de concurrence.
Permettez-moi de vous en soumettre un exemple. Il s'agit du secteur du meuble dans la région Nord - Pas-de-Calais face à la concurrence belge.
Le 30 mai 1997, un arrêté royal a légalisé en Belgique l'ouverture des commerces de négociant en meubles quarante dimanches par an, soit trois dimanches sur quatre.
Ses conséquences ont été analysées : on évalue le chiffre d'affaires réalisé à plus de 600 millions de francs, dont 60 % au minimum correspondraient à des achats effectués par des étrangers.
On voit donc bien toute l'attractivité de ce dispositif et le déplacement de consommateurs qu'il a entraîné. L'analyse de l'évolution du commerce dans la région Nord - Pas-de-Calais montre que, sur 190 commerces recensés en 1997, il n'en reste plus que 135. Bien évidemment, ceci est la conséquence de cela.
Au-delà même du problème de l'ouverture dominicale, nous devons nous interroger sur celui de l'harmonisation et de l'équilibre des règles du jeu entre pays européens. Nous assistons aujourd'hui, notamment pour un certain nombre d'activités autres que le meuble, à des distorsions de concurrence. Je pense notamment à la construction, au bâtiment, au transport routier.
L'absence de règles ou, quelquefois, la capacité qu'ont certaines entreprises localisées dans les pays européens de ne pas tout à fait respecter celles qui existent, leur donne un avantage tout à fait important.
Il serait paradoxalement cruel que les couches sociales les plus défavorisées de notre pays, qui se veut un exemple en matière de législation sociale très avancée, soient pénalisées par celles et ceux qui ne respecteraient pas ces exigences sociales.
Madame le secrétaire d'Etat, il serait judicieux de prendre un certain nombre d'initiatives afin que les règlementations soient respectées. Cela est d'autant plus important que, lorsque nos commerçants obtiennent des condamnations, les peines pénales prononcées par les juridictions françaises ne peuvent pas être exécutées en Belgique, faute de ratification par la France de la convention sur l'exécution des condamnations pénales étrangères, ouverte à la signature, le 13 novembre 1991, à Bruxelles.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la formation professionnelle. Monsieur le sénateur, vous avez appelé l'attention de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité sur les problèmes que peut créer, pour des régions frontalières, l'existence de réglementations différentes en matière de repos dominical dans des pays de la Communauté.
Comme vous l'avez indiqué, monsieur le sénateur, la législation en Belgique, par un arrêté royal, autorise l'ouverture, quarante dimanches par an, des commerces de meubles dont un grand nombre est situé en zone frontalilère. Une telle disposition ne serait pas sans effet sur la situation économique de ce secteur.
De son côté, la législation française pose en principe que le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche. Il s'agit d'une disposition d'ordre public, applicable à tous les salariés. Les spécificités de certaines activités ont néanmoins amené le législateur à prévoir un certain nombre de dérogations collectives ou individuelles à ce principe, soit de droit, soit sur autorisation administrative.
L'équilibre entre ce principe général et les dérogations ouvertes, pour permettre son adaptibilité aux situations particulières, ne saurait être remis en cause sans conséquences très sensibles sur les conditions de vie et de travail des salariés. Ce n'est d'ailleurs pas le sens de la demande que vous formulez, monsieur le sénateur.
Dans le département du Nord, afin de permettre une concurrence loyale entre les différentes entreprises de la profession et de parer à la concurrence des magasins situés en Belgique, les services de l'Etat, les représentants de la profession et les syndicats de salariés ont défini ensemble un cadre pour la mise en oeuvre de ces dérogations. Ce dispositif fonctionne, semble-t-il, de manière satisfaisante.
Sur le plan européen, il existe une directive européenne du 23 novembre 1993 qui assure le rapprochement de certaines dispositions en matière de durée et d'aménagement du temps de travail. Elle comprend notamment le droit à un repos hebdomadaire. Toutefois, comme vous le savez, il appartient à chaque Etat, conformément au principe de subsidiarité, d'en apprécier les modalités de mise en oeuvre.
L'existence de divergences dans les réglementations des différents Etats membres peut, certes, être source de difficultés économiques pour les secteurs qui, de par leur activité et leur localisation géographique, ont à faire face à des concurrents qui ne se verraient pas appliquer les mêmes règles.
Pour cette raison, la France cherche à approfondir la législation communautaire dans le domaine social. J'insiste, par ailleurs, sur le rôle désormais attribué aux partenaires sociaux, au niveau communautaire, afin de dégager des règles communes, ainsi que sur l'importance croissante, en liaison avec les Etats membres, de la concertation entre les partenaires sociaux pour régler des questions de nature transnationale ou transfrontalière.
Permettez-moi d'ajouter, monsieur le sénateur, que la concurrence transfrontalière ne saurait à elle seule expliquer les difficultés rencontrées par le secteur du commerce de meubles dans la région Nord - Pas-de-Calais. Je n'insiste pas sur ce point qui n'est pas l'objet de votre question.
Il reste que les difficultés évoquées dans votre question montrent la nécessité de rechercher une convergence plus active des législations européennes en matière sociale. Elle doit se traduire par des règles communes, préservant les principes sociaux fondamentaux auxquels les différents pays de l'Union européenne sont attachés. Toutes les possibilités offertes par le nouveau traité d'Amsterdam seront, à cet égard, utilisées.
M. Jean-Paul Delevoye. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye. Je vous remercie, madame le secrétaire d'Etat, de votre réponse.
Il est tout à fait important que soit effectivement mis en place un observatoire économique pour bien mesurer les distorsions qui pourraient résulter du non-respect, de la non-application ou de l'utilisation abusive d'un certain nombre d'objectifs sociaux proposés par nos partenaires sociaux à l'échelon communautaire. Il serait particulièrement malvenu qu'aujourd'hui le vice soit récompensé plus que la vertu et l'efficacité économique réduite au moins-disant social.
Cette question dépasse le secteur du meuble et l'aspect frontalier. Vous savez mieux que moi que nombre de professions sont aujourd'hui soumises à ce type de pression concurrentielle. Il est essentiel que les pouvoirs politiques européens réfléchissent effectivement à la bonne application des règles économiques et non pas à leur détournement.

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