Séance du 24 juin 1998







M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi constitutionnelle, je donne la parole à M. Pagès, pour explication de vote.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, au terme de ce débat, je confirme que les sénateurs communistes regrettent vivement l'adoption de l'amendement n° 3 de la commission des lois, sous-amendé par le sous-amendement n° 9 rectifié de M. Ceccaldi-Raynaud, qui modifie substantiellement la teneur de la réforme.
Nous avons, pour notre part, défendu la mise en place d'un Conseil supérieur de la magistrature réunifié, démocratique et pluraliste, tant dans sa composition que dans ses attributions.
M. Hilaire Flandre. Comme à Moscou !
M. Robert Pagès. Le texte gouvernemental marquait à nos yeux un progrès par rapport à la situation actuelle, même s'il n'allait pas aussi loin que nous l'aurions souhaité dans la logique d'indépendance des magistrats. Il est clair que nous ne pourrons pas voter le projet tel qu'il ressort des travaux du Sénat.
En réalité, la position arrêtée par la majorité sénatoriale de droite risque soit d'entraîner un retard dans l'adoption définitive de la réforme, voire de la compromettre, soit encore, si un terrain d'entente était trouvé au cours de la navette, comme semble le souhaiter le président Larché, de marquer un net recul au regard de l'impartialité et de l'indépendance de la justice.
Un tel raisonnement augure mal les réformes à venir en matière de procédure pénale, de présomption d'innocence, d'instruction, de relations entre parquet et Chancellerie, etc.
Nous regrettons profondément de n'avoir pas réussi, au Sénat, à faire avancer ce qu'attendent nos concitoyens : une justice efficace, une justice impartiale, une justice pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. de Bourgoing.
M. Philippe de Bourgoing. M'exprimant au nom d'un groupe qui a le plaisir et l'honneur de compter dans ses rangs le rapporteur de ce texte, je n'étonnerai personne en disant que les sénateurs du groupe des Républicains et Indépendants suivront sans hésitation les conclusions de la commission des lois.
M. le président. La parole est à M. le doyen Gélard.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Est-ce le doyen du Sénat ? (Sourires.)
M. Patrice Gélard. Non, pas du Sénat ! Pas encore ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. Il y a un nombre limité de doyens dans cette enceinte. C'est la raison pour laquelle je me suis permis de donner ainsi la parole à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. La très grande majorité du groupe du RPR votera en faveur du texte tel qui ressort de nos travaux.
Je voudrais, en cet instant, insister sur un certain nombre de points.
D'abord, le Conseil supérieur de la magistrature n'est pas une institution secondaire. Il joue un rôle capital non seulement en France mais aussi à l'étranger. En effet, ce qui se passe au Conseil supérieur de la magistrature est suivi dans un très grand nombre de pays parce que le problème du statut des magistrats comme celui de l'indépendance de la magistrature se posent partout dans les mêmes termes et que, dans les autres pays, on ne trouve pas toujours les bonnes solutions. Ce qui se fait ici est donc d'importance.
S'agissant de la question des procureurs - une question sur laquelle nous devrons revenir - nous avons fait le choix de nous rallier à la solution proposée, à savoir l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature pour la nomination des procureurs.
Cela étant, nous continuons de nous demander si les procureurs sont réellement des magistrats ou s'ils ne constituent pas une catégorie à part. Leur appartenance à la magistrature résulte un peu de l'histoire, mais aussi un peu des hasards.
En fait, en voulant garantir l'indépendance de la magistrature, n'avons-nous pas quelque peu occulté le problème des liens nécessaires entre les procureurs et le garde des sceaux et, plus largement, le Gouvernement ?
La réforme de 1993 avait représenté un indiscutable progrès. Je me permets de rappeler au passage que, malgré des promesses remontant à 1981, ceux qui veulent se faire aujourd'hui nos procureurs n'ont toujours fait preuve ni de beaucoup de courage ni de beaucoup de ténacité ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le vote d'aujourd'hui, contrairement à ce qu'a dit M. Allouche, n'est pas définitif.
Nous avons voulu, aujourd'hui, marquer notre volonté d'ouverture. Nous ne refusons pas le dispositif proposé par Mme le garde des sceaux ; nous l'avons aménagé, nous l'avons quelque peu transformé, mais l'esprit essentiel demeure. Madame le garde des sceaux, vous souhaitiez un Conseil supérieur de la magistrature composé d'une majorité de personnalités extérieures ? Vous l'avez ! Quant à la nomination des procureurs - de la quasi-totalité des procureurs, à l'exception de trente-deux d'entre eux - elle se fera après avis conforme du Conseil.
Pour l'essentiel, donc, le texte que vous nous avez présenté demeure, sauf certains points de détail sur lesquels nous l'avons amélioré. Il reste encore à parfaire, nous vous le concédons. Nous sommes ouverts et prêts à la discussion avec l'Assemblée nationale, lors de la navette, mais, madame le garde des sceaux, ce qui nous inquiète le plus, sachant que, somme toute, cette réforme du Conseil supérieur de la magistrature est assez secondaire dans la réforme de la justice, ce sont les autres textes que nous attendons et dont nous ne connaissons pas encore, à l'heure actuelle, la véritable économie.
La véritable réforme de la justice, ce n'est pas le Conseil supérieur de la magistrature qui la fera ; elle viendra des autres textes, que nous attendons, sur la présomption d'innocence, sur le rôle du juge d'instruction, sur la garde à vue, entre autres. Tant que nous n'aurons pas eu connaissance de ces textes-là, il nous sera extrêmement difficile de porter un jugement définitif sur l'ensemble de la réforme en cours.
Dès lors, notre vote d'aujourd'hui n'est en aucun cas un engagement pour celui que nous émettrons en deuxième lecture et, a fortiori, au congrès. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
(M. René Monory remplace M. Jacques Valade au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, quand se sont achevés les travaux de la commission des lois, je ne le dissimulerai pas, j'étais, pour ma part, plutôt optimiste. Je me disais que cette révision constitutionnelle concernant une institution qui n'est pas, comme le doyen Gélard a raison de le rappeler, une petite institution dans la République, nécessitait un accord entre les deux chambres, et que nous n'en étions pas très loin. En effet, si les adjonctions de la commission des lois pouvaient poser quelques problèmes, elles ne constituaient certainement pas un obstacle majeur. Quant à savoir s'il fallait une ou deux formations - problème, en effet, important - je pensais que l'on pourrait trouver un accommodement, d'autant que, si l'on choisissait la formation unique, celle-ci, inévitablement, se diviserait en sections de travail.
Pour ce qui est du pouvoir de convocation du Conseil aux fins d'avis, dans la version initiale qui nous avait été soumise, seul le Président de la République en disposait. A mon sens, les modes de convocation relèvent plutôt d'une loi organique mais, très franchement, si une majorité des membres du Conseil supérieur de la magistrature demandaient au Président de la République de réunir une instance dont il est le président, il ne pourrait certainement pas refuser. Cela ne me paraissait donc pas d'une extrême importance ou de nature à susciter l'opposition irréductible des deux chambres.
En ce qui concerne la composition du Conseil, maintenant, le projet de loi, tel que modifié par la commission des lois, m'apparaissait meilleur que le texte élaboré par l'Assemblée nationale.
Moyennant donc quelques efforts, et nous allions en faire, je voyais déjà la question réglée.
Endormis dans cet optimisme constitutionnel, nous nous sommes brusquement réveillés avec l'invention de M. Ceccaldi-Raynaud, la trouvaille, l'oursin dans le potage ! Le sous-amendement n° 9 rectifié, qu'il a défendu, comme M. Gélard, avec talent, aboutit à créer précisément l'irréparable et je ne vois pas comment on pourra surmonter ce qui est désormais avant tout une contradiction majeure.
A cet instant, je demande à chacun de s'interroger. Le parquet est et doit demeurer un organe hiérarchisé. Les garanties ? Nous savons ce qu'elles sont quand il s'agit de l'indépendance des magistrats : elles résident précisément dans le pouvoir plus ou moins grand d'intervention du Conseil supérieur de la magistrature. Vous avez adopté, chers collègues, une disposition par laquelle les substituts et les procureurs de la République, qui sont chefs du parquet de leur tribunal, chez eux, mais pas dans le ressort de la cour d'appel, vont, eux, bénéficier d'une garantie, au reste tout à fait souhaitable, et que nous avons adoptée d'ailleurs tout comme vous, qui est l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, alors que vous avez refusé d'octroyer cette même garantie à leurs supérieurs, à ceux qui sont au sommet de l'échelle hiérarchique !
Vous avez donc garanti la condition des subordonnés, les procureurs, mieux que celle des procureurs généraux. Dans un système hiérarchique dont M. Peyrefitte a rappelé hier avec beaucoup d'éloquence les avantages, une pareille condition est, permettez-moi de le dire, pour le moins paradoxale. Si vous pensez que cela renforcera l'autorité - si importante - des procureurs généraux sur les procureurs de la République, qui seront dorénavant nommés, eux, avec la double légitimité résultant du choix du Gouvernement et du Conseil supérieur de la magistrature, vous faites erreur. Votre vote aboutira exactement au résultat inverse et vous aurez introduit, au sein du parquet, une dissociation dans la hiérarchie qui ne manquera pas de se faire sentir. C'est un paradoxe, mais aussi un mauvais choix.
En ce qui concerne l'avenir de la réforme, ne nous leurrons pas. J'ai évoqué les évidentes possibilités d'accord au cours de la navette. Avec un tel oursin, ce n'est plus possible. Comme l'a fait remarquer avec beaucoup de fermeté et de talent Mme le garde des sceaux, nous sommes au coeur de la réforme, puisque les projets de loi à venir, qui sont relatifs à l'organisation du parquet, non seulement confirmeront mais renforceront les pouvoirs des procureurs généraux.
Par conséquent, sauf à démentir complètement ce dispositif - j'ignore ce qu'est le for intérieur du Président de la République à ce sujet, mais il n'a pas à être mis en cause - ni la majorité de l'Assemblée nationale ni le Gouvernement ne céderont sur ce point.
A voir l'unanime enthousiasme avec lequel la majorité du Sénat a adopté ce sous-amendement, je me dis qu'il sera bien difficile de trouver un point d'accord sur une question aussi capitale. Voilà pourquoi je suis pessimiste.
Mais je ne voudrais pas que nous abordions ce vote sur une note trop grave. Aussi permettez-moi, mes chers collègues, de vous rappeler une anecdote admirable, dont l'auteur est, à coup sûr, l'un des plus grands hommes d'Etat français et un éminent sénateur, je veux dire Clemenceau. Interrogé sur ce qu'il pensait du travail parlementaire, Clemenceau interroge à son tour son interlocuteur : « Savez-vous ce qu'est un chameau ? » L'autre reste coi. Et Clemenceau de fournir la réponse : « Un chameau, c'est un cheval dessiné par une commission parlementaire ! » Vous remplacez « commission parlementaire » par « Sénat », et vous avez, mesdames, messieurs, d'un cheval fait un chameau ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac. Il a été plus brillant !
M. Charles Pasqua. Ce n'est pas terrible !
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. A l'issue de ce débat, je m'étonne qu'il n'y ait eu encore personne pour dire que notre pays compte beaucoup de magistrats indépendants et qui font remarquablement leur métier, qu'ils soient substituts, procureurs de la République, procureurs généraux ou magistrats du siège. Et ils ne se sont certainement jamais interrogés sur la justice en termes de suspicion, quand il ne s'agissait pas de malveillance systématique, comme nous l'avons fait par nos débats.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Il faut le dire à M. Charasse !
M. Jean-Jacques Hyest. Pour quelques cas, on oublierait presque que les magistrats de notre pays ont une grande conscience professionnelle et une haute idée de la mission qu'ils accomplissent.
Dans le passé, les courageux magistrats qui ont su résister aux influences du pouvoir politique ont souvent eu raison, et c'est le pouvoir politique qui a eu tort. Si des affaires ont été « loupées », c'est, bien que connues, elles n'ont pas été jusqu'à leur terme. Je crois que le pouvoir politique a toujours eu tort d'influencer la justice sauf, bien entendu, lorsque des raisons supérieures l'exigeaient, auquel cas c'était et cela reste le devoir du pouvoir politique de donner ses instructions. C'est pourquoi je reste attaché au pouvoir hiérarchique et à la subordination qui en découle.
J'ai eu l'impression, cet après-midi, que l'on avait un peu mélangé deux problèmes car derrière la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, il faut considérer, bien entendu, les projets de loi organique à venir concernant le parquet. Or, de ce point de vue, nous restons sur notre faim.
Mme le garde des sceaux a eu, hier, des propos encourageants, mais tout a été gâté cet après-midi. Nous aimerions comprendre pourquoi les procureurs généraux nommés sans avis conforme ne seraient plus indépendants, tandis que les autres le seraient. Et la subordination hiérarchique ?
Le dispositif peut être encore amélioré. Le Sénat a eu le mérite de bien poser les problèmes à l'occasion d'une réforme qui reste, malgré tout, difficile et complexe.
Les textes constitutionnels, en permettant la navette, favorisent le dialogue entre les deux assemblées et avec le Gouvernement.

M. Hubert Haenel. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest. Le Sénat aura bien travaillé, en particulier sa commission des lois, et, nous l'espérons, au terme de la navette, le chameau redeviendra un beau cheval ! (Sourires. - Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Le Sénat va procéder au vote sur l'ensemble du projet de loi constitutionnelle.
En application de l'article 60 bis , alinéa 1, du règlement, la conférence des présidents a décidé qu'il serait organisé un scrutin public à la tribune, dans les conditions fixées par l'article 56 bis du règlement.
Il va donc être procédé au scrutin public.
Je vais tirer au sort la lettre par laquelle commencera l'appel nominal.

(Le sort désigne la lettre T.)
M. le président. Le scrutin sera clos quelques instants après la fin de l'appel nominal.
Le scrutin est ouvert.
Huissiers, veuillez commencer l'appel nominal.

(L'appel nominal a lieu.)
M. le président. Le premier appel nominal est terminé. Il va être procédé à un nouvel appel nominal.

(Le nouvel appel nominal a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter...
Le scrutin est clos.
J'invite MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 110:

Nombre de votants 312
Nombre de suffrages exprimés 308
Majorité absolue des suffrages 155
Pour l'adoption 213
Contre 95

Le Sénat a adopté.

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