SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
(p.
1
).
3.
Questions orales sans débat
(p.
2
).
SITUATION DES EMPLOYEURS PUBLICS VIS-À-VIS
DE L'ASSURANCE CHÔMAGE
DES EMPLOIS-JEUNES (p.
3
)
Question de M. Georges Mouly. - MM. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé ; Georges Mouly.
ASSURANCE CHÔMAGE DES EMPLOIS-JEUNES (p. 4 )
Question de M. Gérard César. - MM. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé ; Gérard César.
MONTANT DES COTISATIONS D'ACCIDENT DU TRAVAIL
APPLIQUÉ AUX AÉRO-CLUBS (p.
5
)
Question de M. Daniel Eckenspieller. - MM. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé ; Daniel Eckenspieller.
RÉFORME DE LA SÉCURITÉ SOCIALE (p. 6 )
Question de M. Jacques Oudin. - MM. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé ; Jacques Oudin.
AMÉLIORATION DE LA PRISE EN CHARGE DES PERSONNES
ATTEINTES DE DÉMENCE SÉNILE
ET DE LA MALADIE D'ALZHEIMER (p.
7
)
Question de M. Alain Vasselle. - MM. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé ; Alain Vasselle.
TAUX DE TVA SUR LES PRODUITS MULTIMÉDIAS (p. 8 )
Question de M. François Lesein. - MM. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé ; François Lesein.
NUISANCES CAUSÉES PAR LE FONCTIONNEMENT
DE L'AÉROPORT D'ORLY (p.
9
)
Question de M. Jean-Marie Poirier. - MM. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement ; Jean-Marie Poirier.
RÉPARTITION DES TRAFICS AÉRIENS
ENTRE ROISSY ET ORLY (p.
10
)
Question de Mme Marie-Claude Beaudeau. - M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement ; Mme Marie-Claude Beaudeau.
AMÉNAGEMENT DE LA RN 20 ENTRE TARASCON-SUR-ARIÈGE
ET AX-LES-THERMES (p.
11
)
Question de M. Germain Authié. - MM. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement ; Germain Authié.
CRÉATION D'EMPLOIS
DANS LA FONCTION PUBLIQUE (p.
12
)
Question de M. Jean Bizet. - MM. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation ; Jean Bizet.
ORGANISATION DES REMPLACEMENTS
DANS L'ENSEIGNEMENT (p.
13
)
Question de M. Franck Sérusclat. - MM. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation ; Franck Sérusclat.
ENSEIGNEMENT DU LATIN ET DU GREC (p. 14 )
Question de M. Jean-Louis Lorrain. - MM. EmileZuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation ; Jean-Louis Lorrain.
SITUATION DE LA COMPAGNIE GÉNÉRALE D'ÉLECTROLYSE
DU PALAIS-SUR-VIENNE (CGEP) (p.
15
)
Question de M. Jean-Pierre Demerliat. - MM. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie ; Jean-Pierre Demerliat.
AVENIR DU 1 % LOGEMENT (p. 16 )
Question de M. Martial Taugourdeau. - MM. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement ; Martial Taugourdeau.
RÉGLEMENTATION DES CONSTRUCTIONS À PROXIMITÉ
DES BÂTIMENTS D'ÉLEVAGE (p.
17
)
Question de M. Désiré Debavelaere. - MM. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement ; Désiré Debavelaere.
MISE EN OEUVRE DES PROPOSITIONS DE LA DÉLÉGATION
SÉNATORIALE SUR LES FRUITS ET LÉGUMES (p.
18
)
Question de M. Louis Minetti. - MM. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement
; Louis Minetti.
4.
Modification de l'ordre du jour
(p.
19
).
Suspension et reprise de la séance (p. 20 )
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
5.
Hommage solennel à Victor Schoelcher
(p.
21
).
MM. le président, Gérard Larcher, président du comité de parrainage pour la
commémoration de l'abolition de l'esclavage ; Mme Lucette Michaux-Chevry, MM.
Pierre Fauchon, Jacques Habert, Philippe Nachbar, Michel Dreyfus-Schmidt,
Georges Othily, Mme Hélène Luc, M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à
l'outre-mer.
M. le président.
6.
Transmission de projets de loi
(p.
22
).
7.
Dépôt d'une proposition de loi
(p.
23
).
8.
Retrait d'une proposition de loi
(p.
24
).
9.
Dépôt d'un rapport
(p.
25
).
10.
Dépôt d'un avis
(p.
26
).
11.
Ordre du jour
(p.
27
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le procès-verbal de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté.
2
DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT
M. le président.
J'informe le Sénat que M. le président a reçu de M. le Premier ministre le
rapport d'activité du Centre national pour l'aménagement des structures des
exploitations agricoles pour l'année 1997.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
3
QUESTIONS ORALES SANS DÉBAT
M. le président.
L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales sans débat.
SITUATION DES EMPLOYEURS PUBLICS VIS-À-VIS
DE L'ASSURANCE CHÔMAGE DES EMPLOIS-JEUNES
M. le président.
La parole est à M. Mouly, auteur de la question n° 216, adressée à Mme le
ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Georges Mouly.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ainsi que l'a exprimé le président de leur
association à plusieurs reprises, les maires de France s'inquiètent du problème
posé par l'exclusion des collectivités locales du système d'indemnisation des
ASSEDIC, alors que lesdites collectivités doivent, à l'évidence, se révéler un
important utilisateur du dispositif emplois-jeunes, dispositif qui, il faut le
reconnaître, connaît malheureusement, à ce jour, un succès trop relatif.
Certes, le problème n'est pas encore d'actualité puisque les bénéficiaires des
premiers contrats - tout au moins ceux qui ne seront pas définitivement
embauchés - ne seront concernés que dans cinq ans. Mais chacun comprendra qu'un
élu du terrain ne puisse aisément prendre la responsabilité - c'est là le
problème - de proposer aujourd'hui un emploi-jeune à un candidat sans savoir
comment sera gérée l'éventuelle sortie du dispositif.
Il est évident que le programme « nouveaux emplois-nouveaux services »
pourrait s'engager dans de meilleures conditions sans le refus de l'UNEDIC. Il
convient donc de trouver rapidement une solution.
On m'objectera, certes, que, dans le système français, cette question relève
non pas de la loi mais uniquement des partenaires sociaux. Il n'en demeure pas
moins qu'un élu, parlementaire ou autre, ne saurait se dispenser d'essayer de
trouver une solution.
La loi du 16 octobre 1997 prévoit que les établissements publics administrés
par l'Etat pourront adhérer à l'assurance chômage pour les personnes recrutées
au titre des emplois-jeunes dès que la convention régissant ce dispositif aura
été conclue entre l'Etat et l'UNEDIC.
En revanche - nous sommes là au coeur du problème - la loi n'a pas prévu cette
possibilité pour les personnes morales de droit public, à savoir les
collectivités locales, pour les mêmes emplois.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai bien conscience que ma question n'est pas
inédite, mais l'intérêt du dispositif emplois-jeunes est tel que j'ai cru
pouvoir vous demander si le Gouvernement pouvait essayer de trouver rapidement
une solution.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Monsieur le sénateur, vous me demandez, en
somme, s'il est possible pour les collectivités locales d'adhérer au régime
d'assurance chômage pour les seuls emplois pourvus dans le cadre de la loi
relative au développement d'activités pour l'emploi des jeunes, jeunes
auxquels, tout comme moi, vous vous intéressez particulièrement.
Je tiens tout d'abord à vous informer qu'il n'y avait pas lieu de prévoir une
disposition législative pour permettre aux collectivés d'adhérer au dispositif
d'assurance chômage. Le régime auquel sont assujetties les collectivités
locales leur ouvre en effet la possibilité d'affilier l'ensemble de leurs
emplois non titulaires à l'UNEDIC ou de s'auto-assurer, en passant
éventuellement une convention de gestion avec la même UNEDIC.
Les jeunes occupant des emplois-jeunes pourront donc bénéficier, au moment de
la cessation de leur contrat de travail, de l'allocation unique dégressive, à
la charge de la collectivité employeur, pour celles qui sont en auto-assurance,
ou de l'UNEDIC, pour les autres.
Les collectivités locales et les établissements publics administratifs autres
que ceux de l'Etat qui ont déjà adhéré au régime d'assurance chômage pour
l'ensemble de leurs agents non titulaires et non statutaires ne sont pas
concernés par des dispositions spécifiques aux emplois-jeunes.
Seuls les collectivités et les établissements qui sont en auto-assurance sont
concernés par l'adhésion à un régime particulier dérogatoire. Ces régimes
particuliers n'existent actuellement que pour les seuls emplois sous forme de
contrats emploi-solidarité - et non de contrats emploi consolidé - et de
contrats d'apprentissage ; je reconnais que tout cela est assez complexe.
Comme vous le savez, Mme Aubry a saisi les partenaires sociaux, le 29
septembre 1997, afin que les établissements publics et les collectivités
locales en auto-assurance pour leurs non-titulaires puissent, par dérogation à
la règle générale, adhérer à l'UNEDIC pour les emplois-jeunes. Il s'agit en
effet d'emplois de droit privé d'une durée de cinq ans, destinés à être
pérennisés, dans leur grande majorité, dans le secteur privé, marchand ou à but
lucratif. Il revient naturellement à l'UNEDIC d'assurer ces jeunes contre le
risque du chômage.
Les partenaires sociaux, qui ont examiné la demande le 6 janvier 1998, n'ont
pu encore aboutir à un accord sur ce point, mais cela ne saurait tarder.
M. Georges Mouly.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Mouly.
M. Georges Mouly.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, de votre réponse, qui
contient de nombreux éléments tendant - même si l'on n'y voit pas toujours très
clair - à apporter un embryon de solution au problème.
Je souhaite que la demande de dérogation à la règle générale obtienne
rapidement une réponse positive.
ASSURANCE CHÔMAGE DES EMPLOIS-JEUNES
M. le président.
La parole est à M. César, auteur de la question n° 237, adressée à Mme le
ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Gérard César.
Ma question, monsieur le secrétaire d'Etat, est très proche de celle que vient
de poser notre collègue Georges Mouly. Les termes en sont toutefois quelque peu
différents puisqu'elle concerne les emplois-jeunes au regard de l'assurance
chômage dans les communes, certes, mais aussi dans les associations, les
offices de tourisme et les syndicats d'initiative.
En attirant ainsi votre attention sur le versement des indemnités de chômage
relatives aux emplois-jeunes, je me fais l'écho des réactions de nombreux
maires de mon département.
En effet, certains maires, qui envisagent la conclusion de contrats dans le
cadre du dispositif de la loi du 16 octobre 1997, hésitent en raison des
incertitudes qui pèsent sur le devenir des jeunes ainsi recrutés.
La loi précise que les établissements publics administratifs de l'Etat peuvent
adhérer au régime de l'assurance chômage pour leurs salariés recrutés en vertu
des conventions conclues entre l'Etat et l'UNEDIC. Toutefois, elle ne mentionne
rien de semblable pour les collectivités locales. Or, si l'on se réfère au code
du travail, les agents titulaires ou non titulaires des collectivités
territoriales ont droit aux allocations d'assurance chômage dans les conditions
prévues pour les salariés du secteur privé.
Les collectivités locales doivent donc adhérer à l'assurance chômage pour
l'ensemble de leurs agents non titulaires et non statutaires ou alors
s'auto-assurer - ce qui limite cette hypothèse aux collectivités les plus
importantes, d'où le problème des plus petites communes - et passer
éventuellement une convention de gestion avec l'UNEDIC.
Sachant que cette dernière refuse aux communes l'affiliation pour les
bénéficiaires des contrats du programme « nouveaux emplois - nouveaux services
» lorsqu'elles ne sont pas déjà affiliées pour l'ensemble de leur personnel non
titulaire, il y a là un réel problème.
Le bureau de l'Association des maires de France, par la voix de son président,
mon collègue et ami Jean-Paul Delevoye, s'en est d'ailleurs ému auprès de Mme
le ministre de l'emploi et de la solidarité.
Interrogée récemment sur cette même question à l'Assemblée nationale, Mme
Martine Aubry a indiqué que ce refus ne lui semblait pas définitif et qu'elle
espérait un accord des partenaires sociaux tendant à assurer l'ensemble de ces
emplois-jeunes contre le risque chômage.
De plus, que peut-on dire aux associations, offices de tourisme et syndicats
d'initiative qui souhaitent créer des emplois-jeunes et qui, en raison de leurs
facultés contributives très restreintes, ne peuvent les pérenniser ?
Vous n'êtes pas sans savoir que le maintien de cet obstacle risque de limiter
l'engagement des maires dans le dispositif de la loi de 1997, dans la mesure où
les communes pourraient avoir, dans certains cas, à verser des indemnités de
chômage. Que vont devenir, en effet, ces emplois-jeunes au terme des cinq
années ? Il est clair que nous ne pouvons pas accepter un transfert
supplémentaire de responsabilités et de charges pour des emplois qui ne
relèvent pas des compétences traditionnelles des communes.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vos précisions en la matière sont attendues par
les gestionnaires des collectivités locales que nous sommes.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Monsieur le sénateur, au travers d'une
question assez proche de la précédente, vous interrogez le Gouvernement sur le
versement des indemnités de chômage aux jeunes recrutés dans le cadre de la loi
du 16 octobre 1997 relative au développement d'activités pour l'emploi des
jeunes.
Je comprends votre préoccupation, partagée par un certain nombre de maires,
quant au devenir de ces jeunes.
En fait, l'UNEDIC ne refuse pas l'affiliation des communes pour les contrats
de travail conclus dans le cadre du programme « nouveaux services-nouveaux
emplois ».
Les collectivités locales ont en effet la possibilité de s'affilier à l'UNEDIC
pour l'ensemble de leurs emplois non titulaires.
La question que vous évoquez concerne la possibilité pour les collectivités
d'affilier les seuls emplois-jeunes dans le cadre d'un régime particulier
dérogatoire.
Cette décision relève - je le répète - de la compétence des partenaires
sociaux, que nous avons saisis le 28 septembre 1997. Ils n'ont pas encore rendu
de décision favorable, mais, comme je le soulignais tout à l'heure, cela ne
saurait tarder.
Aussi, à ce jour, les règles de droit commun d'indemnisation du chômage des
salariés non titulaires non employés par les collectivités territoriales
continuent-elles de s'appliquer pour les emplois-jeunes. En particulier, les
collectivités territoriales ont la possibilité d'adhérer au régime d'assurance
chômage pour l'ensemble de leur personnel non titulaire ou d'assurer
elles-mêmes, lorsqu'elles sont en auto-assurance, la couverture du risque
chômage de ces jeunes.
Je tiens cependant à vous préciser, monsieur le sénateur, que les emplois
créés dans le cadre du programme « nouveaux services-nouveaux emplois »
constituent un bon risque, contrairement aux contrats emploi-solidarité, aux
contrats emploi consolidé ou aux emplois-ville. L'objectif est bien, en effet,
de pérenniser les activités et les emplois créés, et ce je le répète, au
maximum dans le secteur privé. Je me félicite, d'ailleurs, que de nouveaux
employeurs aient compris l'esprit de ce programme puisque, à ce jour, plus de
50 % des emplois créés dans les associations relèvent de contrats à durée
indéterminée.
M. Gérard César.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. César.
M. Gérard César.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre réponse.
Effectivement, depuis le 28 septembre 1997, les partenaires sociaux sont
saisis.
Je souhaiterais - comme, je pense, l'ensemble de mes collègues - qu'une
décision soit prise parce que, aujourd'hui, c'est un frein à l'emploi de
jeunes, en particulier pour les petites communes, les associations et les
syndicats d'initiative qui pourraient créer ces emplois.
Je vous demande donc, monsieur le secrétaire d'Etat, de faire diligence pour
que les partenaires se saisissent rapidement de ce problème et, surtout, le
règlent.
MONTANT DES COTISATIONS D'ACCIDENT DU TRAVAIL
APPLIQUÉ AUX AÉRO-CLUBS
M. le président.
La parole est à M. Eckenspieller, auteur de la question n° 235, adressée à Mme
la ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Daniel Eckenspieller.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais attirer votre attention sur les
problèmes rencontrés par les aéro-clubs ayant à leur service des personnels
salariés et dont la vocation est d'assurer, entre autres, l'école de pilotage,
initiant ainsi de nombreux jeunes qui souhaitent s'orienter vers les carrières
professionnelles de l'aéronautique.
Ces associations, régies par la loi de 1901, réunissent 60 000 pilotes, dont
une part est placée sous la double tutelle du ministère des transports et de la
fédération nationale aéronautique, qui, à elle seule, regroupe 600 aéro-clubs
et plus de 45 000 pilotes.
Outre une situation très délicate due à la crise actuelle, ces associations
rencontrent aujourd'hui un nouveau problème dû à la codification du taux des
cotisations d'accident du travail, taux lié au classement de leurs
activités.
La plupart de ces associations étaient affectées, jusque-là au régime 80.4 AA
« école de conduite » au taux de 1,9 %.
Une reclassification de leurs activités par la caisse nationale de l'assurance
maladie en « sports aéronautiques » au régime 92.6 CB a porté le taux de leurs
cotisations accident du travail à 23,40 %, alors que rien, dans la
sinistralité, ne justifie un tel accroissement.
Cette décision, si elle devait être appliquée, entraînerait pour les
aéro-clubs un surcoût insupportable et conduirait inévitablement à de nombreux
licenciements. Elle serait, par ailleurs, en contradiction avec les objectifs
affichés par les services du ministère de l'emploi et de la solidarité puisque
ceux-ci négocient actuellement avec les fédérations aéronautiques la signature
d'une charte relative à l'emploi de 500 jeunes dans ces associations
affiliées.
Si la décision de la caisse nationale de l'assurance maladie devait être
maintenue, il est peu probable que les négociations en cours pourraient trouver
une issue favorable.
C'est pourquoi il me paraît indispensable, monsieur le secrétaire d'Etat, que
vous interveniez auprès de l'instance concernée, afin qu'elle accepte de
reclasser, au regard du taux de cotisation accident du travail, l'ensemble de
ces associations comme elles l'étaient précédemment, à savoir comme « école de
conduite », voire comme « école de pilotage », mais en aucune façon comme «
sports aéronautiques », ne serait-ce que pour tenir compte de ce qui constitue
la nature réelle de leur activité.
Je vous saurais gré, monsieur le secrétaire d'Etat, de bien vouloir m'indiquer
quelles sont vos intentions à cet égard.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Monsieur le sénateur, le principe est le
suivant : la tarification accidents du travail est établie par activité. Le
taux de cotisation est calculé selon les dépenses constatées pour la couverture
des accidents du travail survenus au cours des trois dernières années
connues.
Comme le permet la réglementation, le risque « société de sports aéronautiques
», pour lequel on constate de fortes dépenses, était regroupé jusqu'en 1996
avec des activités au coût beaucoup plus faible et aux effectifs beaucoup plus
nombreux - professeurs de sport et sportifs professionnels - ce qui aboutissait
à une minoration du coût réel du risque des sports aéronautiques mais à une
majoration injuste du coût de l'activité des professeurs de sport et des
sportifs professionnels.
Comme elle en a la compétence, la commission des accidents du travail et des
maladies professionnelles, qui gère la branche accidents du travail-maladies
professionnelles pour la caisse nationale de l'assurance maladie des
travailleurs salariés, a décidé, lors de sa séance du 27 novembre 1996, de
créer un nouveau groupe de risques constitué des activités « attractions
foraines » et « société de sports aéronautiques ». Cette décision a été prise
afin de rapprocher des activités ayant des niveaux de risques voisins et
d'inciter ainsi à la prévention.
Cette décision a été prise sur avis du comité technique national compétent -
activités du groupe interprofessionnel - où siègent paritairement les
représentants des partenaires sociaux.
Il en est résulté une baisse du taux de l'activité qui présentait un moindre
risque et une forte augmentation du taux de l'activité « société de sports
aéronautiques ».
Cette augmentation représente bien, toutefois, la réalité du coût du risque de
l'activité, mesuré par les dépenses réelles constatées, ce qui est le principe
de base de la tarification accidents du travail.
Je crois que cette mesure, qui se met en place dans les meilleures conditions,
a été relativement bien acceptée.
Je pense avoir ainsi répondu, en tout cas pour l'avenir, à votre
préoccupation, monsieur le sénateur.
M. Daniel Eckenspieller.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller.
J'ai bien entendu votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat, et je vous en
remercie.
Le problème résulte de la globalisation d'un certain nombre d'activités...
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Bien sûr !
M. Daniel Eckenspieller.
... qui sont de natures diverses...
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Disparates !
M. Daniel Eckenspieller.
... et pour lesquelles les risques sont également divers. Cela revient à peu
près à assimiler les écoles de conduite automobile aux écuries de rallye ou de
formule 1.
En l'occurrence, c'est une anomalie. Mais convient-il de parler d'anomalie
dans cette maison ?...
(M. le secrétaire d'Etat sourit.)
Je souhaiterais que celle-là puisse être revue et corrigée, car de très
nombreux jeunes sont inscrits dans ces écoles de pilotage, et de nombreux
emplois sont concernés. Les accidents que les aéroclubs ont eu à déplorer,
notamment l'année dernière, ont été très peu nombreux. Certes, il y a des
activités à risques, telle la pratique de la voltige aérienne, mais tout mettre
dans le même panier me paraît excessif.
RÉFORME DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
M. le président.
La parole est à M. Oudin, auteur de la question n° 242, adressée à Mme le
ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Jacques Oudin.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je reconnais que la réforme de la sécurité
sociale est un vaste sujet !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Je vous en sais gré, monsieur le
sénateur.
M. Jacques Oudin.
Ma question a donc trait à la réforme de notre système de protection sociale,
que je suis attentivement en tant que rapporteur de la commission des finances
pour les lois de financement de la sécurité sociale.
Depuis le jour où j'ai déposé ma question orale, certains éclaircissements
nous ont été apportés sur les intentions du Gouvernement. Le Premier ministre a
fait notamment des déclarations remarquées sur les retraites. Vous-même,
monsieur le secrétaire d'Etat, avec Mme le ministre de l'emploi et de la
solidarité, avez rendu publique, samedi dernier, une lettre ouverte aux
médecins sur la réforme de l'assurance maladie, et je l'ai lue avec
attention.
En prenant connaissance de ces différentes déclarations d'intentions qui
affichent le souci de ne rien brusquer et de prendre le temps de la réflexion,
je crains toutefois que le gouvernement actuel ne succombe à l'attentisme, dans
un domaine où il est particulièrement difficile d'être responsable et de rester
populaire.
Or un certain nombre de points de blocage bien précis des réformes engagées
par la majorité précédente attendent toujours des précisions, qu'il serait
dangereux, à mon avis, de remettre à demain. J'en ai dressé, la liste ; il y en
a huit, que je citerai rapidement.
Premièrement, le régime général de retraite, qui est toujours déficitaire,
nécessite des mesures d'ajustement complémentaire de la réforme de 1993.
Deuxièmement, les régimes spéciaux de retraite, inchangés depuis leur
création, justifient des mesures comparables. Plus on attend, plus la dérive
financière s'accentue et plus les ajustements seront inégalement répartis entre
les générations.
Troisièmement, la situation financière de la caisse nationale de retraite des
agents des collectivités locales, la fameuse CNRACL, appelle des mesures
immédiates sur lesquelles le Sénat s'est souvent penché. La fuite dans
l'emprunt décidée l'an dernier est inacceptable, et je l'ai déjà souligné.
Quatrièmement, le Gouvernement doit annoncer dès maintenant s'il entend
pérenniser, ou non, le plafonnement des allocations familiales, qui est une
mesure manifestement contraire aux principes d'universalité et de solidarité
fondateurs de la sécurité sociale. Les couples français ont le droit de savoir
sans tarder dans quelle voie la majorité veut engager le système des
prestations familiales.
Cinquièmement, la nomenclature des actes professionnels doit être mise à jour,
faute de quoi les dépenses d'assurance maladie ne peuvent être intelligemment
maîtrisées.
Sixièmement, le Gouvernement doit publier sans tarder le règlement
conventionnel minimal des médecins, à défaut duquel la caisse nationale de
l'assurance maladie est dans l'impossibilité de négocier des conventions
équilibrées.
Septièmement, le Gouvernement doit adresser aux directeurs des agences
régionales de l'hospitalisation les directives claires qui leur manquent encore
et qu'ils attendent.
Huitièmement, l'agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé,
l'ANAES, doit recevoir sans délais les moyens de ses nombreuses missions, qui
sont essentielles pour la réforme du secteur hospitalier.
Chacun des huit points précédents est particulièrement urgent et appelle une
prise de position sans ambiguïté de la part du Gouvernement. C'est pourquoi je
vous serais reconnaissant, monsieur le secrétaire d'Etat, de bien vouloir
éclairer le Sénat sur ces sujets qui, vous le concevez bien, intéressent tous
les Français.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Monsieur Oudin, vous avez posé une rafale
de questions. Je vous sais très attentif à ces sujets et vous nous y savez très
intéressés.
Je vais m'efforcer d'aborder les points que vous avez évoqués.
Le premier concerne les régimes spéciaux.
J'entends votre appel à des mesures immédiates ; mais il m'apparaît que le
précédent de fin 1995, monsieur le sénateur, nous a montré que vouloir se
saisir de ce problème sans avoir au préalable fourni aux intéressés les
éléments d'appréciation, négocié les évolutions acceptables, faisait perdre du
temps plutôt qu'il n'en faisait gagner.
L'attitude du gouvernement précédent a gelé cette question. Nous la reprenons,
comme l'a indiqué M. le Premier ministre, à partir du triptyque : diagnostic,
dialogue, décision.
Le Commissariat général du Plan va réaliser une analyse de l'ensemble de nos
systèmes de retraite. C'est sur la base de ce diagnostic et du dialogue qu'il
permettra d'instaurer que nous prendrons les décisions qui s'imposent.
Croyez-moi, monsieur le sénateur, il ne s'agit pas d'attentisme ; il ne s'agit
pas, pour nous, de manifester une volonté outrancière de rester populaires ; il
s'agit de fonder nos décisions sur le dialogue, sans lequel, dans notre pays,
rien ne passe.
Deuxièmement, sur les charges indues de la branche famille, le gouvernement
précédent avait demandé un rapport à M. Chadelat sur une des charges les plus
contestées de la Caisse nationale des allocations familiales, à savoir
l'assurance vieillesse des parents au foyer.
Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité a souhaité que M. Chadelat
poursuive ses travaux. A l'issue de ceux-ci, un rapport a été remis à Mme
Martine Aubry, qui l'a rendu public. M. Chadelat conclut, dans ce rapport, que
la branche famille ne supporte pas de charges indues et que la contribution
qu'elle apporte à la branche vieillesse est parfaitement justifiée.
Ce rapport est soumis à la discussion, notamment dans le cadre des
concertations engagées en vue de la tenue de cette conférence de la famille
dont nous avons souvent parlé ici, monsieur le sénateur.
Troisièmement, sur la mise sous condition de ressources des allocations
familiales, la décision du Conseil constitutionnel a montré qu'elle n'était
nullement contraire aux principes fondateurs de notre droit et de la sécurité
sociale, vous en conviendrez.
Le Gouvernement s'est toutefois engagé à examiner les mesures, notamment
fiscales, qui pourraient se substituer - nous l'avons dit dès le début, et ici
même je m'en souviens - à cette mise sous condition de ressources. Une large
concertation sur ce thème, parmi d'autres, est actuellement engagée, sous
l'égide de Mme Gillot, député.
Vous avez évoqué, monsieur Oudin, les agences régionales de l'hospitalisation.
Elles ont reçu des directives claires, croyez-moi.
Dans le cadre de la procédure budgétaire, nous avons en effet, Mme Aubry et
moi-même, demandé aux ARH de concilier la rigueur propre à cet exercice et
l'exigence d'une concertation approfondie au plus près des réalités.
Il n'y a qu'une seule politique en matière hospitalière, c'est celle du
Gouvernement, même si nous reconnaissons volontiers que l'unité régionale
semble en effet convenir parfaitement pour harmoniser et équilibrer les
nécessaires réformes. Vous avez été assez aimable pour lire la lettre qui,
samedi, évoquait ce problème.
Les ARH se sont donc vu confier la mission de réviser les schémas régionaux
d'organisation sanitaire, les SROS. Il s'agit bien de tracer, dans la
concertation, des perspectives à cinq ans pour les établissements et leurs
personnels.
Je leur ai demandé de conduire cette révision en partant des besoins des
populations, de privilégier l'approche en réseau et de s'appuyer sur la
consultation de tous les intéressés, notamment des élus.
J'ai en effet, avec Mme Aubry, la conviction - je souhaite d'ailleurs que vous
la partagiez - que la nécessaire recomposition de notre tissu hospitalier ne
peut se décréter sur la base d'une démarche technocratique, mais qu'elle doit
reposer sur une « démocratie sanitaire », fondée sur la nécessité que tous,
dans notre pays, aient les mêmes chances de prise en charge et de suivi,
quelles que soient leur situation géographique et leur situation sociale. C'est
cela l'essentiel.
La mise en réseau n'est pas, monsieur le sénateur, vous le comprendrez, un
slogan supplémentaire, un slogan creux.
Qu'est-ce qu'un réseau ? Il en est de toutes sortes et les définitions sont
imparfaites. Un réseau, c'est la mise en résonance, en ligne, des
établissements hospitaliers, au mieux avec les libéraux, pour que nous
puissions, nous, les autorités publiques, assurer au mieux, dans l'urgence et
dans la chronicité, les mêmes chances à nos concitoyens.
Nous l'avons fait en publiant, pour les ARH, des directives ; une circulaire
concerne la cancérologie, qui nécessite, vous le savez, une prise en charge
très lourde. Nous avons vu, là aussi, trois niveaux de compétences dans les
établissements hospitaliers pour que la démocratie sanitaire soit au mieux
assurée. Ils se mettront en place très lentement, mais ce sont des indications
dont les ARH devront tenir compte.
En un mot, c'est à mon avis le gage de la réussite du processus que nous
engageons. Nous ne serons pas laxistes, nous ne l'avons jamais été. Nous
voulons donner du sens à la réforme. Nous voulons que l'on comprenne pourquoi
elle est nécessaire. Les ARH en sont plus particulièrement chargées sous la
direction du Gouvernement.
L'agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, s'est vu
doter des moyens nécessaires à son fonctionnement, même si cette institution a
encore vocation à se développer. Pour 1998, la subvention versée par l'Etat
s'élève à 37 millions de francs et les dotations des caisses à 74 millions de
francs. L'effectif budgétaire est de 128 personnes.
L'ANAES élabore actuellement le manuel d'accréditation et y travaille
beaucoup. Nous ajoutons sans cesse, et encore récemment, des critères
d'appréciation ; je pense, par exemple, à la prise en charge de la douleur à
l'hôpital.
Je voudrais ajouter encore les soins palliatifs, la mise en réseau. Tout cela
constitue un lourd travail. L'ANAES s'est malgré tout engagée à fournir ce
guide pour le mois de juin, et les premières démarches dans les établissements
auront lieu au deuxième trimestre 1998. Mais de nombreuses demandes ont déjà
été adressées à l'ANAES, dont je vois très souvent les responsables.
J'en viens à la nomenclature, monsieur le sénateur.
La mise à jour permanente des nomenclatures des actes professionnels de santé
est une priorité du Gouvernement. C'est vrai, nous n'avons pas pu tout faire du
premier coup. La commission qui, en la matière, éclaire le Gouvernement de ses
avis sera prochainement réinstallée. Sa durée de fonctionnement sera cependant
limitée à un an, période à l'issue de laquelle il sera procédé aux aménagements
nécessaires à la mise en place d'une nomenclature unique, commune à la ville et
à l'hôpital, et à une révision du mode d'élaboration de la tarification des
actes en ville, conformément aux orientations de la convention d'objectifs et
de gestion conclue entre l'Etat et la CNAMTS.
Enfin, quelques mots sur le règlement conventionnel minima, monsieur le
sénateur.
Il est vrai que ce règlement n'est pas paru. Je note d'ailleurs que le
gouvernement précédent ne s'était pas non plus empressé de publier ce texte
alors qu'il en avait le loisir entre les ordonnances d'avril 1996 et de juin
1997. Mais je le comprends.
Mme Aubry et moi-même n'entendons pas que s'installe un vide conventionnel et
nous serons donc amenés à proposer un tel texte prochainement ; nous avons
rencontré hier encore les partenaires. Mais vous comprendrez, monsieur le
sénateur, que, dans un domaine aussi sensible, nous souhaitions que la
concertation et le dialogue s'instaurent avant de publier ce règlement minima.
Nous comptons le faire en nous appuyant, notamment, sur les réflexions des
groupes de travail sur la médecine de ville, qui sont coordonnés par M.
François Stasse et qui fonctionnent bien.
Monsieur le sénateur, je pense avoir répondu - un peu trop brièvement - aux
différents points abordés dans votre question. Certains de ces points
mériteraient certainement un développement plus important, mais la discipline
des questions orales sans débat m'impose d'être concis. Croyez-moi, j'aurais
pourtant bien envie de continuer !
M. Jacques Oudin.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'aurais, moi aussi, souhaité poursuivre le
débat. Mais nous aurons l'occasion de reparler de ces questions lors de
l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et même lors du
prochain débat d'orientation budgétaire.
Monsieur le secrétaire d'Etat, personne ne peut contester le bien-fondé d'une
démarche qui s'appuie sur le diagnostic, le dialogue, la décision ; c'est
évident. D'ailleurs, je remarque que, finalement, vous n'avez jamais contesté
le bien-fondé de la réforme menée par M. Alain Juppé.
Après tant de cris dans la rue, finalement, vous admettez que cette démarche
était la seule susceptible de remettre la sécurité sociale sur les rails.
Ma question porte sur le calendrier et la volonté.
Vous nous dites n'être pas laxiste et ne l'avoir jamais été. Je vous en donne
acte, mais j'en voudrais les preuves !
Prenons l'exemple des régimes spéciaux ou des régimes de retraite en général,
qui sont extrêmement préoccupants. Sur la caisse nationale de retraite des
agents des collectivités locales, notamment, vous n'avez pas répondu. Vous me
rétorquerez qu'elle ne relève pas totalement de votre compétence, mais nous
sommes inquiets.
En ce qui concerne les retraites, un nouveau Livre blanc a été confié au
commissariat général du plan. C'est bien. Le premier date de 1991. Mais, de
Livre blanc en Livre blanc, ne croyez-vous pas que la situation risque de
s'assombrir rapidement, pour devenir bien noire ? Cette préoccupation du Sénat
est très forte et reflète une vraie réalité. Il y a des situations qu'on ne
peut pas contourner. Celle-ci en est une.
Enfin, les prévisions économiques font apparaître que la sécurité sociale
risque d'avoir un déficit moindre, et peut-être même un léger excédent dans les
prochaines années. Monsieur le secrétaire d'Etat, nous débattrons longuement de
ce point dans cette enceinte, mais, s'il y a des excédents, remboursez vos
dettes antérieures ! C'est le président du comité de surveillance de la caisse
d'amortissement de la dette sociale, la CADES, qui vous le demande.
Ce sera l'objet d'un grand débat. Ne pensez pas que, parce qu'il y a de petits
excédents, on peut offrir des prestations en plus, alors que nous avons 140
milliards de francs de dettes à rembourser en priorité.
(Très bien ! sur les
travées du RPR.)
AMÉLIORATION DE LA PRISE EN CHARGE DES PERSONNES ATTEINTES DE DÉMENCE SÉNILE ET
DE LA MALADIE D'ALZHEIMER
M. le président.
La parole est à M. Vasselle, auteur de la question n° 228, adressée à M. le
secrétaire d'Etat à la santé.
M. Alain Vasselle.
J'appelle votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat, sur la nécessité
d'améliorer la prise en charge des personnes atteintes de démence sénile et, en
particulier, de la maladie d'Alzheimer.
Cette maladie concernerait aujourd'hui environ 3 millions de personnes en
Europe, dont 300 000 à 350 000 en France, chiffres établis en 1994 par
l'association France-Alzheimer. Avec l'allongement très significatif de
l'espérance de vie, ces chiffres ne feront que croître au cours des prochaines
années.
Pour l'essentiel, c'est actuellement sur la famille et l'entourage que repose
la prise en charge du malade, dont l'état se dégrade progressivement et
inexorablement. Environ deux tiers des malades se trouvent à domicile et un
tiers en établissement.
Le placement en établissement n'apparaît d'ailleurs que comme un dernier
recours, lorsque la maladie a fait son oeuvre destructrice, que le malade fait
courir des risques à la fois à lui-même et à son entourage, et que l'entourage,
épuisé et meurtri, ne peut plus assurer cette charge.
Les structures hospitalières apparaissent aujourd'hui insuffisantes par
rapport aux besoins, qu'il s'agisse des unités de consultation à visée
diagnostique ou thérapeutique, de l'accueil de jour ou temporaire pour soulager
les familles, ou du long séjour.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je recevais hier le président de l'association
Oise-Alzheimer. Il insistait sur le manque, ou l'inexistence de places pour
l'hébergement temporaire dans le département de l'Oise. Il m'interrogeait à la
fois comme parlementaire et comme représentant du conseil général sur les
initiatives que nous avions l'intention de prendre pour répondre à ce besoin.
L'attente est donc forte en ce qui concerne les placements en établissements en
France, et ce dans l'ensemble des départements.
De même, tant une évaluation fiable du nombre de malades que des données
prospectives quant à l'évolution de cette épidémie dans les décennies à venir
font actuellement défaut.
Or une politique de prise en charge efficace et ambitieuse de la maladie
d'Alzheimer passe par des actions multiples en vue d'améliorer la connaissance
de ces maladies et la qualité de vie des malades et de leur entourage.
A ce jour, la maladie d'Alzheimer ne figure pas, en tant que telle, parmi les
trente maladies « comportant un traitement prolongé et une thérapeutique
particulièrement coûteuse » répertoriées par l'article D. 322-1 du code de la
sécurité sociale, alors qu'une affection comme la maladie de Parkinson en fait
partie. Même si une telle reconnaissance est de la compétence du pouvoir
réglementaire et non de la loi, je ne peux que vous inviter fortement à y
procéder, dans la mesure où elle constituera un signal fort de la part du
Gouvernement pour la prise de conscience des conséquences douloureuses de cette
maladie, sans coût pour la collectivité.
Mais, si importante soit cette disposition, elle ne pourra, à elle seule,
suffire à prendre la mesure de cet enjeu de santé publique et de politique
sociale que sont la maladie d'Alzheimer et les démences séniles en général.
C'est pourquoi j'ai pris l'initiative de déposer une proposition de loi visant
à faciliter et à améliorer la prise en charge de ces affections, laquelle
viendra, je l'espère, monsieur le président, en discussion devant le
Parlement.
J'ai saisi, il y a peu, notre président de groupe, M. Josselin de Rohan, mais
également le président du Sénat, pour que, dans le cadre de la fenêtre qui est
ouverte au Parlement, nous puissions examiner cette proposition de loi.
Elle prévoit notamment l'élaboration d'un rapport visant à dresser un état des
lieux de ces affections - c'est le titre Ier - l'amélioration de la formation
des différents intervenants - le président de l'association Oise-Alzheimer m'a
confirmé la nécessité d'améliorer la formation des médecins et des intervenants
auprès des malades atteints de la maladie d'Alzheimer -, ainsi que diverses
dispositions financières - titre III - telles que le doublement du plafond
concernant les dépenses autres que de personnel pour les personnes
bénéficiaires de la prestation spécifique dépendance, la PSD, et atteintes par
ces maladies, l'extension de la réduction d'impôt pour les dépenses exposées
pour l'hébergement des personnes âgées de plus de soixante-dix ans, ainsi que
le maintien de la réduction de 90 000 francs, dans la limite d'un plafond de 45
000 francs prévu par la loi de finances pour 1998, pour les invalides du
troisième groupe mentionnés à l'article L. 341-4 du code de la sécurité sociale
et les parents d'enfants handicapés titulaires d'un des compléments
d'allocation d'éducation spéciale.
A ce propos, suite à l'initiative prise par Mme Aubry en ce qui concerne cette
fameuse aide accordée aux familles au titre de l'emploi d'un salarié à
domicile, il y a lieu, par une circulaire ou un courrier auprès des services
fiscaux, de préciser les choses.
En effet, à l'heure actuelle, aux familles dont un membre est atteint par la
maladie d'Alzheimer et qui veulent savoir si elles pourront ou non continuer à
bénéficier de la mesure fiscale actuelle, les services fiscaux ne sont pas en
mesure de répondre d'une manière claire. Il serait souhaitable qu'elles
puissent continuer à en bénéficier.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous demande quelles actions entend engager
le Gouvernement afin de permettre aux personnes qui sont atteintes et à leur
entourage de mieux faire face aux conséquences particulièrement pénibles de
cette « épidémie silencieuse ».
Sachez que l'initiative que j'ai prise à travers cette proposition de loi a
rencontré un large soutien de la part non seulement des membres du groupe
auquel j'appartiens - plus d'une cinquantaine de mes collègues l'ont cosignée -
mais également de plusieurs membres de la majorité du Sénat, au sein tant du
groupe de l'Union centriste que du groupe des Républicains et Indépendants. Et
je ne désespère pas que quelques membres du groupe socialiste ou du groupe
communiste républicain et citoyen viennent me rejoindre pour montrer qu'il
s'agit là non pas d'un problème politique, mais vraiment d'un problème de
société et de santé publique.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Il faut de l'argent !
M. Alain Vasselle.
Le Gouvernement, je n'en doute pas, ne sera pas insensible à cet appel que je
lance.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Monsieur le sénateur, vous vous attachez à
un problème auquel, croyez-le bien, je suis moi-même très sensible : celui des
personnes atteintes de démence sénile, en particulier de la maladie
d'Alzheimer, et des difficultés que rencontrent leurs familles.
Il convient de souligner que ce problème revêt aussi des aspects
financiers.
Reconnaissons que notre pays manque cruellement de structures de formation
adaptée en la matière. Cela signifie qu'il faudrait revoir très précisément la
formation médicale, tant initiale que continue, afin de l'adapter à cette
catégorie particulière d'affections.
Après tout, c'est aussi, pour notre pays, un motif de satisfaction de voir se
prolonger la vie de ses habitants. Dans la majorité des cas, ils vivent plus
longtemps et ils vieillissent bien. Mais cette situation se traduit aussi par
une plus grande fréquence des affections neurologiques dégénératives.
Bien entendu, la maladie d'Alzheimer fait partie des arriérations mentales,
qui constituent l'une des rubriques de la liste des affections comportant un
traitement prolongé et une thérapeutique particulièrement coûteuse énumérées à
l'article D. 322-1 du code de la sécurité sociale.
En effet, les recommandations du Haut comité médical de la sécurité sociale,
opposables tant au corps médical qu'aux praticiens conseils des caisses, et en
fonction desquelles est examinée l'admission au régime des affections de longue
durée, précisent clairement, s'agissant des arriérations mentales : « Sous
cette rubrique figurent à la fois les arriérations mentales comportant une
réduction précoce et durable de l'efficience et les démences représentatives
d'une détérioration de survenue secondaire, au nombre desquelles les formes où
la déficience intellectuelle apparaît à travers une évolution de type démentiel
qui altère de façon sévère et durable les capacités intellectuelles du malade.
Toutes les formes de la démence entrent dans ce cadre, quelle qu'en soit
l'étiologie : maladie d'Alzheimer, maladie de Pick, état démentiel de la
sénilité, etc. »
Le patient reconnu atteint d'une telle pathologie bénéficie d'ores et déjà de
plein droit, au titre des dispositions de l'article L. 322-3-3 du code de la
sécurité sociale, et dans la limite des prestations remboursables de
l'assurance maladie, de la prise en charge à 100 % des frais médicaux de toute
nature nécessaires au traitement de son affection.
S'il existe des frais éventuellement non couverts, une participation
financière complémentaire peut être accordée à l'assuré qui en fait la demande
auprès de sa caisse d'affiliation, en cas d'insuffisance des ressources au
regard des frais exposés, au titre des prestations supplémentaires financées
sur crédits d'action sanitaire et sociale.
Au-delà, la prestation spécifique dépendance, la PSD, instituée par la loi n°
97-60 du 24 janvier 1997 au profit des personnes âgées, peut notamment être
utilisée, dans la limite d'un plafond et dans la mesure où la nécessité en a
été constatée lors de la visite médico-sociale, à des dépenses telles que
celles qu'occasionne le maintien à domicile d'une personne non autonome.
Enfin, la question d'une éventuelle modification de la liste des affections
exonérantes fixée par l'article D. 322-1 et d'une actualisation des
recommandations s'y rapportant fait partie du programme de travail confié au
Haut comité médical de la sécurité sociale, dont la nouvelle présidente vient
de prendre ses fonctions. Je me suis d'ailleurs entretenu avec elle de cette
question, notamment, voilà deux jours.
En conclusion, monsieur le sénateur, je vous dirai très franchement que, pour
le moment, notre pays ne fait pas face à cette affection, qui engendre bien des
malheurs dans les familles et suscite un désarroi très profond. Très souvent,
nous ne savons pas comment prendre en charge ces personnes qui nous furent et
nous demeurent très chères. En particulier, les établissements - au sujet
desquels des propositions me sont faites - ne jouissent pas d'une considération
suffisante.
M. Alain Vasselle.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle.
Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat, prenant acte
avec satisfaction de la prise de conscience qu'elle révèle. Je souhaite
vivement que, très rapidement, le Gouvernement traduise cette conscience des
difficultés que rencontrent les malades et leurs familles par des mesures
réglementaires ou par des initiatives en matière législative.
C'est donc à la lumière des actes, monsieur le secrétaire d'Etat, que les
familles et nous-mêmes apprécierons la volonté du Gouvernement d'avancer dans
la résolution de ce problème.
Puisque vous avez évoqué la prestation spécifique dépendance - j'ai été, au
Sénat, rapporteur du texte la créant - je rappelle qu'elle ne vise que les
personnes de plus de soixante ans. Aussi les malades atteints de la maladie
d'Alzheimer de moins de soixante ans ne peuvent-ils en bénéficier.
De même, dès lors que les personnes concernées ont moins de soixante ans, les
établissements spécialisés ne veulent pas les accueillir dans la mesure où il
ne s'agit pas d'un placement définitif.
Pour en revenir à la prestation spécifique dépendance, il est évident que les
dispositions actuelles sont insuffisantes ; j'ai fait des propositions et j'ai
interpellé Mme Aubry sur ce point. En effet, un certain nombre de dépenses
autres que des dépenses de personnel ne sont prises en compte que dans la
limite de 10 % du montant de l'allocation ; je pense aux couches, par exemple.
C'est insuffisant pour permettre aux familles de faire face à la charge que ces
dépenses représentent et qu'on peut chiffrer à 1 200 ou 1 300 francs par
mois.
Il est donc nécessaire d'envisager des évolutions importantes en matière de
prestation spécifique dépendance, notamment en ce qui concerne les personnes
atteintes de la maladie d'Alzheimer, mais aussi pour toutes les personnes âgées
dépendantes.
J'espère vivement que les familles auront la réponse qu'elles attendent et
que, monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement réservera un accueil
favorable à la proposition de loi que j'ai déposée, car j'espère, monsieur le
président, que M. le président du Sénat acceptera que ce texte soit inscrit à
l'ordre du jour d'une prochaine séance.
TAUX DE TVA SUR LES PRODUITS MULTIMÉDIAS
M. le président.
La parole est à M. Lesein, auteur de la question n° 114, adressée à Mme le
ministre de la culture et de la communication.
M. François Lesein.
Je souhaite attirer l'attention sur le taux de TVA auquel sont assujettis les
produits multimédias.
Actuellement de 20,6 %, ce taux est, à mes yeux, excessif. En effet, nombre de
ces produits, en particulier les CD-Rom, ont des finalités similaires à celles
du livre, dont le taux de TVA a été réduit à 5,5 %.
Le multimédia est un mode d'expression culturelle dont il convient
d'encourager la diffusion. Il serait opportun que la culture véhiculée par les
produits multimédias soit, comme la littérature, le cinéma, la musique ou la
peinture, accessible au plus grand nombre. Pour cela, il me paraît
indispensable de réduire le taux de la TVA qui les frappe à 5,5 %.
Ces produits font désormais partie intégrante du quotidien des citoyens qui
désirent se cultiver par le biais d'outils modernes, dont le nécessaire
développement, pour l'avenir, n'est plus à justifier.
On s'en souvient, il y a quelques mois, le Président de la République lui-même
était intervenu pour que soit exaucé ce souhait, partagé par l'ensemble des
Français. Néanmoins, la Commission européenne, dans un rapport du 13 novembre
1997, a indiqué qu'elle n'était pas favorable à une telle diminution du taux de
la TVA.
Dans la mesure où les produits multimédias et les livres répondent à un besoin
de même nature, à savoir la diffusion de la culture pour tous, il paraît
incompréhensible à nombre de nos concitoyens de ne pouvoir acheter ces deux
types de produits en acquittant la TVA au même taux.
Si l'on veut que, demain, la France soit capable de rattraper son retard dans
l'utilisation du multimédia pour devenir, par la suite, aussi bien équipée que
les pays les plus avancés, il est urgent que le Gouvernement prenne les mesures
nécessaires en vue de faciliter l'accès de tous à cette nouvelle forme
d'expression culturelle.
Que compte-t-il faire pour aligner le taux de TVA des produits multimédias sur
celui des livres, soit 5,5 % ?
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Monsieur le sénateur, je ne répondrai pas
avec le même charme que Mme le ministre de la culture et de la communication,
mais je m'efforcerai de vous communiquer fidèlement la réponse qu'elle m'a
chargé de vous transmettre.
Les produits et services multimédias ne figurent pas, vous le savez, sur la
liste des biens et services que les Etats membres de la Communauté européenne
peuvent soumettre au taux réduit de la TVA.
L'abaissement unilatéral du taux de la TVA applicable à ces opérations irait à
l'encontre de nos engagements communautaires.
En 1995, la France a officiellement saisi la Commission européenne, seule
habilitée à proposer la modification de cette liste au Conseil, qui statue à
l'unanimité - ce que, personnellement, je déplore -...
M. François Lesein.
Moi aussi !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
... une demande visant à y inclure les disques ainsi
que les CD-Rom et CD interactifs.
La Commission a refusé de prendre en compte cette demande. Elle a fait savoir
ultérieurement qu'elle n'était pas davantage favorable à l'inclusion des
produits multimédias à contenu éducatif ou culturel dans la liste des produits
susceptibles de se voir appliquer un taux réduit de TVA.
Cela étant, la France continue à faire valoir auprès des instances
communautaires l'intérêt qui s'attacherait à élargir le taux réduit à des
vecteurs modernes de la culture, dont vous vous faites très justement l'avocat,
monsieur le sénateur. Elle a d'ailleurs obtenu, lors du dernier Conseil de
l'Union européenne consacré à la culture et l'audiovisuel, le 24 novembre 1997,
que la Commission européenne entreprenne une étude sur la fiscalité des biens
culturels. Ces démarches vont dans le sens des préoccupations que vous avez
exprimées, mais elles n'ont, hélas ! pour le moment, pas abouti.
M. François Lesein.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein.
Je tiens à rappeler que la liste des produits qui peuvent être soumis au taux
réduit de TVA peut être révisée tous les deux ans par le Conseil des ministres
européen.
Je souligne que ce sont en particulier des jeunes - et ceux-ci n'ont pas, en
général, des moyens considérables - qui achètent ces biens culturels. C'est
surtout en pensant à eux que j'attends du Gouvernement qu'il défende à nouveau
cette demande de révision et qu'il le fasse le plus énergiquement possible.
Et je n'oublie pas que nous sommes véritablement inondés de biens culturels
venus d'ailleurs, en particulier d'outre-Atlantique, qui sont vendus en Europe
à des prix relativement bas parce que ceux qui les fabriquent renoncent
pratiquement à toute marge bénéficiaire. Du fait du taux de TVA qui leur est
appliqué, les produits équivalents qui sont fabriqués en Europe risquent de
devenir plus chers, ce qui serait à la fois incompréhensible et injuste à
l'égard de la culture européenne.
NUISANCES CAUSÉES PAR LE FONCTIONNEMENT
DE L'AÉROPORT D'ORLY
M. le président.
La parole est à M. Poirier, auteur de la question n° 209, adressée à M. le
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Jean-Marie Poirier.
Des relevés très sérieux effectués en 1997, à partir du système SONATE, par
une association locale regroupant sept communes voisines de l'aéroport d'Orly,
et portant sur une période de cinq mois font apparaître une série de constats
alarmants en matière d'infraction aux procédures prévues par le code
d'exploitation d'Orly.
Il apparaît qu'un nombre croissant d'aéronefs quittent prématurément la zone
de navigation obligatoire pour effectuer le virage sud après le décollage
d'Orly et ne respectent pas l'impératif de gagner au plus vite l'altitude de 3
000 pieds au-dessus de l'aéroport.
A l'atterrissage, les infractions sont également nombreuses. Les pilotes
n'hésitent pas à raccourcir leur trajectoire et à accélérer leur descente ; ils
provoquent ainsi, pour les communes survolées, une nuisance acoustique
supérieure au taux attendu dans des conditions de circulation normale.
On doit par ailleurs déplorer le nombre encore trop important d'appareils
anciens classés comme particulièrement bruyants selon les normes de
l'organisation de l'aviation civile internationale. Et il faut,
malheureusement, constater la croissance des dérogations accordées au régime de
couvre-feu applicable entre vingt-trois heures trente et six heures. Tel est le
constat.
J'attire également votre attention sur les discordances entre le découpage du
plan de gêne sonore, le PGS, et la zone de navigation obligatoire, la ZNO, d'où
une partie des difficultés que j'ai évoquées. Un aéronef peut simultanément
respecter la réglementation en matière de circulation en se conformant à la ZNO
et enfeindre la réglementation relative à l'exposition au bruit en sortant de
la zone du PGS.
Il en résulte des nuisances de plus en plus insupportables qui exaspèrent les
populations, lesquelles ont, de plus, le sentiment que le dialogue
environnemental est en panne et que les pouvoirs publics sont négligents, voire
impuissants.
Je souhaiterais donc, monsieur le secrétaire d'Etat, connaître les conclusions
que le Gouvernement tire de l'application de la réglementation. Quelle
appréciation a-t-il du rôle de l'aéroport d'Orly dans la dégradation de
l'environnement des habitants du sud-est parisien ? L'administration
procède-t-elle à des contrôles et lesquels ? Comment sont-ils effectués ?
Sont-ils efficaces ? Dans quelles conditions le décret en Conseil d'Etat n°
97-534 du 27 mai 1997 instituant des sanctions administratives destinées à
assurer la protection de l'environnement des aérodromes est-il appliqué ?
Pouvez-vous nous communiquer des informations précises sur l'activité de la
commission nationale de prévention des nuisances, ainsi que sur le nombre et la
nature des sanctions prononcées ?
Est-il nécessaire de mettre en place des mesures nouvelles pour faire
respecter une réglementation trop souvent « égratignée » par la pratique ?
Quels engagements pouvez-vous prendre en ce domaine ? Estimez-vous que la
législation en vigueur est suffisante ? Etes-vous favorable au maintien de la
limitation à 250 000 créneaux horaires autorisés par l'arrêté du 6 octobre 1994
et au maintien du couvre-feu selon les horaires actuels ? Entendez-vous réviser
le plan de gêne sonore qui couvre la zone proche d'Orly ?
Quelles sont les perspectives et la vocation de cet aéroport dans l'ensemble
de la plate-forme aérienne de la région parisienne ?
Donnerez-vous, enfin, les instructions nécessaires à l'établissement d'une
plus grande transparence autour des conditions d'exploitation de l'aéroport et
à la prise en compte du problème des nuisances sonores dans la formation
permanente des professionnels de l'aéronautique ?
Telles sont quelques-unes des questions que se posent, avec une certaine
exaspération les riverains de l'aéroport d'Orly, qui constatent avec amertume,
dans ce domaine comme dans d'autres, les difficultés, pour ne pas dire
l'incapacité, des pouvoirs publics à faire respecter les règles qu'ils ont
édictées et à mettre en accord leurs paroles avec leurs actes.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Monsieur le sénateur, M. Jean-Claude
Gayssot, qui est actuellement retenu par ses fonctions ministérielles, m'a
demandé de vous présenter sa réponse, en vous exprimant son regret de ne
pouvoir le faire lui-même.
Le Gouvernement tient bien entendu à la meilleure insertion possible de
l'aéroport d'Orly dans son environnement. Pour y parvenir, il va de soi qu'il
faut accorder une attention toute particulière à l'élaboration et au respect
d'une réglementation efficace.
C'est ainsi qu'un suivi permanent des trajectoires effectuées sur l'aéroport
est réalisé. De 1993 à 1997, les déviations constatées se révèlent extrêmement
faibles. Plus de 99 % des vols ont respecté les consignes prescrites et sont
restés à l'intérieur de la zone de navigation obligatoire.
La réglementation internationale en matière de réduction des nuisances
sonores, à laquelle la France a souscrit, impose aux transporteurs de retirer
définitivement de leurs flottes, d'ici à 2002, les appareils les plus bruyants
dits du « chapitre II » ayant été mis en service depuis plus de vingt-cinq ans.
Alors qu'ils assuraient 15 % du trafic d'Orly en 1993, ils n'en ont représenté,
l'année dernière, que moins de 9 %. Nous nous orientons donc bien vers une
diminution du nombre de ces appareils sur la plate-forme d'Orly.
Le régime de couvre-feu applicable entre vingt-trois heures trente et six
heures a cependant fait l'objet, l'année dernière, de quatre-vingt-cinq
dérogations, ce qui traduit une augmentation sensible par rapport aux années
précédentes.
Cela s'explique en fait par la situation exceptionnelle rencontrée au mois de
juin 1997, période au cours de laquelle deux pannes informatiques ont gravement
perturbé l'écoulement du trafic aérien sur l'ensemble de la France. Les
services du ministère de l'équipement, des transports et du logement ont alors
été amenés à accorder cinquante dérogations dans des plages proches de l'heure
limite.
La zone de navigation obligatoire et le plan de gêne sonore peuvent ne pas
correspondre. Cette divergence s'explique par le fait que la zone de navigation
obligatoire ne concerne que les départs, alors que le plan de gêne sonore tient
compte des axes d'arrivée et de départ.
Conformément à l'avis rendu par le Conseil national du bruit le 8 janvier
dernier, le Gouvernement a décidé d'engager une réforme en profondeur du mode
d'établissement des plans de gêne sonore.
La nouvelle réglementation se fondera sur une nouvelle unité de mesure du
bruit, qui permettra une juste appréciation de la gêne ressentie par les
riverains. La correspondance de ce nouvel indice avec le bruit réellement émis
par les avions sera établie par une enquête de gêne sonore auprès d'un
échantillon représentatif des personnes concernées au voisinage des aéroports,
en particulier de celui d'Orly.
Cette enquête sera couplée à une campagne de mesures
in situ
des
niveaux de bruit. Il paraît donc souhaitable d'attendre les résultats de ces
modifications avant de procéder éventuellement à la révision du plan de gêne
sonore d'Orly.
De façon générale, la réglementation propre à l'aéroport d'Orly, en
particulier le couvre-feu nocturne et la limitation à 250 000 créneaux annuels,
est unique en Europe pour un aéroport de cette envergure.
Un dispositif de sanctions administratives destinées à assurer la protection
de l'environnement des aérodromes a été institué par le décret du 27 mai
1997.
Les membres de la commission nationale de prévention des nuisances ont été
nommés par arrêté du 19 janvier 1998 et M. Gayssot a personnellement installé
cette commission dans ses fonctions le 23 mars dernier. Le dispositif est donc
bien en place et, depuis, aucune infraction n'a été relevée sur l'aéroport
d'Orly.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le sénateur, des dispositions ont
bien été prises et mises en oeuvre pour prendre en compte les préoccupations
que vous avez exprimées à travers vos nombreuses questions.
M. Jean-Marie Poirier.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Poirier.
M. Jean-Marie Poirier.
C'est avec satisfaction que j'ai pris note des différentes mesures qui
semblent devoir être mises en oeuvre et qui compléteront utilement un arsenal
qui, d'une manière ou d'une autre, n'a pas fonctionné comme il aurait dû.
Par ailleurs, la communication entre les populations, l'aéroport d'Orly et
même les pouvoirs publics ne s'effectue pas non plus assez régulièrement. Dans
ce domaine comme dans bien d'autres - car nous savons tous que le bruit est
maintenant la hantise des habitants des zones périphériques urbaines - les
fantasmes vont bon train ; un avion égaré devient très facilement une
catastrophe.
Je prends acte avec une grande satisfaction de la mise en place de la nouvelle
commission, dont nous attendons beaucoup, et je donne rendez-vous dans quelque
temps à M. Gayssot et, éventuellement à vous-même, monsieur le secrétaire
d'Etat, sur le même sujet afin de tirer des conclusions et de voir si
l'aéroport d'Orly continue de bénéficier de la situation privilégiée qui, d'une
certaine manière, est la sienne et s'il ne subit pas la « dégénérescence
environnementale » que connaissent les aéroports situés dans les zones
périphériques urbaines.
RÉPARTITION DES TRAFICS AÉRIENS
ENTRE ROISSY ET ORLY
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 226, adressée à M. le
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Si l'on se réfère au rapport annuel publié par Aéroports de Paris pour l'année
1996, le trafic à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle a crû de 12,3 % et le
nombre de mouvements de 10,8 %. Cette évolution, note le rapport, est due à une
hausse soutenue du trafic aérien mondial. Le nombre de passagers par kilomètre
a augmenté de 7 % et de 9 % pour les services internationaux. Le nombre de
tonnes par kilomètre de fret réalisées a progressé de 5 % et de 6% à
l'international.
L'accroissement du trafic de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle s'inscrit
donc dans un contexte général de forte croissance, due également à la
déréglementation. Avec Orly, Aéroports de Paris enregistre une hausse
d'activité de 7,4 % par rapport à 1995.
L'année 1997 confirme cette évolution qui place Aéroports de Paris à la
deuxième place aéroportuaire européenne et à la deuxième place mondiale pour
les passagers internationaux.
Globalement, cette tendance se confirme, mais avec, bien entendu, une
différence qui semble s'accentuer.
Si l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle confirme une croissance forte, celui
d'Orly, en revanche, progresse plus lentement et voit même une partie de son
trafic se stabiliser.
Le rapport d'Aéroports de Paris de 1996 note que cette différence s'explique
par la mise en place du
hub
d'Air France à Roissy-en-France et par un
accroissement élevé du trafic long courrier qui a enregistré une progression de
9,7 % pour les départements et les territoires d'outre-mer, de 10 % pour le
Proche-Orient, de 10,3 % pour l'Atlantique Nord et de 14,5 % pour l'Afrique
subsaharienne.
En revanche, le rapport souligne que, si le trafic passagers à Orly a
progressé de plus de 7,8 % sur les lignes intérieures, il est en recul de 4,1 %
sur les lignes internationales. C'est le résultat du transfert vers l'aéroport
de Roissy-Charles-de-Gaulle de certaines compagnies longs et moyens courriers
implantées à Orly.
Ainsi, la répartition du trafic s'effectuera de plus en plus en faveur de
l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle car trois nouveaux
hubs
se sont
constitués depuis 1996. Ne vont-ils pas, monsieur le secrétaire d'Etat,
accentuer cette tendance ? Tout le monde s'accorde à penser que la pratique du
hub
à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, faisant de celui-ci,
progressivement, une plaque tournante internationale, concentrera une part
importante du trafic passager et du fret.
On peut en effet penser qu'une organisation de correspondances améliorera la
qualité du service et stimulera donc la demande.
Ma question est donc simple : cette évolution va-t-elle se poursuivre avec une
augmentation forte du trafic pour l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle ? Je
souhaiterais naturellement, monsieur le secrétaire d'Etat, entendre vos
explications et connaître vos positions sur ce constat.
Lors de l'inauguration du nouveau hall 2 F de Roissy, M. Gayssot a déclaré
qu'il fallait envisager une meilleure répartition entre les aéroports d'Orly et
de Roissy-Charles-de-Gaulle, ainsi qu'une spécialisation de chacun d'eux, mais
que celle-ci ne devait pas être trop limitative.
C'est ainsi que l'aéroport d'Orly pourrait être réservé au trafic national et
aux pays signataires de la convention de Schengen, autrement dit aux liaisons
intérieures et intra-communautaires, alors que l'aéroport de Roissy -
Charles-de-Gaulle serait destiné aux liaisons internationales.
Pouvez-vous nous redéfinir la position de M. Gayssot ? Bien entendu, la
réponse n'est pas neutre. A l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, le trafic
augmente vite. La présence de deux nouvelles pistes favorisera cette évolution.
Mais si le trafic se poursuit au rythme actuel, le nombre de 500 000 mouvements
sera rapidement atteint, en tout cas bien avant 2015. M. Gayssot et le
Gouvernement se sont engagés à réduire les nuisances qui, avec un tel rythme de
développement, ne pourront que s'accroître davantage et rapidement.
La qualité de vie, voire la sécurité de centaines de milliers de riverains de
mon département sont en jeu. A l'aéroport d'Orly, un recul des activités
internationales ou vers les départements et territoires d'outre-mer favorisera
Air France, qui ne verra alors pas de
hub
s'organiser. Mais des
problèmes d'emploi ne se poseront-ils pas alors ?
Un recul du trafic ne menacerait-il pas, à terme, l'existence même de
l'aéroport d'Orly, donc de milliers d'emplois ?
M. Louis Minetti.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Madame le sénateur, comme je l'ai indiqué
tout à l'heure, M. Jean-Claude Gayssot est empêché, et c'est donc en son nom
que je vais répondre à votre question.
Le nombre de créneaux horaires à Orly est, comme vous le savez, plafonné
depuis 1994 pour des raisons environnementales que nous connaissons bien. Le
ministre de l'équipement, des transports et du logement a déclaré à plusieurs
reprises qu'il entendait s'en tenir à ce plafonnement, qui est souhaité par les
populations et, bien sûr, par les élus des communes riveraines qui les
représentent.
De nombreuses demandes de créneaux horaires ne peuvent actuellement être
satisfaites, en particulier en matière de liaisons intérieures et
intracommunautaires.
Cette situation est due à l'attrait exercé par la plate-forme d'Orly sur la
clientèle des vols court et moyen courrier, du fait de sa proximité de Paris.
Il convient donc d'améliorer la qualité de service rendu aux usagers du
transport aérien à Paris.
Vous l'avez souligné, madame, avec la construction des deux pistes
supplémentaires, qui a été décidée l'an dernier, le potentiel de développement
de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle permet d'envisager, dans un avenir
proche, le transfert de liaisons extracommunautaires actuellement exploitées à
Orly vers cette plate-forme et d'y libérer ainsi des créneaux horaires.
Bien entendu, cela se fera dans le respect des engagements pris en matière de
maîtrise des nuisances sonores, comme M. Gayssot s'y est engagée au nom du
Gouvernement.
Le ministre de l'équipement, des transports et du logement vous confirme que,
malgré l'accroissement prévu du trafic de l'aéroport de Roissy, l'objectif
demeure de ne pas accroître le niveau du bruit engendré par l'activité de cette
infractructure.
Il a d'ailleurs annoncé en septembre dernier toute une série de mesures à cet
effet. Depuis, la plupart sont entrées en vigueur et les autres suivront au
rythme où elles ont été annoncées. L'autorité indépendante dont il a parlé
verra prochainement le jour, dès que le Parlement aura été saisi et se sera
prononcé.
Le moment est maintenant venu de procéder à une certaine redistribution du
trafic entre les deux grandes plates-formes aéroportuaires parisiennes, en vue
de tirer le meilleur parti de leur complémentarité.
Dans l'esprit du Gouvernement, une utilisation optimale des infrastructures de
cet aéroport demeure indispensable au maintien du niveau d'emploi dans le
bassin d'Orly, comme vous l'avez souligné.
Vous le savez, le ministre fonde son action sur le dialogue et la concertation
et, à ce titre, il a reçu le 26 mars dernier les élus des communes riveraines
d'Orly pour leur présenter ces objectifs et mener avec eux un premier débat.
Celui-ci doit se poursuivre avec toutes les parties concernées. M. Gayssot y
est disposé et résolu.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre réponse, certes, m'apporte des
apaisements, mais je la trouve encore imprécise. C'est pourquoi je voudrais
insister sur l'inquiétude, voire la colère des populations riveraines de
Roissy, qui sont en train de prendre connaissance d'un nouveau plan de gêne
sonore, provisoire certes, mais incohérent dans sa forme actuelle. Il exclut de
grandes villes comme Sarcelles, Garges, Villiers-le-Bel ; il coupe en deux des
villes comme Gonesse et Goussainville et il retranche de l'ancien plan de gêne
sonore des régions plus fortement touchées par les nuisances.
Par conséquent, nous pensons que s'impose un nouveau plan incluant non pas des
morceaux de ville et de régions, mais un ensemble cohérent de lieux victimes de
nuisances.
La notion d'antériorité à compter de 1977 doit être abandonnée et la prise en
charge à 100 % par les établissements publics des frais liés à l'indemnisation
et aux travaux de réduction des nuisances doit être envisagée.
Enfin - je suis étonnée que vous n'ayez pas évoqué ce point dans votre réponse
- la construction d'un troisième aéroport dans le Bassin parisien doit être
envisagée pour éviter de continuer à charger inconsidérément Roissy et à
délester Orly au point de compromettre son existence.
La nécessité du troisième aéroport - j'espère que le Gouvernement n'a pas
abandonné ce projet - apparaît aujourd'hui plus clairement, compte tenu de
l'évolution de la situation.
AMÉNAGEMENT DE LA RN 20
ENTRE TARASCON-SUR-ARIÈGE ET AX-LES-THERMES
M. le président.
La parole est à M. Authié, auteur de la question n° 230, adressée à M. le
ministre de l'équipement, des transports et du logement.
M. Germain Authié.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la transformation en autoroute de la RN 20
entre Paris et Toulouse va être prochainement achevée, tout au moins pour la
majeure partie de son tracé.
Le Monde
de ce jour publie d'ailleurs un
article à ce sujet intitulé : « Un nouvel itinéraire européen entre Paris et
Barcelone ».
Au sud de Toulouse, en direction de l'Espagne et d'Andorre, les travaux sont
programmés jusqu'à Foix. La mise à deux fois deux voies de la RN 20 doit être
poursuivie vers le sud, entre Tarascon-sur-Ariège et Ax-les-Thermes.
L'ouverture relativement récente du tunnel du Puymorens, l'accroissement des
échanges entre la France, l'Espagne et l'Andorre rendent indispensable dans les
plus brefs délais cette mise à deux fois deux voies dans la vallée de la
Haute-Ariège, comme le souligne l'auteur de l'article que j'évoquais à
l'instant.
Cependant, un flux de véhicules, notamment de poids lourds, en constante
progression emprunte cet itinéraire et traverse chaque jour les bourgs et les
villages de montagne dans la vallée sinueuse et encaissée de la rivière Ariège.
La population de cette zone et les élus, dont je suis, constatent les multiples
accidents de circulation et redoutent chaque jour davantage une catastrophe
comme celle qui s'est produite en Andorre, il y a peu, ou encore celle qui
pourrait se produire sur le passage à niveau qui existe encore, sur ce tronçon
de la RN 20, dans la commune de Sinsat, que j'ai l'honneur d'administrer. Je
puis porter témoignage des incidents, à ce jour sans trop de gravité - mais on
n'est à l'abri de rien - que ce passage à niveau occasionne.
M. le secrétaire d'Etat, les services de la direction départementale de
l'équipement ont établi depuis plusieurs années un projet de mise à deux fois
deux voies de la RN 20 dans le secteur concerné. Ce projet a recueilli, à deux
reprises au moins, un accord global des élus et des milieux
socio-économiques.
Il semble cependant que ce projet fasse l'objet de multiples allers et retours
entre Paris et la préfecture de l'Ariège et que, de ce fait, la procédure de
mise en oeuvre ne puisse toujours pas être lancée.
Cela me conduit à vous demander de bien vouloir me faire connaître à quelle
date M. le préfet de l'Ariège sera autorisé à lancer la procédure d'enquête
publique concernant la mise à deux fois deux voies de la RN 20 entre
Tarascon-sur-Ariège et Ax-les-Thermes et à quel moment les travaux pourront
alors être entrepris.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Monsieur le sénateur, au nom de M.
Jean-Claude Gayssot, je vous apporte les éléments de réponse que mérite cette
question, à propos de laquelle vous avez fait référence à un article publié
dans un grand quotidien, ce qui en montre toute l'actualité.
La transformation en autoroute de la RN 20 entre Vierzon et Toulouse est
effectivement bien engagée, puisque la mise à deux fois deux voies sera
totalement achevée cette année jusqu'à Brive.
La mise en service complète de cet axe jusqu'àMontauban devrait intervenir à
l'horizon 2001.
Au sud de Toulouse, l'objectif de l'Etat est de poursuivre l'aménagement de
cet itinéraire et d'offrir une opportunité pour le développement du département
de l'Ariège en rapprochant la capitale régionale des pôles d'emplois de
Pamiers, Foix, Lavelanet et des hauts cantons pyrénéens.
Ainsi, les travaux de l'autoroute A 66 entre Toulouse et Pamiers devraient
débuter l'an prochain et s'achever à l'horizon 2001.
Dans son prolongement, il est prévu d'aménager progressivement la RN 20 en
route expresse à deux fois deux voies, avec échangeurs dénivelés jusqu'à
Ax-les-Thermes.
Les sections Pamiers - Foix et Foix - Tarascon-sur-Ariège, soit environ 30
kilomètres, sont d'ailleurs déjà aménagées et les services s'emploient
activement pour que soit ouverte la déviation de Foix à la circulation, à
l'horizon 2000.
Entre Tarascon-sur-Ariège et Ax-les-Thermes, le dossier d'avant-projet
sommaire a été approuvé le 2 mars dernier. Les procédures préalables à la
déclaration d'utilité publique devraient donc être engagées dans le courant du
second semestre de cette année.
M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement m'a demandé de
vous rassurer sur ce point : l'avancement de ces procédures sera
incontestablement un élément favorable à la prise en compte de la poursuite de
l'aménagement de la RN 20 dans le cadre du futur contrat de plan Etat - région
Midi-Pyrénées, qui entrera prochainement en préparation.
Monsieur le sénateur, il me semble que ces éléments d'information vont dans le
sens que vous souhaitez.
M. Germain Authié.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Authié.
M. Germain Authié.
Monsieur le ministre, je vous remercie bien sincèrement des apaisements que
vous m'avez apportés, qui me permettront, à mon tour, de rassurer les
populations, qui attendent la réalisation de ce projet avec une grande
impatience, comme vous avez pu le voir, impatience qui peut parfois se
transformer en colère, en ras-le-bol.
Certes, en amont, l'axe est déjà bien avancé, mais, dans notre région, les
travaux tardent de plus en plus. Or la circulation augmente rapidement,
entraînant une augmentation des risques d'accident. Et l'accident que j'ai
évoqué n'a pas contribué à apaiser les craintes ! En effet, les points
dangereux sont multiples - par exemple, le passage à niveau situé dans ma
commune, déjà cité.
Je vous sais gré de ces apaisements, monsieur le secrétaire d'Etat, mais je
voudrais qu'ils ne correspondent pas à de simples voeux pieux et que, en 2005,
soit enfin réalisée - je ne dis pas commencée ! - au moins la majeure partie de
ces travaux, sur les points les plus critiques, de mise à deux fois deux voies
de l'axe Foix-Barcelone.
CRÉATION D'EMPLOIS DANS LA FONCTION PUBLIQUE
M. le président.
La parole est à M. Bizet, auteur de la question n° 222, adressée à M. le
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
M. Jean Bizet.
Je tiens à attirer l'attention de M. le ministre sur la décision prise
récemment par le Gouvernement de revaloriser de 2,6 % sur les deux prochaines
années le traitement des fonctionnaires.
Cette décision, lourde de conséquences pour le budget de l'Etat, me semble
faire abstraction de l'augmentation du pouvoir d'achat des salariés de la
fonction publique de 11,1 % ces cinq dernières années, quand, dans le même
temps, ce pouvoir d'achat ne progressait que de 6,3 % pour les salariés du
secteur privé.
Cette décision, en raison des 5,5 millions de fonctionnaires que compte notre
pays, alourdira ainsi les dépenses publiques de plus de 15 milliards de
francs.
Cette décision, s'ajoutant à la récente création des emplois-jeunes, qui
constitueront à terme, et pour la plupart d'entre eux, autant d'emplois publics
supplémentaires, fera incontestablement de la France le premier pays créateur
d'emplois publics, avec 1,6 million de postes créés depuis 1979 pendant que 600
000 emplois privés étaient détruits.
Cette décision s'ajoutant, selon toute vraisemblance, dans un proche avenir, à
la politique de réduction du temps de travail imposée par le Gouvernement - on
comprendrait mal en effet que l'Etat ne donne pas l'exemple et exclue de cette
mesure 25 % des actifs de ce pays - on peut imaginer que l'application de cette
politique nécessitera la création de nouveaux emplois publics.
En clair, monsieur le ministre, pourquoi cette augmentation et comment
sera-t-elle financée ? Par emprunt ou par accroissement de la fiscalité ?
Entre rigueur budgétaire et augmentation de la dépense publique, je vous avoue
mon inquiétude, et je souhaiterais savoir où se trouve, en cette affaire, la
cohérence gouvernementale.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Monsieur le sénateur, vous semblez surpris par le
principe même d'un accord salarial dans la fonction publique. Mais la règle de
négociations salariales régulières est inscrite dans la loi, en l'occurrence la
loi Auroux. L'Etat, même si cette loi ne s'impose pas strictement à lui, doit
prendre en compte, comme tout employeur, la nécessité de s'assurer la
collaboration d'agents motivés par le dialogue social comme par la politique
salariale.
Je ne vous suivrai pas sur le thème, familier à certains, selon lequel les
fonctionnaires seraient des privilégiés et représenteraient, dans certains cas,
une charge pour la nation, taisant les services qu'ils rendent - ils sont
globalement appréciés, tous les sondages d'opinion le montrent - et le rôle
central qu'ils jouent dans la cohésion sociale de notre pays et dans le pacte
républicain.
Vous avez avancé des chiffres sur le passé. Permettez-moi de les compléter et
de rappeler que, au cours de la période 1982-1995, l'évolution des salaires
moyens nets du secteur privé et du secteur public a été la même, avec une
progression annuelle moyenne de 0,6 % en francs constants, et ce avant une
année blanche pour les fonctionnaires en 1996.
L'accord passé renoue avec la politique contractuelle, après quatre ans sans
accord. Cet accord équilibré a pour objet de garantir le pouvoir d'achat des
fonctionnaires au cours des deux années à venir, en fonction des prévisions
d'inflation. Il a été l'occasion de corriger l'anomalie que constituait
l'existence de traitements de base inférieurs au SMIC dans la fonction publique
et de réaffirmer la priorité que le Gouvernement accorde aux rémunérations les
plus faibles.
Au total, cet accord aboutit à une dépense budgétaire de 5 milliards de francs
en 1998 et de 9 milliards de francs supplémentaires en 1999. Il sera financé
dans le cadre de la loi de finances pour 1998 - il n'y aura de ce faut ni
emprunt ni impôts supplémentaires - et dans le respect des objectifs de la
France en vue du passage à la monnaie unique européenne.
En ce qui concerne le temps de travail, le Premier ministre a eu l'occasion de
dire qu'il n'y avait pas de raison que la fonction publique soit écartée de la
perspective des 35 heures, même si ce n'est pas dans ce secteur que se situe
l'urgence parce que ce n'est pas dans ce secteur que le chômage trouve son
origine. Je vous rejoindrai au moins sur un point : pour regretter que le
secteur marchand ne crée pas davantage d'emplois.
En tout état de cause, la complexité du dossier du temps de travail dans la
fonction publique, marqué par une diversité extrême de situations, notamment
des unités de mesure du temps de travail, imposait de réaliser un état des
lieux complet avant de fixer des objectifs. C'est ce que l'accord a clairement
stipulé. J'ai chargé M. Jacques Roché, personnalité reconnue, de procéder à cet
état des lieux. Il s'est mis au travail dans un esprit de large concertation et
son rapport sera remis aux partenaires sociaux avant la fin de 1998.
M. Jean Bizet.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet.
Monsieur le ministre, je vous remercie des précisions que vous m'avez
apportées.
Loin de moi l'idée de remettre en cause la qualité de la fonction publique. On
sait que nous avons des fonctionnaires de grande qualité dans notre pays.
J'ai cru sentir dans cette revalorisation du traitement des fonctionnaires un
début de partage de la croissance. En l'occurrence, nous agissons dans le cadre
de « l'exception française », et cela me préoccupe. En effet, la croissance est
certes de retour, mais, je le crains, nous connaîtrons des lendemains qui ne
seront pas aussi mirobolants. Ce n'est pas dans le cadre de la fonction
publique et par l'augmentation de ses emplois que notre pays trouvera la voie
du progrès et de la richesse.
ORGANISATION DES REMPLACEMENTS
DANS L'ENSEIGNEMENT
M. le président.
La parole est à M. Sérusclat, auteur de la question n° 225, adressée à M. le
ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
M. Franck Sérusclat
Mes correspondants locaux et moi-même, nous nous attendions à ce que M.
Allègre soit présent. Mais peut-être est-il préférable que ce soit vous qui
répondiez à cette question, monsieur le ministre, car le choc passionnel entre
le ministre de l'éducation nationale et les enseignants crée quelquefois de
grandes difficultés d'écoute.
D'ailleurs, ce choc passionnel, on le connaît depuis 1897. En effet, si les
premières années qui ont suivi l'élaboration des lois scolaires de Jules Ferry
avaient été quelque peu idylliques, Jules Ferry, en 1897, se plaignait des
réclamations des enseignants, qui, la plupart du temps, portaient non pas sur
la pédagogie, mais sur leurs salaires et leur progression. Donc, nous sommes
dans la continuité de ces préoccupations.
Mon attention a été attirée sur les difficultés actuelles, et connues
d'ailleurs, des remplacements en cas d'absence non volontaire. Il s'agit de la
situation dans laquelle se trouvent tous les êtres humains au cours de leur
existence tout à coup, quand ils sont contraints d'arrêter leur travail et, par
conséquent, d'être remplacés.
Les responsables syndicaux m'ont fait part de leurs difficultés et de leurs
ennuis dans l'académie de Lyon, situation que l'on retrouve vraisemblablement
dans d'autres académies. En effet, les enseignements ne sont pas assurés dans
certaines matières et il y a une lenteur pour remplacer des professeurs dans
certains collèges classés en zones sensibles.
Les titulaires remplaçants représentent moins de 1 % des enseignants et le
nombre des maîtres auxiliaires disponibles a diminué du fait de leur
intégration par concours. Souvent, le rectorat est amené à remplacer les
enseignants absents par des vacataires. Parfois, plusieurs vacataires se
succèdent pour un même remplacement, sans véritables relations entre eux. A son
retour, le titulaire du poste se trouve devant une classe quelque peu
désorganisée par le passage de vacataires n'ayant pas la capacité d'assurer une
continuité de la pédagogie.
En outre, il existe une inquiétude sur les perspectives, parce que le nombre
de postes mis au concours a diminué.
Voilà, très résumée, quelle est la situation.
Je suis persuadé, monsieur le ministre, que votre présence présente le mérite
que j'évoquais tout à l'heure, à savoir éviter le choc passionnel. De surcroît,
vous avez les compétences pour répondre aux préoccupations de ces personnels
fonctionnaires, puisque vous êtes ministre de la fonction publique.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Monsieur le sénateur, comme vous le pressentiez, M.
Allègre ne peut répondre en personne à votre question car il est retenu par des
engagements internationaux. Quant à Mme Royal, elle participe en province au
colloque national sur les lycées. Je vais donc répondre en leur nom à votre
question, qui s'appuie sur la situation de l'académie de Lyon et débouche sur
un problème plus général.
Dans l'académie de Lyon, la situation au regard du remplacement des
enseignants du second degré absents est sensiblement meilleure que celle de la
moyenne nationale. Un certain nombre de chiffres l'attestent.
Cette académie dispose, en termes d'effectifs assurant le remplacement, de 242
titulaires, 110 titulaires académiques, 452 maîtres auxiliaires et 70
contractuels pour l'enseignement professionnel, soit 874 personnes pour un
total de 20 000 enseignants du second degré, ce qui représente un pourcentage
de 4,5 %.
Au cours de cette année scolaire, 200 000 heures d'enseignement ont été
demandées par les établissements du second degré pour effectuer ces
remplacements. Elle ont été assurées par ces 874 personnes affectées aux
remplacements. Cependant, il a fallu faire appel à des vacataires pour 35 000
heures. Le coefficient de remplacement est de 95 %, et donc supérieur à celui
de la moyenne nationale, qui est de l'ordre de 92 à 93 %.
Sur un plan plus général, le nombre de postes offerts aux concours du second
degré s'élève, en 1998, à 25 400.
Dans un contexte marqué par une tendance à la baisse des effectifs des élèves
du second degré - de l'ordre de 25 000 par an pour les dix prochaines années -
le nombre de postes ouverts aux différents concours est en légère baisse.
Cependant, la décision de fixer les concours externes à 15 120 postes, soit un
niveau supérieur de 35 % à celui qui est nécessaire pour assurer le strict
remplacement des départs d'enseignants titulaires - 11 200 par an actuellement
- traduit la volonté du ministère d'améliorer la qualité du service public de
l'éducation et de continuer à offrir à de jeunes diplômés de l'enseignement
supérieur de nombreux débouchés.
Par ailleurs, l'engagement du Gouvernement de resorber l'emploi précaire se
traduit par une augmentation de 600 du nombre de postes ouverts aux concours
réservés aux maîtres auxiliaires.
L'ensemble de ces mesures se traduira par une légère augmentation du nombre
d'enseignants du second degré à la rentrée de 1998. En cela, elles sont
conformes au principe arrêté par le ministère et, selon lequel il faut mettre à
profit la baisse des effectifs d'élèves pour améliorer leur encadrement,
notamment dans les zones urbaines ou rurales les plus défavorisées.
M. Franck Sérusclat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat.
Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Je souhaitais obtenir
ce type de renseignements. En effet, j'étais un peu démuni d'informations
chiffrées lors de l'entretien que j'ai eu avec les représentants syndicaux, ce
qui m'a conduit à considérer que le ministère fait sûrement ce qu'il doit.
Les éléments que vous m'apportez sont précis et utiles ; ils permettront de
mieux cerner la réalité des situations difficiles. Je suis donc heureux de les
avoir obtenus.
Je regrettais un peu de venir aujourd'hui car je devais accueillir Mme
Ségolène Royal à Saint-Fons, commune dont je ne suis plus le maire, où elle
arrivait ce matin à neuf heures vingt pour mettre en route les ateliers.
Saint-Fons est le lieu du colloque sur l'avenir des lycées et celui où M.
Philippe Meirieu a travaillé pendant plus de quarante jours, au lycée
professionnel Léon-Blum, qui avait été mis à sa disposition. Demain, les
discussions auront lieu sur le territoire de la commune de Lyon.
En tout état de cause, je ne regrette pas d'être venu ce matin car la réponse
que vous m'avez apportée est, pour moi, importante.
ENSEIGNEMENT DU LATIN ET DU GREC
M. le président.
La parole est à M. Jean-Louis Lorrain, auteur de la question n° 193, adressée
à Mme le ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire.
M. Jean-Louis Lorrain.
Monsieur le ministre, la grande majorité des enseignants chercheurs de latin
et de grec dans l'enseignement supérieur et nombre d'enseignants des cours
préparatoires des lycées adhèrent à l'association des professeurs de langues
anciennes de l'enseignement supérieur, qui travaille en étroite collaboration
avec d'autres structures, dont l'association Guillaume-Budé, dirigée par les
académiciens Marc Fumaroli et Jacqueline de Romilly. Ils ont vivement contesté
les intentions du ministère d'imposer aux élèves de troisième, dans la filière
« lettres classiques », le choix entre le grec ou le latin, au profit d'une
langue vivante.
Mme Ségolène Royal a donc renoncé, devant ce tollé, à faire publier un décret
au
Bulletin officiel.
Toutefois, selon les informations que nous avons
pu recueillir, il appert que les difficultés d'inscription simultanée pour le
latin et le grec demeurent. Les chefs d'établissement persisteraient à réserver
l'étude du grec aux élèves non latinistes et les élèves se verraient proposer
l'étude du grec dans les seuls établissements n'offrant pas de cours de
latin.
Ai-je besoin de rappeler que l'étude des langues anciennes favorise la
maîtrise des cadres logiques et grammaticaux du langage, qu'elle représente le
socle de notre culture, les racines mêmes de notre civilisation ? Ajoutons
qu'elle correspond à une formation classique et morale, qu'elle place l'élève à
l'école citoyenne des « créateurs » de la démocratie et de ses valeurs et
qu'elle peut constituer aussi, pour les jeunes issus de l'immigration, une des
conditions d'une intégration réussie.
Je vous serais reconnaissant, monsieur le ministre, de bien vouloir définir la
position du Gouvernement avec clarté sur cette question car il paraît
difficilement concevable que des considérations d'ordre budgétaire ou pratique
sur le plan administratif contrarient en sous-main l'ensemble d'un projet
pédagogique.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Emile Zuccarelli,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation.
Monsieur le sénateur, pour les raisons que j'ai évoquées
précédemment, je répondrai à votre question au nom de M. Claude Allègre et de
Mme Ségolène Royal.
Les langues anciennes sont partie intégrante de notre patrimoine culturel.
Elles ont aussi, comme vous l'avez souligné, une fonction de formation,
qu'elles partagent d'ailleurs avec bien d'autres disciplines. Le Gouvernement
souhaite donc veiller au maintien du latin et du grec non seulement au collège
et au lycée, mais également dans l'enseignement supérieur et la recherche.
Or, l'organisation de nos enseignements dans ce domaine n'est pas aujourd'hui
la meilleure. Au collège, elle résulte des décisions prises par l'ancien
ministre de l'éducation nationale dans le cadre de l'opération de « rénovation
» du collège.
Le nombre important de disciplines enseignées de la classe de sixième à la
classe de troisième, la montée en puissance de certaines d'entre elles, comme
la technologie, la généralisation de la deuxième langue vivante, rendent
complexe l'organisation de l'enseignement des langues anciennes. C'est
particulièrement vrai pour le grec, le nombre d'élèves qui choisissent cette
option étant souvent insuffisant pour constituer une classe de taille
raisonnable.
Le ministère de l'éducation nationale va donc s'employer à identifier
clairement, dans chaque bassin géographique, des collèges assurant une
initiation au grec, en liaison avec des lycées proposant des études littéraires
très complètes.
Son objet est de promouvoir des études littéraires diversifiées et de qualité,
partout sur le territoire, et pas seulement dans les grands lycées des
centres-villes.
M. Jean-Louis Lorrain.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain.
Monsieur le ministre, je vous remercie de ces remarques ; néanmoins, très
sincèrement, je reste sur ma faim !
Si le latin et le grec ne sont pas enseignés à un nombre suffisant d'élèves à
l'échelon de nos collèges, nous ne pourrons pas, par la suite, recruter de
nouveaux professeurs capables de transmettre la science de haut niveau que
représente l'enseignement de ces deux langues.
Mon souci est non pas de promouvoir un esprit rétrograde ou élitiste qui
serait détaché du sens des réalités, mais d'attirer l'attention des autorités
ministérielles sur la vigilance dont elles doivent faire preuve. En effet, les
principaux de collège doivent pouvoir disposer des moyens nécessaires, et une
politique faite sans doute de bonnes intentions ne doit pas risquer de mettre
en péril de manière irréversible la survie, en quelque sorte, de ces
enseignements.
situation de la compagnie générale
d'électrolyse du palais-sur-vienne (cgep)
M. le président.
La parole est à M. Demerliat, auteur de la question n° 243, adressée à M. le
secrétaire d'Etat à l'industrie.
M. Jean-Pierre Demerliat.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite attirer votre attention sur la
situation de la Compagnie générale d'électrolyse du Palais-sur-Vienne, la CGEP,
société du groupe Pechiney. Ce dernier veut supprimer les activités de
raffinage de cette entreprise, entraînant ainsi la suppression de 200 emplois
sur 250.
La CGEP est aujourd'hui, en France, la seule raffinerie de cuivre par
électrolyse.
Son expérience et son savoir-faire lui assurent une reconnaissance nationale
et européenne pour la qualité de ses produits, que ce soit pour la production
de ses cathodes ou de ses billettes.
Depuis quelques années déjà, le problème essentiel que rencontre la CGEP se
situe au niveau des approvisionnements.
Pour faire face à cette difficulté, l'entreprise avait lancé, en 1992, un plan
d'investissement de grande ampleur de 60 millions de francs. Cet investissement
avait pour objet de doter la CGEP d'un équipement industriel capable de traiter
des déchets cuivreux à basse teneur pour palier le manque de blisters - cuivre
de première fusion - dont le marché est de plus en plus restreint.
Cet investissement auquel les pouvoirs publics - Etat et région Limousin - ont
participé à hauteur de 10 millions de francs, a été présenté comme nécessaire
au maintien de l'emploi et indispensable à la pérennisation du site du
Palais-sur-Vienne.
Depuis septembre 1997, ce nouveau four, qui est capable de traiter des déchets
métalliques en récupérant leurs faibles teneurs en cuivre et qui a permis à
l'entreprise du Palais-sur-Vienne de se positionner sur le créneau de la
dépollution et du recyclage, est arrêté, faute de rentabilité, selon la
direction.
Pourtant, dans le domaine du recyclage, les installations de la CGEP
pourraient très certainement traiter des déchets qu'il ne sera bientôt plus
possible de mettre en décharge.
Il importe dès lors que toutes les études nécessaires soient menées à bien
pour permettre une diversification de l'activité de l'entreprise.
De même, des études sérieuses sur les possibilités d'approvisionnement en
déchets cuivreux doivent être faites.
Il n'est pas acceptable que l'utilisation de fonds plublics importants perçus
au titre « recyclage et création d'emplois » mène au déclin de l'entreprise,
alors que ces fonds devaient en assurer la pérennité.
Mais peut-être la décision d'abandonner les activités de raffinage est-elle
due aux pressions exercées par l'Union minière belge, actionnaire minoritaire
certes, mais important, qui possède, en Belgique, une unité directement
concurrente.
Je sais bien, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'Etat n'a pas vocation à se
substituer aux entrepreneurs privés défaillants, qui, trop souvent, ne
s'intéressent qu'à leurs actionnaires et non aux éventuels champs de ruines
qu'ils pourraient laisser derrière eux ; mais lorsque ces mêmes entrepreneurs
privés se sont nourris d'argent public, il est normal, à mon sens, qu'on leur
demande des comptes, et il serait moral que l'on puisse les obliger à tenir les
promesses faites en contrepartie des aides considérables reçues.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Christian Pierret,
secrétaire d'Etat à l'industrie.
Monsieur le sénateur, vous posez une
question importante et grave sur une entreprise qui ne manque pas non plus
d'importance si l'on veut bien considérer que la Compagnie générale
d'électrolyse du Palais est présente sur ce site depuis plus de soixante-dix
ans. Comme vous l'avez indiqué, cette entreprise raffine du cuivre à partir de
déchets cuivrés. Son activité peut être considérée comme peu fréquente ; elle
présente, par ailleurs, un très grand intérêt du point de vue de
l'environnement et de sa protection.
En effet, le groupe Pechiney a annoncé, le 27 mars dernier, un projet de
restructuration de l'entreprise dont il est actionnaire à hauteur de 57 %. Ce
projet entraînerait - je parle au conditionnel mais, hélas ! les chiffres sont
inquiétants - la suppression, dans les dix-huit prochains mois, de 200 emplois
sur les 244 que compte actuellement le site. Seule l'activité de fonderie
serait conservée sur place.
Dans la situation très difficile de l'emploi industriel en Haute-Vienne, cette
nouvelle brutale a choqué.
Le Gouvernement comprend et partage la véritable émotion locale, l'inquiétude
des salariés, de la population et des élus après cette annonce.
Monsieur le sénateur, depuis plusieurs semaines, vous êtes en liaison à cet
égard avec mes services, et je vous en remercie. Je tiens à saluer devant le
Sénat la détermination avec laquelle vous défendez à la fois l'avenir
économique régional et la CGEP.
J'ai pris contact personnellement avec le groupe Pechiney. Celui-ci met en
avant trois considérations.
La première est la difficulté - réelle, certes - d'approvisionnement en
déchets de cuivre. La deuxième est le coût de fonctionnement de l'installation
: selon le groupe Pechiney, les investissements importants - à hauteur de 60
millions de francs - consentis en 1992 sur le four électrique n'ont pas permis
la rentabilisation et le retour à l'équilibre.
La troisième considération est d'ordre financier : l'entreprise a perdu 75
millions de francs sur les quatre dernières années. La faiblesse du cours du
cuivre depuis quelque temps ne permet pas, d'après Pechiney, de maintenir
l'activité de raffinage.
J'ai donc demandé à mes services d'étudier avec le plus grand soin les
arguments - de mauvaises langues diraient peut-être « les prétextes » - avancés
par l'entreprise.
En tout état de cause, l'avenir de chacun des salariés concernés et l'activité
économique sur le territoire de la commune du Palais-sur-Vienne, qui sont au
coeur du problème, doivent être envisagés avec la plus grande rigueur et avec
détermination. Le Gouvernement ne comprendrait pas que Pechiney n'apporte pas
de réponses satisfaisantes à ces questions. Je vais suivre avec attention
l'évolution du problème, avec vous et avec d'autres élus qui, comme M. le
député-maire de Limoges, m'ont déjà contacté à l'Assemblée nationale.
On ne peut éluder la responsabilité en termes économique, social et, en
l'occurrence, industriel des grands groupes implantés depuis des décennies et
des décennies dans certaines régions où ils ont tiré le meilleur du
savoir-faire des salariés, le meilleur de l'environnement économique qui leur a
été prodigué, et, parfois - vous l'avez dit, monsieur le sénateur - le meilleur
des fonds publics qui leur ont été dispensés.
Ces groupes ne peuvent pas se désengager sans apporter à chaque salarié, à
chaque collectivité locale - il s'agit, en l'occurrence, d'une petite commune -
et à la région où ils ont opéré pendant nombre d'années - dans ce cas
particulier, pendant soixante-dix ans - des réponses satisfaisantes en termes
d'activité nouvelle et de situation sociale.
Il faut donc affirmer à nouveau la responsabilité des grands groupes
s'agissant de l'aménagement du territoire dans lequel ils ont opéré pendant
nombre d'années. Le Gouvernement, les élus locaux, les élus nationaux doivent
donc grouper leurs forces pour trouver et imposer, si la négociation le permet,
des solutions positives afin de faire naître un second souffle économique sur
ces sites.
Soyez certain, monsieur le sénateur, que je serai attentif à faire en sorte
que votre région ne subisse pas de manière trop insupportable et injuste les
conséquences de cette décision.
M. Jean-Pierre Demerliat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Demerliat.
M. Jean-Pierre Demerliat.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de votre détermination et de
celle du Gouvernement.
L'émotion est grande dans la région, d'autant que personne ne s'attendait à
cette fermeture brutale, dans la mesure où l'ancien président de Pechiney, M.
Jean Gandois, avait tenu, voilà cinq ans, des propos très rassurants sur la
pérennité du site.
Je dois ajouter que nous avons appris ces derniers temps d'autres mauvaises
nouvelles économiques concernant le département. Ainsi, des menaces planent sur
l'usine Renault véhicules industriels de Limoges ; France Télécom ferme son
centre d'approvisionnement à Limoges également, supprimant ainsi 150 emplois,
et la COGEMA fermera à l'horizon 2000 le site de Jouac, conduisant à la
disparition de près de 200 emplois.
Près d'un millier d'emplois supprimés en quelques mois dans un petit
département peu peuplé, voilà qui fait beaucoup ! Nous comptons donc sur les
pouvoirs publics pour nous aider à franchir cette mauvaise passe, monsieur le
secrétaire d'Etat.
AVENIR DU 1 % LOGEMENT
M. le président.
La parole est à M. Taugourdeau, auteur de la question n° 213, adressée à M. le
secrétaire d'Etat au logement.
M. Martial Taugourdeau.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je souhaite attirer votre attention sur
l'avenir du 1 % logement.
L'article 45 de la loi de finances pour 1998 a donné un support législatif au
second prélèvement de 7 milliards de francs opéré sur le 1 % logement,
résultant de la convention d'objectifs en date du 17 septembre 1996 et de la
loi du 30 décembre 1996 relative à l'Union d'économie sociale du logement.
Le Sénat n'a pas manqué, à l'occasion de la discussion budgétaire, en décembre
dernier, de manifester son opposition au changement d'affectation des sommes
prélevées sur le 1 % logement, qui, à l'origine, devaient servir au financement
exclusif du prêt à taux zéro. En effet, il s'agit maintenant de financer en
plus les aides à la personne, ce qui constitue une sérieuse entorse aux
conventions d'objectifs passées avec les collecteurs interprofessionnels du
logement et la manifestation, de la part de l'Etat, du non-respect de la parole
donnée.
Pour 1998, le Gouvernement ne semble pas décidé à élaborer la sécurisation,
pourtant nécessaire, pour l'avenir du 1 % logement comme pour le financement
futur du prêt à taux zéro.
En conséquence, j'aimerais savoir, d'une part, quelles initiatives vous
comptez prendre pour assurer une véritable pérennité au dispositif du 1 %
logement et, d'autre part, quelles assurances vous pouvez apporter pour
répondre aux légitimes inquiétudes exprimées par les collecteurs
interprofessionnels du logement quant à l'avenir du 1 % logement, et plus
particulièrement du taux de collecte.
Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous me préciser si ces fonds
seront de nouveau mis à contribution pour le financement des aides à la
personne en 1999, alors que rien de tel n'avait été négocié entre les
collecteurs interprofessionnels du logement et les pouvoirs publics ?
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Monsieur le sénateur, je ne reviendrai pas
longuement sur les mesures spécifiques prises en 1998. Il y a eu,
effectivement, un concours en aides personnelles qui n'était pas prévu dans
l'accord initial, mais seulement pour les accédants à la propriété. Il s'est
élevé à environ 500 millions de francs, sur un prélèvement global, décidé par
les gouvernements précédents, représentant quelque 14 milliards de francs sur
deux exercices.
C'était la contribution, limitée, du 1 % logement à l'effort demandé à
l'ensemble des finances publiques pour infléchir la situation de l'été 1997
afin que notre pays remplisse les conditions de la mise en place de l'euro.
Pour l'essentiel, votre question, monsieur le sénateur, a trait, en fait, à
l'avenir du 1 % logement.
L'avenir du 1 % logement est une préoccupation tout à fait majeure du
Gouvernement dans le domaine du logement.
Comme vous le savez, pour concrétiser cette préoccupation, le Premier ministre
a demandé lui-même au Conseil économique et social, par lettre du 2 février
1998, de se prononcer sur deux points, à savoir le renforcement du rôle du 1 %
logement comme outil d'accompagnement de la politique de l'Etat en matière de
logement social et la pérennisation de la participation des employeurs au
dispositif d'aide à l'accession sociale à la propriété.
Le Conseil économique et social vient de rendre son avis. C'est un document de
qualité comportant des propositions qui vont permettre au Gouvernement
d'approfondir sa réflexion.
Concernant l'accession sociale à la propriété, le Conseil économique et social
a souhaité que s'établisse une vraie contractualisation entre l'Etat et les
partenaires sociaux. Cette démarche contractuelle est déjà très largement
engagée. En effet, un groupe de travail entre des représentants du secrétariat
d'Etat au logement et les partenaires de l'Union économique et sociale pour le
logement, l'UESL, a été mis en place depuis plusieurs semaines.
Ce groupe de travail a pour objectif de clarifier l'ensemble des emplois
actuels du 1 % logement et d'examiner comment ces emplois pourraient évoluer et
se moderniser.
Parmi ces emplois figurent nécessairement l'accession sociale à la propriété
et le rôle du 1 % logement à cet égard.
La démarche entreprise, qui se veut contractuelle et équilibrée, s'inscrit
dans un souci réel de pérennisation des rapports entre l'Etat et les
partenaires sociaux.
La durée de l'accord précédent, vous vous en souvenez, avait été fixée à deux
années : 1997 et 1998. Nous travaillons, nous, à la conclusion d'un accord qui
pourrait porter sur cinq ans et qui définirait des objectifs clairs,
accompagnés annuellement d'une réelle évaluation des résultats obtenus.
C'est dans ce cadre que sera déterminé le financement de l'accession sociale à
la propriété.
Il faut rappeler, à ce sujet, que le financement du prêt à taux zéro n'est pas
assuré en 1999 et que les prêts accordés en 1998 seront cependant, pour partie,
imputables sur cet exercice 1999. Le montant en cause - j'ai déjà eu l'occasion
de le dire dans cette enceinte lors de l'examen du projet de loi de finances -
est de 3,5 milliards de francs, ce qui n'est pas négligeable.
Le Gouvernement travaille donc actuellement, en concertation avec les
partenaires sociaux - il serait prématuré de vous donner les conclusions de ces
travaux - à résoudre au mieux l'ensemble des difficultés juridiques et
financières que connaît l'accession sociale à la propriété.
Nous le faisons, bien sûr, avec la préoccupation de l'intérêt de nos
concitoyens, tout particulièrement de ceux d'entre eux qui forment un projet
d'accession à la propriété. La sécurisation de cette démarche d'accession est
au centre de nos préoccupations.
Nous en sommes donc, après l'avis du Conseil économique et social, au stade
d'un dialogue très approfondi. Je forme le voeu que, dans les prochaines
semaines, nous puissions aboutir à une conclusion positive. Ce serait
l'occasion de confirmer la dimension partenariale, entre partenaires sociaux,
de la gestion du 1 %, mais dans le cadre d'un accord avec le Gouvernement
conclu pour cinq ans afin de faciliter la lisibilité tant de la politique du
logement que des tâches incombant à tous les partenaires.
M. Martial Taugourdeau.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Taugourdeau.
M. Martial Taugourdeau.
Je vous remercie de vos explications, monsieur le secrétaire d'Etat.
Le 1 % logement doit surtout servir à équilibrer les opérations de
construction des HLM ; sans lui, ce serait impossible, sauf à fixer des loyers
trop élevés.
Actuellement, le prêt à taux zéro est le seul moyen d'aider la construction
individuelle. Nous souhaitons que ce que l'on appelle toujours le 1 % logement,
bien que ce ne soit plus 1 %, serve uniquement à la construction soit
individuelle soit de logements sociaux et non à l'aide personnalisée au
logement.
M. Alain Vasselle.
Très bien !
RÉGLEMENTATION DES CONSTRUCTIONS
À PROXIMITÉ DES BÂTIMENTS D'ÉLEVAGE
M. le président.
La parole est à M. Debavelaere, auteur de la question n° 231, adressée à M. le
ministre de l'agriculture et de la pêche.
M. Désiré Debavelaere.
Au travers de ma question, je souhaite attirer l'attention de M. le ministre
de l'agriculture et de la pêche sur les difficultés que crée à uncertain nombre
d'exploitants agricoles d'établissements classés « élevage bovin à viande » de
plus de quarante ou cinquante vaches l'obtention, par des particuliers ou des
promoteurs, de permis de construire d'habitations à moins de cent mètres de
leurs bâtiments d'élevage.
En effet, alors que les éleveurs sont tenus de respecter cette distance
minimale vis-à-vis des immeubles occupés par des tiers au titre de la
réglementation des installations classées, aucune règle de réciprocité ne
figure dans la loi du 19 juillet 1976, non plus que dans le code de
l'urbanisme.
Des exploitations agricoles se trouvent ainsi bloquées dans leur développement
et leur activité par des projets d'extension non agricoles implantés
postérieurement aux installations d'élevage. En outre, les nouvelles
constructions sont souvent à l'origine de nombreux conflits de voisinage liés
au fonctionnement des exploitations.
L'introduction d'une règle de réciprocité dans le code de l'urbanisme serait
de nature à permettre de régler définitivement - espérons-le ! - les nombreux
problèmes soulevés par cette carence législative.
Je demande donc à M. le ministre de l'agriculture de bien vouloir m'indiquer
quelles sont ses intentions à ce sujet important pour le monde rural et,
notamment, s'il a la volonté d'y remédier dans le cadre du futur projet de loi
d'orientation agricole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Monsieur le sénateur, c'est, bien sûr, au
nom de M. le ministre de l'agriculture, actuellement en déplacement avec M. le
Président de la République au Japon, que je vais vous répondre, mais sans être
toutefois complètement étranger à la question étant donné la responsabilité qui
m'incombe dans le domaine de l'urbanisme.
La réciprocité en matière de distance minimale de construction par rapport aux
établissements classés a été l'objet de nombreuses discussions et de nombreux
débats, auxquels les professionnels agricoles, pour qui c'est une préoccupation
majeure, ont largement participé. On comprend, en effet, qu'après s'être soumis
à toutes les exigences de la réglementation relative aux établissements
classés, ils soient mécontents de voir, postérieurement, des particuliers ou
des promoteurs, dont les installations, elles, ne sont pas classées, venir leur
faire grief de leur être en quelque sorte préexistants.
M. Alain Vasselle.
C'est un vrai problème !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
C'est en effet un vrai problème, mais nous sommes en
bonne voie de lui trouver une solution.
En effet, la réciprocité sera prochainement inscrite à l'article R. 112-2 du
code de l'urbanisme par un décret en cours de signature.
MM. Louis Minetti et Alain Vasselle.
Très bien !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Ce décret portera modification des dispositions du
livre premier du code de l'urbanisme, relatif aux règles générales
d'aménagement et d'urbanisme.
Ainsi, des projets de construction, notamment à usage d'habitation, pourront
être refusés ou soumis à des prescriptions spéciales, dès lors qu'ils seront
situés à proximité de constructions ou installations existantes de nature à
porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, c'est-à-dire à
proximité d'installations classées, puisque c'est là leur définition.
Par ailleurs, M. le ministre de l'agriculture m'a chargé de vous confirmer que
le projet de loi d'orientation agricole, qui a été transmis il y quelques
jours, le 23 avril dernier, au Conseil d'Etat et qui sera soumis dans les
prochains mois au Parlement, prévoit une information renforcée afin de prévenir
des risques de nuisances liées à la proximité d'une installation classée ; si
cette disposition est adoptée par le Parlement, ce dont on ne peut douter, les
porteurs de projets situés dans le périmètre d'installations classées auront
donc connaissance des contraintes qui sont liées à celles-ci.
Dans ces conditions, bien des malentendus pourront, me semble-t-il, être
évités.
L'addition des dispositions du code de l'urbanisme et de la prochaine loi
d'orientation agricole devrait ainsi, monsieur le sénateur, apporter de bonnes
réponses à la question que vous avez posée.
M. Désiré Debavelaere.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Debavelaere.
M. Désiré Debavelaere.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, des informations rassurantes
que vous venez de nous donner sur les dispositions qui devraient bientôt
s'appliquer.
La réciprocité en la matière est de l'intérêt de tous. Il y va de la paix dans
les villages. Il faut que tout le monde sache que l'élevage d'animaux, par-delà
l'obligation de classement, peut entraîner quelques nuisances. On éliminera
ainsi une source de querelles qui, souvent, prennent un tour politique et
n'amènent rien de bon dans notre société.
MISE EN OEUVRE DES PROPOSITIONS DE LA DÉLÉGATION
SÉNATORIALE SUR LES FRUITS ET LÉGUMES
M. le président.
La parole est à M. Minetti, auteur de la question n° 234, adressée à M. le
ministre de l'agriculture et de la pêche.
M. Louis Minetti.
Je résumerai en neuf propositions un sujet qui mériterait, évidemment, des
heures de débat.
Premièrement, il faut prendre en compte le fait que l'Europe ne produit que 40
% des fruits et légumes qu'elle consomme, alors que ce secteur représente 25 %
de la production européenne et ne participe qu'à hauteur de 4 % du budget
européen. Il faut indemniser ce secteur, sans oublier les autres acteurs de la
filière, saisonniers ou non.
Deuxièmement, il faut mettre en place une action commune en matière de fruits
et légumes - cela pourrait être la constitution d'un front méditerranéen au
sein de l'Europe - et modifier la politique agricole commune en ce sens. Il est
possible d'organiser un partenariat France-Espagne pour les produits
méditerranéens, dont les fruits et légumes sont un symbole, et de rechercher un
accord avec le Portugal, l'Italie et la Grèce en vue d'un rééquilibrage de
l'Europe vers le sud méditerranéen.
Troisièmement, sur ces bases, nous devons impérativement remettre à plat et
renégocier tous les accords bilatéraux ou multilatéraux conclus, avec les pays
tiers. Avec les pays en voie d'émergence, il est possible de construire
ensemble une politique de codéveloppement qui permettra - c'est la seule voie -
de barrer la route au dumping social préjudiciable à tous les peuples.
Quatrièmement, la commission franco-espagnole, qui s'est réunie trois fois,
doit voir sa mission élargie : il est nécessaire de lui confier le pouvoir de
prévision et de gestion des crises. Elle doit pouvoir, en osmose avec tous les
professionnels de la production et de la distribution mieux structurer les
rythmes de production de mise en marché. La modulation, la prévision, le
stockage, la transformation, les fonds de gestion sont les seules bonnes et
véritables réponses.
Cinquièmement, il faut responsabiliser les grands groupes bancaires,
commerciaux et de transports.
Je demande solennellement à tout le Gouvernement - en effet, le ministre de
l'agriculture n'est pas le seul concerné - de mettre en chantier la réforme de
ce secteur en vue de mettre un terme à la liberté absolue, à la dictature
qu'imposent ces prédateurs, ces grands groupes financiers qui pilotent
l'import, l'export et la grande distribution. Des règles claires et simples
doivent permettre une juste rétribution du travail paysan, notamment en
rétablissant les coefficients multiplicateurs, au moins à titre
expérimental.
Sixièmement, il faut faire avancer très vite, et faire aboutir, la négociation
avec le gouvernement espagnol pour l'égalisation des conditions salariales et
de vie. Un tel accord à Luxembourg, tel que prévu, s'inscrirait dans la
démarche d'une Europe sociale.
Septièmement, il faut se pencher sur le problème des fruits de printemps et
d'été, qui sont concurrencés par les importations en provenance de l'hémisphère
sud.
Les certificats d'importation censés réguler leur introduction en Europe ne
sont qu'un leurre ; les droits de douane sont symboliques. Il est inacceptable
de voir à la vente non limitative, non contrôlée, des pommes, des poires, des
brugnons et autres fruits de l'hémisphère sud, alors que, depuis quelques
semaines, pommes et poires françaises et européennes sont jetées « au retrait
», au prix de soixante centimes à un franc le kilo. Pourquoi ne pas retirer
également les produits d'importation du marché ?
Huitièmement, il faut mettre un terme aux pratiques des
importateurs-exportateurs de l'hémisphère Sud qui expédient des produits sans
facture, sans indication de prix de vente ni au départ, ni à l'arrivée. Les
prix de référence pour l'établissement des tarifs douaniers sont trop bas. Les
accords déjà conclus sur ces bases doivent donc être revus à la hausse.
M. le ministre de l'agriculture, s'il se fait entendre par les autorités de
Bruxelles, est assuré de mon soutien et - j'en suis persuadé - de celui de mes
collègues sénateurs, comme de toute la profession. Il faut combattre
efficacement le dumping social.
Enfin, neuvièmement, un mémorandum franco-espagnol, reprenant et développant
ces neuf propositions, doit être déposé auprès des services de la Commission
européenne. Je pense qu'il est possible d'être entendu.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Monsieur le sénateur, en vous priant
d'excuser mon collègue ministre de l'agriculture, en déplacement à l'étranger,
je vous remercie en son nom pour la contribution du groupe que vous animez à la
réflexion sur l'avenir de la filière des fruits et légumes.
Celle-ci constitue actuellement l'une des préoccupations fortes de M. Le
Pensec et de l'ensemble du Gouvernement, à la fois pour des raisons de
conjoncture et de climatologie, mais aussi parce que, après plusieurs mois de
concertation et de dialogue avec la profession, quelques axes structurels
semblent pouvoir se dessiner.
Concernant la conjoncture, les aléas météorologiques ont entraîné des
perturbations fortes pour certaines productions comme les pommes, les salades,
les choux-fleurs et quelques autres. Ils ont amplifié les difficultés que la
situation économique de ces filières avait de toute façon fait apparaître.
Louis Le Pensec a donc décidé la tenue d'une table ronde, fixée au 15 mai
prochain, et proposera à cette occasion différentes mesures spécifiques de
soutien à cette filière.
Outre la nécessité de faire jouer la solidarité pour les exploitations
sinistrées lors du gel du 13 avril dernier, certaines mesures d'urgence visant
à alléger les charges des exploitations les plus fragilisées sont nécessaires.
Mais, au-delà, il est évident que des problèmes structurels se posent à la
profession, comme aux pouvoirs publics français ou européens. Ils doivent être
abordés avec la volonté de trouver les réponses les plus adaptées. Certaines
doivent résulter d'une initiative publique. C'est le cas notamment de
l'amélioration de l'organisation commune des marchés pour le secteur des fruits
et légumes : le mémorandum franco-espagnol, récemment déposé auprès des
services de la Commission, va dans ce sens.
Plus largement, la commission mixte franco-espagnole contribue désormais à
assurer une meilleure transparence dans la situation des marchés ; elle est
aussi le lieu de dialogue et d'analyse des différences susceptibles d'exister
en matière de coûts de production.
Sa mission, qui s'inscrit dans la durée, répond à votre préoccupation de voir
s'organiser peu à peu ce que vous appelez le « front méditerranéen » et qui est
en fait l'harmonisation d'une politique méditerranéenne dans le secteur des
fruits et légumes.
Une telle démarche, qui devra s'élargir aux autres pays du sud, est nécessaire
pour faire progresser la prise en compte de cette filière au niveau européen,
et notamment la politique budgétaire.
Lorsque le ministre de l'agriculture évoque sa volonté d'un rééquilibrage des
aides publiques à l'agriculture, il pense en particulier à cette filière et à
ces régions.
Les chiffres que vous indiquiez sur les déficits européens en matière de
fruits et légumes, sur la part communautaire que représente cette filière, sont
éloquents ; ceux qui sont relatifs à la capacité de la filière des fruits et
légumes à maintenir et à créer des emplois agricoles, dans des zones rurales
souvent difficiles, plaident également en faveur de ce rééquilibrage. Mais
cela, vous le savez, ne dispens pas la profession de poursuivre une réflexion
exigante sur ses propres responsabilités.
L'amélioration et l'identification de la qualité des produits est encore,
malgré l'importance des progrès réalisés, bien souvent insuffisante, et
l'adaptation au goût du consommateur n'est pas toujours suffisamment une
préoccupation des producteurs.
L'organisation des producteurs doit se renforcer, car l'individualisme de leur
démarche professionnelle est un handicap. Il faut rééquilibrer les relations
avec la distribution et les groupes financiers. Mais il faut s'en donner les
moyens. Cela passe par la constitution, notamment sur l'initiative des
producteurs, de structures commerciales de taille européenne.
Monsieur le sénateur, l'ensemble de ces sujets sera naturellement évoqué lors
de la table ronde organisée par le ministre de l'agriculture dans un peu plus
de quinze jours maintenant. Je suis sûr que vous porterez attention à son
déroulement et à ses conclusions. Sachez que le ministre de l'agriculture
compte y jouer le rôle constructif que des observations pertinentes, comme
celles que vous avez présentées à l'occasion de cette question, ne peuvent que
l'inciter à mettre en avant.
M. Louis Minetti.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Minetti.
M. Louis Minetti.
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre réponse sonne agréablement à mes
oreilles. Il restera évidemment à lire, plume en main, le texte dont j'aurai
communication.
Je veux aussi donner acte à M. le ministre de l'agriculture qu'il a rapidement
réagi à mon appel lorsque je lui ai demandé de régler d'urgence les premières
crises, qui continuent, et réglé la question des premiers gels de récolte.
A propos de la solidarité nationale, qui doit jouer, je voudrais rappeler ce
que disaient les anciens au jeune agriculteur que j'étais : « Au minimum, pour
faire face, un viticulteur doit avoir une récolte en banque, une récolte en
cave et une récolte dans la vigne. » Cet axiome peut évidemment être étendu aux
producteurs de fruits et de légumes.
Aujourd'hui, plus de quarante ans après, il n'en est plus ainsi. La profession
est très fragilisée et il faut trouver des solutions de fond.
J'insisterai, après vous avoir entendu, monsieur le secrétaire d'Etat, sur les
problèmes du commerce. C'est l'ensemble du Gouvernement, et pas seulement le
ministre de l'agriculture et de la pêche, qui doit régler la question des
coefficients multiplicateurs et le problème de la responsabilisation des grands
groupes, que j'ai souligné dans ma question. Je comprends que la prudence
gouvernementale ne vous permet pas de reprendre le terme de « prédateurs »,
mais c'est celui qu'utilisent les agriculteurs.
Enfin, oui, le Gouvernement a raison, les producteurs doivent s'organiser.
J'abonde dans ce sens. Mais à condition de bien considérer que, contre les
géants de la distribution - ils sont cinq grands groupes - s'organiser est
extrêmement compliqué, car la lutte se situe uniquement sur le terrain
économique. Des mesures de caractère syndical s'imposent. Cela ne relève pas du
Gouvernement mais, bien sûr, des syndicats.
Quant aux mesures politiques, elles ressortent bien évidemment au Gouvernement
français et à la Commission de Bruxelles. Je répète que si vous arrivez à
décrocher un certain nombre de mesures concrètes, mon soutien vous sera
accordé, soyez-en assuré, sans aucune restriction.
4
MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR
M. le président.
J'informe le Sénat que la question orale sans débat n° 232 de Mme Janine
Bardou est retirée, à la demande de son auteur, de l'ordre du jour de la séance
du mardi 5 mai.
Par ailleurs, les questions n°s 247 de Mme Nicole Borvo et 249 de Mme Gisèle
Printz pourraient être inscrites à l'ordre du jour de cette même séance.
Il n'y a pas d'opposition ? ...
Il en est ainsi décidé.
Mes chers collègues, avant de suspendre nos travaux, je vous rappelle que la
séance sera reprise à seize heures pour l'hommage solennel à Victor Schoelcher
et le dévoilement de la médaille à la mémoire du président Gaston
Monnerville.
Par ailleurs, conformément à la demande du Gouvernement, l'ordre du jour de la
séance du mercredi 29 avril est ainsi établi :
- projet de loi relatif aux spectacles.
- projet de loi concernant la protection juridique des bases de données.
- proposition de loi permettant à l'enfant orphelin de participer au conseil
de famille.
Le soir :
- deuxième lecture du projet de loi relatif à la partie législative du livre
VI du code rural.
- conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi modifiant
le statut de la Banque de France.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à midi, est reprise à seize heures, sous la présidence
de M. René Monory.)
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
M. le président. La séance est reprise.
5
HOMMAGE SOLENNEL
A` VICTOR SCHOELCHER
M. le président.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a cent cinquante ans, la
France devenait enfin la patrie des droits de l'homme, de tous les hommes. Le
décret du 27 avril 1848 mettait fin à l'horreur légale qui les divisait
jusqu'alors en esclaves et asservisseurs.
Tout au long des jours à venir, nous le rappellerons, avec émotion et
solennité.
Mais nous irons au-delà.
Commémorer les grandes dates de notre histoire, c'est, bien sûr, invoquer la
mémoire. C'est aussi et surtout ressourcer nos convictions, pour mieux
travailler au présent et préparer l'avenir.
C'est loin devant qu'il nous faut porter le regard, forts d'un passé assumé et
analysé, mais pleins de l'espoir qui a inspiré les grands acteurs de la vie
politique de la France.
L'histoire de l'humanité, dans laquelle notre pays a su occuper une grande
place, est jalonnée de ces dates, dont l'abolition de l'esclavage fut l'une des
plus décisives. La libération de l'homme s'est gagnée, et se gagne toujours,
étape après étape.
Je suis de ceux qui pensent que la société ne peut et ne doit être conçue
qu'autour de la personne humaine, son respect, sa liberté, sa promotion et son
développement.
La personne, ce n'est pas seulement l'individu, avec sa condition matérielle,
c'est d'abord et avant tout un être d'esprit et de pensée, c'est l'homme avec
sa dimension spirituelle.
Dans une perspective historique, au-delà des difficultés du moment, je serais
tenté d'affirmer que rarement le genre humain a eu autant de raisons de croire
en de formidables avancées pour la liberté.
Les dictatures ont reculé, les découvertes technologiques connaissent un
extraordinaire développement et nous libèrent peu à peu des tâches les plus
ingrates. Le monde dans lequel vivront nos enfants devrait être meilleur parce
que notre civilisation aura encore progressé.
Mais rien n'est figé ni conquis une fois pour toutes. Des principes et axiomes
qu'on croyait établis sont aujourd'hui remis en cause.
Aussi les parlementaires que nous sommes doivent-ils transmettre la foi en
l'avenir, être guidés par l'élan de générosité et être inflexibles chaque fois
qu'une liberté est menacée.
La personne humaine doit être au centre de toute notre action.
En leur temps déjà, Victor Schoelcher et l'abbé Grégoire concevaient ainsi
leur mission. Sénateurs courageux et enthousiastes, ils surent s'extraire du
quotidien de leur époque pour se projeter, avant les autres, dans un futur
qu'ils voulaient meilleur, plus juste et plus humain.
Ils étaient animés par les valeurs qui fondent la République : le respect de
l'homme, l'égalité de tous devant la loi commune, la fraternité, qui exclut
toute forme de racisme et de ségrégation. En somme, ils avançaient en regardant
cette « boussole morale » si chère à Victor Schoelcher.
Ces valeurs sont les nôtres. Elles forgent notre éthique de législateur. Elles
régissent nos règles de vie en commun.
Que le Sénat de la République s'associe à ces cérémonies était donc légitime.
L'ensemble des groupes a apporté sa pierre à la commémoration voulue par le
bureau et mise en oeuvre par le comité de parrainage, présidé par mon ami
Gérard Larcher.
Chaque fois que la France est à la croisée des chemins, il y a des sénateurs
pour prendre la tête des combats les plus nobles.
Chaque fois que la République les appelle, des sénateurs sont aux avant-postes
des libertés publiques et individuelles.
C'est notre fierté, mais c'est aussi notre vocation.
Je suis sûr, mes chers collègues, que nous saurons y être fidèles.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Larcher, président du comité de parrainage.
M. Gérard Larcher,
président du comité de parrainage pour la commémoration de l'abolition de
l'esclavage.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, 1598, édit de Nantes, 1848, abolition de l'esclavage, 1948,
Déclaration universelle des droits de l'homme : trois dates, trois temps de
mémoire, trois « lumières » pour la dignité des hommes.
Le 27 avril 1848, quelques lignes - oui, seulement quelques lignes - parce
qu'elles avaient la force de la loi, bouleversaient le destin de dizaines de
milliers d'hommes et de femmes, des mots enfin brisaient des fers !
Ils étaient des esclaves, ils deviennent libres. Ils étaient sans droits, ils
deviennent juridiquement égaux à leurs maîtres. C'était il y a cent cinquante
ans, seulement cent cinquante ans !
Oui, grâce à ce décret, le 27 avril 1848 est une date majeure dans l'histoire
de notre pays tant il est rare qu'un acte politique apporte la preuve qu'entre
les mains du législateur le droit est une arme qui affranchit, qui garantit,
qui protège.
De tels actes politiques gravés dans les tables de la loi ne marquent-ils pas
la vertu de la norme et la vocation du Parlement ? Aujourd'hui même, dans cette
enceinte, si nous suspendons un instant - sur votre initiative, monsieur le
président - notre travail habituel pour saluer une date, n'est-ce pas pour que
le souvenir éclaire le sens de notre mission de législateur ? Celle-ci ne nous
apparaît-elle pas plus clairement dans sa grandeur et dans sa responsabilité
?
1848 symbolise une victoire éclatante dans un combat de tous les temps, un
combat sans fin, le combat contre la servitude pour la dignité dans l'égalité,
où, premiers parmi d'autres, trois sénateurs se sont illustrés d'une manière
exceptionnelle.
Le Sénat de la République a de solides raisons de célébrer cet
anniversaire.
Son message, le message de la loi qui libère, le message de l'actualité
permanente du combat pour la dignité, le message des valeurs de la République,
c'est celui, mes chers collègues, que le bureau du Sénat et le comité de
parrainage voudraient faire partager au-delà de cette enceinte, non par
instinct conservateur de la mémoire ou par instinct médiatique transitoire,
mais par volonté de continuer à être, ensemble, dans nos différences, des
semeurs de liberté.
Certes, ce combat n'a pas commencé un jour d'avril 1848.
En 1788, Brissot fonde la Société des amis des Noirs. Condorcet, Mirabeau, La
Fayette, Robespierre, y participeront, tout comme l'abbé Grégoire, futur
sénateur.
L'abbé Grégoire, notre collègue Pierre Fauchon l'évoquera avec science et
passion. Cet homme d'église courageux puise dans l'Evangile la force de sa
conviction. « Dieu crée tous les hommes à son image. » Et, par là même, Il leur
donne pour premiers droits l'égalité et la dignité. Pour Grégoire, il n'y a ni
doute, ni conformisme, ni compromis.
Malgré toutes les oppositions, Grégoire plaide et convainc, et la Convention
vote l'abolition le 4 février 1794. Ainsi, premier pays abolitionniste, la
France est aux avant-postes de la liberté.
Hélas, nous le savons, l'affranchissement ne durera que huit ans. Bonaparte,
premier consul, sensible aux pressions du parti colonial et peut-être à
l'influence de Joséphine, commet une de ses erreurs majeures : en 1802, il
rétablit la traite et l'esclavage dans leur état antérieur à 1789.
Ainsi, tout comme l'édit de Nantes, la décision de la Convention fut donc
rapportée. Quelles leçons à méditer ! Rien n'est donc irréversible. Nul progrès
n'est acquis. Nulle conquête n'est assurée. Il n'est pas de liberté acquise
sans risque de retour !
Oui, le sinistre « code noir » s'impose de nouveau aux colonies en 1802.
Mais, alors, les Antilles se soulèvent, Haïti s'enflamme. Toussaint
Louverture, général français, est le premier homme politique noir. Bonaparte ne
perçoit pas cette énergie du désespoir. Il pense briser les esclaves, les
esclaves briseront alors eux-mêmes leurs chaînes : en 1804, les noirs,
victorieux, proclament l'indépendance. La France perd ainsi Haïti et une partie
de ce qui sera la République dominicaine.
Grégoire, sénateur en 1802, sera l'un des rares à tenir tête à l'empereur.
Impressionné par ce caractère, Napoléon lui rendra hommage dans le
Mémorial
.
Mais le vrai hommage à l'abbé Grégoire, bien plus émouvant celui-là, viendra
du peuple : à la mort de Grégoire, c'est tout Haïti qui prendra le deuil.
Par malheur donc, durant un demi-siècle, l'esclavage sévira encore sur des
terres françaises ; il sévira comme un attentat permanent à la dignité des
hommes et aux valeurs de 1789.
Mais d'autres abolitionnistes se lèvent.
Victor Schoelcher est le continuateur, Victor Schoelcher, ici même représenté
en effigie sur le pupitre du président du groupe du Rassemblement démocratique
et social européen.
Schoelcher a Grégoire pour modèle. Il en a d'ailleurs le caractère
indomptable. Ainsi, il écrit à son ami Legouvé : « J'ai toujours dit que la
résignation est une vertu d'invalide. »
La gloire de Schoelcher est assurément ce décret du 27 avril 1848, qui
abolissait l'esclavage.
Mais ce décret est aussi une des gloires, avec le rétablissement du suffrage
universel, de la IIe République, qui, à peine née, reprenait le flambeau de la
Ire République, faisant de la liberté des esclaves une de ses priorités. Là
aussi, l'histoire nous le confirme : « En France, c'est la République qui
libère et l'autoritarisme qui asservit. » On ne le dit sans doute pas assez.
Ce que l'on ne dit pas assez non plus, c'est que Schoelcher ne jugeait pas
qu'il avait par là terminé sa tâche.
Instruit par ses enquêtes sur place, en homme de terrain, il a compris que
l'affranchissement n'était que la première phase de l'entreprise. La question
juridique des droits une fois réglée, il faut maintenant veiller à l'économie :
il faut soutenir le développement des colonies, indemniser les planteurs,
assurer la subsistance des esclaves libérés. L'abolition serait sans portée si
des mesures complémentaires n'étaient pas prises, telles que donner des terres
aux affranchis, créer des emplois, organiser la continuité de la production
agricole.
Malgré les plaidoyers lucides de Schoelcher, cette part capitale de son
programme restera lettre morte. Là encore, il y a matière à alimenter nos
réflexions de législateur.
Décembre 1851 : Louis-Napoléon Bonaparte. Schoelcher, républicain convaincu,
affronte l'exil, comme Hugo ! Il ne regagne la patrie que dans la tourmente de
1870.
Elu sénateur inamovible en 1875, il continue le combat pour défendre les
droits des hommes d'outre-mer, l'égalité civique des femmes, l'abolition de la
peine de mort, mais aussi les droits des minorités opprimées partout dans le
monde.
Alors, aujourd'hui, honorer dans cette enceinte la mémoire de Grégoire et de
Schoelcher n'est que justice. Tous deux sont exemplaires, au même titre que ces
grands serviteurs de l'Etat dont l'effigie de marbre domine nos débats et guide
notre inspiration.
Ce devoir de mémoire accompli, je me pose simplement la question suivante : de
quels hommes et femmes la France aurait-elle été privée si le racisme l'avait
emporté ? Combien de femmes et d'hommes de couleur, fils et filles d'outre-mer,
manqueraient à notre histoire, à notre grande histoire ?
Je n'entends pas distinguer ceux d'outre-mer pour les séparer des autres. Ce
serait succomber à une forme de racisme à rebours.
Je veux seulement rendre attentif à un phénomène remarquable, dont je m'étonne
qu'il soit trop peu remarqué : nos concitoyens d'outre-mer présentent une
qualité originale et, je vais le dire, une spécificité supérieure qui leur est
propre.
Depuis deux siècles, des hommes et des femmes de couleur, esclaves ou
affranchis, tels Delgrès, Ignace, la mulâtresse Solitude, Ogé ou Eboué, nous
donnent des exemples de vertu républicaine que nous avons le devoir d'enseigner
à nos enfants, à tous les enfants de France, en cessant de les gommer de nos
programmes scolaires.
Je m'explique.
Tout d'abord, le patriotisme de ces hommes me paraît bien moins
instinctivement attaché au territoire, à la terre, que celui des
métropolitains.
Quand le patriote vole au secours de la patrie, c'est tout d'abord pour sauver
la terre, sa terre, la terre des pères, cultivée par les pères, transmise par
les pères. Mais outre-mer, l'image traditionnelle du paysan qui, se levant du
sillon, brandit sa fourche et défend son bien contre l'envahisseur est dénuée
de sens. La terre patrimoniale, quelle est-elle pour lui ? Sûrement pas la
lointaine Afrique, où les ancêtres furent capturés, voire vendus par d'autres
Africains, eux-mêmes esclavagistes ; pas davantage la terre de la plantation
qui les a connus enchaînés à la canne. Pour ces « déracinés », le sol sacré,
c'est la France, patrie de la République émancipatrice.
Oui, républicains, ils le sont farouchement. Leurs ancêtres, lorsqu'ils se
révoltent en Haïti, en Martinique, en Guadeloupe, contre la France
institutionnelle, se réclament des principes de 1789. Ils invoquent la
République qui les libéra en 1794. Ils prennent les armes au nom de ses valeurs
et de ses idéaux : liberté, égalité, fraternité. Oui, plus qu'un territoire,
leur patrie est la République.
Aussi, depuis, quand la République est attaquée, ils mettent tout leur coeur à
la défendre.
Un autre trait les marque : l'esprit de résistance, qui les anime par nature.
Jamais leurs ancêtres captifs n'ont accepté leurs chaînes. Jamais ils ne se
sont résignés à leur sort : fuites et révoltes, « nègres marrons », n'ont
jamais cessé. Chants, danses et rituels, n'étaient-ils pas déjà, dans leur
solidarité et leur expression, une émancipation virtuelle ?
Voilà pourquoi tant de ces hommes viendront combattre sur le sol métropolitain
dans les tranchées de la Grande Guerre, et que plus tard, avec Leclerc ils
prendront part à la reconquête de la terre de France.
Descendants d'esclaves libérés, ils se veulent eux-mêmes libérateurs. Egaux
par le droit, ils versent eux aussi l'impôt du sang.
Un autre trait me paraît caractériser la mentalité des filles et des fils
d'outre-mer. Nés sur un territoire éloigné de la République, ces Français
pensent à l'échelle du monde. Cette capacité n'a-t-elle pas manqué à bien des
métropolitains, et même à d'illustres chefs de guerre ?
L'année 1940 dans son drame n'en apporte-t-elle pas le témoignage ?
Le maréchal Pétain est un rural, un homme de la glèbe. Dans la tourmente de la
défaite, quitter le territoire métropolitain, pour lui, ce serait trahir. Que
la raison d'Etat commande d'emmener le Gouvernement - et la flotte - à Londres
ou à Alger, Pétain n'y pense même pas. Sa vision est restreinte, enfermée
qu'elle est dans l'Hexagone, sur la terre de l'Hexagone. Il lui manque une idée
stratégique capitale : en 1940, seule la dimension de l'empire est à la
dimension du conflit que, lui, n'a pas perçu comme mondial.
Le général de Gaulle, lui, ne se trompe pas. Il appréhende l'échelle
pertinente. Si la France est vaincue à Verdun, elle résiste à Alger, elle peut
être invincible à Dakar ou à Fort-Lamy.
Eh bien, « cette hauteur de vue, je dirai qu'elle est naturelle aux fils
d'outre-mer, qui ont une lucidité par nature géopolitique.
Tous ces traits que j'ai relevés - l'esprit de résistance, la vision de
dimension planétaire, l'exaltation des valeurs républicaines - rapprochez-les,
associez-les, vous reconstituez la psychologie, le style de réaction politique
d'un Félix Eboué, et peut-être tenons-nous là la clé de sa personnalité.
Il n'est donc pas étonnant que le gouverneur Eboué soit le premier « outre-mer
» à se rallier au général de Gaulle. Il mesure tout de suite l'enjeu ; il juge
Vichy ; il consulte les cartes ; il pressent d'où viendra la victoire. Grâce à
lui, la reconquête de la France partira d'une terre française. « Félix Eboué a
coupé court à l'esprit de capitulation », ainsi lui rendait hommage le général
de Gaulle, le 18 mai 1944.
De Gaston Monnerville - monsieur le président, vous allez, tout à l'heure,
dévoiler une médaille à l'effigie de votre prédécesseur, je dirai simplement
quelques mots, en saluant ici les membres de la Société de ses amis, notre
ancien collègue, Roger Lise et Gabriel Lizette.
Tout d'abord, je le citerai : « Le fils d'outre-mer que je suis doit tout à la
République. C'est elle qui, dans ma Guyane natale, est venue m'apporter la
dignité et la culture ; c'est elle qui m'a tout appris et qui a fait de moi ce
que je suis. »
1939-1940 : comme Eboué, Monnerville répondra présent. Pas plus que pour
Eboué, il n'est question d'aller défendre une terre natale. Ni la Guyane ni la
Guadeloupe ne sont occupées par l'Allemagne. Non, tous deux défendent la
France, patrie républicaine. L'un comme l'autre ont une même conviction : «
L'Empire seul peut sauver la France. »
Mais avril 1848 nous a apporté plus encore que l'élan de l'outre-mer : il a
contribué à forger le miroir de notre identité nationale et à ciseler les
traits du visage de celle que le général de Gaulle, comme Péguy, appelait
parfois « Notre-Dame la France ».
En effet, comment ne pas voir dans la réalité du métissage apaisé et partagé,
dans la rencontre entre anciens maîtres et esclaves libérés au sein de la même
citoyenneté, de la même nation, l'un des fondements caractéristiques de notre
pacte national ? Comment ne pas entendre comme un écho assourdi du décret «
Schoelcher » le choix du droit du sol comme pierre angulaire de notre code de
la nationalité ?
Non, l'action de Schoelcher nous le rappelle, notre nation n'est pas
construite sur une conception raciale illusoire. Elle ne peut pas non plus,
nous venons de le rappeler, se réduire à une vision métropolitaine du
territoire. Dans la France républicaine, l'idée nationale est d'abord un idéal
partagé de valeurs sur lesquelles on ne transige pas et où les droits de
l'homme occupent une place centrale, tout comme les devoirs des citoyens. Mais
ces valeurs, si elles sont ouvertes à la diversité, excluent tout à la fois le
communautarisme et le tribalisme. Oui, la citoyenneté républicaine, c'est
essentiel.
Voilà sans doute l'un des enseignements les plus brûlants d'actualité que le
décret de 1848 nous amène aujourd'hui à méditer.
Clemenceau proclamait à la tribune de la Chambre en novembre 1918 : « La
France, hier soldat de Dieu, aujourd'hui soldat de la Liberté, sera toujours
soldat de l'Idéal. » Mais l'hommage solennel que nous rendons aujourd'hui à la
mémoire des grands combattants de l'Idéal n'épuise pas notre tâche. Si le
devoir de mémoire s'impose, comme le disait, la semaine passée, le Président de
la République, c'est qu'il nous rappelle l'impératif de la vigilance.
Si l'esclavage est aboli en France, il subsiste encore dans nombre de pays,
sous des formes renouvelées, insidieuses, souvent clandestines, mais tout aussi
hideuses.
Ici, ce sera un contrat qui lie pour trente ans un travailleur à l'employeur,
ou l'enchaînement de générations à la dette. Dans d'autres régions, ce sont des
enfants jetés à la rue, qui, pour survivre, passent de la mendicité à la
prostitution, quand ils ne sont pas directement vendus aux proxénètes.
Ailleurs, ce sont des femmes... Sans compter les pays où l'esclavage «
classique », si j'ose dire, est une tradition qui continue à être pratiquée à
l'abri des regards.
Les droits de l'homme sont bafoués chaque jour dans le monde !
Il est dans les missions de la France de rappeler haut et fort le caractère
imprescriptible de ces droits, ce qui peut ne pas aller sans difficultés dans
les relations internationales. Mais la République ne peut transiger avec ces
droits, pas plus qu'avec ses propres valeurs.
Mes chers collègues, l'émancipation sera toujours un combat. C'est l'honneur
de notre pays, c'est l'honneur de l'esprit républicain d'y être aux
avant-postes, tout comme c'est l'honneur du Sénat, et tout particulièrement du
Sénat de la République, qui fait aujourd'hui des libertés le socle de son
action, d'avoir compté hier parmi ses membres bien des héros de cette
libération. « République veut dire libération. On ne pourrait pas plus
comprendre qu'ils ne fussent pas républicains qu'on ne peut comprendre qu'un
fils ne respecte pas sa mère. » Ainsi s'exprimait Victor Schoelcher parlant des
Français créoles des Antilles.
Alors, mes chers collègues, de l'escalier des esclaves de Petit Canal au Fort
Saint-Charles, de la forêt de Guyane aux sables du Tchad, d'une Bastille de
juillet 1789 à Valmy, d'un clairon du 11 novembre 1918 à un
Te Deum
à
Notre-Dame en août 1944 ou à un drapeau tricolore flottant sur Strasbourg, il y
a, en partage, les mêmes stigmates des combats pour la liberté. Ce sont sur eux
que se forgent sans cesse nos valeurs républicaines.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme Michaux-Chevry.
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en
montant à cette tribune pour m'adresser à vous, je ne puis m'empêcher d'avoir
une pensée émue et de profonde tristesse pour tous ceux des nôtres, des miens,
qui vécurent cette tragédie dont nous commémorons aujourd'hui, cent cinquante
ans après, l'abolition.
Oui, en cet instant précis, je pense, comme l'a dit Aimé Césaire, « à ceux qui
n'ont exploré ni les mers ni le ciel... à ceux qui n'ont connu des voyages que
le déracinement... à ceux que l'on domestiqua. »
Oui, je pense à ceux qui payèrent, en monnaie de chair, une lourde
contribution à la folie humaine. Si le crime contre l'humanité est, comme l'a
rappelé un témoin lors du procès de Klaus Barbie, « le meurtre de quelqu'un
sous le seul prétexte qu'il est né », alors, l'esclavage est le plus grand
crime contre l'humanité.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Oui, ce fut un gigantesque et effroyable acte de barbarie commis contre
des femmes, des enfants et des hommes, que l'on s'employa méthodiquement à
déshumaniser, avant d'en extraire toute la substance au profit d'un
mercantilisme sans âme et sans retenue aucune.
Mes pensées vont également à toutes celles et à tous ceux d'ici et de là-bas
qui se sont dressés dans cette longue nuit tragique pour dire, au nom des
valeurs humaines, non à l'indicible forfait.
Nous devons rendre un hommage particulier à Victor Schoelcher, qui a su voir,
entendre et mesurer la douleur de ces êtres déchirés, soutenir leur révolte,
justifier leur insurrection.
Le nom de Victor Schoelcher s'identifie à l'émancipation des esclaves dans les
colonies françaises et est l'un de ceux qui, en outre-mer, émergent de l'oubli
organisé pour ignorer ce triste passé.
Vous me permettrez enfin de voir dans cette commémoration un signe et une
volonté : un signe à l'attention des populations issues de l'esclavage, qui
attendaient avec beaucoup d'impatience la reconnaissance de ce drame dans tout
son aspect tragique ; une volonté, celle du Gouvernement, de contribuer à ce
que s'inscrive dans la mémoire de chaque citoyen le souvenir d'un traitement de
l'individu qui doit être à tout jamais banni de la civilisation des hommes.
Si nous célébrons aujourd'hui le cent-cinquantenaire de l'abolition de
l'esclavage, les mécanismes qui ont engendré ces événements tragiques remontent
à bien plus longtemps, en fait à l'Antiquité.
En effet, les Egyptiens eurent l'idée d'établir un trafic fructueux entre le
golfe Persique et la côte occidentale de l'Inde. En 622, les tribus de l'Arabie
saoudite firent commerce dans leurs bagages avec, non seulement des articles de
la foi coranique, mais aussi de la soie et... des esclaves.
A la fin du xve siècle, Christophe Colomb va ouvrir au monde occidental
l'accès au monde américain. Dès lors, les Européens comprirent la nécessité non
seulement de contrôler les routes maritimes, mais aussi d'exploiter les terres
conquises, d'où le besoin en main-d'oeuvre.
Les Pays-Bas créèrent la Compagnie hollandaise des Indes. La France expédia
500 hommes, à la tête desquels L'Olive et Duplessis, qui débarquèrent en
Guadeloupe le 28 juin 1635.
Mais, monsieur le secrétaire d'Etat, ne l'oubliez jamais, c'est l'introduction
de la culture de la canne à sucre qui donna le véritable signal de départ de la
« traite des noirs ». C'est ainsi que des millions d'hommes furent arrachés de
force à leur terre d'Afrique, déportés dans le Nouveau Monde pour y être
exploités, humiliés et rayés de la race humaine. Les récits historiques ne
manquent pas sur le déroulement de ce commerce humain.
Je rappellerai simplement ce qu'écrivait le révérend père du Tertre du
cérémonial de la vente des noirs : au son des cloches, après examen de la
marchandise, le marché conclu, les hommes étaient marqués au fer rouge de façon
indélébile.
La France va être la première puissance coloniale à codifier l'esclavage des
Noirs.
Le « code noir », en effet, avec l'aridité qui convient à la rédaction des
lois, règle la vie et la mort de ceux qui ne connaissent pas d'existence. En
quelques articles, il fixe le sort tragique de millions d'hommes, de femmes et
d'enfants dont le destin est le néant.
L'esclave n'a pas d'existence.
La Déclaration des droits de l'homme ne le concerne pas. Sa vie, sa destinée,
sont fixées dans les dispositions de l'article 44 du code noir, qui dispose : «
Déclarons les esclaves être des meubles et, comme tels, entrer dans la
communauté. »
L'article 12 décide du sort des enfants.
La dignité, la liberté, sont des mots bannis pour l'esclave, car toute
tentative de fuite est sanctionnée, selon l'article 38, par la mutilation ou la
mort.
Mais l'esclave, mes chers collègues, n'accepte pas sa condition ; il n'accepte
pas son sort. C'est ce que vont découvrir et Grégoire et Schoelcher.
Les esclaves se révoltent. Ils s'enfuient. Ce sont les « nègres marrons »,
vivant dans la clandestinité, qui organisent la révolte, l'insurrection, la
résistance.
Heureusement, pour ces êtres humains confrontés à cette logique criminelle
fondée sur la haine raciale, en 1789, éclate la Révolution, et, en 1794,
l'esclavage est aboli.
C'était sans compter, hélas ! avec les pouvoirs et la ténacité des colons.
Malgré la résistance, incarnée en Guadeloupe notamment par Louis Delgrès, qui
préféra, mes chers collègues, périr dans la dignité avec ses hommes plutôt que
d'accepter l'inacceptable, l'esclavage fut rétabli.
« C'est dans les plus beaux jours un siècle à jamais célèbre par le triomphe
des Lumières et de la philosophie, qu'une classe d'infortunés qu'on veut
anéantir se voit obligée d'élever la voix vers la postérité pour lui faire
connaître son innocence et ses malheurs ». Telles furent les dernières paroles
que prononça Delgrès avant de se donner la mort avec ses hommes.
Ces paroles sont à tout jamais inscrites dans les esprits. Dans les îles comme
en métropole, des hommes indignés par ces violations insupportables des droits
de la personne humaine entreprirent de protester.
Je voudrais à ce stade de mon propos saluer la mémoire de l'un d'entre eux,
Victor Schoelcher, parti faire du commerce dans les îles au nom de son père et
dont l'action fut déterminante pour l'abolition définitive de l'esclavage sur
toutes les terres de France, le 27 avril 1848, soit deux années après la
création de la société protectrice des animaux.
Sur les terres où s'est déroulée cette douloureuse histoire, des commuautés se
sont forgées - je parle particulièrement au nom de celles de l'archipel
guadeloupéen. De nos origines européennes, africaines et caribéennes, de ces
racines éparses qui ont fusionné parfois dans le sang, nous avons su tirer une
synthèse, nous avons fait une communauté volontaire, tournée vers l'avenir.
Nous ne devons rien ignorer de notre passé douloureux, mais nous ne devons pas
non plus demeurer accrochés à lui. Nous sommes différents, mais nous
revendiquons cette différence, source d'enrichissement pour la nation
entière.
La France ne peut se contenter d'un devoir de mémoire. Le moment est venu
d'impulser à l'espace géographique historique français sa vraie dimension et
non de persister dans cette vision restrictive limitée à l'hexagone et à la
Corse. La France, c'est beaucoup plus !
Le moment est aussi venu d'en finir avec toutes les attitudes de paternalisme
généreux, trop évocateur de domination.
La France ne peut se satisfaire d'une commémoration sans jeter sur les
sociétés d'outre-mer un regard lucide. La République ne serait pas fidèle à ses
valeurs si elle continuait à accepter que des communautés qui ont été aussi
durement frappées par l'histoire restent confinées dans le sous-développement
et l'exclusion sociale.
La célébration de ce cent-cinquantenaire doit être le point de départ de
rapports d'un type nouveau avec la métropole et l'Union européenne.
Plus que toute autre chose, il nous importe d'être reconnus pour ce que nous
sommes : des citoyens majeurs qui ne quémandent pas, mais ne réclament que leur
place, mais toute leur place, dans la maison commune, des citoyens qui ont
besoin, pour surmonter les stigmates de cette histoire tragique et que les mots
liberté, égalité et fraternité prennent tout leur sens.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, on
ne peut arrêter sérieusement son esprit sur l'esclavage tel que l'ont connu les
Temps modernes sans éprouver un sentiment d'effroi, effroi devant l'homme livré
par ses propres frères, il faut bien le dire, arraché à sa famille, à son pays,
effroi du voyage, de la mise à l'encan, du travail forcé, de ses rigueurs,
l'angoisse de l'évasion et de ses suites, l'angoisse du vide, de la solitude,
de la nuit. C'est d'abord l'esclavage qui est une abolition !
Une civilisation telle que la nôtre, nourrie de l'Evangile et de l'humanisme
des Lumières, a-t-elle pu laisser un si petit nombre des siens profiter des
règlements de comptes africains pour mettre ainsi en coupe réglée la race
noire, pour son avantage personnel et le profit de quelques financiers ?
Nous sommes cependant mal placés pour juger, nous, hommes du xxe siècle, dès
lors que cette même civilisation - tout à fait la nôtre cette fois - a pu, un
siècle plus tard et beaucoup plus massivement, pousser à l'extrême, sous
diverses longitudes et sous divers drapeaux, non plus l'asservissement
profitable, mais le martyre gratuit de l'homme par l'homme.
Notre xxe siècle n'a guère de leçons à donner. Nos esprits délicats et
volontiers oublieux doivent plutôt mesurer l'ambiguïté et la fragilité de ce
qu'il est convenu d'appeler le progrès de l'humanité.
Il importe donc de sacrifier au souvenir, puisque c'est le seul moyen de ne
pas oublier. Pour autant, il nous faut dépasser les incantations verbales, un
peu faciles peut-être, pour prêter une oreille attentive à ceux qui ont été la
voix de la conscience humaine, à ces quelques voix bien peu nombreuses et déjà
lointaines qui ont traversé le temps pour atteindre notre propre conscience
comme autant de flèches porteuses de mémoire pour le passé et d'exigence pour
le présent. Telle est la démarche du Sénat, et, ai-je besoin de le dire ? le
groupe de l'Union centriste s'y associe pleinement.
Victor Schoelcher est au premier rang de nos grands témoins, par la dignité,
par l'intelligence, par le désintéressement et l'authenticité de son combat,
plus encore peut-être que par les circonstances historiques qui lui ont permis
de formaliser la décision de 1848 que nous célébrons aujourd'hui.
Il relaie ainsi et fait aboutir l'impulsion donnée dès le début de la
Révolution par les Brissot, Condorcet, Raynal, Robespierre et Grégoire,
agissant au sein de la société des amis des Noirs, d'abord pour la
reconnaissance de leurs droits civiques, ensuite pour l'abolition de
l'esclavage, fugitivement proclamée en 1794 et révoquée par le Consulat
quelques années plus tard.
De ces précurseurs, Grégoire est le seul qui ait pu rencontrer Schoelcher,
celui-ci étant né après la mort de tous les autres.
Lorsque, en 1829, Schoelcher, après un voyage effectué aux Caraïbes, dénonce
ces Américains « qui ne vivent et n'entretiennent leur luxe qu'avec un trafic
de nègres aussi singulier que rebutant », Grégoire vit et agit dans un Paris
qui prépare alors la révolution de 1830. Il mourra en 1832. Se sont-ils
rencontrés ? Je n'en ai nulle preuve, mais il est permis de le supposer étant
donné l'activité de Schoelcher et l'immense réputation de Grégoire, qui
apparaissait à l'époque dans tous les milieux libéraux comme le porte-parole de
cet esprit d'émancipation des noirs.
Depuis son premier mémoire en 1789, intitulé
En faveur des gens de couleur
et de sang mêlé
- alors que jeune curé de campagne il arrive de sa
Lorraine lointaine où l'on ignorait complètement ces problèmes - jusqu'à la
publication vers la fin de sa vie d'un livre sur la « littérature des nègres »
en 1808 et d'un autre sur la « noblesse de la peau » en 1826, la vie de
Grégoire est jalonnée d'écrits, de correspondances - avec Jefferson notamment -
d'initiatives concrètes en faveur des noirs, non seulement de leur libération
formelle, mais plus encore de leur affranchissement moral, culturel,
religieux.
Se sont-ils rencontrés ? Je n'en sais rien. Mais ce qui est certain, c'est
qu'une circonstance les réunit, celle créée par Grégoire, qui institue par son
testament un concours sur le thème : « Quels seraient les moyens d'extirper le
préjugé injuste et barbare des blancs contre la couleur des Africains et des
sangs mêlés ? »
Le jeune Schoelcher composa deux fois sur ce sujet de concours : une première
fois en 1833, après son premier voyage aux Antilles, auquel il a été fait
allusion tout à l'heure, une seconde fois en 1840.
Ainsi, le relais passe entre le modeste curé de campagne, pour qui les droits
de l'homme procèdent directement de la fraternité évangélique, et le grand
bourgeois parisien, franc-maçon, pénétré des « lumières » de la droite
raison.
Ainsi s'offre tout naturellement à notre esprit un parallèle entre Schoelcher
et Grégoire, que tout sépare en apparence, mais que les plus grandes causes
unissent dans notre histoire dans un style commun fait de rigueur, d'austérité
- l'austérité des républicains de la grande époque - et d'indifférence aux
ambitions carriéristes, au prix, volontairement consenti, de la solitude, d'une
certaine incompréhension, sinon d'une sourde hostilité, qui sont la récompense
ordinaire de tels mérites parmi les hommes.
Trois de ces combats nous intéressent particulièrement.
Le premier, c'est celui de la lutte pour l'émancipation des noirs. Je viens
d'en parler ; je n'y reviens donc pas.
La deuxième, c'est aussi une abolition : celle de la peine de mort. Grégoire
la demandait dès le début de la Convention, en 1792, à l'occasion du procès de
Louis XVI, ce qui lui épargna de figurer au nombre des régicides, en dépit de
ce que ses détracteurs tentèrent de faire croire lors de la Restauration.
Schoelcher devait adopter la même position dès 1851, en publiant deux
brochures sur l'abolition de la peine de mort, puis en 1873, au Sénat où il
tenta en vain de convaincre ses propres amis politiques.
Le troisième combat est d'une portée plus générale, et peut-être plus actuelle
: c'est la résistance à l'autoritarisme, qui s'incarnait pour eux dans le
régime impérial, le Premier Empire pour Grégoire, le Second pour Schoelcher.
Sous le Premier Empire, Napoléon dut se résoudre à laisser le Sénat coopter
Grégoire, le Corps législatif ne se lassant pas de le proposer. Il savait à
quoi s'en tenir sur la fermeté des convictions de ce nouveau sénateur, moins
docile que la plupart des autres, le président Sieyès en tête, car il s'y était
heurté en maintes occasions, en particulier lors du Concordat ou du
rétablissement de l'esclavage, précisément.
Il se souvenait aussi de Grégoire bravant la Convention dans la défense de son
sacerdoce, au plus fort de la Terreur. On en trouve le témoignage dans le
Mémorial de Sainte-Hélène.
Grégoire sénateur fut en effet fidèle à lui-même - et presque lui seul, il
faut bien le reconnaître - en désapprouvant expressément les excès du régime :
l'empire héréditaire en 1804, la reconstitution d'une noblesse en 1808, le
divorce impérial l'année suivante, les conscriptions, l'annexion des Etats
pontificaux et la création de juridictions d'exception.
Un demi-siècle plus tard, face au prince-président, le neveu, Schoelcher
montrera, d'une autre façon, la même fermeté. Insurgé contre le coup d'Etat de
1852, il doit s'exiler, comme Victor Hugo, mais après avoir manqué de peu de
perdre la vie sur une barricade ! Comme Victor Hugo aussi, il refusera
hautement de solliciter l'autorisation d'un retour, attendant la fin du régime
pour retrouver sa patrie et prendre sa place au Sénat de la République - en
qualité de sénateur inamovible - aux côtés de Scheurer-Kestner - autre
inamovible - son vieil ami, qui devait à son tour prendre le relais de la
défense des droits de l'homme dans l'affaire Dreyfus.
Abolition de l'esclavage, abolition de la peine de mort, résistance à
l'autoritarisme, tels sont les grands combats qui montrent que la République a,
elle aussi, ses héros, dont nous pouvons être fiers.
Nous le pouvons d'autant plus que ceux-ci ont appartenu à notre assemblée et
qu'à travers eux c'est la mission de contre-pouvoir du Sénat qui s'affirme,
mission essentielle dans toute démocratie digne de ce nom, oserai-je dire dans
toute démocratie « normale ».
Puissent leur exemple et leurs leçons demeurer vivants parmi nous, au-delà de
cette journée, comme des témoins de nos combats passés et comme des lumières
pour ceux du présent et de l'avenir.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il
est tout à fait légitime que le Sénat marque par une séance solennelle le cent
cinquantième anniversaire de l'abolition de l'esclavage puisque l'homme qui
obtint cet acte de justice et en rédigea lui-même plusieurs articles, Victor
Schoelcher, siégea par la suite dans notre assemblée : sa place est marquée
dans notre hémicycle, comme elle l'est dans nos coeurs et dans la
reconnaissance que lui doit la nation.
Cet acte de justice si longtemps attendu fut promulgué par le premier
gouvernement de la IIe République. C'est le décret du 27 avril 1848, et son
texte est si beau, si clair dans la brièveté de ses neuf articles, qu'il mérite
qu'on en entende au moins le début dans cette enceinte :
« Au nom du peuple français,
« Le Gouvernement provisoire,
« Considérant que l'esclavage est un attentat contre la dignité humaine ;
« Qu'en détruisant le libre arbitre de l'homme, il supprime le principe
naturel du droit et du devoir ;
« Qu'il est une violation flagrante du dogme républicain : liberté, égalité,
fraternité...
« Décrète :
« Art. 1er. - L'esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et
possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans
chacune d'elles. A partir de cette promulgation, tout châtiment corporel, toute
vente de personnes non libres, seront absolument interdits. »
Il ne faut pas croire que ce décret reflétait des opinions partisanes, qu'il
marquait le succès d'une opinion sur une autre, bref, qu'il s'agissait d'un
différend franco-français enfin tranché. Ramener ce geste d'humanité à de
prétendues analogies avec aujourd'hui serait faire injure à l'idéal
d'universalité qui animait les hommes de 1848 et ignorer que la fin d'un mal
qui tourmentait depuis longtemps les consciences européennes fut très vite
unanimement approuvée en France comme dans les colonies et que, depuis, il n'a
jamais été remis en question.
L'esclavage avait existé de tous temps. Si loin que l'on remonte dans
l'histoire, on trouve la servitude établie dans l'organisation sociale. Les
plus grands penseurs de l'Antiquité en témoignent : Platon, Aristote, ne
concevaient pas une cité privée d'esclaves ; Cicéron l'admettait comme un fait
naturel, nécessaire. C'est le christianisme qui, à partir du Ve siècle,
l'élimina de l'Occident, mais pas d'autres régions du monde.
On sait dans quelles conditions cette pratique odieuse, hélas ! réapparut dans
notre sphère mille ans plus tard, après la découverte du Nouveau Monde et le
besoin d'hommes pour son exploitation. Les Européens, au demeurant, n'eurent
pas à pénétrer en Afrique pour se les procurer : on venait offrir sur les
plages des centaines de malheureux, hommes, femmes et enfants, capturés dans
des razzias ou des guerres tribales, tandis que d'autres, d'ailleurs,
continuèrent à être dirigés vers les pays arabes ou d'autres régions.
Il est reconnu que nous n'avons pas, nous Français, à rougir particulièrement
car, dans nos colonies, les esclaves étaient - nul ne le nie - mieux traités
que dans les possessions espagnoles, portugaises, hollandaises ou anglaises. Le
« code noir », préparé par Colbert et édicté en 1685, leur accordait des droits
qui ne leur furent jamais consentis aux Etats-Unis, par exemple, avant la
guerre de Sécession, c'est-à-dire cent cinquante ans plus tard.
On sait ce que furent, au XVIIIe siècle, les opinions de Montesquieu et de
Rousseau - il n'est malheureusement guère possible de citer ici le nom de
Voltaire. Mais nul ne fit la critique de l'esclavage avec plus de véhémence que
l'abbé Raynal, ce jésuite aveyronnais dont
l'Histoire politique et
philosophique du commerce des Européens dans les deux Indes
, un véritable
brûlot, constitue une ardente plaidoirie pour l'abolition.
La Société des amis des Noirs, fondée par le futur girondin Brissot en 1788,
et à laquelle La Fayette, Mirabeau, La Rochefoucauld, Volney, Lavoisier,
Condorcet s'associent, travaille dans le même sens. Ils sont bientôt rejoints,
en 1789, par l'abbé Grégoire, auteur d'un
Mémoire en faveur des gens de
couleur de Saint-Domingue et des autres îles françaises d'Amérique.
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, dont
l'article Ier stipule expressément que « les hommes naissent et demeurent
libres et égaux en droits », constitue la reconnaissance légale du droit des
noirs à être libérés. Cependant, la Constituante n'osa pas aller si loin, de
crainte de sanglantes révoltes.
La Convention eut cette audace : le 4 février 1794, l'esclavage est aboli. A
ceux qui objectent que cette décision entraînera la ruine des colonies,
Robespierre répond : « Périssent les colonies plutôt qu'un principe ! »
M. François Autain.
Vive Robespierre !
M. Jacques Habert.
Pendant la Terreur, l'abbé Grégoire s'éloigne. Mais il n'est pas oublié : en
1801, avec l'aval du Premier consul, Bonaparte, il entre au Sénat, créé en
décembre 1799 par la Constitution de l'an VIII, dont il nous faudra bientôt
fêter le bicentenaire.
M. Emmanuel Hamel.
Bonne idée !
M. Jacques Habert.
Cependant, comme le montre l'excellent ouvrage de notre collègue Pierre
Fauchon, l'abbé Grégoire n'a plus aucun rapport avec le général, bientôt
empereur, lorsque celui-ci, en 1802, a la funeste idée de rétablir
l'esclavage.
La fin de l'ère napoléonienne donne à l'Europe une nouvelle conscience. Le
Congrès de Vienne, en 1815, condamne la traite des noirs. Suivant l'exemple de
l'Angleterre, une nouvelle Société pour l'abolition de l'esclavage est fondée
en 1834. Lamartine y siège, aux côtés des personnalités remarquables de la
Restauration, dont plusieurs pairs de France et de futurs membres de l'Académie
française, comme le duc de Broglie, Hippolyte Passy, Montalembert, Rémusat.
Tocqueville s'y joint au retour de son voyage en Amérique.
Dans de mémorables séances à la Chambre des députés, en 1835, 1836, 1838,
Lamartine plaide pour « l'émancipation entière, immédiate, universelle des
esclaves et de leurs familles, pour le présent et pour l'avenir ».
C'est alors qu'apparaît Victor Schoelcher.
Né à Paris en 1804, fils d'un riche fabriquant de porcelaine, « grand
bourgeois, dandy, autodidacte, collectionneur averti, critique d'art,
musicologue », comme le décrit sa biographe Nelly Schmidt, il utilise la vaste
fortune que lui a laissée son père pour voyager, observer, s'informer. Dans les
îles des Caraïbes - à Saint-Domingue, à Cuba, à la Jamaïque, à la Martinique, à
la Guadeloupe - comme au Mexique et dans le sud des Etats-Unis, il découvre,
cachée par des paysages paradisiaques, l'horreur de l'exploitation de l'homme
par l'homme. Il en revient anti-esclavagiste convaincu et militant. Il publie
des articles dans la
Revue de Paris,
puis plusieurs livres dénonçant les
affres du travail forcé.
Victor Schoelcher s'inscrit à la Société pour l'abolition de l'esclavage et y
travaille bénévolement. C'est là qu'il rencontre, en 1840, Alphonse de
Lamartine. La scène nous a été contée par notre ancienne collègue Janine
Alexandre-Debray, qui fut sénateur de Paris et siégea dans notre assemblée - au
groupe des non-inscrits, d'ailleurs - pendant un an, de 1976 à 1977. Elle
signa, en 1989, un excellent livre intitulé
Victor Schoelcher ou la Mystique
d'un athée,
dans lequel elle raconte que Lamartine, très impressionné par
le travail de Schoelcher, vint à lui la main tendue et lui dit : « Monsieur,
nous ne vous remercions pas : Dieu seul peut récompenser de tels dévouements. »
Schoelcher lui prit la main, mais lui répondit froidement : « Dieu, monsieur,
je n'y crois pas ! » Un peu interloqué, le député poète se retira en se
demandant, en bon croyant, « comment un homme si profondément charitable et bon
pouvait tirer tant de vertus de lui-même seulement et non pas de la foi en un
être supérieur ».
Mais l'idée de l'émancipation progresse dans l'opinion, comme au gouvernement.
En 1846, Louis-Philippe signe trois ordonnances apportant de sensibles
améliorations à la vie des noirs ; en juillet, il affranchit tous les esclaves
des domaines royaux à la Martinique et à la Guadeloupe.
En 1847, Schoelcher rassemble ses articles dans un ouvrage virulent, qu'il
intitule
Histoire de l'esclavage,
puis part pour le Sénégal. Il en
revient en 1848 : la République est proclamée !
Plusieurs des onze membres du nouveau gouvernement sont des amis de
Schoelcher.
C'est d'abord Lamartine, ce grand tribun qui a le courage, le 25 février, de
faire face aux émeutiers brandissant des drapeaux rouges et de leur lancer
l'apostrophe célèbre : « Votre drapeau rouge n'a jamais fait que le tour du
Champ-de-Mars, traîné dans le sang du peuple ; le drapeau tricolore a fait le
tour du monde, avec le nom, la gloire et la liberté de la patrie. »
On remarque aussi François Arago, le savant astronome, nommé ministre de la
marine et des colonies, un peu éberlué, comme la plupart de ses collègues, de
se trouver soudain dans un poste d'où il peut doter le pays des utopies dont il
peuplait ses rêves. C'est lui qui appelle Victor Schoelcher.
Celui-ci arrive le 3 mars. Il propose qu'une commission soit immédiatement
constituée. Lui-même est chargé de rédiger le décret :
« Le gouvernement provisoire de la République,
« Considérant que nulle terre française ne peut plus porter d'esclaves,
« Décrète :
« Une commission est instituée auprès du ministre provisoire de la Marine et
des Colonies pour préparer dans le plus bref délai l'acte d'émancipation
immédiate dans toutes les colonies de la République. »
Le 4 mars, tous les membres du gouvernement provisoire signent ce texte. Le 5
mars, « le citoyen Victor Schoelcher est nommé sous-secrétaire d'Etat chargé
des mesures relatives à l'abolition de l'esclavage ». Il lui faudra près de
cinquante jours pour vaincre les réticences, calmer les craintes et persuader
ses collègues.
La discussion tournait autour de plusieurs questions. Ne fallait-il pas
attendre la nouvelle constitution ? N'était-il pas nécessaire de débattre de ce
sujet devant la nouvelle assemblée ?
Les expériences précédentes montraient à quel point il était difficile de
faire voter un texte d'abolition en séance publique. Schoelcher, avec une
obstination extraordinaire, assura qu'un décret suffisait et réussit, selon ses
propres termes, à « arracher » celui-ci au gouvernement.
Nous voici donc revenus au décret du 27 avril 1848. Je vous en ai lu tout à
l'heure le premier article. Mais il en est un autre, l'article 8, que je veux
citer, car il nous concerne tout particulièrement, nous, Français de
l'étranger.
« A l'avenir, même en pays étranger, il est interdit à tout Français de
posséder, d'acheter ou de vendre des esclaves et de participer soit
directement, soit indirectement à toute traite ou exploitation de ce genre.
Toute infraction à ces dispositions entraînera la perte de la qualité de
citoyen français. »
Ainsi, le gouvernement légiférait aussi dès cette époque pour les Français
résidant à l'étranger. Il leur interdisait de posséder des esclaves, de
s'occuper de traite ou d'exploiter les noirs, édictant les mêmes
réglementations que celles qui étaient imposées à nos compatriotes vivant dans
les colonies. Cette disposition originale méritait d'être mentionnée, dans une
assemblée au sein de laquelle les Français établis hors de France sont
représentés.
Mes chers collègues, d'autres intervenants vont continuer à vous parler de
Victor Schoelcher. Pour ma part, je vais arrêter ici mon propos, mon temps de
parole étant presque achevé. Il serait fastidieux, de plus, que les vertus de
ce grand homme si modeste soient répétées à six reprises à la tribune.
Cependant, je ne veux pas conclure sans rendre hommage à d'autres hommes dont
la plupart sont aujourd'hui oubliés, mais qui méritent qu'on se souvienne
d'eux. Ce sont les onze ministres signataires du décret du 27 juin 1848.
J'ai déjà cité les deux plus notables d'entre eux : Lamartine et Arago. Voici
le nom des neuf autres qui ont signé ce décret et qui ont fait qu'il existât
réellement : Dupont de l'Eure, un survivant des grands combats de la
Révolution, Armand Marrast, réputé plutôt conservateur, Ledru-Rollin, Louis
Blanc, Garnier-Pagès, Albert, Marie, Flocon et Crémieux.
Ces hommes représentaient des opinions politiques différentes. Certes,
plusieurs d'entre eux étaient socialistes, militants déjà chevronnés ou
néophytes pleins de bonne volonté, comme l'ouvrier Albert. Mais d'autres
professaient des opinions modérées, libérales, comme Lamartine. Il est bon de
souligner que le décret abolissant l'esclavage fut non pas l'oeuvre d'un parti,
mais le fruit d'une certaine unanimité nationale.
Une gravure représentant Lamartine avec ses ministres du premier gouvernement
de la IIe République figure dans les vitrines aujourd'hui exposées dans la
salle de conférences.
L'exposition que le Sénat consacre à Victor Schoelcher et au cent cinquantième
anniversaire de l'abolition de l'esclavage est magnifique. Je vous invite, mes
chers collègues, à la regarder attentivement. Il faut féliciter les services
historiques et la bibliothèque du Sénat d'avoir accompli un si bel ouvrage.
Personnellement, je regrette seulement que le buste de Lamartine se trouve un
peu à l'écart, à sa place habituelle, près du salon de départ, et qu'il ne
fasse pas vraiment partie de l'exposition. Alphonse de Lamartine mérite une
place d'honneur dans la célébration de ce cent cinquantième anniversaire.
Nous devons tous remercier M. le président Monory d'avoir institué cette
journée. En effet, comme il l'a écrit lui-même : « Il était juste que cette
commémoration soit une occasion de manifester la fraternité du Sénat à l'égard
de toutes nos collectivités d'outre-mer représentées en son sein. »
Et il a ajouté, ce qui nous touche particulièrement : « Représentant aussi de
tous nos compatriotes établis hors de France, le Sénat ne pouvait qu'être
sensible à la nécessité de réaffirmer les valeurs universelles qui sont celles
de notre République dans un monde où l'esclavage, hélas ! n'a pas disparu. »
Nous garderons le souvenir de ces paroles comme un gage pour l'avenir.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Nachbar.
M. Philippe Nachbar.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
combat pour l'abolition de l'esclavage, que nous célébrons aujourd'hui à
travers l'une des grandes figures de notre histoire politique, est
indissociable de l'affirmation des valeurs républicaines.
C'est parce qu'il considérait comme incompatibles le maintien de l'esclavage
dans les colonies et l'instauration du suffrage universel en métropole que
Victor Schoelcher a mis tant d'acharnement, de volonté et d'ardeur à obtenir
l'émancipation des noirs.
Il était de ceux qui pensaient avec force que la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen resterait vaine tant que des centaines de milliers
d'hommes, de femmes et d'enfants seraient non pas « libres et égaux en droits »
mais asservis à raison de leur couleur et de leur condition.
L'abolition de l'esclavage n'était qu'une étape, aussi fondamentale fût-elle,
pour cet humaniste nourri des Lumières. Il fallait, de surcroît, donner aux
noirs libérés la citoyenneté de la République. « En détruisant le libre arbitre
de l'homme, l'esclavage est une violation flagrante du dogme républicain :
liberté, égalité, fraternité... », déclarait solennellement, en 1848, le
gouvernement provisoire de la République, dans lequel Victor Schoelcher était
sous-secrétaire d'Etat à la marine et aux colonies.
Honorer Victor Schoelcher, comme le fait aujourd'hui notre assemblée, c'est
constater d'abord que l'abolition de l'esclavage fut un long combat pour
l'universalité de la dignité humaine. La République repose sur la citoyenneté.
Aux trois ordres de l'Ancien Régime, qui séparaient et cloisonnaient
définitivement les êtres humains, les constituants opposèrent le citoyen
universel : c'est l'éminente dignité de tout être humain, « libre et égal en
droits » à son semblable, qui sous-tend cette notion de citoyenneté née d'un
demi-siècle de philosophie des Lumières.
Dès lors, l'esclavage, qui nie la qualité d'être humain à l'esclave pour en
faire un objet, un meuble, au sens juridique du terme - c'est ainsi que le «
code noir », qui, de 1685 à 1794, a régi le trafic des êtres humains,
qualifiait ces derniers - allait devenir l'un des principaux objets des débats
philosophiques et politiques de la fin du XVIIIe siècle.
Dès avant 1789, des hommes comme Condorcet, l'abbé Raynal et Brissot, qui
fonda, comme d'autres l'ont rappelé avant moi, la Société des amis des Noirs,
préparèrent les esprits à l'idée que la couleur de la peau n'ôtait rien de sa
dignité à l'être humain et que l'asservissement était un déni d'humanité. « Les
âmes ont-elles une couleur ? » s'exclamera l'abbé Grégoire à cette même
époque.
Il fallut cependant attendre le 4 février 1794, soit cinq ans après le
déclenchement de la Révolution, pour que l'esclavage soit aboli.
Permettez-moi d'évoquer ici brièvement la grande figure d'un précurseur de
Victor Schoelcher, qui, comme lui, siégea au Sénat, mon compatriote qu'a si
bien évoqué tout à l'heure M. Pierre Fauchon, son biographe. Je veux parler de
l'abbé Grégoire. Ce modeste curé de campagne du Lunévillois fréquenta la grande
bourgeoisie parisienne. Nourri des Lumières, de la philosophie de Voltaire, de
Montesquieu, d'Helvétius, il attacha son nom au combat permanent pour
l'émancipation humaine : celle des protestants, des juifs et des noirs.
Pendant cinq ans, en dépit des pressions considérables de ceux qui invoquaient
les intérêts économiques de la France dans ses colonies, l'abbé Grégoire, ce
modeste curé de campagne, se battit ardemment pour obtenir ce qu'il appela,
dans un ouvrage qui connut un immense retentissement et que Pierre Fauchon a
cité, « l'émancipation des gens de couleur et sangs mêlés », et ce au nom de
l'universalité que devait revêtir le principe de la liberté.
Sa victoire fut de courte durée puisque, dès 1802, soit huit ans plus tard,
Bonaparte, alors Premier consul, rétablissait l'esclavage dans nos possessions
d'outre-mer. Le temps était venu pour Victor Schoelcher de relayer l'oeuvre de
la Révolution et de reprendre le flambeau des mains des conventionnels.
Dès 1824, cet Alsacien, homme de culture, issu d'une famille d'industriels de
la porcelaine, dont l'esprit s'était nourri de voyages dans les pays les plus
lointains, prit conscience que l'esclavage, pour un pays riche à la fois de la
tradition chrétienne et de l'esprit des Lumières, était une atteinte
insupportable au droit naturel.
Dès les premiers jours de 1848, quittant précipitamment le Sénégal où il
séjournait - quel symbole ! puisqu'il s'agit de cette côte atlantique d'où
partaient les convois de « bois d'ébène » et où est situé le comptoir de Gorée,
point d'aboutissement de la traite - il rentra à Paris. Il n'eut de cesse alors
de peser sur le gouvernement provisoire dont il fait partie afin d'obtenir
l'émancipation des esclaves. Les obstacles étaient immenses ; la volonté de
Victor Schoelcher ne l'était pas moins.
Nommé le 3 mars 1848 sous-secrétaire d'Etat à la marine, il déclarait dès le
lendemain, au nom du gouvernement : « Nulle terre française ne peut plus porter
d'esclaves. »
Le 27 avril suivant, soit quelques semaines seulement pour une telle
révolution juridique, il faisait adopter le décret d'abolition que nous
célébrons aujourd'hui et qui prohibe l'esclavage dans toutes les colonies et
possessions françaises.
Ce texte ne sera plus jamais remis en cause. Mais son application ne se fera
pas sans combats d'arrière-garde. Les dispositions prises pour lier la
citoyenneté à l'émancipation, essentielles aux yeux de Victor Schoelcher,
seront atténuées, voire supprimées pour certaines, par le Second Empire. Mais
l'idée que l'homme ne peut être un bien aliénable, celle que l'homme naît libre
et qu'il a un droit absolu à le rester, ne sera plus jamais remise en cause.
C'est en cela que l'oeuvre de Victor Schoelcher est immense et que le Sénat de
la République est fondé à honorer celui qui, de 1851 à 1870, s'exilera
volontairement, au nom de la fidélité aux valeurs républicaines, qui ne
reviendra, comme d'autres, qu'avec la démocratie et qui siégera ici même comme
sénateur inamovible.
Célébrer cet événement, comme nous le faisons, avec solennité, c'est d'abord
sacrifier à l'impérieux devoir de mémoire. C'est célébrer ceux à qui la qualité
d'homme fut niée, ceux qui furent arrachés à leur terre et à leurs proches,
vendus, condamnés à la solitude, à l'angoisse et à la souffrance.
Mais c'est aussi dénoncer avec force, en cette fin de siècle, les survivances
de l'esclavage et dire que, dans de nombreux pays, des hommes, des femmes et
des enfants sont asservis et enchaînés, au nom parfois de la tradition, de la
nécessité économique ou de l'implacable droit du vainqueur.
Les formes revêtues par l'esclavage des temps modernes sont multiples - Gérard
Larcher les évoquait tout à l'heure - qu'il s'agisse du travail forcé, de la
prostitution ou du travail des enfants - ils seraient plus de 200 millions dans
le monde, nous a révélé la conférence d'Oslo en 1997.
Elles sont dénoncées sans relâche par les organisations non gouvernementales
et les associations qui ont fait de la défense des droits de l'homme leur
vocation. Pourtant, elles durent, se développent et se multiplient, en dépit
des conventions internationales qui les prohibent.
Le droit, nous le savons tous, est une arme nécessaire. Les résolutions
internationales peuvent être efficaces, mais elles ne suffiront pas à éradiquer
les formes contemporaines de l'esclavage, pas plus qu'elles ne peuvent, à elles
seules, assurer la paix.
C'est l'éducation des hommes qui permettra de briser le cercle infernal de la
servitude. Comme l'avaient compris les philosophes des Lumières, les
législateurs de la Convention, les hommes de 1848, c'est le combat permanent
pour les droits de l'homme qui garantira l'émancipation de ceux qui,
aujourd'hui encore, sont entravés par les fers.
Ces valeurs de la République, dont la France a longtemps été le flambeau, ont
pour socle le respect de l'autre et le souci de la dignité humaine. Tel doit
être le sens que nous devons donner à la célébration de ces valeurs.
« Le seul combat qui vaille, disait André Malraux, est le combat pour l'homme.
» Le Sénat, celui de l'abbé Grégoire, celui de Victor Schoelcher, celui de
Gaston Monnerville - nous honorerons dans un instant le souvenir de ce grand
homme - c'est la maison des droits de l'homme, celle des libertés, celle du
combat pour la dignité humaine.
C'est en affirmant haut et fort ces convictions qui sont les nôtres et qui
sont le fondement de notre engagement que nous resterons fidèles à la mémoire
de Victor Schoelcher et que sera pérennisé le combat pour l'émancipation de
l'homme qu'il a mené et qui rend sa mémoire éternelle.
(Applaudissements.)
M. le président.
Mes chers collègues, M. Badinter m'a fait savoir qu'il ne pouvait être présent
cet après-midi pour des raisons médicales et qu'il a demandé à M.
Dreyfus-Schmidt de le remplacer.
La parole est donc à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je vous remercie, monsieur le président, de me permettre de donner
connaissance au Sénat du texte de M. Robert Badinter.
Victor Schoelcher a eu un destin singulier. Il n'a jamais exercé de grandes
fonctions ni assumé de grandes responsabilités politiques. Pourtant, son nom
est inscrit dans l'histoire. En effet, Schoelcher a eu le mérite et le
privilège d'incarner une victoire morale : l'abolition de l'esclavage dans les
colonies françaises.
Rien pourtant, dans ses origines ou son milieu social, ne paraissait vouer
Victor Schoelcher à ce destin. Il était né en 1804, au coeur de Paris, dans le
faubourg Saint-Denis. Son père exploitait une manufacture de porcelaine. Sa
mère tenait commerce de lingerie.
Du bourgeois parisien, Schoelcher suivit la voie. Il fut interne au lycée
Louis-le-Grand. Puis il entra dans l'entreprise familiale. Mais sa vocation
n'était pas de vendre des porcelaines, même si elles portaient la marque «
Schoelcher et fils ». Après la mort de son père, il ferma boutique, en 1834. En
1839, sa mère décéda, en lui laissant un substantiel héritage : 40 000 francs -
or de rente annuelle.
Du bourgeois, Schoelcher avait les manières et la tenue, marquée cependant
d'une touche de dandysme. Un contemporain le décrit « vêtu d'une redingote
noire boutonnée jusqu'en haut, le collet rabattu sur un col de satin noir, les
poignets ornés de grandes manchettes, la tête coiffée d'un chapeau à larges
bords, et tenant à la main, suivant les indications du baromètre, une canne
surmontée d'une pomme d'or ou un parapluie surmonté d'une tête antique en
bronze. »
Le mode de vie de Schoelcher, dans son époque romantique, est, à l'instar de
son élégance, discret et raffiné. Il écrit des articles sur les salons de
peinture. Il est passionné de musique, se lie avec Berlioz, écoute Chopin chez
George Sand, applaudit Liszt chez Marie d'Agoult. Il collectionne livres et
gravures. Il pourrait être un personnage de
la Comédie humaine
, mais, à
coup sûr, ni Rubempré ni Rastignac. En effet, Schoelcher ne témoigne d'aucune
ambition politique. De surcroît, sa vie conserve une part de mystère. Il n'eut
ni épouse ni enfant, et on ne lui connaît aucune liaison durable, ni même de
maîtresse identifiable.
A considérer cette longue vie, si solitaire au sein d'une société brillante,
si discrète au sein de la vie publique, Schoelcher s'avère l'homme voué au seul
service des grandes causes : la justice, la République, l'humanité.
Ce ne furent pas, chez Schoelcher, des considérations abstraites, une
conviction morale ou philosophique, qui firent de lui un militant de
l'abolition. Son père l'avait envoyé, en 1829-1830, prospecter le Mexique, Cuba
et le sud des Etats-Unis pour y placer les services de porcelaine Schoelcher. «
Là, écrit son ami Ernest Legouvé, lui apparut, pour la première fois,
l'esclavage. A cette vue, jaillirent, comme par explosion des plus intimes
profondeurs de son être, toutes ses vertus naturelles, la haine de l'injustice,
la passion pour la liberté, la sympathie pour tout ce qui souffre. Il était
parti commis voyageur, il revint abolitionniste. »
Dès 1833, il rédigea son premier ouvrage :
De l'esclavage des Noirs et de
la législation coloniale
. De ce séjour, il rapporta des cahiers de notes,
des documents, des objets symboles, fouets, fers et entraves destinés aux
châtiments des esclaves. Il rapporta aussi la matière de deux livres :
Des
colonies françaises. Abolition immédiate de l'esclavage
et, publié en 1842,
Des colonies étrangères et Haïti
. Il apparaissait dorénavant comme le
champion de l'abolition en France.
Le 30 août 1847, Schoelcher adressa une pétition à « messieurs les membres de
la Chambre des députés et messieurs les membres de la Chambre des pairs ». Sa
péroraison traduit, à la veille de la Révolution de 1848, sa position face aux
réformistes qui soutenaient la thèse d'une abolition prudente et progressive de
l'esclavage :
« Nous demandons, Messieurs, l'abolition complète et immédiate de l'esclavage
dans les colonies françaises.
« Parce que la propriété de l'homme sur l'homme est un crime.
« Parce qu'on ne peut détruire les vices de la servitude qu'en abolissant la
servitude elle-même.
« Parce que les notions de justice et d'humanité se perdent dans une société
d'esclaves.
« Parce que, en vertu de la solidarité qui lie tous les membres de la nation
entre eux, chacun de nous a une part de responsabilité dans les crimes
qu'engendre la servitude. »
Schoelcher se trouvait au Sénégal quand éclata la révolution de 1848. Son
voyage africain avait pour objet « d'étudier les nègres chez eux », pour «
démontrer que la nature les a doués de facultés semblables aux nôtres ».
Début mars 1848, Schoelcher est de retour à Paris. Le 3 mars, il a un long
entretien avec Arago, devenu ministre de la marine et des colonies dans le
gouvernement provisoire. Le nouveau ministre, comme les plus ardents
républicains, était favorable à l'abolition de l'esclavage, mais il hésitait
devant la crainte d'une explosion de violences aux Antilles, brandie par les
colons si l'abolition était immédiatement proclamée, sans mesures
transitoires.
Il est des moments privilégiés où une grande cause soutenue par la conviction
inébranlable d'un homme voit s'ouvrir les portes que la pesanteur du passé
tenait closes. Grâce à Schoelcher, Arago et le gouvernement provisoire
comprirent que la République ne pouvait, sans se renier, accepter que
l'esclavage subsiste sous son autorité dans les colonies françaises. Le 4 mars,
le principe de l'abolition fut adopté. Le même jour, Schoelcher entra au
gouvernement, en qualité de sous-secrétaire d'Etat aux colonies. Le 27 avril,
fut publié le décret d'abolition, dont le superbe texte vous a été rappelé.
Schoelcher fut moins heureux dans son autre combat.
Militant de l'abolition de la peine de mort, il refusait de la voir cantonner
au seul domaine politique. En octobre 1848, il signait, avec d'autres députés
de gauche - Ledru-Rollin, Proudhon, Félix Pyat, Raspail - la
Déclaration des
représentants de la Montagne,
qui condamnait l'oeuvre de l'Assemblée
constituante, qui avait « admis la peine de mort et repoussé le droit au
travail ». En février 1851, Schoelcher déposait une proposition de loi en
faveur de la suppression de la peine de mort dans tous les cas. Elle fut
repoussée par l'Assemblée nationale.
Avec la même conviction, Schoelcher intervint à la tribune pour améliorer la
condition pénitentiaire et changer le régime de la déportation.
L'amour de la justice avait fait de ce bourgeois fortuné un militant du
progrès social, de cet esthète raffiné un républicain intransigeant. Il
siégeait à l'extrême gauche, sur les bancs de la Montagne, aux côtés des plus
engagés des républicains, des « rouges ».
Pour les républicains, l'heure de vérité sonna avec le coup d'Etat du 2
décembre. A ce moment décisif, alors que certains se ralliaient ou se
rendaient, les républicains de la Montagne créèrent un comité de résistance.
Schoelcher en fit partie, aux côtés de Hugo, de Carnot, de Jules Favre, de
Michel de Bourges. On vit Schoelcher, le matin du 2 décembre, dans le faubourg
Saint-Antoine, appelant, avec son collègue Victor Baudin, à la résistance. La
troupe survint, Schoelcher s'avança vers les soldats. L'un d'entre eux le
bouscula. Des coups de feu furent tirés de la barricade pour protéger
Schoelcher. Les soldats ripostèrent. Baudin fut mortellement atteint.
Schoelcher réussit à s'échapper. Des prêtres cachèrent le républicain athée
pendant quelques jours.
Déguisé en ecclésiastique, Schoelcher gagna, à travers mille difficultés, la
Suisse, puis l'Angleterre. Pendant dix-huit ans, tout au long du second Empire,
Schoelcher, comme Hugo, demeura inébranlable. « Je ne rentrerai en France,
écrivait-il en 1852, qu'avec tous mes amis proscrits de la même manière, ou je
n'y remettrai jamais les pieds. Je regarderai comme une mortelle insulte toute
exception favorable à mon égard. Je ne tiens qu'à des exceptions de rigueur.
»
Il tint parole. Comme Hugo, il ne regagna la France qu'à la chute de Napoléon
III, et s'engagea dans la garde nationale. En lui, comme au temps de l'An II,
la passion de la République se confondait avec l'amour de la nation. Patriote
intransigeant, élu député de Paris, le 8 février 1871, il vota contre les
préliminaires de paix avec les Prussiens et l'abandon de l'Alsace-Lorraine,
dont sa famille était issue.
En avril 1871, élu à nouveau par la Martinique et par la Guyane, il choisit de
représenter la Martinique. Le soulèvement de la Commune de Paris,
l'affrontement entre l'Assemblée et la Commune le déchirèrent. Il prêcha la
négociation, la cessation du combat fratricide. Il devint suspect aux yeux des
deux parties et fut même emprisonné trois jours, du 10 au 13 mai 1871, sur
ordre de la Commune. « Traître » pour les uns, « ganache » pour les autres,
cette guerre civile qui résonnait comme un écho des journées tragiques de juin
1848 lui était odieuse.
Dorénavant, Schoelcher n'était plus qu'un survivant, comme Louis Blanc, Edgar
Quinet, Victor Hugo. Les temps nouveaux appelaient des hommes nouveaux.
L'élection de Schoelcher, le 15 décembre 1875, comme sénateur inamovible
apparut autant comme un témoignage de reconnaissance que comme le signe d'une
retraite honorable. Il était devenu un symbole, une référence morale, plus
qu'un acteur de la vie politique. Ses convictions n'en étaient pas moins
fortes. Il siégeait au Sénat à l'extrême gauche. Il continuait de soutenir les
justes causes auxquelles il avait tant donné de lui-même.
En juin 1876, il saisit le Sénat d'une nouvelle proposition d'abolition de la
peine de mort. En vain. Il dénonça les rigueurs des bagnes en Guyane. Il
présida la commission sénatoriale chargée d'examiner un projet de loi sur la
protection des enfants abandonnés. Il lutta pour les droits civils des femmes
et fut nommé président d'honneur de la Ligue française pour le droit des
femmes. Et, surtout, il demeura, jusqu'à sa mort, le combattant inlassable de
l'amélioration de la condition des noirs aux colonies. « Ma politique coloniale
a toujours été la même, écrivait-il en 1882, toujours basée sur les principes
de la France, qui n'admet, pas plus aux Antilles que dans la métropole, de
distinction entre ses enfants, qui leur reconnaît à tous les mêmes droits et
leur impose les mêmes devoirs. »
Il mourut le jour de Noël 1893. Depuis un an, il ne quittait plus sa maison de
Houilles, se plaignant de la grande fatigue qui l'empêchait de se rendre au
Sénat. Il avait donné sa bibliothèque, plus de 10 000 livres, au conseil
général de la Martinique. Il avait aussi légué à des musées les plus belles
pièces de ses collections. Son parcours achevé, ses affaires en ordre, le vieux
combattant de la République pouvait partir.
Laïc intransigeant, franc-maçon, il avait interdit toute cérémonie religieuse.
Le 5 janvier 1894, par un froid glacial, le cortège funèbre se rendit au
cimetière du Père-Lachaise. Georges Clemenceau a donné de cet enterrement un
récit saisissant : « Un froid dur, coupant, à travers Paris glacé, un cortège
de deux cents vieilles barbes démodées, piqué de quelques têtes noires, trois
couronnes portées à bras, tous les landaus du Sénat parfaitement vides, des
voitures des pompes funèbres, quelques fiacres, voilà l'enterrement de Victor
Schoelcher. Nous étions bien trois cents au départ, pas plus de soixante à
l'arrivée.
« Des bourgeois, rien que des bourgeois... En regardant quelques ouvriers
indifférents qui passaient, je me disais : le bourgeois Schoelcher est allé à
eux quand il n'y avait, pour la République, que des balles à recevoir. Pourquoi
ne viennent-ils pas à lui aujourd'hui ?...
« L'abolition de l'esclavage paraît, aux réactionnaires eux-mêmes, une chose
toute simple aujourd'hui.
« Mais si l'on faisait revivre, dans un tableau tragique, les haines féroces,
aiguisées jusqu'à la folie, que suscita la lutte de l'homme blanc pour la
possession de l'homme noir à titre de bétail avili, on saurait ce qu'il fallut
de noblesse de coeur, d'implacable énergie, de mépris des clameurs,
d'insouciance des périls, pour accomplir l'oeuvre de Schoelcher...
« Que Schoelcher soit une leçon. Rien n'a pu le lasser, le décourager, le
rebuter et, obstinément attaché à travers tout à sa revendication de justice,
au prix d'une action incessante, il a triomphé. »
Cet hommage d'un grand républicain, qui a siégé dans cet hémicycle, à un autre
grand républicain qui a siégé, avant lui, sur les mêmes travées, il était juste
que notre assemblée l'entende. Car c'est par de tels exemples, pieusement
rappelés de génération en génération, que demeure vivante la flamme qui éclaire
le seul Panthéon qui vaille, le Panthéon de la mémoire républicaine.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il
fallait une belle inconscience pour accepter la responsabilité de présenter un
tel hommage. D'autres avant nous n'avaient-ils pas déjà tout dit et sans doute
mieux que nous ?
Et pourtant, l'amitié du président Guy Cabanel, la confiance de mes collègues
du Rassemblement démocratique social et européen m'ont conduit à commettre ce
discours.
Quelle violente émotion, en effet, pour un descendant d'esclave et quelle
gratitude envers la République que d'avoir à parler ici et maintenant, dans
cette enceinte où la voix du sénateur Victor Schoelcher résonna plus d'une
fois.
« Victor Schoelcher ! un nom qui brillera toujours d'un exceptionnel éclat
pour les femmes et les hommes de l'outre-mer français », disait le président
Gaston Monnerville.
Aussi comprendrez-vous que, en ce jour particulier, votre serviteur se soit
autorisé quelques « libertés » avec les formes accoutumées.
Liberté, égalité, fraternité, et le gouvernement provisoire de considérer
l'esclavage comme attentat contre la dignité humaine.
Liberté, égalité, fraternité, et la République décrète le 27 avril 1848 que
l'esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions
françaises.
Liberté, égalité, fraternité, et un nom retentit tel l'écho de la devise
républicaine : celui du citoyen Victor Schoelcher, secrétaire d'Etat chargé
spécialement des colonies et des mesures relatives à l'abolition de
l'esclavage.
Liberté, égalité, fraternité, et c'est à jamais que la République et le nom de
Victor Schoelcher seront liés aux droits civiques et politiques des hommes et
des femmes de l'outre-mer français.
Au risque de choquer, affirmons qu'en ce jour il n'est commémoré ni
l'abolition de l'esclavage ni même son cent-cinquantenaire. En effet, une
première décision d'abolir l'esclavage avait déjà été prise le 16 pluviôse de
l'an II, soit en 1794 : « Tous les hommes sans distinction de couleur,
domiciliés dans les colonies, sont citoyens français et jouiront de tous les
droits assurés par la Constitution. Les hommes naissant et demeurant libres et
égaux en droit. »
Et il fallut attendre huit années pour que le Premier Consul Napoléon
Bonaparte rétablisse, en 1802, l'esclavage dans les colonies et en Guyane, dans
des conditions particulièrement dramatiques. Quelle douleur pour des hommes
libérés d'apprendre qu'il y avait eu maldonne et que tout allait recommencer
comme avant !
Ironie de l'histoire, le haut fonctionnaire chargé de « réesclavagiser » la
Guyane, en l'occurrence Victor Hugues, n'était autre que celui-là même qui
avait « désesclavagisé » la Guadeloupe dans le sang des colons.
Et c'est dans la même violence sanglante que les nègres de Guyane, victimes
d'un véritable guet-apens, ont été remis dans les fers par Victor Hugues, qui
repose aujourd'hui au cimetière de Cayenne dans l'oubli et l'indifférence
générale.
La décision d'abolir l'esclavage dont il s'agit ici fut prise en Angleterre en
1833, au Venezuela en 1854, à Cuba en 1866, à Puerto Rico en 1884 et au Brésil
en 1888.
Elle le fut aussi formellement en France aux termes du décret de 1848 que prit
le gouvernement provisoire de la République.
Cela ne put néanmoins empêcher la pratique clandestine de la traite, qui
conduisit l'Angleterre à déclencher une répression maritime impitoyable contre
les navires négriers français à travers la Caraïbe.
Par ailleurs, le système de contrat de travail instauré par la France après
1848, en direction des coolies des comptoirs de l'Inde et des Africains,
notamment du Congo, ne fut qu'une forme d'esclavage déguisé qui se prolongea
jusqu'au début du XXe siècle.
Ces faits confèrent donc au décret d'abolition du 27 avril 1848 en France une
portée toute relative.
Nous ne célébrons pas le cent-cinquantenaire de l'abolition de l'esclavage,
puisque la disparité des dates d'abolition nous l'interdit.
Nous ne commémorons pas l'abolition définitive de l'esclavage, puisque la
poursuite clandestine de ce dernier sous les formes indiquées nous en
empêchent.
Commémorons donc, conformément au sens du décret d'abolition, un temps fort de
l'histoire de la République française dans son combat pour la libération des
hommes.
Il fallait, monsieur le président, mes chers collègues, que cette vérité fût
dite.
Et l'« Ami de la vérité » que fut Victor Schoelcher ne nous aurait sans doute
pas pardonné de ne pas jeter un regard lucide sur ces réalités de l'abolition
de l'esclavage.
André Malraux disait de l'homme « qu'il n'est que ce qu'il a fait ». Si telle
est la condition humaine, alors l'histoire retiendra de Victor Schoelcher qu'il
fut un humaniste éclairé.
Reçu très tôt franc-maçon chez « les Amis de la vérité », membre de la société
« Aide-toi et le ciel t'aidera », il fera de la solidarité entre les hommes son
credo majeur.
Grand voyageur, Victor Schoelcher se rendra tour à tour au Moyen-Orient, en
Afrique, au Mexique, aux Etats-Unis d'Amérique, à Cuba, aux Antilles
françaises, affinant ainsi sa connaissance des hommes, sa connaissance de tous
les hommes.
Ecrivain de talent, Victor Schoelcher laisse des écrits et des ouvrages en
grand nombre, dans lesquels l'expérience du terrain côtoie heureusement la
réfutation systématique des thèses esclavagistes.
Homme d'engagement et d'opiniâtreté, VictorSchoelcher, né en 1804, mettra tout
son être au service de la cohérence d'une vie exemplaire. Il marque de son
empreinte le siècle qu'il quittera en 1893.
Mais, au regard de l'histoire, Victor Schoelcher est bien plus que Victor
Schoelcher.
Il est, à notre sens, Camille Mortenol, Guadeloupéen, né le 29 novembre 1859
et donc fils d'esclaves, premier étudiant noir issu de l'Ecole polytechnique, à
qui fut confiée avec succès la mission de défendre le ciel de Paris contre les
attaques allemandes pendant la Première Guerre mondiale.
Il est Bissette, premier député martiniquais, qui entre au Parlement en 1848
et qui siégera aux côtés de Victor Schoelcher. C'était un homme « libre de
couleur ».
Il est Gaston Monnerville, premier député guyanais, descendant d'esclave, qui
a laissé dans cette grande maison qu'est le Sénat l'image d'un grand homme
d'Etat.
Il est aussi le gouverneur général Félix Eboué, Guyanais, dans son refus de la
capitulation de Vichy, dans son soutien au général de Gaulle dans la lutte de
libération.
Il est, enfin, la communauté des terres françaises ultra-marines tout entière
qui demande et obtient du Parlement le transfert des cendres de Victor
Schoelcher au Panthéon, aux côtés de Félix Eboué, un siècle après l'acte
d'abolition.
Bien sûr, d'aucuns diraient que cette abolition est prioritairement l'oeuvre
des actes de résistance des Nègres marrons, ces esclaves fugitifs Alukus,
Djukas, Paramakas ou Saramacas organisés en communauté de survie sur les bords
du fleuve Maroni, dans mon pays. Rendons-leur aussi l'hommage qu'ils méritent
en ce jour où nous commémorons ici le décret d'abolition de l'esclavage.
D'autres privilégieraient les facteurs économiques et les nouvelles
contraintes d'un développement en mutation qui firent poser la question de
l'abolition de l'esclavage en termes d'utilité et de rentabilité dès la fin du
XVIIIe siècle.
D'autres, enfin, souligneront l'influence du contexte idéologique global, les
idéaux révolutionnaires, la pression des nations voisines ayant rompu avec
l'esclavage.
Mais la recevabilité de ces facteurs explicatifs n'ôtera rien à la valeur et
au combat d'un homme qui refusa de donner du temps au temps de la honte, d'un
homme qui fit décréter l'abolition de l'esclavage sans délai, sans transition
et sur tout le territoire national, conférant ainsi aux anciens esclaves tous
les attributs de la citoyenneté, y compris l'école communale élémentaire
gratuite et obligatoire.
Victor Schoelcher aurait été certainement aujourd'hui un militant de grandes
causes humanitaires internationales. Sans doute aurait-il combattu pour que
l'esclavage soit reconnu juridiquement comme crime contre l'humanité, lui qui,
en son temps déjà, l'avait qualifié d'« attentat contre la dignité humaine
».
Pour la jeunesse du monde entier - c'est à elle, en ce moment, que je pense -
redisons le message fort d'André Malraux inscrit au pied de la statue du
gouverneur général Félix Eboué, place des Palmistes, en Guyane : « Passant, va
dire aux enfants de notre pays, de ce qui fut le visage désespéré de la France,
les yeux de l'homme qui repose ici n'ont jamais reflété que les traits du
courage et de la liberté. »
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
soucieux du réalisme, assignons une signification symbolique à notre solennelle
manifestation de ce jour. Qu'elle soit une halte de réflexion et
d'approfondissement pour nous permettre de prendre l'exacte mesure de nos
devoirs d'homme. Qu'elle concrétise enfin notre foi en un avenir de liberté,
d'égalité et de fraternité.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les
sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen souhaitaient vivement que
leur camarade et ami Paul Vergès, sénateur de la Réunion, soit aujourd'hui leur
représentant à cette tribune pour célébrer le cent-cinquantième anniversaire de
l'abolition de l'esclavage, acte émancipateur majeur de notre histoire.
Malheureusement, et bien qu'il eût souhaité ardemment être présent aujourd'hui,
la réunion des pays de l'océan Indien à l'île Maurice le retient loin de nous.
Mais il est avec nous par la pensée.
Notre République est faite de moments intenses, de symboles qu'il nous faut
absolument perpétuer, au risque de voir se diluer les valeurs fondatrices qui
font l'identité de la France.
Ce cent-cinquantième anniversaire de l'abolition de l'esclavage constitue un
moment fort, plein d'émotions et d'hommages particuliers rendus à celui qui
nous a précédés au sein même de cet hémicycle, Victor Schoelcher. Il est tout à
l'honneur de notre Haute Assemblée de l'avoir organisé, et je suis persuadée
que nous l'apprécions ici unanimement.
Mais, au-delà des mots, de la douleur et des souffrances sans nom des millions
d'hommes et de femmes qui furent tenus en esclavage, peut-être faudra-t-il
tenter d'expliquer, d'analyser en profondeur ce phénomène afin qu'il ne puisse
jamais être réinscrit d'aucune manière que ce soit dans le cours de l'histoire
de notre pays.
Ce devoir de connaissance, de vérité et de mémoire, nous l'assumons d'abord et
en premier lieu pour ceux qui moururent sous les chaînes de l'esclavagisme,
pour ceux qui connurent des souffrances inouïes, pour ceux qui s'en libérèrent,
pour leurs descendants.
Mais nous le devons aussi aux générations futures qui renforceront le socle de
notre communauté nationale. Nous le devons à notre jeunesse, pour qu'elle
construise sa citoyenneté future à partir de quelques repères clairs et actuels
sur cette période historique décisive, au moment où certains osent prôner à
nouveau l'idéologie abjecte de l'inégalité des races et des peuples,
c'est-à-dire le fondement théorique même de l'esclavage.
Nous avons à coeur de contribuer, au travers des nombreuses initiatives qui
marquent cet anniversaire, à la réflexion sur l'ensemble du processus qui
conduisit à l'abolition de l'esclavage.
Le 27 avril 1848, le gouvernement provisoire de la IIe République proclamait
l'abolition immédiate de l'esclavage. Derrière cette décision promptement
exécutée après l'abdication de Louis-Philippe, un siècle de combats fut
nécessaire.
Au travers de l'hommage à Victor Schoelcher, il nous semble utile de démontrer
comment se sont conjuguées, au fil des années, à la fois l'influence des
Lumières, l'action des abolitionnistes républicains, mais aussi - je tiens à le
rappeler - la résistance multiforme des peuples africains, les révoltes
d'esclaves, notamment dans les Caraïbes, pour aboutir à la loi de 1794, au
décret de 1848 que nous célébrons aujourd'hui, à l'abolition de cette forme
barbare d'assujettissement humain.
De Jean-Jacques Rousseau, qui écrivit : « Ces mots esclaves et droits sont
incompatibles », à Montesquieu, pour qui : « Ce droit de vie et de mort, ce
droit de s'emparer de tous les biens qu'un esclave peut acquérir, ces droits si
barbares et si odieux ne sont point nécessaires pour la conservation du genre
humain ; ils sont donc injustes. Condamner à l'esclavage un homme né d'une
certaine femme est une chose aussi injuste que la loi des Egyptiens qui
condamnait à mort tous les hommes roux... », en passant par Robespierre, qui,
dès 1791, déclarait à la Constituante son remarquable : « Périssent les
colonies si les colons veulent nous forcer à décréter ce qui convient le plus à
leurs intérêts » - que Victor Schoelcher reprendra sous la forme plus connue :
« Périssent les colonies plutôt qu'un principe » - sans oublier les luttes et
les résistances héroïques des esclaves eux-mêmes, plusieurs siècles furent
nécessaires pour aboutir à la fin d'un système économique ancré, au-delà de
l'exploitation de l'homme par l'homme, sur le principe de la propriété de
l'homme par l'homme, celui-ci étant monstrueusement considéré comme une simple
chose, un simple meuble qui peut être vendu, acheté ou échangé dans le but
premier de bâtir des fortunes immenses.
Quand on se rend, comme je l'ai fait, à la maison des esclaves de Gorée,
l'appréhension pleine et entière de cette réalité éclate. L'émotion envahit
chaque visiteur, et elle ne le quitte plus.
A de multiples reprises, durant ces siècles d'avilissement, comme le disait
Aimé Césaire, « l'homme-famine, l'homme-insulte, l'homme-torture, on pouvait à
tout moment le saisir, le rouer de coups, le tuer - oui parfaitement, le tuer -
sans avoir de compte à rendre à personne, sans avoir d'excuse à présenter à
personne ». Cet homme noir s'est révolté.
Des multiples tentatives d'émeutes à Saint-Domingue, menées notamment par
Toussaint-Louverture en 1791, aux tentatives individuelles de fuite, réprimées
le plus souvent par la mort, des millions d'hommes et de femmes de couleur ont
permis, par leur combat, d'aboutir à l'abolition d'un système d'anéantissement,
fondé sur le choix de la négation de la personne humaine au profit de
l'argent.
Cent cinquante ans après l'abolition de l'esclavage, il nous faut nous
retourner et nous demander où nous en sommes aujourd'hui.
Hélas, l'oeuvre de Victor Schoelcher ne peut effacer aujourd'hui encore les
stigmates de l'esclavage et de l'asservissement qui conservent,
mutatis
mutandis
, une grande actualité dans le monde aujourd'hui.
Qui nierait ainsi, à l'heure des mutations technologiques qui font exploser le
potentiel créatif de l'humanité, que l'existence de plus d'un milliard d'êtres
humains privés de tout et la précarisation de beaucoup d'autres - et tous les
continents sont concernés - constituent, pour reprendre l'expression de la
pétition des ouvriers parisiens réclamant l'abolition de l'esclavage, « une
lèpre qui n'est plus de notre époque » ?
Et, de notre point de vue, ce désordre mondial d'aujourd'hui ne saurait être
plus « naturel » ni plus fatal que celui d'il y a cent cinquante ans.
Et comment seront jugés, dans quelques siècles, le système mondial et
l'appropriation par les pays les plus riches des principales ressources et des
principaux potentiels technologiques et financiers ?
Aux commémorations, aux repentances et symboles nécessaires, il nous faut
aussi associer une réflexion plus large sur notre « nouvel ordre mondial »,
ainsi que le président Mandela l'exprima au président Clinton en ces termes : «
Alors que nous entrons dans le nouveau millénaire, nous, en tant que pays, que
partie d'un continent en renaissance et du monde en développement, continuons à
appeler avec force à la démocratisation des Nations unies et de ses agences en
faveur d'une considération plus humaine des pays les plus pauvres et les plus
lourdement endettés et en faveur de l'introduction d'un ordre dans ce qui est,
pour le moment, un système financier global porteur de désordre et de
prédation. »
Ce sont les intérêts économiques, les intérêts de certains qui présidèrent aux
choix du système criminel de l'esclavage et de l'asservissement, mais nous
constatons que ce phénomène perdure sous des formes contemporaines dont, hélas
! les enfants sont les premières victimes. Plus de 300 millions d'entre eux,
selon l'UNICEF, sont en situation de dépossession du droit élémentaire à vivre
leur propre vie, du droit de posséder leur corps. Ils sont travailleurs forcés,
esclaves sexuels, soldats malgré eux, mutilés à des fins de mendicité, victimes
d'exécutions extrajudiciaires, du commerce de l'adoption, du trafic d'organes ;
rien ne leur est épargné sur ces nouveaux marchés d'esclaves, dont même
Internet peut être un vecteur.
Aujourd'hui, dans le monde, près de 40 % des enfants de moins de onze ans
n'achèvent pas le cycle primaire, ils ont la rue, l'exploitation par le travail
manuel pour unique horizon.
Dans de nombreuses régions du monde, les filles sont plus encore que les
garçons astreintes à ce sort servile, car elles sont souvent vendues, cédées ou
abandonnées par leur famille, souvent en situation d'extrême pauvreté, et n'ont
plus pour seul destin que la prostitution ou la domesticité.
On observe également une résurgence en Europe et au sein des pays les plus
industrialisés du phénomène des « enfants au travail » : ils sont près de 5
millions aux Etats-Unis, 2 millions au Royaume-Uni, entre 200 000 et 300 000 en
Italie, en Espagne et au Portugal. En France même, des cas d'employés de maison
venant des Philippines, de Madagascar, d'Indonésie ou d'ailleurs, sequestrés
par de riches familles se comportant en véritables tortionnaires, ont été
révélés par une association constituée à la suite de l'« évasion » courageuse
de certaines de ces jeunes filles - comme Odile, de Madagascar, qui travaillait
pour cent francs par mois -, lesquelles voulaient retrouver leur liberté et
leur identité.
A la fin du mois de mai, des marches mondiales devant converger vers Genève à
l'occasion de la conférence de l'Organisation internationale du travail
passeront par notre pays. Solidaires de leur lutte de libération, les sénateurs
du groupe communiste républicain et citoyen iront à la rencontre de ces enfants
et de leurs accompagnateurs, qui reprennent le flambeau de ces enfants, de ces
femmes et de ces hommes héroïques dont nous commémorons aujourd'hui le souvenir
à travers cet hommage solennel.
Cette célébration doit être le point de départ pour une infinité de
rencontres, d'échanges, de passerelles humaines, en particulier entre notre
pays, l'Afrique et les autres continents. Favorisons la mondialisation de la
solidarité et des initiatives pour éradiquer toute forme d'asservissement de la
femme et de l'homme.
Ainsi, cette journée pourrait donner lieu, à l'avenir, à une journée annuelle
de célébration ; c'est la proposition que nous faisons aujourd'hui.
Permettez-moi de conclure mon propos par cette citation de Victor Schoelcher,
ce Français qui non seulement mena ce grand combat pour l'abolition de
l'esclavage mais fut aussi un grand progressiste militant pour la République,
le suffrage universel, le droit au travail, l'égalité entre les sexes et la
disparition de la peine de mort : « La violence commise envers le plus infime
de l'espèce humaine affecte l'humanité entière ; chacun doit s'intéresser à
l'innocent opprimé, sous peine d'être victime à son tour, quand viendra un plus
fort que lui pour l'asservir. La liberté d'un homme est une parcelle de la
liberté universelle, vous ne pouvez toucher à l'une sans compromettre l'autre
tout à la fois. »
Ces paroles ont gardé toute leur force !
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, le Gouvernement a décidé de donner un éclat
particulier à la célébration du cent cinquantième anniversaire de l'abolition
de l'esclavage.
Je suis heureux de constater que cette volonté est partagée par la Haute
Assemblée, et je veux vous remercier, monsieur le président, d'avoir pris
l'initiative de nous inviter à consacrer quelques heures de réflexion à la
signification de cet événement en rendant hommage à Victor Schoelcher.
La célébration de ce cent cinquantième anniversaite est d'abord l'occasion de
rappeler à la nation tout entière son devoir de mémoire. La réalité de ce que
fut, pendant trois siècles, l'esclavage des noirs dans ce que l'on appelait
alors « le Nouveau Monde », singulièrement dans les territoires sous domination
française, constitue l'un des chapitres les plus sombres de notre histoire.
Bernardin de Saint-Pierre a décrit cette réalité dans son
Voyage à l'Isle
de France,
en avril 1768, avec des mots terribles : « Je ne sais pas si le
café et le sucre sont nécessaires au bonheur de l'Europe, mais je sais bien que
ces deux végétaux ont fait le malheur de deux parties du monde. On a dépeuplé
l'Amérique afin d'avoir une terre pour les plantes ; on dépeuple l'Afrique afin
d'avoir une nation pour les cultiver. » Cette Afrique dont les hommes et les
femmes furent traités « comme des bêtes, afin que les Blancs puissent vivre
comme des hommes », dit encore Bernardin de Saint-Pierre.
Cette page de notre histoire, la République l'a définitivement tournée en
adhérant, un siècle plus tard, à la Déclaration universelle des droits de
l'homme, cette Déclaration dont nous célébrons le cinquantenaire et qui
stigmatise expressément, dans son article IV, toutes les formes d'esclavage : «
Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l'esclavage et la traite des
esclaves sont interdits sous toutes leurs formes. »
Hier comme aujourd'hui, l'esclavage constitue une atteinte intolérable à la
dignité de la personne humaine.
Au-delà de l'hommage rendu aux victimes de l'esclavage, il est nécessaire
aujourd'hui de rappeler le traumatisme qu'a constitué l'esclavage pour les
sociétés d'outre-mer. Ce traumatisme continue a marquer ces sociétés de façon
plus ou moins inconsciente, notamment dans leurs rapports de dépendance
vis-à-vis de la métropole.
On cite souvent, en cette année de commémoration, la phrase célèbre de Frantz
Fanon : « Je ne suis pas esclave de l'esclavage qui déshumanisa nos pères. »
Est esclave de l'esclavage celui qui vit dans le refoulement du traumatisme
qu'ont vécu ses ancêtres. Le devoir de mémoire est le passage obligé pour
exorciser définitivement les effets du traumatisme passé.
Etre citoyen, ce n'est pas seulement attester de sa nationalité, c'est prendre
en main ses propres affaires et participer à l'élaboration du projet collectif
pour l'outre-mer et pour le pays tout entier. Le devoir de mémoire peut, en ce
sens, contribuer à la construction dynamique d'une citoyenneté pleinement
assumée.
Le devoir de mémoire exige aussi l'attention vigilante contre toutes les
formes d'esclavage contemporain, contre les dangers que font courir à
l'humanité les idéologies négatrices des droits de l'homme, contre les dangers
d'un retour de la barbarie.
Rappelons-nous aussi que l'accession des esclaves à la citoyenneté, le fait
donc que les anciens esclaves et les maîtres deviennent égaux en droits, ne
signifie pas pour autant que cette égalité soit réalisée dans les faits. Dans
les départements d'outre-mer, l'esclavage fut un temps remplacé par le travail
obligatoire, l'instauration d'une police de vagabondage chargée d'arrêter ceux
qui ne pouvaient présenter le livret de travail certifiant leur embauche.
L'abolition de l'esclavage eut aussi pour conséquence le recours à une nouvelle
immigration de travailleurs venant d'Afrique, de Madagascar, puis de l'Inde.
Un siècle et demi après l'abolition, force est de reconnaître que se sont
perpétuées certaines des formes anciennes de la domination. Aujourd'hui encore,
la couleur de la peau reste, outre-mer comme ici, un indice, voire un facteur,
de la position de l'individu dans l'échelle sociale.
Commémorer l'abolition de l'esclavage, c'est donc marquer la nécessité de
continuer à transformer la société - l'outre-mer n'est pas seul à être concerné
- vers plus d'égalité et de solidarité.
Rappeler à la nation son devoir de mémoire, c'est aussi se souvenir que
l'abolition de l'esclavage est le résultat de la puissante résistance des
esclaves à leur condition et du soutien que lui ont apporté les
abolitionnistes, conduits par Victor Schoelcher.
La France, et tout particulièrement le Parlement français, peut s'honorer à
juste titre d'avoir compté Victor Schoelcher parmi les grands républicains.
Il faut rappeler la volonté du président Monnerville, qui a souhaité et obtenu
qu'en 1949, un siècle après l'abolition de l'esclavage, Victor Schoelcher, avec
Félix Eboué, entre au Panthéon, aux côtés de l'abbé Grégoire, figure
emblématique de la première abolition, celle de 1794.
Vous avez évoqué la figure et la vie de Victor Schoelcher. Celle-ci pourrait
être placée sous cette maxime : « Il faut espérer jusque dans la désespérance.
»
Aimé Césaire lui rendait, voilà cinquante ans, cet hommage à l'occasion du
centième anniversaire de l'abolition : « Victor Schoecher, un génie ?
Peut-être. A coup sûr, un caractère. Mieux encore, une conscience. »
Le combat pour l'abolition, en 1848, n'était pas gagné d'avance. Nombreux, y
compris chez les républicains, étaient ceux qui mettaient en avant le réalisme
économique pour retarder l'abolition ou défendre le projet d'une disparition
progressive de l'esclavage.
Victor Schoelcher, rentré des Antilles, obtint très vite d'Arago, au départ
hésitant, la création, par un décret du 4 mars, d'une commission d'abolition,
qu'il présida avec le titre de sous-secrétaire d'Etat de la marine et des
colonies. Cette commission siégera sans interruption jusqu'à la mi-avril et
préparera le projet de décret adopté par le Gouvernement provisoire le 27 avril
1848.
Vous le savez aussi, l'information concernant la révolution de 1848 parvint
aux Antilles et en Guyane très vite. Les esclaves se mobilisèrent pour obtenir
sans attendre leur libération.
Le décret du 27 avril devait entrer en application dans les possessions
françaises deux mois après l'arrivée du texte. Mais, dès le 22 mai, en
Martinique, à Saint-Pierre, l'arrestation d'un esclave déboucha sur une émeute.
Sous la pression populaire, le général Rostoland, gouverneur de la Martinique,
décida d'anticiper sur les instructions du Gouvernement et proclama, dès le 23
mai, l'abolition de l'esclavage. Le 27 mai, les autorités de la Guadeloupe,
craignant la réédition des émeutes de la Martinique, proclamèrent à leur tour
l'émancipation des esclaves.
Ce rôle des peuples dans leur libération, je veux ici le souligner, car
l'exercice de la citoyenneté se nourrit de la conscience de chaque femme et de
chaque homme de leur capacité à être les acteurs de leur histoire. Le Premier
ministre le soulignait dimanche, à Champagney, en rappelant qu'« aujourd'hui
encore, aucune loi, aucune décision en faveur des droits de l'homme ne peut
avoir de réalité si elle n'enracine sa légitimité dans la volonté du peuple
».
Episode exemplaire de la lutte pour les droits de l'homme, le combat pour
l'abolition de l'esclavage qu'a conduit Victor Schoelcher s'identifie donc au
combat pour la République.
Ce combat, cent cinquante ans après, mesdames, messieurs les sénateurs, a une
dimension culturelle évidente.
Etre réduit en esclavage, au-delà de la contrainte brutale exercée par le
maître, c'est se voir dépossédé de son identité, c'est perdre sa dignité d'être
humain.
Le combat de l'esclave, privé du nom de ses ancêtres, exprime la volonté de
reconstruire un moi personnel et collectif, mutilé, dispersé, coupé de ses
origines.
L'émancipation a comme premier effet l'attribution d'un patronyme. Elle est la
réappropriation d'une identité et l'affirmation du droit à l'expression ; d'où
sa résonnance culturelle, qu'exprime notamment l'écrivain antillais Edouard
Glissant : « Toute la souffrance de l'esclavage a enfanté, dans la Caraïbe, une
nouvelle conception de l'homme. Ici, il ne peut plus y avoir ni génocide ni
purification ethnique parce que notre enracinement ne repose pas sur une racine
unique. La racine unique, cela produit l'exclusivisme. »
La célébration de l'abolition de l'esclavage doit être ainsi l'occasion de
rappeler que l'accession des esclaves à la citoyenneté a créé les conditions de
la créativité culturelle contemporaine des mondes de l'outre-mer, créativité
qui, de la Caraïbe à la Réunion, s'est nourrie des apports, imposés ou choisis,
venant de quatre continents.
Ces sociétés et ces cultures apportent un éclairage particulièrement riche sur
des questions importantes pour la France et le monde d'aujourd'hui, comme
celles de la citoyenneté et de l'identité culturelle.
L'identité de notre pays s'est construite, et se construit encore, dans le
dialogue avec les cultures du monde, dans un processus dynamique de métissage
aux formes multiples : ethnique, sociale, culturelle. L'identité de notre pays
s'enracine dans la reconnaissance que le pluralisme culturel né du brassage de
populations d'origines multiples est inséparable d'une aspiration à l'égalité.
C'est le message fondamental de notre République.
Je veux saluer ici les initiatives prises dans les départements d'outre-mer
comme en métropole pour donner à cette célébration l'éclat qu'elle mérite.
Le Gouvernement a marqué cet anniversaire, dimanche dernier, à Champagney,
petite commune de Haute-Saône, où, pour la première fois, en 1789, les cahiers
de doléances évoquaient l'abolition de l'esclavage. Hier, avec M. Gérard
Larcher, vice-président du Sénat, nous nous sommes associés, au Sénat, à
l'hommage rendu à Toussaint Louverture et à Louis Delgrès.
Le Gouvernement sera également présent aux manifestations organisées dans les
départements d'outre-mer à chacune des dates d'entrée en vigueur du décret
d'abolition : le 23 mai en Martinique, le 27 mai en Guadeloupe, le 10 juin en
Guyane et le 20 décembre à la Réunion.
Je souhaite, enfin, vous faire part de la volonté du Gouvernement que cette
célébration ne reste pas sans lendemain.
Le 30 juin 1983, le Parlement avait adopté une loi instituant cette
commémoration dans les quatre départements d'outre-mer, à Mayotte et en
métropole. Il faut reconnaître que, depuis, les dispositions prévues par la loi
n'ont été appliquées en métropole que très partiellement. Cette date
anniversaire tranchera. Le Gouvernement en tirera tous les enseignements pour
donner le relief indispensable à cet événement dans les prochaines années.
Je veux, pour conclure, me référer au travail réalisé par les jeunes de
nombreux établissements scolaires sur l'initiative de l'association de
prévention pour une meilleure citoyenneté des jeunes. Parmi les panneaux
choisis lors des expositions, j'ai retenu celui des élèves du lycée
professionnel Léonard-de-Vinci de Nantes, ville où, justement, le port négrier
a été très actif au cours du XVIIIe siècle.
Ces élèves écrivaient, voilà quelques jours, une lettre à Victor Schoelcher
qui se terminait par ces mots, importants quand on connaît la persistance de
l'esclavage un peu partout dans le monde : « Nous continuerons votre combat
afin qu'un jour la chaîne se brise à jamais. »
(Applaudissements.)
M. le président.
Mes chers collègues, je vous informe que le bureau du Sénat a décidé, à
l'unanimité, d'adresser à toutes les communes de France une affiche du Sénat
sur le 150e anniversaire de l'abolition de l'esclavage et aux élèves des écoles
primaires et secondaires une documentation.
Je pense que le Sénat fera sienne cette décision.
En conséquence, j'adresserai en votre nom ces documents, qui seront également
accessibles sur le site Internet du Sénat.
Conformément à la décision du bureau, nous allons, après la séance, dévoiler
une médaille à l'effigie de Gaston Monnerville, président de la Haute Assemblée
de 1947 à 1968, à la place qu'il occupa dans l'hémicycle.
6
TRANSMISSION DE PROJETS DE LOI
M. le président.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté avec
modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, instituant une
commission consultative du secret de la défense nationale.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 404, distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par
l'Assemblée nationale, relatif à l'application de la convention du 13 janvier
1993 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et
de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 405, distribué et renvoyé à la
commission des affaires économiques et du Plan.
7
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de MM. Michel Duffour, Robert Pagès, Mme Marie-Claude Beaudeau, M.
Jean-Luc Bécart, Mmes Danielle Bidard-Reydet, Nicole Borvo, MM. Jean Derian,
Guy Fischer, Pierre Lefebvre, Paul Loridant, Mme Hélène Luc, MM. Louis Minetti,
Jack Ralite, Ivan Renar, Mme Odette Terrade et M. Paul Vergès une proposition
de loi relative à la célébration de l'abolition de l'esclavage en France
métropolitaine.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 406, distribuée et renvoyée à
la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la
constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues
par le règlement.
8
RETRAIT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président.
J'ai reçu une lettre par laquelle M. Michel Duffour déclare retirer la
proposition de loi relative à la célébration de l'abolition de l'esclavage en
France métropolitaine (n° 361, 1997-1998) qu'il avait déposée avec plusieurs de
ses collègues au cours de la séance du 31 mars 1998.
Acte est donné de ce retrait.
9
DÉPÔT D'UN RAPPORT
M. le président.
J'ai reçu de M. Pierre Fauchon, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au
nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les
dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la
responsabilité du fait des produits défectueux.
Le rapport sera imprimé sous le n° 407 et distribué.
10
DÉPÔT D'UN AVIS
M. le président.
J'ai reçu de M. André Jourdain un avis présenté au nom de la commission des
affaires sociales sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après
déclaration d'urgence, portant diverses dispositions d'ordre économique et
financier (n° 373, 1997-1998).
L'avis sera imprimé sous le n° 408 et distribué.
11
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mercredi 29 avril 1998 :
A quinze heures :
1. - Discussion du projet de loi (n° 343, 1997-1998), adopté par l'Assemblée
nationale, portant modification de l'ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945
relative aux spectacles.
Rapport (n° 397, 1997-1998) de M. Philippe Nachbar, fait au nom de la
commission des affaires culturelles.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.
2. - Discussion du projet de loi (n° 344, 1997-1998), adopté par l'Assemblée
nationale, portant transposition dans le code de la propriété intellectuelle de
la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996,
concernant la protection juridique des bases de données.
Rapport (n° 395, 1997-1998) de M. Charles Jolibois, fait au nom de la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.
3. - Discussion de la proposition de loi (n° 99, 1997-1998), adoptée par
l'Assemblée nationale, permettant à l'enfant orphelin de participer au conseil
de famille.
Rapport (n° 396, 1997-1998) de M. Luc Dejoie, fait au nom de la commission des
lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale.
Aucun amendement à cette proposition de loi n'est plus recevable.
Le soir :
4. - Discussion en deuxième lecture du projet de loi (n° 332, 1997-1998),
modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la partie législative du livre VI
(nouveau) du code rural.
Rapport (n° 381, 1997-1998) de M. Alain Pluchet, fait au nom de la commission
des affaires économiques et du Plan.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.
5. - Discussion des conclusions du rapport (n° 402, 1997-1998) de la
commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions
restant en discussion du projet de loi modifiant le statut de la Banque de
France en vue de sa participation au système européen de banques centrales.
M. Alain Lambert, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte
paritaire.
Délais limites pour les inscriptions de parole
dans la discussion générale
et pour le dépôt des amendements
Projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, portant transposition de la
directive 94/47/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 1994,
concernant la protection des acquéreurs pour certains aspects des contrats
portant sur l'acquisition d'un droit d'utilisation à temps partiel de biens
immobiliers (n° 335, 1997-1998) ;
Délai limites pour le dépôt des amendements : lundi 4 mai 1998, à dix-sept
heures.
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence,
portant diverses dispositions d'ordre économique et financier (n° 373,
1997-1998) :
- délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
mardi 5 mai 1998, à dix-sept heures ;
- délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 5 mai 1998, à dix-sept
heures.
Personne de demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures quinze.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
ERRATA
I. - Au
Journal officiel
du 10 avril 1998,
débats parlementaires, Sénat
Page 1677, 2e colonne, pour le numéro de la question orale de M. Alain Gournac
à M. le ministre de l'intérieur :
Au lieu de :
« 328 »,
Lire :
« 238 ».
II. - Au
Journal officiel
du 22 avril 1998,
débats parlementaires, Sénat
Page 1736, 1re colonne, pour le numéro de la question orale de M. Franck
Sérusclat à M. le secrétaire d'Etat à la santé :
Au lieu de :
« 240 »,
Lire :
« 244 ».
ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES
CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'ÉLECTRICITÉ ET DU GAZ
En application du décret n° 46-1100 du 17 mai 1946, M. le président du Sénat a
désigné, le 28 avril 1998, M. Henri Revol pour siéger au sein du Conseil
supérieur de l'électricité et du gaz, en remplacement de M. Bernard Barbier,
décédé.
COMMISSION CONSULTATIVE APPELÉE À ÉMETTRE UN AVIS SUR LA MODIFICATION DE LA
VALEUR DU POINT DE PENSION
En application de l'article R. 3 du code des pensions militaires d'invalidité
et des victimes de la guerre, M. le président du Sénat a désigné, le 28 avril
1998, M. Marcel-Pierre Cléach pour siéger, en remplacement de M. Bernard
Barbier, décédé, au sein de la commission consultative appelée à émettre un
avis sur la modification de la valeur du point de pension.
COMMISSION D'ÉTUDE SUR LA RETRAITE ANTICIPÉE
POUR LES ANCIENS COMBATTANTS EN AFRIQUE DU NORD
En application du décret n° 95-906 du 9 août 1995, M. le président du Sénat a
désigné, le 28 avril 1998, M. Marcel-Pierre Cléach pour siéger, en remplacement
de M. Bernard Barbier, décédé, au sein de la commission d'étude sur la retraite
anticipée pour les anciens combattants en Afrique du Nord.
COMITÉ DIRECTEUR DU FONDS POUR L'EMPLOI DANS LES DÉPARTEMENTS D'OUTRE-MER ET LA
COLLECTIVITÉ TERRITORIALE DE SAINT-PIERRE-ET-MIQUELON (FEDOM)
En application du décret n° 95-984 du 25 août 1995, M. le président du Sénat a
désigné, le 28 avril 1998, M. Edmond Lauret pour siéger, en remplacement de M.
Pierre Lagourgue, décédé, au sein du comité directeur du fonds pour l'emploi
dans les départements d'outre-mer et la collectivité territoriale de
Saint-Pierre-et-Miquelon (FEDOM).
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Manifestations célébrant le passage
au troisième millénaire
252.
- 24 avril 1998. -
M. Christian Bonnet
interroge
Mme le secrétaire d'Etat au tourisme
sur les manifestations célébrant le passage au troisième millénaire. Vingt mois
seulement nous séparent désormais de l'an 2000. Cette entrée dans le troisième
millénaire sera saluée, à l'étranger, par un certain nombre de réalisations ou
manifestations, parmi lesquelles on peut citer, en Allemagne, le retour de
Berlin au statut de ville-capitale... En Grande-Bretagne, une exposition
grandiose sur le temps en cours de montage à Greenwich... En Italie, un jubilé
d'une ampleur exceptionnelle... Toutes initiatives susceptibles d'attirer un
très grand nombre de touristes venus du monde entier. Dans le même temps,
fidèle en cela à sa tradition d'improvisation, la France paraît prendre un
retard inquiétant. Si un crédit de 400 millions a été ouvert, il n'a été à ce
jour ni voté, ni dès lors mis en place. Le message, apparemment retenu sur le
plan national : « La France, l'Europe, le Monde : un nouveau souffle ! » paraît
tout à la fois flou, intellectuel et, dès lors, inassimilable, plus encore pour
les étrangers que pour les Français. Par ailleurs, le logo retenu pour
labelliser les lieux et les manifestations du passage d'un millénaire à l'autre
apparaît inadapté dans sa fonction d'appel à des touristes potentiels. Dans de
telles conditions, il lui demande s'il ne lui appartient pas de prendre une
initiative forte pour fouailler les énergies défaillantes, et coordonner des
actions jusqu'ici apparemment dispersées ?
Amélioration de la sécurité ferroviaire
253.
- 27 avril 1998. -
M. Bernard Dussaut
appelle l'attention de
M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement
sur le travail de réflexion conduit actuellement par les élus des départements
concernant la sécurité ferroviaire. Les élus, notamment au sein du conseil
général de la Gironde, en concertation avec les directions départementales de
l'équipement, se préoccupent vivement de savoir comment aborder la question
d'une sécurité accrue des croisements entre les trafics ferroviaires et
routiers. Il s'agit d'établir dans un premier temps des priorités dans les
dossiers à traiter puis de décider d'aménagements tendant à améliorer la
sécurité : signalétique, ralentisseurs, déviations voire suppression de
certains passages à niveau. Il paraît essentiel que ce travail puisse être
relayé par les différents partenaires parties prenantes tant au niveau de la
réflexion que de la participation financière : Etat, SNCF, réseau ferré de
France (RFF). Il souhaiterait avoir des assurances quant aux moyens que l'Etat
s'accordera à dégager.
Conditions d'équivalence entre un diplôme d'Etat algérien
et le diplôme français correspondant
254.
- 28 avril 1998. -
M. Jean Clouet
rappelle à
M. le secrétaire d'Etat à la santé
que le ministère de la santé publique d'Algérie délivre un diplôme d'Etat de
section paramédicale qui comporte une option « infirmière ». Ce diplôme serait
susceptible d'être assimilé au diplôme français correspondant dans des
conditions qu'il lui a demandé de lui préciser par lettre en date du 18 juin
1997 suivie par une correspondance de rappel le 10 février 1998. Ces deux
courriers étant restés sans suite, il souhaite à nouveau lui poser cette
question dont il attend avec intérêt la réponse.
Avenir de la caisse autonome de retraite
des médecins français (CARMF)
255.
- 28 avril 1998. -
M. Charles Descours
attire l'attention de
Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité
sur l'application du décret n° 94-564 du 6 juillet 1994 qui fait obligation à
la CARMF de disposer d'au moins trois mois de trésorerie sur le régime ASV
(avantage social vieillesse). Or, la CARMF ne disposerait plus aujourd'hui que
de deux à trois semaines de réserves. Le déficit de ce régime devant être de
400 à 500 millions de francs d'ici fin 1998, le paiement de 40 % de ces
pensions risque fortement de se poser dès le début de 1999. Il lui demande donc
de lui indiquer la solution qu'elle envisage de prendre pour assurer le
paiement de toutes les pensions dues.
Avenir du mécanisme d'incitation à la cessation d'activité
256.
- 28 avril 1998. -
M. Charles Descours
appelle l'attention de
Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité
sur l'avenir du MICA (mécanisme d'incitation à la cessation d'activité). Les
ordonnances de réforme de la sécurité sociale ont mis en place ce système de
préretraite des médecins libéraux pour réguler la démographie médicale. Or, la
facture globale des trois allocations de remplacement (ADR), prévues en
fonction de l'âge de départ à la retraite (de 57 à 64 ans) devrait passer de
300 millions en 1997 à 750 millions en 1998. Ainsi, moins d'un an après sa mise
en oeuvre, le niveau des cotisations ne permet pas d'assurer le financement du
régime en 1998. Il lui demande donc de quel montant est l'impasse ? Qui va le
payer ? Si elle envisage de diminuer l'allocation de remplacement ? Si oui, de
combien ? Et plus généralement, quel avenir le Gouvernement entend-il réserver
à l'incitation à la cessation d'activité anticipée.
Mutation des enseignants dans le département de la Somme
257. - 28 avril 1998. - M. Pierre Martin souhaite interroger Mme le ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire sur l'évolution des mouvements de postes d'enseignant dans le département de la Somme envisagée pour la future rentrée scolaire et sur les répercussions de cette situation qui risque d'altérer la qualité de l'enseignement.